(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1862-1863)
(page 919) (Présidence de M. Vervoort.)
M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la séance du 9 mai.
- La rédaction en est approuvée.
Il présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Des brasseurs dans le canton de Maeseyck demandent la réduction des droits grevant la fabrication des bières. »
- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.
« Le conseil communal de Gilly demande que le projet de loi relatif à la concession de chemin de fer comprenne la ligne de Luttre vers Bruxelles, avec embranchement de Luttre à Châtelineau. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Le sieur Smets, soldat congédié pour infirmités contractécs par le fait du service, demande une augmentation de pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Brabant, secrétaire de la ville d'Harlebeke, prié la Chambre de rejeter les demandes tendantes à fixer le traitement des secrétaires communaux d'une manière uniforme, suivant la population. »
- Même renvoi.
« Des habitants de la paroisse de Saint-Josse-ten-Noode réclament l'intervention de la Chambre pour qu'on puisse commencer les travaux de construction d'une nouvelle église. »
- Même renvoi.
M. de Theux. - Je prie la Chambre de renvoyer cette pétition à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
Cette requête est, signée par un grand nombre d'habitants de Saint-Josse-ten-Noode qui se plaignent à bon droit de l'insuffisance et du mauvais état de la petite église, qui est tout à fait hors de proportion avec l’immense population de cette partie des faubourgs.
Il y a plus de dix ans que cette question de la construction de l'église est sur le tapis, qu'elle est renvoyée d'une autorité à une autre, et les habitants réclament la sollicitude bienveillante de la Chambre pour les tirer d'embarras.
Je demande donc qu'un prompt rapport soit fait sur cette pétition.
- La proposition de M. de Theux est adoptée.
« Des membres du conseil communal d'Oostacker se plaignent d'une infraction à l'article 15 de la loi communale. »
M. Coppens. - Je prie la Chambre de renvoyer cette pétition à la commission des pétitions avec prière de faire un très prompt rapport. La question est urgente, vu l'époque prochaine des élections.
- Cette proposition est adoptée.
« Le sieur Verlot, cultivateur à Oostacker, réclame l'intervention de la Chambre pour être porté sur la liste des électeurs de cette commune. »
- Même renvoi.
« Par dépêche du 4 mai, M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre 118 exemplaires du tome VII des Documents statistiques publiés par son département. »
- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.
M. de Theux. - Messieurs, un projet de loi de la plus haute importance vient d'être présenté à la Chambre, c'est celui qui a pour objet la constitution d'une société anonyme des immeubles.
Si cette société n'avait pour objet que les terrains des anciennes fortifications de la ville d'Anvers, la question de l'entrepôt et d'autres questions accessoires, je me serais gardé de faire la motion. Mais ce projet s'étend à tous les intérêts, à toutes les villes, à toutes les communes du royaume.
Voici, messieurs, quels sont les objets de la société.
Indépendamment de tout ce qui concerne Anvers, le projet est en quelque sorte général, il embrasse tous les intérêts. Ce n'est pas une société spéciale ; c'est une société universelle. Non seulement le projet concerne Anvers, il a encore pour objet l'exécution de tous les travaux ayant pour but l'embellissement et l'assainissement de Bruxelles et de ses faubourgs, et de toutes les autres communes du royaume de Belgique.
Vous savez, messieurs, quelles vives émotions causent à Paris les grands travaux qui s'y font ; comment le sénat a été saisi de cette question si importante pour la capitale de la France. Là cependant il ne s'agissait que' d'une seule localité. Ici, il s'agit d'Anvers et de la capitale, mais ce n'est pas tout, La société a aussi pour toutes les villes et communes :
« 2° La construction et l'exploitation de tous établissements, tels que magasins et entrepôts publics, docks, bassins, quais, canaux, cales, bains et lavoirs, cités ouvrières, salles de vente, en se conformant aux lois du pays ;
« 3° L'acquisition et la prise h bail ou en emphytéose de tous immeubles de quelque nature qu'ils soient, ; l'exploitation et la mise en valeur de ces immeubles, leur revente, échange ou location ;
« 4° Les prêts sur des immeubles jusqu'à concurrence de 50 p. c. de leur valeur ;
« 5° L'entreprise, pour le compte soit de la société, soit de l'Etat, soit des provinces et des communes, de tous travaux se rattachant à l'industrie de la construction ;
« 6° Enfin, toutes entreprises dont le caractère ou le but principal serait de faire valoir les immeubles. »
Messieurs, un projet de loi aussi important ne peut être examiné avec fruit dans les derniers jours d'une session, au milieu de tant d'autres préoccupations d'une extrême gravité. Je demande donc que le projet de loi soit renvoyé à l'avis des conseils provinciaux qui vont bientôt se réunir.
Il s'agit d'une société qui concerne toutes les provinces, toutes les communes. L'agriculture elle-même y est grandement intéressée, car en vertu des statuts, rien n'empêchera que la société ne s'empare de tous les terrains communaux du pays.
En présence de la loi d'expropriation pour cause d'assainissement, de la loi sur les défrichements, de la loi sur l'embellissement des villes, de la loi générale sur les expropriations forcées, il est impossible de concevoir l'étendue des pouvoirs qu'il s'agit de conférer au gouvernement par l'intermédiaire de cette société. Or, messieurs, jamais peut-être un projet d'une telle importance matérielle n'a été soumis aux délibérations du parlement.
Messieurs, s'il y avait quelque urgence eu ce qui concerne la question d'Anvers, je poserais cette alternative ; qu'on fasse provisoirement une société spéciale pour Anvers ou bien qu'on réunisse les Chambres en session extraordinaire à une époque où le gouvernement le jugera nécessaire.
Mais je crois que, en dehors de l'intérêt d'Anvers, il n'y a rien d'urgent dans cette société et, aux yeux du pays, il ne serait pas possible de justifier le vote précipité d'une mesure aussi vaste.
Je demande donc que les conseils provinciaux soient consultés sur les statuts et le projet de loi qui vous sont soumis.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, ce n'est pas le moment de discuter les objections de (page 920) l'honorable membre, il pourrait les produire en sections, les sections en délibéreront, et si elles trouvent que le projet n'est pas susceptible d'être discuté dans la session actuelle, elles feront des propositions en conséquence.
Mon honorable collègue, le ministre des finances, qui a présenté le projet se trouve retenu ailleurs, et si la proposition de l'honorable M. de Theux devait donner lieu à un débat prolongé, je demanderai qu'on réclame sa présence ; mais je ne pense pas que la Chambre soit disposée à voter, sur la simple réclamation de l'honorable M. de Theux, le renvoi du projet de loi à la session prochaine.
Je constate, en passant, un fait, c'est que ceux qui reprochent sans cesse au gouvernement de vouloir intervenir en toutes choses, viennent aujourd'hui combattre la constitution d'une société dont l'action doit se substituer à l'action du gouvernement dans des travaux ou des entreprises d'utilité générale.
M. Coomans. - C’est la même chose.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - C'est ce qui sera examiné plus tard.
M. de Theux.— Messieurs, je ne m'oppose en aucune manière à ce qu'on attende la présence de M. le ministre des finances ; je ne veux faire aucune surprise à la Chambre. Je n'ai reçu le projet que ce matin, je me suis empressé d'en prendre lecture et je dois dire que j'en ai été réellement épouvanté.
On dit que c'est une preuve que le gouvernement ne veut point intervenir, mais c'est, au contraire, la preuve d'une intervention sans limite, car le projet de loi permettrait au gouvernement, d'accord avec la société, de décider en dernier ressort toutes les questions d'intérêt public. Au moyen des lois d'expropriation, le gouvernement aurait une action que jamais ministère n'aura eue. Voilà l'observation que j'ai voulu faire. Maintenant j'abandonne la solution à la Chambre.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, on vient de me dire que l'honorable M. de Theux avait fait, par motion d'ordre, la proposition de renvoyer à l’avis des conseils provinciaux le projet de loi ayant pour objet de constituer une société immobilière. Je ne sais ce que les conseils provinciaux ont à voir dans cette affaire. Il s'agit de constituer une société anonyme pour l'exécution de divers travaux de construction, d'assainissement et d'embellissement à effectuer dans les diverses communes du royaume : si l'on avait demandé le renvoi du projet aux conseils communaux, une telle demande sans doute très bizarre, aurait eu du moins une apparence plus ou moins rationnelle. Mais je ne puis absolument comprendre la proposition de renvoi aux conseils provinciaux.
Je ne pense pas qu'il puisse entrer dans les intentions de la Chambre de se dessaisir de l'examen du projet de loi, d'ailleurs très simple, qui lui est soumis. (Interruption.).
Mais, messieurs, il est vraiment inconcevable qu'une pareille motion ait eu lieu et que de semblables réclamations soient provoquées par les paroles que je viens de prononcer. Il semblerait que les honorables membres qui m'interrompent ignorent que, s'il s'agissait d'une société commerciale anonyme, le gouvernement aurait le droit de statuer sans l'intervention de la Chambre. Si cette intervention est demandée, c'est uniquement par le motif qu'il se trouve des affaires civiles parmi les opérations que se propose d'entreprendre la société dont il est question.
J'insiste donc, messieurs, pour que la Chambre reste saisie de ce projet de loi et l'examine en sections, dans un délai aussi rapproché que possible...
M. Coomans. - En ce cas, il fallait le présenter plus tôt.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable membre qui m'interrompt s'imagine probablement qu'il suffit d'une parole pour qu'un pareil projet de loi soit formulé ?
Heureusement, tout le monde comprendra, je pense, combien il faut de temps et d'efforts pour réunir et combiner tous les matériaux d'une semblable affaire, pour concilier tous les intérêts en présence, pour arriver en un mot à une solution satisfaisante. Je dois dire que j'ai travaillé pendant fort longtemps avant de pouvoir aboutir...
M. Coomans. - Laissez-nous aussi travailler un peu.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais votre travail doit être d'une toute autre nature ; il se borne à l'examen de dispositions déjà formulées ; vous n'avez pas de négociations à faire, vous n'avez pas à débattre des conditions d'une appréciation souvent très délicate. Or, c'est là précisément ce qui a absorbé le temps considérable que j'ai consacré à cette affaire.
Mais, quant aux honorables membres de la législature, ils n'ont plus qu'à examiner si, dans nos propositions, il en est qui blessent l'intérêt général.
Au nombre des opérations de la société immobilière qu'il s'agit de constituer, il en est une dont l'importance ne sera sans doute contestée par personne.
Je veux parler de l'arrangement que la société se propose d'offrir à la ville d'Anvers pour lui faciliter l'accomplissement des obligations que lui impose l'article 2 de la loi du 8 septembre 1859.
Eh bien, il s'agit de savoir si, vous voulez ne pas avoir à votre disposition, pour l'époque fixée par ladite loi, les 10 millions que la ville d'Anvers s'est engagée à verser au trésor de l’Etat. Il s'agit de savoir si vous voulez éloigner indéfiniment les capitaux qui doivent servir à constituer la société.
Je crois pouvoir dire que ce serait là sacrifier l'intérêt public, l'intérêt général du pays, et j'espère que la Chambre ne suivra pas l'honorable comte de Theux dans la voie oh il la convie à s'engager.
- Voix nombreuses. - Aux voix ! aux voix !
M. de Theux. - Je demande la parole.
- Voix à gauche. - Aux voix !
- Voix à droite. - Laissez donc parler.
M. Allard. - C'est une tactique. (Longue interruption.)
M. de Theux. - Nous savons maintenant pourquoi le projet de loi nous a été soumis aussi tardivement et en quelque sorte in extremis. Mais ce n'est point là un motif pour ne pas accorder à la Chambre le temps d'examiner ce projet avec tout le soin qu'il comporte. Ce projet, messieurs, est d'une importance telle ; il touche à des intérêts matériels si importants et si nombreux que, je n'hésite pas à le dire, la législature n'a encore été appelée à statuer sur aucune mesure d'une pareille gravité. Il en résultera, en effet, qu'avec l'autorisation du gouvernement on pourra, sous prétexte d'embellissements, jeter la perturbation dans toutes les villes, dépouiller toutes nos communes de leurs propriétés incultes. (Interruption.)
S'il ne s'était agi que d'une société pour l'exploitation des terrains des fortifications d'Anvers, je n'aurais pas fait ma motion ; mais il s'agit ici des intérêts de toutes les communes du royaume ; dès lors, n'est-il pas rationnel de demander que les conseils provinciaux qui sont, par essence, spécialement chargés de veiller aux intérêts des communes, soient appelés à faire connaître leur opinion sur ce projet ?
On dit que la Chambre ne s'est jamais livrée à une pareille enquête. Mais c'est une profonde erreur : dans toutes les questions d'une gravité réelle et dans lesquelles étaient engagés les intérêts de l'industrie, du commerce et de l'agriculture, on s’est livré aux plus minutieuses investigations.
Pourquoi donc n'agirait-on pas de même dans cette circonstance, alors qu'il s'agit d'un projet d'une importance telle que jamais devant aucun parlement une question aussi grave ne s'est produite ? Pour moi, messieurs, il me suffit d'avoir appelé votre attention sur ce point ; j'ai rempli mon devoir ; la Chambre décidera comme elle le jugera convenable.
M. le président. - M. de Theux, vous persistez donc à demander que le projet de loi soit soumis à l'examen préalable des conseils provinciaux ?
M. de Theux. - Oui, M. le président.
M. le président. - Je vais mettre la proposition aux voix.
M. Allard. - Je propose à la Chambre de passer à l'ordre du jour sur cette proposition.
M. Coomans. - C'est bien vite fait.
M. Allard. - La Chambre a décidé que le projet de loi serait (page 921) soumis à l'examen des sections. Pourquoi donc lui propose-t-on de rapporter maintenant cette résolution ? Pour moi, messieurs, j'aime à dire toujours nettement ma pensée à mes adversaires ; pour moi, je ne puis voir dans cette proposition qu'une tactique. (Interruption.)
- Voix à droite. - A l'ordre ! à l'ordre ! (Interruption.)
M. de Theux. - Je demande formellement, M. le président, que le rappel à l'ordre soit prononcé contre M. Allard. II m'est impossible, quant à moi, d'accepter sans protestation le blâme qu'il se permet de m'infliger. Je ne lui reconnais pas le droit d'incriminer ainsi mes intentions et de qualifier de tactique une proposition que m'a suggérée l'importance du projet de loi qui nous est soumis. Je demande donc formellement le rappel à l'ordre.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'expression dont l'honorable M. Allard s'est servi est parfaitement parlementaire.
M. le président. - L'application de l'expression peut n'être pas juste. Aucun membre de la droite n'avait pris la parole sur la motion de M. de Theux, et l'on était sur le point de passer au vote lorsque M. le ministre des finances est entré. Le ministère avait manifesté le désir de ne pas continuer la discussion en son absence, et M. de Theux avait même consenti à reproduire ses observations après l'arrivée de M. le ministre des finances ; mais comme on insistait, j'allais mettre la motion aux voix quand l'incident est né. On aurait pu s'abstenir de qualifier la motion de tactique. (Interruption.)
M. Allard. - La question est de savoir s'il est extra-parlementaire de dire à un adversaire qu'il emploie une tactique ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est très parlementaire,
M. Allard. - Aussi, je maintiens le mot. (Interruption.)
- Voix à droite. - A l'ordre ! à l'ordre !
- Voix à gauche. - Non ! non ! il a bien fait.
- Voix à droite. - Il faut qu'il retire l'expression.
M. Coomans. - J'entends affirmer par l'honorable M. Allard et même par l’honorable ministre des finances que l'expression « tactique » est très parlementaire. Je le veux bien ; messieurs, vous savez que je suis partisan d'une très grande liberté de langage, cela me met personnellement à l'aise ; mais il doit être bien entendu dans l'esprit de tous les membres de la Chambre que le mot « tactique » ne touche en rien à la réputation de superlative honnêteté de M. le comte de Theux. (Interruption.)
