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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 7 mai 1863

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1862-1863)

(page 857) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Moor procède à l'appel nominal à 1 1/4 heure.

M. Thienpont donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction eu est approuvé.

M. de Moor présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Brixhe, directeur-gérant de la société métallurgique Austro-Belge, demande que le traité de commerce avec la Prusse stipule l'abolition immédiate du droit de sortie sur le minerai de zinc. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner ce traité avec la Prusse.


« Des habitants de Gosselies demandent la construction d'un chemin de fer de Luttre à Bruxelles, par Nivelles, Braine-l'Alleud, Waterloo, Rhode-Saint-Genèse et Uccle, avec embranchement de Luttre à Châtelineau. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la concession des chemins de fer.


« Des directeurs de sociétés industrielles demandent la construction d'un chemin de fer de Houdeng à Jurbise par le Rœulx. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la concession du chemin de fer.


« Le conseil communal de Cruyshautem demande la construction d’un chemin de fer reliant Bruxelles à Calais par Cruyshautem, Ingelmunster, Furnes et Dunkerque. »

- Même dépôt.


« D'anciens élèves de l'université de Bruxelles prient la Chambre d'adopter le projet de loi relatif aux fondations, tel qu'il est proposé par la section centrale. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.

Projet de loi relatif aux fondations en faveur de l’enseignement public et au profit des boursiers

Discussion générale

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je devrais m'excuser de prolonger encore pendant quelques instants cette discussion déjà si longue ; mais, à raison de la motion que je fis, il y a quelques années, sur le sujet qui est aujourd'hui soumis à vos délibérations, j'ai, ce me semble, une responsabilité particulière dans ce débat, et je considère comme un devoir de ne point laisser mes amis défendre seuls le projet de loi que la droite a si violemment et si injustement attaqué.

Ce n'est pas, messieurs, que j'aie la prétention d'apporter des lumières bien nouvelles dans ce débat. Mes amis ont mis en évidence les vrais principes de la matière. Je viens seulement les affirmer à mon tour, et apporter peut-être encore quelques preuves en faveur de ces principes.

Dès le début de la discussion, la question a été portée pour ainsi dire dans les nuages. Tout, dans les premiers discours de nos adversaires, était vague et obscur. On attaquait le projet de loi avec passion ; on entassait déclamations sur déclamations pour le signaler comme attentatoire à la liberté, au droit de propriété, au droit des familles ; mais on se gardait bien, et pour cause, de fournir les preuves de toutes ces énormités. L'honorable comte de Liedekerke avait indiqué, en quelque sorte, la voie qui devait être suivie par l'opposition. Silencieux depuis six ans, qu'il s'était réfugié au pied de la croix, où il méditait sur les fondations, il est enfin venu apporter à la Chambre le résultat de ses profondes réflexions. La fondation lui est apparue comme une chose presque incompréhensible, en quelque sorte indéfinissable, comme une sorte de mystère, un mélange de toute espèce de droits ; mais, en somme, comme une chose sainte et sacrée, qu'il était permis peut-être de regarder, mais à laquelle il était interdit de toucher.

Les amis de l'honorable membre, adoptant une tactique aussi commode, n'ont pas manqué de l’imiter : l'obscurité est favorable aux causes mauvaises. Mais enfin, récemment, un révélateur est apparu ! Dédaignant toute réserve, négligeant l'exemple qui lui en avait été donné, il a expliqué ouvertement le mystère ; il est venu apprendre à ses propres amis, à se amis nouveaux, ce qu'est la fondation. La fondation (et on l'a pourtant cherché si longtemps !) la fondation, selon lui, est tout simplement une propriété privée ! Une fondation de bourse d'étude est une propriété privée ! Et, en effet, pour que l'on puisse parler de spoliation, de confiscation, de rétroactivité, il faut bien tâcher de faire supposer qu'il s'agit d'une propriété privée, car s'il n'en est pas réellement ainsi, toutes les accusations si graves qui ont été dirigées contre le projet du loi viennent nécessairement à tomber. Donc, selon l'honorable membre, c'est bien d'une propriété privée qu'il s'agit ; la loi dispose non seulement de propriétés belges, mais de propriétés étrangères, la loi porte atteinte à l’honneur du pays !

Eh bien, messieurs, je vais à mon tour apporter une définition de la fondation. Je crains bien que cette définition ne soulève vos susceptibilités ; je crois que vous protesterez ; mais je vous engage à la prudence, à la modération ; ne vous hâtez pas trop de vous récrier, contre la définition que je vais vous donner, car vous pourriez en éprouver des regrets.

Cela posé, je dis sans ambages, sans circonlocution : La fondation, c'est une « quasi-propriété nationale » (Interruption)... Ne vous pressez pas de protester... c'est une quasi-propriété nationale, en ce sens qu'elle est gérée par une administration placée sous le contrôle de l'autorité publique, et que les biens qui composent sa dotation ont été amortis, c'est-à-dire qu'ils sont sortis du domaine privé pour tomber en mainmorte, pour former la dotation d'un établissement belge. Voilà ce qu'est la fondation.

Si la fondation n'est pas ce que je viens de dire, il n'y a rien à répondre, en effet, aux étrangers dont on a parlé, et qui se présenteraient pour réclamer les fondations anciennes. Au temps des persécutions religieuses, des Hollandais, des Allemands, des Savoyards, des Irlandais sont venus fonder des bourses en Belgique ; ils avaient été victimes de l'intolérance religieuse, et, pour y échapper, ils étaient venus apporter, dans notre pays, des libéralités que cette intolérance leur interdisait chez eux.

Mais aujourd'hui que la paix religieuse est faite, que la tolérance existe presque partout, que ces étrangers peuvent librement professer leur foi dans leur pays, que pourrait-on leur répondre, si, invoquant la volonté présumée des fondateurs, ils venaient nous dire : « Nos pères ont établi des fondations dans votre pays, ils y ont apporté leurs biens, leur patrimoine, pour échapper à la persécution ; aujourd'hui toutes les religions sont librement professées chez nous. Rendez-nous les biens qu’ils vous ont jadis confiés. » Je le demande encore, messieurs, que leur répondrait-on ?

Cette question n'est pas nouvelle ; elle a été agitée dans ce pays il y a plus de vingt ans ; elle a été examinée alors de la manière la plus approfondie. J'ai sous les yeux un mémoire trop long pour que j'en puisse donner lecture à la Chambre, mais que j'insérerai en entier aux Annales à la suite de mon discours, pour ne pas altérer la pensée qui y est développée. (Voir à la fin de la séance.) (Ce mémoire n’est pas repris dans la présente version numérisée)

Dans ce mémoire, dans cette note, on examine toutes les objections, et l'on arrive à constater ce qu'est la fondation, à la définir dans les termes mêmes que j'ai reproduits tantôt.

J'extrais de cette note quelques points essentiels.

On répond à l'objection tirée de l'intention présumée du fondateur :

« Mais qui nous dit que l'absence d'établissements d'instruction ecclésiastique soit la cause déterminante de toutes les anciennes fondations ?

« La renommée de l'université de Louvain, l'orthodoxie de sou enseignement, les faveurs dont elle disposait, la reconnaissance de ses élevés et une foule d'autres circonstances particulières, n’ont-elles pas pu exercer une grande influence sur la création de ces fondations ? »

Et plus loin :

« Quelle pourrait être l’influence de la circonstance que ce sont de jeunes Hollandais qui sont spécialement appelés à la jouissance de ces bourses ? Ce droit de jouissance ne leur confère aucunement la propriété de la fondation. Celle-ci reste un établissement public placé sous la protection des lois belges. Les ayants droit hollandais ne peuvent avoir des (page 857) droits plus étendus que les ayants droit belges qui se trouvent dans le même cas.

« Parmi les anciennes fondations de Louvain, il en est qui sont faites en faveur d'Irlandais, d'Allemands et de Savoyards. Elles reçoivent cependant encore leur exécution en Belgique.

« La demande de transfert des fondations en Hollande soulève non seulement la question de l'esprit des fondations, mais sous plusieurs rapport elle touche à l'intérêt public.

« Ces fondations ont été faites sous le patronage des lois belges. C'est le souverain de la Belgique qui a promis tacitement de surveiller leur exécution. C'est une quasi-propriété nationale, en ce sens qu'elle est placée sous une administration contrôlée par les autorités publiques belges, et qu'elle a été amortie comme dotation, sous certaines conditions, d'un établissement belge. »

Quelle est l'autorité que j'invoque devant vous ? Vous allez l'entendre par la lecture de la lettre d'envoi de la note au gouvernement :

« Monsieur le Ministre,

« J'ai appris que des réclamations ont été adressées au gouvernement des Pays-Bas par les autorités ecclésiastiques de la Hollande, au sujet des fondations boursières qui, à différentes époques, ont été créées à Louvain, et qui sont principalement destinées à l'étude de la théologie.

« On assure que ces réclamations tendent à obtenir no -seulement que ces jeunes gens demeurant en Hollande puissent y jouir des anciennes fondations belges, faites en faveur des Hollandais, mais aussi que le siège des fondations soit transféré dans ce pays.

« L'importance de ces réclamations, leurs rapports avec les études théologiques, m'ont engagé à en entretenir le corps épiscopal dans sa dernière réunion, et un examen ultérieur me l'a fait trouver assez grave pour me décider à vous présenter à cet égard la note ci-jointe.

« C'est au nom de mes suffragants et en mon nom personnel, M. le ministre, que j'ai l'honneur de vous recommander cette affaire, et de vous prier de faire prendre ma note en considération dans les négociations qui ont lieu entre la Belgique et la Hollande.

« Malines, le 10 décembre 1840.

« (Signé) Engelbert, cardinal-archevêque de Malines. »

C'est, messieurs, à cette autorité considérable que j'ai emprunté la définition de la fondation telle que je viens de vous la donner. Je n'ai plus, je pense, à la justifier. Je ne pourrais qu'énerver les raisons apportées par mes honorables amis pour démontrer la vérité de cette définition.

Vos doctrines sont ainsi condamnées. Elles sont contraires au droit, elles sont impolitiques, elles compromettent les intérêts du pays. Vous ne faites que reproduire des thèses que l'étranger soutient contre nous depuis vingt ans, des thèses que nous combattons depuis vingt ans, à la demande même des chefs de l'Eglise catholique en Belgique.

Voilà la réponse que j'ai à faire au téméraire qui, sans réflexion, sans étude suffisante de la question, et prenant la parole hier pour la première fois dans cette enceinte, a osé accuser le gouvernement de son pays de compromettre l'honneur national. (Interruption.)

Que l'offense remonte à d'autres qu'au gouvernement.

Il faut donc renoncer désormais à nous parler de spoliation, de confiscation et de rétroactivité.

Ces mots n'ont plus de sens puisqu'il s'agit d'un établissement public, d'une quasi-propriété nationale. (Interruption.)

- Un membre. - Quasi-propriété nationale !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Sans doute. N'est-il pas évident que, sans l'affectation spéciale dont ces biens sont grevées, ce serait une pure propriété nationale ? C'est cette affectation, admise par la nation et que la nation maintient, qui autorise à dire que c'est une quasi-propriété nationale, que c'est un établissement public, c'est-à-dire un établissement soumis à la loi.

Et c'est, messieurs, à propos d'établissements publics, à propos de quasi-propriétés nationales que l'honorable M. de Theux a pris soin hier de nous démontrer que l'homme, comme individu, avait des droits antérieurs et supérieurs à la loi ; qu'il a même pris la peine d'ouvrir un gros livre pour nous apprendre que l'assemblée constituante d'un pays voisin avait, en 1848, reconnu et proclamé ces droits.

Etrange confusion ! L'imperfection de notre langue favorise ces sortes d'équivoques : qu'il s'agisse de propriétés personnelles, qu'il s'agisse de biens appartenant à des corps moraux, toujours on est amené à les désigner par le titre de propriétés. Mais il n'y a entre la propriété personnelle et la propriété des corps moraux aucun rapport, aucune analogie. IL n'y eu a pas plus qu'il n'y en a entre la réalité et la fiction.

Le droit de propriété des êtres réels est, sans doute, incontestablement un droit qui dérive de la nature de l'homme. La propriété est formée de la chair et des muscles de l'homme. Oui, sans doute, le droit de propriété est sacré ; oui, l'homme a des droits antérieurs et supérieurs à la loi. Mais quand il s'agit de la propriété ou des droits des corps moraux, quelle relation voulez-vous établir entre la propriété ou les droits des uns et des autres ? Quelle relation voulez-vous établir entre la personnalité humaine, qui est l'œuvre de Dieu, et la personnalité purement civile, qui est l'œuvre de la loi ?

La propriété personnelle est au-dessus des atteintes d'un parlement. Le parlement ne pourrait pas avoir à délibérer sur la propriété individuelle pour la confisquer, pour en disposer. Mais quant à la propriété des corps moraux, toujours le législateur est maître d'en disposer au mieux des intérêts de la nation.

Oh ! sans doute, lorsque, dans un pays, la législation a admis l'institution des corps moraux, parce que l'utilité sociale a été démontrée en faveur de leur existence, il est clair que tout législateur sage, que tout législateur prudent ne touchera qu'avec circonspection aux propriétés, aux dotations de ces corps moraux ; aussi longtemps que l'utilité publique existera, aussi longtemps qu'elle sera manifeste, il entourera ces sortes de biens d'une véritable sollicitude, et maintiendra intacte leur affectation primitive.

Mais, dit-on, le droit de tester ayant été exercé, et le droit de tester étant inhérent à la propriété privée, vous portez par cela même une atteinte évidente à la propriété, lorsque vous méconnaissez la volonté exprimée dans les testaments, en altérant l'économie de leurs dispositions.

Eh bien, messieurs, les mêmes principes que je viens d'indiquer doivent ici nous servir de guide. Oui, j'admets votre doctrine ; oui, le droit de tester est inhérent à la propriété. Je ne veux pas me livrer à des discussions métaphysiques sur l'origine et le fondement de ce droit. J'admets le principe ; le droit de tester est inhérent au droit de propriété. Mais qu'est-ce à dire ? C'est le droit de tester dans l'ordre naturel ; le droit de tester, c'est-à-dire la faculté pour l'homme, pour l'individu, de disposer de ses biens pour le temps où il ne sera plus, mais seulement dans l'ordre naturel, sans gêner personne dans l'exercice d'aucun droit, sans porter atteinte à la liberté d'autrui ; en ce sens vous avez parfaitement raison.

