(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1862-1863)
(page 565) (Présidence de M. Vervoort.)
M. de Florisone procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart et il donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moor présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Des orfèvres-bijoutiers, à Bruxelles, demandent la révision de la loi e|tdes règlements qui régissent le travail d’or et d'argent en Belgique. »
- Renvoi à la commission d'industrie.
« Les membres du conseil communal de Hamont déclarent adhérer à la pétition relative au chemin de fer d'Herenthals à Gladbach par Ruremonde. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiuer le projet de loi relatif à la concession de divers chemins de fer.
« Le sieur Theyskens demande que la compagnie concessionnaire du chemin de fer d'Aerschot à Diest établisse une station à Testelt. »
« Même demande d'habitants de Testelt. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les huissiers chargés du service correctionnel près le tribunal de première instance de Bruxelles, demandent un traitement fixe du chef de ce service. »
- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi sur l'organisation judiciaire.
« Par message, daté du 15 mars, le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté le projet de loi ouvrant de nouveaux crédits provisoires à valoir sur les budgets des travaux publics et de la justice. »
- Pris pour notification.
« M. de Terbecq demande un congé pour cause d'indisposition. »
- Accordé.
M. de Moor (pour une motion d’ordre). - Messieurs, hier soir et ce matin, les pièces qui ont rapport au projet de loi que M. le ministre des travaux publics a déposé pour des concessions de chemins de fer, ont été distribuées aux membres delà Chambre. Je prierai la Chambre de vouloir bien fixer l'examen en sections à mercredi prochain.
M. Crombez. - Il y a des sections centrales qui se réunissent mercredi et dont les travaux ne peuvent pas être interrompus.
M. de Moor. - Alors, je proposerai jeudi.
- Cette proposition est adoptée.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban) dépose :
1° Un projet de loi ayant pour objet d'allouer au département de l'intérieur un crédit de 100,000 francs pour frais relatifs à l'exposition générale des beaux-arts en 1863.
2° Un projet de loi ayant pour objet d'autoriser le gouvernement à aliéner quelques biens domaniaux.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces projets de lois et les renvoie à l'examen des sections.
M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, je ne me placerai pas sur le terrain qu'a choisi le dernier orateur au commencement de son discours. lme serait aisé d'opposer chartes à chartes, documents à documents ; et si j’avais l'honneur de représenter ici la cité de Gand, ce n'est pas Charles-Quint que je citerais comme le zélé protecteur des droits et des libertés de chacun.
Je me borne à faire remarquer que lorsqu’on signale les abus qui ont pu se glisser dans les monastères à certaines époques, il convient aussi, pour être équitable, de rappeler que les monastères, dans les temps antérieurs, ont été le berceau de l'agriculture, des sciences, des arts, de la civilisation même du pays.
Je veux, messieurs, aborder un autre ordre d'idées. Si ma mémoire est fidèle, M. le ministre des finances, dans la séance de mercredi dernier, a représenté ce côté de la Chambre comme se trouvant placé sous l'empire de deux impressions complètement différentes : d'une part, l'ardeur de la lutte et de la discussion de l’autre, l’hésitation, l’incertitude se voilant sous le silence.
J'ai cru devoir demander la parole pour déclarer que sur nos bancs, quelles que soient les nuances qui nous portent plus ou moins à écarter les discussions irritantes du passé, pour nous consacrer aux améliorations de l'avenir, quels que soient les éléments introduits par des élections successives, il n'est personne qui redouta un débat public et l'affirmation de ses opinions.
- Plusieurs membres. - Très bien ! très bien !
M. Kervyn de Lettenhove. - Cette déclaration est d'autant plus nécessaire que, dans les deux dernières séances, M. le ministre des finances a fait peser sur l'opposition les accusations les plus vives. A l'en croire, il est peu de fraudes que nous ne cherchions à introduire, peu de fraudes que, une fois accomplies, nous ne voudrions laisser impunies.
D'après M. le ministre des finances, nous ne serions pas de notre temps, nous n'accepterions pas le XIXème siècle qui a propagé beaucoup d'idées dangereuses, mais qui, du moins, a placé en première ligne la discussion loyale, sincère, complète de toutes les opinions ; nous voudrions retourner vers un passé inconnu, je le déclare, dans notre pays, vers un passé où l'expression de la pensée était enchaînée comme la conscience, où le privilège était au haut de l'organisation sociale et l'oppression partout ailleurs.
Si ces accusations étaient fondées, nous serions, messieurs, quelque chose de moins que ces fantômes dont parlait, à la dernière séance, l'honorable M. E. Vandenpeereboom, et je me demande comment on trouverait, pour servir une pareille cause, des arguments auxquels (j'emprunte encore le langage de notre honorable vice-président) « il n'est pas toujours aisé de répondre. »
Ce qui fait notre force, permettez-moi, messieurs, de vous le dire.
Ce qui fait notre force en dehors du parlement, en présence du corps électoral, c'est que si les époques d'agitation sont pour nous des époques de défaite, lorsque le pays est rendu à l'ordre et au calme, en dehors du choc des passions, nous sommes ramenés par le corps électoral dans cette enceinte.
Ce qui fait notre force dans cette enceinte, c'est qu'aux époques ordinaires, dans les temps où règnent la paix et le repos, nous défendons consciencieusement et plus vivement que personne les libertés du pays, et que si, au contraire, il arrive des époques exceptionnelles où l'indépendance nationale et l'ordre public sont en danger, plus que personne nous nous rangeons avec empressement autour du pouvoir, pour le fortifier et le défendre.
