(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1863-1864)
(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)
(page 165) M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
M. de Moor, secrétaireµ, lit le procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. Thienpont, secrétaire., présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« L'administration communale d'Iseghem demande que le chef-lieu du canton de la justice de paix d'Ingelmunster soit transféré à Iseghem. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des commerçants à Dour, Elouges, Athis, Fayt, Erquennes, demandent que les mardis et vendredis il soit établi à l'endroit dit le Radieau, sur le territoire de Fayt-le-Franc, un bureau de perception des droits de douane, à l'entrée en Belgique. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Glabbeek-Suerbempde demandent une loi qui règle le mode de sépulture. »
« Même demande d'habitants de Gendron. »
- Même renvoi.
« Le sieur Quyaux, ancien commis des accises, demande une pension. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Blankenberghe demandent une loi dans l'intérêt de la langue flamande. »
- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
« M. H. Dumortier, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé. »
- Accordé.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer, sur le bureau de la Chambre, un projet de loi ayant pour objet de rendre immédiatement applicables certaines dispositions du projet de loi sur la milice, projet de loi déposé au mois de novembre 1862. Ces dispositions sont celles qui sont relatives à la substitution. Plusieurs membres de cette Chambre ont demandé, l'année dernière, que ce projet de loi fût présenté en temps utile, pour que les miliciens de la levée de 1861 pussent jouir du bénéfice de ces dispositions, et il est vivement à désirer qu'il en soit ainsi.
Je demande donc le renvoi à la commission chargée d'examiner le projet général de révision des lois sur la milice et je prie cette commission de vouloir bien faire son rapport le plus promptement possible.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution du projet et le renvoie à l'examen de la commission chargée de l'examen du projet de loi sur la milice.
M. Coomans. - Messieurs, je me proposais de n'émettre qu'un vote silencieux en faveur de la thèse que les députés d'Anvers nous ont apportée, car il ne pouvait pas me convenir de m'exposer au reproche de compromettre le succès de cette thèse très modérée par des conclusions plus radicales. Aujourd'hui qu'un refus absolu, implacable a été opposé par le ministère et sa majorité aux réclamations anversoises, la liberté de la parole m'est rendue, et je vais en user principalement pour repousser les outrages si injustes et heureusement si absurdes qui ont été prodigués à notre métropole commerciale.
D'après l'honorable M. De Fré, le mouvement anversois est mauvais, déplorable ; il est le produit de deux des plus mauvais sentiments de la nature humaine, de la peur et de l'égoïsme ; il est l'œuvre de quelques meneurs, favorisés par la niaise complicité d'une masse d'imbéciles.
Comme, en conscience, je dois reconnaître que je ne suis pas étranger à ce mouvement, comme je me suis senti atteint un peu par l'excommunication lancée contre la population anversoise par l'honorable M. De Fré avec l'assentiment visible du gouvernement, je considère comme un devoir de loyauté de ne pas reculer devant la responsabilité que j'ai pu encourir et d'exprimer à cet égard mon opinion avec une entière franchise. Cette opinion est diamétralement opposée à celle de l'honorable député de Bruxelles.
A mes yeux, le mouvement anversois est honorable, salutaire... (interruption) ; il est un des signes les plus certains du progrès politique et économique du pays.
On a feint de ne voir dans le mouvement anversois qu'un calcul d'argent, qu'un misérable appétit, que des rancunes plus misérables encore ; il y a autre chose, il y a des principes, il y a de grands intérêts locaux et nationaux.
Il y a des principes !... ils se résument dans cette réaction incontestable qui se manifeste, non seulement en Belgique, mais dans l'Europe, contre les exagérations croissantes des charges militaires.
Les intérêts sont doubles ; anversois d'abord, on l'a assez démontré ; nationaux ensuite : c'est un point qu'il conviendra de mettre chaque jour mieux en lumière.
J'avoue, messieurs, que bien que je sois habitué à d'étranges exagérations de langage commises par plusieurs membres de cette assemblée, je suis surpris de l'audace avec laquelle on a osé flétrir des manifestations pareilles à celles qui se sont produites à Anvers.
Il n'est pas de question en Belgique à laquelle l'esprit de parti ait été aussi étranger que la question d’Anvers. On oublie toujours ou l'on feint d'oublier qu'Anvers a été unanime et est encore presque unanime en ce point.
N'est-il pas imprudent, aussi imprudent qu'injuste, de qualifier de poltrons, d'égoïstes et de mauvais citoyens vas propres amis ? Le mouvement anversois ne s'est-il pas produit sur l'initiative du parti libéral, avec son concours constant ? Ce que vous qualifiez aujourd'hui d'absurde, la démolition des citadelles, c'est la thèse soutenue par l'ancien conseil communal.
Je dis par l'ancien conseil et non par le nouveau que vous avez excommunié aussi, mais par l'ancien conseil communal, par la chambre de commerce dont les opinions politiques vous sont sympathiques, par le conseil provincial, par l'association conservatrice, et chose qui doit vous toucher particulièrement, par l'association libérale tout entière.
Je vous le demande, dans laquelle des deux catégories, celle des meneurs et des mauvais patriotes ou celle des niais et des imbéciles, vous rangerez tous vos amis d'Anvers, tous sans exception ? Il est vrai que depuis l'an dernier une défection s'est produite ; le parti libéral s'est scindé. Les libéraux indépendants sont restés fidèles au mouvement qu'ils ont provoqué et entretenu ; les libéraux ministériels se sont repentis, à voix basse, un peu dans l'ombre ; mais enfin ils se sont repentis et ils se sont détachés de la masse. Mais ce que j'affirme n'est pas moins de toute évidence : c'est que vos reproches retombent sur vos propres amis. A eux de vous répondre.
Si c'est un crime d'assister aux meetings (nous en causerons plus longuement tout à l'heure), ce crime a été commis par vos amis. Eh, messieurs, dans ces meetings, au milieu de ces scènes scandaleuses, comme les qualifia M. le ministre des finances, par qui ai-je été félicité, embrassé le plus chaudement ? Par les chefs du libéralisme anversois, par les chefs de la loge maçonnique d'Anvers. (Interruption).
En ai-je été embarrassé ? Pas le moins du monde : Le concours de nos adversaires politiques ne m'embarrasse jamais ; il m'est toujours précieux et je dirai qu'il m'est plus précieux même que celui de mes amis politiques.
J'insiste à ce sujet, messieurs, parce qu'il me paraît indispensable de monter que c'est très à la légère qu'on a accusé le mouvement anversois d'être une œuvre de parti et d'incivisme.
On a invoqué souvent et avec beaucoup de raison ce fait inouï de l'abstention anversoise du 20 mai 1862. J’y reviens parce qu'il sert parfaitement ma thèse.
L'abstention est décidée ; nous ne revenons pas à la question de savoir si c'était un parti bien conforme aux règles constitutionnelles, à la prudence, à la tactique ; c'est autre chose ; ce n'est pas ce que j'ai à démontrer ; l'abstention est décidée, unanimement décidée.
Qui donc n'obéit pas à cette espèce de mot d'ordre ? Six électeurs d'Anvers.
Et cependant, je puis affirmer en connaissance de cause que les incitations ministérielles n'avaient pas manqué pour profiter de la résolution prise par la population anversoise, afin...
MfFOµ. - Je nie formellement ce que vous dites-là.
M. Coomans. - ... afin d'obtenir une nomination favorable. J'affirme que cela m'a été dit par des personnes très honorables.
(page 166) MfFOµ. - Eh bien, ces personnes honorables vous ont dit un mensonge.
- Un membre. - C'est un commérage. (Interruption.)
M. Coomans. - Laissez donc dire, M. le président. Vous dites que c’est un mensonge ; soit ! Je renvoie le mot à son adresse, que je ne suis pas forcé de décliner ici. Mais pour répondre à M. Frère, j'ajoute que si le gouvernement n'a pas profité de cette occasion d'obtenir une nomination favorable, il a eu tort ; car, ayant fait soutenir par les journaux amis que ce parti de l'abstention était mauvais et inconstitutionnel, il devait l'attaquer, il devait déjouer ce calcul et engager les électeurs à voter. S'il ne l'a pas fait, il a eu tort et s'est montré inconséquent. Il n'en reste pas moins vrai que cette abstention générale réfute surabondamment le reproche adressé à la population anversoise d'avoir été menée par un groupe de cléricaux qui, chose singulière, sont supposés en ce moment être la fraction la plus intelligente de la population d'Anvers.
Habituellement ce n'est pas aux catholiques qu'on adresse ce compliment. (Interruption.)
Si donc la population anversoise a été unanime vos reproches tombent. Reste à savoir si le but qu'elle cherche à atteindre est loyal, bon et utile. On vous a dit à satiété qu'il n'y a qu'une question d'argent là dedans.
Qu’on me permette d'employer ici un mot qui semble admis dans notre langage parlementaire, c'est un mensonge, c'est même un sot mensonge, on ne peut pas attribuer une intention aussi étroite, aussi vile à une population aussi intelligente, aussi généreuse, aussi vraiment nationale que celle d'Anvers.
Il y a dans ce mouvement anversois une protestation contre l’embastillement à outrance imposé à notre métropole commerciale, et une réclamation incessante en faveur de l’exécution des promesses qui lui ont été faites.
On lui a reproché quelques inconséquences de conduite, je ne les nie pas ; mais est-ce au gouvernement à lui adresser ce reproche ? Le gouvernement n'a-t-il pas commis de nombreuses inconséquences au sujet du problème de la défense nationale ? N'a-t-il pas souvent varié d'opinion ? Si je voulais faire une revue rétrospective, les preuves ne me manqueraient pas et ne me donneraient que trop raison. (Interruption.)
Voici le fait fondamental sur lequel s'appuie Anvers, c'est que les promesses faites en 1859 et solennellement renouvelées en 1860, n'ont pas été réalisées, soit par le fait du gouvernement, soit par le cours des choses ; les conditions de sécurité où l'on se proposait de mettre la ville d'Anvers n'ont pas été réalisées ; en 1859 et 1860 on garantissait qu'à tout jamais Anvers serait à l'abri d'un bombardement.
Quand le gouvernement a assumé la responsabilité de cette garantie, il était, je le veux bien, loyal et sincère. Je n'en doute pas, de même que je ne doute pas qu'il l'était lorsqu'en 1859 et 1860 il s'engageait à ne pas demander un sou aux Chambres pour l'armement de la ville d'Anvers, lorsqu'il prétendait que l'artillerie de cette époque suffisait amplement à tous les besoins de la situation.
Il était loyal et sincère, oui, mais depuis lors des perfectionnements se sont produits dans l'artillerie à ce point qu'un démenti immédiat a été donné aux espérances du gouvernement qui a dû venir, peu de mois après les derniers engagements pris, solliciter de nous 15 millions pour les canons Wahrendorff.
Or, il est incontestable qu'il y a là un changement énorme introduit dans la situation d'Anvers.
Ce qui pouvait être vrai ein1859 et en 1860 ne l'est plus aujourd'hui. La portée des pièces d'artillerie a doublé ; votre dispositif de fortifications est resté le même. Vous avez donc changé la situation que vous aviez créée à Anvers.
En 1859 et 1860, lorsque Anvers applaudissait tant au vote de la loi du 8 septembre, il était bien convaincu qu'il était mis, par cette loi, à l'abri du bombardement. C'est depuis lors que l'opinion s'est modifiée et ce n'est pas Anvers qui a changé. Ce sont les faits qui se sont transformés.
- Un membre. - Dites cela dans les meetings.
M. Coomans. - Ah ! ces scènes scandaleuses, j'y' ai pris part. Oui, messieurs, j'y ai pris part, je m'en honore et j'engage tous mes honorables collègues à prendre part aux meetings.
Ces meetings honorent la Belgique. Ces assemblées de 5 à 6 mille hommes pacifiques.... (Interruption.)
Je vous surprendrai davantage tout à l'heure, réservez-donc votre surprise. Ces grandes assemblées de 5 à 6 mille hommes pacifiques, presque unanimes, prenant des résolutions respectables dans les limites de la Constitution, des lois et des règlements locaux, ces assemblées honorent les pays libres et démocratiques.
Je viens de promettre d'étonner mes honorables interrupteurs, je déclare très sérieusement, très consciencieusement que les meetings sont, à mon avis, le complément nécessaire, indispensable de nos institutions officielles.
Dans un pays à suffrage restreint comme le nôtre où la 50ème partie à peine de la population jouit du droit électoral, il n'est que juste que les citoyens non électeurs recherchent les occasions de faire entendre leur voix ; il n'est que juste aussi que nous qui avons une tendance trop prononcée à nous considérer comme les vrais et seuls souverains du pays, sauf à nous entendre avec nos électeurs, il n'est que juste que nous cherchions à consulter l'opinion des citoyens non électeurs.
Car j'aime à croire, messieurs, que vous ne le nierez pas, nous ne représentons pas nos personnes, pas nos intérêts, ni même le corps électoral. Nous représentons la nation tout entière, et aussi longtemps que nous ne jouirons pas du suffrage universel, je tiens les meetings pour utiles et indispensables, et je vois avec un grand plaisir que la pratique des meetings se popularise en Belgique. (Interruption.) Oui, c'est un grand honneur pour Anvers et un grand service rendu par elle au pays, que d'avoir pris l'initiative des meetings.
Maintenant ou s'est plu à ramasser quelques paroles indécentes, comme les a qualifiées l'honorable M. De Fré, prononcées dans les meetings, et on s'en est prévalu pour lancer une excommunication très illibérale contre les assemblées populaires. Messieurs, cela n'est ni juste, ni prudent, ni convenable. Il faut aller au fond des choses, il faut considérer toutes choses sous leur aspect réel et sérieux, et il faut juger les meetings d'après les idées saines et utiles qui s'y produisent et non d'après quelques excentricités qui peuvent s'y commettre.
Il est inique de rendre tout un meeting et ceux qui le président responsables de ces excentricités. Un meeting n'est responsable que des résolutions qu'il prend. Or je défie tous nos adversaires de citer une seule résolution inconvenante prise dans les meetings d'Anvers.
Si j'ai péché, ce dont je n'éprouve pas le moindre repentir, j'ai péché en grande, nombreuse et libérale compagnie.
Encore une fois les chefs du parti libéral assistaient aux meetings et ils n'ont pas protesté. Est-ce qu'un président a seul la police de l'assemblée ? Non, la police de ces assemblées appartient à tous leurs membres et quand quelques paroles déplaisent, c'est au meeting lui-même à en faire justice. Cela a eu lieu.
L'autre jour j'assistais encore à un meeting. (Interruption.) Je l'avoue, au risque de scandaliser M. Bouvier, qui m'interrompt pour la 3e ou la 4° fois.
Le bourgmestre d'Anvers une heure avant le meeting s'est rendu aux approches du lieu où il devait se tenir et a parlé à peu près en ces termes, à un très grand nombre de personnes : « Mes chers concitoyens, j'ai foi dans votre intelligence, dans votre amour de l'ordre et je viens d'ordonner à tout le personnel de la police de se tenir aussi loin que possible du meeting, et c'est vous que je charge de la police : est-ce que ce marché tient ? »
Oui, fut-il répondu. Et tout le monde tint parole. (Interruption.)
Eh bien, messieurs, 5,000 personnes dans le local et je puis ajouter 5,000 autres au-dehors du local, ont donné l'exemple du bon sens, de la politesse et du respect de toutes les formes parlementaires.
Certes, messieurs, j'ai assisté dans ma vie à bien des séances parlementaires non seulement ici, mais dans d'autres pays de l'Europe, et je puis assurer que les séances du meeting d'Anvers, sans aucune sanction de la force, valent au moins les séances, maintes séances parlementaires auxquelles j'ai assisté. (Interruption.)
Je vous prie de ne pas me forcer de fournir mes preuves. J'en aurais beaucoup, sans les chercher loin. (Interruption.)
Ah ! M. Jean Van Ryswyck a été indécent !
Il a eu tort, ses amis le lui ont dit et même redit, et nul doute qu'il ne l'ait senti lui-même. Mais, messieurs, est-ce une raison pour excommunier un citoyen animé (je dois le dire, puisqu'il n'est pas ici pour se défendre), animé de bonnes intentions ? Il a été calomnié, indignement calomnié.
II s'était vendu à la Hollande ! Cela a été imprimé dans des journaux bien connus du ministère. Cette indigne calomnie vous fait rire ! Mais je puis dire avec toutes les réserves que j'ai déjà faites, qu'elle s'adresse à un orateur éminent, à une plume habile, à un homme resté pauvre, donc honnête, qui plus est, messieurs les libéraux, à un libéral ! A coup sûr, il ne figurera pas parmi les imbéciles, celui-là, et quand il se vendra, quand il commettra cette insigne infamie, il cessera d'être pauvre.