En cette matière, je suis disposé à admettre la plus grande latitude, la plus grande liberté. Ce n'est pas pourtant ce que consacre notre droit civil ; notre droit civil impose les restrictions les plus graves au droit de tester, même dans l'ordre naturel. Le père de famille, qui a conquis sa fortune à la sueur de son front, n'est pas le maître d'en disposer comme il l'entend ; la loi ne lui laisse qu'une quotité disponible, et le reste est réservé à ses enfants.

Cependant on pourrait admettre, sans qu'il pût en résulter de bien grands inconvénients sociaux, on pourrait admettre la liberté la plus absolue, la plus complète, la plus illimitée dans le chef du père de famille. Il pourrait en résulter sans doute quelques catastrophes individuelles ; il y aurait parfois d'injustes exhérédations ; parfois une indigne concubine viendrait usurper la part de l'épouse légitime et des enfants ; mais ce serait évidemment l'exception ; en règle générale, les affections l'emporteraient, et, suivant nos mœurs, le père de famille maintiendrait l'égalité entre ses enfants.

Pourquoi donc, lorsque vous parlez de la liberté de tester, ne vous vient-il pas à la pensée de la réclamer d'abord pour le père de famille ? Vous admettez que le droit civil impose des restrictions même au père de famille, et cependant vous parlez de la liberté, en quelque sorte absolue, qui devrait exister pour établir des fondations ! Le droit de fondation, suivant les observations présentées hier par l’honorable M. de Theux, le droit de fonder, il le range parmi les droits antérieurs et supérieurs. (Interruption.) Assurément, car, sinon, à quoi servirait la démonstration qu'il nous a faite ?

Quand il s'agit, au contraire de disposer, à l’encontre de l'ordre de la nature, quand il s'agit d'instituer des fidéicommis, des substitutions, des majorats, des couvents, des fondations en un mot, la liberté de disposer n'est plus alors inhérente à l'homme : elle ne résulte point du droit naturel qui lui appartient. Cette faculté est dans ce cas une pure concession de la loi civile, faculté toujours, en tout temps, soumise à l'empire de la loi et que la loi civile peut régler comme elle l'entend.

Je ne sais, en vérité, messieurs, pourquoi, à propos de la loi, on s'est, permettez-moi l'expression, on s'est acharné à préconiser, à défendre ce droit de fondation comme jamais on ne l'avait fait à aucune autre époque. Serait-ce un programme politique que nos adversaires seraient occupés à tracer ? Ce droit de fondation serait-il le premier à être inscrit sur ce (page 858) programme ? Est-ce que, par hasard, on rêverait de fidéicommis et de substitutions, comme rn a rêvé jadis de couvents ? (Interruption.)

Vous réclamez, vous protestez, mais je m'y attendais bien. (Interruption.) Je présumais que l'honorable M. de Liedekerke surtout s'empresserait d'affirmer qu'en vertu de l'immortalité de l'âme, le droit de fondation doit nécessairement exister...

M. de Liedekerke. - Je n'y prétends pas.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Soit ; mais si ce n'est pas cela qu'on veut, à quoi bon cette discussion sans fin à propos du projet de loi qui nous occupe ? On l'a avoué : l’intérêt, au fond, est assez médiocre ; on a fait des calculs pour démontrer que, même la loi votée, les choses seraient à peu près dans la même situation qu'aujourd'hui.

Il faut donc, messieurs, qu'il y ait un secret motif plus puissant qui guide nos adversaires, lorsqu'ils essayent de faire pénétrer dans le pays cette idée, qu'en n'admettant pas la liberté des fondations, on porte atteinte qux droits naturels de l'homme.

On nous a dit : « C'est encore dans un autre sens porter atteinte à la propriété. Entre le fondateur qui a donné et la société qui a accepté la, fondation, il y a un contrat qui ne peut pas être impunément violé, qui doit être maintenu dans toutes et chacune de ses parties. » C'est l'honorable M. Nothomb qui a produit cette objection dans le débat...

M. Nothomb. - Je la crois vraie.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous la croyez vraie ! Eh bien, moi, je pense que cela ne peut pas être soutenu sérieusement ; parce que, pour qu'une telle objection fût vraie, il faudrait que la souveraineté nationale pût être aliénée. Mais si, ce qui, je pense, est bien évident pour tout le monde, à droite comme à gauche, la souveraineté nationale est inaliénable, votre théorie est complètement inadmissible.

Or, l'honorable M. Nothomb assurément ne contestera pas cette inaliénabilité ; il ne soutiendra pas que la souveraineté nationale puisse être la matière d'un contrat ; il ne soutiendra pas qu'une législature quelconque, admettant le régime des fondations, puisse lier à perpétuité les générations futures, les engager pour la suite des siècles, et les obliger à respecter à toujours les fondations quelles qu'elles puissent être, sous prétexte qu'elles existent en vertu d'un contrat auquel la souveraineté nationale a été partie !

Si, par impossible, une pareille thèse pouvait être soutenue, il faudrait soutenir aussi, par voie de conséquence, que l'on n'a pas pu abolir légitimement les fidéicommis, les substitutions et les majorats, car enfin les majorats, les substitutions et les fidéicommis ont bien plus d'affinité avec ce que vous appelez la propriété privée, que les biens d'une fondation, c'est-à-dire d'un véritable établissement public. En effet, les substitutions, les fidéicommis et les majorats ont été établis, dans un intérêt social, sans doute, mais lié intimement à l'intérêt des familles ; c'est à ce titre que l'ancienne législation les admettait. Ce pacte était donc irrévocable, et il fallait, selon la doctrine de l'honorable M. Nothomb, maintenir pour l'éternité les substitutions, les fidéicommis et les majorats ! Et, pour être logique, il faudrait aujourd'hui les rétablir au plus tôt, afin de réparer l'iniquité commise par leur suppression !

Cette thèse est certainement fort extraordinaire ; elle est exorbitante, incroyable, et cependant l'honorable M. Nothomb prétend l'étayer sur l'exemple des autres peuples civilisés ! Il a cité tout d'abord l'Angleterre, l'Angleterre qui a joué un si grand rôle dans cette discussion, l'Angleterre qui a figuré dans presque tous les discours de l'opposition, l'Angleterre qu'on a invoquée pour nous convaincre que nous commettons le plus horrible des attentats contre la propriété.

Je ne veux pas, messieurs, me dispenser de rappeler à vos souvenirs les paroles mêmes de l'honorable M. Nothomb :

« Que s'est-il passé entre le fondateur et le gouvernement ? Le fondateur a proposé, le gouvernement a ratifié ; il y a donc eu un pacte librement offert d'un côté, librement accepté de l'autre, il y a convention.

« C'est le fait en quelque sorte du gouvernement lui-même, il devrait d'autant plus respecter et faire respecter son œuvre ; et c'est lui-même qui va la méconnaître !

« Si un particulier ce permettait une conduite semblable, que lui dirait-on ? Le mot le plus doux qu'on lui appliquerait serait celui de déloyauté, de félonie, et c'est dans notre Belgique, cet honnête et loyal pays, qu'on ose proposer des mesures pareilles ! Et en les voyant, et en les déplorant, ma pensée se reporte involontairement sur l'Angleterre. Où est le secret de sa force ? Dans son respect du droit, de tous les droits privés, respect scrupuleux, respect religieux. C'est la vraie cause de la grandeur comme de la liberté anglaise.

« Qui de vous, messieurs, n'a pas fait plus d'une fois le parallèle de l'Angleterre qui vit dans sa liberté, fière et immuable, appuyée qu'elle est sur le respect du droit, avec cet autre grand pays qui, parce qu'il est oublieux le lendemain de ce qui était le droit la veille, est balloté, depuis soixante ans, de l'anarchie au despotisme !

« Oh ! oui, messieurs, je le déclare, si en Angleterre, un gouvernement soumettait une proposition semblable à celle que nous discutons, un long cri de protestation s'élèverait d'un bout à l'autre, et il tomberait sous la réprobation unanime. »

- Voix à droite. - C'est très vrai !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ah, c'est très vrai ? Eh bien, je ne sais, moi, si je rêve ou si je veille quand j'entends énoncer de pareilles énormités ! En Angleterre, le père de famille a la liberté la plus absolue de disposer de son bien comme il l'entend ; il peut en priver tous ses enfants. Depuis Charles Ier, il n'y a plus aucune espèce de réserve, ni au profit de la femme, ni au profit des enfants. Le droit du père de famille est donc absolu et illimité. Eh bien, dans ce pays, où cette liberté si grande de tester existe, dans ce pays (vous serez sans doute bien étonnés de l'apprendre) la liberté de faire des fondations par testament n'existe pas. Il y a plus de 125 ans que ce droit a été aboli, par l'acte de Georges II de 1736. (Interruption.)

M. de Liedekerke. - Pour les biens mobiliers.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous allons voir tout à l'heure. Mais voilà une petite restriction qui prouve que vous saviez quelque chose du droit anglais, et dès lors vous eussiez dû en parler autrement que vous ne l'avez fait.

Ainsi, on ne peut pas, par testament, donner un immeuble pour un hospice ou pour une école. Pour établir une fondation de ce genre, il faut une donation faite par acte homologué, dressé en présence de deux témoins dignes de foi, et cela douze mois avant la mort du donateur ; l'acte doit être enregistré eu cour de chancellerie dans les six mois après l'exécution. Et encore faut-il que ces donations soient réalisées. immédiatement et qu'elles ne soient point sujettes à révocation ou à quelque autre clause profitant au donateur ou à ses ayants cause. Voilà ce que se trouve dans le texte de la loi.

S'il s'agit de fonds publics, au lieu d'un acte dressé douze mois avant la mort du donateur, le statut requiert que le transfert dans les livres de la banque soit opéré six mois au moins avant la mort.

Il a été fait, depuis, quelques exceptions à cet acte ; mais le principe subsiste dans toute sa force.

.M. Dechamps. - Nous acceptons cette législation.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je crois en effet que vous seriez bien heureux, bien enchantés de posséder une législation qui respecterait à ce point la liberté des mourants ! C'est en faveur de la liberté des mourants, dont vous vous occupez fort peu, que cette législation a été faite. Si, dans l'état actuel de nos mœurs, on voulait exiger que des fondations ne puissent être faites que par donations effectuées, réalisées réellement douze mois avant la mort des donateurs, libéralités non soumises à révocation ni à aucune clause de réserve ou d'usufruit, je crois que les fondations ne seraient guère abondantes dans ce pays.

M. Van Overloop. - Essayez, j'en serais enchanté, pour ma part.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Commençons par ne pas nous écarter du sujet qui nous occupe. Examinons la législation anglaise, que vous prétendez si bien connaître.

Messieurs, malgré les restrictions dont je viens de parler, il existe beaucoup de fondations en Angleterre. Mais les fondations, permettez-moi de le dire, sont une véritable plaie pour ce pays. Des enquêtes qui ont duré trente années, puisqu'elles ont été commencées en 1819 et qu'elles n'ont été terminées qu'en 1849, ont révélé les gaspillages, les abus, les détournements les plus inimaginables. Il a fallu qu'enfin la législature intervînt. On a constitué une administration centrale à Londres, pour toute l'Angleterre et le pays de Galles, administration à laquelle sont soumises toutes les fondations charitables ; cette administration est investie de pouvoirs très grands, qui ont encore été étendus par la loi du 28 août 1860.

(page 859) Dans certains ces, cette administration a le droit de destituer purement et simplement les administrateurs des fondations. Ce serait déjà assez pour prouver que les honorables membres se sont singulièrement trompés, quand ils sont venus affirmer que si une loi analogue à celle qui nous discutons ici était introduite dans le parlement anglais, elle provoquerait un cri général d'indignation et tomberait devant la réprobation publique.

Mais je veux aller plus loin ; je veux vous conduire en Angleterre au cœur même du sujet qui nous occupe. Le parlement a voté le 7 août 1851 (17 et 18, Victoria, chapitre 81), un bill relatif à l'université d'Oxford, dont vous avez parlé avec tant de complaisance.

Ce bill déclare (article 28), qu'il est utile, dans l'intérêt de la religion et de l'instruction, de donner pouvoir aux collèges de l'université de modifier leurs statuts, soit pour consolider, diviser, convertir les émoluments, y compris la conversion des places d'agrégés attachés aux collèges, en bourses attachées également aux mêmes collèges.

On défait donc les fondations, puisqu'il s'agit de transformer en bourses d'études, les émoluments affectés aux places d'agrégés.

Le bill ajoute qu'il est également nécessaire de donner pouvoir de transformer des places d'agrégés ou des bourses, soumises à certaines limitations ou restrictions, soit en places et bourses entièrement libres, soit en places et bourse- soumises à d'autres conditions ou restrictions.

En conséquence, le parlement déclare qu'il sera permis aux collèges... « nonobstant toute disposition contraire, inscrite dans leurs statuts, chartes, actes de fondation ou tout autre document de fondation ou de dotation d'un de ces collèges, de faire des règlements et des ordonnances pour le but et sur matières qui viennent d'être indiquées, sous l'approbation des commissaires nommés par la loi. »

Est-ce clair ?

Voilà donc, messieurs, le pouvoir donne au Dieu-Etat en Angleterre par l'entremise de ces commissaires nommés par la loi, de modifier, d'une manière assurément fort essentielle, les conditions des actes de fondations. Et M. Nothomb n'était pas là pour pousser le cri de réprobation qui aurait intimidé le parlement anglais !

On dira peut-être : C'est un accident ! le parlement a commis une erreur, il sommeille quelquefois comme Homère ; ce bill impie sera retracté ; il a été rendu pour railler l'opposition que nous faisons ici au projet de loi sur les bourses d'études. Eh bien, détrompez-vous : le parlement savait fort bien ce qu'il faisait en portant ce bill, et, par le même acte, il pousse l'audace plus loin encore : il va jusqu'à supposer que les administrateurs pourront faire preuve de négligence, ne pas faire de règlements nouveaux ou en faire qui ne seraient pas approuvés par les commissaires.

