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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 17 novembre 1863

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1863-1864)

(Présidence de M. Lange, doyen d'âgeµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(Page 13) M. de Conninckµ procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Jacobsµ donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Gand

M. de Conninck a la parole pour donner communication des pièces adressées à la Chambre.

« M. de Meulemesteer proteste contre les imputations adressées à l'administration des hospices de Gand, à propos des élections. »

- Plusieurs voix. - La lecture ! la lecture !

MpLangeµ. - Il va être donné lecture de cette pièce.

M. de Conninckµ. - Voici cette pièce :

« Messieurs, j'apprends par le compte rendu de la séance de la Chambre du 13 novembre ; que la commission, chargée de vérifier les pouvoirs de M. de Kerchove a été saisie d'une requête, où se trouvent dénoncées de prétendues manœuvres que les membres des hospices auraient exercées sur les fermiers de cette administration pour les amener à voter en faveur des candidats libéraux.

« Me trouvant nominativement mis en cause dans cette requête, je crois avoir le droit et mon caractère me fait un devoir de venir protester énergiquement de la complète fausseté des imputations dirigées contre l'administration dont je fais partie. Une circonstance péremptoire prouve à elle seule cette fausseté, c'est que les biens des hospices de Gand sont publiquement affermés ; le mode de procéder est invariable. Les fermiers des hospices sont donc, d'une manière absolue, hors de l'atteinte de l'administration, et l'on ne conçoit pas même comment les membres de celle-ci pourraient exercer sur eux une pression quelconque.

« Mais je n'hésite pas à ajouter que j'ai, usant encore d'un droit qui me paraît incontestable, pouvoir prévenir ces fermiers que M. Van de Woestyne, à cette époque encore administrateur comme moi des hospices, et qui avait fait auprès d'eux en d'autres temps des démarches pour la liste libérale, se trouvait maintenant porté par l'opinion adverse. C'était les prémunir contre l'erreur que la candidature de M. Van de Woestyne pouvait faire naître chez eux ; c'était en un mot les mettre à même de déposer leur vote en parfaite connaissance de cause.

« J'affirme que mes démarches n'ont pas été au-delà. Et loin d'y rencontrer rien de contraire aux règles d'une stricte loyauté, dans ma conviction la loyauté aurait eu à souffrir d'une position qui, faute d'être éclaircie, devait inévitablement donner lieu à des méprises de la part d'électeurs qui ne suivent pas tous les mouvements de la politique.

« J'affirme enfin, qu'après avoir donné aux susdits fermiers les indications que je viens de faire connaître, je les ai expressément prévenus qu'ils conservaient la plus entière liberté de leur vote.

« La requête porte également qu'une surveillance aurait été exercée sur les électeurs de cette catégorie, notamment dans le 2ème et le 12ème bureau. Voici la vérité :

« J'étais appelé à voter dans le 2ème bureau. Ma présence y était donc suffisamment justifiée, et quant à celle du sieur De Boever, il n'y était ni par mes ordres, ni par ceux de mes agents. Il appartenait d'ailleurs au président du bureau de le faire sortir, puisqu'il n'était pas électeur. J'ignorais complètement la présence du sieur Debakker dans le 12ème bureau, et s'il y était réellement, j'ai lieu de supposer qu'il y soignait plutôt les intérêts de l'opinion adverse. »

M. Rodenbach. - Je demande le renvoi de cette requête à la commission de vérification ; elle connait parfaitement tout ce qui a été dit à propos des élections de Gand, puisqu'elle fait un rapport ; il convient qu'elle examine attentivement cette affaire ; les deux opinions sont en présence, on doit connaître le pour et le contre ; personne ne s'opposera, je pense, au renvoi que je propose avec prière de faire un prompt rapport.

M. Thonissenµ. - Messieurs, la pétition qui vous est adressée émane d'un homme honorable, j'en demande le renvoi à la commission pour faire un rapport supplémentaire. Je pourrai la réunir à l'instant et présenter le rapport dans la séance.

M. Jacquemyns. - Messieurs, la commission a fini son travail ; le rapport et les pièces ont été déposés et imprimés ; si nous allons lui renvoyer la nouvelle pièce qui nous est adressée, nous mettrons la décision sur cette élection à sa merci ; nous n'avons pas le droit de lui imposer l'obligation de se prononcer aujourd'hui ; si elle prolonge son examen demain, d'autres pièces pourront arriver encore de Gand, qu'on devra de nouveau renvoyer à la commission, et de renvoi en renvoi nous arriverons à empêcher le représentant d'un arrondissement de remplir son mandat.

La Chambre est en état d'apprécier la pétition aussi bien que la commission ; je demande qu'on la dépose sur le bureau et qu'on passe à la discussion.

M. Rodenbach. - Nous sommes juges, nous ne devons pas nous prononcer à la légère ; il n'y a pas péril en la demeure. Je ne comprends pas qu'on puisse s'opposer à ma proposition. Nous voulons savoir la vérité ; il y a des affirmations contraires ; il faut les examiner. Je persiste dans ma proposition.

MpLangeµ. - Je prie les membres qui ont des propositions à présenter de les faire par écrit et de les adresser au bureau.

M. E. Vandenpeereboom. - Il y aurait peut-être moyen de mettre tout le monde d'accord : ce serait de dire que la commission s'occupera sans désemparer de l'examen de la pièce qu'il s'agit de lui renvoyer et fera son rapport immédiatement.

- Plusieurs voix. - On est d'accord ! on est d'accord !

MpLangeµ. - Voici la proposition qui est parvenue au bureau.

« Je propose de renvoyer la pétition adressée à la Chambre par le sieur Meulemeester à l'examen de la commission avec prière de faire un rapport séance tenante. (Signé) Rodenbach. »

- Cette proposition est adoptée.

Arrondissement de Bastogne

MpLµ. - Il y a encore d'autres pièces qui sont relatives à l'élection de Bastogne. La Chambre désire sans doute en entendre la lecture ?

- Plusieurs voix : Oui ! oui !

Il est donné lecture de ces deux pièces qui sont ainsi conçues :

« Stavelot, 14 novembre 1865.

« M. le président,

« Dans la réclamation adressée à la Chambre contre la validité de l'élection du représentant de Bastogne, on m'attribue les faits repris sous numéros 9, 10, 11. Je déclare qu'ils sont complètement faux. Je n'ai pas parlé aux femmes Fraiture et Gengoux, pas plus qu'à Meurice Barbette-Foulon. Je ne les connais pas, je ne les ai jamais vues ; je ne suis pas allé dans la commune d'Arbre-Fontaine depuis plus de 10 ans.

« Si les faits qu'on m'impute étaient vrais, ils m'exposeraient à la perte de mes droits de citoyen. J'y tiens, M. le président, et j'ai fait examiner si, à raison de leur fausseté, il n'y a pas délit de calomnie. Dans ce cas, je ferai poursuivre ceux qui s'en sont rendus coupables.

« Je vous prie, M. le président, de bien vouloir donner lecture de ma lettre à la Chambré et agréer l'assurance de mes sentiments distingués.

« Orban-Nicolay.

« Stavelot, le 15 novembre 1865. »

« M. le président,

« Ainsi que ma lettre d'hier vous en manifestât l'intention, j'ai l'honneur de vous informer que j'ai adressé aujourd'hui une plainte en calomnie à charge de J.-M. Gengoux auteur de la lettre à M. Botte, et des sieurs Ed. Hallet, huissier, et Walin, commissaire voyer de canton, signataires de la protestation qui, sous le n°9 de ladite protestation, déclarent que les faits articulés par Gengoux, me sont imputables.

« J'oubliais de mentionner la profession du sieur Gengoux : il est entrepreneur de chemins vicinaux.

« Recevez, M. le président, l'assurance de mon profond respect.

« Orban-Nicolay. »

- La Chambre décide le renvoi de ces pièces à la commission qui a été chargée de la vérification des pouvoirs pour l'arrondissement de Bastogne.

Arrondissements de Bruges et de Dinant

MpLangeµ. - Voici une lettre qui est parvenue au bureau de la part de M. le ministre de la justice :

« M. le président,

« Conformément à la demande contenue dans votre lettre du 12 de ce mois, j'ai l'honneur de vous adresser les dossiers des instructions judiciaires qui ont été faites à l'occasion des élections du 9 juin dernier dans les arrondissements de Bruges et de Dînant.

« Agréez, etc.

« (Signé) Tesch. »

- La Chambre ordonne le renvoi de ces dossiers aux commissions qui ont été chargées de la vérification des pouvoirs de Bruges et de Dinant.

MPLangeµ. - On remet à l'instant même sur le bureau diverses pièces qui ont aussi rapport à l'élection de Bruges. Il va en être donné lecture.

- M. le secrétaire donne lecture de ces pièces.

MpLangeµ. - Les autres pièces sont conçues dans les mêmes termes.

- La Chambre ordonne le renvoi à la commission qui a examiné les pouvoirs de Bruges.

M. Guillery, dont les pouvoirs ont été validés dans une séance précédente, prête serment et est proclamé membre de la Chambre.

- La séance est suspendue à 2 3/4 heures et reprise à 3 1/4 heures.

Arrondissement de Gand

M. Thonissenµ. - Messieurs, la commission chargée de vérifier les pouvoirs de M. de Kerchove de Limon n'avait accueilli qu'avec hésitation une proposition aussi grave que celle d'une enquête parlementaire. Aujourd’hui, qu'une protestation vient contester tout un ordre de faits d’une gravité considérable, la commission, déterminée par l'immense intérêt de constituer le plus tôt possible les pouvoirs réguliers de la Chambre, et sans s'expliquer davantage sur le fond même de la question, croit à l'unanimité, dans un esprit de conciliation, pouvoir ne plus insister sur sa demande primitive et s'en référer à la haute et impartiale sagesse de l'assemblée.

MpLangeµ. - Par une première proposition, votre commission des pouvoirs de Gand avait conclu, par 4 voix contre 2 et une abstention, à ce que certains faits allégués fussent l'objet d'une enquête parlementaire.

Vous venez d'entendre le rapport supplémentaire qui vient de vous être fait au nom de cette même commission. Cette fois, par esprit de conciliation, à l'unanimité, la commission renonce à l'enquête parlementaire que la majorité avait primitivement demandée.

La Chambre est maintenant appelée à se prononcer à cet égard.

M. Julliot. - Je demande la parole pour justifier mon vote.

M. H. de Brouckereµ. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. Julliot. - Je demande si les conclusions de la commission doivent être mises aux voix, oui ou non.

M. H. de Brouckereµ. - Les conclusions de la commission sont l'admission de l'élu de Gand purement et simplement.

Nous ne sommes en ce moment-ci en présence d'aucune demande d'enquête. Par conséquent pour qu'un orateur demande la parole contre l'enquête, il faudrait attendre que quelqu'un demandât l'enquête.

Je le répète, personne ne demande l'enquête dans ce moment-ci.

La commission propose l'admission pure et simple.

