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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 23 décembre 1863

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1863-1864)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 151) M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. de Moor, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Des habitants d'Anvers demandent la révision de la loi sur les conseils de prud'hommes. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Saint-Denis demandent une loi qui règle le mode de sépulture. »

- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.


« Des habitants de Blankenberghe demandent une loi dans l'intérêt de la langue flamande. »

« Même demande d'habitants de Bruges, des sieurs Paret Vander Heyden et autres membres d'une société littéraire à Dixmude. »

- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.

Projet de loi portant le budget de la dette publique de l’exercice 1864

Rapport de la section centrale

M. Van Iseghem. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le budget de la dette publique pour 1864.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite des objets à l'ordre du jour.

Projet d'adresse en réponse au discours du trône

Discussion générale

MpVµ. - La parole est continuée à M. De Fré.

M. De Fré. - Messieurs, à la fin de la séance d'hier, j'ai donné lecture à la Chambre de plusieurs documents qui établissent que la citadelle du Nord avec son étendue, son importance et sa destination, était connue du pays tout entier.

L'importance de cette citadelle devait être connue surtout par les habitants d'Anvers, parce que c'était chez eux que cette citadelle se faisait ; c'étaient eux qui avaient demandé la démolition de l'enceinte espagnole, et on leur avait répondu que si l'on démolissait l'enceinte espagnole, il fallait remplacer ce refuge pour l'armée, en cas de malheur, en cas de défaite, par un autre refuge, par le refuge de la citadelle du Nord.

Quant au danger que peut présenter cette citadelle pour le commerce anversois, il a été, à cet égard, donné, par le général ministre de la guerre, les explications les plus complètes, des explications réitérées.

Il vous a expliqué que les canons qui se trouvent dans cette citadelle du Nord ne pouvaient jamais agir contre la ville, que ces canons étaient dirigés pour battre les passes de l'Escaut.

Messieurs, je dois ici donner lecture du passage d'une lettre écrite par l'honorable général Chazal au bourgmestre d'Anvers, le 27 octobre 1862, lettre qui a été publiée et qui aurait dû calmer les esprits.

« On semble craindre à Anvers, dit le ministre de la guerre, que les citadelles puissent devenir une cause de ruine pour les établissements du commerce. Ces craintes ne seraient fondées que si l'on supposait les citadelles entre les mains d'un général ennemi obéissant à des sentiments qui ne sont plus de notre époque.

« Or, cette supposition n'est pas admissible, et, le fût-elle, il ne faudrait y attacher aucune importance, puisque le général ennemi qui serait maître de l'enceinte ou seulement de l'espace qui la sépare des forts, pourrait établir autant de batteries qu'il jugerait nécessaire pour détruire les établissements maritimes d'Anvers, s'il ne craignait pas d'accepter la responsabilité d'un acte aussi odieux et que les usages de la guerre moderne condamnent.

« Il est évident que si un général belge avait à maintenir quelque temps sa position dans les deux citadelles, il dirigerait la défense de manière à respecter ce qui fait la richesse et la prospérité d'Anvers. Ce serait faire injure au bon sens et au patriotisme de nos officiers que de les supposer animés de sentiments contraires !

« Il n'est donc pas exact que la construction de la citadelle du Nord soit une menace pour la ville. Les fronts intérieurs ne sont pas pourvus de batteries casematées et ils ne servent qu'à garantir la garnison contre une attaque de vive force.

« Pour les besoins de sa défense, il suffit que la zone intérieure ait l'étendue qui convient au tir de la mousqueterie (250 mètres environ).

« Reste la question du déplacement de la citadelle du Nord.

« Vous prétendez, M. le bourgmestre, que cette citadelle est plus rapprochée des établissements maritimes que ne l'était celle du plan primitif. Je suppose que le plan auquel vous faites allusion est un croquis imparfait publié sans caractère officiel, par un établissement privé. La vérité est que la citadelle n'a pas été déplacée, et en voici la preuve.

« La loi qui décrète les nouvelles fortifications d'Anvers est du 8 septembre 1859 ; or dès le 26 du même mois on a exposé, à l'hôtel du gouvernement provincial, le plan terrier d'après lequel les travaux de la citadelle ont été tracés et exécutés.

« Aucune modification n'a été apportée à ces plans, ainsi que vous pourrez vous en assurer.

« J'aime à espérer, M. le bourgmestre, que ces explications franches et catégoriques vous permettront d'établir devant le conseil communal que les craintes de vos administrés n'ont aucun fondement ; que jamais les enfants du pays, préposés à la défense d'Anvers, ne causeront la ruine de notre métropole commerciale ; que l'ennemi, s'il avait la coupable pensée de détruire les bassins et leurs nombreuses dépendances, n'aurait pas besoin de s'établir dans les deux citadelles pour consommer cet attentat contre la fortune de toutes les nations ; que la grande portée des armes nouvelles lui permettrait d'atteindre ce but des points les plus éloignés de l'enceinte et même de l'extérieur après l'abandon du camp retranché ; que les citadelles sont nécessaires pour assurer la bonne défense de l'enceinte actuelle comme réduit de la position ; enfin que, me trouvant en présence du texte formel d'une loi qu'il est de mon devoir de faire respecter, je ne puis, de mon autorité privée, supprimer la zone des servitudes à l'intérieur de la nouvelle citadelle du Nord. »

Tout le monde savait donc à Anvers quelle était l'étendue de la citadelle du Nord et tout le monde savait qu'elle ne serait jamais ni un danger ni une menace pour les habitants.

Eh bien, messieurs, je dis à l'honorable M. d'Hane-Steenhuyse : Vous saviez tout cela, vous saviez depuis trois ans que cette citadelle du Nord, dont vous avez fait un fantôme avec lequel vous avez égaré les populations, que cette citadelle du Nord ne pouvait être un danger pour la ville. Vous connaissiez son but, son étendue ; vous saviez que cette citadelle du Nord n'était point une menace pour la ville. Et si vous le saviez, pourquoi avez-vous dit le contraire ?

Je vous serre dans ce dilemme, dont je vous défie de sortir : ou bien vous ne connaissiez rien à la question d'Anvers et alors pourquoi vous en mêliez-vous ? ou bien vous la connaissiez et alors pourquoi, à l'effet d'ameuter les populations et de troubler le pays, avez-vous dit des choses que vous saviez n'être pas vraies ?

Mais vous saviez tout cela, car vous n'êtes pas un homme ordinaire, vous êtes au courant de la politique, vous avez une certaine renommée dans le pays. On vous connaît non seulement par vos discours aux meetings, mais on vous connaît aussi par vos publications. C'est vous qui avez publié cette brochure fameuse dans laquelle vous attaquiez la divinité du Christ. Et vous vous êtes imaginé que des catholiques sincères et honnêtes, comme M. de Theux, comme M. de Naeyer, comme M. de Decker, ouvriraient leurs bras pour vous recevoir dans leur parti, non seulement parce que vous avez troublé le pays et laissé outrager tout ce que nous respectons, mais parce que vous avez manifesté des sentiments que la droite considère comme un outrage à ses croyances catholiques ! Quel édifiant spectacle !

Messieurs, je ne comprends pas cette discussion. Quoi ! des gens qui croient, parce qu'ils savent faire beaucoup de bruit, qu'ils peuvent redresser les plans d'une forteresse ! Moi, je ne fais que produire des arguments qui résultent de documents authentiques qui n'ont pas été renversés ; mais ceux qui viennent les contredire, qui donc sont-ils ? Possèdent-ils la science militaire ? Hélas !

L'honorable M. Jacobs a prononcé hier un mot important : il a parlé de responsabilité ; il a dit au gouvernement : « Vous êtes responsable de la défense du pays. »

Eh bien, c'est précisément parce que ceux qui ont préparé cette (page 152) défense, qui y ont présidé, qui en ont étudié les plans, sont responsables, non seulement dans le présent, mais dans l’avenir, non seulement pour les générations actuelles, mais encore pour les générations futures (car ces fortifications dureront), c’est précisément à cause de cette responsabilité que j’ai foi dans le système que le gouvernement a adopté et que la législature a sanctionné.

Il y a là une garantie pour nous ; car vous, messieurs, qui demandez des changements, vous n'êtes pas responsables des erreurs que vous pourriez commettre, ni de celles que vous pourriez faire faire, tandis que ceux qui ont en mains l'autorité, chargés, au besoin, de se servir du système adopté pour la défense du pays, sont responsables devant le pays, et ils appelleraient sur eux la malédiction du pays, s'ils échouaient dans cette défense pour n'avoir pas employé tous les moyens efficaces de la faire triompher.

Non, je n'ai pas foi dans votre système, non seulement parce que vous n'avez pas la science militaire, mais parce que vous n'avez pas de responsabilité.

Messieurs, les honorables députés d'Anvers vous parlent de conciliation ; ils disent : « Concilions-nous. » Et on reproduit ici une phrase qui traîne dans quelques journaux anversois : « Concilions les intérêts d'Anvers avec les intérêts de la défense nationale. »

Messieurs, en 1858, Anvers combattait le gouvernement ; en 1858, les députés d'Anvers venaient dire : « Votre petite enceinte c'est la ruine d'Anvers ; elle est inefficace pour maintenir l'indépendance du pays ; nous, nous y opposons ; nous vous attaquons ; mais concilions-nous. »

Le gouvernement s'est concilié ; le gouvernement qui voulait d'abord ne dépenser qu'une somme de 20 millions, s'est concilié moyennant une dépense de 48 millions dont la ville d'Anvers doit payer 10 millions qu'elle ne paye pas. Voilà donc la conciliation faite.

Mais combien de temps cette conciliation a-t-elle duré ? Une année après, on attaque le gouvernement, à propos de l'indemnité du chef des servitudes militaires, et on dit au gouvernement : « Concilions-nous ; donnez de l'argent ; vous avez donné de l'argent une première fois ; donnez-en une seconde fois, »

Messieurs, le gouvernement n'en a pas donné ; et jusqu'à présent la conciliation n'est pas faite ; j'examinerai tout à l'heure pourquoi le gouvernement n'en a pas donné et pourquoi le gouvernement n'a pas pu en donner.

Mais qu'a fait le gouvernement, il a proposé un projet de loi à la Chambre, à l'effet d'arriver à cette conciliation, projet de loi pu lequel il réduisait les servitudes intérieures, qui sont de 585 mètres, à 250 mètres. C’était ce que les pétitionnaires avaient demandé dans le principe ; ils ont demandé la réduction de ces servitudes, et quand le gouvernement a présenté ce projet de loi, à la faveur duquel il croyait obtenir la conciliation d'Anvers, le gouvernement a été attaqué, et on a dit au gouvernement : Nous repoussons le bienfait que vous nous voulez faire. Cela ne nous suffit pas.

Vous voyez donc bien que le gouvernement a fait tout ce qu'il a pu pour amener cette conciliation.

Aujourd'hui on dit de nouveau au gouvernement : Concilions-nous ; il y a un excellent moyen de nous concilier, c'est de dépenser 10 ou 15 nouveaux millions pour Anvers. On ajoute que cela ne coûterait pas même 15 millions, car la ville d'Anvers est disposée à intervenir dans cette nouvelle dépense. A quoi le gouvernement répond : « Mais je m'étais concilié en 1859, moyennant la promesse formelle de me payer 10 millions, et ces 10 millions, je ne les ai pas ; car quand je vous les demande, vous me répondez en m'envoyant un mémoire, à l'effet de me démontrer que vous ne me les devez pas. »

En présence d'une telle conduite n'ai-je pas le droit de vous demander si ces nouvelles tentatives de conciliation ne cachent pas un autre piège. Dans tous les cas, je demande si le gouvernement peut accepter ces propositions sans compromette le trésor, sans compromettre sa dignité.

Messieurs, je comparerais volontiers la ville d'Anvers à un banquier qui veut sans cesse tirer à vue sur le trésor public et qui laisse protester ses propres engagements.

Ainsi, en 1859, on tire à vue sur le trésor pour une somme de plusieurs millions ; en 1861, on veut encore tirer à vue pour une somme très forte du chef d'indemnités à raison des servitudes militaires ; aujourd'hui enfin on veut une troisième fois tirer sur le trésor pour une somme bien autrement considérable que deux à trois millions.

Il est évident, messieurs, qu'il n'y a pas de conciliation possible avec des personnes qui ne sont jamais satisfaites et qui, quand elles font des conventions, cherchent à s'y soustraire.

Messieurs, ce que la ville d'Anvers demande aujourd'hui, la fortification de la rive gauche de l'Escaut, cela est-il nécessaire ?

Le gouvernement, qui, d'après l'honorable M. Jacobs, est responsable, le gouvernement vient déclarer que la grande enceinte, telle qu'elle est établie, avec une citadelle au Nord et une citadelle au Sud, est suffisante pour la défense du pays. Cette dépense militaire, que nous avons votée en 1859, a été très lourde pour la Belgique ; c'est un sacrifiée considérable en raison surtout du peu d'étendue de son territoire. Mais cette dépense a été considérée et doit être considérée comme un devoir impétueux, commandé par le besoin de garantir cette liberté et cette indépendance qui nous sont si chères ; d'affirmer par un grand sacrifice, notre amour pour cette indépendance et pour cette liberté.

Ce sacrifice était nécessaire pour remplir nos obligations de pays neutre.

Car c'est une erreur de croire que, quand on est pays neutre, on ne doit pas se défendre ; c'est une erreur de croire, quand un territoire est déclaré neutre par des puissances étrangères, que les habitants de ce pays n'ont plus qu'à se croiser les bras et à livrer leurs libertés et leurs dieux au premier conquérant venu.

Les peuples qui, pour assurer des libertés conquises, ne savent pas faire de sacrifices, ne sont pas dignes d'en jouir. Ce n'est jamais de la Belgique qu'on croira cela.

Il y a eu sur cette question des fortifications d'Anvers, dans cette assemblée et en dehors de cette assemblée, des opinions différentes, Quelques-uns appréciant mal, d'après moi, mais en conscience, les obligations d'un peuple neutre, se sont élevés contre ces grandes dépenses que la majorité de cette assemblée a jugées nécessaires et qui n'ont été votées qu'à cause de leur absolue nécessité.

Et aujourd'hui, après ce grand sacrifice, on vient nous demander non pas des dépenses nécessaires comme celles que nous avons votées et que quant à moi j'ai votées avec empressement ; mais on vient nous demander de voter des dépenses de luxe, car l'honorable général Chazal vous a déclaré que ces dépenses sont inutiles et n'attendraient pas le but que la nouvelle députation anversoise prétend vouloir atteindre.

L'honorable général a déclaré que même avec la rive gauche fortifiée, il faut conserver la citadelle du Nord.

Messieurs, dans les meetings d'Anvers, dans les journaux d'Anvers, dans les délibérations du conseil communal d'Anvers, dans les pétitions qui sont arrivées à cette tribune, on a demandé deux choses : la démolition des deux citadelles et de nouvelles fortifications.

Voilà ce que veut le mouvement anversois, voilà ce que l'honorable M. d'Hane, président effectif, et l'honorable M. Dubois, président d'honneur des meetings, ont développé et laissé développer dans leurs assemblées populaires ; et aujourd'hui, lorsqu'on a reçu le mandat de monter à cette tribune avec un pareil programme, lorsqu'on a reçu le mandat de demander qu'une loi solennellement votée et presque entièrement exécutée soit abolie, que tant de millions dépensés restent infructueux, et que les constructions qu'on a faites avec ces millions soient détruites ; quand on a reçu le mandat d'imposer à la Chambre un nouveau crédit de 10 à 15 millions pour la défense de la rive gauche, qui est inutile, on vient vous parler des injures faites au conseil communal d'Anvers, à propos du discours prononcé au Sénat par l'honorable ministre des finances et de l'impression profonde que ce discours a causée ! Vous n'êtes pas dans votre rôle, messieurs les députés d'Anvers, quand je vous vous arriver timidement, à la suite de tout ce bruit, de tous ces outrages, de toutes ces menaces ; vous deviez tout démolir, tout renverser et éclipser dans cette assemblée, par votre seule présence, nos plus grandes illustrations parlementaires.