Les commissaires sont autorisés à dresser eux-mêmes les règlements, dit l'article 49, « qui seront considérés et auront la même autorité que les statuts eux-mêmes des collèges, nonobstant toute disposition quelconque inscrite dans les statuts, chartes, actes de fondation ou tout autre titre de fondation ou de dotation de ces collèges. »

Qu'en pensent les honorables membres qui nous ont si admirablement parlé du respect inébranlable de l'Angleterre pour les fondations et pour la volonté des anciens fondateurs ?

Mais, ce n'est pas tout encore ; l'article 30 du bill dispose :

« De plus, si l'université juge qu'une donation ou dotation dont elle a la jouissance depuis plus de cinquante ans, serait plus utilement appliquée dans l'intérêt de l'avancement de la religion et de l'instruction, ainsi que du principal but qu'a eu en vue le fondateur, en en changeant l'administration ou la direction, il sera loisible et permis à l'université de modifier ces administrations ou directions, et de dresser de nouveaux statuts pour l'emploi de ces dons ou dotations. »

Les articles 31 et 33 tracent les règles à suivre pour l'abolition, entendez bien : pour l'abolition, de tous droits de préférence à quelque place ou bourse, accordée expressément par l'acte de fondation à une école, collège ou autre institution désignée qui se trouve placée en dehors de la juridiction ou du ressort de l’université.

Ainsi, messieurs, il ne s'agit pas même de la simple administration, il s'agit d'abolir des droits de préférence accordés expressément par les actes de fondation. Les nouveaux statuts, les nouveaux règlements doivent être soumis au Dieu-Etat (un monsieur ou une dame, et ici c'est une dame, la reine Victoria) ; ils doivent être examinés en conseil et publié dans la Gazette de Londres.

Mais l'Anglais est formaliste, comme l'ancien Romain. De peur que, sous prétexte d'un mot mal interprété, on n'essaye d'échapper aux prescriptions de la loi, le bill définit les termes qu'il emploie. C'est l'objet de l'article 48.

« Pour l'interprétation de cette loi, porte cet article, les mots emouluments comprendront toute place d'agrégé (fellowship), bourses (studentships or scholarships) demi-bourse (demyships), places d'employés (postmasterships), de primitier ou toute autre place rétribuée par l'université ou un collège, ou destinée à un membre du collège. Le mot scholarships comprendra les boursiers (bursaries) des collèges d'Ecosse ; les doyens ou les chanoines de la cathédrale (christchurch) sont régis par cette loi.

Est-ce messieurs, un accident, une erreur commise tout exprès pour contrarier l'opposition ? Le parlement anglais persévère sans hésitation, dans son impiét- ; il contenue à violer les lois divines et humaines à porter atteinte à la propriété, à spolier, à abolir des droits de préférence et l'œuvre entreprise pour l'université d'Oxford, voilà qu'il va la continuer pour l'université de Cambridge !

Une lot du 29 juillet 1856 (19 et 20, Victoria, chapitre 88), a décrété des dispositions analogues pour l’université de Cambridge.

« Art. 17. Afin d’encourager une éducation religieuse et une meilleure instruction dans les collèges et l'université, et la mise à exécution des intentions générales (main designs) des fondateurs et donateurs, pour autant qu'ils soient en harmonie avec le but de cette loi, il sera permis à l'administration de tout collège ou à la majorité de cette administration, avant le 1er janvier 1858, sans porter préjudice aux intérêts d'un membre actuel quelconque d'un pareil collège, et nonobstant toute chose contenue dans les statuts, chartes, titres, transactions ou autres actes de fondation ou donation, soit du collège ou de quelque titre individuel, de faire des statuts pour les points suivants :

« 1° Pour abroger, changer et amender les statuts du collège et décréter de nouvelles dispositions à l'égard de l'éligibilité des personnes pour être chefs ou membres ou posséder tout autre émolument ; relativement aux droits et au mode de nommer, conférer ou élire à ces places de chefs, membres et titulaires d'émoluments, (ainsi, le droit de collation) et relativement à la durée et à la condition de la tenue de pareilles qualifications et émoluments, afin d'assurer que ces nominations soient conférées conformément au mérite et à l'aptitude personnelle et soient conservées pour une période qui paraisse favorable à l'avancement des intérêts de la religion et de l'instruction, et dans ce but de modifier ou abolir tout droit de préférence.

« 2° Pour changer ou abolir tout serment qui serait éxigé par les statuts du collège.

« 3° Pour changer la distribution et la répartition des revenus divisibles du collège.

« 4° Pour rendre une partie des propriétés ou des revenus du collège applicable à des destinations d'utilité pour l'université prise dans sa généralité.

« 5° Pour la consolidation, division ou conversion des émoluments, bourses, etc., y compris la conversion des droits et des catégories limités de membres ou élèves..., en bourses d'élèves soit en partie, soit entièrement libres.

« 6° Pour la création d'un nombre suffisant de places d'élèves ouvertes à tous, soit par la conversion des droits des membres ou de toute autre manière.

« 7° Pour incorporer des places de membres adjoints avec les droits de ceux de la fondation primitive, soit en réduisant le nombre des membres privilégiés, soit autrement.

« 8° Pour transférer au collège, en sa qualité de corporation, toutes fondations (trurts) conférées à présent à un ou plusieurs des maîtres ou membres.

« 9° Et généralement pour arrêter des dispositions nouvelles pour maintenir et améliorer la discipline, les études et la bonne administration des collèges et pour en modifier les statuts de temps en temps. »

Et voilà tout ce qui est prescrit, autorisé, sanctionné par le parlement, nonobstant toute clause contraire dans les statuts, chartes, titres, transactions ou autres actes de fondation ou de donation !...

Ainsi, comme pour vous condamner, le droit de collation est aboli ; on est formellement autorisé à abolir les dispositions contenues dans les actes de fondation.

Enfin, comme pour répondre à cet argument incessamment répété dans cette discussion, que l'approbation donnée par le pouvoir souverain à l'acte de fondation engendre un contrat qui devient irrévocable, et ne peut être violé sous prétexte de l'utilité publique, sans mettre en péril la bonne foi, le respect dû aux conventions légalement faites, sans mettre en péril le principe de la propriété même, le parlement anglais s'exprime ainsi dans l'article 52 du bill du 29 juillet 1856 : « Les divers pouvoirs conférés par les articles 27, 28, 29, 30 et 31 de cette loi pourront être exercés nonobstant toute disposition contraire convenue en quelque acte du (page 860) parlement, décret ou ordonnance, constituant, soit en tout, soit en partie, l’acte de fondation ou de dotation, ou confirmant ou modifiant toute fondation ou dotation quelconque, ou réglant d’une autre manière une fondation ou dotation. »

Ainsi, le bill constate lui-même que si déjà un acte formel du Parlement est intervenu pour créer la fondation, pour accepter la fondation, pour la régler, pour la modifier, les commissaires auront pour l'avenir le pouvoir d'introduire de nouvelles règles, d'abolir ce qui a été fait, nonobstant l'acte de fondation et nonobstant l'acte du Parlement qui l'a acceptée.

Enfin, messieurs, voulez-vous un exemple d'un testament défait avec l'autorisation du Parlement ?

Le 30 juin 1862 (25 et 26 Victoria, chapitre 26) le parlement a étendu, pour l'université d'Oxford, les pouvoirs résultant des lois antérieures.

L'article 6 de cette loi dispose entre autres : » L'université est autorisée à modifier par des statuts, la direction, la fondation (trurts) ou les règlements relatifs aux fondations de bourses de Kennicott et de ceux de Johnson, ainsi que de ceux de la fondation de prix de théologie faite par Defeytr dans le but de développer l'étude de la théologie, de l'hébreu et des mathématique respectivement. Elle peut dans ce but, si elle le trouve utile, convertir la fondation de prix Deneyer en une ou plusieurs bourses pour la théologie.

Le même jour, une loi a été passée pour l'université d'Aberdeen. Elle autorise les commissaires nommés par un acte de 1858 pour l'administration des universités d'Ecosse, à changer et modifier les conditions et l'administration de la fondation faite le 6 septembre 1793 par le sieur Alexandre Marra, en léguant certaines propriétés aux régents et professeurs de Kings college à Aberdeen, qui se trouve maintenant réuni avec le Marschall collège à l'université d'Aberdeen.

Vous nous direz peut-être, messieurs, vaincus par l'évidence, et renonçant à ces belles phrases si sonores que vous avez faites sur l'Angleterre, vous nous direz qu'après tout ce sont des hérétiques qui agissent ainsi.

Cherchons donc si nous n'avons pas, pour vous convaincre, à vous citer l'exemple d'un pays essentiellement catholique. Allons à Rome.

A Rome, avant le règne de Léon XII, les administrations charitables existaient isolées ; elles étaient gérées par les administrateurs nommés par l'acte de fondation, ou bien par ceux qui exerçaient ces fonctions à titre de leur office.

Léon XII, par un Motu proprio du 3 janvier 1820, décréta que tous les hôpitaux de Rome formeraient désormais un seul corps et une seule administration. Il institua une commission administrative à l'instar de nos commissions des hospices, présidée par le commandeur de San-Spirito. La commission était nommée pour six ans.

Ainsi, le saint-père substituait à des administrateurs inamovibles, héréditaires, dont les titres résultaient soit de la fondation, soit des offices qu'ils remplissaient, des administrateurs élus, temporaires ; il abolissait tous les droits, soit d'administration, soit de collation qui préexistaient.

Et une année après, par un Motu proprio du 16 décembre 1826, Léon XII a institué pour les secours à domicile exactement une administration calquée sur celle de nos bureaux de bienfaisance.

Après la mort de Léon XII, l’organisation qu'il avait faite n'a pas subsisté. Je ne m'y arrête donc pas. Je signale seulement ce fait bien décisif, qui devrait suffire à vous convaincre, puisqu'il est reconnu aussi bien dans Rome orthodoxe que dans l'hérétique Angleterre, qu'en agissant avec prudence, avec sagesse, ii n'y a point à s'arrêter aux stipulations contenues dans les actes de fondation.

Ainsi ni le droit, ni l’histoire, ni l'exemple des peuples civilisés, rien ne vient soutenir la thèse que vous défendez. Mais il est d'autres griefs qui n'ont pas paru moins graves aux yeux de nos adversaires. Selon eux, nous livrons tout au Dieu-Etat. Nous lui remettons les pouvoirs les plus essentiels. Nous lui sacrifions les droits des individus.

Toujours la même confusion ! Encore une fois, il ne s'agit pas ici des individus, mais des administrations publiques, et la thèse contraire est assurément la moins raisonnable que l'on puisse soutenir.

Mais je trouve étrange, je l'avoue, dans votre bouche, le reproche adressé à l'administration libérale, à la majorité libérale de vouloir sacrifier au Dieu-Etat.

L'œuvre du libéralisme, depuis longtemps, depuis un siècle surtout, l'œuvre du libéralisme européen consiste précisément à assurer aux citoyens la jouissance des libertés civiles et religieuses. Et qui rencontre-t-il pour adversaire, ici comme ailleurs ? L'Eglise, toujours l'Eglise ; l'Eglise protestante dans les pays protestants ; dans les pays catholiques, l'Eglise catholique !

Nous soutenons que l'homme a des droits imprescriptibles et inaliénables ; nous affirmons la liberté de conscience, la liberté de penser, la liberté de manifester ses opinions, et ce sont ces droits que votre parti ne cesse de lui contester. Pour nous, ces droits sont absolus. Pour vous, ce sont des droits relatifs. On peut les tolérer ici, et l'on peut les condamner ailleurs. Ces droits nous les réclamons pour tous et partout. Mais vous ne les réclamez pas pour tous et partout. Voilà la différence entre votre doctrine et la nôtre, voilà ce qui nous sépare, et ce qui explique, sans les justifier, vos attaques violentes et passionnées contre le projet de loi, qui est une nouvelle affirmation de la liberté des individus, au point de vue de la conscience, au point de vue de l'enseignement !

Messieurs, il y a, je le répète, quelque chose qui m'étonne singulièrement : c'est d'entendre sortir de la bouche de nos adversaires, et surtout de la bouche de l'honorable M. Nothomb, ce reproche qui nous a été si souvent adressé dans cette discussion, de sacrifier les droits des individus à ce que l'on a nommé le Dieu-Etat.

Mais où sont donc les ennemis et les défenseurs des droits individuels ? Oh ! je crois que le pays ne s'y trompe pas. Dans notre libre Belgique, où la philosophie et le libéralisme ont marqué de leurs empreintes ineffaçables la p'ls libérale des constitutions, nous sommes encore occupés, aujourd'hui comme autrefois, comme toujours, à combattre contre vous pour la véritable application des grands principes qui ont été proclamés dans les temps modernes.

Et vous, qui nous accusez si injustement de faire bon marché des droits que la Constitution assure à tout citoyen belge, que faisiez-vous donc, lorsque vous étiez au pouvoir ? Un jour, un professeur dans sa chaire développe quelques points d'histoire, se livre à quelques appréciations purement historiques. Les propositions qu'il émet se retrouvent textuellement dans les leçons de M. Guizot, leçons qu'il donnait publiquement, paisiblement en France, en pleine restauration et sous le règne des jésuites. Et ces propositions sur l'ordre des évêques, vous les avez trouvées condamnables, et vous avez frappé ce professeur !

Voilà ce que vous avez fait, lorsque vous représentiez le Dieu-Etat.

M. Nothomb. - Quel est ce professeur ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est M. Brasseur.

M. Nothomb. - Nous ne l'avons pas frappé ; il est resté professeur à la même université.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous ne l'avez pas frappé ? Mais vous l'avez privé de son cours ; vous avez déclaré que les propositions qu'il enseignait étaient condamnables. Vos amis l'ont déclaré dans cette Chambre ; ils ont déclaré que de pareilles doctrines ne pouvaient pas être tolérées.

Et lorsqu'un autre jour, un professeur, non plus dans son enseignement, mais dans un livre, dans un livre de philosophie, lorsqu'un professeur, ne s'occupant pas même des matières de son enseignement, a émis quelques opinions qui contrarient les vôtres, vous l'avez blâmé, vous l'avez censuré ?

