(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1862-1863)
(page 691) (Présidence de M. Vervoort.)
M. de Florisone procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moor présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Jouquet, décoré de la croix de Fer, demande une augmentation de pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des orfèvres bijoutiers à Mons demandent la révision des lois et règlements qui régissent le travail d'or et d'argent en Belgique. »
- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.
« Les membres du conseil communal de Waereghem demandent que le chemin de fer à construire de Denderleeuw à Courtrai passe par Sottegem, Nederzwalm-Hermelgem et Cruyshautem pour se joindre, à Waereghem, à la voie de l'Etat de Gand à Courtrai. »
« Même demande des membres du conseil communal de Wannegem-Lede et de Nokere.»
M. H. Dumortier. - Je demande que ces pétitions soient renvoyées à la section centrale qui est chargée d'examiner le projet de loi relatif à des concessions de chemins de fer.
M. E. Vandenpeereboom. - La section centrale a terminé l'examen de ce projet de loi. Il me semble donc qu'on pourrait ordonner le dépôt de toutes les pétitions relatives au même objet sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
M. H. Dumortier. - La section centrale a terminé hier l'examen du projet de loi, mais elle doit se réunir encore pour entendra la lecture de ce rapport ; il me semble donc qu'elle pourrait en même temps examiner les, pétitions qui lui seraient transmises jusqu'à cette époque.
- Cette proposition est adoptée.
« Les sieurs Hanquet proposent un nouveau mode de vote électoral. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur les fraudes électorales.
« Le sieur Wielmaecker demande que la Chambre ne ratifie pas la convention relative au chemin de Courtrai à Denderleeuw avant d'avoir examiné son droit de priorité pour l'obtention de cette ligne. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la concession de chemins de fer.
« Le sieur Broodcoole, ancien soldat congédié pour infirmité contractée au service, réclame l'intervention de la Chambre pour être admis dans un hôpital militaire. »
M. Thienpont. - C'est un homme qui par le fait du service a contracté une infirmité qui le prive presque complètement de la vue et qui, pour toute faveur, demande à être traité dans un hôpital militaire.
Je demande que la Chambre ordonne, sur cette pétition, un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer un projet de loi ayant pour objet d'ériger en commune distincte le hameau de Meix-le-Tige qui fait actuellement partie de la commune de Rachecourt (Luxembourg).
M. le président. - Ce projet sera imprimé et distribué. Je vous propose d'en renvoyer l'examen à une commission à nommer par le bureau.
- Adopté.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre : 1° un projet rte loi tendant à ouvrir un crédit supplémentaire de 204,000 fr. au département de la justice ; 2° un projet de loi qui ouvre au département de la guerre un crédit supplémentaire de fr. 51,070-17.
- Ces projets seront imprimés, distribués et renvoyés à l'examen des sections.
M. le président. - Voici, messieurs, comment le bureau a composé la commission qui sera chargée d'examiner le projet de loi que M. le ministre de 1'intéricur vient de déposer : MM. d'Hoffschmidt, Moncheur, de Moor, J. Jouret et Goblet.
« M. le comte de Liedekerke, retenu chez lui pour affaires de famille imprévues, demande un congé. »
- Accordé.
M. de Vrière. - Messieurs, je lis, dans le rapport de la section centrale, le passage suivant :
« Des membres de la section centrale, après avoir voté cette modification aux termes de l'article premier du traité, croient qu'il ne suffit pas d'avoir demandé, d'une manière positive, pour la Belgique, le traitement de la nation la plus favorisée, mais encore qu'ils doivent également protester contre les distinctions de culte qu'en fait reconnaît le traité ; ils pensent qu'il importe, pour obéir à leurs convictions et à leurs principes libéraux et progressifs, de faire une tentative énergique pour en arriver à l'émancipation complète des Israélites suisses, émancipation qui intéresse également, à un si haut point, les intérêts de nos nationaux Israélites dans leurs relations avec la Confédération helvétique.
« La section centrale, saisie de cette question, la discute et l'examine d'une manière des plus sérieuses. »
Vient ensuite cet examen, puis la section centrale conclut dans les termes suivants :
« La section centrale, à l'unanimité moins deux voix, adopte la proposition de poursuivre la modification du traité de manière que les Belges puissent jouir en Suisse des avantages dont ils jouissent en Belgique, et tout particulièrement au point de vue de la liberté religieuse. »
Ce sont, messieurs, ces conclusions que je viens combattre. Personne plus que moi n'apprécie le bienfait de la liberté de conscience, personne plus que moi ne désire que ce grand principe soit inscrit dans la législation de tous les peuples ; mais autant je fais des vœux pour que toutes les nations jouissent d'une aussi précieuse garantie, autant je suis opposé à toute démarche du gouvernement qui impliquerait une ingérence directe ou indirecte dans les affaires intérieures d'un autre pays. Chacun chez soi, c'est là un adage politique qu'il faut respecter et faire respecter, non seulement parce qu'il est conforme à toutes les règles du droit privé et du droit public, mais parce qu'il est la sauvegarde la plus sûre de la paix et de l'indépendance des nations.
Chaque Etat, lorsqu'il contracte avec un autre Etat, stipule sur la base de ses institutions et de ses lois ; c'est là une règle invariable en politique. Il n'y a pas d'exemple qu'un traité ait été fait sur d'autres bases que celle-là. C'est pour cela qu'il est généralement admis que lorsqu'on obtient dans un pays le traitement des nationaux, c'est tout ce qu'on peut désirer, tout ce qu'on a le droit de demander. Sans doute il arrive que pendant une négociation portant sur des intérêts matériels et relativement secondaires, on cherche à faire rapporter une loi d'un autre Etat lorsque cette loi est un obstacle à de large, concessions réciproques ; mais je n'admets pas et personne n'admettra qu'on puisse demander à un pays d'introduire dans un traité des stipulations contraires à ses principes constitutionnels ou à des dispositions essentielles de sa législation.
M. H. Dumortier. - On est libre de ne pas traiter.
M. de Vrière. - Certainement, on est libre de ne pas traiter. La Chambre avisera ; mais je ne pense pas qu'elle soit d'avis de rejeter le traité eu considération des observations de la section centrale.
Nous avons, messieurs, le bonheur de jouir des plus larges libertés ; nous considérons nos institutions comme les meilleures dont un peuple puisse être doté ; mais professe-t-on partout, et surtout a-t-on toujours professé partout la même admiration pour ces libertés qui font notre orgueil ? N'a-t-on pas souvenance que dans certains pays on considérait quelques-unes de ces libertés comme anarchiques, comme destructives de tout ordre régulier, comme dangereuses même pour les Etats avoisinants ? et n'avons-nous pas dû quelquefois - il y a longtemps de cela, je le reconnais - revendiquer avec une certaine énergie nos droits de souveraineté et d’indépendance ?
Et qui nous garantit que nous ne serons pas encore quelque jour exposés à la pression des conseils d'une autre époque de réaction ? Eh. bien, messieurs, de quel droit protesterions-nous alors contre cette pression, contre cette ingérence étrangère, alors que nous aurions donné l'exemple d'une pareille ingérence ?
Au point de vue philosophique et politique, nous sommes convaincus (page 692) que nous sommes dans la vérité. Mais en dehors de nos principes, de nos convictions, où est la preuve que nous ne sommes pas dans l'erreur ? Qui sera juge entre nous et ceux qui professent d'autres doctrines ?
Mais, messieurs, ces libertés, auxquelles nous attachons tous tant de prix aujourd'hui, on nous l'a dit il y a quelques jour-s, toutes ces libertés, ou presque toutes, nous les avons discutées nous-mêmes en sens divers il y a trente ans, et vous voudriez que tous les pays les acceptassent sur l'autorité de vos conseils.
Il y a huit jours à peine, il s'est élevé dans cette Chambre une discussion qui tout au moins côtoyait la question de la liberté religieuse. Étions-nous tous d'accord dans cette discussion ? Le débat n'a-t-il pas au contraire fait entrevoir que si aujourd'hui nous pouvions entraîner le gouvernement à faire de la propagande extérieure en faveur de certains principes, le gouvernement pourrait un jour être convié par une autre majorité à faire de la propagande en faveur de libertés que vous n'acceptez pas ?
A côté de la liberté de conscience, nous avons écrit dans notre Constitution la liberté de la presse.
Nous tenons tout autant à cette seconde liberté qu'à la première. Nous croyons qu'il n'y a point de liberté complète dans un pays où n'existe pas le droit de manifester ses opinions par toutes les voies possibles. Nous considérons cette liberté comme un droit inviolable, comme une partie du domaine sacré de la pensée, et nous faisons aussi des vœux pour que tous les peuples jouissent de ce bienfait.
Mais remarquez bien que tous les pays ne partagent pas nos convictions sur ce point ; il en est, vous le savez, de très éclairés, de très civilisés, où la liberté illimitée de la presse ne paraît pas compatible avec les exigences d'un bon gouvernement.
Eh bien, messieurs, je demanderai à l'honorable rapporteur de la section centrale, je demanderai à tous les membres de la section centrale, si, étant chargé du soin de nos relations extérieures et si, ayant à traiter avec un de ces gouvernements, ils consentiraient à lui proposer d'insérer dans le traité une clause garantissant aux sujets des deux Etats la liberté de la presse.
M. Orts. - C'est un droit politique.
M. de Vrière. - Il me semble que la liberté religieuse est aussi au nombre de nos droits politiques.
M. Orts. - C'est un droit naturel.
M. de Vrière. - C'est un droit naturel, soit. Mais les pouvoirs politiques y ont mis des limites. C'est un droit politique, parce que la loi en fait un droit politique qu'elle reconnaît ici, et ne reconnaît pas ailleurs. Il en est de même de la liberté de la presse.
Au point de vue où je me place, je ne vois pas de différence entre les deux libertés. Il s'agit, des deux côtés, d'une garantie précieuse dont les Belges ne jouissent pas à l'étranger et dont les étrangers jouissent en Belgique ; la situation est donc exactement la même.
Messieurs, je pourrais multiplier les hypothèses, mais je pense avoir été suffisamment compris. Quand nous traitons avec un pays étrange,* nous ne consentons pas à enfreindre nos lois et moins encore nos principes constitutionnels.
Soyons tolérants au-dehors comme nous le sommes au-dedans, soyons-le à l'égard des gouvernements comme à l'égard des individus.