Je vous vois dis-je, disserter avec le plus cruel embarras, sur la conduite du conseil communal d'Anvers qui peut bien payer, mais qui ne veut pas payer ; qui veut bien payer, mais qui ne sait pas où trouver l’argent nécessaire. Permettez-moi de vous le dire, messieurs, cela est un peu ridicule, et je vous engage à sortir de ce rôle qui n'est pas à la hauteur de votre taille, car vous êtes de fiers tribuns que les propositions hasardées n'effrayent point.

Sortez de ce rôle timide et embarrassé ; montez à cette tribune ; faites une proposition. Venez demander à la Chambre qu'elle défasse une loi et qu'elle sacrifie 10 millions de constructions ; demandez à la Chambre qu'elle vote un nouveau crédit de 15 millions pour le succès de votre programme, et je vous garantis que vous n'aurez pas une voix pour vous.

M. de Renesse. - Si l'on faisait la dissolution de la Chambre sur cette question, vous verriez ce qui arriverait.

M. De Fré. - Je dis que si pareille proposition était faite, il n'y aurait pas une voix dans cette assemblée pour l'appuyer, car le pays nous jetterait la pierre.

(page 153) M. Coomans. - Nous en avons eu assez de pierres.

M. De Fré. - Je prie la Chambre d'excuser la plaisanterie de l'honorable M. Coomans.

Il est de la dignité du gouvernement, il est de la dignité de cette assemblée de ne point céder. De la dignité de cette assemblée, parce qu'elle ne peut revenir sur une loi de cette importance. De la dignité du gouvernement, parce que, s'il était possible dans un psys libre qu'un intérêt local pût arrêter, embarrasser l'action générale de l'Etat, la Chambre serait sans force et le gouvernement sans autorité.

Si l'on était forcé de donner satisfaction à de pareils intérêts et de s'incliner devant de pareilles réclamations, il n'y aurait plus dans l'Etat que désordre et anarchie.

Si vous aviez deux villes comme Anvers qui, à cause d'un intérêt local, viendraient ainsi arrêter l'action générale de l'Etat, et entraver les destinées du pays, l'existence morale de la Belgique serait compromise, son avenir serait sans sécurité.

Il y a, dans la question d’Anvers prise dans son ensemble, deux choses ;

Il y a une question d'argent, la question d'indemnité ; et il y a la question de défense nationale, qui est une question d'utilité générale, qui ne peut être contrariée par un intérêt particulier.

La question des indemnités : on a eu tort d'attaquer la majorité parlementaire pour n'avoir pas, jusqu'à présent, résolu cette question. Le vote de la majorité parlementaire s'explique. Il existe une législation contre laquelle on n'avait jamais réclamé (car les premières réclamations contre cette législation viennent d'Anvers) ; une législation qui refuse des indemnités du chef de servitudes militaires.

Pour accorder à Anvers l'indemnité qu'elle réclamait, il fallait changer cette législation, et ce changement, j'en appelle ici aux jurisconsultes de la droite, ce changement n'était pas une chose facile, car, parmi les servitudes légales, il n'y a pas que les servitudes militaires ; il y a des servitudes de toute nature ; et le jour où vous viendrez déclarer au pays qu'un intérêt particulier, en matière de servitudes militaires, ne doit pas souffrir pour l'intérêt général, vous seriez obligés de le déclarer pour toutes les autres servitudes. Vous n'auriez pas le droit, et c'est ce qu'Anvers ne peut pas exiger, à moins qu'elle ne reste égoïste jusqu'au bout, que seule elle reçoive une indemnité du chef de servitudes, lorsque tant d'autres villes, tant d'autres citoyens qui en subissent, ne recevraient rien, parce qu'ils ne se plaignent pas.

L'honorable M. Nothomb, et je renvoie les nouveaux élus à cet honorable membre, a déjà traité la question et il a fait voir comme cela est clair, que le jour où l'on entrerait dans la voie de vouloir donner une indemnité à chaque citoyen qui souffre pour l'intérêt général, qui souffre dans l'intérêt de la défense, qui souffre dans l'intérêt de la salubrité, qui souffre dans l'intérêt de la sécurité, le trésor public tout entier y passerait.

L'état social ne vit que de sacrifices individuels, qui produisent le dévouement général. Or, le jour où tout ce qui se fait pour le pays, doit être payé, payé avec de l'argent, je le dis encore une fois, il n'y a plus de vie morale.

D'ailleurs, messieurs, la majorité parlementaire ne pouvait pas voter autrement qu'elle n'a voté. C'est une question que le gouvernement a besoin d'examiner. Il doit voir quels sacrifices il pourrait devoir faire. Il ne peut appartenir ni à aucun membre de la majorité, ni à aucun membre de la députation d'Anvers de fixer quel chiffre il y aurait à allouer du chef de ces indemnités ; or le gouvernement a déclaré qu'il examinait cette question difficile et elle ne peut être résolue du jour au lendemain.

Quant à l'autre question, la question de la défense nationale, je vous ai déjà dit que ni la Chambre ni le gouvernement ne pouvait compliquer cette question d'intérêts privés.

Mais je dis que la Chambre est incompétente, complètement incompétente pour porter la moindre modification à la loi du 8 septembre 1859. Voici ce que porte cette loi :

« Loi relative à l'exécution de divers travaux d'utilité publique.

« Leopold, etc.

« Art. 1er. Il est accordé au gouvernement, pour l'exécution des travaux ci-après désignés, les crédits suivants :

« ... Au ministère de la guerre, pour travaux d'agrandissement et pour la continuation des travaux de défense, 20 millions. »

Est-ce que la Chambre a voté un plan ? Est-ce que la Chambre a discuté les moyens de défense ? l'étendue de cette grande enceinte ? Est-ce que la Chambre a décidé qu'il y aurait une citadelle au Nord, que la citadelle au Sud serait maintenue, que la citadelle au Nord aurait tel périmètre, qu'elle aurait tel rôle à jouer au jour du danger ?

Nullement. La Chambre n'a été appelée à se prononcer que sur la question de savoir si elle voulait, pour la défense nationale, voter un crédit de plusieurs millions.

La construction de la grande enceinte d'Anvers avec la citadelle du Nord est une affaire d'exécution, confiée, d'après nos lois, au pouvoir exécutif qui la dirige sous sa responsabilité.

Je demanderai si lorsque le ministre de la justice vient proposer à la Chambre un crédit pour un palais de justice, la Chambre examine la question de savoir si ce palais de justice eu bien ou mal construit.

Je sais très bien, puisque le ministère est responsable de l'exécution des lois, qu'il existe pour la Chambre un moyen, lorsque la loi est mal exécutée, c'est de mettre le ministère en accusation.

Eh bien, qui peut dire, l'honorable colonel Hayez, l'honorable M. D-laet, les honorables M. Jacobs et autres, peuvent-ils dire qu'au point de vue stratégique, au point de vue des lois militaires, il y a des fautes, des fautes graves qui sont de nature à compromettre, à un moment donné, la défense du pays ?

Est-ce là ce qu’on a articulé ? Pas le moins du monde.

On vient avec un système nouveau. Eh bien, je dis que la Chambre n'a pas plus à examiner le système nouveau, qu'elle n'a voté le plan de la citadelle du Nord.

Au reste, messieurs, cette question-là est une question sur laquelle la grande majorité de la Chambre est d'accord. La Chambre a solennellement déclaré qu'elle ne voulait pas qu'on touchât aux travaux d'Anvers. La Chambre a solennellement déclaré, le 9 avril 1862, le 15 mai 1862 et le 28 février 1863, qu'elle ne voulait pas que les travaux d'Anvers fussent modifiés, qu'un changement quelconque y fût apporté.

Et, messieurs, ce n'étaient pas seulement des amis du ministère qui votaient cette résolution ; il y avait beaucoup de catholiques qui l'ont votée. Ainsi, je trouve parmi les catholiques qui ont résolu la question dans ce sens, l'honorable M. Vilain XIIII, l'honorable M. de Decker, l'honorable M. de Naeyer, l'honorable M. Moncheur et l'honorable M. Royer de Behr (interruption), ainsi que l’honorable M. Dechamps. comme on le dit à mes côtés.

Comme je vous le disais hier, messieurs, en commençant, il y a dans la ville d'Anvers un grand nombre de citoyens qui déplorent amèrement ce mouvement de la question anversoise, qui le déplorent avec le pays tout entier ; mais ces citoyens se taisent devant le tapage qui les effraye. A ceux-là il faut tendre une main amie en résistant énergiquement à des prétentions qui, dans leurs débordements, ont revêtu un caractère antinational.

M. Coomans. - Je demande la parole.

M. De Fré. - Le mouvement anversois porte atteinte à la bonne renommée de la Belgique ; il fait croire à l'étranger que la Belgique est moins préoccupée de ses intérêts moraux que de ses intérêts matériels, et qu'elle ne sait pas allier l'ordre à la liberté.

Il est temps que la bonne renommée de la Belgique, ternie peut-être par la question anversoise, reconquière en Europe l'estime qu'elle aurait pu perdre.

J'engage le gouvernement à rechercher avec bienveillance les moyens de donner satisfaction à des intérêts matériels qui pourraient avoir souffert quelque préjudice ; mais je h supplie et je supplie la Chambre de ne pas mettre de nouveau en discussion la grande question de la défense de la patrie.

L'honneur national nous l'interdit et nous serions la risée de l'Europe.

Messieurs, il résulte, ce me semble, de toutes les observations que j'ai eu l'honneur de vous présenter, que le mouvement anversois que je maintiens être un mouvement déplorable, n'a pas de satisfaction à recevoir dans cette assemblée ; l'honorable M. d'Hane doit s'en être convaincu et, s'il ne l'est pas, il le sera bientôt.

J'engage donc l'honorable M. d'Hane, à la première occasion, de convoquer un nouveau meeting et là, devant le peuple assemblé, de déclarer humblement, publiquement, qu'il s'est trompé et qu'il l'a trompé. Peut-être qu'ainsi il réparera une partie du mal qu'il a fait au pays ; et, s'il ne réunit pas dans ses efforts, on lui tiendra au moins compte de son repentir et de son humilité.

Messieurs, je dois déclarer aux membres de la droite, non pas à des adversaires politiques mais à des collègues qui ont reçu comme nous la mission de défendre dans cette enceinte les plus graves intérêts ; je dois leur déclarer que si dans ce débat, ils pouvaient avoir pour ce mouvement qui a revêtu un pareil caractère, de la complaisance, da l'indulgence, leur réputation de bons patriotes pourrait en être compromise.

Craignez, messieurs, et je le dis du fond de mon cœur, à ceux que j'estime, craignez, en couvrant le mouvement anversois de votre appui, (page 154) craignez que le pays ne dise que vous avez mis l’intérêt de votre parti au-dessus des intérêts de la Belgique indépendante.

MpVµ. - La parole est à M. d'Hane-Steenhuyse pour un fait personnel ; je l'invite à s'y renfermer.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Je voudrais céder la parole à M. Coomans, sauf à reprendre mon tour après l'honorable membre.

MpVµ. – M. d’Hane, vous avez parlé deux fois ; je consulterai la Chambre pour savoir si vous pouvez parler une troisième fois. Pour le moment, vous avez la parole pour un fait personnel.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Je me renfermerai donc dans les limites que l'honorable président vient de me tracer.

M. De Fré, dans son discours d'hier, a qualifié de déplorable le mouvement anversois, dont il me fait l'honneur d'être l'expression la plus complète. Ce qui me semble déplorable, c'est le discours de l'honorable membre. Lorsque la défense nationale et l'avenir d'une ville comme Anvers sont en jeu, il est déplorable de rapetisser le débat jusqu'à une question de personnes.

Nous ne sommes pas, nous, à la Chambre, pour défendre M. tel ou tel, ni pour assumer la responsabilité de tout ce qui se dit dans les meetings. C'est ce qu'a déjà déclaré au Sénat M. Joostens, le 8 mai 1862.

Ces assemblées tumultueuses ne se président pas comme une chambre, et loin de n'avoir pas trouvé une parole de blâme pour ceux dont le langage aurait pu blesser nos sentiments nationaux et dynastiques, j'ai déclaré à, diverses reprises, dans les meetings, que le bureau protestait contre celles de ces expressions qu'il n'était pas toujours maître d'empêcher.

Ce qu'il nous faut, c'est qu'on ne déplace pas la question.

Or, quelle est la question ? La voici :

1er point : Dix millions. Le pays jugera.

2e point : Question militaire se subdivisant elle aussi en trois points :

1° Position d'Anvers, exposée à un bombardement, par l'ennemi, établi sur la rive gauche ;

2° Inondation éventuelle de 20,000 à 25,000 hectares qui peut être évitée, comme l'a déclaré M. le ministre de la guerre ;

3° La sécurité de la ville d'Anvers, menacée par nos propres moyens de défense, c'est-à-dire par les batteries des citadelles.

Je répète donc, messieurs, que la seule question que nous voulions traiter est celle des points que je viens d'indiquer.

Animés du patriotisme le plus pur, nous vous offrons les moyens d'éviter le bombardement, d'éviter les inondations préventives et d'augmenter de beaucoup la force défensive de la position, tout en faisant disparaître les citadelles.

Voilà, messieurs, le seul et véritable terrain sur lequel nous voulons nous placer ; nous ne permettrons pas que l'on fasse de la question anversoise une question de personnes, et nous ne quitterons pas ce terrain, quels que soient les efforts de nos adversaires pour nous le faire abandonner.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, lorsqu'on ne connaît pas exactement tout ce qui s'est passé à Anvers depuis le vote de la loi qui a décrété les nouvelles fortifications de cette ville, on a peine à s'expliquer les motifs réels de l'opposition qui a surgi depuis environ deux ans contre le système de défense en général et contre la citadelle du Nord en particulier. Bien que l'honorable M. De Fré ait abordé une partie des questions que je voulais traiter, et bien qu'il les ait traitées plus éloquemment que je ne pourrais le faire, je dois insister, cependant, sur quelques points, afin de dissiper les erreurs qui ont été répandues dans le public. Je crois indispensable de faire connaître la vérité, afin qu'elle se répande et que le pays puisse apprécier sciemment la question.

Messieurs, dans les premiers temps, c'est-à-dire pendant les deux premières années qui ont suivi le vote de la loi, on ne pouvait trop se féliciter à Anvers d'avoir obtenu la grande enceinte, qui avait, non pas doublé ou triplé, mais sextuplé l'étendue de la ville, ce qui allait lui permettre de réaliser les plus beaux rêves d'avenir.

Aussi dans ces temps-là Anvers exprimait franchement sa satisfaction et sa reconnaissance au Roi, aux Chambres législatives et au gouvernement, sans oublier, qui le croirait aujourd'hui ? le ministre de la guerre lui-même.

Nous sommes bien loin des transports de cette année 1859, où l'honorable bourgmestre d'Anvers qui faisait alors partie de cette assemblée ne savait comment se soustraire aux ovations qu'on voulait lui faire, dans la ville dont il était le premier magistrat et le digne représentant, pour l'énergie et la constance avec lesquelles il avait soutenu et défendu cette loi de défense nationale.