M. Nothomb. - Moi ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). -- Le ministère dont vous faisiez partie.

M. Nothomb. - M. Laurent n'a été l'objet d'aucune mesure ; sa position est restée intacte ; le ministère dont j'ai fait partie n'y a pas touché.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous avez censuré les opinions religieuses qu'il exprimait dans un livre de philosophie et d'histoire.

Et vous venez ici vous proclamer le défenseur de la liberté et l'apôtre de la tolérance !

.M. Dechamps. -Il y a quelques jours encore, l'honorable M. Devaux l'a hautement blâmé.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. Devaux n'est pas le Dieu-Etat. M. Devaux exprimait une opinion, comme vous avez le droit d'en exprimer une. Vous avez le droit de blâmer, de combattre les opinions que M. Laurent émet, dans ses livres ; mais ce qui vous a été dénié par l'honorable M. Devaux, comme par nous, majorité libérale, c'est le droit de censurer l'écrivain dans les conditions où vous l'avez fait ; c'est le droit de rétablir l'alliance entre l'Eglise et l'Etat, alliance qui a été brisée par les idées modernes ; c'est le droit que vous vous êtes arrogé de consacrer les censures épiscopales en condamnant des doctrines qui pouvaient être librement professées en vertu d'un droit garanti par la Constitution.

Mais, messieurs, à quel propos se font, en définitive, toutes ces déclamations ? Vous combattez ce que vous nommez la centralisation. Ce mot est fort à la mode, je le sais, dans un pays voisin, quoique la chose ne soit (page 861) pas nouvelle. M. de Tocqueville a assez bien établi que la centralisation ne date pas des temps modernes «t qu'elle peut remonter au moins à Louis XIV.

Mais vous faites de la contrefaçon. Parler de centralisation dans ce pays, dans ce pays où le pouvoir, où le gouvernement ne peut pas même dissoudre un conseil communal, où le gouvernement a plutôt nominalement que réellement la nomination du bourgmestre et des échevins.., (Interruption.) En thèse général, les choix sont faits par le corps électoral ; ils sont faits par les conseils communaux.

M. Wasseige. - Et Scheldewindeke ?

M. B. Dumortier. - Non prenons acte de cette déclaration.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est une vérité.

- Voix à gauche. - Evidemment !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Parler de centralisation dans ce pays, cela n'est pas et ne peut en aucun cas être une chose sérieuse ; mais en parler surtout à propos du projet de loi, voilà qui est plus étonnant encore.

Que fait donc le projet de loi au point de vue de la centralisation ? Quelle est l'attribution que n'a pas le gouvernement aujourd'hui, et que le projet de loi tend à lui conférer ?

Le projet de loi se divise en deux parties. La première a pour objet les fondations d'instruction, la seconde les fondations de bourses. Pour les fondations d'instruction pour l'enseignement primaire, pour l'enseignement moyen le projet de loi les remet à la commune ; et apparemment l'on n'ira pas jusqu'à prétendre qu'il dût remettre également à la commune les fondations d'enseignement supérieur.

Mais quant aux fondations de bourse, que demande le gouvernement ? Qu'est-ce qu'on va centraliser ? Qu'est-ce qu'on va remettre aux mains de l'administration centrale ? L'administration centrale n'est absolument pour rien dans le projet. On institue des administrations provinciales électives, émanant du corps électoral, c'est-à-dire de la nation elle-même, absolument affranchies de l'action du gouvernement.

Qu'on ne vienne donc pas nous parler de centralisation.

Mais, autre grief : nous portons atteinte à la liberté communale ! Ce grief est nouveau. Il est d'invention toute récente, et il est né de certain incident que l'on serait heureux de pouvoir exploiter. Je vois parfaitement les mains tendues par-dessus nos têtes pour s'offrir aux mains de quelques membres de ce côté de la Chambre. Je vois cela très clairement ! Mais ces mains se rencontreront-elles ? On offre la coalition ; sera-t-elle acceptée ? Je ne le pense pas. Un peu de. réflexion, si toutefois, ce que je ne me permets pas même de supposer, une intention quelconque avait pu exister sous ce rapport, un peu de réflexion la ferait incontestablement repousser.

D'abord, - et ceci fait tomber le reproche d'une prétendue atteinte à la liberté communale, - la question qui a été soulevée à cet égard est en dehors du projet de loi, elle ne tient pas au projet de loi, elle aurait été résolue, dans un sens ou dans l'autre, en dehors du projet de loi. Le projet de loi n'y fait absolument rien ; l le peut rester intacte, après comme avant. Mais, à part cette circonstance, voici ce qu'un homme politique peut dire à des hommes politiques : Des hommes 'graves, consciencieux, animés d'intentions que je respecte, ont pensé que la commune pourrait être autorisée à accepter des legs pour des dépenses facultatives. Cette opinion est nouvelle, on le reconnait ; elle est contraire à tout ce qui a été enseigné, défendu, pratiqué jusqu'aujourd'hui. Cela est admis par tout le monde. Or, sans examiner la question, en admettant qu’elle ait en sa faveur les doutes, les préventions les plus sérieuses, je dis, dans un autre sens : Des hommes non moins consciencieux, animés d'intentions tout aussi respectables, sont convaincus que ce qui est signalé comme un progrès est un péril, et pensent qu'ils ne peuvent, du jour au lendemain, renier les convictions qu'ils ont professées si longtemps ; qu'ils ne peuvent abdiquer les solennels engagements qu'ils ont pris sur la question même qui nous occupe. Voilà comment la question se présente des deux côtés.

Eh bien, je dis à ces hommes politiques, non pas dans les coulisses, non pas derrière la toile, mais publiquement, du haut de cette tribune, je dis : Lorsqu'une question est ainsi posée, lorsqu'elle se présente dans de pareilles conditions, lorsqu'elle soulève de la part du plus grand nombre une répugnance aussi manifeste, il n'y a pas à tenter de l'imposer, il n'y a pas surtout à le tenter avec l'aide d'adversaires politiques !

- Nombreuses voix à gauche. - C'est cela ! Très bien !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais revenons à l'opposition dirigée des bancs de la droite contre la loi elle-même. On nous demande : Pourquoi donc vouloir faire voter par la Chambre un tel projet de loi ? Où est sa raison, sa nécessité ? C'est, dit l'honorable M. de Theux, une nouvelle preuve et voilà son véritable caractère, de l'hostilité qui vous anime contre l'université catholique !

Messieurs, ce reproche est injuste, et j'irai jusqu'à dire que vous êtes quelque peu ingrats en nous l'adressant.

Voyons donc ce que vous avez fait, et ce que nous avons fait, vous pour, nous contre l'université catholique. Vous avez, étant en possession de la majorité, et sachant parfaitement ce que vous faisiez, appréciant fort bien le but que vous vouliez atteindre, vous avez supprimé l'université publique de Louvain, afin que l'université épiscopale, qui se trouvait alors à Malines, pût venir lui succéder, et pût se prétendre, comme on l'a tenté, l'héritière de l'ancienne université.

Cet établissement public supprimé, l'établissement privé est arrivé immédiatement ; il s'est emparé, comme de choses à lui, d'une riche dotation en biens publics, des anciens bâtiments, propriété de la ville, des riches collections, propriété de l’Etat. Puis vous avez fait la loi sur les jurys d'examen ; vous avez organisé artificieusement les moyens d'assurer des succès et une prépondérance écrasante à l'université catholique.

La majorité d'alors faisait en faveur de l'université catholique des choix scandaleux, d'une partialité révoltante ; le mot n'est pas de moi, il est d'un des vôtres, et je le réptèe, parce qu'il est vrai : on faisait des choix d’une partialité révoltante.

En outre, faisant la loi sur l'enseignement, vous vous êtes dit que ce n'était pas assez de ce que vous aviez pris déjà, et que du moment que l'Etat aurait des dotations à faire pour ses établissements, vous sauriez bien en prendre une part. Et, en effet, des bourses ayant été fondées par l'Etat, vous vous en êtes attribué une part.

Enfin, les bourses de fondations étaient là, et je crois inutile de dire par quelles manœuvres, par quels artifices vous êtes arrivés à les centraliser pour la plus grande partie dans les mains mêmes du receveur de l'université catholique de Louvain, grand moyen d'influence, grand moyen d'action assurément !

Nous sommes à notre tour arrivés au pouvoir. Qu'avons-nous fait, en présence de ces actes ? Nous pouvions, messieurs, vous appliquer la peine du talion. Nous pouvions maintenir la loi que vous aviez faite. Nous pouvions, à notre tour, faire des choix d'une partialité révoltante et faire tomber votre université catholique. Qu'avons-nous fait cependant ? Fidèles à nos principes de modération et de justice, nous n'avons pas voulu nous servir contre vous des armes que vous aviez forgées, et que le sort des événements politiques avait fait tomber dans nos mains ; nous sommes venus libéralement vous apporter une loi juste, que jamais vous n'eussiez faite ; nous avons assuré l'équilibre de représentation dans les jurys de l'examen, aux établissements libres comme aux établissements publics. Voilà notre premier acte d'hostilité contre l'université catholique.

Dans cette même loi, nous avons affecté exclusivement aux établissements de l'Etat les 60 bourses de 400 francs qui avaient été instituée par la loi de 1845. Hors de là, nous n'avons rien fait. Nous avons fermé les yeux sur la confiscation des collections et de la bibliothèque qui appartiennent à l'Etat ; nous avons fermé les yeux sur les bourses de fondation que vous avez accaparées ; nous avons gardé le silence sur ces faits dont, assurément, la légitimité ne saurait être sérieusement soutenue.

Mais il a fallu qu'un jour, toujours inspirés par la même avidité, vous soyez venus proposer de prendre sur la dotation des universités de l'Etat quelque chose pour les établissements libres, pour que, dès ce jour, l'indignation ne connût plus de bornes. Dès ce jour aussi, il a fallu enfin que la question des bourses d'études fût portée devant le parlement et devant le pays. C'est donc pour répondre à vos injustes exigences que la question qui est discutée aujourd'hui a été soulevée.

Maintenant, la loi qui vous est soumise ne vous paraît pas pouvoir être justifiée ; à vos yeux, il faudrait tout au moins, dites-vous, qu'il y eût des abus constatés, reconnus, pour qu'on pût admettre la proposition du gouvernement.

Des abus !... Il n'y a pas d'abus, nous dit l'honorable M. Nothomb : lisez les rapports des députations permanentes, quelque chose a-t-il été détourné ? Cette administration n'est-elle pas dans de bonnes conditions. »

Sous ce rapport même, il y aurait beaucoup à dire. Si la discussion continue, nous en dirons peut-être quelque chose. Mais est-ce donc la question dont il s'agit ? L'abus flagrant, manifeste, c'est qu'au mépris de la loi, vous avez accaparé toutes les bourses d'études, vous les avez confisquées (page 862) à votre profit ! et pourtant c'est vous qui osez crier à la spoliation quanti on veut vous les reprendre ! Eh bien, voilà où est l'abus.

Mais, quoi que nous puissions dire, vous nous répondrez toujours qu'il n'y a pas d'abus, que les choses se passent tout naturellement, et que si l'université de Louvain est fréquentée par un grand nombre de boursiers, cette circonstance n'est due qu'à la préférence des parents et des élèves pour cet établissement. Mais, s'il en est ainsi, s'il n'y a pas de violence morale, s'il n'y a pas d'abus, la même situation se reproduira évidemment pour vous ; vous n'avez donc rien à craindre, et il est fort inutile de crier bien fort à la spoliation.

Cependant, messieurs, soyez-en bien convaincus, les abus existent ; nous le prouverons tout à l'heure. Une loi est nécessaire, indispensable, parce qu'on méconnaît, dans l'état actuel des choses, deux principes essentiellement constitutionnels : d'abord la liberté de l’enseignement, qui implique la liberté des études, et ensuite la liberté de conscience.

Quel prétexte peut-on invoquer pour justifier une pareille situation ? « L'intention des fondateurs ; il faut voir ce qu'ils ont exprimé dans les actes de fondation ; ils ont voulu de l'université catholique de Louvain.» Tel est le thème de nos adversaires. Voyons quelle est sa valeur.

L'ancienne université catholique a disparu ; on a bien voulu reconnaître enfin que les fondations ne peuvent plus y être appliquées ; mais, dit-on, il suffit qu'on ait désigné Louvain ; il suffît qu'un acte de fondation mentionne cette ville, pour que le boursier soit tenu d’aller étudier dans cette localité !

L'honorable M. de Theux, qui jusqu'à présent avait montré plus de réserve, a été jusqu'à soutenir hier cette singulière doctrine. L'honorable membre soutient que l'article 17 de la Constitution, proclamant la liberté de l'enseignement, a eu pour effet d'abroger l'obligation légale pour les boursiers de fondation, d'aller étudier dans les universités de l'Etat ; et il soutient en même temps que cet article 17, qui a pourtant la puissance d'effacer la loi, doit nécessairement s'incliner, se courber, au contraire, devant les actes de fondation ! Bien plus encore : l'article 17 de la Constitution sera une lettre morte, non pas parce que la volonté du testateur sera mieux respectée quant à l'institution, mi s parce que la ville de Louvain continue à exister !

A l'honorable M. de Theux, j'oppose l’honorable M. de Theux. Voici son opinion d'autrefois, l'opinion qu'il émettait lorsque nous n'étions pas en présence d'un projet de loi, lorsqu'il disait : « Laissez les choses dans l'état où elles se trouvent ; ce sont les principes qui seront appliqués. » Voici donc ce que disait l'honorable M. de Theux :

« Pendant que je dirigeais le département de l’intérieur, il s'éleva des difficultés entre l'administration des bourses de Louvain et la commune de Louvain qui, ayant emprunté les capitaux des fondations, avait négligé pendant quelque temps d'en servir les intérêts.

« L'administration communale, attraite devant les tribunaux, proposait par transaction de payer à l'avenir les intérêts, mais à la condition que les boursiers étudieraient exclusivement à l'université de Louvain. J'ai refusé de souscrire aux conditions que la ville de Louvain stipulait en faveur de son université. J'ai répondu qu'en vertu des principes posés dans la Constitution, et notamment de la liberté d'enseignement, les boursiers seraient libres d'étudier où ils jugeraient convenable. »

Et l'honorable M. de Theux, interpellant hier l'honorable M. Orts, a déclaré qu'il n'accepterait pas pour le passé la liberté qu'il proclame ici.