Ce qui fait notre force, c'est que, tandis que le gouvernement cherche à faire intervenir l'Etat à tous les degrés de la vie sociale, nous soutenons toujours ce grand principe de la liberté individuelle, de l'action individuelle ; car nous croyons que ce n'est pas seulement à la tête, mais dans toutes les artères du grand corps social qu'il faut porter et maintenir la vie.
Ces principes, nous les considérons comme inscrits dans la Constitution ; ces principes, d'après nous, ce sont les traditions mêmes du pays ; nous voulons les maintenir, les léguer aux générations qui suivront la nôtre ; nous voulons les conserver. Nous sommes conservateurs.
Et pourquoi nous conteste-t-on ce titre ? Dans un pays voisin, où la liberté est plus ancienne que partout ailleurs, le titre de conservateurs n'est pas contesté à l'une des grandes fractions parlementaires.
Les conservateurs de l'Angleterre ont-ils défendu avec moins de zèle et d'ardeur les libertés du pays ? et pour ne citer qu'un exemple, n'est-ce pas des rangs des conservateurs qu'est sorti sir Robert Peel, le plus grand des réformateurs modernes ?
Ce titre de conservateurs pourquoi nous le contestez-vous ? C'est qu'il vous convient mieux de nous appeler le parti catholique. Vous voulez par cette dénomination de catholiques que nous acceptons, que nous revendiquons partout ailleurs, parce que dans ce temps d'abaissement moral et de doute, il faut se faire honneur des convictions fortes et profondes, vous voulez, dis-je, faire croire à l'opinion publique que, mandataires de la nation dans le parlement, et chargés des intérêt de l'Etat, et rien que des intérêts de l'Etat, nous asservissons l'Etat à l'Eglise ; que nous plaçons l'Eglise au-dessus de l'Etat ; que nous mettons l'Etat aux pieds de l'Eglise qui ne serait plus ce grand corps social qui s'adresse aux âmes et auquel les âmes répondent ; mais un second Etat, un Etat privilégié, non pas un rival, mieux que cela, un dominateur absolu et violent. (Interruption.)
(page 566) Mais, sans répondre à l'interruption de M. le ministre des finances, n'est-il pas assez établi qu'en toutes circonstance, nous avons défendu la liberté et rien que la liberté de tous les cultes indistinctement ?
M. le ministre des finances déclarait hier que la division des partis n'était pas une question religieuse ; il ajoutait que le gouvernement impartial et plus rapproché de la bienveillance et de la protection que de la haine ou de l'oppression ne la considérerait jamais ainsi, pourquoi donc faire intervenir sans cesse des désignations religieuses dans des discussions politiques ? Si c'est afin de nous affaiblir, ne comprenez-vous pas que vous affaiblissez en même temps l'influence religieuse que vous voulez, dites-vous, protéger ou tout au moins respecter ? Si c'est pour rendre la religion même responsable de nos discours et de nos votes, oh ! alors, ce serait bien plus qu'une erreur et qu'une faute, et en ce cas, votre langage, quand vous parlez du respect de la religion, ne serait plus sincère.
Messieurs, au-dessus de cette discussion, au-dessus de ces théories il y a quelque chose qui les condamne ou les justifie ; c'est l'épreuve des faits ; c'est l'expérience.
Lorsque M. le ministre déclare que le gouvernement actuel veut se diriger non pas par un intérêt passager de parti mais par l'intérêt permanent du pays ; qu'il entend choisir les fonctionnaires, non pas d'après leurs croyances, ni d'après leurs opinions, mais d'après leur capacité et d'après leur honorabilité, nous adhérons complètement à ce principe ; mais nous nous réservons le droit d'en discuter l'application.
Lorsque M. le ministre ajoute qu'il s'agit d'organiser un contrôle sévère et efficace de l'Etat dans toutes les matières où l'Etat intervient, soit à raison de sa tutelle, soit régulièrement par des subsides pécuniaires, nous adhérons au langage de M. le ministre.
Lorsqu'il nous dit, à propos de la loi des bourses, qu'il s'agit de permettre aux boursiers de choisir les établissements dans lesquels ils iront chercher l'instruction, j'approuve encore le langage de M. le ministre des finances.
Mais quand M. le ministre des finances va plus loin, quand il veut justifier une loi qui doit consacrer au bénéfice de l’Etat le principe le plus odieux de toute législation, la rétroactivité, je ne suis plus avec lui ; je suis encore moins avec lui lorsqu'il veut contestera chaque culte le soin de réserver à ceux qui sont morts dans la même foi, le repos du même asile et l’honneur du même symbole.
Je termine, messieurs, par un fait spécial qui concerne plus directement le budget de la justice.
Dans notre dernière séance, l'honorable comte de Theux a fait un reproche à M. le ministre de la justice des entraves qui sont fréquemment apportées aux donations charitables. Je me crois tenu de faire à ce sujet une réserve spéciale ; et je remplis ainsi un devoir que prescrit la loyauté.
Dans l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter dans cette enceinte, il y a une personne respectable qui s'est imposé la vie la plus retirée et la plus modeste pour établir, en faveur des pauvres infirmes ou orphelins, un monument tel qu'on n'en rencontre pas dans les grandes villes, ni même dans les capitales. J'ai à peine besoin de vous dire qu'à ce dévouement admirable, se liait profondément une pensée religieuse. La fondatrice de cet hospice avait pendant toute sa vie appelé le dévouement religieux à féconder son œuvre ; elle voulait qu'après sa mort, cette œuvre lui survécût, telle qu'elle l'avait créée, telle qu'elle l'avait vue se développer.
Je suis heureux de pouvoir ajouter, au moment où la Flandre orientale traverse une crise industrielle dont M. E. Vandenpeereboom retraçait hier encore toutes les souffrances, que la durée de cette œuvre où la pensée religieuse et la charité resteront associées, est désormais assurée. Une donation conçue en ces termes a été adressée à M. le ministre de la justice. Je le remercie et le félicite de l'avoir soumise à l'approbation de la signature royale.