Le pays avec lequel il s'agit de traiter a, comme nous, ses assemblées représentatives, laissons-lui l'appréciation de ce qu'il a à faire chez lui et souffrons qu'il n'enfreigne pas ses lois intérieures pour traiter avec nous.
Nous avons, il y a quelque temps, négocié une convention d'extradition avec le gouvernement espagnol. Cette convention était fort difficile à faire, parce que l'Espagne a une loi sur le sacrilège et aussi parce que sa procédure criminelle diffère essentiellement de la nôtre. Avons-nous demandé que l'Espagne rapportât sa loi du sacrilège pour traiter avec nous ? Est-ce qui l'Espagne a demandé que nous fissions une loi du sacrilège à son exemple ?
Non, messieurs, nous avons compris, de part et d'autre, que nous devions négocier sur la base de nos lois respectives, et nous avons cherché à concilier l'intérêt que nous poursuivions avec nos législations respectives.
Je pense que la Chambre jugera que c'est ainsi que nous devions agir, et j'ai la confiance qu'elle sera d'avis avec moi que dans le cas qui nous occupe aujourd'hui, il est à la fois prudent et de saine politique de nous opposer à une démarche qui ne serait pas autre chose qu'une ingérence indirecte dans les affaires d’un pays étranger.
Si la Belgique a acquis le respect des peuples et des gouvernements, elle doit en grande partie cette estime aux larges principes constitutionnels qui la régissent et à la manière dont elle a su les pratiquer. Nous avons offert le rare spectacle d'un peuple trouvant la liberté dans son berceau, passant sans transition de la première enfance à la virilité, jetant dès ses premiers jours ses langes et ses lisières, et marchant d'un pas sûr, sans jamais chanceler, dans la voie de tous les progrès et de toutes les prospérités.
Messieurs, un pareil exemple est la meilleure des propagandes, c'est la meilleure et la plus sûre ; contentons-nous de celle-là ; elle s'impose d'elle-même et elle ne pourra jamais être invoquée contre nous.
M. de Boe. - L'honorable M. de Vrière, ancien agent diplomatique et ancien chef du département des affaires étrangères, jouit dans cette enceinte, en matière de questions diplomatiques et surtout de convenances internationales, d'une autorité contre laquelle il est bien difficile de s'élever.
L'honorable membre critique l'ingérence que la section centrale chercherait à conseiller au gouvernement dans les affaires intérieures de la Suisse.
Je crois que l'honorable baron de Vrière s'exagère beaucoup la portée des observations que la section centrale a présentées à l'occasion du traité qu'elle aurait à examiner.
Celle-ci n'a pas manifesté le désir que le gouvernement cherchât à faire modifier la constitution fédérale.
Si nous nous sommes occupés du régime intérieur de la confédération helvétique et de certains cantons suisses, c'est que nous y avons été amenés par la position faite à nos nationaux dans divers cantons, suivant qu'ils professent telles ou telles opinions religieuses.
Le gouvernement belge doit protection aux Belges à l'intérieur et à l'étranger sans avoir à s'occuper de la confession religieuse à laquelle ils adhèrent. Les traités que nous concluons avec les puissances étrangères ont principalement pour but de garantir la personne et la propriété de nos nationaux sans distinction de foi religieuse.
Or, le traité qui nous est soumis admet implicitement de semblables distinctions.
Nous n'avons pas cru pouvoir accepter purement et simplement une convention internationale sanctionnant pour les Belges en Suisse un traitement différentiel qui froisse tous nos sentiments sur l'égalité et la liberté de conscience.
Il était de devoir strict pour nous de rechercher quelle serait sous l'empire du traité la position des Belges dans les divers cantons de la confédération suisse, et comme le traité se complète à cet égard par la législation fédérale et les lois particulières des cantons, nous avons été amenés forcément à nous occuper des uns et des autres.
La Constitution fédérale garantit à tous les Suisses, à quelque canton qu'ils appartiennent, la plupart des libertés individuelles, la liberté de la presse, la liberté d'association, la liberté de réunion. Il n'en est pas de même de la liberté religieuse.
La Constitution ne garantit que le libre exercice du culte des confessions chrétiennes reconnues. Du moment qu'il s'agit d'un culte non reconnu, chrétien ou autre, les administrations cantonales peuvent en interdire l'exercice. La souveraineté cantonale conserve à cet égard tout son empire.
La confédération garantit à tous les Suisses de l'une des confessions chrétiennes le droit de s'établir librement dans toute l'étendue du territoire suisse. Les gouvernements cantonaux peuvent donc sans violer le pacte fédéral, interdire à un individu suisse ou autre le droit de s'établir sur leur territoire s'il appartient à une confession non chrétienne.
Enfin les cantons ne sont obligés de traiter les citoyens des autres Etats confédérés comme ceux de leur Etat, en matière de législation, que pour autant qu'ils adhèrent à une confession chrétienne.
La libéré d'industrie, le droit d'acquérir et d'aliéner des biens-fonds, peuvent, notamment être restreints pour certains individus du chef de leurs opinions religieuses.
Dix-sept cantons sur vingt-cinq usent d'une manière plus ou plus complète de ce droit d'intolérance.
Huit cantons défendent aux israélites de s'établir sur leur territoire. Eh bien, messieurs, le traité admet ces distinctions pour les Belges qui iront séjourner ou s'établir en buisse.
Sous l'empire de ce traité, les Belges professant un culte réprouvé par les gouvernements cantonaux se trouveront frappés des interdictions dont je viens de parler.
- Un membre. - Comme les Suisses.
M. de Boe. -Nous allons voir tout à l'heure que le régime dont sont frappées les Suisses dans certains cantons, n'est pas accepté par toutes les puissances pour leurs nationaux. Nous allons voir à l'instant qu'il est des gouvernements qui protestent coutre cet état de choses, qui (page 693) refusent de stipuler sur les bases que nous avons admises et dont les protestations sont acceptées par le conseil fédéral, recommandées par lui aux gouvernements cantonaux, ce qui détruit complètement le reproche fait à la section centrale par l'honorable M. de Vrière de chercher à s'ingérer d'une manière illicite dans les affaires intérieures de la Suisse.
Nous avons, messieurs, accepté le traité parce que nous avons pensé que le rejet d'un traité est un acte extrêmement grave ; nous nous sommes en quelque sorte, malgré nous, ralliés à la convention diplomatique soumise à la Chambre.
Mais nous avons cru devoir protester contre l'état des choses qui existe encore aujourd'hui en Suisse en tant qu'il affecte nos nationaux.
Nous avons cru pouvoir le faire avec d'autant p'us de raison à l'occasion de l'examen d'un traité de commerce, qu'il nous a semblé que sous l'intolérance religieuse se cache peut-être l'intolérance commerciale.
Dans certains cantons, cet état de choses est le résultat du fanatisme religieux ; c'est ce qui arrive notamment dans les petits cantons ruraux. Mais il en est d'autres où l'intolérance n sa source dans la jalousie commerciale. Jadis tous les cantons avaient une ligne de douanes, des droits protecteurs. Ces droits ont été supprimés mais les cantons n'ont pas moins continué à frapper les étrangers d'impôts spéciaux.
C'est ainsi qu'il leur est demandé un cautionnement. Je crois que les incapacités qui frappent les adhérents de certaines opinions religieuses et notamment les Israélites dont l'habilité commerciale et financière est proverbiale sont dictées souvent, comme elles l'ont du reste été fréquemment dans le passé, par le désir d'éloigner des concurrents habiles en industrie, en commerce et en finances.
Je viens de dire, messieurs, que d'autres gouvernements protestent et que leurs protestations sont acceptées par le conseil fédéral et recommandées par lui à la sollicitude des autorités cantonales.
En 1850, le chargé d'affaires des Etats-Unis a remis au président de la confédération helvétique un mémoire relatif aux incapacités résultant des opinions religieuses, et le président de la confédération a trouvé ce mémoire tellement remarquable, les considérations qui y étaient exposées tellement dignes d'être prises en sérieuse considération et de servir de base à la législation des divers cantons suisses, qu'il en a donné copie au autorités des 25 cantons, en les priant de conformer leur législation aux idées dont ils recevaient communication.
En 1860, M. le marquis de Turgot, a remis une note analogue au président de la confédération helvétique, et le président de la confédération a répondu à M. le marquis de Turgot qu'il trouvait très fondées les raisons invoquées dans sa note, et qu'il les avait recommandées, à l'attention de toutes les administrations cantonales.
Le président de la confédération n'a pas vu dans cette ingérence des deux gouvernements étrangers une ingérence insolite ; il a trouvé leurs représentations très fondés, et je ne vois pas pourquoi des représentations analogues faites par la Belgique seraient moins fondées, et comment il pourrait y avoir là un précédent dangereux pour la Belgique Lorsque des puissances étrangères feront des représentations fondées au gouvernement belge et que le gouvernement belge les acceptera, je ne vois pas ce qu'il peut y avoir là de dangereux pour notre indépendance et nos institutions.
- Une voix. - Vous faites plus qu'exprimer un vœu ; vous modifiez le traité.
M. de Boe. - Pardon, que faisons-nous ? Par la disposition que nous cherchons à faire admettre dans le protocole de l'échange des ratifications, nous avons en vue d'assurer le traitement de la nation la plus favorisée à nos nationaux.
Nous voulons que les Belges jouissent du traitement de faveur qui pourrait être éventuellement assuré à d'autres étrangers et notamment aux Français et aux Américains. Cela est dans le traité, nous a dit M. le ministre des affaires étrangères. Nous voulons que ce droit soit stipulé d'une manière plus précise. Tel est le but de la réserve dont nous demandons l'insertion dans le protocole de l'échange des ratifications.
J'ai dit, messieurs, que nous avons accepté le traité et j'ai dit qu'en cela nous avons fait beaucoup. Et, en effet, la disposition du traité qui est critiquée, celle de l'article premier, n'est autre chose que la reproduction textuelle d'une disposition qui se trouvait dans la convention conclue en 1827 entre la confédération helvétique et la France.
C'est sous l'empire de cette disposition internationale que se sont commis les abus qui, dans ces dernières années, ont si vivement éveillé la sollicitude des gouvernements américain et français. Or, le gouvernement français est aujourd'hui en négociations avec la confédération helvétique pour la conclusion d'un nouveau traité et il refuse de négocier sur les bases de l’article premier. Il trouve que cet article ne donne pas de garanties suffisantes à ses nationaux et il refuse de l'admettre dans le nouveau traité.
