(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1863-1864)
(Présidence de M. Lange, doyen d'âgeµ.)
(page 35) M. de Conninckµ, secrétaire provisoire, fait l'appel nominal à deux heures et un quart.
M. Jacobsµ donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
MpLangeµ. - Le premier objet à l'ordre du jour est la suite de la discussion sur l'élection de Bastogne. La commission a-t elle pu terminer l'examen des pièces qui lui ont été renvoyées ?
M. Frison, rapporteur. - Oui, M. le président.
MpLangeµ. - La parole est à M. le rapporteur.
M. Frison, rapporteur. - Messieurs, la Chambre, par une décision d'hier, a chargé sa commission de dresser un tableau de la date à laquelle les convocations électorales ont été faites dans chaque commune et du nombre d'électeurs qui dans chaque commune ont pris part au vote.
Votre commission, pour effectuer son travail, n'avait à sa disposition que la liste des électeurs inscrits et celle des votants ; ces deux listes, vous le comprenez, ne contiennent pas les données nécessaires pour satisfaire à la décision de la Chambre.
En effet, ce n'est que par la production des récépissés, constatant la remise des bulletins de convocation aux électeurs de chaque commune que votre commission pouvait dresser un tableau spécifiant le jour où les convocations ont été faites à chaque électeur.
Votre commission pourrait, si elle possédait ces renseignements, mettre en regard du nom des électeurs qui se sont abstenus celui des électeurs qui n'ont pas été convoqués ou qui l'ont été trop tard. De cette façon, on pourrait apprécier l'influence de l'absence ou du retard de convocation sur les opérations électorales.
C'est pourquoi votre commission est d'avis que le gouvernement soit prié de fournir ces documents dans le plus bref délai possible :
1° La date de la remise des convocations dans chacune des communes de l'arrondissement de Bastogne, avec les récépissés à l'appui.
2° L'indication des électeurs d’Houffalize qui n’ont pas reçu de convocations.
La Chambre a également renvoyé à sa commission les pièces produites dans la séance d'hier par M. Van Hoorde.
Quant à ces pièces, la commission est d'avis que la simple dénégation des faits par la personne à qui ils sont imputés n'a jamais été admise comme preuve suffisante de la non-existence de ces faits. Votre commission, en conséquence, sans émettre aucune appréciation sur la valeur morale des certificats et des lettres communiquées par l'honorable M. Van Hoorde à la Chambre, n'a pu y voir un motif pour modifier ses précédentes conclusions ; elle fait d'ailleurs observer que certaines imputations n'ont pas été contredites par les pièces dont il s'agit.
M. de Theuxµ. - Je demanderai à M. le rapporteur à quelle majorité ces conclusions de la commission ont été prises.
M. de Vrièreµ. - A l'unanimité.
M. Frison, rapporteur. – Il n'y a pas eu d'opposition ; les conclusions n'ont pas même été mises aux voix, aucun membre n'ayant fait opposition à la proposition de M. le président.
M. de Theuxµ. - Combien y avait il de membres présents ?
M. de Vrièreµ. - Cinq.
MpLangeµ. - Quelqu'un demande-t-il encore la parole ?
M. B. Dumortier. - Je demanderai une explication à M. le rapporteur. Je ne comprends pas du tout son rapport... (Interruption) Permettez ; on veut savoir quels sont les noms des personnes qui, étant électeurs dans le district de Bastogne, ne sont pas venues voter et quel es le nombre de personnes auxquelles on n'a pas remis de bulletins de convocation.
Mais on ne s'est pas posé la question de savoir si les électeurs qui ne sont pas venus voter n'avaient pas de motifs d'empêchement.
- Un membre. - C'est ce que l'enquête pourra établir.
M. B. Dumortier. - C'est-à-dire, messieurs, que vous voulez bien voir clair à votre point de vue, mais non au point de vue de la vérité.
Qu'y a-t-il d'étonnant à ce qu'un certain nombre d'électeurs n'aient point pris part à l'élection ? Est-ce que, chaque année, des électeurs ne viennent pas à décéder dans l'intervalle de la formation des listes électorales et du scrutin ? N'y a-t-il pas aussi des électeurs empêchés pour cause de maladie, des absents pour affaires ? Eh bien, est-ce que par hasard vous annulerez l'élection de l'honorable M. Van Hoorde parce que des électeurs de l'arrondissement de Bastogne ont été malades ou absents ?
La demande de la commission est complètement inintelligible.
Si la commission veut s'informer de ce fait, il faut qu'elle sache aussi pour quel motif les électeurs qui ne sont pas venus voter ont fait défaut.
Je suppose maintenant qu'un électeur qui n'a pas reçu de bulletin de convocation soit venu voter. Cela prouvera tout simplement que le billet de convocation n'est pas nécessaire pour venir voter.
- Une voix à gauche. - Vous plaidez pour l'enquête.
M. B. Dumortier. - J'écouterai l'honorable interrupteur quand il voudra prononcer un discours, mais son interpellation n'est pas venue jusqu'à moi.
Je demande donc une explication sur la portée de la pensée de la commission.
Il ne suffit pas de connaître le nombre des personnes qui n'ont pas reçu de bulletin de convocation, il faut encore savoir si elles ne sont pas venues voter.
Il ne suffit pas de savoir si telle ou telle personne n'est pas venue voter, il faut savoir les motifs pour lesquels elle n'est pas venue.
Il faut savoir si c'est l'absence de récépissé de bulletin qui a causé l'empêchement.
Je demande une explication au rapporteur sur ce point.
M. Frison, rapporteur. - Je ne comprends pas bien la demande d'explications de l’honorable M. Dumortier.
Il est certain que si l'on pouvait mettre en regard des noms des électeurs qui n'ont pas pris part au vote, les noms des électeurs qui n'ont pas été convoqués, on pourrait en tirer un argument en faveur de l'annulation.
Car si les électeurs absents étaient précisément et en grande partie ceux qui n'ont pas été convoqués, l'influence de l'irrégularité dais les convocations serait évidente.
M. B. Dumortier. - Voici mon observation. Il n'y a pas seulement à examiner le compte des gens qui ne sont pas venus voter. Il ne suffît pas de dire : Tant de personnes ne sont pas venues voter ; par conséquent, la majorité est contestable. II faut que la Chambre sache autre chose encore.
M. Allard. - Donc il faut une enquête.
M. B. Dumortier. - Il faut que la Chambre connaisse tous ces détails ; en supposant, bien entendu, que l'on admette la proposition faite, proposition que moi je n'approuve pas. (Interruption.)
Comment voulez-vous que je l'approuve ? La Chambre a constamment repoussé ce moyen. Il n'y a pas un seul précédent. Il est vrai que cette fois deux ou trois ministres n'ont pas été élus, et c'est pour se venger du corps électoral, qu'on veut annuler les élections. (Interruption.)
Je répète ce que j'avais l'honneur de dire et je prie l'honorable M. Frison de me donner la portée de la pensée de la commission.
La commission veut voir la liste des personnes qui ne sont pas venues voter. Elle la possède par l'appel nominal.
Elle veut une liste des personnes qui n'ont pas été convoquées à temps.
Je demande si, quand vous aurez la liste des personnes qui n'ont pas été convoquées à temps, il sera prouvé que cela a exercé une influence sur l'élection.
Parmi les personnes qui n'ont pas été convoquées à temps, les unes peuvent être venues à l'élection malgré la remise tardive du bulletin, les autres peuvent n'y être pas venues, par suite de décès, d'indisposition, de maladie, de voyage, ou par suite de leur simple volonté. (Interruption.)
Comme le dit mon honorable ami, M. de Mérode, c'est une inquisition que l'on veut faire.
Je demande donc que l'on veuille m'indiquer la pensée de la commission.
M. Vermeireµ. - Messieurs, j'ai fait partie de la cinquième commission qui a examiné les élections de Bastogne.
L'honorable M. Dumortier nous demande quelle est la portée que la commission veut attacher à la production des listes sur lesquelles sont inscrits les récépissés des bulletins de convocation.
Une pétition avait demandé à la Chambre l'annulation des élections de Bastogne, pour plusieurs motifs et, entre autres, par celui que des bulletins (page 21) de convocation auraient été remis aux électeurs après le délai fixé par la loi : d’où la conséquence, selon les pétitionnaires, que, par l’absence de certains électeurs, ignorant le jour et l’heure de l’élection, celle-ci aurait pu présenter un autre résultat que le résultat qui a été proclamé.
Il résulte d'un travail, fait par le rapporteur de la cinquième commission, que, dans les communes où les convocations ont été faites tardivement, plus d'électeurs se sont rendus au scrutin que dans les localités où les électeurs ont été convoqués dans le délai de la loi. On ne peut donc pas en arguer que la convocation tardive les a retenus chez eux. Ainsi dans les quinze communes où les convocations pour les élections ont été faites entre le 2 et le 4 du mois de juin, 266 électeurs sont inscrits ; 241 ont déposé leur vote et 25 sont restés absents ; c'est-à-dire 9 p. c. de la totalité des électeurs inscrits.
Il résulte de ces chiffres que, si les convocations eussent été faites quelques jours plus tôt, le résultat n'en serait pas moins resté le même. Dans tous les cas,, la remise tardive des bulletins ne peut vider l'élection au point de la faire annuler.
S'il pouvait en être ainsi, il dépendrait de la volonté d'un fonctionnaire d'annuler toute élection qui n'aurait pas été faite au gré du gouvernement.
Que porte l'article 10 de la loi électorale ?
« Les commissaires de district veilleront à ce que les chefs des administrations locales envoient, sous récépissé, au moins huit jours d'avance des lettres de convocation aux électeurs avec indication du jour, de l’heure et du local où l’élection aura lieu. »
Est-ce à dire que si cette remise n'a pas été faite dans le délai prescrit par la loi, les élections doivent être annulées ? Nullement. Cet article a uniquement pour but de rappeler aux fonctionnaires l'obligation de remettre les bulletins de convocation aux électeurs en temps utile, mais l'inobservance de cette prescription ne peut avoir pour résultat de vicier l'élection en elle-même, au point de la faire annuler.
M. B. Dumortier. - Combien pour cent de tous les électeurs inscrits dans l'arrondissement ont manqué à l'élection ?
M. de Theuxµ. - Huit pour cent.
M. Vermeireµ. – De plus, je ferai encore observer que la loi indique le jour et l’heure des élections et les fixe au deuxième mardi de juin.
Donc, le lieu, le jour et l’heure sont suffisamment connus pour que tous les électeurs puissent exercer leur droit. On ne les convoque que par une mesure surabondante de précaution afin que, malgré l'axiome que tout citoyen est censé connaître la loi, les électeurs n'oublient pas cependant le jour auquel ils sont obligés de se rendre aux comices pour y exercer leur droit de voter.
Je n insisterai pas davantage. Seulement je dirai que dans la commission, j’ai voté pour la validation des pouvons de l'honorable M. Van Hoorde, pane que je ne vois pas dans les faits qu'on allègue des motifs suffisants pour vicier son élection.
M. Orts. - Messieurs, l’honorable M. Dumortier est revenu à plusieurs reprises sur ce qu'il appelle les précédents de la Chambre et du Sénat dans la question que j'ai soulevée hier devant vous. L'honorable M. Dumortier a cité probablement de mémoire, et sa mémoire l'a mal servi.
Les précédents de la Chambre et du Sénat sont parfaitement connus. Ils sont publiés et reproduits dans le Commentaire des lois électorales de M. Delebecque. Voici à quoi ils se réduisent :
Il n'y a aucune espèce de précédent, ni de la Chambre, ni du Sénat, sur la question de savoir quelle influence doit exercer sur la validité d'une élection le fait qu'un certain nombre d'électeurs n'auraient pas reçu de convocation du tout.
C'est le premier objet de l'observation que j'ai faite hier. IL y a eu à Houffalize, entre autres, 7 électeurs sur 39 qui n'ont pas reçu de convocation du tout. Le fait est authentiquement prouvé. Il est prouvé par le certificat de l'administration communale d'Houffalize que j'ai eu l'honneur de lire hier à la Chambre, certificat signé par l'échevin d'Houffalize faisant fonctions de bourgmestre.
Ainsi pour le premier point, il n'y a aucune espèce de précédent de la Chambre ni du Sénat. Je défie qu'on en trouve un.
Il y a un précédent ailleurs rapporté par l'auteur extrêmement soigneux du recueil que je viens de citer, M. Delebecque. II y a le précédent de la députation permanente du Hainaut qui a annulé dte élections communales pour ce motif.
M. B. Dumortier. - Cela ne signifie rien.
M. Orts. - Cela ne signifie rien ! Il me paraît que l'honorable M. Dumortier traite d'une manière un peu leste les représentants de la province à laquelle il appartient.
M. B. Dumortier. – Ce n’est pas un précédent de la Chambre.
M. Orts. – Je dis que l’opinion de la députation permanente et du conseil provincial du Hainaut à peu près tout entier, sont des autorités qu’on peut invoquer, quand il n’y a pas surtout de précédent contraire ni de la Chambre ni du Sénat, et voici la règle qu’a posée la députation permanente du Hainaut dans cette élection.