M. Devaux. - Messieurs, ce qui se passe depuis huit jours dans cette enceinte témoigne hautement en faveur de notre opinion. Cette opinion forme la majorité parlementaire depuis six ans. Depuis six ans elle est représentée au pouvoir ; chacun sait combien rigoureusement il a été contrôlé dans cette Chambre et au-dehors et lorsque approche ce moment décisif où pouvoir et opposition, majorité et minorité, vont paraître devant le pays pour être jugés par lui, qu'arrive-t-il ?
Que ceux qui ont à demander compte à la majorité et au pouvoir, de leurs divers actes, que ceux qui, comme opposition, ont mission de contrôler ces actes, ceux-là hésitent, sont embarrassés de leur rôle, c'est nous qui devons les conjurer de vouloir bien faire notre procès devant le pays et lui exposer nos torts.
C'est malgré eux, en quelque sorte, que la discussion politique s'engage. M. Thibaut, qui, à ce qu'il semble, a ouvert cette discussion par une faute contre la discipline, lui qui aime si peu à ménager ses adversaires, vous avez vu cependant quelle précaution il a prise pour ne pas donner de grandes proportions à cette discussion. Il semblait qu'on lui eût recommandé de ne pas engager une trop grande lutte.
A plusieurs reprises il nous a dit qu'il ne faisait qu'une simple protestation, comme pour nous engager à ne pas lui répondre et à ne pas attacher autrement d'importance à ses paroles.
Ce n'est qu'après la réplique de M. le ministre de la justice et de M. Pirmez, que M. de Theux a vu la nécessité de prendre la parole et a demandé la remise de la séance à mardi.
Quand, à la séance suivante, il est entré dans le débat, quel acte a-t-il précisé, quel reproche a-t-il articulé ? Il est resté dans un vague presque insaisissable, il a accusé des tendances et a donné des conseils au pouvoir plutôt qu'il n'a déterminé ses griefs contre lui. L'honorable M. Nothomb s'est renfermé dans les synagogues des juifs, question qui peut avoir son intérêt, mais dont on avouera que le pays s'émeut assez peu.
Est venu ensuite M. Dumortier ; malgré l'abondance naturelle de sa parole et son imagination féconde, M. Dumortier s'est trouvé à la gêne dans cette discussion ; malgré la richesse des couleurs de sa palette et la facilité de son pinceau qui se plaît aux tableaux de fantaisie, il n'a pas réussi à donner un corps à ses griefs, ni à leur ôter leur insignifiance.
Aujourd'hui, l'honorable M. Kervyn de Lettenhove est venu son tour prendre part au débat.
Je croyais qu'enfin le procès du ministère et de la majorité allait être instruit en forme, et l'honorable M. Kervyn de Lettenhove a fini par rendre hommage à un acte du ministre de la justice ; du reste il s'est borné à défendre son parti, et le pays n'a reçu de lui aucune lumière sur les torts précis de la gauche et du cabinet.
C'est que quand les accusations restent dans le vague, quand elles sont énoncées dans des journaux en l'absence de tout contradicteur, il est aisé de frapper fort.
Il est facile aussi, au milieu de quelque discussion administrative, d'accuser le ministère en deux mots de violer toutes les libertés, d'être l'ennemi de la religion. Mais quand dans une discussion politique en règle, il faut énumérer tous ces griefs, les précise un à un, s'attendre à être contredit sur chaque point, oh ! alors la tâche devient plus difficile, on est embarrassé de justifier les exagérations auxquelles on s'était laissé aller, de trouver des faits qui réalisent les prévisions qu'on avait hasardées. C'est alors que l'embarras commence et que l'on voudrait pouvoir se soustraire à un débat régulier, car il ne suffit plus d'accusations vagues ; il ne suffit plus d'imprécations, ni de prédictions. Il faut préciser les faits. Il y a un passé de six ans dont il faut déterminer les fautes et les torts.
Eh bien, messieurs, aux yeux de l'opposition quels sont-ils aujourd'hui, ces torts ?
Le plus sévère des orateurs qui ont parlé, l'honorable M. Dumortier a avoué à quatre reprises différentes que nous n'étions séparés que sur la question religieuse.
Là est, suivant lui, tout le dissentiment entre le pouvoir et la droite, il n'y en a pas d'autre, messieurs ; tout à l'heure je parlerai de la réserve faite par l'honorable membre et de la question religieuse, comme il l'appelle, mais permettez-moi d'abord de prendre acte de cette déclaration réitérée.
Je trouve un grand honneur pour mon parti, je trouve, à part la réserve, un grand honneur pour le pouvoir dans cette déclaration faite au nom de la droite.
Depuis 6 ans l'opinion de la majorité est au pouvoir et en dehors d'un certain ordre de faits on reconnaît que rien ne nous divise, il n'y a pas de dissentiment, pas de reproche à faire.
M. B. Dumortier. - Je n'ai pas dit cela du tout.
M. Devaux. - Vous l'avez dit à trois ou quatre reprises de la manière la plus expresse et cette fois, vous n'avez pas ajouté « relativement » ; votre discours d'ailleurs n'a porté que sur ce que vous appelez les questions religieuses, vous n'êtes pas homme à rien négliger. (Interruption.)
Je n'ai pas fini. Vous aurez encore trop d'occasions de m'interrompre ; prenez un peu de patience.
Ainsi, dans toute l’administration proprement dite, en dehors d'un cercle de faits assez restreint, point de griefs sérieux, ni dans la vaste administration du département de l'intérieur, ni dans celle du ministère de la justice. On rend hommage avec nous au mérite et au zèle avec lequel est dirigé le département de la guerre. On ne méconnaît pas l'intelligence et le patriotisme qui préside à la direction des affaires étrangères. On ne conteste pas que nos finances ne soient dans une excellente situation, qu'il n'ait été posé d'admirables actes dans cette administration.
