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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 4 mars 1864

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1863-1864)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 325) M. de Moorµ procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Florisone donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moorµ communique l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Des ouvriers demandent que les dispositions du nouveau Code pénal sur les coalitions soient rendues obligatoires. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


< Des habitants d'Hensies prient la Chambre de maintenir la législation actuelle sur la police des cimetières et de conserver à l'autorité civile les prérogatives dont elle jouit. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Ghislenghien prie la Chambre de décréter la construction du chemin de fer de Binche à Lessines, et de faire raccorder la station de cettee ligne avec celle de Hal à Ath. »

- Même renvoi.


« Le sieur Cuisinier, ancien militaire congédié pour infirmité contractée durant le service, demande une pension ou un emploi. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Blankenberghe demandent une loi dans l'intérêt de la langue flamande. »

- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.


« Des officiers pensionnés dans la province de Namur prient la Chambre d'étendre à tous les officiers pensionnés les mesures qui ont été votées en faveur des officiers en activité. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Projet de loi accordant remise des droits sur 69,000 kil. de sulfate de soude formant la cargaison du bateau La Force

Rapport de la section centrale

M. Ch. Lebeau. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi tendant à accorder remise des droits sur 69,000 kil. de sulfate de soude formant la cargaison du bateau La Force.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite des objets à l'ordre du jour.

Projet de loi relatif à l’incorporation du bois de la Cambre, de son avenue et des zones latérales au territoire de la capitale

Discussion générale

MpVµ. - La discussion générale continue.

M. le Hardy de Beaulieuµ. - Messieurs, je réclame votre indulgence. Je suis légèrement indisposé. Vous y gagnerez au moins quelque chose : c'est que je serai obligé de concentrer autant que possible mes arguments.

Lorsque j'avais l'honneur de représenter la ville de Bruxelles au conseil provincial, j'ai établi que ni la ville de Bruxelles ni les faubourgs n'avaient intérêt à l'annexion qui était alors proposée. Les arguments que j'ai produits à cette époque ont été acceptés par le conseil provincial, et je ne sache pas qu'ils aient été réfutés.

Aujourd'hui que ma compétence s'est un peu étendue, je n'aborderai plus cet ordre de questions.

J'examinerai, sous le rapport légal, la question qui nous est soumise ; je m'efforcerai de vous démontrer que la ville de Bruxelles n'a pas le droit de demander l'annexion proposée, que nous n'avons pas le pouvoir de la lui accorder ; et qu'eussions-nous, d'une part ce droit, de l'autre ce pouvoir, il n'y aurait ni nécessité, ni même équité à l'accorder.

Ma tâche, messieurs, a été rendue beaucoup plus simple et plus facile par la discussion qui a déjà eu lieu hier. Les principaux arguments que j'avais l'intention de produire ont été développés ; je me bornerai aujourd'hui à examiner les faits et tes précédents d'une manière un peu plus approfondie qu'on ne l'a fait dans toute cette affaire, et je pense que, par cet examen, nous arriverons à cette conviction qui doit toujours guider notre vote.

Je vais donc faire l'historique de la question qui nous occupe.

En 1845, je pense, un peu plus tôt ou un peu plus tard, diverses personnes, voyant l'extension que prenait la ville de Bruxelles, prévoyant que, dans l'avenir, cette ville qui alors n'avait pas même 200,000 âmes avec ses faubourgs, en aurait probablement 300,000, 400,000 et au-delà, se dirent que le moment était venu de doter la capitale de promenades où la population de toutes les classes pourrait aller respirer un air pur et frais, et que le moment était d'autant plus opportun que les terrains, à travers lesquels devait passer l'avenue vers le bois de la Cambre n'étaient pas encore arrivés à un prix élevé.

Ces personnes s'associèrent ; elles dressèrent des plans et proposèrent d'exécuter ces travaux à leurs frais, risques et périls, en ne demandant qu'une certaine coopération de la ville de Bruxelles et du trésor public qui représentaient l'intérêt de tout le monde dans une entreprise de cette nature.

Ces propositions suivirent le cours ordinaire ; mais, vous le savez, messieurs, les formalités dans les bureaux sont assez longues ; on y consacre beaucoup de temps, et, d'ailleurs, dans notre pays, on n'a pas en général une très grande confiance dans les entreprises particulières de travaux publics. Les questions de ce genre traînent ordinairement en longueur et après avoir suivi tous les détours administratifs, elles finissent généralement par se perdre dans quelque carrefour. Il en arriva ainsi des projets dont je m'occupe en ce moment.

En Angleterre, il en est tout autrement : là, on a une grande confiance dans les entreprises particulières, dans l'énergie des particuliers ; et, il y a peu de jours encore, je lisais dans le Times qu'en ce moment même il y a dans le trésor 4 millions de livres sterling ou 100 millions de francs qui sont déposés à titre de cautionnement, pour un milliard de travaux projetés par l'industrie particulière dans l'agglomération qui compose la ville de Londres.

Cela nous montre, messieurs, que quand l'industrie particulière est laissée tout à fait libre, elle peut parfaitement se développer, sous la protection des lois qui nous régissent, et qu'elle finit par faire beaucoup, plus et mieux qu'elle ne le pourrait jamais avec l'intervention de l'autorité publique.

Quoi qu'il en soit, messieurs, les propositions faites alors par l'industrie particulière en ce qui concerne la question qui nous occupe, ne furent pas acceptées.

La révolution de 1848 arriva ; au lieu des capitaux sérieux qui eussent été nécessaires pour un travail de ce genre, on ne trouva que des capitaux qui n'étaient ni forts ni sérieux.

Ils ne purent pas même commencer les travaux ; et le gouvernement, lié par une convention régulière, fut obligé de la faire annuler par la voie judiciaire.

Jusque-là donc rien n'avait été fait, plusieurs années avaient été perdues.

C'est alors que quelques particuliers reprirent les choses en mains ; une grande commission s'organisa et on insinua dans le public, par toutes les voix de la publicité, que la ville de Bruxelles ferait beaucoup mieux ce travail que n'importe qui. Il fallait concéder l'avenue à la capitale ; c'est elle seule qui avait intérêt, c'est elle surtout qui devait en profiter. En vue de réaliser cette idée, une concession, qui date de janvier 1859, fut accordée à la ville de Bruxelles, et celle-ci, après avoir accepté cette concession, commença les travaux. Elle avait trois ans pour les exécuter ; voilà cinq ans que la concession est accordée et les travaux ne sont pas achevés, et c'est parce que ces travaux n'ont pas été exécutés, parce qu'elle n'a pas rempli ses engagements, qu'elle demande maintenant l'annexion d'une partie d'un de ses faubourgs afin d'être mise à même d'exécuter ces engagements.

Voilà, selon moi, l'unique base de la demande de la ville de Bruxelles, d'après les pièces qui cous sont soumises. Nous examinerons les autres questions plus tard. Eh bien, messieurs, quand il s'agit d'exproprier ne fût-ce qu'une masure insalubre, ne fût-ce qu'un fossé infect qui répand la fièvre ou la maladie dans les environs, il y a des lois positives, des règkes fixes, des garanties pour la société comme pour les particuliers dont on ne peut pas se départir pour opérer cette expropriation.

Ici il s'agit d'une commune, de la propriété communale, d'intérêts communaux, d'intérêts qui affectent des droits particuliers, des droits politiques, des droits civils, des droits de toute nature et des droits qui sont garantis par les lois du pays et entre autres par la loi provinciale.

Celte loi indique les formalités qui sont à suivre lorsqu'on veut permettre à une commune d'échanger, d'agrandir ou de rétrécir son territoire et dans le cas qui nous occupe, si les formalités ont été remplies, (page 326) le conseil provincial, tuteur naturel de ces mineurs qu'on appelle communes, a donné un avis contraire.

On a, il est vrai, réduit la demande ; mais le conseil provincial n'a pas été appelé à statuer sur cette demande plus restreinte et nous pouvons, comme on l'a dit hier, prévoir que s'il avait été appelé à donner son avis sur cette proposition, il y aurait été contraire exactement comme pour la demande plus grande qui lui avait été adressée d'abord.

Quant à la commune, elle n'a jamais hésité un seul instant, depuis l'origine de l'affaire jusque maintenant ; elle a toujours été opposée au projet, même quand il s'agissait de le faire exécuter par des particuliers, même lorsqu'il a été exécuté par la ville de Bruxelles (ce n'est pas que j'approuve cette opposition, loin de là), mais je constate que la commune d'Ixelles n'a jamais varié dans cette opposition.

Voilà donc deux intérêts légaux, deux intérêts établis sur des lois positives qui ont donné leur avis contraire, et l'on vient maintenant proposer a la législature de passer au-dessus de ces garanties et de décréter d'emblée l'annexion au territoire de la ville de Bruxelles.

On a dit hier, et je partage cet avis, que l'article 3 de la Constitution, qui décide qu'aucune modification de limites ni pour les communes, ni pour les provinces, ni pour l'Etat, ni même pour les cantons, ne peut être faite qu'en vertu d'une loi ; que cet article était une garantie que les intérêts particuliers des communes, que les intérêts locaux ne pourraient pas prévaloir, dans certaines circonstances, contre les intérêts généraux.

Dans les délimitations des communes, des provinces et des cantons, comme dans les délimitations des Etats, il y a des intérêts autres que ceux des provinces, des communes et des cantons.

Il peut y avoir de grands intérêts sociaux cachés sous ces choses en apparence peu importantes. Voilà pourquoi la Constitution a décrété que la législature devrait être consultée après que les deux autres autorités auraient donné leur avis.

Je crois que, sous ce rapport, je puis me borner aux considérations que je viens de présenter.

D'après moi, l'Etat fait ici une chose, je ne dirai pas tout à fait inconstitutionnelle, mais pour le moins exorbitante, en passant sur l'opposition persistante de la commune intéressée et du conseil provincial.

Je ne suis pas partisan de l'omnipotence parlementaire absolue, je crois que cette omnipotence est réglée, comme tous les autres pouvoirs, par la loi. Je serais beaucoup plus effrayé de cette omnipotence manifestée sans avoir égard aux règles que de l'omnipotence d'un seul ; car l'omnipotence d'un seul a pour contrepoids la responsabilité individuelle tandis que l'omnipotence d'une assemblée n'a aucun contre-poids, parce qu'elle est irresponsable.

Je passe à la question d'utilité. Je ne parlerai pas de la question de nécessité, je crois que je perdrais mon temps et je vous ferais perdre le vôtre si je prenais la peine de prouver que Bruxelles peut exister sans l'annexion qu'on propose, car il a vécu et prospéré jusqu'ici sans cela.

Reste la question d'utilité. Je la conçois ; je conçois qu'il serait utile pour la ville de Bruxelles d'obtenir cette annexion. Mais y a-t-il un intérêt sérieux qui demande l'annexion de l'avenue avec le bois de la Cambre ? Voilà la question que nous pouvons poser et discuter.

Hier on a dit que tout se bornait à une question de police. Si j'ouvre les pièces, je vois que c'est cette question de police qui a dominé dans cette discussion ; c'est pour mettre la police et la réglementation de l'avenue sous l'autorité de la ville de Bruxelles que la loi est proposée. On avait cherché tous les moyens par lesquels on aurait pu éviter cette annexion en donnant la police et la réglementation de l'avenue et du bois de la Cambre à la ville.

Je dirai même que pour ma part, ces raisons ne m'émeuvent guère. J'ai passablement voyagé, j'ai vu des villes beaucoup plus grandes que celle de Bruxelles ou des foules énormes plus considérables que celles que la ville de Bruxelles ne peut donner, et je n'ai pas vu que ces villes aient obtenu ni même demandé l'annexion des lieux où ces foules se répandent ; je vois à Londres, par exemple, 500,000 à 600,000 personnes se porter aux courses d'Epsom avec tous les moyens de transport possibles et je n'ai pas vu que la ville de Londres ait jamais réclamé la police ni la propriété des routes qui conduisent à ce champ de course.

Il y a d'autres localités où la foule se rend. Il y a à Londres de grands parcs qui sont situés les uns plus loin, les autres moins loin que le bois de la Cambre ne l'est de la ville de Bruxelles, ou des centaines de mille personnes se transportent le dimanche et les jours de fête, et jamais je n'ai entendu un habitant de Londres dire : Il est indispensable que pour régler ce mouvement, pour le conduire, pour empêcher les désordres, tout cela ne fasse qu'un vaste territoire et que nous ayons, de par la loi, la police des routes qui y conduisent.

La ville de Londres, elle-même, est composée de 82 à 83 communes complètement séparées administrativement, et qui ne sont réunies que sous deux points de vue ; les travaux publics et la police. Jamais il n'est entré dans l'esprit d'un Anglais de faire de cet immense tout une seule administration ; il serait ingouvernable de cette façon. Il serait impossible à aucune intelligence humaine de faire marcher une immense affaire comme celle-là ; tandis que séparée en quatre-vingts administrations, chacun prend part dans son petit quartier à l'administration, et l'on arrive à ce résultat que présente la ville de Londres qui, certes, n'a rien à envier à aucune des villes du continent.

Messieurs, je n'admets pas cette prémisse qu'il faut que la ville de Bruxelles ait la police de l'avenue et du bois de la Cambre. Je me suis promené souvent à Ixelles ; j'y ai habité et je m'y trouve aussi en sécurité qu'à Bruxelles.

Je ne pense pas, en passant à Ixelles, entrer dans un pays sauvage ; je suis dans une localité où il y a peut-être moins de bonnets de police, mats j'y suis parfaitement en sécurité et je n'éprouve nullement le besoin d'y voir d'autres uniformes pour me protéger.