D'ailleurs, faut-il, dans un pays de liberté, s'effrayer de quelques excentricités ou hardiesses politiques, (interruption) morales si vous (page 167) voulez, ajoutez tous les adjectifs qui vous plaira ; je dis que dans un pays de liberté il faut laisser beaucoup de liberté à toutes les opinions, et c’est ce que je réclame ici pour la mienne. Il faut respecter cette liberté d’autant plus que les opinions émises sont moins populaires. Supprimer les libertés à cause des abus qu’elles entraînent, est une vieille tactique du despotisme.-
On ne coupe pas un arbre pour deux ou trois mauvais fruits qu'il peut porter chaque année ; il faut considérer l’ensemble de la récolte et ne pas sacrifier de grandes institutions à des inconvénients de circonstance. Quelle est donc celle de nos libertés qui ne prête pas à des plaintes même légitimes ? Laquelle ? Est-ce la liberté de la presse ? Est-ce la liberté des associations ? Est-ce la liberté parlementaire ?
Toutes les libertés offrent des inconvénients, mais les vrais amis de h liberté ne se plaisent pas à montrer les abus de la liberté ; ils savent les couvrir, au contraire, et si vous aimiez réellement la liberté d'association, la liberté de discussion, vous jetteriez un voile pieux et prudent sur certains abus qui se commettent ; vous ne viendriez pas les étaler ici comme des crimes et vous craindriez de compromettre la liberté elle-même.
Ce mouvement anversois dont on vous a engagés, avec raison, à tenir sérieusement compte, a de fortes racines en dehors d'Anvers.
- Un membre. - Surtout à l'étranger.
M. Coomans. - Oui, à l'étranger, je vais vous le démontrer. Il a de fortes racines au-dehors d’Anvers parce qu'il est impossible de nier la réaction dont je vous parlais tout à l'heure et qui se produit contre l'exagération des charges militaires.
Je n'admets pas avec d'honorables membres de cette assemblée que ce mouvement soit impopulaire et je suis même persuadé qu'ils ne le croient pas, car entre autres arguments que je pourrais produire, je n'en citerai qu'un, c'est que dans les dernières élections de Nivelles, dans l'avant-dernière, un honorable membre de la droite a échoué parce qu'il a voté les fortifications d'Anvers.
Je ne doute pas que toutes les personnes bien informées ne le reconnaissent et, chose singulière, ce sont les amis du ministère qui ont exploité ce grief contre M. Mercier, ce qui prouve que de grandes ingratitudes se manifestent ailleurs qu'à Anvers. (Interruption.)
Ce n'est pas à Nivelles seulement que cette tendance se montre, ma conviction profonde est que les développements excessifs donnés à notre établissement militaire sont insoutenables et qu'ils ne tarderont pas à être réduits dans des proportions qui effrayeront peut-être les hommes qui sont tombés dans cette exagération, et mon grand grief contre les fortifications d'Anvers est qu'elles rendent pour ainsi dire nécessaire le maintien d'une armée qui dépasse nos ressources et nos besoins.
J'ai été effrayé, dans les commissions militaires dont, moi indigne, j'ai fait partie, d'entendre dire par des hommes très compétents, que les fortifications d'Anvers ont besoin de nos cent mille hommes pour les défendre et que toute réduction de nos cadres constituerait un grand danger pour la sûreté de ces fortifications.
Voilà mon grief principal contre la loi du 10 septembre 1859, grief qui n'est pas nouveau, que j'ai eu l'occasion d'exposer plusieurs fois.
En conséquence, je suis de ceux qui pensent que le principal moyen, le seul moyen d'obtenir l'émancipation militaire d'Anvers est d'obtenir la réduction du budget de la guerre avec ses ap- et dépendances ; et c'est là le parti que seront forcés de prendre non seulement les Anversois, mais tous ceux qui, sur cette question de principe, sont de leur avis.
Du reste, ces reproches si multipliés d'inconséquence prodigués aux Anversois, sont étranges de la part des orateurs entendus jusqu'ici au nom du ministère, car la thèse anversoise n'est au fond que la thèse que les ministres actuels ont longtemps soutenue eux-mêmes, à savoir un budget de 25 militons au grand maximum, pas de fortifications nouvelles à Anvers, sauf un petit camp retranché, et surtout pas de grande enceinte, car la grande enceinte aurait infligé nécessairement à l'armée belge la honte d'une fuite préalable sous les murs d'Anvers. C'était la thèse ministérielle...
MfFOµ. - A quelle époque ?
M. Coomans. - Pour la réduction du budget de la guerre avant 1852.
MfFOµ. - C'est inexact.
M. Coomans. - Pour l'opposition à l'établissement de la grande enceinte, au mois d'août 1858.
MfFOµ. - Tout cela a été réfuté vingt fois d'une façon péremptoire. C'est un thème usé qu'il faut abandonner.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - C'est inexact ; j'ai soutenu avec vous dans la section centrale de 1856, l'établissement de la grande enceinte.
M. Coomans. – Oui, moins toutes les citadelles. L'honorable M. Rogier m'amène dans la section centrale de 1836, dont j'étais membre avec lui et avec l'honorable M. Veydt. Je ne suis pas fâché que l'honorable ministre réveille ce souvenir en moi, parce qu'il me fournit l'occasion de démontrer que si je suis un démagogue et un mauvais citoyen, je suis au moins très conséquent avec les idées que je soutenais dans la section centrale de 1856, à laquelle était déféré l'examen du projet d'agrandissement restreint déposé par l'honorable général Greindl au nom du cabinet d'alors.
Dans cette section centrale, l'honorable M. Rogier s'est donné beaucoup de peine pour faire échouer le projet de loi ; l'honorable ministre, ainsi que l'honorable M. Veydt, étaient heureux de me voir combattre avec eux le projet de loi ; ils me félicitaient même de mon opposition à une mesure présentée par mes amis politiques.
Nous rejetâmes donc à cette époque le projet d'agrandissement restreint et nous émîmes un vœu en faveur du projet tout à fait extra-officiel proposé par M. Keller, projet dont l'exécution ne devait rien coûter au pays, projet - ne l'oublions pas - qui ne renfermait pas de citadelles.
Le projet était donc, au point de vue anversois, très acceptable, et si l'honorable M. Rogier veut le renouveler, je m'y rallierai.
On a parlé de dogme politique ; les fortifications ne sont pas un dogme politique ; je ne les considère pas comme tel ; je pense, avec de très honorables officiers, que la défense nationale pouvait être réglée autrement qu'on ne l'a fait en 1859 ; je crois surtout avec des économistes très savants, très consciencieux et très bons citoyens, que c'est un anachronisme déplorable, en plein XIXème siècle, que de fortifier de grandes villes commerciales ; que désormais, surtout depuis les perfectionnements si redoutables réalisés par l'artillerie, on ne devrait fortifier que les lieux presque inaccessibles aux dommages de la bombe. Vous pouvez trouver cette idée aventurée, trop avancée, peu pratique ; libre à vous ; mais c'est la mienne.
Je ne veux aucune fortification autour des grands centres urbains ; par conséquent, je n'en veux pas à Anvers. C'est une idée d'économiste. Quant cette idée d'économiste est appuyée par des militaires et il y en beaucoup en Belgique qui n'ont pas approuvé la centralisation de la défense nationale à Anvers, je pense que je puis invoquer leur appui comme une considération très importante (interruption), au moins comme une circonstance atténuante de mon crime.
Est-ce, en effet, une défense nationale que celle qui consiste à nous défendre derrière les murs d'une ville à l'extrémité du territoire ; à ne pas permettre en définitive à l'armée de se battre en campagne, à la frontière envahie ! Ce n'est pas là un rôle national. Je suis très convaincu que l'armée n'en est pas fière du tout et qu'elle aimerait beaucoup mieux se défendre à la frontière, selon les vieilles habitudes de sa bravoure belge, que d'aller se défendre elle-même et pour elle-même dans les marécages du bas Escaut.
Messieurs, les prétentions d'Anvers sont parfaitement modérées ; selon moi, elles le sont trop, parce qu'elles se bornent à la suppression des citadelles et à une indemnité pour les servitudes militaires. Je ne pourrais y adhérer que comme à un minimum, car cette thèse, je la tiens pour trop étroite ; je la considère comme purement locale et je crois que c'est à cause de ce vice qu'elle n'a pas conquis les sympathies générales du pays.
Cette thèse doit être étendue ; il faut la rendre nationale et le triomphe ne tardera pas, je pense, à suivre. Seulement, on a de la patience ; le bon Dieu en a beaucoup ; nous devons en avoir ; il ne m'en manque pas, et, tout en persistant dans mes idées, tout en travaillant de grand cœur au succès d'une cause civilisatrice, même dans les meetings, je ne m'étonnerais pas de le voir ajourner.
Seulement aujourd'hui, il m'est impossible de ne pas voir qu'une question de parti domine tout ce débat. La question de parti n'existe pas à Anvers, mais elle existe ici ; et c'est à la faveur de cette question qu'on repousse les réclamations des Anversois. Les Anversois, messieurs, sont venus ici pour vous demander un jugement réfléchi et raisonné ; ce jugement, vous le leur refusez avec passion et vous les frappez d'un arrêt de proscription.
M. Allard. - Il ne s'agit pas de cela ; la loi doit être exécutée.
M. Coomans. - Je me borne à présenter ces observations au pays (page 168) et de la population anversoise, Quant aux injures perfidement parlementaires qu'on n'a pas épargnées aux élus d'Anvers, je n'en dirai rien : ils sont hommes à se défendre eux-mêmes et je ne doute pas que le soin de leur honneur ne les inspire bien.
M. Hayezµ. - Messieurs, les électeurs de l'arrondissement d'Anvers, en m’honorant du mandat de représentant, ont surtout eu en vue d'affirmer le prix qu'ils attachent à la conservation d'un des principes les plus précieux de nos institutions, celui de la liberté individuelle.
Ils n'ont pas assez tenu compte, je le sens, de mon insuffisance, de mon inexpérience des affaires publiques ; je comprends d'autant mieux la difficulté de ma tâche, que j'ai à combattre un orateur expérimenté, toujours attentivement écouté de la Chambre, et fort de ses fréquents succès ; je dois le combattre, moi qui n'ai point l'habitude de la parole, surtout devant une assemblée aussi imposante que celle-ci.
Cependant, je vais l'entreprendre, cette tâche ; j'espère que la conviction qui m'anime suppléera à l'insuffisance de mes moyens et m'aidera à l'accomplir. - Si je succombe, ce sera comme un soldat, tombant au poste qui lui était confié.
Vous comprendrez, messieurs, que pour ma première bataille parlementaire, j'ai besoin de réclamer toute l'indulgence de la Chambre, j'espère qu'elle ne me fera pas défaut.
Je ne traiterai que la partie militaire de la question qui nous occupe, celle avec laquelle je suis le plus familiarisé.
Je m'attacherai surtout à rencontrer les points que l'honorable ministre de la guerre a traités ; mais il est possible que j'en omette quelques-uns, car le discours de M. le ministre ne m'est pas encore parvenu ; je n'ai pour seul guide que ma mémoire et les quelques notes que j'ai prises hier pendant la discussion.
Voyons d'abord la sécurité solennellement promise à la ville d'Anvers, l'a-t-elle obtenue ? Non, car elle peut, dans l'état actuel des choses, être bombardée de deux points différents de la rive droite :
De Merxem, situé sur un terrain inaccessible aux inondations et propre à recevoir des batteries.
De la citadelle du Nord ; il ne faut pour cela qu'un siège, une prise de la ville et la retraite de l'armée de défense dans cette citadelle.
Il y a tout à présumer que l'armée, retirée dans la citadelle du Nord, y fera son devoir, c'est-à-dire que, autant que possible, elle se défendra jusqu'à la dernière extrémité. Or, il n'est pas raisonnable de contester que, dans ce cas, la ville aurait considérablement à souffrir pendant ce combat, d'autant plus que cette citadelle ne pouvant pas être attaquée par l'extérieur, l'ennemi devrait absolument en faire le siège par l'intérieur de la ville.
L'ennemi établirait donc ses batteries de ce côté ; la citadelle y répondrait ; on peut facilement prévoir le reste.
Je ne crois donc pas que la sécurité promise à la ville d'Anvers lui ait été donnée.
M. le ministre de la guerre a dit qu'on ne bombardait plus les villes de nos jours, et pour soutenir cette thèse il a donné deux raisons : une raison d'économie, et une raison d'humanité.
Or, messieurs, je ne vois pas trop que la raison d'économie prévale beaucoup de nos jours. L'histoire nous offre un exemple qui semble prouver que, depuis longtemps, l'on trouvait excessives les dépenses nécessaires à l'exécution d'un bombardement.
Au XVIIème siècle, la ville d'Alger fut bombardée ; ce bombardement détruisit une notable partie de la ville et l'histoire rapporte que le bey d'Alger dit : Si S. M. Louis XIV m'avait donné la moitié de ce que ce bombardement lui a coûté, j'aurais mis le feu à toute la ville.
De nos jours, messieurs, on ne s'arrête guère à la considération de» dépenses.
L'accroissement constant des armées permanentes et des dépenses qu'elles occasionnent aux pays qui les entretiennent, réfute suffisamment, je pense, cette partie de l'argumentation de M. le ministre de la guerre.
Il s'est dit encore : On ne bombarde plus dans notre siècle. Il y a cependant plus d'un fait qui prouve le contraire : il y a eu le bombardement de Copenhague, celui de Gènes, celui de Sébastopol, celui de Sinope, celui de Gaëte, celui de Charlestown dont M. le ministre de la guerre nous parlait hier. Enfin, il y a eu un autre bombardement dont chacun de nous a particulièrement conservé le souvenir ; je veux parler du bombardement d'Anvers.
M. Coomans - Et celui de Bruxelles ?
M. Hayezµ. - Plus anciennement, en effet, Bruxelles a été bombardé plusieurs fois ; mais je veux m'en tenir aux faits modernes. Anvers, donc, a été bombardé en 1830, et chacun sait les dégâts dont la ville eut à souffrir.
Et, messieurs, quels moyens a t-on employés pour bombarder la ville d'Anvers ?
Il y avait uniquement deux mortiers dans la citadelle ; ces deux mortiers n'ont tiré que pendant deux heures, et vous avez vu peut-être les ruines qu'ils ont amoncelées.
Outre la question de dépense il y a, nous a dit M. le ministre de la guerre, une question d'humanité qui fait renoncer de nos jours aux bombardements.
Or, messieurs, je ne sache pas que, quand deux armées sont en présence, elles se préoccupent beaucoup de la question d'humanité ; il n'existe malheureusement que trop d'exemples à l'appui de cette assertion. La question d'humanité ne pouvait, en 1830, empêcher le défenseur de la citadelle sud d'Anvers de donner des ordres pour qu'on mît le feu aux magasins d’artillerie qui se trouvaient sur les bords du fleuve.
Occupant une position militaire, comme commandant, je manquerais à mon devoir, me semble-t-il, si je négligeais de détruire les ressources que je devrais abandonner, et dont l'ennemi pourrait profiter à mon détriment.
Je crois que personne ne me blâmerait d'agir ainsi. Dans ce cas, il ne s'agit que de matériel ; mais dans une ville assiégée, il y a des magasins ; on ne sait pas précisément où ils sont situés, et cependant on a intérêt à les détruire parce qu'ils sont destinés à fournir à l'armée assiégée les ressources nécessaires à prolonger sa résistance. On cherche naturellement à atteindre ce but, mais les bombes n'arrivent pas toujours précisément à leur adresse, la ville souffre, les maisons sont incendiées, les habitants deviennent nécessairement victimes.
L'honorable ministre de la guerre a dit qu'Anvers, au moyen de ses fortifications, était beaucoup plus en sûreté que tout le reste du pays. Cette question mérite d'être examinée de près. A certain point de vue, cette assertion est vraie.
On sait qu'une armée envahissant un pays ennemi se conduit avec une modération relative quand il prend possession d'une ville ouverte ; mais en est-il de même pour les villes que cette armée assiège, que cette armée prend d'assaut ? Il est certain que les villes qui ne sont pas fortifiées auraient à souffrir du passage des troupes, mais elles ne seraient pas exposées à des violences, à des désastres aussi grands que celles qui devraient passer par toutes les péripéties d'un siège.