Cependant, messieurs, nous avons accepté nous, cette disposition, et je crois pouvoir dire que lorsque nous avons adopté le traité en section centrale, connaissant l'intolérance de certains cantons, nous avons été extrêmement larges et que nous avions certainement le droit de fair esuivre notre acceptation d'une protestation quelconque dans le sens de celle que le gouvernement des Etats-Unis et le gouvernement français ne cessent de faire auprès de la confédération helvétique.
Du reste, il me semble que le gouvernement dans la réponse qu'il a faite à la section centrale a laissé entendre qu'il négociait en vue d'obtenir un régime plus libéral. Eh bien, en insérant dans le rapport une protestation nous avons eu en vue précisément de venir en aide au gouvernement dans ces négociations et de donner à son action diplomatique l'autorité des Chambres représentatives belges. On peut, je crois, sans sortir du rôle modeste de nation neutre, faire quelques efforts pour la diffusion de la plus précieuse de toutes les libertés, la liberté religieuse, alors surtout que nos concitoyens qui pourraient résider à l'étranger et notamment en Suisse y sont personnellement intéressés.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je ne puis que partager les vues si sagement émises par mon honorable prédécesseur. Je pense que la section centrale, dans son désir bien légitime, d'ailleurs, de voir appliquer successivement à toutes les nations le régime libéral dont jouit la Belgique, a cependant été trop loin dans la manifestation de sa pensée et dans l'expression des prétentions qui se trouvent consignés dans son rapport.
La section centrale proteste contre une disposition du traité ; pourquoi ?
Parce que nous n'avons pas obtenu de la Suisse, pour tous les sujets belges en général, des droits qui sont refusés à certaines catégories de sujets suisses. On aurait voulu que le gouvernement belge obtînt en Suisse, pour ses nationaux, un traitement meilleur, des droits plus étendus que ceux qui sont assurés aux nationaux suisses. Voilà la prétention de la section centrale.
M. Goblet. - C'est une erreur.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Si c'est une erreur, je ne comprends pas la protestation de la section centrale.
M. Goblet. - Nous n'ayons pas fait de protestation... Je m'expliquerai.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Mais l'honorable M. de Boe vient encore de dire que la section centrale avait cru devoir protester contre l'absence d'une pareille stipulation.
Ce que le gouvernement belge a obtenu, comme tous les autres gouvernements qui ont traité avec la Suisse, c'est un traitement d'égalité pour nos nationaux relativement aux nationaux suisses. Les Belges seront traités en Suisse comme les nationaux suisses. S'il est certaines catégories de Belges qui, à cause de leur religion, se trouvent exclus de certains avantages en Suisse, ils sont placés, non pas dans une position inférieure, mais sur la même ligne que les nationaux suisses appartenant à cette même religion.
Ce ne sont pas seulement les Israélites qui ne sont pas admis dans certains cantons aux mêmes droits que les autres citoyens suisses : il y a toute une corporation catholique qui ne peut pas y séjourner.
Aurait-on voulu que la Belgique stipulât pour les jésuites belges et revendiquât pour eux le droit de séjourner en Suisse, alors que la législation de certains cantons exclut les jésuites de leur territoire.
On conçoit qu'un vainqueur, qu'un médiateur puissant, se trouvant en présence d'un petit pays comme la Suisse, vienne imposer des stipulations de ce genre et exiger pour ses nationaux, dans ce pays même, des droits supérieurs à ceux de ses propres sujets. Mais exiger que la Belgique obtienne de pareils privilèges, je crois que ce serait trop présumer de sa puissance. Et eût-elle cette puissance, eût-elle un pareil pouvoir, encore devrions -nous conseiller de ne pas en user, car il serait d'un très fâcheux exemple, et pour le présent et pour l'avenir, d'autoriser en quelque sorte les plus puissants à faire acte de souveraineté vis-à-vis des moins puissants.
Donc, messieurs, je crois qu'on n'a rien à reprocher aux négociateurs du traité. En ce qui concerne les nationaux belges, ils obtiennent en Suisse le même traitement que les Suisses eux-mêmes, On ne peut raisonnablement rien prétendre au-delà.
Maintenant, si ce n'est pas une protestation, si ce n'est pas une (page 694) injonction qu'a faite la section centrale, qu'a-t-elle voulu ? Exprimer un vœu, le vœu que le gouvernement belge, par ses conseils, par ses insinuations officieuses, obtienne dans la législation suisse certaines concessions en faveur d'une catégorie de concitoyens qui ne sont pas admis en Suisse sur le même pied que les autres.
Eh bien, messieurs, cela a été fait ; ce vœu a été exprimé de la part du gouvernement belge, comme il avait été exprimé de la part du gouvernement des Etats-Unis et du gouvernement français. On dit que le vœu exprimé par ce dernier gouvernement a été accueilli avec faveur par le gouvernement central. Oui, jusqu'à un certain point ; mais M. Frey Hérosée a déclaré qu'il n'irait pas, pour un intérêt purement commercial, introduire des modifications dans la constitution fédérale.
M. de Boe. - Mais il a néanmoins engagé les cantons à modifier leurs constitutions.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Il a communiqué aux cantons la circulaire de M. Turgot, mais il ne s'est nullement engagé à proposer des modifications à la constitution fédérale.
M. de Boe. - Nous ne demandons pas cela.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Alors il ne fallait pas s'expliquer comme on l'a fait dans le rapport de la section centrale.
Le traité assure à la Belgique en Suisse le traitement de la nation le plus favorisée.
Ce point est hors de toute contestation. La section centrale a cru toutefois que le traité n'était pas assez explicite à cet égard : Elle craint que, dans le cas où la France et les Etats-Unis obtiendraient le même traitement pour tous leurs nationaux, cette stipulation ne nous serait pas applicable ; c'est une erreur ; les Belges seront admis à jouir en Suisse du traitement des nations les plus favorisées.
Mais, dit la section centrale, cela ne s'applique qu'aux actes de la vie commerciale ; il faudrait que cela s'appliquât à la vie civile.
Je réponds que le traité ne présente aucun doute sous ce rapport, que c'est à tous égards que le Belge jouira du traitement de la nation la plus favorisé, mais pour faire disparaître jusqu'à l'ombre du doute, et au risque d'introduire une disposition surabondante, il a été convenu que l'échange des ratifications contiendrait une déclaration expresse à cet égard.
M. de Boe. - C'est tout ce que demandait la section centrale.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - J'ai voulu faire acte de bon collègue vis-à-vis de la section centrale, en m'adressant au gouvernement fédéral. La déclaration dont je viens de parler, sera jointe à la ratification.
Pour le moment je ne vois pas d'autre observa ion à faire.
M. De Fré. - J'ai fait partie de la section centrale et je demande la permission de donner quelques explications. Elles seront très courtes.
De quoi s'agit-il ? Il y a en Suisse des cantons où les israélites ne peuvent pas exercer le commerce, il y en a sept. Il a semblé à la section centrale, puisqu'il s'agissait d'un traité de commerce, qu'il fallait faire en sorte que la qualité d'israélite ne fut pas, pour nos nationaux, une cause de proscription dans certains cantons de la Suisse. Nous n'avons pas demandé que le gouvernement réclamât près de la Suisse pour qu'elle change sa constitution.
Nous n'avons pas prétendu qu'il s'ingérât dans l'organisation politique intérieure de la Suisse. La question n'est pas là. L'honorable M. de Vrière l'a placée trop haut. Nous avons vu que le traité qu'on propose à la Chambre en ce qui concerne l'objet qui nous occupe, est la reproduction littérale du traité que la France a fait avec la Suisse en 1827. Or, sous l'empire de ce traité, des français ont été expulsés de Bâle-Ville et de Bâle-Campagne, parce qu'ils appartenaient à la religion suisse. Ils y exerçaient le commerce et ils ont été expulsés et ruinés dans leur fortune ; il y a eu de la part du gouvernement français des protestations et des réclamations.
Le gouvernement français qui est lié par un traité, proteste et demande un autre traité. Eh bien lorsque la Belgique voit cette situation faite aux israélites de la France, quand elle voit que le gouvernement français proteste et veut être déchargé d'un pareil traité, pourquoi la Belgique accepterait-elle un traité pareillement identique ? Nous ne le rejetons pas mais nous demandons que dans l'échange des ratifications il soit entendu que le Belge soit traité comme la nation la plus favorisée.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - C'est ce qui est.
M. De Fré. - Le contraire y est ; je vais vous le prouver.
Voici ce que porte l'article 1er du traité qui nous est soumis :
« Les Belges seront reçus et traités dans chaque canton de la confédération suisse, relativement à leurs personnes et à leurs propriétés, sur le même pied et de la même manière que le sont ou pourront l’être à l'avenir les ressortissants des autres cantons. »
Et voici l'article premier du traité avec la France :
« Les Français seront reçus et traités dans chaque canton (de la confédération suisse) relativement à leurs personnes et à leurs propriétés sur le même pied et de la même manière que le sont ou pourront l'être à l'avenir les ressortissants des autres cantons. »
Vous le voyez, le traité qu'on nous propose est la reproduction littorale de l'article premier du traité avec la France.
La France veut modifier son traité, elle demande à la Suisse non pas qu'elle change sa constitution, mais que les Français soient traités en Suisse, comme l'est la nation la plus favorisée.
Je suppose que demain la France obtienne le traité, et le Belge jouira-t-il sur le territoire suisse de la liberté dont jouira le Français ? A ce que M. de Vrière vient de dire, qu'une pareille prétention de la part de la Belgique, petite nation neutre, vis-à-vis de la Suisse, est une prétention exorbitante ; j'oppose à l'honorable membre le traité que la Hollande a fait avec la Suisse. La Hollande a fait avec la Suisse, le 22 décembre 1862, un traité meilleur que celui de la Belgique.