Quant à cela, je suis entièrement de l'avis que me donnait le maire de New-York, je lui faisais remarquer que dans cette ville extrêmement populeuse où l'on rencontrait toujours 200 mille étrangers allant et venant, il y avait extrêmement peu de police. Il me dit : Nous avons fait un calcul ; nous avons trouvé que les vols, que les déprédations s'élevaient par an à tel chiffre, disons un million ; nous avons calculé que pour faire une bonne police, il faudrait dépenser le triple, c'est-à-dire trois millions, donc deux millions de perte pour la généralité. Mais de plus, les particuliers ne se garderaient plus eux-mêmes. Ils se confieraient à la vigilance de la police et les vols seraient probablement plus nombreux.

MfFOµ. - Supprimez alors toute police.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Il en faut, mais pas trop n'en faut.

Messieurs, je vous ai émis mon opinion quant à l'utilité que la ville de Bruxelles pourrait tirer de ce qu'elle aurait la police du bois de la Cambre.

Je ne dis pas qu'il ne serait pas utile à l'administration de la ville de Bruxelles d'avoir le droit de faire la police dans le bois de la Cambre, mais ce droit, elle le possède ; en vertu de la loi qui lui donne la propriété, elle a la police du propriétaire, et si cette police est insuffisante rien ne serait plus facile que de s'entendre avec la commune d'Ixelles. Je ne vois pas de nécessité ni d'utilité à ce que Bruxelles soit en guerre ouverte avec la commune d'Ixelles.

Je n'admets pas qu'il puisse en être ainsi ; je dis au contraire que parmi les diverses parties d'une même agglomération il doit y avoir une cordiale entente ; quant aux petites difficultés qui s'élèvent de temps en temps, elles ont presque toujours leur origine dans les prétentions de l'une des deux parties, et s'il était bien entendu que jamais la ville de Bruxelles n'aura de prétention sur le territoire d'une partie quelconque de ses faubourgs, jamais ces conflits qui s'élèvent maintenant, ne surgiraient et nous assisterions à l'entente cordiale de toute la population bruxelloise.

D'ailleurs, messieurs, je crois que nous serons amenés par les progrès de la civilisation à examiner un jour ou l'autre la question de savoir s'il faut que l'action de la police s'arrête précisément aux limites d'une commune. Je vois qu'en Angleterre sir Robert Peel a établi son admirable système de police qui ne s'arrête pas à une frontière communale. Elle est sous l'autorité communale autant qu'il faut qu'elle le soit. Je crois, je le répète, que tôt ou tard nous aurons à examiner cette question que je me borne à signaler aujourd'hui.

Messieurs, porter atteinte à l'intégrité du territoire d'une commune en prévision de cas qui ne se sont pas encore présentés, cela n'est pas admissible. Si dans la loi qui nous est soumise on était venu nous dire : Voilà un cas, un deuxième, un troisième et ces cas sont tels, qu'il faut absolument passer par là, peut-être me serais-je soumis aux nécessités des faits ; mais il n'en est rien ; c'est une loi préventive ; les inconvénients que l'on signale sont purement imaginaires.

Messieurs, je crois qu'en présence de ces raisons votre décision ne sera pas douteuse. L'intégrité communale est, on peut le dire, une des pierres angulaires de notre édifice social, c'est sur cette intégrité que repose la liberté des communes. En effet, messieurs, supposons que vous posiez ce précédent, supposons que vous disiez : Lorsqu'une commune doit sortir de chez elle pour faire un travail, cette commune aura le droit de s'annexer le territoire sur lequel elle a fait ce travail.

Evidemment si vous donnez ce droit à la ville de Bruxelles, vous devrez le donner à toutes les communes de la Belgique, ; il n'y a pas de raison pour que vous donniez à une commune qui a 200,000 habitants plus (page 327) de droits qu'à une commune qui n'a que 900 habitants. Toutes les communes en Belgique sont égales, comme tous les citoyens sont égaux devant la loi.

Eh bien, je dis que si vous touchez, même indirectement, à cette pierre angulaire de notre édifice social et constitutionnel, vous aurez porté une grave atteinte à la liberté même des communes. Les communes ne seront plus sûres de leur existence entière, si elles peuvent craindre un jour de pouvoir être entamées dans l'intégrité de leurs territoires par les travaux d'une commune voisine.

M. Jamar. - Messieurs, dans la séance d'hier, les adversaires du projet de loi se sont placés sur un terrain très commode. Ce n'est pas le projet de loi qui est soumis à vos délibérations qu'ils ont discuté, c'est la question de l'incorporation des faubourgs à la ville de Bruxelles.

En vain leur demande-t-on ce qui peut justifier le procès de tendance qu'ils font à la ville de Bruxelles, sur quels actes est appuyée cette allégation que rien ne motive. Sans répondre, messieurs, à ces questions, on persiste à faire miroiter à vos yeux le mirage de l'incorporation inévitable, fatale, des faubourgs à la ville de Bruxelles. Pour les adversaires du projet de loi, ce projet n'est qu'une tentative pour opérer, d'une manière détournée, cette incorporation que le parlement a déjà repoussée d'une façon nette et positive. Pour condamner de nouveau cette tentative, on rappelle les protestations qui se sont élevées dars cette enceinte lors de la présentation de ce projet de loi ; on invoque même le souvenir d'hommes qui avaient dans le parlement une autorité très grande, on invoque les noms de MM. Verhaegen et Ch. de Brouckere.

J'avoue que, pour ma part, ce n'est pas sans un grand étonnement que j'ai entendu l'honorable M. Vander Donckt se faire, des paroles de l'honorable M. Ch. de Brouckere, une arme contre un projet de loi dont le rejet froisserait la justice et compromettrait d'une manière grave et sérieuse les intérêts d'une ville, à la prospérité de laquelle l'honorable M. de Brouckere s'était consacré avec un dévouement absolu.

Il faut donc répéter encore que beaucoup d'entre nous partagent les répugnances qu'avaient les honorables membres dont on a rappelé le souvenir, pour ce projet d'incorporation des faubourgs à la ville ; il faut ajouter qu'il suffit de lire les discussions du conseil communal, provoquées par le projet de loi qui nous est soumis, pour voir quelles hésitations sérieuses a fait naître dans l'esprit de la plupart des conseillers communaux la proposition de la commune de Saint-Gilles, tendante à être réunie tout entière à la ville de Bruxelles.

Mais je suppose que, de la part de nos adversaires, il y a parti pris. Ce système a obtenu un succès complet au conseil provincial, et on espère le faire triompher dans cette enceinte. Aussi, dans cet ordre d'idées n'épargne-t-on aucune récrimination.

C'est, vous dit-on, une spoliation violente et brutale que vous allez consacrer. Vous allez enlever à une commune le quart de son territoire, malgré les protestations de ses habitants. Et l'on vous parle sérieusement des dangers que pourrait faire courir au gouvernement l'augmentation de la population bruxelloise par la pression qu'une population aussi considérable pourrait exercer sur le gouvernement.

En réalité, messieurs, qu'enlève-t-on à la commune d'Ixelles ?

La partie à incorporer comprend 225 hectares. Le bois, l'avenue, l'emplacement occupé par les réservoirs d'eaux de la ville, forment à peu près 200 hectares qui non seulement ne sont susceptibles de produire aucun revenu à la commune d'Ixelles, mais dont l’entretien serait pour elle une source de dépenses considérables. Il reste donc 25 à 30 hectares de terres arables sur lesquelles s'élèvent 77 propriétés bâties, dont les deux tiers sont des bâtiments ruraux et des chaumières, dont le produit, au point de vue de l'impôt, était infime avant que l'avenue vînt décupler la valeur de cette propriété.

Voilà, messieurs, pour le territoire. Le nombre d'habitants qui occupent actuellement la partie du territoire qu'il s'agit d'incorporer, est de 450 approximativement, en comptant six habitants par maison.

On a dit que c'était contre le vœu de ces habitants que l'incorporation aurait lieu.

C'est là une allégation excessivement téméraire en présence des pétitions déposées sur le bureau et qui la plupart émanent de propriétaires ou d'habitants de l'avenue et des rues environnantes, qui tous sont unanimes dans l'expression de sentiments et de vœux en contradiction formelle avec ceux qu'on leur prête.

Au reste, messieurs, chaque fois qu'il s'agit de rectifier les limites d'une commune, le même fait se produit. Ce ne sont pas ceux qui partent qui protestent, mais ce sont ceux qui restent, et qui savent très mauvais gré à ceux qui se séparent d'eux soit pour former une commune distincte, soit poux se réunir à autre commune.

On a compris que vous feriez bientôt justice à ce fantôme de l'incorporation des faubourgs à la ville dont on a tant abusé et l'on s'est adressé à des sentiments qui ont chez vous de profondes racines et dont la susceptibilité est aussi vive que légitime.

On vous a dit : C'est la liberté communale, c'est l'existence même des communes que le projet de loi met en question.

Et pourquoi toucher à cette arche sainte ? Pour satisfaire les convenances administratives de la ville de Bruxelles ! A l'appui de ces considérations, l'honorable M. de Naeyer donnait hier à l'article 3 de la Constitution un sens restrictif que rien n'indique, ni dans le rapport présenté au Congrès sur le titre premier de la Constitution, ni dans les discussions auxquelles le rapport a donné lieu.

Le droit que nous confère l'article 3 de la Constitution est absolu et l’assemblée constituante, en parlant, dans le même article, de l'Etat, des provinces et des communes, n'a pas eu certainement la pensée que lui prêtait hier l'honorable M. de Naeyer.

L'hommage que je rends dans mon rapport au principe de la liberté communale, n'est pas un hommage sérieux, nous a dit l'honorable M. de Naeyer ; et je ne conforme en aucune manière mes actes à mes sentiments.

J'avoue, messieurs que ce reproche me serait fort pénible s il était mérité. Si le projet de loi pouvait porter atteinte à la liberté communale, à celle de nos libertés que je considère comme la plus précieuse, non seulement je ne défendrais pas ce projet, mais je le combattrais à côté de l'honorable M. de Naeyer.

Mais cette liberté, messieurs, qui réside apparemment dans les citoyens eux-mêmes, n'est point atteinte par le projet de loi. Les droits que la loi confère aux citoyens seront-ils moins exercés par les habitants d'Ixelles parce qu'ils seront réunis à la capitale ? Et n'est-il pas évident que c'est le maintien de ces droits qu'il nous importe d'assurer et que le projet de loi ne met pas en péril ? (Interruption.)

J'avoue, du reste, que je trouve étrange de voir diriger par l'honorable M. de Naeyer une accusation aussi grave que celle de porter atteinte à la liberté communale, contre un homme qui, obéissant avec une grande intelligence à la tendance générale des esprits en Belgique, n'a eu, depuis son entrée dans l'administration, qu'une préoccupation, celle de renforcer l'action directe des communes en les soustrayant, dans un grand nombre de cas, à la tutelle de l'Etat.

Laissons donc, messieurs, en dehors de ce débat l'incorporation des faubourgs à la ville de Bruxelles, qui n'est point en cause, ni la liberté communale, qui n'est nullement menacée ; et examinons le projet de loi qui nous est soumis, abstraction faite de ces deux questions.

Il est sage également de ne point donner une importance trop grande à la sollicitude qu'on témoigne pour la situation fâcheuse dans laquelle les nouveaux habitants de Bruxelles seront placés quant aux rapports qu'ils auront forcément avec l'administration communie.

La sollicitude si ardente qu'on leur témoigne semblera au moins intempestive à beaucoup d'entre eux qui aspirent et nous demandent à être placés dans cette situation nouvelle dont ils apprécient les avantages et les inconvénients.

L'exemple de ce qui se passe au Quartier-Léopold est bien fait, du reste, pour les rassurer.

Un commissariat de police installé au sein de la partie incorporée, et la constatation des décès et des naissances à domicile par le médecin inspecteur de l'administration seront des progrès dont ils apprécieront bientôt toute l'importance.

Mais, dit l'honorable M. de Naeyer, cette constatation des décès et des naissances à domicile est illégale : une loi oblige de présenter les nouveau-nés à l'officier de l'état civil ; et voilà le procès fait à une mesure excellente à laquelle nous avons tous applaudi.

Je dis que si cette constatation est illégale, il faut la régulariser, car cette mesure est d'une utilité incontestable ; elle met d'accord les prescriptions de la loi et les prescriptions non moins impérieuses d'humanité et de prévoyante hygiène.

En cherchant, messieurs, à prouver qu'il n'y a aucune analogie entre le projet de loi qui nous est soumis et l'incorporation du Quartier-Léopold, l'honorable M. de Naeyer vous a démontré lui-même cette analogie. Ce qui rendait nécessaire, a dit l'honorable M. de Naeyer, l’incorporation du Quartier-Léopold qui a eu lieu, remarquez le bien, contre l'avis des communes intéressées, ce qui rendait cette incorporation nécessaire, c'était la construction du champ des manœuvres.

N'est-il pas évident que l'avenue et le parc du bois de la Cambre sont des créations plus importantes que le champ des manœuvres et aussi propres à justifier l'incorporation du territoire d'Ixelles sur lequel ces créations s'élèvent ?

Mais, messieurs, ou l'honorable M. de Naeyer triomphe, c'est en (page 328) établissant un parallèle outre la conduite que l'administration communale de Bruxelles a tenue dans les deux circonstances. Lorsqu'il s'est agi du champ des manœuvres, dit l'honorable M. de Naeyer, la ville de Bruxelles s’est bien gardée de mettre la main à l'œuvre avant que l'incorporation fût décrétée ; tandis qu'au contraire elle ne s'est préoccupée en aucune façon de ce soin après le vote de la loi du mois de mai 1861 ; ce qui prouve tout au moins qu'elle se considérait comme ayant reçu un très beau cadeau et qu'elle ne désirait rien de plus.

On dit, messieurs, que l'administration communale a mis la main à l'œuvre aussitôt après le vote du projet de loi, sans avoir aucune garantie.

