(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1862-1863
(page 795) (Présidence de M. Vervoort.)
M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Boe, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. Thienpont, secrétaire., présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« Les sieurs Gaucher, Vancutsem et autres membres du comité de la société royale protectrice des animaux prient la Chambre de distraire du Code pénal qu'elle a voté, l'article 638, et de lui donner immédiatement force de loi. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Hymans. - Des habitants notables de Bruxelles demandent que la Chambre veuille bien distraire du projet du Code pénal déjà voté un article pour en faire l'objet d'un projet de loi séparé. Cet article est l'article 638 qui frappe d'une certaine peine les auteurs de cruautés exercées envers les animaux.
Je demande que la pétition soit renvoyée à la commission du Code pénal qui n'est pas encore dessaisie, je pense, au lieu de la commission des pétitions. La première est plus compétente pour se prononcer sur cet objet.
- Cette proposition est adoptée.
« La députation permanente du conseil provincial de Namur présente des observations sur le projet de loi concernant la milice. »
- Renvoi à la section centrale du projet de loi.
« Le conseil communal de Braine-l'Alleud prie la Chambre de considérer comme non-avenue sa pétition ayant pour objet un chemin de fer partant d'un point entre Ransart et Mellery, se dirigeant vers Genappe, etc., pour aboutir à Bruxelles, et demande que le gouvernement soit autorisé à concéder un chemin de fer de Luttre à Bruxelles par Nivelles, Braine-l'Alleud, Waterloo, Rhode St-Genèse et Uccle, avec embranchement de Luttre à Châtelineau. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la concession de chemins de fer.
« Les membres du conseil communal de Dranoutre prient la Chambre d'autoriser la concession d'un chemin de fer de Comines à Bailleul par Warneton, Messines et Neuve-Eglise. »
- Même décision.
« L'administration communale de Messines demande que le chemin de fer projeté de Comines à Bailleul obtienne la préférence sur celui de Comines à Armentières. »
- Même décision.
« Le conseil communal de Westroosebeke demande que le chemin de fer à construire d'Armentières vers Ostende passe par Westroosebeke et qu'il soit établi une station dans cette commune. »
- Même décision.
« Des tanneurs à Péruwelz demandent égalité de traitement pour les cuirs prussiens et les cuirs belges. »
« Même demande de tanneurs à Audenarde. »
M. Allard. - Je propose de renvoyer la pétition des tanneurs de Péruwelz et de Tournai à la section centrale chargée d'examiner le traité conclu entre la Belgique et la Prusse. Cette pétition mérite de fixer l'attention de la section centrale. Les pétitionnaires ne demandent pas de faveur spéciale, ils se bornent à signaler le préjudice que le traité doit leur faire éprouver.
M. Royer de Behr. - J'appuie la proposition de l'honorable M. Allard. Les pétitionnaires demandent le régime de la réciprocité radicale et complète, soit qu'on supprime toute espèce de droit, soit qu'on fixe un droit quelconque ; cette pétition est d'une haute importance en ce sens qu'elle signale à la Chambre une clause du traité de commerce, qui, si elle est accueillie, froissera les intérêts les plus respectables.
- La pétition est renvoyée à la section centrale chargée d'examiner le traité conclu avec la Prusse.
« Le sieur Miret déclare appuyer la pétition tendante à réclamer l'intervention de la Chambre pour que le canon pris par les Belges à la bataille de Waterloo ne soit pas rendu au gouvernement français. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Peeters prie la Chambre de ne pas s'opposer au renvoi en France des canons pris sur les Français à la bataille de Waterloo. »
- Même renvoi.
« Le sieur D'Hainaut, secrétaire de la commune de Jauchelette, demande que le traitement des secrétaires communaux soit réglé d'une manière uniforme, suivant la population. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Lauvaux prie la Chambre d'améliorer le sort de la gendarmerie et se plaint de l'admission dans ses rangs d'officiers étrangers à ce corps. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Bruges prient la Chambre de cesser la discussion sur les bourses d'études et de mettre à l'ordre du jour la loi sur la milice. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Menin prient la Chambre d'ajourner la discussion du projet de loi sur les bourses d'études et de mettre à l'ordre du jour les objets qui demandent une solution plus prompte. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Rousbruggc-Haringhe demande que le projet de loi relatif à la concession de chemins de fer comprenne une ligne de Poperinghe à Hazebrouck ou d'un point intermédiaire entre cette ville et Dunkerque.
« Même demande d'habitants de Beveren et de l'administration communale de Stavele. ».
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Le sieur Senault propose de nouvelles modifications à la législation relative aux établissements insalubres, dangereux ou incommodes. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur la pétition du sieur Dorzée.
« Les collateurs des fondations de bourses de Tournai présentent des observations contre des griefs formulés à leur charge, par M. Bara, dans la séance du 23 de ce mois. »
M. de Theux. - Je demande que cette pétition soit renvoyée à la commission avec invitation de faire un prompt rapport à la séance de vendredi, à moins qu'il entre dans les intentions de la Chambre qu'il soit donné lecture de la pétition, ce qui m'est indifférent.
M. Van Overloop. - Pour procéder avec plus de rapidité, ne pourrait-on pas donner lecture de la pétition, ou décider que les observations qu'elle renferme seront imprimées aux Annales parlementaires ?
M. Allard. - On ne peut pas donner lecture d'une pétition, sans qu'un rapport ait été fait ; la commission des pétitions a été instituée pour cela. Si on veut que lecture d'une pétition soit faite, c'est quand le rapport est présenté qu'on doit en faire la proposition.
M. Van Overloop. - Je ferai remarquer à l'honorable M Allard qu'au fond, si j'ai bien compris l'analyse qui vient d'être faite, il ne s'agit pas d'une pétition, mais d'une protestation contre des allégations produites dans cette enceinte.
Ce que nous devons désirer, avant tout, c'est de connaître la vérité. Ces allégations sont vraies ou elles ne le sont pas ; voilà ce qu'il s'agit d'apprécier. Quand nous discutons un projet de loi basé sur des faits, il est de la plus haute importance que nous sachions à quoi nous en tenir sur la réalité des faits allégués.
Il conviendrait donc, je le répète, ou que l'on donnât lecture immédiate de la pétition, après que le bureau en aura apprécié, bien entendu, la convenance, ou bien qu'elle fut imprimée aux Annales parlementaires de manière que nous soyons au courant de la vérité ou de la non vérité des fait allégués.
Que si la Chambre préfère renvoyer cette pétition à la commission des pétitions avec demande de prompt rapport pour la séance de vendredi, (page 796), je ne m'y oppose pas. C'est pour marcher plus vite que j'ai fait mes observations.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, la pièce, je dis la pièce, parce qu'on ne sait pas exactement si c'est une pétition ou bien des observations, peut donner lieu à une difficulté assez sérieuse, sur laquelle j'appelle l'attention de la Chambre.
Je ne sais pas ce que cette pièce contient, je n'ai donc aucune raison de m'opposer à ce qu'il en soit donné lecture ; mais je crois me rappeler que la Chambre a plusieurs fois décidé de ne pas entendre la lecture des pièces qui lui étaient adressées en réponse à des discours prononcés par ses membres. Telle est, je pense, la jurisprudence de la Chambre. Je dois donc la rendre attentive au précédent qui pourrait résulter de sa résolution.
Il est évident que si vous devez donner lecture de toutes les pièces qui pourront vous arriver en réponse à des faits qui auront été énoncés par l'un ou l'autre membre, vous serez entraînés très loin. Il n'y aura plus de discours qui ne devienne en quelque sorte l'objet des critiques du dehors.
Je demande à la Chambre d'y réfléchir très sérieusement avant de poser un pareil principe.
M. Allard. - Messieurs, je voulais dire en partie ce qu'a dit M. le ministre de la justice.
J'ajouterai qu'il y a des précédents. La Chambre n'a jamais admis et ne peut admettre que des personnes étrangères à l'assemblée puissent venir discuter avec elle.
Je rappellerai que lorsque l'on a discuté le traité avec la Hollande, il y a dix ou douze ans, il est arrivé des observations de la chambre de commerce de Tournai contre une partie de mon discours.
Eh bien, la Chambre a décidé alors que ces observations seraient considérées comme non-avenues.
Quelques années après, l'honorable M. de Man d'Attenrode avait prononcé un discours. II est arrivé de Louvain une note réfutant une partie de ce qu'il avait dit. La Chambre a également décidé alors que cette note serait considérée comme non-avenue.
M. Carlier. - Messieurs, j'avais l'intention de présenter à la Chambre des observations entièrement assorties à celles de M. le ministre de la justice et de l'honorable M. Allard.
Je trouve qu'il est impossible d'admettre ici la lecture d'observations arrivées du dehors ; à moins que nous ne cédions virtuellement nos sièges à nos contradicteurs, étrangers à cette Chambre.
A nous seuls appartient la discussion dans cette enceinte, et nous renoncerions à ce privilège si nous admettions la proposition de l'honorable M. Van Overloop. Je repousse donc cette motion.
M. Bara. - Messieurs-, je m'étonne vivement de l'insistance de la droite à demander la lecture de la lettre envoyée par quelques collateurs de Tournai.
Celte lettre, les collateurs de Tournai l'ont envoyée aux journaux de la droite. Elle figure presque entièrement aujourd'hui dans le Journal de Bruxelles.
Ce sont des faits personnels et rien que des faits personnels. Voilà ce que c'est que la pétition.
Quant à la partie de mon discours relative à la collation des bourses pendant l'année 1863, la pétition n'en dit pas un seul mot ; elle ne détruit pas un de mes chiffres.
Il ne pourrait donc en résulter qu'une nouvelle confusion pour les collateurs des bourses de Tournai, et c'est précisément pour leur épargner cette confusion et pour ne pas amener de discussions personnelles dans la Chambre, que je m'élève contre la lecture de la pétition. Je ne m'oppose pas au renvoi à la commission des pétitions.
Je dis donc que ce serait un débat sur des faits personnels. Les collateurs de Tournai ne nous proposent aucune modification à la loi. Ils ne répondent même rien, absolument rien à ce que j'ai dit dans mon discours ; ils se bornent à faire connaître, d'une manière erronée, les bourses dont a joui ma famille.