L'article premier porte :
« Les sujets et citoyens respectifs "es deux hautes parties contractantes seront assimilés parfaitement et sous tous les rapports, lors de leur établissement ou séjour plus ou moins long dans les Etats et colonies de l'autre partie, aux ressortissements de, la nation la plus favorisée, pour tout ce qui concerne le permis de séjour, l'exercice des professions licites, les impôts, les taxes, en un mot toutes les conditions relatives au séjour et à l'établissement. »
Eh bien, qu'avons-nous dit ? Nous avons dit au gouvernement : il y a dans votre traité un article qui vous permet de modifier les clauses du traité. Voici le dernier paragraphe de l'article 13 :
« Les hautes parties contractantes se réserveront la faculté d'introduire d'un commun accord dans ce traité toutes les modifications qui ne seraient pas en opposition avec son esprit ou ses principes et dont l'utilité serait démontrée par l'expérience. »
Depuis que le projet a été présenté, nous avons acquis de l'expérience ; nous avons appris par l'exemple de la France que, tel qu'il est rédigé, il peut donner lieu à de graves inconvénients. Le traité a été rédigé il y a deux ans, bien que nous ne le discutions qu'aujourd'hui.
La Chambre se rappelle très bien ce qui s'est passé lors de la discussion du traité avec l'Angleterre. On a invité le gouvernement à porter lors de l'échange des ratifications, quelques modifications au traité en faveur de l'industrie gantoise.
Eh bien, messieurs, la section centrale ne fait pas autre chose. Et voici ce qu'elle a décidé :
« La section centrale, convaincue, que la clarté et l'absence de toute équivoque, est la première nécessité d'une convention internationale, demande, à l'unanimité, que, dans le protocole de l'échange des ratifications du traité, il soit consigné qu'il est formellement entendu que l'article premier du traité a la même signification que s'il était rédigé de la manière suivante : « Les sujets et citoyens respectifs des deux hautes parties contractantes seront assimilés parfaitement et sous tous les rapports, lors de leur établissement ou séjour plus ou moins long dans les Etats de l'autre partie, aux ressortissants de la nation la plus favorisée, sans distinction de culte, pour tout ce qui concerne le permis de séjour, l'exercice des professions licites, les impôts, les taxes, en un mot, toutes les conventions relatives au séjour et à l'établissement. »
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est la même chose.
M. De Fré. - Ce n'est pas la même chose et voici pourquoi. Dans le traité qui est proposé il est dit que les Belges seront reçus et traités dans chaque canton de la confédération suisse, relativement à leurs personnes et à leurs propriétés, sur le même pied et de la même manière que le sont, ou pourront l'être, à l'avenir, les ressortissants des autres cantons.
Or, si un habitant de Genève vient à Bâle, il ne peut pas. s'il est Israélite, y exercer le commercel
Et le Belge israélite qui va en Suisse ne pourra pas plus que le Genevois exercer le commerce à Bâle.
Voilà votre traité.
Le traité avec la Hollande, au contraire, donne à tout Hollandais, même israëlite, le droit d'exercer librement le commerce dans toute la Suisse s'il existe une nation quelconque qui jouisse de ce droit.
(page 695) M. Van Humbeeck. - La France a été dans ce cas sous l'empire du traité de 1803.
M. De Fré. - En 1803, le traité français portait ce que porte aujourd’hui le traité avec la Hollande.
En 1827, sous le ministère de Charles X, lorsqu'il y avait une forte réaction en France, le traité a été modifié sous l'empire de cette réaction dans un sens restrictif de la liberté.
La France aujourd'hui veut revenir au traité de 1803.
Messieurs, le but de la section centrale a été celui-ci. Il lui a semblé qu'il n'était pas possible que la Belgique acceptât le traité sans la moindre observation ; il lui a semblé qu'il n'était pas possible que, comme sentiment libéral, elle fût au-dessous de la France. La Hollande, petite nation comme la Belgique, a voulu un traité plus large.
Pourquoi ne le voudrions-nous pas aussi ? C'est par un sentiment de fierté nationale que nous avons inséré ce vœu dans le rapport de la section centrale.
Maintenant, nous ne demandons qu'une chose (et nous sommes assurés d'avance de la bonne volonté du gouvernement). Nous ne demandons qu'une chose, c'est que le gouvernement obtienne, lors de l'échange des ratifications, qu'il espère obtenir l'interprétation qu'il lui donne et que son texte rendait au moins obscure.
Messieurs, il me semble que si la section centrale n'avait rien dit lorsque les autres pays protestent, si la section centrale avait silencieusement accepté et voté ce traité, nous aurions méconnu l'esprit qui doit nous guider, l'esprit qui doit nous animer.
La section centrale, du reste, n'a pas été hostile au traité. Elle l'a adopté et elle compte sur la sollicitude du gouvernement dans l'intérêt de la Belgique.
M. Goblet. - Messieurs, le rapport de la section centrale a, je crois, été mal compris. Il a été surtout mal apprécié.
Deux points de discussion ont été soulevés à propos de l'article premier. La section centrale se trouve d'accord sur le premier avec le gouvernement, par suite de la déclaration de M. le ministre des affaires étrangères.
Nous avons cru que les termes de l'article premier n'étaient pas assez explicites, et comme il ne pouvait pas nuire de demander des explications et de constater que nous voulons la liberté la plus complète nous avons pris la rédaction du traité hollandais, qui nous paraissait plus large.
Maintenant, nous sommes d'accord que le traité est admis avec cette rédaction.
La section centrale n'a jamais demandé autre chose.
Le traité a été adopté, compris de cette manière et dans ce cas, nous n'avons pas demandé d'imposer quoi que ce soit à la Suisse.
Nous ne nous sommes pas occupés des lois qui peuvent être imposées à certaines catégories de Suisses.
Nous avons demandé le traitement des nations les plus favorisées en ajoutant que si le traité ne nous assurait pas ce traitement, nous ne l'adopterions pas.
Mais du moment que l'on est d'accord sur ce point, la section centrale ne fait plus d'objections.
Voilà le seul point qui pouvait mettre en doute l'adoption du traité. Après l'admission de ce nouveau texte ou du moins de cette nouvelle interprétation, toute difficulté disparaît.
Des membres de la section centrale ont trouvé qu'à part les nébulosités du texte primitif, une autre question était soulevée par la nature même du traité.
Ils ont pensé qu'on ne pouvait pas placer le gouvernement dans la nécessité de rejeter ou d'adopter le traité, mais que l'on pouvait parfaitement bien discuter en section centrale, comme députés, comme libéraux, et constater que nous avions tous le désir de voir le gouvernement suisse faire des progrès dans la voie émancipatrice d'où nous ne devons pas nous écarter.
Nous avons parfaitement le droit de faire ce que tous les autres gouvernements ont fait. Nous sommes allés même moins loin que les autres gouvernements, car nous n'avons adressé aucune représentation au gouvernement fédéral.
Nous avons demandé que M. le ministre des affaires étrangères, lors de l'échange des ratifications du traité, fît tout ce qu'il pourrait pour arriver à une déclaration analogue à celle qu'il a jointe au traité pour la garantie des œuvres littéraires.
Que dit cette déclaration ?
« Le plénipotentiaire suisse déclare que le conseil fédéral suisse s'efforcera de procurer le plus tôt possible et sous titre de réciprocité, à la Belgique, les avantages résultant d'un traité qui existe entre le canton de Genève et la France et d'un concordat conclu entre différents cantons pour ce qui concerne la garantie dans la position de la nation la plus favorisée, pour tout ce qu'il arrêtera dans certe matière avec des gouvernements étrangers. »
Eh bien, que demandons-nous ? Nous ne disons pas aux Suisses : Nous ne voulons pas traiter avec vous parce que telle est la position que vous faites à certains de nos nationaux, mais nous demandons, - et nous sommes convaincus, nous membres de la section centrale, que nous sommes dans l'esprit des membres du conseil fédéral suisse, - au conseil fédéral qu'il poursuive les efforts qu'il a déjà faits pour arriver à l'affranchissement général des israélites.
En cela nous avons suivi l'exemple non seulement de la France et des États-Unis, mais d'autres nations encore.
Je vais vous lire une phrase de la lettre du président fédéral aux cantons suisses, citée par M. de Boe et qui prouve que le président de la confédération est enchanté qu'on le pousse dans cette voie.
Le conseil fédéral, dit-il, a l'honneur de vous communiquer le rapport, en vous recommandant les observations critiques qu'il contient, et cela à propos des conseils et des engagements des Etats-Unis, adressés à la Suisse pour lui demander l'établissement de la liberté religieuse.
Nous n'avons jamais voulu autre chose, nous avons décidé que notre gouvernement aurait à suivre la même marche que d'autres gouvernements et qu'il ait à donner au conseil fédéral suisse la force morale dont il dispose pour avancer le plus promptement possible dans cette réformé libérale.
Il est donc bien établi, messieurs, que la deuxième décision de la section centrale n'implique en aucune façon l'adoption ou le rejet du traité. Cette décision est parfaitement conforme aux idées de sympathie pour les israêlites, qu'a exprimées l'honorable ministre des affaires étrangères. (Interruption.) Vous désirez l'affranchissement des israélites.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - De toute le monde. Je n'exclus pas même les jésuites.
M. Goblet. - Il est bien d'autres questions que nous aurions pu soulever, mais nous n'avons pas cru devoir le faire. Ainsi il y a une question de constitutionnalité qui ne me paraît pas très claire, car comment pouvez-vous constater la religion d'un Belge ? On a voulu comparer les droits de la liberté religieuse aux droits de la liberté de la presse ; cela n'a aucune analogie.
On nous a parlé de l’Espagne, de la loi du sacrilège, mais cette loi est générale et frappe tout le monde, tandis qu'en Suisse, vous faites des catégories de Belges, d'après les cantons qu'ils habitent.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - C'est comme les Suisses.
M. Goblet. - Il ne s'agit pas ici des Suisses ; je dis que la loi n'est pas égale pour tous les Belges ; les uns sont plus mal traités que les autres.
Maintenant on prétend que les Belges seront traités comme la nation le plus favorisée.
Eh bien, messieurs, c'est là un point très important à constater.
Il y a d'autres nations avec lesquelles la Suisse a traité et à qui elle a accordé des avantages plus grands que ceux qu'elle nous accorde. En 1803, la Suisse a été liée par un traité qui lui répugnait, dit-on ; mais si ce traité était le résultat de la conquête, comment se fait-il qu'il a subsisté jusqu'en 1827 ? Depuis 1814 jusqu'en 1827 ce traité a été maintenu ? et comment se fait-il que, sous la pression de la réaction et des exigences des Suisses, le plénipotentiaire français a encore protesté en faveur de la liberté religieuse en signant la nouvelle convention ?