Cette règle est fort sage, et je désire qu’elle nous inspire. Lorsque, supposant présents les électeurs qui n’ont pas été convoqués, le résultat des élections peut être douteux, il faut annuler. Si, en supposant présents les électeurs non-convoqués, leur vote, quel qu’il pût être, ne pourrait pas changer les résultats de l’élection, il faut maintenir.
Je passe à la seconde irrégularité, la convocation tardive.
Ici, nous rencontrons des précédents de la Chambre et du Sénat.
Le Sénat a eu à s'occuper de la question en 1839 à propos de l'élection de M Bonné-Maes, sénateur du district que représente aujourd'hui l'honorable M. Dumortier à la Chambre, le district de Roulers. M. de Stassart a présenté le rapport, et il a conclu, au nom de la majorité de la commission, à la validité de l'élection de M. Bonné-Maes, parce que le grand nombre des suffrages obtenus par ce candidat ne lassait planer aucune espèce de doute sur le résultat possible de l'élection en cas de présence des électeurs tardivement convoqués, et que, de plus, le grand nombre des électeurs qui étaient venu voter, rendait encore une fois l'irrégularité de minime importance.
Voilà la règle posée par la majorité de la commission du Sénat et suivie par le Sénat dans son vote.
Deux membres de cette assemblée avaient néanmoins cru que la disposition de la loi électorale était impérative, qu'elle était la sauvegarde du droit de l'électeur et, malgré l'absence de préjudice possible, ils avaient insisté pour l'annulation.
Vient maintenant la Chambre. En 1837 la question a été portée devant elle par l'honorable M. de Brouckere, notre collègue d'aujourd'hui, à l'occasion de l'élection de M. Corneli et l'honorable M. de Brouckere a conclu à la validité parce que le chiffre de la majorité était tel, qu'aucun doute ne pouvait exister sur le résultat de l'élection, en supposant que tous les électeurs eussent été présents.
De plus, messieurs, la question s’est produite en 1832, à propos d'une l'élection de Ruremonde. La Chambre a validé parce que les électeurs qui n'étaient pas venus habitaient la partie cédée occupée encore par les troupes hollandaises.
Ajoutez à cela le précédent, que j'ai cité, de la députation pertinente et du conseil provincial du Hainaut et vous aurez l'accord des trois assemblées qui ont eu à s'occuper de la question. Cet accord existe pour annuler quand la présence des électeurs absents aurait pu changer l'élection et pour valider dans le cas contraire.
C'est-à-dire qu'on n'annule pas pour l'honneur du principe, mais qu'on annule lorsque la violation du principe a pu causer un préjudice quelconque à quelqu'un.
Je ne dis pas maintenant que dans le fait les choses se présentent aujourd'hui ainsi, mais je demande que l'on s'éclaire sur la cause qui peut avoir écarté du scrutin 57 électeurs alors que le candidat élu n’a réuni que 8 voix au-delà de la majorité absolue ; alors qu’un écart de 18 voix existe entre le candidat qui a réussi et son concurrent.
M. de Brouckere. - Messieurs, la loi électorale prescrit d'une manière impérative que les électeurs soient convoqués au moins 8 jours avant le moment de l'élection ; évidemment cette prescription a une certaine valeur, et prétendre que la Chambre ne doit pas s'occuper de la question de savoir si elle a été ou si elle n'a pas été observée, c'est autoriser, à l'avenir, les fonctionnaires chargés de convoquer les électeurs, à n'avoir aucun égard à cette prescription de la loi.
M. B. Dumortier. - Punissez les fonctionnaires, mais ne punissez pas l'élu.
M. de Brouckere. - On a dit : « Punissez les fonctionnaires, mais ne punissez pas l'élu. » Mais il ne s'agit pas ici d'une question de punition ; je n’ai nullement envie de punir M. Van Hoorde. Si les électeurs n'ont pas été convoqués à temps, je ne veux pas lui infliger une punition ; j'examine froidement si l'élection, telle qu’elle se présente peut être validée. (Interruption.) Et l’honorable M. Dumortier, qui m'interrompt, ne sait pas même quelle sera ma conclusion.
Je répète que la prescription de la loi, en ce qui concerne le terme qu'il faut laisser entre la convocation et le jour de l'élection, que cette prescription de la loi doit être respectée et que la Chambre aurait le plus grand tort de la regarder comme n'ayant aucune valeur, parce que, à l'avenir, on pourrait impunément faire toutes les convocations tardivement.
(page 25) Maintenant, résulte-t-il de là qu'il suffit qu'un certain nombre d'électeurs aient été convoqués tardivement, pour que l'élection doive être annulée ? Evidemment non, et ici je suis parfaitement d'accord avec les honorables membres de la droite, je vais même plus loin : Supposez qu'un nombre considérable d'électeurs aient été convoqués tardivement, mais que la plupart d entre eux se soient rendus aux élections ; pour ceux qui s'y sont rendus l'illégalité est couverte, elle n'existe plus.
Il ne s'agit de punir ni l'élu, ni le fonctionnaire ; il s'agit de décider si l'élection est valable ; eh bien, du moment que l'électeur s'est rendu à l'élection et a déposé son vote, peu importe à quelle époque il a reçu son bulletin de convocation.
Mais voici dans quelle hypothèse nous devons nous placer. La majorité obtenue par celui qui a été proclamé représentant à Bastogne est de 8 voix.
Il paraît, d'après ce qu'on vient de dire, que le nombre des électeurs qui n'ont pas été convoqués ou de ceux qui ont été convoqués tardivement et qui ne se sont pas rendus à l'élection ; que ce nombre n'est pas établi jusqu'ici ; mais ce qui est établi, c'est que 25 des électeurs appartenant aux communes où les électeurs ont été tardivement convoqués, ne se sont pas rendus à l’élection. Pouvons-nous tirer de là la conséquence que ces 25 électeurs n'ont pas assisté à l'élection parce qu'ils n'ont pas été régulièrement convoqués ou qu'ils n'ont pas été convoqués du tout ? Je ne le pense pas ; je crois que la conséquence ne serait pas logique, et je me refuserais à annuler l'élection de Bastogne pour ce fait, que 25 électeurs, appartenant à des communes où les convocations ont eu lieu irrégulièrement n'ont pas assisté à l'élection.
Mais s'il m'était démontré, et je voudrais bien que les membres de la droite me disent s'ils n'admettraient pas cette hypothèse ; s'il m'était démonté que plus de 8 électeurs non convoqués ou convoqués tardivement n'ont pas assisté à l'élection, et qu'on ne m'expliquât pas 1eur absence au scrutin par un autre motif que la non convocation ou la remise tardive des bulletins, ne serais-je pas autorisé à douter au moins ?
Je n'affirme rien ; je ne demande qu'une seule chose ; je n'ai nullement l'intention de retarder le vote de la Chambre sur l'élection de Bastogne ; je me borne à demander qu'on m'explique, d'une manière quelconque, quels sont les motifs qui ont empêché les électeurs, non dûment convoqués, d'assister à l'élection.
Ce fait-ci est acquis : l'élu n'a que 8 voix de majorité ; or, 25 des électeurs non convoqués ou tardivement convoqués, ne se sont pas rendus à l'élection.
M. de Naeyer. - Cela n'est pas prouvé.
M. de Brouckere. - Ces faits-là sont établis.
M de Naeyerµ. - Non, non, pas le dernier.
M. de Brouckere. - Je croyais l'avoir entendu de la bouche de l'honorable M. Vermeire.
M. de Naeyer. - Vingt-cinq électeurs n'ont pas pris part aux élections, mais on ne dit pas que ce sont ceux qui n'ont pas été convoqués. (Interruption.) Voulez-vous me permettre de rectifier.... ?
M. de Brouckere. - Je vais rectifier moi même, je comprends maintenant votre observation.
Vingt-cinq électeurs appartenant à des communes où une partie au moins des convocations ou n'ont pas été remises ou ont été remises tardivement ; vingt-cinq électeurs appartenant à ces communes n'assistaient pas à l'élection ; voilà un fait acquis. Eh bien, je demande des explications relativement à ce fait ; je voudrais savoir quels sont ces 25 électeurs et pour quels motifs ils n'ont pas assisté à l’élection. Je déclare encore que j'accepterai facilement les explications qui nous seront données ; mais dans l'état où son aujourd'hui les choses, je suis réellement embarrassé, je doute et je n'ose pas émettre un vote affirmatif. Quant à annuler l'élection, il n'en est pas question : personne ne demande cette annulation ; je ne le pense pas du moins. (Interruptions.) Quant à moi, je déclare qu'aujourd'hui il me serait impossible d'annuler l'élection de Bastogne ; il ne s'agit pour aujourd'hui que de nous éclairer sur des faits qui sont encore actuellement douteux.
Eh bien, qu'on nous fournisse des explications, je les accepterai, mais je ne saurais me prononcer aujourd'hui dans l'état où la question se présente à nous.
(page 31) .M. Dechamps. - Hier, l'honorable M. Bara, en citant mon nom, a semblé me provoquer à entrer, à mon tour, dans le début. L'honorable membre, très obligeamment, a bien voulu déclarer qu'il me prenait pour guide, - ce qui ne lui est pas habituel, je le reconnais. Il a cité mon opinion comme ayant une autorité que certainement je récuse et à laquelle je n'ai pas la prétention d'attribuer une telle importance. Mais enfin, puisque l'honorable membre veut bien me prendre pour guide en invoquait l'opinion que j'ai émise et détendue lors de l'enquête de Louvain, il voudra bien me permettre de compléter les citations qu'il a faites et de rectifier un peu la manière dont il a interprété l'opinion que j'ai soutenue.
Messieurs, je déclare, aujourd'hui comme en 1859, que je suis l'adversaire décidé de l'exercice exagéré des enquêtes parlementaires. Ce droit a été considéré dans tous les pays constitutionnels comme un droit extrême, un pouvoir exorbitant confié aux mains des majorités, et dont l'usage ne peut être justifié qu'à la condition de se trouver en présence, non pas d'allégations, mais de faits graves, précis, authentiques, appuyés de preuves, et établissant des présomptions sérieuses de corruption électorale, surtout quand ces présomptions s'adressent au gouvernement ou aux candidats élus accusés de complicité.
Il y a une seconde condition, messieurs, c'est que, dans l'exercice de ce droit d'enquête, dans l'usage que les Chambres en font, il faut que les majorités prouvent, par leur modération, qu'elles ne sont dirigées que par des motifs d'une haute impartialité.
- A droite. - C'est cela !
.M. Dechamps. - Il faut que les majorités ne se laissent pas même soupçonner ; il faut qu'elles se posent à elles-mêmes des bornes et des limites, par des principes de sage jurisprudence, il faut rendre l'usage des enquêtes électorales très difficile, pour qu'elles deviennent très rares, et afin d'empêcher l'abus de ce droit exorbitant, d'après lequel une majorité peut casser arbitrairement les élections qui lui déplaisent.
Ce sont là, messieurs, les idées que j'ai défendues lors de l'enquête de Louvain.
La majorité, disais-je, est omnipotente en matière de vérification des pouvoirs, mais c'est parce qu'elle est omnipotente qu'elle doit surtout être juste, qu'elle doit prendre d'infinies précautions pour qu'on ne voie pas derrière ses votes des calculs de parti et des intérêts de gouvernement. J'ajoutais qu'il fallait pour cela admettre des principes et que ces principes c'est la jurisprudence adoptée non seulement dans notre pays, mais dans les autres pays constitutionnels, et je citais la France lorsqu'elle était constitutionnelle et l'Angleterre où la chambre des communes a cru devoir, par suite des abus commis par des majorités passionnées, se dessaisir du droit d'enquête parlementaire qui y est confié à une commission offrant toutes les garanties légitimes d'impartialité.
Voici comment je résumais l'opinion que j'ai défendue, en 1859, et que l'honorable M. Bara ne nous a présentée que d'une manière incomplète ; je disais :
« Le premier principe qui doit nous diriger, lorsqu'il s'agit d'une enquête parlementaire, c'est le respect de la volonté du corps électoral exprimée par la majorité. La décision du corps électoral fait foi, à moins qu'il n'y ait des faits graves, précis, formulés avec preuves à l'appui... Il faut des faits d'une grande gravité, des preuves ou un commencement de preuves telles qu'on place la Chambre sur la voie de l'enquête.
« 2° Les réclamations auxquelles la Chambre doit prêter une attention sérieuse, sont celles faites au moment de l’élection, sous les yeux du corps électoral tout entier et sous son contrôle, et qui sont consignés aux procès-verbaux. II ne faut accueillir les réclamations tardives qu'avec une extrême réserve.