On voudra reconnaître aussi que si le mot est convenable dans la bouche de nos adversaires, il n'est pas déplacé dans la mienne.
J'affirme donc que le dépôt tardif de ce projet est une tactique, très habile, très ingénieuse, à laquelle on a eu recours encore une fois, parce qu'elle eut beaucoup de succès dans mainte autre circonstance.
Je suis déjà quelque peu vétéran parlementaire et je me rappelle que le mois de mai a été particulièrement funeste aux finances publiques et quelquefois aux principes que je défends ; oui, le mois de mai y a été fatal, parce que c'est le mois où nous sommes le plus fatigués, où le plafond de la Chambre nous pèse et où l'on rencontre le plus de sympathie quand on crie aux voix.
M. le président. - Tout cela est étranger au débat.
M. Coomans. - Je suis au cœur de la question, je veu* démontrer qu'il y a tactique dans la présentation du projet de loi ; permettez-moi la démonstration de ma thèse (Interruption.)
M. le président. - J'ai fait à M. Allard une observation qui doit vous contenter, finissons-en sur ce point.
- Un membre. - Assez de tactique.
M. Coomans. - J'accepterai l'expression « tactique », même quand elle s'appliquera à l'innocente improvisation que je vous soumets. Je ne me fâcherai pas, seulement je tiens à parler. Je dis donc qu'il est déplorable qu'on arrive devant nous au dernier moment, avec les projets de lois les plus importants, alors que nous n'avons ni le temps ni le goût de les discuter à fond.
On me reprochera de vouloir prolonger le débat si je cite des exemples. Vous les avez présents à la mémoire : tous les grands projets ont été produits ici par tactique. (Interruption.)
Je suis enchanté qu'on ait prononcé le mot « tactique » parce qu'il me permet d'exprimer franchement ma pensée. (Interruption. Aux voix ! aux voix !)
M. le président. - Il s'agit de mettre aux voix la proposition de M. de Theux. La motion que vous soulevez n'est pas à l'ordre du jour. (Aux voix ! aux voix !)
M. Coomans. - Vous crierez aux voix tant que vous voudrez., vous ne m'empêcherez pas de faire entendre la mienne.
Rien de plus raisonnable que la motion de l'honorable comte de Theux car elle a pour objet de soumettre aux tuteurs les plus directs et les plus naturels des communes, aux conseils provinciaux et aux députations permanentes, un projet de loi qui a été longuement examiné par ses auteurs, mais qui ne l'est pas, qui ne peut pas l'être par la Chambre en temps utile. (Interruption.)
Messieurs, il est vraiment étrange que toute cette opposition soit élevée contre une simple demande d'information ; je ne vous affirme pas que je voterai contre le projet ; je n'en suis pas bien sûr. Je n'ai pu me livrer qu'à une lecture superficielle du projet de loi, mais je reconnais que l'honorable M. de Theux n'exagère pas en le qualifiant de très important.
Je suis, messieurs, très frappé de cette nouvelle preuve que l'on nous donne du désir du gouvernement de concentrer autour de lui toutes les influences financières de la Belgique.
Ceci sera le couronnement de l'œuvre !
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais c'est le fond même, c'est le projet de loi que l'honorable membre discute. On ne peut s'occuper de cela en ce moment.
M. le président. - M. Coomans, tenez-vous-en, je vous prie, à l'objet en discussion. Il s'agit de la proposition d'ordre du jour, faite à la suite de la motion de M. de Theux.
- Des membres. - Assez ! aux voix !
- D'autres membres. - Continuez.
M. Coomans. - Je n'accepte ni d'observation et d'interruption de personne, excepté de notre honorable et impartial président. (Interruption.)
M. le président. - M. Coomans, je vous engage à me laisser procéder au vote. (Interruption.)
M. Coomans. - Comment, messieurs ; Vous trouvez mauvais que j'applaudisse votre président ?
Non, messieurs, il n'y a pas de parti pris dans mes paroles. Je me réserve d'examiner à fond le projet de loi, mais je souhaite, comme vous devez le souhaiter tous, qu'il puisse être étudié très sérieusement, et je trouve que la motion de l'honorable M. de Theux est prudente et honnête, et ne méritait pas du tout l'espèce de flétrissure que dans la pensée de l'honorable M. Allard on a voulu y infliger.
- Il est procédé au vote, par appel nominal, sur la proposition d'ordre du jour.
101 membres y prennent part.
53 répondent oui.
47 répondent non.
1 s'abstient.
En conséquence, la Chambre passe à l'ordre du jour.
Ont répondu oui : MM. M. Jouret, Lange, C. Lebeau, J. Lebeau, Lesoinne, Loos, Moreau, Mouton, Muller, Orts, Prévinaire, Rogier, Sabatier, Tesch, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Volxem, Allard, Ansiau, Bara, Braconier, Ch. Carlier, Crombez, Cumont, David, de Baillet-Latour, de Breyne, de Bronckart, Dechentinnes, De Fré, de Gottal, de Lexhy, de Macar, de Paul, de Renesse, de Ridder, de Rongé, Devaux, de Vrière, Dolez, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret et Vervoort.
Ont répondu non : MM. Julliot, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Mercier, Moncheur, Notelteirs, Nothomb, Pirmez, Rodenbach, Royer de Behr, Schollaert, Snoy, Tack, Thibaut, Thienpont, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van de Woestyne, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Wasseige, Beeckman, Coomans, Coppens, de Boe, de Decker, de Haerne, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode, de Montpellier, de Muelenaere, de. Naeyer, de Pitteurs-Hiegaerts, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, B. Dumortier, d'Ursel, Faignart et Janssens.
M. le président. - Le membre qui s'est abstenu est invité à faire connaître les motifs de son abstention.
(page 922) M. Kervyn de Lettenhove. - Je me suis abstenu, parce que, absent ce matin tic Bruxelles, je n'ai pu prendre connaissance du projet.
M. Loos. - Le bruit s'est répandu de la conclusion d'un traité avec les Pays-Bas, pour la suppression du péage de l'Escaut et pour les prises d'eau à la Meuse.
Cette circonstance serait trop heureuse, non seulement pour la localité que je représente plus particulièrement, mais pour le pays tout entier, pour que je ne me croie pas autorisé à demander à M. le ministre des affaires étrangères jusqu'à quel point ce bruit est fondé.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, j'ai la satisfaction de répondre à mon honorable ami et d'apprendre à la Chambre qu'en effet un traité vient d'être conclu avec les Pays-Bas aujourd'hui même, à midi. Je viens d'en recevoir la nouvelle par dépêche télégraphique.
Demain nous présenterons à la Chambre les projets de loi nécessaires pour la complète exécution de ce traité.
La Chambre voudra bien pardonner au ministère de lui apporter cette affaire importante vers la fin de la session. J'espère qu'elle n'hésitera pas à reconnaître que si le ministère a été amené à ne présenter ces projets que dans le courant du mois de mai, ce n'est pas qu'il ait manqué d'activité ni de zèle pour obtenir un plus prompt résultat. Nous faisons en sorte du moins que la Chambre n'attende pas longtemps les projets dont il est question. Le traité ayant été signé aujourd'hui même, les projets, je le répète, seront déposés demain sur le bureau.
Ils renferment d'abord un arrangement relatif au remboursement du péage de l'Escaut, un arrangement relatif aux prises d'eau à la Meuse, et en troisième lieu un arrangement commercial.
M. B. Dumortier. - Puisque l'honorable M. Loos a fait cette motion, je désirerais savoir si toutes les puissances dont il peut être question dans ce traité et dont les navires entrent dans l'Escaut, ont pris part à l'arrangement, en un mot si cet arrangement est signé par toutes les puissances.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - L'exposé des motifs et la discussion fourniront à la Chambre tous les renseignements qu'elle peut désirer. Mais dès aujourd'hui je puis l'informer que la presque unanimité des puissances dont le pavillon fréquente l'Escaut, ont adhéré au remboursement du péage. Il en reste encore quelques-unes avec lesquelles nous sommes en négociation. Mais je puis le dire à la Chambre, la plupart des Etats sont d'accord avec nous et sur le principe du rachat et sur le chiffre de leur part respective. Une des puissances qui ont tout récemment adhéré est la France.
M. le président. - L'article premier est ainsi conçu :
« Art. 1er. Les libéralités en faveur de l'enseignement primaire d'une commune ou d'une section de commune sont réputées faites à la commune ou à la section de commune. »
Deux amendements ont été déposés à cet article.
Le premier, signé par MM. Nothomb, de Liedekerke et de Pitteurs, est ainsi conçu :
« § 2. Sont également réputées faites à la commune les libéralités pour dépenses facultatives de l'enseignement à tous les degrés.
« Le donateur ou testateur peut stipuler qu'en cas de non application de la libéralité pendant trois ans, les biens légués ou donnés feront retour à sa famille. »
Le second amendement est signé par MM. Van Overloop et Wasseige. Il est ainsi conçu :
« Dans toute disposition entre-vifs ou testamentaire en faveur de l'enseignement, les conditions impossibles, celles qui seront contraires aux lois ou aux mœurs, seront nulles et rendront nulle la disposition elle-même. »
La parole est à M. Nothomb pour développer son amendement.
M. Nothomb. - Messieurs, je désire ajouter quelques observations très courtes à celles que j'ai présentées en faveur de notre amendement, dans la discussion générale.
Et tout d'abord je veux aller au-devant d'une objection : On a essayé un peu dans cette enceinte et beaucoup en dehors, de discréditer la proposition que nous avons eu l'honneur de faire. On y a vu et peut-être voudra-t-on encore y voir une manœuvre de parti, une tactique, selon le mot contre lequel nous avons protesté tout à l'heure. On nous a reproché et on nous reprochera probablement de manquer de sincérité. On a fait à notre pensée un véritable procès de tendance, et on nous a opposé une fin de non-recevoir tirée de la paternité même de l'amendement.
Je veux en mon nom, comme au nom de mes honorables amis qui l'ont signé avec moi, protester du contraire. Nous rougirions véritablement, dans une question d'une telle importance, de descendre si bas.
Les dates, c'est-à-dire les faits, répondent pour nous. Nous avons, mes honorables amis et moi, posé la question dès les premières séances de la section centrale. Je l'avais même soulevée à la section dont j'ai fait partie.
Si en section centrale il n'y a pas eu un vote formel sur la proposition, c'est véritablement par inadvertance. Mais mes honorables collègues de la section centrale, ceux mêmes qui ne partagent pas notre opinion, se rappelleront et affirmeront certainement que la difficulté a été discutée, qu'elle n'a pas été tranchée, et qu'il avait été entendu qu'on y reviendrait ultérieurement. Je crois même qu'un de mes honorables collègues s'est abstenu de formuler son opinion en attendant qu'on présentât une proposition formelle.
Tels sont mes souvenirs qui sont certains aussi bien que ceux de mes honorables collègues des deux côtés de la Chambre, j'en suis certain.
Dès le début, nous avons donc agité la question, et cela bien avant le mouvement extra-parlementaire qui s'est produit en dehors, dans la presse, dans l'opinion publique, dans le sein d'une autre assemblée délibérante.
Ainsi, messieurs, nous ne sommes les plagiaires de personne. Sans doute, nous sommes heureux de nous rencontrer ici avec les hommes importants dans cette enceinte et ailleurs, mais je le redis encore, nous ne sommes venus à la remorque de qui que ce soit et nous n'avons obéi qu'à notre libre conscience.
Au surplus, il y a une autre circonstance qui répond de notre bonne foi : j'ai déjà eu l'honneur de vous le dire dans la discussion générale, nous rattachons l'amendement actuel au même ordre d'idées qui nous guidaient en 1857, dans la discussion du projet de loi relatif à la bienfaisance.
Là aussi nous voulions faire accepter les libéralités par la personne civile par excellence, celle qui est normale en cette matière, c'est-à-dire le bureau de bienfaisance ; ici nous voulons faire accepter par la commune qui, pour nous aussi, est le représentant par essence de l'enseignement à tous les degrés.
Il y a sans doute une différence d'application, et elle est notable, entre ce que nous proposions alors et ce que nous proposons aujourd'hui. Cette différence, je la montrerai tantôt et je l'aborderai franchement.
Nous tenons la commune pour capable d'accepter des libéralités en faveur de l'enseignement à tous les degrés, qui se donne sur son territoire.
Nous croyons que cette capacité existe même dans l'état actuel de la législation et cela pour deux raisons : la première c'est que la commune est, en réalité, la famille étendue ; ce que la famille peut faire, la commune doit pouvoir le faire.
Incontestablement parmi les premiers droits comme parmi les plus rigoureux devoirs de la famille, figure l'enseignement sans distinction de degré. A cet égard, je me réfère volontiers aux paroles de notre honorable collègue M. Van Humbeeck. Je n'ai rien à y ajouter.
Personne, messieurs, ne peut contester à l'individu le droit de favoriser l’enseignement par des libéralités ; or la commune doit pouvoir faire ce que l'individu fait.
La commune est une individualité d'une nature toute particulière ; son existence n'est pas viagère, elle est perpétuelle ; telle est sa différence de l'individu physique ordinaire, mais cette différence ne fait que renforcer ses droits.
On a, messieurs, dans cette enceinte et au-dehors brillamment revendiqué les prérogatives de la commune belge, et je suis dispensé de m'arrêter sur ce point ; de sa nature, de son essence, par sa (page 922) constitution, par les lois primordiales qui président à son existence, la commune, selon vous, tire la faculté d'accepter des libéralités pour l'enseignement qui sa donne dans son sein ; sous ce rapport, sa sphère d'action doit rester libre, et on ne saurait l'amoindrir sans entamer son autonomie même. Et ces considérations générales sont confirmées par la législation positive qui régit la commune. On l'a déjà dit, messieurs, l'article 31 de la Constitution porte que la commune est investie de la gestion des intérêts exclusivement communaux.
Evidemment personne ne peut contester que l’enseignement à tous les degrés ne soit avant tout d'intérêt communal ; sans doute il y a là aussi un intérêt général, mais c'est avant tout la commune qui est intéressée à posséder un enseignement à tous les degrés, élémentaire, moyen et supérieur.
Aussi, messieurs, avant la loi de 1850, la commune avait dans ses attributions l'enseignement moyen ; elle avait ses collèges et certes sous la législation antérieure à 1850, je ne sais comment on aurait pu refuser à la commune la faculté d'accepter des libéralités pour l'enseignement moyen.
D'ailleurs les faits répondent encore ici, et comme on l'a fait remarquer les communes donnent des subsides pour l'enseignement à tous les degrés. On a bien essayé d'une distinction en disant : La commune peut donner, mais elle ne peut pas recevoir. C'est là une subtilité telle, que j'avoue ne pas la comprendre ; ma raison s'y refuse.
Maintenant, messieurs, quelle est la portée pratique de notre amendement ? Ici j'arrive à signaler la différence considérable qui existe entre le système de notre proposition et celui que nous avons défendu en 1857. Alors, nous proposons de faire accepter par le bureau de bienfaisance les libéralités en faveur de la charité privée et nous ajoutions que l'emploi en devait être obligatoire ; aujourd'hui nous demandons que la commune puisse accepter les libéralités pour l'enseignement libre et nous nous bornons à vouloir que l'emploi en soit facultatif.
Pourquoi cette différence ?