M. Julliot. - Je renonce à la parole pour le moment.

- L'admission de M. de Kerchove, comme membre de la Chambre des représentant, est mise aux voix et adoptée.

M. de Kerchore prête serment.

Arrondissement de Bastogne

MpLangeµ. - La parole est au rapporteur de la commission qui s'est occupée de l'élection de Bastogne.

M. De Fré, rapporteur de la commission d'enquête. - Messieurs, la commission, après avoir pris connaissance des deux lettres adressées à la Chambre par M. Orban-Nicolay et datées du 14 et du 15 novembre, déclare, par 4 voix contre 1, maintenir sa décision première, à savoir la proposition d'une enquête parlementaire.

M. Van Hoordeµ. - Les précédents de la séance de jeudi m'autorisant a prendre la parole, je croirais manquer au plus impérieux de mes devoirs, si je ne me levais pas pour protester immédiatement et avec toute l'énergie dont je suis capable, contre la réclamation qui vous a été adressée au sujet de l'élection de Bastogne.

Je dois à l'arrondissement qui m'a envoyé ici, à la province qui m'a adopté, à la grande cause sous la bannière de laquelle je suis fier de marcher, et je vous dois à vous-même, messieurs, qui m'avez vu entrer dans cette Chambre, à vos côtés, la tête haute, de ne pas rester silencieux, malgré l'émotion qui me domine, mais permettez-moi de vous demander votre indulgence.

A en croire les signataires de cette pièce étonnante d'audace et dans laquelle le grotesque et l'odieux se disputent la palme, rien n'est plus vil, rien n'est plus corrupteur et plus corrompu que cette population du Luxembourg que vous vous étiez habitués à considérer comme la plus fière du pays, rien n'est plus naïf, plus simple et plus niais que cette population du Luxembourg que vous avez toujours vue marcher au premier rang dans le champ de l'intelligence. A les en croire, tout est changé. Il m'a suffi de me présenter à elle comme revêtu des attributions de trois ministres, comme réunissant entre mes mains les pouvoirs de M. le ministre de la guerre, de M. le ministre des travaux publics et de M. le ministre des finances. Un tel a été exempté par moi du service militaire ; un autre a reçu l'assurance qu'il serait nomme facteur rural ; à un douanier j'ai formellement promis de lui faire obtenir son déplacement, et l'autorisation de se marier. Et voila pourquoi j'ai été élu !

Un de mes amis politiques a reçu à sa table tous les fermiers de sa commune ; ils y ont bu du vin et fumé des cigares, et voila pourquoi j'ai été nommé ! Tel électeur a voté pour moi, parce qu’il a cru comprendre que je suis le neveu de M. Orban, presque le parent de M. le ministre des finances ! Un second, parce qu'on lui a fait entrevoir la possibilité du mariage de son fils avec une riche héritière, dont le cœur et la dot étaient à ce prix. Un troisième, parce que le curé l'a menacé de ne pas l'enterrer en terre sainte, dans la suite des temps, s'il m'était hostile. Un quatrième, parce que sa femme lui a dit qu'elle le quitterait s'il ne voulait pas m'être favorable. Un cinquième, parce que son doyen lui a tenu ce langage : « Manger le jambon de son adversaire, boire son vin, et puis voter contre lui, c'est faire œuvre méritoire et valant une indulgence. »

Celui-ci a trahi M d'Hoffschmidt, parce qu'il n'avait pas lu ses circulaires électorales, son curé s'introduisant furtivement dans sa demeure, et les enlevant, sans lui laisser le temps de les approfondir. Celui-là, parce que j'ai promis à sa commune, la commune des Tailles, commune de 400 âmes au plus et qui compte jusqu'à cinq électeurs, une somme de 10,000 à 12,000 fr. !

J'en aurais pour une heure, je n'en finirais pas si je devais résumer et réfuter toutes les naïvetés que, sans égard pour votre dignité, on a accumulées dans cette pièce qui restera comme une veine intarissable de gaieté pour les temps sombres. Aussi, je me hâte d'en venir à la partie de ce document qui a paru à deux membres de votre commission présenter un caractère sérieux.

Vous avez entendu déjà le démenti si net et si catégorique de M. Orban. Mettez en présence des lettres que vous écrit cet homme dont le nom est synonyme de loyauté, cet honnête citoyen devant lequel chacun s'incline avec respect dans la contrée qu'il habite ; mettez en présence de sa plainte en calomnie cette affirmation d'un tiers qui rapporte un on dit, et répondez-moi : Pouvez-vous hésiter ? Je suis convaincu qu'aucun de vous ne lui fait cette injure !

Le curé des Tailles a été accusé de faits analogues. L'accusation a été publique, permettez que la défense le soit aussi. Veuillez donc ordonner l'impression de sa lettre ou autorisez-moi à en donner lecture.

« M. Van Hoorde,

« Je m'empresse de vous informer que les faits portés à ma charge relativement aux élections du mois de juin dernier, sont faux et mensongers :

« 1° Je n'ai rien offert au sieur Demerbe, Séraphin, électeur. Je n'ai point vu cet électeur avant les élections. Je ne l'ai donc point menacé, le cas échéant, de refus de sépulture. D'ailleurs, le sieur Demerbe n'a pas encouru cette peine canonique, car il est un homme profondément religieux.

« 2° Je n'ai rien offert au sieur Lemercier, fermier de M. Nagelmakers, puisque je n'ai réclamé de sa part aucun service. Au contraire, je me rappelle avoir fait un acte de prudence et pourtant sans y avoir réfléchi. Le sieur Lemercier est venu chez moi la veille des élections. Il m'a demandé si M. Van Hoorde avait de la fortune, parce que, disait-il, je me trouve dans la gêne. Je voudrais bien acheter des brebis et je n'ai point d'argent. Je voudrais que vous eussiez la bonté de demander à M. Van Hoorde telle somme d'argent (600 fr., si j'ai bonne mémoire), à prêter, en garantie de laquelle somme je lui abandonnerais tel nombre d'actions placées à Bruxelles. - J'ai répondu que je n'en ferais rien.

« Je n'ai rien donné au sieur Désert qui a conduit les électeurs à Bastogne, comme il conste par la déclaration ci-jointe.

« 3° Enfin, tous les électeurs, la commune entière peut déclarer que l'article 16 est un gros mensonge, mais un peu niais.

« On considère tout cela dans le pays comme une simple chicane. L'enquête ne peut tourner qu'à votre avantage et démontrer les niaiseries des dénonciateurs.

« Agréez, M. Van Hoorde, l'assurance de mon dévouement le plus parfait.

« Roussenfeld, desservant.

« (En hâte.) »

« Le soussigné déclare et déclarera sous serment, s'il le faut, que le sieur Roussenfeld, desservant à Les Tables, ne m'a rien promis, rien offert, ni donné quoi que ce soit, pour avoir conduit les électeurs au mois de juin dernier, à Bastogne.

« Léon Désert. »

Un autre prêtre, le supérieur du séminaire de Bastogne, a été appelé aussi à la barre de cette Chambre. Les quatre premiers numéros de la réclamation sont relatifs à des faits de pression dont il se serait rendu coupable. Voici sa réponse. Si vous en preniez connaissance vous seriez frappés de son accent de vérité. (Lisez-la !) Sa rude indignation vous fera sourire peut-être, nuis vous ne pourrez pas vous empêcher d'admirer sa mâle énergie, et de vous dire en vous-mêmes qu'un homme d'un tel caractère est incapable d'avoir commis une telle bassesse !

(page 15) « Bastogne, le 14 novembre 1863.

c Monsieur,

« Au moins ces circonstances étranges et imprévues me procurent l'honneur de vous écrire. J'y vois aussi l'occasion d'étaler aux yeux de mon pays des sentiments de Belge et de supérieur du séminaire de Bastogne.

« Grâce au ciel ! je puis le faire sans confusion, et en défiant les yeux les plus pénétrants :

« Je vous avouerai seulement, monsieur, que je suis toujours péniblement affecté quand je dois relever des erreurs, et je ne le fais jamais sans désirer de tout mon cœur qu'elles soient involontaires. Qu'on le demande à ceux qui me connaissent.

« Il y en a une bien grave dans le premier article que vous me signalez. Non, monsieur ; non, messieurs les représentants du peuple belge, je n'ai point appelé au séminaire de Bastogne, à l'occasion des élections, le sieur Jacqmin Lemaire, d'Houffalize. Non, mille fois non ; je ne l'ai pas menacé de lui renvoyer son fils ; ni dans la supposition exprimée dans cet article, ni dans aucun autre, et ce que je dis de moi je le dis de mes subordonnés. Je me rappelle que ce monsieur est venu voir son fils au séminaire quelques instants avant qu'on procédât aux opérations de l'élection, et au moment où j'allais me rendre moi-même à l'hôtel de ville ; et il me fit le plaisir de me dire qu'il allait voter pour M. Van Hoorde.

« Le contenu de l'article 2 concernant le sieur Bastin-Lemaire, ne m'étonne pas moins, pour autant qu'il est intelligible ; car les derniers mots au sujet de ses deux fils présentent un sens ambigu. J'ai vu plusieurs fois chez moi depuis plusieurs années M. Bastin-Lemaire d'Houffalize, et je l'y ai vu au sujet de ses deux fils ; je ne me souviens pas de l'y avoir jamais appelé, même pour lui parler de ses deux fils ; et je nie formellement et de toutes mes forces de l'y avoir fait venir pour lui parler d'élections.

« Je l'ai peut-être vu le jour même des élections, dans la compagnie du sieur Jacqmin Lemaire, d'après ce que je dis plus haut. Je viens même de demander si ce monsieur Bastin était électeur, tant mon souvenir est obscur relativement à cette qualité dans lui.

« Me voici au troisième article : « Le sieur Maréchal Delperdange etc. Ici au moins, je trouve des lettres dont je puis m'avouer l'auteur ; et puisque je suis obligé de me défendre, je dirai des lettres dont je puis me faire gloire, puisque, outre qu'elles attestent mes sentiments de chrétien et de Belge, elles montrent encore ma sollicitude pour l'établissement que je dirige et pour les élèves qui le fréquentent. Non, messieurs, je ne laisserai jamais la discorde essayer de former des partis dans mon séminaire.

« Non, je ne permettrai jamais que l'on sème ici des sentiments hostiles à la religion et à l'église de Dieu. Et quelle estime auriez-vous pour moi, si je pensais autrement ! Non, et si je n'avais pas eu des apaisements suffisants dans le cas qui s'est présenté, non, l'élève dont il est question n'aurait pu rester chez nous.