(page 567) Je regarde cette reconnaissance implicite du mérite administratif du cabinet, de la part de l'opposition, comme un grand honneur pour lui. C'est comme si l'on disait au pays : Pendant six ans, nous avons fait de l'opposition administrative. Sur tant de questions administratives nous nous sommes séparés du ministère, et avons voté contre lui comme un seul homme. Prenez tout cela pour rien, nous n'y trouvons plus un seul grief. Ainsi, par exemple, lorsqu'il s'est agi de l'abolition de l'octroi, tous, tous les membres de la droite, nous avons soutenu que c'était la ruine et l'oppression des campagnes, que leurs intérêts étaient impitoyablement sacrifiés aux villes.
Aujourd'hui nous reconnaissons notre erreur, et l'abolition de l'octroi disparaît de la liste de nos griefs. (Interruption.) Si le grief existe encore, messieurs, pourquoi donc n'en parlez-vous plus ? C'est le moment de rappeler aux campagnes cet acte d'oppression et d'iniquité.
Montrez-leur donc combien elles sont ruinées ; faites voir les charges que l'abolition des octrois leur impose, démontrez aux communes que le fonds communal n'a pas considérablement amélioré leur situation financière ; apprenez-leur combien elles sont malheureuses d'avoir vu leur part du fonds communal s'accroître cette année de 17 p. c. ; à tel point qu'il est de ces communes infortunées où l'on en est presque à se demander ce que dans l'avenir on fera de cet argent, si la progression continue ! (Interruption.)
De tous les griefs administratifs proprement dits, il n'est donc plus question, tout cela disparaît.
Reste ce qu'on appelle la question religieuse. J'en demande pardon à l'honorable M. Kervyn qui vient de prendre la parole, il s'est plaint, si j'ai bien compris tout à l'heure qu'on parlât de religion dans ce débat. Ce n'est pas nous, ce sont ses amis qui voient ici une matière religieuse. A mes yeux la qualification est fort impropre.
Messieurs, y a-t-il en Belgique un seul homme qui ait à se plaindre d'être gêné dans sa liberté religieuse, dans la liberté de sa croyance, dans l'exercice de son culte ?
Y a-t-il un seul ministre du culte qui puisse se plaindre de ne pas exercer librement ses fonctions de prêtre ? Y a-t-il quelqu'un qui se plaigne que les associations religieuses ne puissent pas librement se former ? Y a-t-il quelqu'un, à quelque opinion qu'il appartienne, qui se plaigne de ne pouvoir librement ouvrir une école, de ne pouvoir enseigner ce qui lui plaît ?
Voilà la grande liberté religieuse, voilà les grandes libertés constitutionnelles, qui intéressent particulièrement l'opinion catholique. Qui dira qu'aucune de ces libertés ait été violée ? Pas un seul membre de cette Chambre. Ce dont on se plaint, c'est qu'on ait méconnu non pas la liberté religieuse, non pas les libertés constitutionnelles, mais de prétendues libertés de nouvelle invention qui n'ont rien de commun ni avec la liberté des cultes ni avec les libertés de la Constitution ; qui n'étaient pas connus du temps du Congrès et dont, hors de Belgique, les hommes qui se sont le plus occupés de libertés et de politique ne sauraient pas, si on leur en parlait, ce que le nom signifie.
Ce sont là les griefs dont on se plaint. Hier on les a déjà passés en revue, on a fait voir à quoi ils se réduisaient ; j'y veux revenir encore, il est utile qu'on comprenne nettement ce que deviennent ces prétendus griefs religieux, du moment qu'on les fait sortir du vague dont on les enveloppe.
Je ne m'attacherai pas à discuter le fond même des reproches, à examiner si sur chacun de ces points le ministère a tort ou raison ; je supposerai même, si l'on veut, qu'il ait tort sur tous. Ce que je veux constater, c'est le degré de gravité, la portée qu'aurait ce tort du ministère, s'il existait. Je laisserai de côté seulement la question des bourses et celle des fabriques d'église dont M. Kervyn parlait tout à l'heure parce que, quand un ministère et une majorité existent depuis six ans, c'est sur des actes accomplis qu'il faut les juger. Je ne connais pas le projet de loi sur les fabriques d'église qui ne nous a pas été présenté et je ne sais pas quelles seront les dispositions définitives du projet de loi sur les fondations des bourses d’études ni quels changements les observations faites, soit en sections, soit dans la future discussion publique, pourront y faire introduire.
Laissons donc là les projets et les avant-projets ; parlons des actes accomplis.
M. Kervyn de Lettenhove. - C'est M. le ministre lui-même qui a développé les principes qui servent de base à ces projets.
M. Devaux. - Nous avons d'abord l'affaire de la fondation refusée à l'église du village de Mont.
M. le ministre de la justice s'est attaché à démontrer la parfaite légalité de ce refus. Vous croyez qu'il se trompe ? Eh bien, je ne discute pas s'il a tort ou raison, mais je demande, s'il a tort, quelle est la portée de son erreur.
D'après l'honorable membre qui a commencé cette discussion, toute la liberté des cultes est impliquée dans la question.