En effet, messieurs, je lis dans une lettre ancienne adressée par M. de Reyneval, ambassadeur de France en Suisse, au président de la confédération suisse, en date du 7 août 1826 :
« Il est bien entendu, et c'est une conséquence directe de l'article 6, que ceux d'entre eux qui se seraient établis sur le territoire de la confédért-ion sous le régime de l'acte de médiation et en vertu du traité de 1803, continueront à jouir des droits qui leur étaient acquis. »
Vous voyez ; messieurs, que la protestation existe, et vous voulez que nous allions faire un traité avec une nation avec laquelle nous n'en avons pas encore eu, que nous fassions un acte primitif, en quelque sorte, que nous constituions un droit international nouveau, sans faire entendre un seul mot de protestation, alors que des protestations existent depuis 50 ans.
Eu deux mots, messieurs, je dis que le gouvernement a eu raison de faire le traité, mais que nous avons eu raison de ne pas le laisser passer sans protester en faveur des grands principes qui sont sanctionnés aujourd’hui par la législation de tous les peuples civilisés.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je rends pleine justice au sentiment qui inspire les honorables membres (page 696 de la section centrale ; mais je crois que ce sentiment les égare ; ils veulent une chose impossible et une chose dangereuse. Une chose impossible c'est d'obtenir d'un gouvernement quelconque pour nos nationaux un traitement dont ne jouiraient pas les nationaux de ce gouvernement. Cela a pu se présenter une fois au commencement de ce siècle.
Mais je ne connais pas de gouvernement qui fût assez puissant aujourd'hui pour obtenir une pareille inégalité, et un tel gouvernement existât-il, il faudrait en gémir et protester contre une prétention aussi exorbitante.
Avec le système que l'on préconise il faudrait renoncer à s'occuper de traités internationaux, il deviendrait impossible au moins de traiter avec beaucoup d'Etats.
Nous rencontrons en effet dans divers Etats des lois, des institutions, des mœurs qui sont en complet désaccord avec les nôtres, et de la même manière que nous irions protester en Suisse parce que la Suisse ne croit pas pouvoir admettre toutes les religions sur le même pied, d'autres nations pourraient nous dire ; « Je ne veux pas traiter avec vous avant que vous ayez établi la prépondérance en faveur des communautés chrétiennes. Vous êtes une nation beaucoup trop avancée pour nous. »
Ainsi, messieurs, évitons de poser un antécédent que l'on fourrait tourner contre nous, en cherchant à faire prévaloir les prétentions soutenues par la section centrale. Nous avons obtenu par le traité tout ce que nous pouvions obtenir ; c'est que nos nationaux, sans distinction de cultes, seront traités comme les nationaux suisses.
On dit : Ce n'est pas assez ; la Hollande a été plus prévoyante, et remarquez que le traité rencontre en Hollande bien plus d'opposition que chez nous à cause, dit-on, des restrictions relatives aux Israélites. On dit qu'il aurait fallu obtenir l'assimilation de nos nationaux non pas aux nationaux suisses mais aux étrangers qui seraient le plus favorisés. J'aime mieux en principe être assimilé aux nationaux qu'aux étrangers, mais nous avons de plus l'assimilation aux sujets de la nation la plus favorisée.
Nous avons donc dans toutes les conditions que l'on puisse désirer, la certitude d'obtenir le traitement des individus les plus favorisés, suisses ou étrangers.
Si par exemple la France obtenait un traitement de faveur, la Belgique jouirait aussi de ce traitement. Je demande à la section centrale si cela n'est pas de nature à la satisfaire ?
L'obscurité qui règne pour la section centrale n'a pas du tout régné en Suisse ; le président de la confédération n'a pas hésité à déclarer surabondamment qu'il était bien entendu que les Belges jouiraient en Suisse des droits de la nation la plus favorisée.
On dit : Vous devriez au moins obtenir du gouvernement suisse la déclaration qu'il fera des efforts pour changer l'état de choses actuel.
Mais, messieurs, il s'agirait d'abord de réviser la constitution helvétique, car c'est la constitution fédérale qui établit l'inégalité de traitement d'après la confession religieuse.
La constitution suisse de 1848 ne stipule que pour les communions chrétiennes. Ce serait donc une révision de la constitution suisse que nous demanderions.
Eh bien, messieurs, avant de demander à un pays la révision de sa constitution, il faut y mettre beaucoup de réflexions. Certes nous n'hésiterons pas à nous associer à toutes les démarches officieuses et amicales qui pourraient être faites, tout en respectant parfaitement l'indépendance et la liberté du gouvernement suisse, mais nous ne nous associerions jamais à un autre gouvernement pour exercer sur un pays libre et ami une pression quelconque.
M. de Haerne. - Messieurs, nous sommes d'accord sur un pont, c'est que nous désirons que la liberté religieuse soit admise aussi largement en Suisse qu'elle l'est en Belgique. Nous le désirons d'autant plus, qu'il s'agit d'un pays libre, ayant une représentation ntaionale et dont les institutions ont beaucoup d'analogie avec les nôtres. Sa constitution de 1848, qui est observée au moins aussi bien que la nôtre, proclame l'égalité absolue devant la loi, la liberté de la presse et d'association. le droit de pétition, etc. Sous le rapport de la liberté religieuse, nous sommes beaucoup plus avancés,
Ainsi, sous le congrès, lorsque les Saint-Simoniens sont venus prêcher leurs doctrines à Bruxelles, personne n'a songé dans cette assemblée à leur opposer la moindre restriction.
Quant aux israélites, ils jouissent en Belgique de la liberté la plus complète. Il en est de même de tous les cultes, quels qu'ils puissent être.
Eh bien, nous voudrions que cette liberté fût entendue dans tous les cantons suisses comme elle l'est chez nous.
Mais, messieurs, je crois que l'on s'abuse, au point de vue de la liberté religieuse, quant aux relations qui pourront exister à l'avenir entre la Belgique et les divers cantons helvétiques.
Je pense que les mesures restrictives dont on se plaint à juste titre, ne portent que sur l'exercice public des cultes. Jamais on ne m'a demandé dans aucun des cantons, que j'ai visités plusieurs fois, si j'étais chrétien ou juif. Quant à l'exercice du culte, j'admets, avec l'honorable M. de Vrière et avec l'honorable ministre des affaires étrangères, que nous ne pouvons pas prétendre sous ce rapport que la Suisse fasse plus pour une nation étrangère que pour ses propres nationaux.
Nous ne pouvons pas exiger qu'elle change ses lois et surtout sa constitution, si nous ne voulons que la Suisse, qui fait dépendre la liberté de la forme républicaine, prétende nous imposer sa république. Tous les pays ont des lois de morale publique, des lois de police qui gênent les pratiques de certains cultes. Nous n'avons pas à nous mêler de ces lois à l'étranger.
Cependant je me permettrai de faire une observation quant à nos relations avec la Suisse. S'il était vrai, comme l’a dit l'honorable M. De Fré, que les restrictions apportées au culte israélite ou à certaines associations religieuses, vont si loin dans certains cantons, dans le canton de Bâle, par exemple, qu'on ne permettrait pas, ce que je ne puis croire, à un citoyen israélite appartenant à un autre canton, ni par conséquent à un israélite belge, d'exercer le commerce, je pense que dans ce cas, le gouvernement aurait à faire des observations très sérieuses et officielles.
Les Belges qui vont en Suisse ne sont pas obligés de déclarer à quelle religion ils appartiennent ; ils vont y exercer un droit commun, et si on les entravait dans l'exercice de ce droit, sous prétexte de religion, ce serait un abus grave contre lequel le gouvernement aurait à réclamer. Mais je suis persuadé, messieurs, que ce cas ne se présentera pas ; je crois que si des israélites s'établissaient dans un des deux cantons catholiques ou des cinq cantons protestants, qui proscrivent le culte juif, et s'ils voulaient y exercer leur culte publiquement, ils pourraient y être molestés.
Mais si des israélites de Genève, par exemple, canton où l'on admet la liberté d'instruction et par conséquent celle des cultes, ou si des israélites français, belges ou allemands se rendaient dans les cantons qui n'admettent pas ces libertés, simplement pour y exercer le commerce, ils ne seraient pas inquiétés ni gênés, j'en ai la conviction, à raison de leur culte, lorsqu'ils ne le professeraient pas ostensiblement. Certes nous pouvons désirer plus de tolérance ; je n'approuve pas, tant s'en faut, le régime dont il s'agit, je me borne à le constater et à dire que nous n'avons pas à nous ingérer dans les affaires intérieures des pays étrangers. Mais si la supposition qu'on vient de faire était fondée, il n'y aurait plus de liberté de commerce.
Les cantons protestants pourraient changer leurs lois et agir envers les catholiques, comme on prétend que quelques cantons agissent envers les israélites. De cette manière on exclurait presque tous les Belges ; et je le demande, que deviendraient alors nos relations commerciales avec ce pays ? Or c'est un traité de commerce que nous faisons, et la nation suisse doit comprendre que quand on fait un traité de commerce, on ne peut pas y déroger sous prétexte de culte.
Du reste, je crois, messieurs, que cette discussion, qui sera connue en Suisse, portera ses fruits quant au vœu que nous émettons, et que le gouvernement n'aura pas besoin d'adresser des réclamations de ce chef à la confédération helvétique qui pourra, si elle le juge à propos, avoir égard à nos observations.
M. Hymans. - La Chambre est évidemment pressée de se séparer sans cela cette discussion prendrait plusieurs séances, car elle présente un très sérieux intérêt.
Il me semble, messieurs, que l'honorable M. de Vrière et l'honorable ministre des affaires étrangères, en défendant le traité, ont un peu déplacé la question et qu'ils ont mal compris les intentions de la section centrale.
Je n'ai pas compris comme l'honorable M. de Vrière les intentions de la section centrale ; elle n'a pas demandé qu'on discutât dans cette Chambre ce que le gouvernement suisse doit faire en Suisse. (Interruption.) Si elle l'avait fait, je ne m'associerais pas à sa réclamation ; car je ne veux pas m'ingérer dans les affaires d'une nation étrangère. Mais, à mon sens, la section centrale a voulu provoquer dans le sien de la législature belge des protestations qui vinssent s'ajouter aux protestations de la France, des Etats-Unis et de la Hollande, en vue d'exercer sur le gouvernement suisse une influence morale, et de l'obliger enfin d'abandonner des idées qui ne sont plus de notre temps, de renoncer, pour son honneur, à un régime qui est indigne de notre époque.