« 3° Un fait de corruption électorale étant un délit, il faut, pour lui donner quelque valeur, qu'il y ait plainte devant la justice et poursuite judiciaire. »
Je rappelais ensuite la jurisprudence française ; je disais qu'en France, sous la Restauration, il n'y avait eu qu'une seule enquête, celle de 1828 ; que, sous le gouvernement de juillet, la première et presque la seule enquête est celle de1842.
Or, en 1842 voici quelle a été la jurisprudence admise en France ; c'est que pour demander une enquête parlementaire, il fallait deux conditions essentielles : ou bien que le gouvernement fût lui-même accusé de pression, ou d'intimidation illégitime ; ou que les élus fussent eux-mêmes accusés de connivence ou de complicité dans les faits incriminés. Mais quand il était démontré que les faits articulés étaient à la charge de tiers dont les élus ne pouvaient pas être responsables, alors, en règle générale, on validait l'élection.
M. Bara. - Je demande la parole.
.M. Dechamps. - Ains«, en 1842, la première fois qu'en France une enquête parlementaire ait été demandée, il y avait là des faits d'une extrême gravité ; les élus étaient accusés eux-mêmes de corruption électorale. et, ce qui est bien digne de remarque, les élus demandaient eux-mêmes une enquête parlementaire, afin de pouvoir prouver la fausseté des allégations dirigées contre eux.
Eh bien, malgré la demande des élus eux-mêmes, la Chambre a hésité, elle s'est partagée en deux camps, et, par une première décision, elle s'est bornée à renvoyer la plainte au bureau afin qu'il recueillît de nouveaux renseignements propres à éclairer la Chambre.
Voilà, messieurs, la jurisprudence française que j'invoquais, et je citais ces paroles de M. de Cormenin, en 1842 :
« La Chambre ne doit céder qu'à des preuves démonstratives, car les haines des partis sont inventives et crédules. Il n'y a pas lieu à s'arrêter à une protestation dirigée contre une élection sous prétexte de corruption, si les articulations que renferme cette protestation sont vagues, et si, quoique des noms aient été prononcés à l'appui, les faits ne sont pas suffisamment prouvés.
Je rappelle, puisqu'on a invoqué mon opinion, qu'on a bien voulu m'accepter pour guide, je rappelle ce qui s'est passé lors de l'élection de M. Jacques à Marche en 1848. Il était commissaire d'arrondissement et appartenait à la majorité de cette époque ; cette élection était l'objet de griefs d'une extrême gravité ; on l'accusait lui, commissaire d'arrondissement, d'avoir radié d'office des électeurs qui payaient le cens et d'avoir inscrit d'office de faux électeurs ; on signalait des violences commises et la fraude des billets marqués qui semble avoir pris Marche pour domicile. Voilà des faits graves, précis mis à la charge d'un candidat commissaire d'arrondissement. L'élu était lui-même en cause.
Eh bien, une enquête a été demandée. Savez-vous ce qu'a fait la majorité libérale ? Elle a déclaré que l'enquête n'aurait pas lieu, malgré la gravité des faits signalés.
Voici comment la majorité libérale appréciait alors l'usage restreint, que nous devons faire du droit d'enquête parlementaire :
M. de Brouckere disait : « La protestation n'est basée que sur des faits vagues, sur des faits non prouvés et elle n'est pas de nature à faire déclarer l'élection nulle. »
L'honorable M. Rogier, alors ministre de l'intérieur, « ne trouvait pas dans les griefs articulés une gravité telle, que la Chambre dût procéder à une enquête. »
M. Tesch ajoutait que « le pays était fatigué de toutes ces discussions qui, en définitive, ne cachent que des questions de parti. »
M. Coomans. - C'est bien plus vrai aujourd'hui.
MjTµ. - Je vous répondrai.
.M. Dechamps. - Voilà mon opinion qu'a invoquée l'honorable M. Bara. Je ne sais s'il continuera à me prendre pour guide ; s'il le fait, il votera avec moi contre la demande d'enquête sur les élections de Bastogne, comme la droite a voté avec lui pour la validation des élections de Gand.
Ainsi, selon moi, l'usage du droit d'enquête parlementaire doit être exceptionnel et rare ; il faut, pour l'ordonner, que les réclamations, en général, soient consignées aux procès-verbaux mêmes du bureau électoral afin de leur donner un caractère d'authenticité ; il faut, pour que des plaintes tardives soient accueillies, que des faits d'une extrême gravité, précis, exceptionnels, soient signalés ; que ces faits aient des preuves suffisantes à l'appui, et lorsqu'il s'agit de corruption électorale, c'est-à-dire d'un délit, que des poursuites judiciaires soient commencées ; il faut aussi que le candidat élu soit accusé lui-même de complicité.
Voilà le résumé de mon opinion de 1859 ; je demande à l'honorable M. Bara si aucune de ces conditions se rencontre dans la plainte contre les élections de Bastogne. Il faudrait une très grande assurance pour le prétendre.
Après avoir entendu le discours de mon honorable ami M. Van Hoorde, discours si net, si concluant, si plein d'une loyale franchise, après avoir assisté à la démolition de tous les griefs incroyables entassés dans cette plainte si durement et si justement qualifiée, j'avais cru que la Chambre n'insisterait pas. Il nous était permis de croire, au moment même où la droite venait de donner un exemple de modération dont on l'a voulu faire repentir immédiatement, qu'en présence du ridicule et de l'odieux sous lesquels la plainte avait disparu, aucun membre de la Chambre n'oserait se lever pour insister.
J'avais compté sans l'honorable M. Bara qui, après une certaine hésitation, s'est levé pour défendre sa thèse insoutenable. Il a été forcé, sur 31 griefs, d'en abandonner vingt-neuf, et de se réfugier dans deux faits (page 32) de corruption au moyen d'argent imputes au curé des Tailles et à M. Orban-Nicolay.
Eh bien, vous avez entendu la lecture des lettres indignées de M. Orban-Nicolay et de M. le curé des Tadles, dont les noms honorés sont une protestation suffisante contre les odieuses imputations dirigées contre eux. Ces lettres renferment, non pas seulement des dénégations vagues, mais des dénégations justifiées.
M. Orban nous déclare qu'il va poursuivre en calomnie ses accusateurs.
Mais, dit M. Bara, devant un tribunal les dénégations d'un accusé ne peuvent pas être acceptées. L'honorable membre oublie que dans le même discours, à propos de l'élection de Gand, il avait admis, comme bonne et probante, la simple dénégation de M. Meulemeester.
La dénégation formelle, appuyée d'une poursuite eu calomnie, ne suffît pas à M. Bara quand il s'agit de M. Orban et du curé des Tailles, à Bastogne ; mais elle est victorieuse quand il s'agit de M. Meulemeester à Gand !
A Gand, la plainte des électeurs est signée de noms dont l'honorabilité et la véracité ne seront mises en doute par personne ; à Bastogne, sans vouloir incriminer des intentions, il est évident que les signataires de la plainte ont été convaincus d'avoir trompé la Chambre sur les cinq sixièmes de leurs griefs, et qu'ils ont reçu des démentis des témoins mêmes invoqués par eux.
Vous repoussez les uns, vous admettez les autres, et vous prétendez que vous n'avez pas deux poils et deux mesures !
Mais quand il s'agit de l'élection de Gand.... (Interruption.)
Il y avait dans cette élection des faits bien plus graves que ceux qui sont signalés dans l'élection de Bastogne. (Interruption.) Vous riez ; c'est un rire de parti et non un rire de raison.
Il s'agissait de la pression d'établissements publics exercée sur des électeurs, de faits graves imputés à des personnes dont on citait les noms.
Il était de notoriété que cette pression illégitime a été exercée, car un de nos honorables collègues, M. Van de Woestyne, le lendemain de l'élection, a donné sa démission de membre de la commission des hospices, parce qu'il savait que ses collègues avaient employé contre lui les influences que leur donnait leur position de membres de ces hospices.
Il y avait ensuite ce fait scandaleux passé dans une commune populeuse, placée pendant plusieurs jours, sous la menace de bandes tumultueuses opprimant la liberté des électeurs. Ces bandes n'étaient pas, comme la garde de sûreté de Louvain dont on a tant parlé, chargées de défendre les électeurs contre les violences, mais au contraire d'en exercer. Il y a eu, à Gand, des offres d'argent ; on indique la somme et les noms.
Voilà des faits graves, précis, articulés, cent fois plus graves que ceux signalés à Bastogne et qui ne sont que ridicules ou odieux. Comment pouvez-vous rejeter les uns et admettre les autres ? Comment les dénégations honnêtes, énergiques, avec pièces à l'appui, de M. Orban-Nicolay et de M. le curé des Tailles ne vous suffisent-elles pas, et comment celles de M. Meulemeester, à Gand, vous suffisent-elles ?
M. Bara. - Vous n'avez pas entendu mon discours.
.M. Dechamps. - Oh ! je l'ai parfaitement entendu et vous ne sortiez pas de cette contradiction que je signale.
L'honorable M. Orts, doué de plus de modération ou d'une plus grande expérience parlementaire que son ami M. Bara, a compris qu'après le discours de l'honorable M. Vau Hoorde il n'y avait pas moyen d'appuyer l'enquête sur les griefs dont M. Bara avait pris la défense.
L'honorable M. Orts s'est réfugié dans un seul et nouveau grief et il a porté le débat sur une autre question. Il a choisi le grief articulé au n° 28 de la plainte et qui concerne la remise tardive des bulletins aux électeurs d'Houffalize.
Il ne s'agit pas, comme l'a prétendu l'honorable M. de Brouckere tout à l'heure, de remise tardive de bulletins dans d'autres communes de l'arrondissement ; nous n'avons pas même une plainte à cet égard, nous n'avons pas le droit de sortir des griefs signalés et d'en supposer d'autres ; nous devons rester dans la plainte dont nous sommes saisis.
L'article 28 porte :
« Les bulletins de convocation aux électeurs d'Houffalize, comme l'attesteront le commissaire de l'arrondissement de Bastogne et l'administration communale d'Houffalize, ont été distribués tardivement. Leur nombre était insuffisant, eu égard au nombre des électeurs ; c'est probablement (probablement !) à ces circonstances qu'il faut attribuer l'absence de plusieurs électeurs de cette commune au scrutin électoral. »
Ce serait donc, d'après la plainte, le commissaire d'arrondissement ou le collège échevinal d'Houffalize, tous partisans de M. d'Hoffschmidt, qui seraient les coupables de cette remise insuffisante ou tardive des bulletins, et vous voudriez faire l'élu victime de ces faits auxquels il est resté étranger !
Il y avait 39 électeurs inscrits. 31 ont pris part au vote. 8 n'ont pas voté.
C'est un nombre excessivement peu important, et je crois que dans nos élections il y a peu de communes où si peu d'électeurs se soient abstenus.
Messieurs, avant d'apprécier le fait signalé à Houffalize, permettez-moi de suivre l'honorable M. Orts dans l'étude des précédents qu'il a cités et dans l'examen de la jurisprudence suivie par le Sénat et par la Chambre.
J'ai été étonné d'entendre l'honorable membre invoquer ces antécédents. Tous ne prouvent-ils pas, l'honorable membre a dû lui-même le constater, que dans chacun des cas qu'il a cités, toujours la Chambre a validé, jamais l'enquête parlementaire n'a été ordonnée pour le cas de remise tardive des bulletins de convocation ?
Ainsi j'adresse une première réponse générale et péremptoire à l'honorable membre, c'est que sans entrer, en ce moment, dans les détails des raisons pour lesquelles l'élection a été validée, chaque fois qu'il s'est agi de remise tardive des bulletins de convocation le Sénat comme la Chambre a validé l'élection.
Ainsi, envisagés dans leurs résultats, les précédents sont contre vous, mais non contre nous.
Mais voyons les détails.
Certainement je ne veux pas soutenir que toujours et chaque fois tous les motifs allégués pour valider puissent être appliqués au cas de Bastogne, mais je dis que la remise tardive des bulletins n'a jamais été considérée comme un cas d'annulation ou exigeant une enquête parlementaire.
Examinons les précédents cités par l'honorable M. Orts. Lors de l'élection de M. Bonné-Maes à Roulers, les billets de convocation n'avaient pas été remis 8 jours d'avance. Le rapporteur baron de Stassart rend compte en ces termes de l'avis de la commission :
« Huit membres ont pensé qu'ils pouvaient se considérer comme membres d'un jury, et par conséquent chargés d'apprécier toutes les circonstances, sans trop s'attacher à la lettre de la loi, qui, du reste, ne porte pas, dans le cas présent, la peine d'annulation. Or, il leur a paru évident qu'il n'y avait pas eu mauvaise foi... »
Je crois que personne ne peut dire qu'il y a eu mauvaise fois à Bastogne, à moins que vous n'accusiez de mauvaise fois le commissaire d'arrondissement et le bourgmestre d'Houffalize, qui sont des hommes appartenant à votre opinion.