Je demande s'il serait digne du parlement belge de faire à une pièce pareille les honneurs d'une discussion, et je demande si la droite ne devrait pas repousser une pétition dirigée contre un membre de cette assemblée, parce qu'il a fait connaître la vérité, parce qu'il a fait connaître un système de collation qui a pour effet de faire passer toutes les bourses aux établissements du clergé.
M. Rodenbach. -- Nous sommes dans l'usage depuis trente ans d'examiner attentivement toutes les pétitions qui nous sont adressées. L'honorable représentant de Tournai n'ignore pas les précédents. Il est donc impossible de repousser la pétition dont on s'occupe sans qu'elle ait été examinée.
M. Bara. - Je ne m'y oppose pas.
- Plusieurs membres. - Personne ne s'y oppose.
M. Rodenbach. - Je propose donc le renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport, j'ignore complètement ce que contient la pétition. Mais il faut remplir les prescriptions du règlement et personne ne peut s'y opposer.
- Plusieurs membres. - On est d'accord.
M. Rodenbach. - Je demande donc un prompt rapport, sauf à refuser la lecture de la pièce, si tel est l'avis de la commission.
M. de Theux. - Je tiens à déclarer que je n'ai aucune connaissance de la pièce qui nous a été adressée.
- Plusieurs membres. - Elle est dans le Journal de Bruxelles.
M. de Theux. - Il se peut qu'elle soit dans le Journal de Bruxelles. Mais je répète que je ne connais pas le contenu de ce document, si ce n'est qu'il s'agissait d'observations sur la manière dont les bourses étaient conférées à Tournai, et à ce point de vue la commission des pétitions aura à examiner quelles conclusions elle a à prendre.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je crois que la pétition doit être renvoyée soit à la commission des pétitions, soit à la section centrale qui a examiné le projet.
M. de Theux. - A la commission des pétitions.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - A la commission des pétitions, soit. Mais je crois que la commission devra examiner au préalable s'il s'agit d'une véritable pétition ou d'une réponse à un discours prononcé dans cette enceinte, d'une intervention dans nos débats. Il est certain que si c'est une intervention dans nos débats, il faut passer à l'ordre du jour, à moins de donner un démenti à tous nos précédents et d'introduire dans nos discussions des personnes étrangères à la Chambre.
Si c'est, au contraire, une pétition qui tend à faire modifier l'une ou l'autre disposition du projet, je comprends qu’on fasse un rapport.
M. De Fré. - Je demande à faire une observation. Lorsqu'il s'est agi de l'enquête de Louvain, il y a eu plusieurs pétitions contre ce rapport, et toutes ces pétitions ont été envoyées à la commission d'enquête et non à la commission des pétitions.
Je crois donc qu'il serait plus naturel et plus conforme aux traditions de la Chambre que la pétition dont il s'agit fût renvoyée à la section centrale qui a examiné le projet de loi.
M. B. Dumortier. - Cela n'est pas possible. Comment l'honorable membre qui a fait le rapport sur le projet de loi, peut-il faire un rapport sur une pétition qui est contraire à ce qu'il a dit ?
M. le président. - M. De Fré, faites-vous une proposition de renvoi à la section centrale ?
M. De Fré. - Non, M. le président. C'est une simple observation que je fais.
M. Van Overloop. - Je tiens à déclarer à l'honorable M. Bara que je ne connaissais en aucune façon la pétition. Il n'y a donc rien de personnel dans les paroles que j'ai prononcées. Je prie l'honorable membre d'en être bien convaincu.
M. le président. - Persistez-vous à demander la lecture de la pièce ?
M. Van Overloop. - Je n'ai pas fait de proposition.
- La proposition de M. de Theux est mise aux voix et adoptée.
« M. le ministre de la justice a adressé à la Chambre avec les pièces de l'instruction les demandes en naturalisation ordinaire des sieurs Noller, Georges Wollfang et Ch. Bertrand. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« M. Beekman, retenu chez lui par des affaires urgentes, demande un congé. »
- Accordé.
M. Allard dépose le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi ayant pour objet d'allouer des crédits supplémentaires au budget de la guerre pour 1862.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite de l'ordre du jour.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban) présente :
1° Un projet de loi ouvrant au département des finances un crédit de 300,000 francs, pour dépenses relatives à la révision des évaluations cadastrales ;
2° Un projet de loi ayant pour objet d'ouvrir au département de l'intérieur un crédit supplémentaire de 117,000 francs, pour indemnités dues aux propriétaires de bestiaux abattus et pour payer les frais de voyage des médecins vétérinaires du gouvernement ;
(page 797) 3°Un projet de loi qui alloue au département des travaux publics des crédits supplémentaires à concurrence de 446,627 fr. 34 c., destinés à payer quelques arriérés et à couvrir les insuffisances que présentent certaines allocations du budget de 1862 ;
4° Un projet de loi qui alloue au département de l’intérieur des crédits supplémentaires à concurrence de fr. 38,476 17, destinés à couvrir les insuffisances que présentent les allocations du budget de 1862 et du budget de 1865.
- La Chambre ordonne l’impression et la distribution de ces projets et les renvoie à l’examen des sections.
M. Nothomb. - Messieurs, j'ai fait partie de la section centrale, et y ai combattu énergiquement le projet comme injuste, impolitique et antilibéral. Aujourd'hui, après avoir entendu et l'honorable rapporteur et M. le ministre de la justice, j'ajoute que le projet compromet de grands intérêts sociaux. Je vais le démontrer. J'ai à répondre à deux honorables membres qui ne sont pas des adversaires ordinaires et qui ont pris chacun une séance pour exposer leurs opinions identiques.
Que la Chambre veuille donc m'accorder quelque indulgence, si je suis obligé par la nature de mon sujet à entrer dans quelques détails.
Je n'aurai pas, messieurs, pour mes honorables adversaires ce dédain superbe que M. le ministre de la justice a montré pour mes honorables amis en disant qu'ils n'avaient présenté ni arguments ni logique. Je serai plus sérieux en disant que les arguments de M. le ministre frappent bien au-delà de sa question actuelle, et que la logique n'est que de l'esprit de système.
Les reproches que nous faisons au projet sont, dit M. le ministre, dénués de valeur : le gouvernement n'est pas à ce point dépourvu de bon sens, de présenter un projet de loi aussi abominable qu'on le dit ! Nous n'avons pas soutenu, messieurs, que le gouvernement fût dépourvu de bon sens ; nous avons dit : La passion politique vous égare et vous aveugle ; vous êtes oublieux des devoirs de l'homme d'Etat, en présentant un projet de loi aussi funeste dans son principe que dans ses conséquences.
Remerciez-nous, au contraire, d'avoir présenté la loi ! s'écrie M. le ministre de la justice. Nous pourrions peut-être vous en remercier si nous n'avions en vue que des intérêts de parti. Mais nous sommes guidés par un intérêt plus élevé, celui du pays. A ce point de vue, moins étroit que celui que vous nous prêtez, nous déplorons amèrement la présentation du projet de loi ; et les sentiments de tristesse et d'émotion profonde dont d'honorables amis se sont faits ici les éloquents et savants organes, n'ont pas, croyez-le bien, d'autres causes. Au dire de M. le ministre de la justice, cette émotion est factice. Le pays est indifférent au projet en discussion, il ne s'est pas agité ; la question des fondations de bourses ne l'a pas ému, il n'avait pas même réclamé la révision de la législation.
L'aveu, messieurs, est précieux, et je le recueille. Non, le pays ne s'était pas inquiété de la révision de la législation ; non, il n'a pas réclamé cette révision : il était resté calme et indifférent. La législation ancienne lui convenait ; pourquoi donc lui en soumettez-vous une nouvelle ? Les abus dont vous lui parlez n'existent que dans votre imagination ; personne ne s'était aperçu de ces abus ; et dans une pareille situation, sans motifs sérieux, sans raison avouable, vous saisissez la législature, à la veille des élections, d'un projet de loi aussi grave, aussi insolite, aussi innovateur.
Vous troublez la paix du pays, froidement, de parti pris, comme à plaisir, et vous appelez cela faire les affaires du pays ! Nous disons que c'est abuser de la patience de la nation, car, de votre propre aveu, vous lui imposez un projet inutile, inopportun ; vous faites de l'agitation sans cause licite et sans justification légitime possible.
L'honorable ministre de la justice a cru convenable de parler encore de nos prétentions en matière de fabriques d'église, de bienfaisance, d'aumônes recueillies à la suite du service divin, de sépulture, que sais-je ?
C'est pour trouver l'occasion d'évoquer devant nous le vieux fantôme de la domination du clergé que M. le ministre de la justice nous a parlé de tous ces objets...
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Répondez à ce que j'ai dit.
M. Nothomb. - A propos des prétentions que vous nous prêtez sur les fabriques d'égide, sur les sépultures, etc. ; je dis que vous avez reproduit ce vieux fantôme de la domination du clergé. Cette accusation serait grave, la plus grave de toutes, si elle était sérieuse. Que demandons-nous en réalité pour toutes ces matières dont vous parlez, pour le temporel du culte, par exemple ?
Nous demandons le simple maintien de ce qui existe, le maintien de la législation de 1849, décrétée par un gouvernement qui n'était inféodé à personne et qui surtout ne l’était pas au clergé.
Demander le maintien du statu quo, est-ce vouloir la domination du clergé ? La domination du clergé.... mais, mon Dieu ! notre opinion a longtemps occupé le pouvoir ; montrez-nous donc qu'elle a laissé déchoir l'autorité civile ! Nous entendons n'être dominés par personne. Et, d'ailleurs, il faut bien le dire : une pareille domination serait impossible. Le clergé n'a pas, ne veut pas et ne peut pas vouloir d'autres droits que ceux que la Constitution accorde à tous les Belges.
Et comment s'imaginer qu'en face de notre Constitution, le clergé combattu par la liberté de la presse, retenu par la liberté d'association, surveillé par l'opinion publique, le pouvoir et les Chambres ; comment s'imaginer, dis-je, que le clergé pourrait réaliser une prétention aussi absurde que celle que vous lui supposez sans l'ombre de raison et pour laquelle, à coup sûr, prenez-en bonne note, il n'aurait pas notre complicité.
Mais j'ai hâte d'arriver au point capital du discours de l'honorable ministre, à sa théorie sur le droit de fondations et sur l'action de l'Etat quant à ces fondations elles-mêmes.
L'honorable M. Tesch pose cette règle : L'individu ne peut pas fonder. Et puis, il nous dit : Vous, vous avez le principe contraire ; pour vous, l'individu peut fonder et créer, à son gré, la personnification civile.