J'en appelle à. tous ses amis ; ils se rappelleront que l'honorable M, Loos, dans sa modestie, rentrait dans Anvers par la porte opposée à celle où la population l'attendait pour lui décerner les honneurs du triomphe,

M. Dolezµ. - L'ingratitude est venue après.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Nous sommes aussi bien loin de cette année 1860 où la ville d'Anvers donnait des fêtes splendides au Roi venant visiter les fortifications et la citadelle du Nord.

A ces fêtes elle conviait les membres du gouvernement et le ministre de la guerre lui-même.

Elle faisait défiler devant Sa Majesté et devant eux ces chars de triomphe, cette famille de géants séculaire et ces animaux fantastiques qu'on ne produit que dans les occasions solennelles.

Après ces monstres fantastiques et les géants, savez-vous qui l'on vit défiler devant le Roi, aux cris et aux applaudissements enthousiastes de la foule ? Les ouvriers employés aux fortifications d'Anvers et en tête, en première ligne les ouvriers de la citadelle précédés d'une bannière sur laquelle étaient inscrits les mots : « Citadelle du Nord ». Ces braves ouvriers, j'en appelle au souvenir de tous ceux qui étaient présents à cet émouvant spectacle étaient accueillis aux cris chaleureux de vive le Roi.

- Plusieurs voix. - C'est vrai ! c'est vrai !

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, savez-vous le langage qu'on tenait à cette époque, à Anvers ? Je ne vous parlerai pas des discours qu'on prononçait devant le Roi en cette circonstance, discours de la régence, discours des élèves de l'Académie et tant d'autres. Je les ai là sous la main, mais vous devez être fatigués de citations. Lisez dans les journaux du temps et vous verrez que ce sont des dithyrambes en l'honneur des fortifications.

Je vous citerai cependant un document dont l'honorable M. De Fré a parlé hier, document qui n'est pas inspiré par l'enthousiasme causé par la présence du Roi, mais qui est un document élaboré dans le silence du cabinet ; c'est le rapport officiel présenté par le collège échevinal d'Anvers au collège communal sur la situation de la ville en 1859.

Dans ce document, qui est daté du 1er octobre 1860, on lit :

« Reconnaissance à Sa Majesté, à la législature, au gouvernement, et honneur à M. le ministre de la guerre, qui sut défendre le projet de loi avec autant de fermeté que de talent. »

Vous voyez, messieurs, que j'avais raison de dire qu'on comprenait le ministre de la guerre dans les remerciements qu'on adressait au gouvernement pour les fortifications.

Et comment appréciait-on ces fortifications contre lesquelles on se livre aujourd'hui à tant de récriminations ? Voici ce qu'on disait :

« Désormais quoique place de guerre de premier ordre, dernier refuge de la nationalité, Anvers, la métropole du commerce, n'aura plus à redouter les terribles catastrophes qui, plus d'une fois, ont mis son existence en danger et comprimé l'essor de sa prospérité commerciale. »

On ne vous dira pas, messieurs, qu'on appréciait ainsi les fortifications, parce qu'on ne connaissait pas la citadelle du Nord. Car je vois, dans le même document, qu'on félicite encore le ministre de la guerre de l'activité avec laquelle il a fait commencer les travaux de cette citadelle.

Voici le passage :

« Malgré les grandes et nombreuses difficultés qu'on doit inévitablement rencontrer dans l'organisation d'un service aussi colossal, les mesures ont été si bien prises, que même durant cette première campagne, et malgré les chances défavorables de la température, on a déjà exécuté une bonne partie des ouvrages, tant à l'enceinte qu'à la citadelle du Nord et aux forts du camp retranché. »

Messieurs, je ne vous lirai pas tout le rapport, ce serait trop long ; mais voici comment se termine le chapitre relatif aux travaux d'Anvers.

« Cet agrandissement, qui suffirait pour immortaliser un règne, est en pleine voie d'exécution et s'achèvera, il faut l'espérer, sous celui déjà si glorieux de S. M. Léopold premier, notre bien-aimé souverain. »

Tel est le langage qu'on tenait à cette époque à Anvers.

Eh bien, messieurs, quel langage tient-on aujourd'hui ? On ne trouve plus, et cela dure depuis deux ans, d'expressions assez violentes, d'accusations assez graves, pour flétrir ceux qu'on glorifiait naguère.

Il n'est pas de calomnies odieuses qu'on n'ait inventées contre le ministre de la guerre, parce qu'il fait exécuter une loi que vous avez votée, messieurs, et peut-être aussi parce qu'il mène à bonne fin ces travaux qui devaient suffire à immortaliser un règne.

- Voix à gauche. - Très bien !

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - On dirait vraiment, messieurs, qu'Anvers ait voulu étonner le pays par la grandeur de son ingratitude envers ceux qui se sont dévoués à ses intérêts, à sa prospérité ; car les travaux décrétés avaient ce but en vue en même temps que celui de la défense nationale.

(page 155) On a été plus loin encore à Anvers. On a osé nier les faits les plus évidents !

On a osé affirmer depuis deux ans, bien qu'on eût les mains pleines de de preuves du contraire, on a osé affirmer qu'on n'avait jamais eu connaissance de l’existence de la citadelle du Nord, qu’elle n’existait pas dans les plans soumis à la Chambre, qu’elle y avait été introduite après coup, frauduleusement, par une supercherie du ministre de la guerre.

Bien que toutes les personnes qui se sont occupées de cette question sachent aujourd'hui de quel côté est la vérité, permettez-moi d'analyser, pour l'édification du pays, quelques documents officiels qui se trouvent sous ma main.

Le 27 juin 1859, c'est-à-dire deux mois et demi avant la promulgation de la loi, le collège des bourgmestre et échevins d'Anvers m'écrivait qu'il avait reçu les plans que je lui avais fait remettre par un officier du génie ; mais que ces plans ne lui suffisant pas pour bien apprécier l'étendue des terrains à céder à la vide, il désirait obtenir de nouveaux renseignements.

A la réception de sa lettre, j'écrivis au collège des bourgmestre et échevins que je donnais l'ordre au commandant du génie à Anvers de lui fournir tous les plans et renseignements qu'il pourrait désirer.

C'est sur le vu de ces documents que le collège a fait, dans une lettre dont mon collègue M. le ministre des finances vous a donné lecture, l'offre de payer 10 millions pour la cession des vieilles fortifications, à certaines clauses et conditions, parmi lesquelles se trouvent celle-ci, la quatrième :

« Les quais à l'usage du commerce et de la navigation pourront se prolonger jusqu'à la citadelle du Nord. » (N'oublions pas que c'était deux mois avant le vote de la loi )

Et l'on affirme après cela qu'on n'a pas connu la citadelle du Nord et que nous n'en avons jamais parlé. (Interruption.)

- Voix à gauche. - C'est incroyable !

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Vous citerai-je, messieurs, tous les journaux d'Anvers de cette époque ? Tous parlent de la citadelle du Nord ?

L'Union commerciale, entre autres, dit que cette citadelle aura 144 hectares, chiffre un peu exagéré, et elle engage le ministre de la guerre à s'assurer si le sol n'est pas malsain pour les soldats qui pourraient y être en garnison.

On vous a souvent cité la lettre de M. Cogels-Osy ; permettez-moi cependant d'y revenir un instant. M. Cogels-Osy était président de cette fameuse cinquième section qui a fait tant d'agitation pour obtenir la grande enceinte.

Cette cinquième section s'était réunie et avait appelé dans son sein les représentants et les sénateurs d'Anvers, pour examiner quoi ? S'il fallait faire opposition à la citadelle du Nord pendant la discussion de la loi sur les fortifications d'Anvers qui allait être présentée et débattue devant la Chambre.

Or, un des députés d'Anvers, l'honorable M. Vervoort, ne pouvant pas se rendre à la réunion, demande qu'on lui fasse connaître ce qui aura été décidé par la majorité, afin qu'il puisse se rallier à sa décision.

Que lui écrit M. Cogels-Osy ? Que l'assemblée, à une immense majorité, a déclaré qu'il ne fallait pas faire opposition à la Chambre ni près du gouvernement, à la citadelle du Nord.

- Voix à gauche. - Que répondre à cela ?

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Bien que tout ces documents aient été publiés, on n'en a tenu aucun compte et l'on persiste à soutenir que j'ai introduit, après coup, la citadelle dans les plans ; que j'ai trompé Anvers, la Chambre et le pays ! On a osé faire croire de telles faussetés à Anvers !

J'ai trop d'affection pour Anvers, pour vouloir rester sous cette accusation et il me tardait de trouver l'occasion d'en faire justice en face du pays.

Messieurs, lorsque des hommes nient les faits les plus évidents, les plus avérés, lorsqu'ils affirment des faits faux, lorsqu'ils les attestent au nom d'une grande cité qu'ils induisent sciemment en erreur, ils perdent toute créance et ils s'exposent à ce qu'on n'accepte plus aucune de leurs assertions que sous bénéfice d'inventaire ; ils assument, en outre, une responsabilité qui retombera un jour sur eux seuls et qui pèsera lourdement sur leur honneur.

On peut tromper, égarer pendant quelque temps la population d'une grande cité, mais le jour où elle ouvre les yeux, elle répudie impitoyablement ceux qui ont compromis sa loyauté et son honneur.

Il y a dans cette noble ville d'Anvers, parmi cette pléiade d'artistes pleins de cœur et de talent, parmi ces commerçants d'une probité proverbiale, il y a trop d intelligence, trop d'honneur, trop de sentiments élevés pour qu'ils n'ouvrent pas un jour les yeux et ne repoussent pas toutes ces calomnies, toutes ces insultes qui sont indignes d'elle.

- Voix à gauche. - Très bien !

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Pour moi, messieurs, je n'ai jamais douté du triomphe de la vérité, je saurai l'attendre sans impatience ; je me sens assez fort de mon droit, assez fort de ma conscience, assez fort par mon œuvre, pour attendre avec sérénité la fin des calomnies auxquelles je suis en butte, pour avoir voulu, de commun accord avec vous, avec vous, messieurs des deux partis, assurer l'indépendance et la sécurité de mon pays, et, je le répète, la grandeur et la prospérité d'Anvers.

Oublions maintenant ce triste passé ; jetons un voile sur ces défaillances. La grande voix du pays en a déjà fait justice.

- Plusieurs voix. - Oui ! oui !

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Examinons maintenant les griefs d'Anvers ; examinons-les froidement, sans passion ; voyons s'ils sont fondés.

Le premier de tous ces griefs, celui d'où découlent tous les autres, qui les a tous fait naître, c'est que le gouvernement, et le ministre de la guerre en particulier, n'ont pas voulu vous demander de nouveaux crédits pour accorder des indemnités aux propriétaires d'Anvers dont les biens sont frappés de servitudes.

Eh bien, messieurs, examinons si nous pouvions entrer dans cette voie.

Si nous étions venus vous demander de nouveaux crédits pour indemniser les propriétaires d'Anvers de la servitude militaire, ne se serait-il pas élevé, sur tous les bancs de cette Chambre, de vives réclamations ?

Les députés des autres places fortes n'auraient-ils pas eu des prétentions à faire valoir ?

A ces réclamations ne s'en serait-il pas ajouté d'autres en faveur de toutes les propriétés grevées de servitudes le long des rivières, canaux, chemins de fer, sur la lisière des forêts et sur les frontières ?

Il y avait là une question insoluble au point de vue financier. parce qu'elle est écrasante pour le trésor, insoluble pour les intérêts nationaux en ce qu'elle serait un obstacle à l'exécution de grands travaux d'utilité publique, insoluble, enfin, au point de vue de la défense nationale parce qu'elle l'aurait rendue impossible dans certaines circonstances.

D'un autre côté la ville d'Anvers a-t-elle des titres particuliers pour obtenir seule une indemnité ?

Est-ce que Anvers n'a pas été de tout temps sous le régime des servitudes militaires ? Et le déplacement de ces servitudes aggrave-t-il son ancienne situation ? Mais, messieurs, n'est-ce pas Anvers qui demande l'agrandissement général, et en le demandant cette ville ne savait-elle pas que la servitude se déplacerait ?

L'ancienne servitude portait sur des terrains où l'on avait élevé, en violation de la loi, une quantité d habitations somptueuses.

Toutes ces constructions étaient exposées à être démolies sans indemnité aucune à la première réquisition du ministre de la guerre, à la première apparence de guerre, car Anvers n'était défendable qu'à ce prix.

En reculant les fortifications, on reportait la servitude à trois mille mètres plus loin et on dégrevait ainsi toutes ces propriétés, qui deviendront la belle partie de la ville ; on légitimait toutes ces constructions illégales et on en augmentait par conséquent immensément la valeur. J'ai donc raison de dire qu'au point de vue des servitudes, la ville d'Anvers a gagné plus qu'elle n'a perdu. Quant aux servitudes nouvelles, sur quoi portent-elles ? Sur des champs, qui vont bientôt devenir des terrains maraîchers et qui acquerront une notable plus-value dans un prochain avenir s'ils ne l'ont pas déjà acquise.

On me dira peut-être qu'on a abandonné toute réclamation pour les servitudes extérieures et qu'on se borne à protester contre la servitude intérieure de la citadelle du Nord. Examinons encore cette question. D'abord la citadelle du Nord n'est pas située sur la commune d'Anvers, mais bien sur la commune d'Austruweel ; elle occupe l'emplacement de l'ancien fort du Nord et n'est en définitive que cet ancien fort agrandi.

Eh bien,1e fort du Nord possédait une zone de servitudes déjà ancienne et qui est identiquement la même que celle de la nouvelle citadelle du Nord. Il n'y a rien de changé dans la situation d’Anvers à ce sujet, et il n'y a, par conséquent, pas de prétexte pour solliciter une indemnité.

Quoi qu'il en soit, messieurs, j'ai poussé si loin l'esprit de conciliation, que j'ai pris sur moi de restreindre de plus de moitié la zone grevée ! J'ai dit à la ville que bien que la loi ne m'y autorisât pas, je consentirais à laisser bâtir jusqu'au Vorsche-Sehyn, en y mettant pour condition qu'on s'entendrait, au préalable, avec le département de la guerre.

Cette concession n'a pas suffi ; on a prétendu nous faire acheter les terrains de la zone de servitude que nous avions conservée. N'est-pas incontestable que si nous étions venus demander un crédit pour acheter ces terrains, tous les autres propriétaires grevés de servitudes (page 156) se seraient présentes pour obtenir la même faveur et nous auraient dit : Vous avez posé le principe de l'indemnité, vous devez nous indemniser également.

C'est l'objection que j'ai faite à ceux qui proposaient l'achat de la zone intérieure. Je leur ai dit que je n'oserais pas faire une pareille demande a la Chambre, certain que j'étais de la voir repousser ; que cependant s'ils croyaient être plus heureux que moi et s'adressaient eux-mêmes à la législature, je ne ferais pas obstacle à leurs prétentions.

Vous conviendrez, messieurs, qu'il était impossible de pousser plus loin l'esprit de conciliation vis-à-vis d'Anvers.

Messieurs, lorsqu'on s'aperçut que le grief des servitudes ne produisait pas d'effet et ne rencontrait pas de sympathie dans le pays ou dans la Chambre, on imagina le grief des dangers, auxquels on n'avait pas songé pendant deux ans et qu'on aperçut le jour où l'indemnité du chef des servitudes fut écartée. Examinons ce griie comme celui des servitudes.