Sous ce rapport je crois qu'Anvers a le désavantage. La destruction, messieurs, suit l'entrée d'une armée ennemie dans une ville prise d'assaut. Même ce n'est pas toujours le fait d'ennemis ; mais quelquefois des amis, ou de soi-disant amis s'en rendent coupables. Je citerai un exemple que je trouve dans un ouvrage bien connu de tous les militaires, dans un ouvrage du major Brialmont : cet ouvrage a été publié il y a plusieurs années. Il s'agit de la guerre d'Espagne, du siège de Badajoz. Les Français s'étaient emparés de cette ville, les Anglais voulaient la reprendre ; il s'en est suivi un siège ; en définitive, les Anglais y sont rentrés en vainqueurs.
Je ne vous citerai pas le texte en entier, pour ne pas abuser des moments de la Chambre, je me bornerai à vous en donner la substance. L'auteur dit que pendant deux jours consécutifs les Anglais, alliés des Espagnols, entrant dans Badajoz en alliés, en libérateurs, ont tout mis à feu et à sang, pillé la ville pendant deux jours, massacré les hommes et se sont portés envers les femmes à tous les excès d'une soldatesque effrénée et exaspérée par la lutte.
Voilà le sort qui serait réservé à la ville d'Anvers si sa triste destinée était de soutenir un siège. Pour écarter la crainte que doit produire un avenir aussi sombre, l'honorable ministre de la guerre a dit que, d'après le système actuel des fortifications d'Anvers, l'ennemi aurait de grandes difficultés à vaincre pour s'en emparer ; il devrait se rendre maître de la ceinture des forts soutenue par un camp retranché sous Anvers ; ce camp retranché étant forcé, après une grande résistance, doit déterminer la retraite de la garnison dans l'enceinte continue.
Cette enceinte est formidable par elle-même et en état de fournir une résistance très grande, très prolongée. Je l'admets sans contestation, mais qu'arrivera-t-il après cette résistance ? L'armée devra se réfugier dans le réduit qu'on lui prépare ; elle ne le fera pas après .avoir conclu une capitulation derrière les retranchement de la grande enceinte, elle laissera, par conséquent, la ville à la merci du vainqueur, et l'on sait ce qu'est cette merci.
A propos de la citadelle d'Anvers, M le ministre de la guerre a dit que c'était un réduit indispensable à la position. Ce réduit indispensable, quel est-il ? Examinons.
(page 169) Il a été construit dans la partie la plus malsains des environs d'Anvers. C'est reconnu ; il n'y a pas de contestation possible, et pour augmenter l'insalubrité de cette partie du terrain, il y aura les inondations, qui pourront entourer, si l’on veut, tout le réduit. Il y a autre chose encore : le terre-plein de cette citadelle est de beaucoup en dessous du niveau d’une marée ordinaire de l’Escaut. Il est donc parfaitement humide. Si vous voulez, messieurs, vos donner la peine de faire une promenade jusque-là, vous vous assurerez de l’état dans lequel il se trouve, vous pourrez constater par vous-mêmes s’il est possible d’y rester, je ne dirai pas 8 jours, mais 3 jours sans y contracter des fièvres qui mettent tant d’hommes hors de service.
Une conséquence naturelle de cet état de choses, c'est celle-ci : L'armée qui se serait réfugiée dans ce réduit, si elle n'était pas forcée de capituler, par suite d'une attaque de l'ennemi, serait forcée de le faire devant la fièvre. Il ne faudrait pas 8 jours à cette cruelle maladie pour mettre les 9/10 des hommes hors de combat.
MfFOµ. - Alors cette redoutable citadelle ne peut présenter aucun danger pour Anvers !
M. Hayezµ. - Pour que cette citadelle fût rendue habitable, il faudra y exécuter des travaux considérables et coûteux.
La première opération à faire sera celle d'exhausser le terrain, de le mettre au-dessus du niveau des marées. Mais je vous prie de remarquer que dans cette partie du pays, la terre n'est pas en abondance ; il faudra chercher cette terre au loin, très loin.
Les frais seront donc beaucoup plus considérables que si l'on pouvait creuser des fossés pour en retirer la terre indispensable à l'exhaussement du terre-plein.
Cette manière de se tirer d'affaire serait complètement impossible ici, parce que, si l'on s'avisait de creuser les fossés plus qu'ils ne le sont, le parapet s'affaisserait insensiblement et glisserait dans les fossés. C'est ce qui arrive à quelques-uns des forts établis au bord de l'Escaut.
En second lieu, messieurs, une garnison qui est destinée à vivre dans un réduit, doit pouvoir s'abriter contre les intempéries des saisons, contre le feu de l'ennemi et prendre du repos.
En définitive, l'homme, quoique dur à la fatigue, exige des ménagements, et une des puissances que nous prenons souvent pour modèle sous plusieurs rapports, nous donne à cet égard un exemple qu'il ne serait pas mauvais de suivre.
L'Angleterre soigne beaucoup ses soldats, peut-être à cause de la difficulté du recrutement ; et elle les conserve plus longtemps que les autres puissances.
Par conséquent le renouvellement n'est pas aussi fréquent et l'armée anglaise compte dans ses rangs beaucoup plus de vétérans que les armées des autres puissances qui, ayant moins de souci de la santé de leurs soldats, en perdent un plus grand nombre par des causes autres que le feu de l'ennemi.
Donc à mon sens, la garnison retirée dans le réduit préparé à cet effet ne pourra y faire une très longue résistance. Ces réduits ne pouvant avoir des communications avec la rive gauche, qu'arrivera-t-il ? C'est que cette garnison sera forcée, au bout de peu de temps, de capituler, de se livrer à merci à l'ennemi.
Elle subira donc toutes les conséquences de cette position et la fraction de l'armée qui aura échappé à la prise de la ville sera privée des défenseurs abandonnés dans la citadelle du Nord.
L'honorable ministre de la guerre a dit, hier aussi, que la ville d'Anvers avait un système de défense tellement constitué, qu'elle était presque imprenable, que la résistance des forts du camp retranché et de l'enceinte pouvait être indéfinie.
Eh bien, s'il en est ainsi, et je serais heureux d'en être convaincu, la citadelle du Nord, comme réduit, est inutile. Quel devrait être alors le réduit naturel ?
C'est la grande enceinte. Dans cette grande enceinte le soldat trouvera des abris et un repos nécessaire dans une position bien plus favorable que dans la citadelle du Nord.
Du reste, la pensée qui a présidé à la conception de cette citadelle, n'est pas tellement bien conçue, qu'elle échappe à toute critique. Beaucoup d'officiers de notre armée se permettent, malgré la compression qui pèse sur eux, de dire à cet égard leur opinion, et certainement je crois que si M. le ministre de la guerre pouvait entendre tout ce qui se dit, s'il pouvait, par un talisman quelconque, lire dans l'âme des officiers qui sont appelés à juger l'œuvre, il y verrait probablement des choses qui l'étonneraient beaucoup et qui ne seraient pas d'accord avec ses idées.
D'un autre côté, tous les étrangers qui ont visité cette forteresse ne s'accordent pas à l'admirer, et cependant les politesses faites à ces étrangers les engageaient en quelque sorte à ne pas se prononce d'uns manière trop ouverte.
Je pourrais, messieurs, vous citer à ce propos une brochure qui a été publiée en France, il y a, je crois, deux ans. C'est un examen de tout le système des fortifications d'Anvers. Cette brochure n'indique pas le nom de son auteur, et je ne le connais pas ; elle ne porte que des initiales. Mais j'ai lu cet ouvrage et je n'ai pas trouvé les opinions qui y sont développées très favorables aux fortifications d'Anvers ; je trouve ses critiques fort justes souvent, et je sais que bien des personnes, à même d'apprécier la question, sont de mon avis.
Il a été dit également que la citadelle du nord était destinée à défendre les passes de l'Escaut. Je vous avoue que si je ne l'avais pas appris par les discussions et les publications nombreuses qui se sont produites depuis le commencement de l'établissement des fortifications d'Anvers, cette assertion m'aurait beaucoup étonné, et vous vous en étonnerez vous-mêmes, quoique n'étant pas tous particulièrement initiés aux constructions militaires, si vous vous donniez la peine de vous rendre à cette citadelle.
Ce fort, qui doit défendre toutes les passes de l'Escaut, n'a que deux faces qui regardent le fleuve : l'une est tournée vers l'aval l'autre regarde la rade.
La première est destinée à battre les vaisseaux qui voudraient s'approcher d'Anvers ; la seconde est destinée à canonner ceux de ces vaisseaux qui, étant parvenus à échapper au feu de tous les forts, seraient arrivés devant la ville.
Or, messieurs, voici ce qui arrive. Les canons placés sur la face qui regarde le côté aval du fleuve se trouveraient à peu près à 400 ou 500 mètres de la passe. Cette distance, comme chacun le sait, est trop grande pour que l'on puisse combattre avec efficacité des navires cuirassés. Plus l'armure dont un navire est revêtu est forte, plus les projectiles qui sont appelés à la détruire, doivent la frapper de près Ces projectiles perdent rapidement de leur force, et je soutiens qu'à la distance de 400 à 500 mètres, les boulets seront impuissants à porter la moindre atteinte à des bâtiments cuirassés, d'autant plus qu'ils frapperont obliquement.
Il y a une autre considération d'un grand poids : c'est que cette face n'est pas située sur la rive même de l'Escaut ; elle en est à 200 ou 300 mètres au moins.
Devant elle, qu'est-ce qu'il y a ? Il y a la digue du fleuve. Or, vous connaissez tous l'Escaut ; vous savez que les marées montent de plusieurs mètres, d'où il résulte que cette digue doit avoir une hauteur très grande. Eh bien, les navires qui voudraient remonter le fleuve, pourraient, à cause de la hauteur de la digue, se soustraire aux atteintes des projectiles de la batterie placée sur la face d'aval de la citadelle.
Ce que je vous dis là n'est pas une assertion dénuée de fondement. En 1855, je crois, S. A. le comte de Flandre a fait une excursion dans le bas Escaut. Il était dans une des embarcations de la marine royale. Cette embarcation était conduite par les officiers de marine que nous avions à cette époque à Anvers, entre autres M. le commandant Petit et M. le commandant Van Haverbeek. Mgr. le comte de Flandre était désireux de connaître le cours de l'Escaut et fut parfaitement renseigné. On lui fit remarquer qu'en amont du fort Sainte-Marie il y avait une passe complètement à l'abri, derrière la digue, de tous les projectiles partant du fort du Nord, alors existant, et placé cependant plus favorablement que le fort actuel, quoique moins étendu. On ne pouvait même voir le fort caché par la digue.
Les conséquences de ceci, quelles sont-elles ? C'est que des navires ennemis, ayant passé le fort Sainte-Marie, pourraient très facilement s'arrêter dans cette passe et bombarder tout à leur aise et la citadelle du Nord et la ville. La distance le permet.
Le fort qui devait réellement défendre les passes de l'Escaut, était mentionné dans la loi de 1859. Il était mentionné au n°4 de l'annexe n°1. Ce fort était réellement destiné à battre les passes de l'Escaut. Il devait être établi, notez-le, sur la rive gauche et non sur la rive droite ; près du fleuve et non à plusieurs centaines de mètres et juste là où il doit être, pour empêcher l'accès de la passe dont je viens de parler.
Ce fort, messieurs, qu'est-il devenu ? Rien, on n'y a pas mis la main malgré son importance incontestable ; il est encore à l'état de mythe.
Je sais bien qu'on m'a dit, je n'affirme pas du reste, que l'honorable ministre de la guerre faisait faire des études en ce point, et qu'il se proposait d'établir ce fort. S'il en est ainsi, c'est parfaitement bien. Ce fort est dans la loi. Ce fort peut être établi et pour l'intérêt de la défense, ce fort doit l'être.
L'autre face de la citadelle du Nord, celle qui regarde la rade, cette face ne remplit pas mieux son but que sa sœur ; elle regarde la rade obliquement, d'un air de mauvaise humeur ou de regret de ne la pouvoir (page 170) mieux défendre ; il est certain que tous les coups de canon tirés de cette face et qui manqueraient les vaisseaux contre lesquels ils seraient dirigés, tomberaient sur la ville, dans sa partie la plus centrale, aux environs ou même sur la cathédrale.
Voilà donc un fort qui, bombardement à part, renferme une autre cause de destruction pour la ville d'Anvers.
A mon sens, messieurs, la citadelle du Nord est complètement inefficace pour défendre le cours du fleuve. Le fort relativement à la construction duquel il paraît qu'on fait maintenant des études remplirait beaucoup mieux cette destination, et il est prescrit par la loi.
La citadelle du Nord a paru jusqu'à présent si peu utile, que dans les nombreux projets élaborés pour les fortifications d'Anvers, il n'en est pas un seul qui fasse mention d'une citadelle au Nord ; mais tons, remarquez-le, tous parlent d'une batterie casematée, placée sur la rive même du fleuve et, par conséquent, embrassant une large partie de son cours et ne pouvant être gênée par la digue dans laquelle elle aurait été construite.
Une telle batterie serait parfaitement efficace pour battre les navires qui voudraient s'approcher.
Pour obtenir une bonne défense du fleuve, c'est en aval qu'il faut l'établir ; sans cette condition je crois que l'accès de la ville par le fleuve sera toujours possible, je dirai même qu'il n'offrira pas de grandes difficultés.
Nous avons en aval d'Anvers plusieurs forts qui défendent l'accès de la ville ; le fort Lillo, le fort de Liefkenshoek et le fort Sainte-Marie, dans les environs duquel, mais sur l'autre rive, devrait se trouver le fort Philippe pour la reconstruction duquel les fonds ont été alloués depuis 1856.
Le fort Sainte-Marie, qui a reçu dernièrement des développements très considérables, est admirablement placé pour la défense du fleuve. Il est construit à la rive même, et je pense que s'il n'est pas entièrement terminé à l'heure qu'il est, on se propose de lui donner de nouveaux développements et de procéder, dans le délai le plus court, à son entier achèvement.
C'est dans cet endroit surtout, messieurs, qu'à mon sens, la défense du fleuve doit être établie solidement, très solidement ; car si ce point est franchi par les navires ennemis, on peut dire que la position tombe, ou, tout au moins que les vaisseaux remontant le fleuve atteindront la ville sans grande difficulté.
Je me rencontre, messieurs, dans cette assertion, avec le même officier très distingué dont je parlais tout à l'heure et qui vient de publier un ouvrage intitulé : « Etudes sur la défense des Etats. »
Dans cet ouvrage, l'auteur, dont je ne crains pas de faire un éloge très mérité, donne le plan d'une ville type, ce qui est du reste l'habitude de tous ceux qui écrivent sur les fortifications ; ils ont une idée, un plan à eux, et ils la développent.
M. le major Brialmont a fait le plan type d'une ville située sur un fleuve. Le cours de ce fleuve a beaucoup d'analogie avec celui de l'Escaut à Anvers ; à quelques modifications près, les forts placés sur les rives de ce fleuve imaginaire ressemblent beaucoup aussi aux forts qui sont maintenant établis sur les rives de l'Escaut. Dans ce plan, il y a même une autre ressemblance ; la ville modèle reçoit deux citadelles, l'une au nord, l'autre au sud. Cette disposition semblerait justifier celles qui ont été prises à Anvers, si l'on ne comprenait que des considérations de convenances empêchaient l'auteur de supprimer ces forts. Mais, remarquons encore que la citadelle Nord, de la ville modèle, n'est pas disposée comme la citadelle Nord à Anvers ; elle est tracée de manière que ses batteries défendent la rade sans atteindre la ville, sans être exposées à la détruire.
La ville modèle a son réduit sur la rive gauche.
La citadelle du Sud existe également dans la ville modèle, mais ici encore il y a une différence très notable avec celle d'Anvers : la première fait suite à l'enceinte continue ; la nôtre est reliée à l'enceinte continue par un parapet formant un rentrant vers la ville, et cette disposition dans l'enceinte continue semble faite pour se ménager, dans un avenir plus ou moins lointain, la possibilité de supprimer complètement la citadelle du Sud.
Du reste, messieurs, cette citadelle parfaitement bâtie, qui a fait l'admiration d'ingénieurs distingués, n'est pas en harmonie avec les fortifications nouvelles, établies d'après un tout autre système.
Il ne serait donc pas étonnant que, spontanément, on en vînt à la supprimer ; il me paraît que, dans cette prévision, on ne doit pas s'étonner que les habitants d'Anvers, dès aujourd'hui, demandent à en être délivrés.
Messieurs, on a beaucoup parlé de la légalité de la citadelle du Nord. Elle a été l'objet de débats très animés, très longs, et, comme il arrive dans toutes les questions qui se discutent longuement, le fond a été emporté par la forme, et, en définitive, on ne savait plus trop sur quoi on raisonnait. Je crois cependant pouvoir dire que les partisans de la citadelle du Nord ont peu de bonnes raisons à faire valoir pour légitimer son établissement.