C'est assurément, messieurs, un système fort commode que de prêter à ses adversaires des opinions qu'ils n'ont pas. Nous n« professons pas celle dont l'honorable ministre nous fait le reproche.
Vingt fois, nous y avons répondu, et, pour ma part, je l'ai fait récemment encore, ainsi que mes honorables collègues, à propos de ce qu'on est convenu d'appeler l'affaire de Mont. Permettez-moi de vous rappeler les paroles que j'ai prononcées alors.
Les voici textuellement :
« Nous n'avons jamais placé la faculté de fonder dans la Constitution, en ce sens que nous aurions prétendu qu'il suffit de la Constitution pour établir des personnes morales. Pour moi personnellement, je réponds par mes actes comme ministre, comme par mes paroles dans cette enceinte, et le projet de loi que j'ai présenté en est une affirmation surabondante. Vocei comment en 1857, le rapport de l'honorable M. Malou s'expliquait sur ce point :
« Personne ne conteste que le droit de créer des fondations doit être réglé par la loi et ne peut être exercé d'une manière illimitée selon les caprices individuels ; mais la question soumise aux Chambres consiste précisément à savoir, non pas s'il faut des règles, mais de quelle nature elles doivent être et quelles sont les restrictions légitimes qu'une loi sage peut établir.
« Tel a été, messieurs, notre principe à cet égard, et vous voyez que jusqu'ici nous sommes d'accord avec nos honorables contradicteurs. Notre point de départ est le même. Nous admettons, comme vous, que la personnification civile ne peut être accordée que par une loi ou en vertu d'une loi ; mais où nous différons considérablement, c'est dans la mesure, dans l'appréciation des limites légitimes, comme nous le disions en 1857. »
Est-ce clair ?
Vous l'entendez : nous ne réclamons pas ce droit absolu pour l'individu ; mais nous soutenons que la faculté de fonder des établissements de bienfaisance et d'enseignement est bonne en soi ; qu'il est désirable qu'elle soit exercée en vue de ces grands intérêts sociaux ; nous disons qu'on ne fondera jamais assez pour soulager toutes les misères, pour guérir toutes les infirmités humaines, pour assurer le pain et l'instruction à tous ceux qui souffrent de la faim et de l'ignorance. Loin de grever les générations futures, ce noble usage de la fortune les aidera dans leur marche et fera qu'elles nous béniront comme nous bénissons aujourd’hui tous les bienfaiteurs de l'humanité.
Nous ne disons pas que la faculté de fonder dépend de l'individu seul, mais nous prétendons qu'elle est naturelle à l'homme, qu'elle dérive du principe de la propriété, qu'elle est une conséquence de la liberté civile et spécialement du droit de tester. L'homme, être libre et capable de possession, doit pouvoir employer ses biens disponibles suivant sa volonté légitime, et les affecter, s'il le juge bon, au soutien d'institutions utiles à la société. L'homme a le droit de se survivre dans de pareilles œuvres ; et c'est rendre le plus éclatant hommage à la grandeur de son origine divine.
Pour nous, messieurs, l'homme né meurt pas tout entier, et sa pensée, persistant dans ses œuvres à travers les âges, affirme l'immortalité de son âme. Il faut donc, comme le disait l'honorable M. de Liedekerke, (page 798) ou leur être avec Leibnitz, proclamant que « le testament en droit pur n’aurait aucun raison d’être, si l’âme n'était pas immortelle ; » ou bien se ranger du côté de ce membre de la Constituante, alors encor un rhéteur nébuleux et qui, à propos du droit de tester, s'écriait ; « Et quel serait le motif de la faculté de tester ? L'homme peut-il disposer de cette terre qu'il a cultivée, lorsqu'il est lui-même réduit en poussière ? »
Encore une fois, est-ce à dire que nous demandons la faculté de fonder d'une manière illimitée ? Non, non, nous entendons expressément qu'elle soit ratifiée, sanctionnée par la loi positive. L'individu fonde, mais la loi doit accorder la consécration de la durée, la personnification civile et elle s'engage, par son intervention, à en maintenir la perpétuité. Sous quelles conditions se fera cet octroi ? Sous celle que l'œuvre qu'il s'agit d'établir revête un caractère réel d'utilité publique.
M. le ministre pose ce principe, et jamais nous n'en avons professé d'autre. Je lui demande alors : Cette personnification civile, une fois accordée, cette existence légale une fois établie, dépend-il de l'Etat de la sacrifier, le gouvernement a-t-il un droit absolu de vie et de mort sur toute fondation, s'il juge à lui seul qu'elle n'a plus le caractère d'utilité publique ? M. le ministre de là justice répond oui ! Eh bien, nous, nous répondons non.
Voici en quelques mots la doctrine que M. Tesch érige en axiome : « C'est à la société à juger si une fondation a un caractère d'utilité publique ; l'utilité publique est la seule règle, la société en est seule juge. C'est le texte littéral de ses paroles, je les ai recueillies pendant qu'il les proférait.
D'ailleurs cette opinion n'est pas nouvelle. Je la connais depuis la séance du 10 février 1857, où il proclamait ce qu'il appelait le domaine éminent de l'Etat sur les personnes civiles. Nous discutions à cette époque la même question qu'aujourd'hui.
L'honorable M. Tesch s'exprimait ainsi :
« Je ne pense pas qu'il soit sérieusement contestable que tout ce qui a rapport à des fondations, à des personnes civiles, ne soit toujours dans le domaine du législateur.
« Personne ne peut contester ce principe, et je dis que s'il n'en était pas ainsi, la volonté individuelle serait au-dessus de tous les intérêts sociaux ; ce qui n'est pas admissible. On doit respecter la volonté individuelle quand cela ne présente pas d'inconvénient, mais jamais la volonté individuelle ne peut être substituée aux intérêts de la société... »
Et plus loin il ajoute.
« ... Ainsi au point de vue du droit, il n'y a pas lieu de discuter si le législateur peut, oui ou non, changer l'administration des biens des fondations et l'organiser de manière que la liberté existe aussi en fait.»
Voilà le système énoncé et surtout commenté ; ce langage, je le reconnais, est franc et net ; il nous éclaire, mais aussi il nous effraye.
Déjà en 1857, M. Tesch portait à ses contradicteurs le défi de réfuter sa doctrine. Nous avons alors accepté ce défi, et fait sur l'heure cette réfutation facile. Alors comme aujourd'hui nous lui répondions simplement : « Oui, le législateur peut toucher aux personnes civiles, mais à une condition, c'est qu'il sera juste et qu'il respectera les droits reconnus et acquis. » Sous la forme absolue qui lui a été donnée, la théorie de M. Tesch, qui est aussi celle de M. Barra, érige l'utilité publique à la fois en cause, en moyen et en but exclusif.
Nous devons la combattre énergiquement car elle est la négation la plus hardie des principes sur lesquels la société moderne doit reposer, la négation de tout droit primordial, supérieur à la loi écrite, la négation des droits naturels pour la consécration desquels la loi positive est faite, la négation radicale des droits individuels pour lesquels le pouvoir social a été consenti. C'est la thèse du Contrat social, la doctrine de Rousseau, cet arsenal ouvert à toutes les tyrannies, comme disait Benjamin Constant, c'est le pouvoir absolu livré aux majorités mobiles et changeantes de cette dignité sans frein, à ces majorités qui, dans notre système électoral restreint, ne sont pas même l'expression complète de toute la nation.
C'est le mépris souverain de la dignité humaine, conquise par nos pères à travers les siècles, au prix de tant de labeurs, de souffrances et de sang ; c'est en un mot le règne de la force.
Avec ce système tout deviendrait permis à l'Etat au nom de l'utilité publique, dont il serait juge et seul juge ; en l'invoquant il pourrait attenter à tous les droits, à toutes les fois, supprimer tout, même la liberté s'il le faut. Lui seul serait omnipotent, lui seul aurait des droits assurés et certains ; ceux des individus seraient précaires, incertains, provisoires, placés sous le coup de cette menace permanente, l'utilité publique.
Sous ce système d'absolutisme, quelle garantie aura-t-on de la stabilité des droits ? Où commence, où finit la confiance publique ? Je le demande ; où s'arrêtera-t-on dans cette voie ?
Aujourd’hui on touche comme on veut aux fondations, pourquoi ne toucherait-on pas demain aux concessions de mines, de chemins de fer, de canaux ? Pourquoi ne toucherait-on pas après-demain aux biens des sociétés commerciales et industrielles, à ceux des hospices, des communes, des provinces, au nom de ce que vous nommez le domaine de l'Etat ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous confondez toutes les idées.
M. Nothomb. - Du tout, je déduis les conséquences de vos doctrines. Je vous prouve qu'une fois votre principe posé, il doit amener ces conséquences. (Interruption.) Je ne vous accuse pas de vouloir ces conséquences. Je dis que vous professez un principe que nous trouvons fatal ; nous en signalons les conséquences, c'est notre droit. (Interruption.)
Vous avez soutenu que l'Etat était au-dessus de la volonté individuelle, qu'il peut supprimer des fondations quand elles présentent des inconvénients. (Interruption.)
M. de Naeyer. - L'autre jour, les interruptions étaient prohibées ; elle ne le sont plus maintenant.
M. Nothomb. - Nous parlons devant le pays, vous ne m'empêcherez pas de faire voir les conséquences fatales d'une doctrine que je crois funeste à ses libertés et à ses intérêts. Et vous aurez beau me fatiguer par vos interruptions, je dirai tout ce que je veux dire.
Cette doctrine, je le répète, recèle dans son sein le despotisme. C'est la théorie révolutionnaire, avec l'appareil hypocrite de la légalité.
Quant à moi, je ne connais en cette matière d'autre principe que celui que la Constitution a admis, ni d'autre mode de dépossession légale et juste que celui que l'article 11 a permis.
Hors de là, toutes les habilités de rédaction, de langage, toutes les précautions oratoires, tous les subterfuges et tous les sophismes seront impuissants à dissimuler l'injustice. Il restera toujours vrai que retirer à quelqu'un, sans indemnité, ce qui lui appartient, ce qu'il a légitimement acquis, détruire et cesser ce qui existe en vertu de conventions et de contrats, est et sera toujours de l'arbitraire, de la spoliation.