La ville d'Anvers se dit sacrifiée au reste du pays ; c’est sur elle que tombera désormais le poids de la défense nationale ; elle est condamnée à être bombardée et détruite.

Pour frapper les imaginations, on a fait afficher des placards représentant les monuments de la ville en feu, on vous a fait distribuer à vous-mêmes, messieurs, des plans avec papillotes couverts de lignes rouges marquant la marche des boulets pour jeter le trouble et l'effroi dans vos cœurs.

Si un jour Anvers est exposée à des dangers, ce que je conteste, ce n'est que lorsque l'armée aura été repoussée du reste du pays, lorsqu'elle aura été forcée de reculer jusque sous les murs d'Anvers, c'est-à-dire lorsque tout le pays aura déjà subi les calamités de la guerre.

Telle est la vraie situation d'Anvers et les grands sacrifices que le pays a faits n'ont eu d'autre but que de mettre cette grande ville commerçante à l'abri du danger.

Examinons maintenant, messieurs, ce qui arrivera lorsque l'armée se trouvera sous ses murs. Où sera d'abord l'armée ? Dans le camp retranché qui couvre l'enceinte.

La ville ne sera donc pas encore exposée. Ce camp est assez vaste et assez fort pour tenir l'armée assiégeante à une distance de la ville, qui la met à l'abri de tout danger. Il faudrait qu'il fût pris pour qu'Anvers sentît les effets de la guerre. Or, nous lui avons donné une telle force de résistance, que nous regardons sa prise comme des plus difficiles, ce n'est que s'il était enlevé, qu'Anvers pourrait être exposé à ce bombardement dont on a tant parlé.

Mais en quelle circonstance fait-on un bombardement ?

Je commence par vous dire qu'un bombardement est une des opérations de guerre les plus coûteuses, pour être efficace, pour produire quelque effet il doit être opéré avec de nombreuses et puissantes batteries, qu'il doit pouvoir couvrir d'un déluge de projectiles des espaces restreints.

On fait un bombardement, messieurs, quand on en attend un résultat, lorsqu'on espère prendre une ville, ou détruire des établissements militaires ou maritimes offensifs d'une grande importance et qui valent les sacrifices auxquels on s'expose.

Mais, on ne fait pas de bombardement, on ne fait pas cette immense dépense, on ne commet pas cette barbarie sur des citoyens paisibles, sur des propriétés privées, lorsqu'on n'a pas un grand but militaire a atteindre. Cela n'est plus dans nos mœurs. Cela n'est plus de notre siècle.

Messieurs, un bombardement peut être entrepris avec succès dans les petites places, où la garnison et les établissements militaires sont entassés sur des espaces restreints et où les logements de la troupe et ses magasins ne sont pas à l'abri de la bombe.

Mais dans cette grande place d'Anvers, la plus grande peut-être de l'Europe aujourd'hui, où sur tous les points de la fortification il y a des logements et des magasins à l'abri de la bombe, à quoi servirait un bombardement ? Il serait parfaitement inutile et, dans tous les cas il n'aurait lieu que sur la partie des fortifications que l'on attaquerait.

Quant à la partie de l'armée qui ne sera pas chargée de la défense directe des fortifications, elle sera établie dans des camps volants que l'on pourra déplacer et toujours mettre à l'abri du bombardement, grâce aux espaces immenses que nous nous sommes réservés dans l'intérieur du camp et de l'enceinte.

Il n'est jamais entré dans nos prévisions de loger l'armée chez l'habitant, dans la ville, car ce serait un inconvénient, un danger et une cause de désorganisation pour l'armée.

On voit donc qu'Anvers n'a aucune chance sérieuse d'être bombardée parce qu'un bombardement serait inutile dans quelque situation qu'on se trouve, quelles que soient les suppositions qu'on puisse faire, et cela parce que la prise de la place ne serait pas avancée d'une heure.

Je vous disais qu'un bombardement est une opération de guerre ruineuse. Pour vous en donner une idée et détruire les terreurs qu'on a inspirées à Anvers par cette fantasmagorie des boulets incendiaires, permettez-moi de citer un exemple. Je prendrai celui de Sébastopol. C'est peut-être le bombardement le plus considérable dont les fastes militaires de l'Europe fassent mention.

Vous savez, messieurss, que quatre puissances militaires et, parmi ces puissances, les deux plus formidables du monde, la France et l'Angleterre, ont attaqué Sébastopol.

Sébastopol, au moment de la guerre, n'était pas une place forte, proprement dite ; cette ville n'était fortifiée que du côté de la mer.

Elle constituait un arsenal maritime considérable établi à grands frais, et dont la Russie voulait faire sa base d'opérations pour toute guerre qu'elle aurait en Orient. C'était un immense port pour ses flottes destinées à dominer dans la mer Noire.

Eh bien, messieurs, jamais la Russie n'avait cru qu'elle pourrait être attaquée à Sébastopol par terre. Cela lui paraissait impossible. On ne croyait pas qu'on pourrait conduire des armées jusque sous les murs de la ville. Aussi n'avait-on pris aucune précaution du côté de terre quand les armées alliées débarquèrent en Crimée.

Connaissant cette faiblesse de Sébastopol, les armées alliées firent cette grande marche tournante que vous connaissez pour aller du côté où il n'était pas fortifié.

Eh bien, messieurs, avec de simples fortifications de campagne, élevées par un homme de génie et d'un immense patriotisme, les Russes se défendirent pendant près d'un an contre quatre puissances.

Ici, messieurs, le bombardement était indiqué comme la meilleure, la plus efficace mesure de guerre. En effet, Sébastopol n'était qu'un immense arsenal maritime ; une flotte était enfermée dans son port, il n'y avait dans la ville pour ainsi dire que des établissements militaires ; les fortifications n'étaient que des fortifications de campagne, improvisées sous le feu de l'ennemi et se composant de simples terrassements admirablement combinés, il est vrai, mais sans aucun abri pour les troupes et derrière lesquelles il fallait toujours tenir des colonnes massées pour résister aux attaques que les Anglais et les Français dirigeaient contre la place.

En bombardant à outrance, on espérait détruire d'immenses richesses militaires et l'on faisait éprouver des sacrifices énormes à la garnison qui, dans un seul jour, perdit jusqu'à 3,000 hommes.

Il y avait là nécessité de bombarder pour démoraliser la garnison sans abri et pour préparer les attaques de vive force qu'on pouvait toujours tenter contre des remparts improvisés, incomplets, sans fossés pleins d'eau.

Savez-vous combien les Anglais et les Fiançais seuls employèrent de mortiers à ce bombardement ? 361 ! et ces 361 mortiers lancèrent sur les défenses et les établissements 350,000 bombes !

Malgré cette effroyable quantité de projectiles, au dire des Russes, comme au dire des alliés, la ville avait relativement peu souffert, mais la garnison, au contraire, avait été décimée, précisément parce qu’elle manquait de ces abris casemates que les défenseurs d'Anvers trouveront sur tous les points susceptibles d'attaque.

Je vous ai dit, messieurs, qu'un bombardement est une opération très coûteuse.

Pour vous en convaincre, je vous ferai seulement remarquer que le tir d'une bombe de 0 m 32, lancée par un mortier à plaque comme en ont employé les alliés en Crimée, coûte de 55 à 60 fr.

Or, on a lancé 350,000 bombes sur Sébastopol ; il est vrai qu'elles n'étaient pas toutes d'un calibre de 0.32. Mais enfin, nous pouvons admettre qu'en moyenne chaque coup revient à 50 fr., d'autant plus que je ne compte rien pour transport, pour détériorations de tout genre et pour tous les autres frais qui résultent d'une opération semblable.

Messieurs, s'il fallait bombarder une place beaucoup plus grande que Sébastopol, il faudrait le faire sur une échelle beaucoup plus considérable. Or ferait-on un bombardement extraordinaire pour n'atteindre aucun but militaire, pour ne point avancer d'une heure la reddition de la place ?

Messieurs, quand je produis de semblables assertions devant la Chambre, je sais qu’il y va de ma réputation ; je ne les énoncerais pas si je n'étais pas convaincu de leur exactitude et si je n'étais pas certain qu'Anvers est la dupe d'un simple épouvantail.

Je pourrais vous étonner, messieurs, en énumérant ce qu'il faudrait de moyens de transport pour conduire un parc et un matériel de siège devant Anvers.

Je me contenterai de vous dire que pour amener les 361 mortier» et les 350,000 bombes qu'on a employés à Sébastopol, il faudrait plus de (page 157) 22,000 voitures et plus de 120,000 chevaux. Ces chiffres vous convaincront que l'on n'entreprend pas de pareilles opérations lorsqu'on n'est pas certain d'obtenir des résultats positifs.

On me dira que du côté de la rive gauche, où nous n'avons pas de forts aussi avancés que du côté de la rive droite, le bombardement pourrait atteindre la ville.

Je répondrai que du côté de la rive gauche, la place est imprenable, et voici pourquoi ; c'est que le terrain est plus bas que le niveau des eaux du fleuve à marée haute, et que le défenseur de la place peut toujours l'inonder à volonté au moyen des écluses dont il est le maître. Or, l'ennemi ne pourra jamais songer à attaquer la ville de ce côté, parce que ses travaux d'attaque pourraient être instantanément noyés.

L'ennemi n'a donc aucun intérêt à chercher à attaquer la place de ce côté ; cela ne le mènerait à rien.

Mais, dira-t on, il aurait intérêt à commettre des dégâts, à établir des batteries de bombardement. Eh bien, examinons encore cette question.

Quand on s'occupe de fortifier une place, on établit des fortifications permanentes sur les fronts attaquables, mais on évite de faire de grandes dépenses sur les points inattaquables parce qu'il suffît de construire, au moment de la guerre, des travaux de fortifications passagères sur ces points.

Or, ce sont de semblables travaux, de simples terrassements, qui ont suffi pour arrêter quatre armées pendant un an devant Sébastopol.

Eh bien, je dis que sur la rive gauche de l'Escaut, qui pourra être inondée à volonté, nous ne manquerons pas d'élever des ouvrages de fortifications passagères, de les armer de manière à tenir l'ennemi à distance.

Des travaux de campagne s'exécuteront également sur la rive droite, car ces sortes de travaux se font dans toutes les places assiégées.

Il serait absurde de les faire pendant la paix, parte que ce serait rendre des terrains inutilement improductifs, et établir des servitudes sans nécessité.

Je pourrais encore vous parler du bombardement de Charleston qui a lieu en ce moment, et dont vous recevez tous les jours des nouvelles. Voilà deux fois que l'on bombarde cette ville. Elle a été bombardée une première fois à outrance, par une flotte qui a été repoussée. On bombarde depuis un an un simple fort en terrassement, le fort Sumter, et ce fort résiste toujours. La quantité de fer et de poudre que ce bombardement a exigée est véritablement effrayante, et quand on songe à la dépense qui en résulte, on se demande si l'on serait bien tenté d'entreprendre un bombardement ruineux pour n'obtenir aucun résultat militaire, comme cela aurait lieu si on essayait de bombarder Anvers du côté de la rive gauche.

Mais, messieurs, parce que, selon moi et selon bien d'autres, la ville d'Anvers n'est pas exposée à un bombardement, s'ensuit-il qu'elle ne soit exposée à aucun danger ?

Je crois que la ville pourrait être exposée à de très grands dangers, si elle était fortifiée comme on vous le propose.

En effet, si l'on supprimait les citadelles, il faudrait nécessairement y suppléer par des retranchements intérieurs.

Il faudrait, en un mot, constituer la ville elle-même en réduit ou y créer d'urgence un réduit spécial.

Supposez, messieurs, que la grande enceinte d'Anvers qui a près de 12,000 mètres d'étendue soit attaquée. Pouvez-vous pensez que le gouverneur ne préparerait pas un réduit pour ses troupes, en prévision du cas où elles ne pourraient plus résister dans la dernière période du siège, voudriez-vous qu'il les fît rentrer pêle-mêle dans la ville en exposant les habitants à la fureur d'un ennemi qui prend une ville de vive force ?

L'existence d'une citadelle est un bienfait pour les populations assiégées parce qu'elle permit à la garnison d'épargner aux habitants les horreurs d'un assaut final.

Si l'on établissait le réduit sur la rive gauche, comme on l'a proposé, on devrait faire des retranchements bien plus forts encore dans l'intérieur de la ville parce que la garnison devant opérer sa retraite sur des ponts ou sur des bateaux, n'aurait pas le temps d'effectuer cette opération délicate, sans se trouver aux prises avec l’ennemi.

Et en supposant que la garnison parvînt dans son réduit, savez-vous où l'ennemi devrait établir ses batteries pour l'attaquer ? Il devrait les établir sur les quais mêmes d'Anvers. Et où devrions-nous mettre nos contre-batteries ? Sur la digue opposée, c'est-à-dire que la ville d'Anvers recevrait tous les boulets de la défense.

Voilà cependant à quelles absurdités l'on se trouverait conduit si l'on adhérait à la proposition qui vous est faite de démolir les citadelles existantes,

Messieurs, je crois au contraire qu'Anvers ne courra aucun danger, si la position est bien fortifiée, si l'on a tout prévu, tout préparé, tout organisé d'avance, si l'on a combiné la défense de manière qu'elle soit successive, c'est-à-dire qu'elle ait lieu de position en position, en laissant toujours la ville en dehors de l'action des troupes.

Or, c'est précisément ce que nous avons fait. C'est la citadelle du Nord qui nous permet de céder à la ville d'Anvers les anciennes fortifications dont la démolition lui tient à cœur et qui lui garantit que le combat ne se transportera pas jusque dans ses murs.

La citadelle du Nord, outre qu'elle est indispensable à la défense du fleuve, est encore un élément essentiel de la puissance de résistance de l'enceinte. Elle en est un des points d'appui, une force morale et matérielle.

Par sa position dans l'inondation, elle est pour ainsi dire inattaquable.

En effet, elle ne peut être attaquée que par les remparts de l'enceinte, c'est-à-dire par une langue de terre qui n'a qu'une vingtaine de mètres de largeur, et il n'est pas un ingénieur qui ne vous dise qu'une attaque par un passage as.si étroit est des plus dangereuses et ne peut réussir contre un ouvrage bien défendu.

Si vous jetez un regard sur le plan de la citadelle, vous verrez que les fronts intérieurs, dont on demande la démolition, battent précisément ce passage ainsi que les ponts sur les fossés, afin que les troupes de la garnison puissent faire une retraite sûre et obtenir une capitulation honorable.

Il est donc évident, en mettant les choses au pis, en admettant toutes les suppositions des Anversois, en admettant que le camp retranché et l'enceinte aient été forcés, que la citadelle du Nord jouera son rôle et pourra se défendre et protéger la retraite sans exposer la ville à aucun danger et qu'elle est au contraire une sauvegarde pour elle.

Ainsi donc, la citadelle du Nord est non seulement indispensable pour la défense du fleuve, mais elle est le complément nécessaire des fortifications de l'enceinte et elle double la confiance et l’énergie de ses défenseurs.

Messieurs, je n'ai jamais compris qu'on ait pu soutenir, comme on l'a dit, que les citadelles sont plus dangereuses pour les villes que les enceintes elles-mêmes.

Pour émettre une pareille idée, permettez-moi de le dire, messieurs, il ne faut avoir aucune notion de la fortification, de l'attaque et de la défense des places, des devoirs du commandant d'une ville assiégée, n même des effets de l'artillerie. Je voudrais savoir comment ceux qui ont émis cette opinion pourraient démontrer que la citadelle du Nord est plus dangereuse pour la ville que les autres parties du système.

