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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 20 mai 1863

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1862-1863)

(page 997) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Moor, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Boe, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Liétard demande l'abolition des règlements relatifs au mariage des employés de la douane. »

M. Coomans. - Je propose le renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport. La question est assez intéressante.

- Cette proposition est adoptée.


« Le conseil communal de Beveren demande que le chemin de fer projeté de Courtrai à Denderleeuw se joigne à la voie de l'Etat dans la station d'Harlebeke. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la concession de chemins de fer.


« Des habitants de Gilly, Châtelineau, Ransart et Lodelinsart prient la Chambre d'autoriser la concession d'un chemin de fer de Châtelineau à Bruxelles, par Gilly, Ransart, Gosselies, Waterloo. »

- Même décision.

« Le conseil communal d'Anvers prie la Chambre de rejeter le projet de loi relatif aux servitudes militaires et à la citadelle du Nord. »

M. Coomans. - Je n'ai pas entendu quelles sont les conclusions proposées sur cette pétition.

M. le président. - Le bureau propose le dépôt de la pétition sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.

M. Coomans. - Le bureau propose que la pétition du conseil communal d'Anvers soit déposée sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les servitudes militaires. Cette conclusion ne me semble pas suffisante.

- Un membre. - Oh !

M. Coomans. - Je n'ai pas encore parlé et vous dites déjà : oh ! Laissez-moi donc continuer, ne fût-ce que pour justifier votre oh !

Je dis que cette conclusion ne me semble pas suffisante et que le dépôt sur le bureau, nous le savons tous, équivaut à peu près au renvoi au bureau des renseignements, c'est-à-dire que les documents que nous déposons sur le bureau y restent déposés et ne sont lus que par de rares amateurs.

Il me semble qu'il importe que la Chambre tout entière connaisse l'opinion de la ville d'Anvers, du conseil communal d'Anvers sur le projet de loi important déposé l'autre jour par le ministère et tendant, dit-on, à donner satisfaction à la population d'Anvers.

Or, je viens de prendre sommairement lecture de la pétition. Elle me paraît fortement raisonnée ; dans tous les cas, elle est très importante, puisqu'elle demande à la Chambre de vouloir bien rejeter le projet de loi sur les servitudes et la citadelle du nord d'Anvers.

Je propose en conséquence, le renvoi de cette pétition à la section centrale chargée de l'examen du projet de loi avec prière d'en faire l'objet d'un rapport. C'est ce qui a été demandé et accordé mille fois, et il me semble qu'il n'y avait pas lieu de m'interrompre par des oh ! au commencement de mon discours.

M. le président. - Le bureau proposait le dépôt sur le bureau, parce que la section centrale a entendu la lecture du rapport et que l'on pourrait supposer qu'elle a terminé son travail.

M. Moreau. - Je voulais faire observer aussi que la section centrale a terminé son travail, que le rapporteur a donné lecture de son rapport, que ce rapport a été approuvé et qu'il va être déposé.

M. Coomans. - Je vois avec plaisir que la section centrale a déjà terminé son rapport sur l'important projet de loi des servitudes ; ce qui prouve que lorsque les sections centrales y mettent de la bonne volonté, elles font rapidement de la bonne besogne et que nous n'avons pas eu tort de nous plaindre plusieurs fois de voir des sections centrales s'occuper ou ne pas s'occuper pendant des mois entiers, des projets de loi qui leur ont été renvoyés.

M. E. Vandenpeereboom. - Quelles sont ces sections centrales ?

M. Coomans.- J'espère que ce compliment sera accepté par la section centrale et qu'elle voudra bien aussi se livrer au léger travail supplémentaire que j'ai l'honneur de lui demander, et qui est un rapport sur le document le plus important dont elle puisse être saisie à ce sujet. (Interruption.)

Messieurs, ce serait faire injure au conseil communal d'Anvers que de ne pas daigner examiner sa pétition. Vous devez lui faire l'honneur d'examiner au moins sa pétition. Vous en ferez après ce que vous voudrez. Un dépôt sur lu bureau n'est pas un examen ; il faut un rapport, soit de la section centrale, soit de la commission des pétitions.

Je ferai remarquer que les sections centrales ont fait quelquefois cinq, six et dix rapports. Je puis me citer comme exemple ; je crois avoir fait dix rapports sur la garde civique, et vous n'avez pas encore été contents. Je ne vous en demande que deux sur le projet relatif aux servitudes.

M. le président. - Je regrette que M. Coomans ait saisi cette occasion pour diriger des critiques vagues et imméritées contre le travail des sections centrales.

Ni mes honorables collègues de la présidence ni moi, nous ne pouvons accepter ces reproches en ce qui concerne les sections que nous avons été appelés à présider.

Les sections centrales doivent souvent apporter une lenteur inévitable dans leurs travaux, soit parce qu'elles attendent des documents, soit parce qu'elles ont à en faire l'étude, soit parce qu'il y a cumul de travaux importants. Les sections centrales ont toujours eu à cœur de montrer du zèle et de l'activité.

M. Van Humbeeck. - Je remercie l'honorable M. Coomans du compliment qu'il a bien voulu adresser à la section centrale du projet de loi sur les servitudes militaires ; je dois d'autant plus l'en remercier que cette section centrale m'a honoré des fonctions de rapporteur. Mais je demanderai à l'honorable M. Coomans, quelle est la portée exacte de sa proposition. Entend-il que la rédaction du rapport sur la pétition doive faire différer le dépôt du rapport sur le projet de loi ?

Je ne crois pas que ce soit là sa pensée. Or, si le rapport doit être déposé immédiatement, les conclusions ne seront pas modifiées par suite de l'examen de la pétition.

Si maintenant l'on prétend combattre les conclusions du rapport, si l'on prétend que la pétition apporte des arguments nouveaux contre ces conclusions, ceux qui seront disposés à soutenir cette thèse pourront consulter la pétition déposée sur le bureau et en tirer tout le parti possible ; elle sera ainsi mûrement examinée dans la discussion.

Le travail que M. Coomans demande me paraît surabondant. Cependant, si la Chambre le juge utile, je n'ai pas besoin de dire que ni la section centrale, ni le rapporteur ne s'y opposent.

M. B. Dumortier. - La proposition de mon honorable ami M. Coomans est excessivement rationnelle. De quoi s'agit-il ? Il s'agit, d'un projet de loi relatif aux servitudes dans les fortifications d'Anvers. Or quand il s'agit d'un tel projet de loi, il est juste d'entendre la voix des intéressés, la voix de l'autorité qui représente les intéressés. Il ne suffit pas que la pétition soit déposée sur le bureau, il faut que la Chambre entière en ait connaissance, afin de voir si elle ne contient pas des choses qui soient de nature à modifier nos opinions.

Je demande donc qu'un rapport soit fait sur la pétition, soit par la section centrale, soit par la commission des pétitions. Peut-être ce dernier moyen serait-il le plus simple ; la commission des pétitions pourrait faire un prompt rapport.

(page 998) La voix des intéressés doit être entendue dans un objet d'une telle importance.

Si mon honorable ami le veut bien, je modifierai la proposition et je demanderai que la requête soit renvoyée à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.

Cela n'occasionnera d'ailleurs aucun retard puisque nous avons la loi des travaux publics et plusieurs autres objets.

M. Coomans. - Messieurs, l'honorable M. Van Humbeeck qui, je l'apprends avec plaisir, est nommé rapporteur de la section centrale du projet de loi sur les servitudes militaires, me demande si mon intention est de faire ajourner la discussion de ce projet ; je réponds franchement : non. La question des servitudes militaires n'a été que trop ajournée.

Le rapport n'est pas encore déposé.

La section centrale agira comme elle le jugera convenable. Si elle se croit assez éclairée, elle passera outre ; elle déposera son rapport aujourd'hui, par exemple, et elle nous donnera ensuite le rapport supplémentaire demandé. Si, au contraire, elle juge que les observations d'un conseil communal grave et considérable comme celui d'Anvers, ne soit pas indigne de dix minutes d'attention, avant de prendre une résolution définitive, elle examinera la pétition et elle verra si elle doit modifier ses conclusions. Elle agira, je le répète, comme elle le jugera le plus utile

Vous voyez que je tâche de simplifier ma demande, afin qu'elle puisse être accueillie par l'unanimité de cette Chambre.

Je ferai, du reste, observer à l'honorable rapporteur et à l'assemblée qu'alors même que le rapport sur les servitudes serait déposé aujourd'hui, nous ne pourrions pas le discuter demain, du moins selon l'avis de ceux qui invoquent l'exécution du règlement, attendu qu'il faut au moins deux jours d'intervalle entre le dépôt d'un rapport et l'examen d'un projet de loi.

En conséquence, la section centrale aura tout le loisir de se réunir, soit aujourd'hui, soit demain, soit après-demain, afin de préparer le rapport supplémentaire que je demande.

Maintenant, mon honorable ami, M. B. Dumortier, propose, pour ainsi dire, le renvoi à la commission des pétitions du document anversois, avec prière de faire un prompt rapport.

J'ai déjà déclaré à la Chambre que cela m'était complètement indifférent ; en effet, je l'avoue franchement : je n'ai qu'un but, celui de faire connaître à la Chambre une pétition longuement et fortement raisonnée, émanée du conseil communal de la seconde ville du royaume.

Je maintiens donc ma conclusion, qui est la demande d'un rapport supplémentaire sur la pétition dont il s'agit.

Un mot encore comme fait personnel, en quelque sorte, en réponse à l'observation, d'ailleurs bienveillante, de M. le président : il a cru devoir défendre toutes les sections centrales contre la plainte que j'ai exprimée relativement au retard apporté par certaines sections centrales à l'examen de projets de loi.

Je pourrais très amplement justifier ma plainte en thèse générale. Je ne prendrai qu'un exemple : le projet de loi sur la milice est resté dans les antichambres de la Chambre pendant plusieurs mois, alors qu'on trouve moyen d'en exhumer immédiatement tous les projets de loi auxquels on s'intéresse sérieusement.

M. E. Vandenpeereboom. - Je demande la parole.

M. Coomans. - Maintenant, est-ce à dire, d'après l'émotion que je parais causer à l'honorable M. E. Vandenpeereboom, président de cette section centrale, que j'accuse la section centrale d'avoir ajourné indéfiniment la rédaction du rapport ? Eh non ! je tiens la section centrale pour assez innocente de ce retard, je crois que c'est la faute, non seulement au gouvernement, mais un peu à nous tous qui n'avons pas insisté assez pour faire cesser enfin la plus criante et la plus odieuse des injustices qui aient jamais pesé sur la nation belge. Voilà mon opinion. (Interruption.)

Comment ! lorsque je proposais naguère, en temps utile, avant mon départ forcé pour l'étranger...

- Des membres. - A la question !

M. Coomans. - Je tâche de justifier ce que je viens de dire. Lorsque je proposais naguère, il y a trois mois, en temps utile, avant mon départ forcé pour l'étranger, de distraire du projet de loi une excellente disposition qui s'y trouve, la seule bonne, hélas ! celle qui permet enfin aux miliciens de la campagne de profiter du privilège de la substitution, on s'y est refusé...

- Des membres. - Ce n'est pas la question !

M. Coomans. - Je le sais ; cette question n'est pas à l'ordre du jour ; mais comme, je m'en préoccupe sans cesse, comme elle est continuellement à l’ordre du jour de ma conscience, je la pose chaque fois que l'occasion s'en présente, et je crois remplir ainsi un strict devoir.

M. E. Vandenpeereboom. - C'est à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la milice que l'honorable M. Coomans a particulièrement adressé un reproche.

M. Coomans. - A tout le monde.

M. E. Vandenpeereboom. - Oui ; mais surtout à celle-là, puisque vous l'avez citée. Eh bien, je n'ai qu'une courte réponse à faire à l'honorable M. Coomans ; c'est que si le lendemain de la présentation de cette loi, la section centrale avait pu l'adopter et présenter son rapport, cette loi n'eût pas été applicable cette année, puisque les opérations de la milice étaient déjà terminées.

Il en eût été de même de la disposition spéciale que l'honorable M. Coomans eût voulu voir distraire du projet de loi.

Mais, quant au retard lui-même, je prétends que je n'ai jamais à présider une section centrale, que je ne la réunisse tout au plus tard dans les huit jours et quelquefois même dans les deux jours ; et, pour celle-ci, je me borne à prier l'honorable M. Coomans de vouloir bien s'enquérir auprès de l'honorable M. Kervyn de Lettenhove des causes du retard dont il se plaint. J'espère que ce collègue voudra bien dire qu'il n'y a pas de ma faute.

M. Guillery. - Il n'y a de la faute de personne.

M. E. Vandenpeereboom. - L'honorable M. Coomans reconnaît que ce n'est pas de notre faute, mais de la faute de tout le monde. Eh bien, puisqu'il est compris dans cette expression, je lui donne le conseil de se frapper la poitrine et de nous laisser tranquilles. (Interruption.)

M. de Boe. - Pour revenir à la pétition, je demanderai qu'elle soit renvoyée à la section centrale qui a examiné le projet de loi sur les servitudes militaires. L'honorable M. Van Humbeeck a déjà fait un rapport sur cette question, il a pris part à la plupart des discussions qui ont eu lieu dans cette enceinte sur la question anversoise ; il est donc particulièrement en mesure de nous faire un prompt rapport sur cette pétition. Il est bon que cette pétition soit l'objet d'une analyse un peu plus étendue que celle qui nous a été faite tout à l'heure.

M. Coomans. - Je n'ai pas demandé autre chose.

M. le président. - Nous sommes donc d'accord sur le renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur les servitudes militaires.