M. le président. - Nous devons user de plus de réserve dans la discussion des lois d'un peuple ami. Si nous voulons commander le respect (page 697) de nos institutions à l'étranger, il faut donner l'exemple de ce respect, quand nous nous livrons à l'examen de la constitution d'un autre peuple.
M. Hymans. - Le respect que je professe pour la Suisse, pour son histoire, pour ses traditions, ne me défend pas, je pense, d'exprimer mon opinion à propos d'un traité de commerce, que je ne puis accepter les yeux fermés.
Je tiens d'ailleurs à cette discussion, parce qu'elle prouve une fois de plus, ce qui n'est point sans intérêt après les longs débats que nous avons eus il y a quelques jours sur la liberté religieuse parce qu’elle prouve une fois de plus combien la Belgique est un pays libéral, combien nous aurions tort d'envier quelque chose aux autres nations de l'Europe en matière de liberté religieuse ; combien nous avons le droit de nous enorgueillir d'institutions qui nous placent au-dessus même de certaines contrées qui s'attribuent le nom de terres classiques de la liberté.
Allez en Prusse, allez en Autriche, allez dans les pays despotiques, allez dans les pays libres et constitutionnels, allez en Suède, en Angleterre, et dans la Confédération helvétique, dans celle de Suisse qu'on nous présente quelquefois, sans la connaître, comme le berceau des libertés constitutionnelles, et vous verrez encore une fois qu'à la Belgique appartient le premier rang parmi les nations vraiment libres de l'Europe.
Je constate encore, avec une certaine satisfaction, que dans une circonstance où la liberté religieuse semble mise en péril, c'est des bancs de la gauche que sont parties les premières protestations.
II me semble utile, messieurs, que. le pays, afin de sentir plus vivement le prix de ses institutions, sache exactement quelle est la liberté religieuse dans le pays avec lequel nous allons traiter et qui jouit dans le monde d'une si libérale réputation.
Ainsi que cela est dit dans le rapport de la section centrale, sur 25 cantons qui forment la confédération suisse, il y en a 17 dans lesquels des citoyens sont frappés d'incapacité par distinction de cultes.
Dans les cantons de Bâle-Campagne et de Bâle-Ville, les Israélites se trouvent exclus de la faculté de s'établir de par la loi.
Dans les cantons de Berne et dans celui de Bâle-Ville, le gouvernement cantonal a le droit absolu d'admettre ou de refuser tout Israélite qui se présente pour s'établir.
Dans d'autres, les Israélites sont frappés d'une patente spéciale de 800 francs, pour être autorisés à exercer le commerce
Dans le canton de Bâle-Campagne, il est défendu aux chrétiens de loger un juif. Le chrétien qui contrevient à cette défense est passible d'une amende de 300 fr. dont la moitié pour le dénonciateur, et, en cas de récidive, d'emprisonnement.
Ces faits sont extraits d'un mémoire que le consul des Etats-Unis a présenté à son gouvernement, afin que celui-ci réclame des cantons suisses le retrait des mesures restrictives dont je viens de parler.
Ce n’est pas tout, messieurs, là où les droits civils et politiques sont accordés à tous les citoyens indistinctement, ils s'arrêtent parfois à la limite du canton.
Ainsi, les Israélites indigènes du canton d'Argovie ne jouissent de leurs droits civils et politiques que dans ce canton même ; ils en sont privés dans le reste de la Suisse.
Vous voyez, messieurs, que la Suisse est loin, comme le disait tout à l'heure l'honorable M. de Haerne, de posséder des institutions ayant une grande analogie avec les nôtres.
M. de Haerne. - Quelques-unes.
M. Hymans. - Lesquelles ? La Suisse est une république. Elle a le suffrage universel, l'enseignement obligatoire, des restrictions à la liberté religieuse.
M. de Vrière nous dit que la Suisse est un pays de liberté, et il y a deux mois à peine que 6,000 pétitionnaires demandaient le renversement du gouvernement cantonal d'Argovie, parce qu'il avait admis les Israélites aux emplois publies.
Voilà avec quel pays nous allons traiter. Sans vouloir exercer une pression quelconque sur le gouvernement de ce pays, ne pouvons-nous émettre le vœu que cet état de choses dont d'autres nations se sont déjà préoccupées avec raison ait un terme ? Je sais bien que le rejet même du traité par la Chambre belge ne déciderait pas la Suisse à modifier ses institutions ; mais si l'Europe entière prenait le parti de lui faire les mêmes représentations, la Suisse ne pourrait plus longtemps reculer devant la nécessité de mettre ses lois en harmonie avec les idées et les institutions modernes.
Mais, messieurs, et c'est en partie pour faire cette observation-ci que j'ai demandé la parole. Je ne comprends pas trop quelle sanction le gouvernement suisse peut donner à ses rigueurs envers ceux qu'il proscrit en raison de leur culte.
Un Belge va s'établir en Suisse ; il passe pour être Israélite. On lui dit : Vous êtes Israélite, vous n'avez pas le droit de vous établir ici.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Cela dépend des cantons.
M. Hymans. - Je suppose naturellement que cela se passe dans un canton où un Israélite suisse n'a pas le droit d'exercer le commerce. On lui dit donc : Vous êtes Israélite ; vous n'avez pas le droit d'exercer le commerce. L'individu répond : Je ne suis pas Israélite.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Eh bien, tout est dit.
M. Hymans. - Pas encore. Le gouvernement du canton, qui a ses raisons de supposer que cet homme est israélite, lui dit : Je veux en acquérir la preuve et je vais m'adresser à votre gouvernement. Il s'adresse au représentant de la Belgique qui, lui-même, s'adresse à son gouvernement pour savoir si un tel citoyen belge établi en Suisse, est ou n'est pas israélite. Eh bien, le gouvernement n'a pas le droit de répondre.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est évident.
M. Hymans. - En Belgique, il n'y a ni catholiques, ni protestants, ni Israélites ; il n'y a que des citoyens belges ; par conséquent, vous devrez défendre ce citoyen belge israélite comme s'il ne l'était pas par cela seul qu'il est citoyen belge.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est clair.
M. Hymans. - Eh bien, dites-le donc à la Suisse et prouvez-lui que vous pouvez de cette façon éluder ses lois ; vous rendrez par là un véritable service à la cause de la liberté.
Agir ainsi ne sera pas sortir de notre rôle, car je ne puis admettre avec l'honorable M. de Vrière qu'il faille être tolérant même pour l'intolérance. Cela peut être vrai en diplomatie, mais en politique ce ne l'est guère. Si nous ne devons pas, comme le disait tout à l'heure l'honorable membre, faire du la propagande au-delà de nos frontières ; si nous ne devons pas demander à d'autres pays d'inscrire dans leurs constitutions et dans leurs lois certains droits inscrits dans les nôtres, je crois qu'il y a certains principes qu'une nation comme la Belgique doit tenir à honneur de maintenir et de faire respecter dans la personne de ses nationaux à l'étranger, qu'elle ne peut abdiquer dans aucune circonstance.
Je disais tout à l'heure que la liberté de conscience est un droit naturel. Cela peut se discuter, j'en conviens ; mais la liberté de conscience est assurément le bien le plus précieux de l'homme, et partout où nous pouvons, nous devons la faire respecter.
C'est pour cela que, sans vouloir exercer une pression quelconque sur la Suisse ; sans lui adresser aucune menace, ce qui serait ridicule ; sans attendre d'elle qu'elle modifie du jour au lendemain ses institutions parce que nous aurions émis un vote contraire à ce traité de commerce ; il est de notre devoir, comme citoyens belges, comme partisans des libertés qui sont inscrites dans la Constitution, de joindre nos protestations à celles de la Hollande, des Etats-Unis et de la France pour tâcher d'arriver à une réforme de sa législation.
Et si ce n'est pas le devoir du gouvernement, s'il ne peut pas officiellement, lui, s'adresser au gouvernement suisse pour lui conseiller de pareilles réformes, je crois que la protestation est tout au moins un devoir pour les représentants du pays, qui n'engagent que leur responsabilité personnelle et que le gouvernement a toujours le droit de désavouer si cela lui convient.
M. Van Humbeeck. - Le dissentiment qui paraissait devoir se produire, au début de cette discussion, entre le gouvernement et la section centrale, me semble, au moment actuel, avoir perdu beaucoup de son importance.
On paraît s'accorder à reconnaître que la Chambre ne doit se décider, en ce qui concerne le traité avec la Suisse, que par des considérations purement belges, qu'elle doit respecter l'autonomie de la Suisse, qu'elle doit respecter les intitulions que ce pays a cru devoir se donner, sans cependant s'interdire le droit de faire des vœux pour que ces institutions entrent dans une voie de progrès et que la liberté de conscience y reçoive l'application entière qu'elle reçoit chez nous.
On paraît aussi s'accorder à reconnaître que le gouvernement fédéral nous donne ce qu'il peut nous donner.
On paraît d'accord pour interpréter le traité de telle manière, que le jour où la Constitution suisse serait modifiée, le jour où les distinctions de cultes n'auraient plus d'influence, le jour aussi où une nation étrangère obtiendrait, sans que la Constitution fût révisée, des droits plus étendus que les nationaux, quant à la liberté de conscience, les citoyens belges établis en Suisse participeraient à ces extensions de droits.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Incontestablement.
(page 698) M. Van Humbeeck. - Cet accord étant établi, il est certain que le droit public suisse nous donne tout ce qu'il peut donner dans son état actuel.
Mais une autre question n'a pas été touchée et cependant ne manque pas d'importance. Il est de l'intérêt de la Chambre du gouvernement que la discussion ne soit pas close sans que l'on se soit expliqué sur ce point.
Je me demande si, le droit publiecsuisse ayant fait tout ce qu'il a pu faire, de droit public belge nous permet d'accepter les seules conditions qu'on peut nous offrir. Mon doute provient de ce qu'en Belgique un traité de commerce n'est pas un acte purement diplomatique. S'il s'agissait d'un acte purement diplomatique, le doute n'existerait pas ; mais le traité doit être vivifié par une loi ; jusque-là il n'a pas d'existence véritable.
Or, il est de principe constitutionnel que la loi doit stipuler pour tous De là vient le scrupule que je crois devoir soumettre à la Chambre.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - La loi stipule pour tous les citoyens qui sont sur le territoire.