M. Orts. - Je demande la parole.
M. Nothomb. -L'honorable M. Tesch a longuement parlé, dans la précédente séance, du travail de la commission de 1849. Il a qualifié le travail d'officieux et de simple avis. L'honorable ministre a compris que c'était là un des côtés les plus faibles de son projet, et il a fait tous ses efforts pour diminuer l'importance du travail de la commission de 1849. Il n'a cependant pas réussi à ébranler la démonstration si évidente qu'avait apportée ici l'honorable M. Dechamps. Toute la dialectique de M. le ministre de la justice vient se briser devant cet article 5 que la commission avait adopté :
» Le droit de collation des bourses est maintenu dans son intégrité tel qu'il est réglé par les actes de fondation en tant qu'elles sont susceptibles d'exécution sous ce rapport. »
Après une énonciation de principe aussi claire, reste-t-il place, je vous le demande, pour l'équivoque ?
Qu'importe, d'ailleurs, que le travail soit officieux, ce que je pourrais d'ailleurs contester, qu'importe qu'il soit un simple avis, s'il présente en lui-même une valeur ? Et cette valeur vous ne pouvez la contester, car vous-même vous l'avez proclamée. C'est sous le patronage de ce travail, que vous dites n'être qu'un simple avis, que vous abritez tout votre projet. Vous le dites dans les termes les plus formels, dans l'exposé des motifs, en affirmant que le projet actuel est conforme aux décisions de la commission de 1849.
Déjà en 1857, l'honorable M. Tesch m'avait opposé à moi-même ce travail de la commission. Je crois même que l'honorable M. Frère y avait adhéré à cette époque.
Quand le travail de la commission sert les intérêts du ministère actuel, on le vante, on l'adopte, on exalte ses auteurs ; mais quand il lui est contraire, ce n'est plus qu'un simple avis, un travail officieux.
Cette tactique que le ministère emploie, à propos du travail de la commission de 1849, est aussi celle qu'il suit à propos des arrêts judiciaires ; je le démontrerai tout à l'heure.
Je n'ai pas besoin d'ailleurs d'insister longuement sur l'importance du travail de la commission de 1849. L'honorable M. Dechamps l'a fait de manière à ne laisser plus aucune place à la contradiction.
Je me bornerai à poser à M. le ministre cette alternative (c'est le genre d'argumentation qu'il paraît affectionner) : ou le travail de la commission est bon, et alors votre projet de loi ne vaut rien, car il en est le contre-pied et l'antithèse, ou votre projet de loi est bon, et alors la commission n'a pas su ce qu'elle faisait, et il faut rejeter son travail. Et cependant (page 799) vous avez invoqué ce travail en 1857 et vous ne cessez de l'invoquer et de vous retrancher derrière lui.
Voilà une inconséquence que je prie M. le ministre de nous expliquer.
J'ai été frappé encore dans le discours de M. le ministre d'une attaque très vive qu'il a dirigée contre le principe de l'hérédité du droit de collation.
D'après lui, cette hérédité qui permet de faire du collateur un fonctionnaire, est absurde (c'est l'expression dont M. le ministre s'est servi) ; ce collateur n'offre aucune garantie d'aptitude, ni même des conditions de moralité. Eh bien, si ces critiques sont vraies, appliquez-les aussi aux parents que vous maintenez comme collateurs ; car enfin, quand aujourd'hui on désigne comme collateur le président du tribunal, il est à supposer que le président qui existera dans 100 ans sera toujours un homme probe, moral, intelligent ; mais vos parents, vos descendants, vos arrière-neveux, pouvez-vous répondre qu'ils offriront toujours des garanties de moralité et d'aptitude ?
Soyez donc logiques. Si l'hérédité ne vaut rien pour les fonctionnaires, elle ne vaut rien pour les parents.
Peut-être aussi, et cela résulte de quelques paroles de M. le ministre et de M. Bara, l'hérédité n'est-elle là qu'à l'état de tolérance, provisoirement, et disparaîtra-t-elle bientôt avec le reste.
Eh bien, messieurs, cette doctrine de l'honorable ministre de la justice sur l'hérédité pourrait nous conduire fort loin. Je ne veux pas en déduire toutes les conséquences, mais je répète que, poussé dans ses derniers retranchements, il recèle, comme votre doctrine sur l'utilité publique, les plus grands dangers pour l'ordre social.
L'honorable M. Tesch a fait une longue digression sur l'ancienne université de Louvain, il a cherché à établir que l'université actuelle ne lui a pas succédé, ne l'a pas continuée. C'était vraiment enfoncer une porte ouverte. Nous n'avons jamais soutenu que l'université actuelle de Louvain a succédé à l'université ancienne. Nous avons toujours décidé le contraire. Mais la question n'est pas là ; il s'agit du droit de collation et du respect dû à la volonté du fondateur sanctionnée par les lois de l'époque. Il s'agit de maintenir le droit des collateurs là où les fondateurs l'ont placé et où les gouvernements l'ont ratifié.
L'honorable ministre de la justice m'a mis personnellement en cause, en citant l'opinion que j'ai émise, en 1857, à propos de l'article 17 de la Constitution, relativement à la liberté d'enseignement.
Je n'ai rien à retrancher à cette opinion. Il suffit de se rappeler les termes de la discussion.
L'honorable M. Tesch soutenait alors que l'article 13 de l'arrêté du roi Guillaume de 1823, qui ordonnait aux boursiers d'aller étudier dans un établissement de l'Etat, était encore en vigueur. Nous lui avons répondu par l’article 17 de la Constitution qui proclame la liberté d'enseignement.
C'était donc tout bonnement une question de monopole dont il s'agissait. L'honorable M. Tesch revendiquait pour l'Etat le monopole de l'enseignement. Il était mû par une pensée hostile à l'enseignement libre, idée que nous retrouvons dans le projet en discussion, et nous répondions par leprincipe constitutionnel de l'article 17.
Voilà quelle était, dans cette discussion, la portée de l'opinion que j'ai émise. Elle est juste, vraie, incontestable.
Dans une fondation, dit M. le ministre, l'essentiel c'est l'affectation au service gratuit ; le reste est accessoire. Messieurs, c'est toujours l'éternelle question du changement arbitraire des dispositions testamentaires ; c'est écarter arbitrairement les conditions stipulées, tout en gardant la chose qui a été donnée ; c'est ce que dans cette enceinte on a souvent appelé, dans un langage incisif, refaire les testaments ; ce qui importe au contraire, c'est la volonté du donateur, du moment qu'elle a été régulièrement acceptée et validée par le gouvernement, organe de la loi. Voilà l'essentiel. Le reste est accessoire.
L'honorable ministre s'est demandé ce que c'est que le droit de collation, et ce qu'il faut entendre par droits acquis. Il a reconnu lui-même que c'était là le point capital du débat. Il a raison, et j'y reviendrai tantôt. Je signale en passant une assez singulière contradiction dans laquelle les auteurs du projet sont tombés. On dit que le droit de collation n'est pas un droit civil, que c'est un droit politique. Et le projet appelle à l'exercice de ce droit politique des étrangers. Dans l'article 16, au littera D, il est dit : « Les é rangers peuvent toutefois être admis à l'exercice de ce droit (c'est-à-dire du droit de collation) dans le cas où le Belge y serait admis lui-même dans le pays auquel appartient cet étranger. »
Voilà donc un droit politique confié à des étrangers. Je l'avoue, jusqu'ici j'avais cru que les étrangers étaient incapables d'exercer en Belgique un droit politique quelconque.
L'honorable M. Tesch a jugé convenable de m'adresser, en quelque sorte, un argument tout à fait personnel, en rappelant une décision que j'ai prise à propos du collateur d'une fondation de la ville d'Ath. J'ai retiré, paraît-il, un droit de collation à une personne qui avait été frappée d'interdiction des droits civils et politiques par application de l'article 42 du Code pénal.
Je crois, messieurs, en cette circonstance avoir bien fait, m'être conformé à la loi et ne m'être nullement écarté des principes qui régissent cette législation spéciale ; la question de principe n'était pas engagée ; c'était une question de fait.
Qu'ai-je fait à cette occasion ? J'ai comparé la collation à une tutelle et je crois l'assimilation parfaitement vraie. Je me suis placé au point de vue du fondateur et de sa volonté qui n'a pas pu être de laisser l'administration de la fondation à une personne qui eût été incapable de tutelle.
En réalité, j'ai appliqué la disposition de l'arrêté du 26 décembre 1818, qui prévoit le cas où les collateurs ne sont pas dans les conditions nécessaires pour remplir leur charge et qui permet au gouvernement de pourvoir provisoirement à leur remplacement. J'ai usé de ce droit en exerçant un contrôle très sérieux et très efficace, en ne laissant pas cette espèce de tutelle, cette collation aux mains d'une personne déclarée indigne par les tribunaux. J'ai dit d'ailleurs très expressément que les collateurs ne sont pas des fonctionnaires publics.
L'honorable ministre m'a objecté les mots « délégation de l'autorité publique », que j'ai écrits, comme me constituant en contradiction manifeste avec les principes que je soutiens aujourd'hui. Le mot « délégation » que j'ai employé alors équivaut pour moi à « autorisation publique ». Le fondateur a agi dans la pensée que du moment qu'il faisait une fondation conforme aux lois, l'autorisation publique ne lui serait pas refusée.
En définitive, cette affaire, dont M. le ministre s'est beaucoup occupé, n'a été qu'une question de moralité, et pas autre chose. Il y avait, dans le fait de cette personne frappée d'incapacité, une véritable déchéance, et la commission de 1849 avait précisément voté un article dans ce sens. Elle avait admis que les personnes frappées de déchéance, par application des articles du Code pénal, seraient provisoirement déchues. Je ne retirais pas le droit de collation à jamais en l'enlevant à la personne qu'on a citée. Je l'enlevais provisoirement, passagèrement ; et le jour où un autre collateur se serait trouvé dans les conditions prévues par le fondateur, le droit lui aurait été rendu.
Enfin, le collateur dépossédé avait le droit de recourir aux tribunaux, comme le proclament les arrêtés du roi Guillaume, et si je m'étais trompé, il appartenait à la personne destituée de s'adresser à la justice.
J'ai donc simplement posé un acte conservatoire, de bonne gestion et de moralité gouvernementale ; et je ne le regrette pas.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Vous avez posé les principes.