« Mais, daignez l'entendre, messieurs, ce sont des séparations qui font saigner mon cœur, et pour l'élève et pour ses parents, et pour moi-même. Aussi voyez, je vous prie, comme je les épargne, quand il est possible, et comme je me hâte de calmer une inquiétude que j'ai dû exciter et de fermer la source des larmes que j'avais dû ouvrir. Publiez, publiez mes lettres, afin que, s'il est possible, toute la terre, au moins toute ma patrie les connaisse. Aussi, ce jeune homme et ses parents, nous nous sommes appliqués, le reste de l'année scolaire, à les prévenir par de bons offices ; et je le ferai encore toutes les fois que je le pourrai. Cependant, le texte de la plainte dit qu'il n'est pas des nôtres. Je ne trouve plus dans cet article troisième que des accusations vagues ; je n'y vois plus de fait à saisir. J'ajoute cependant pour expliquer la suite de mes lettres à M. Maréchal qu'elles ont été nécessaires parce que M. Maréchal, pour cause de santé, ne pouvait sortir.

« Je dis que je ne vois plus que des accusations vagues dans ce qui reste de ce troisième article. En effet, messieurs les représentants, je craindrais de choquer votre bon sens, si je me défendais contre l'accusation d'avoir vu chez moi quelques parents des jeunes gens dont l'éducation m'est confiée. Que diriez-vous, si je devais vous avouer que je n'y en vois jamais ?

« Mais on dira (non pas vous ; mais d’autres moins intelligents que vous) on dira : Vous leur avez parlé d'élections. Beau reproche ! Car supposons-le enfin. Qui ne l'a fait ? Ne l'avez-vous pas fait, vous, messieurs les représentants ? Ne pouvais-je pas le faire aussi, moi surtout qui dois prêcher à temps et à contre-temps ? Mais, si j'en avais l'occasion, je tâcherais vraiment de gagner tous nos adversaires. Et vous, messieurs, ne le feriez-vous pas ? Mais ce que je n'ai pas fait, ce que je ne ferai jamais, c'est de contraindre qui que ce soit.

« Non, messieurs, je n'ai jamais employé, et je n'emploierai jamais un moyen que l’honneur désavoue. Avec la grâce de mon Dieu, j'aimerais mieux mourir que de mentir, quand on me mettrait à la torture.

« Tout ce qui précède répondrait assez à l'accusation formulée dans l'article 4 « Le sieur Raison etc. » Mais voici seulement qui me fait tomber des nues ! Je regarde le sieur Raison, père de nos deux élèves, pour un homme de probité. Cet homme ne peut pas avoir dit que je l'ai « engagé sous peine d'expulsion de son fils à voter pour le candidat Van Hoorde ; » car cela est de toute fausseté ; et jamais je n'y ai seulement songé.

« Je réponds partout pour mes subordonnés comme pour moi-même. Ils ne sont pas capables de blesser l'honneur de notre maison ; et ils n'oseraient le faire.

« Je prie Dieu d'éclairer de ses lumières les représentants de mon pays.

« Agréez, Monsieur le Représentant, mes très humbles hommages.

« Le supérieur du Séminaire de Bastogne, « Chanoine L.-A.-J. Alexandre. »

Cette chaleureuse protestation est confirmée par ceux-là mêmes qui sont cités comme ses témoins à charge.

« Houffalize, le 15 novembre 1863.

« M. le supérieur,

« Je soussigné déclare qu'il est absolument faux que M. Alexandre, supérieur du séminaire de Bastogne, ou quelque autre maître de cette maison d'éducation m'ait menacé qu'on me renverrait mon fils, si je votais au mois de juin dernier pour M. d'Hoffschmidt ou si on apprenait qu'un partisan m'aurait parlé en faveur de celui ci.

« M. Jacqmin-Lemaire. »

« Il est absolument faux que j'ai entendu dire que M. Jacqmin avait été menacé par quelque maître du séminaire de Bastogne, qu'on lui renverrait son fils s'il votait pour M. d'Hoffschmidt au mois de juin passé, ou si seulement on savait qu'un des partisans de M. d'Hoffschmidt lui avait parlé en faveur de celui-ci ; il est également tout à fait faux qu'ont m'ait menacé au séminaire par rapport à mes deux enfants.

« Houffalize, le 15 novembre 1863.

« Bastin Lemaire. »

« Je soussigné Raison (Joseph), de Bastogne, déclare que je n'ai pas été engagé à voter pour le candidat Van Hoorde, le 9 juin de cette année, sous peine d'expulsion de mon fils ou de mes fils du séminaire de Bastogne.

« Bastogne, le 15 novembre 1865.

« Raison Joseph. »

Ce sont encore des témoins à charge qui viennent attester l'innocence des professeurs Sterpin et Picard incriminés au n°8 de la réclamation,

« Je soussigné C.-J. Corroy, de Fay, commune de Noville, canton de Bastogne, province de Luxembourg, déclare que le sieur Sterpin ne m'a jamais parlé, qu'il aimerait mieux aimer marcher sur le Saint-Sacrement que de me voir voter pour d'Hoffschmidt ; il ne m'a pas dit cela, ni rien de pareil.

« Fay, le 16 novembre 1865.

« C.-J. Corroy. »

« Je soussigné, électeur de Mageret, déclare que M. le vicaire Picard ne m'a pas dit, à l'occasion des élections du 9 juin de la présente année 1863 : Si vous votez pour M. d'Hoffschmidt, vos fondations pieuses seront supprimées.

« Magere», 16 novembre 1863.

« Gilles Hari. »

Voilà ce que vous apprennent ceux que vous voudriez faire interroger dans une enquête parlementaire ! Mais elle est faite dans tout ce qui concerne le séminaire !

Ma tâche ne sera pas plus difficile relativement à MM. Dujardin et Bœver lesquels sort mis en cause aux numéros 6, 21 et 22. Ecoutez leurs victimes qui sont désignées comme devant être leurs accusateurs au jour de l'enquête :

« Je soussigné Joseph Geubenne, boulanger à Bastogne, atteste et certifie que nul offre d'avantages pécuniaires ne m'a été faite pour voter en faveur de M. l'avocat Van Hoorde-Faignart, le 9 juin 1861.

« Bastogne, 16 novembre 1863.

« Joseph Geubenne. »

« Je soussigné Massenne, aubergiste à Bastogne, déclare et atteste (page 16) n’avoir reçu de personne aucune offre d'avantages pécuniaires pour me faire voter en faveur de M. Van Hoorde-Faignart, le 9 juin 1863.

« Bastogne, le 16 novembre 1863.

« Massenne »

« Je soussigné Pierre Migeal, aubergiste à Bastogne, déclare que c'est une pure invention qu'on m'ait offert le moindre avantage pécuniaire pour obtenir mon vote en faveur de M. l'avocat Van Hoorde, le neuf juin 1863.

« Bastogne, le 16 novembre 1863.

« Pierre Migeal. »

« Je soussigné, Cariton-Fautré, teinturier, domicilié à Bastogne, atteste et déclare qu'aucune offre d'avantage pécuniaire ne m'a été faite par personne, pour obtenir mon vote en faveur de M. l'avocat Van Hoorde-Faignart, le 9 juin 1863.

« Bastogne, 16 novembre 1863.

« Cariton. »

« Je soussigné, Katté-Schmit, négociant, domicilié à Bastogne, déclare qu'aucune offre d'avantage pécuniaire ne m'a été faite par personne, pour obtenir mon vote en faveur de M. Van Hoorde-Faignart, le 9 juin 1863.

« Bastogne, 16 novembre 1863.

« Katté-Schmit. »

« Nous soussignés, Nicolas Collin, Léopold Soulier et Pierre Migeal, tous trois domiciliés à Bastogne, attestons que le frère de Jean-Baptiste Abinet, de Maranwé (Marvie) a déclaré tant en notre présence qu'en celle du sieur Lepinois, que Victor Boever, qui aurait prétenduement menacé Jean-Baptiste Abinet de le poursuivre en remboursement d'une somme de six cents francs dont il aurait été redevable au père de Victor Boever ; a déclaré, disons-nous, que le sieur Victor Boever n'a pas même trouvé chez lui, à Maranwé (Manie), le sieur Jean Baptiste Abinet avant les dernières élections pour la Chambre.

« Bastogne, le 16 novembre 1863.

« N. Collin et P. Migeal. »

Et voyez ! l'un des signataires de la réclamation a déjà déclaré lui-même devant deux témoins qu'il n'a jamais entendu reprocher à Dujardin et Boever le fait le plus grave de tous ceux qu'elle signale à la charge de ces messieurs.

« Nous soussignés, Nicolas Collin, Léopold Soulier et Pierre Migeal, tous trois domiciliés à Bastogne, attestons que le sieur Lepinois, huissier à Bastogne, et signataire de la réclamation transmise à la Chambre belge des représentants, a déclaré en notre présence qu'Arsène Dujardin et Victor Boever n'ont jamais été signalés par lui comme ayant offert un bénéfice net de quarante francs, indépendamment d'autres profits éventuels, au Sieur Joseph Geuben, boulanger à Bastogne, pour l'engager à voter en faveur de M. Emile Van Hoorde-Faignart, le 9 juin 1863.

« N. Collin, P. Migeal. »

'ai encore différentes lettres, entre autres une déclaration de M. Cawet, d'Houffalize, relativement aux faits cités n°7 et 28. J'en attends une du curé d'Ollomont, de ce curé qu'un calomniateur prudent a accusé d'avoir remis 10 francs à quelqu'un, peut-être comme prix d'un vote. Il vient de m'envoyer un télégramme, m'assurant de la fausseté absolue des articles dans lesquels il est désigné, et m'annonçant que ses explications vont arriver.

Toutes ces lettres n'étaient pas destinées à être rendues publiques, mais vous penserez sans doute comme moi, qu'il est indispensable qu'elles soient imprimées en regard de l'acte d'accusation que vous avez sous les yeux, et comme j'ai le plus grand intérêt à ce que la lumière se fasse, je vous demande instamment que vous ordonniez également la publication des lettres qui étaient annexées à la protestation. Je désire la publicité la plus large et j'ai regretté vivement de voir qu'elles n'avaient pas été imprimées avec le rapport. Car ces lettres qui ont la prétention de prouver beaucoup ne prouvent rien, ou prouvent précisément le contraire de ce que les réclamants voudraient en inférer. J'ai lu et relu dix fois les lettres de M. Alexandre citées au n°3 ; et il m'est impossible d'y découvrir autre chose que l'application d'une peine disciplinaire. Il résulte uniquement de ces lettres que M. le supérieur du séminaire de Bastogne a, en politique, une manière de voir qui diffère essentiellement de celle du cabinet.

Mais où est le mal ? Il n'est pas fonctionnaire public, que je sache ! Dès lors, vous devez reconnaître vous-mêmes qu'il n'a fait qu'user de son droit. Et remarquez que cette manifestation de ses opinions était amenée par la nature même de la faute commise par un de ses élèves. cette autre lettre que Louis Bourgeois a écrite à la demande des signataires de la pièce qui vous est soumise, que dit-elle ? Elle déclare hautement que le doyen ne lui a jamais parlé d'élection ! De grâce, imprimez-les toutes !