M. Orts. - Je n'en sais rien.
.M. Dechamps. - Cela est de notoriété. Je continue la citation : « Qu'en outre, ajoute M. de Stassart, à raison du peu d'étendue de l'arrondissement de Roulers, où les communes les plus éloignées ne sont qu'à deux lieues et demie de distance du chef-lieu, les électeurs ont été avertis assez à temps pour se rendre à l'assemblée au jour fixé... » Là il y avait deux lieues et demie, d'Houffalize à Bastogne il y en a trois.
Voilà deux des motifs invoqués, la bonne foi et la distance, parfaitement applicables à l'élection de Bastogne.
M. Orts. - Et si c'était arrivé à Vielsalm ?
.M. Dechamps. - Il s'agit d'Houffalize et non de Vielsalm. Ne sortons pas des termes de la plainte.
M. le baron de Stassart ajoute :
« Le grand nombre de voix en faveur de M. Bonné-Maes ne permet pas de supposer que l'élection aurait pu être différente. »
Cette dernière raison seule ne trouve pas ici d'analogie.
La décision du Sénat a donc porté sur trois motifs. Deux sont applicables à Bastogne ; un ne l'est pas.
En fait, le Sénat a validé l'élection à une grande majorité. Le précédent de Roulers doit donc être invoqué en faveur de l'opinion que je défends.
2° La Chambre a validé, en 1832, l'élection de M. Speelman-Rooman, à Gand, encore bien qu'elle eût eu lieu le septième jour de la convocation.
La raison pour laquelle la Chambre a validé, c'est qu'il n'y avait pas eu de réclamation insérée au procès-verbal ; c'est le principe que je rappelais tout à l’heure et qui doit dominer dans toute vérification de pouvoirs.
M. Orts a oublié de nous parler de ce précédent qui proteste contre votre doctrine.
Lors de la discussion sur l'élection de M. Cornéli, à Tongres, en 1837, et dont l'honorable M. Orts vient parler, voici ce qui s'est passé :
On alléguait comme grief que 16 électeurs n'avaient pas été convoqués huit jours à l'avance. M. de Brouckere défendit l'élection. Il s'agissait, à la vérité, d'un scrutin de ballottage, mais le principe n'est pas autre pour (page 33) le ballottage que pour l'élection principale. Quels étaient les motifs invoqués par M. de Brouckere pour demander que l'élection de M. Cornéli fût validée ? Il en a apporté deux : 1° c'est qu'aucun électeur n'avait prétendu avoir été empêché de voter, par l'effet d'une convocation tardive ; 2° c'est que Sittard n'étant éloigné de Tongres que de trois lieues le but de la loi avait été suffisamment rempli. »
Ici, messieurs, il n'y a pas à équivoquer, nous sommes dans le cas de Bastogne évidemment. Aucun électeur convoqué tardivement n'a réclamé, et la question de distance est la même.
Voilà le troisième antécédent clairement retourné contre vous.
Voici le quatrième : Lors de l'élection de Ruremonde en 1832, les convocations n'avaient été adressées que tardivement ; le collège était divisé en trois sections, ce qui supposait au moins 600 électeurs ; il ne s'était présenté que 82 votants. Malgré ces circonstances, après qu'on eut expliqué que les lettres de convocation avaient cependant permis aux électeurs de se rendre au collège, puisqu'elles avaient été remises les 24, 25, 26 et 27 juillet, pour l'élection qui avait lieu le 2 août, l'élection fut validée sans réclamation.
L'honorable M. Orts a fait remarquer que l'absence d'une partie des électeurs s'expliquait, parce qu'ils appartenaient à des parties cédées à la Hollande ; cela est vrai, mais évidemment les 518 électeurs absents sur les 600 convoqués n'appartenaient pas à ces parties cédées, et le précédent de Ruremonde, comme ceux de Tongres, de Roulers et de Gand, plaide en faveur de la doctrine que nous soutenons.
La jurisprudence, que la Chambre doit soigneusement respecter en matière de vérification des pouvoirs, vous conseille donc de valider l'élection de Bastogne.
M. Orts. - Vous n'avez pas lu la parenthèse, l'appréciation de M. Delebecque qui est en tête des passages que vous avez cités.
.M. Dechamps. - Je ne veux pas faire comme l'honorable M. Bara, je ne veux pas prendre M. Delebecque absolument pour guide. Il ne s'agit pas de l'opinion personnelle de M. Delebecque, mais de faits, de précédents et de jurisprudence parlementaire. Ils parlent tous contre vous.
M. Orts a rappelé un antécédent posé par le conseil provincial du Hainaut.
Le conseil provincial du Hainaut a annulé cette année l'élection de M. Herman.
L'honorable M. Orts disait hier que l'élection avait été annulée pour ainsi dire de commun accord entre les deux partis et à l'unanimité. C'est une erreur ; il y a eu une très forte opposition contre l'annulation. Je regrette de n'avoir pas entre les mains le journal qu'on m'avait confié, mais voici en résumé ce qui s'est passé.
Ce n'est pas uniquement et principalement parce qu'il y avait eu convocation tardive dans la commune de Farciennes que l'élection a été annulée, mais le président du conseil provincial M. Hubert, M. Houtart, aujourd'hui sénateur, qui ont voté pour l'annulation, ont déclaré qu'ils s'y étaient décidés, non pas à cause de la remise tardive de bulletins, mais parce qu'ils avaient eu la preuve testimoniale dans la commune de Farciennes, que les deux partis étaient décidés d'avance à provoquer l'annulation de l'élection ; que, quel que fût le candidat élu, chacun avait en poche de quoi la faire annuler.
Voilà le motif que M. Hubert et M. Houtart invoquaient pour déclarer qu'ils se joignaient à la commission pour demander l'annulation de l'élection
Ainsi la question était complexe. Il s'agissait certainement de la remise tardive de bulletins. Mais il s'agissait d'une autre question ; c'est qu'il était prouvé, d'après eux, qu'il y avait propos délibéré de la part des deux partis de provoquer l'annulation de l'élection.
Vous voyez donc que ce précédent ne peut non plus être invoqué.
Messieurs, pour l'élection de Bastogne, je disais que, d'après la plainte, il y avait eu cinq électeurs d'Houffalize qui n'auraient pas voté. Mon honorable ami, M. Van Hoorde, qui a fait lui-même, autant que le temps le lui permettait, une espèce d'enquête parlementaire... (interruption). Il en avait, à coup sûr, le droit ; personne n'était plus à même que lui d'apprécier et de nous signaler les faits. Eh bien, mon honorable ami me permet de signaler à la Chambre un dernier fait péremptoire ; la Chambre en appréciera la valeur.
L'honorable M. Van Hoorde a envoyé hier une dépêche télégraphique à un de ses amis d'Houffalize, qui lui répond ceci, par télégraphe :
« Je viens de voir Maximilien Dubru, Alphonse Gérardy, Jacques, Joseph, Célestin Philippin et Louis Peronnet-Quirin, - ce sont les cinq électeurs qui n'ont pas voté, et ils m'ont affirmé avoir reçu leur convocation pour les élections du 2 juin dernier »
Il signale, parmi ces électeurs, le quatrième qui était malade, et d'autres qui se sont trouvés à Bastogne le jour de l'élection.
M. B. Dumortier. - Donc les cinq électeur» qui n'ont pas reçu de bulletin ont voté.
.M. Dechamps. - Messieurs, je ne vous apporte sans doute pas cela comme une preuve décisive, mais comme une présomption sérieuse ; je dis : Voilà un homme honorable qui nous déclare, sous la garantie de la publicité, que les cinq électeurs ont reçu leurs bulletins et que la remise tardive de ces bulletins n'a exercé sur leur liberté aucune influence ; que c'est sur leur témoignage qu'il l'affirme ; je dis qu'en présence de ce fait, vous ne pouvez pas vous arrêter à l'objection soulevée par M. Orts.
Que devient donc la plainte ? Le dernier grief, le dernier doute vous échappe et il ne reste rien, absolument rien de cette accusation dont M. Van Hoorde a pu dire, sans exciter vos murmures, qu'il n'en resterait que la honte de l'avoir produite.
Quand il s'agit d'enquête parlementaire, lorsque vous convenez avec moi qu'il faut des faits graves, précis, prouvés, qu'il ne faut pas des allégations vagues, lorsque vous avez vu tous les faits relatifs à l'élection de Bastogne détruits les uns après les autres, réduits à néant, tombés sous le ridicule, si vous aviez le courage d'ordonner une enquête parlementaire, dans ces conditions, pour une élection ayant ce caractère, j'affirme que pas une de nos élections ne pourrait être légitimement validée, que vous auriez transmis du corps électoral à la majorité le véritable droit d'élire, que vous auriez renversé l'une des bases du système parlementaire et que vous auriez permis à l'opinion publique de croire et de dire que le droit d'enquête est devenu, entre les mains de la majorité, une arme de parti, pour frapper des adversaires, pour casser arbitrairement les élections qui lui déplaisent et amnistier celles qui lui profitent. (Interruption.)
Messieurs, l'honorable M. Bara disait hier : Soyons justes, soyons logiques et soyons loyaux. Et savez-vous quel conseil de justice, de logique et de loyauté il donne à ses amis de la majorité ?
Comment ! hier la majorité de la Chambre, en présence de plainte sur l'élection de Bruges et de Dinant, plainte vague s'il en fut, dans laquelle aucun fait n'est articulé, demande la production d'enquêtes judiciaires, enquêtes judiciaires aboutissant, a-t-on dit, à des ordonnances de non-lieu, établissant donc, je ne dirai pas la certitude, mais la présomption sérieuse, qu'il n'y a pas eu de délit, qu'il n'y a pas eu de coupable. Il y avait ordonnance de non-lieu ; en Angleterre, comme dans la France parlementaire, ce fait eût suffi pour faire valider l'élection. La majorité n'a pas cédé ; elle a voulu la lumière.
Vous disiez : Nous voulons la lumière ; pourquoi la refuser ? On a ordonné que la lumière fût faite et l'on a produit l'enquête judiciaire que nous examinerons.
Le lendemain, nous arrive une plainte d'électeurs de Gand dont les noms vous sont connus et dont l'honorabilité n'est mise en doute par personne.
Je l'ai dit tout à l'heure et je l'ai démontré, cette plainte renfermait des griefs graves, elle articulait des faits précis. (Interruption.) Oh ! vous êtes tenu de nier sans doute ; mais les faits parlent... Ce jour-là, on n'a plus besoin de lumière. Il y avait là une simple dénégation, une seule, celle de M. Meulemeester. Cela a suffi pour qu'on n'insistât pas et pour qu'on donnât la main à la commission pour la validation de l'élection.
- Un membre. - Il fallait demander l'enquête.
.M. Dechamps. - Pas d'équivoque : Nous, adversaires de l'usage immodéré du droit d'enquête, nous pouvions ne pas admettre l'enquête pour les élections de Gand, mais vous qui avez voté en faveur de l'enquête de Louvain, qui allez voter en faveur de l'enquête de Bastogne, et qui voterez demain pour l'enquête de Bruges, vous deviez demander l'enquête sur les élections de Gand ; nous avons été logiques, vous ne l'êtes pas. Non seulement nous avons voulu être logiques, mais modérés, et nous avions espéré que cet exemple de modération que nous vous donnions, serait suivi.
Permettez-moi de le dire, nous avons été trompés dans notre appréciation et dans cette attente ; nous avons cru qu'en présence des faits que le ridicule condamne, vous auriez suivi notre exemple de loyauté. Nous nous disions : Il est impossible qu'après avoir demandé la lumière pour Bruges et Dinant, qu'après l'avoir refusée pour Gand, la même majorité vienne le lendemain, sans souci de la contradiction manifeste dans laquelle elle tomberait, il est impossible qu'elle prenne pour Bastogne une décision contraire à celle prise pour Gand.
Et vous voulez que l'opinion publique, en face de pareils faits, en face d'un système si clairement révélé, ne dise pas : Ces décisions sont des coups de majorité et de parti qui cachent des calculs électoraux et des intérêts ministériels ! Vous êtes majorité, vous êtes les forts, c'est une raison d'être modérés et justes ; vous n'avez qu'une faible majorité (page 34) numérique, mais c'est une raison de ne pas laisser croire que vous voulez l'accroître par des coups de majorité et non par la volonté librement exercée du corps électoral. (Interruption.)
(page 35) M. Royer de Behr, rapporteur. - Messieurs, je viens vous présenter, au nom de la 6ème section, le rapport sur l'instruction judiciaire faite à Dinant, au sujet de l'élection de MM. Thibaut et de Liedekerke.
La plainte adressée à M. le procureur du roi n'expose aucun fait précis ou déterminé de corruption électorale, mais indique seulement 40 témoins pouvant, d'après les plaignants, éclairer la justice au sujet de la corruption dénoncée en termes généraux,
M. le procureur général de la cour d'appel de Liège a ordonné l'enquête judiciaire conformément aux instructions de M. le ministre de la justice à qui la plainte a sans doute été transmise par M. le procureur du roi de Dinant. 57 témoins ont été entendus ; leurs dépositions, que nous avons attentivement examinées, établissent que les dénonciations précises qui ont dû les provoquer sont sans fondement. Nous n'avons rencontré aucune trace de ces dénonciations au dossier.