« Par message du 19 mai, le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté le budget du ministère de la justice pour l'exercice 1863. »

- Pris pour information.


« M. de Brouckere, retenu par une indisposition, demande un congé.é

- Accordé.

Projet de loi fixant les limites de l'esplanade de la citadelle du Nord à Anvers et modifiant les dispositions légales sur les servitudes militaires autour des forteresses

Rapport de la section centrale

M. Van Humbeeck. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale sur le projet de loi fixant les limites de l'esplanade de la citadelle du Nord à Anvers et modifiant les dispositions légales en vigueur sur les servitudes militaires autour des forteresses du pays.

Rapports de pétitions

M. David. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission de l'industrie sur la pétition des fabricants de chapeaux de paille.

Projet de loi relatif au régime des prises d'eau à la Meuse et à la convention internationale avec la Hollande

Rapport de la section centrale

M. Orts. - J'ai l'honneur de présenter le rapport de la section centrale sur le projet de loi relatif au régime des prises d'eau à la Meuse et à la convention internationale avec la Hollande qui le règle pour l'avenir.

Projet de loi relatif à la participation des Etats maritimes au rachat du péage de l'Escaut

Rapport de la section centrale

M. Orts. - Je dépose également sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif à la participation des Etats maritimes au rachat du péage de l'Escaut.

Projet de loi approuvant le traité de commerce et de navigation conclu avec les villes libres de Brème et Lübeck

Rapport de la section centrale

M. Van Volxem. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale sur le projet de loi portant approbation du traité de commerce et de navigation avec les villes libres de Brème et de Lübeck,

- Ces rapports seront imprimés et distribués.

Projet de loi accordant des crédits au budget du ministère des travaux publics

Rapport de la section centrale

M. Braconier. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi accordant au département des travaux publics divers crédits pour l'exécution de travaux d'utilité publique.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi autorisant la constitution de la société anonyme immobilière

M. Jamar. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi autorisant la constitution de la société anonyme immobilière.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi approuvant le traité conclu avec la Hollande pour le rachat du péage de l’Escaut

Rapport de la section centrale

(page 999) M. de Vrière. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif au traité conclu avec la Hollande, pour le ra chat du péage de l'Escaut.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi approuvant le traité de commerce et de navigation conclu avec les Pays-Bas

Rapport de la section centrale

M. Van Iseghem. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif au traité de commerce et de navigation conclu entre la Belgique et les Pays-Bas.

- Ce rapport sera imprimé, distribuée mis à la suite de l'ordre du jour.

Explications du gouvernement sur l’accusation d’une violation du secret des lettres

M. le président. - M. le ministre des travaux publics est-il disposé à donner les explications demandées par M. Guillery ?

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je suis prêt à les donner.

Je dois d'abord informer la Chambre que ce que j'ai à dire, il s'agit de documents à communiquer, je l’ai déjà dit au Sénat ; les pièces dont j'ai donné lecture au Sénat figurent au compte rendu des séances de cette assemblée qui a été distribué ce matin. Si la Chambre désire cependant que je renouvelle ici cette communication, je suis prêt. (Oui ! oui !)

J'abrégerai autant que possible, en me bornant à donner lecture des seuls passages de ces pièces qui contiennent des renseignements ; quant aux commentaires, je les laisserai de côté.

J'avais donc à éclaircir un fait dénoncé comme extrêmement grave par M. B. Dumortier, à savoir qu'il aurait été victime d'une violation du secret des lettres commise au bureau de Bruxelles.

J'ai pris le parti d'envoyer avant tout à Cologne, où l'administration avait des raisons de croire que la lettre avait été retournée, un fonctionnaire supérieur des postes pour s'enquérir de toutes les circonstances de nature à jeter quelque lumière sur le fait dénoncé par l'honorable membre. Le résultat de cette démarche a été assez satisfaisant pour que je n'aie pas eu à faire d'investigations ultérieures.

Voici les renseignements recueillis.

Dans un premier rapport je lis ce qui suit :

« La lettre adressée à M. B.-C. Dumortier a été mise à la pose à Cologne, le 4 avril 1861 ; elle a été renvoyée à Cologne comme inconnue, avec les rebuts ordinaires du mois, le 17 mai même année. Le 28 mai suivant, M. Bormann, directeur des postes à Cologne, a remis cette lettre à la commission royale spécialement chargée de l'ouverture des lettres rebuts. Elle figure nominativement dans l'état général (pièce ci-jointe, n°1) des pièces remises à ladite commission. »

J'appelle l'attention particulière de la Chambre sur ces indications. Ainsi que l'indique le rapport, c'est la pièce originale qui a été communiquée et qui se trouve à mon dossier. Le rapport ajoute :

« Conformément aux lois et règlements sur la matière, cette commission a ouvert la lettre, afin de connaître l'auteur ou l'expéditeur et la lui renvoyer.

« La lettre adressée à M. B. C. Dumortier a donc été ouverte par la commission royale, refermée par un cachet spécial et retourné à son auteur.

« Lorsque les moyens de recherche dont la poste dispose sont insuffisants pour découvrir l'auteur de la lettre, elle est remise à la police qui épuise les derniers moyens de perquisition. Les lettres ainsi remises à la police sont inscrites sur l'inventaire, et comme ici la lettre à M. B. C. Dumortier n'est pas mentionnée, il en résulte la preuve qu'elle a été reportée à son auteur. »

L'honorable M. Dumortier se rappellera que l'enveloppe de la lettre portait en effet l'indication du nom de l'auteur.

Je lis plus loin : « M. le représentant Dumortier s'est donc trompé lorsqu'il a affirmé que la lettre n'avait point été retournée à Cologne. La preuve authentique, officielle, résulte de l'inventaire dressé par M. Bormann, directeur des postes à Cologne, qui m'a été remis en original, et où cette pièce figure à la page n° 4. »

Et plus bas : « L'honorable représentant a cru trouver une preuve à l'appui de ses allégations, en affirmant que si la lettre avait été retournée, elle aurait dû porter le timbre de réexpédition du bureau de Bruxelles et celui d'arrivée à Cologne. Or, cette pratique est impossible et ne peut se faire. Les lettres en rebut sont renvoyées d'administration à administration. »

Voilà, messieurs, comment s'exprime le premier rapport du fonctionnaire que j'ai envoyé à Cologne.

Voici maintenani la déclaration du directeur des postes à Cologne :

« J'atteste par la présente qu'une lettre de Bruxelles adressée à M. B. C. Dumortier est revenue à Cologne le 28 mai 1861 et a été remise à la commission chargée de l'ouverture des lettres retournées, pour ladite lettre être ouverte conformément aux ordres réglementaires et afin de constater quel était l'expéditeur inconnu.

« Cette commission doit avoir ouvert cette lettre afin de constater ce nom. Elle a dû deviner le nom de l'expéditeur sur l'enveloppe et alors retourner la lettre avec le cachet de la commission et ensuite renvoyer cette lettre au bureau des postes qui devait la remettre dans les mains de l'expéditeur.

« La remise a eu lieu sans aucun doute, parce que cette lettre ne se trouve point inscrite dans un tableau qui doit être remis à la police, lorsqu'il arrive que les expéditeurs ne sont pas connus par la poste. Les lettres retournés de la Belgique ne sont frappées d'aucun timbre particulier.

« Cologne, le 11 avril 1863.

« Officier royal des postes de Prusse,

« (Signé) : Bormann, directeur des postes. »

Il était donc déjà constant, d'après ces renseignements, que la lettre avait été ouverte non pas à Bruxelles, mais à Cologne.

Le fonctionnaire en question a poussé ses recherches plus loin, et non seulement il est parvenu à prouver que la lettre avait été ouverte à Cologne, mais il a découvert, quoique manquant de toute indication à ce égard (l'honorable M. Dumortier n'ayant pas voulu remettre entre mes mains l'enveloppe de la lettre), l'auteur de cette lettre.

Nous savons donc que non seulement la lettre n'a pas été ouverte à Bruxelles, mais qu'elle a été régulièrement ouverte à Cologne. Nous savons de plus aujourd'hui qui m'avait écrite et comment elle est revenue à l'honorable M. Barthélémy Dumortier.

Voici, messieurs, le second rapport que j'ai reçu à ce sujet :

« Donnant suite à mon rapport du 12 courant, j'ai l'honneur de vous communiquer le résultat des recherches auxquelles je me suis livré pour découvrir l'auteur de la lettre expédiée le 4 avril 1861, à M. B. C. du Mortier, à Bruxelles, et ainsi constater que le traitement dont cette lettre avait été l'objet, était entièrement conforme aux conventions et instructions qui régissent les relations des offices des postes de Belgique et de Prusse.

« Parmi un certain nombre de personnes qui m'avaient été indiquées, comme pouvant être le correspondant de M. Dumortier, s'est trouvé M. le docteur Ennen, archiviste de la ville de Cologne.

« En dernier lieu, je me suis rendu chez lui, accompagné de M. Bormann, directeur des postes de Cologne.

« Après avoir décliné les motifs de notre visite, M. le docteur Ennen, rappelant ses souvenirs, a trouvé dans son registre de copie de lettres, la lettre qu'il avait adressée, le 4 avril 1861, à M. B. C. du Mortier, à Bruxelles. Il s'est ensuite parfaitement remémoré que cette lettre lui avait été retournée, pour vice d'adresse, par la commission royale des postes de Cologne, après avoir été ouverte et refermée à l'aide du cachet de cette commission. M. Ennen fut sur le point de détruire cette lettre ; mais ayant reçu de Bruxelles une réclamation à ce sujet et ne possédant cependant pas encore l'adresse de M. Dumortier, il l'expédia sous enveloppe à M. Arnold, imprimeur, rue de l'Hôpital, à Bruxelles, qui avait édité un ouvrage de M. Dumortier.

« Depuis cette époque, il n'en eut plus aucune nouvelle, et c'est par notre visite qu'il apprit, pour la première fois, les débats dont cette lettre avait été la cause à la Chambre des représentants.

« Nous avons demandé à M. le docteur Ennen de vouloir nous consigner ces faits par écrit, et il a rédigé de suite et signé la déclaration ci-jointe en allemand, dont vous trouverez la traduction à côté.

« Cette attestation jette un sens complet sur cette affaire.

« Il résulte donc des documents authentiques que la lettre adressée à M. B.C. du Mortier (avec un du presque illisible) a été renvoyée à Cologne le 17 mai 1861, par le bureau général des rebuts de Bruxelles, avec les rebuts du mois ;

« Que cette lettre a été remise, suivant inventaire, le 28 du même mois à la commission royale des postes de Cologne chargée de l'ouverture des lettres en rebut (l'inventaire officiel m'a été remis et est joint à mon rapport du 12 courant) ;

« Que la lettre de M. Dumortier a été ouverte par ladite commission à l'effet d'en découvrir l'auteur ;

« Qu'elle a été refermée à l'aide du cachet de ladite commission et retournée à l'expéditeur, M. le docteur Ennen ;

« Que cette lettre, suivant la déclaration écrite de M. Ennen, a été plus tard renvoyée par lui, sous le couvert de M. Arnold, éditeur à Bruxelles, comme devant connaître mieux que personne l'adresse de M. Dumortier qui doit l'avoir reçue de ses mains.

« Le traitent dont cette lettre a été l'objet a donc été tout à fait conforme aux règlements des deux offices des postes de Belgique et de Prusse. »

(page 1000) Voici maintenant, la déclaration du docteur Ennen, archiviste de la ville de Cologne :

« Le soussigné a envoyé, au mois d'avril 1861, une lettre à M. du Mortier, à Bruxelles, sans donner une adresse exacte. Cette lettre m'a été retournée par l'office de la poste de Cologne, comme inconnue, cachetée avec le timbre de la commission chargée de l'ouverture des lettres.

« Plus tard j'ai renvoyé cette lettre à M. Arnold, libraire à Bruxelles, qui vraisemblablement a remis la lettre entre les mains du destinataire, parce que M. Arnold connaissait certainement l'adresse de M. du Mortier mieux que moi.

« Cologne, le 15 avril 1863.

« (Signé) docteur Ennen. »

« Je déclare que l'archiviste docteur Ennen a donné cette déclaration en ma présence et qu'il s'est aussi déclaré verbalement l'expéditeur de cette lettre.

« Cologne le 15 avril 1863.

« Le directeur des postes, à Cologne,

« (Signé) Bormann. »

Voilà, je pense, messieurs, des renseignements aussi probants, aussi concluants que possible, et je ne crois pas que l'honorable M. Barthélémy Dumortier conserve le moindre doute sur le lieu où la lettre a été ouverte et sur la manière dont elle a été ouverte.

Certainement, tout s'est passé avec la plus parfaite régularité.

Messieurs, l'honorable M. B. Dumortier avait articulé un autre fait grave à l'endroit de l'administration des postes. Il avait dit que des fonctionnaires supérieurs de l'administration avaient déclaré que leur pouvoir expirait au seuil du bureau de Bruxelles.

L'allégation, messieurs, était d'autant plus étrange à mes yeux que peu de semaines avant la discussion dans laquelle l'honorable membre a provoqué l'incident qui nous occupe encore en ce moment, une inspection à fond avait été ordonnée et avait été faite au bureau de Bruxelles.

Quoi qu'il en soit, j'ai fait interroger tous les fonctionnaires supérieurs qui ont dans leurs attributions l'inspection du bureau de poste de la capitale, et tous ont remis par écrit une déclaration que je tiens à la main et d'où il résulte que jamais ils ne s'étaient exprimés de la manière qu'a prétendu l'honorable M. B. Dumortier.