J'arrive aux articles qui me désignent nominativement. Je n'ai pas cru nécessaire de les aborder preuves en mains. Il m'a semblé que ma parole d'honnête homme vous suffirait. Or, je vous déclare de la manière le plus formelle que je ne suis pas coupable de ce que mes adversaires me reprochent aux numéros 20, 23 et 25. Jamais je n'ai fait aucune de ces promesses, ni oralement, ni par écrit, ni par des tiers. Bien plus, je n'ai jamais entendu parler du douanier Marbuhan. Je ne le connais pas. Je ne l'ai jamais vu.

Je ne connais pas, et je n'ai jamais vu le fils de l'électeur Massène, et ce n'est que quinze jours après l'élection que j'ai appris sa qualité de candidat facteur.

L'électeur Nicolay de Compogne ne m'a jamais rien demandé ; je n'ai pris aucun engagement envers lui. Je ne l'ai vu qu'une seule fois, pendant quelques instants, au mois de septembre.

Qu'y a-t-il encore ? Quelques faits insignifiants de la fausseté desquels je n'ai pas eu le temps de recevoir la preuve. Vous comprendrez qu'ayant eu connaissance vendredi matin seulement des griefs articulés contre mon élection, je sois dans l'impossibilité de vous apporter dès aujourd'hui les protestations des électeurs qui habitent les endroits les plus reculés d'un arrondissement qui, seul, ne possède pas un kilomètre de chemin de fer

Je le regrette d'autant plus que dans une de ces localités on s'est fait une arme contre moi de mon respect pour les traditions du barreau.

Il m'y a été donné de suivre les exemples que m'ont souvent montrés plusieurs de ceux qui m'écoutent ici, et de mettre en pratique les préceptes que les maîtres m'ont appris pendant trois ans ; voyez le malheur, on me le reproche comme une infamie. J'ai rempli gratuitement l'un des devoirs de ma profession. Voilà mon crime ! Plus de trois semaines après l'élection, j'ai, sans réclamer d'honoraires, obtenu pour un malheureux sans pain et sans asile, pour un pauvre père de famille qu'un incendie venait de ruiner, j'ai obtenu d'une compagnie d'assurance le payement d'une indemnité de 1,700 francs qui, comme ledit la plainte, lui était due pour ce sinistre, mais qui lui était refusée à cause d'une grave irrégularité dans sa police.

Et j'aurais dû réclamer ma part de ces 1,700 francs qui, à l'avenir, devaient former l'unique patrimoine de toute une famille !

Je ne l'ai pas fait, d'où cette conséquence que Sépult m'a donné anticipativement sa voix en payement ! Oh ! si cet article 17 n'avait pas été corrigé, car voyez la plainte, et vous y découvrirez des traces évidentes d'une correction, si mon nom s'y trouvait encore, vous-mêmes, mes adversaires politiques, MM. Orts, Dolez, De Fré, Van Humbeeck, Guillery, vous m'engageriez à punir le téméraire, et vous uniriez vos efforts aux miens pour qu'à l'avenir on n'attaque plus la plus noble de nos prérogatives.

Mais j'ai les mains liées. C'est toujours le même calomniateur prudent que j'ai en face de moi. Mon adversaire est insaisissable. Une dernière remarque, messieurs.

Toutes les élections à Bastogne depuis 1839 jusqu'en 1854 ont donné naissance à de nombreuses réclamations, et toujours elles ont été écartées. Cette année la passion politique y a été plus vivace que jamais. Ce qui le prouve, c'est qu'elle a entraîné les vaincus à protester contre le procès-verbal lui-même. En effet la réclamation du sieur Monaux dont il vous a été donné connaissance dans la première séance, n'a pas eu comme celle-ci les honneurs de l’impression. Votre commission l'a écartée immédiatement comme contredite par les explications authentiques du bureau. Je crois que les renseignements que je viens de vous donner suffisent pour vous convaincre que celle que vous avez sous les yeux est aussi une œuvre de dépit. Ede n'est appuyée d'aucune preuve, elle se contente de jeter l'injure à la face des vainqueurs, aussi j'ai la conviction qu'il n'en restera qu'une honte écrasante pour ses auteurs.

M. Julliot. - Je demande la parole. (Aux voix ! Aux voix !)

M. Bara. - Messieurs, je crois nécessaire de donner les motifs pour lesquels j'appuie la proposition d'enquête, et tout d'abord je dois vous dire que je n'approuve nullement les considérations à l'aide desquelles on est venu vous demander de valider l'élection de Gand. Si j'ai voté la validation de cette élection, c'est parce que j'avais la certitude que la Chambre ne pouvait pas, en présence des allégations et des faits tels qu'ils étaient formulés, voter une enquête et non parce que nous étions animés d'un esprit de conciliation, comme on le dit dans le rapport de la commission.

Je n'admets pas que nous puissions nous concilier sur des droits qui ne nous appartiennent pas.

Les électeurs de Gand avaient le droit de protester contre les vices qui pouvaient entacher l'élection qui a eu lieu dans cet arrondissement ; il ne nous appartient pas ,pour valider l'élection d'un ami, de dire : Nous transigerons sur les droits de ces électeurs.

(page 17) Il n'y a pas la de conciliation possible ; en pareille matière nous n'avons qu'une chose à faire, consulter notre conscience. Si nous avons la conviction que l'élection est entachée de fraude, de corruption ou de tout autre vice, nous devons l'annuler, quand bien même notre décision devrait atteindre un de nos amis. Ceci dit, je passe à 1'électton de Bastogne. (Interruption.)

Vous m'interrompez, mais il ne fallait pas préconiser une doctrine contraire aux vrais principes, contraire au droit public. Il est impossible de transiger sur des droits qui ne sont pas les vôtres. Si vous pensiez que l'élection était entachée de vices, vous deviez faire droit aux réclamations des électeurs gantois et voter contre l'admission ; vous n'aviez pas le droit de transiger.

Vous n'avez pas le droit de faire de la conciliation, car ce n'est pas vous qui êtes électeurs, vous ne pouvez que contrôler les opérations électorales. (Interruption.)

Soyons logiques, messieurs, soyons francs en soutenant nos principes. Eh bien, il y a quelques années, le discours du trône annonce qu'il y a des abus graves qui se passent en matière d'élection, qu'il est utile d'apporter une réforme à ces abus, qu'il faut mettre un terme à cette corruption, à ces manœuvres qui entachent le mandat législatif. On présente une loi sur les fraudes électorales. On la discute en sections ; elle est l'objet des désirs de tout le pays.

La presse de tous côtés nous demande de voter cette loi ; elle nous met en demeure de nous prononcer sur la question des fraudes électorales.

Et qu'arriverait-il ? Des électeurs pénétrés de cette pensée que la Chambre ne demande pas mieux que d'arrêter cette corruption, protestent et viennent signaler au pays des faits d'une gravité incontestée et incontestable, et nous leur répondrions : Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Cette loi que nous avons promise, non seulement vous ne l'aurez pas de suite, mais il y a plus : vous nous signalez des faits graves de corruption ; nous passons l'éponge sur ces faits et nous validerons les élections attaquées. Je vous le demande, messieurs, si nous n'admettions pas une enquête pour Bastogne, qu'aurions-nous à espérer d'une loi sur les fraudes électorales ? Pour que nous restions logiques, elle devrait être la consécration du droit de fraude et de corruption. Elle serait contraire à tous les principes de morale, car elle devrait admettre qu'on peut impunément agir comme on l'a fait à Bastogne, dans le cas où l'enquête viendrait à prouver que les faits dénoncés sont vrais.

Dans ces circonstances, je dis que c'est un devoir, pour la Chambre, d'examiner de près l'articulation de faits signalés dans les documents parlementaires que nous avons sous les yeux.

Il faut voir si ces faits ne sont point de nature à vicier l'élection, s'ils ne sont pas graves, précis, pertinents, s'ils ne sont pas tels que nous ne puissions nous empêcher d'en admettre la preuve.

Avant, messieurs, d'examiner cette enquête, je veux me donner un guide. Ce guide, je ne le prendrai pas parmi mes amis politiques. Je le prendrai sur les bancs de la droite. C'est l'honorable M. Dechamps. Il a parfaitement indiqué quand et comment l'on pouvait et l'on devait admettre l'enquête parlementaire.

L'honorable M. Dechamps s'occupant de l'enquête sur les élections de Louvain disait qu'il avait été reconnu par la jurisprudence parlementaire que les faits, pour pouvoir faire l'objet d'une enquête, devaient être graves, précis et formulés, et que l'on devait apporter à l'appui des preuves ou tout au moins des présomptions graves et formelles.

Il faut donc deux conditions :

D'abord faits graves, précis et formulés, et ensuite, à l'appui de ces faits, des preuves ou tout au moins des présomptions graves et formelles.

Eh bien, messieurs, dans la pétition de Gand il n'y avait pas de faits graves, précis et formels.

- Plusieurs membres à droite. - Si ! si !

M. Bara. - Vous avez eu tort alors de ne pas contester l'élection de Gand.

M. Delaetµ. - Il eut été beaucoup plus simple de demander l'enquête dans l'affaire de Gand.

M. Bara. - Je ferai cette simple observation, c'est que si la commission qui était composée en majorité de membres appartenant à une autre opinion que la mienne, avait cru l'enquête nécessaire et même possible, elle l'aurait demandée.

Je vous démontre précisément en ce moment que les faits de Gand ne sont ni graves, ni précis, ni pertinents et qu'il n'y avait pas de preuves à l'appui, et dès lors je ne pouvais, moi, proposer l'enquête, ainsi que l'aurait voulu le membre qui m'interrompt.

Au contraire, vous me dites, vous, que ces faits étaient graves, précis et pertinents. Je vous réponds ; Il fallait demander l'enquête,

Je dis donc que je prends mes principes chez un guide sur et inattaquable par la droite, l'honorable M. Dechamps.

Dans l'affaire de Gand, et j'y reviens parce que je ne veux pas qu'on vienne prétendre que c'est par faveur que cette élection a été validée, dans l'affaire de Gand il n'y avait pas de faits graves, précis et formulés et il n'y avait aucune preuve apportée à l'appui de ces faits.

Que disait-on ? « L'administration des hospices a exercé une pression.» Quelle pression a été exercée et sur qui a-t-elle été exercée ? Rien d'implicite à cet égard.

A qui a-t-on dit : « Si vous ne votez pas pour M. de Kerchove il vous arrivera telle ou telle chose. » On ne cite personne. II n'y a que des assertions vagues qui rendent toute enquête impossible. La plainte est muette, elle ne contient pas un mot pour nous indiquer les moyens par lesquels on va prouver ces affirmations vagues.

Cite-t-on une élection qui a été influencée ? Cite-t-on une personne qui a posé un fait grave, in fait important, un fait sur la pertinence duquel il ne peut y avoir de doute, à l'égard d'un électeur ? Absolument rien.

Oui ! on parle d'introduction dans les bureaux de personnes étrangères au corps électoral.