Et pourquoi ? C'est que les arguments qu'ils invoquent pour légitimer cette création ont été puisés dans deux documents qui n'ont aucun caractère légal. L'un de ces documents est une lettre d'un particulier d'Anvers ; l'autre, une note envoyée par la section centrale à M. le ministre de la guerre, et dans laquelle les mots « citadelle du Nord » étaient écrits.
Remarquons ici que la demande et l'envoi de cette note n'avaient pas eu lieu à propos de la citadelle du Nord. Il s'agissait dans le message d'une question touchant la marine.
Je demande si l'on peut invoquer cette note comme un argument ? lI me semble tout naturel que quand on veut établir la légalité d'un fait qui a besoin de cette justification, on ait tout d'abord recours aux documents qui seuls peuvent établir cette légalité ; il était donc tout simple de recourir au texte formel de la loi.
On a dit que cette loi laisse complètement à la disposition de M. le ministre de la guerre l'établissement des fortifications d'Anvers ; qu'il n'y était rien dit des ouvrages à construire, que tout devait se faire suivant le bon plaisir de M. le ministre de la guerre.
Messieurs, il n'en est pas tout à fait ainsi. Que dit, en effet, la loi de 1859 ? Elle alloue une certaine somme pour travaux publics, sans désignation de travaux civils ou de travaux militaires. Cette loi est toute de finance. Je lis dans l'exposé des motifs : « Quant à la nature et à l'importance des ouvrages à établir autour d'Anvers, » notez ces deux mots, « nature » et « importance » ; ils sont remarquables pour la cause.
Cette nature et cette importance sont déterminées clans l'annexe n°1. Cette annexe n° 1 est celle-ci ; vous pouvez tous la vérifier, si vous en avez le désir, elle confient quatre articles dans lesquels sont renfermés tous les travaux qu'il est légalement permis d'établir autour d'Anvers ; il n'y a pas d'autres documents qui fournissent des éclaircissements d'aucun genre. Voici ce que porte l'article premier de l'annexe :
« La construction d’une enceinte fortifiée partant de l’Escaut, entre le fort du Nord et l’ancien fort Piémontel, et passant entre le Dam et Merxem, et entre Borgerhout et Deurne, puis longeant les forts n°1, 3, 5, 6 et 7. »
C'est clair ; d'après le premier article, l'enceinte doit partir de l'Escaut, et non pas d'une citadelle. Je dirai même plus : l'établissement de la citadelle est un empêchement à l'exécution formelle de la loi, puisque, la citadelle existant, il est impossible de conduire l'enceinte jusqu'aux rives de l'Escaut.
Le second article de l'annexe porte :
« L’établissement d’un système de forts détachés dont le plus rapprochés se trouve à environ 2,500 mètres de la nouvelle enceinte. »
Il y aurait lieu d'établir ici une discussion sur les distances qui n'ont pas été observées ; mais je passe. Le troisième article de l'annexe porte :
« La construction d'un ouvrage destiné à servir de réduit à un fort de terre à construire, en cas de siège, devant Merxem. »
Ce fort, ce réduit prescrit par la loi, n'est pas encore commencé ; il a pour objet d'empêcher l'ennemi de s'établir sur un terrain qui ne peut pas être atteint par les inondations ; j'en ai parlé tout à l'heure.
Nous arrivons au n°4 de l'annexe, qui est très important dans la question actuelle ; il est ainsi conçu :
Ce fort, qui devait être construit, qui le sera peut-être sous peu, si ce qu'on m'a dit est vrai ; ce fort devait être situé au nord de la ville d'Anvers, mais sur la rive gauche ; et c'est sa position au nord de la ville qui, j'en suis certain, a fourni l'équivoque qui a existé longtemps entre la citadelle du Nord et le fort du Nord ; on a confondu, pendant la discussion, la citadelle du Nord avec ce fort qui était au nord de la ville et qu'on pouvait raisonnablement qualifier de fort du Nord.
Je n'ajouterai rien sur la légalité de la citadelle du Nord ; je laisse à mes honorables collègues, plus versés que moi dans l'étude des lois, le soin de compléter ma démonstration.
J'espère, messieurs, avoir, par cette exposition très simple, très naturelle des faits, lavé les Anversois, mes concitoyens, des reproches très peu mérités dont ils sont l'objet, puisque, en définitive, les Anversois (page 171) n'ont réclamé que l'exécution de la loi ; et, en détruisant la citadelle du Nord, on ne ferait que se conformer strictement à la loi.
Loin donc de s'insurger contre la loi, les Anversois ne demandent qu'une chose, une chose très simple, très légale, à laquelle personne, je pense, ne pourra se refuser : c'est l'exécution stricte, entière, sincère de la loi que vous avez décrétée.
M. le ministre de la guerre nous a parlé de la grande commission militaire, et, si j'ai bien compris, il a voulu dire que cette commission avait été appelée à se prononcer sur le système de fortifications à établir autour d'Anvers. Ceci n'est pas précisément conforme à la vérité. La grande commission militaire dont il s'agit, composée de 27 membres, appartenant tous à l'armée, était appelée uniquement à régler le système de défense, non pas d'Anvers, mais du pays.
Les systèmes de défense, vous le savez, messieurs, varient suivant les époques, suivant les progrès de la science militaire.
En 1815, on avait créé un système de défense pour la Belgique, système que l'on croyait parfaitement suffisant et très efficace pour conserver son intégralité. Plus tard, on en vient à dire que le grand nombre de nos places fortes était plutôt nuisible qu'utile à la défense du pays.
Plus tard encore, les idées marchent toujours, on en vint à dire que le système rationnel à établir pour la défense du pays était celui d’une concentration générale de toute l'armée sur un seul point du pays.
C'est sur cette question-là et sur cette question seulement que la grande commission militaire était appelée à se prononcer. Il n'était pas question du tout, alors, de l'établissement des fortifications d'Anvers ni du système qu'il fallait adopter pour ces fortifications. Comme annexe à cette question générale sur laquelle la commission devait se prononcer, il y en avait une autre encore, savoir la détermination du point de concentration de l'armée. Après des discussions très longues, très vives quelquefois, on désigna Anvers. Mais il s'en est fallu de beaucoup que cette décision fût prise à l'unanimité ; car je crois pouvoir affirmer qu'elle ne l'a été qu'à la majorité de 14 voix contre 15.
M. Coomans. - Une voix de majorité ! Cela s'est encore vu.
M. Hayezµ. - M. le ministre de la guerre a parlé de Sébastopol ; il a cité la défense énergique de cette ville. Ce siège est assez mémorable, assez rapproché de nous pour que nous en sachions encore les détails ; il est donc inutile de les rappeler, mais il est nécessaire de dire que Sébastopol comprend deux villes : une partie située au nord, séparée de la partie sud par un port très large, presque en bras de mer ; cette disposition a fait la force de cette ville. Qu'est-ce qui a permis à sa résistance de se prolonger aussi longtemps contre les armées le plus aguerries de l'Europe, contre des armées qui ne manquaient ni de matériel, ni d'hommes, ni de force morale, et d'instruction ? Ce qui a permis à Sébastopol de prolonger sa résistance, c'est d'abord que les communications entre le nord de la ville et le reste du pays n'étaient pas interrompues. La garnison pouvait se renouveler ; la partie de la garnison qui était fatiguée par le service pouvait aller réparer, dans la partie nord, ses forces épuisées. Ce point, messieurs, est très important pour la défense d'une place ; il est de la dernière importance, pour prolonger sa résistance, que l'armée puisse avoir un point de refuge où il soit possible aux troupes de prendre le repos nécessaire à la réparation des forces épuisées.
Je ne discuterai pas si l'on a bien fait de concentrer toute la défense du pays dans Anvers ; c'est un point tout à fait étranger à la question que je traite en ce moment ; il doit être, ce me semble, considéré et accepté comme un fait accompli.
Cette position si avantageuse de Sébastopol, cette position si favorable d'une défense prolongée peut être obtenue pour Anvers.
Anvers, comme Sébastopol, peut former deux villes : l'une, la ville principale, sur la rive droite, qui attirera probablement les coups de l’ennemi ; l'autre ville, sur la rive gauche, dans laquelle la partie de la garnison fatiguée par le service pourrait aller se reposer. Mais à quelle condition cet avantage peut-il être obtenu ? D'une manière très simple, en créant sur la rive gauche un véritable réduit, un réduit peu coûteux et qui augmenterait considérablement la force défensive de la place.
Dans l'état actuel des choses, la rive gauche, attaquée par un ennemi entreprenant, peut tomber en sa possession au bout de très peu de temps ; qu'arrivera-t-il ? C'est que l'ennemi établi là bombardera à son aise la ville.
La question d'humanité subsistera toujours, mais l'avantage d'enlever aux défenseurs de la ville les ressources dont ils disposent sera plus puissant qu'elle. Il est donc essentiel de munir la rive gauche de l'Escaut d'une enceinte qui ne serait que la continuation de l'enceinte construite sur la rive droite pour garantir cette partie de la ville.
Pour construire ce réduit il faudra que la Chambre alloue les fonds nécessaires à son établissement. Mais la dépense ne sera pas aussi considérable qu'on voudrait bien le croire au premier abord. La citadelle du Nord, comme je l'ai dit, est très loin d'être achevée ; les travaux qui doivent être exécutés pour la rendre habitable, pour qu'elle prenne l'apparence d'un réduit, consistent en bâtiments casemates, hôpitaux, casernes ; ces bâtiments coûteront beaucoup, la dépense approximative est évaluée à 4 ou 5 millions.
Cette évaluation n'est pas, je crois, exagérée, car l'établissement de bâtiments aussi grand, aussi lourds, aussi considérables que ceux qui sont nécessaires dans cette citadelle, exige des fondations solides. Tout le monde sait ce que coûtent de pareilles fondations. Je pourrais, pour appuyer ce que j'avance, rapporter certain bruit qui m'est parvenu. On dit que des constructions de la citadelle du Nord sont sur le point de tomber ou du moins s'affaissent.
Il s'agit d'une porte dont un des côtés incline à droite, tandis que l'autre tend vers la gauche. Entre ces deux côtés et dans un temps donné, il y aura un divorce complet. Je n'accuse pas l'officier du génie qui a été chargé de diriger cette construction ; je le connais depuis longtemps, je puis attester que c'est un des officiers les plus distingués, les plus pratiques, les plus propres à établir avec le plus d'économie possible des bâtiments de cette nature.
Si donc il arrive malheur à l'une de ces constructions, ce n'est pas sa faute, il a réclamé assez souvent les moyens d'arriver à un but satisfaisant ; ces moyens lui ont été refusés.
Ce que je vous dis relativement à la ruine qui menace une partie des constructions nouvelles de la citadelle du Nord, je ne l'ai pas encore vérifié par mes propres yeux ; que M. le ministre de la guerre me dise qu'il n'en est rien, et je retire mes paroles.
Je crois vous avoir prouvé que la citadelle du Nord, qui a donné lieu à l'agitation anversoise, car cette agitation n'a pas d'autre cause que cette malencontreuse conception, renferme trois vices capitaux : elle ne défend pas le fleuve, elle ne peut servir de réduit, en troisième lieu elle n'est pas légale et, n'étant pas autorisée par la loi, elle ne pouvait pas être construite.
En la faisant disparaître, je crois qu'on rendra un grand service au corps du génie.
La réputation de notre génie militaire n'est pas à faire ; ce corps est connu, très bien connu, très avantageusement connu aussi bien dans le pays qu'à l'étranger. Tous les connaisseurs qui verront la citadelle du Nord ne pourront s'empêcher de dire ou de penser, tout au moins, que c'est une conception malheureuse ; je ne parle ici que de l'idée, non de l'exécution. Indépendamment de beaucoup d'autres raisons, je pense que pour conserver intacte la réputation de ce corps... (Interruption.)
Aimez-vous mieux que je dise que cette réputation est mauvaise ? Je pense, dis-je, qu'il serait avantageux de faire disparaître une œuvre qui jure avec cette excellente réputation.
Comme je l'ai affirmé, la citadelle du Sud n'a plus de raison d'être ; elle n'est pas en harmonie, messieurs, avec le nouveau système, et la manière dont on l'a rattachée à l'enceinte en cours d'exécution semble prouver qu'on a voulu se ménager la possibilité de la faire disparaître un jour. Le produit de la vente des terrains qu'elle occupe, joint à la somme nécessaire à l'achèvement de la citadelle du Nord, couvrirait, à peu de chose près, la dépense qu'occasionnerait l'exécution d'un réduit, d’un véritable réduit sur la rive gauche.
Je ne veux pas prétendre à une compétence complète sur la matière, tant s'en faut ; cependant je vous prie de remarquer que les études de toute ma vie lui ayant été consacrées, j'ai bien quelques droits pour être admis à énoncer une opinion.
Eh bien, c'est à la suite d'études longues et minutieuses que je déclare ici, hautement, et avec la conviction la plus profonde, que le système en voie d'exécution ne satisfait pas aux nécessités de sa défense nationale ; qu'il est inefficace, ruineux même pour le pays ; que si l'on refuse de consentir à un examen ultérieur, il ne se passera pas longtemps avant que les illusions ne soient évanouies ; la vérité se fera jour, malgré les peines que les uns se donnent pour la cacher, les autres pour ne pas la voir : alors, mais trop tard, on reviendra sur le système proposé aujourd’hui, repoussé par M. le ministre, à mon grand étonnement, je l’avoue, car il lui donnait le moyen de sortir d’une positon fort embarrassante, et l’on s’étonnera, alors, de ne pas l’avoir mieux accueilli.
Cette déclaration que je viens de vous faire est ma conviction la plus profonde, je suis prêt à l'affirmer sur mon honneur militaire, qu'on ne révoquera pas en doute, j'ose l'espérer ; cette déclaration sera entendue dans le pays et elle aura peut-être quelque poids sur l’opinion, car le pays ne pourra pas croire, ne voudra pas croire que, pour lui témoigner ma (page 172) reconnaissance de la chaude sympathie qu'il m'a montrée naguère, dans une occasion solennelle, je puisse avoir l'intention de le tromper en cherchant à faire prévaloir des théories propres à compromettre son existence politique.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, le discours de l'honorable M. Hayez est la négation de la défense nationale, je dirai presque la négation de la nécessité de l'armée.
Plusieurs points de ce discours m'ont frappé.
Ce sont d'abord des contradictions qui s'y rencontrent et puis l'ignorance de certains faits, ignorance à laquelle je ne m'attendais pas de la part de l’honorable M. Hayez.
Je signalerai les contradictions les plus frappantes.
L'honorable M. Hayez ne veut pas de la citadelle du Nord pour réduit de la position d'Anvers. Un des principaux motifs qu'il allègue, c'est que le sol de la citadelle est malsain, et que les troupes n'y pourraient pas rester huit jours sans être décimées par la fièvre. Or, veuillez-le remarquer, messieurs, les officiers qui dirigent les travaux, et les ouvriers qui les exécutent sont logés dans des baraques en bois depuis quatre ans, et les uns et les autres se portent bien.
Quoi qu'il en soit, l'honorable M. Hayez propose de mettre le réduit sur la rive gauche qui est bien autrement malsaine.
Une autre impossibilité de conserver la citadelle du Nord, selon lui, c'est qu'il faudrait faire un remblai considérable dans le terre-plein, et que la terre de remblai devrait être prise sur des points très éloignés.
Et cependant il propose de faire un réduit beaucoup plus considérable sur la rive gauche qui est plus basse que la rive droite et où la terre de remblai est encore plus rare.
D'autres erreurs de l'honorable M. Hayez proviennent de ce qu'il ne connaît pas toute la puissance qu'ont acquise les nouveaux canons rayés de gros calibre.
J'ai été fort étonné, en effet, d'entendre l'honorable membre, ancien lieutenant-colonel d'artillerie, dire que nous ne pourrions pas combattre les navires cuirassés qui seraient à 400 mètres des batteries de côte de la citadelle du Nord.
S'il connaissait les expériences faites en Angleterre, en Allemagne et en Russie, il saurait qu'on perce parfaitement les plaques des navires cuirassés jusqu'à la distance de 1,000 mètres.
Je le proclame hautement, nous aurons sur l'Escaut des canons qui, à 1,000 mètres, perceront les bâtiments cuirassés qui voudraient remonter le fleuve.
Messieurs, on a contesté la légalité de la citadelle parce que les mots : « citadelle du Nord » ne se trouvent pas dans la loi. Examinons ce point :
D'abord, la loi s'énonce en termes généraux sur les fortifications d'Anvers. Elle ne spécifie rien quant aux ouvrages de l'enceinte et du camp retranché.
L'exposé des motifs dit que l'enceinte partira de tel endroit pour aboutir à tel autre. Pour ce qui concerne le camp retranché, il n'indique ni le nombre ni l'importance des forts détachés qui le constituent.