En présence de la déclaration formelle signée par eux, je pense que je n'ai pas non plus à m'inquiéter davantage de ce fait qui aurait été plus que fâcheux et que j'aurais su sévèrement réprimer.

M. B. Dumortier. - Je suis heureux de voir que l'incident que j'ai soulevé il y a deux mois se soit terminé en prouvant que la lettre dont il s'agit a été décachetée à Cologne. Il n'en reste pas moins étrange qu'une lettre portant pour adresse à M. B. C. Dumortier à Bruxelles de la manière la plus lisible et comme si l'écriture était moulée, ait été considérée comme adressée à un inconnu et renvoyée comme une lettre au rebut.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Cela ne prouve pas qu'il y ait à Bruxelles un cabinet noir, comme vous l'avez dénoncé à l'Europe.

M. B. Dumortier. - C'est une autre affaire. J'ai dit qu'on le prétendait en Europe, et je puis, au besoin, citer les journaux dans lesquels cela a été dit.

Il reste donc toujours établi que la lettre dont il s'agit, portant mon adresse parfaite, en écriture en quelque sorte moulée, a été considérée comme adressée à un inconnu. Je ferai d'ailleurs remarquer qu'il y a deux versions quant au retour de Cologne. D'après les autorités dont on cite le témoignage, elle serait revenue par la poste ; tandis que, d'après les derniers documents, elle serait revenue par la voie de la librairie. Je suis porté à croire que la première est exacte, car il résulte de la lettre que je tiens en mains que la poste a reçu 30 centimes de port. Au reste, que cette lettre me soit ensuite arrivée par la librairie ou par la poste, peu importe. (Interruption.)

Je le demande à celui qui m'interrompt, si une lettre lui était envoyée et si cette lettre était considérée comme adressée à un inconnu je demande s'il n'aurait pas lieu d'être surpris de pareille chose.

Maintenant, puisque cet incident a été soulevé, je vous dirai quelles en ont été les suites.

Depuis cette époque, mon honorable collègue et ami M. Henri Dumortier et moi, nous sommes l'objet de persécutions incessantes de la part de M. le percepteur des postes de Bruxelles. (Interruption.)

Cet incident avait été soulevé peu de temps avant les vacances de Pâques. Quelques jours après notre retour dans nos foyers pour les vacances de Pâques, j'ai reçu la lettre suivante qui était chargée :

« Bruxelles, le 29 mars 1863.

« Monsieur Barthélémy Dumortier est prié de vouloir bien se rendre à mon bureau, situé rue de la Montagne, n°87, le 30 mars 1863, à 6 heures du soir, à l'effet d'assister à l'ouverture d'une lettre dont la suscription, insuffisante, porte un nom identique au sien, mais qui est en même temps commun à d'autres personnes de cette localité. »

« Le directeur des postes, A. Hochstein.

« P. S. La lettre porte pour suscription : M. Dumortier, député à la Chambre des représentants, à Bruxelles. »

Messieurs, vous comprenez la réponse que je devais faire à une pareille lettre. M'écrire à Tournai, à moi, membre de la Chambre des représentants, de me rendre le lendemain, à heure fixe, au bureau de Bruxelles, pour assister à l'ouverture d'une lettre, j'ai trouvé cela un peu fort.

Le lendemain, alors que j'étais encore à Tournai, j'ai reçu la lettre que voici :

« Bruxelles, le 30 mars 1863.

« M. Barthélémy Dumortier est prié de vouloir bien se rendre à mon bureau, situé rue de la Montagne, n°87, le 16 mars 1863, à 5 heures du soir, à l'effet d'assister à l'ouverture de deux lettres et d'un imprimé dont la suscription, insuffisante, porte un nom identique au sien, mais qui est en même temps commun à d'autres personnes de cette localité.

« Le directeur des postes, A. Hochstein. »

Je crois que la dignité de la Chambre exige que des choses semblables soient prises au sérieux.

J'ai reçu encore deux ou trois lettres du même genre.

Le directeur des postes de Tournai étant venu me trouver pour avoir une réponse, j'ai dit que, comme les lettres arrivées au bureau de Bruxelles pouvaient intéresser mon honorable collègue M. Henri Dumortier, je demandais qu'elles fussent remises.

Je croyais l'affaire terminée ; mais à peine étais-je de retour à Bruxelles, que je reçus la lettre suivante :

« Bruxelles, le 16 avril 1863.

« M. Dumortier, Barthélémy, est prié de vouloir bien se]rendre à mon bureau, situé rue de la Montagne, n°87, le 16 avril 1863, à dix heures du matin, à l'effet d'assister à l'ouverture d'une lettre urgente dont la suscription, insuffisante, porte un nom identique au sien, mais qui est en même temps commun à d'autres personnes de cette localité.

« Le directeur des postes, A. Hochstein.

« P. S. Adresse de la lettre. Urgente. Monsieur Du Mortier, représentant à Bruxelles. »

Je dois dire qu'ayant reçu une demi-douzaine de lettres du même genre, j'ai trouvé que cela allait un peu trop loin. Comment ! jusqu'à l'époque où j'ai signalé le fait dont il vient d'être question et d'autres non moins graves, jamais à aucune époque, dans aucune circonstance, la plus petite difficulté ne s'était élevée sur les lettres adressées à M. Dumortier, représentant. Ces lettres étaient remises à mon honorable ami M. H. Dumortier ou à moi.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - A cette époque, vous n'aviez pas accusé l'administration des postes de Bruxelles d'ouvrir les lettres. C'est depuis vos fausses accusations que l'on prend ces précautions.

M. B. Dumortier. - Il n'y a pas eu de fausses accusations. Il doit être permis à un représentant de signaler les abus. On a expliqué un fait ; mais les autres faits que j'ai signalés n'ont pas été rencontrés. De ce que j'ai dit que des lettres arrivaient décachetées, il n'en résulte pas que le percepteur des postes se donne le droit de décacheter mes lettres.

J'ai donc, messieurs, adressé à M. Hochsteyn la lettre suivante :

« M. Dumortier, membre de la Chambre des représentants, interdit de la manière la plus formelle à M. Hochsteyn de décacheter aucune lettre portant son nom et sa qualité. Il ne tolérera pas que M. Hochsteyn continue à se jouer de lui comme il le fait depuis quelque temps. »

Messieurs, au moins dix lettres sont au bureau de la poste de Bruxelles à notre adresse, sans nous avoir été remises.

M. de Mérode-Westerloo. - C'est une infamie !

M. B. Dumortier. - Je dis que cela est intolérable, je dis qu'il ne peut être permis à un fonctionnaire public responsable d'exercer de petites vengeances envers un membre de la Chambre.

Je le répète autrefois, les lettres portant pour adresse : « A Monsieur Dumortier, représentant », étaient remises à l'un ou l'autre de nous ; et si M. le directeur des postes voyait quelque inconvénient à continuer à en agir ainsi, lui qui envoie à la Chambre quatre fois par jour un messager pour relever les lettres, pouvait faire remettre ici les lettres qu'il avait reçues, alors mon honorable ami ou moi pouvions savoir à qui de nous deux elles étaient adressée ?.

Je me suis plaint de ces faits à M. le ministre des travaux publics en lui disant que j'allais en entretenir la Chambre. Le lendemain il m'a adressé la lettre que voici :

(page 1001) « Monsieur le représentant,

« Diverses lettres adressés à M. Dumortier, représentant, sont arrivées récemment au bureau de Bruxelles.

« L'indication qu'elles portaient était insuffisante pour mettre l'administration à même d'apprécier si ces missives étaient destinées à vous ou bien à votre honorable homonyme et collègue.

« Dans cette situation la marche à suivre par M. le directeur percepteur du bureau des postes de Bruxelles, lui était tracée par l'article 81 des instructions générales et par la circulaire du 11 novembre 1844.

« Il s'y est conformé en vous invitant immédiatement à passer à son bureau, afin de pouvoir procéder ensuite aux autres mesures prescrites par la disposition que je viens de rappeler.

« Des faits analogues peuvent se reproduire et vous occasionner un ennui qui serait dû exclusivement, vous voudrez bien le reconnaître, au défaut de précision de vos correspondants.

« Je crois, M. le représentant, pouvoir vous indiquer un moyen de parer à cet inconvénient.

« Il consiste, après vous être concerté avec votre honorable homonyme et collègue, à me faire parvenir ou à remettre au bureau des postes de Bruxelles une déclaration commune indiquant, une fois peur toutes, d'une manière générale, comment vous entendez qu'il soit procédé à l'égard des lettres qui porteraient des adresses insuffisantes.

« Veuillez, M. le représentant, me faire savoir si vous êtes disposé à adopter la marche que je viens d'avoir l'honneur de vous indiquer. Dans l'affirmative, je donnerai les instructions nécessaires pour que M. le percepteur du bureau des postes de Bruxelles se conforme au désir qui serait exprimé dans votre déclaration commune.

« Cette marche, bien que contraire à la lettre des instructions générales, me paraît assez conforme à leur esprit pour que je n'hésite pas, si vous y donnez votre assentiment, à en prescrire l'adoption, en ce qui concerne votre correspondance, dans le but de vous éviter éventuellement des formalités répétées et désagréables.

« Agréez, etc. »

Messieurs, j'avais eu l'honneur de me plaindre et M. le ministre, au lieu de donner l'ordre à M. le percepteur des postes de reprendre l'ancienne marche, me demande de faire une déclaration. Mais remarquez ceci, messieurs, dans sa lettre M. le ministre vient justifier M, le percepteur des postes de la marche qu'il a suivie en dernier lieu. Eh bien, alors je dis que si cela est vrai, le percepteur est injustifiable de ne pas avoir suivi cette marche depuis le jour où l'honorable M. H. Dumortier est entré dans cette Chambre.

J'ai donc eu l'honneur de dire à M. le ministre : Qu'on fasse ce qui se faisait auparavant ou bien qu'on apporte les lettres à la Chambre.

Voici, messieurs, quelle est la situation : on nous somme, mon honorable ami et moi, de nous rendre au bureau des postes pour assister à l'ouverture d'une lettre portant une adresse prétendument insuffisante, et il y a là plus de dix lettres qui ne nous sont point parvenues. Je demande si de pareils faits sont tolérables et s'il est permis à un employé du gouvernement d'exercer de ces petites vengeances contre les représentants de la nation !

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). -J'ai demandé la parole précisément pour faire connaître à la Chambre la lettre dont l'honorable M. Dumortier vient de donner lecture.

Il est très vrai qu'il y a à la poste plusieurs lettres qui, portant une adresse insuffisante, ne peuvent être remises ni à l'honorable M. B. Dumortier, ni à l'honorable M. H. Dumortier. Il est très vrai encore que M. Hochsteyn, directeur des postes, a invité les honorables membres à passer à son bureau à une heure déterminée.

Il le faut bien, il est impossible qu'il en soit autrement, afin d'examiner à qui des deux seraient remises les lettres en question. En agissant comme il l'a fait, M. Hochsteyn a exécuté purement et simplement ses instructions.

M. B. Dumortier. - Pourquoi ne les exécutait-il pas auparavant ?

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Il a fait non seulement ce qu'il avait le droit de faire, mais ce qu'il était de son devoir de faire ; s'il a agi autrement jusqu'au moment où s'est produite la plainte dont nous nous occupons, c'était de sa part par complaisance et sous sa responsabilité.

Pourquoi, dit l'honorable M Dumortier, ne pas continuer ce qu'il avait fait précédemment ? Mais parce que vous l'avez accusé de plusieurs faits odieux.

M. B. Dumortier. - C'est donc une vengeance !

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - C'est la cessation d'un acte de complaisance qu'il ne vous doit pas.

- Un membre. - C'est un acte de prudence.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - C'est un acte de prudence, comme on le dit à côté de moi. Il avait fait pour vous ce qu’il ne devait pas faire. Eh bien, du jour où vous l’avez accusé d'être à la tête d'un cabinet noir, d'avoir apposé sur votre lettre un cachet faux, car vous avez été jusque-là, il a pu se dispenser de faire autre chose qu'exécuter purement et simplement ses instructions.

Quelqu'un pouvait vous dispenser de formalités ennuyeuses prescrites par les instructions ; c'était le ministre ; qu'est-ce que j'ai fait ?

J'ai écrit à l'honorable M. B. Dumortier et à l’honorable M. H. Dumortier la lettre que vous connaissez ; ai-je agi avec courtoisie ? Ai-je agi en bon collègue ? Je le demande à l'honorable M. B. Dumortier.

L'honorable M. H. Dumortier m'a répondu par la lettre suivante :

« Je vous remercie M. le ministre, de votre missive du 21 avril, n° 10,052.

« J'accepte volontiers la proposition que vous voulez bien me faire. Je me consulterai, sans retard, avec mon collègue M. B. Dumortier, et nous aurons l'honneur de vous soumettre des propositions. »

Je n'ai pas reçu même le moindre accusé de réception de la part de l'honorable M. B. Dumortier, encore moins la déclaration commune que j'avais proposée à ces deux honorables membres pour qu'il fût fait désormais, à l'égard des lettres avec suscription insuffisante, ce qu'ils désiraient.

Qu'est-ce que cela prouve ? C'est que l'honorable M. B. Dumortier, car vous voyez par la lettre de M. H. Dumortier que celui-ci était tout disposé à entrer dans la voie d'accommodement indiquée, c'est que l'honorable M. B. Dumortier ne voulait pas faire cette déclaration qui demandait deux ou trois lignes d'écritures.

M. B. Dumortier. - Ce sont là des suppositions gratuites.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Vous ne m'avez pas même répondu.