Voilà l'unique fait articulé et précisé. Eh bien, vous reconnaîtrez avec toutes les personnes qui ont étudié les usages parlementaires que ce n'est pas là une cause d'annulation d'élections, ni même un motif d'ordonner une enquête.

D'abord si ce fait était vrai, on aurait dû le faire constater dans le bureau et le faire acter au procès-verbal.

S'il se trouvait dans le bureau des personnes non électeurs qui ont pu influencer les élections, il fallait immédiatement protester et faire acter au procès-verbal qu'on avait remarqué dans le bureau des personnes non électeurs.

Le fait articulé tardivement est invraisemblable, et au surplus il n'a aucune portée. Car de quelle manière a-t-on exercé une surveillance ? C'est encore une question importante à résoudre. En effet, le propriétaire qui accompagne ses électeurs au scrutin exerce une surveillance. Le curé qui va avec ses ouailles à l'urne électorale exerce une surveillance.

Et vous viendrez prétendre que c'est pour de pareils faits qu'on doit annuler une élection. Cela n'est pas possible.

Quand M. Verbruggen de Gand a écrit à ses locataires, que les libéraux étaient des voleurs, qu'il ne voulait pas pour locataires des libéraux, probablement qu'il les faisait surveiller, et il exerçait là une pression de propriétaire. Eh bien, vous le savez, l'honorable M. de Theux le reconnaissait en 1859, la pression des propriétaires, quoique blâmable lorsqu'elle dépasse certaines bornes, jamais une loi ne l'empêchera.

Maintenant, quelle était l'importance de cette pression ? Etait-ce pour favoriser certains électeurs. Etait-ce pour qu'un fermier fût choisi aux dépens d'un autre ? Non, nous savons tous que les baux des biens des hospices sont mis aux enchères et qu'il n'est pas possible à un administrateur des hospices de faire avoir ces biens à telle personne plutôt qu'à telle autre.

En conséquence, cette pression qu'on prétendait avoir été exercée par l'administration des hospices, nous pouvons le dire, ce n'était ni plus ni moins qu'une représaille,

Cette réclamation, on ne l'avait pas faite au Sénat lorsqu'il s'est agi de la validation des mandats des trois sénateurs gantois, et la pétition nous est arrivée le 12 novembre lorsqu'on a su que nous protestions contre l'élection de Bruges, contre l'élection de Dinant et contre l'élection de Bastogne.

Elle n'était pas sérieuse, et la minorité a bien fait de la juger comme nous ; elle a bien fait de ne pas affronter un débat qui se serait terminé pour elle par un échec.

Mais, messieurs, de ce que la minorité n'a pas voulu essuyer un échec, est-ce une raison pour nous de manquer à notre devoir et de ne pas mettre un terme à ces abus d'influence, à ces abus de corruption qui sont signalés et dont on a les éléments dans la protestation qui a été envoyée à la Chambre ? Non certainement, la dignité de la Chambre s'y oppose.

L'honorable M. Van Hoorde s'est fait la besogne facile. Il a pris les faits qui ne constituent pas des fraudes électorales, qui ne constituent pas des actes de corruption et il les a étalés les uns à la suite des autres devant les Chambres.

Mais, messieurs, je comprends parfaitement bien qu'on n'ai le pas faire une enquête sur le fait du conseiller provincial qui a changé d'opinion par la promesse d'un mariage avec une riche héritière. Je comprends même jusqu'à un certain point que l'on ne considère pas comme pertinent le fait du supérieur du séminaire de Bastogne qui, d'après la pétition, (page 18) a exercé une grande pression sur les pères des élèves de son séminaire.

Mais, messieurs, de ce que vous ne puissiez pas induire de ces faits qu'il n'y a pas eu de corruption à Bastogne, il en est d'autres qui sont très pertinents, qui sont très graves et sur lesquels l'honorable M. Van Hoorde s'est prudemment tû.

Ainsi, on reproche à M. Orban-Nicolaï d'avoir offert des poignées de pièces de 5 francs. On reproche à un curé, le curé d'Etalle, je crois, d'avoir été trouver des électeurs et de leur avoir dit que s'ils voulaient voter pour M. Van Hoorde, ils obtiendraient notamment un bénéfice de 40 francs au-dessus du bénéfice qu'ils auraient réalisé dans la vente de leurs boissons et de leurs comestibles.

Eh bien, je dis que ce sont là des faits graves et des faits au-dessus desquels nous ne pouvons pas passer, à peine de déclarer qu'il n'y a pas lieu de faire une loi sur les fraudes électorales.

Si vous admettez que des électeurs ont pu protester devant la Chambre contre de pareils fails et que la Chambre a passé à l'ordre du jour en validant l'élection, je dis et je soutiens que ce qui se trouve dans le discours du trône, et que le dépôt de la loi sur les fraudes électorales n'est qu'un leurre, n'est qu'un mensonge, et que nous serions la risée du pays.

Je sais bien qu'il y a en ce moment dans le parti catholique (je ne parle pas des honorables membres de la droite), mais dans certains hommes du parti catholique, une tendance diabolique...(Interruption.) mais dont nous aurons, dont le pays, j'espère, aura raison : c'est celle d'offrir de l'argent pour obtenir des votes. (Nouvelle interruption.)

M. B. Dumortier. - Ah ! ah ! faites une enquête dans tout le pays. On verra où règne cette tendance.

M. Bara. - Attendez un instant, M. Dumortier, je vais vous citer des faits. Quand on s'est occupé la première fois des distributions d'argent, qui était accusé d'avoir offert de l'argent ? Celait, ce me semble, lors de l'élection de Louvain ; et l'enquête de Louvain, qu'est-elle venue constater ? Elle est venue constater l'offre de pièces de cinq francs.

M. B. Dumortier. - Par les deux partis.

M. Beeckman. - Et l'argent des hospices de Diest ?

M. Bara. - Peu m'importe ; si c'est par les deux partis, je serai plus logique que vous. Quand vous viendrez attaquer des élections d'hommes de mon parti où l'on aura offert des pièces de 5 francs, je les annulerai comme celles des hommes de votre parti.

Eh bien, messieurs, c'est là une tendance que nous remarquons et contre laquelle nous devons nous élever.

Que l'on donne des dîners, que l'on transporte les électeurs, sans doute c'est déplorable. Cela constitue de grandes dépenses pour les éligibles. Mais, messieurs, il n'y a pas là une corruption tentée sur les électeurs.

Car les deux partis donnent des banquets et les deux partis transportent les électeurs. Mais quand vous venez offrir des pièces d'argent ; quand vous venez faire miroiter l'argent aux yeux de petits électeurs qui souvent sont dans la gêne et que vous venez leur dire : Si vous votez pour tel candidat, vous aurez cette pièce d'argent, vous avez corrompu l'électeur, vous l'avez avili ; il y a plus, vous l'avez insulté.

Messieurs, c'est pour empêcher de pareils fait, c'est pour protéger les électeurs contre de pareilles tentatives, que je ne veux pas, lorsqu'on vient protester contre de semblables faits, que l'on passe outre et que la Chambre dise : Cela est licite, cela doit être toléré.

Les faits articulés sont précis et formulés. On cite le nom des électeurs auprès desquels on a fait des tentatives de corruption et l'on donne le nom des témoins qui prouveront ces tentatives. On se trouve dans les conditions indiquées par l'honorable M. Dechamps ; et que nous oppose t-on ?

On nous dit : M. Orban a offert des pièces d'argent, le curé d'Etalle a offert de l'argent ! Mais M. Orban proteste ; M. le curé d Etalle proteste. L'honorable M. Van Hoorde vous lit une foule de protestations. Je considère toutes ces personnes comme très honorables. Mais je ne crois pas dire quelque chose qui étonnera en soutenant que je ne puis avoir aucun égard à toutes ces réclamations.

Je ne crois pas que nous ayons, pour prouver un fait, d'autres moyens que ceux qui sont admis par les meilleurs jurisconsultes et par les esprits les plus droits en tout temps et dans tous les pays. Quand un fait est allégué en justice, comment en fait-on la preuve ? Est-ce que c'est une des parties qui va chercher des déclarations et qui les apporte devant le tribunal ? L'enquête est faite contradictoirement ; elle est faite par une autorité complètement indépendante des parties et au-dessus d'elles. Mais jamais on n'a admis que l'on pouvait venir prouver les faits par certificats demandés par les parties ou adressés à elles. Il y a plus, les personnes qui ont délivré des certificats sont suspectes, reprochables, et la justice n'accorde aucune foi à leur dire.

L'honorable M. Dumortier, tout à l'heure, se récriait. Mais je lui demanderai ce que, s'il allait en justice avec de pareils certificats, on lui répondrait ? On lui répondrait que cela n'a aucune valeur, que ce sont des chiffons de papier et il ne trouverait pas un avocat pour discuter un pareil moyen de défense. (Interruption.) Nous n'allons pas faire ici un cours de procédure, mais il est évident pour tout le monde qu'un pareil moyen de défense n'a aucune valeur, et je prétends que pas un jurisconsulte de la Chambre ne soutiendra le contraire... (Interruption). Que pour certaines personnes ces certificats aient une grande valeur, soit ! mais cela n'a pas de valeur pour le pays, quelle que soit l'honorabilité de leurs signataires.

Sans cela, messieurs, vous livreriez les électeurs, vous livreriez le droit de réclamer à la merci de déclarations faites par des personnes plus ou moins honorables. Vous diriez aux électeurs : « Votre protestation n'est rien s'il plaît à celui que vous accusez de vous donner un démenti. » Cela n'est pas admissible et cela ne sera pas admis par la Chambre.

Du reste, messieurs, vous avez remarqué que parmi les déclarations qui vous ont été lues, il en est qui émanent d'un grand nombre de personnes sur lesquelles précisément on a, d'après la protestation, exercé une influence illégitime pour obtenir leur vote. On nous a lu des déclarations de pères dont les fils sont encore au séminaire, et vous voulez que ces personnes se plaignent de la pression exercée sur elles ! Il n'est pas étonnant qu'elles signent des déclarations portant qu'elles n'ont pas été influencées : évidemment si l'on a pu obtenir d'elles qu'elles votassent pour M. Van Hoorde, on a pu obtenir aussi qu'elles signent les certificats qu'on vous a lus.

Il me parait donc évident que la Chambre manquerait à ses précédents si elle n'ordonnait pas une enquête. Elle a ordonné une enquête pour Louvain, et elle a annulé les élections de Louvain parce que de l'argent avait été offert ; elle changerait sa jurisprudence si elle n'admettait pas la preuve de faits qui constituent une tentative de corruption de la même nature que celles signalées lors de l'enquête de Louvain.

En outre, messieurs, je ferai remarquer que le nombre de faits signalées est très grand.

On en cite 30 ; je veux bien qu'on puisse en élaguer une dizaine, mais n'oublions pas qu'il s'agit d'un petit arrondissement, où il n'y avait que 600 électeurs environ. Cet arrondissement a été travaillé à outrance ; quand on consulte tous les faits, on peut dire qu'il y a eu là une lutte désordonnée pour obtenir la majorité, et de combien M. Van Hoorde l'emporte-t-il ? Il a eu 8 voix de plus que la majorité absolue.