M. de Theux. - Je demande la parole pour un fait personnel.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je continue la citation :

« Preuve manifeste que je ne me laissais pas aveugler par des sentiment d'affection ; devant l'administration, pas plus qu'en matière judiciaire devant les tribunaux, les affections ne doivent trouver de place ; une seule règle doit guider, l'administrateur, le fonctionnaire de l'ordre judiciaire, la stricte et exacte exécution des lois et des contrats. Je n'en connais pas d'autre. »

L'honorable M. de Theux disait encore dans cette discussion : « A quel titre le ministre ferait-il cette répartition (de bourses) ? Qui lui a donné cette mission ? Sont-ce les collateurs de bourses ? En aucune manière. Que le ministre fasse exécuter la Constitution et les lois ; ... que les boursiers soient libres de fréquenter l'établissement qui leur convient le mieux ; que les fondations soient fidèlement administrées ; là se borne son droit de tutelle. On ne peut pas aller plus loin sans usurpation de pouvoir.

Nous ne faisons que défendre et consacrer par le projet de loi l'opinion de l'honorable M. de Theux. (Interruption de M. B. Dumortier.) Je ne comprends pas.

Mais les abus sont faciles à nier. On sait qu'un malheureux boursier qui se voit refuser une bourse à laquelle il croit avoir droit, n'a guère le moyen de se pourvoir devant les tribunaux pour faire décider la question litigieuse. Il est donc assez difficile de fournir des preuves d'abus. Cependant, j'en ai apporté dans la discussion de 1857 ; j'ai cité ce document important, cette lettre d'un administrateur de fondation, qui déclarait que, si l'administration persévérait dans sa jurisprudence, la bourse serait refusée même à un parent du fondateur qui voudrait aller étudier ailleurs qu'à Louvain. Un des membres de cette Chambre recevait encore et me remettait à cette époque, avec l’autorisation d’en faire usage, des lettres constatant cette même intention persévérante de la part de certains collateurs. Voici ce qu'écrivait un collateur à un parent d'un fondateur :

« Je suis désolé de devoir porter à vote connaissance, une décision qui peut-être vous contrariera beaucoup, sur laquelle j'ai longtemps et mûrement réfléchi, et que je n'ai prise qu'après avoir vu clairement que j’y suis obligé en conscience. Au fait : La collation sous-octroyée par moi ne doit sortir ses effets que pour autant que vous vous conformerez aux volontés du fondateur. Dans le cas contraire, je dois cesser mon ouvrage. Or, le texte du testament, sur lequel j'ai demandé des données qui m'ont été fournies, dit en clairs et intelligibles termes que les cours d'études supérieurs des bénéficiés doivent se faire, non pas à Bruxelles, mais à Louvain. Le testament vous donne carte blanche pour faire vos premières études où bon vous semble, mais il vous oblige à choisir Louvain pour les hautes sciences universitaires.

« Que dois-je faire en présence d'une injonction aussi expresse ? Vous conseiller amicalement de quitter Bruxelles d'ici à trois semaines ou un mois pour aller vous faire inscrire à Louvain. De cette manière, les quelques semaines d'études faites à Bruxelles passeront inaperçues ; et vous jouirez de la bourse tout comme ci-devant. Voilà le parti le plus sage. Si vous voulez absolument continuer à Bruxelles, malgré qu'il m'en coûte de vous déplaire, je vous déclare que J'annule ma collation. Ma conscience m'y oblige, monsieur, et quand il y va de ma conscience, je ne recule devant personne. Jugez vous-même : Si M. le chanoine Debatty, un ministre de Dieu ! vivait encore, voudrait-il vous favoriser d'un subside, quand vous vous enrôlez sous les drapeaux de l'université maçonnique ? Non ; mille fois non ! Eh bien, moi je tiens la place de ce fondateur ; c'est à moi qu’il appartient de conférer ou de retirer les bourses, conformément aux volontés écrites du respectable défunt. »

Que pense l'honorable M. Nothomb de cet acte, M. Nothomb l'apôtre de la tolérance !

Eh bien, messieurs, je vais vous dire ce qu'il en pense, malgré tocu les beaux principes qu'il a professés. L'intéressé s'est pourvu devant l'honorable M. Nothomb, il a réclamé contre cette exclusion, et l'honorable M. Nothomb (chose que vous ne soupçonniez pas assurément) devançant la thèse de l'honorable député de Louvain, cette thèse qui vous a fait sourire, l'honorable M. Nothomb a décidé que, le testament disant que les études devaient être faites à Louvain, il fallait que le jeune homme allât à Louvain.

Et ainsi, le boursier, parent du fondateur, s'est trouvé écarté.

Messieurs, je ne viens pas livrer aux gémonies le prêtre respectable dont j'ai lu la lettre tout à l'heure. Je comprends parfaitement que, prêtre, il ait tenu le langage que je vous ai fait entendre : dans sa position, avec ses convictions, il était impossible qu'il en fût autrement.

Mais ce que je vous demande, ce que nous vous demandons par le projet, c'est précisément d'affranchir les boursiers du joug qu'on fait peser sur eux ; car les boursiers ont, de votre propre aveu, le droit d'aller faire leurs études où ils veulent ; ils ne peuvent être contraints d'étudier dans un établissements déterminé ; à la faveur de la liberté de conscience et en vertu de la liberté d'enseignement telle que vous l'entendez, ils ont le droit de réclamer et d'invoquer la Constitution.

Que reste-t-il, messieurs, de ces motifs d'opposition si nombreux invoqués par nos adversaires ? Rien je pense, que les injures et les outrages qui leur sont familiers. Ils ont voulu flétrir la loi comme une loi immorale, une loi spoliatrice, une loi qui porte atteinte à la propriété.

Nous somme, habitués à ces déclamations, messieurs. Vingt fois, on les a fait entendre dans cette Chambre. Maintes lois ont été dénoncées au pays comme constituant des atteintes à la religion, à la propriété à la famille. Tous les droits étaient en péril, la société était menacée ! Revenus au pouvoir, vous êtes-vous empressés de rapporter ces lois contre lesquelles vous aviez formulé l'anathème ? Vous avez humblement accepté et exécuté ces lois ; et depuis ce jour, votre décadence a commencé ; depuis ce jour vous n'avez devant le pays qu'une position malheureuse et humiliante : on ne vous croit plus !

M. de Theux (pour un fait personnel-. - M. le ministre des finances m'a imputé un fait direct et personnel en disant que c’était à moi qu'était due la suppression de l'université de Louvain. (Interruption.)

(page 863) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai parlé de la. majorité.

M. de Theux. - C'était une imputation directe et personnelle. Eh hben, à cette assertion, je réponds par la vérité et la voici ;

L'honorable M. Rogier étant ministre de l'intérieur nomme une commission pour préparer un projet de loi d'enseignement supérieur, d'enseignement moyen et d'enseignement primaire.

Dans cette commission il ne se trouvait pas un seul membre de la province de Brabant pour défendre les intérêts de Louvain.

Elle était composée de professeurs de Gand et de Liège, de députés de Gand et de Liège et de moi, député du Limbourg.

Cette commission fit le projet de loi, abstraction de toute vue relative à l'université catholique, qui n'existait pas. Eh bien, cette commission reçut de la part du ministre de l'intérieur des félicitations sur le travail qu'elle avait préparé ; c'est lui qui présenta le projet de loi, ne conservant que les universités de Gand et de Liège.

Voilà les faits.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Incomplets.

M. de Theux. - Si M. Rogier conteste les faits que je viens d'énoncer, je me réserve de répondre, parce que ce que je dis est la vérité.

Ce n'était pas en vue de l'université catholique à établir à Louvain que la commission fit son travail plus tard ; cette université fut établie à Malines, il n'en était pas question en 1833, et si mon opinion eût été suivie, l'université catholique eût été placée à Bruxelles, ce n'eût été ni à Malines ni à Louvain. Voilà quel était mon avis ; pour le plus grand avantage de l'université et de mon opinion, c'est à Bruxelles que j'aurais voulu en voir l'établissement. Voilà les faits dans toute leur exactitude. (Interruption.)

J'ai fait, plus tard, approuver la délibération du conseil communal de Louvain qui désirait avoir l'université catholique qu'on venait d'établir à Malines. La ville avait offert la jouissance des bâtiments et des collections. Il existait des difficultés sérieuses quant à la propriété des bâtiments et des collections. Quoi qu'il en soit, j'ai considéré comme un acte de justice de proposer au Roi de donner sa sanction à l'accord fait entre la régence de Louvain et l’épiscopat.

Il eût été indigne du gouvernement de refuser sa sanction à un pareil accord. Est-ce exclusivement à l'université de Louvain que j'ai montré de la bienveillance ? Quand une université libre a été fondée à Bruxelles, elle a reçu les mêmes avantages, elle a reçu des subsides de la part de la ville, le gouvernement n'y a apporté aucun empêchement. Bien plus j'ai ouvert la négociation qui a accordé à la capitale une rente de 300,000 fr. qui la mettait à l'aise pour faire des dépenses pour l'université libre et le développement de la prospérité de la ville.

Voilà la vérité, voilà la preuve de l'impartialité de mon administration.

Les nominations faites en vertu de la loi de 1835 ont été injustes. Eh bien, j'ai reçu plusieurs fois de plusieurs membres de l'université libre des remerciements sur les choix que j'ai présentés à la signature du Roi. Voici ce qui s'est passé.

J'aurais préféré, pour la composition du jury, qu'il y eût accord ; la Chambre a préféré assurer la part de la liberté d'enseignement, en prenant ses choix, en partie dans l'université de Louvain et aussi en dehors du corps professoral ; moi j'ai assuré la part à l'université libre de Bruxelles. Dans cette conduite il n'y a rien de répréhensible.

Mais l'administration et la collation des bourses ont été en grande partie concentrées à Louvain ! Est-ce moi qui l'ai fait ? Je n'ai aucun souvenir d'un acte de ma part relatif à ces bourses. Ce sont les actes du gouvernement des Pays-Bas en vertu des arrêtés de 1818 et 1823.

Ce n'est que lorsque, en 1857, la Chambre a établi l'accessibilité légale de tous les étudiants aux 60 bourses inscrites au budget de l'Etat, qu'on a songé aux bourses de Louvain ; M. Frère n'a pas fait partie de la Chambre avant cette époque ; moi qui en faisais partie, je sais que la question a été souvent soulevée, la loi actuelle n'a rien de commun avec la loi de 1857.

M. le ministre des finances qui vient, au nom de la liberté de conscience, s'élever contre l'attribution de quelques bourses faite conformément aux actes de fondation, ne vient-ils pas se contredire quand il nous fait un grief d'avoir soutenu la liberté quant aux 60 bourses à charge du budget de l'Etat.

Est-ce que la liberté de conscience est moins engagée quand il s'agit d'une grosse bourse de 400 fr. pour étudier dans les universités de l'Etat, que quand il s'agit de bourses minimes pour l'université de Louvain.

Pour moi je suis incapable de le comprendre. Mais je comprends que quand il s'agit de bourses à charge du budget de l'Etat formé d'impôts perçus surtout le monde, donner un privilège aux universités de l'Etat au détriment de ceux qui en sont moins partisans que de l'enseignement libre, c'est une atteinte à la Constitution ; voilà le sens vrai donné par les jurisconsultes.

Maintenant on dit que j'avais refusé à la ville de Louvain de réserver pour les élèves de son université les 30 mille francs pour lesquels une action était intentée en justice (ses fonds étaient affectés à des fondations de bourses).

Je n'avais reconnu dans aucun acte quelconque que ces bourses dussent être affectées exclusivement à l'université de Louvain. N'est-ce pas là de l'impartialité ?

Plus tard quand le procès a été porté devant la cour d'appel, il y a eu une transaction, et ce n'est pas moi qui l'ai soumise au Roi, c'est M. Faider dont chacun connaît les opinions libérales modérées et qui n'a jamais appartenu à la droite de la Chambre. Tous ces reproches tombent d'eux-mêmes. La vérité et la promptitude de ma réponse prouvent la réserve que j'ai apportée dans tous les actes de mon administration.

Mais de ce que j'ai refusé en 1857 cette clause de transaction qui aurait assuré une somme de 30,000 fr. exclusivement à Louvain, s'ensuit-il que j'aie déclaré que dans aucun cas, dans aucune circonstance, nonobstant les clause les plus expresses des actes de fondation, on pourrait passer outre et accorder à l'étudiant une pleine liberté ?

Cette question n'a pas été agitée alors, mais elle a été résolue par le comité des fondations composé, comme je l'ai dit hier, des jurisconsultes les plus distingués ; elle a été résolue antérieurement par l'honorable M. Rogier dans sa circulaire de 1833, où il réservait expressément la clause des actes de fondation.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - M. Rogier disait le contraire.

M. de Theux. - Lisez la circulaire, elle est formelle. Je ne répondrai pas au discours de l'honorable ministre des finances ; je n'ai pris la parole que pour un fait personnel, mais je dois déclarer que je n'aurais éprouvé aucun embarras à répondre immédiatement.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je demande pardon à la Chambre de prendre la parole pour un fait plus ou moins personnel, au milieu de cette grande discussion d'un intérêt si général ; cependant je ne puis pas rester sous l'accusation de l'honorable M. de Theux. 1Il vient de dire que si l'université de Louvain a été supprimée, comme université de l'Etat, c'est par le fait de son prédécesseur M. Rogier qui, en 1833, avait accepté les conclusions d’une commission spéciale chargée par lui d'un projet d'organisation de l'enseignement public à tous les degrés.

J'ai fait observer à l'honorable M. de Theux que sa mémoire le trompait, que sa citation était incomplète.

Et en effet, messieurs, dans le rapport au Roi où je rendais compte des travaux de cette commission, dans l'exposé des motifs du projet de loi déposé à la Chambre, je faisais, au nom du gouvernement, une réserve expresse quant au nombre des universités.

Je disais que la commission proposait l'établissement de deux universités aux frais de l'Etat, que le gouvernement ne se prononçait pas sur ce système, qu'il se réservait de décider si une seule université aux frais de l'Etat ne conviendrait pas mieux que deux.