Pour ma part, au contraire, je trouve que la ville de Bruxelles trouvait une garantie suffisante dans les déclarations de l'honorable rapporteur de la commission et dans celle de M. le ministre des finances, qui, l'un et l'autre, étaient d'accord pour déclarer que la police administrative et judiciaire de l'avenue et de la forêt appartiendrait à la ville de Bruxelles comme si les terrains que ces promenades occupaient faisaient partie du territoire de la capitale. La lettre de M. le ministre de l’intérieur adressée à M. le gouverneur du Brabant, non seulement avant le commencement des travaux, mais avant même que le projet ne fut adopté par le Sénat, devait encore augmenter l'assurance de l'administration communale dans la valeur de ces garanties.

Mais, nous dit l'honorable M. de Naeyer, il n'y a dans tout cela aucun engagement, pas même l'ombre d'un engagement.

M. de Naeyer. - De la part de la législature.

M. Jamar, rapporteur. – Mais la déclaration si formelle de la commission que le silence et le vote de la Chambre consacrent ? Mais la déclaration du ministre des finances, et la lettre du ministre de l'intérieur ! Mais la ville, donnait à ces déclarations une valeur sérieuse, a consacré à ces travaux un million qu'elle n'eût point engagé sans cette garantie. Tout cela ne constitue t-il point l'ombre d'un engagement, comme on le dit ?

Le pensez-vous, messieurs ? Je ne le crois pas. Vous vous direz au contraire qu'il y a des obligations de justice et d'équité qui sont d'autant plus impérieuses qu'on a, non le droit, mais le pouvoir de s'y soustraire. Ne relevant que de votre conscience, c'est elle qui vous dira si vous pouvez dans cette occasion, comme on vous y convie, faire bon marché des droits de Bruxelles, parce que ces droits n'ont d'autre gage que la confiance qu'elle a eue dans la parole du gouvernement et d'une commission qui était votre organe.

L'honorable M. de Naeyer a attaqué mon rapport avec assez de vivacité. Deux considérations surtout sont repoussées par lui comme ne présentant aucun caractère sérieux : ce sont les nécessités de police et la crainte de voir la ville de Bruxelles abandonner les travaux commencés du bois.

Quant aux nécessités de police, l'argument de M. de Naeyer est aussi simple que nouveau.

Moins il y a de police, mieux cela vaut, la plupart du temps.

Nous avons des mœurs simples, des goûts pacifiques ; quand un grand concours de monde se trouve réuni, si l'espace n'est pas resserré, la police est souvent un élément de désordre.

L'argument de M. de Naeyer a eu le succès auquel il visait sans doute, un succès d'hilarité. Mais il n'a convaincu personne. Tenez pour certain surtout que les propriétaires ne se décideront pas à entourer le bois d'une ceinture d'hôtels et de villas s'ils n'ont d'autres garanties de sécurité que les mœurs simples et les goûts pacifiques des vagabonds et des filous.

Messieurs, quant aux nécessités da la police, j'engage l'honorable M. de Naeyer à passer quelques heures un jour de courses au Champ des Manœuvres, je suis sûr qu'il reviendra de son opinion un peu fantaisiste.

Quant à l'hypothèse de l'abandon des travaux par la ville de Bruxelles, l'honorable membre ne voit là qu'une menace dont on ne doit pas tenir compte ; elle lui semble irréalisable.

Une convention de 1859 s'oppose à l'abandon des travaux. La ville a contracté l'obligation de terminer les travaux de l'avenue.

En effet, le lendemain du jour où vous aurez émis un vote, elle mettra la main à l'œuvre. Une convention l'oblige à terminer les travaux en quatorze mois si vous adoptez le projet de loi et en 10 mois si vous le rejetez. Ces deux délais différents s'appliquent à une avenue de 55 mètres si vous adoptez le projet, et de 35 seulement si vous le rejetez.

Voilà, messieurs, quel sera le premier résultat de votre vote.

J'espère que ce vote trompera les espérances de l'honorable M. de Naeyer, qui a vu dans l'accueil fait au projet en sections un présage contraire aux espérances des partisans du projet du loi. Sur 46 membres, 22 membres l'ont approuvé, 11 l'ont repoussé et 13 se sont abstenus. Malgré ce résultat, j'espère, je le répète, que les espérances de l'honorable membre seront trompées.

Les membres qui se sont abstenus, ceux mêmes qui ont rejeté le projet de loi ont été guidés surtout par des considérations d'équité auxquelles les amendements de la section centrale ont donné satisfaction.

L'esprit de justice qui nous anime faisait regretter à plusieurs d'entre nous l'absence d'une compensation plus directe pour Ixelles en échange d'une partie de son territoire annexée à Bruxelles.

Les amendements introduits par la section centrale ont fait droit à une partie de ces aspirations ; non seulement on alloue à Ixelles une indemnité pécuniaire, mais on impose à son profit des obligations fort onéreuses pour la ville de Bruxelles.

Ces amendements ont fait droit à des scrupules d'honorables membres, et ces scrupules honorables sont une preuve pour moi que la ville de Bruxelles peut attendre avec confiance la solution de la question qui vous est soumise.

C'est une question de bonne foi et de justice, comme nous le disait hier M. le ministre de l'intérieur ; c'est de plus une question nationale.

Ce n'est pas, en effet, une question d'intérêt local qu'il s'agit de sauvegarder.

Si tous dans cette enceinte nous portons un si grand intérêt à tout ce qui peut augmenter la prospérité et la grandeur du pays, si nous ne reculons devant aucun sacrifice pour développer par tous les moyens les sources de la fortune publique, l'agriculture, l'industrie et le commerce ; aucun de nous non plus, messieurs, ne saurait rester indifférent à tout ce qui touche au développement de la capitale, qui est le patrimoine du pays tout entier et dont la splendeur doit être le reflet de la grandeur et de la prospérité de la patrie.

(page 335) M. Hymans. - Je ne viens pas faire un discours ; je viens simplement expliquer mon vote, qui sera favorable au projet. Ce vote peut vous surprendre. Mais quand j'aurai fait connaître mes raisons, elles vous paraîtront si naturelles, si simples, si péremptoires, que vous ne comprendrez pas qu'on fasse encore opposition, dans l'intérêt de la commune d'Ixelles, au projet qui vous est soumis.

J'ai fait une étude spéciale de la question au point de vue des intérêts de la commune d'Ixelles que j'habite, où j'ai des intérêts, des affections, des sympathies dont on m'a donné trop de preuves pour que je veuille les trahir en ne servant pas ici, selon ma conscience, les intérêts de mes commettants.

En examinant la question au point de vue des intérêts de la commune d'Ixelles, je suis arrivé à des conclusions diamétralement opposées à celles de M. de Naeyer et de la protestation du conseil communal d'Ixelles.

Avant de développer ma thèse sur ce point, je tiens à dire à la Chambre que j'ai fait tout ce qui était en moi pour faire obtenir à la commune d'Ixelles une compensation en échange de ce qu'on lui enlevait.

M. le ministre de l'intérieur pourra vous dire que j'ai pris, d'accord avec lui, l'initiative d'une négociation qui avait les chances les plus sérieuses de succès lorsque, pour des raisons que j'ignore, j'ai été désavoué au moment où elle allait aboutir.

Mais après m'être acquitté de ce devoir, j'en ai un autre à remplir. Il m'est impossible de me rallier à la protestation qui est apportée contre le projet; je respecte et j'honore les sentiments qui ont fait agir les membres du conseil communal d'Ixelles ; ils veulent faire respecter envers et contre tous le principe de l'intégrité du territoire de leur commune.

Ils croient sincèrement remplir un devoir sacré. Nous devons leur savoir gré de ces sentiments, et je déclare ici que je m'en serais fait l'organe dans cette enceinte s'il m'avait été matériellement possible de le faire sans méconnaître d'autres intérêts éminemment sérieux.

Messieurs, je me demande d'abord et j'ai le droit de me demander si le conseil communal d'Ixelles, dans cette circonstance, est l'organe infaillible de ses administrés. (Interruption.)

Je vais vous prouver par un fait, qu'il est très possible qu'une administration communale se trouve en désaccord sur des questions de ce genre avec la commune qu'elle représente.

Je suppose que demain, en vertu d'une mesure législative qui n'a rien d'impossible, les communes suburbaines de Bruxelles soient placées dans une classe plus élevée pour les contributions qu'elles payent à l'Etat. Qu'arrivera-t-il ?

Tous les habitants protesteront et toutes les administrations communales seront enchantées.

Tous les habitants protestèrent parce que le chiffre de l'impôt sera augmenté et les administrations communales se féliciteront de la mesure qui aura été prise parce qu'elles se trouveront placées dans une classe plus élevée.

Les revenus communaux étant augmentés, les recettes étant plus fortes, il y aura un budget plus considérable à gérer avec plus d'honneur.

Soyez-en persuadés, messieurs, une partie considérable de la commune d'Ixelles comprend parfaitement ses intérêts dans cette circonstance et j'ai la conviction que lorsque j'aurai montré ici publiquement, clairement la portée du rejet de la loi, la grande majorité des habitants d'Ixelles sera de mon avis et me saura gré d'avoir pris, dans cette Chambre, l'attitude que je prends.

M. de Naeyer. - Ajournons pour les consulter.

M. Hymans. - Je ne demande pas mieux que de consulter les électeurs sur la question.

Messieurs, il y a d'abord dans la question qui nous occupe deux choses distinctes : une, très importante, dont on ne s'est pas occupé, et une autre très peu importante, dont on s'est occupé presque exclusivement.

Il y a le bois et il y a l'avenue.

Le bois n'est absolument pour rien dans la question. Le bois a été donné par l'Etat à la ville de Bruxelles ; et dans aucun cas il ne rapportera jamais un centime à la commune d'Ixelles. Par conséquent, il importe très peu à la commune qu'il appartienne à la ville de Bruxelles ou qu'il lui appartienne à elle-même.

Ce qu'il faut considérer, ce n'est pas le bois, c'est l'avenue.

L'avenue a été construite aux frais de la ville de Bruxelles sur le territoire de la commune d'Ixelles.

Eh bien, je suppose que le projet de loi soit rejeté.

On nous dit : La ville de Bruxelles sera obligée - car elle y a été condamnée par les tribunaux - à achever l'avenue quand même.

C'est très vrai; et l'on se déclare très satisfait de cette perspective.

Mais comment la ville de Bruxelles achèvera-t-elle l'avenue? A 33 mètres de largeur au lieu de 55. Elle n'est tenue de l'empierrer que sur une largeur de 14 mètres.

Pour que la promenade soit digne de sa destination, qui est de conduire à un parc aussi beau que le bois de Boulogne, elle ne peut évidemment se contenter d'un misérable pavé. Elle doit établir un macadam qui, au plus bas mot, coûtera 150,000 fr.

M. Orts. - On a porté au budget 170,000 fr.

M. Hymans. - Je cite mon chiffre comme un minimum. Je ne vous en demande pas davantage. Il faut border ce macadam.

D'après des renseignements fournis par un homme très-compétent, ces bords coûteront 40,000 fr.

Il faudra établir des candélabres pour éclairer la voie, 20,000 fr.

Il faudra des conduites pour les eaux, 20,000 fr.

Ce qui fait en tout une dépense de premier établissement de 230,000 fr.

Mais, dira-t-on, Bruxelles doit faire cette dépense, et s'il ne la fait pas, Ixelles n'en supporte pas pour cela l'obligation. Soit. Mais si l’on ne donne pas à l'avenue le caractère monumental qu'elle doit avoir, que deviendront ses abords ? Verra-t-on s'y élever ces constructions luxueuses et splendides desquelles seules on peut espérer un revenu ? Evidemment non.

En cas de rejet de la loi, il ne peut donc se présenter que trois hypothèses. La première, c'est que Bruxelles paye ; il ne le fera pas. La seconde, que soit Ixelles ; elle ne le peut pas. La troisième, c'est que l'Etat supporte la dépense.

Or, je ne suppose pas que les Chambres soient disposées à voter des subsides considérables pour l'établissement d'une promenade communale.

Voilà les trois éventualités possibles.

Je suppose, par impossible, que Bruxelles paye les 230,000 fr. de frais de premier établissement de cette promenade de luxe. Il faudra cependant bien que quelqu'un en paye l'entretien. Ce quelqu'un sera bien, je pense, la commune sur le territoire de laquelle la promenade sera établie.

M. de Naeyer. - Aux termes de la convention, c'est Bruxelles.

M. Orts. - Du tout.

M. Hymans. - L'avenue a été déclarée de grande voirie dans un sens restreint, dans ce sens que les expropriations se faisaient au nom de l'Etat et que la ville ne payerait pas les frais d'enregistrement pour la vente, mais c'est évidemment à la commune sur le territoire de laquelle se trouve la promenade qu'incombent les frais d'entretien, d'arrosage, d'éclairage et tous les autres frais qui s'ensuivent. Cela n'est pas contestable et je crois que cela n'est pas contesté.

Eh bien, l'entretien de ce macadam coûtera 30,000 fr., l'éclairage 10,000 fr., la police, d'après l'évaluation de la commune elle-même, 12,500 fr., l'arrosage et l'entretien des égouts 10,000 fr. Cela fait une dépense d'entretien annuelle de 62,500 fr..

Je me demande avec quoi la commune d'Ixelles va payer cette somme.

Moi, contribuable ixellois, je me demande comment le budget de la commune d'Ixelles va suffire à une pareille dépense.

J'ai ici entre les mains le budget de cette commune, que par parenthèse, je n'ai pas voté, alors que j'avais l'honneur de faire partie du conseil communal. Je trouve dans ce budget que les centimes additionnels sur la contribution personnelle et foncière pour toute la commune d'Ixelles rapportent 40,000 fr.