M. Nothomb. - L'honorable M. Tesch, à la fin de son discours, en nous concédant pour un instant que le droit de collation serait un droit civil, a ajouté :
« Mais si c'est un droit civil, il a disparu tout au moins devant les lois qui ont prohibé les substitutions. C'est une substitution que votre collation. Les substitutions sont interdites, par conséquent ce droit n'existe plus. »
L'honorable ministre a paru attacher une grande importance à cet argument. Il se réfute très aisément par cette simple observation que le droit de substitution, si la collation présente ce caractère, ce que je n'ai pas à examiner, se trouve établi en vertu d'une loi, ou au moins de dispositions ayant force de loi. Les arrêtés du roi Guillaume de 1818, de 1823 et de 1829 ont maintenu ce droit, et vous-mêmes avez reconnu que les arrêtés du roi Guillaume avaient force législative. Vous l'avez reconnu en diverses occasions, notamment dans la séance du 10 février 1857, en disant que les arrêtés du roi Guillaume existaient a en plein. Si donc il y a là une substitution, elle est légale, au même titre que toutes les autres substitutions contenues dans les arrêtés du roi Guillaume.
Mais ici encore, comme je le disais en commençant, vos paroles frappent bien au-delà du but que vous voulez atteindre. S'il est vrai que la collation soit une substitution et qu'elle soit prohibée comme telle, il en est de même pour les institutions.
Mais alors les institutions disparaîtraient aussi et il n'y aurait plus rien, ni institution, ni collation ; il suffirait de rédiger une loi en un seul article, ainsi conçu :
« Les fondations sont supprimées et leurs biens font retour à l'Etat. »
J'aurai l'occasion de montrer à la Chambre que cet argument tiré de la substitution, dont M. le ministre a paru faire un très grand cas, que cet argument ne tient pas et que l'arrêt dans lequel il l'a puisé ne lui a (page 800) pas donné la portée que l'honorable ministre lui attribue en ce moment.
J'aborde, messieurs, plus directement la discussion du projet de loi.
Le gouvernement et le rapport de la section centrale basent la présentation du projet ou plutôt sa nécessité sur deux motifs : d'abord l'existence de nombreux abus, dans la législation actuelle dont le système, d'après les expressions de l'exposé des motifs, est essentiellement vicieux, cela se dit page 4 de l'exposé ; dont le régime, dit le rapport de M. Bara, et' défectueux, page première du rapport ; système qui donne lieu aux plus grands inconvénients, qui est une source d'abus et qu'il importe au plus haut degré de réformer pour y apporter, comme dit M. le ministre, un remède prompt et efficace.
t a deuxième raison, c'est qu'il y a nécessité de faire une loi nouvelle qui soit en harmonie avec les institutions politiques et avec les idées modernes ; ce sont les expressions de l'honorable rapporteur.
Voilà l'accusation. Si elle est fondée, nous y souscrivons complètement. Personne, sur nos bancs, n'entend maintenir une législation aussi mauvaise, aussi défectueuse, qui est une source d'abus, et qui expose la société aux plus grands maux.
Mais les preuves où sont-elles ? Je vous demande de nous les fournir. Jusqu'ici je n'ai entendu que des allégations plus ou moins contestables, des faits isolés qui n'ont aucun caractère d'ensemble ; mais les preuves qui doivent établir ces abus énormes où sont-elles ? Le roi Guillaume avait montré une très grande sollicitude pour les fondations de bourses ; il a eu soin d'entourer l'administration et la collation de toutes les garanties que la prudence pouvait suggérer et entre autres il avait placé la surveillance de toutes les fondations sous le contrôle et la tutelle permanente des députations provinciales.
Les députations provinciales doivent, chaque année, adresser au gouvernement un rapport sur la situation des fondations. C'est donc, messieurs, dans ces documents, émanés d'autorités indépendantes, qui doivent vous inspirer toute confiance, c'est là que nous devons rechercher quelle a été la marche des administrations, c'est là que nous devons trouver les abus, s'il y en a.
J'ai fait, messieurs, le relevé des rapports des députations permanentes pour une période de douze années. C'est un travail long et fastidieux ; je suis cependant obligé d'en lire quelques extraits à la Chambre ; je fatiguerai peut-être sa patience, mais c'est un point essentiel ; nous sortons du vague et nous entrons dans le domaine des faits, nous faisons de l'administration et de l’administration positive. Voyons donc par l'examen de ces documents jusqu'à quel point le gouvernement a rempli son obligation qui était de démontrer l'existence des abus dont il parle.
Je serai aussi bref que possible, je ne lirai que ce qui est absolument nécessaire.
Je commencerai par l'année 1850, et je trouve par exemple la députation permanente du Hainaut, qui dit ceci ;
« Nous avons constaté avec plaisir que les ressources des fondations s'accroissent sensiblement, tandis que les bienfaits qu'elles répandent suivent aussi la voie progressive. »
Liège : « L'administration des fondations de bourses continue à être régulière. »
Limbourg : « Les comptes, à l'exception d'un seul, ont été arrêtés. Une action judiciaire se poursuit de ce chef contre les administrateurs... La comptabilité des fondations de bourses est assez bien tenue et s'améliore tous les jours. »
Passons à l'année 1851 :
Hainaut : « Nous n'avons, en général, que des éloges à donner à MM. les proviseurs et administrateurs des fondations de bourses pour la manière dont ils gèrent les intérêts de ces établissements. »
Liège : « Ces fondations continuent à être administrées régulièrement. »
Limbourg : « Les comptes ont été arrêtés, sauf un seul. Les administrateurs en retard ont été condamnés judiciairement à régulariser leur comptabilité arriérée par suite du décès du receveur. Plusieurs comptes de cette fondation sont déjà arrivés.
« En général, la comptabilité continue à être bien tenue, les fond's disponibles sont appliqués. »
Année 1852.
Hainaut : « Les administrateurs collateurs gèrent très convenablement les intérêts qui leur sont confiés. Une seule administration, qui a son siège dans l’arrondissement d'Ath, se montre tellement négligente dans ses relations avec l'administration provinciale, que nous nous verrons enfin forcés de provoquer, à son égard, telles mesures que de droit. »
Liége : « Les comptes sont généralement réguliers. Nous tenons la main à ce que la volonté des fondateurs soit scrupuleusement respectée dans les limites tracées par la législation. »
Limbourg : « La comptabilité continue à être généralement bien tenue. On applique les excédants disponibles. »
Année 1854.
Limbourg : « La comptabilité continue à être tenue très régulièrement. La députation expose les faits administratifs. »
Année 1855.
Hainaut : « Les 102 comptes ont été vérifiés et approuvés.
« Les administrateurs désignés par les fondateurs, et ceux qui tiennent leurs fonctions du gouvernement, s'acquittent généralement avec zèle de leurs obligations ; néanmoins quelques-uns font exception, et refusent de se soumettre aux prescriptions des arrêtés royaux précités. Nous nous verrous peut-être forcés de les signaler au gouvernement, »
Liège : « Autant qu'il nous est possible d'en juger, ces fondations sont administrées régulièrement, en conformité des dispositions des arrêtés de 1818 et de 18253: la volonté des fondateurs est scrupuleusement suivie dans les limites tracées par la législation sur cette matière. Les comptes qui nous parviennent avec assez de régularité ne donnent lieu, en général, qu'à des observations de détail ; les remplois prescrits s'effectuent sans retard. »
Année 1856.
Hainaut : « MM. les administrateurs-collateurs remplissent généralement leurs fonctions avec beaucoup de zèle et apportent dans l'administration des biens des fondations un intérêt tout particulier. Par suite de remplois successifs, plusieurs fondations ont accru leurs revenus au point de pouvoir augmenter le nombre et l'importance des bourses à conférer, Nous avons applaudi à de semblables mesures, dont nous encourageons l'extension, autant qu'il est en notre pouvoir. »
Année 1857.
Hainaut : « Les fondations de bourses sont généralement bien administrées.
« Les comptes nous parviennent plus régulièrement que par le passée et nous avons lieu d'espérer qu'avant peu d'années le service des fondations ne laissera plus rien à désirer, notamment sous le rapport de la comptabilité. Nous nous appliquons tout particulièrement à faire augmenter le nombre et le taux des bourses, autant que les revenus et les actes des fondations le permettent. »
Liège : « Les comptes des fondations de bourses de la première catégorie nous ont été régulièrement soumis, et nous les avons apurés ; nous regrettons cependant que la plupart de ces comptes ne nous parviennent qu'après l'expiration du délai fixé par l'article 6 de l'arrêté royal du 2 décembre 1823. »
Limbourg : « L'accroissement des revenus, l'augmentation du nombre des bourses de certaines fondations et la majoration du taux d'autres, sont autant de preuves des soins que les administrateurs apportent dans l'accomplissement de leur mission. »
Année 1858.
Hainaut : « Les administrateurs de fondations de bourses d'études montrent généralement beaucoup de zèle dans l'accomplissement de leurs devoirs.
« Deux administrations de fondations qui n'avaient pu jusqu'à ce jour nous envoyer leurs comptes annuels par suite de procès tendants à faire (page 801) annuler l'arrêté d'institution ou de rétablissement, ont vu ces procès se terminer à leur avantage.
«... Nous avons eu la satisfaction de pouvoir proposer l'année dernière à M. le ministre de la justice d'augmenter le taux et le nombre de plusieurs bourses d'études... »
Limbourg : « En général, la gestion de ces institutions se fait convenablement. On exécute les volontés des fondateurs, on place les excédants disponibles. »
Année 1859.
Hainaut : « Les administrateurs-collateurs de fondations de bourses continuent, en général, à apporter beaucoup de zèle dans l'accomplissement de leurs devoirs. Nous regrettons d'avoir à dire que certaines fondations se montrent récalcitrantes en refusant de soumettre leurs comptes annuels à notre approbation. Nous les avons signalées à M. le ministre de la justice. (Le rapport constate que des mesures ont été prises pour mettre fin aux abus qui se commettaient dans la collation des bourses.) »
Liège : « Les comptes que nous avons eu à examiner nous ont paru régulièrement dressés et ils ont reçu notre approbation. Nous avons toutefois le regret de n'avoir pu amener jusqu'ici le receveur de la fondation Deleixhe à rendre compte de sa gestion. »
Limbourg : « En général nous constatons une amélioration assez sensible dans la gestion de ces institutions. Les nombreuses remarques dont leur comptabilité a été l'objet dans les dernières années ont notablement fait diminuer les erreurs et les irrégularités. L'autorité provinciale tient la main à ce que les intérêts de tous soient sauvegardés et à ce qu'il soit constamment agi conformément à la volonté du fondateur. »
Voyons maintenant l'année 1860.