L’honorable M. de Theux voudra bien reconnaître la parfaite exactitude de ce que j'avance.

M. de Theux. - C'est exact.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - C'est au mois d'août 1834 que le projet de loi a été déposé. La discussion a eu lieu l'année suivante.

J'avais cessé alors d'être ministre de l'intérieur. Qu'ai-je fait, comme représentant ?

Donnant suite à la réserve introduite dans l'exposé des motifs, j'ai proposé à la Chambre l'établissement d'une seule université aux frais de l'Etat au sein de la ville de Louvain et j'apportais, à l'appui de cette opinion, des considérations que je crois toujours très puissantes. Le regret que j’ai éprouvé alors de voir sa proposition succomber devant l'opposition du gouvernement, ce regret je l'ai toujours conservé.

Je crois que ma proposition consacrait pour l'avenir de l'enseignement supérieur, et sous tous les rapports, un meilleur système que celui des deux universités qui a prévalu.

Je donnais aux villes de Gand et de Liège des compensations suffisantes.

Je laissais à la liberté la part la plus grande. Une université libre (page 864) venait de naître à Bruxelles. Une autre université sous la direction du clergé s'était établie à Malines. Il y avait donc place pour tout le monde.

Il y avait deux universités libres ; il y avait une grande et unique université de l'Etat au centre du pays, dans une localité où les populations flamandes et wallonnes seraient venues se rencontrer, fraterniser et s'unir dans des sentiments communs.

Voilà quel était le plan. Je regrette qu'il ait succombé. Et pourquoi a-t-il succombé ?

Précisément parce qu'il n'a pas rencontré l'adhésion du ministère d'alors, dont l'honorable M. de Theux était le chef, parce qu'il a été combattu par l'honorable M. de Theux.

Ainsi donc, si l’honorable M. de Theux soutient qu'il n'est pas vrai de dire qu'il a tué l'université de l'Etat à Louvain, entre les mains de l'Etat, il sera tout au moins exact de soutenir que l'honorable M. de Theux ne lui a pas permis de continuer à vivre.

Voilà, messieurs comment les choses se sont passées. Je tenais à rectifier, sous ce rapport, l'assertion de l'ancien ministre de l'intérieur.

M. Rodenbach. - Le plan était bon. Une seule université à Bruxelles eût mieux valu. A Gand et à Liège c'était un intérêt de clocher.

M. de Theux. - Messieurs, j'accepte sans aucune difficulté les explications que vient de donner M. le ministre des affaires étrangères. Mais il n'en est pas moins vrai que c'est lui qui a déposé sur le bureau de la Chambre le projet de loi arrêté par la commission nommée en 1833 ; il n'en est pas moins vrai que, d'après la composition de cette commission formée de députés de la province de Liège et des Flandres, le choix ne pouvait être douteux et que les universités de Liège et de Gand seraient conservées.

Voilà la seule observation que je voulais faire.

M. B. Dumortier. - Enfin, messieurs, les masques sont tombés.

Nous voici arrivés aux actes définitifs de cette politique à outrance, de cette politique qui prétend impatroniser en Belgique les principes de l'étranger et les substituer aux grands principes de 1830, de cette politique qui veut composer la Belgique de vainqueurs et de vaincus.

Les uns, hauts barons du pouvoir, de ce pouvoir qu'on appelle l'Etat, disposant de toutes les faveurs et les distribuant au gré de ses affections, les autres, espèce de serfs du moyen âge, n'étant bons qu'à payer les impôts, à être écartés de toutes les fonctions, de tous les bénéfices.

Nous voici, messieurs, arrivés aux actes définitifs de cette politique à outrance des gouvernements de parti, de ces gouvernements qui n'ont pour tendance et pour but que de faire à leurs adversaires tout le mal qu'ils peuvent, afin de se fortifier, de se cramponner à leur portefeuille, afin de conserver le pouvoir. (Interruption.)

Ah ! messieurs, j'entends vos rires, mais vos rires ne m'imposeront pas silence, croyez-le bien. J'ai pour moi la défense de la vérité, la défense de la justice, la défense de tous les intérêts sociaux, et dussiez-vous chercher à couvrir ma voix, vos ricanements ne m'empêcheront pas de prendre la défense des grands intérêts dont j'ai à parler aujourd'hui.

.Messieurs, quelle est la base de notre Constitution, de cette Constitution dont on parle toujours, et qui, dans les actes que porte le ministère, diffère tant aujourd'hui de celle de 1830 ?

La base de la Constitution est une ; elle se résume en un seul mot ; le respect des droits de tous, le respect des droits des citoyens, le respect des droits de la minorité surtout, voilà la base essentielle de la Constitution. Tout chez elle repose sur cette pensée : le respect des droits des autres.

Quel est votre principe à vous ? Le mépris des droits de la minorité ; l'accaparement de tous les droits pour la majorité.

Etes vous encore, dites-le-moi, dans les principes de 1830, quand vous proposez des lois semblables à celle que nous discutons aujourd'hui ? Et je vous le demande à vous-mêmes, ne sont-ce pas là de ces lois de politique à outrance, de ces lois de politique de persécution que jamais les Belges de 1830 n'avaient pensé voir présenter dans cette enceinte ? Ah ! si les murs de cette enceinte, si cette voûte pouvait retentir des échos des généreuses paroles des hommes qui siégeaient alors ici, ils viendraient confondre vos doctrines, et vous rappeler aux vrais principes qui ont servi à fonder la nation.

Messieurs, en examinant le projet de loi, je suis frappé d'une chose : c’est que ce projet a été rejeté dans les sections par 38 voix contre 28, c'est-à-dire à une majorité de 10 voix, et que la mesure relative à la rétroactivité, dans les quatre sections dont le rapport donne le dépouillement, a été rejetée par 29 voix contre 16, c'est-à-dire à une majorité de voix.

Eh bien, nous verrons le résultat du vote ; il nous prouvera si l’on est resté conséquent avec ses principes ; si l'on est encore aujourd'hui ce que l'on était quand on a examiné la loi dans les sections.

Dans l'examen du projet de loi qui nous occupe, deux questions me paraissent dominantes. En droit, peut-on justifier la loi ? Et si l'on peut la justifier en droit, cette loi, même justifiée, n'est-elle pas un acte malhonnête ?

Que demandons-nous, messieurs ? Quelles sont toutes nos prétentions ? Nous ne demandons qu'une seule et unique chose : le maintien des disposions existantes au sujet des bourses d'études, le maintien des dispositions qui régissent la Belgique depuis quarante ans et contre lequel, je le répéterai et répéterai toujours, on n'a argué aucune espèce de preuve d'abus. Nous demandons le maintien de ces institutions contre lesquelles vous n'avez aucun grief à objecter, contre lesquelles vous n'avez rien à dire, contre lesquelles vous ne pouvez signaler aucun abus.

Que demandez-vous, au contraire ? Ce que vous demandez par le projet, c'est de nous ravir, c'est de ravir aux collateurs les bourses dont ils sont aujourd'hui chargés. C'est, en un mot, une loi de spoliation, une loi par laquelle vous voulez spolier les fondations, les biens, les bénéfices qui leur sont affectés, au profit d'idées opposées à celles des fondateurs.

Je résume, messieurs, la loi en deux dispositions et ces dispositions sont très simples. La loi tout entière peut se résumer en deux articles. Par le premier, le gouvernement serait autorisé à refaire les testaments. Par le second, les fondations seraient confisquées. Avec ces deux dispositions vous avez la loi tout entière ; car toute la loi est là ; le droit de refaire les testaments en matière de fondations de bourses et la confiscation de toutes les fondations existantes. Voilà tout ce qui vous est présenté.

Eh bien, je me demande : Avez-vous le droit de refaire les testaments ? Je dis que c'est là un droit qui n'a jamais existé dans aucun pays ; jamais pareilles lois n'ont existé dans aucun pays et ne peuvent pas exister dans un pays civilisé. Et ce même principe s’applique aux fondations existantes.

L'honorable M. Frère est venu nous lire tout à l'heure une longue série de lois passées en Angleterre et il a conclu de ces lois qu'il croit avoir justifié la loi qui vous est présentée.

Je dis que ces lois ne ressemblent en rien à la loi présentée par le gouvernement, et je vais le prouver.

D'abord qu'est-ce que l'honorable membre a avoué lui-même ? C'est qu'en Angleterre, des abus nombreux, des abus incroyables (ce sont ses expressions) s'étaient glissés dans l'administration des fondations de l'université d'Oxford et qu'il a bien fallu que l'Etat intervînt pour faire cesser ces abus.

En second lieu, ce qui résulte des pièces qu'on vous a lues, c'est que toujours le parlement anglais, dans les actes qu'il a passés, a respecté les intentions des fondateurs, a respecté le but de la fondation (Interruption.)

Oui, il a respecté les intentions des fondateurs et le but de la fondation en se bornant à prendre des mesures pour faire cesser les abus reconnus. Jamais il n'a attribué à une autre université les fondations de l'université d'Oxford. Aussi quand l'honorable M. Nothomb vous disait que pareille loi ne pourrait être présentée en Angleterre sans soulever l'indignation du peuple anglais tout entier, il était tout à fait dans la vérité et les actes dont l'honorable M. Frère vient de vous parler le prouvent à l’évidence. Partout, dans tous ces actes, vous voyez le même sentiment qui a dicté les actes du roi Guillaume en 1823 : c'est le désir de consacrer la volonté des fondateurs tout en faisant cesser les abus reconnus. Si, par hasard, des mesures sont nécessaires pour arriver à ce résultat, le gouvernement n'hésite pas à les prendre, parce que au-dessus des administrateurs, au-dessus des collateurs, il met avant tout la volonté des fondateurs. Et jamais vous ne voyez l'Angleterre porter la main sur les fondations où des abus n'existent pas.

Messieurs, en est-il de même du projet qu'on nous présente ? En aucune manière : au contraire, tout est foulé aux pieds, tout est remis à des administrations générales, tout est généralisé ; tout est enlevé aux administrateurs, aux collateurs actuels. Ce n'est pas ici telle ou telle fondation dans laquelle il existe des abus contre lesquels on prend des mesures, auxquels on veut porter remède. Ce sont toutes les fondations de la Belgique, celles sur lesquelles vous n'avez pas l'ombre d'un reproche à articuler, ce sont les 781 fondations de la Belgique que vous englobez dans votre arrêt, que vous voulez confisquer au profit du pouvoir, que vous voulez détourner de leur destination !

Et vous viendrez nous parler des dispositions anglaises ? Mais les dispositions dont vous nous avez donné lecture sont précisément l'antithèse de votre loi. Elles montrent à l'évidence de quel respect profond en Angleterre on entoure les*fondations. Elles montrent ce que font le (page 865) peuple et le parlement anglais quand des abus, de graves abus se sont introduite dans les fondations. Alors on y porte remède. Mais y porte-t-on remède en transférant les fondations d'une université à une autre, en violant la volonté des fondateurs ? Non, c'est en suivant la volonté des fondateurs, c'est en conservant les fondations où elles ont été établies qu'on porte remède aux abus. On ne touche pas là où il n'y a pas d'abus, on ne donne pas à Cambridge ou à Dublin ce qui appartient à Oxford, on ne réunit pas toutes les fondations dans la main du pouvoir. Et voilà la différence, la différence fondamentale entre votre projet et les dispositions que vous invoquez à l'appui de votre thèse !

Et encore comment a procédé le parlement anglais ?

M. le ministre des finances vous l'a dit, il a commencé par faire une enquête, une enquête qui a duré plusieurs années, pour constater les abus nombreux, les abus immenses qui existaient au sujet des fondations de l'université d'Oxford.

Et vous, je vous le demande, où est votre enquête, où sont les abus qui justifient votre loi ? Vous n'avez pas fait d'enquête, vous nous avez refusé d'en faire une. L'enquête, nous l'avions demandée, vous ne l'avez pas voulue.

Nous vous avons demandé de mettre en évidence les abus. Nous savions bien que vous seriez venus les proclamer ici, alors même qu'ils n'existaient pas. Cette enquête, vous nous l'avez refusée, et en la refusant, vous avez constaté votre impuissance à faire croire aux abus dont vous pat lez.

Et cela est tellement vrai, qu'en 1857, c'était l'honorable M. Frère lui-même qui demandait l'enquête. Eh bien, ce qu'il demandait en 1857, nous l'avons demandé et on nous l'a refusé, et le ministère s'est levé pour s'opposer à ce que cette enquête fût faite.

Ainsi, vous voulez frapper toutes les bourses de la Belgique. Vous voulez confisquer les 781 fondations qui existent ; vous voulez les confisquer à votre profit, comme je le prouverai tout à l'heure ; et vous faites cela sans avoir posé la première base, l'enquête, sans laquelle il n'y a pas de droit pour vous, sans laquelle il n'y a pas de justice, sans laquelle l'acte que vous voulez poser ne sera, vis-à-vis des populations, qu'un acte malhonnête. Vous refusez l'enquête qui devait démontrer qu'il y avait des abus, qu'il y avait des faits qui nécessitaient l'intervention de la législature.

Rien donc ne justifie votre loi, rien ne justifie cette inique mesure de réunir dans votre captation toutes les fondations, parce que vous avez refusé le premier élément de constatation des abus, l'enquête qui devait les montrer, et votre refus d'enquête, en prouvant que ces abus prétendus n'existent pas montre que votre loi est une loi de mauvaise passion politique et de spoliation.

On a été plus loin. Nous avons demandé la communication des pièces, la communication des actes de fondation, et encore toujours cette communication nous a été refusée. On n'a point voulu que nous, défenseurs de ces fondations sacrées, nous pussions venir puiser dans ces actes des arguments pour les défendre.

On a refusé les documents sur lesquels la discussion devait s'établir, et c'est après de tels actes, c'est en présence de pareils faits que des hommes qui se disent partisans du libre examen, partisans des lumières, veulent nous faire voter leur projet de loi !

Mars l'honorable rapporteur, dans les discours qu'il a prononcés et dans son rapport, a établi une prémisse qui est aussi celle du gouvernement et que je ne puis assez combattre : « Les fondations, dit-il, constituent un droit politique. » C'est en vertu de ce principe que le gouvernement se croit en droit de mettre la main sur les bourses d'étude ; le droit politique, voilà l'origine de son droit.