L'entretien de l'avenue seule coûterait 62,500 fr. C'est-à-dire que si l'avenue rapportait en centimes additionnels autant que tout le reste de la commune et que si elle le rapportait immédiatement tandis qu'elle ne le rapportera évidemment que dans un avenir assez éloigné, il y aurait encore 22,500 fr. de déficit.

On ne peut faire à ce que j'avance ici qu'une seule objection.

On récupérera cet argent, me dit-on, sur la part de la commune dans le fonds communal qui s'accroîtra tous les ans, et l 'honorable M.de Naeyer, si j'ai bien entendu ,a dit que la part d'Ixelles dans le fonds communal augmentait de 16,000 fr. par an en moyenne.

M. de Naeyer. - C'est dans le rapport.

M. Hymans. - Eh bien, je vais vous montrer un autre rapport que vous n'avez probablement pas lu.

Le fonds communal est tout d'abord un revenu extrêmement aléatoire.

(page 336) Je crois qu'il ne faut pas que les communes se fassent des illusions sur ce point,

Le fonds communal augmente d’abord en vertu des bases sur lesquelles il s'appuie, et en second lieu proportionnellement aux recettes que le trésor lui abandonne. Mais ces recettes ne sont pas d'une élasticité telle, que l'on doive s'attendre à une augmentation constante, à une augmentation progressive, comme on semble le croire.

Nous avons traversé une période de prospérité peut-être exceptionnelle. Je ne sais pas si cette prospérité se soutiendra, et je vais vous prouver de quelle façon les communes peuvent faire leurs évaluations et ce que raisonnablement elles pourraient inscrire à leur budget.

Le fonds communal, d'après le rapport de la commission centrale, a rapporté à la commune d'Ixelles 105,000 fr. en 1863. Au budget de la commune que j'ai sous les yeux, les prévisions pour l'exercice 1864 sont portées à 112,000 fr.

M. de Naeyer. - C'est modéré.

M. Hymans. - Vous trouvez que ce n'est pas assez ?

M. de Naeyer. - Je trouve que c'est modéré.

M. Hymans. - Eh bien, veuillez avoir l'obligeance de consulter un document qui a été distribué à tous les membres de la Chambre, sur lequel vous avez voté et qui s'appelle budget des recettes et des dépenses pour ordre pour l'exercice 1864.

Ce n'est pas là une pièce secrète, ni confidentielle : c'est un document qui se trouve imprimé dans les Annales parlementaires et a été distribué à tous les membres de la Chambre et du Sénat. Vous y verrez que, d'après les calculs de M. le ministre des finances, il serait imprudent de compter pour les communes rurales sur une augmentation du fonds communal comparable à celle qu'on a constatée pendant les dernières années, et comme conclusion qu'après déduction faite des 350,000 fr. versés à la réserve du fonds communal, la part des communes sans octrois dans le fonds communal, en 1864, excédera de 8 p. c. la part qu'elles ont reçue en 1861.

Cela se trouve imprimé à la page 4 de la note préliminaire du budget des recettes et dépenses pour ordre de l'exercice actuel. Or, la commune d'Ixelles, d'après le rapport de la section centrale, a touché en 1861, 76,000 fr. environ. Augmentez de 8 p. c. et vous arriverez en forçant les chiffres au lieu de 112,000 francs, à une recette de 80,000 francs environ,.

Voilà donc sur le budget même de la commune d'Ixelles un déficit de 32,000 fr. pour l'exercice courant. Ajoutez-y les 62,000 fr. que va lui coûter l'entretien de l'avenue, en supposant qu'elle soit construite et macadamisée tout entière aux frais de la ville de Bruxelles, vous arrivez à un déficit de 93,000 fr. à infliger aux contribuables dans l'intérêt d'un principe, fort respectable, mais aussi fort ruineux.

Comme il faut pousser cet examen jusqu'au bout et je crois que les chiffres que je viens de citer sont indiscutables, je demande comment on parviendra à couvrir ces dépenses. Il n'y a évidemment que deux moyens : l'emprunt ou de nouveaux impôts.

L'emprunt est d'ailleurs un impôt. Il faut en payer les intérêt et l'amortissement. En outre, on engage l'avenir et ce n'est pas pour des dépenses de ce genre qu'on peut engager l'avenir. Ensuite pour couvrir des dépenses ordinaires et permanentes il faut créer des recettes ordinaires et permanentes, et non les recettes extraordinaires qui résultent de la conclusion d'un emprunt.

La commune d'Ixelles a fait, il y a trois ans, un emprunt de 800,000 fr. engagé aujourd'hui dans la construction de travaux, dans le percement de plusieurs rues. Ya-t-elle contracter un emprunt de deux millions pour entretenir l'avenue du bois de la Cambre ? Cela ne ferait pas l'affaire des contribuables.

Il n'y a donc qu'une seule ressource, c'est de créer de nouveaux impôts. Eh bien, sur ce point, je désire faire un rapprochement, et rappeler à la Chambre un fait qui doit évidemment faire une certaine impression sur vos esprits. Il s'agit de créer pour 93,000 francs de nouveaux impôts, afin de suffire à l'entretien d'une promenade, et il y a trois ou quatre ans, aux élections de 1860, l'on a fait une véritable révolution dans la commune pour obtenir l'abolition de la capitation qui avait rapporté au maximum 59,000 francs.

On a donc fait une révolution pour supprimer 59,000 francs de contributions et il faudrait, aujourd'hui pour une dépense de luxe, établir 93,000 francs de taxes ordinaires. Comme contribuable, je m'insurgerais contre une pareille prétention. Comment, 93,000 francs de nouveaux impôts pour la jouissance d'une promenade que nous pouvons avoir gratuitement ! 93,000 francs pour une dépense de luxe ; 93,000 francs, et j'appelle sur ce point l'attention sérieuse de la Chambre et des habitants d'Ixelles, 93,000 francs pour une dépense de luxe, alors que tout le budget de l'instruction publique dans la commune d'Ixelles ne s'élève qu'à 23,000 francs! Mais cela est monstrueux et ne peut être admis par aucun esprit raisonnable.

Je crois bien agir en faisant connaître à la Chambre le véritable état de la question. Je crois bien agir en montrant aux habitants d'Ixelles où est leur véritable intérêt, et j'ai la conviction que quand ils auront examiné les chiffres que je viens de placer sous vos yeux, ils comprendront que j'agis dans leurs intérêts et je suis persuadé qu'ils me sauront gré de l'attitude que j'ai prise en cette circonstance.

Un mot pour finir. Je ne veux pas rentrer dans la discussion générale ; l'honorable M. Jamar et l'honorable ministre de l'intérieur ont traité à fond la question et vous entendrez aussi l’honorable M. Orts.

L'honorable M Le Hardy de Beaulieu a combattu le projet de Bruxelles, quoique conseiller provincial de Bruxelles, comme moi, Ixellois, je soutiens le projet que lui prétend être uniquement dans l'intérêt de la ville de Bruxelles. Je dirai à l'honorable membre qu'au conseil provincial j'aurais voté avec lui contre le projet de loi présenté. C'était tout autre chose, que celui qui nous est soumis; et cela ne veut pas dire qu'il faille renvoyer celui-ci au conseil provincial.

Le conseil provincial a trouvé le projet trop vaste et moi je n'ai besoin, pour justifier mon vole, que de vous lire dix lignes d'un discours prononcé par un des membres les plus intelligents et les plus distingués du conseil provincial qui a voté contre le projet de loi qui lui était soumis et qui a indiqué comme conclusion à adopter, le projet que nous discutons aujourd'hui. Ce membre est l'honorable M. de Gronckel.

Voici ce que disait cet honorable membre :

« Bruxelles demande trop, Bruxelles n'obtiendra rien. Ce que nous avons de mieux à faire, c'est de nous borner au strict nécessaire. Quand il s'est agi de l'annexion du champ des manœuvres, le conseil à pensé que la justice et l'équité commandaient que la ville qui avait de grands frais à supporter pour la construction du champ des manœuvres en eût la propriété, en vertu de ce principe de droit : qui habet incommodum, debet et commodum habere. On a dit à Bruxelles : Prenez dans votre territoire le champ des manœuvres que vous avez construit et la route qui est votre propriété. »

Et cet honorable orateur concluait en disant : « Il faut se contenter d'annexer à la ville l'avenue et le bois avec des abords restreints autant que possible. » C'est-à-dire que le gouvernement présente aujourd'hui exactement ce que l'honorable M. de Gronckel, adversaire du projet soumis au conseil provincial, demandait qu'on proposât et trouvait parfaitement raisonnable.

C'est ce qui fait, messieurs, que je voterai le projet qui nous est soumis et, je le répète, en le votant je crois ne porter aucune atteinte au principe de l'intégrité communale, je crois rendre service à la commune d'Ixelles dont j'apprécie autrement que vous les intérêts et je crois terminer ainsi utilement une question qui dégénérerait, si elle reste longtemps indécise, en une question politique excessivement grave pour la capitale.

(page 328) M. B. Dumortier. - Messieurs, lorsque le gouvernement a présenté le projet de loi qui accordait à des conditions excessivement favorables le bois de la Cambre à la ville de Bruxelles, si l'on était venu vous demander en même temps d'incorporer le bois et l'avenue au territoire de la capitale, je crois que cette proposition aurait été extrêmement mal accueillie par la Chambre. Eh bien, messieurs, il me semble que pour arriver au résultat que l'on avait en vue, on a commencé par proposer la donation du bois de la Cambre à la ville de Bruxelles, et que maintenant on vient présenter la deuxième partie du projet. Quant à moi, messieurs, qui ai toujours été opposé à la réunion des faubourgs à la capitale, il m'est absolument impossible de voter en détail ce que je ne veux pas voter en gros. On a beau dire, on a beau nier, c'est un premier pas vers l'annexion des faubourgs à la capitale.

M. de Naeyer. - Un deuxième pas.

M. B. Dumortier. - En effet, c'est un deuxième pas vers l'annexion. Eh bien, messieurs, cette annexion je n'en veux pas. Non pas parce que j'éprouve aucun mauvais sentiment pour la capitale ; au contraire, je désire vivement sa splendeur, je désirerais que le gouvernement fût plus large envers la capitale, au point de vue des monuments ; mais ce que je ne veux pas, c'est que l'on constitue, dans un petit pays comme le nôtre, une capitale qui puisse venir peser sur le pays.

- Plusieurs membres. - Personne ne veut cela.

M. B. Dumortier. - Tous les arguments que l'on donne pour la réunion à la capitale du bois de la Cambre et surtout de l'avenue, tous ces arguments seront les mêmes quand on voudra demander la réunion des faubourgs.

- Plusieurs membres. - Non ! non !

M. B. Dumortier. - Quel est le grand argument ? C'est la police. Eh bien, si cet argument est vrai, ce n'est pas le bois de la Cambre, ce n'est pas l'avenue, ce sont les faubourgs qu'il faut réunir à la capitale.

Que s'est-il passé pendant longtemps ? L'action de la police s'arrêtant aux limites de la ville, il y avait souvent les plus grandes difficultés à arrêter un malfaiteur ; c'était là surtout qu'il y avait lieu d'intervenir. Je le répète donc, le seul argument que l'on mette en avant, l'argument relatif à la police est un argument dont la portée incontestable est d'amener la réunion des faubourgs à la capitale.

Or, comme l'a dit avec beaucoup de raison l'honorable ministre de l'intérieur dans la séance d'hier, le jour où vous réunirez les faubourgs à la ville, l'institution communale de la ville de Bruxelles ne pourrait plus exister.

Eh bien, messieurs, sous ce rapport je partage entièrement l'opinion de M. le ministre de l'intérieur et j'aime trop la liberté communale pour soustraire la capitale au régime de liberté dont elle jouit.

(page 329) Ainsi, messieurs, je suis contraire au projet, précisément parce que j'y vois un deuxième pas vers la réunion des faubourgs à la capitale. Je ne veux pas opérer en détail ce que je ne veux pas faire en gros. Je suis surtout opposé au projet, parce que le seul argument que l'on mette en avant est précisément celui que l'on peut invoquer avec le plus de fruit pour demander la réunion de tous les faubourgs à la capitale.

Mais, messieurs, je dis que même au point de vue de la police, l'incorporation n'est pas nécessaire. Ainsi à Londres il y a un traité de police entre toutes les communes. (Interruption.) Il y a un traité de police avec le gouvernement.

MfFOµ. - Il y a une loi.

M. B. Dumortier. - Cette loi est venue sanctionner un traité préexistant.

Eh bien, agissez de même ; faites un traité de police entre la ville de Bruxelles et la commune d'Ixelles, et s'il faut une loi pour sanctionner ce traité nous voterons la loi, mais nous aurons conservé la liberté communale dans son intégrité.

Si le projet de loi ne s'appliquait qu'au bois de la Cambre concédé à la ville de Bruxelles, j'aurais beaucoup de peine à l'admettre, mais je le concevrai à un certain point de vue, car, en définitive, le bois de la Cambre va être un parc, ce sera, en quelque sorte, une propriété privée et, à ce titre, je concevrais qu'il fût administré par le propriétaire ; mais ce que je ne conçois en aucune maniére, c'est la réunion à la ville de l'avenue de la Cambre.

Comment ! la ville de Bruxelles fait son avenue, c'est-à-dire une route, et pour ce motif vous voulez annexer la route au territoire de la capitale ! Mais quand la ville de Bruxelles a fait l'avenue de l'Allée verte, est-ce que par hasard on a songé à réunir le territoire de l'Allée verte au territoire de la ville ? El quand Bruxelles a fait un canal qui va jusqu'au Rupel, est-ce qu'on a réuni le canal à la ville de Bruxelles ? Quand la ville de Bruxelles a établi le service des eaux jusqu'à Braine-l'Alleud, quand elle a dépensé sept millions pour cette entreprise, est-ce qu'on s'est imaginé d'étendre le territoire de Bruxelles jusqu'à Braine-l'Alleud ? Cela me paraît monstrueux.