M. Thibaut. - Je n'ai pas dit cela.
M. Devaux. - Pardon ! vous avez dit que la liberté de fonder était une conséquence nécessaire de la liberté des cultes.
Mais s'il en est ainsi, comment se fait-il que cette liberté de fonder, conséquence nécessaire de la liberté des cultes, vous l'abandonniez à la discrétion du pouvoir ? Comment se fait-il que, depuis 32 ans que notre Constitution existe, aucun de vous n'ait songé à demander qu'on puisse fonder sans la permission du gouvernement ? C'est que vous avez cru tous que ce n'était pas là la liberté religieuse, que ce n'était pas là même ce que l'on peut appeler une liberté, car il serait dérisoire d'appeler liberté une faculté dont on ne peut user qu'avec l'autorisation du pouvoir.
Démontrez, si vous le pouvez, que le pouvoir devrait moins rétrécir le cercle des fondations ; mais s'il ne suit pas vos conseils et s'il vous montre qu'il autorise autant de libéralités pieuses que les établissements religieux en ont jamais reçu, ne venez pas dire qu'une liberté a été violée ni qu'un intérêt grave a été méconnu. Du reste, M. de Theux a mieux caractérisé cette affaire que M. Thibaut. Il est convenu, pour me servir de ses expressions, que c'était une petite affaire, une très petite affaire.
M. de Theux. - Quant au fait spécial.
M. Devaux. - Ainsi, M. Thibaut, vous l'entendez, une petite affaire. Vous l'entendez, M. Dumortier ? (Interruption.) J'entends que vous dites qu'il s'agit de quelques centaines de francs. Je vous en demande pardon. Quand il s'agit d'un principe, la solution d’une question de cent francs est aussi grave que s'il s'agissait d'un million.
S'il n'y a donc ici qu'une petite affaire, c'est qu'il n'y a pas de grand principe en jeu. Je puis donc qualifier ce grief d'insignifiant et passer à d'autres.
J'en viens à la question des sépultures. L'honorable M. Dumortier a baptisé plusieurs libertés depuis quelques années ; il a bien voulu, appeler celle qui, suivant lui, se trouve lésée ici : la liberté de la mort. L'expression ne me semble pas heureuse, si même elle est intelligible.
On connaît la liberté de vivre ; mais je ne sache pas qu'aucun pouvoir ait jamais essayé d'entraver la liberté de mourir. Si on l'avait essayé, ce ne pourrait être que ceux qui ont voulu punir le suicide sur un cadavre. Or ce n'est pas au cabinet ni à notre opinion qu'on fera ce reproche. Laissons le mot et voyons la chose.
Où est ici le dissentiment entre la droite et le gouvernement ? Le gouvernement croit qu'on n'a pas le droit d'exclure les restes d'un citoyen de la partie décente et convenable d'un cimetière, pour les faire porter dans un endroit auquel s'attache la déconsidération. Est-ce là violer la liberté religieuse ?
Empêche-t-on la dépouille mortelle de qui que ce soit d'être inhumée avec les prières et les cérémonies de son culte ? Empêche-t-on le prêtre de prier sur une tombe ou de la bénir ? Le force-t-on de donner ses prières et ses bénédictions à une tombe à laquelle il les refuse ? En dehors de cela, où serait la violation de la liberté religieuse ? Qu'empêche-t-on ?
On vous empêche, non pas d'exercer votre culte dans toute sa liberté, mais d'outrager les restes d'un citoyen ; on vous empêche de flétrir un mort à raison des opinions religieuses qu'il a professées de son vivant. Est-ce là une atteinte à la liberté religieuse ? La liberté religieuse implique-t-elle la liberté d'outrager les morts ?
Le gouvernement, qui a le droit et le devoir de protéger les vivants contre les outrages, ne peut-il pas croire légitimement qu'il a le même droit et le même devoir à l'égard des morts ?
Tout ce qu'on demande, c'est le respect des morts, c'est que leurs cendres soient respectées, qu'elles soient inhumées dans un endroit convenable, qu'elles ne soient pas jetées dans un lieu du cimetière auquel s'attache une espèce de flétrissure,
Il n'y a là de froissé ni liberté ni droit sérieux, mais tout au plus quelques habitudes ou quelques vieilles idées.
Quel est l'homme qui peut attacher quelque importance pour lui-même à l'observation d'un pareil usage ? je suis sûr que parmi les membres de la droite il n'y en a pas deux peut-être qui, en ce qui les regarde personnellement, attachent de l'importance à ce qu'un jour ils soient enterrés plutôt à 20 pas qu'à 10 pas de l'ancien président de notre Chambre, récemment décédé, plutôt à 20 pas qu'à 10 pas de ce membre du Congrès qui est devenu depuis président de chambre à la cour de cassation.
Remarquez qu'autrefois, dans certains pays, le voisinage des mécréants inspirait autant de répugnance de leur vivant qu’après leur mort.
(page 568) Ainsi nous connaissons tous des villes où les juifs étaient parqués dans des quartiers séparés que l'on fermait le soir ; il en est même ou cet usage s'est conservé.
- Un membre. - Rome.
M. Devaux. - Il y a des villes même qui commerçaient avec les juifs pendant le jour, mais qui ne leur permettaient pas d'y fixer leur domicile et ne voulaient pas respirer le même air qu'eux pendant la nuit.
La ville de Nuremberg, en Bavière, était dans ce cas. Pour pouvoir faire leur commerce journalier avec elle, les juifs furent obligés de bâtir, dans le voisinage, la petite Ville de Furth.
Supposez, dans les villes dont je viens de parler, une loi ou une mesure administrative permettant aux juifs d'occuper, comme les autres citoyens, les maisons de la ville qu'ils auront achetées do louées ; qui oserait dire qu'il y a là une liberté ou un droit méconnu ? Il y aurait là tout au plus quelques habitudes, quelques anciennes idées froissées. Il en est de même de l'affaire des sépultures : empêcher d'outrager les morts, ce n'est assurément violer le droit d'aucun mort ni d'aucun vivant.