Je vais vous le dire simplement et franchement. C'est pour calmer vos alarmes mal fondées, pour dissiper vos inquiétudes chimériques. En 1857, vous prétendiez que notre proposition cachait les couvents, qu'elle faisait un privilège aux corporations religieuses ; qu'elle était un manteau derrière lequel s'abritent des pensées inavouables, qu'elle masquait une fraude à la loi et Dieu sait quelles accusations encore !
Eh bien, nous faisons aujourd’hui une concession sérieuse à coup sûr, nous la faisons légalement ; nous voulons, nous tenons à mettre fin à vos craintes si peu fondées, si exagérées qu'elles puissent être et nous vous offrons de proclamer que l'emploi des libéralités sera facultatif.
Que pouvez-vous vouloir de plus ? Y a-t-il un autre moyen de faire taire vos préjugés, de conserver vos principes ? Indiquez-le. Mais cessez de grâce de parler de couvents, de mainmorte, de subterfuge pour doter les corporations religieuses ; la commune sera maîtresse dans notre système d'affecter la libéralité comme elle l'entend, et personne ne croira sérieusement qu'une administration communale, en Belgique, soit bien empressée de faire naître un couvent en fraude à la loi !
Nous voulons ainsi sauvegarder la liberté de la commune ; quand une libéralité lui sera faite en faveur de l'enseignement à un degré quelconque, elle demandera, si elle le juge bon, l'autorisation d'accepter ; elle agira librement, elle emploiera aussi la libéralité comme elle l'entendra ; l'emploi sera facultatif. Ici encore elle agira librement.
Certes, messieurs, je ne prévois pas qu'une commune veuille disposer, dans un but opposé à la pensée du donateur, de la libéralité qui lui aura été faite. Entre la commune qui sollicite l'acceptation et le donateur, il s'est formé un lien moral, et je ne veux, je ne puis croire qu'il se trouve une administration disposée facilement à y contrevenir. Ce ne serait ni loyal, ni honnête. Il me répugnait de prêter cette pensée à une administration communale en Belgique. Toutefois nous ne voulons pas condamner la commune à obéir à perpétuité, à la volonté, à l'intention du donateur. En strict droit, elle reste libre.
Mais à côté de la liberté de la commune, il y en a une autre, non moins respectable et qu'il faut aussi protéger ; c'est la liberté du donateur, c'est le respect dû à sa volonté ; tel est le but du paragraphe 2 de notre proposition ; il est ainsi conçu :
« Le donateur ou testateur peut stipuler qu'en cas de non-application de la libéralité pendant trois ans selon la destination indiquée, les biens donnés ou légués feront retour à sa famille. »
Il me semble qu'il est impossible d'en contester la justice et l'équité. Nous disons ceci : Si pendant un temps (que nous avons fixé à 3 ans) une commune n'a pas appliqué la libéralité selon l'intention du donateur, ce sera une renonciation tacite. Si pour un motif quelconque, soit que la commune y trouve des inconvénients, soit que l'établissement gratifié ait disparu, la commune, pendant trois ans, n'a pas appliqué la libéralité ou l'a appliquée à un service différent, nous pensons que la libéralité a perdu sa raison d'être, c'est comme si la commune n'avait pas accepté ; elle peut, elle doit alors retourner à sa source.
Veuillez, d'ailleurs, remarquer que c'est une faculté que nous laissons au donateur. Il ne sera pas obligé de faire cette stipulation de retour. S'il ne la fait pas, la commune restera maîtresse absolue ; elle disposera comme bon lui semble de la libéralité. Mais nous entendons réserver au donateur le moyen de prévoir cette non application par une clause formelle. Et en cela nous sommes guidés par un intérêt considérable que vous ne pouvez pas méconnaître : celui des familles, celui dont on a si souvent parlé et pour lequel jusqu'ici on a si peu fait.
Nous essayons, par notre proposition, de concilier trois choses : la liberté de la commune, celle du donateur et le droit de la famille.
Ensuite, si nous apportons cette restriction, c'est précisément dans la pensée de favoriser l'enseignement, c'est afin de faire fructifier le principe même, que nous voulons la faire admettre. Nous sommes convaincus qu'à défaut d'une clause pareille, on marcherait diamétralement à l’encontre du but que le projet de loi a la prétention d'atteindre, la diffusion de l’enseignement.
Veuillez, messieurs, y bien réfléchir. Si vous ne permettez pas au donateur de stipuler, au besoin, ce retour de sa libéralité à sa famille, il ne donnera souvent pas ; il ne faut pas l'exposer à voir sa pensée méconnue, son intention trahie et sa libéralité employée contre les intérêts qu'il a voulu favoriser.
Comme je l'ai déjà démontré, un des effets les plus désastreux du projet de loi sera de tarir la source des fondations en faveur de l'enseignement ; la restriction que nous proposons, la clause de retour à la famille que nous vous soumettons sera un faible palliatif du vice capital de votre loi.
Je puis prévoir une objection ; on m'opposera peut-être les dispositions du Code civil qui prohibent les substitutions, ou bien l'article 951 du Code. J'examinerai à fond l'objection, si elle vient à se produire. Et, au reste, en supposant l'objection fondée, ne puis-je pas répondre immédiatement que, puisque nous faisons une loi nouvelle, nous pourrions, au besoin, déroger aux règles relatives aux substitutions.
La chose en vaut bien la peine. Quand il s'agit de favoriser l'enseignement, on peut, à la rigueur, autoriser une dérogation au droit commun. Le gouvernement en a donné d'exemple ; par son projet de loi, il déroge à l’article 2 du Code civil qui interdit la rétroactivité des lois.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est la question.
M. Nothomb. - Nous avons assez prouvé, Dieu merci, que votre loi a un effet rétroactif...
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - J'ai prouvé le contraire.
M. Nothomb. - Vous n'avez rien prouvé, si ce n'est votre vieux refrain : « Nul n'aura d'esprit que moi et mes amis. » Trouvez quelque chose de plus neuf.
En résumé, notre amendement favorise l'enseignement. Il répond au premier devoir comme au plus grand intérêt de la société. Il aidera à propager l'instruction, qui est l'avenir et le salut même de la civilisation. Il maintient et il assure les droits de la commune belge qui est la base de notre nationalité. Il permet aux individus de concourir efficacement à l'une des plus grandes fonctions sociales, c'est-à-dire à l'enseignement. Il répond en cela à l'esprit de notre Constitution.
Notre proposition garantit moralement le respect dû à la volonté du donateur et enfin elle protège les droits des familles.
Telle est, messieurs, à grands traits, la signification de notre amendement. Il me paraît impossible que sur un pareil terrain nous ne parvenions pas à tous entendre. Quoi qu'il arrive, nous l'avons présenté loyalement, sincèrement, dans une pensée de progrès et de liberté et en nous plaçant au-dessus de tout étroit esprit de parti.
M. le président. - La parole est à M. Van Overloop pour développer son amendement.
M. Bara. - Je demande la permission de dire un mot. L'honorable M. Van Overloop devrait ajourner ses observations jusqu'au moment où la Chambre abordera le chapitre des « Dispositions générales ». En effets l'amendement de l'honorable membre est une disposition générale. II né s'agit pas seulement de libéralités au profit de l'enseignement, mais encore de libéralités au profit de boursiers.
(page 924) M. Van Overloop. - Messieurs, mon amendement se rattache à tout le projet de loi. Si je l'ai proposé à l'article premier, c'est pour que la Chambre puisse avoir le temps de l'étudier. Je demande que mon amendement soit renvoyé à la section centrale ; elle l'examinera mûrement, et elle verra à quel endroit du projet il convient de le placer. Je n'ai pas voulu le présenter dans le cours des débats, pour qu'on ne pût pas me dire : « Vous voulez enrayer la discussion. » Je préviens donc votre désir, en proposant mon amendement au début de la discussion des articles.
Je demande simplement qu'il soit renvoyé à la section centrale, afin qu'il y soit examiné.
Je rappelle à la Chambre que, ainsi que je l'ai dit le 2 mai, mon amendement est tout entier dans l'intérêt des familles et contre la mainmorte.
On s'est très énergiquement prononcé contre l'extension de la mainmorte ; eh bien, mon amendement tend précisément à diminuer l'immobilisation des propriétés, c'est-à-dire les mainmortes.
D'un autre côté, on se préoccupé beaucoup, et à juste titre, de l'intérêt des familles. Or, à quoi tend mon amendement ? A faire respecter les droits des familles, à faire établir par la loi une présomption plutôt favorable aux familles qu'aux mainmortes.
Mon amendement tend surtout, comme je l'ai également dit le 2 mai, à faire introduire dans la loi un principe d'honnêteté publique. Je ne comprendrai jamais qu'un particulier puisse honnêtement accepter les faveurs d'un testament sans accepter les obligations attachées par le testateur à ces faveurs. Or, ce qu'un particulier ne peut pas faire, il doit être interdit à la commune, à la province et à l'Etat de le faire. C'est donc avant tout un principe d'honnêteté que mon amendement tend à introduire dans la loi.
- L'amendement est appuyé.
M. le président. - M. Van Overloop a demandé le renvoi de son amendement à la section centrale ?
M. Van Overloop. - Oui, M. le président.
M. Bara, rapporteur. - Il est impossible de renvoyer cet amendement à la section centrale, attendu que la section centrale a déjà délibéré et conclu sur l'amendement de l'honorable M. Van Overloop. Effectivement la question de savoir si les conditions impossibles ou illégales devaient être considérées comme non écrites, était implicitement résolue par l'absence de toute modification à l'article 900 du Code civil ; et il y a dans le rapport deux pages entières consacrées à cette question.
Je ne comprends donc pas en quoi il serait utile de renvoyer l'amendement à la section centrale, qui a déjà décidé la question, en ne proposant aucune modification à l'article 900 du Code civil ; c'est-à-dire qu'elle est d'avis aussi que les conditions impossibles, illégales ou contraires aux bonnes mœurs sont nulles, ainsi que le proclame l'article du Code civil que je viens de citer.
M. Van Overloop. - Le rapport de la section centrale dira tout ce qu'il voudra ; cela n'empêchera pas que mon amendement ne contienne et ne tende à faire proclamer un principe d'honnêteté publique. (Interruption.) Je le répète, c'est un amendement d'honnêteté.
Personne, évidemment, ne fera croire au bon sens du public qu'un particulier puisse honnêtement accepter une libéralité sans remplir les conditions attachées par le testateur à cette libéralité. Or, encore une fois, ce que ce particulier ne peut pas faire, ne doit être permis ni à la commune, ni à la province, ni à l'Etat.
Je demande donc le renvoi de mon amendement à la section centrale, pour qu'elle l'examine de plus près qu'elle ne l'a fait.
M. Bara, rapporteur. - Elle l'a très mûrement examiné ; lisez le rapport.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il ne s'agit pas en cé moment de discuter le fond de l'amendement de l'honorable M. Van Overloop, ni d'examiner si c'est ou non un amendement d'honnêteté publique. Il s'agit simplement de décider si on le discutera à propos de l'article premier, ou à propos du chapitre des dispositions générales, ou enfin si on le renverra à l'examen de la section centrale.
Ainsi que vient de le dire l'honorable M. Bara, la section centrale a examiné cet amendement, et elle a fait connaître les raisons qui l'ont déterminé à ne pas adopter le principe qu'il a pour but de consacrer.
Je crois donc qu'il serait à peu près inutile de le lui envoyer de nouveau. Il est assez peu probable que la section centrale change d'opinion. Je pense qu'il faut se borner, pour le moment, à renvoyer cet amendement au chapitre des dispositions générales, auquel il se rattache, car s'il est voté, il formera un article applicable à toutes les dispositions de la loi, aussi bien à celles qui sont relatives aux boursiers qu'à celles qui concernent l'enseignement.
Les raisons qui détermineront les honorables membres à adopter le principe de l'honorable M. Van Overloop pour les fondations en faveur de l'enseignement seront également applicables aux fondations qui seront faites en faveur des boursiers. Cet amendement doit donc se trouver nécessairement parmi les dispositions générales ; il ne peut pas être rattaché à l'article premier, avec lequel il n'a rien de commun. Je demande que la Chambre décide que l'amendement sera discuté au chapitre des dispositions générales.
M. Coomans. - J'admets assez facilement avec M. le ministre de la justice qu'il est inutile de renvoyer à la section centrale l'amendement de mon honorable ami M. Van Overloop et j'engage celui-ci à ne pas insister sur ce point.
Mais j'ai demandé la parole pour faire remarquer à la Chambre que la discussion de cet amendement doit avoir lieu en même temps que celle du principe qui consacre l'article premier, peut-être même avant, attendu que-le résultat de cette discussion peut influer sur le sort réservé à l'article premier. La logique, d'accord avec la loyauté, veut que l'on examine au préalable tous les points de la solution desquels peut dépendre un vote sollicité. S'il est vrai que du vote de l'amendement qui nous occupe peut dépendre celui de l'article même, il faut évidemment discuter cet amendement avant ou, tout au moins, en même temps que l'article même.
Il y a ici, j'en demande pardon à la Chambre, les mêmes raisons, en bonne logique, de décider comme je l'indique qu'il y avait l'autre jour au sujet de la proposition de l'honorable M. Nothomb, de vider la question de rétroactivité avant toute autre.
Oui nous devons vider, au préalable, tous les différends concernant un principe, car il se peut que l'on soit d'avis d'adopter l'article premier à telles ou telles conditions ; ces conditions doivent donc être examinées avant tout.
Ainsi donc, pour hâter nos débats, qu'on ne renvoie pas l'amendement à la section centrale, je le veux bien ; mais qu'on l'examine immédiatement, en le joignant à l'article premier.
M. le président. - M. Van Overloop, insistez-vous ?
M. Van Overloop. - Il m'est parfaitement égal qu'on renvoie mon amendement à la section centrale ou qu'on le discute immédiatement. Si j'en ai demandé le renvoi à la section centrale, c'était uniquement pour le soumettre à un examen spécial et approfondi ; je l'ai fait aussi dans l'intérêt de l'activité à imprimer à nos débats. Je n'ai pas eu d'autre but.
M. le président. - Maintenant, M. le ministre demande le renvoi de cet amendement au chapitre III ; je mets cette proposition aux voix.
M. B. Dumortier. - Je demande la parole.
- Plusieurs membres. - La discussion est close.
M. B. Dumortier. - On désire la discussion immédiate ; eh bien, je demande la parole pour appuyer cette proposition.
M. Bara, rapporteur. - Et moi, je demande la parole pour un rappel au règlement. Il y a décision de la Chambre : on a décidé samedi dernier qu'on commencerait par l'article premier du projet où il s'agit des libéralités au profit de l'enseignement public. Or, vous venez nous parler des conditions ; mais avant de discuter les conditions d'un acte, il faut discuter le principe. (Interruption.) Mais c'est contraire à toutes les règles de la logique ; jamais on ne pourra croire que vous nous proposez sérieusement sur une proposition se rattachant à un principe avant d'avoir discuté le principe lui-même.
M. Coomans. - En même temps.
M. Bara, rapporteur. - Evidemment, l'amendement de l'honorable M. Van Overloop doit faire partie des dispositions générales ; il a donc le caractère d'une disposition secondaire et ne doit être examiné qu'après le principe même de l'article premier.
Vous ne pouvez discuter sur les conditions qu'après avoir décidé la chose elle-même ; c'est lorsque nous en serons aux dispositions générales qu'il y aura lieu de s'occuper de l'amendement de M. Van Overloop. Agir autrement serait d'ailleurs contraire à une décision de la Chambre ; samedi elle a décidé qu'on commencerait par l'article premier. Nous devons respecter cette décision et commencer par l'article premier.