Mais pourquoi ne parle-t-il pas de la citadelle du Nord ? Parce qu'elle fait partie de l'enceinte, et qu'en n'a pas cru nécessaire de détailler tous les ouvrages dont elle se composerait.
Au point de vue militaire comme au point de vue des finances, il n'y avait pas de raison pour mentionner la citadelle plutôt que les grands fronts avec caponnières casematées de l'enceinte ; car ces derniers ouvrages sont tout aussi important et ils coûtent plus cher.
L'exposé ne désigne que les grandes masses qui forment un ensemble, afin de justifier les expropriations de terrain nécessaires.
Est-ce que, quand vous faites une loi de chemin de fer, vous dites : « Il y aura ici un tunnel, là un déblai, là un remblai » ? Non, vous dites : Il y aura un chemin de fer de tel endroit à tel autre.
On vous a dit encore, messieurs, que le front de la citadelle du Nord du côte de l'Escaut est trop peu élevé et qu'il ne bat pas le fleuve.
Je suppose que l'honorable M. Hayez aura été se promener du côté de la citadelle du Nord avant que les remparts fussent terminés et qu'il ne se rend pas compte de ce qu'elle sera après son achèvement. Pour justifier son assertion, il a dit que dans la reconnaissance que S. A. R. le Comte de Flandre a faite des rives de l'Escaut, des officiers de marine lui ont dit : « Les passes du fleuve ne seront pas battues par la citadelle du Nord. »
Je ferai remarquer à l'honorable M. Hayez qu'à l'époque où S. A. R. a fait cette excursion, c'est-à-dire en 1855, il n'y avait pas de citadelle du Nord. (Interruption.) Il y avait l'ancien fort du Nord, et c'est précisément parce que cet ancien fort ne suffisait pas pour défendre les passes del'Escaut que nous avons construit la citadelle du Nord.
Vous entretiendrai-je, messieurs, de tous les autres points ? Il me faudrait faire de la stratégie et de la tactique pour démontrer que la position d'Anvers est la plus convenable pour la défense nationale. Cela est nécessairement difficile quand on n'a pas les plans et les documents sous les yeux. On ne peut dire alors que des choses oiseuses, permettez-moi cette expression.
Pour en finir, messieurs, je dirai que lorsque la défense du pays était à l'ordre du jour de l'armée, lorsque tant d'officiers s'en occupaient, et envoyaient des mémoires, des plans et des projets au gouvernement, lorsque des commissions spéciales étaient pour ainsi dire en permanence, car je me rappelle y avoir siégé pendant plusieurs années, nous n'avons jamais vu une idée, une opinion émise sur la défense du pays par l'honorable M. Hayez. S'il avait alors déclaré qu'il avait un système meilleur à proposer, il eût été appelé dans le sein de la grande commission dont il parlait tout à l'heure, et nous aurions examiné ses propositions.
Dans cette commission, on a introduit tous les hommes qui s'étaient occupés de la défense du pays, des officiers de tout grade, d'un grade inférieur même à celui de M. Hayez ; car elle renfermait des capitaines de diverses armes.
Quant à moi, messieurs, j'ai beaucoup plus de confiance dans l'opinion qu'ont émise les officiers qui se sont occupés de la défense du pays que dans celle que vient de soutenir l'honorable M. Hayez, qui s'est renfermé dans le mutisme le plus complet jusqu'au jour où il a cru, à tort ou à raison, avoir à se plaindre du ministre de la guerre et qui, dès ce jour-là, a eu un système contraire à celui du gouvernement.
L'honorable membre a parlé de fronts de la citadelle du Nord qui seraient mauvais et de constructions qui s'affaissent.
Eh bien, messieurs, je crois pouvoir dire que les travaux qui s'exécutent à Anvers font l'admiration de tous les ingénieurs et de tous les étrangers qui les visitent.
On vous a parlé de je ne sais quels moyens employés pour obtenir l'approbation des étrangers. Quant à moi, je ne les connais pas. Je conduis quelquefois à Anvers des hommes d'un très grand mérite et des ingénieurs renommés, et si je vous lisais leur correspondance, vous verriez qu'elle place nos officiers au rang des officiers du génie les plus distingués des autres nations.
Nous n'avons employé aucun moyen de séduction pour leur faire exprimer cette opinion et cela est tellement vrai que si vous jetez les yeux sur les journaux militaires spéciaux de plusieurs grandes puissances, vous verriez que la même opinion s'y trouve énoncée d'une manière formelle.
Puisqu'on a prononcé le nom d'un prince, je vous dirai, messieurs, que notre souverain a entendu, dans ses voyages à l'étranger, des hommes très compétents faire le plus grand éloge des travaux de notre corps du génie. J'en suis flatté pour nos officiers, qui déploient, dans l'exécution de ces travaux, un talent et un dévouement exceptionnels. A eux revient l'honneur du succès de cette grande entreprise ; je suis heureux de leur en donner un témoignage public.
M. Hayezµ. - Je demande la parole pour un fait personnel. (Interruption.)
MpVµ. - Il n'y a rien qui vous soit personnel dans les observations de M. le ministre de la guerre.
M. Hayezµ. - Pardonnez-moi, M. le président ; je serai très bref ; j'aurais déjà presque fini, si vous m'aviez laissé parler.
L'honorable ministre de la guerre a dit que le motif qui m'avait fait m'opposer au système prôné par le ministère était une rancune.
Je vous demande si je puis, en conscience, conserver de la rancune.
Je n'ai jamais eu, pendant toute ma carrière militaire, le moindre débat avec mes chefs. Quand mon premier débat s'est-il produit ? C'est en 1861, quatre mois après ma sortie de l'armée, et il eut lieu entre l'honorable ministre de la guerre et moi. Ce débat est parfaitement connu d'une grande partie de vous. Il est donc inutile d'y revenir. Du reste, nous l'avons dit déjà, les questions personnelles doivent être complètement écartées ici, et je n'aurais pas dit un mot qui me concernât personnellement si je n'y avais pas été provoqué directement.
Eh bien, qu'est-il résulté de mon débat avec M. le ministre de la guerre ?
La Chambre n'a pas voulu, par déférence pour sa position, lui imprimer un blâme à raison de l'acte incroyable dont il s'était rendu coupable envers moi. Mais la Chambre l'a forcé à me traduire devant la Cour militaire pour qu'elle décidât entre nous. Qu'a fait la cour militaire ? Elle m'a donné gain de cause, dans un jugement que vous connaissez sans doute, jugement qui fait le plus grand honneur à ceux qui l'ont porté.
M. le ministre de la guerre, peu satisfait de ce premier échec, s'est (page 175) exposé à en subir un second qui ne lui a pas fait défaut. La cour de cassation, comme la cour militaire, a prononcé que j'étais pleinement dans mon droit.
Ce n'est pas tout encore. Ces satisfactions successives sont déjà très grandes, je le reconnais, une troisième m'était réservée, et me fut donnée par la sympathie que tout le pays m'a témoignée. Cette sympathie a été unanime et même dans cette Chambre, j'ose le dire, elle était presque générale.
A la suite de pareils faits, si je puis encore conserver le moindre sentiment de rancune, je dois avoir perdu le caractère que mes camarades m'ont connu jusqu'à présent ; le grand âge l'aura sans doute aigri.
Deux mots seulement de réponse à ce qu'a dit M. le ministre de la g-erre.
MpVµ. - Vous n'avez la parole que sur un fait personnel.
- Plusieurs membres. - Laissez parler.
M. le président. — Il y a un moyen ; M. Jacobs est inscrit ; il pourrait céder son tour de parole à M. Hayez.
M. Jacobsµ. - J'y consens volontiers. Je vous demande, M. le président, de m'inscrire à la suite de M. Hayez.
M. Hayezµ. - Je n'accepte pas.
MpVµ - La parole est à M. Jacobs.
- Des voix. - Laissez parler M. Hayez.
MpVµ. - M. Jacobs a voulu céder son tour de parole à M. Hayez. M. Hayez n'a pas accepté.
M. Hayezµ. - J'aurais accepté, si je connaissais mieux les usages de la Chambre. Je croyais que M. Jacobs, en me cédant son tour de parole, le perdait.
MpVµ. - Non. Seulement, M. Jacobs viendrait à la suite des orateurs qui sont déjà inscrits.
La parole est à M. Jacobs.
M. Jacobsµ. - Messieurs, le discours du Trône et l'adresse que nous discutons annonçaient une politique de modération. La députation d'Anvers, en engageant ce débat, s'en était fait une loi. On le lui a reproché. On lui a répondu par la violence, presque par l'insulte.
Il y a là en quelque sorte un défi, que je veux relever. Mais, avant de le faire, je tiens à constater à la face du pays que, si les dissentiments qui règnent entre nous au lieu de s'apaiser s'aigrissent, la responsabilité n'en peut retomber sur nous. Nous sommes provoqués ; nous répondons.
Le mouvement anversois a été attaqué avec une violence inouïe par l'honorable M. De Fré et par M. le ministre des finances. Il a été noblement vengé par l'honorable M. Coomans. (Interruption.)
Voyons, que reprochez-vous au mouvement anversois ? Lui reprochez-vous son programme ? On peut avoir des idées différentes, et sur l'indemnité due en compensation des servitudes extérieures, et sur l'existence des servitudes intérieures, et quant au système de défense nationale, sans cesser de s'estimer les uns les autres.
Ce que vous lui avez reproché, ce ne sont pas non plus les meetings. Car le meeting est un élément démocratique ; c'est l'élément fondamental des institutions de la libre Angleterre dont vous aimez à invoquer l'exemple.
Qu'avez-vous donc blâmé ? Quelques exagérations de langage, quelques incidents sur lesquels, on vous le disait, vous auriez dû plutôt jeter le voile.
Eh, messieurs, quelle cause, quel mouvement populaire n'a pas eu ses épisodes regrettables ? Notre glorieuse révolution s'est-elle faite sans le moindre excès ?S i la conférence de Londres, alors qu'elle décidait du sort de la Belgique naissante, avait tenu ce langage : « Cette révolution est déplorable, elle a été ensanglantée par l'assassinat de Gaillard, elle a été souillée par les pillages, il faut la réduire à néant », qu'auriez-vous dit ? Vous auriez dit que c'était une injustice, que c'était une infamie que de rendre la Belgique entière responsable des excès de quelques hommes. Vous auriez dit que le glorieux mouvement belge était resté pur, malgré ces faits isolés. Et quand il s'agit du mouvement anversois, vous avez d'autres poids et d'autres mesures !
Vous êtes majorité, messieurs. Comment y êtes-vous parvenus ? Le premier acte du mouvement qui vous a ramenés au pouvoir, c'est ce que les uns appellent les émeutes, les autres les émotions. Si nous vous rendions responsables des actes qui se sont passés alors, trouveriez-vous la conséquence légitime ? Trouveriez-vous que les émeutes vous soient imputées à bon droit ?
Et si vous ne le trouvez pas, permettez que nous aussi nous déclinions la responsabilité des intempérances de parole qui ont pu se produire dan» les meetings.
« La droite, disait hier l'honorable ministre des finances, désavoue ces excès ; mais la députation anversoise ne le fait pas. »
Je croyais, messieurs, qu'il suffisait de manifester ici nos sentiments et que nous n'avions pas à répondre des faits d autrui. On aurait pu en une autre occasion nous en citer de nouveaux, on aurait pu revenir à la charge chaque fois qu'une parole trop vive serait émise à Anvers et nous en demander le désaveu.
Mais M. le ministre d's finances a cru nous mettre dans une position difficile ; il s'est dit : La députation anversoise n'osera rien flétrir, rien blâmer de ce qui a eu lieu dans les meetings ; eh bien, à vous, qui n'avez jamais flétri les émeutes, je réponds, moi, que je flétris tout ce qu'il peut s'être passé de regrettable à l'occasion du mouvement anversois.
On a dit encore : Ce mouvement est l'œuvre de quelques meneurs. L'honorable M. Coomans a réfuté cette erreur ; je vais compléter sa preuve en vous citant une pièce authentique, d'après laquelle vous verrez que, si nous ne marchons plus tous ensemble à Anvers, au moins nous avons tous le même programme ; et qu'au jour des élections les anciens députés d'Anvers ont été présentés au corps électoral sous le même drapeau que nous.
Voici la circulaire de l'Association libérale qui les patronnait :
« Association libérale et constitutionnelle.
« Anvers, 8 juin 1863.
« Electeurs !
« Nos adversaires répètent sur tous les tons que notre association ne soutient pas les réclamations de la ville d'Anvers. Ils disent que le comité central n'oserait pas signer ces réclamations. Ils vous trompent.
« L'association libérale et constitutionnelle a demandé et continuera à demander :
« La démolition des citadelles !
« L'abolition de toute servitude intérieure.
« Les indemnités pour les terrains extérieurs frappés de servitudes militaires.
« Les candidats portés par l'association se sont engagés ouvertement à soutenir ces vœux auprès du gouvernement, dans les Chambres, dans toutes les assemblées légales et parlementaires en faisant tous les efforts que comporte leur mandat.
« Allez donc tous mardi à 9 heures et demie du matin voter en toute confiance.
« Pour le Sénat : M. Gustave Van Havre, ancien sénateur.
« Pour la Chambre des représentants : MM. de Boe membre sortant, E. de Gottal id., J.-F. Loos id, J.-F. Mellaerts bourgmestre de Borgerhout, F. Van de Leemput conseiller provincial, etc.
« Le comité central de l'association. »
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Il fallait les laisser revenir.
M. Jacobsµ. - L'honorable ministre des affaires étrangères dit : « Il fallait les laisser revenir. » C'est probablement parce que la population anversoise a cru que nous adoptions plus franchement son programme, qu'elle nous a envoyés dans cette enceinte.
MfFOµ. - Mais vous abandonnez ce programme !
M. Jacobsµ. - J'ajouterai, messieurs, que les affiches qui servaient de réclames aux députés qui nous étaient opposés, allaient beaucoup plus loin ; ce n'était pas seulement la démolition des citadelles, c'était la démolition du ministère qu'elles annonçaient. Je vous lirai le commencement d'une de ces affiches :
« Bourgeois et commerçants bien pensants d'Anvers !!! Vous avez lu et jugé notre manifeste.
« Concitoyens, voulez-vous avec nous la chute du ministère Chazal-Frère ?
« Habitants des faubourgs, voulez-vous avec nous la réussite de toutes les justes réclamations anversoises ?
« Prêtres, voulez-vous exercer en paix votre saint ministère, (page 174) voulez-vous faire respecter la religion et empêcher par l'union le malheur de la Belgique ?
« Votez pour MM. Loos, de Boe, de Gottal et non pour leurs adversaires. »
- Plusieurs membres. - Qui a signé cela ?
M. Jacobsµ. – Ce n'est pas signé ; mais l'association libérale n'a pas désavoué cette affiche, les candidats ne l’ont pas désavouée davantage ; elle n'a suscité aucune réclamation. En matière d'affiches électorales, la signature est rare, l'absence de signatures est la règle ; au moins à Anvers.
On nous a dît encore que nous étions arrivés ici enchaînés par un mandat impératif. J'ai répondu immédiatement par une dénégation. Si nous siégeons dans cette enceinte, c'est par suite de la conformité de nos idées avec celles de la population d'Anvers ; elle nous a envoyés ici parce que nous étions d'accord avec elle. On ne nous a pas imposé une opinion qui n'était pas la nôtre. J'ai protesté contre cette calomnie avant l'élection, j'ai le droit de la repousser après l'élection.
Mais, d'après M. le ministre finances, la députation anversoise abandonne son programme, c'est l'honorable M. Nothomb qui le constate. Il a fort mal compris M. Nothomb, qui s'est borné à constater qu'on ne demandait plus à Anvers la démolition des fortifications ; voilà ce que M. Nothomb a déclaré.
M. Nothomb. - C'est textuel.
M. Jacobsµ. - Mais quant à abandonner le terrain sur lequel nous nous sommes placés le jour des élections, M. Nothomb n'a pas déclaré cela et il n'avait pas qualité pour le déclarer.
M. Nothomb. - J'ai dit que la députation d'Anvers ne demandait pas la démolition du système de fortifications.
M. Jacobsµ. - Nous maintenons donc notre programme en entier.
Nous espérons arriver à la démolition des citadelles, à l'abolition des servitudes intérieures ; nous espérons voir sanctionner le principe de l'indemnité du chef des servitudes extérieures, nous ne le nions pas, mais nous ne comptons pas y réussir du jour au lendemain ; nous n'avons pas la prétention de convertir la Chambre en une discussion ; nous ne prétendons pas forcer le pays à nous accorder satisfaction ; nous croyons qu'un premier pas est déjà fait et que beaucoup de membres de cette assemblée ne repoussent pas un examen dans lequel nous avons toute confiance ; nous ne voulons pas bouleverser le pays, nous ne voulons pas lui imposer notre volonté, nous voulons le convaincre.