Je passe, messieurs, à des griefs moins importants encore. Parlons d'abord de ce que M. Dumortier a bien voulu appeler, un jour, la liberté de la chaire.
Il existait dans le code pénal un article 102 comminant des peines contre le ministre du culte qui, dans la chaire religieuse, attaquait les actes soit du gouvernement, soit de l'administration locale. Cet article avait été constamment appliqué ; il l’est encore ; depuis 30 ans, aucune plainte n'était arrivée aux Chambres ; aucune réclamation ne s'était fait jour dans les feuilles publiques, ni dans la législature. Appelé à réviser le code pénal, on s'est trouvé en présence de cette disposition, on a dû nécessairement s'en occuper, et comme la disposition n'avait pas présenté d'inconvénient, qu'elle prévenait dans les villages des conflits entre le curé et le bourgmestre, on ne l'a pas abolie ; mais on a adouci la pénalité en la réduisant de 2 ans d'emprisonnement à 2 ou 3 mois.
Les membres de la droite semblaient eux-mêmes la plupart de cet avis. Dans la commission de la Chambre où ils étaient représentés et après que les plus influents d'entre eux eurent été consultés, il n'y eut pas d'opposition de leur part. Des membres considérables de cette opinion répétaient même, quelques jours encore avant la discussion, que si les évêques réclamaient, ils n'écouteraient pas leur réclamation sur ce point.
Mais un ou deux évêques ne voulurent pas de l'ancienne disposition même adoucie. (Interruption.)
M. H. Dumortier. - Vieille chanson !
M. Devaux. - Sur cette opposition, on changea d'avis ; et, ce qui est plus extraordinaire, le maintien d'un article contre lequel aucune plainte ne s'était jamais élevée, que tout le monde avait d'abord été d'avis de maintenir, qu'on avait considérablement atténué, on voulut en faire un grief contre le gouvernement.
Mais eût-on eu tort de conserver cette disposition, quelle est l'importance de ce fait lui-même ? Qui peut voir un événement grave dans le maintien et l'atténuation d'une disposition qui existait depuis 1810 et contre laquelle pas de réclamations ne s'étaient élevées.
Un membre de cette Chambre s'est plaint il y a quelque temps que dans les villages ou se groupait en amis du bourgmestre et en amis du curé. Ce n'est certes pas en abolissant cette disposition du Code pénal et en laissant des prêtres, souvent jeunes et ardents, s'abandonner en chaire à un premier mouvement d'humeur, qu'on travaillera au rétablissement de la concorde dans nos communes rurales.
Vous le voyez, messieurs, les griefs dont je suis réduit à m'occuper vont toujours s'amincissant.
Passons maintenant à la question des écoles adoptées. Quel est le fait ? Dans le village de Sivry l'administration communale désirait subsidier une corporation religieuse ou lui donner un local pour qu'elle tînt lieu d'école communale.
Le gouvernement a cru qu'aux termes de la loi, si la commune en avait les moyens, l'école communale devait être préférée ; encore une fois, je n'examine pas si le gouvernement a eu tort ou raison.
Je suppose qu'il ait tort, je suppose qu'il ait mal interprété la loi.
Quelle est l’importance de ce fait ? C'est que, dans une commune rurale il se trouve une école communale avec toutes les garanties religieuses de la loi de 1842 au lieu d'une école dirigée par une corporation religieuse et soutenue par la commune.
S'agit-il là de liberté religieuse ou de liberté de l'enseignement ? Une corporation religieuse aura perdu un petit subside communal ; mais ni la liberté religieuse ni la liberté d'enseignement n'ont pour conséquence le droit à des subsides.
C'est donc là, encore une fois, un grief sans gravité ; ce n'est pas la liberté qui est en jeu ; c'est une question administrative, une simple question de subside.
Je sais bien que la droite préférera peut-être toujours un peu plus d'écoles adoptées que le gouvernement n'en concédera, mais puisque les écoles communales proprement dites offrent à la droite des garanties dont il est impossible qu'elle ne soit pas satisfaite, ce dissentiment ne peut avoir qu'un bien médiocre intérêt.
Faut-il parler maintenant des écoles dentellières ? On reproche au ministère d'avoir appliqué la loi de patente à des écoles qui fabriquent la dentelle. Mais le ministère se défend en disant : J'ai exécuté la loi ; et la preuve, dit-il, qu'il l'a bien interprétée, c'est que les tribunaux lui ont donné raison.
M. le ministre des finances nous a fait connaître d'ailleurs qu'il n'avait fait que se conformer à l’avis de l'un de ses prédécesseurs, actuellement membre de la droite.
Faut-il que je suppose maintenant que le ministère a eu tort de se conformer à la décision des tribunaux et d'exécuter la loi que les tribunaux déclaraient applicable ? Même dans cette hypothèse étrange, le fait du payement de quelques francs de patente, exigé d'une école où se fabrique un produit qui a une valeur vénale, ne peut, dans aucun cas, avoir une portée bien sérieuse. Si ces membres de la droite le pensaient, ils se seraient donné la peine de prendre l'initiative d'un changement à la législation.
Ce n'est pas ma faute, messieurs, si la liste des griefs dont j'ai à vous entretenir se borne là : le refus de la fondation de Mont, que l'honorable M. de Theux déclare une petite affaire ; la question des sépultures, c'est-à-dire la défense d'outrager les morts ; le maintien adouci d'une loi qui s'exécutait sans réclamation ; une école communale préférée à une école adoptée, un subside refusé à une corporation religieuse ; les écoles dentellières imposées suivant la loi et condamnées par les tribunaux : voilà les griefs, voilà ce qui doit justifier cette extrême irritation qui, nous a-t-on dit plus d'une fois, s'est étendue à une grande partie du pays et à l'occasion de laquelle on a même prononcé le mot de désaffection.