Eh bien, messieurs, en présence de toutes ces circonstances, pourriez-vous ne pas ordonner une enquête ?

Pourriez-vous refuser de vous éclairer ? Ce serait dire au pays que la Chambre livre le terrain électoral à tous les abus, à toutes les licences, ce serait encourager les tentatives de fraude et de corruption après avoir proclamé que nous allions les réprimer.

S'il en est ainsi, une loi sur les fraudes électorales est superflue, car la plus scandaleuse de toutes les corruptions, les offres d'argent, celle qui fausse la conscience du pays, dégrade et avilit l'électeur, aura été amnistiée par la représentation nationale.

M. Delaetµ. - Je ne demande pas pardon à la Chambre d'avoir obéi tout à l'heure un peu vivement au cri de ma conscience. Quand je suis venu dans cette enceinte, j'y suis venu sans parti pris entre la droite et la gauche. (Interruption.)

Je vous en donnerai la preuve plus tard. J'y suis venu croyant que la Chambre faisait les affaires du pays et non pas les affaires d'un parti.

Maintenant, messieurs, quant aux conclusions du rapport sur les élections de Gand, il me semble que la commission aurait pu signaler un fait très grave, c'est celui d'une bande de malfaiteurs commandée, dit-on, par un garde particulier de M. de Kerkhove de Limon, qui a parcouru la commune de Knesselaere, en menaçant de mettre les pauvres à sa charge. C'est bien pis que de distribuer quelques pièces de 5 francs, c'est menacer la bourse de tous les habitants.

Eh bien, par esprit de conciliation, la commission n'a pas craint de le dire ; pour que ce soient les principes et non pas les voix qui aient du poids dans la Chambre, nous nous sommes dit : Nous passerons sur ce fait, quelque grave qu'il soit. Eh bien, je ne le regrette pas, je ne le regretterai jamais ; je crois que la Chambre a mieux à faire que de se livrer à des discussions de parti et à de petites discussions de parti. J'admets les grandes discussions, mais je n'admets pas des discussions sur de petits faits.

M. Orts. - Messieurs, j'ai demandé la parole parce qu'il m'a paru qu'en se livrant à une discussion beaucoup plus passionnée que celle ou j'ai l'intention d'entrer, on avait oublié un grief ; ce grief est à mes yeux (page 19) le grief peut-être principal à invoquer contre l'élection de M. Van Hoorde,

Il est coté dans les réclamations sous le n°28. Quoique très grave, il n'entache, je suis heureux de pouvoir le dire, l'honorabilité de personne dans cette assemblée ni au dehors ; ce grief est ainsi formulé :

« 28° Les bulletins de convocation aux électeurs d'Houffalize comme l'attestent M. le commissaire de l'arrondissement de Bastogne et l'administration communale d'Houffalize, ont été distribués tardivement. Leur nombre était insuffisant, eu égard au nombre des électeurs. C'est probablement à ces circonstances qu'il faut attribuer l'absence de plusieurs électeurs de cette commune au scrutin électoral. »

En présence des chiffres obtenus respectivement par les candidats, ce fait, je le répète, m'a singulièrement frappé et pour moi il peut être décisif. Messieurs, l'élection de Bastogne, vous le savez, a été vivement disputée ; le candidat qui a réussi, a obtenu 8 voix de plus que la majorité absolue et la différence entre M. Van Hoorde et le candidat qui n'a pas réussi, n'est que de 18 voix.

J'espérais que la commission, dans l'espace de temps dont elle a pu disposer, aurait pris des renseignements sur les faits signalés par les réclamants ; dans cet ordre d'idées, je n'ai rien vu. Mais je me suis renseigné par moi-même ; j'ai voulu éclairer ma propre conviction et voici un renseignement officiel concernant la commune d'Houffalize.

« Le soussigné échevin de la ville d'Houffalize, déclare avoir reçu, en l'absence de M. le Bourgmestre de cette localité, les lettres de convocation pour l'élection du 9 juin. Ces bulletins de convocation ont été reçus le trois juin et distribués le quatre du même mois vers midi. Trente et un électeurs sur trente-neuf ont reçu des bulletins ; le nombre des bulletins envoyés à l'administration communale n'étant que de trente-deux. »

Le même fait s'est passé également dans quinze autres communes de l'arrondissement.

Vous savez que d'après la loi électorale les convocations doivent être remises aux électeurs par les soins de l'administration communale, huit jours au moins avant le jour de l'élection.

L'élection a eu lieu le 9 juin ; or les bulletins de convocation ont été remis :

A Tillet. le 4 juin ; à Amberloup, le 2 et le 3 ; à Houffalize, le 4 et le 5 ; à Beho, le 2 et le 3 ; à Flamierge, le 1er et le 2 ; à Bihain, le 2 ; à Bovigny, le 1er et le 2 ; à Hompré, le 2 ; à Longchamps, le 2 ; à Longvilly, le 2 ; à Mabompré, le 2 ; à Morhet, le 2 ; à Nives, le2 ; à Petithier, le 2 ; à Tavigny, le 2.

Voilà donc quinze communes dont les électeurs ont été tardivement convoqués. Maintenant il s'agit de constater d'abord les absences, suite de cette irrégularité ; il s'agit de rechercher si, eu égard au petit nombre de suffrages que le candidat élu a obtenus au-delà de la majorité absolue, et à l'écart minime qui le sépare de l'autre candidat, les absences provenant de la tardiveté de la remise des bulletins de convocation ont pu exercer de l'influence sur le résultat de l'élection.

D'après la liste officielle déposée sur le bureau il y avait 627 électeurs inscrits dans l'arrondissement de Bastogne ; 570 électeurs ont pris part au vote ; 57 électeurs ne se sont donc pas présentés.

Or, pour Houffalize, où il y a 59 électeurs inscrits, cinq électeurs n'ont pas pris part au vote. On n'indique pas les chiffres pour les 14 autres communes.

Mais si la proportion indiquée pour Houffalize était la même ailleurs, il est évident qu'au cas où les électeurs absents auraient pris part au scrutin, la majorité obtenue par M. Van Hoorde aurait été plus complète ou n'aurait pas été suffisante.

Il devient donc nécessaire de rechercher, avant de rien décider, si le fait dont il s'agit a pu exercer une influence décisive sur le vote.

Je propose, en conséquence, à la Chambre d'ordonner la production des renseignements qui nous manquent et qu'on joigne au dossier de l'élection de Bastogne la preuve de la date à laquelle les convocations ont été remises dans chacune des communes qui composent l'arrondissement.

M. B. Dumortier. - Messieurs, l'observation de 1 honorable préopinant ne me parait pas de nature a pouvoir être prise en considération et à exercer de l'influence sur votre vote. Déjà bien des fois la question de la tardiveté de la remise des bulletins de convocation a été présentée devant vous, et chaque fois la Chambre n'en a pas tenu compte. Et pourquoi ? Parce qu'il dépendrait d'un bourgmestre de village ou d'un commissaire d'arrondissement d'annuler toutes les élections de la Belgique. Or, est-il possible qu'on annule une élection pour des faits complètement étrangers à l'élu ?

Je le répète, la Chambre a constamment écarté toutes les réclamations de ce genre.

Le motif en est bien simple. Qu'est-ce qui informe l'électeur du jour de l'élection ? C'est la loi, c'est l'arrêté royal, loi et arrêté royal que tout citoyen est censé connaître.

Le bulletin n'est envoyé chez l'électeur que comme complément à la communication de la loi.

D'ailleurs, il n'est pas possible de venir prétendre qu'une élection qui a été si vivement combattue, ait passé inaperçue pour une partie des électeurs ; qu'ils aient ignoré le jour auquel elle devait avoir lieu. Chacun sait, et la Constitution le dit, que le deuxième mardi de juin ont lieu les élections pour les Chambres ; et alors que la Constitution est si claire et si positive, qu'importe que les bulletins de convocation soient ou ne soient pas remis à temps ? Ce qui importe, c'est que vous écartiez, comme vous l'avez fait constamment, des réclamations qui, si elles étaient admises, auraient ce résultat, que ce ne serait pas le corps électoral, mais un bourgmestre de village qui ferait les élections.

M. Orts. - Je ferai remarquer à l'honorable M. B. Dumortier que la thèse que j'ai soutenue a pour elle un précédent, et un précédent tout frais. Si je suis bien renseigné, dans la dernière session, le conseil provincial du Hainaut, à la presque unanimité de ses membres, sans distinction de parti, a annulé les élections de Charleroi par les motifs que je viens d'indiquer.

M. B. Dumortier. - La thèse que j'ai soutenue a pour elle tous les précédents de la Chambre et du Sénat.

M. de Theuxµ. - Messieurs, la Chambre n'a jamais admis la jurisprudence qu'on vient soutenir devant elle aujourd'hui. Voyez, en effet, les conséquences d'un pareil système ! Dans une élection vivement contestée, un bourgmestre ou un commissaire d'arrondissement, favorable à un des candidats dont le succès est incertain, aurait à sa disposition un moyen infaillible de lui ménager une seconde épreuve, une épreuve tout à fait inégale. La loi a fixé au mois de juin les élections générales pour les Chambres, précisément à cause de la longueur du jour, et à cause du temps qui est généralement favorable à cette époque ; le dévouement peut alors engager les électeurs ruraux même les plus éloignés, à se rendre au chef-lieu électoral ; mais si une élection, celle de Bastogne, par exemple, doit se renouveler au mois de décembre, de janvier ou de février lorsque les routes sont généralement impraticables, n'est-il pas vrai pour tout homme consciencieux que le candidat qui a pour lui les électeurs les plus rapprochés du scrutin est assuré du succès ? et que le candidat, au contraire, qui doit faire venir des électeurs de loin, par des chemins impraticables, surtout pour des vieillards et des infirmes, est certain d'échouer, alors surtout que sa majorité n'a été que de quelques voix.

Je crois qu'il suffit de donner ces raisons à une Chambre impartiale et éclairée pour écarter les griefs qu'on articule.

Notez au surplus, messieurs, que nous ne sommes saisis d'aucune réclamation d'électeurs qui auraient été convoqués tardivement. Cela seul devrait suffire pour déterminer la Chambre à valider l'élection de Bastogne.

Je ne crois pas avoir besoin de réfuter le discours de M. Bara qui a invoqué les précédents de la Chambre contre la réalité des faits. La Chambre, messieurs, ne s'est jamais arrêtée à des griefs de cette nature, alors que ces griefs ont reçu un démenti éclatant de la part de témoins qui auraient dû les certifier.

MpLangeµ. - Voici, messieurs, une proposition que M. Orts vient de faire parvenir au bureau :

« Je propose à la Chambre d'ordonner que la date exacte de la remise des convocations aux électeurs de Bastogne sera constatée, soit par la commission de vérification des pouvoirs, soit par le gouvernement, avant qu'il soit statué sur là validité de l'élection de Bastogne. »

- Cette proposition est appuyée.