M. B. Dumortier. - Je vous ai répondu verbalement.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - C'est postérieurement à notre conversation que j'ai régularisé la position par l'envoi de ma lettre. Dans tous les cas, une lettre écrite en style convenable méritait une réponse ; vous n'en avez pas donné, parce que votre prétention (erratum, page 1034) était celle-ci :

« J'entends que M. Hochsteyn fasse dans la suite ce qu'il a fait jusqu'à présent. »

Eh bien, si vous refusez de faire la déclaration que je vous ai demandée et qui est honnête, équitable et de nature à terminer toute espèce de difficulté, je ne puis pas, moi, prescrire à M. Hochsteyn d'agir contrairement à ses instructions.

M. B. Dumortier. - Messieurs, il n'y a pas seulement ici deux MM. Dumortier, il y a deux MM. Vandenpeereboom, il y a deux MM. Lebeau, deux MM. Jouret et deux MM. Kervyn. Eh bien, quand il arrive des lettres adressées à M. Lebeau, représentant, à M. Vandenpeereboom, représentant, à M. Jouret représentant, est-ce que ces messieurs sont cités à comparaître devant M. le directeur des postes pour voir décacheter leurs lettres par lui ? Si de pareilles choses se passaient dans le camp libéral, de quelles réclamations n'entendrions-nous pas retentir la tribune ?

Quant à la supposition que fait l'honorable ministre des travaux publics que j'aurais eu l'intention de ne pas répondre, tout cela est purement et simplement dans son imagination ; j'ai eu l'honneur de dire à M. le ministre des travaux publics la chose la p'us simple du monde, c'est qu'on fasse ce qu'on faisait précédemment ce qu'on fait quand il arrive des lettres adressées à M. Vandenpeereboom, représentant, à M. Lebeau représentant, à M. Jouret, représentant, à M. de Kervyn, représentant.

Maintenant, comment voulez-vous que nous puissions, nous, aller déterminer la manière dont on établira si une lettre, adressée à M. Dumortier, représentant, est destinée à M. Henri Dumortier ou à M. Barthélémy Dumortier ? Comment faites-vous pour MM. Lebeau, Jouret et Kervyn ?

Qu'on fasse ce qu'on faisait auparavant ; qu'on fasse ce qu'on fait vis-à-vis de MM. Vandenpeereboom, MM. Lebeau et MM. Jouret. (Interruption.)

Est-ce que, par hasard, les fonctionnaires publics ne sont plus responsables vis-à-vis du parlement ? (Interruption.)

Je reconnais que l'abus n'existait pas dans le cas de la lettre de Cologne ; pour les autres on a gardé le silence, et spécialement sur les sept lettres adressées à un membre de ma famille et qui ne sont jamais parvenues. Mais, je le répète, notre droit, comme membre de la Chambre, n'est-il pas de signaler les abus ? et devons-nous nous garder de les signaler, lorsque tel ou tel fonctionnaire public peut être en cause ? J'entends tous les jours, sur les bancs de la gauche, élever des réclamations contre ces abus.

(page 1002) Ainsi, quand le lieutenant-colonel Hayez a été traîné dans les prisons de Diest, des réclamations énergiques se sont produites sur les bancs de la gauche ; eh bien, la gauche trouverait-elle bon que M. le ministre de la guerre, par des agents intermédiaires, vînt persécuter ceux de ses membres qui se sont faits les organes de ces réclamations ? (Interruption.)

C'est absolument la même chose ; la position est la même.

Il n'est pas tolérable qu'un fonctionnaire public vienne exercer de petites vengeances envers un membre de la représentation nationale qui use d'un droit incontestable, en venant dénoncer des abus ?

Quant aux déclarations des fonctionnaires, chacun comprendra que je ne veux livrer personne à des vengeances. Je ne répondrai donc pas sur ce point.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Messieurs, la lettre que j'ai eu l'honneur d'écrire aux deux honorables MM. Dumortier pour les inviter à déclarer au bureau des postes de Bruxelles, comment ils entendaient qu'on distribuât leurs lettres avec une adresse insuffisante, est du 21 avril, c'est-à-dire qu'elle date d'un mois ; depuis un mois, les deux honorables membres auraient pu se concerter ; s'ils en avaient eu le désir. Si au bout d'un mois je n'ai pas de réponse de la part de M. Barthélémy Dumortier, c'est, je le répète, qu'il n'entend pas accepter le moyen transactionnel que j'avais indiqué.

Comment voulez-vous, dit l'honorable M. B. Dumortier, que nous réglions cela ?

Mais j'ai déjà répondu à cela par anticipation. Voici l'arrangement que je proposais : Les lettres expédiées de Tournai seraient remises à M. Barthélémy Dumortier ; les lettres expédiées de Courtrai seraient remises à M. Henri Dumortier ; M. Barthélémy Dumortier recevrait les lettres d'une autre provenance. Cela satisferait-il les deux honorables membres ?

Mais il est un point sur lequel j'appelle l'attention. Il se trouve, par hasard, que MM. Henri Dumortier et Barthélémy Dumortier sont en parfaite conformité d'opinion politique, et que si une lettre destinée à l'un est remise à l'autre, cela n'offre pas d'inconvénient. Mais je demanderai à l'honorable M. B. Dumortier si, pour le cas où son homonyme appartiendrait au parti libéral, il lui serait fort agréable de voir qu'une lettre, qui lui est destinée et qui traite de questions électorales ou d'autres matières délicates, fût remise à son homonyme.

M. Goblet. - Certes, messieurs, tous les membres de la Chambre ont parfaitement le droit de dénoncer les abus au pays. Mais il faut d'abord qu'il y ait des abus.

Ensuite, par cela même que nous avons des droits exorbitants, que nous sommes protégés d'une manière spéciale, nous ne devons pas abuser de notre position. C'est là le point auquel il faut surtout veiller.

En effet, si nous avons des privilèges dont personne ne jouit, c'est en en faisant l'usage le plus modéré possible, que nous nous montrerons dignes de cette faveur.

Je trouve que l'honorable ministre des travaux publics a parfaitement défini la situation et que M. Hochsteyn a parfaitement raison de faire ce qu'il fait jusqu'à ce qu'un arrangement écrit soit intervenu.

Si on ne rétablit pas l'ancien état de choses vis-à-vis de M. Barthélémy Dumortier et de son homonyme, M. Henri Dumortier, c'est tout simple : on doit évidemment prendre des précautions vis-à-vis de M. Barthélémy Dumortier, puisque l'ancien état de choses a amené une accusation excessivement grave.

M. B. Dumortier. - Pas du tout.

M. Goblet. - Je vous demande pardon. Moi-même, bien que vous portant une affection toute particulière, j'ai été blessé du ton avec lequel vous assuriez qu'on ouvrait les lettres en Belgique ; car c'est une infamie sans nom de la part d'un gouvernement de permettre la violation du secret des lettres. Une semblable accusation, sortie de la bouche d'un membre de cette Chambre, a une gravité extrême. Je dis que lorsqu'on présume qu'un abus aussi énorme existe dans un pays, on n'attend pas deux ans pour venir le dénoncer. Et quand, après un délai de deux ans, on dirige ici contre l'administration ; et contre un fonctionnaire public une accusation d'une telle gravité, on doit subir toutes les conséquences de la position qu'on s'est créée, si, comme dans le cas actuel, une enquête minutieuse vient établir la complète fausseté de cette accusation.

M. Guillery. - Messieurs, je ne m'attendais pas à voir l'honorable M. B. Dumortier devenir accusateur, après les résultats de l'enquête dont M. le ministre des travaux publics a donné lecture.

Mais dans la nouvelle série d'accusations qu'il vient de dérouler devant vous, il a été la victime d'une de ces chutes de mémoire qui lui sont familières. Ainsi en lisant la lettre qui lui a été adressée par le directeur de la poste aux lettres de Bruxelles, il s'est plaint de ce qu'on voulait le faire comparaître à jour et à heure fixes, mais d'abord il a oublié de dire que la lettre est imprimée, ce qui était tout prétexte à la critique de la forme ; ensuite, il a oublié de lire un petit post scriptum, où il est dit que si le jour et l'heure ne lui conviennent pas, il était prié de s'entendre avec l'honorable M. H. Dumortier, et que le directeur des postes se tiendra à la disposition des honorables représentants. (Interruption.)

Cet incident ne vaut véritablement pas le temps qu'on a mis à le discuter.

Ce qui importe, c'est l'honneur d'un fonctionnaire public dont la réputation est sans tache et qui était resté inattaqué, jusqu'au jour où M. B. Dumortier l'a attaqué dans cette enceinte ; c'est l'honneur de l'administration des postes belges, attaqué tout entière ; c'est qu'il est constaté aujourd'hui qu'aucun fonctionnaire public n'a dit que son pouvoir s'arrêtait devant le bureau de Bruxelles.

Tous les fonctionnaires qui se trouvaient compris dans l'accusation formulée par l'honorable M. Dumortier, ont déclaré, par écrit, qu'aucun d'eux n'avait jamais émis une pensée semblable qui, d'ailleurs, était démentie par les faits.

Il reste donc parfaitement établi : qu'il n'y a eu de cabinet noir que dans l'imagination de l'honorable M. Dumortier ; que la lettre que l'honorable M. Dumortier a prétendu avoir été ouverte à Bruxelles, ne lui a pas été remise par le facteur de la poste, mais par un libraire de Bruxelles.

M. B. Dumortier. - Elle ne m'a pas été remise du tout ; elle a été remise chez moi. (Interruption.)

M. Guillery. - Par conséquent elle ne portait pas, le jour où elle a été remise à l'honorable M. Dumortier, un timbre de la poste constatant qu'elle arrivait en ce moment à Bruxelles. Il est évident qu'elle n'avait pu être remise que par une tierce personne.

Il reste de tout cela une accusation qui touche le facteur de la poste, lequel a eu le tort de ne pas comprendre que cette lettre devait nécessairement concerner l'honorable M. B. Dumortier.

Eh bien, il est inexact de dire que l'adresse fût écrite en lettres moulées : elle porte un petit du à peine visible (Interruption) et Mortier écrit avec un M majuscule, ce qui ressemble fort à B. C. Mortier.

M. B. Dumortier. - Du tout ! Du tout !

M. Guillery. - Permettez-moi de conserver mon appréciation. Il est évident qu'on aurait pu y mettre plus d'habileté, plus de circonspection ; mais il est certain, les parafes de tous les facteurs le prouvent, qu'on a fait toutes les recherches possibles pour découvrir le destinataire de la lettre et que c'est au domicile même de l'honorable M. Dumortier qu'elle a été refusée. De sorte que de toutes ces accusations odieuses il ne reste rien, si ce n'est la preuve, à laquelle je tenais le plus, que l'honneur du fonctionnaire public qui a été attaqué est sorti parfaitement intact de cette discussion.

M. B. Dumortier. - L'adresse est tellement lisible que partout, dans tous les documents de l'enquête, il est déclaré qu'elle portait B.-C. Dumortier. Je viens encore de montrer la lettre à plusieurs de mes collègues et aucun d'eux n'a émis le moindre doute à cet égard. C'est donc à une mauvaise échappatoire que l'on a recours.

M. le président. - C'est une appréciation.

M. B. Dumortier. - Mais, permettez-moi de continuer ; un président ne délibère pas, je pense. Maintenant, l'honorable M. Goblet nous dit que nous devons user avec prudence du droit dont nous sommes investis envers les fonctionnaires publics.

Je partage complètement cet avis ; mais, remarquez-le bien, quand des faits de cette nature se présentent (j'ai encore à la main trois autres lettres qui ont été également décachetées), il doit bien nous être permis de nous plaindre. Ou bien, dites encore que quand telle personne se trouve à la tête d'une administration il faut garder le silence sur ses actes.

Vous avez fait une enquête sur l'un des faits que j'ai signalés, mais non sur les autres et cependant vous saviez qu'un membre de ma famille s'est plaint de n'avoir pas reçu non plus 7 lettres qui lui avaient été expédiées.

Voici encore une lettre dans laquelle on me signale un détournement ; tous les jours des plaintes de même genre sont formulées. (Interruption.) Hier encore, l'honorable M. Rodenbach a adressé une réclamation à la Chambre au sujet de détournements qui se commettent tous les jours. (Nouvelle interruption.)

Et quand on signale ici des faits de cette nature, on s'expose à la vengeance de M. le directeur des postes de Bruxelles. Je crois, messieurs, qu'une telle position n'est réellement pas tenable. Je dis que nous sommes dans notre droit quand nous signalons des abus qui retentissent dans tout (page 1003) le pays ; je dis que les petites vengeances de M, Hochsteyn, qui prétend nous faire aller à son bureau pour y assister à l'ouverture des lettres qui nous sont adressées, sont une atteinte portée à la dignité des députés de la nation.

Si des faits pareils se passaient à l'égard de quelques membres de la gauche, au lieu d'en rire, comme vous le faites, je serais le premier à me lever avec énergie pour les stigmatiser. Il n'est point tolérable de voir un fonctionnaire public exercer de petites vengeances envers des députés dans l'exercice de leur mandat. C'est contre une telle prétention que je m'élève dans l'intérêt surtout du respect qui est dû à notre position.

- L'incident est clos.

Projet de loi relatif à la concession de divers chemins de fer

Discussion générale

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - J'ai deux amendements à proposer au projet de loi que j'ai eu l'honneur, messieurs, de soumettre à vos délibérations.