Les villes peuvent, comme autrefois, obtenir la concession d'une route et la plupart des routes que nous avions sous l'ancien régime avaient été construites par les communes ; est-ce qu'on réunissait ces routes à leur territoire ? (Interruption.)

Je dirai à M. le ministre de l'intérieur qui m'interrompt, d'aller compulser les archives de la ville d'Ypres, et il verra que la ville d'Ypres faisait faire des pavés et traçait des routes qui traversaient le territoire de communes voisines ; la ville d'Ypres a-t-elle jamais demandé, par hasard, que le territoire de ces communes fût réuni au sien ? Elle ne l'a pas plus demandé que la ville de Bruxelles ne l'a demandé pour les communes par lesquelles passe son canal ; elle ne l'a pas plus demandé que les villes de Malines et de Louvain ne l'ont demandé pour les communes traversées par le canal qui joint ces deux villes.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Il ne s'agit pas des temps d'autrefois, il s'agit des temps d'aujourd'hui.

M. B. Dumortier. - Une commune pourrait obtenir des concessions de routes, comme un particulier ; cela est incontestable. Je ne dis pas qu'elle le fera ; mais enfin si cette éventualité se réalisait, serait-ce une raison pour réunir la route et le pavé à la commune ? J'avoue que cela me semble monstrueux.

Je comprends, je le répète, que, dans certaines limites et à certaines conditions on réunisse le bois de la Cambre comme enclave à la ville de Bruxelles. C'est une propriété privée qui doit être fermée, c'est un parc qui sera entourée de haies ; mais de quel droit voulez-vous réunir la route qui y conduit au territoire de la ville de Bruxelles ? J'avoue que je ne comprends pas cela, que cela ne peut pas m'entrer dans la tête.

« Mais, dit l'honorable M. Hymans, l'entretien de la route coûtera 62,000 francs, et c'est la commune d'Ixelles qui devra se charger de cette dépense, et au nom des habitants de la commune d'Ixelles, je ne veux pas d'un pareil cadeau. »

Messieurs, je voudrais bien savoir où l'honorable membre a trouvé que quand quelqu'un fait une route sur le territoire d'une commune, c'est cette commune qui doit payer les frais d'entretien ; où l'honorable membre a-t-il trouvé la prémisse de son argument ? Son argument n'a pas de prémisse, ou plutôt sa prémisse est fausse.

Comment ! parce que la ville de Bruxelles fait une avenue à travers le territoire de la commune d'Ixelles, c'est la commune d'Ixelles qui payera l'entretien. En définitive l'argument ne repose exactement sur rien ; c'est un argument qu'on met en avant pour jeter de la poudre aux yeux et qui n'a aucune espèce de valeur. La commune qui fait la route, en paye l'entretien, comme le particulier paye les frais d'entretien de la route dont il est le concessionnaire.

Donc la commune d'Ixelles n'aura rien à payer du chef de l'avenue qu'a voulu avoir la ville de Bruxelles. Ainsi, cet argument ne signifie rien.

Messieurs, il est une chose qui me frappe dans tout ceci ; la question a été posée au conseil provincial du Brabant ; elle a été résolue négativement, comme l'a dit l'un de mes honorables amis, par trente-trois voix contre seize.

Or, si je ne me trompe, la ville de Bruxelles envoie 11 députés au conseil provincial ; et si je suis bien renseigna, il y a 10 de ces 14 députés qui ont pris part au vote, ces membres naturellement ont résolu affirmativement la question ; duputés de Bruxelles, ils avaient intérêt à prendre le bien du voisin ; mais en dehors des députés de Bruxelles, le conseil provincial du Brabant n'a compté que 6 membres qui ont voté l'annexion.

Et c'est lorsque vous n'avez, dans tout un conseil provincial, qu'une faible minorité de six voix qui vote cette annexion, qui vote cette condition incroyable de couper en deux la commune d'Ixelles pour donner à la ville la propriété d'une route qu'elle construit, c'est vrai, mais sur laquelle elle n'a aucune espèce de droit, que la Chambre des représentants irait donner les mains à une pareille mesure ! Je n'y comprendrais rien.

Quant à moi, comme mon honorable ami, je crois qu'il y a ici une question bien supérieure à celle de la création de l'avenue du bois de la Cambre : c'est la question de la loi communale, de l'intégrité communale. Je regarde comme un malheur et comme une atteinte portée à l'autorité communale et au principe de la loi communale de prendre une partie d'une commune pour l'annexer à une autre, malgré la volonté de cette commune, lorsque cette volonté est clairement exprimée. Je regarde comme un malheur, alors surtout que le tuteur légal des communes, l'autorité provinciale, à l'unanimité moins six voix, car je décompte les députés de Bruxelles, vient déclarer que la mesure est mauvaise.

Et nous-mêmes, qui avons aussi presque à l'unanimité repoussé le principe de l'annexion des faubourgs à la ville de Bruxelles, nous ne pouvons voter en détail ce que nous avons rejeté d'une manière générale.

Je le répète donc, s'il était purement et simplement question de réunir comme annexe le bois de la Cambre, qui sera une propriété privée, à la ville de Bruxelles, je ne voterais pas cette réunion de bon cœur, mais peut-être encore la voterais-je, parce que le bois est une propriété particulière et privée.

Mais quant à ce qui est de l'avenue de la Cambre, je dis qu'il n'y a aucune espèce de raison de la donner à la ville de Bruxelles parce que la ville l'a construite. Je dis que jamais, à aucune époque de notre histoire, lorsque des villes ont fait des avenues, des roules, des pavés, des canaux, on ne leur a donné le territoire sur lequel se faisaient ces constructions et que nous devons rester dans les anciens errements de nos libertés communales, qui valaient beaucoup mieux que les errements modernes au moyen desquels on les détruit.

M. Orts. - Messieurs, je n'abuserai pas longtemps de l'attention de la Chambre. Je tiens à à l'assemblée quelles sont les conséquences morales et les conséquences pécuniaires du vote qu'elle va émettre. La Chambre pèsera ces conséquences dans son équité, et je suis convaincu qu'en présence de ces considérations et en l'absence de toute préoccupation étrangère au projet qui se discute, votre vote sera approbatif du projet.

En effet, messieurs, on ne saurait trop le redire, mon honorable ami M. Jamar a débuté par là, je dois revenir à la même pensée, il y a des préoccupations sous l'empire desquelles se placent les adversaires du projet de loi, préoccupations qui lui nuisent extrêmement dans l'opinion de certaines personnes. Je veux parler de cette idée reproduite encore par l'honorable M. Dumortier, que la demande actuelle de la ville de Bruxelles serait un premier pas vers la reproduction d'un projet que la Chambre a condamné il y a quelques années.

Je le déclare et je suis, je pense, en position de pouvoir parler comme je le fais, j'ai l'honneur d'être conseiller communal à Bruxelles depuis 1856, eh bien, je le déclare, c'est du sein du conseil communal de Bruxelles qu'est partie la première protestation contre cette idée que le projet actuel serait un premier pas fait dans la voie d'une annexion de tous les faubourgs à la capitale.

Le jour où, après le vote du projet de loi qui concédait le bois de la Cambre à la ville de Bruxelles à titre de promenade, le gouvernement a consulté le conseil communal sur les moyens de lui donner l'action (page 330) indispensable comme autorité de police sur le bols et sur l'avenue, un membre du conseil a dit :

« Je vote la proposition du collège de demander l'adjonction du territoire du bois et de l'avenue qui y conduit, parce que, dans ma pensée, c'est un acheminement vers la réunion des faubourgs. »

Eh bien, immédiatement le chef de l'administration, M. Anspach, aujourd'hui bourgmestre, qui alors en remplissait provisoirement les fonctions, s'est élevé contre cette idée, et a dit que lui, chef de l'administration communale de Bruxelles, n'était pas du tout convaincu qu'à l'époque actuelle l'annexion des faubourgs à la ville, si elle était possible, si elle était dans les vœux de la législature et du pays, devrait être acceptée comme une mesure utile à la ville de Bruxelles.

Je me suis joint à cette protestation et j'ai ajouté que si j'avais jadis défendu, dans cette Chambre, le principe de l'incorporation des faubourgs à la ville, je le combattrais aujourd'hui avec autant d'énergie que j'en ai mis autrefois à le défendre. Et voici pourquoi.

A l'époque où j'ai soutenu le principe de l'incorporation, l'octroi existait ; par conséquent, le doublement de la population bruxelloise, par l'annexion des faubourgs, aurait fourni à la ville un accroissement proportionnel de ressources qui lui eût permis de subvenir largement à l'augmentation de dépenses qu'elle aurait eu à supporter, du chef de la police, de l'éclairage, de l'instruction publique et des autres services publics. Aujourd'hui, l'octroi est supprimé ; je ne songe certes pas à m'en plaindre ; mais je dis que la suppression des octrois a élevé entre Bruxelles et les communes suburbaines, au point de vue de l'annexion, une muraille plus solide que celle qui les séparait autrefois.

Aussi, je n'hésite pas à déclarer de nouveau, pour ma part, que je ne voudrais plus aujourd'hui de l'annexion si elle était proposée et qu'un projet dans ce sens rencontrerait en moi un adversaire convaincu et décidé.

Je ne pense pas que jamais, pratiquement, cette pensée puisse désormais se produire en Belgique. Je laisse de côté les inconvénients politiques et administratifs dont on a parlé tout à l'heure ; ils ne me préoccuperaient que si j'avais à examiner la question à un autre point de vue que l'intérêt bruxellois.

Pour le moment je ne m'occupe que de cet intérêt ; si je m'occupais d'un autre intérêt, on ne me croirait pas.

L'honorable M. Dumortier a dit encore : La présentation du projet de loi actuel, sur la demande de la ville de Bruxelles, est une manœuvre habile pour obtenir en deux fois ce qui aurait été rejeté si on l'avait demandé d'un coup. Si Bruxelles, dit-il, avait demandé, lorsqu'on lui a accordé la propriété du bois de la Cambre, l'annexion qu'il demande aujourd’hui, Bruxelles ne l’aurait point obtenue. Bruxelles n'a pas insisté alors, se réservant bien de revenir à la charge plus tard. Prenons d'abord, s'est-elle dit, la première partie du cadeau ; la seconde suivra.

L'honorable M. Dumortier se trompe et il se trompe à un double point de vue. J'avais l'honneur, moi conseiller communal de Bruxelles, d'être rapporteur à la Chambre de la commission chargée d'examiner le projet ayant pour objet d'attribuer à la ville de Bruxelles la propriété du bois de la Cambre.

J'ai donc été naturellement amené à examiner les divers intérêts en cause, et ma première impression, partagée par mes collègues de la commission, a été qu'il était impossible à Bruxelles d'accepter ce qu'on lui offrait, avec la charge de l'entretien du bois, sans lui donner en même temps les moyens de protéger cette propriété, dont la conservation devient maintenant, pour elle, une lourde charge pécuniaire, contre les dévastations inséparables du mode de jouissance auquel elle est destinée en venu des prescriptions formelles de la loi.

Et je dis à l'honorable M. Dumortier que si à cette époque Bruxelles n'avait pas compté que, par un procédé ou l'autre, il obtiendrait la police, la surveillance et la garde du bois, il se fût empressé de remercier l'Etat du cadeau qu'on voulait lui faire. Ce cadeau eût été pour lui une véritable ruine au lieu d'un embellissement mis à sa disposition.

Aussi qu'est venue faire la commission ? Elle est venue nous demander, dans la forme qui devait être le moins suspecte aux adversaires de tout projet d'annexion qu'on suppose à Bruxelles, elle est venue demander la police et la surveillance du bois et de l'avenue restant territoire étranger. Des scrupules constitutionnels ont alors arrêté la Chambre et le gouvernement ; et qu'a-t-on dit ? On a dit que Bruxelles et la commission, qui parlait au nom de l'intérêt bruxellois dans cette circonstance : Ce que vous demandez est indispensable ; Bruxelles doit avoir la police et la surveillance, et pour que cette police et cette surveillance s'exercent efficacement sur le bois, il faut que l'avenue qui y conduit suive le sort du bois.

Seulement ou a ajouté : Le moyen que vous employez est inconstitutionnel, une commune ne peut faire acte d'autorité chez une autre commune ; une adjonction de territoire vous donnera plus tard constitutionnellement ce que vous considérez comme la condition de l'acceptation par la ville de Bruxelles du don qu'on lui offre. Voilà, messieurs, dans quelles conditions Bruxelles est devenu propriétaire du bois de la Cambre.

Maintenant confiant dans ce qui s'était passé au sein de la législature, qu'a fait Bruxelles ? non seulement, il a accepté les engagements formels écrits dans la loi et dans l'arrêté qui a décrété la construction de l'avenue ; mais ce qu'elle pouvait se borner à faire dans une mesure étroite, mesquine, conforme â la stricte rigueur de ses engagements, elle l'a immédiatement fait pour l'embellissement du parc et de la forêt dans des proportions considérables, généreuses, monumentales.

Les plans d'aménagement du bois ont été acceptés, votés et un large commencement d'exécution y a été donné avec une ampleur que personne n'avait jamais soupçonnée. Bruxelles, sous ce rapport, a dépassé du triple les obligations qu'on pouvait rigoureusement exiger de lui.

M. de Naeyer. - C'était son intérêt.

M. Orts. - Bruxelles a fait cela sans intérêt d'argent aucun, parce qu'il a cru que le but de la législature et le vœu du pays était que ce don fût utilisé de manière à augmenter la splendeur de la capitale, qui, en définitive, n'est pas quelque chose de si indifférent qu'on veut bien le dire quelquefois au pays tout entier. Bruxelles à l'heure où je parle, a dépensé au-delà de 1,300,000 francs à ce travail.