Anvers : « Les administrateurs-collateurs... montrent, en général, beaucoup de zèle dans l'accomplissement de leurs devoirs. Les comptes sont régulièrement rendus. Il s'est élevé deux contestations entre des prétendants droits. >
Brabant : « Les mesures à prendre pour assurer l'utile emploi des sommes annuellement disponibles ne peuvent se résumer en une disposition unique et générale, sans tenir compte de la volonté des fondateurs lorsqu'elle est connue. »
Hainaut : « Comme par le passé nous n'avons qu'à nous louer du zèle apporté par les administrateurs-collateurs dans l'exercice de leurs fonctions. Quelques-uns montrent encore certaine négligence dans la gestion des intérêts qui leur sont confiés ; mais nous espérons sous peu mettre fin à cet état de choses. »
^Limbourg : « Grâce à la vigilance des administrateurs et aux réclamations incessantes de l'administration provinciale, la gestion des fondations se fait avec régularité. La comptabilité est bien tenue et les stipulations des actes de fondation sont fidèlement observées. Tous les comptes de 1858 et quarante et un comptes de 1859 sont arrêtés. »
Je passe à l'année 1861.
Anvers : « Comme par le passé, les intérêts confiés aux administrateurs-collateurs sont généralement gérés avec zèle et, autant que possible, selon les intentions des fondateurs. »
Voyons enfin les rapports relatifs à l'année 1862 :
Anvers : « « Les fondations de bourses d'études ayant leur siège dans cette province continuent d'être, à quelques exceptions près, administrées avec soin et intelligence. »
Limbourg : « Tous les comptes de 1860 et vingt-six comptes de 1861 sont arrêtés. « La régularité et l'exactitude constatées depuis quelque temps dans la gestion et la comptabilité de ces institutions sont, sans contredit, la conséquence de la surveillance active et constat te de l'autorité supérieure qui voue des soins spéciaux à sauvegarder les intérêts des familles. »
Messieurs, que résulte-t-il de ce dépouillement des rapports que je viens d'analyser ? Que les administrations des fondations de bourses ; loin de mériter des reproches, méritent des éloges, et ers éloges, elles les ont généralement obtenus de leurs juges naturels et immédiats qui sont les députations permanentes.
Quelques abus sont signalés, il est vrai, mais en même temps on indique le moyen d'y remédier ; et, comme je vais avoir l'honneur de le montrer, le contrôle établi par l'arrêté de 1823 est assez efficace pour que le gouvernement puisse porter remède à tous les abus et rappeler à leurs devoirs les administrateurs qui s'en écarteraient. Où donc était la nécessité de recourir à ce nouveau remède « prompt et efficace » dont a parlé M. le ministre de la justice ?
En vue de maintenir la bonne gestion des fondations, le roi Guillaume ne s'était pas borné à donner aux députations permanentes une surveillance suprême ; mais il a pris d'autres précautions et d'autres mesures.
Ainsi, par exemple, il créait, par l'article 3 de l'arrêté de décembre 1825, ce qu'on appelle les proviseurs ? Or, que sont les proviseurs ? C'est, comme on la dit dans une autre circonstance et avec raison, un ministère public institué auprès des administrations des fondations de bourses d'études pour les empêcher de malverser, pour les obliger de se conformer scrupuleusement à la volonté des fondateurs.
Par l'article 30 de l'arrêté de 1823, le roi Guillaume avait créé auprès du département de la justice un comité consultatif chargé d'éclairer le ministre et le gouvernement. Enfin, par l'article 31, il accordait à M. le ministre de la justice un droit d'inspection sur toutes les fondations de bourses.
Il semble que c'est là un ensemble de garanties et de mesures qui ne peuvent pas laisser de doute sur l'existence d'un contrôle sérieux et réel. En appliquant ce régime énergiquement, avec sollicitude, il est incontestable que les abus peu nombreux qui pourraient encore exister peuvent être très facilement réprimés ; et assurément il n'y avait pas lieu de songer à y porter remède, en supprimant les administrations elles-mêmes.
J'ai donc le droit de dire qu'il n'y a pas d'abus, ou du moins qu'il n'y a pas d'abus suffisants pour autoriser la présentation d'un projet de loi qui bouleverse entièrement la législation actuelle, législation qui n'a cessé de bien fonctionner, qui convenait au pays, qu'il connaissait depuis 40 ans, qu'il n'y avait pas lieu de modifier, du moins d'une façon aussi absolue. La présentation du projet de loi que nous discutons manque donc complètement de justification, quant à sa base essentielle.
Messieurs, je ne veux pas, à cette occasion, laisser passer une assertion passablement osée, permettez-moi l'expression, qui se trouve émise dans l'exposé des motifs, page 14 :
« En fait aussi, dans notre pays même, les souverains ont successivement usé de ce droit. C'est ainsi que sous le règne de Marie-Thérèse il a été pris diverses mesures dans le but de réformer notamment le régime des fondations de bourses annexées à l'ancienne université de Louvain, et que plus tard Guillaume Ier a pris les arrêtés royaux des 26 décembre 1818 et 2 décembre 1823.
« Et c'est dans la même intention, pour parer aux inconvénients du système actuel, que le gouvernement propose d'étendre aux fondations anciennes le régime qui sera admis pour les fondations nouvelles. »
Le projet s'abrite donc derrière les arrêtés du roi Guillaume.
Messieurs, cette analogie que le projet invoque en sa faveur n'existe en aucune façon ; la différence entre la législation ancienne et celle qu'on nous propose est radicale. Que faisait le roi Guillaume ? Il rétablissait, il restaurait, il conservait. Et vous, au contraire, que faites-vous par votre projet ? Vous innovez, vous changez, vous bouleversez et vous supprimez. Voilà cette prétendue analogie que M. le ministre invoque dans son exposé des motifs.
Ce parallèle entre les actes du roi Guillaume et le système nouveau qu'on nous propose, semble d'ailleurs tenir beaucoup à cœur à l'auteur du projet et il y revient avec une certaine complaisance dans le paragraphe final de l'exposé, où nous lisons :
« En résumé, le projet de loi qui vous est présenté, messieurs, tend d'une part à consacrer la faculté de créer de nouvelles fondations ; d'autre part, à établir un meilleur mode d'administration pour les fondations anciennes, tout en respectant le droit de la famille et ceux des boursiers. »
Eh bien, le roi Guillaume employait à peu près le même langage dans le préambule des arrêtés de 1823 et de 1829. Vous les avez lus ; il est donc inutile que je les relève de nouveau ; mais on y trouve la même pensée et à peu près les mêmes expressions. Sous ce rapport, il y a une (page 802) grande analogie, mais messieurs, il n'y a que les expressions qui se ressemblent, car, au fond, les idées sont diamétralement opposées.
Et cependant le projet parle de la création de nouvelles fondations ! Comment cette création serait-elle possible ? Vous édictez de telles règles, vous détourez la faculté de fonder de telles entraves qu'il est difficile de soutenir sérieusement que désormais quelqu'un, songera encore à faire une fondation. Vous en enlevez toute possibilité et vous dites que vous procédez comme le roi Guillaume. Le roi Guillaume en créait ; il en rétablissait ; vous, vous les rendez impossibles. Vous dites que vous voulez, comme le roi Guillaume, un meilleur mode d'administration ; mais prouvez d'abord que celui du roi Guillaume ne valait rien et alors proposez-nous un nouveau mode d'administration, mais non pas un changement absolu dans la législation. D'ailleurs, votre mode d'administration, quand la loi sera votée, sera-t-il meilleur ? Mais rappelez-vous ce que disait l'honorable M. Royer de Behr et après lui, l'honorable M. Dechamps. Ils vous ont prouvé que votre nouveau mode d'administration ne vaudra pas celui du roi Guillaume
Vous parlez, dans votre exposé, du droit des familles ! Mais je vous demande si ce n'est point là une véritable dérision. Comment ! vous touchez à tout ce qui existe ; vous méconnaissez la volonté du testateur dans les choses essentielles, et vous prétendez que vous êtes dans le même ordre d'idées que le roi Guillaume, lui qui respectait réellement la volonté des fondateur, lui qui a pris trois arrêtés rédigés dans ce but, dans lesquels il proclame, à chaque ligne, qu'il veut faire respecter scrupuleusement la volonté des testateurs ! Et vous dites que vous êtes d'accord avec les actes du roi Guillaume !
Eh bien, cela n'est pas : il était plus juste et plus libéral que vous ! (Interruption.)
Ce premier motif produit comme justification du projet de loi n'est donc pas fondé.
Est-il plus exact de prétendre que votre projet est conforme à notre organisation politique et à nos idées modernes ?
Eh bien, je réponds hardiment non, cent fois non. J'ai, messieurs, sous ce rapport déjà qualifié le projet de loi en section centrale, dans la note dont je vous ai parlé, permettez-moi de vous la relire. Voici comment je caractérisais le projet de loi :
« Le projet est une nouvelle et décisive manifestation de cet esprit d’envahissement, de cette tendance vers une centralisation outrée, qui distinguent le système actuel du gouvernement : il substitue de plus en plus l'action de l'Etat à celle des forces individuelles, et paralyse ainsi le développement social.
« Cette pensée d'absorption caractérise le projet dans son ensemble.
« 2° Le projet n'a en vue que l'enseignement public, réglé par la loi, à l'exclusion de l'enseignement privé ; se plaçant toujours à ce point de vue étroit, il méconnaît le principe de la liberté d'enseignement, tel qu'il est proclamé par la Constitution, pour ne favoriser que l'enseignement légal.
« 3° En mettant, comme il le fait des entraves aux intentions des fondateurs et donateurs disposés à gratifier l'enseignement privé, il tend à créer un véritable monopole au profit de l'enseignement public, qui trouvera toujours des ressources suffisantes dans le budget de l'Etat, de la province et de la commune.
« Une pensée hostile à la liberté de l'enseignement est donc au fond du projet. En mettant des entraves à la libre volonté des citoyens, il diminue les ressources qui seront désormais affectées à la diffusion de l'enseignement ; sous ce rapport, le projet se montre ennemi du progrès ; il procède d'une pensée antilibérale dans la véritable acception du mot.