Est-ce que toutes ces parties ne peuvent pas être attaquées aussi bien que la citadelle et plutôt que la citadelle ?

Je prétends, au contraire, que si danger il y a pour la ville, il sera beaucoup plus grand lorsqu'on attaquera la grande enceinte que si l'on vient jamais à attaquer la citadelle du Nord.

En effet, dans le premier cas, les boulets perdus de l'ennemi pourront atteindre les maisons les plus voisines des remparts, tandis que, dans le second cas, aucun boulet n'atteindra les habitations ou les bassins, par la raison bien simple que l'attaque et la défense s'opéreront sur le terrain même de la fortification en dehors de la ville, à peu près comme cela s'est fait au siège de la citadelle du Sud en 1832.

Vous voyez donc, messieurs, que la défense de la citadelle du Nord n'entraînera aucun risque de guerre pour Anvers, à moins que vous ne supposiez que vos soldats bombarderaient la ville, sans but d'utilité, avec la certitude de se couvrir d'opprobre aux yeux du monde civilisé. Voilà la supposition que vous devriez faire, et je me permettrai de la repousser au nom de l'armée.

Si donc les craintes des Anversois étaient fondées, ils devaient demander non seulement la démolition de la citadelle du Nord, mas encore la démolition de la citadelle du Sud, et celle de la Tête de Flandre, des forts Burght et Austruweel, voire même de tout le dispositif de l'enceinte c'est-à-dire qu'ils devaient demander de faire d'Anvers une place absurde et incapable de se défendre.

Messieurs, j'ai eu bien souvent, dans cette enceinte, l'occasion d'expliquer le rôle des citadelles, permettez-moi de vous en parler encore. Si je ne vous impatiente pas, j'ajouterai quelques explications à celles que j'ai déjà données.

- Un grand nombre de membres. - Oui ! oui ! Parlez ! parlez !

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, les citadelles sont aux places fortes ce que la réserve est à une armée ; lorsqu'une armée marche à l'ennemi, elle se forme sur plusieurs lignes et elle (page 158) établit derrière elle, à sa portée, une réserve composée des meilleures troupes ; cette réserve est le point d'appui, la sauvegarde de l'armée.

Elle donne de la confiance et de la sécurité aux lignes qui vont au feu ; chaque soldat sait qu'il a derrière lui une réserve qui, en cas de désastre, pourra sauver l'armée, en permettant aux lignes repoussées d'aller se réformer dans une position sûre.

De même que la réserve est l'ancre de salut de l'armée, de même la citadelle est l'ancre de salut d'une place forte.

C'est là que chaque soldat sait qu'il pourra trouver la sécurité, car c'est là que le gouverneur a préparé le refuge de son armée repoussée, c'est par là qu'il effectue sa retraite s'il ne peut utilement se maintenir dans cette position, et qu'il sauve son matériel et les restes de la garnison.

C'est de là qu'il peut obtenir une honorable capitulation pour l'armée et pour la ville, parce qu'en se retirant dans la citadelle, il prévient la poursuite et le combat dans des rues barricadées.

Messieurs, ôter les citadelles aux places fortes, c'est absolument comme si l'on privait de réduit les parties isolées des fortifications.

Il est de principe, messieurs, que toutes les pièces détachées telles que demi-lunettes, lunettes, ou même de simples places d'armes aient un réduit qui permette de les occuper jusqu'à la dernière extrémité.

Et vous feriez une des plus grandes places du monde sans y ménager un lieu de retraite ?

Mais, messieurs, ce serait démoraliser les défenseurs ; ce serait par contre exalter l'ennemi, qui n'aurait qu'un effort suprême à faire, à la fin du siège, pour être maître de la ville et de la garnison.

Messieurs, lorsqu'une place assiégée n'a pas de réduit, n'a pas de citadelle, en un mot, le premier devoir du gouverneur est de créer un retranchement derrière les points attaqués en barricadant les rues voisines et crénelant les maisons et les édifices.

Les lois militaires lui en font un devoir, et s'il négligeait de le faire, il serait traduit devant un conseil de guerre.

On a créé des positions successives et des réduits dans toutes les places bien défendues ; j'en pourrais citer cent exemples depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours ; c'est ce qui s'est fait à Saragosse, c'est ce qui s'est fait à Sébastopol et en dernier lieu à Puebla.

Et savez-vous, messieurs, comment les règlements prescrivent de faire ces retranchements ? Ils ordonnent d'abattre les maisons qui gênent l'action des troupes, et même les monuments publics qui peuvent fournir des matériaux.

C'est ainsi que les choses se sont passées à Anvers même lors du siège de 1543 ; je vous ai rappelé, messieurs, l'année dernière, que les fortifications d'Anvers n'étant pas achevées, on fut obligé, pour les compléter, de faire les plus grands sacrifices ; on dut se résoudre à incendier des habitations somptueuses qui avaient envahi les abords de la place et pour fermer les trouées des remparts, on démolit des maisons, des édifices publics, des églises, des couvents et on y employa jusqu'aux pierres sculptées destinées à la construction d'un hôtel de ville qui devait être un des plus beaux monuments du pays.

Si Anvers était mal fortifié et que nous fussions menacés des mêmes dangers, soyez-en sûrs, les Anversois d'aujourd'hui agiraient comme les Anversois de 1543, et nos généraux et nos soldats ne montreraient pas moins d'énergie que les Espagnols de Saragosse, que les Russes de Sébastopol ou que les Mexicains de Puebla. Ils ne mettraient pas la conservation de quelques bâtiments au-dessus de la conservation de l'honneur et du salut du pays.

C'est pour éviter d'en venir à cette extrémité, c'est pour soustraire la ville d'Anvers à ces dangers, que nous avons voulu tout prévoir, tout organiser d'avance : c'est pour cela que nous avons voulu que toutes les périodes successives de la défense fussent régulièrement déterminées afin que la ville et la population restassent en dehors de l'action militaire.

Loin de demander qu'on réduise les moyens de défense d'Anvers, dans leur intérêt bien entendu, les habitants de cette ville devraient plutôt demander qu'on les augmentât ; ce qu'il faut pour donner toute sécurité à Anvers, c'est un système bien coordonné de fortifications ; or, cette condition n'est remplie que lorsque les fortifications s'appuient sur de bonnes citadelles qui sont l'élément indispensable et le complément nécessaire de toute place de guerre importante.

Si les habitants d'Anvers étaient venus nous dire : « Nous ne trouvons pas que la rive gauche du fleuve nous offre assez de sécurité ; nous voudrions y voir établir de nouvelles fortifications ; et nous vous offrons de l'argent pour les construire, sans toucher aux citadelles établies sur l'autre rive, il nous eût été difficile de leur opposer un refus.

C'est comme si l'on venait proposer au propriétaire d'une maison bien close d'y mettre doubles portes et doubles fenêtres ; ce propriétaire aurait certainement tort de ne pas accepter. Nous accepterions donc ; mais il faudrait qu'on nous donnât, bien entendu, l'argent nécessaire pour la dépense.

Mais si l'on se bornait à nous en promettre et qu'on ne nous donnât que la garantie que nous ont offerte les honorables MM. Delaet et d'Hane, en annonçant que, le cas échéant, ils déposeraient leur mandat, je ne pourrais pas accepter ; car à ce prix-là je ne trouverais pas d'entrepreneur.

Messieurs, n'est-il pas évident que plus Anvers sera fort, moins il aura de chances d'être attaqué ? En effet, il pourra arriver que l'ennemi recule devant les difficultés et les longueurs de l'attaque, devant les sacrifices d'hommes et d'argent.

Si, pour entreprendre le siège de cette grande place, il est reconnu, il est avéré qu'il faille tous les efforts d'une puissance militaire de premier ordre et un temps infini pour la réduire, ne diminuons-nous pas les chances d'une attaque et ne la rendons-nous pas presque impossible ?

Si Anvers est dans ces bonnes conditions de défense, et il le sera, il faudrait un concours de circonstances bien malheureuses pour qu'il pût être assiégé.

Il faudrait admettre tout d'abord que nous soutiendrions seuls la guerre contre une puissance militaire du premier ordre ; que cette puissance pût tourner toutes ses forces contre nous, qu'aucun autre Etat n'eût intérêt à nous soutenir directement ni indirectement ; enfin que nous fussions livrés complètement à nous-mêmes, pendant des mois, je dirai presque pendant des années, parce qu'Anvers, tel qu'il a été conçu, et tel qu'il sera exécuté, pourra, selon moi et selon beaucoup d'autres, se défendre pendant un temps illimité avec les seules forces dont nous disposons contre une attaque quelque puissante qu'elle soit.

Messieurs, si nous sommes si difficiles à réduire, tous auront intérêt à respecter la neutralité bienveillante, inoffensive, pacifique, que nous aurons la sagesse de conserver, je l'espère, dans tous les conflits européens. Cette politique sage et habile, honnête, inaugurée et pratiquée depuis plus de 30 ans par ce Roi dont le renom de sagesse est universel ; cette politique toujours approuvée par vous sera, j'en suis persuadé, la politique traditionnelle de la Belgique.

Quand cette bonne et sage politique s'appuiera sur une place invulnérable comme Anvers, j'ai la certitude que l'Europe entière aura intérêt à ce que cette place reste entre les mains d'une honnête et petite nation comme la nôtre qui ne pourra jamais en faire un usage dangereux contre les autres nations. Oui, l'Europe entière aura intérêt à ce que ce formidable point stratégique ne tombe jamais entre les mains de l'une ou l'autre des grandes puissances, qu'il rendrait trop prépondérante, puissance qui pourrait s'en servir pour l’oppression du continent ou des mers, car c'est là une des conditions d'Anvers d'être un formidable point d'attaque maritime et continental.

Messieurs, lorsque Anvers n'avait pas l'importance qu'il a aujourd'hui, Pitt, le célèbre ministre anglais qui prévoyait ce qu'Anvers pourrait devenir, disait que cette place était un pistolet chargé, dirigé sur le cœur de l'Angleterre et que la Grande-Bretagne devait dépenser jusqu'à son dernier homme et son dernier écu pour empêcher qu'elle ne tombât entre les mains d'une puissance ennemie.

Napoléon Ier disait de son côté qu'Anvers était un point d'attaque mortel par mer et qu'Anvers et Cherbourg étaient les deux branches, les deux pointes de la tenaille qui devait saisir et enserrer l'Angleterre.

On a souvent parlé des grands projets de Napoléon sur Anvers ; par ses Mémoires, par sa correspondance, par les plans qu'il fit exécuter, nous connaissons aujourd'hui ses vastes desseins sur cette place. Il voulait que tout y fût colossal, gigantesque ; il voulait qu'Anvers acquît à lui seul l'importance d'une province, « d'un petit royaume », pour me servir de son expression ; il en parlait souvent dans son exil, il disait même parfois, que sans Anvers, il ne serait pas à Sainte-Hélène ; que si les alliés n'avaient pas exigé qu'il se dessaisît de cette place, il aurait peut-être accepté le traité de Châtillon et signé l'ultimatum.

Par tous les documents que je viens de vous citer et que j'ai longuement étudiés, nous voyons que Napoléon voulait faire d'Anvers, au profit de sa puissance et de sa grandeur, ce que nous en faisons aujourd'hui au profit de notre indépendance, de notre prospérité et de notre sécurité.

Dans un autre but que celui de ce grand génie sans doute, nous avons cependant réalisé toutes ses vues sur Anvers. Napoléon voulait unir Anvers et l'Escaut au Rhin par un grand canal. Vous avez uni Anvers et l'Escaut au Rhin par un chemin de fer, un des premiers qui aient été établis sur le continent.

(page 159) Napoléon voulait ajouter, aux bassins qu'il avait fait construire à Anvers, des bassins militaires, pour une flotte agressive. On a construit à Anvers de nouveaux bassins, mais des bassins pacifiques pour une flotte de commerce.

Les négociants d'Anvers exprimaient à cette époque leurs appréhensions à l'empereur au sujet de ces bassins militaires, et l'empereur leur répondait : « Vous n'avez rien à craindre ; par votre position vous êtes destinés au plus magnifique avenir commercial ; mais il faut pour cela que vous sachiez tirer parti de votre centralité entre le Nord et le Midi de l'Europe ; il faut que vous sachiez tirer parti de votre fleuve magnifique et profond. »

Eh bien, messieurs, vous avez mis Anvers à même de tirer parti de sa position centrale entre le Nord et le Midi de l'Europe, en l'agrandissent, en lui donnant plus d'espace encore que ne voulait lui en donner Napoléon, en lui permettant aussi d'acquérir tout son développement, de créer et de construire tous les établissements nécessaires à la plus grande extension de son commerce. Vous venez de le mettre à même de tirer parti de son fleuve en l'affranchissant !

L'empereur Napoléon écrivait, à cette époque, de Bruxelles : « Anvers est appelé au plus grand avenir industriel et commercial ; il faut, par conséquent, qu'il soit puissamment fortifié. » Eh bien, Anvers est puissamment fortifié.

L'empereur disait : « Il faut qu'Anvers soit mis à l'abri de la convoitise et des entreprises de ses ennemis. » Je crois, messieurs, que ce but est aujourd'hui pleinement atteint.

Au point de vue militaire, Napoléon n'avait pas des idées moins grandes : il disait qu'il ne voulait plus qu'une seule grande place de guerre entre la Hollande et la France pour défendre la Belgique, et il ordonnait de démolir toutes les autres places du pays, Bruxelles, Gand, Ypres, etc. Il disait qu'il ne voulait plus pour la défense de son vaste empire que cinq ou six grandes places, comme Anvers, au lieu des 300 ou 400 forteresses qu'il possédait alors !

Napoléon voulait faire prévaloir le système de la défense par la centralisation des forces et la substituer à ce vieux système d'éparpillement ou de cordon que toute l'Europe abandonne aujourd'hui.

Or, vous êtes les premiers qui ayez consacré ce grand principe de la centralisation des forces ; les premiers, vous avez démoli vos petites forteresses ; vous avez créé Anvers et inauguré par là le système de centralisation conçu par Napoléon et que l'on s'applique partout à imiter.

L'empereur ordonnait de réunir à Anvers tout ce qui était nécessaire pour une armée, d'y créer une grande manutention, d'y établir une fonderie, un arsenal, des magasins, etc.

Eh bien, messieurs, ces établissements sont ou en voie de construction ou déjà construits : nous possédons à Anvers une manutention à vapeur qui pourrait nourrir toute l'armée ; une fonderie de projectiles, un grand arsenal de construction, un grand arsenal de guerre, une école de pyrotechnie. La pharmacie centrale de l'armée y est établie.

Les dépôts de l'armée y sont déjà pour la plupart et ils y seront tous installés dans un avenir prochain, ainsi que toutes nos autres richesses militaires. Comme s'il eût pressenti les progrès des armes à feu, l'empereur prescrivait de faire à Anvers des fortifications à grand développement, de longues courtines, de faire une grande enceinte et un camp protégé par des forts détachés. Il voulait qu'Anvers fût pour lui un lieu de refuge et un point de salut national où il pût résister avec 25 mille hommes à une armée de 150,000 hommes et à un an de tranchée ouverte.

A ces divers points de vue, nous avons réalisé à Anvers tout ce qu'avait rêvé le plus grand génie militaire des temps modernes.

Anvers est fortifié comme il avait voulu qu'il le fût, mais avec plus d'ampleur encore, parce que nous avons dû tenir compte des progrès réalisés et qu'il n'avait fait qu'entrevoir.