La Chambre se rappellera qu'il y avait dans le temps trois demandes en concession de chemins de fer vers Terneuzen, et partant, l'un de Gand, le second de Lokeren et le troisième de Saint-Nicolas. De ces trois demandes il n'y en a qu'une qui ait reçu jusqu'à présent une solution de la part du gouvernement belge, c'est celle qui concerne la ligne de Gand à Terneuzen.

Quant à celle de Lokeren à Terneuzen, le concessionnaire n'avait point rempli les obligations préalables nécessaires pour qu'une décision pût être prise ; et enfin, pour ce qui concerne la ligne de Saint-Nicolas à Terneuzen, le demandeur avait déclaré restreindre provisoirement sa demande à la section de Malines à Saint-Nicolas.

Aujourd'hui, messieurs, le concessionnaire de la ligne de Malines à Saint-Nicolas a obtenu du gouvernement des Pays Bas la concession d'une ligne de Terneuzen à la frontière belge dans la direction de Hulst, et il s'adresse de nouveau au gouvernement et à la législature pour obtenir la concession de la section intermédiaire de Saint-Nicolas à la frontière des Pays-Bas, dans cette même direction de Hulst.

Le gouvernement n'a pas d'objection à cette demande. En ce qui concerne la ligne de Lokeren à la frontière néerlandais, je la crois abandonnée par l'ancien demandeur en concession.

Dans la discussion qui a eu lieu à la Chambre sur le projet de loi de 1862, les honorables députés de Termonde ont insisté sur une ligne de Tamise à Termonde passant par Hamme.

M. Vermeire. - Nous avons sollicité cette ligne, en effet, mais subsidiairement.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Le concessionnaire de la ligne de Malines à Saint-Nicolas, outre la demande du prolongement de cette ligne jusqu'à la frontière néerlandaise, a déposé également une demande en obtention d'un embranchement de Tamise à Termonde. Ainsi que je l'ai fait entrevoir dans cette discussion, le gouvernement n'a, non plus, aucune objection à faire à cette demande.

J'ai donc l'honneur de proposer par un premier amendement de rédiger comme suit l'article 5.

« Art. 3 (amendé). Le gouvernement est autorisé à concéder :

« A. A la société du chemin de fer Liégeois-Limbourgeois, un chemin de fer (comme au projet).

« B. Au sieur François Lancelot, à titre d'extension de sa concession d'un chemin de fer de Malines à Saint-Nicolas, et aux clauses et conditions du cahier des charges de ladite concession, du 4 avril 1862.

« 1° Un chemin de fer de Saint-Nicolas à la frontière des Pays-Bas, dans la direction de Hulst ;

« 2° Un chemin de fer de Tamise à Termonde, passant par Hamme. »

J'ai un second amendement à présenter. L'année dernière, messieurs, vous avez autorisé la concession d'un chemin de fer de Frameries à Chimay.

Le concessionnaire a passé un contrat avec une société voisine, l'Est français, pour l'exploitation de sa ligne, mais le réseau des Ardennes et de l'Est français ne touche pas actuellement la ligne de Frameries à Chimay ; il reste une petite lacune.

Le contrat d'exploitation dont je viens de parler, et qui assure la construction de la ligne de Frameries à Chimay, est subordonné, entre autres, à la condition que la petite section intermédiaire, destinée à combler la lacune indiquée, sera concédée en France.

Une loi a été présentée et votée en France qui autorise cette concession ; mais les concessions ne s'accordent pas aussi facilement chez nos voisins que chez nous ; elles sont précédées d'instructions, d'enquêtes, en un mot de diverses diligences administratives, qui demandent, pour leur accomplissement, un certain délai.

Je sollicite donc l'autorisation de prolonger les délais de notre concession jusqu'au jour où les formalités nectaires pour la concession en France puissent être remplies. Je propose à cet effet un article 5 nouveau ainsi conçu :

« Art. 5. (nouveau). Le gouvernement est autorisé à accorder, en un ou plusieurs termes, au sieur Emile Du Pré ou ses ayants droit, pour se conformer aux prescriptions régissant la concession d'un chemin de fer de Frameries à Chimay, une prorogation de délai qui ne pourra dépasser le 12 mai 1864.

L'article 5 ancien devient l'article 6.

L'article 6 ancien devient l'article 7.

M. H. Dumortier. - Je me proposais de présenter diverses considérations, mais pour ménager le temps de la Chambre, je renonce à le faire dans la discussion générale, je me réserve de produire mes observations lors de la discussion des articles.

M. de Renesse. - Si, depuis quelques années, les Chambres législatives ont été saisies d'un très grand nombre de projets de chemins de fer dont la plupart sont achevés ou eu voie d'exécution, il y a encore actuellement, malgré les divers projets en discussion, des localités assez importantes de notre pays qui sont jusqu'ici privées de ces voies de communication facile et si économique.

Si beaucoup de nos contrées industrielles ont successivement obtenu plusieurs voies ferrées pour le transport à meilleur marché de tous leurs nombreux produits, il est aussi, dans l'intérêt général, de chercher à en doter certaines parties agricoles du royaume, afin de les tirer de leur isolement. Il est reconnu d'ailleurs, par le gouvernement lui-même, que toutes les localités restées en dehors de notre système général de chemins de fer, se trouvent dans une position d'infériorité sous le rapport du transport de leurs produits de toute nature et de leurs relations commerciales.

Je me permettrai d'attirer de nouveau la bienveillante attention de l'honorable ministre des travaux publics, sur la position si exceptionnelle d'un des plus importants cantons du Limbourg, celui de Looz qui, quoique entouré, à une certaine distance, de chemins de fer n'a, à son extrémité, près de Hasselt, qu'une simple halte à Alken.

Entre les villes de Saint-Trond et de Tongres, se trouve encore une lacune non ferrée. Il est à désirer qu'elle puisse être comblée le plus tôt que faire se pourra, en dirigeant un railway au travers des riches et si populeux cantons de Looz vers Tongres et Maestricht, par la vallée si industrieuse du Jaer.

Cette contrée, la mieux cultivée du Limbourg, a une population très concentrée de plus de 60,000 âmes ; elle mérite, sous tous les rapports, d'être reliée plus directement à notre système général de voies ferrées, surtout le beau canton de Looz qui, jusqu'ici, n'a obtenu aucune part dans les grands travaux publics décrites depuis 1830, et a largement contribué dans les charges extraordinaires qui en résultent pour le pays.

Ce canton a donc des droits incontestables pour ne plus être laissé dans l'isolement : il ne doit pas rester plus longtemps en dehors des grands avantages des voies ferrées ; par ses productions agricoles, ce canton, ainsi que les cantons environnants, contribuerait pour une large proportion dans le trafic utile d'un chemin de fer.

Les cantons de Saint-Trond, de Tongres, de Looz, exportent actuellement leurs nombreux fruits, non seulement vers l'intérieur du pays, mais surtout vers l'Angleterre.

Les bois, les planches, farines, bétail et autres productions de l'industrie agricole y donnent lieu à un commerce très actif, commerce de transport qui a déjà notablement amélioré les revenus de l'embranchement ferré de Saint-Trond et Landen.

Une demande de concession doit avoir été adressée, depuis quelque temps, au département des travaux publics, d'une grande ligne ferrée internationale de la frontière française, partant de Mouscron près de Tournai, qui se dirigerait par Lessines et Tubise vers Wavre et Jodoigne à Landen et de là au travers du canton de Looz vers Tongres et Maestricht où elle se relierait aux chemins de fer du duché de Limbourg, d'un côté vers une partie de la Hollande, et de l'autre vers Aix-la-Chapelle et l'Allemagne.

Cette voie ferrée passerait d'un bout à l'autre, par des contrées agricoles les plus riches et les plus populeuses et surtout par des parties de la haute et de la basse Hesbaye, privées jusqu'ici de chemins de fer ; cette ligne serait un affluent très notable pour plusieurs de nos railways, qu'elle couperait en ligne directe ; sous ce rapport, elle ne ferait aucune concurrence aux chemins de fer déjà exécutés ou en voie de construction ; elle se trouverait donc dans une bonne condition d'existence.

(page 1004) Par suite de la nouvelle concession d'un chemin de fer d'Ath à Hal ou à Tubise, l'on pourrait provisoirement suspendre l'exécution de la partie de cette grande voie internationale de Mouscron à Tubise ou à Hal, et commencer, en premier lieu, l'exécution de la station de Hal ou de Tubise, vers Wavre, Jodoigne, par Landen, Looz et Tongres à Maestricht,

Si ce projet de chemin de fer, si utile, traversant des contrées agricoles, riches et très peuplées, pouvait se réaliser, ainsi que je puis le supposer, ce serait un très grand bienfait pour ces diverses localités de notre pays, rejetées en dehors de nos lignes ferrées.

J'ose espérer que l'honorable ministre des travaux publics qui, depuis qu'il est à la tête de ce département ministériel, a déjà donné tant de preuves d'aptitude pour mener à bonne fin des projets de railway, ne paraissant guère viables au premier abord (1,500 kilomètres de voies ferrées ayant été successivement décrétées depuis quelques années), voudra aussi employer ses bons offices, sa haute influence pour faire aboutir, le plus tôt possible, ce beau et grand chemin de fer international, à une solution favorable ; il aura ainsi contribué à tirer de l'isolement l'important canton de Looz et encore d'autres parties de notre territoire.

Avant de terminer, je crois de nouveau devoir rappeler à l'honorable ministre la réclamation si fondée de l'ancienne cité de Looz, en sa qualité de chef-lieu de canton, d'être rattachée à nos lignes télégraphiques en attendant qu'elle puisse aussi obtenir un chemin de fer ; il est même à désirer que tous les chefs-lieux de canton puissent avoir leur bureau télégraphique, suivant les observations présentées sous ce rapport, par des sections et par la section centrale du budget des travaux publics de l'exercice courant.

(page 1035) M. Vander Donckt, rapporteur. - Je commence par témoigner toute ma reconnaissance à l'honorable ministre des travaux publics pour sa bienveillante intervention dans la construction des deux chemins de fer qui viennent converger à la ville d'Audenarde ; mais si ces chemins de fer apportent de grands avantages à la ville d'Audenarde, ce ne sera que pour autant que la station à établir le soit de manière à profiter à la ville ; il n'existe pas de localité importante reliée à un chemin de fer dont la station ne soit pas établie sur son territoire.

J'espère que les instances de la ville d'Audenarde auprès du gouvernement et de la compagnie concessionnaire aboutiront à ce résultat, et que la station à faire sera établie sur le territoire-même de la ville.

Mais si la ville doit être grandement favorisée par les lignes à construire, il n'en est pas de même des autres localités importantes que ces chemins de fer pourraient et devraient traverser.

On a commis bien des fautes et des fautes très graves dans l’établissement des voies ferrées, et les nombreuses pétitions déposées sur le bureau en sont une preuve.

Le canton de Roeulx entre autres se trouve être entouré d'un cercle de chemin de fer ; et pour en atteindre un point quelconque on est obligé de parcourir plusieurs kilomètres, de manière qu'aujourd'hui le chef-lieu du Roeulx se trouve entièrement isolé.

J'espère que le gouvernement lui fera justice.

Le canton de Cruyshautem se trouve dans la même position, placé entre trois chemins de fer, le chemin de fer d'Audenarde à Gand, celui de Courtrai à Gand et celui de Denderleeuw à Courtrai. Ni par l'un ni par l'autre de ces chemins son chef-lieu n'est relié au chemin de fer.

Cependant l'importance de cette localité mérite toute la bienveillance de la Chambre et du gouvernement ; elle a d'abord une population qui dépasse 6,500 âmes, elle est chef-lieu de canton de justice de paix et de milice, elle a des brasseries, des distilleries, des briqueteries, des magasins de matériaux à bâtir, des magasins de charbons, de bouille qui offrent un contingent notable de matières pondéreuses au transport du chemin de fer.

Les bureaux de contributions directes et d'enregistrement y sont établis.

Elle possède en outre un marché hebdomadaire de produits agricoles très fréquenté où il se traite pour plus de 700 mille francs d'affaires par an, un marché de chanvre, lin, étoupes, une fabrique de toiles dont l’importance est d'au moins 400 mille francs. Cette position est supérieure, à plus d'un titre, à celle d'un chef-lieu de province dans le Luxembourg.

Le chef-lieu de la province de Luxembourg n'atteint pas à beaucoup près la population et le chiffre d'affaires de cette localité.

La commune de Hamme, une des plus importantes communes de la province, est en instance depuis un grand nombre d'années pour être reliée au chemin de fer et toujours jusqu'ici sans résultat.

Je constate avec satisfaction que justice tardive enfin lui sera faite si l'amendement présenté par le gouvernement, comme je l’espère, est adopté.

C'est vraiment déplorable. Il y a des localités très importantes qui jouent réellement de malheur dans la direction des chemins de fer.

Je viens de vous nommer la commune de Hamme. Il y a aussi Nederbrakel. C'est une localité des plus importantes qui a une population de plus de 4,000 âmes. Elle a 7 brasseries, des distilleries, des industries de tout genre, deux marchés hebdomadaires.

Eh bien, messieurs, il y a un projet de chemin de fer de Grammont (page 1036) sur Nieuport dont la tracé en ligne directe devrait passer par Nederbrakel.

Ce chef-lieu de canton sera encore négligé. On passe à côté et d'une manière telle, que cette localité sera encore privée, si le tracé n’est pas modifié, de communication par chemin de fer de même que beaucoup d'autres localités importantes.

Messieurs, que l'on ait commis des fautes, cela est incontestable, et aujourd'hui on vous propose d'en commettre une autre, c'est celle du tracé de Hal à Ath. On propose d'aller aboutir à Tubize. Ou le tracé primitif était une faute, ou la modification en est une plus grande encore : il n'y a pas à sortir de ce dilemme.