Nous devons maintenant appeler l'attention de la Chambre sur neuf dépositions relatives à des billets marqués. Disons tout d'abord que nous avons été unanimes à blâmer ces sortes de billets, et à exprimer le vœu qu'une loi vienne bientôt en réprimer sévèrement l'usage.
Dans l'espèce, neuf témoins ont été entendus ; la question qui leur a été posée est celle de savoir si pendant le dépouillement du scrutin, à mesure que les bulletins sortaient de l'urne, un électeur a pris acte des billets reconnaissables.
Trois témoins ont répondu affirmativement.
Deux ont porté le chiffre des billets marqués à 40 ou 50.
Un autre a avoué avoir distribué une dizaine de billets marqués.
Il est important de remarquer que l'information n'indaguait qu'au sujet de MM. Thibaut et de Liedekerke. Cependant trois témoins ont spontanément déclaré qu'il était sorti de l'urne électorale des billets marqués en faveur de MM. Rogier et Lauvau.
Après avoir unanimement reconnu que ces constatations ne peuvent avoir, en aucun cas, force probante pour la Chambre, dont une enquête parlementaire peut seule déterminer la décision dernière, votre 6ème section a exprimé l'avis, sans vouloir préjuger pour l'avenir, que le fait de billets marqués ne pouvait être, dans aucun cas, une cause d'annulation des élections, - qu'il n'y a pas lieu, dans l'occurrence, à enquête parlementaire.
Le motif péremptoire qui pour tous les membres de votre section a dicté cet avis, est que quel que soit le déplacement de suffrages occasionné par les bulletins marqués, ce déplacement n'a pas pu altérer l'élection même.
En effet, M. de Liedekerke a obtenu 94 suffrages, et M. Thibaut 103, au-dessus de la majorité absolue.
Nous avons donc l'honneur de vous proposer d'admettre MM. Thibaut et de Liedekerke à prêter serment.
(page 25) - La Chambre décide qu'elle statuera immédiatement sur les conclusions [de la commission chargée de vérifier les pouvoirs des membres élus dans l’arrondissement de Dinant].
Les conclusions sont mises aux voix et adoptées.
MM. de Liedekerke et Thibaut prêtent serment.
M. B. Dumortier. - Je demande que la Chambre ne se dessaisisse pas du dossier jusqu'à ce qu'il ait été statué sur les élections de Bruges, et qu'elle demande en même temps communication de la plainte. (Interruption.)
M. Soenensµ. – La plainte y est pour Dinant.
M. Bara. - L'honorable M. Dechamps, en terminant son discours, disait que la majorité ne procédait que par coups de parti, qu'elle cherchait à renforcer ses rangs et que la discussion soulevée au sujet de l'élection de Bastogne devait avoir ce résultat.
Eh bien, messieurs, ce qui vient de se passer est une répone aux allégations de l'honorable M. Dechamps ; ce qui vient de se passer prouve que le désir de la majorité est non pas d'annuler quand même l'élection de ses adversaires, mais de s'éclairer, et que quand il est démontré qu'il n'y a pas de faits de corruption ou qu'il n'y a pas de faits tels qu'ils puissent faire changer la majorité, elle est toute disposée à valider.
L'honorable M. Dechamps disait aussi, en terminant, que la théorie préconisée par la gauche tendait à saper par sa base le régime parlementaire. Eh bien, moi je soutiens que c'est précisément la doctrine de la droite qui va directement à ce but. En effet ce qui importe, c'est que la représentation nationale soit à l'abri de tout reproche, c'est que les hommes qui siègent sur nos bancs n'entrent pas par la porte basse, mais qu'ils puissent tenir la tête haute sans qu'on puise avoir le moindre, scrupule sur la sincérité de leur mandat.
Dernièrement nous avons entendu dans une chambre française un membre de l'opposition déclarer, à propos d'irrégularité de formes, qu'il voulait une réélection, parce qu'il n'admettait pas qu'on pût avoir le moindre doute sur la légitimité de son mandat. Et notre honorable collègue M. de Ridder a tenu, il y a quelques jours, le même langage. Voilà un noble exemple que je propose à la droite de suivre.
J'ai pris pour guide l'honorable M. Dechamps, et je le conserve ; c'est un guide sûr, un guide indiscutable pour la droite, et je sais qu'elle est très gênée par le choix que j'ai fait.
J'ai cité exactement l'honorable M. Dechamps, et le discours que vous venez d'entendre ne m'oblige à rien rétracter de ce que j'ai dit hier.
L'honorable M. Dechamps a dit : Il y a lieu à enquête, lorsque les deux conditions suivantes se trouvent réunies :
1° Lorsqu'il existe des faits graves, précis et formulés ;
2° Lorsqu'on apporte à l'appui de ces faits des preuves, ou tout au moins des présomptions graves et formelles.
L'honorable M. Dechamps dit maintenant : Mais j'ai parlé d'une autre condition ; la constatation des faits dans les procès-verbaux. Or, je le demande à M. Dechamps, comment aurait-on constaté dans les procès-verbaux des faits qui ne se sont pas passés au moment des opérations électorales ?
Par exemple, le fait que M. Orban a donné de l'argent aux électeurs, comment pourrait-on le faire acter au procès-verbal ? Cela est radicalement impossible.
On ne peut constater dans les procès-verbaux que des défauts de forme ou des faits qui se sont passés dans les bureaux.
Quand j'ai cité l'honorable M. Dechamps, j'ai donc été exact, complet et fidèle et je suis heureux d'avoir trouvé en lui une autorité qui me donne complètement raison.
L'honorable M. Dechamps prétend que les enquêtes parlementaires sont des faits rares, exceptionnels, qu'il ne faut en user qu'à la dernière extrémité. Soit, je suis parfaitement de son avis ; seulement je dis qu'il est des cas où nous ne pouvons pas faire autrement que d'user de l'enquête parlementaire.
L'honorable M. Dechamps a cité la France, et je lui demanderai pourquoi il n'a pas parlé de l'Angleterre. En Angleterre, les enquêtes parlementaires ont constamment lieu ; il n'y a pas de session où l'on ne fasse des enquêtes parlementaires sur la validité d'élections.
En Fiance, dit-il, il y a eu peu d'enquêtes, mais il oublie de dire de quelle époque il parle ; il parle, je suppose, du gouvernement de juillet, mais il sait bien que sous le gouvernement de juillet le ministère prétendait que la Chambre n'avait pas le droit de faire des enquêtes et la majorité le suivait ; ce n'est qu'à force de luttes que la minorité est parvenue à obtenir des enquêtes sur trois élections.
Et dans toutes ces enquêtes, de quoi s'agissait il ? Il s'agissait de pression exercée par le gouvernement et non pas d'irrégularités de forme, de convocations tardives, de faits de corruption, et si vous voulez consulter les précédents cités dans l'ouvrage de M. Delebecque, vous verrez, je pense, autant que mes souvenirs sont exacts, qu'il y a eu des annulations prononcées pour faits de corruption posés par des tiers. C'est, du reste, l'opinion de M. Delebecque que de pareils faits vicient une élection.
Messieurs, l'honorable M, Dechamps a voulu influencer la Chambre en parlant de la discussion qui a eu lieu au sujet de l'élection de M. Jacques. (page 26) Il a dit : « On citait aussi des faits graves ; on accusait un commissaire d'arrondissement d'avoir radié des électeurs de la liste électorale, et la Chambre ne s'est pas arrêtée à ce fait-là.
La raison en est bien simple : c'est que la Chambre connaissait la loi mieux que celui qui faisait la protestation, et que la Chambre savait bien qu'il n'était pas permis à un commissure d'arrondissement de radier un électeur de la liste électorale. Le fait était donc invraisemblable, impossible, et la Chambre ne pouvait en admettre la preuve. Et c'est alors que l'honorable M. Tesch a pu très bien dire qu'une protestation basée sur un semblable fait ne cachait que des questions de parti.
Mais l'honorable M. Dechamps espère trouver un moyen de validation pour l'élection de Bastogne dans l'acte que la Chambre a posé hier à l'égard de l'élection de Gand. Il nous dit, à nous hommes de la gauche : « Voyez votre injustice ; vous demandez à être éclairés pour Bruges et Dinant ; vous demandez la lumière pour Bastogne ; et pour Gand il vous faut les ténèbres ; pour Gand, il ne faut pas la plus petite enquête ; vous validez, et par esprit de conciliation, nous validons avec vous. »
Avant de vous répondre en fait, je vais vous répondre en droit. Vous n'avez pas le droit, je le répète aujourd'hui, de traiter les questions électorales de cette manière-là ; vous faites des compromis sur les droits des électeurs, et non pas sur vos droits ; vous n'êtes pas ici législateurs, vous n'êtes pas électeurs ; vous êtes chargés uniquement de vérifier les opérations électorales ; il ne vous est pas permis de faire des députés pur conciliation. (Bruit.)
M. de Theuxµ. - J'ai entendu des cris partir des tribunes ; je crois qu'il est nécessaire de rappeler le public des tribunes à l'accomplissement de ses devoirs.
MpLangeµ. - Au milieu du bruit qui régnait dans la salle, je n'ai pu savoir si les cris qui ont été entendus partaient d'en haut ou d'en bas ; mais je déclare qu'au premier signe d'approbation ou d'improbation qui sera donné par les tribunes, elles seront évacuées à l'instant même.
La parole est continué à M. Bara.
M. Bara. - Messieurs, si je pouvais apporter une autorité décisive à l'appui de la nécessité d'une enquête parlementaire, je citerai l'autorité de l’honorable M. Thonissen qui demandait, dans son premier rapport sur l'élection, qu'il fût fait une enquête sur l'élection de Gand, enquête que la droite a dû abandonner devant la protestation de M. Meulemeester....
M. Debaets. - Je demande la parole.
M. Bara. - Je dis donc que la droite avait demandé l'enquête pour les faits de Gand qui n'avaient pas la gravité de ceux de Bastogne. (Interruption.)
L'honorable M. Dechamps a dit = « La lettre de M. Meulemeester a fait tomber tous les doutes pour la gauche ; cette lettre de M. Meulemeester a tout éclairé (ce sont les propres paroles de l'honorable M. Dechamps) : devant cette lettre de M. Meulemeester, plus de réclamation. »
M. Rodenbach. - Cette lettre n'a pas parlé du village ; c'était un grief réel.
M. Bara. - Vous oubliez ceci : c'est qu'avant la lettre de M. Meulemeester, nos honorables amis de la commission, membres de la gauche, avaient pris parti dans l'élection de Gand et avaient déclaré que les faits étant vagues et mal articulés, il ne pouvait pas y avoir lieu à une enquéte parlementaire.
Cela se trouve consigné dans le rapport de l'honorable M. Thonissen, qui se termine ainsi ; « Il me reste à vous faire connaître l'opinion motivée de la minorité. Elle a été formulée de la manière suivante :
« Les griefs articulés et les faits allégués ne sont ni assez pertinents ni assez prouvés pour imprimer à l'élection un caractère de nullité et pour motiver une enquête parlementaire. »
Ainsi donc, même sans la lettre de M. Meulemeester, même sans aucun renseignement ultérieur, nos amis politiques n'auraient pas voté l'enquête dans l'affaire de Gand.
« Voyez, dit-on encore, l'injustice de la gauche ! Vous votez l'enquête, quand il s'agit de Bastogne, et vous ne la votez pas, quand il s'agit de Gand. »
Messieurs, nous ne nous contentons pas de voter ; nous expliquons pourquoi nous votons oui pour Gand et pourquoi nous votons non pour Bastogne ; nous avons voté pour Gand, parce que les faits articulés ne rentrent pas, comme je l'ai dit hier, dans les conditions indiquées par mon honorable guide M. Dechamps ; ces faits n'étaient ni graves, ni précis, ni formels. On disait que les hospices avaient exercé une pression.
Je vous demandais hier quelle était cette pression, sur quels électeurs elle avait été exercée ; on ne citait aucun nom ; on n'apportait aucune preuve.
On est revenu sur le fait de la bande de Knesselaere. On dit que dans l'élection de Gand, il y a eu des bandes d'individus qui ont forcé les électeurs à voter pour le candidat libéral. Mais on oublie que déjà des faits semblables, des menaces de chouannerie ont été signalés aux chambres françaises ; que les chambres françaises ont constamment décidé qu'il n'y avait pas lieu de s'arrêter à de pareils faits et d'annuler l'élection.
Mais quand le prêtre menace les électeurs d'un refus de sépulture, de la damnation éternelle, n'exerce-t-il pas une pression aussi forte, plus forte que celle d'un individu qui menacerait les citoyens dans leurs biens, et même dans leur personne. L'âme n'est-elle pas au-dessus des biens terrestres ? Vous, membres de la droite, soutiendrez-vous le contraire ? Un vrai croyant ne tient-il pas plus au paradis qu'à sa bourse ? (Interruption.)