« 4° Il est contraire à l'esprit de la saine démocratie, qui suppose le concours le plus étendu possible de tous les citoyens à la gestion des grands intérêts locaux.
« 5° En supprimant toute initiative, en comprimant la libre manifestation des volontés individuelles, il prépare l'indifférentisme, qui est l'avant-coureur du despotisme.
« 6° Il porte atteinte aux droits des familles ; il dépouille les administrateurs actuels des droits qui leur ont été régulièrement attribués par les lois antérieures ; il méconnaît la volonté des fondateurs, et, sous ce triple rapport, il viole les principes de justice et pose un dangereux précédent.
« 7° Il fait rétroagir le régime nouveau au passé : il méconnaît ainsi les plus saintes règles de droit, d’équité et de loyauté politique, et à la volonté des fondateurs ratifiée par les gouvernements antérieurs, aux conditions librement acceptées et sanctionnées par ceux-ci, il substitue la toute-puissance d'une loi nouvelle, que la postérité appellera une loi de confiscation. »
Ces reproches graves me paraissent incontestables. Le projet de loi expulse les citoyens d'une sphère légitime d'action ; il fait absorber toute individualité par l’Etat. Le citoyen avait la faculté d'intervenir dans ce grand intérêt social, l'enseignement ; eh bien, vous lui enlever cette faculté qui, sous un régime bien différent du nôtre, lui était conservée. C'est, à mon avis, le caractère le plus fâcheux et le plus dangereux de votre projet.
Nous vivons dans une société démocratique ; nous en sommes les enfants et notre Constitution en est l'expression politique.
Nous avons donc le droit et même le devoir de nous préoccuper des intérêts de la vraie démocratie, de la bonne démocratie, de celle qui s'appuie sur la justice et le maintien de tous les droits.
Je viens de dire que le projet de loi la compromet ; eh bien, le plus grand danger qui menace le régime démocratique, c'est cette tendance incessante vers l'intervention outrée de l'Etat, vers ce régime qui sacrifie partout l'individu à l'Etat et si les démocrates doivent sombrer un jour, c'est par ce vice qu'elles périront
Mon Dieu ! on parle beaucoup, dans le rapport, des idées modernes ; on y revient avec complaisance ; parlons-en aussi.
Qu'est-ce donc, messieurs, que les idées modernes ? La question est posée, je vais y répondre.
Eh bien, les idées modernes, pour moi, et, j'ose le dire, pour tous mes amis, c'est avant tout la tolérance pour toutes les opinions.
- Voix à droite. - C'est cela !
M. Nothomb. - C'est, sur nos bancs, une vérité déjà vieille ; elle date de longtemps ; elle remonte à 1830. A cette époque elle était proclamée par un des membres les plus distingués du Congrès, dans un langage qui n'a pas été dépassé. Voici ce qu'il disait, à propos de l'article 18 de la Constitution :
« Dans l'état actuel de la société, il faut laisser toutes les opinions, toutes les doctrines librement se produire ; il faut les laisser se débattre et s'entrechoquer entre elles ; celles qui sont de verre se briseront, celles qui sont de fer persisteront, et la vérité finira par l'emporter par sa propre force ; sa victoire alors sera glorieuse, elle sera légitime, car elle aura été conquise sur le champ de bataille à armes égales. »
Ainsi parlait notre honorable collègue le vicomte Charles Vilain XIIII. Ce qu'il disait alors, je voudrais pouvoir le répéter et le répéter surtout en un aussi beau et généreux langage.
Oui, l'idée moderne, c'est avant tout la tolérance pour toutes les opinions, c'est aussi le respect pour tous les droits, c'est la liberté civile et politique en tout et pour tous, même quand elle nous contrarie. L'idée moderne c'est l'émancipation de l'individu, c'est, pour tout dire, l'homme cessant d'être sujet pour devenir citoyen.
Voilà, messieurs, ce que, pour moi, représente l'idée moderne. Or, le projet n'est-il pas le contre-pied de toutes ces vérités ?
Au lieu de favoriser la coopération des citoyens à la gestion des bourses d'études, vous les éloignez, vous les déclarez incapables, vous les déclarez suspects ; c'est une loi des suspects que vous faites ; vous dégoûtez les citoyens des affaires publiques ; on prépare la pire des situations dans les pays libres, l'indifférentisme.
Ces idées ne sont pas seulement les miennes, je veux les placer sous une autre autorité, sous celle d'un homme qui a été longtemps à la tête de l'opposition libérale en France et qui vit aujourd'hui dans la retraite, respecté et honoré de tous.
Voici comment s'exprime M. O. Barrot dans son livre sur la centralisation et ses effets (page 69) :
« Le monde moral, comme le monde physique, a ses lois invariables. L'âme et le corps se ressentent des aliments dont on les nourrit. Prenez le corps le plus sain et le plus vigoureux, et donnez-lui une alimentation insuffisante ou malsaine, il s'affaiblira infailliblement et dépérira. Il en est de même de l’âme ; habituez la à s'abdiquer devant la volonté d'autrui, à se résigner devant la force : ôtez-lui la conscience de sa liberté et de sa responsabilité, réduisez-la à concentrer son activité et son énergie dans un cercle étroit de petits intérêts personnels et égoïstes, alors soyez-en certain, au bout de peu de temps, l’énervation morale commencera à se produire et à se manifester ; le sentiment de l'indépendance, le plus noble attribut de notre humanité lorsqu'il est réglé par la conscience, disparaîtra peu à peu. »
Et page 75 : « C'est une vérité démontrée par les grands faits de l'histoire que le régime vigoureux et sain de la liberté élève l'âme et féconde l'intelligence d'un peuple, taudis que le régime d'une centralisation excessive, qui n'est autre que le pouvoir absolu, les dégrade et les abaisse. »
(page 803) Et page199 : « Ne nous obstinons plus à vouloir concilier deux choses aussi profondément inconciliables que la centralisation et la liberté. Il est impossible d'échapper à ce dilemme déjà tant de fois vérifié, par de cruelles expériences ; ou la centralisation unie à des institutions libres les pervertit et finit par les faire périr ; ou réunie à son élément naturel, au pouvoir absolu, elle devient le pire des despotismes, c'est-à-dire la plus grande humiliation. »
Si je ne craignais pas d'abuser de votre bienveillante attention, je voudrais vous donner encore lecture de paroles prononcées en 1824 sur les effets de la centralisation, par un homme éminent, par M. Royer-Collard.
- Plusieurs voix. - Lisez ! lisez !
M. Nothomb. - Voici comment s'exprimait ce grand orateur : « Le temps fait les choses humaines et il les détruit ; le progrès des âges avait élevé le vieil édifice de la société, la révolution l'a renversé. A cette grande catastrophe se rattache notre condition présente. C'est parce que les institutions se sont écroulées, que vous avez la Centralité ; c'est parce que les magistratures ont péri, que vous n'avez que des fonctionnaires. Le pouvoir central a fait la conquête du droit ; il s'est enrichi de toutes les dépouilles de la société. Le gouvernement représentatif a été placé en face de cette autorité monstrueuse, et c'est à elle que la garde de nos droits politiques a été confiée. Le ministère vote par l'universalité des employés et des salaires que l'Etat distribue. Il vote par l'universalité des affaires et des intérêts que la Centralité lui soumet ; il vote par tous les établissements religieux, civils, militaires, scientifiques, que les localités ont à perdre ou qu'elles sollicitent ; car les besoins publics satisfaits sont des faveurs de l'administration, et, pour les obtenir, les peuples, nouveaux courtisans, doivent plaire. En un mot, le ministère vote de tout le poids du gouvernement, qu'il fait peser sur chaque département, chaque commune, chaque profession, chaque particulier. Et quel est ce gouvernement ? C'est le gouvernement impérial qui n'a pas perdu un seul de ses cent mille bras, qui a puisé, au contraire, une nouvelle vigueur dans la lutte qu'il lui a fallu soutenir contre quelques formes de liberté et qui retrouve toujours au besoin les sentiments de son berceau, la force et la ruse. Le mal est grand, messieurs ; il est si grand que notre raison bornée sait à peine le comprendre. Le gouvernement représentatif n'a pas été seulement subverti par le gouvernement impérial ; il a été perverti ; il agit contre sa nature. Au lieu de nous élever, il nous abaisse ; au lieu d'exciter l'énergie commune, il relègue tristement chacun de nous au fond de sa faiblesse individuelle. »
Royer-Collard, sans doute, faisait allusion au régime impérial ; grâce au ciel, nous ne sommes pas sous ce régime, mais il nous a laissé des traces et vous les suivez, vous êtes sur la pente qui y ramène, vous invoquez ses décrets et vous ne les appliquez pas en les mettant en rapport avec nos institutions, mais en suivant l'esprit inquiet et jaloux qui inspirait l'empire.
Voilà la pente sur laquelle vous êtes et sur laquelle nous vous conjurons de vous arrêter.
Eh bien, cette situation que M. Od. Barrot décrit de main de maître, et que le projet porte en germe, je supplie les amis sincères de la démocratie de l'éviter.
Le projet heurte, affronte de plus les anciennes institutions, les traditions séculaires de la Belgique. Ce pays se distingue par le grand nombre de ses fondations de bourses, qui sont une œuvre de progrès et de science, elles sont l'honneur de nos ancêtres, elles devraient être le stimulant des hommes de l'avenir. Elles ont été fondées sur la foi des lois existantes. Si vous y touchez, la source de ces libéralités sera tarie pour l'avenir ; on ne fondera plus, le jour où vous aurez enlevé aux individus l'initiative de leurs œuvres, et vous aurez enlevé à la Belgique un de ses titres de gloire.
Vous continuerez à nous couler de plus en plus dans un moule exotique et vous nous façonnerez à un régime étranger, sans le vouloir, par la force des choses humaines.
C'est là une grande, une immense faute politique, et je m'étonne que des hommes d'Etat aussi intelligents que mes honorables adversaires qui sont au banc des ministres ne s'aperçoivent pas du péril vers lequel ils marchent.
M. De Fré. - Ils sont à plaindre.
M. Nothomb. - A ce propos, qu'il me soit permis de manifester le douloureux étonnement que j'ai éprouvé naguère en entendant l'honorable M. Bara proférer ici des paroles acerbes contre l'ancienne université de Louvain.
Je n'ai pas mission de la défendre, mais je regrette cette espèce d'outrage jeté à une de nos vieilles gloires nationales.