Il y a de plus, messieurs, à Nederbrakel, je dois insister sur cette circonstance, 7 brasseries, 2 raffineries de sel, des fabriques d'allumettes phosphoriques très importantes et qui donnent lieu à des transports très considérables pour le chemin de fer.

J'insiste donc pour que l'honorable ministre avise à ce que, s'il est encore en son pouvoir de le faire, le tracé soit modifié de manière que l'importante localité de Cruyshautem soit reliée à la voie ferrée, de même que l'importante commune de Nederbrakel ; cela aura du reste lieu tôt ou tard par la force des choses, mais quand ?

C'est pour la troisième fois qui la commune de Cruyshautem a été proposée pour être reliée au chemin de fer, et chaque fois elle a joué de malheur.

La première fois, la direction du chemin de fer de Gand à Courtrai passait à vol d'oiseau par Cruyshautem. On n'a pas accueilli ce tracé parce que la ville de Deynze réclamait.

La ville de Deynze, qui était moins importante sous le rapport de la population, a obtenu gain de cause.

La deuxième fois, il s'agissait du chemin de fer de Gand à Audenarde. Cette ligne devait encore passer par Cruyshautem. On a décidé de longer l'Escaut et l'on est allé aboutir à Nazareth.

Toutes les localités qui environnent la commune de Cruyshautem sont reliées au chemin de fer, bien qu'elles soient moins importantes. Waereghem, Deynze, Nazareth et d'autres communes sont reliées au chemin de fer, plusieurs par deux lignes qui viennent y converger, tandis que des localités plus importantes se trouvent encore privées de toute communication par chemin de fer.

Messieurs, on a dit : Il faut insister, il faut demander. On a insisté et l'on a demandé. Mais voyez donc combien il faut insister pour obtenir justice ! L'exemple de la province de Limbourg, surtout du chemin de fer de Tongres à Bilsen est là. Ce n'est qu'à force de persistance que les honorables membres qui représentent cette province, j'en appelé à leur témoignage, ont obtenu une tardive justice.

C'est ce que nous venons faire à notre tour. Nous ne cesserons pas d'insister tant que justice ne sera pas faite, car il est évident, je n'hésite pas à le dire, c'est un véritable déni de justice que de refuser aux différentes localités que je viens d’énumérer de les relier au chemin de fer.

Ce sont de véritables fautes de la part de l’administration dont le grand tort est d'accepter les tracés des mains des concessionnaires au lieu de les faire lui-même, de manière à satisfaire aux justes instances dos communes qui demandent un chemin de fer.

Il faut qu'on dise aux concessionnaires : C'est à prendre ou à laisser. Il y en aura toujours qui seront heureux d'accepter les tracés tels qu'ils auront été arrêtés par l'administration.

Et comment le gouvernement ne pourrait-il pas, au moyen de ses ingénieurs, établir lui-même les directions et dire aux concessionnaires : Vous prendrez cela ou vous ne prendrez rien ?

J'insiste pour que M. le ministre veuille prendre au sérieux les considérations et les observations que je lui soumets. On nous a répondu que pour établir des chemins de fer il faut des concessionnaires et des millions Nous savons cela.

Mais cependant quand il y a du bon vouloir, il y a moyen d'engager les concessionnaires à aller plutôt dans telle direction que dans telle autre, alors que l'intérêt des localités l'exige et que les réclamations sont justes.

Je bornerai là, messieurs, mes observations.

(page 1004) M. Nélis.—Messieurs, je n'ai pas demandé la parole pour combattre le projet de loi ; mon vote ne peut manquer d'être favorable lorsqu'il s'agit de travaux publics qui ont pour but de développer de plus en plus nos voies de transport qui exercent une si salutaire influence sur l'agriculture, l'industrie et le commerce.

J'ai demandé la parole pour signaler à la Chambre une lacune regrettable et qu'il importe de faire disparaître au plus tôt. Je veux parler d'un chemin de fer direct du bassin de Charleroi à Bruxelles. C'est la ligne qui reste encore à construire pour rectifier les erreurs qui ont été commises dans la construction du railway national, en prenant Malines pour point central des chemins de fer du Nord et en faisant aboutir à Braine-le-Comte les lignes du Midi.

Bruxelles, capitale du pays, grand centre de consommation et d'affaires, doit forcément être le centre des chemins de fer belges ; c'est de là que doivent partir les grandes lignes internationales auxquelles viennent se relier les lignes second ires qui vont répandre l'activité et féconder le travail dans tout le pays.

Le Gouvernement et les Chambres ont concédé les lignes directes de Bruxelles à Namur, de Bruxelles à Gand, de Bruxelles à Tournai ; le Gouvernement construit, dans ce moment, la ligne de Bruxelles à Louvain ; il ne reste plus à établir que la ligne directe de Bruxelles à Charleroi pour avoir rendu à la capitale la position qu'elle aurait dû occuper dès le commencement.

On ne doit pas conclure de mes paroles que je regarde comme inutile ce qui a été fait, loin de là. Si les lignes de Namur à Braine par Charleroi, de Malines à Louvain, de Malines à Termonde et à Gand n'existaient pas, il faudrait les construire.

Les raisons qui ont fait rectifier les lignes vers Namur, Gand, Louvain et Tournai, existent pour l'établissement d'une communication directe vers Charleroi ; des demandes en concession ont été adressées au gouvernement par des hommes sérieux ; pourquoi donc cette ligne, non moins utile que celles qui figurent au projet de loi, tarde-t-elle à se construire, pourquoi n'est-elle pas comprise dans le projet que vous êtes appelés à voter ?

Son importance ne peut être mise en doute, aucune ligne dans le pays ne donnerait lieu à un trafic plus considérable, il suffit de jeter les yeux sur la carte et de suivre son parcours pour s'en convaincre.

De Châtelineau à Luttre, elle traverserait une des parties les plus riches du bassin houiller ; à Luttre, elle se trouverait en communication directe avec Charleroi par la ligne existante ; de Luttre, elle se dirigerait sur Nivelles où elle traverserait le chemin de fer de Manage à Wavre ; puis elle passerait à Braine-l'Alleud, Waterloo, Rhode-Saint-Genèse, Uccle, pour venir se réunir au chemin de fer de l'Etat à Forest. Elle établirait donc des rapports directs avec Charleroi, où elle rencontrerait le chemin de fer d'Erquelinnes et de l'Entre-Sambre-et-Meuse. Par l'embranchement vers Châtelineau elle serait en rapport avec le chemin de fer de Morialmé vers Givet et la France. A Nivelles, elle recevrait les voyageurs et les marchandises d'Arquennes, de Feluy et d'autres communes situées le long du chemin de fer de Manage à Wavre. Cette ligne doit donc être considérée à juste titre comme une grande artère, internationale, non seulement pour la partie vers Charleroi, mais encore pour l'embranchement vers Châtelineau.

L'importance d'une pareille ligne ne peut être contestée, je suis même disposé à croire que c'est son importance même qui en retarde l'exécution. Le gouvernement hésite à cause de la concurrence qu'elle doit faire au chemin de fer de l'Etat par Braine. Après toutes les rectifications qui ont été faites, un pareil argument n'a plus de valeur, et quoi que l'on fasse pour en retarder l'exécution, ce chemin de fer se fera, parce qu'on ne peut obliger toujours les voyageurs et les marchandises d'un centre aussi producteur que Charleroi à faire le détour par Braine-le-Comte ou par Ottignies pour se rendre sur un marché aussi important que celui de Bruxelles.

Trop d'intérêts sont engagés dans la question, et mes honorables collègues les représentants de Charleroi et de Bruxelles sauront faire ressortir avec le talent qui les distingue, les avantages qu'en retireraient les producteurs du bassin de Charleroi et les consommateurs de la grande agglomération bruxelloise.

Mais, messieurs, ce chemin de fer n'est pas seulement appelé à raccourcir les distances entre Charleroi et Bruxelles ; il donnerait des débouchés à de nombreuses populations qui en sont privées aujourd'hui. L'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter dans cette Chambre y est trop intéressé pour que je ne vous dise pas quelques mots des localités que cette nouvelle ligne traverserait.

De nombreuses pétitions vous ont été adressées pour vous demander d'autoriser le gouvernement à concéder cette ligne, et si je ne vous propose pas un amendement dans ce sens, c'est que je reconnais que lorsqu'il s'agit de travaux de l'espèce, il convient que l'initiative soit prise par le gouvernement.

Parmi ces pétitions, je signale à votre attention celles de la chambre de commerce de Nivelles, de l'administration communale et d'un grand nombre d'habitants de cette ville, celles des administrations communales de Braine-l'Alleud, Waterloo, Rhode Saint-Genèse, Gilly, Gosselies, Feluy, Arquennes et de plusieurs autres communes.

La ville de Nivelles chef-lieu d'arrondissement, rapprochée des bassins houillers de Charleroi et du centre, entourée d'un sol riche, oh toutes les choses nécessaires à la vie sont abondantes et à des prix peu élevés, se trouve dans les conditions les plus favorables au développement de l'industrie ; il ne lui manque que des communications directes pour recevoir les matières premières et écouler les produits.

Les intérêts de cette ville ont été longtemps méconnus et sacrifiés ; quoique située à peu près sur la ligne directe de Bruxelles à Charleroi, elle est restée longtemps dans l'isolement, il a fallu un effort d'imagination pour trouver le moyen de relier Charleroi et Namur avec Bruxelles sans traverser l'arrondissement de Nivelles.

Cette position fâcheuse dans un moment où l'industrie prenait un si grand essor dans les localités desservies par des voies ferrées, s'est améliorée par l'établissement du chemin de fer de Manage à Wavre. Dès cette époque l'industrie et le commerce ont commencé à se développer. La compagnie centrale pour la construction du matériel des chemins de fer y a fondé un vaste atelier de construction ; il y existe un grand nombre d'autres établissements dont je ne vous donnerai pas la nomenclature ; on peut voir à cet égard la pétition du conseil communal de Nivelles.

Pour vous démontrer combien sont considérables les affaires qui se traitent à Nivelles et dans les environs, il suffit de vous citer le chiffre d'escompte que fait annuellement le comptoir de la Banque nationale, établi dans cette ville ; ce chiffre en dira plus que tous les raisonnements. En 1862 il a dépassé 22,000,000 de fr. chiffre beaucoup plus élevé que celui des comptoirs établis à Namur, Louvain et autres villes. Mettre cette ville en rapport direct avec Charleroi et Bruxelles, c'est assurer sa prospérité croissante.

La commune de Braine-l'Alleud est importante non seulement par sa population, mais surtout par les diverses industries qui y existent, ainsi que dans les communes voisines. Plusieurs filatures de coton donnent du travail à de nombreux ouvriers, la guerre d'Amérique les oblige à un chômage qui, je l'espère, ne se prolongera pas. Le genre de fabrication le plus répandu dans cette localité et dans les environs, c'est la fabrication des tissus de colon mélangé d'autres matières textiles. La difficulté des communications rend la position de ces industries difficiles ; déjà quelques fabricants ont transporté le siège de leurs affaires ailleurs et si cette situation devait se prolonger, l'industrie de cette commune irait en déclinant.

Waterloo possède une des plus grandes sucreries du pays ; trop éloignée du chemin de fer du Luxembourg, elle lutte difficilement avec les établissements ayant des communications faciles et économiques.

(page 1005) Une ligne ferrée qui mettrait cette commune en rapport avec la capitale, donnerait lieu à un grand mouvement de voyageurs, on aime à revoir ce champ de bataille, à jamais mémorable, où a fini la plus grande lutte des temps modernes.

La commune de Rhode-St-Genèse possède plusieurs papeteries activées par des machines à vapeur qui ne consomment pas moins de 15,000 kilogrammes de charbon par jour. Cette commune étant située dans l'arrondissement de Bruxelles, je n'en dirai pas davantage ; je laisse à mes honorables collègues de Bruxelles le soin de faire valoir ses intérêts.

Les populations des communes, y compris la ville de Nivelles, situées entre Luttre et Foret, qui pourraient être desservies par le chemin de fer dont il s'agit, doit être évaluée à environ 50,000 habitants ; si ces populations se trouvaient réunies dans un seul centre, on ne pourrait leur refuser une voie ferrée pour les relier à la ville de Bruxelles où elles ont leurs relations ni avec le bassin de Charleroi qui leur fournit les combustibles et autres matières premières et parce qu'elles sont disséminées dans plusieurs localités, on paraît y faire peu d'attention ; pour qu'elles aient un chemin de fer, il faut qu'il puisse être construit dans les meilleures conditions et qu'il présente un raccourcissement notable entre Charleroi et Bruxelles. Mais, messieurs, n'est-ce pas un bien de voir l'industrie se développer dans les campagnes, où l'ouvrier se trouve dans des conditions bien plus favorables tant sous le rapport de sa santé que de sa moralité et ne doit-on pas favoriser ce mouvement par des voies ferrées qui aujourd'hui sont indispensables à l'industrie et au commerce !

J'ajouterai qu'il y a, en quelque sorte, justice à donner à ces localités la voie ferrée qu'elles nous demandent. Un chemin de fer de Nivelles à Groenendael a été concédé ; sans le prolonger jusqu'à Luttre, il ne se présentera pas de capitaux pour le construire. Pourrait-on refuser ce prolongement s'il était demandé ? Ce serait méconnaître l'esprit juste et impartial du gouvernement que de le supposer, et aujourd'hui que l'on sollicite du gouvernement et des Chambres, une ligne dans des conditions bien meilleures et dont l'Etat peut, au besoin, se réserver l'exploitation, il y aurait injustice à refuser de donner satisfaction à d'aussi grands intérêts.