Il n'y avait donc pas à Gand de faits réunissant les conditions voulues pour légitimer une enquête ; mais il en est autrement des faits avancés contre l'élection de Bastogne : on soutient que M. Orban a offert de l'argent à plusieurs électeurs ou à des femmes d'électeurs pour que les maris votent dans tel ou tel sens. On dit que M. le curé d'Etalle a fait-de semblables offres. On dit qu'on a été trouver des créanciers condamnés par jugement à payer telle ou telle somme, même par la contrainte par corps, et qu'on les a menacés de la contrainte s'ils ne votaient pas dans un sens déterminé.
Je dis que ces faits sont graves, qu'ils sont précis, car on cite les personnes qui ont exercé cette pression, et celles sur lesquelles on l'a exercée, et vous ne pouvez pas, je le dis à mes amis politiques comme à mes adversaires, vous ne pouvez pas les laisser passer sans examen ultérieurs
On a prétendu, dans le pays, qu'il se commettait des fraudes électorales graves, qu'on achetait le vote des électeurs ; le Roi est venu nous dire qu'il fallait mettre un terme à ces abus, et le ministère a déposé un projet de loi dont l'une des dispositions est ainsi conçue : « Sera puni d'une amende de 26 à 200 francs quiconque, dans le but d'influencer des électeurs, aura donné, offert ou promis une indemnité en argent. »
Eh bien, tout le monde est d'accord que de pareilles offres ne sont pas licites, que c'est un moyen odieux d'influence électorale, et quand on nous cite des faits aussi précis, aussi articulés que ceux-là, nous viendrions dire au pays : A l'avance nous paralysons les effets de la loi ; à l'avance nous amnistions les offres d'argent, nous absolvons tous les abus !
Si l'honorable M. Van Hoorde ne doit pas son élection à ces moyens, eh bien, il entrera dans cette Chambre. N'ayez donc pas peur de la lumière ; faites l'enquête sur les faits d'immoralité qu'on dit avoir été commis, sur la tardivité de la convocation ; qu'on éclaire le pays, vous n'aurez qu'à y gagner si ces faits sont controuvés. Pour ma part, messieurs, je voudrais, pour la dignité du membre dont nous discutons les pouvoirs, qu'une enquête fît justice des accusations dirigées contre son élection.
M. Debaets. - J'avais demandé la parole, messieurs, pour rectifier un fait ; mais cette rectification pourrait provoquer une discussion de nature à devenir très désagréable ; et j'aime mieux, dans un esprit de conciliation et nullement comme m'inclinant devant les faits plaidés d'autre part, renoncer à la parole.
M. B. Dumortier. – Il semblerait, à entendre l'honorable préopinant, que tous les faits indiqués par les pétitionnaires sont irrécusables, incontestables, prouvés et qu'aucun d'eux n'a été démenti. Eh bien, c’est précisément le contraire qui est établi. Si jamais faits ont été démentis de la manière la plus évidente, la plus pertinente, ce sont certainement ceux que les pétitionnaires ont indiqués.
Vous avez entendu hier le discours de l'honorable M. Van Hoorde, vous avez entendu la lecture de toutes les protestations émanant d'hommes qui sont indiqués précisément comme devant servir de témoins des faits allégués dans cette enquête. Qu’en résulte-t-il ? C’est que tous ou presque tous viennent protester contre la fausseté des faits allégués, et ce sont ceux-là précisément qui devraient être entendus comme témoins !
Il y a plus : M. Orban a été jusqu'à intenter une action judiciaire aux calomniateurs qui l'accusent d'avoir acheté des votes à prix d'argent ou d'avoir promis de l'argent pour obtenir des votes, et l'on viendra vous dire qu'il y a des faits graves qui entachent l'élection de Bastogne. Je dis, moi, que c'est se rire de tout ce que nous avons dit et prouvé dans cette discussion que d'écarter ainsi, de propos délibéré, toutes les réfutations que nous avons produites de ces allégations dont il ne reste que le ridicule.
La Chambre elle-même l'avait bien compris et dans la séance d'hier l'honorable M. Bara n'avait été soutenu par personne ; personne non plus n'avait jugé qu'il fût nécessaire de lui répondre. L'honorable M. Orts a (page 27) reconnu lui-même qu'il n'y a dans la pétition qu'un fait qui soit digne de l'attention de la Chambre ; c'est ce fait que cinq électeurs d'Houffalize ne se sont pas rendus à l'élection, et c'est sur ce point qu'il a demandé que la commission de vérification de pouvoirs fît une espèce d'enquête au sujet des bulletins qui n'auraient pas été remis à temps.
Eh bien, je suppose que cinq électeurs d'Houffalize ne soient pas venus parce qu'ils n'ont pas reçu de bulletin de convocation ; qu'en résulterait-il ? C'est que l'honorable M. Van Hoorde ne conserverait pas moins une majorité de trois voix et que dès lors encore il devrait être proclamé membre de cette Chambre.
Remarquez-le bien, messieurs, ce n'est pas huit voix seulement qu'il faut pour annuler son élection ; il faut opérer un déplacement de 17 voix. Il faudrait donc prouver que, non pas 8 électeurs, mais 17 électeurs n'ont pas pu voter parce qu'ils n'ont pas reçu leurs bulletins de convocation, pour que, dans votre propre système, il pût être question d'annuler l'élection. Répondez à cela ! Mais non, à cela vous ne répondrez rien. Il y a plus, mon honorable ami M. Dechamps vient de vous donner lecture d'une dépêche télégraphique adressée à l'honorable M. Van Hoorde ; il en résulte que les cinq électeurs d'Houffalize qui n'ont pas voté avaient été régulièrement convoqués.
Que deviennent donc, en présence de ce fait, toutes vos hypothèses, toutes vos suppositions et que reste-t-il de la protestation dirigée contre l'élection de Bastogne ?
Mais, messieurs, la réclamation, pour avoir quelque valeur, eût dû tout au moins être présentée par les électeurs qui n'ont pas voté. Or, aucun d'eux n'a réclamé, et ce sont des tiers qui viennent se plaindre en leur nom !
Maintenant que porte la dépêche télégraphique ? Je vais encore vous en donner lecture : (L'orateur lit ce passage.)
Remarquez que ces cinq électeurs sont les seuls qui n'ont pas pris part au vote.
- Plusieurs voix. - Ce n'est pas cinq, c'est sept !
M. B. Dumortier. - Il y en a sept qui n'ont pas été convoqués et il n'y en a que cinq qui n'aient pas pris part au vote. Nous avons collationné la liste électorale et c'est à ces cinq qui n'ont pas voté que j'ai donné le conseil d'adresser une dépêche électrique.
- Un membre. - Votre dépêche ne signifie rien !
M. B. Dumortier. - Comment ! ma dépêche est sans valeur ! je suis étonné qu'un membre dise qu'une dépêche d'un de ses collègues n'a pas de valeur et que celle d'un inconnu en a une.
Il n'y a que cinq électeurs qui ne soient pas venus voter, nous voulons savoir le motif de leur absence du scrutin. Eh bien, tous ont reçu leur bulletin pour l'élection.
De ces cinq électeurs qui n'ont pas voté, le premier n'a pas voté parce qu'il ne voulait pas se trouver dans ce tapage ; le deuxième n'a pas voté par complaisance ; le troisième n'a pas voulu voter ; le quatrième était malade et le cinquième a été à Bastogne et n'a pas voté. Voilà pour les cinq électeurs d'Houffalize dont parle la pétition ; ils ont tous reçu leur bulletin. Qu'en résulte-t il ? Quelle est la conséquence à tirer ? Elle est claire ; c'est que si cinq bulletins n'ont pas été remis, ceux qui ne les ont pas reçus n'en sont pas moins venus à l'élection. (Interruption.) Les sept, soit !
Que signifie alors votre enquête, ce genre de recherches que vous invoquez comme devant infirmer l'élection. Les sept qui n'ont pas reçu de bulletin de convocation sont venus à l'élection puisque les cinq qui n'ont pas voté avaient reçu leur bulletin. Je dis que la demande d'une enquête ici est une chose déplorable en présence de pareils fails ; il est incroyable qu'on vienne attaquer une élection quand les faits sont aussi clairs. (Interruption.)
Je démontre que les électeurs qui n'ont pas voté ont reçu leur bulletin et que ceux qui n'ont pas reçu leur bulletin ont voté, et vous voulez infirmer l'élection comme s'ils n'avaient pas voté.
Quant aux autres communes, d'où viennent les renseignements ? Du gouvernement. Il n'y a que le gouvernement qui ait pu fournir ces pièces ; s'il y a eu faute, c'est de la part des agents du gouvernement ; c'est le gouvernement qui est coupable, et c'est lui qui fournit les pièces ! C'est une maxime de droit romain que nul ne peut invoquer, à son profit, sa propre turpitude. C'est le gouvernement qui vient ici invoquer sa propre turpitude en sa faveur : votez !
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, il ne suffit pas de venir avec de sonores paroles et de grands éclats de voix accuser le gouvernement. (Interruption.)
L'honorable M. B. Dumortier vient d'accuser le gouvernement d'avoir forgé, pour faire annuler une élection, et de les avoir fournies à la Chambre, les pièces qui sont déposées sur le bureau, Je déclare que je n'avais aucune connaissance du dossier de Bastogne avant que la discussion fût ouverte.
Je n'ai pas produit de pièces ; et je ne puis pas permettre que l'honorable membre vienne accuser ici vaguement d'honorables fonctionnaires ; je demande que l'honorable membre précise les faits qu'il entend leur imputer, et j'insiste d'autant plus, que ce n'est pas la première fois que l'honorable membre vient accuser légèrement les agents du gouvernement ; l'an passé il a lancé ici des accusations vagues, vaines, injustes contre un honorable fonctionnaire de l'administration des postes et, après examen des faits, il a été reconnu par l'honorable M. Dumortier lui-même qu’il avait erré. (Interruption.)
Mon devoir de ministre m'impose donc l'obligation de demander à M. Dumortier de s'expliquer, de préciser en quoi des fonctionnaires ont manqué à leur devoir et cherché à vicier les élections en forgeant des pièces déposées sur le bureau de la Chambre.
M. B. Dumortier. - Les fonctionnaires ont failli à leur devoir en ne remettant pas en temps les bulletins de convocation aux électeurs ; ils ont failli à leur devoir en transmettant à n'importe qui des documents qu'eux seuls possédaient puisqu'ils ne se trouvent que dans leur bureau.
- Plusieurs voix. - L'enquête ! l'enquête ! il faut l'enquête !
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je me serais abstenu de prendre la parole pour appuyer l'enquête, le gouvernement ne serait même pas intervenu ; mais aujourd'hui, après les accusations dont l'administration vient d'être l'objet de la part de M. Dumortier, je demande formellement que l'enquête ait lieu afin de constater en quoi des fonctionnaires pourraient être coupables.
- Plusieurs voix. - Oui ! l'enquête ! Aux voix !
MfFOµ. - Nous ne craignons pas la lumière !
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Depuis les élections de juin on nous a accusés de toutes parts d'avoir violemment pesé sur ces élections, je demande que la lumière se fasse, puisqu'il y a des accusations spéciales pour une élection déterminée ; et je déclare que si les faits dont vous accusez des fonctionnaires étaient reconnus vrais, ceux qui les auraient posés en porteraient la peine.
M. de Renesse. - Messieurs, je n'étais pas disposé à voter contre l'enquête. (Interruption.)
M. de Brouckere. - M. de Renesse avait dit qu'il ne voterait pas l'enquête. (Interruption.)
M. de Renesse. - Messieurs, j'étais peu disposé à voter l'enquête, d'après ce qui s'était passé à l'égard de l'enquête sur les élections de Louvain, qui avait tellement traîné en longueur, et a été la cause de ce que ce district a été privé trop longtemps de ses représentants légaux. J'avais déclaré, après le vote de cette enquête, dans une séance de la Chambre, voyant que cette enquête ne se terminait pas dans un délai raisonnable, que si j'avais encore à la voter, je ne l'eusse plus fait. (Interruption à droite.)
M. Goblet. - Vous n'avez pas le droit de suspecter les intentions.
M. de Renesse. - Maintenant, que l'on semble attaquer injustement des fonctionnaires publics, par rapport à l'élection de Bastogne, je demande formellement que l’enquête ait lieu, pour qu'ils puissent se disculper de ces fausses allégations, et que la vérité se fasse jour.
M. B. Dumortier (pour un fait personnel). - Comment ! ms-sieurs, vous viendrez dire que j'ai accusé les fonctionnaires d'avoir pesé sur les élections, d'avoir posé des faits frauduleux ! Je n'ai rien dit de pareil. J'aurais pu, dans beaucoup de circonstances le dire, mais je ne j'ai pas fait.