Permettez-moi maintenant une dernière citation. Un jour que l'empereur exprimait ses grandes idées sur Anvers devant ses ministres et devant les commissions qu'il avait nommées pour les examiner, le ministre de la marine, l'amiral Decrès, lui fit cette observation : « Mais, si un jour la Belgique venait à être démembrée de la France, n'auriez-vous pas de regret d’avoir fait toutes ces dépenses à Anvers ? »

Et savez-vous, messieurs, ce que répondit l'empereur ?

« Eh bien, dit il, quand cela serait, nul regret pour les dépenses ; la Belgique ne peut plus appartenir à un ennemi de la France ; elle ne peut plus appartenir qu'à un ennemi de l'Angleterre. »

Ici, messieurs, ce grand homme se laissait entraîner par un ressentiment particulier. Non, la Belgique ne peut plus appartenir à un ennemi de la France ni à un ennemi de l'Angleterre, ni à l'ennemi d'aucun peuple. La Belgique s'appartient à elle-même, à elle seule ; elle est libre, elle est indépendante, et elle restera bienveillante, je l'espère, pour tous ceux qui respecteront et son indépendance et sa liberté.

- Voix diverses. - Très bien !

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - La crainte seule qu'Anvers pourrait nous être enlevé à la suite d'un conflit européen suffira, a peut-être déjà suffi pour prévenir des conflits, pour aplanir des difficultés, éteindre des rivalités dangereuses, étouffer des rancunes et faire dominer les idées de sagesse, de modération et de paix dans l'esprit des hommes qui sont appelés à gouverner les peuples.

Ainsi donc Anvers, fort, puisant, invulnérable, a cette grande signification d'être la sauvegarde de notre indépendance et un élément de sécurité, de repos et de paix pour l'Europe.

Vous ne voudrez pas lui enlever cette grande signification, messieurs, cette noble signification en suivant quelques hommes égarés dans leurs faux calculs, dans leur aveuglement momentané, et vous ne vous laisserez pas aller, comme quelques hommes faibles et pusillanimes, à des terreurs chimériques, indignes d'un peuple qui veut rester libre et honoré. (Applaudissements à gauche.)

M. Nothomb. - Après le discours que vous venez d'entendre, messieurs, je me sentais disposé à ne pas parler immédiatement et à attendre qu'un contradicteur, plus versé que moi dans la question purement militaire, y eût répondu.

MfFOµ. - Il y en a un.

M. Nothomb. – Je le sais, je vous l'avoue, d'ailleurs je cède volontiers à l'impression qu'exerce sur moi la parole digne, calme, éloquente et si habile de l'honorable général Chazal, et je me sens d'autant plus entraîné à en subir l'empire que j'éprouve pour sa personne un penchant plus vif. Mais au moment de me taire, je me suis rappelé la fin du discours de l'honorable M. De Fré, qui contient une menace et une sommation : je ne cède pas aux menaces et ne recule point devant les sommations. Je veux parler.

L'honorable M. De Fré a terminé son discours, dont la véhémence de langage m'a affligé, car le calme sied à une pareille discussion, en s'adressant à notre opinion et en s'écriant : Non, personne de la droite n'osera se lever pour soutenir les prétentions d'Anvers, personne n'osera montrer pour Anvers faveur ou complaisance, vous craindriez la réprobation publique !

Sans doute, non, messieurs, personnes sur nos bancs n'aura pour Anvers, ni faiblesse, ni complaisance, mais de l'équité, mais de la justice si les demandes d'Anvers sont raisonnables et justes.

C'est ce qui reste à examiner, et c'est ce que je vais faire en m'imposant un calme dont rien ne me fera sortir.

Et d'abord, je remercie l'honorable général Chazal d'une chose, c'est d'avoir fait un premier pas dans la voie que je voudrais voir suivre ; lui, au moins discute, il n'oppose pas un superbe dédain ; il a développé son opinion qui peut être fondée ; je ne suis pas assez compétent pour l'apprécier ; mais du moins, je trouve, dans la parole loyale de l'honorable général, un commencement de cet examen, de cette discussion que nous sollicitons. C'est d'un bon exemple.

Je reviens à l'honorable M. De Fré. Il nous menace ; il nous dit : Si vous parlez, si vous osez parler en faveur des demandes d'Anvers, vous serez mis au ban de la nation ; votre patriotisme sera suspecté et le souvenir en pèsera sur vous !

Eh bien, malgré ces formidables prédictions de l'honorable membre, j'ai maintenant l'audace de conseiller qu'on examine à fond, de sang-froid, ce qu'il peut y avoir de légitime dans la demande d'Anvers, comme jadis, ici même, pour combattre les prétentions d'Anvers quand elles m'ont paru injustes.

Et quant au patriotisme, je remercie l'honorable M. De Fré de sa tendre sollicitude pour nous. Nous ne sommes pas inquiets. Il y a deux sortes de patriotisme : l'un étroit, rancunier, qui divise et qui irrite, c'est celui que préconise l'honorable membre, ce n'est pas le mien ; l'autre, celui qui calme, qui apaise et qui réunit. C'est le nôtre. Entre les deux, j'accepte volontiers le pays comme arbitre.

Voici maintenant quelques-unes des réflexions que m'a suggérées le discours de l'honorable M. De Fré. Il a trouvé à propos de mettre en scène et de prendre à partie, en quelque sorte, les membres nouveaux de la députation anversois. Il me semble en cela avoir outrepassé son droit parlementaire ; il me semble en outre avoir été injuste quand il a attaqué le patriotisme de la ville d'Anvers.

- Un membre. - Il attaque le mouvement anversois.

M. Nothomb. - Ne jouons pas sur les mots. Je soutiens que ce mouvement est l'expression de la population anversoise.

(page 160) J'ai attaqué les meneurs que vous défendez ; voilà la différence.

M. Nothomb. - Je ne connais pas ici de meneurs. Je connais une grande cité qui s'appelle Anvers et qui défend ce qu'elle croit ses droits par des moyens constitutionnels, et je connais une députation d'Auvers arrivée ici par les mêmes voies constitutionnelles. (Interruption.)

Est-ce que je justifie pour cela tout ce qui s'est fait dans les meetings ? Vous ne savez pas encore ce que j'en dirai. Un peu de patience.

M. Bara. - Vous défendez une mauvaise cause.

M. Delaetµ. - Et vous attaquez les électeurs d'Anvers.

MpVµ. - Vous n'avez pas la parole.

M. Nothomb a seul la parole, je rappellerai à l'ordre quiconque interrompra. M. Nothomb, je vous invite à continuer.

M. Nothomb. - Je répète, sans m'échauffer, que l'honorable M. De Fré a été injuste, selon moi, en mettant en suspicion le patriotisme de la population d'Anvers ; c'est cette population qui a fait le mouvement, et c'est cette même population qui a envoyé une députation qui en est l'expression régulière, légale, comme nous le sommes tous, de nos commettants ; vous voyez que mes paroles ne devaient pas tant vous effaroucher, car, après dix minutes d'interruptions, nous arrivons à être d'accord. (Interruption.)

- Plusieurs voix. - Pas du tout.

M. Nothomb. - Eh bien, vous prouverez le contraire, mais veuillez me laisser continuer.

La députation d'Anvers a été, dans cette enceinte, l'objet de manifestations très peu courtoises, d'insinuations injustes et très peu parlementaires ; c'est mon opinion. Ces honorables collègues sont venus ici en vertu d'un mandat constitutionnel, au même titre que vous ; ils ont abordé la question anversoise avec calme, ils n'ont pas dépassé les limites parlementaires, ils se sont montrés conciliants, modérés, trop modérés peut-être, ils ont respecté toutes les convenances, et cependant vous faites remonter jusqu'à eux la responsabilité des paroles prononcées dans les meetings d'Anvers !

- Plusieurs voix : Oui ! oui i

M. Nothomb. - Cela n'est ni juste ni raisonnable. (Interruption.)

Non, cela n'est pas juste ; vous deviez les accepter tels qu'ils se présentaient devant vous : convenables, respectueux envers le Parlement, le gouvernement, envers le Roi, envers le pays, et vous venez leur reprocher, avec amertume, les expressions échappées à d'autres dans ces assemblées populaires, tumultueuses, ardentes, sans frein, qu'on appelle des meetings, et qui sont l'exutoire et parfois le salut des peuples libres ! J'avais toujours cru, je l'avoue, que des paroles proférées dans ces réunions ne pouvaient engager que ceux qui les proféraient et qu'elles devaient expirer au seuil de ce palais !

Sans doute, on a émis dans ces meetings des mots que tous nous désapprouvons ; et la première désapprobation de ces paroles regrettables est partie de nos bancs. (Interruption.)

Oui, c'est mon honorable ami M. Royer de Behr qui le premier a blâmé, dans cette Chambre, ce qu'il y avait de fâcheux et de regrettable dans les paroles prononcées dans les meetings d'Anvers.

MfFOµ. – Ils ne les ont pas désavouées et vous les soutenez.

M. Nothomb. - Non, M. le ministre, car je condamne, moi, tous les excès, ceux de la rue, comme ceux de la parole. On a été jusqu'à citer ici un nom vénéré qui devrait toujours rester en dehors de ces débats. C'est, selon moi, du plus mauvais goût. (Interruption.)

Rendre quelques hommes responsables de ces exagérations fâcheuses de parole, c'est injuste au plus haut degré.

Que diriez-vous si l'on rendait votre opinion responsable de tous les emportements de langage qui se produisent dans les clubs et dans la presse de votre parti ? Qu'eussiez vous dit si l'on avait songé en 1845 à rendre responsable l'opinion libérale de la nécessité où l'on s'est trouvé de faite une loi spéciale pour protéger une auguste personne ? (Interruption.)

Vous auriez protesté alors ; eh bien, nous protestons aujourd'hui. (Interruption.)

Je dis en second lieu que ce n'est pas être juste non plus et à coup sûr peu habile que de mettre en suspicion la population d'Anvers, de douter de ses sentiments patriotiques.

On vous l'a déjà rappelé, messieurs, la ville d'Anvers a donné la première à la Belgique naissante un gage ineffaçable de son dévouement à la patrie et vous êtes ingrats en venant aujourd’hui contester son patriotisme.

Oui. c'est la ville d'Anvers qui en 1830 a payé, la première, le tribut du sang et de la guerre et ce qu'elle a fait alors vous donner la mesure de ce qu'elle est capable de supporter si les circonstances l'imposaient ; mais à une condition, c'est que vous soyez équitables envers elle. C'est cette équité que nous invoquons pour elle.

Dans le discours de l'honorable M. De Fré, j'ai rencontré une allusion assez transparente au patriotisme de l'opinion conservatrice. Je n'ai pas besoin de la relever.

Ce patriotisme est écrit à chaque page de notre histoire et quand on a menacé jadis notre établissement militaire, c'est dans nos rangs que l'armée a trouvé ses plus solides défenseurs.

M. Prévinaire. - Restez conséquent jusqu'au bout.

M. Nothomb. - Tout à l'heure j'entendais citer le discours que j'ai prononcé à propos des servitudes d'Anvers, et je prévois que, sous forme d'interruption ou autrement, il me sera opposé. Je réponds d'avance à cette objection.

Qu'ai-je fait à l'occasion de la demande d'indemnité pour les servitudes ? J'ai combattu les demandes d'Anvers parce qu'elles n'étaient pas fondées en droit, parce qu'Anvers demandait un privilège.

J'ai combattu le principe. J'ai soutenu que l'on ne pouvait accorder une indemnité pour telle servitude quand on ne la donne pas pour toutes les autres.

Telle a été mon opinion. Je n'en réfracte rien. Aujourd'hui la position est bien différente. A cette époque Anvers demandait de l'argent ; c'était le petit côté de la question, le côté mercantile en quelque sorte. Aujourd'hui Anvers nous offre de l'argent. (Interruption.)

M. le président, je ne puis certainement pas empêcher les honorables membres de rire.

MpVµ. - Ni moi non plus.

M. Nothomb. - Depuis trois jours ils ne font pas autre chose. Jadis j'ai entendu parler de la conspiration du silence, mais vous venez d'inventer la conspiration du rire.

Seulement vous pourriez choisir pour votre jovialité une autre circonstance, et il me semble même qu'il y a parmi les honorables membres des personnes qui sont chargées de la spécialité du rire. Elles s'en acquittent en conscience.

Je puis donc, messieurs, sans embarras soutenir qu'il y a lieu d'examiner si dans la demande de la ville d'Anvers il n'y a pas quelque chose de fondé. Je puis d'autant mieux le faire que ma position, quant au système même des fortifications, me le permet complètement.

En 1859, quand il s'est agi de décréter la grande enceinte fortifiée d'Anvers, je me suis abstenu de la voter ; j'étais convaincu, dès cette époque, que cette question n'était pas suffisamment mûrie et qu'elle recelait plus d'un mécompte, plus d'une difficulté et peut-être plus d'un danger.

Aujourd'hui j'accepte le principe des fortifications. Je m'incline devant la loi.

Je l'accepte comme on accepte un fait accompli. Je ne demande pas la démolition des fortifications, personne, du reste, ne la demande, et l'honorable M. De Fré s'est fait une péroraison bien facile en conviant les députés d'Anvers à monter à la tribune et à exiger une chose que ces honorables membres ne songent pas à demander.

Mais de ce que j'accepte en principe les fortifications d'Anvers, est-ce à dire qu'il n'y ait pas lieu d'entreprendre au moins un examen, d'aller jusqu'au fond des demandes de la ville d'Anvers et de rechercher ce qu'elles peuvent renfermer de juste ?

Que dit la ville d'Anvers ?

Elle vous dit : C'est la citadelle du Nord que je redoute. C'est cette citadelle armée en face de la ville qui constitue le danger. Voilà la menace pour moi ; menace, dans le présent, en ce qu'elle touche à ma sécurité et certitude, dans l'avenir, dans un cas donné, de ma destruction complète.

Elle ajoute : Changez cette situation. Faites que cette citadelle ne soit pas armée de mon côté, enlevez ces canons et reportez ailleurs des constructions qui maintiendront le système, qui donneront la même force à l'ensemble militaire et qui me délivreront d'un danger immense, et en retour je m'offre moi, ville d'Anvers, à compléter les ressources qui vous manqueraient ; examinons. Voilà le langage que tient la ville d'Anvers.

Je n'ai point à me prononcer sur le point de savoir ce qu'il y a de vrai dans ces assertions au point de vue stratégique. Cela n'est pas de ma compétence, mais ce que le bon sens indique, c'est que cette citadelle du Nord ayant pour garnison nos derniers défenseurs avec ses canons tournés vers la ville doit, dans une certaine hypothèse, lorsque l'ennemi se sera emparé de la ville, constituer pour Anvers un énorme, un inévitable danger.

Cela me paraît évident. Il ne faut être ni stratégiste ni homme de guerre pour s’en apercevoir.

(page 161) Eh bien, messieurs, qu'y a-t-il donc de si exorbitant dans cette demande de la ville d'Anvers réduite à ces termes ? La question de dignité, dit l'honorable M. De Fré. Le gouvernement ne peut pas l'admettre. Il s'avilirait. L'honorable M. Frère l'a dit et le redira.

Mais avant la question de dignité il y a quelque chose de plus haut. C'est la question d'équité et de justice. L'équité et la justice sont le complément essentiel de la dignité d'un pays, de la dignité d'un gouvernement.

Il n'y a plus de dignité là où il n'y a qu'oppression et injustice.

On dit encore : Mais c'est un mouvement factice, c'est le produit de quelques meneurs, c'est un égarement passager. La ville d'Anvers reviendra à d'autres sentiments, et un jour elle aura de nouveau toutes ses sympathies pour ces fortifications que jadis elle entourait de tant d'acclamations. C'est le langage que vous tient l'honorable ministre de la guerre.