M. Bara. - Pas en tout temps.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Pas lorsqu'elle faisait brûler les sorciers.
M. Nothomb. - Elle a toujours été un foyer de lumière qui a rayonné sur le monde entier.
M. Bara. - Pas au XVIIIème siècle.
M. Nothomb. - C'est une des gloires du pays, et à ce titre elle a droit à notre respect.
M. Bara. - Je l'ai dit dans mon rapport.
M. Nothomb. - Elle a restauré la science du droit dans le nord de l'Europe. Faut-il produire la longue liste des hommes illustres qu'elle a possédés dans son sein ?
Faut-il rappeler André Vésale, dont la statue est sur une de vos places publiques, Juste Lipse et tant d'autres ?
Je vous citerai d'autres titres de gloire qui vous frapperont sans doute. N'est-ce pas la faculté de théologie qui a demandé le rappel du duc d'Albe à une époque où il y avait du courage à ne pas se courber devant le tyran espagnol. N'est-ce pas elle qui a pris part à la pacification de Gand de l'an 1576 ?
Parce que vous avez trouvé quelque part des critiques amères, parce qu'il y aurait eu quelques abus, parce que cette grande institution aurait eu quelques jours de faiblesse, vous avez cru pouvoir l'insulter.
Et vous n'avez pas été touché par ce nom unique dans l'histoire « Alma mater. » Si vous n'êtes pas le fils respectueux de l'Alma mater, soyez au moins le fils respectueux de votre pays et ne flétrissez pas une de ses splendeurs.
A un autre point de vue encore, le projet de loi touche à notre organisation politique ; il froisse une de nos plus belles, la plus importante peut-être de nos prérogatives constitutionnelles, je veux parler de la liberté d'enseignement.
Je disais en section centrale :
« En mettant, comme il le fait, des entraves aux intentions des fondateurs et donateurs disposés à gratifier l'enseignement privé, le projet tend à créer un véritable monopole au profit de l'enseignement public, qui trouvera toujours des ressources suffisantes dans le budget de l'Etat de la province et de la commune.
« Une pensée hostile à la liberté d'enseignement est donc au fond du projet ; en mettant des entraves à la libre volonté des citoyens, il diminue les ressources qui seront désormais affectées à la diffusion de l’enseignement ; sous ce rapport, le projet se montre ennemi du progrès ; il procède d'une pensée antilibérale dans la véritable acception du mot. »
Je n'ai rien à retrancher de cette déclaration. J'y ajouterai quelques mots relativement à la compétence des communes en matière de libéralités à l'enseignement libre.
Le rapport de la section centrale, aux pages 8 et 36, parle d'un membre qui a soulevé cette question. Ce membre c'est moi. Je l'ai fait à propos d'un legs dont on parle beaucoup, celui de feu M. Verhaegen. Mon opinion a été vivement attaquée dans cette enceinte et au-dehors.
J'en veux garder la responsabilité et je ne la déserterai pas. J'ai d'ailleurs trouvé un auxiliaire précieux dans l'honorable M. Van Humbeeck.
J'ai soutenu que la commune, par son origine, par son essence, par son but, était apte à accepter les libéralités faites à l'enseignement qui se donne sur son territoire, à l'enseignement libre à tous les degrés.
La commune est une extension de la famille. Ce que peut la famille, la commune a le droit de le faire.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est dire que la commune peut faire le commerce.
M. Nothomb. - Vous rapetissez la question. Personne ne niera que le premier devoir de la famille ne soit l'enseignement à ses différents degrés.
J'ai soutenu en section centrale et je soutiens ici que l'enseignement à tous les degrés est essentiellement une prérogative communale qui rentre naturellement dans les devoirs de la commune, que ne pas lui en faciliter la diffusion, c'est oublier quelle est la position de la commune en Belgique, quels sont ses droits, ses prérogatives.
L'honorable M. Bara nous a dit que la commune n'a sous ce rapport qu'une délégation de l'Etat. Il a invoqué à cette occasion l'article 31 de la Constitution qui dit que les intérêts exclusivement communaux sont du ressrort de la commune.
Mais qu'il me permette de le lui dire, il n'a pas compris la portée de cet article. L'article 31 de la Constitution est une garantie prise centrale pouvoir central en faveur de la commune. C'est une protection pour la commune. N'en faites donc pas une arme aujourd'hui pour diminuer le pouvoir communal au moyen d'une interprétation judaïque.
(page 804) Simple délégation du pouvoir, dit l'honorable M. Bara. Mais si cela était vrai, où donc irions-nous ? Que serait la commune en Belgique ? Elle n'aurait donc plus d'existence propre ?
Dans votre système elle serait simplement tolérée ; elle peut disparaître, elle peut être amoindrie, on peut lui enlever toutes ses prérogatives. Elle serait sous le coup d'une véritable exécution avec simple sursis.
C'est ici encore que l'on invoquerait contre la commune vos principes d'utilité publique dont les majorités sont seules juges. Le jour où la majorité croirait qu'il y a utilité à supprimer la commune, à la réduire au rôle de simple satellite du pouvoir central, l'utilité publique suffirait.
Ce n'est qu'une délégation du pouvoir.
M. Bara. - En matière d'intérêt général.
M. Nothomb. - Elle n'a qu'un rôle passager, un rôle transitoire. Dans votre système, la commune n'est plus qu'un atome qui tourbillonne autour de votre Etat-Soleil.
M. B. Dumortier. - C'est un bureau ministériel.
M. Nothomb. - M. Bara a comparé le projet de 1857 avec la doctrine soutenue par l'honorable M. Van Humbeeck et par un honorable magistrat d'un mérite reconnu.
Et à cette occasion il nous a dit, qu'en présentant le projet de 1857, j'avais été plus libéral que M. Tielemans et que M. Van Humbeeck. Je suis donc distancé, d'après lui, par ce que vous appelez le jeune libéralisme et je pourrais me croire à la fois vengé et consolé.
Eh bien, non, je ne veux ni de votre éloge ni de votre absolution. Je suis incorrigible. En soutenant ce que j'ai soutenu en section centrale et ce que je soutiens ici, je reste conséquent avec les idées que j'ai défendues en 1857.
Qu'ai-je voulu, à cette époque, par le projet de loi sur les établissements de bienfaisance ? J'ai voulu empêcher l'excès des personnifications civiles. J'ai voulu faire accepter par la personne civile, essentielle, normale, qui est le bureau de bienfaisance, les libéralités pour l'indigence matérielle.
Il s'agit aujourd'hui des libéralités faites à l'indigence intellectuelle. Or, je veux les faire accepter par l'agent légal qui me paraît essentiellement compétent, qui est la personne civile, normale également, c'est-à-dire par la commune.
L'honorable M. Bara a fait un rude procès aux communes. Il a signalé leur inertie, leur apathie ; il a dressé le tableau le plus sombre de l'abandon dans lequel les communes laissaient l'enseignement. Et voyez cependant l'étrange inconséquence dans laquelle il est tombé ! Vous ne voulez pas que les communes puissent percevoir des libéralités dans un but d'enseignement, et vous leur reprochez leur apathie, vous leur faites un crime de n'avoir rien fait pour l'enseignement, et lorsqu'il s'agit d'une donation pour l'enseignement, vous dites non ; vous ne lui permettez pas de l'accepter ; mais vous proposez de faire accepter le legs dont nous parlons par l'Etat ; vous prétendez dans le rapport que l'Etat seul peut accepter.
Cela est impossible. Ce serait d'abord une violation manifeste de la volonté du testateur, qui a institué la ville de Bruxelles ; et j'ajoute : Ce serait une violation flagrante de l'article 911 du Code civil qui dit que le legs fait à une personne incapable est nul.
Dans votre système, le legs est nul, puisque la ville de Bruxelles est une personne incapable. Par conséquent, le legs ne peut être accepté par l'Etat. Ou il le sera par la commune instituée de Bruxelles ou il ne le sera par personne.
Voilà la conclusion logique de votre système, et vous auriez cette singulière situation que dans la Belgique d'aujourd'hui, que dans la Belgique progressive, il y aura un homme qui, guidé par une grande idée, je veux le reconnaître, a légué une fortune véritable à une institution d'enseignement, et ce legs ne pourra pas être accepté. Eh bien ! ce serait reculer, et j'ose le dire, ce serait presque barbare. Oui, pour l'enseignement comme pour tant d'autres choses, on serait donc obligé en Belgique de fuir cette terre jadis si hospitalière, cette terre de liberté, et d'aller faire ailleurs de la bienfaisance et de l'enseignement. Il faudrait aller en Prusse, il faudrait aller en Hollande, il faudrait aller en Angleterre, dans tous ces pays où l'on est libre de faire le bien comme on veut, et quand on veut.
Je ne sais s'il faut appeler libéralisme ce système de centralisation et de confiscation, d'exclusivisme jaloux et étroit. Certes, il ne constitue pas un progrès.
J'attends, messieurs, un amendement dans le sens de mes observations, Si je ne le présente pas moi-même, c'est par déférence pour mes honorables collègues de la représentation de Bruxelles. Mais je n'abandonnerai pas l'opinion que moi et mes honorables collègues de la minorité de la section centrale avons soutenue et si l'amendement ne vient pas de la part de ceux qui, à mon sens, doivent naturellement le présenter, nous aviserons.
L'honorable M. Bara et l'honorable M. De Fré nous ont dit, à plusieurs reprises, qu'ils ne veulent plus de fondations. L'honorable M. De Fré a même déclaré que la société moderne ne les supporte plus. Oh ! alors, l'Angleterre, la Hollande, les Etats-Unis et tous les pays où il est permis de fonder, doivent être bien malades. Partout où règne la liberté, il y aura donc maladie morale et abus d'un autre âge.
A cette occasion, je signale une nouvelle contradiction entre les paroles de MM. De Fré et Bara et le projet. Le projet dit en toutes lettres qu'il faut favoriser les fondations, et l'honorable M. Bara dit qu'il n'en veut plus. L'honorable M. De Fré s'écrie : La société moderne en mourrait ! et le projet de loi proclame qu'il faut en faire.
Explique qui voudra de pareilles contradictions ! Ce n'est pas mon affaire.
Je demande la permission de terminer demain. Je suis arrivé à la disposition rétroactive du projet ; c'en est le côté juridique le plus important, et pour l'examiner comme il le mérite, j'aurais encore besoin d'occuper quelque temps votre attention
- La séance est levée à quatre heures et demie.