Restant dans les appréciations des devis sur lesquels le conseil communal a eu à se prononcer pour arriver à un complet achèvement de ce qui est en cours d'exécution, il faut atteindre un chiffre minimum de trois millions de francs. Et l'on sait si les devis sont quelquefois menteurs. Voilà le passé ; voilà l'avenir.

La ville de Bruxelles, confiante dans ce qui s'était dit au sein de la législature sans protestation aucune, aurait donc jeté dans les travaux de cette avenue des millions qui seraient perdus, gaspillés, si vous rejetez le projet ! Elle a été au-delà de ses obligations ; elle a dit : Je veux faire mieux et plus grandement que ce que le pays m'a imposé.

Obligée de faire une place à l’entrée du bois, dans des dimensions exiguës, modestes par la concession, elle a spontanément proposé une place plus considérable. Pour atteindre ce but elle a acheté les terrains nécessaires qu'elle a payés ; dépense à laquelle elle n'était nullement tenue Bruxelles devait une place restreinte, exiguë, elle en crée une capable de donner à l'œuvre un aspect grandiose.

Dans l'avenue, la ville devait exécuter une voie de 35 mètres de large ; pour maintenir le caractère monumental du projet, ce qu'elle n'était pas tenue de faire, elle a proposé de porter la voie de 35 à 55 mètres.

Savez-vous ce que représentent ces vingt mètres de largeur en plus donnés à l'avenue ? 500 mille francs, un demi-million ! au delà de ce que nous avions dépensé.

Nous avons encore fait plus, et toujours par des votes postérieurs aux engagements pris vis-à-vis de l'Etat. La propriété cédée à la ville comme promenade était défigurée par des enclaves nombreuses appartenant à des particuliers ; il avait fallu, pour donner à la promenade l'aspect qui lui convient, passer sur des terrains de propriété privée ; il fallait, dans un intérêt purement artistique, faire disparaître cet inconvénient et régulariser la promenade. Qu'a fait la ville ? Elle a décidé et voté l'achat dans le bois de 14 hectares de terrains enclavés, propriété qui sera entièrement improductive. Et que lui en a-t-il coûté ?

Vous savez combien le prix des terrains a augmenté depuis qu'on exécute les travaux de l'avenue. Les terrains qui, lors de l'expropriation, ont été payés 12 mille francs l'hectare, ont été depuis achetés de la main à la main 50 mille francs l'hectare à l'entrée du bois. Le fait est à ma connaissance personnelle, on ne le contestera pas, on ne pourrait le contester.

Autre chose encore ! Pour maintenir à la promenade un aspect monumental, la ville a déplacé ses aubettes, en dépensant encore une fois 36,000 francs.

M. Dolezµ. - C'est une chose regrettable.

M. Orts. - C'est possible, mais c'est fait et cela a coûté gros.

La ville de Bruxelles, sur la foi d'engagements pris, non seulement a jeté dans le bois l'argent qu'elle devait y mettre, mais elle a dépassé la somme de plus de 800,000 fr. L'équité, la loyauté, permettent-elles de rendre inutiles ces dépenses faites sur la foi d'engagements que personne n'a contestés dans cette Chambre quand ils ont été pris ? (Interruption.)

M. Dumortier. - Jamais ! Pour moi, je n'aurais jamais pris d'engagement semblable.

M. Orts. - Pour éviter la discussion de l'amendement qui donnait à la ville l'autorité, la police sur ce territoire, le gouvernement a dit (page 331) qu'on ajouterait un territoire à la ville, le gouvernement a écrit au conseil communal dès le 7 juin pour savoir de quelle adjonction il avait besoin et l'a mis en demeure de requérir cette annexion.

M. B. Dumortier. - Cela ne nous lie pas !

M. Orts. - Ce que vous dites là, M. Dumortier, ne m'inquiète guère ; vous avez, en matière d'engagements de l'Etat, des théories toutes spéciales. Vous ne croyez pas même que le gouvernement soit tenu de payer ses créanciers quand les tribunaux l'ont condamné !

La ville, je le répète, devait croire que le gouvernement était autorisé quand il prenait un engagement et qu'il demandait à la ville quelle adjonction lui serait nécessaire pour atteindre le but qu'elle se proposait. Cet état de choses a été connu de tous ; les délibérations du conseil communal sont publiques ; personne n'a élevé la voix ni ici ni ailleurs.

La ville a donc eu raison de croire qu'elle obtiendrait ce qu'elle demande aujourd'hui ; qu'on ne mette pas entre les mains d'une commune qui ne paye pas la surveillance de propriétés où les dégradations peuvent s'élever rapidement à des sommes considérables.

La ville de Bruxelles a dépensé 1,300,000 francs, devra-t-elle les perdre pour avoir eu confiance dans la législature, dans les engagements de ceux qui ont pris la parole sans être contredits ?

M. de Naeyer. - Ils ne seront pas perdus.

M. Orts. - Non, mais d'autres en jouiront à nos frais, ce qui revient au même. Je redis que la ville perdra 1,300,000 francs sur la foi de promesses faites au nom du gouvernement que personne n'a contredites.

La ville reconnaîtra la valeur du procédé. Voilà pour le passé ; mais, pour l'avenir, permettez-moi de vous montrer les conséquences de votre rejet, au point de vue que la législature s'est proposé.

Elle a voulu donner à la capitale une propriété de luxe d'un entretien coûteux dont l'honneur retombe sur le pays entier. Sur la foi de promesses, par simples paroles soit, mais les paroles engagent entre honnêtes gens, la ville a promis plus qu'elle ne devait ; elle payera sans doute et quoi qu'il avienne ce qu'elle s'est obligée à payer par contrat, mais elle n'ira certes pas au-delà de ce qu'elle doit.

Ainsi, par exemple, ne croyez pas que la ville de Bruxelles fera cadeau de ces 14 hectares d'entraves qu'elle a jetés dans le bois de la Cambre pour régulariser sa promenade, si la commune d'Ixelles est chargée de les surveiller. Elle ne sera point si naïve que de jeter une propriété valant plusieurs centaines de mille francs dans un gouffre d'où elle n'aurait pas même le pouvoir de les retirer si cette valeur périclitait.

La ville de Bruxelles consacre éventuellement 500,000 f r. à porter à 55 mètres la largeur actuelle de l'avenue qui est de 35 mètres. Elle ne dépensera pas ces 500,000 fr. Vous aurez donc, au lieu d'une promenade monumentale, un boyau trop étroit où les voitures se heurteront et où les cavaliers se bousculeront les jours de foule.

Ce sera à ceux qui n'auront pas voulu permettre à la ville de Bruxelles de faire bien les choses que remontera la responsabilité d'un pareil résultat.

L'entrée monumentale qui est en voie d'exécution, on ne l'achèvera pas. Ce serait une véritable dilapidation des derniers municipaux que d'agir autrement. Voilà la position.

Voulez-vous, messieurs, parce que Bruxelles a eu confiance dans ceux qui représentent le pays, parce que Bruxelles a eu confiance dans le mandat que le gouvernement tenait de l'assentiment de toute la législature, voulez-vous qu'il perde 1,300,000 fr. Soit, décidez-le.

Mais je proteste et je garantis au nom de ma ville natale, que jamais un centime au delà des conventions ne sera dépensé pour le bois de la Cambre,

N'oubliez pas, messieurs,, que de bonne foi, devant personne, un pareil vote ne pourra être coloré comme ayant été déterminé par cette considération que Bruxelles, en demandant l'adoption du projet de loi, voudrait faire un pas vers des mesures que vous avez condamnées. Cette crainte à la Chambre est puérile. Vous tenez entre les mains le pouvoir de vous opposer à ces velléités ; vous êtes armés, n'ayez donc pas peur. Bruxelles ne fait pas, je le déclare, un pas en avant vers la demande d'annexion des faubourgs.

Si la ville a demandé un agrandissement de territoire, c'est parce que l'Etat lui a dit qu'elle ne pouvait sans cela être maîtresse chez elle. Relisez les délibérations du conseil communal de Bruxelles sur cette demande et vous verrez cette pensée se faire jour dans toutes les discussions, que Bruxelles ne veut obtenir, en fait d'annexion, que ce qui est strictement nécessaire ; que si elle pouvait avoir sa police, sa surveillance, l'autorité sur le bois, sans adjonctions, elle le préférerait mille fois.

Si Bruxelles a demandé l'adjonction d'une partie de la commune de Saint-Gilles, c'est parce qu'on lui a dit : Pour des nécessités de police gouvernementale, pour la police de la station, il est bon que la ville de Bruxelles soit maîtresse des abords du chemin de fer.

Si elle a demandé Saint-Gilles, c'est que Saint-Gilles exigeait d'être incorporé. Mais Bruxelles a demandé en même temps les mains jointes, à deux genoux, qu'on lui donnât le moins possible.

Messieurs, la situation est parfaitement connue. Elle sera appréciée par vous.

Je crois qu'en réalité la ville de Bruxelles aura le droit de se plaindre très haut et de se croire injustement lésée si ce qu'elle a fait ne doit pas porter de fruits, si les sacrifices qu'elle compte faire pour rendre les premiers plus fructueux encore ne doivent pas s'accomplir-

- Plusieurs membres. - Aux voix l

- D'autres membres. - La clôture !

M. de Naeyer. - Comme on vient de poser de nouveau la question de loyauté au point de vue d'engagements qui auraient été pris par la Chambre, d'une promesse qui aurait été faite et qui aurait eu pour résultat d'engager la ville de Bruxelles dans des dépenses énormes...

M. B. Dumortier. - On a fait des menaces.

M. de Naeyer. - ... et qu'on a même fait une espèce de menace, je demande à dire quelques mots.

- Plusieurs membres. - La clôture !

MpVµ. - La clôture est demandée ; je vais la mettre aux voix.

M. B. Dumortier. - Je crois qu'après les menaces qui viennent d'être proférées contre la législature, il est impossible de clore la discussion.

MpVµ. - Je consulte l'assemblée sur la clôture.

- La clôture est prononcée.

Discussion des articles

Article premier

(page 336) « Article 1er. Le bois de la Cambre, son avenue et les zones latérales, formant ensemble la partie du territoire des communes d'Ixelles et de Saint-Gilles, teintée en jaune au plan, et délimitée par un trait rouge, sont incorporés au territoire de la ville de Bruxelles.

M. de Naeyer. - Messieurs, je persiste à soutenir qu'il n'y a pas l'ombre d'un engagement de la part de la législature, et puisqu'on s'obstine à revenir sur cette question, je vais vous donner lecture de toute cette fameuse discussion de 1861. (Interruption.)

Rassurez-vous, cela n'est pas long, deux minutes suffiront ; car il n'y a eu qu'un simulacre de discussion.

J'ai eu l'honneur de vous le dire, le projet de loi relatif au bois de la Cambre a été présenté tout à la fin de la session de 1861. Comme la Chambre était pressée de finir, on l'a renvoyé à une commission spéciale. Ces deux circonstances, présentation du projet de loi tout à la fin de la session et renvoi à une commission spéciale, ne prouvent-elles pas déjà à la dernière évidence, qu'il n'y avait rien dans ce projet de loi qui ressemblât le moins du monde à une annexion de territoire ?

Car, je vous le demande, messieurs, est-ce là la marche qui est suivie quand il s’agit de questions de cette importance ?

Si j'ai bien compris l'honorable M. Orts, il a parlé de négociations qui auraient eu lieu entre le gouvernement et la ville. Or si ces négociations ont eu lieu, on nous les a cachées. (Interruption.) On nous a laissé à cet (page 337) égard dans une ignorance complète et je devrais protester contre une pareille manière d'agir.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je demande la parole.

M. de Naeyer. - Si des négociations ont eu lieu, je demande formellement pourquoi on les a cachées à la Chambre.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Il n'y a pas eu de négociations.

M. de Naeyer. - Alors l'argument qu'on a voulu tirer de cette circonstance ne signifie rien.

Maintenant voici tout ce qui a eu lieu au moment de la discussion qui aurait eu cet effet bizarre de lier la Chambre par suite d'un amendement retiré.

Le projet de loi a donc été présenté le 13 mai ; le 17 le rapport était déjà fait, et je crois que la discussion a eu lieu le 18 du même mois. On marchait donc au pas de course, et cependant on prétend qu'au fond il s'agissait de décider implicitement une question d'annexion de territoire ! Voyons si cette idée au moins s'est fait jour dans la discussion ; or, voici tout ce que je lis dans les Annales parlementaires, séance du 18 mai :

« M. le président. La commission propose une modification à l'article 3, et un article additionnel et conclut, moyennant ces amendements, à l'adoption du projet de loi.

« M. le ministre des finances se rallie-t-il à ces amendements ?

« M. le ministre des finances. Je me rallie à la disposition additionnelle à l'article 3, mais quant à la disposition qui tend à conférer un droit de police à la ville de Bruxelles sur la forêt concédée et l'avenue qui y conduit, comme si le terrain que ces promenades occupent faisaient partie du territoire de Bruxelles, le gouvernement a des scrupules constitutionnels sur le caractère de cette disposition, et il prie la commission spéciale de vouloir retirer cet amendement, il y aura lieu à une loi particulière peur régler ce point. »

On ne parle pas d'annexion.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - J'ai expliqué cela hier.

MfFOµ. – Et je vous l'expliquerai encore, je demande la parole.

M. de Naeyer. - On ne parle pas d'annexion. On se borne à dire qu'il y aura lieu à une loi particulière pour régler ce point, sans s'expliquer en aucune façon sur le caractère de cette loi particulière.