Eh bien, messieurs, oui, je vous l'avoue, j'ai cru un instant aussi que le mouvement d'Anvers n'était qu'éphémère. Mais aujourd’hui il est impossible de le penser encore.

Ce mouvement a pris des proposions immenses ; ii a rallié toute une ville, le conseil provincial, la chambre de commerce et finalement il a envoyé sur ces bancs la députation que vous connaissez, qui est l'expression de la volonté de toute une population. Plus de distinction d'opinions ; toutes ont été unanimes à signaler au gouvernement et au pays comme un péril certain, l'état actuel de la citadelle du Nord ; et ils ont choisi ici des représentants pour faire prévaloir, pour développer, pour soutenir cette conviction.

C'est donc un grand mouvement et vous n'avez pas le droit de le traiter légèrement. C'est une agitation qui a pris une forme légale par la députation qu'elle envoie ici, et avec un tel mouvement, je dis qu'une sage politique vous ordonne de compter.

Tout à l'heure, l'honorable M. Chazal vous parlait de ces hommes distingués que renferme la ville d'Anvers, de ces négociants, de ces artistes, de ces hommes si nombreux, si intelligents, j'en tombe volontiers d'accord et précisément je les invoque pour montrer que dans ce mouvement d'Anvers, c'est toute une population qui se rallie et que pour que ces personnes, catholiques et libéraux, que vous dites si éclairées, et c'est avec raison, se soient unanimement réunies et aient toutes embrassé la même opinion, il faut qu'au fond il y ait quelque chose qui ait remué jusque dans les derniers replis la fibre et le cœur de toute une grande et noble ville.

Je vois dans l'affaire d'Anvers deux grands intérêts également dignes d'être pris en considération et respectables tous les deux, C'est l'intérêt de la ville d'Anvers, de la population anversoise, et c'est l'intérêt national.

Faut-il sacrifier l'un à l'autre ? On vous y convie, mais moi je dis, messieurs, dussent mes paroles m'attirer l'anathème de l'honorable M. De Fré, le dis qu'il faut essayer de les concilier. Cela est-il possible ? Je n'en sais rien, mais il est digne, il est prudent, il est patriotique, tout au moins, de le tenter.

A ne pas le faire, à opposer à la demande d'Anvers cette impitoyable roideur, je dis que vous vous exposez à perpétuer un antagonisme qui pourrait devenir un jour périlleux pour le pays.

J'ajoute que si une pareille situation devait se prolonger, vous manqueriez le but que vous voulez atteindre. Car enfin, que demandez-vous à la ville d'Anvers ? Vous lui demandez d'être le boulevard, le refuge dernier de votre armée, forcée d'abandonner le champ de bataille. Vous imposez à la cité d'Anvers cette énorme obligation d'être le dernier espoir de la Belgique envahie.

Et que faites-vous cependant ? Vous irritez, vous désaffectionnez toute cette population. Vous jetez le découragement (à tort ou à raison, mais je constate le fait) au milieu d'une population de 130 à 140 mille âmes, chez laquelle vous voulez aller un jour, au jour suprême, chercher un dernier asile.

Et quand faites-vous cela ? A quel moment ? Quand vous dites le danger imminent, quand vous prétendez que Brennus est à nos portes ; qu'il y sera avant peut-être que vous ayez eu le temps d'achever toutes vos fortifications.

Vous demandez à la population d'Anvers un dévouement absolu. Vous lui demandez de tout sacrifier : existence, avenir, fortune, et en même temps vous lui jetez des paroles d'irritation et de colère. Et vous appelez cela de la dignité, de la politique ! Moi je déclare que c'est de la mauvaise politique ! et comme je le disais un jour ici même, en discutant cette même question d'Anvers, ce qui vaudra toujours mieux que les meilleures murailles, c'est le cœur de citoyens dévoués et unis.

Une pareille politique de refus absolu, de refus à outrance, non, elle n'est pas la bonne. C'est celle qui mène aux catastrophes. Elle est de la plus souveraine imprudence et elle a eu jadis une formule célèbre : Périssent les colonies plutôt qu'un principe !

Les colonies, c'est Anvers ; et le principe, je le cherche en vain ; c'est l'obstination d'un parti pris, l'égarement de l'orgueil !

Je suis loin de soutenir qu'Anvers ait raison en tout point. J'ai un jour combattu ses prétentions pour les servitudes. Je ne sais même pas encore si Anvers a raison aujourd'hui ; mais ce que je sais, ce que j'affirme, c'est que le cabinet a le tort d'avoir laissé se produire une pareille situation, de n'avoir pas su la conjurer. (Interruption.)

Oui, messieurs, c'est là le côté élevé de la question ; c'est là le côté gouvernemental, le côté politique. Je m'inquiète très peu de la question des 10 millions qu'Anvers doit ou ne doit pas, peu m'importe. Je prends la situation devant le pays, la situation dans son ensemble, et je dis que le gouvernement est responsable d'avoir laissé se produire un pareil état de choses.

C'est du reste la même politique ici qu'en toute chose : c'est la politique de compression, de parti, exclusive, de violence. C'est cette politique absolue que nous retrouvons en tout, divisant, séparant, opprimant froissant partout, sur le terrain politique intérieur, dans la question religieuse, dans les questions de conscience, de liberté, partout enfin !

Messieurs, c'est là ce qu'il y a de regrettable et de dangereux. A l'heure du péril que vous dites prochain, de ces dangers en vue desquels vous avez voulu élever les fortifications d'Anvers, au lieu de diviser, d'irriter, il faudrait apaiser, réunir, et tout votre projet d'adresse n'est en définitive qu'un audacieux défi à la moitié du pays !

Je vous en conjure, et c'est le cri d'un patriotisme sincère, croyez-le bien ; je vous en conjure, revenez à une autre politique, à une politique de pacification et d'apaisement.

Je demande, non pas qu'on accorde à la ville d'Anvers tout ce qu'elle réclame, j’ignore ce qu'il y a de fondé dans ces demandes ; mais je vous demande simplement de ne pas lui opposer une fin de non-recevoir ou un dédaigneux ordre du jour ; examinez, recherchez ce qu'il y a de légitime ; faites une enquête ; vous en faites bien d'autres. (Interruption.)

Ah ! est ce que le mot d'enquête vous effraye ? Il me semble que vous les aimez beaucoup et que vous en tirez un merveilleux parti. Faites donc cela pour Anvers, pour ce grand intérêt national, peur cet intérêt de la défense, pour l’intérêt commercial de cette grande cité. Si cette étude vous donne raison, mais vous serez dix fois plus forts, vous vous présenterez devant le pays, dégagés de toute espèce de responsabilité. Si, au contraire, il est démontré par une commission d'enquête impartiale, dont je donnerais volontiers la présidence à l'honorable ministre de la guerre, que tout en respectant les fortifications, sans toucher à l'efficacité des moyens de défense, que l'on peut reporter ailleurs quelques-unes de ces fortifications. Eh bien, alors, je crois que vous feriez une œuvre patriotique en vous prêtant à cette transaction. La question de dépense n'est qu'accessoire ; la Belgique est assez riche pour payer son repos et la sécurité de tous ses enfants. C'est alors que vous ramèneriez une population que vous dites égarée. Mais aussi longtemps que vous opposerez à la ville d'Anvers des refus acerbes, sans examen, vous maintiendrez une désaffection qui, je le rèpète, au jour du danger, pourrait compromettre les plus chers intérêts de la patrie.

Si les réclamations d'Anvers sont trouvées fondées, vous feriez cesser une injustice que le tempérament de ce pays ne tolérerait pas volontiers ; il revient vite aux idées d'équité et à la politique de modération. C'est le caractère du peuple belge.

Je défie qu'un gouvernement quelconque puisse supporter longtemps une situation comme celle d'Anvers ; tôt ou tard il faudra en arriver sur cette question à l'apaisement, à la conciliation. Faites que ce soit le plus tôt possible, craignez les jours que vous perdez ; quittez la politique exclusive pour rentrer dans la politique nationale.

Ce sera toujours la meilleure des défenses contre l'ennemi commun.

MfFOµ. - Messieurs, la Chambre doit être fatiguée, l'heure est déjà avancée, et cependant il est impossible que je ne fasse pas immédiatement remarquer l'étrange attitude que vient de prendre l'honorable Nothomb, qui, je l'espère encore, n'est pas l'organe de tous ses amis.

Messieurs, la question d'Anvers n'est pas ouverte d'aujourd'hui ; elle existe depuis longtemps ; elle a eu de nombreuses péripéties, et toujours nous avons vu la droite presque tout entière, à quelques rares exceptions près, combattre et repousser résolument toutes les prétentions émises au nom des intérêts de la ville d'Anvers.

Après avoir échoué devant la Chambre à propos du projet (page 162) d'agrandissement partiel, projet qui n'était au fond que la reproduction de celui que le cabinet précédent avait lui-même présenté, et qui fut combattu par la droite, nous vînmes enfin, cédant aux instances, aux supplications d'Anvers, soumettre le projet de loi relatif à la grande enceinte si vivement réclamée ; eh bien, messieurs, cette fois encore, et quoique Anvers alors suppliât avec une sorte d'angoisse la législature d'adopter ce projet, cette fois encore la droite presque tout entière se leva pour le repousser.

M. de Naeyer. - Moins 8 voix.

MfFOµ. - Oui : il y eut huit membres de la droite qui se conduisirent honorablement en cette occasion et je les en félicite ! (Interruption.)

- Un membre. - Et les autres ?

MfFOµ. - Messieurs, veuillez donc comprendre que lorsque je félicite les honorables membres de la droite qui ont alors appuyé le projet du gouvernement, et lorsque je dis qu'ils se sont conduits honorablement, il ne faut pas retourner ces paroles contre vous et en faire une offense que personne n'a l'intention de vous adresser. Je constate seulement un fait : c'est qu'à cette époque, la grande majorité, la presque unanimité de la droite combattait les prétentions des Anversois.

Quoi qu'il en soit, la grande enceinte fut enfin votée, et mon honorable collègue, M. le ministre de la guerre, vous a rappelé avec quel délire d'enthousiasme ce vote a été accueilli à Anvers.

Mais depuis lors, d'autres exigences se sont manifestées, des prétentions vraiment exorbitantes ont été émises par des habitants d'Anvers. Des meetings furent organisés pour les soutenir, et pour propager ce qu'on appelle aujourd'hui la question anversoise.

Je ne vous parlerai pas, messieurs, des scènes vraiment scandaleuses qui se sont passées dans ces meetings, et qui ont si profondément affligé le pays. Je veux seulement vous rappeler qu'à plusieurs reprises la Chambre des représentants fut appelée à se prononcer sur les réclamations de la ville d'Anvers. La question anversoise y fut produite par d'honorables amis auxquels nous étions attachés, que nous aimions et que nous honorions, qui partageaient notre foi politique et qui nous appuyaient dans le Parlement. Ils sont venus la défendre comme jamais elle ne sera défendue dans cette enceinte et comme elle ne l'a certes pas été par ceux qu'Anvers a envoyés ici pour les remplacer.

M. Delaetµ. - Nous ne sommes pas entrés dans le fond de la question.

MfFOµ. - Et alors encore, messieurs, que vîmes-nous ? Nous vîmes la droite tout entière combattre avec nous, avec le gouvernement les prétentions qui étaient soutenues par nos honorables amis.

M. Coomans. - Pas la droite tout entière.

MfFOµ. - Non ! C'est vrai ! Vous, M. Coomans, vous avez encouragé la demande de démolition des fortifications, même dans le meeting ; mais là vous avez conseillé de renoncer aux questions d'argent, à l'indemnité pour les servitudes militaires. Vous avez dit : « Ne parlez que de la question de guerre, n'agitez que la question des fortifications ; celle-là seule pourra intéresser le pays. » - On vous a répondu : « Le conseil est bon.... mais pas à suivre !» Et cette réponse ne vous a pas éclairé sur les causes réelles de l'agitation d'Anvers.

Enfin, après diverses discussions, après des votes provoqués par l'honorable M. Coomans lui-même, demandant la suspension des travaux d'Anvers, on a fait ici la proposition qui vient d'être renouvelée par l'honorable M. Nothomb. Dans la séance du 15 mai 1862, on soumit à la Chambre une proposition absolument identique à la motion que cet honorable membre a formulée. En voici le texte :

« Considérant qu'il y a lieu de soumettre à l'examen d'une commission, dans laquelle la Chambre sera représentée par plusieurs de ses membres, la question de savoir si le système de fortifications qu'on exécute à Anvers ne pourrait être modifié en éloignant ou faisant disparaître les citadelles, de manière à mieux concilier les intérêts de la ville et du commerce avec ceux de la défense nationale... »

Cette proposition, nous l'avons combattue.

Nous l'avons combattue avec conviction, avec énergie contre vos propres amis, nous l'avons combattue contre eux, comme nous avions combattu une proposition du même genre la veille des élections, parce qu'au banc ministériel, comme sur les bancs de la gauche où siègent nos honorables amis, ce qui nous préoccupait, ce n'était pas la crainte de perdre quelques voix dans les élections, c'était la dignité du gouvernement. Nos honorables amis et nous, avons dit : « Le pouvoir sera perdu, la majorité sera décimée, soit ; mais notre honneur sera intact. »

- Plusieurs membres. - Très bien ! très bien !

MfFOµ. - Cette proposition que nous avons combattue d ns des conditions, j'ose le dire, si honorables pour le cabinet, n'a pas eu alors pour défenseur l'honorable M. Nothomb.

M. Nothomµ. - J'ai dit pourquoi.

MfFOµ - On subissait déjà la tentation d'exploiter l'agitation d'Anvers ; on n'osait pas encore y céder. Il y avait de la résistance au sein de la minorité. Au moment du vote, quelques membres de la minorité sont sortis de la salle ; les plus ardents ont voté la motion ; d'autres se sont abstenus, et parmi ces derniers se trouvait celui que vous venez d'entendre formuler une proposition d'enquête, l'honorable M. Nothomb lui-même !

Ainsi, l'honorable M. Nothomb qui, au mois de mai 1862, c'est-à-dire il y a près de deux ans, n'a pas cru pouvoir appuyer de son vote une motion de ce genre ; qui n'a pas prononcé une parole pour l'appuyer ; l'honorable M. Nothomb qui a laissé dépenser 20 millions depuis lors, sans faire entendre aucune protestation, ne craint pas de se lever aujourd'hui pour venir vous demander d'examiner s'il n'y a pas lieu de démolir une partie des fortifications d'Anvers !

- Voix à gauche. - C'est inouï !

M. Nothomb. - J'ai dit pourquoi, j'ai donné mes motifs.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ces motifs vous condamnent : ils auraient dû vous faire aujourd'hui garder le silence ! (Interruption.)

Oui, vous vous êtes abstenu, parce que vous n'étiez pas assez certain que l'enquête proposée aurait eu pour résultat de ramener au système de fortification restreint que vous aviez toujours défendu ! Eh bien, aujourd'hui que voulez-vous ? Vous voulez seulement qu'on examine s'il n'y a pas lieu de démolir les citadelles, en maintenant la grande enceinte. (Interruption.)

Ecoutez vos motifs d'abstention :

« Je n'ai pas rejeté la proposition, parce qu'elle se rattache à l'opinion que j'ai toujours eue et constamment soutenue sur l'exagération des fortifications projetées à Anvers, dont l'étendue est telle, que la défense par l'armée nationale me paraît difficile, et seulement possible par l'abandon préalable du reste du pays.