Eh bien, messieurs, c'est là une erreur que je ne conçois pas de la part d'un homme qui a fait son droit. Je n'ai pas l'honneur d'être avocat, mais il y a quelque chose qui est au-dessus des subtilités des légistes, c'est le sens commun que toutes les arguties des avocats ne parviendront jamais à faire fléchir.

Comment ! les fondations sont un droit politique ! Mais qu'est-ce donc qu'un droit politique ?. Mais vous avez confondu une loi de parti avec une loi politique. Que votre loi soit une loi de parti, personne ne le conteste ; mais par une étrange aberration qu'un jurisconsulte n'aurait pas dû se permettre, d'une loi de parti vous avez fait une loi politique.

Mais si votre loi est une loi politique, il faut nécessairement qu’elle entendre des droits politiques, qu'elle soit en rapport avec les droits politiques. Mais quels sont les droits politiques ? Les droits politiques, dit l'honorable M. Bara, sont ceux qui règlent les rapports des citoyens avec l'Etat, et il ajoute que ces lois peuvent rétroagir. Les droits politiques sont, dites-vous, ceux qui règlent les rapports des citoyens avec l'Etat !

Mais alors, messieurs, une entreprise de chemin de fer, une simple fourniture de billes serait antipolitique puisqu’il y a là des rapports entre un ou plusieurs citoyens et l'Etat. Mais tout le monde est en rapport avec l'Etat. Celui qui demande une place est en rapport avec l'Etat ; il poserait donc un acte politique ! Et ce sont là des définitions de jurisconsultes, allons donc !

J'invoquerai, moi, pour la définition des lois politiques deux autorités qui valent certes bien celles qui ont été invoqués par les défenseurs du projet.

L'honorable procureur général à la cour de cassation, dont chacun connaît les lumières et la haute capacité en matière de droit, définit les droits politiques de la manière suivante :

« Ce sont, dit-il, des droits des personnes à l'effet d'élire, de nommer, d'appeler, d'être élu, nommé, appelé aux charges de la puissance publique, de conférer et d'exercer le pouvoir attaché à ces charges. »

Voilà, aux yeux de l’honorable procureur général à la cour de cassation, ce que sont les droits politiques.

Et l'honorable M. Jouret disait :

« Par droits politiques on entend la faculté qu'ont certains hommes de concourir à la formation et à l'exercice du pouvoir. »

Est-ce que, par hasard, ceux qui fondent des bourses, ceux qui en sont collateurs, ceux qui en jouissent, contribuent à l'exercice du pouvoir ? Où est donc votre droit politique ? Tout cela n'existe que dans votre imagination et dans le besoin que vous avez de trouver une définition d'où puisse découler un droit de confisquer les bourses d’étude, un droit qui pourra justifier une thèse injustifiable.

Les droits politiques, savez-vous ce que c'est ? Les droits politiques sont ceux qui sont garantis par la loi politique, c'est-à-dire par la Constitution ; ce sont, par exemple, les droits des électeurs, les droits des élus, les droits inscrits au titre : « Des Belges et de leurs droits. »

Voilà les droits politiques. Ne venez donc pas dire que votre loi est une loi politique. C'est une loi de parti, c'est une loi de violence, c'est une loi de spoliation.

Mais, messieurs, une deuxième question se présente, c'est celle de la liberté communale. J'ai été plusieurs fois mis en jeu à l'occasion de cette question, d'autant plus que j'ai eu l'honneur d'être rapporteur de la loi communale, lors des grandes discussions qui ont eu lieu, il y a 25 ans et que dès lors mon opinion paraissait probablement avoir quelque poids dans cette question. Eh bien, messieurs, que vient-on vous dire à cet égard ?

Trois systèmes sont en présence. Pour l'honorable M. Bara, la commune n'est qu'une simple délégation de l’Etat.

M. Bara. - Je n'ai pas dit cela.

M. B. Dumortier. - Vous dites dans votre rapport : « Elle n'agit qu'en vertu d'une simple délégation de l'Etat.3

M. Bara. - Quand il s'agit de l'intérêt général. Votre citation n'est pas complète.

M. B. Dumortier. - La commune ne serait qu'une simple délégation de l'Etat. Mais ouvrez donc la Constitution, au titre « Des pouvoirs », et vous verrez ce qu'est la commune. La commune n'est point du tout une délégation de l'Etat, la commune est, au contraire un des pouvoirs de l'Etat et ce pouvoir, antérieur à la Constitution elle-même, antérieur à toutes nos institutions de liberté, existe par lui-même comme il existe en vertu de la Constitution.

La Constitution dit :

« Les intérêts exclusivement communaux ou provinciaux sont réglés par les conseils communaux et provinciaux d'après les principes établis par la Constitution. »

L'honorable M. Bara conclut de là que la commune ne peut s'occuper que d'intérêts exclusivement communaux. C'est là une singulière manière d'argumenter : parce que la Constitution réserve formellement aux conseils communaux le règlement des intérêts de la commune, on en tire la conséquence que ces conseils ne peuvent rien faire en dehors des intérêts exclusivement communaux. Mais c'est évidemment faire dire à la Constitution tout autre chose que ce qu'elle dit.

La commune, messieurs, est antérieure à toutes choses dans un pays. La commune c'est le foyer où se réunissent tous les intérêts privés, et ces intérêts ne sont pas seulement des intérêts locaux ; dans une foule de choses, ils constituent des intérêts généraux. Sans commune, que deviendrait la Belgique ? Comment ont commencé les libertés en Belgique ? Elles ont commencé par la commune. Vous aurez beau dire et beau faire, vous ne parviendrez jamais à effacer ce grand besoin de la Belgique, le besoin des libertés communales,

La commune est libre, elle a la liberté, en se conformant, bien entendu, (page 866) à la Constitution. Et ici je ferai une réserve quant à l'article 17 de la Constitution, car l'article 17 est une exception au principe général. Hors de là, la commune joint de la liberté dont jouissent les particuliers ; comme l’a dit l’honorable M. Van Humbeeck, la liberté communale est une liberté essentiellement sacre pour la Belgique : il n'est pas permis d'y toucher, d'y porter une main téméraire.

La liberté communale, c'est 1l liberté qu'ont tous les citoyens, c'est-à-dire le droit de faire ce qui ne nuit pas aux droits des tiers ; et c'est pour empêcher que les communes ne pussent nuire aux droits d'autrui que, dans la loi communale, nous avons admis en toutes choses le recours à l'autorité supérieure ; nous avons voulu empêcher que les communes, chargées de gérer les intérêts communaux et de protéger leurs administrés, ne pussent de protecteurs devenir des persécuteurs.

Le recours à l'autorité supérieure est donc une garantie de la liberté de tous, c'est à-dire de la liberté de faire tout ce qui ne nuit pas aux droits d'autrui.

Ainsi, la commune jouit de la liberté dont jouissent les particuliers ; et je ne puis comprendre comment vous pourriez refuser à la commune de Bruxelles le droit d'accepter une fondation de bourses ; je ne puis comprendre comment vous pourriez refuser à une commune quelconque le droit d'accepter une fondation de bourses même pour l'enseignement supérieur. Une pareille prétention me paraît contraire à tous les principes constitutionnels et à tous les principes de la loi communale ; elle ne peut, dans aucun cas, être considérée comme libérale ; elle peut aller à des libéraux, mais n'est pas libérale.

A côté de la liberté communale telle que je viens de la définir et comme on l'a définie dans le rapport de la section centrale de la loi communale, se trouve la liberté des individus, telle des particuliers qui, en Belgique, ne doit pas être différente de la liberté de la commune.

Aux individus la liberté d'user et d'abuser de leurs biens, d'user de leurs droits, de toutes les manières ; et ici encore il n'existe pas de pouvoir qui puisse se permettre de porter atteinte à cette liberté des particuliers.

Un citoyen crée une fondation de bourses d'études ; vous ne pouvez pas empêcher ce citoyen de consacrer sa fortune à une pareille destination. Je sais bien que le gouvernement intervient ; mais il ne peut intervenir que pour refuser ou pour accepter ; mais il n'a pas le droit de refaire le testament, de modifier les conditions sans lesquelles le bienfaiteur n'aurait pas fait sa donation. Le gouvernement accepte la donation tout entière ou refuse de la sanctionner.

Mais refaire un testament, c'est un acte véritablement odieux, qui a été condamné par les tribunaux, qui a été condamné notamment par l'arrêt De Raere, comme il mérite de l'être.

Or, que fait la loi ? Les cinq premiers articles se résument en une seule chose : le droit attribué au gouvernement de refaire les testaments, d'enlever d'une donation la stipulation qui ne lui convient pas, en la remplaçant par une stipulation qui lui convient.

Je dis qu'un tel droit ne peut exister ; qu'il est contraire à tous les principes, qu'on ne le trouve nulle part chez les peuples civilisés ; je dis qu'on ne le voit appliqué que dans des moments de grande révolution sociale, comme on l'a vu en France à la fin du siècle dernier, durant l'affreuse tourmente révolutionnaire où la nationalisation des biens était la compagne de la guillotine.

Acceptez ou refusez, les donations des bienfaiteurs, mais n'en ôtez pas ce qui ne convient point ; je le répète : vous n'avez pas le droit de modifier le testament, de porter atteinte aux intentions du fondateur. Pensez-vous que quand l'honorable M. Verhaegen a fait sa fondation en faveur de l'université de Bruxelles ; pensez-vous qu'il ait entendu faire profiter de cette donation l'université catholique de Louvain ? Mais sa conscience se serait révoltée contre une pareille éventualité.

Pensez-vous qu'un curé, une chanoine, fondant une donation en faveur d'un enseignement catholique, ait pu avoir l'idée que son bienfait pourrait être appliqué à un établissement athée ? Encore une fois, la conscience du donateur se serait révoltée contre une semblable destination éventuelle.

Messieurs, laissez à chacun sa liberté ; laissez-la au libre penseur, comme au catholique, ni refaites par les testaments, afin de vous emparer du bien l'autrui !

Mais j'entends la réponse qui a été faite à ceux qui réclament la liberté de donner à l'université de Bruxelles ; j'avoue que la naïveté de cette réponse m'a singulièrement frappé. Vous voulez, dit M. Bara, la liberté de donner à l'université de Bruxelles ; mais vous ne l'aurez pas, parce que les catholiques useraient de cette liberté. Voilà tout le système.

Voyez où va le doctrinarisme : on refuse la liberté à ses propres amis dans la crainte que des adversaires ne puissent profiter de la liberté. Et vous appelez cela du libéralisme !

Notre système, à nous, est bien plus large ; nous n'admettons pas les restrictions misérables qui affaiblissent la pensée publique, qui avilissent l'homme dans ce qu'il a de plus sacré. Nous disons, nous : La liberté à tout le monde ; laissez-la aux philosophes, aux libres penseurs comme aux catholiques, et le pays se réjouira de la loi que vous aurez faite.

Que conclure de tout cela ? C'est que nous avons confiance dans l'action de la liberté, et que vous n'y avez pas confiance ; car si vous aviez confiance dans l'action de la liberté, si vous croyiez à la liberté, vous ne la refuseriez pas à vos propres amis.

Vous avez foi dans une seule chose, dans un pouvoir fort, dans la centralisation, dans le Dieu-Etat, et par là vous faites l'aveu de l'impuissance de vos doctrines. Nous, nous voulons la liberté, non-seulement pour nous, mais pour vous ; nous la voulons, alors même qu'elle peut devenir entre vos mains une arme pour nous persécuter, parce que nous avons foi en elle ; vous, au contraire, vous la refusez à vos propres amis de crainte que nous puissions en user. Que le pays juge entre ces deux systèmes !

Messieurs, quels abus a-t-on pu signaler pour justifier la présentation d'une loi si incroyable, qui n'a pas d'analogue dans les temps modernes, devant laquelle l'étranger a reculé, dont on ne peut faire la justification qu'en remontant aux époques les plus néfastes de la révolution française ; quels abus, dis-je, a-t-on pu signaler ?

Dans un travail admirablement soigné, notre honorable ami M. Nothomb vous a analysé les rapports des députations permanentes sur les bourses d'étude depuis un grand nombre d'années ; il vous a montré que toutes ces députations, chargées par la loi de surveiller la gestion des fondations de bourses d'études, n'ont eu que des éloges à leur donner aux administrateurs de ces fondations ; il vous a montré que si quelquefois un abus pouvait être signalé, l'intervention de la députation permanente suffisait pour le réprimer, pour ramener la fondation dans l'ordre dont elle n'aurait pas dû sortir.

Ainsi, messieurs, satisfaction complète, éloges de la part des députations permanentes, déclaration que lorsqu'il y a eu des abus, elle est parvenue à les réprimer.

Où est donc, après cela, la justification de votre loi ? L'enquête que vous nous avez refusée, cette enquête a été faite par mon honorable ami, M. Nothomb, qui nous a prouvé, pièces en mains, que les députations permanentes sont toutes venues affirmer la bonté des institutions qui régissent les bourses d'études. Qu'avez-vous à opposer à de pareils faits ? Rien, absolument rien ; vous garderez le silence sur ce point qui est la base d'une loi juste, sur les abus qui la nécessitent parce qu'il est démontré que les institutions que vous voulez renverser sont bonnes, excellentes, parfaites et qu'aucun reproche ne peut leur être fait.

Mais, je me trompe, on est parvenu à trouver dans les 781 fondations existantes les éléments d'un seul grief. Eh bien, examinons ce grief.

Je tiens à la main l'état des fondations des bourses publié par le gouvernement, et qu'est-ce que j'y trouve ? J'y lis, à la page 57, à propos de la fondation Laurent :

« Les institués sont les primiciers du chapitre de Tournai, et de préférence ceux qui, ayant cette qualité, seront parents du fondateur. »

Voilà, messieurs, sur quels faits repose l'unique grief qu'on est parvenu à articuler, le seul abus qu'ait pu signaler l'honorable rapporteur. Il s'agit d'une fondation faite en faveur des primiciers de la cathédrale de Tournai et dont les collateurs sont les trois plus anciens chanoines du chapitre de Tournai. Or, les primiciers n'existent plus, cette institution a disparu à la chute de nos anciennes cathédrales.