M. Van Humbeeck. - Permettez, la loi doit stipuler pour tous, c'est le principe. Or, nous stipulons ici des avantages pour les Belges établis en Suisse, ne devons-nous pas stipuler pour tous les Belges et non pas pour quelques-uns seulement de ceux qui seront établis dans le pays avec lequel nous traitons ?
Je suppose que demain on vienne nous proposer un traité avec l'Espagne, traité conférant aux Belges les avantages les plus larges, mais portant, comme article final, la clause que les Belges catholiques seuls sont admis aux avantages stipulés par le traité. Pourrions-nous admettre un pareil traité ? Autre hypothèse : il s'agirait d'un traité avec la Suède, portant que les avantages qu'il consacrerait seraient exclusivement réservés aux protestants. Pourrions-nous encore une fois admettre un pareil traité ? Dans les deux cas un doute sérieux et permis. Le traité actuel me payait renfermer en lui une foule de petits traités de la nature de ceux que je viens de supposer. Il en contient autant qu'il y a de cantons suisses.
En présence de cette situation délicate pouvons-nous considérer le traité comme étant strictement constitutionnel ? La question vaut la peine d'être examinée. L'honorable M. de Vrière, qui a ouvert cette discussion, semble avoir prévu l'objection et avoir cherché à y répondre d'avance par quelques exemples.
L'honorable membre nous a dit : Les Belges ne jouissent pas à l'étranger de la liberté de la presse ; la situation ici est absolument la même. Non, messieurs, elle n'est pas absolument la même, les deux libertés dont il est ici question sont de natures différentes.
L'argument de l'honorable M. de Vrière a déjà été implicitement réfuté par l'honorable M. Hymans. Cet argument confond la liberté elle-même avec l'exercice de la liberté. La liberté de la presse à l'état abstrait n'est rien ; il est impossible qu’on la viole ; on ne peut qu'en empêcher l'exercice. Pour la liberté religieuse, on peut d'abord en empêcher l'exercice ; ce sera l'objet d'une disposition de police à laquelle nous pouvons admettre qu'un Belge soit soumis en pays étranger ; mais on peut aussi violer cette liberté dans le for intérieur, on peut vouloir sonder les mystères de la conscience.
Et si cela doit être permis, oh ! alors, nous tombons dans un système qu'il est impossible d'accepter, même dans un traité international.
Prenons donc la question au point de vue pratique ; en définitive c'est l'intérêt pratique qui doit dominer dans nos débats : nous ne faisons pas des dissertations sur des principes purs.
Au point de vue pratique, la question est de savoir jusqu'à quel point on pourra s'assurer de la religion du Belge. Si le Belge israélite, établi en Suisse, renferme dans le secret de la conscience ses convictions religieuses, s'il n'exerce pas son culte, quelle sera sa position en présence du traité ?
Je suppose le gouvernement suisse disant à ce Belge : Vous êtes israélite, vous devez sortir du canton ; il répond : je suis Belge, je ne dois compte à personne de ma religion.
Mais on s'adresse aux représentants du gouvernement belge ; celui-ci, quand on lui demande d'indiquer la religion d'un Belge, refuse nécessairement de répondre ; le gouvernement suisse alors dira-t-il à ce Belge : Je vous considère comme israél ite, je vais procéder à des information comme s'il s'agissait d'un Suisse ; je vais constater vos convictions religieuses.
Si le gouvernement suisse peut faire cela, il peut violer la liberté de conscience ; s'il ne le peut pas, la liberté de conscience est sauve. Les dispositions du traité contraires à cette liberté resteront stériles fautes de sanction. Mais la question est là tout entière.
Je dirai la même chose à l'égard des jésuites dont a parlé M. le ministres des affaires étrangères. Les jésuites ne peuvent pas s'établir en Suisse.
Il faut distinguer cependant si des jésuites s'établissent comme jésuite, profession considérée comme dangereuse en Suisse, ils vont exercer une profession que les lois du pays n'admettent pas, ils s'exposent à tomber sous le coup d'une loi de police.
Je suppose, au contraire, un individu qui a été affilié à la société, qui ne pose plus aucun acte comme jésuite, qui se présente comme citoyen belge et à qui on dise : Vous êtes jésuite, sortez du pays.
A défaut d'aveu et d'acte répréhensible, le gouvernement suisse pourra-t-il constater, par une sorte d'inquisition, le lien moral, insaisissable, qui lierait ce Belge à la société de Jésus ?
Le gouvernement belge ne pourrait pas, selon moi, constater si son sujet fait ou non partie, dans de pareilles conditions, de la société de Jésus alors qu'il n'y a à sa charge aucun fait répréhensible.
Donnera-t-il des armes au gouvernement suisse pour exercer une inquisition à cet égard ? Le gouvernement suisse pourrait-il user de moyens inquisitoriaux pour fouiller dans la conscience d'un Belge ? La question est là, je le répète encore. Si nous avons satisfaction à cet égard, il est inutile de continuer le débat.
M. de Vrière a cité un exemple qui, selon lui, devrait faire écarter toute objection.
Il a dit : Nous avons fait un traité d'extradition avec l'Espagne. Nous n'avons pas demandé à l'Espagne de rapporter la loi sur le sacrilège.
Messieurs, dans le cas indiqué, la Belgique était sans intérêt pour faire cette demande ; une nation n'extrade pas ses nationaux ni pour sacrilège, ni pour autre délit.
L'exemple manque donc d'applicabilité à la question actuelle.
Pour moi, tout l'intérêt pratique au point de vue religieux se résout en ceci.
Le citoyen belge ayant fait une déclaration d'appartenir à tel culte ou refuse de déclarer son culte, son refus ou sa déclaration pourra-t-elle être contrôlée ou suppléée par des moyens inquisitoriaux ?
Si la question doit être soumise au gouvernement belge, la réponse de celui -ci devra être conforme à celle du citoyen belge, cela ne fait pas de doute. Mais le gouvernement suisse devra-t-il s'arrêter à ces réponses ?
Je demande au gouvernement un mot d'explication sur ce point ; la réponse décidera de mon vote sur le traité.
M. Bara. - Je crois que le gouvernement suisse aura le droit de discuter la religion du citoyen belge qui va s'établir dans ce pays. Un arrêt de la cour de Paris, du 27 décembre 1828, a décidé qu'un individu était censé appartenir à la religion dans laquelle il était né, à moins qu'il ne l'eût abjuré par un acte public. Cette théorie n'est pas dans nos institutions, mais n'oublions pas que nous avons affaire à des pays qui ont des religions d'Etat.
II est évident qu'on demandera, en cas de contestation, de prouver que nos nationaux appartiennent à telle ou telle religion et que pareille demande sera accordée, quand bien même le Belge dénierait être de cette religion.
Il y a un moyen de soustraire les citoyens belges à cette inquisition, c'est de dire dans les traités que nous ne reconnaissons plus de religions en Belgique, et que le Belge qui se réclamera du gouvernement, prétendant appartenir à telle religion, sera tenu pour lui appartenir même pour l'étranger et devra être protégé par nous comme tel.
Les gouvernements étrangers et notamment la Suisse ne se refuseraient peut-être pas à accepter de pareilles stipulations ; elles peuvent être admises sans violer les lois et la constitution de la Suisse ; on peut convenir que quand un citoyen belge se dira non Israélite, le gouvernement belge devra confirmer sa déclaration et le gouvernement suisse le considérer et le traiter comme non israélite. Le gouvernement suisse peut accepter en cette matière le mode de preuve le plus favorable aux étrangers. Sur la déclaration que feraient nos nationaux qu'ils ne sont pas de telle religion l'étranger ne devrait point pousser plus loin ses investigations et se contenter des affirmations ainsi faites.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je ne puis me dispenser de présenter quelques considérations sur la question telle qu'elle vient d'être posée. Si le principe général de la thèse soutenue par divers préopinants était admis, il en résulterait évidemment une conséquence qui est sans doute bien éloignée de leur pensée : c'est que le gouvernement belge se verrait dans l'impossibilité absolue de traiter avec aucune puissance étrangère. (Interruption.) C'est la conséquence logique, nécessaire, du principe renfermé dans votre thèse. Vous ne pouvez pas, en vertu de ce principe, souffrir que les Belges n'aient pas chez les autres nations la jouissance libre et complète de tous les droits dont ils jouissent en Belgique, en vertu de notre Constitution. (Interruption.)
M. Goblet. - La section centrale ne demande pas cela !
(page 699) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Voici ce que je lis dans le rapport ;
« La section centrale, à l'unanimité moins deux voix, adopte la proposition de poursuivre la modification du traité de manière à ce que les Belges pussent jouir en Suisse des avantages dont ils jouissent en Belgique, et tout particulièrement au point de vue de la liberté religieuse. »
Voilà ce qui est énoncé dans le rapport comme une résolution adoptée à la majorité moins deux voix. Je pense qu'il n'y a plus moyen, en présence d'une proposition aussi formellement exprimée, de contester l'appréciation que je viens d'en faire. (Interruption.)
Je ne puis parler que de la thèse de la section centrale telle qu'elle a été formulée et telle qu'elle a été développée par plusieurs orateurs. Il est vrai que, depuis, on a dit qu'on ne voulait pas aller jusque-là. Mais j'ai demandé surtout la parole pour vous faire comprendre tous les dangers d'une pareille thèse. Si cette thèse venait à prévaloir, nous ne pourrions pas traiter avec la France, par exemple, même au point de vue de la liberté religieuse, que vous considérez comme la plus élevée et la plus sacrée de toutes les libertés, parce que, en France, il y a des religions reconnues, et que toute secte ne peut pas librement s'y produire. (Interruption.)
M. Hymans. - Mais toutes les religions sont tolérées en France.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Est-ce qu'en France on peut se réunir peur exercer un culte, ouvrir une école, prêcher, enseigner comme on le fait en Belgique ? Le Belge aura-t-il en France les droits qu'il possède en Belgique ? Le Français ne pourra-t-il exercer ici des droits dont il ne peut user en France ? (Interruption.)
Cela dépend de l'heure, du jour. Jadis la société saint-simonienne aurait pu exercer son culte en Belgique, tandis qu'il lui était interdit de le faire en France.
Nous parlons ici droit, nous parlons principes, nous parlons théorie. Nous ne parlons pas seulement de ce qui existe aujourd'hui. Nous parlons aussi de ce qui peut exister demain.