« Je n'ai pas approuvé la proposition, parce que la discussion ne m'a pas assez appris jusqu'à quel point elle se concilierait avec le système restreint de défense, le seul bon suivant moi, présenté par le cabinet dont j'ai fait partie. »

Qu'y a-t-il de changé depuis lors et comment cette enquête que vous ne pouviez admettre, peut-elle être maintenant proposée par vous ! Depuis lors, on a dépensé 20 millions ! et il s'agirait maintenant de démolir en partie ces fortifications !

M. Nothomb. - Pas du tout.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, la motion d'enquête que l'honorable membre nous annonce aujourd'hui, qui est calquée sur celle que nous avons combattue en 1862, bien qu'elle émanât d'honorables amis, cette motion d'enquête, l'honorable M. Nothomb n'en est pas mène l'auteur, il n'en est que le parrain ; il parle pour l'honorable M. d'Hane-Steenhuyse ; c'est cet honorable membre qui, après le vote solennel de la Chambre, a annoncé cette nouvelle motion d’enquête, c'est lui qui doit lui assigner son véritable caractère, ; c'est lui qui, dans un discours prononcé le 5 juillet 1862, a formulé de nouveau le programme des prétentions anversoises. Ce programme, le voici :

« Nous vous invitons à acclamer le programme de la population anversoise dont la commission des servitudes militaires est en ce moment l'organe.

« Ce programme est celui que nous avons suivi jusqu'aujourd'hui. Il comprend l'obligation pour l'Etat d'accorder une indemnité complète aux propriétaires frappés par les nouvelles servitudes.

« Il porte, en outre, que, confiants dans la parole royale et dans les déclarations faites à la Chambre par le ministre de la guerre lui-même en 1859, les Anversois demandent avec persistance à voir éloigner de leur ville tout danger, et que, dans cet ordre d'idées, ils posent comme principe duquel ils ne se départiront pas la démolition ou du moins le déplacement des deux citadelles, s'il est prouvé toutefois que les citadelles sont nécessaires. Ce dernier point est le seul qu'aura à discuter une commission d'enquête. Quant à la disparition des citadelles en tout état de cause, c'est un point que les Anversois veulent voir résolu en leur faveur, et qu'ils exigeront tant que des mesures restrictives et (page 163) liberticides ne viendront pas leur ravir le droit d'exprimer ouvertement leur opinion. »

Voilà le programme ; voilà les prétentions modérées et conciliantes des meetings anversois !

Maintenant, l'honorable M. Nothomb est-il autorisé, l'est-il par le silence inexplicable des députés d'Anvers, à venir nous dire qu'il n'est plus question de ce programme, qu'il n'est plus question de ces engagement à l'aide desquels on a égaré les masses et qui ont été contractés au sein même de la ville d'Anvers ? Que les députés de cette ville s'expliquent !.... Renoncent-ils aux prétentions qu'ils ont annoncées ?.... Et s'ils disent qu'ils y renoncent, nous nous permettrons de leur demander pourquoi ils sont ici ? (Interruption.)

Ils ont déclaré qu'ils avaient un mandat impératif.....

M. Wasseige. - Ce n'est pas de notre côté que se trouvent les mandats impératifs.

MfFOµ. - Permettez, M. Wasseige ; ne jouons pas sur les mots ; vous choisissez mal votre moment pour répudier les mandats impératifs ; les nouveaux élus d'Anvers avaient pour mission formelle, expresse, de venir demander ici d'abord des indemnités pour les servitudes militaires, et ensuite la démolition des citadelles, sans qu'aucune concession quelconque fût permise sur ce point.

Et maintenant, députés d'Anvers, on vient dire pour vous que vous renoncez à ces prétentions... Et j'attends toujours vos dénégations. (Interruption.)

Ah ! je comprends parfaitement la manœuvre qui a été employée ! On a dit aux nouveaux députés d'Anvers : « Parlez bas ; parlez de conciliation, de modération ; soyez modestes ; ne venez pas émettre devant la Chambre les prétentions que vous avez annoncées, n'effarouchez personne ; nous verrons plus tard. Vous pouvez avoir notre appui s'il s'agit seulement d'examiner ; nous ne nous prononçons pas sur les exigences de la ville d'Anvers ; mais réclamer un examen, qui aura peut-être des conséquences plus tard, nous le pouvons, à une condition : c'est que vous entrerez dans les rangs de la droite ! » (Longue interruption.)

M. de Moorµ. - Vous y êtes entrés ; ne le niez donc pas. (Interruption.)

M. B. Dumortier. - C'est cela ; voilà toute la question : on regrette d'avoir perdu cinq voix.

MfFOµ. - Nous regrettons, nous dit l'honorable M. Dumortier d'avoir perdu cinq voix ?

M. B. Dumortier. - Oui, et là est toute la question.

MfFOµ. - Mais feignez-vous donc d'ignorer qu'au prix où vous les avez acquises, nous eussions pu les conserver !

- Voix à gauche. - C'est cela ! Très bien.

MfFOµ. - Si nous avions voulu livrer le trésor public au pillage, si nous avions voulu faire bon marché de l'honneur et de la dignité du gouvernement, nous serions encore ici avec notre ancienne majorité ! Nous ne l'avons pas voulu ; nous n'avons pas voulu sacrifier notre conscience à l'intérêt de notre parti, et voilà pourquoi vous comptez aujourd'hui dans vos rangs les cinq députés d'Anvers !

- Voix à gauche. - Très bien !

MfFOµ. - Voilà ce que nous pouvons dire hautement et honnêtement au pays ! Voilà ces libéraux, dénoncés comme des fauteurs de désordre, voilà ce qu'ils ont fait étant gouvernement et étant majorité. Et voilà, en face d'eux, ce grand parti d'ordre, grand parti qui s'intitule conservateur, et qui, au jour où il peut obtenir cinq voix à l'aide du désordre et des meetings, les accepte avec reconnaissance !

- Voix à gauche. - Très bien !

- Voix à gauche. - Voilà la question !

M. de Moorµ. - Voilà la vérité !

MfFOµ. - Messieurs, cet examen que l'on a jadis combattu, et que l'on promet aujourd'hui d'appuyer (je viens de vous dire à quelles conditions), cet examen a été fait. Vous venez d'entendre M. le ministre de la guerre vous déclarer qu'il est impossible de consentir à la démolition de la citadelle du Nord.

M. Nothomb. - Je n'ai pas demandé cela.

MfFOµ. - Oh ! non, je le sais bien ; vous vous croyez beaucoup plus habile ; vous demandez seulement qu'on examine ! Je comprends tout cela parfaitement ! Entretenir l'agitation et ne pas trop vous engager, voilà le but à atteindre.

M. Nothomb. - Vous ne m'avez pas compris.

M. Hymans. - Mais vous n'interrompez jamais, M. Nothomb. (Interruption.)

M. Nothomb. - On m'a mal compris, il faut bien que je rectifie.

MfFOµ. - Je dis que cet examen a été fait ; il a été complet, et, pour ce qui nous regarde, il est irrévocable.

Et voilà comment on s'efforce de conquérir des majorités, dans ce grand parti de la droite, qui ne négligera aucune occasion de nous parler de la loyauté politique ! Eh bien, messieurs, prenez-y garde ! Il se peut que vous soyez demain gouvernement, et alors vous auriez à subir la peine des engagements que vous avez si imprudemment pris.

- Voix à gauche. - Très bien !

MfFOµ. - Et vous verrez alors si un gouvernement fait bien de traiter avec des meetings !

M. de Theuxµ. - Il n'y aucun engagement de notre part.

MfFOµ. - Il y a celui que je viens de dénoncer, et qui vous entraînera beaucoup plus loin que vous ne le pensez. Personne n'a qualité pour représenter et lier des meetings ; il n'y a ni députés d'Anvers, ni président effectif, ni président d'honneur qui puissent s'engager pour eux, ni rétracter ce qui leur a été promis. Mais ce qui importe, ce sont les engagements contractés ! Oh il ne suffit pas d’être des espèces de Janus, ayant une face tournée vers les meetings et excitant la colère de la foule, lui faisant des promesses qu’on se déclare ensuite impuissant à tenir ... et une autre face tournée vers les représentants du pays et disant : Nous sommes bien calmes, bien conciliants, bien modérés. Non ! non ! messieurs, cela ne suffit pas pour faire taire la foule alors qu’on l’a ameutée et excitée !

Ce qui se passe aujourd'hui est déjà un premier châtiment pour les députés d'Anvers (interruption) ; oui, c'est un premier châtiment pour eux, car que dira cette population à laquelle ils ont fait tant d'audacieuses promesses ? Que leur dira-t-elle de leur attitude actuelle, de leur silence ? Que dira-t-elle quand elle saura qu'ils n'ont pas osé produire ici la proposition qu'ils avaient pris l'engagement solennel de présenter et de défendre !

.M. Dechamps. - Voilà de la modération ?

MfFOµ. – Oh ! je le dis franchement ! je suis impuissant à contenir l'indignation qui m'anime en présence de ce qui se passe ici, car jamais spectacle plus navrant n'a été offert au pays.

- Voix à droite. - Et 1857 ?

M. Delaetµ. - Nous répondrons à tout cela.

MfFOµ. - Ce sont des meetings tumultueux, auxquels vous avez fait des promesses insensées, qui vous ont poussés sur les bancs où vous siégez aujourd'hui. Mais le jour où vous manquerez à ces promesses, - et vous y manquez déjà, - le jour où, reculant effrayés devant votre œuvre, vous vous croirez encore assez puissants pour calmer la tempête que vous avez déchaînée, ce jour-là vous serez engloutis par elle ! Ce jour-là, ceux que vous avez égarés, ceux que vous avez trompés se lèveront et viendront à leur tour réclamer de vous l'accomplissement des engagements que vous avez pris et que vous n'aurez pas su tenir !

Messieurs, des deux positions prises, d'une part, par le gouvernement et la majorité, d'autre part par la minorité, je crois que tout homme consciencieux, en dehors de cette Chambre, jugeant impartialement la situation, choisira celle du gouvernement et de la majorité. Quant à la minorité, qu'elle me permette de le lui dire, elle commet en ce moment une faute immense. Elle ne croit qu'à une seule chose, à la force numérique ; elle n'aspire qu'à une chose, devenir majorité, quels que soient les moyens qui la lui procurent. (Réclamations à droite.)

- Voix à gauche. – C’est vrai ! c'est vrai !

MfFOµ. - Oh ! vos protestations sont impuissantes en présence des faits.

En d'autres temps, d'ailleurs, vous avez pensé aussi pouvoir impunément accueillir dans vos rangs et porter aux premières fonctions de l'Etat ceux qui faisaient défection à l'opinion libérale Vous avez cru que, parce que vous aviez des voix, des votes, vous aviez une force suffisante. Non, messieurs, ce qui vous manquait alors, c'était la force morale. Eh bien, cette fois encore, la force morale vous fait complètement défaut.

Non seulement vous portez déjà le poids de ceux qui nous ont quittés jadis pour aller grossir vos rangs, mais vous venez aujourd'hui, par un pacte dont je viens de dévoiler les conditions, vous venez d'accueillir (page 164) dans vos rangs des députés qui n'étaient point venus ici pour appuyer votre opinion, qui sont entrés ici avec le mandat exclusif de défendre les intérêts d'Anvers.

M. Delaetµ. - Il est défendu...

M. de Moor. — Laissez donc !

MfFOµ. - Eh bien, le jour où vous deviendrez majorité avec de pareils éléments, à l'aide de pareils moyens, courbés sous le poils de tels antécédents, vous serez complètement perdus dans l'estime du pays !

- Nombreuses voix à gauche. – Très bien ! très bien !

MpVµ. - La parole est à M. Coomans.

- Plusieurs membres à droite. - A demain.

- Voix à gauche. - Non ! non ! continuons.

M. Coomans. - Au moment où j'allais commencer mon discours, l'honorable M. Dechamps m'a fait remarquer que l'heure est assez avancée ; je fais la même observation et j'ajoute que je suis fatigué par une raison qui m'est personnelle et par une autre raison encore, c'est qu'on n'assiste pas sans fatigue à des séances de 3 heures et demie, remplies comme l'a été celle-ci.

M. Allard. - Alors pourquoi se réunir à une heure ?

MpVµ. - La Chambre insiste-t-elle pour continuer la séance ?

- Plusieurs voix. - Oui ! oui !

M. de Brouckere. - M. le président, si M. Coomans ne veut pas parler, effacez-le de la liste et donnez la parole à un autre orateur.

MpVµ. - M. Coomans, voulez-vous parler ?

M. Coomans. - Je suis aussi honoré que surpris de voir la Chambre si impatiente de m'entendre ; cependant les observations que j'ai à lui présenter, je l'en préviens, ne lui plairont guère. Je persiste dans ma résolution.

MpVµ. - M. Jacobs est inscrit après M. Coomans ; s'il veut parler, je lui donnerai la parole.

M. Jacobsµ. - Il me serait difficile de prendre la parole maintenant.

- Quelques voix. - Eh bien, la clôture !

- Plusieurs voix. - A demain !

- D'autres voix. - Non, continuons !

MpVµ. - Je consulte la Chambre sur la question de savoir si elle entend continuer la séance. Que ceux qui sont de cet avis se lèvent.

- Plusieurs voix. - L'appel nominal !

MpVµ. - L'épreuve est commencée ; il est trop tard.

M. Wasseige. - M. le président n'aura pas entendu, nous avions réclamé l'appel nominal avant que l'épreuve fût commencée.

MpVµ. - Que ceux qui sont d'un autre avis se lèvent.

- La séance continue.

La parole est à M. Coomans.

- Un membre. - Il est absent.

MpVµ. - La parole est à M. Jacobs.

M. Royer de Behr. - Je demande la parole pour une motion d'ordre. Il me semble qu'il n'y a aucun précédent de la rigueur qu'on veut montrer à l'égard de M. Coomans, tandis que je pourrais citer celui où l'on a autorisé l'honorable M. De Fré, fatigué, à remettre au lendemain la suite de son discours.

M. de Moorµ. – Il était 5 heures.

M. Royer de Behr. - Il est 4 heures 40 minutes. Je pense qu'il serait juste et convenable de faire aujourd'hui ce qu'on a fait hier.

Je demande qu'on accorde à M. Coomans la faveur qu'on a accordée hier à M. De Fré et précédemment à M. Delaet.

MpVµ. - J'ai suivi le règlement, j'ai consulté la Chambre ; la Chambre a décidé qu'elle voulait continuer la séance ; tant que cette décision ne sera pas rapportée, je dois la faire exécuter.

M. de Theuxµ. - M. le président a raison, il a observé le règlement. Mais je dirai que dans d'autres circonstances où l'on a voulu forcer des orateurs à parler, bien qu'il y eût décision de la Chambre, on n'a pas persisté, on est revenu sur la décision prise. Je ne concevrais pas que dans la circonstance actuelle on ne voulût pas suivre ce précédent.

D'ordinaire on aime à avoir la parole le dernier ; je ne comprends pas que l'on veuille ne pas rester sous l'impression de cet avantage. Il est aujourd'hui pour la majorité, elle peut laisser à la minorité le temps de se préparer pour répondre.

MpVµ. La Chambre insiste-telle pour continuer la séance ?

- Quelques voix. - Oui ! oui !

MpVµ. - Nous approchons de l'heure où d'ordinaire on lève la séance, il conviendrait peut-être, pour terminer cet incident, de la renvoyer à demain. (Oui ! oui !)

- Un grand nombre de membres quittent leur place.

La Chambre se sépare à 4 heures trois quarts.