Messieurs, la séance est déjà fort avancée et je crois qu'elle sera la dernière de la discussion ; pour ne pas empêcher M. le colonel Hayez et quelques autres membres de prendre encore la parole, je serai très bref.
Je voulais aborder la question des indemnités pour les servitudes extérieures et la question des citadelles. Par rapport à ce dernier point, qui est capital, je répondrai cependant quelques mots à l'honorable général Chazal.
Lui et ses collègues qui parlent souvent de contradictions, adoptent eux-mêmes des systèmes contradictoires, selon le point de vue auquel ils se placent. S'agit-il des servitudes intérieures, on nous dit : « Mais une citadelle est une place à part, une place de guerre, un poste militaire ayant son existence distincte et réclamant par cela même des servitudes tout autour d'elle.
J'appuierai mon dire sur deux courts passages des Annales.
Le 13 mars 1862, M. le général Chazal déclarait dans cette enceinte que « personne n'a jamais songé à nier que les citadelles ne fassent de petites places de guerre ou des postes de guerre dans le sens de la loi de 1791. S'il en était autrement, la loi l’aurait dit, elle aurait fait une exception formelle. »
Le 14 mai suivant, M. le ministre des finances confirmait cette opinion en ces termes :
« Il est vrai qu'à Anvers on prétend que ces servitudes sont illégales, mais n'est-ce pas une grande erreur ?
« Les servitudes intérieures résultent de la loi de 1791 qui s'applique à toute espèce de points fortifiés.
« La loi principe, la loi de 1791 est la même dans les deux pays. Le doute ne résulte que d'une équivoque ; parce que la loi dit : « autour des places de guerre, » on veut qu'il ne pusse y avoir de servitudes qui entourent des villes fortifiées, mais les lois militaires entendent par places de guerre tout point fortifié destiné à la défense. »
Eh bien si vous avez raison dans la question des servitudes intérieures, vous avez évidemment tort dans la question de la légalité de la citadelle du Nord, car la loi du 10 juillet 1791, la loi principe, porte ;
« Art. 3, § 2. Nulle construction nouvelle de places de guerre ou postes militaires et nulle suppression ou démolition de ceux actuellement existants ne pourront être ordonnées que d'après l'avis d'un conseil de guerre, confirmé par un décret du corps législatif sanctionné par le Roi. »
Il faut donc une loi pour créer une place de guerre ou un poste militaire ; il vous fallait la sanction de la loi, et cette sanction, vous ne l’avez pas ; vous en êtes réduits à soutenir cette thèse inadmissible : L'autorisation de construire une enceinte nous donne le droit d'y amalgamer des places de guerre ou des postes militaires sans l’intervention de la loi et vous oubliez que, malgré qu'une loi ait décrété la démolition de l'ancienne enceinte, vous tombez dans une nouvelle contradiction en conservant l'ancienne citadelle.
Messieurs, le seul argument qu'avec quelque succès on ait produit en faveur de la légalité de la citadelle du Nord, c'est la connaissance qu'on aurait eue de ce projet à Anvers. Le temps ne me permet pas aujourd'hui d'aborder cet ordre d'idées, de suivre MM. les ministres dans l'énumération dos documents, moins officiels les uns que les autres, qu'ils ont invoqués pour soutenir qu'on avait connu à Anvers le projet d'établir une citadelle au Nord. Quand cet examen sera fait d'une manière sérieuse, il en résultera que si un certain nombre de personnes d'Anvers y ont été initiées, si quelques membres du collège, du conseil communal, de la commission de la cinquième section, peu importe, en ont eu une connaissance plus ou moins exacte et certaine, la généralité de la population anversoise, ceux dont les milliers de bras nous ont poussés dans cette enceinte, ceux-là ne l'ont pas connu.
La Chambre est fatiguée. Deux mots encore.
M. le ministre des finances, raillant la modération de la députation d'Anvers et la comparant à l'effervescence des meetings, nous disait : Le mouvement anversois ressemble à Janus.
Eh bien, la même idée m'était venue hier en l'écoutant, mais je l'appliquais à M. le ministre des finances lui-même. Je me disais : Aujourd'hui, ce sont des invocations à ce grand parti conservateur si national et si patriotique ; et hier encore, ce même ministre représentait ce même parti comme le vassal d'un souverain étranger, comme l'ennemi des libertés qui nous font chérir la patrie, moi aussi j'ai pensé à Janus.
M. le ministre des finances, terminait son discours par ces paroles : Il y a entre la députation anversoise et la droite un marché ; les cinq votes de la députation anversoise sont le prix de l'appui accordé par la droite à la demande d'enquête sur la question d'Anvers.
Sans doute, M. le ministre des finances n'a pas parlé sérieusement ; s'il l'avait fait. je ne lui aurais répondu que ces mots : « Il n'y a que ceux qui sont capables de se vendre qui voient partout des marchés. »
M. Nothomb (pour un fait personnel). - Mon explication sera fort simple : Je vais lire le travail de la sténographie que j'ai par hasard avec moi :
« Aujourd'hui, ai-je dit, j'accepte le principe des fortifications ; je l'accepte comme on accepte un fait accompli. Je ne demande pas la démolition des fortifications. Personne, du reste, ne le demande, et l'honorable M. De Fré s'est fait une péroraison bien facile, en conviant les députés d'Anvers à monter à la tribune pour exiger une chose que ces honorables collègues ne veulent pas demander. »
Ceci est clair et ne laisse place à aucune équivoque ; je le répète, je vous lis le travail de la sténographie, ni revu, ni corrigé.
MfFOµ. - Messieurs, j'avais lieu de penser que des explications seraient demandées à l'honorable M. Jacobs, au sujet des derniers mots qu'il vient de prononcer...
MpVµ. - Ces paroles sont dures ; mais celles que vous avez prononcées hier à l'adresse de ces messieurs ne l’étaient pas moins ; il y a de la vivacité dans ce débat, et quand je la souffre d'un côté, il faut bien que je la souffre de l'autre.
MfFOµ. - J'ai le droit de demander des explications à l'égard de l'imputation outrageante que s'est permise l'honorable membre.
MpVµ. - Vous avez la parole.
MfFOµ. - Je ne sais à qui s'appliquent les mots qu'il a prononcés en dernier lieu ; il a dit que ceux qui étaient prêts à se vendre, étaient seuls capables de voir des marchés partout.
Dans la discussion relative à la question d'Anvers, on a entendu plusieurs fois faire des insinuations à propos de ministres vendus à l'Angleterre... (Interruption.) Permettez ; cela a été dit et répété ; une allusion de cette nature vient encore d'être faite (A droite : Non ! non !)
Je demande en conséquence que l'honorable M. Jacobs veuille bien (page 175) expliquer nettement sa pensée après une pareille imputation, il est indispensable qu’il donne des explications.
M. Jacobsµ. - Messieurs, à la séance d'hier, M. le ministre des finances a dit qu'il y avait un marché conclu entre les membres de la députation d'Anvers et la droite.
MfFOµ. - Vous ne m'avez pas compris.
M. Jacobsµ. - Tant mieux, je suis heureux d'avoir provoqué ces explications. J'avais compris que, dans sa pensée, la députation d'Anvers s'était en quelque sorte vendue à la droite pour avoir son appui. Qu’ai-je fait alors ? J'ai rejeté à la face du ministre l'injure qu'il jetait a la mienne ; j'ai dit que s'il avait prétendu sérieusement que la députation d'Anvers s'était vendue à la droite, celui-là seul qui voyait de semblables marchés partout, pouvait être prêt à en faire. C'était une riposte. Si M. le ministre des finances n'a pas attaché ce sens à ses paroles, j'en suis heureux.
MfFOµ. - Messieurs, hier, usant de mon droit, j'ai dénoncé ce qu'on peut nommer un pacte politique, une coalition...
- Un membre. - Vous avez dit un marché.
MfFOµ. - Ce mot n'a pas été prononcé. Mais soit ! un marché politique, un pacte politique, un arrangement, un compromis, n'importe le mot, acte qu'on peut défendre et qu'on peut attaquer, mais qui peut être dénoncé sans offense pour personne. Mais le mot « marché », dans la bouche de l'honorable M. Jacobs, après tout ce qui a été dit sur cette affaire d'Anvers, ne pouvait signifier qu'un marché d'argent...
M. Jacobsµ. - Non
MfFOµ. - Alors ce que vous avez dit n'a aucun sens ! Quel autre marché, quel marché politique aurait pu se faire de la part des ministres, et particulièrement de la part du ministre des finances que vous avez désigné ? Quelle analogie peut-il y avoir entre ce marché et celui qui vous a été justement reproché et qui restera ?
M. Van Overloopµ. - M. le ministre n'a pas le droit d'insulter tout un parti.
MpVµ. - Vous n'avez pas la parole.
M. Van Overloopµ. - Je proteste contre l'imputation de M. le ministre des finances. (Interruption.)
MpVµ. - Si vous continuez à parler, je devrai vous rappeler à l'ordre.
M. Van Overloopµ. - Vous ne pouvez pas permettre à un ministre d'insulter tout un parti.
MpVµ. - M. Van Overloop continuant à parler sans avoir obtenu la parole du président, je le rappelle à l'ordre.
M. Van Overloopµ. - M. le président, je réclame contre votre rappel à l'ordre.
MpVµ. - M. Van Overloop réclamant contre le rappel à l'ordre, je vais consulter la Chambre pour savoir si ce rappel à l'ordre sera maintenu oui ou non.
MpVµ. - La parole est à M. Van Overloop.
M. Van Overloopµ. - Hier, M. le ministre des finances a traité de pacte scandaleux un accord qu'il croit avoir été conclu entre les députés d'Anvers et les membres de la droite. Eh bien, cela nous insulte, cela nous injurie, et nous ne pourrions pas repousser l'offense de M. le ministre des finances ! Et nous ne pourrions pas vous reprocher votre partialité, M. le président, à vous qui, malgré vos protestions d'impartialité, avez laissé passer cette injure tans la relever !
MpVµ. - Si j'avais dû rappeler à l’ordre la plupart des orateurs qui ont pris part à cette discussion, pour les paroles plus ou moins vives dont ils se s'ont servis, j'aurais dû les interrompre à chaque instant. La position d'un président est extrêmement difficile au milieu d'un pareil débat. Je veux rester impartial, et c'est pourquoi je consulte la Chambre sur le point de savoir si le rappel à l'ordre que j'ai dû adresser à M. Van Overloop est maintenu.
- Voix diverses. - L'appel nominal !
- D'autres voix. - Non ! non !
MpVµ. - L'appel nominal a été régulièrement demandé ; je dois y faire procéder.
- Il est procédé au vote par appel nominal.
106 membres prennent part au vote.
57 répondent oui.
47 répondent non.
2 membres (MM. Van Overloop et E, Vandenpeereboom, président) s'abstiennent.
MpVµ. – En conséquence le rappel à l'ordre est maintenu ; il sera inscrit au procès-verbal.
Ont répondu oui :
MM. Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Lange, Laubry, Ch. Lebeau, J. Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lesoinne, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, M. Nélis, Orban, Orts, Pirmez, Pirson, Prévinaire, Rogier, Sabatier, Tesch, Alphonse Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Volxem, Allard, Ansiau, Bara, Bouvier, Braconier, Carlier, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Bronckart, de Brouckere, de Florisone, De Fré, de Kerchove, De Lexhy, de Macar, de Moor, de Paul, de Renesse, de Rongé, Dolez, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Guillery et Hymans.
Ont répondu non :
MM. Janssens, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Le Bailly de Tilleghem, Moncheur, Notelteirs, Nothomb, Rodenbach, Royer de Behr, Schollaert, Snoy, Tack, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Vander Donckt, Van Renynghe, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Wasseige, Beeckman, Coomans, Coppens, Debaets, Dechamps, de Conninck, de Decker, de Haerne, Delaet, Delcour, de Liedekerke, de Mérode, de Montpellier, de Muelenaere, da Naeyer, de Smedt, de Terbecq, de Theux, d'Hane-Steenhuyse, Dubois, B. Dumortier, d'Ursel, Faignart, Hayez et Jacobs.
MpVµ. - Les membres qui se sont abstenus sont priés d'en faire connaître les motifs.
M. Van Overloopµ. - Je constate que j'ai été rappelé à l'ordre avant que l'on m'eût fait la moindre observation.
- Voix à gauche. - Oh ! oh ! (Interruption.)
M. Van Overloopµ. - J'en appelle à la sténographie, j'ai été appelé brusquement à l'ordre avant qu'aucune observation ne m'eût été faite. Je répliquais à M. le ministre des finances et, poussé par un sentiment d'indignation, j'ai prononcé des paroles un peu vives contre M. le président, paroles que je croyais conformes à la vérité.
Cependant, comme il s'agissait de voter dans une question qui m'est personnelle, et comme je considère au-dessous de ma dignité de voter pour ou contre sur une question de ce genre, j'ai dû m'abstenir.
MpVµ. - Je suis obligé, pour la première fois depuis douze ans que j'ai l'honneur de siéger dans cette enceinte, de m'abstenir. Jamais je n'ai compris le système des abstentions. Cependant je ne pouvais pas être juge et partie dans ma propre cause, surtout dans un moment aussi fâcheux que celui-ci.
Force m'a donc été de m'abstenir.
M Jacobsµ. - Je demande la parole.
- Voix diverses. - Non ! non !
MpVµ. - M. Jacobs a déjà fait remarquer que sa réflexion ne s'adressait pas au caractère de M. le ministre des finances. Il est désirable de terminer cet incident.
M. Jacobsµ. - Je tiens à déclarer que je n'ai en aucune façon mis en doute l'honneur de M. le ministre des finances, du moment que, d'après les explications qu'il nous a données lui-même, il n'avait pas entendu, de son côté, mettre en doute l'honneur de la députation anversoise.
Je ne me serais pas permis, à peine entré dans cette Chambre, après avoir tout fait pour maintenir le débat dans la voie de la modération ; je ne me serais pas permis d'appliquer une expression flétrissante à un ancien membre de cette assemblée, à l'un des organes du gouvernement, à un des membres d'un cabinet où siège ce vétéran de 1830, dans lequel je vois toujours un ancien ami de ma famille, et dont je regrette de me trouver séparé par des raisons politiques.
Ce que j'ai à répondre à M. le ministre des finances, c'est uniquement ceci ; je lui ai dit : Pour reprocher une chose à quelqu'une faut être capable de la faire soi-même.
Je n'ai pas dit autre chose. J'ai même ajouté cette réserve : « Si vous avez dit cela sérieusement, si vous y avez donné le sens d’un pacte honteux. » Mais puisque vous ne l'avez pas fait, ce ne peut être mon intention de l'appliquer à l'expression dont je me suis servi. Je vous ai renvoyé la balle, rien de plus, rien de moins, nous sommes quittes.
MfFOµ. - Je demande la parole.
MpVµ. - Tâchons de clore cet incident.
MfFOµ. - Permettez, M. le président. Je ne veux pas le moins du monde insister sur cet incident ; mais je dois constater un fait : c'est dans la séance d'hier que j'ai prononcé le discours qui paraît avoir froissé si fort l'honorable M. Jacobs (page 176) et ses amis, et il n'a été alors l'objet d'aucune observation de la part de M. le président, ni, au point de vue où l'on s'est placé aujourd'hui, de la part d'aucun membre de cette Chambre. (Interruption.)
C'est donc après vingt-quatre heures qu'on a cru trouver une offense dans mes paroles. (Interruption.)
Je vous dis au point de vue où l'on s'est placé aujourd'hui. (Nouvelle interruption.)
MpVµ. - Je vous en prie, messieurs, n'interrompez pas.
MfFOµ. - Je pense, messieurs, que mes paroles sont intelligible pour tout le monde ! Je ne prétends certes pas que la droite ait approuvé mes paroles.
M. de Mérode. - Non certes !
MfFOµ. – Tout ce que je dis, c'est qu'hier on n'a pas trouvé dans mon discours l'offense qu'on y a découverte depuis, c'est-à-dire après vingt-quatre heures de réflexion.
M. de Naeyer. - Pardon ! pardon !
- Voix à gauche. - Laissez donc parler.
MpVµ. - Quand on a permis l'explication d'un coté, on doit la permettre de l'autre.
MfFOµ. - Je dis que, d'après les usages de la Chambre dans l'application de son règlement, aucune espèce de réclamation n'aurait pu même être produite aujourd'hui.