(page 925) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, l'objet qui est actuellement en discussion est l'article premier du projet de loi. Si M. Van Overloop présente un amendement à l'article premier, cet amendement doit être examiné, cela est évident ; mais il n'est pas moins évident que la proposition faite par l'honorable membre n'a rien de commun avec l'article premier. Donc il ne peut en être question en ce moment. Aux termes du règlement, nous avons à discuter l'article premier et les amendements qui s'y rattachent. L'amendement de M. Nothomb se rattache à l'article premier, nous devons nous en occuper. Mais il en est tout autrement de celui de M. Van Overloop.
Nous demandons par conséquent que la discussion actuelle cesse, elle est contraire au règlement.
M. de Theux. - On nous propose de renvoyer l'amendement de M. Van Overloop aux dispositions générales ; mais il n'y a pas de dispositions générales dans le projet, il y a des dispositions transitoires qui sont relatives à l'effet rétroactif de la loi, et la proposition de M. Van Overloop n'est pas une disposition transitoire, c'est une disposition pour le futur, elle ne peut pas s'appliquer aux dispositions transitoires.
M. le président. - Il y a un chapitre intitulé Dispositions transitoires.
MTPµ. - L'honorable comte de Theux nous prouve qu'il n'a pas même lu le projet de loi. (Interruption.)
Certainement M. de Theux vient de prouver qu'il n'a pas même lu le projet de loi, car il y a un chapitre intitulé : « Dispositions générales », à l'article 43 ; viennent ensuite des dispositions transiti'res, que M. de Theux qualifie de rétroactives ;
Dans ces dispositions générales se trouvent consignés les principes applicables à toutes les libéralités.
Je répète que l'honorable comte de Theux nous a prouvé qu'il n'a pas lu le projet de loi.
M. B. Dumortier. - Je ne conçois pas l'observation de M. le ministre de la justice et de M. Bara. Si M. Bara était depuis longtemps dans cette enceinte, il saurait que la Chambre a toujours commencé, dans la discussion des lois de la nature de celle-ci, par poser des questions de principe. (Interruption.)
Quoi ! C'est M. Devaux qui dit non ! On n'a jamais fait autre chose, Pourquoi ? Parce qu'il faut que chacun puisse émettre des votes consciencieux sur les dispositions en discussion.
Voilà ce que soutenait toujours M. Devaux, et il va prendre la parole pour soutenir le contraire. Il faut que chacun puisse émettre un vote consciencieux. Pour moi, je veux bien de l'article premier, mais à la condition qu'il n'entraîne pas, comme conséquence fatale, le droit pour le gouvernement de s'emparer des fondations et de rajeunir les testaments.
Il s'agit de savoir si nous voulons donner au gouvernement le pouvoir de rajeunir, de refaire les testaments. Avant de donner au gouvernement la faculté qu'il demande par l'article premier, je veux connaître la portée du vote que je vais émette. En votant l'article premier tel qu'il est, il est impossible d'en connaître la portée ; si on ne commence pas par poser quelques questions de principe, et il n'en est pas de plus propre à éclairer la conscience que la proposition de M. Van Overloop.
Je fais la motion de discuter avant tout cette proposition. Si vous voulez adopter le projet de loi tel qu'il est, je comprends que vous écartiez la proposition. Fagot pour fagot, soit. Mais ceux qui ne consentiront jamais à laisser refaire les testaments, vous les empêchez d'émettre un vote sur l'article premier, ou vous les forcez de voter contre.
Il n'est personne qui puisse voter l'article prmeier s'il ne veut pas laisser refaire les testaments ; nous n'avons qu'une chose à faire, c'est d'en revenir à ce principe souvent proclamé par M. Devaux, pour faciliter à chacun l'émission d'un vote consciencieux.
M. le président. - La Chambre a décidé qu'elle votera d'abord l'article premier. L'amendement de M. Van Overloop a un caractère général ; j'engage les honorables membres à ne pas insister et à reporter la discussion de la proposition de M. Van Overloop aux dispositions générales.
M. Devaux. - Que M. Dumortier me prête ses théories tant qu'il voudra, il ne fera pas que je partage sa manière de voir ici plus qu'en beaucoup d'autres circonstances. Si je prends la parole, c'est pour engager la majorité à se rappeler qu'elle a encore deux semaines à siéger et qu'avec les motions qui se succèdent, si elle n'y prend garde, tous n'arriverons pas au terme de la loi.
M. B. Dumortier. - Ah ! vous voulez faire un coup d'Etat !
M. Devaux. - On ne fera pas de coup d'Etat pour vous empêcher de parler dix fois plus qu'il n'est nécessaire. J'engage la majorité à faire respecter la Chambre et à ne pas se laisser prendre à des motions incidentes qui n'auraient pour effet que de prolonger la discussion et de l'empêcher d'aboutir. (Interruption.) Notre devoir est de nous opposer avec fermeté à ce qu'on nous fasse perdre sans résultat quatre ou cinq semaines de discussion que cette loi aura absorbées.
Je demande à la Chambre s'il ne serait pas nécessaire de commencer ses séances de meilleure heure qu'à une heure. Nous ne nous opposons pas à ce qu'on discute, nous l'avons prouvé en laissant continuer, tant que l'opposition l'a voulu, cette interminable discussion générale, mais après avoir tant discuté, il faut qu'on rejette ou qu'on adopte la loi, et personne ne peut se flatter de nous empêcher d'arriver à un résultat.
M. B. Dumortier. - Le discours de l'honorable M. Devaux me paraît étrange. Il se considère comme le patriarche de l'assemblée, et il engage la majorité à empêcher la minorité de faire son devoir. (Interruption.)
Voilà ce que vous voulez ! Les petites objections sont les objections de notre conscience. Tout est petit, pour l'honorable membre, dès qu'on n'est pas ministériel. Qu'dilse rappelle que, quand nous discutions la loi sur les fondations, ses amis ont dit qu'on aurait discuté jusqu'à extinction de force physique !
Est-ce que nous disions à la majorité d'écraser la voix de la majorité ? C'est ce que vous faites. Ces petites objections sont la source où nous trouvons la force nécessaire pour combattre le projet. Adoptez-le, si vous voulez ; mais n'étouffez pas la voix de la minorité.
Je dis que je respecte trop la majorité pour croire qu'elle adopte un pareil système et j'espère que le conseil de l'honorable membre ne sera pas écouté par la gauche qui manquerait à ses devoirs si elle étouffait la voix de la minorité.
Quand vous étiez minorité, nous vous avons laissé discuter et sur la loi et sur les articles. Vous avez demandé que l'on décidât des questions de principe en commençant et nous les avons examinées et mises aux voix, et maintenant vous nous refuseriez l'examen des questions de principe dès le début. Vous voulez nous forcer à voter des articles dont la portée est double, des dispositions qui peuvent être bonnes si tel principe est adopté, qui peuvent être mauvaises, détestables, exécrables si ce principe est repoussé.
C'est une position fauss 'dans laquelle vous mettez nos consciences, et je dois protester contre les paroles de l'honorable membre.
MFOF. - Que l'on exécute le règlement.
M. le président. - On ne demande, messieurs, que la suppression de ce qui est inutile. Il ne s'agit pas d'étouffer le débat, mais d'épargner un temps précieux et d'arriver au vote de la loi soumise aux discussions de la Chambre. C'est un but que nous devons tous poursuivre. Sans vouloir mettre aucune entrave à la liberté de la tribune, je demande que l'on imprime au débat la régularité et la rapidité dont il est susceptible.
La Chambre a décidé que l'on commencerait par l'article premier. La motion de l'honorable M. Van Overloop ayant un caractère général, j’invite pour la dernière fois l'honorable membre à ne pas insister et à laisser reporter l'examen de sa proposition au chapitre des dispositions générales.
M. Van Overloop. - Je ne m'attendais pas, messieurs, à la mercuriale de l'honorable M. Devaux. Je ne l'accepte en aucune manière. Il me semble que j'ai respecté toutes les convenances. J'ai commencé par demander le renvoi à la section centrale, précisément afin d'aboutir.
L'honorable M. Devaux, du haut de sa grandeur, me fait une mercuriale, je ne sais trop pourquoi.
Maintenant, que l'on discute mon amendement, soit à l'article premier, soit aux dispositions générales, soit à tel ou tel autre article, mais je prie l’honorable M. Devaux de s'abstenir de mercuriales que je n'accepte pas.
- La Chambre décide que l'amendement de M. Van Overloop sera examiné aux dispositions générales.
M. Tack. - Messieurs, je ne compte pas du tout m'occuper de l'amendement de l'honorable M. Nothomb. C'est une question qui se rattache à un autre ordre d'idées.
L'honorable M. Van Humbeeck vient de demander la parole, je pense, pour parler sur cet amendement. S'il le désire, je lui cède mon tour de parole. Sinon, je suis à la disposition de l'assemblée.
M. Van Humbeeck. -- Messieurs, l'honorable M. Nothomb, dans le discours qu'il vient de prononcer, paraissait craindre que son amendement ne succombât, par suite d'un procès de tendance que lui aurait fait l'honorable ministre des finances, car c'est bien au discours de M. le ministre des finances qu'il a fait allusion.
(page 926) L'honorable membre peut en être assuré, si son amendement succombe, s'il ne trouve pas dans la gauche l'appui qu'il aurait désiré y trouver, ce n'est point par suite d'un procès de tendance qu'il succombera, mais par suite de l'aveu des tendances que l'honorable membre vient d'avouer hautement et que nous ne pouvons admettre.
L'honorable membre a avoué que son amendement se rattachait aux idées qu'il avait tâché de faire prévaloir en 1857. D'après cet amendement, la commune doit jouer un rôle analogue à celui que les bureaux de bienfaisance jouaient dans le projet sur la liberté de la charité.
Entre le système de 1857 et celui qu'il propose à la Chambre d'adopter, l'honorable membre n'établit qu'une seule différence ; c'est que le projet de 1857 supposait toujours un emploi obligatoire des libéralités et que son amendement en permet l'emploi facultatif.. En fait, cette différence n'est pas même exacte ; j'aurai occasion de démontrer tout à l'heure que l'amendement proposé par l’honorable M. Nothomb supprime la faculté même qu'il prétend maintenir.
De tous les reproches qui ont été faits au système que je suis venu défendre devant la Chambre, celui de se confondre avec les idées repoussées en 1857, m'avait été le plus sensible.
Je suis enchanté que l'honorable membre, en proposant un amendement tout autre que celui que j'aurais proposé, si j'avais cru devoir en proposer un, me fournisse l'occasion de protester contre toute assimilation des principes, que j'aurais voulu faire prévaloir, à ceux de 1857.
Il me permet de me justifier ainsi du reproche qu'avaient cru devoir m'adresser quelques honorables amis ; mais d'abord, qu'il me soit permis d'appeler un instant l'attention de la Chambre sur les rétroactes de la question.
L'honorable M. Nothomb a rappelé que déjà la question avait été agitée en section centrale.
La question y avait, il est vrai, été agitée ; mais elle n'avait pas fait l'objet d'une proposition formelle.
J'ai soutenu pendant cette discussion en section centrale, et j'en appelle à mon tour aux souvenirs de l'honorable membre, que la question était en dehors du projet de loi et que, si une proposition était faite peur la faire trancher par ce projet, je m'abstiendrais dans la situation qui me serait ainsi faite.
La proposition que l'on avait eu un instant l'intention de faire n'a pas paru, je ne sais par suite de quelle circonstance.
Il n'y a donc pas eu de vote ; mais la question avait été discutée avec les plus grands détails et comme je ne partageais pas les théories défendues par le rapporteur de la section centrale dans son rapport, j'ai commencé par faire une réserve dans ce rapport même et je suis venu expliquer devant la Chambre la portée de cette réserve.
Mais je gardais toujours l'idée que j'avais exprimée en section centrale et que j'ai répétée devant l'assemblée ; je pensais toujours que la question était en dehors du projet de loi.
Si la marche de la discussion m'avait désabusé sur ce point ; si elle m'avait démontré que je m'étais trompé, mon devoir était tout tracé ; je devais venir présenter un amendement malgré toute la répugnance que l'on dout éprouver à mettre en avant une proposition sur laquelle on doit craindre de voir naître une dissidence parmi ses amis politiques.
Une déclaration du gouvernement est venue confirmer au contraire ma manière de voir et établir que la question est indépendante du projet de loi, qu'elle n'y est engagée en aucun sens.
Par conséquent l'inaction m'était permise ; et une fois qu'une autre marche ne m'était pas imposée par des nécessités de principe, je devais me laisser guider par des convenances politiques ; je devais accepter ce rôle d'inaction comme le rôle le plus naturel et le plus digne.
Je crois donc, messieurs, que nous n'avons pas d'intérêt à faire résoudre par le projet de loi la question des dépenses facultatives.
L'amendement que l'honorable M. Nothomb vient de proposer renferme une solution, que dans aucun cas je ne pourrais accepter. Je viens d'en indiquer déjà quelques motifs et j'aurai l'occasion d'en déterminer d'autres en examinant le texte de l'amendement.
Quant au système que je pourrais proposer, il a pour le moment toutes les chances possibles de ne pas être accepté ; cependant je crois qu'il est juste, et qu'il ne provoquera pas toujours les répugnances qui s'y attachent maintenant.
Il est bon de gagner du temps ; en voulant amener aujourd'hui la solution de la question, on ferait repousser un système qui, dans quelque temps, mieux étudié, pourra triompher.
Je crois donc servir les idées que je suis venu développer devant la Chambre en demandant que la question soit réservée pour le moment, en interprétant le projet de loi comme d'abord je l'avais fait et comme M. le ministre des finances l'a interprété lui-même devant la Chambre.
La déclaration faite dans mon discours et la déclaration faite par l'honorable organe du gouvernement ont dessiné la position et établi la marche que j'avais à suivre.
Quelques mots maintenant pour examiner le fond de l'amendement de l'honorable M. Nothomb.
Cet amendement, à mes yeux, a un premier défaut : c'est que je ne le comprends pas.
L'amendement se rattache à un article ainsi conçu :
« Les libéralités en faveur de l'enseignement primaire d'une commube ou d'une section de commune sont réputées faites à la commune ou à la section de commune. »
On propose comme première disposition additionnelle un paragraphe ainsi conçu :
« Sont également réputées faites à la commune les libéralités pour dépenses facultatives de l'enseignement à tous les degrés. »
L'honorable M. Nothomb semble établir une présomption légale en faveur des communes ; je ne sais ni sur quoi cette présomption légale pourrait reposer, ni à quels cas elle pourrait se rapporter. J'ai déclaré dans mon discours que mes idées n'étaient applicables qu'à des libéralités dans lesquelles les communes seraient directement instituées ; dès lors toute présomption devient inutile..
Maintenant à quel ordre de libéralités viendrait s'appliquer l'amendement tel qu'il est formulé ?
S'agit-il des libéralités dans lesquelles les communes ne sont pas directement instituées ? Mais alors que seront ces libéralités pour dépenses facultatives, dans lesquelles la commune n'est pas instituée, mais où il y aura présomption en faveur des communes ? J'avoue que la solution de cette question, qu'il est naturel de poser cependant, m'échappe complètement. Je ne prévois pas quel peut être l'institué apparent dans les libéralités prévues par l'honorable M. Nothomb, institué qui ne serait pas l'institué réel, puisqu'il y aurait présomption en faveur des communes.
Ce premier paragraphe a un sens qu'il m'est impossible de préciser. Je n'ai, quant à moi, entendu parler que des libéralités faites directement en faveur des communes, et par conséquent cette rédaction de la première partie de l'amendement de M. Nothomb est tout à fait incompatible avec le système que j'ai produit devant la Chambre.
L'honorable M. Nothomb prétend que son système admet l'emploi facultatif des libéralités au lieu d'exiger un emploi obligatoire comme le projet de 1857.