Le ministre ajoute :

« Je reconnais qu'il est indispensable que la police soit exercée dans le bois de la Cambre et l'avenue par la ville de Bruxelles, Le moyen t d'arriver à conférer ce droit de police à la ville n'est pas seulement celui qui a été indiqué par la commission spéciale. »

Mais quel était donc l'autre moyen qu'on n'indiquait pas?

MfFOµ. - Celui que l'on propose.

M.de Naeyerµ. - Vous cachiez donc votre pensée. (Interruption.) Pourquoi ne le disiez-vous pas? J'affirme positivement que si vous aviez révélé cette pensée, que si vous aviez dit franchement que le seul et unique moyen, c'était d'opérer une annexion de territoire à la ville, à l'instant même il y aurait eu des réserves et des protestations. Comment voulez-vous que la Chambre se soit associée par son silence à une pensée que vous n'aviez pas même fait connaître?

Voici ce que répond l'honorable M. Orts : « Le gouvernement et la commission spéciale sont parfaitement d'accord qu'il faut que la police du bois de la Cambre et de l'avenue appartienne à la ville. Mais ils ne sont pas d'accord sur le moyen propre à atteindre ce but. Le moyen proposé par la commission soulève des scrupules. Ces scrupules sont sérieux et pour les dissiper il faudrait une discussion assez importante, assez sérieuse. Aussi dans cet état de choses, et devant la déclaration du gouvernement, qu'il présentera à la session prochaine une loi spéciale destinée à trancher cette question dans un moment plus opportun, la commission retire l'article additionnel qu'elle avait proposé. » Ainsi la question soulevée par la commission est ajournée ; l'honorable rapporteur reconnaît que le moment n'est pas opportun pour l'examiner.

Voilà tout ce qui s'est passé avant le vote, sauf une observation de l'honorable M. Allard, qui fs rattachait à un tout autre ordre d'idées ; en effet cet honorable membre émit l'espoir que la faveur qu'il s'agissait d'accorder à la ville de Bruxelles par la cession du bois de la Cambre, engagerait les députés de Bruxelles à ne plus faire de coalition contre les travaux d'utilité publique accordés à d'autres arrondissements.

Après cette discussion à la Chambre, il y a eu une assez longue discussion au Sénat, peu de jours après, dans la séance du 29 mai. Eh bien, dans toute cette discussion, l'on s'est beaucoup occupé de savoir comment l'on allait arranger le bois, si l'on n'abattrait pas trop d'arbres de haute futaie. Mais encore une fois l'on n'a pas dit un mot d'annexion de territoire, cette pensée n'a pas été exprimée, et au Sénat comme à la Chambre, le gouvernement s'est borné à annoncer la présentation d'un projet de loi ayant pour objet de conférer à la ville la police du bois et de l'avenue sans se prononcer en aucune manière sur le caractère de cette loi.

Mais, dit-on, personne n'a protesté. Mais contre quoi aurait-on protesté ? On ne parlait pas d'annexion. Pouvait-on protester contre le ministre parce qu'il disait : Dans ma manière de voir, il faut aviser à m autre moyen (qu'il m'indiquait pas) et je présenterai un projet de loi ? Y avait-il là matière à protestation ? Le ministre n'était-il pas en droit d'annoncer un projet de loi ? Depuis quand la simple annonce de la présentation d'un projet de loi a-t-elle pour effet de lier la Chambre ? Toute protestation état donc inutile, elle eût même été ridicule ; on aurait répondu avec raison : Vous examinerez le projet de loi quand il sera présenté. Fallait-il protester contre l'organe de la commission ? Mais pourquoi ? L'honorable rapporteur disait lui-même que le moment de discuter n'était pas opportun, que la question serait examinée et décidée plus tard. Comment protester contre un pareil langage?

Voilà à quoi se réduit ce fameux argument dont on a fait tant de bruit et par lequel on veut prouver que la loyauté de la Chambre serait engagée. En vérité cela n'est pas sérieux.

L'honorable M. Orts nous dit : Voyez dans quelle position vous placez la ville de Bruxelles. Elle aura dépensé inutilement des millions parce qu'elle a eu trop de confiance dans une promené qui lui avait été faite.

J'ai prouvé à la dernière évidence que la Chambre n'a rien promis. Mais comment nous parle-t-on de millions dépensés inutilement ? Parce que le territoire sur lequel sera établi la promenade n'appartiendra pas à Bruxelles, cette promenade ne sera donc d'aucune utilité pour les habitants de Bruxelles ! Mais alors qu'avez-vous fait lorsque vous avez décrété celte dépense énorme en 1859 ? Vous ne pensiez pas alors à demander ni annexion de territoire, ni droit de police. Vous saviez pourtant dans quel but vous faisiez la dépense. Evidemment vous la faisiez dans l'intérêt de vos commettants, dans l'intérêt des habitants de Bruxelles. Eh bien, cet intérêt est le même, que le territoire s'appelle territoire d'Ixelles ou territoire de Bruxelles.

Cette simple considération suffit pour faire complètement justice de cette longue énumération de dépenses que l'honorable M. Orts est venu nous faire.

Mais, dites-vous, nous ne ferons pas cette dépense, si nous n'avons pas le moyen de protéger cette magnifique propriété que nous allons créer.

Messieurs, pouvez-vous sérieusement soutenir que, quant à l'avenue, elle sera menacée de destruction, parce qu'elle n'est pas placée sous l'autorité de la police de Bruxelles ? Est-ce là un argument sérieux ?

Quant au bois, nous reconnaissons qu'il y a quelque chose à faire, et j’ai indiqué un système que M. le ministre de l'intérieur n'a pas rencontré. Il paraît que je n'ai pas eu le bonheur de me faire comprendre, je vais tâcher de m'expliquer plus clairement.

Les parcs, les promenades et autres propriétés d'agrément possédées par une commune sur le territoire d'une autre commune, et affectées à l'usage du public, forment évidemment une exception, une catégorie à part ; il est donc parfaitement rationnel de soumettre ce genre de propriétés à un régime spécial ressemblant, sous certains rapports, au régime forestier. Voici quelles pourraient être les bases de ce système.

La commune propriétaire ou usufruitière déterminerait toutes les conditions nécessaires pour garantir la propriété ; elle déterminerait les heures d'ouverture et de fermeture, les endroits où l'on peut et où l'on ne peut pas circuler, la manière dont on peut circuler, en un mot elle prendrait toutes les précautions nécessaires pour empêcher que l’usage du public ne devienne abusif.

Toutes ces conditions réglementaires seraient soumises à l'approbation du gouvernement, qui serait autorisé par la loi à établir, suivant la gravité des faits, des pénalités contre la transgression de ces conditions, ce serait là la sanction des dispositions réglementaires arrêtées par la commune et cette sanction accordée en vertu d'une loi serait parfaitement constitutionnelle, elle émanerait du gouvernement agissant en vertu de la loi et dont la compétence n'est aucunement limitée par la circonscription territoriale des communes. Il est même à remarquer que les pénalités pourraient aller plus loin que celles de simple police : on sait qu'en vertu de la loi de 1818 le gouvernement peut comminer des peines excédant celles de simple police.

(page 338) Quant à l'exécution de ces règlements, elle peut être facilement confié 'aux agents de la commune propriétaire. Le gouvernement serait autorisé, en venu de la loi spéciale que j'indique, à commissionner les agents de la commune propriétaire ou usufruitière, à les investir du caractère d'agents publics, ayant des attributions analogue, sous plusieurs rapports, à celles des agents forestiers ; une pareille disposition n'aurait rien d’anomal, déjà aujourd'hui il se fait quelque chose de semblable, lorsque le gouvernement désigne les agents chargés de la police des chemins de fer concédés.

Ces agents seraient investis d'une autorité plus grande, plus efficace que les simples agents de la police locale, puisqu'on pourrait encore, en vertu de la loi, leur conférer, comme aux agents forestiers, le droit de requérir la force publique, droit que n'ont pas les agents de police nommés par l'autorité communale.

Vous voyez donc que ce système présenterait même plus de garanties pour la conservation de la propriété dont il s'agit, qu'une annexion de territoire, et cela prouve, à la dernière évidence, que l'annexion n'est pas nécessaire et qu'on peut résoudre la question sans blesser en rien le respect que l'on doit à l'autonomie communale.

Maintenant, messieurs, quant à la menace qu'on nous fait d'abandonner les travaux, cela reviendrait à dire qu'on a fait une véritable spéculation pour arriver à l'annexion d'une partie du territoire d'Ixelles et qu'on a eu en vue de créer une situation dans laquelle la législature ne serait plus libre de reculer devant une mesure aussi grave et aussi odieuse ; mais ce qui doit nous rassurer quant à cette menace, c'est que l'inachèvement des travaux serait avant tout nuisible à Bruxelles. En prenant ce parti extrême, la capitale se frapperait elle-même, elle léserait ses propres intérêts. On nous dit encore que nous devons compléter le don que nous avons fait à la ville de Bruxelles, afin de le rendre, en quelque sorte, digne de la nation ; mais, messieurs, s'il y avait lieu d'agir dans cet ordre d'idées, nous serions injustes de vouloir nous montrer généreux, par le morcellement du territoire d'une commune ; c'est alors au pays entier que nous devrions imposer la dépense de notre générosité. Mais il est évident que la ville de Bruxelles, qui a obtenu la cession à peu près gratuite du bois de la Cambre, qui a obtenu un subside de 350,000 francs et à laquelle un second subside paraît avoir été promis, aurait mauvaise grâce de demander de nouveaux sacrifices.

Je dois maintenant deux mots de réponse à l'honorable M. Hymans. Suivant cet honorable membre, l'administration communale d'Ixelles, qui proteste énergiquement contre l'annexion, ne représente pas, en réalité, les intérêts et les vœux de cette commune. Il me semble, messieurs, que cette doctrine est un peu anarchique, mais je dirai, en outre, que l'idée émise par l'honorable M. Hymans est en contradiction manifeste avec les documents de l'instruction : en effet, conformément aux dispositions législatives sur la matière, une enquête a été ouverte sur le projet d'annexer à Bruxelles une partie du territoire d'Ixelles. Or, cette enquête a-t-elle constaté ce que l'honorable membre a la prétention de nous révéler aujourd'hui ?

C'est tout le contraire, car il résulte de l'instruction que des pétitions signées par plus de mille personnes, toutes parfaitement connues comme habitants d'Ixelles, se sont prononcées énergiquement contre l'annexion, tandis que les pétitions en sens contraire ne portaient guère que 70 ou 75 signatures données, pour la plus grande partie, par des propriétaires qui n'habitaient pas même Ixelles.

J'ajouterai que l'honorable M. Aelbrecht, le membre de la députation permanente qui a dirigé cette enquête et qui, par conséquent, était tout particulièrement à même d'apprécier les vœux de ceux qui étaient pour et de ceux qui étaient contre, a émis un avis défavorable à la mesure qui nous est proposée. Tout cela me paraît plus concluant que les appréciations tardives de l'honorable M. Hymans.

L'honorable M. Hymans nous a fait un tableau effrayant de toutes les dépenses qui vont tomber sur cette malheureuse commune d'Ixelles et qui vont l'écraser inévitablement si on ne lui procure pas l'immense bienfait de retrancher de son territoire le bois de la Cambre et l'avenue.

Eh bien, messieurs, l'honorable membre a créé ces dépenses à sa fantaisie. Il a supposé que ces dépenses, faites dans l'intérêt de Bruxelles, qui a besoin de cette promenade parce qu'elle manque d'air et d'espace tandis que la commune d'Ixelles en est largement pourvue, il a supposé que ces dépenses vont être supportées, contre toute justice, par Ixelles, et il a complètement perdu de vue que, dans la convention du 11 janvier 1859, il y a un article 7, qui porte ce qui suit :

« La route avenue sera maintenue à perpétuité en bon état de viabilité par la ville et à ses frais.

« A l'effet d'assurer l'exécution de cette clause, la ville de Bruxelles sera tenu de soumettre à l'approbation de notre ministre des travaux publics, qui pourra y apporter des modifications, le cahier des charges et le devis relatifs à l'entretien de cette voie de communication... »

Les obligations de la commune traversée par l'avenue sont donc les mêmes que pour les autres routes appartenant à la grande voirie, et certes il n'y a là rien qui ressemble au tableau fantastique dressé par l'honorable membre.

Mais l'honorable membre veut en outre des dépenses de luxe, dans l'intérêt des habitants de Bruxelles, et ces dépenses, suivant lui, devraient incomber à Ixelles par cela seul qu'elles devraient se faire sur le territoire de cette commune ; mais cela serait contraire à tous les principes de justice et d'équité. (Interruption.) Du reste, messieurs, l'intérêt est la mesure des actions, et les dépenses que Bruxelles aurait intérêt à faire si la promenade se trouvait sur son territoire, elle a également intérêt à les faire lorsque le bois et l'avenue se trouvent sur le territoire d'Ixelles, car dans les deux cas les avantages pour la population bruxelloise sont les mêmes.

(page 331) MfFOµ. – Messieurs, l'honorable M. de Naeyer a contesté la signification des observations que j'ai présentées au nom du gouvernement, lorsque la commission spéciale chargée de l'examen du projet de loi sur la cession du bois de la Cambre, a proposé d'indiquer formellement, par une disposition ajoutée à la loi, que le droit de police serait exercé par la ville de Bruxelles dans le bois et sur l'avenue. (Interruption.)

Vous avez contesté le caractère de mes observations ; vous avez dit que le mot d'annexion n'avait pas été prononcé, et que, s'il avait été prononcé, il aurait soulevé les plus vives réclamations.

Eh bien, messieurs, si l'honorable membre avait voulu se rendre compte du sens des paroles que j'ai prononcées alors, et s'il y avait un peu réfléchi, je ne crois pas qu'il aurait eu des doutes sur la pensée qui me lésa dictées.