M. Pirmez. - Il me semble que la proposition qui vient d'être faite devrait être complétée et qu'on devrait indiquer dans un tableau, non seulement la date de la remise des convocations, mais encore, par commune, le nombre des électeurs qui ont pris part au scrutin ; de cette manière nous pourrons apprécier si la tardiveté de la remise des convocations peut avoir exercé de l'influence sur le résultat de l'élection.

M. Orts. - Je me rallie à cette proposition.

MfFOµ. - Il parait qu'on est d'accord pour s'arrêter à cette proposition. (Voix a droite ; Non ! non !) Je le pensais.

M. B. Dumortier. - Pas le moins du monde !

(page 20) MfFOµ. - Dans ce cas, je demande qu'avant de statuer la Chambre s'éclaire ; je demande que la Chambre, conformément à ses habitudes, renvoie l'affaire à sa commission pour qu’elle en obtienne un rapport sur lequel elle puisse statuer. (Interruption.) Qu'avez-vous fait tout à l'heure ?

- Un membre. - Pour Gand ?

MfFOµ. - Précisément. Des pièces ont été produites ; on les a renvoyées à la commission en la priant de faire un rapport immédiat, sur lequel la Chambre a statué.

Quant à l'élection de Bastogne, on a également produit tout à l'heure des pièces qu'on ne peut certainement pas apprécier à une simple audition dans leur rapport avec les faits articulés, et sur lesquelles il ne serait pas même convenable pour le candidat dont l'élection est contestée, qu'on se prononçât sans un examen complet.

Quel inconvénient peut-il y avoir à ce que ces pièces soient renvoyées à la commission ? quel inconvénient y a-t-il à ce que l'on constate les faits signalés à notre attention par les honorables MM. Orts et Pirmez ? La Chambre sera parfaitement libre de statuer demain ou après, dès qu'elle sera fixée sur la valeur des faits contestés. On pourra ainsi se faire une opinion raisonnée sur une question qui paraît présenter certains doutes, celle de savoir dans quel cas et jusqu'à quel point, le défaut de convocation, et la convocation tardive peuvent avoir de l’influence sur une élection. Est-ce que cette influence est absolue et dot s'exercer dans tous les cas ? Est-ce que les précédents qu'on invoque s'appliquent au cas actuel ? Rien de tout cela n'est établi. Il est donc indispensable que la Chambre s'éclaire avant de se prononcer.

M. B. Dumortier. - Si la Chambre veut examiner les documents produits, je n'ai rien à dire. Mais je tiens fortement à ce qu'on n'établisse pas un précédent contraire à tous les précédents que la Chambre a posés jusqu'aujourd'hui.

Faites-y bien attention, messieurs, je pose en fait que si la tardiveté de la remise des bulletins de convocation pouvait être considérée comme un motif d'annulation des élections, il n'est pas un seul d'entre nous dont l'élection n'eût dû être invalidée ; et cette observation est surtout applicable à vous, messieurs, qui êtes les représentants des districts les plus importants.

Pourquoi, messieurs ? Mais parce que partout il y a des retards involontaires, à côté parfois de retards calculés.

Comment d'ailleurs pourrait-on rendre l'élu responsable est victime d'un fait auquel il est complètement étranger et dont la responsabilité incombe tout entière à l'agent du gouvernement ? (Interruption.) Qui est-ce qui distribue les bulletins de convocation ? C'est le commissaire d'arrondissement.

MjTµ. - Non, c'est l'administration communale.

M. B. Dumortier. - C'est le commissaire d'arrondissement par l'intermédiaire de l'administration communale ; et vous venez de l'entendre, dans une commune il y avait 39 bulletins à distribuer et l'administration communale n'en a reçu que 32. C'est donc d'un fait qui incombe tout entier à l'agent du gouvernement que vous voulez punir l'élu et alors précisément que l'élu est en opposition avec le gouvernement. - Eh bien, si la chambre prenait une telle résolution, je dis que ce serait une véritable monstruosité.

Messieurs, veuillez-y réfléchir et gardez-vous de consacrer un tel précédent, parce que, je le répète, avec un tel précédent, je me charge de faire annuler toutes les élections, car il est impossible que dans tous les districts les bulletins soient remis huit jours avant l'élection.

La Constitution, que tout le monde est censé connaître, a fixé les élections au 2ème mardi de juin.

- Des voix. - C'est la loi électorale.

M. B. Dumortier. - Soit, la loi électorale, faite par le Congrès en même temps que la Constitution a décrété, en vertu de la Constitution, que les élections auraient lieu le 2ème mardi de juin. Tout le monde le sait donc et nul n'a besoin de l'apprendre par son bulletin de convocation ; car s'il était permis de prétexter d'ignorance de la loi, ce serait un moyen commode et certain de se justifier des plus grands méfaits.

J'espère donc que la Chambre ne consacrera pas ce précédent qu'on lui demande de poser.

MfFOµ. - J'ai l'honneur de faire remarquer à la Chambre que je n'ai pas demandé qu'elle statuât aujourd'hui sur la question que controverse l'honorable M. Dumortier.

M. Orts. - Ni moi non plus.

MfFOµ. - L'honorable M. Orts non plus. Mais on demande, avant tout, de vérifier les faits.

Il n'est pas certain que ces faits existent, et s'ils existent, il n'est pas démontré non plus que, dans les circonstances où ils se sont produits, ils aient dû exercer une influence décisive sur l'élection. En toute hypothèse, l'absence d'un certain nombre d'électeurs ne doit pas entraîner l'annulation d'un scrutin : mais, dans certaines circonstances, il se pourrait que l'absence de convocations d'électeurs pût être considérée comme ayant vicié l'élection. (Interruption.)

Permettez au moins que les faits soient constatés pour que la Chambre puisse se former une opinion sur la question soulevée. Il ne s'agit pas de s'engager sur la question, mais d'attendre un rapport sur les pièces produites, afin que la Chambre puisse se prononcer en connaissance de cause.

M. de Theuxµ. - Je ne m'oppose pas à ce que les pièces produites par M. Van Hoorde soient renvoyées à la commission, mais je demande que le rapport soit fait à la séance de demain, qu'on décrète l'urgence et qu'il soit discuté avant la composition du bureau.

Je fais la même demande pour les élections de Bruges et de Dinant, si les commissions sont en mesure de faire leur rapport. Tout cela pourrait être vidé demain, et on pourrait ensuite procéder à la composition du bureau.

MfFOµ. - Toutes les pièces nécessaires à l'examen de la question ne pourront pas être remises demain à la commission.

M. de Theuxµ. - Dans la position que prend M. le ministre des finances, je ne puis pas admettre le renvoi à la commission. La Chambre décidera demain si elle veut faire une enquête administrative. La Chambre ne s'est pas prononcée à cet égard. Elle ne délègue pas à la commission de pouvoirs pour instruire. Il s'agit ici d'une question grave de sa nature : le retard apporté à l'admission des députés élus.

Ce retard ne peut avoir lieu que pour des motifs très graves. Je demande que cette question soit réservée, si la Chambre trouve des motifs suffisants pour ordonner une instruction. Moi je ne pense pas que la Chambre doive se prononcer à cet égard aujourd'hui. Je demande le renvoi à demain, la commission pourra faite son rapport sur les pièces produites par M. Van Hoorde.

M. Coomans. - Je ne puis adhérer à la motion de MM. Orts et Frère ; parce que l'examen du fait que ces honorables membres énoncent est superflu ; c'est un fait ancien et qui s'est produit presque partout, il est à ma connaissance que dans plusieurs arrondissements, et notamment dans l'arrondissement de Bruxelles, les électeurs de plusieurs communes n'ont reçu leur bulletin de convocation que six, cinq et même trois jours avant l'élection.

Voulez-vous mesurer à la même aune toutes les élections ? Je le veux bien, je suis prêt à toutes les recherches ; voulez-vous poser la question sur le terrain très délicat des dépenses électorales ? J'y consens, mais que la même aune soit admise pour tous. Rien n'est odieux et attentatoire à la liberté comme l'arbitraire et l'emploi de deux poids et deux mesures.

La justice distributive, voilà la question à examiner, au préalable. Si la remise des bulletins s'est tardivement accomplie, pouvez-vous décemment, après avoir approuvé dans les autres élections cette prétendue illégalité, pouvez-vous vous y arrêter dans celle-ci ?

Tous ces griefs ridicules péniblement accumulés contre l'élection de Bastogne ont été si bien réfutés par l'honorable M. Van Hoorde, qu'on a grande envie de les abandonner et qu'on paraît éprouver le besoin d'en découvrir un autre quelconque. Cet autre est trouvé, semble-t-il ; mais qu'on me permette de le dire, il l'est encore plus, oui, beaucoup plus que les premiers.

Messieurs, n'y insistons pas, pour notre dignité à tous.

MfFOµ. - La question alors se représentera demain et vous n'aurez rien fait.

Que dit M. de Theux ? Je ne m'oppose pas au renvoi de l'affaire à la commission ; quant à la question de savoir s'il faut constater l'exactitude des faits de convocation tardive, la Chambre se prononcera demain sans autre retard.

Eh bien, il me semble que la Chambre peut parfaitement se prononcer aujourd'hui sur une pareille question.

M. de Naeyer. - On aura eu le temps de consulter les précédents.

MfFOµ. - Ne faut-il pas, au préalable constater les faits ? (Interruption.) Il vous convient de ne pas constater les faits, soit, mais mon opinion est contraire à la vôtre, et c'est pour l'exprimer que je parle.

M. Van Overloopµ. - C'est ici une question de précédents.

MfFOµ. - Non, ce n'est pas une question de précédents, car on ne peut pas dire, d'une manière générale, absolue, que, dans tous les cas où des bulletins de convocation (page 21) auront été remis tardivement, l'élection sera annulée, ni qu'elle sera validée toujours et en toute circonstance, malgré la remise tardive des convocations. On ne peut évidemment pas dire une pareille absurdité. Mais on peut dire que, dans certaines circonstances, si l'absence de convocations ou la remise tardive des convocations concorde avec l'absence d'un grand nombre d'électeurs, et que l'on puisse présumer que l'un ou l'autre de ces faits ait exercé, une influence décisive sur l'élection, elle doit être annulée. Je prie la Chambre de remarquer que je ne me prononce pas sur la question qui nous est soumise ; je n'entends pas émettre, dès à présent, un principe absolu sur cette question, qui me paraît devoir être examinée.