Ces communes ont encore eu l'espoir d'avoir un chemin de fer. Lorsqu'il s'est agi du rachat du chemin de fer de Mons à Manage, le bruit s'est répandu que la société du Nord allait faire cette opération pour arriver à Bruxelles par la ligne de Manage à Nivelles et la nouvelle ligne à construire de Nivelles à Groenendael.

Le gouvernement, pour empêcher cette puissante compagnie de venir faire concurrence aux lignes de l'Etat, a racheté lui-même le chemin de fer de Manage à Wavre, et cette partie de l'arrondissement de Nivelles a de nouveau été sacrifiée dans le but de sauvegarder les intérêts du trésor. Je ne m'en plains pas, mais ce sont des considérations dont le gouvernement doit tenir compte, en se montrant moins difficile aujourd'hui.

Je conviens que la réponse que M. le ministre a donnée à la section centrale, a fait faire un pas à la question. D'après cette réponse, le gouvernement est disposé à concéder immédiatement l'embranchement de Luttre à Châtelineau, qu'il considère comme un chemin de fer industriel, mais pour la partie de Luttre à Bruxelles, qui aurait un grand mouvement de voyageurs, M. le ministre affirme que les plans présentés par les demandeurs en concession ne sont pas satisfaisants, parce qu'ils ne sont pas établis sur un profil présentant toutes les garanties de sécurité et de rapidité d'exploitation. D'après M. le ministre, pour que ce chemin de fer puisse être concédé, il faut qu'il soit construit avec un maximum acceptable de pentes et de rampes et qu'il présente un raccourcissement assez notable entre Bruxelles et Charleroi.

Je prends acte de la réponse du gouvernement et je conserve l'espoir que nos justes demandes seront entendues, je me repose sur les paroles que M. le ministre a prononcées dans la séance du 24 mars dernier. En parlant des concessions de 1,500 kilomètres de chemin de fer accordées depuis 4 ans, M. le ministre disait : « Pourquoi n'ont-elles pas abouti plus tôt ? Parce que nul autant que nous n'a encouragé les entreprises, cherché à les faciliter, à en assurer l'exécution. Parce que nul plus que nous ne comprend la nécessité de développer nos voies de transport. »

Je termine en faisant remarquer à M. le ministre que le raccordement à construire est de peu d'étendue ; la distance entre Luttre et Forêt ne doit pas excéder 35 kilomètres ; que cette ligne est appelée à donner satisfaction à des intérêts autres que ceux de Bruxelles et de Charleroi, qu'il est de toute justice que le gouvernement en tienne compte en n'imposant aux demandeurs en concession que des conditions acceptables et en rapport avec les difficultés qui peuvent se présenter dans la construction de cette ligne.

Rapports de naturalisation

Projet de loi approuvant la convention additionnelle de commerce et de navigation conclue avec la France

Rapport de la section centrale

M. de Boe. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné la convention additionnelle de commerce et de navigation conclue entre la Belgique et la France, et sept rapports de naturalisation ordinaire,

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les met à la suite des objets à l'ordre du jour.

Projet de loi relatif à la concession de divers chemins de fer

Discussion générale

M. le président. - La parole est à M. J. Jouret.

M. J. Jouret. - M. le président, mon honorable ami M. Ansiau et moi nous avons déposé un amendement.

M. le président. - Voici cet amendement :

« Les soussignés ont l'honneur de proposer d'ajouter à l'article 2 le paragraphe suivant :

« C. Un chemin de fer direct d'Houdeng à Jurbise par le Rœulx. »

M. J. Jouret. - Je comprends que cette discussion est fort peu intéressante pour la Chambre. Cependant comme je ne dois pas être long, je lui demande de m'accorder un peu d'attention.

Messieurs, pour justifier l'amendement que l'honorable M. Ansiau et moi nous avons présenté, il me suffirait de prendre textuellement dans l'exposé des motifs du projet de loi, les considérations que le gouvernement fait valoir à l'appui de quelques lignes qui, plus heureuses que celle de Houdeng à Jurbise qui fait l'objet de notre amendement, sont, sans plus de raison que la nôtre pourtant, comprises au projet du gouvernement.

Mais je démontrerai brièvement et d'une manière absolue l'utilité de ce chemin de fer, et la nécessité qu'il y a, si on veut être juste, de le comprendre au projet en discussion.

Messieurs, au point où en est le développement des chemins de fer dans notre pays, et en présence des résultats prodigieux, sous le rapport de la prospérité publique, que ce développement a produits, parler des avantages immenses qu'offrent les chemins de fer aux contrées qu'ils traversent, est désormais inutile.

Au point de vue des intérêts généraux, l'Etat qui est la personnification de ces intérêts, doit, s'il veut remplir sa mission et demeurer conséquent avec les principes économiques qu'il professe dans toute occasion, s'attacher au développement de ces grandes voies qui portent la vie et le progrès dans toutes les parties du territoire.

Il n'est plus admis par personne, il n'est plus admis par le gouvernement lui-même, l'exposé des motifs de la loi le prouve à évidence, qu'en sa qualité d'exploitant à son profit de certaines lignes de chemins de fer, il puisse se dispenser de remplir cette mission, lorsque l'intérêt général du pays vient lui tracer son devoir.

Messieurs, il est impossible que le gouvernement se refuse encore aujourd'hui à concéder la ligne de Houdeng à Jurbise, qui est plus courte que les siennes et qui vient enfin relier au réseau de l'Etat une ville et des populations délaissées jusqu'aujourd'hui.

Il a rendu toute objection sérieuse impossible depuis qu'il a concédé, avec raison, je me hâte de le dire, et je l'en félicite, les lignes du plateau de Herve, de Braine-le-Comte à Gand, d'Ath à Hal, d'Anvers à Hasselt, de Saint-Ghislain à Gand et principalement celles de Piéton à Seneffe, de Courtrai à Denderleeuw et de Grammont à Nieuport qui sont comprises au projet.

Est-il possible de rien dire de plus concluant en faveur de notre amendement, en faveur de la ligne de Houdeng à Jurbise, que ce que l'on dit dans l'exposé des motifs même à propos de ces lignes ?

On dit, en effet, à propos de la ligne de Piéton à Seneffe : « Ce petit railway, d'une étendue de 9 à 10 kilomètres se rattachant d'une part au chemin de fer de Manage à Wavre, et d'autre part à celui du Centre à Marchienne-au-Pont, a pour but de relier quelques charbonnages du Centre au chemin de fer de Manage à Wavre, d'une manière plus directe qu'ils ne sont actuellement reliés, de raccourcir les distances et de faciliter ainsi le transport de ses produits vers Louvain. »

Eh bien le chemin de fer de Houdeng à Jurbise a également pour but de relier les autres charbonnages du Centre au chemin de fer de l'Etat, et au chemin de fer de Tournai à Jurbise d'une manière plus directe qu'ils n'y sont actuellement reliés, de raccourcir les distances, de faciliter ainsi le transport des produits de ces charbonnages vers Ath, Leuze, Tournai, Lessines et la vallée de la Dendre.

On peut encore dire de la ligne de Houdeng à Jurbise ce que l'exposé des motifs dit, avec raison, des lignes de Courtrai à Denderleeuw et de Grammont à Nieuport.

« Elle répondra ensuite aux besoins des nombreuses populations qui attendent avec impatience le moment où elles seront appelées à jouir à leur tour de ces moyens de transport rapides et économiques, qui sont, (page 1006) pour l'agriculture, le commerce et l'industrie, le plus puissant élément de prospérité. »

Il est impossible de trouver des paroles qui s'appliquent d'une manière plus heureuse à la ligne dont nous proposons l'adoption.

Messieurs, l'accroissement incessant des recettes sur le chemin de fer, qui a été, en 1861, de plus de huit millions de francs, a prouvé qu'en général, les nouvelles concessions amènent toujours, même lorsqu'elles font légèrement concurrence aux lignes de l'Etat, un mouvement plus considérable sur ces mêmes lignes. Cette proposition ns se discute plus aujourd'hui, elle est considérée comme un principe auquel chacun rend hommage.

Notre ligne ne peut donc qu'être avantageuse à l'Etat, même considéré comme exploitant de chemins de fer.

A ces considérations générales, viennent s'enjoindre d'autres qui, pour être spéciales au canton du Rœulx, n'en ont pas moins une grande valeur.

La ville et la plus grande partie du canton du Rœulx sont presque seuls en Belgique privés de voies de transports rapides et économiques. Cela est-juste ?

Est-il équitable de laisser dans l'isolement les industries du plateau situé entre le centre et Jurbise, et de les condamner éternellement, au profit de l'Etat seul, au détour par Braine-le-Comte ou Mons ? Je ne pense pas qu'on puisse le prétendre.

Si, par la construction de la ligne de Houdeng à Jurbise, les transports désertent les quelques kilomètres de la ligne de la Louvière, ils se rattachent directement à tout le réseau de Braine-le-Comte à Tournai, de la Flandre, de Dendre-et-Waes, de la grande ligne du Midi, ainsi, que des voies navigables qui vont s'ouvrir dans le bas Escaut.

Les produits qui font l'objet de ces transports sont nombreux et importants, on le sait, dans le canton du Rœulx, l'un des plus riches du pays en établissements métallurgiques, carrières diverses, verreries, hauts fourneaux, établissements mécaniques, etc., etc., et la ligne sera à peine en voie de construction, que tous ces centres de production prendront des mesures pour venir s'y relier.

La seule objection que l'on fasse à la concession de ce railway, c'est qu'il ferait double emploi avec les lignes de l'Etat. Mais cette objection, on a eu vingt fois l'occasion de la faire à propos des concessions accordées dans ces dernières années, et notamment pour toutes les lignes que j'ai citées plus haut.

Et cette objection, je ne comprends vraiment pas qu'on la fasse, en présence de la ligne de Piéton à Seneffe, qui coupe diagonalement la ligne de l'Etat et lui est parallèle, tantôt à droite, tantôt à gauche, et de celles de Denderleeuw à Courtrai, et de Grammont à Nieuport qui, sur une grande partie de leur développement, et en se rejoignant à Audenarde, courent presque dans la même direction.

Je ne comprends pas que l'on puisse parler de double emploi dans la création de cette ligne. Non seulement les populations comprises entre Houdeng et Jurbise ne possèdent aucun raccordement aux lignes qui les entourent à une grande distance, mais le Centre, proprement dit, lorsqu'il veut se diriger vers Ath, Tournai, Lessines, la vallée de la Dendre, les Flandres, se trouve dans une véritable impasse, dont arrivé, soit à la station de Houdeng, soit à la Louvière, il ne peut sortir sans faire des circuits aussi onéreux qu'inutiles.

Ainsi, pour gagner Jurbise, soit par les Ecaussines, soit par Mons, les produits du Centre ont à parcourir respectivement 34 ou 29 kilomètres, tandis que par la ligne directe demandée, cette distance serait réduite à 19 kilomètres, d'où résultera une réduction respective de parcours de 15 et de 10 kilomètres, soit d'un tiers à la moitié.

Messieurs, le gouvernement ne peut pas perdre de vue dans cette occasion une question de la plus haute importance. Toujours pour les transports des charbonnages du Centre, on s'est attaché, par des péages différents, à établir une sorte d'équilibre que je ne veux pas défendre au point de vue économique, mais qui cependant a été maintenu jusqu'ici. Que deviendrait cet équilibre en présence de la concession de la ligne de Piéton à Seneffe, et du refus obstiné de concéder la ligne de Houdeng à Jurbise ? Le gouvernement et la Chambre poseraient, à mon avis, un acte d'une extrême gravité, et, à coup sûr, injustifiable.

Messieurs, une considération bien importante encore. L'Etat exploite la ligne de Jurbise à Tournai, une ligne va être construite de cette ville à Lille. Au moyen de la ligne demandée, le centre peut étendre ses placements dans le département du Nord, surtout pour ses charbons de forges et ses cokes qui y sont très goûtés. On obtiendrait en même temps, et je recommande cet objet à l'attention de mes honorables collègues de Charleroi, une ligne presque directe de Charleroi à Lille.

De plus, les hauts fourneaux du Centre tireraient un grand avantage de cette ligne, en ce que les minerais de Tournai de même que la Castine de Casteau qu'ils emploient en abondance, y arriveraient avec facilité.

Le rôle de la nouvelle ligne, de même que de celle du Centre ne peut mieux être comparé qu'à celui des chemins de fer du Haut-Flénu et Bas-Flénu, de Saint-Ghislain et de ceux des carrières de Soignies et de Quenast. Ce ne sont que des voies de transport des lieux d'extraction aux voies ferrées et navigables de l'Etat, à Marchienne, à la Louvière, aux Ecaussines et à Jurbise, si notre amendement est adopté. Il suffit de jeter un coup d'œil sur la carte pour reconnaître qu'il en est ainsi.

L'utilité et l'urgence de ce travail sont choses manifestes. La combinaison financière nécessaire à ce projet est réalisée, on offre de déposer le cautionnement exigé par la loi, et de justifier des moyens d'exécution. Tout cela serait fait depuis longtemps si M. le ministre des travaux publics l'avait voulu.

Il est impossible, selon nous, que le gouvernement et les Chambres se refusent à accueillir une demande de concession qui se présente dans de pareilles conditions.