Je dis, messieurs, que quand en présence d'une majorité et d'un ministère qui dure depuis six ans, l'opposition n'a à formuler qu'un acte d'accusation aussi misérable, la majorité et le ministère peuvent se présenter la tête haute devant le pays, et il est naturel qu'une discussion qui met à nu l'insignifiance de pareils reproches soit quelque peu embarrassante pour des adversaires qui en sont réduits là.
Dira-t-on peut-être que si chacun de ces cinq ou six griefs est insignifiant en lui-même, ils ont quelque importance dans leur ensemble parce qu'ils appartiennent tous à cet ordre de faits administratifs qui avoisine les matières religieuses. Mais d'abord, messieurs, à côté des cinq ou six actes dont vous vous plaignez, n'y en a-t-il pas dans la même sphère des centaines depuis 6 ans dont vous ne parlez pas et parfaitement réguliers et parfaitement conformes à vos propres intentions ? Ensuite si vous ne trouvez le ministère en défaut que de ce côté, c'est que vos recherches ne se portent pas avec la même ardeur sur d'autres parties de l'administration. S'il vous suffit de si peu pour vous plaindre, je ne crains pas de dire que vous trouveriez encore des sujets de plainte ailleurs.
Un ministère n'est pas infaillible ; en six années il a eu à prendre des centaines, sinon des milliers de décisions. Parmi les questions qu'il a fallu décider, il y en a assurément bon nombre de difficiles et de douteuses. Quel ministre ne s'est pas trompé quelquefois en six années de temps, et, fût-il même exempt d'erreurs et de torts, quel ministre a pu résoudre tant de questions au gré de tout le monde et se flatter de n'encourir jamais la désapprobation de personne ? Je le dis donc, si on n'a trouvé de sujet de plainte que dans une partie de l'administration, c'est qu'on n'a dirigé ces recherches que d'un côté, ou qu'on a envisagé les autres parties de l'administration avec moins de passion et plus de justice.
Il est une accusation dont j'ai omis de parler et que mon intention n'est pas de passer sous silence : la droite reproche au gouvernement de ne pas nommer aux fonctions publiques assez d'hommes de l'opposition. Si cela était vrai, il en résulterait que la droite reproche à ses adversaires de faire ce qu'elle n'a cessé de faire elle-même quand elle a été au pouvoir. N'existait-il pas, à cette époque, dans certains évêchés, un bureau créé tout exprès pour l'examen et l'apostille des pétitions de ceux qui demandaient des fonctions publiques ; n'en était-on pas venu à croire que des billets de confession servaient à obtenir des places ? (Interruption.)
Qu'on ne le nie pas. J'ai eu moi-même la preuve certaine, qu'à l'époque dont je parle, un homme qui demandait à entrer dans la diplomatie a fourni son billet de confession au ministère, et il a été nommé. (lnterruption.)
Je ne veux pas dire que les ministres exigeassent de pareils (page 569) témoignages, mais leurs préférences étaient si notoires qu'on croyait très utile de les fournir. Aujourd'hui si quelqu'un se présentait à mon honorable ami M. le ministre des affaires étrangères, demandant à entrer dans une légation, et s'il ajoutait à sa requête un brevet de franc-maçon...
M. B. Dumortier. - Nous voyons cela tous les jours.
M. Devaux. -. Je ne crains pas d'affirmer qu'aux yeux de mon honorable ami le candidat par cette démarche se rendrait indigne d'entrer dans la diplomatie belge et ne serait pas nommé.
Le ministère a été si loin d'abuser de son influence en ce qui concerne les fonctionnaires que même dans le cercle si restreint de ce qu'on peut appeler les fonctionnaires politiques, les gouverneurs et commissaires d'arrondissement, tous sont loin d'appartenir à l'opinion du cabinet.
L'honorable M. de Theux, qui a énoncé ce grief, ne redoute pas beaucoup, je pense, dans son arrondissement l'influence électorale de son ami qui administre la province du Limbourg. M. Thibaut ne tremble pas davantage devant celle du commissaire qui est à la tête de l'arrondissement de Dinant, et ne sait-on pas qu'après que les libéraux ont été si longtemps aux affaires, il y a encore près d'un tiers des commissaires d'arrondissement qui appartiennent à une autre opinion que celle du cabinet ?
L'honorable M. Dumortier nous a fait voir dans cette discussion même quels étaient en réalité ses principes, en cette matière. Il avait au département de la justice un fonctionnaire duquel je ne voudrais rien dire de désobligeant ; je crois que je ne le désoblige pas en disant qu'il était de l'opinion de la droite ; ce fonctionnaire était à la tête de la division des cultes et chargé de l'examen de toutes les questions qui s'y rattachent ; ce fonctionnaire, par une exception qui a peu d'exemples dans les bureaux du ministère, est resté en fonctions jusqu'à l’âge de 75 ans.
Quand on songe combien les opinions de ce fonctionnaire étaient prononcées et quelles matières ressortissaient à son administration, n'est-ce pas une grande preuve de modération du gouvernement de l'avoir laissé continuer ses fonctions jusqu'à un âge si exceptionnellement avancé, et cependant on se plaint encore qu'il ait été remplacé. Aurait-on donc voulu le perpétuer, en faire une fondation ?... (Interruption.)
Messieurs, l'honorable M. Dumortier qui a beaucoup parlé de l'émancipation de la conscience humaine, pénètre, à ce qu'il paraît, dans les consciences des fonctionnaires, car il a qualifié de scandaleuse à raison de ses opinions la nomination d'un fonctionnaire qui a remplacé celui dont je parle. A part l'inconvenance de l'expression, cela veut dire que dans cette place, à raison des matières qui en dépendent, il fallait un homme de l'opinion de la droite.