Cette opinion ne me paraît pas pouvoir confirmer l'interprétation exacte de la seconde partie de la disposition qu'il vient soumettre à la Chambre. Le second paragraphe porte :
« Le donateur ou testateur peut stipuler qu'en cas de non application de la libéralité pendant trois ans, les biens légués ou donnés feront retour à sa famille. »
On prétend qu'en présence d'une semblable stipulation la faculté est cependant réservée. Il n'y a pas d'obligation, il y a encore faculté. Mais il me semble que c'est précisément le contraire. Ce que j'ai appelé une condition non écrite, et comme telle n'ayant plus que le sens d'un simple vœu émis par le testateur, n'est pas du tout ce que l’honorable M. Nothomb permet au testateur de stipuler. Il y aura revendication de la libéralité pour inexécution d'une de ces conditions. Ce n'est pas là la conséquence qui s'attache à la méconnaissance d'un simple vœu ; c'est la conséquence qui s'attache à la violation d'une condition légale.
Il entre donc dans la pensée de l'honorable membre, qu'il y aura possibilité, pour le testateur, d'imposer à perpétuité sa volonté à la commune.
Or, j'ai déclaré que je ne pouvais admettre cette manière de voir, parce que ce serait soumettre la commune à l'obligation de remplir des conditions précises, perpétuelles, ce serait lui permettre d'engager la liberté communale par des actes de sa vie privée.
Je sais que c'est au nom du droit des familles, que c'est au nom de la liberté des testateurs que l'honorable membre défend cette partie finale de sa proposition. Mais nous rentrons ainsi dans la grande discussion de principes qui nous occupe depuis quatre semaines. Il s'agit toujours de savoir si nous sommes en présence d'un intérêt public, social, si nous sommes en présence d'un intérêt communal qui est aussi un intérêt public, si cet intérêt public ne doit pas dominer les intérêts purement personnels, comme le prétendu droit des familles, comme la prétendue liberté des testateurs.
Le système de l’honorable M. Nothomb n'est donc le mien sous aucun rapport.
J'ose demander à la Chambre de m'accorder encore quelques moments d'indulgence, pour me permettre de formuler de nouveau mon système.
(page 927) Je ne suis pas sourd aux considérations qu'a fait valoir tout à l'heure l'honorable M. Devaux. Je comprends qu'il ne faut pus prolonger ces débats inutilement. Mais la question que j'ai cru devoir soulever est une question grave.
Tout en demandant qu'elle soit réservée, je crois devoir faire qu'elle soit réservée dans de bonnes conditions ; je crois, par conséquent, devoir réfuter l'interprétation erronée que l'on a donnée d'un système en faveur duquel je n'ai d'ailleurs parlé qu'une seule fois.
Selon moi, les dispositions qui imposent aux communes certaines obligations en matière d'enseignement, ont tout simplement pour objet de déterminer le minimum des efforts que les communes doivent consacrer à ce grand intérêt. Ces lois sont venues dire aux communes : Il est de nécessité générale que vous fassiez au moins telle ou telle chose en matière d'enseignement. Si vous n'allez pas jusque-là, je vous y contraindrai. Ainsi ont parlé les lois sur l'enseignement primaire et sur l'enseignement moyen.
En matière d'enseignement supérieur, la loi a dit :
Il est d'intérêt général qu'il y ait au moins dans le pays deux établissements d'instruction supérieure. La création de ces deux établissements sera un minimum d'enseignement, satisfaisant à ce qui est de stricte nécessité ; pour ce qui est à faire au-delà, les intérêts locaux et la liberté individuelle pourront le faire.
C'est un premier point sur lequel je ne me suis pas trouvé d'accord avec d'honorables membres de la gauche qui ne reconnaissaient à la commune que les droits qui lui sont expressément conférés par la loi.
Une seconde divergence était relative à la capacité des communes pour recevoir des libéralités au profit de tout enseignement, dont la loi ne leur impose pas le devoir de s'occuper, mais dont elle ne leur défend pas non plus de s'occuper. J'ai soutenu que les libéralités pour de simples dépenses facultatives devaient être permises. Je faisais cependant remarquer que les dépenses consacrées par la commune à un enseignement qui n’est pas imposé, doivent toujours constituer des dépenses facultatives. Je déniais par conséquent aux communes, comme je viens de le répéter, le droit de convertir, en vertu d'un acte privé, ce qui était une faculté en une obligation indestructible.
La question spéciale à l'enseignement facultatif ne demeurait donc plus, dans cet ordre d'idées, qu'une subdivision d'une question plus vaste, de la question de savoir si les communes peuvent recevoir des libéralités faites pour des dépenses purement facultatives, quelles qu'elles soient.
C'est cette question que j'ai abordée et pour résumer brièvement la solution que je lui ai donnée, voici à quels principes elle se réduit :
J'ai posé un premier principe incontestable, selon moi : les dépenses facultatives pour les communes doivent demeurer facultatives.
Partant de ce principe, je disais : Si un bienfaiteur a su que la dépense était facultative, et s'il a voulu qu'elle demeurât facultative, il n'a pas entendu, en y affectant une libéralité, stipuler une condition proprement dite. Il a entendu exprimer seulement un vœu, auquel on peut se croire moralement tenu de déférer, mais qui n'engendre point de lien légal.
Si, au contraire, le bienfaiteur a voulu que la commune fût engagée perpétuellement à une dépense facultative, qui se serait ainsi convertie en dépense obligatoire, il aurait bien entendu stipuler une condition véritable, mais cette condition, comme telle, est non écrite ; elle est incompatible avec la liberté communale et nous nous trouvons, ainsi dans les deux cas en présence d'un simple vœu.
Messieurs, au début de cette discussion, lorsque j'ai cru devoir consacrer une réfutation à certaines considérations émises par l'honorable rapporteur de la section centrale, deux choses me semblaient contestées : le droit de la commune de donner des subsides en faveur de l'enseignement, qui ne lui est pas imposé, et son droit de recevoir des libéralités pour cet enseignement. La première question, qui me paraissait un peu compromise par les considérations exprimées par l'honorable rapporteur, est sortie de la discussion complètement intacte et résolue en faveur des communes. Quant à la deuxième question, celle qui concerne les libéralités, elle sort de ce débat intacte également, en ce sens que la solution en aura lieu après le vote de la loi, comme elle aurait eu lieu si la loi n'avait pas été présentée. Rien n'est innové sur ce point. Je crois que nous ne pouvons pas exiger, au profit des idées que nous avons défendues, un meilleur résultat pour le moment.
Messieurs, je ne prolongerai pas ces observations ; il me suffit d'avoir démontré aussi brièvement que je le pouvais, la différence radicale entre les idées qui servent de base à l'amendement de M. Nothomb et celles que j'avais cru devoir défendre. Si les circonstances étaient autres, si ce débat n'avait pas déjà pris tant de séances, j'aurais donné plus de développement à ma démonstration ; de plus, je me serais attaché à faire ressortir combien les idées que j'ai soutenues sont compatibles avec celles que le libéralisme a toujours défendues comme siennes, et notamment avec la jurisprudence administrative sur les dons charitables de 1847 à 1856. Mais dans la situation du débat, il faut nécessairement nous limiter aux observations tout à fait indispensables. Je borne donc là mon discours.
M. Tack. - Messieurs, j'ai regretté avec mes honorables collègues que la proposition faite par l'honorable M. Nothomb, dans la séance de samedi, à l'effet d'obtenir la priorité pour son amendement relatif aux fondations reconnues en vertu des arrêtés-lois du roi Guillaume, n'ait point prévalu. Je le regrette parce qu'il me semble que l'adoption de cette proposition eût abrégé nos débats.
Quand le Sénat s'est occupé de la loi sur la bienfaisance, on a commencé par discuter un amendement identique eu quelque sorte, l'amendement de M. Forgeur ; puis il ne s'est plus élevé aucune discussion sur la disposition interprétative de l'article 84 de la' loi communale . Il en aurait été probablement ainsi dans la discussion actuelle si l'on avait commencé par l'amendement de M. Nothomb. La question de la rétroactivité une fois traitée et décidée à toute fin, on aurait passé rapidement sur les articles. Avec la mesure qu'on a prise, nous allons tomber dans d'inévitables redites. Cet inconvénient se manifestera dès le début de la discussion sur le chapitre premier. Comment en effet parler sur l'article premier sans entretenir la Chambre de la question de la rétroactivité ?.
En effet, messieurs, cet article contient le principe de la rétroactivité en ce qui touche les fondations en faveur de l'enseignement primaire. Je ferai remarquer à la Chambre que jusqu'à présent il n'a pas été dit un seul mot sur cette matière si importante et si vaste. Nous avons, messieurs, beaucoup parlé des bourses d'études, mais à l'heure qu'il est, il n'a pas été parlé des fondations en faveur de l'enseignement en général ni de celles qui se rapportent plus spécialement à l'enseignement primaire.
En quoi consistent ces fondations ? Elles ont pour objet de créer des établissements d'enseignement, d'ouvrir des écoles, de pourvoir au traitement et à l'entretien d'instituteurs, à l'achat du mobilier classique, etc. ; les bourses d'études, au contraire, sont des secours fournis à ceux qui sent dépourvus des ressources nécessaires pour se faire donner l'instruction dont ils ont besoin.
Certainement, à tout prendre, le but d'une fondation de bourses et le but d'une fondation eu faveur de l'enseignement est le même. Les fondations de bourses comme les fondations en faveur de l'enseignement sont des moyens imaginés par l'esprit de charité et de bienfaisance pour répandre l'instruction et favoriser la diffusion des lumières parmi les classes peu aisées ; seulement le mode d'action est différent.
Il est, messieurs, un point qui, dans la discussion générale, n'a pas été suffisamment mis en lumière et sur lequel je désiré vous entretenir un instant.
C'est, messieurs, la disparité qui va naître dans la législation par suite de la contradiction qui existe entre le projet de loi actuellement en discussion et la lot de 1859 sur les fondations charitables. Cette contradiction saute aux yeux quand on compare les fondations charitables avec les fondations au profit de l'enseignement, plus encore que lorsqu'on les rapproche des fondations de bourses.
La Chambre ne s'étonnera donc pas que j'y revienne, surtout qu'elle se souviendra que le point a été à peine effleuré. La loi du 3 juin 1859, vous le savez, messieurs, repousse le principe de la rétroactivité ; elle ne l'applique point aux fondations charitables antérieures à sa promulgation. Quel est son principe pour l'avenir ? Interdiction au pouvoir exécutif de créer des personnes civiles avec administrateurs spéciaux ; sous l'empire de la loi de 1859, pareilles personnes civiles ne peuvent recevoir l'existence que de la loi ; mais quant au passé, la loi de 1859 l'a respecté tout entier.
Il suffit, messieurs, pour s'en convaincre, de voir ce qui a été dit dans la discussion de cette loi. Je me bornerai à vous citer les paroles de l'honorable M. Forgeur, auteur de l'amendement que vous connaissez.
« On vient vous dire (c'est ainsi que s'exprime l'honorable M. Forgeur) :
« Si vous votez la proposition du gouvernement, vous faites une loi rétroactive, vous portez atteinte à des droits acquis. On cherche ainsi, en exploitant un sentiment de répugnance naturelle contre toute loi rétroactive, à vous arracher un vote contraire au projet de loi... »
« Il n'est pas question, disait-il plus haut, de porter atteinte aux faits accomplis. La loi communale a fait pour les fondations existantes alors, ce que vous pourriez faire, messieurs de la droite, en votant avec nous la loi proposée, avec un amendement portant qu'il n'est pas dérogé par les dispositions qui précèdent aux fondations autorisées jusqu'à ce jour (page 928) par le gouvernement. Ce serait dire : Il y a eu jusqu'à ce jour un état de choses douteux ; on a interprété la loi en deux sens différents ; nous en fixons le sens pour l'avenir, et, quant au passé, pour enlever aux adversaires de la loi tout prétexte, pour soustraire celle-ci au reproche de rétroagir, nous décidons qu'elle ne portera aucune atteinte aux fondations qui ont reçu la consécration du gouvernement . »
Cette opinion fut traduite en texte de loi que voici :
« Les fondations autorisées en vertu de l'article 84 de la loi communale, antérieurement à la promulgation de la présente loi, continueront à être administrées conformément aux actes d'autorisation, sauf au gouvernement à prescrire, s'il y a lieu, par arrêté royal, les mesures propres à assurer le contrôle de la gestion des biens donnés ou légués, et leur conservation. »
Et M. le ministre de la justice, en se ralliant à l'amendement, disait à son tour :
« Si le gouvernement avait voulu faire de la rétroactivité, il aurait pu vous présenter sous une autre forme des dispositions complètement inattaquables... Mais nous n'avons pas fait une semblable proposition.
» Nous l'avons dit, dès le début, en présentant ce projet, notre intention n'est pas de bouleverser ce qui existe ; nous avons déclaré dans la section centrale et à la Chambre que nous entendions maintenir toutes les administrations qui avaient été autorisées jusqu'à présent en vertu de la loi communale ; que sous ce rapport nous ne voulons toucher à rien. Nous ne voulons supprimer aucune administration. »
Voilà, ce me semble, qui est clair. Il est évident d'après les dispositions de la loi de 1859 que toutes les fondations de bienfaisance préexistantes ont été maintenues, tant celles qui ont été autorisées postérieurement à la loi communale que celles qui ont été autorisées avant la promulgation de cette loi ; car, quant à ces dernières, il n'y avait pas l'ombre d'un doute.
Maintenant quel est votre principe dans la loi actuelle en ce qui touche les fondations en faveur de l'enseignement et spécialement de l'enseignement primaire ? Pour l'avenir, c'est le même principe que celui de la loi de 1859 ; mais pour le passé, c'est un principe diamétralement opposé ; vous faites rétroagir votre loi ; vous enveloppez dans le même arrêt de proscription toutes les fondations en matière d'enseignement ; vous n'en laissez aucune debout. Vous les supprimez toutes d'un trait de plume ; c'est à-dire que vous les réunissez au domaine de la commune. Vous faites ainsi une annexion in globo ; c'est un rajeunissement universel. Et cela sans distinction aucune, sans aucun examen, sans vous demander si parmi ces établissements il en est qui sont bien ou mal administrés, s'il en est qui devraient ère conservés oui ou non ; en un mot, s'il en est qui ont répondu au but que les fondateurs s'étaient proposé, à la mission qui leur incombe.
C'est donc une exécution sommaire sans égard pour la volonté des fondateurs ; cela est très commode, très expéditif ; mais permettez-moi d'ajouter : C'est très violent, très arbitraire, très draconien.
Les fondations en matière d'enseignement primaire sont nombreuses. Il en est d'anciennes, il en est de récentes ; il en est qui existent en vertu d'octrois donnés par Marie-Thérèse ; il en est qui sont autorisées en vertu des décrets de l'empire ; d'autres ont été autorisées par des arrêtés du roi Guillaume ; d'autres l'ont été postérieurement à la promulgation de la loi communale.
Pour vous en convaincre, il suffira de jeter les yeux sur la statistique qui a été publiée dans les documents parlementaires en 1857. Je fais allusion aux gros volumes qui contiennent l'exposé des motifs, les rapports de la section centrale et les discussions qui ont eu lieu dans les deux Chambres en 1854 et en 1857.
Beaucoup de legs et de donations ont été faits à ces fondations sous des conditions formellement résolutoires. Eh bien, toutes ces conditions, on les fait disparaître, on les biffe, on en fait litière.
Beaucoup d'actes renferment la clause que l'instruction sera donnée par des corporations enseignantes déterminées ; cette clause et d'autres analogues sont sanctionnées et ratifiées par des arrêtés royaux. Or, tout cela est modifié au moyen du projet de loi qu'on nous propose de voter.