Hier, on a vainement prié plusieurs membres de la droite de prendre la parole. On les a pressés à s'expliquer. Ils se sont tus. C'est après 24 heures de réflexion qu'on trouve une offense dans les paroles que j ai prononcées, et que je maintiens, parce que, dans ma pensée, il y a coalition, pacte, arrangement, et que c'était mon droit, c'était mon devoir de dénoncer un tel pacte au pays.
J'ai fait remarquer en même temps que, si nous avions voulu céder aux réclamations d'Anvers, si nous avions voulu faire nous-mêmes un tel pacte, nous aurions dix voix de majorité de plus. C'est parce que nous avons tenu à honneur de ne pas faire ce pacte, c'est parce que nous avons préféré la force morale de la majorité à sa force numérique, que nous nous trouvons dans la situation où nous sommes. C'est là ce que j'ai dit, et c'est ce que je maintiens !
- Plusieurs membres. - La clôture ! la clôture !
M. Dolezµ. - Messieurs, si je me proposais de prononcer un discours, je demanderais moi-même le renvoi de la discussion à un autre jour. Je reconnais qu'il est temps que cette discussion, dont la Chambre est justement fatiguée, finisse ; elle peut être convaincue que je ne veux pas continuer cette fatigue en abusant de ses moment. Mais il me paraît que ces graves et importants débats doivent aboutir à une conclusion.
C'est cette conclusion que je viens vous proposer. J'aurais voulu lui donner des développements, mais en raison de la fatigue de la Chambre je ne lui consacrerai que quelquest.
En voici la teneur ; je la présente non seulement en mon nom, mais aussi au nom de mes honorables collègues, MM. H. de Brouckere et Orts.
« La Chambre, considérant que la législature a définitivement arrêté les mesures qu'elle a jugées nécessaires dans l'intérêt de la défense nationale en faisant en même temps d'immenses sacrifices pour réaliser les vœux manifestés par la ville d'Anvers, en vue de son développement et de sa sécurité ;
« Considérant que des changements au système décrété en 1859 entraîneraient nécessairement pour le pays des charges nouvelles,
« Passe à l'ordre du jour. »
Déjà, à différentes reprises, la Chambre a eu à se prononcer sur les réclamations anversoises, mais jamais elle n'a été plus à même de le faire d'une manière plus décisive qu'après les débats auxquels vous venez d'assister. Vous avez entendu développer les motifs du mouvement anversois par ses principaux orateurs. Le gouvernement a combattu le fondement et la légitimité de ses motifs.
Vous êtes donc en position de vous prononcer en connaissance de cause sur le mérite des réclamations qui vous sont soumises, et le pays est mis à même de contrôler votre jugement.
Quant à nous, persistant dans l'opinion que nous avons émise dans des circonstances antérieures, c'est avec une conviction profonde que nous croyons pouvoir demander à la justice et à la sagesse de la Chambre de voter l'ordre du jour motivé dont je viens de vous donner lecture.
Il vous est facile d'en saisir la véritable portée. D'une part, il rappelle le caractère définitif de ce qu'a fait la législature pour la défense du pays et pour la sécurité et pour l'agrandissement d'Anvers. D'autre part, il prend acte des conséquences qu'auraient pour le trésor les nouveaux vœux produits au nom d'Anvers, non pas d'après le discours de M. Nothomb, dont la portée est peu saisissable, mais d'après ceux des députés d Anvers, surtout de ceux que vous avez entendus dans cette séance.
En effet, M. Hayez a proclamé que, pour faire droit aux réclamations d'Anvers, il faut faire disparaître la citadelle du Nord et la remplacer par un prolongement de l'enceinte sur la rive gauche de l'Escaut, et qu'à cette fin des dépenses importantes devaient être de nouveau imposéees au pays.
Si avec conviction et bonheur j'ai voté les dépenses antérieurement réclamées dans l'intérêt de la défense du pays, et si le pays a accepté ces dépenses avec patriotisme, je protesterais et le pays protesterait contre la proposition de dépenses nouvelles en vue de travaux à faire à Anvers.
Anvers se plaint d'être une place de guerre, comme si cette situation était nouvelle pour elle, tandis que telle est sa condition depuis des siècles.
Anvers n'a-t-elle pas vu sa position améliorée, sa sécurité consolidée par le système décrété en 1859 ?
Si Anvers a quelques dangers à redouter en sa qualité de ville fortifiée, cette situation elle la doit à sa position topographique.
Si elle est exposée aux calamités d'un siège, calamités que toute place de guerre peut subir, il est incontestable que sa position est améliorée, que les dangers dont elle peut être menacée sont écartés dans une immense mesure.
Je le demande à la Chambre, à la population d'Anvers tout entière, si elle veut apprécier les faits dans leur vérité, a-t-on le droit de nier les dépenses énormes auxquelles nous avons consenti dans son intérêt ?
Nous n'avons pas oublié les démarches faites auprès des membres de cette Chambre par les députations d'Anvers, par des hommes considérables de cette ville, pour obtenir comme une chose destinée à garantir son développement et sa sécurité, cette grande enceinte et toutes ses conséquences contre lesquelles on a cru pouvoir protester depuis lors.
J'espère que la signification du vote que nous convions la Chambre à émettre sera comprise, j'espère que cette agitation, dépourvue de cause légitime, se calmera et que la population d'Anvers ne tardera pas à reconnaître les erreurs dans lesquelles elle a été entraînée.
La population anversoise finira par cesser de se montrer ingrate envers le pays qui, pour lui donner satisfaction, a dépensé vingt millions au-delà de ce que réclamaient les véritables nécessités de sa défense nationale.
Pour moi, messieurs, je suis convaincu que si, par des concessions nouvelles, nous imposions au pays d'autres dépenses encore, le pays tout entier nous blâmerait.
Je termine, messieurs, ces rapides considérations ; si la séance n'avait pas été si avancée et la Chambre si fatiguée, je leur aurait consacré des développements plus étendus.
Mais j'ai voulu m'imposer cette réserve, par respect pour votre désir de terminer ce débat ; j'y obéis en m'arrêtant ici.
- Un grand nombre de voix. - La clôture ! la clôture !
M. B. Dumortier. - Je demande la parole contre la clôture ; vous ne pouvez pas voter sans discussion une proposition que personne ne pouvait prévoir, qui après des débats de plusieurs jours et sortie au dernier moment comme Deus ex machina ! (Interruption.) Vous êtes satisfait de la motion de M. Dolez, je n'en doute pas. Mais, quant à moi, il y a quelque chose qui prime ici toutes les questions, c'est le patriotisme. Je dis, pour mon compte, que lorsqu'une grande et puissante cité, qui doit être le refuge de la nationalité au jour du danger, jour qui n'est peut-être pas éloigné, se trouve dans un état d'irritation comme celui où nous la voyons, c'est un acte mauvais que de ne pas faire ce qui est possible pour ne pas faire cesser cette irritation, pour que le drapeau soit bien gardé par la population de cette ville.
J’ai toujours été opposé aux fortifications d'Anvers ; j'ai parlé contre et j'ai voté contre ; mais il y a une question supérieure à toutes les autres, en acceptant le fait accompli, c'est la question de nationalité.
Il ne faut pas repousser, irriter, par un dédaigneux ordre du jour, la population d'Anvers, déjà trop surexcitée et, croyez-le bien, au lieu de servir les intérêts de la cause nationale, la motion proposée n'aurait qu'un seul et fatal résultat, c'est de desservir tout ce qu'il y a de plus grand et de plus sacré pour la défense nationale.
M. de Theuxµ. - Messieurs, je pense que la Chambre veut aussi respecter son règlement et ses antécédents.
Une motion est faite au dernier moment. Son auteur la développe par diverses considérations et nous n'aurions pas le droit de nous exprimer sur cette motion ? Je déclare, messieurs, que je combattrai cette motion d'ordre du jour parce que je lui reconnais ce caractère principal de (page 177) motion électorale. Je désire donc m'expliquer à fond sur la question d'Anvers et notamment répondre au discours de l'honorable ministre des finances.
Je demande donc qu'on me laisse la parole pour combattre la motion d'ordre du jour.
MpVµ. - M. de Theux, vous pouvez ^continuer.
M. de Theuxµ. - J'ai dit déjà, messieurs, pour quel motif je m'oppose à la motion. Permettez-moi de prendre les choses d'un peu plus haut pour vous exposer nettement la question.
J'ai voté contre la loi des fortifications, et je ne m'en repens pas aujourd'hui. Néanmoins, lorsque le gouvernement est venu demander à la Chambre de consentir à un prêt considérable à la société Pauwels pour avancer ces travaux, j'ai appuyé cette demande par plusieurs motifs. J'ai dit que les fortifications décrétées et commencées devaient être poursuivies avec activité si l'on ne voulait pas qu'elles vinssent malheureusement à tourner contre leur but.
La loi existe, il y a en outre un fait accompli, les fortifications sont en partie exécutées. S'ensuit-il, messieurs, que si le gouvernement, soit aujourd'hui, soit plus tard, trouve moyen d'adoucir ce que la citadelle du Nord a d'effrayant et de pénible pour la grande cité d'Anvers, il n'y ait pas lieu d'avoir recours à ce moyen ? Jamais je ne le croirai.
On nous a cité, messieurs, l'immense joie que la grande enceinte a procurée à la ville d'Anvers ; on nous a parlé ensuite de menées, d'ingratitude.
Cette situation s'explique facilement.
La grande enceinte était véritablement dans les vœux de la population d'Anvers. Mais on n'avait pas fait là un fac simile de la forteresse du Nord, comme on l'a fait pour le grand escalier de la cathédrale de Sainte-Gudule.
Je crois que si cette forteresse s'était offerte alors avec ce qu'elle a de menaçant pour la ville, la population se serait émue immédiatement et les fêtes dont on a parlé n'auraient pas eu lieu.
Sans doute, messieurs, un certain nombre de personnes peuvent avoir connu, par suite de leurs rapports avec le ministre de la guerre, qu'il y aurait une citadelle du Nord, plus ou moins considérable ; mais je doute qu'elles l'aient connue dans toute son étendue, avec tous ses périls.
Dans tous les cas, il se serait passé de la part de ces quelques personnes ce qui se passe souvent. On se disait : Acceptons la grande enceinte et puis plus tard nous demanderons que la citadelle du Nord ne soit pas rendue offensive pour la ville même, qu'elle ne constitue pas un danger permanent pour elle.
Ce que je dis a été prouvé par l'expérience. Les anciens représentants d'Anvers, la régence d'Anvers, toutes les autorités qui avaient applaudi la grande enceinte, sont venus tour à tour réclamer contre la citadelle du Nord et tout cela s'explique facilement.
Messieurs, on né me fera jamais croire qu'une grande cité comme Anvers a été le jouet de quelques menées ambitieuses ou antipatriotiques.
Le gouvernement était représenté dans la ville d'Anvers par l'association libérale, par la régence et par une autorité représentant le gouvernement lui-même, par le ministre élu par le district d'Anvers ; par la presse largement fondée dans le sens libéral, et l'on croira, messieurs, que s’il ne s’était agi que de quelques menées, de quelques ambitions particulières, elle se serait laissé aveugler ! Oh ! messieurs, c’est par trop fort, cela n’est pas admissible ; aucun homme de sens commun n’admettra cela comme la véritable situation.
Ce n'a pas été une agitation factice et d'un moment. Elle dure depuis plusieurs années et s'est produite dans les circonstances les plus graves ; lors des élections communales, lors des élections de la Chambre. C'est donc une agitation vraie. La population d'Anvers redoute sérieusement les conséquences de la citadelle du Nord.
Messieurs, je considère plusieurs discours qui ont été prononcés dans cette enceinte comme une préparation électorale, comme devant amener un jour le retour des amis du cabinet.
Voilà le but vrai, le but évident aux yeux de tout homme intelligent.
Messieurs, le gouvernement a essayé de faire annuler les élections de Dinant par une enquête judiciaire. Il a échoué. Il est parvenu à faire annuler l'élection de Bruges, et aujourd'hui il veut exercer une pression sur le corps électoral d'Anvers pour, le cas échéant qui peut être plus ou moins rapproché, changer les dispositions du corps électoral. Eh bien, cela ne réussira pas. La marche qu'on a suivie contribuera à donner une majorité plus grande à l'opposition.
On a parlé, messieurs, de la dignité du gouvernement. Cette dignité ne lui permet d'écouter aucune plaine, aucune réclamation. Permettez-moi de citer deux grandes circonstances que vous connaissez tous.
La ville de Bruxelles, à la suite de malheureux pillages, demandait que le gouvernement seul en acceptât la responsabilité. Elle ne voulait en supporter aucune conséquence pour ses finances.
Messieurs, je n'étais pas au ministère à l'époque des pillages ; mais je repoussai cette réclamation du conseil communal.
Le conseil communal donna sa démission en masse. Il a été réélu ; c'était naturel, aucun des membres du conseil communal ne voulait accepter les fonctions de bourgmestre et d'échevins.
Me mettant au-dessus des petitesses, je considérai la grande question. Je dis qu'il importait au gouvernement que la capitale fût sympathique et n'eût pas de plaintes sérieuses contre le nouvel état. Dans cet ordre d'idées, j'ouvris avec le conseil communal une négociation pour acheter ses collections et quelques bâtiments communaux. Cette négociation a abouti. Est-ce que la dignité du gouvernement a été blessée ? Non ; mais la paix a été rétablie dans la capitale ; l'ordre a été rétabli dans ses finances.
Autre circonstance.
A Gand, le journal orangiste par essence, le Messager, et un parti politique assez puissant à cette époque, portaient aux élections M. Van Crombrugghe, et faisaient un devoir au gouvernement de le nommer bourgmestre. M. Van Crombrugghe était personnellement un homme estimable et honorable. Mais, à cause de son origine, le gouvernement ne put nommer immédiatement M. Van Crombrugghe bourgmestre de Gand. Mais lorsque plus tard, l'opinion orangiste eut diminué dans la ville de Gand, lorsque M. Van Crombrugghe eut donné des gages d'attachement à la dynastie, je n'ai pas hésité à proposer au Roi sa nomination de bourgmestre. Et je crois avoir rendu service à la ville de Gand et n'avoir manqué en rien à la dignité du gouvernement
Messieurs, un grand ministre d'un roi absolu disait, lorsque les contribuables faisaient des chansons blessantes sur les impôts : Qu'ils chantent, mais qu'ils payent. M. le ministre des finances, dans une interruption au discours d'un des honorables députés d'Anvers, a dit : Payez, et qu'on en finisse.
Ces paroles sont beaucoup plus absolues que celles du ministre du roi de France.
Je crois que M. le ministre des finances ne les eût pas prononcées, s'il avait eu le temps de la réflexion, car il aurait su que, dans un Etat représentatif, les réclamations, la discussion sont de droit, et que ce sont souvent les seuls moyens d'arriver au redressement des griefs ou à une véritable conciliation.
Messieurs, sous le royaume des Pays-Bas, nous avons connu un ministre d'une grande éloquence, mais qui avait la parole haute et acerbe. Oh ! il malmenait l'opposition aux états généraux ; il malmenait surtout les pétitionnaires qui osait articuler leurs plaintes contre le gouvernement.
La raison n'était pas du côté du ministre ; les événements l'ont condamné.
M. le ministre des finances s'est attaqué à la droite. La droite a l'habitude de s'allier aux transfuges. Messieurs, je dirai d'abord que cette expression ne devrait jamais, en présence de notre règlement...
MfFOµ. - Je ne m'en suis pas servi. Le mot « transfuge » n'a pas été prononcé !
M. de Theyxµ. - ... ne devrait jamais s'appliquer ni à un membre présent, ni à un membre passé de cette chambre. Voilà mon opinion.
Je dirai à M. le ministre des finances qu'il devrait d'autant plus s'abstenir de ces qualifications, qu'il est de notoriété publique qu'il s'est opéré une fusion entre l'association libérale et l'alliance qui, dans ce pacte, a renoncé plus ou moins à ses opinions.
N'avons-nous pas vu des membres très hostiles au cabinet devenir plus tard ses amis les plus dévoués ?
A qui donc le blâme de M. le ministre des finances s'adresse-t-il ?
Assurément il sait qu'il n'a pas nos sympathies. Il ne compte pas sur nos votes dans une grande question politique.
Eh bien, si les députés d'Anvers ne lui accordent pas davantage leurs sympathies, s'ensuit-il qu'il y ait un pacte entre nous et surtout un pacte immoral ?