Maintenant, qu'ont fait les collateurs ? Ils ont examiné l'acte de fondation et ils ont cru que le chanoine Laurent étant né à Frasne-lez-Bussenal, il était juste de donner la bourse aux enfants nés dans cette commune.

II ont cru que c'était le moyen de répondre le plus sûrement aux intentions des fondateurs.

Il y a deux choses à remarquer sur cette affaire. La première, c’est que la résolution des collateurs n'est pas en opposition avec l'acte de fondation, et que, par conséquent, le détournement dont a parlé l'honorable M. Bara n'a jamais existé que dans son imagination exaltée. La seconde, c'est qu’une demande a été adressée à l'autorité supérieure, en argumentant des intentions présumées du fondateur.

Maintenant a-t-on ou non respecté les intentions du fondateur ?

(page 867) C'est ce que la députation permanente avait à examiner. Eh bien, la députation permanente, après avoir reçu les avis des autorités, a déclaré que les collateurs n'avaient pas bien apprécié les intentions du chanoine Laurent et a décidé que la fondation appartenait aux habitants de Tournai.

Qu'en est-il résulté, messieurs ? C'est que l'avis des collateurs a été mis à néant et qu'ils se sont conformés à la décision de la députation permanente. Est-ce là, comme on l'a dit, de la spoliation ? Est-ce là un détournement ? Non, messieurs, ce n'est ni de la spoliation, ni di détournement, c'est de la soumission à la décision de l'autorité ; et j'y trouve une preuve nouvelle de l'excellence de la loi qui nous régit.

L'exemple que vous avez cité prouve que la loi est suffisante et qu'il n'y a pas nécessité de la modifier, attendu que le prétendu détournement invoqué par vous pour justifier une mesure cent mille fois injustifiable n'a jamais existé ; que vos cris de détournement, de spoliation sont contraires à la vérité.

Voilà, messieurs, avec quel genre de prétexte on vient accuser des hommes honorables, avec quel prétexte on vient présenter au parlement et au pays une loi qui n'est rien autre chose que la spoliation des fondations actuelles, une loi dont on chercherait vainement l'analogue dans un autre pays, car partout, en Angleterre surtout on a toujours respecté la volonté des fondateurs et cherché à s'en rapprocher le plus possible quand il n'y avait pas moyen d'y donner suite dans les termes où elle avait été exprimée et l'on n'a touché qu'aux fondations où existaient des abus reconnus.

C'est aussi ce qu'a fait le roi Guillaume. Qu'est-ce en effet que l'arrêté de 1823 ? Mais c'est précisément une mesure semblable à celle que l'on a prise en Angleterre à l'égard de l'université d'Oxford.

Par suite de la révolution, des abus pouvaient et devaient s'être glissés dans les fondations ; il n'y avait plus ni contrôle ni surveillance. Eh bien, le roi Guillaume après son arrêté de 1823, précisément pour prévenir les abus dans l'avenir. Voilà quarante ans que cela existe et après avoir fouillé dans le vaste arsenal des fondations, on n'est parvenu à découvrir qu'un prétendu détournement, dont j'ai fait bonne justice.

Maintenant, je le demande, est-ce en présence de pareils faits que vous devez voter une loi qui consacre une telle iniquité ?

J'espère que non, messieurs ; j'espère que vous maintiendrez le vote que vous avez émis en sections et que vous reconnaîtrez la nécessité de ne point porter la main sur une institution qui fonctionne si bien et qui n'a été jusqu'à présent l'objet d'aucune critique sérieuse.

Mais, dira-t-on, il y a des parents de fondateurs qui n'obtiennent pas les bourses créées en leur faveur, et ici on vient nous dire qu'il faut rajeunir les testaments ! Nous y voilà !

Rajeunir les testaments, voilà ce que j'appelle de la politique à outrance. Rajeunir les testaments, c'est-à dire fouler aux pieds la volonté des fondateurs ; s'emparer de l'argent d'autrui pour en faire le contraire de ce qu'il a voulu ! A ce compte, messieurs, le jeune voleur qui prend le bien d'un vieillard ne fait, en définitive, que rajeunir ce bien ! Je dis, moi, qu'une pareille manière d'argumenter est une chose déplorable dans un parlement. Il n'y a donc plus rien de sacré pour vous ? La volonté de l'homme, vous la méconnaissez ; son bien, vous le lui prenez, et vous appelez cela mettre les libéralités des fondateurs en harmonie avec les idées modernes !!!

Vous avez le droit, je le reconnais, de vous immiscer dans les administrations qui dépendent de vous ; mais de quel droit vous mêlez-vous d'administrations fondées avec l'argent des particuliers ? De quel droit disposez-vous, non pas de votre argent, mais de l'argent des particuliers ? Et si cet argent n'est plus sacré pour vous, qu'est-ce donc qui sera encore digne de votre respect ? Lorsqu'il s'agit des deniers des contribuables, de la fortune publique, vous avez parfaitement le droit d'en disposer ; mais quand il s'agit de la fortune privée, destinée à soulager la misère, de quel droit, je vous le demande, osez-vous y porter une main téméraire ?

Je dis que ce sont des choses inouïes, inexplicables, qui ne se sont jamais vues dans les pays civilisés.

Mais, dit M. Tesch, qui peut juger des volontés des fondateurs ?

La volonté du fondateur ? Mais il n'y a pas seulement des bourses à l'université de Louvain, il y en a dans d'autres localités du pays. La ville de Tournai a pour 40,000 ou 50,000 francs de bourses ; qui va nous donner la pensée des fondateurs ?

Ce sont les fondateurs eux-mêmes. En effet, pas une seule fondation de bourse n'est faite autrement que par des évêques ou des chanoines ; toutes sans exception soin fondées par des prêtres. Pas une seule autre personne n'a constitué ces bourses qui forment un si grand revenu à la ville de Tournai. Quand vous avez trente fondateurs évêques ou chanoines, quel pouvait, quel devait être le but des fondations ?

Peut-on révoquer en doute le but, la pensée du fondateur ?

Dans la plupart des actes de fondation, il est stipulé que pour jouir de la bourse, le boursier devra fréquenter une université catholique, non pas telle ou telle université déterminée, mais une université catholique. Vous allez faire disparaître cette clause pour laquelle le fondateur a fait sa fondation, c'est escamoter la cause sans laquelle la fondation n'aurait pas eu lieu.

Puisque les fondations stipulent que l'élève qui jouira d'une bourse devra se rendre dans une université catholique, est-il étonnant que dans certains cas dont a parlé le ministre, les chanoines dont la conscience était en jeu aient cru devoir maintenir la volonté des testateurs. Ils ont bien fait ; s'ils n'avaient pas agi ainsi, comme vous, ils se seraient emparés du bien d'autrui pour en user à leur fantaisie. S'ils avaient agi autrement, des reproches graves devraient leur être adressés.

M. Tesch appelle cela l'accessoire, moi je dis que c'est le principal. Ces fondations avaient pour but de maintenir les principes des fondateurs qui étaient chanoines-prêtres ; les auraient-ils faites s'ils avaient pu prévoir qu'elles serviraient à aller étudier à une université où l'on enseigne l'athéisme ? Ces fondateurs pour la plupart vivant au temps de la réforme, auraient-ils donné des fonds pour étudier dans une université protestante ? Vous n'oseriez pas le dire. Voilà ce qui explique la volonté des fondateurs.

Il n'y a pas de doute, on a créé des bourses pour l'instruction, mais non pour une instruction anticatholique.

Il ne dépend pas de vous, il ne dépend pas de la loi de toucher à ces fondations, qui sont venues non du trésor public, mais de la bourse privée, vous n'avez pas le droit de vous en emparer, de les détourner du but qu'on leur a assigné.

Messieurs, vous comprenez par le peu de paroles que je viens de prononcer combien est grave la loi dont il s'agit. Elle a pour but la confiscation des bourses existantes ; le jour où vous faites disparaître les collateurs pour en nommer d'autres, le jour où vous faites disparaître le régisseur pour en transporter le siège ailleurs, vous avez confisqué à votre profit les fondations. La confiscation est-elle dans nos lois ?

La Constitution dit que la confiscation est abolie, et vous ne reculez pas devant la confiscation des bourses d'études ! C'est une violation flagrante, j'allais dire scandaleuse, de la Constitution. Les biens d'une fondation de bourse sont aussi sacrés que des biens particuliers. Vous n'avez pas plus le droit de toucher à l'un qu'à l'autre.

Mais, dit M. Bara, vous parlez de propriété privée. Eh bien, répondez ! Où est le propriétaire ? Et il croit, par ce système questionnaire, avoir triomphé. La réponse pourtant est facile, et la réponse la voici : Où est le propriétaire des fondations d'hospices et de bienfaisance ? Voilà ma réponse. Quand vous m'aurez cité le propriétaire des bureaux de bienfaisance, des hospices, je vous répondrai : Voilà le propriétaire dans l'un comme dans l'autre cas. C’est une propriété successive, confiée à certaines personnes par la volonté de la loi, et la loi a le pouvoir de créer ces propriétés successives, votre loi même en fournit la preuve.

Or, personne ne peut contester la légalité des dispositions prises par le roi Guillaume pour les bourses d'études, puisqu'il était autorisé par la loi fondamentale à porter des décrets sur la bienfaisance, à la condition seulement d'en donner connaissance aux états généraux.

C'est ce qu'il a fait ; ce sont des décrets qui ont été portés dans la plénitude de son pouvoir, et par là comme pour les bureaux de bienfaisance il a créé une propriété successive.

Le propriétaire des fondations de bourses, c'est le propriétaire des fondations de charité, de bienfaisance. Les deux propriétés sont de même nature, car les bourses d'études sont à la petite bourgeoisie ce que les legs faits aux hospices et aux bureaux de bienfaisance sont aux pauvres ; elles constituent au profit de la petite bourgeoisie les institutions de charité aussi sacrées, aussi insaisissables que celles qui sont faites au profit des pauvres, et si aujourd'hui, vous avez le pouvoir de porter la main sur les établissements de bourses, demain vous aurez le droit de porter la main sur les établissements de charité.

Je vous le demande, si en Belgique vous appliquiez les principes de votre loi aux établissements de charité, si vous veniez stipuler que dans chaque province il y aura des commissions administratives pour gérer les biens des pauvres et en faire la distribution, ne serait-ce pas une véritable confiscation de ces biens ?

C'est ce que vous allez faire.

Mais, dit l'honorable M. Frère, les biens dont il s'agit sont des quasi-propriétés nationales.

(page 868) Voilà sa définition. Il fut convenir que le mot « quasi » est là bien à propos pour la définition de l'honorable membre. Il n'a qu'un but : c'est de corriger la crudité du principe qu'il pose.

La fondation est une quasi-propriété nationale.

Et depuis quand avez-vous le droit de constituer en propriété nationale ce qui appartient à la fortune privée, ce qui constitue le domaine privé, ce qui est le bien des familles ?

De quel droit pouvez-vous présenter cela comme une propriété quasi-nationale ?

Cette propriété existerait-elle sans les fondateurs ? Elle est donc aussi inviolable, aussi sacrée que lorsque les fondateurs étaient vivants.

Vous n'avez pas le droit de nationaliser les biens des fondateurs, car c'est là votre but ; pas plus que vous n'avez le droit de nationaliser les biens des pauvres, pas plus que vous n'avez le droit de nationaliser les biens des particuliers.

Les arrêts de la cour de cassation ont décidé, dans les termes les plus exprès, que la définition de l'honorable M. Frère est contraire au droit et à la raison.

Cette définition est faite du reste dans l'intérêt de la cause. Il en avait besoin pour soutenir une loi insoutenable.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est la définition de l'archevêque de Malines.

M. B. Dumortier. - Vous avez présenté cette définition comme la vôtre, avec une portée spéciale pour en conclure que les fondations ne sont pas des propriétés privées. Et quand Mgr le cardinal se serait servi de cette expression au sujet de l'objet de sa lettre, cela ne servirait de rien, car le mot « quasi-nationale » y est mis en opposition à une propriété de l'étranger.

Je ne vois pas que l'archevêque soit un jurisconsulte, un homme politique, il parle en langue vulgaire, comme tout le monde le dirait en pareil cas, sans qu'il ait jamais attaché à cette expression le sens que vous y donnez.

Comment ! lorsqu'il demandait le maintien des bourses dans leur intégrité, le maintien des fondations telles qu'elles existaient, vous viendrez dire qu'il a plaidé en faveur de votre cause à vous, spoliateurs ? Cela est insoutenable.

Je dis que ce n'est pas là un argument sérieux, que cela n'est pas digne d’une discussion dans le parlement.

Je le répète, il s'agit d'ailleurs de tout autre chose. Il s'agissait dans cette pièce d'une question de nation à nation et il pouvait se servir de cette expression comme représentant une pensée tout à fait différente de la vôtre. Il ne fallait pas attribuer à une autre nation ce qui était la propriété de la nôtre, voilà sa pensée, mais jamais Mgr le cardinal n'a entendu la chose comme vous l'interprétez et je proteste pour lui contre l'intention que vous voulez donner à sa pensée.

Jamais il n'a pu prétendre que les bourses étaient nationalisées, que les collations établies pouvaient être transférées aux mains du gouvernement.

Toute la lettre du cardinal proteste énergiquement contre un pareil principe et je trouve qu'un argument de ce genre n'est pas. igne du parlement.

Le spoliateur ne doit pas du reste invoquer au profit de la cause l'avis du spolié.

- Plusieurs membres à droite. - A demain !

M. B. Dumortier. -Il fait une chaleur étouffante ; je suis un peu fatigué et je demande à continuer demain.

- Plusieurs membres à gauche. - La clôture !

M. Allard. - Il n'est que quatre heures et demie, à quoi sert de fixer les séances à une heure si l'on finit sitôt ?

M. le président. - M. Dumortier demande à continuer demain.

M. de Montpellier. - Cela ne se refuse jamais.

M. Schollaert. - Je demande la parole après M. Dumortier.


M. le président. - -M. Magherman, obligé de s'absenter pour des affaires urgentes, demande un congé.

- Accordé.

La séance est levée à quatre heures et demie.