Un grand nombre d'établissements ignorent ce qui va leur avenir.
- Des membres. - Cela se rattache à l'article 47.
M. Tack. - Pardon, cela se rattache intimement à l'article premier, car l'article 47 n'est qu'une conséquence de l'article premier ; l'article premier est général ; il stipule pour le passé et pour l'avenir ; au fond le principe de la rétroactivité gît dans l'article premier. Il n'est pas ailleurs pour ce qui concerne l'enseignement primaire.
Il porte : « Les libéralités en faveur de l'enseignement primaire d'une commune ou d'une section de commune sont réputées faites à la commune ou à la section de commune. » Et comme conséquence de cette disposition générale applicable au passé comme à l'avenir, l'article 47 stipule que la gestion des biens de toutes les fondations d'enseignement primaire sera confiée désormais aux communes.
Le principe de la saisine au profit de la commune est donc inscrit dans l'article premier; celui de l'administration ou de la gestion en résulte par voie de simple conséquence et figure au chapitre des dispositions transitoire.
Je reprends le fil de mes idées et je dis qu'un grand nombre d'établissements ignorent ce qui va leur avenir, à la suite de l'adoption de l'article premier.
Il faut qu'ils le sachent : on supprime les administrateurs spéciaux ; on dépouille de leurs revenus les établissements d'instruction primaire antérieurement autorisés ; on les transforme en établissements communaux réglés par la loi de 1842. Et vous savez comment la loi sur l'instruction primaire est appliquée.
On est parvenu à supprimer en grande partie les écoles subsidiées qui étaient des écoles libres à beaucoup d'égards. Quant aux écoles adoptées, on les oblige à des conditions telles, que toute liberté disparaît pour ces écoles.
Ainsi on exige que les instituteurs aient le diplôme ; que les élèves qui fréquentent ces établissements se présentent au concours ; on leur trace des programmes inflexibles. Enfin on leur impose toutes les obligations et restrictions auxquelles les établissements communaux proprement dits sont soumis, et ils sont ainsi privés complètement de leur liberté. Voilà quelle sera la conséquence de l'article premier au point de vue des établissements antérieurement autorisés par arrêté royal.
En effet, ne dit-on pas, dans l'exposé des motifs et dans le rapport que la loi a pour effet l’attribution de la libéralité et de la régie des biens à la commune et cela en vue d'un enseignement organisé par la loi ? Il suffit, du reste, pour comprendre la portée de l'article premier, de lire l'intitulé du chapitre premier ; il nous apprend que tous les établissements reconnus sont transformés en établissements publics.
Ainsi, si tels instituteurs ou telles institutrices qui ont été désignés par un fondateur, déplaisent à une administration communale, il dépendra d'elle de les renvoyer et de les remplacer par des instituteurs ou des institutrices de son choix.
Aucune institution n'y échappe. On les prend toutes d'un même coup de filet. On les condamne toutes en vertu d'une présomption défavorable juris et de jure. C'est précisément le contraire des dispositions adoptées dans la loi de 1859 sur les établissements de bienfaisance. Là, la présomption est favorable eux établissements. Ici la présomption leur est contraire. Pourquoi cette déviation d'une règle précédemment adoptée ? Rien ne la justifie.
Car, à tout prendre, les fondations en faveur de l'enseignement primaire sont des œuvres de charité, des établissements de bienfaisance. Pourriez-vous le nier ? Quel est leur but, en définitive ? C'est de soulager la misère morale et intellectuelle ; c'est de porter remède à l'ignorance des masses, ignorance dont vous-mêmes vous vous plaignez si souvent, et qui est, dans beaucoup de pays, la cause et l'origine du paupérisme et du mal physique.
Oui, une fondation en faveur de l'enseignement primaire est une fondation de bienfaisance, aussi bien que la création d'un hospice ou un legs fait en vue d'une distribution d'aumônes.
Le but final est le même. Eh bien, par cette divergence, par cette contradiction que vous introduisez dans la législation, vous venez, à trois années d'intervalle, demander à la Chambre et au Sénat qu'ils se déjugent.
Vous vous donnez un démenti à vous-mêmes, car c'est sur la proposition des vôtres que l'amendement tendant à ménager les intérêts des fondations existantes a été adopté par le Sénat ; à moins que votre intention ne soit d'obtenir une revanche par la loi actuelle, - je suis assez tenté de le croire, car, quoique vous en disiez, voire loi de 1859 n'a été qu'un demi-triomphe, - vous l'aviez présentée avec le principe de la rétroactivité ; or, le Sénat a repoussé ce principe parce que l'opinion publique n'en voulait pas.
Vous voulez revenir maintenant sur cette question à propos des établissements d'instruction.
Vous êtes souvent venus nous dire dans cette enceinte : Il n'y a pas impossibilité absolue de créer des personnes avec les administrateurs spéciaux ; que l'on s'adresse à la législature ; si un établissement est assez considérable, s'il se présente dans de bonnes conditions, la législature ne repoussera pas les propositions qui lui sont déférées. Permettez-moi de vous donner lecture des déclarations faites à ce sujet par l'honorable M. Rogier dans la séance du Sénat du 24 mai 1859.
Mais, au préalable, je vous ferai connaître l'opinion qu'émettait (page 929) l'honorable M. Faider dans l'exposé des motifs du projet de loi de 1854, au sujet des personnes civiles à créer par voie législative :
« Si l'on veut, disait-il, fonder un établissement, organiser une institution de charité, assurer la perpétuité et le progrès des œuvres charitables, le projet même indique que la législature peut être appelée à conférer la personnification civile... Les institutions sérieuses et utiles de charité devront, nous venons de le dire, être autorisées par des lois spéciales. Des précédents nous permettent de dire que l'on a trouvé dans le législateur un protecteur éclairé et puissant en faveur de ces institutions ; c'est ainsi que l'organisation des sociétés de secours mutuels a été consacrée. A ceux qui, répugnant à s'adresser aux administrations légales, veulent créer des administrations indépendantes, nous disons de s'adresser au législateur. Ni ministres présents ni ministres futurs n'hésiteront à soumettre aux Chambres la consécration civile et durable des établissements indépendants dont l'utilité et les bienfaits seront reconnus. »
Et l'honorable M. Rogier n'était pas moins explicite ; voici les paroles qu'il prononça au Sénat en 1859 :
« Il faut, dit-on, que l'homme bienfaisant qui veut attacher sa mémoire à l'établissement d'une grande œuvre en dehors des administrations publiques, en dehors des administrations officielles, il faut qu'il ait cette faculté surtout dans un pays de liberté ; il ne faut pas que des hommes généreux soient empêchés de créer, à eux seuls, des établissements de bienfaisance avec la satisfaction d'y attacher leur nom et d'en confier la direction à des administrateurs de leur choix. Eh bien, messieurs, le système du gouvernement ne repousse en aucune manière la possibilité de créer des établissements utiles... Que fera le gouvernement ? Il viendra demander aux Chambres de donner la garantie de la loi à de pareils établissements... Je crois qu'il y a peu d'objets dans l'avenir qui soient aussi dignes de l'attention du gouvernement et des Chambres. »
Eh bien, messieurs, aujourd'hui que vous êtes appelez à statuer législativement quant aux établissements créés dans le passé, que sont devenues toutes ces déclarations ; que sont devenus tous ces témoignages de sympathie en faveur des établissements qui caractérisait l'honorable M. Rogier ? Vous les avez oubliés, vous les reniez.
Toutes ces dispositions bienveillantes ont fait place à votre projet, qui consacre la négation complète de tous droits dans le chef des établissements existants, sans exception aucune. N'y en a-t-il donc pas un seul qui mérite d'être soustrait à la proscription générale ?
Permettez-moi de vous faire remarquer, messieurs, que les établissements existants ont une position beaucoup plus digne de faveur que des établissements qui ne sont pas encore nés et dont l'utilité peut être douteuse. Car, d'abord, les auteurs des fondations existantes ont eu foi dans vos devanciers, ils sont munis de titres respectables, ils invoquent des octrois anciens ou des arrêtés royaux récents.
Je sais bien que vous allez m'objecter que ce ne sont point là, dans votre opinion, des titres légaux ; mais outre que votre opinion est contestable et contestée, l'objection était la même en ce qui concerne les fondations en matière de bienfaisance. Les fondations en faveur de l'enseignement ont été autorisées généralement en vertu des arrêtés du roi Guillaume de 1818, 1823 et de 1829. Il en est plusieurs dont les autorisations ont été signées par des ministres qui siègent en ce moment sur les bancs delà gauche, La probité, l'honnêteté politique ne vous commandent-elles pas de les respecter ? Ces établissements, du reste, ont fait leurs preuves, dans la modeste sphère d'action où elles se meuvent et ici vous êtes forcé de vous abstenir de faire entendre des phrases sonores, des périodes ronflantes pour en contester l'utilité.
De quoi s'agit-il, dans ces établissements ? De l'a b c, d'apprendre à lire, à écrire et à calculer à de jeunes enfants, de leur enseigner la doctrine chrétienne ; d'initier des jeunes filles à la couture, au tricot et à la fabrication de la dentelle.
La mission de ces établissements ne va pas plus loin. Vous seriez donc mal venus de nous accuser, à cette occasion, de vouloir entraver le développement de la science, de faire rebrousser la société, de l'exposer à être précipitée dans des utopies ; de permettre aux générations couchées dans la tombe de disputer le progrès aux générations futures. Tout ce fatras de grands mots, tout ce clinquant de phrases d'autant plus sonores qu'elles sont plus creuses, est ici hors de saison.
Pour le moment il n'est pas question non plus de mainmorte, car la plupart de ces utiles institutions ne possèdent pas autre chose que leurs locaux d'école et le logement nécessaire pour les instituteurs ou pour les institutrices.
M. le président. - M. Tack, je dois vous faire remarquer que ces développements appartiennent plutôt à la discussion générale et à l'amendement de M. Nothomb, qu'à l'article premier.
M. Tack. - Au contraire, M. le président, j'ai déjà fait remarquer que c'est pour la première fois qu'il est question des fondations en faveur de l'enseignement primaire ; on ne s'en est pas le moins du monde occupé dans la discussion générale : l'article premier les concerne spécialement, et je l'ai déjà fait observer, cet article innove pour le passé aussi bien que pour l'avenir ; il est général, on n'oserait le contester. Donc, je suis parfaitement dans la question.
Je crois que si l'on recherchait la pensée intime du législateur de 1859. on resterait convaincu qu'il a voulu le maintien des fondations en faveur de l'enseignement, qu'il les a considérées comme des établissements de bienfaisance et, sous ce rapport, on peut dire que votre loi est une dérogation à celle de 1859.
La contradiction dans laquelle vous tombez donnera lieu, dans la pratique, aux plus graves difficultés. Il existe beaucoup d'établissements qui ont un caractère mixte ; il est, par exemple, des sœurs hospitalières qui dirigent une école gratuite au profit des pauvres ; il est des corporations enseignantes qui visitent les malades ; il est des orphelinats auxquels sont annexés des externats. Dans une précédente séance, on a déjà, dans l'ordre d'idées que j'indique, demandé des explications à M. le ministre de la justice, au sujet d'un établissement spécial ; je veux parler de la fondation Terninck, à Anvers. Quel est le caractère que M. le ministre de la justice assigne à cet établissement ?
Une explication est indispensable. Cet établissement est, à proprement parler, un orphelinat et a toujours été géré avec une régularité parfaite ; il a toujours rendu des comptes en due forme.
Il figure aux annexes comme établissement d'instruction.
M. le président. - Mais, M. Tack, ce n'est pas le moment de discuter cela.
M. B. Dumortier. - Vous voulez donc empêcher la discussion, M. le président ?
M. le président. - Je veux l'empêcher de s'égarer. Nous discutons l'article premier en ce moment.
M. Tack. - Je m'occupe de l'article premier ; si la discussion devait s'égarer, ce qui n'arrive pas, ce serait la conséquence du refus de la majorité de laisser discuter en premier lieu le principe de l'amendement de M. Nothomb.
M. le président. - La conséquence de cette décision ne peut pas être de ramener la discussion de cet amendement.
M. B. Dumortier. - Mais ce n'est pas à vous, M. le président, de discuter.
M. le président. - M. Dumortier, vous n'avez pas la parole.
M. Tack. - Je viens demander à M. le ministre de la justice quel caractère il attribue à l'établissement Terninck, s'il le considère comme un établissement de bienfaisance ou comme un établissement d'enseignement primaire.
M. Muller. - Ce n'est pas la question.
M. Tack. - Comment ! l'article premier dispose à l'égard des établissements d'instruction primaire, et je ne serais pas en droit de demander qu'on les définisse ; on me répondra peut-être que la solution de ma question dépend des circonstances.
Qui décidera de ces circonstances ? Sera-ce le gouvernement, en vertu d'une espèce de pouvoir discrétionnaire ? ou bien les administrateurs spéciaux seront-ils obligés de plaider en justice pour faire déclarer le caractère de l'établissement qu'ils sont chargés de gérer ?
Vous comprendrez, par un exemple, quels doutes graves peuvent surgir lorsqu'il faudra décider si c'est la loi de 1859 ou celle en discussion qui est applicable, et ces doutes se présenteront alors même que le but principal de l'établissement est de procurer l'enseignement gratuit aux indigents.
Je connais un établissement fondé en 1766. D'après l'acte de la fondation à laquelle je fais allusion, le fondateur a eu principalement en vue l'instruction à donner aux enfants pauvres ; mais il a stipulé en outre que les associés qui dirigent l'établissement se livreront à des travaux manuels ; qu'ils visiteront et soigneront les malades à domicile. Cet établissement remplit sa mission depuis un siècle, il a traversé les époques les plus difficiles ; en fait il n'a pas été placé sous la mainmise nationale ; le personnel se compose de douze personnes, nombre limité ; les proviseurs sont le bourgmestre de la localité, le curé de la paroisse, un parent jusqu'à la quatrième génération, qui dans la suite doit être remplacé par le président du bureau de bienfaisance.
Jamais cet établissement n'a soulevé aucune critique, jamais un abus ne s'y est introduit ; les frères qui le desservent ont rendu des services signalés à la ville de Courtrai. Plusieurs ont été victimes de leur dévouement en temps d'épidémie ; aussi sont-ils entourés de considération «t de respect ; pat une voix n'oserait s'élever pour en médire.
(page 950) Je vais tous donner lecture de quelques passages de l'acte de fondation et des statuts, vous jugerez de la haute sagesse qui a présidé aux dispositions qu'ils renferment et on me dira si la fondation n'a pas le caractère d'une œuvre charitable.
M. le président. - Il ne s'agit pas d'examiner les actes de fondation ; s'il fallait les presser en revue, on ne pourrait jamais terminer la discussion de la loi. Je vous engage à rester dans la question, à discuter le caractère de l'article premier.
- Un membre. - Vous n'êtes pas dans la question.
M. Tack. - Je suis dans la question. Je demande ce que deviendront les établissements qui ont le double caractère d'établissements de bienfaisance et d'établissements d'enseignement. Où voulez-vous que je fasse cette question, si ce n'est dans la discussion sur l'article premier ? (Interruption.)
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cela est dans la loi sur l'enseignement primaire.
M. Tack. - Du tout, l'établissement dont je parle est un établissement libre, se trouvant en dehors de la loi de 1842 ; encore une fois, je demande si cet établissement, qui a un caractère mixte, tombe sous l'application de la loi de 1859, ou si on lui appliquera la loi nouvelle, si on le dépouillera de ses revenus pour les faire passer dans les mains de la commune.