Je ne veux pas que vous appuyez votre prétention d'enquête sur des faits qui me seraient attribués ; je n'ai pas dit un mot à cet égard.
Ce que j'ai dit et ce que je maintiens, c'est qui la liste de réception des bulletins électoraux n'est remise que dans les mains du commissaire d'arrondissement ; et que si quelqu'un peut avoir eu connaissance de ce fait, ce n'est que par l'entremise du commissaire d'arrondissement.
Le fait est de toute vérité ; vous ne pouvez le contester, et j'en conclus que le gouvernement ne peut se faire une arme dé sa propre turpitude.
(page 34) - Plusieurs voix. - La clôture !
M. Coomans. - On est singulièrement pressé. Voilà un grave sujet nouveau qui est produit dans le débat et l'on ne permet pas de l'examiner.
- Plusieurs membres. - Parlez !
- D'autres. - On n'insiste pas !
M. Coomans. - Messieurs, il se passe de très singulières choses dans ce débat. On change le terrain de la discussion, non seulement de séance en séance, mais d'heure en heure, de dix minutes en dix minutes. Voilà que l'on vient nous dire, après une longue discussion, qu'on ne se proposait pas d'insister au sujet de l'enquête.
- Plusieurs membres. - Non ! non ! C'est au sujet de la clôture qu'on a déclaré ne pas insister.
M. Coomans. - On vient nous dire, et par on je fais allusion à l'honorable M. de Brouckere qui a dit ne vouloir pas d'enquête du tout, à l'honorable M. de Renesse qui s'est déclaré disposé à ne pas voter l'enquête et à l'honorable ministre de l'intérieur qui a fait à l'instant la même déclaration...
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Pas du tout.
M. Coomans. - D'où je concluais que nous n'aurions pas eu d'enquête. Hélas ! nous le savons tous, en supprimant deux ou trois voix de votre chiffre, vous n'avez plus de volonté.
Cependant, voilà une thèse nouvelle.
Oui, dit le gouvernement, il nous faut une enquête. Oui, disent d'honorables membres, il nous faut une enquête.
Mais sur quoi et sur qui ? Sur les actes du gouvernement, sur l'emploi des influences gouvernementales dans les élections ! Et pour démontrer que le gouvernement est complètement innocent de tous les faits qui ont été allégués et imprimés depuis le mois de juin au sujet de l'application de ses ressources officielles et officieuses, on examinera la conduite d'un seul fonctionnaire, de M. le commissaire de Bastogne !
Ceci, messieurs, n'est pas sérieux. Je demande que l'enquête, si elle a lieu dans le sens que l'on vient d'indiquer, et qui ne me répugne pas, soit générale, s'applique à tous les arrondissements, à titre d'éclaircissement pour la rédaction d'une loi électorale.
Il est évident que l'innocence du ministère ne serait démontrée ni en logique, ni en bonne foi dans le cas où il serait démontré seulement que le commissaire d'arrondissement de Bastogne est innocent du retard intervenu dans la distribution des bulletins de convocation.
Franc avant tout, je déclare, moi, que je crois à un abus des influences gouvernementales dans les dernières élections.
J'y crois, j'ai même pour cela des présomptions très fortes, et je m'offre à intervenir dans l'enquête sur les actes ministériels, si elle a lieu.
Eh bien, messieurs, veut-on une enquête ? J'y consens ; mais je déclare que ne plus baser la demande d'enquête parlementaire au sujet de l'élection de Bastogne que sur un petit incident créé par un seul membre de cette assemblée, ne plus baser cette enquête que sur cet incident à défaut des autres qui ont été réduits à néant, je dis que cela ne serait pas logique, que cela ne serait pas loyal.
Je vais vous dire l'impression que j'ai reçue de ce débat. Quand on s’est récrié contre des abominations commises à Bastogne, je n’ai pas de prime abord montré beaucoup d'incrédulité. Je suis de ceux qui pensent que les élections en Belgique se font d'une manière très vicieuse et jamais ni le gouvernement ni un membre de cette assemblée n'apportera à la tribune un projet de loi assez sévère à mon sens, pour moraliser les opérations électorales.
Je voterai pour les moyens de répression les plus efficaces, dussent-ils être les plus sévères.
Je me disais notamment : Dans cette province de Luxembourg il s'est passé beaucoup de scandales électoraux ; en définitive, la plupart des scandales nous sont venus de là ; il est donc possible qu'à Bastogne il y ait eu quelque chose de pareil, le 9 juin dernier, à droite comme à gauche. Aujourd'hui il ne me reste pas le moindre doute sur la légitimité de la nomination de M. Van Hoorde. Le corps électoral s'est nettement prononcé en sa faveur.
Quoi ! après les déclarations très pertinentes toutes signées, lues ici par l'honorable élu, après celles qui nous sont parvenues directement, peut-on douter encore que la réclamation dont nous avons été saisis soit autre chose qu'un ramassis d'odieux et grossiers mensonges ?
En définitive, sur 28 à 30 faits allégués, 24 ou 25 sont, complètement faux, Et pouvez-vous admettre que ce qui reste ait quelque valeur encore ? Cela est impossible. Notre devoir est de repousser une pétition où la vérité et notre dignité ont été si lestement méconnues.
Je dis donc avec mon honorable ami, M. Deschamps, je dis avec l'honorable M. Bara : Il importe qu'aucun de nous ne pénètre dans cette enceinte sans être à l'abri de tout reproche de corruption. Mais devant les abus accoutumés, qui entachent presque toutes nos élections, abus sur lesquels nous ne pouvons plus faire d'illusion au public, nous devons être justes.
La justice va même avant la dignité. Je tiens à la dignité de chacun des membres de la Chambre, mais je tiens aussi à la justice, la loi des lois.
Messieurs, nous jouerions une misérable comédie si, pratiquant une fable très connue, nous rendions coupable de nos propres méfaits l'un d'entre nous pour le jeter comme victime expiatoire hors de cette enceinte.
Je déplore ce débat ; je ne l'ai pas provoqué, je regrette qu'il doive rester incomplet : force m'est pourtant de le dire : Y en a-t-il beaucoup ici d'entre vous qui puissent se vanter que leur élection n'a rien coûté à eux ou à leurs amis ?
Je ne sais pas ce que l'honorable M. Van Hoorde a dépensé à Bastogne. Je suis sûr que lui et ses amis y ont dépensé de l'argent. Mais qui donc d'entre nous, à part une demi-douzaine peut être, ne considère pas comme une occasion de gros sacrifices les élections parlementaires ? Messieurs, le public, le premier venu vous indiquera le budget électoral de chaque arrondissement. Ce budget est connu, il est quasi fixé, nous le savons tous. Là il est de 5,000, là de 6,000, de 10,000, de 15,000, de 30,000, ailleurs de 60,000. Des membres du Sénat, des membres de cette Chambre m'ont donné là-dessus des détails très curieux que j'ai recueillis avec soin pour mon instruction philosophique. Je les interrogeais chaque fois depuis 25 ans au sujet des dépenses électorales. Les chiffres que je viens d'indiquer ne sont qu'approximatifs, mais ils sont aussi incontestables qu'excessifs et scandaleux.
Eh bien, voulez-vous mettre un terme à cette pratique ruineuse qui est à peu près générale ? Voulez-vous défendre absolument toute espèce de dépense ? Et pour être logique et juste, il faudra en venir là ? Je le veux bien... (Interruption.)
M. Bara. - Des offres d'argent ne sont pas des dîners.
- Un membre. – Il y a dépense et dépense.
M. Coomans. - La distinction est difficile et arbitraire. (Interruption.)
Messieurs, j'avais pris la ferme résolution de ne pas parler dans ce débat. C'est tout à fait par hasard que je prenais la parole. Ecoutez-moi sans trop d'impatience.
Nous supprimerons et condamnerons donc toute espèce de dépense électorale (interruption), bien que vous sachiez que vos amis en cette matière ne se sont pas montrés moins libéraux que les nôtres (interruption), libéraux dans le sens généreux et académique du mot. Nous supprimerons toutes ces dépenses. Mais alors il faut, à moins de faire du régime représentatif eu Belgique une odieuse comédie, que tous les électeurs soient mis devant l'urne sur un pied d'égalité. (Interruption.)
M. Braconier. - Voilà !
M. Coomans. - Comment ! parce que je veux mettre tous les électeurs sur un pied d'égalité devant l'urne électorale, je parais choquer l'honorable M. Braconier. Mais c'est un principe élémentaire, et puisqu'on m'y force, j'irai plus loin. Il s'agit évidemment de faciliter, de rendre moins durs et onéreux les voyages des électeurs ruraux vers le chef-lieu d'arrondissement.
Or, des statistiques officielles ont établi quoique tout le régime social et politique de la Belgique soit basé sur la volonté du plus grand nombre, c'est-à-dire sur le chiffre de la population... (Nouvelle interruption) les campagnes ne comptent pas le tiers des électeurs qui leur revient.
- Plusieurs membres. - A la question !
M. Allard. - Ce n'est pas là l'élection de Bastogne.
MpLangeµ. - Je prie l'orateur de revenir à la question.
M. Coomans. - Je dois, M. le président, justifier mon adhésion à l'enquête.... générale et je la motive par les considérations que je viens de soumettre à l'assemblée, en déclarant que je suis prêt à adhérer aux lois de répression les plus sévères dans les limites de la justice distributive. La première condition est que l'électeur rural puisse remplir son devoir sans frais, sans sacrifice, comme le fait aisément l'électeur du chef-lieu.
Ainsi donc, est-il bien entendu que si la Chambre ordonne une enquête (celle contre M. Van Hoorde, seulement, et je ne la voterai pas, parce que je veux faire chose sérieuse) il s'agira d'indaguer sur tous les faits et gestes des divers fonctionnaires publics dans l'élection du 9 juin ? (page 35) Si cela est entendu, je suis de votre enquête. Si vous ne l'entendez pas ainsi, je prétends qu'en justifiant le gouvernement d'une accusation particulière qui du reste n'a été introduite ici que très incidemment, vous vous feriez la partie trop belle. Parce qu'un ou deux fonctionnaires seraient trouvés innocents ou à peu près (je dis à peu près et c’est déjà beaucoup dire), vous ne pourriez certes en tirer la conclusion que tout a été au mieux et que toutes les insinuations ont été fausses.
Voilà donc la question. L'enquête telle que M. le ministre de l'intérieur la propose aujourd'hui, est une enquête sur la conduite des fonctionnaires de l'arrondissement de Bastogne. C'est bien votre pensée, M. le ministre, vous venez de le dire. Eh bien, à ces investigations, vous ajouterez celles que nous pourrons faire dans tous les arrondissements du pays. Voilà ce que je veux et ce que vous devez vouloir aussi, si vous ne reculez pas élevant la lumière.
Messieurs, je finis.
Il n'est pas possible que par votre langage et surtout par vos actes, vous proclamiez pour ainsi dire aux yeux du pays, que, pour siéger sur les bancs de la droite, il faut être élu deux fois au moins.
(page 27) M. de Montpellier. - Messieurs, l'honorable comte de Renesse a semblé interpréter les murmures de la droite comme un doute sur la véracité de ses assertions. L'honorable comte de Renesse me connaît, il me croira. J'ai l'honneur de lui dire que sur les bancs de la droite il n'est pas un seul membre qui soit capable d'avoir sur son compte un soupçon aussi offensant. Mais puisque l'honorable comte semble ignorer la nature et l'origine de nos murmures et de nos exclamations, je lui dirai ; Nos (page 28) murmures s'adressent à l'iniquité, qu'à nos yeux, vous allez tantôt commettre en votant l'enquête sur l’élection de Bastogne. (Interruption.)
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, j'ai été mal compris ou du moins l'honorable M. Coomans a donné un sens inexact à mes paroles.
M. Coomans. - Je m'en doute bien.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - L'honorable M. Coomans se doutait qu'il n'interprétait pas bien mes paroles ! En ce cas il a eu tort ; il a eu tort surtout de parler de franchise et de loyauté, alors qu'il savait qu'il interprétait mal mes paroles.
M. Coomans. - Ce sont des nuances.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Ce sont des nuances ! mais ce sont de très mauvaises nuances. Messieurs, j'ai dit que mon intention n'était pas de prendre la parole dans ce débat et que si je l’avais prise, c'est parce qu'on avait attaqué injustement, d'après moi, des fonctionnaires et qu'on m'avait accusé.
M. B. Dumortier. - Je ne vous ai pas attaqué.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Vous avez dit le gouvernement, j'ai donc dû prendre la parole, et j'ai dit que les accusations lancées contre des fonctionnaires étaient pour moi un motif de plus pour appuyer l'enquête, car s'il y a eu des torts d'une part, il peut, d'après l'honorable M. Dumortier, y avoir des torts d'autre part, et je suis intéressé à les connaître.
Voilà le sens de mes paroles.