J'ai déclaré hier, en interrompant M. le ministre, qu'il n'existait aucune espèce de pacte. Mais il pourra exister, dans une circonstance donnée, une concordance, une similitude de votes. Méconnaître cette situation, ce serait méconnaître les éléments les plus simples du gouvernement représentatif. Or, M, le ministre des finances a parlé comme si un corps (page 178) électoral ne pouvait jamais changer d'opinion, comme si un représentant du pays ne pouvait-jamais changer d'opinion. Quand Bastogne et Bruges changent de députes, corruption ! Quand la ville d'Anvers change de député, corruption ! menées ! transfuges !
Messieurs, en agir ainsi, c'est briser nos institutions par leur base.
Est-ce donc à vous à donner des leçons aux collèges électoraux ? C'est à vous à en recevoir. Vous êtes leurs mandataires et non leurs mandants.
Pourquoi donc des collèges électoraux ne pourraient-ils changer d'opinion ? Pourquoi des députés ne pourraient-ils changer d'opinion dans des circonstances données ? Le pays est-il lié à M. le ministre des finances ?
Et que devient le libre examen que vous ne cessez d'invoquer ? En matière de religion, vous prétendez (pas vous, je l'espère, mais d'autres) que la Divinité doit se prêter à tous les caprices, à toutes les passions des hommes ; et vous voudriez qu'en politique tout le pays, les collèges électoraux, les représentants, fussent asservis à vos opinions, comme si vous aviez un droit imprescriptible, inviolable à l'infaillibilité.
C'est par trop méconnaître les conditions d'un gouvernement représentatif ; et plus vous vous enfoncerez dans cette voie périlleuse, plus vous approcherez de votre chute.
Messieurs, je conclus.
Je n'ai pas l'intention de m'associer aux demandes de la ville d'Anvers dans l'état actuel. Je m'explique.
Je n'ai pas davantage envie de repousser ces demandes par un ordre du jour. Et pourquoi ? Parce que de la même manière que M. le ministre de la guerre a découvert un système de défense du pays, qui doit le mettre non seulement à l'abri d'une conquête, mais même à l'abri de la pensée d'une invasion, un système de défense de la ville d'Anvers, qui doit empêcher qu'aucune bombe ne soit jamais lancée sur elle, de la même manière M. le ministre pourrait trouver à perfectionner encore ce système. Oh ! quand on a inventé un système semblable, on a un grand mérite ; mais que M. le ministre de la guerre me permette une comparaison : celui qui a obtenu un brevet d'invention demande et obtient quelquefois un brevet de perfectionnement.
Or, je le demande à M. le ministre de la guerre, si par ses propres inspirations ou par suite de la démonstration d'autorités militaires dignes de sa confiance, il trouvait la possibilité d'améliorer la situation de la citadelle du Nord en ce qu'elle offre de dangereux pour la ville d'Anvers, ne ferait-il pas une proposition dans ce sens à la législature ? Ensuite M. le ministre de la guerre n'est pas non plus rivé à perpétuité à son banc, et un autre ministre peut avoir d'autres idées.
Ainsi, messieurs, quant à moi, je ne puis ni appuyer les demandes de la ville d'Anvers, ni les repousser par l'ordre du jour proposé. Mais je dirai aux députés d'Anvers : Le moment n'est pas propice pour obtenir satisfaction, alors même que vos demandes seraient fondées, parce que vous rencontrez des préventions, et parce qu'on n'est pas disposé en ce moment à examiner de nouveau cette question des changements qui pourraient être apportés aux fortifications dans l'intérêt de la sécurité de votre ville.
Je dirais à la ville d'Anvers ce qu'un docteur dit à un homme atteint d'une maladie très grave : « Le temps améliorera votre situation ». Or, en effet, il arrive parfois que le malade guérit.
Il en est des réclamations de la ville d'Anvers comme de beaucoup d'autres réclamations, qui restent pendant longtemps sans être accueillies et qui finissent quelquefois par triompher et par obtenir satisfaction pleine et entière.
Pour moi, messieurs, je désire que l'on puisse un jour concilier les nécessités de la défense avec les craintes légitimes de la ville d'Anvers.
On a dit : « Nous avons fait assez de sacrifices. » Certainement s'il s'agissait de faire des dépenses non nécessaires, je serais le premier à les repousser ; mais si l'on venait nous dire : « L'apaisement de la ville d'Anvers, le dévouement absolu, illimité de ses habitants à la défense de la ville dépendent d'une certaine modification, eh bien, cette modification dût-elle coûter quelques millions, ami du pays et fort de la confiance de mes mandants, je n'hésiterais pas à voter cette dépense, pourvu que la défense du pays ne fût pas altérée, et pourvu que les modifications fussent réellement pratiques et de nature à faire atteindre le but que je viens d'indiquer.
Voilà, messieurs, mon opinion ; je compte y persister et je vote en conséquence contre l'ordre du jour.
- Plusieurs membres. - La clôture !
M. Delaetµ. - J'ai à répondre aux accusations qui ont été dirigées contre nous ; je ne serai pas long.
MpVµ. - Je dois accorder la parole à un orateur en sens contraire. La parole est à M. Bara.
M. Bara. - Si la Chambre désire clore, je renoncerai à la parole.
M. Delaetµ. - Puisque les injures de la gauche... (Interruption.)
- Des membres. - La clôture !
MpV. - La clôture n'est pas demandée par dix membres. La parole est à M. Delaet.
M. Bara. - Je n'ai renoncé à la parole que pour le cas où la Chambre désirât clore.
- Des membres. - Laissez parler M. Delaet.
MpVµ. - La parole est à M. Delaet.
M. Delaetµ. - Messieurs, les accusations qu'on a osé diriger contre la ville d'Anvers ont été victorieusement repoussées. Quant à nous, nous avons fait notre devoir, et nous pouvons marcher la tête haute et laisser passer les injures. Mais M. le ministre de la guerre a dit qu'il avait été tout étonné quand le projet de conciliation, dont nous avons parlé, lui était venu d'Anvers. Eh bien, messieurs, ce projet n'est pas venu d'Anvers, il est venu de Bruxelles.
Il existe au ministère de la guerre un projet tout spécial sorti de la commission de 1861, qui a été étudié et modifié plus tard par des officiers du génie. Ce projet consiste dans l'établissement d'un réduit défensif sur la rive gauche, réduit qui serait de nature à permettre la démolition des citadelles. Ce projet est complétement étudié, jusque dans les derniers détails et avec tous les plans nécessaires à son exécution et les devis estimatif. La dépense totale serait de 13,800,000 fr. Nous demandons que ce projet soit produit.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je dois protester contre le fait que vient d'affirmer l'honorable membre. J'ai dit que j'avais chargé en 1861 plusieurs officiers d'examiner si l’on ne pourrait pas, au moyen de certains travaux, se dispenser de tendre des inondations autour d'Anvers en temps de guerre. J'ai dit que ces officiers m'avaient proposé l'établissement de trois forts, sur la rive gauche ; mais qu'il n'avaient pas fait la moindre mention d'une portion d'enceinte ou d'un réduit à établir sur cette rive pour remplacer les citadelles existantes ?
J'ai ajouté que je n'acceptais pas leur projet parce que, suivant moi, les trois forts ne dispensaient pas de tendre les inondations. Je déclare en outre que jusqu'ici je ne connais pas le devis des travaux qui devraient être exécutés sur la rive gauche pour satisfaire aux désirs d'Anvers. Je fais faire ce devis dans le but de me rendre compte du sacrifice que la ville d'Anvers devrait s'imposer pour réaliser ses vues ; ce travail ne m'a pas été remis jusqu'à présent ; c'est une simple étude, comme j'en fais faire souvent, et rien de plus.
M. Wasseige. - M. le ministre de la guerre vient de donner les meilleures raisons qu'il soit possible d'indiquer pour ne pas prononcer l'ordre du jour.
- La clôture est mise aux voix et prononcée.
MpVµ fait une seconde lecture de la motion d'ordre ; il met cette motion aux voix.
- Des membres. - L'appel nominal.
Il est procédé à cette opération.
En voici le résultat.
103 membres y prennent part.
57 répondent oui.
40 répondent non.
6 s'abstiennent.
En conséquence, la Chambre adopte l'ordre du jour.
L'incident sur l'affaire d'Anvers est clos.
Ont répondu oui :
MM. Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Lange, Laubry, Ch. Lebeau, J. Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lesoinne, Mascart, Moreau Mouton, Muller, Orban, Orts, Pirmez, Pirson, Prévinaire, Rogier, Sabatier, Tesch, Alp. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Volxem, Allard, Ansiau, Bara, Bouvier, Braconier, Carlier, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Bronckart, de Brouckere, de Florisone, De Fré, de Kerchove, De Lexhy, de Macar, de Moor, de Paul, de Renesse, de Rongé, Dolez Frère Orban, Frison, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Guillery, Hymans et Ern. Vandenpeereboom.
Ont répondu non :
MM. Janssens, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, le Bailly de Tilleghem, Moncheur, Notelteirs, Nothomb, Rodenbach, Schollaert, Snoy, Tack, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Vander Donckt, Vermeire, Verwilghen,. Vilain XIIII, Wasseige, Beeckman, Coomans, Debaets, de Conninck, Delaet, Delcour, de Liedekerke, de Mérode, de Montpellier, (page 179) de Muelenaere, de Naeyer, de Smedt, de Terbecq, de Theux, d'Hane-Steenhuyse, Dubois d'Aische, B. Dumortier, d'Ursel, Faignart, Hayez et Jacobs.
Se sont abstenus : MM. Kervyn de Lettenhove, Royer de Behr, Van Overloop, Van Renynghe, Dechamps et de Decker.
MpVµ. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.
(Erratum, page 192). M. Kervyn de Lettenhove. - Etranger et peu favorable au vote des fortifications d'Anvers, je souhaiterais que l'exécution de cette mesure, aujourd'hui définitive, pût concilier la sûreté de notre métropole commerciale et les exigences de la défense nationale ; mais, je ne me suis pas cru suffisamment éclairé sur les moyens d'atteindre ce but, si éminemment désirable.
M. Royer de Behr. - J'aurais été assez disposé à voter l'ordre du jour, sans les dernières paroles prononcées par M. le ministre de la guerre, et le discours purement politique de M. le ministre des finances.
J'ajoute que si une demande d'examen, ne préjugeant aucune opinion, était formulée par les honorables députés d'Anvers, je la croirais acceptable.
M. Van Overloopµ. - Messieurs, je n'ai pas voté contre, parce que je persiste, en ce qui concerne Anvers, dans l'opinion que j'ai antérieurement exprimée ; je n'ai pas voté pour l'ordre du jour, parce que, selon moi, il n'est pas du tout propre à ramener le calme dans les esprits ; que bien au contraire, il contribuera à les aigrir davantage, et qu'il sera un aliment de plus à cette politique de division qui, je le crains bien, fera un jour la perte de la Belgique.
M. Van Renynghe. - Je me suis abstenu pour les motifs allégués par M. Royer de Behr.
M. Dechamps. — Messieurs, je n'ai pas voté contre la motion proposée par trois honorables collègues de la gauche. J'ai voté, vous le savez, en faveur des fortifications d'Anvers. En émettant ce vote, j'ai obéi à une forte conviction qu'explique toute une vie parlementaire ; et ce n'est pas au moment où les grandes puissances proclament la chute des traités, et c'est sur un traité que notre nationalité repose, ce n'est pas à ce moment que je serais disposé à revenir sur mon vote antérieur.
Je n'ai donc pas voté contre la motion, parce que c'est une sanction nouvelle du vote de la Chambre en faveur des fortifications d'Anvers.
Mais je n'ai pas pu voter pour la motion, et cela pour deux motifs.
Le premier motif, c'est que cette motion ferme toute issue à un examen nouveau, à une modification quelle qu'elle soit ; la motion est la traduction du mot « irrévocable » prononcé par M. le ministre des finances.
Or, l'honorable général Chazal vient de nous dire qu'on s'était livré dans son département à l'examen d'un nouveau projet ; donc, selon moi, ce projet est sérieux ; car je ne pourrais comprendre que le département de la guerre, dirigé par un homme de la valeur de l'honorable général Chazal, pût se résoudre à examiner officiellement et d'une manière sérieuse un projet qui ne le serait pas. Par conséquent, je n'ai pas pu voter en faveur de la motion, parce qu'elle forme toute issue à toute transaction, à tout examen ultérieur.
Le second motif de mon abstention a été énoncé par l'honorable M. Royer de Behr. M. le ministre n'a pas prononcé un discours en faveur de la défense nationale, il a prononce un discours politique ; il a saisi cette occasion, pour diriger une triple attaque, j'allais dire une triple violence contre la droite tout entière, contre les députés d'Anvers, contre le corps électoral d'Anvers qu'il a voulu flétrir. Eh bien, vous reconnaîtrez, je pense, qu'en présence de ce discours, aucun membre de la droite ne pouvait, sans manquer à sa dignité, voter en faveur de la motion.
M. de Decker. – Messieurs, j'ai voté pour les fortifications d'Anvers. Je ne pouvais voter contre la motion d'ordre, sans être inconséquent avec les opinions que j'ai soutenues autrefois et dont je ne me repens nullement.
D'autre part, je n'ai pu voter pour la motion.
Un vote n'était nullement nécessaire au point de vue national et gouvernemental, et il doit avoir fatalement pour conséquence de rendre plus profond l'abîme qui sépare le gouvernement d'une des plus grandes villes du pays, d'une ville dont le concours, dans des éventualités peut-être prochaines, peut devenir si nécessaire.
En bon citoyen, en ami de la dynastie, je veux tenir ouvertes toutes les voies à une conciliation que je considère comme indispensable, urgente.
Je n'ai donc pas voulu émettre un vote favorable sur la motion d'ordre qui est destinée à jeter une irritation peut-être irrémédiable au sein de la cité anversoise.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je demande à la Chambre de donner une courte explication.
MpVµ. - Vous avez la parole s'il s'agit seulement de donner une explication et nom de discuter des motifs d'abstention.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - J'ai dit tout à l'heure que je fais examiner les propositions d Anvers ; mais il n'en résulte nullement que ce soit dans l'intention éventuelle de les accepter. Je fais cette étude, afin de pouvoir, comme je l'ai dit, me rendre compte de la dépense qu'elles occasionneraient et de fournir ce renseignement à la Chambre, si la discussion se prolongeait.
C'est ce travail et nul autre que j'ai ordonné depuis quelque temps. Je ne prends pas d'engagements, je n'en ai pas pris et je ne pouvais pas en prendre, puisque, dans ma conviction, je ne crois pas de nouveaux travaux nécessaires.
M. Delaetµ. - Pardon, général, ces études sont faites et parfaites. Elles sont antérieures aux offres de concours financier de la ville d'Anvers.
MpVµ. - A quel jour la Chambre veut-elle fixer sa prochaine séance ?
- Plusieurs membres. - A lundi.
M. B. Dumortier. - Messieurs, le jour où il a été décidé que la discussion de l'adresse commencerait lundi dernier, l'honorable M. Orts, en en faisant la proposition, a dit que si la discussion n'était pas terminée pour la Noël, on pourrait la reprendre après les vacances.
Je demande que la Chambre ne modifie pas cette résolution.
MpVµ. - Si la discussion n'était pas terminée jeudi prochain, on pourrait la reprendre après les vacances de janvier.
M. B. Dumortier. - Mais, messieurs, dès l'instant qu'il est impossible de terminer cette année la discussion de l'adresse, mieux vaut, pour ne pas la scinder, l'aborder après les vacances de janvier. J'en fais la proposition formelle.
M. Hymans. - Je comptais faire une proposition analogue ; seulement je voulais proposer à la Chambre la date de sa rentrée et de la fixer au 5, premier mardi de janvier. Il est absolument impossible que la discussion de l'adresse soit terminée avant le nouvel an, c'est-à-dire en quatre séances. Ce n'est pas pour nous donner des vacances que je fais celle proposition, mais pour ne pas scinder la discussion, pour empêcher qu'on ne la reprenne ab ovo après y avoir consacré déjà quatre séances.
M. Wasseige. - Je suis également de l'avis de l’honorable M. Hymans ; mais je propose, par amendement, que la rentrée de la Chambre n'ait lieu que le deuxième mardi de janvier. (Interruption.)
Messieurs, vous savez comme moi que la fin de l'année est pour beaucoup de personnes une époque où l'on a beaucoup à travailler.
Il me semble que ce n'est pas être trop exigeant que de demander une quinzaine de jours pour les consacrer à nos affaires personnelles.
- La Chambre, consultée, fixe au 5 janvier la reprise de ses travaux.
Le sort désigne, pour faire partie de la députation, outre M. le président :
MM. de Brouckere, De Lexhy, Bara, Jamar, Orts, Bouvier, de Mérode, Dechamps, Faignart et de Baillet-Latour.
- La séance est levée à 5 heures et demie.