Voici ce que porte l'article premier des statuts : « Ladite société s'érige principalement pour instruire tous les pauvres enfants de la ville de Courtrai dans la doctrine chrétienne, leur enseigner à lire et à écrire et les animer au travail, comme aussi pour servir et assister les pauvres malades de la ville, gratuitement. »
Vous le voyez, à tous égards la fondation est essentiellement une œuvre de charité, et comme vous le verrez tantôt, c'est une pensée éminemment religieuse qui l'a inspirée ; le fondateur était un prêtre respectable du nom Vandaele.
L'article premier stipule en outre que le bourgmestre, le curé et un parent du fondateur sont les proviseurs de l'établissement.
La donation consiste « (article 2) en un bâtiment et une rente de 2,200 florins par an sans pouvoir l'augmenter, dont 200 fl. sont employés à l'entretien de la maison, des meubles, ustensiles, appointements s'il en faut, livres, encre, papier, etc.
« Une partie du revenu doit être employée à l'entretien des frères, une autre à l'achat d'habillements neufs pour être distribués en prix. »
Vous voyez que l'établissement a aussi pour but de faire l'aumône matérielle, ou, si vous voulez, une distribution en nature.
Les articles 3 et 4 ont rapport à la reddition des comptes entre les mains des proviseurs et à la tenue des registres de l'établissement.
L'art,icle6 porte que si le revenu augmentait, l'excédant sera distribué en prix aux pauvres.
L'article 7 exige que la distribution des prix se fasse solennellement.
L'article 8 déclare que si par quelque accident ou fatalité la société ou l'école venait à cesser totalement, le revenu profitera au bureau de bienfaisance.
Ici se rencontre par conséquent, comme dans la fondation Terninck, la clause résolutoire.
Aux statuts sont annexées la règle et les conditions de la société. (C'est le mot dont on se sert.)
L'article premier de la règle limite le nombre des associés à 15 ; il a été réduit à 12 par l'octroi.
Ainsi pas d'abus possible au point de vue de l'extension que pourrait prendre le nombre de frères.
L'article 2 dévoile nettement la pensée religieuse du fondateur. Voici comment cet article s'exprime :
« En autant que l'objet principal de la fondation et des occupations des associés est la gloire de Dieu et le salut des âmes par la voie d'instruction gratuite de la pauvre jeunesse en lui enseignant la doctrine chrétienne, les bonnes mœurs, à lire et à écrire et l'animant au travail, comme aussi secondairement de servir et assister les pauvres malades en la ville, sauf le sexe, personne n'y sera reçu sinon qu'il ait les qualités suivantes : qu'il soit sain de corps de l'âge 18 à 30 ans, qu'il soit muni d'un témoignage de catholicité, de bonne vie et mœurs, délivré par son pasteur ou confesseur, qu'il sache bien lire et écrire, capable d'enseigner les enfants, du moins qu'il donne des espérances de le devenir bientôt, qu'il sache quelque métier pour y employer le temps de reste après l'instruction et assistance des malades. »
L'article 3 laisse à chaque associé la faculté de se retirer quand bon lui semble, donc, pas de vœu monastique, liberté entière.
L'article 6 dit in terminis que : » Personne des associés ne pourra disposer directement ni indirectement de son patrimoine en faveur de la fondation ou société, »
Par conséquent, pas de captation possible au détriment des héritiers.
L'article 7 stipule quoi les associés se contenteront d'une nourriture frugale en la maison de la fondation, y vivant entre eux comme des frères dans le Seigneur, en parfaite union de cœur et volonté, envisageant sans cesse le propre avancement dans la vertu, le salut du prochain et principalement du pauvre. Ils seront néanmoins subordonnés sous la direction immédiate de l'administrateur et surintendance des trois proviseurs, en observant la règle de vie, pour les exercices de piété et autres qui leur sera présentée par le pasteur de la paroisse avec connaissance et participation des deux autres proviseurs.
Encore toujours la pensée religieuse qui domine.
L'article 8 porte : « Il sera fait un règlement de discipline par les trois proviseurs pour la conduite des maîtres enseignants, pour régler la distribution et la durée 'des classes, y contenir la pétulance de3 enfants, y introduire le silence et autres pareils articles, lequel règlement pourra être changé et augmenté par les proviseurs, selon les circonstances. »
Le fondateur, comme on le voit, a prévu le progrès possible de l'enseignement,, il a voulu qu'on pût y introduire toutes les améliorations utiles.
Peut-on concevoir des stipulations plus sages, plus utiles ; un esprit plus prévoyant ?
Maintenant que vous connaissez les statuts delà fondation Vandaele, ne trouvez-vous pas que j'ai le droit de m'inquiéter du sort qui lui est réservé ? Perdra-t-elle sa liberté pour devenir un établissement officiel ?
Les proviseurs seront-ils destitués et sera-ce désormais à l'administration communale qu'incombera le devoir de maintenir l'esprit de l'établissement et le droit de le soumettre à toutes les conditions qu'impose la loi de 1842 : l'inspection, le concours, le programme, la nomination des instituteurs par la commune, le diplôme ?
J'ai lieu de croire que cet établissement sera considéré comme un établissement d'enseignement primaire communal. Je trouve qu'il est signalé comme devant avoir ce caractère, dans l'ouvrage de J. Vandamme, pseudonyme que vous connaissez.
Il est dit dans cet ouvrage que l'établissement Vandaele a été illégalement reconnu comme personne civile par un arrêté du 19 mars 1846, pris en exécution des arrêtés de 1818, 1823 et 1829.
Est-il juste, est-il rationnel de faire passer, par amour de l'uniformité, le niveau égalitaire sur l'établissement que je signale ; le peut-on si l'on veut se conformer à l'intention du fondateur ?
Chose frappante, l'école Vandaele et l'école Terninck semblent sorties du même moule. Le même esprit les a fait naître, les mêmes règles les régissent, toutes deux y sont restées fidèles.
L'école Vandaele existe depuis un siècle, on n'a cessé d'y instruire les enfants pauvres.
Le soin des malades a été l'objet constant de la sollicitude des associés ; les proviseurs ont toujours été les mêmes, l'élément laïque domine parmi eux.
Le nombre des associés, qui est de 12, n'a pas été dépassé. Les ressources sont aujourd'hui les mêmes qu'au moment de la fondation.
Les associés n'ont jamais disposé de leur fortune en faveur du personnel de l'établissement ou de la fondation.
Celle-ci n'a fait aucune acquisition immobilière.
Les frères Vandaele ont réalisé, en fait d'enseignement, de véritables progrès.
C'est un établissement considérable. Plus de 1,000 enfants y sont instruits. II comprend une école journalière, une école dominicale et une école du soir.
Cet établissement va-t-il être désormais un établissement purement communal ? La ville aura-t-elle le droit de l'absorber, sans égard pour la pensée, la volonté expresse du fondateur ?
Je demande que M. le ministre de la justice veuille bien s'expliquer sur ce point.
Je termine en faisant remarquer que si le projet de loi en discussion avait été mis en harmonie avec la loi de 1859, tous les conflits, toute les complications, toutes les difficultés auraient été évités dans l'application.
M. Bara. - Messieurs, je n'ai qu'un mot à dire relativement aux observations de mon honorable ami, M. Van Humbeeck.
Il est exact, et cela était dans ma pensée tout aussi bien que dans la sienne, que la question relative à la capacité des communes de recevoir des libéralités pour les dépenses facultatives n'est pas tranchée par le projet de loi.
J'ai émis dans mon rapport sur la législation existante une opinion (page 931) divergente de celle de mon honorable ami, M. Van Humbeeck, mais le projet de loi n'a pas pour but de trancher cette question ; il ne concerne que les fondations au profit de l'enseignement public.
L'opinion que j’ai émise n’est relative qu’à l’interprétation des lois existantes. L'honorable M. Van Humbeeck a une autre interprétation que la mienne, mais cette question sera tranchée par l'interprétation que l'on donnera à la loi de 1835, à la loi de 1842 et à la loi de 1850, mais le projet de loi ne touche pas à la question de savoir si les communes peuvent recevoir pour des dépenses facultatives.
Voilà la seule observation que j'avais à présente àa la Chambre.
- Plusieurs membres. - Aux voix !
M. B. Dumortier. - Messieurs, il est indispensable, avant d'aller aux voix sur l'article premier, d'en connaître la portée.
Je demande donc une explication catégorique à l'honorable ministre de la justice sur les observations si judicieuses qu'a présentées mon ami M. Tack. (Interruption.)
Peut-être M. le ministre ne les a-t-il pas toutes entendues ; car il a causé, au pied de la tribune, pendant que mon honorable ami a parlé. Quant à nous, nous avons écouté avec attention, et nous avons trouvé ces observations très importantes et très concluantes.
Je demande si, en vertu de l'article premier du projet de loi figurant sous ce titre du chapitre « Fondations en faveur de l'enseignement public », en supposant la loi votée telle qu'elle est, le gouvernement aurait le droit de réunir à la commune les fondations libres actuellement existantes comme celle de Terninck à Anvers, comme celle de Vandaele à Courtrai et comme beaucoup d'autres du même genre ?
Il existe un grand nombre d'établissements autorisés par des décrets du roi Guillaume, et ces autorisations sont légales puisque en vertu de la loi fondamentale le roi Guillaume avait le droit de les donner.
Il est indispensable que nous sachions si la portée de la loi actuelle est de donner au gouvernement ou à la commune ces établissements qui jusqu'ici sont libres.
Je demande à cet égard des explications formelles à M. le ministre de la justice.
Je demande en second lieu que M. le ministre de la justice nous dise ce qu'il entend faire du legs de notre honorable et ancien président M. Verhaegen.
M. Loos. - Messieurs, je crois qu'il serait fort utile d'écarter du débat des questions qui ne s'y rattachent pas.
J'ai entendu plusieurs orateurs parler de la fondation Terninck. Je crois qu'il est évident que cette fondation ne tombe pas sous l'application de la lui.
Il est vrai que les collateurs ont adressé à la Chambre une requête qui, sur ma proposition, a été déposée sur le bureau. Mais je leur ai dit que la fondation Terninck n'a rien de commun avec la loi actuelle.
Cependant comme cette fondation a déjà fait l'objet de longs discours au sein de la Chambre... (interruption) je crois qu'il convient que M. le ministre de la justice mette un terme à ce débat en déclarant quelle est son opinion à cet égard.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je suis tout disposé à répondre aux questions qui mi sont adressées en tant qu'elles portent sur des faits que je connais, mais je trouve que c'est trop exiger que de vouloir que je m'explique sur des actes que je n'ai pas même lus et dont j'entends parler pour la première fois.
M. Coomans. - M. Notelteirs en a parlé !
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je vous ai dit que je m'expliquerais sur les faits que je connais. De ce nombre est la fondation Terninck. Je n'hésite pas à déclarer qu'elle ne tombe pas sous l'application de la loi, parce qu'elle est principalment une fondation de bienfaisance.
Maintenant comment se fait-il que l'acte se trouve parmi les annexes ? C'est, messieurs, parce que j'ai tenu à faire ce que la Chambre me demandait.
L'honorable M. de Theux, au mois de décembre si je ne me trompe, a demandé la communication de différentes pièces et entre autres des actes qui contenaient des clauses résolutoires. Au moment où cette interpellation avait lieu, j'ai entendu citer, par l'honorable M. Nothomb, je pense, l'acte relatif à la fondation Terninck comme se trouvant dans ce cas.
Rentré dans mon cabinet, j'ai ordonné immédiatement de fournir copie de cet acte et je ne l'ai même pas lu, ce qui prouve ma bonne foi.
Voilà comment il se fait que l'acte de la fondation Terninck se trouve parmi les pièces demandées par la Chambre. Si j'avais examiné cette pièce, je ne l'aurais pas annexée, et l'on m'en aurait probablement fait un grief ; on m’aurait dit : Vous cachez de actes. L'acte Terninck referme une clause résolutoire.
Voilà ce que j’avais à dire relativement à cette fondation. Du reste, je le répète, la question soulevée par l’honorable M. Tack ne se rapport pas à l'article premier, mais à l'article 47, aux dispositions transitoires, et c'est lors de l'examen de ces dispositions qu'il y aura lieu de demander quelles sont les fondations qui tombent sous l'application de la loi.
L'article premier dispose pour l'avenir, l'article 47 dispose pour le passé.
Un mot pour terminer quant à l'amendement de l'honorable M. Nothomb.
Je dois dire que je ne l'ai pas compris.
M. Nothomb. - C'est pourtant bien clair.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Comment ! c'est bien clair ! Je dis que le paragraphe 2 est précisément la destruction de l'article premier et pour soutenir que cela est bien clair, il faut ne pas se rendre compte de l'économie de la loi ni des principes qu'elle consacre.
M. Nothomb. - C'est comme l'honorable M. de Theux qui n'a pas lu le projet de loi.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Lorsque l'honorable M. de Theux me disait qu'il n'y avait pas dans la loi de dispositions générales, j'avais bien le droit, en lui indiquant ces dispositions, de lui dire ce que j'ai dit.
Quel est, en définitive, le principe consacré par l'article premier de la loi ? C'est que les donations, les libéralités qui sont faites pour un service, seront censées faites à l'administration qui a ce service dans ses attributions, c'esi-à-dire qu'elles seront faites au représentant légal du service.
Que dites-vous dans le second paragraphe ? Précisément le contraire. Vous dites dans le second paragraphe, qu'elles seront attribuées aux communes qui ont des dépenses facultatives pour leur enseignement à tous les degrés. (Interruption.)
On comprend parfaitement la présomption qui établit que la libéralité est faite en faveur du représentant légal du service, mais on ne la comprend plus lorsqu'il s'agit d'une dépense facultative, Je vais, en prenant votre amendement, rendre la chose très sensible.
Ce qui est facultatif pour les uns est obligatoire pour les autres. Ainsi, vous soutenez que l'enseignement supérieur est facultatif pour les communes. Eh bien, il est obligatoire pour l'Etat. Supposons un legs fait sans désignation. A qui l'attribuerez-vous ? D'après les principes de la loi, il doit être attribué au représentant légal de l'enseignement supérieur, qui est l'Etat, et d'après vous, il devrait être attribué au représentant facultatif, qui serait la commune.
Votre paragraphe est donc en opposition manifeste avec tous les principes de la loi. (Interruption de M. Nothomb.)
C'est une autre question. Mas v-^us ne pouvez dire blanc et noir dans le même article. Vous ne pouvez dire que les libéralités seront faites au représentant légal d'un service, et dire en même temps qu’elles seront faites à la commune pour qui la dépense n'est que facultative.
Sous ce rapport donc, l'amendement est inadmissible.
Tout ce que j'ai compris dans le discours de l'honorable M. Nothomb, c'est qu'il veut reproduire le système de 1857.
M. Nothomb. - J'ai dit le contraire. J'ai protesté contre cette assertion. Je demande la parole.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Vous avez dit que vous vouliez faire pour les communes ce que vous vouliez faire pour les bureaux de bienfaisance en 1857.
M. Nothomb. - J'ai signalé la différence.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est-à-dire que vous avez signalé une différence qui n'en est pas une.
Vous prétendez que la commune sera libre d'appliquer ou de ne pas appliquer la libéralité ; mais en même temps vous lui retirez le legs ; vous prétendez que vous laissez aux communes leur liberté, mais immédiatement vous enchaînez leur liberté en disant que le legs retournera à la famille ; ceux, au contraire, qui soutiennent l'autre système entendent augmenter la liberté des communes pour recevoir, tout en maintenant leur liberté complète pour appliquer.
Voilà 1a différence entre les deux systèmes.