Messieurs, ce n'est pas seulement en refusant ce travail si éminemment utile au centre, que l'on porte préjudice à l'arrondissement de Soignies ; le projet de loi lui enlève encore des espérances sur lesquelles il avait droit de compter.

Il suffit de jeter un coup d'œil sur le plan joint au projet pour voir que nous allons avoir un chemin de fer de Braine-le-Comte à Grammont, de Grammont à Audenarde et d'Audenarde à Courtrai. Or, je le demande, quelle espérance pouvons-nous conserver de voir exécuter le chemin de fer de Braine-le-Comte à Courtrai, qui avait été concédé au sieur Tarte et qui, passant par les villes d'Enghien, de Lessines, de Renaix, allait directement à Audenarde ?

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). -Ce n'est pas la faute du gouvernement si ce chemin de fer n'a pas été construit.

M. J. Jouret. - Je sais que ce n'est pas la faute du gouvernement si ce chemin de fer ne s'est pas fait. Mais je signale comme une aggravation du projet à notre égard cette circonstance qu'il fait disparaître l'espoir de voir s'exécuter le chemin de fer du sieur Tarte. C'est un argument qui a sa valeur pour vous faire comprendre combien il serait juste, dans une pareille situation, de donner une compensation à l’arrondissement de Soignies.

Je pourrais faire valoir d'autres considérations en faveur de cette compensation, mais il en est d'une nature tellement délicate que je ne veux pas les aborder dans cette discussion. Je me borne à prier la Chambre de bien vouloir prendre mon amendement en considération et j'ose espérer qu'elle y adhérera.

M. le président. - J'ai reçu un amendement au même paragraphe ; il est ainsi conçu :

« Ajouter à l'amendement de MM. Jouret et Ansiau ces mots : « Et un chemin de fer direct de Jemmapes à Jurbise.

« (Signé) Dolez. >

La parole est à M. Ansiau.

M. Dolez. - Si M. Ansiau voulait me le permettre, je n'ai que quelques mots à dire pour développer mon amendement.

M. Ansiau. - Je cède mon tour de parole à M. Dolez.

M. Dolez. - Je remercie mon honorable collègue de bien vouloir me céder la parole. Cela me permettra de ne vous dire que quelques mots pour développer mon amendement.

En effet, tous les motifs qui ont été donnés par mon honorable collègue et ami M. Jouret pour obtenir une ligne directe d'Houdeng vers Jurbise, existent en faveur d'une ligne directe de Jemmapes à Jurbise. La courbe que fait la ligne actuelle dans un sens pour le bassin du Centre, elle le fait dans un autre sens pour le bassin de Mons.

Je demande que le jour où la justice du gouvernement reconnaîtra qu'il y a lieu d'accorder la concession que demande l'honorable M. Jouret, il reconnaisse que cette concession a une sœur jumelle, qui se présente dans les mêmes conditions et qui est celle que comprend mon amendement.

Voilà, messieurs, tout ce que je veux dire pour développer ma proposition, complément nécessaire de celle de mes honorables collègues MM. Jouret et Ansiau. Le gouvernement ne peut manquer, dans sa justice, de reconnaître qu'elles sont inséparable ?.

M. J. Jouret. - Je demande à dire quelques mots en réponse à l'honorable M. Dolez.

La Chambre me considérerait comme étant d'une naïveté par trop grande, si elle croyait que je ne comprends pas que le succès de notre amendement est devenu infiniment plus difficile depuis la proposition de l'honorable M. Dolez. C'est une manière indirecte de venir augmenter la (page 1007) difficulté qu'il y a à faire accepter incidemment des propositions, quelque fondées qu'elles soient.

M. Dolez. - C'est le même principe.

M. J. Jouret. - C'est le même principe, peut-être. Mais il y a cette différence que vous n'apportez pas, à l'appui de votre proposition, des études qui datent de longtemps. Vous ne dites pas, comme nous, que depuis longtemps nous demandons à M. le ministre des travaux publics d'accepter les propositions qui lui sont faites, qu'un concessionnaire est prêt à fournir le cautionnement, à réunir les fonds nécessaires et à justifier de la possibilité d'une exécution immédiate.

Votre proposition ne se présente donc pas dans les mêmes conditions que la nôtre. Je ne dis pas qu'elle ne repose pas sur le même principe, mais c'est un point à examiner dans une autre occasion.

Je prie donc la Chambre, si elle est disposée à accepter notre amendement, de ne pas se laisser détourner de sa résolution par la proposition que vient de faire l'honorable M. Dolez, proposition dont personne n'a entendu parler et qui n'est pas mûre comme la nôtre.

M. Julliot. - Messieurs, toujours disposé à être juste envers tout le monde et appréciant les projets qui me sont présentés pour la valeur qu'ils ont, sans me préoccuper de la question de savoir quelle est la couleur de la main qui me les présente, je suis amené à reconnaître que le projet en discussion est une preuve de plus de l'intelligente impulsion que M. le ministre des travaux publics a donnée à la satisfaction des besoins économiques du pays.

L'honorable ministre a beaucoup fait sans trop obérer les finances en proportion et quelle que soit encore la durée de son règne, il aura laissé des traces multiples et utiles de son premier passage aux affaires. Faire peu de politique, mais beaucoup de chemins de fer, c'est de bonne politique.

Mais, quand les lignes ferrées sont décrétées, tout n'est pas dit ; il faut qu'elles soient construites conformément aux contrats et surtout exploitées en leur temps.

Il existe une concession de Tongres à Munsterbilsen ; cette ligne devait être livrée à l'exploitation au mois de novembre 1862. Par la loi de l'année dernière, on a décrété une seconde concession de Tongres à Liège avec bifurcation sur Ans.

Ce sont deux contrats différents.

Or, la ligne de Tongres à Dilsen n'est pas encore achevée et on pense que les concessionnaires se proposent de n'exploiter cette ligne que quand tout le chemin sera achevé. Ce qui pourra nous conduire à une année ou deux de patience avant de pouvoir se mettre en waggon à Tongres.

La compagnie peut avoir quelque intérêt à n'exploiter que l'ensemble de ces trois lignes, mais le public aussi a son intérêt, qui n'est pas à dédaigner.

Messieurs, comme tout est transaction dans le monde, je ne demande aucune sévérité contre cette compagnie pour le passé ; mais je prie M. le ministre de me dire s'il consent à obliger les concessionnaires à exploiter la ligne de Tongres à Munsterbilsen au 1er septembre prochain. Le commerce tongrois se plaint à bon droit de l'inexécution du premier contrat, je l'engagerai à patienter encore si M. le ministre veut prendre une position nette dans cette affaire.

Quand on met tant de bon vouloir d'une part, on peut s'attendre à être soutenu par le gouvernement.

J'attendrai donc une réponse de ce chef, car il s'agit de l'exécution pure et simple d'un contrat.

M. de Florisone. - Il suffit de jeter les regards sur la carte qui vient de nous être distribuée, pour se convaincre que la Flandre occidentale est une de nos provinces où il reste le plus à faire, sous le rapport des chemins de fer. Toutes les lignes qui la traversent partent du littoral vers l'intérieur du pays, vont de l'ouest vers l'est ; il nous manque une voie ferrée qui, prenant son origine au chemin du Nord français, aboutisse au port d'Ostende, reliant ainsi entre elles toutes les concessions belges et mettant en communication directe les principaux centres des arrondissements d'Ypres et de Roulers d'une part avec le chef-lieu de la province et la mer, de l'autre avec le département du Nord et la France. La simple inspection de la carte démontre à l'évidence la regrettable lacune que je signale, et je crois inutile d’insister sur la haute utilité pour le pays en général à la combler. Les remarquables requêtes de la chambre de commerce d'Ypres, du conseil communal de cette ville, de Langhemarck, de Messines, de Staden, de Warneton, et d'autres localités encore, établissent l'importance capitale, pour l'arrondissement d'Ypres, de la ligne d'Armentières à Ostende.

Messieurs, au point où la Belgique en est arrivée, toute commune dépourvue d'un chemin de fer se trouve dans une situation d'infériorité vis-à-vis du reste du pays.

Aussi, messieurs, vous avez pu juger par les nombreuses pétitions déposées sur le bureau de la Chambre avec quelle instance les communes privées de voies de communication demandent à être reliées au railway national. Je croirais manquer à tous mes devoirs si je n'appuyais de toutes mes forces les vœux si légitimes des populations que je représente plus spécialement dans cette enceinte.

Messieurs, le projet de loi soumis à vos délibérations, je le reconnais volontiers, renferme des concessions fort avantageuses pour la Flandre. Je remercie le gouvernement de les avoir présentées.

La construction de la ligne de Courtrai-Denderleeuw raccourcira notablement la distance qui nous sépare de Bruxelles, tandis que la jonction de la ligne de Courtrai-Ypres à celle du Nord, en tirant Poperinghe de l'impasse où cette ville se trouve aujourd'hui facilitera les rapports commerciaux de la Flandre avec les ports de Calais et de Dunkerque. Les termes dans lesquels la concession se trouve accordée permettront au gouvernement d'établir, après un accord préalable avec la France, le point de jonction de la manière la plus conforme à l'intérêt général du pays et aux demandes des communes intéressées.

Il me reste, messieurs, à vous dire quelques mots en faveur des pétitions de Comines, Warneton, Neuve-Eglise, Dranoutre, Kemmel et Wervicq. Messieurs, ces localités situées au sud de l'arrondissement d'Ypres, en relations journalières d'affaires avec le département du Nord sollicitent un chemin de fer qui les mette en communication avec la France et le railway de la Flandre occidentale. Cette ligne n'est pas hostile à celle de Poperinghe puisqu'elle dessert d'antres intérêts. Ces embranchements, loin de s'exclure, deviendront deux précieux affluents pour le chemin de fer de la Flandre occidentale à Haezebrouck et par le trafic nombreux et la circulation nouvelle qu'elles amèneront, diminueront la garantie d'intérêt à payer par l'Etat.

Plusieurs tracés destinées à relier d'importants cantons au réseau national, et dignes au même degré de l'appui sympathique des représentants d'Ypres, ont été mis en avant pour cette jonction. Dans l'impossibilité de discuter ces tracés, en l'absence d'une demande formelle en concession, je me borne à prier le gouvernement de ne s'arrêter à un projet définitif qu'après un examen approfondi de tous les intérêts engagés dans cette question.

Outre ces divers projets que je recommande à toute la sollicitude du gouvernement il en est un encore qui mérite de fixer son attention spéciale, c'est celle qui relierait la ville de Poperinghe par Proven, Rousbrugge à Bergues et Dunkerque. Cette voie de communication serait d'une utilité incontestable pour le canton si riche dont Rousbrugge est le chef-lieu et qui se trouve dans un regrettable abandon.

Je n'abuserai pas plus longtemps des moments de la Chambre, messieurs, pour démontrer la haute importance de ces lignes qui traverseraient des localités riches dont l'essor industriel et agricole est paralysé par le manque de communications rapides et économiques.

Je termine, messieurs, en renouvelant mes instances auprès du gouvernement pour que la partie de la Flandre occidentale dont je parle soit mise dans le prochain projet des travaux publics, au niveau du reste de la Belgique, sous le rapport des voies ferrées.

M. Van Renynghe. - Messieurs, je viens appuyer les observations judicieuses de mon honorable collègue M. de Florisone, relatives à des demandes de construction de nouvelles lignes ferrées qui intéressent à un haut degré différentes parties de l'arrondissement que nous avons l'honneur de représenter.

Je saisis cette occasion pour adresser des remerciements très sincères à M. le ministre des travaux publics, de ce qu'il ait bien voulu comprendre dans le grand projet de loi en discussion, le prolongement du chemin de fer de Poperinghe vers Hazebrouck, ou tout autre point du chemin de fer du Nord, compris entre cette dernière, ville et celle de Dunkerque.

Depuis longtemps des études sérieuses ont été faites pour prolonger cette ligne, qui ne forme aujourd'hui qu'un cul-de sac et qui, reliée au chemin de fer du Nord, rendrait des services éminents au commerce, à l'industrie et à l'agriculture de populations actives et nombreuses, en allégeant considérablement les sacrifices que l'Etat a dû s'imposer pour la construction du chemin de fer de la Flandre occidentale.

Le prolongement de cette ligne est vivement réclamé par la ville d'Ypres et par la chambre de commerce de cette ville qui insistent en même temps pour obtenir la construction d'un chemin de fer d'Ostende à Armentières.

J'appelle l'établissement de cette nouvelle voie de tous mes vœux et je la recommande à l'attention toute particulière de M. le ministre de (page 1008) travaux publics, afin que, dans un temps rapproché, elle puisse faire partie d'un nouveau projet de loi.

Les villes et les communes que cette nouvelle ligne traverserait, sont Warneton, Messines, Ypres, Langemarck, Staden, Thourout et Ghistelles. Sous aucun rapport la grande importance de ces localités ne peut être contestée, et, par conséquent, l'utilité et l'urgence de cette construction ne peuvent être mises en doute par personne.

L'on sollicite d'autres chemins de fer qui traverseraient des contrées riches et populeuses de l'arrondissement que je représente. Je voudrais les voir s'exécuter, et même au besoin, je les appuierai de toutes mes forces.

J'espère que dans un temps plus ou moins rapproché chaque localité importante aura son chemin de fer.

Je ne veux pas prolonger ces débats, attendu l'impatience de la Chambre, et je finis en la priant d'adopter la proposition du gouvernement qui tend à ce qu'il soit autorisé à concéder un chemin de fer de Poperinghe à la frontière française dans la direction d'Hazebrouck ou d'un point intermédiaire entre cette ville et Dunkerque.

- La séance est levée à cinq heures.