Quant à l'enquête contre les fonctionnaires, dont a parlé M. Coomans, le droit de la faire existe tous les jours. Tous les jours dans cette Chambre, lorsqu'un fonctionnaire de l'Etat fait une faute ou que l'on croit qu'il en a fait une, chacun de vous peut prendre la parole pour venir signaler le fait qu'il croit pouvoir articuler à charge d'un agent du gouvernement.
Si l'on veut du reste faire une enquête générale sur les élections, je ne m'y opposerai pas. Mais alors nous ferons une enquête sur tous les faits et nous verrons lequel des deux partis a eu recours à des moyens honnêtes et légaux, et quels sont ceux qui ont préconisé les moyens qui ont un tout autre caractère.
M. de Theuxµ. - Dans l'intérêt de la dignité de la Chambre, je crois de mon devoir de la prémunir contre une décision ab irato que l'on nous annonce. M. le ministre de l'intérieur et d'autres membres ont déclaré qu'ils n'avaient pas l’intention de voter l'enquête, mais à la suite des paroles de l'honorable M. Dumortier, M. le ministre de l'intérieur s'est levé dans un transport d'animation qui n'est pas compatible avec son caractère, et a déclaré qu'il voulait l'enquête à cause du discours de l'honorable M. Dumortier ; plusieurs autres membres ont fait une semblable déclaration avec la même animation.
J'engage la Chambre à être attentive, car si de pareilles considérations la déterminaient à prendre une résolution qui ne serait pas dans sa pensée, je dis que nous irions droit à la conduite des assemblées révolutionnaires ; c'est dans ces assemblées que l'on prend des décisions ab irato et des décisions qui sont quelquefois provoquées par des mouvements venant du dehors.
Une assemblée calme et digne du nom de représentation nationale ne prend point de décisions de ce genre.
Messieurs, mon opinion est que dans les faits articulés à charge de l'élection de Bastogne, il n'en est aucun qui puisse justifier une enquête. La seule question, à mon avis, qui reste soumise à la Chambre est celle de savoir s'il faut un complément d'instruction en ce qui concerne la convocation des électeurs.
Certes, messieurs, s'il restait des doutes à cet égard, je serais le premier à appuyer la demande de renseignements ; mais il m'est impossible de concevoir un motif quelconque de doutes vrais. D'abord il est évident, messieurs, que les électeurs de Bastogne ont été conviés de la manière la plus pressante à aller voter pour le candidat libéral ; il est évident que M. le commissaire d'arrondissement patronnait ce candidat ; personne ne le niera ; on a donné à la candidature libérale un retentissement tout particulier par l'élévation du candidat au rang de ministre d'Etat.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - C'est une élévation bien méritée, au moins aussi bien méritée que celle de vos amis.
M. de Theuxµ. - Pouvez-vous imputer à notre ami l'élu de Bastogne, une influence quelconque sur la non-convocation des électeurs dans le terme de la loi. J'évite de me servir du mot en temps opportun parce que chaque électeur a été averti assez à temps, d'abord par la loi électorale, ensuite par l'arrêté royal qui convoque les collèges électoraux, enfin par les circulaires électorales. L'ignorance des électeurs n’est pas possible et ce qui le prouve surabondamment c'est que les 9 électeurs réputés n'avoir pas reçu de convocation, étaient présents à l'élection.
Encore une considération, messieurs, et je ne prolongerai pas le débat. Si dans des élections passionnées il y a des électeurs qui restent en arrière, soyez sûrs que ce ne sont pas des électeurs libéraux. Pourquoi ? Parce que l'activité des associations libérales est prodigieuse, parce que l'on sait dans tout l'arrondissement que par l'intermédiaire de l'association libérale si l'on fait preuve de zèle on a des chances d'obtenir des emplois, des faveurs, de l'avancement, tandis que de notre part quand le candidat conservateur est appuyé par une famille influente, cette famille sait très bien qu'elle s'expose à toutes les conséquences de cet appui.
Les gens timides craignent de se rendre aux élections et restent dans leurs foyers, mais ce n'est point dans l'opinion libérale que cela se présente. Les électeurs libéraux sont choyés au chef-lieu, ils ne sont pas exposés à subir les violences dont les électeurs appartenant à l'opinion conservatrice ont été l'objet à Bastogne, à tel point que des condamnations judiciaires ont dû être prononcées de ce chef.
Dans cet ordre d'idées j'en appelle à votre bonne foi, à votre conscience et je vous adjure, au nom de la justice, de ne point reculer l'admission de l'honorable M. Van Hoorde, qui est irréprochable à tous égards.
- La discussion est close.
MpLangeµ. - La commission demande une enquête parlementaire sur les griefs articulés dans la protestation qui a été adressée à la Chambre.
M. Coomans. - Il est bien entendu qu'après ce vote-ci, il nous sera loisible de présenter notre proposition d'enquête générale.
M. de Theuxµ. - Il est bien entendu, messieurs, que si l'enquête est ordonnée, la commission d'enquête a des pouvoirs complets, et qu'il entre dans ses attributions de savoir pourquoi, dans telle commune, à Houffalize, par exemple, les bulletins de convocation ont été envoyés en nombre insuffisant ; de savoir pourquoi, dans telle ou telle commune, les bulletins ont été remis tardivement ; de savoir si c'est à cette cause qu'il faut attribuer l'absence de 57 électeurs ; il doit être entendu qu'il entre dans les attributions de la commission de s'enquérir de tous ces points.
- Plusieurs membres. - Oui ! Oui !
M. de Theuxµ. - Alors au moins nous aurons une enquête sincère.
Je voterai toutefois contre l'enquête parce que je la considère comme inutile.
M. B. Dumortier. - Si l'on indague sur les faits qu'on reproche à M. Van Hoorde, on pourra aussi indaguer sur les faits qu'on reproche à son concurrent ; d'ailleurs l'enquête devra être réglée par une loi.
- Il est procédé au vote par appel nominal.
113 membres sont présents.
1 membre (M. Pirmez) s'abstient.
112 membres prennent part au vote.
57 répondent oui.
55 répondent non.
En conséquence les conclusions de la commission sont adoptées.
Ont répondu oui : MM. J. Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lesoinne, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Orts, Pirson, Prévinaire, Rogier, Sabatier, Tesch, Alphonse Vandenpeereboom, Ernest Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Volxem, Allard, Ansiau, Bara, Bouvier, Braconier, Carlier, Crombez, Cumont, David, de Baillet-Latour, de Bronckart, de Brouckere, de Florisone, De Fré, de Kerchove, De Lexhy, de Macar, de Moor, de Paul, de Renesse, de Ridder, de Rongé, de Vrière, Dolez, Frère-Orban, Goulet, Grosfils, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Laubry, Ch. Lebeau et Lange.
Ont répondu non : MM. Magherman, Moncheur, Notelteirs, Nothomb, Rodenbach, Royer de Behr, Schollaert, Snoy, Soenens, Tack, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Verwilghen, Wasseige, Beeckman, Coomans, Coppens, Debaets, Dechamps, de Conninck, de Decker, de Haerne, Delaet, Delcour, de Liedekerke, de Mérode, de Montpellier, de Muelenaere, de Naeyer, de Ruddere de te Lokeren, Desmet, de Terbecq, de Theux, d'Hane-Steenhuyse, Dubois, B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel, Faignart, Frison, Hayez, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos et Le Bailly de Tilleghem.
(page 29) MpLangeµ. - M. Pirmez est prié de faire connaître les motifs de son abstention.
M. Pirmez. - Je n'ai pas voté contre la proposition d'enquête, parce que je crois qu'il est, conformément à la proposition que j'ai faite hier, nécessaire d'avoir des renseignements sur la cause qui a empêché quelques électeurs de prendre part au vote.
Je n'ai pas voté pour, parce que, selon moi, ces renseignements pouvaient être obtenus, par un moyen beaucoup plus simple que par une enquête, qui empêchera peut-être, pendant longtemps, un membre élu de siéger dans cette assemblée.
MpLangeµ. - Une proposition, signée de plusieurs membres, est parvenue au bureau. Elle est ainsi conçue :
« Les soussignés proposent une enquête parlementaire générale sur tous les faits qui paraîtront de nature à altérer sérieusement la sincérité des élections du 9 juin.
« Signé : Coomans, A. Dechamps, Alp. Nothomb, de Liedekerke-Beaufort, Comte de Mérode. »
M. Orts. - Messieurs, je demande la parole pour un rappel au règlement.
Ce qui se passe aujourd'hui est la seconde représentation d'une scène qui s'est déjà produite dans les mêmes circonstances, en 1859, et dont l'auteur d'alors siégeait, comme l'auteur d'aujourd'hui, sur les bancs de la droite.
En 1859, au moment où. la Chambre allait ordonner l'enquête sur les élections de Louvain, l'honorable M. B. Dumortier a fait ce que fait aujourd'hui l'honorable M. Coomans. Il s'est écrié : « Je veux l'enquête, à la condition qu'on fasse une enquête sur toutes les élections du pays. »
Je me suis élevé alors, comme je m'élève aujourd'hui, au nom du règlement de la Chambre contre cette motion, car le règlement nous défend de nous occuper d'autres choses que de la vérification des pouvoirs avant la constitution de notre bureau. J'ai demandé alors, au nom du règlement, que la proposition de l'honorable M. Dumortier fût reproduite par lui, après la constitution du bureau. La Chambre l'a décidé ainsi, et je crois que l'honorable membre lui-même s'est rallié à cette forme de procéder qui est la seule régulière. Je demande aujourd'hui la même décision à la Chambre. Dans l'état actuel des choses, nous ne pouvons nous occuper que de vérification de pouvoirs, si l'enquête que réclame M. Coomans doit avoir le but qu'il lui assigne, et se restreindre néanmoins dans les limites de notre compétence, MM. de la droite demanderaient d'ajouter à l'enquête sur l'élection de Bastogne une enquête sur l'élection de Bruges. Je demande si c'est là leur intention ?
(Voir page 35) M. Coomans. - Messieurs, l'objection que vous présente l'honorable M. Orts ne semble pas fondée. Si la Chambre a le droit d'ordonner une enquête parlementaire sur les élections avant la vérification des pouvoirs, elle peut ordonner une enquête sur deux élections, sur trois élections, sur toutes les élections, même après que celles-ci ont été validées, et en vue de s'éclairer sur la rédaction d'une nouvelle loi.
MfFOµ. - Celles qui sont validées, vous les remettez en question.
M. Coomans. - Point. Il ne s'agit que d'examiner les faits qui se rattachent aux élections du 9 juillet, au point de vue de la moralité de la lutte.
Messieurs, on ne peut pas, par un simple moyen de procédure, venir retirer ce qu'on avait accordé tout à l'heure. Avant la mise aux voix, l'honorable président a déclaré, avec l'assentiment de la Chambre, qu'après ce vote, viendrait celui sur ma proposition...
- Des membres. - Cela n'est pas possible.
M. Coomans. - Cela a été compris ainsi par la Chambre entière.
Maintenant si le sens donné au règlement par l'honorable M. Orts était juste, M. le ministre de l'intérieur devrait prendre pour son compte une part de l'erreur où je serais tombé, puisqu'il a cru avec moi qu'une enquête parlementaire générale était possible sur les faits qui se rattachent aux élections du mois de juin, en ce qui concerne la sincérité des opérations électorales et la conduite des fonctionnaires. Je crois avoir agi dans les limites du règlement ; et encore une fois, puisque vous êtes les plus forts, abandonnez ces petits moyens de procédure, et contentez-vous de rejeter notre proposition.
(page 29) M. E. Vandenpeereboom. - Messieurs, ce qu'on demande ne peut pas être mis aux voix ; la proposition est contraire au règlement. Nous ne pouvons nous occuper que de vérification de pouvoirs. Or, ce que demande l'honorable M. Coomans, c'est de remette en question toutes les élections déjà validées ; nous ne pouvons pas revenir sur ces élections ; nous pouvons faire une proposition d'enquête sur l'élection de Bastogne ; l'enquête vient d'être ordonnée.
La proposition de l'honorable M. Coomans ne peut pas être mise aux voix avant la constitution de la Chambre.
Or, la Chambre n'est constituée que par la formation de son bureau. Une fois le bureau formé, la proposition viendra régulièrement à l'ordre du jour, elle sera discutée, et nous verrons quelles suites il y aura lieu d'y donner. Mais, je le répète, elle ne peut être régulièrement mise aux voix, puisqu'elle pourrait avoir pour résultat d'annuler toutes les élections que la Chambre a validées jusqu'ici. Ce qui est impossible.
M. Goblet. - Je dois faire remarquer que la proposition qui nous est soumise est tout à fait contraire au règlement. Le règlement porte qu'après la vérification des pouvoirs, la Chambre s'occupe immédiatement de la formation de son bureau. Or, la proposition qui nous est faite devrait être renvoyée aux sections puisqu'elle ne constitue pas un amendement se rattachant à l'élection de Bastogne, et ce n'est qu'après la formation du bureau que ce renvoi pourrait être ordonné.
- Plusieurs voix. - A demain !
- La séance est levée à 5 heures.