M. Nothomb. - Je veux concilier deux volontés.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Vous voulez ce que nous n'avons pas voulu en 1857 et ce que nous ne voudrons pas encore aujourd’hui, vous voulez que les communes servent de personnes interposées pour des établissements qui n'ont pas la personnification civile. Voilà ce que nous ne voulons pas plus pour les communes aujourd'hui que nous ne l'avons voulu pour les bureaux de bienfaisance en 1857.
(page 932) Maintenant je demande quelle est la portée de cet amendement.
Je ne sais pas jusqu'à présent ce qui, pour l'enseignement primaire, par exemple, est facultatif ou n'est pas facultatif pour les communes. Je ne sais pas quel caractère aura, sous l'empire de la loi de 1842, un enseignement entretenu au moyen de fondations.
Sera-ce un enseignement purement privé, ou cet enseignement tombera-t-il sous l'application de la loi de 1842 quant aux conditions légales dont parle cette loi ? Qu'est-ce qui est facultatif sous l'empire de la loi de 1842 ? Je n'en sais rien.
Et quant à l'enseignement moyen, quel sera encore le caractère des établissements que vous entretiendrez au moyen des fondations ? Déterminez-nous cela. Il s'agit en définitive d'un fait extrêmement grave ; il s'agit de créer de nouvelles voies à la mainmorte, à la fondation, eh bien, nous devons savoir également à quoi cela s'applique et c'est ce que vous ne dites pas.
Vous ne dites pas quelles sont les dépenses qui sont encore aujourd'hui facultatives pour les communes en ce qui concerne l'enseignement primaire et l’enseignement moyen. Pour établir des dispositions semblables, il faudrait nous dire avec précision ce que l'on veut, où l'on nous mène, à quelles conséquences un pareil système peut nous conduire.
Dans l'amendement de l'honorable M. Nothomb, tel qu'il est conçu, il ne s'agit pas, remarquez-le bien, de simples libéralités ; il s'agit de fondations. Dans ce système, ce n'est plus une libéralité seulement qu'on reçoit, qu'on dépense et qui disparaît. Non, il s'agit de fondations. Eh bien, du moment que vous autorisez la commune à recevoir de semblables fondations, vous la placez dans cette alternative : ou elle doit organiser elle-même un enseignement, et je demande comment elle organisera un enseignement à côté de celui que la loi lui prescrit ; ou elle doit servir de personne interposée pour des établissements privés. Ni l'une ni l'autre de ces hypothèses ne sont admissibles.
La commune ne peut servir de personne interposée pour des établissements privés, et l'on ne peut admettre que la commune, à côté des établissements qu'elle doit avoir pour satisfaire aux obligations que la loi lui impose, organise d'autres établissements qui ne seraient pas régis par la loi.
Pour tous ces motifs, l'amendement de l'honorable M. Nothomb doit être rejeté.
Quant à la question qui a surgi relativement aux dépenses facultatives des communes, on l'a dit avec raison, et mon honorable collègue et ami M. Frère l'avait indiqué, elle ne concerne pas la loi. C'est une question qui est réservée, qui peut être traitée en dehors de la loi. Elle a un caractère extrêmement grave, puisqu'il s'agit encore d'un principe nouveau ; il s'agit de fondations, de libéralités pour des dépenses facultatives. Elle demande à être examinée avec toute la maturité nécessaire.
- Plusieurs membres. - La clôture !
M. B. Dumortier. - Messieurs, l'article dont il s'agit est d'une importance excessive, puisque en définitive, il tient la clef des huit ou dix articles qui suivent. Il me semble donc qu'il faut bien en préciser le sens.
Je demande donc à M. le ministre de la justice si, en vertu de cet article.....
M. Muller. - Nous avons demandé la clôture.
M. B. Dumortier. - Vous ne pouvez demander la clôture pendant qu'un orateur parle.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous avez la parole sur la clôture.
M. B. Dumortier. - Je demande à M. le ministre si l'article en discussion, en admettant que la loi tout entière passe telle que vous l'avez présentée, aura pour résultat la suppression, ou en d'autres termes, la confiscation des écoles mixtes actuellement existantes. Je veux connaître la portée de l'article.
M. Muller. - Je demande la parole pour un rappel au règlement. Je fais remarquer à M. le président que la clôture a été demandée.
M. B. Dumortier. - Vous n'avez pas le droit d'interrompre un orateur qui parle.
M. Muller. - Je constate que M. le président n'a pas accordé la parole à M. Dumortier et que la clôture avait été demandée.
M. le président. - J'ai entendu quelques membres demander la clôture. Mais je n'ai pas vu que dix membres se fussent levés. Il faut se lever quand on demande la clôture.
- Plusieurs membres. - Nous nous sommes levés.
M. B. Dumortier. - Il paraît que l'honorable M. Muller veut étouffer la discussion sur une des questions les plus importantes de la loi. Il s'agit de savoir quelle est la portée de l'article.
Vous voulez que nous ne la connaissions pas. Vous voulez faire une loi dont vous-mêmes vous ne connaissez pas la portée. Je dis que quand il s'agit d'une loi, et d'une loi qui peut avoir un effet rétroactif, il faut que la Chambre sache bien ce qu'elle vote.
M. Muller. - Je demande de nouveau la parole pour un rappel au règlement.
Que l'honorable M. Dumortier parle contre la clôture, il en a le droit.
M. B. Dumortier. -- Je rappellerai l'art. 21 du règlement : Nul n'est interrompu lorsqu'il parle si ce n'est pour un rappel au règlement. (Interruption.) Eh bien, il ne peut y avoir ici de rappel au règlement. Que l'honorable M. Millier cite l'article du règlement auquel j'ai contrevenu.
M. le président. - D'après mon impression, j'avais donné la parole à M. Dumortier avant que la clôture fût demandée par dix membres.
S'il en est autrement, comme vous le prétendez, c'est que je me serai trompé ; mais j'ai donné la parole à M. Dumortier, je ne puis la lui retirer. Je m'occuperai de la demande de clôture dès qu'il aura terminé.
M. B. Dumortier. - Je dis donc, messieurs, que l'article premier entraine les 8 articles qui suivent et que par conséquent, il importe de bien en préciser le sens.
Il ne s'agit pas ici des bourses d'études dont on a parlé dans toute la discussion générale ; il s'agit ici d'un objet tout autre, de fondations par l'enseignement primaire. Il est donc important de connaître la portée de l'article premier, de savoir s'il aura un effet rétroactif en ce qui concerne les établissements mixtes qui existent actuellement et qui ont été autorisés en vertu de la loi, par des arrêtés royaux.
Eh bien, je vous demande si vous avez l'intention de tuer ces établissements qui existent dans une foule de communes ; entendez-vous, oui ou non, retirer les arrêtés royaux qui les autorisent ? Voilà ce que nous demandons, et quand nous faisons une pareille question, nous sommes étonnés de rencontrer l'opposition de M. Muller, qui a pris souvent une part distinguée aux discussions de la Chambre et d'autres assemblées..
Il ne s'agit pas ici, messieurs, de jeter des bâtons dans les roues, II s'agit de connaître la portée de l'article premier. Eh bien, je désire apprendre de la bouche du ministre quelle est cette portée. L'article premier est-il, oui ou non, rétroactif ? S'applique-t-il aux établissement existants ou bien ne s'appliquera-t-il qu'aux établissements à créer à l'avenir ?
L'article est conçu en termes tels, que chacun peut en faire ce qu'il veut ; personne ne peut en comprendre la portée.
M. Muller. - C'est l'article 47.
M. B. Dumortier. - L'article 47 n'a aucun rapport avec ceci. Il s'agit des établissements mixtes ; il s'agit d'une foule d'établissements qui sont en même temps des hospices et des écoles primaires.
Est-ce que, par hasard, vous avez l'intention de confisquer ces établissements ? ou bien ferez-vous une division ; laisserez-vous subsister la partie hospice et confisquerez-vous la partie école ?
Que l'on s'explique ; il faut que la loi soit claire.
Ce qui résulte de la marche que l'on veut suivre, c'est de mettre l'avenir sous le boisseau et de nous faire voter une loi que nous ne connaissons pas.
Si les actes de ces fondations avaient été publiés, nous pourrions examiner les questions spéciales qu'ils soulèveraient ; maintenant nous sommes obligés de poser des questions générales.
Eh bien, je pose une question générale, pour la solution de laquelle il n'est pas besoin de recourir aux actes de fondation ; je demande si la loi porte atteinte aux établissements d'instruction primaire qui ont été autorisés par des arrêtés royaux ; je demande si ces arrêtés royaux cesseront d'avoir force et vigueur en présence de l'article premier.
Voilà ce que nous avons le droit de savoir, et j'insiste pour avoir une réponse.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je me suis expliqué tantôt sur la question que l'honorable M. Dumortier vient de poser de nouveau. J'ai déclaré qu'il m'était impossible de donner des explications sur des actes que je ne connais pas. La loi contient des principes dont l'application aura lieu d'après les différents faits qui se présenteront.
D'ailleurs, messieurs, l'article ne fait que répéter ce qui se trouve déjà dans l'article 23 de la loi sur l'enseignement primaire.
La question posée par l'honorable M. Dumortier se rapporte à l'article 47. C'est tellement vrai, que l'honorable M. Nothomb a rattaché son amendement à l'article 47.
L'honorable M. Dumortier dit : Vous voulez confisquer, au détriment des communes, tous les établissements. Cette assertion est assez (page 935) singulière, puisque l'article premier dit que c'est la commune qui gérera. (Interruption.)
Il est évident que la loi actuelle, qui ne s'occupe que de fondations pour l’enseignement, n'est pas applicable aux fondations de bienfaisance.
On parle de fondations mixtes ; je ne sais pas quelles sont les fondations mixtes, c'est une nouvelle expression ; mais je pense que dans la pratique il sera possible de distinguer un établissement d'instruction d'un établissement de bienfaisance.
M. Vilain XIIII. - Est-ce que la loi sur l'enseignement primaire reste intacte ?
MTJ. - Certainement.
- Plusieurs membres. - La clôture ! la clôture !
M. Nothomb. - M. le ministre de la justice me reproche que mon amendement est incompréhensible ; mais s'il yaau monde quelque chose de clair, c'est notre proposition. Vous ne voulez pas la comprendre. Que demandons-nous ? Qu'on puisse donner à la commune pour l'enseignement libre...
- Des membres. - Ce n'est que la clôture.
M. Nothomb. - Je m'y oppose. J'en ai le droit. Laissez-moi donc m'expliquer, M. le ministre me. demande des explications, il me somme de les donner, je suis prêt, il dénature ou comprend mal ce que j'ai dit des principes que j'ai soutenus en 1857. Je suis interpellé par l'honorable ministre et vous refusez de m'entendre ! Je proteste contre la clôture, j'ai le droit de parler même pour un fait personnel...
- Des membres. - La clôture !
M. Nothomb. - Eh bien, j'ai signalé la différence énorme qui existe entre l'amendement et le projet de 1857. La pensée de l'amendement est claire, elle est évidente.
M. le président. - Veuillez-veus renfermer dans la demande de clôture.
M. Nothomb. - On m'a demandé des explications.
M. le président. - Vous n'avez la parole que sur la demande de clôture.
M. Nothomb. - Je m'oppose à la clôture ; je demande à pouvoir répondre aux questions qui m'ont été adressées.
M. Van Overloop. - On demande la clôture sur l'article premier, mais j'ai à présenter des observations tout autres que celles qui ont été soumises à la Chambre jusqu'ici. (Interruption.) Je pourrais présenter mes observations sur l'article 2 ; mais comme elles s'appliquent également à l'article premier, je trouve qu'il est plus logique de les présenter sur l'article premier.
Je suis parfaitement décidé à ne pas prolonger inutilement les débats ; mes honorables amis sont dans le même cas : nous sommes disposés à aller aussi vite que vous. Si nous prenons la parole, ce n'est pas parce que nous voulons enrayer la discussion, créer des embarras, mais c'est uniquement parce que notre conscience nous en fait un devoir.
- Des membres. - Parlez contre la clôture !
M. Van Overloop. - Je demande que la clôture ne soit pas prononcée. Je le répète, les observations que j'ai à présenter s'appliquent plus logiquement à l'article premier qu'à l'article 2.
.M. Dechamps (sur la clôture). - Messieurs, la question posée par l'honorable M. Tack me paraît très sérieuse. L'honorable membre a cité des établissements nombreux qui existent dans les Flandres et qui sont en partie de bienfaisance et en partie d'enseignement. Eh bien, l'honorable M. Tack a demandé à M. le ministre de la justice si ces établissements tombent sous l'application de l'article premier de la loi...
- Des membres : Vous ne parlez pas sur la clôture 1
.M. Dechamps. - Je voulais dire ceci : Que M. le ministre de la justice n'ayant pas répondu aujourd'hui, au sujet de ces établissements mixtes, j'aurais désiré qu'il pût y réfléchir jusqu'à demain.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Cela viendra à l'article 47.
M. le président. - Je mets aux voix la clôture.
- On demande l'appel nominal. Il est procédé à cette opération.
En voici le résultat :
100 membres répondent à l'appel nominal.
55 répondent oui.
45 répondent non.
En conséquence, la clôture est prononcée.
Ont répondu oui : MM. M. Jouret, C. Lebeau, J. Lebeau, Lesoinne, Loos, Moreau, Mouton, Muller, Orts, Pirmez, Pirson, Prévinaire, Rogier, Tesch, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Volxem, Allard, Ansiau, Bara, Braconier, Carlier, Crombez, Cumont, David, de Baillet-Latour, de, Boe, de Breyne, de Bronckart, Dechentinnes, De Fré, de Gottal, de Lexhy, de Macar, de Moor, de Paul, de Renesse, de Ridder, de Rongé, Devaux, Dolez, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grosfils, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret et Vervoort.
Ont répondu non : MM. Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, le Bailly de Tilleghem, Mercier, Moncheur, Notelteirs, Nothomb, Rodenbach, Schollaert, Snoy, Thibaut, Thienpont, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van de Woestyne, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Wasseige, Beeckman, Coomans, Coppens, Dechamps, de Decker, de Haerne, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode, de Montpellier, de Muelenaere, de Naeyer, de Pitteurs-Hiegaerts, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel, Faignart et Janssens.
M. le président. - Je mets aux voix l'amendement de M. Nothomb et collègues à l'article premier.
- Des membres. - L'appel nominal !
Il est procédé à cette opération.
99 membres sont présents.
46 répondent oui.
53 répondent non.
En conséquence, la Chambré n'adopte pas.
Ont répondu oui : MM. Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Mercier, Moncheur, Notelteirs, Nothomb, Rodenbach, Royer de Behr, Schollaert, Snoy, Tack, Thibaut, Thienpont, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van de Woestyne, Van Overloop, Van Renynghe. Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Wasseige, Beeckman, Coomans, Coppens, Dechamps, de Decker, de Haerne, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode, de Montpellier, de Muelenaere, de Naeyer, de Pitteurs-Hiegaerts, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel et Janssens.
Ont répondu non : MM. M. Jouret, G. Lebeau, Lesoinne, Loos, Moreau, Mouton, Muller, Orts, Pirmez, Pirson, Rogier, Tesch, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Volxem, Allard, Ansiau, Bara, Braconier, Carlier, Crombez, Cumont, David, dc Baillet-Latour, de Boe, de Breyne, de Bronckart, Dechentinnes, De Fré, de Gottal, De Lexhy, de Macar, de Moor, de Paul, de Renesse, de Ridder, de Rongé, Devaux, Dolez, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grosfils, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret et Vervoort.
La Chambre adopte ensuite par assis et levé l'article du projet du gouvernement.
M. E. Vandenpeereboom. - Je demande que la Chambre se réunisse demain en séance publique, à midi.
- Adopté.
La séance est levée à 5 heures trois quarts.