Quelle est la circonstance dont vous a entretenus M. Orts ? L'honorable membre a fait ressortir que cinquante-sept électeurs n'ont pas pris part au scrutin, et qu'il eût suffi d'un déplacement de neuf voix pour que M. Van Hoorde ne fût pas élu. Voilà la circonstance signalée par M. Orts ; mais il en est une autre, qui est plus grave : non seulement des électeurs n'ont été convoqués que tardivement, mais il en est un certain nombre qui n'ont pas été convoqués du tout. Je le répète, je ne me prononce point sur cette question, je n'émets pas d'opinion sur l'influence que les faits signalés peuvent avoir eue sur le résultat de l'élection ; mon opinion n'est pas arrêtée encore à cet égard ; mais je dis qu'il est impossible de ne pas chercher à s'éclairer sur le point de savoir si, réellement, les convocations ont été remises tardivement, s'il est vrai que plusieurs électeurs n'ont pas même reçu de convocation, et, pour le cas où l'exactitude de ces faits serait démontrée, s'ils ont pu exercer quelque influence sur l'élection contestée. Je persiste à dire qu'il est impossible que la Chambre refuse de s'éclairer sur ces différentes questions.

M. de Theuxµ. - L'honorable ministre des finances croit trouver une circonstance grave dans la convocation tardive des électeurs de l'arrondissement de Bastogne. Je dis que cette circonstance grave n'existe pas. En effet, il y a bien peu de districts où la présence des électeurs ait été aussi complète qu'à Bastogne, ce serait un motif pour passer outre à la validation de l'élection. Cinquante-sept électeurs seulement ont fait défaut ; si vous tenez compte des vieillards, des malades, des infirmes, des gens empêchés par leurs affaires, vous trouverez que c'est bien peu. Une observation qui rend inutile la motion de M. Orts, c'est qu'aux termes de la loi électorale, tout électeur inscrit sur la liste, alors même qu'il n'a pas son bulletin de convocation ou qu'il ne l'apporte pas au collège, doit être pris sur sa demande par le président du bureau.

Or, messieurs, supposons que des amis de l'honorable M. d'Hoffschmidt, électeurs, n'aient pas reçu de bulletin ou ne l'aient reçu que tardivement. Croyez-vous que M. d'Hoffschmidt et ses partisans, le commissaire d'arrondissement, la plupart des bourgmestres qui cherchent à plaire au gouvernement et d'autres électeurs très influents, entre autres l'association libérale de Bastogne, n'auraient pas eu soin de visiter les électeurs de porte en porte, et de dire à ceux qui auraient déclaré ne pas avoir reçu de bulletin : Venez toujours, nous vous ferons entrer. C'est votre droit.

C'est là un raisonnement qui saute tellement aux yeux de tout homme impartial et de bon sons, que je ne conçois pas qu'une Chambre des représentants puisse s'arrêter devant un pareil grief.

M. Pirmez. - Messieurs, comme l'honorable M. Orts et l'honorable ministre des finances, j'avoue que je n'ai aucune espèce d'opinion sur la décision à prendre. On est d'accord pour remettre à demain la discussion quant au principe.

L'honorable M. de Naeyer le demandait tantôt : l'honorable de Theux le demande également.

Il me paraît que pour que cette discussion marche le plus vite possible, et c'est là, ce me semble, le désir de l'honorable M. de Theux, il faut avoir, dès le principe, tous les éléments nécessaires pour statuer en connaissance de cause.

C'est pourquoi je demande que la commission se réunisse demain, qu'elle examine les faits et qu'elle nous fasse un rapport demain.

La proposition que je fais a pour but de gagner du temps, de n'avoir qu'un seul débat au lieu de deux ou trois. La voici :

« Je propose à la Chambre de renvoyer les pièces à la commission pour qu'il soit fait un rapport supplémentaire et qu'il soit dressé un tableau constatant la date à laquelle les convocations ont été, dans chaque commune, remises aux électeurs, et le nombre d'électeurs qui ont, dans chaque commune, pris part au scrutin. »

Je répète, en terminant, que cette proposition ne préjuge rien ; je tiens beaucoup à conserver toute la liberté de mon vote.

MpLangeµ. - Voici la proposition de M. Pirmez :

- M. le présidant lit cette proposition.

M. Bara. - M. Bara. — Messieurs, je considère le fait cité par l'honorable M. Orts comme ayant une certaine gravité, je l'avoue, mais je crois que la proposition faite par l'honorable M. Pirmez est inadmissible.

Il est impossible que la commission vous présente un rapport dans l'état actuel de la question.

Elle pourra bien vous donner son opinion sur la question posée par M. Orts, mais vous n'aurez pas, demain, tous les éclaircissements voulus pour savoir si un certain nombre d'électeurs ont manqué par suite du retard apporté dans la remise des bulletins de convocation. Pour cela il faut évidemment une enquête. Il faut interroger les électeurs. On dit que 57 électeurs ont manqué. Eh bien, c'est très peu. Je suppose que 7 ou 8 électeurs aient manqué dans quelques communes. Annulera-t-on l'élection pour cela ?

- Une voix. - Nous n'en savons rien.

M. Bara. - Mais si, l'honorable ministre des finances disait tout à l'heure répondant à l'honorable M. Van Overloop : On ne peut, en thèse générale, soutenir qu'une élection doit être annulée parce que les convocations n'ont pas été remises en temps, mais on ne peut pas non plus soutenir le contraire. Il faudrait démontrer que ce défaut de convocation a été cause de l'absence des électeurs.

Cela est très conforme aux principes, maïs je prétends que les renseignements que vous recevrez de l'administration ne vous satisferont pas complètement et que vous serez obligés de faire une enquête pour savoir si réellement le petit nombre d'électeurs qui n'ont pas été voter ont été influencés par la remise tardive de leur bulletin ou par le défaut de remise de convocation. Cette enquête devrait donc se poursuivre en même temps que l'autre enquête.

Toutefois, s'il était possible d'avoir tous les renseignements demain, il n'y aurait aucun inconvénient à accueillir la proposition. M. le ministre de l'intérieur pourrait nous renseigner à cet égard.

M. Wasseige. - Je ne puis admettre la proposition de MM. Orts et Pirmez, parce que ce serait préjuger en principe une résolution que mes honorables amis et moi ne pouvons admettre ; ce serait dire que si les faits allégués dans la plainte de certains habitants de Bastogne étaient établis, à savoir que si la convocation des électeurs à Houffalize s'était faite tardivement et que quelques-uns d'entre eux n'eussent pas reçu leurs lettres de convocation, cela pourrait suffire pour faire annuler l'élection de Bastogne ; eh bien, voilà précisément ce qu'il m'est impossible d'admettre ; or, si la proposition de mes honorables collègues n'a. pas cette signification, elle n'en a aucune.

M. Pirmez. - J'ai déclaré que c'est sans rien préjuger.

M. Wasseige. - Soyons francs, il ne peut en être autrement. Vous remarquerez qu'il n'y a qu'un seul fait cité dans la plainte, celui d'Houffalize, les autres sont d'origine anonyme, l'honorable M. Orts ne peut que les poser sans les garantir ; or, je vous le demande, l'élection a été vivement débattue, chacun en convient et 57 électeurs seulement sur 627 ont manqué au scrutin ; ce nombre est très minime, si on le compare à ce qui s'est passé dans tous les autres arrondissements, même dans ceux où la lutte a été la plus vive, et il est impossible de prétendre que les irrégularités que l'on signale aient influé le moins du monde sur l'absence de ces électeurs et par conséquent sur le résultat de l'élection.

Pour ceux donc qui pensent comme moi, le renvoi de la proposition des honorables MM. Orts et Pirmez est inutile ; ils peuvent dès maintenant le repousser en votant contre ; ceux qui seront d'un avis contraire voteront pour, et je demande l'appel nominal, cela sera plus vite fait et cela sera surtout plus sincère.

M. B. Dumortier. - Je désire ajouter une seule observation à celle qu'a présentée mon honorable ami M. Coomans.

Voyez comme ces doctrines sont dangereuses. L'honorable M. Coomans disait qu'il était à sa connaissance que, lors des dernières élections, des communes du district de Bruxelles n'ont été convoquées que 4 ou 5 jours avant l'élection.

Eh bien, messieurs, combien d'électeurs ont manqué à Bruxelles ! Il en a manqué 3,000. Si donc vous admettiez cette maxime, pas un seul des députés de Bruxelles ne devrait être considéré comme élu, parce qu'en définitive on peut venir dire que si ces 3,000 électeurs avaient voté, le résultat eût été tout différent. Je vous laisse à juger quelle est la valeur de pareils arguments.

- La discussion est close.

MpLangeµ. - Deux propositions ont été faites. Pour l'une, je pense qu'il n'y a pas d'opposition de la part de la Chambre, c'est de renvoyer à la commission les pièces qui ont été produites par M. Van Hoorde, Si personne ne réclame, je déclare cette proposition adoptée,

La seconde proposition est celle de M. Orts, complétée par M. Pirmez. Je mets cette proposition aux voix.

- Plusieurs membres. - L'appel nominal !

II est procédé au vote par appel nominal sur cette proposition qui est adoptée par 58 voix contre 52.

Ont voté pour la proposition : MM. Pirmez, Pirson, Prévinaire, Rogier, Sabatier, Tesch, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Volxem, Allard, Ansiau, Bara, Bouvier, Braconier, Carlier, Crombez, Cumont, David, de Baillet-Latour, de Bronckart, de Brouckere, de Florisone, De Fré, de Kerchove, De Lexhy, de Macar, de Moor, de Paul, de Renesse, de Ridder, de Ronge, de Vrière, Dolez, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, G. Lebeau, J. Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lesoinne, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Orban, Orts et Lange.

Ont voté contre la proposition : MM. Rodenbach, Royer de Behr, Schollaert, Snoy, Soenens, Tack, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Overloop, Van Renynghe, Beeckman, Verwilghen, Wasseige, Coomans, Coppens, Debaets, Dechamps, de Conninck, de Decker,, de Haerne, Delaet, Delcour, de Liedekerke, de Mérode, de Montpellier, de Muelenaere, de Naeyer, de Ruddere de Te Lokeren, Desmet, de Terbecq, de Theux, d'Hane-Steenhuyse, Dubois, B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel, Faignart, Hayez, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Le Bailly de Tilleghem, Magherman, Moncheur et Nothomb.

.M. Dechamps. - Je voudrais savoir quels pouvoirs nous venons de donner à la commission. La commission est-elle chargée de faire un rapport sur les pièces qu'elle possède ? Alors elle peut faire ce rapport demain. Ou avons-nous donné à la commission le pouvoir de faire une enquête administrative ? (Non ! non !)

MfFOµ. - Une enquête administrative sur quoi ?

.M. Dechamps. - Est-ce que la commission à le droit dé s'adresser aux bourgmestres, aux commissaires d'arrondissement, au gouvernement lui-même pour obtenir les pièces dont on a parlé ? Evidemment ce serait là une véritable enquête administrative. Je ne crois pas qu'il ait été dans l'intention de la Chambre de donner ce pouvoir à la commission et je pense que celle-ci est uniquement chargée de nous faire un rapport sur les pièces qu'elle a entre les mains.

Je demande donc que ce rapport soit déposé demain.

- La séance est levée à cinq heures.