Il faut considérer les questions de principe d'une manière absolue, d'une manière générale.
La thèse de la section centrale étant admise, nous ne pourrions donc pas traiter avec la France.
Si noue voulions traiter avec les États Romains, nous serions obligés de leur demander d'admettre tous nos principes constitutionnels, sous peine de ne pas pouvoir conclure de convention internationale avec ces Etats. Et ainsi de suite pour tous les gouvernements.
Je pense, messieurs, que les hypothèses que je viens d'indiquer suffisent pour démontrer à toute évidence que la théorie préconisée par la section centrale et par les honorables membres qui l'ont appuyée, est complètement inadmissible.
Je suis convaincu d'ailleurs qu'elle n'a été produite dans le parlement, que parce que l'on a confondu ce qui peut être l'expression très légitime, très honorable des vœux d'hommes généreux, désirant voir se propager partout les principes les plus larges de la liberté, avec ce que doit faire et ce que peut faire un gouvernement, agissant dans le cercle officiel de ses attributions. C'est ainsi que vous êtes arrivés à prendre une position que je considère comme très fâcheuse, celle d'introduire dans le parlement belge la discussion des institutions d'autres pays.
- Une voix. - Nous avons le droit d'appréciation.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ah ! si ce droit existe pour nous, non pas comme individus, comme simples particuliers, mais comme pouvoir public, comme Chambre des représentants, ce droit existe aussi dans les autres pays pour les pouvoirs publics en ce qui concerne les institutions de la Belgique.
M. Hymans. - On a discuté l'Italie pendant 15 jours.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Eh bien, je considère ce fait comme fâcheux, et je le regrette, on se réunira peut-être un jour, on s'est déjà réuni à certaine époque pour discuter les institutions de la Belgique, pour prétendre qu'elles étaient trop libérales, et qu'elles pouvaient être un danger pour l'Europe.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - On s'est coalisé.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il est donc dangereux d'introduire de pareilles discussions dans le parlement. Il faut savoir respecter les droits et les institutions des autres nations, afin d'avoir le droit de dire toujours et à tous : Vous respecterez nos droits et nos institutions, parce que nous-mêmes nous avons respecté les droits et les institutions de toutes les autres nations.
Maintenant, messieurs, un mot seulement quant aux questions spéciales qui ont été posées.
On nous a dit : Votre traité va permettre à la Suisse d'exercer une sorte d'inquisition pour constater quelle sera la religion des citoyens belges qui se rendront dans ce pays y afin d'exercer leur commerce ou même pour s'y établir.
Eh bien, je le conteste, je le nie de la manière la plus absolue. Cette inquisition est impossible, les craintes exprimées à cet égard sont chimériques.
M. Van Humbeeck. - Tant mieux.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et la raison en est bien simple. Le citoyen belge n'est pas obligé d'être de telle ou telle religion. Il a le droit de ne pas en avoir et d'en charger si bon lui semble, et aucun pouvoir ne peut le confiner dans une communauté religieuse quelconque.
Par conséquent, se trouvant en Suisse, le citoyen belge auquel on dira : Vous êtes protestant, vous êtes israélite, tel droit ne vous appartient pas parce que vous appartenez à telle religion ; ce citoyen belge aura parfaitement le droit de répondre : Je suis Belge : je n'ai pas à faire connaître ma religion ; je prétends que vous n'avez pas le droit de vous en enquérir. Et si, de ce qu'il appartient à telle ou telle religion, on prétend exercer contre lui quelque contrainte, le soumettre à quelque vexation, il aura le droit de se mettre sous la protection de la loi belge, et de réclamer l'appui de son gouvernement, qui, certes, ne lui fera pas défaut.
Par conséquent, aucun des inconvénients que l'on a signalés ne peut se présenter. Au surplus, messieurs, cette discussion est purement théorique, car évidemment, dans la pratique, les faits que je viens de supposer ne se produiront pas. IL est certain qu'en Suisse la législation restrictive dont on a parlé ne s'applique qu'à des individus qui font profession publique d'une religion déterminée, et notoirement connus pour appartenir à cette religion, qui l'avouent, qui la proclament, qui se mettent, en un mot, dans la situation de se voir appliquer la loi.
Mais l'étranger, le Belge qui se trouvera en Suisse, ne pourra, contre son gré, être réputé appartenir à une religion qu'il déclarera ne point professer.
C'est donc une question qui est sans aucune espèce d'utilité pratique, et je pense que l'on ne doit pas s'y arrêter pour apprécier la valeur du traité.
- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix.
M. Goblet. - Messieurs, je tiens à protester une fois de plus contre les exagérations que l'on prête aux intentions de la section centrale.
La section centrale avait le droit de discuter le traité, de l'examiner dans tous les effets qu'il pouvait produire. Elle a donc été amenée tout naturellement à discuter les conséquences que le traité pouvait avoir pour nos nationaux.
Si la section centrale, comme le gouvernement a dû le prétendre pour donner le change sur ce qu'il y a de juste dans la discussion qu'elle a soulevée, avait imposé des conditions quelconques à la Suisse ou à son gouvernement, j'aurais compris ce reproche ; mais qu'avons-nous fait ?
Vous lisez une phrase du rapport et vous ne lisez pas la suite. Pourquoi vous arrêter, si ce n'est pour dénaturer le sens général et vrai ?
Nous adoptons le traité alors même que le gouvernement suisse se refuserait à toute espèce de concession ultérieure. Nous nous bornons à émettre un vœu, un désir, la poursuite des négociations. Si elles ne réussissent pas, nous n'aurons rien à dire à notre gouvernement s'il a fait ce qui dépendait de lui.
Notre observation n'a pas d'autre portée.
Mais il est impossible de soutenir que nous ne puissions pas, dans un parlement belge, discuter les lois et les règlements d'un autre pays alors que ces institutions viennent frapper nos nationaux, discuter la question de savoir si nos nationaux ont le droit de rester libres dans ce pays.
Cela doit évidemment peser pour quelque chose dans la balance de nos votes.
Je comprendrais ce système si nous n'allions rien faire dans ce pays, si nous ne faisions pas un traité avec lui ; mais lorsque nous nous lions, lorsque nous contractons des engagements, nous pouvons aussi bien discuter les droits naturels que les droits sur les bouteilles et sur la poterie commune.
- La discussion est close.
« Article unique. Le traité d'établissement et de commerce conclu, le 11 décembre 1862, entre la Belgique et la Suisse, sortira son plein et entier effet. »
Il est procédé à l'appel nominal sur le projet de loi.
68 membres y prennent part.
66 répondent oui.
(page 700) 1 répond non.
1 s'abstient.
En conséquence la Chambre adopte.
Le projet de loi sera transmis au Sénat.
Ont voté pour : MM. de Baillet-Latour, de Boe, de Brouckere, Dechentinnes, de Florisone, De Fré, de Haerne, de Lexhy, de Mérode, de Moor, de Naeyer, de Paul, de Pitteurs-Hiegaerts, de Rongé, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, Devaux, de Vrière, d'Hoffschmidt, H. Dumortier, d'Ursel, Faignart, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grandgagnage, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Lange, Laubry, C. Lebeau, Magherman, Moncheur, Moreau, Orban, Orts, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Sabatier, Snoy, Tack, Tesch, Thienpont, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van de Woestyne, Van Humbeeck, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Overloop, Van Volxem, Verwilghen, Allard, Ansiau, Bara, Coppens, David et Vervoort.
M. de Boe (pour une motion d’ordre). - Messieurs, je proposerai à la Chambre de passer à la discussion du projet de loi relatif à l'exemption des droits de douane en faveur des marchandises détruites par l'incendie de l'entrepôt Saint-Félix à Anvers.
C'est une question qui n'a donné lieu à aucune difficulté dans la section centrale, et je crois que cela pourrait être voté immédiatement. -
- Cette proposition est adoptée.
L'article unique du projet est ainsi conçu :
« Article unique. Le gouvernement est autorisé à exempter des droits de douane les marchandises qui se trouvaient sous le régime de l'entrepôt particulier ou fictif dans l'entrepôt Saint-Félix à Anvers, et y ont été détruites par l'incendie du 2 décembre 1861, à la condition que la perte réelle en soit prouvée à toute suffisance de droit.
« En cas de contestation sur cette suffisance, le différend sera jugé par le tribunal de première instance d'Anvers qui procédera d'urgence comme en matière sommaire et décidera définitivement et en dernier ressort. »
Personne ne demandant la parole, il est procédé au vote par appel nominal sur ce projet.
57 membres seulement répondent à l'appel nominal ; la Chambre n'est plus en nombre.
Ont répondu à l'appel nominal : MM. de Baillet-Latour, de Boe, de Brouckere, Dechentinnes, de Florisone, De Fré, de Haerne, de Lexhy, de Mérode, de Moor, de Naeyer, de Paul, de Rongé, de Ruddere de Te Lokeren, de Terbecq, de Theux, Devaux, de Vrière, d'Hoffschmidt, Dolez, H. Dumortier, d'Ursel, Faignart, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grandgagnage, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, Julliot, Kervyn de Lettenhove, C. Lebeau, Magherman, Moreau, Orban, Orts, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Sabatier, Tack, Tesch, Thienpont, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Humbeeck, Van Overloop, Van Volxem, Verwilghen, Allard, Bara et Vervoort.
Sont absents par congé : MM. J. Lebeau, Dupret, Carlier-M. Van Humbeeck, rapporteur, Pierre, Dechamps, Coomans, Nélis, Muller et de Liedekerke.
Sont absents : MM. de Breyne, de Bronckart, de Decker, de Gottal, de Man d'Attenrode, de Montpellier, de Muelenaere, de Pitteurs-Hiegaerts, de Renesse, de Ridder, de Smedt, B. Dumortier, Grosfils, Janssens, M. Jouret, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Lesoinne, Loos, Mercier, Moncheur, Mouton, Notelteirs, Nothomb, Prévinaire, Royer de Behr, Snoy, Thibaut, Vanden Branden de Reeth, Vanderstichelen, Van de Woestyne, Van Iseghem, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Renynghe, Vermeire, Vilain XIIII, Wasseige, Ansiau, Beeckman, Braconier, Ch. Carlier, Coppens, Crombez, Cumont, David et Debaets.
- La séance est levée à 3 heures trois quarts.