Qu'ai-je dit, messieurs, lorsque l'on proposait d'insérer dans le projet de loi une disposition qui conférait à la ville de Bruxelles un droit de police sur un territoire étranger ? J'ai fait remarquer qu'une disposition de cette nature m'imposait un scrupule constitutionnel. Et d'où pouvait donc, je vous prie, dériver ce scrupule constitutionnel ?

M. de Naeyer. - Je n'en sais rien. C'est à vous de le savoir.

MfFOµ. - Il est absolument impossible que cela ait eu une autre signification que celle-ci : Une commune ne peut avoir le droit de police que sur son propre territoire. (Interruption.)

Mais il est bien clair, bien évident, qu'il ne pourrait exister de scrupule constitutionnel à un autre titre.

Ce scrupule constitutionnel était donc celui-ci :

« Nous ne pouvons pas conférer à une commune le droit de police sur le territoire d'une autre commune. » Et j'exprimais ce scrupule, parce que, aux termes de l'article 108 de la Constitution, tout ce qui est d'intérêt communal est réglé par le conseil communal.

M. de Naeyer. - Vous ne l'avez pas dit.

MfFOµ. - Comment peut-on expliquer ou comprendre autrement les paroles que j'ai prononcées ? Veuillez me dire ce que peut signifier le scrupule constitutionnel que j'ai manifesté. (Interruption.) J'ai ajouté :

« Je reconnais qu'il est indispensable que la police soit exercée dans le bois de la Cambre et l'avenue, par la ville de Bruxelles.

« Le moyen d'arriver à conférer ce droit de police à la ville n'est pas seulement celui qui a été indiqué par la commission spéciale. »

Eh bien, quel moyen y a-t-il de le lui conférer ? Y en a-t-il un autre que celui que nous avons proposé ?

M. de Naeyer. - J'ai indiqué un autre moyen.

(page 332) MfFOµ. - Mais ce moyen n'est pas pratique ; il en résulterait un véritable gâchis ; et d'ailleurs, la mesure que vous avez proposée pour parer à une nécessité que vous ne pouvez pas méconnaître, tant elle est manifeste, impérieuse, cette mesure est absolument inconstitutionnelle.

On prendra, dites-vous, des mesures relativement à la police et à la surveillance du bois de la Cambre et de l'avenue ; elles seront formulées par la commune d'Ixelles, si elle le désire, et par la commune de Bruxelles et l'on conférera au gouvernement, par une loi spéciale, le droit de sanctionner ces mesures !

C'est bien la ce qu'a indiqué l'honorable membre. Eh bien, je dis qu'une pareille disposition serait inconstitutionnelle au premier chef. Et pourquoi ? Parce qu'à l'aide du pouvoir que vous voulez confier au gouvernement, vous lui transférez le droit de police qui appartient et qui ne peut appartenir qu'à la commune elle-même.

Ainsi, vous, défenseur si ardent, si convaincu des libertés communale, des prérogatives communales, que faites-vous ? Mais vous proposez précisément de confisquer le premier et le plus essentiel des principes de la liberté communale. Sous prétexte de le sauvegarder, vous êtes le premier à y porter atteinte.

Vous voyez donc que le moyen que vous avez indiqué n'est pas admissible et qu'il doit être écarté.

Je dis, messieurs, que, pour arriver à une solution rationnelle, constitutionnelle de la question qui nous occupe, il n'y a pas d'autre moyen que celui que le gouvernement a proposé. Et pourquoi l'avons-nous proposé ? Parce qu'il n'y en a pas d'autre, car nous sommes peu partisans des annexions, et nous les repoussons d'une manière absolue. Quant à moi, je déclare qu'à aucun prix je ne consentirai à faire une seule agglomération de la ville de Bruxelles et des diverses communes qui l'environnent. Je veux le développement de la ville de Bruxelles, non à la manière de Paris, mais à la manière de Londres ; je veux le développement simultané de la capitale et de toutes les communes libres qui l'entourent.

- Voix nombreuses. - Très bien ! Très bien !

MfFOµ. - Mais ici, messieurs, il s'agit d'un cas tout à fait exceptionnel : nous sommes en présence d'une nécessité à laquelle nous ne pouvons pas nous soustraire ; et vous allez le comprendre.

La cession du bois de la Cambre à la ville de Bruxelles, et l'obligation par elle de faire et d'entretenir l'avenue, constituent-elles pour la ville un avantage matériel quelconque ? Evidemment non. L'avantage moral, sanitaire, est sans contredit égal pour tous, pour les habitants de Bruxelles, comme pour les habitants de Saint-Gilles, d'Ixelles et des autres communes voisines. Mais, j'insiste sur ce point, il n'y a pas là le moindre avantage matériel pour la ville de Bruxelles. Or, puisqu'il s'agissait d'opérer sur le territoire d'Ixelles, on aurait très bien pu céder le bois de la Cambre à cette commune, et la ville de Bruxelles aurait eu exactement les mêmes avantages que ceux dont elle jouit maintenant.

Pourquoi donc a-t-on choisi Bruxelles pour lui faire cette cession, et pourquoi ne l'a-t-on pas faite à Ixelles ? Mais parce qu'il fallait dépenser deux millions pour approprier le bois et établir l'avenue, somme que la commune d'Ixelles était certes hors d'état de dépenser, tandis que la ville de Bruxelles pouvait et voulait dépenser ces deux millions. Voilà le seul motif qui a fait préférer la ville de Bruxelles à la commune d'Ixelles.

Maintenant, que veut l'honorable M. de Naeyer ? Il veut que les avantages matériels qui pourront résulter éventuellement, dans l'avenir, de la construction de l'avenue, deviennent la propriété, non pas de la ville de Bruxelles qui aura fait l'énorme sacrifice de deux millions pour des embellissements dont toute l'agglomération bruxelloise aura gratuitement la jouissance, mais bien de la commune d'Ixelles, qui n'aura rien dépensé du tout !

Ces avantages matériels résulteront des constructions qui s'élèveront dans l'avenue, des impôts qu'elle aura le droit d'y percevoir, et qui assureront à la ville de Bruxelles une sorte d'indemnité pour les dépenses qu'elle se sera imposées. Vous voulez lui ôter, injustement ces avantages, pour en gratifier tout gratuitement la commune d'Ixelles.

Eh bien, messieurs, je dis que ce serait là une véritable iniquité, et je suis convaincu que la Chambre ne la commettra pas ! (Aux voix.)

M. B. Dumortier. - Je demande la parole contre la clôture. Je désire opposer à ce que vient de dire M. le ministre des finances, l'exemple de ce qui se passe, quant à la ville de Bruxelles, pour l'Allée Verte et pour le canal.

M. de Naeyer. - J'ai été en quelque sorte mis en cause par M. le ministre des finances. Je voudrais lui répondre et prouver qu'il est dans une profonde erreur.

MfFOµ. - Il n'y a, dans ce que j'ai dit, rien qui vous soit personnel.

M. Coomans. - Je m'oppose à la clôture parce que j'ai à exposer à la Chambre... (Interruption) Vous ne savez pas quoi et vous m'interrompez. Il me semble qu'il n'y a pas dans ce projet matière à se fâcher. Je vois avec peine qu'on se divise encore une fois pour un intérêt de pure administration. II m'est impossible de me prononcer là-dessus.

J'ai à exposer à la Chambre un autre moyen que celui qu'a indiqué l'honorable M. de Naeyer, de parvenir au but que tout le monde à en vue, c'est-à-dire d'assurer l'exercice de la police, par la ville de Bruxelles, en dehors de l'annexion. Ce moyen me paraît très simple, très constitutionnel. Je me réserve de le développer, si la Chambre ne prononce pas la clôture. Ce serait que les deux communes s'entendissent pour nommer les mêmes agents de police. Il serait important d'éclaircir ce point ; il me paraît que l'on pourrait présenter un amendement admissible pour tout le monde, et prouver ainsi que nous n'avons pas été aussi obtus que le prétend M. le ministre des finances, lorsqu'il dit que nous ne l'avons pas compris.

Je déclare, quant à moi, que je n'ai pas compris non plus que l'annexion fût la conséquence de la déclaration du gouvernement. (Interruption.)

MpVµ. - Vous n'avez la parole que sur la clôture.

M. Coomans. - Eh bien, je m'oppose à la clôture, afin de pouvoir encore dire quelque chose sur ce point.

J'ai encore un autre argument contre la clôture ; c'est qu'il me semble que nous avons mauvaise grâce de nous déclarer déjà fatigués au bout de deux jours de discussion. Si vous ne voulez pas nous entendre aujourd'hui, faites-nous la grâce de nous entendre demain.

MpVµ. - La demande de clôture a été faite ; je dois la mettre aux voix.

- La clôture est prononcée.

- Plusieurs membres. - L'appel nominal.

) Il est procédé au vote par appel nominal sur l'article premier.

97 membres y prennent part.

64 répondent oui.

32 répondent non.

1 (M. de Mérode) s'abstient.

En conséquence la Chambre adopte.

Ont répondu oui :

MM. Goblet, Grandgagnage, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Lange, Le Bailly de Tilleghem, Ch. Lebeau, J. Lebeau, Lesoinne, Magherman, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Orban, Orts, Pirmez, Pirson, Prévinaire, Rodenbach, Rogier, Royer de Behr, Tack, Tesch, Alp. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Volxem, Vilain XIIII, Visart, Allard, Ansiau, Bara, Beeckman, Bouvier,' Braconier, Crombez, de Baillet-Latour, de Brouckere, de Clercq, de Conninck, de Florisone, De Fré, de Haerne, de Kerchove, De Lexhy, de Moor, de Paul, de Renesse, de Rongé, de Terbecq, de Theux, Dolez, Frère-Orban, Frison et Ernest Vandenpeereboom.

Ont répondu non : MM. Hayez, Jacobs, Janssens, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Le Hardy de Beaulieu, Notelteirs, Schollaert, Snoy, Soenens, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Verwilghen, Coomans, Coppens, Delaet, Delcour, de Liedekerke, de Montpellier, de Muelenaere, de Naeyer, de Ruddere de te Lokeren, d'Hane-Steenhuyse, Dubois, B. Dumortier et Faignart.

MpVµ. - Le membre qui s'est abstenu est prié d'en faire connaître les motifs.

M. de Mérode. - Des considérations personnelles ont motivé mon abstention dans cette question.

Article 2

« Art. 2. La ville de Bruxelles payera à la commune d'Ixelles, à titre d'indemnité, pour le territoire qui en est détaché, une somme représentant, en capital et au denier vingt, le montant de la réduction que cette dernière éprouvera dans sa part du fonds communal et dans le produit des centimes additionnels ordinaires et extraordinaires aux contributions de l'Etat.

« La recette opérée en 1863 servira.de base à la fixation de cette indemnité.

« La ville de Bruxelles prolongera, sur le territoire qui lui est cédé, les (page 333) rues et voies de communication qui aboutissent dans une direction, soit perpendiculaire, soit oblique à l'axe de l'avenue de la Cambre, conformément aux plans généraux d'alignement approuvés par arrêtés royaux, et notamment par celui du 20 février 1864.

« La ville de Bruxelles donnera accès dans ses aqueducs collecteurs aux égouts construits ou à construire dans les communes d'Ixelles et de Saint-Gilles et dont l'écoulement naturel vers l'avenue résulterait de la disposition des terrains.

« Les dissentiments qu'amènerait l'exécution des obligations stipulées dans cet article seront réglés conformément a l'avant-dernier paragraphe de l'article 151 de la loi communale du 30 mars 1836. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé à l'appel nominal sur l'ensemble.

76 membres y prennent part.

58 membres répondent oui.

18 membres répondent non.

En conséquence, le projet de loi est adopté ; il sera transmis au Sénat.

Ont répondu oui :

MM. Goblet, Grandgagnage, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Lange, le Bailly de Tilleghem, Ch. Lebeau, J. Lebeau, Lesoinne, Magherman, Moreau, Mouton, Muller, Orban, Orts, Pirmez, Pirson, Prévinaire, Rodenbach, Rogier, Royer de Behr, Tack, Tesch, Alp. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Volxem, Visart, Allard, Ansiau, Bara, Beeckman, Bouvier, Braconier, Crombez, de Baillet-Latour, de Brouckere, de Clercq, de Conninck, de Florisone, De Fré, de Kerchove, De Lexhy, de Moor, de Paul, de Renesse, de Rongé, de Terbecq, Dolez, Frère-Orban, Frison et Ern. Vandenpeereboom.

Ont répondu non :

MM. Rayez, Jacobs, Janssens, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Le Hardy de Beaulieu, Notelteirs, Soenens, Thienpont, Vander Donckt, Van Renynghe, Verwilghen, Coppens, Delaet, de Muelenaere, de Naeyer, Dubois et B. Dumortier.

Composition des bureaux des sections

(page 338) Première section

Président : M. Kervyn de Lettenhove

Vice-président : M. Wasseige

Secrétaire : M. Tack

Rapporteur de pétitions : M. Soenens


Deuxième section

Président : M. de Theux

Vice-président : M. Vilain XIIII

Secrétaire : M. Snoy

Rapporteur de pétitions : M. Vermeire


Troisième section

Président : M. le Bailly de Tilleghem

Vice-président : M. Van Volxem

Secrétaire : M. de Macar

Rapporteur de pétitions : M. Jacquemyns


Quatrième section

Président : M. Faignart

Vice-président : M. Delaet

Secrétaire : M. de Montpellier

Rapporteur de pétitions : M. de Naeyer


Cinquième section

Président : M. de Renesse

Vice-président : M. J. Jouret

Secrétaire : M. L. Goblet

Rapporteur de pétitions : M. Vander Donckt


Sixième section

Président : M. Lesoinne

Vice-président : M. Van Leempoel

Secrétaire : M. Mouton

Rapporteur de pétitions : M. Hymans

- La séance est levée à 5 heures et demie.