M. B. Dumortier. - J'ai dit que le grand parti libéral comptait des hommes sans antipathie contre les idées religieuses.
M. Devaux. - M. Dumortier a-t-il fait là-dessus une enquête ? Comment peut-il connaître le degré de sympathie ou d'antipathie de ce fonctionnaire qui a avancé régulièrement et était appelé à succéder à son supérieur immédiat ? Je dis, moi, que peut-être s'il fallait faire acception ici d'opinion, il serait naturel que, dans des matières où souvent il s'agit d'établir la limite contestée qui sépare les droits de l'autorité civile de ceux de l'autorité ecclésiastique, le gouvernement employât des fonctionnaires aptes à les examiner au point de vue de l'autorité civile.
L'honorable M. Dumortier ne s'engagera pas, je pense, à exiger des évêchés que des affaires de ce genre y soient examinées par des libéraux.
Pourquoi donc le gouvernement, qui a non seulement le droit mais le devoir de défendre les attributions de l'autorité civile, ne ferait-il pas examiner les affaires par des hommes qui sont sympathiques à ses droits ?
S'il fallait donc faire acception d'opinion dans cette circonstance, comme le croit M. Dumortier, ce serait dans un sens tout contraire à celui qu'il indique.
Mais ce n'est pas en cette circonstance seulement que M. Dumortier et la droite nous ont fait connaître leurs principes en cette matière.
Nous les connaissons depuis longtemps.
La droite a été au pouvoir. Nous savons quelle était alors son opinion sur la nomination des fonctionnaires, sur leurs devoirs politiques.
L'honorable M. de Decker nous a appris ici quelles haines il s'était attirées en refusant des destitutions que l’on exigeait de lui dans l'intérêt de l'opinion que l'on appelait religieuse.
M. Julliot. - Il ne l'a pas fait.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il a été traité de lâche pour ne l'avoir pas fait.
M. Devaux. - Il ne l'a pas fait, mais il a été faiblement soutenu par la droite, et il a déclaré lui-même que c'était par cette raison.
Du reste, M. de Decker n'a pas été le seul à faire à la Chambre ce genre de confidences. M. Dumortier nous a lui-même appris dans une autre occasion, quels étaient ses propres principes.
C'était, je me le rappelle comme si c'était hier, dans une séance du mois de janvier 1845. M. J.-B. Nothomb était au pouvoir. M. Dumortier prit la parole et que reprocha-t-il à M. Nothomb ?
Voici ce que disait M. Dumortier. Je n’ai pas son discours sous les yeux.
M. B. Dumortier. - Je voudrais cependant que vous l'eussiez.
M. Devaux. - Je réponds d'être exact et vous n'aurez pas même à ajouter : « relativement ».
Voici ce que dirait M. Dumortier : Depuis plusieurs années nous usons ici notre popularité à soutenir votre ministère.
Nous votons des lois que nous n'aurions jamais votées si ce n'était pour vous soutenir (je cite presque littéralement).
Nous avons bien le droit de nous attendre, après avoir fait ces sacrifices pour vous, à de la réciprocité.
C'était à vous de nous soutenir dans les élections. Qu'avez-vous fait ? Vous nous avez abandonnés.
Je crois que je suis exact.
M. B. Dumortier. - Oui.
M. Devaux. - M. Dumortier me confirme. Eh bien, messieurs, M. Dumortier reproche au ministère de l'avoir abandonné lui et ses amis, alors que son devoir était de les soutenir.
M. B. Dumortier. - C'est une autre affaire cela.
M. Devaux. - Comment le ministre, comment M. Nothomb, qui était à Bruxelles, pouvait-il soutenir en province les amis de l'honorable M. Dumortier ? Comment le pouvait-il autrement que par les fonctionnaires ?
N'est-ce pas là le sens clair et précis des reproches de l'honorable M. Dumortier ? Vous ne le nierez pas.
M. B. Dumortier. - Permettez-moi de m'expliquer.
M. Devaux. - Non, monsieur, laissez-moi la parole, vous parlerez après.
C'était si bien le sens précis et clair des paroles de l'honorable M. Dumortier, qu'il ajoutait ceci : Quel a été votre premier acte ?
Vous avez adressé une circulaire aux fonctionnaires pour leur imposer la neutralité dans les élections.
Et un peu plus loin il ajoute : Je n’examine pas le principe de l'intervention des fonctionnaires dans les élections, mais cette circulaire est une trahison.
M. B. Dumortier. - Lisez tout. Cela vaut mieux que des extraits.
M. le président. - M. Dumortier, n'interrompez pas. Vous pourrez répondre.
M. B. Dumortier. - Je n'ai pas mon discours sous, les yeux, mais je suis certain de n'avoir pas dit un mot de ce que l'honorable M. Devaux vient de m'attribuer.
M. Devaux. - Je réponds que ce que je dis est exact, parfaitement exact, et si l'honorable M. Dumortier vient relire ici son discours, il ne fera que confirmer mes paroles.
Il a reproché au ministère d'avoir abandonné ses amis politiques dans les élections, d'avoir été cause par là qu'un certain nombre d/entre eux, les orateurs de son parti, disait-il, ont échoué.
Il a reproché au ministère une circulaire dans laquelle il prescrivait la neutralité aux fonctionnaires ; il a dit que c'était une trahison.
Y a-t-il après cela, pour un homme de bon sens et de bonne foi, moyen de douter que dans l'opinion de l'honorable M. Dumortier le devoir du ministre était de soutenir ses amis dans les élections par les fonctionnaires.
M. B. Dumortier. - Mais relisez donc mon discours. Je n'admets pas que l'on dénature ainsi mes paroles.
M. Devaux. - Vous le relirez si vous voulez et vous verrez s'il y a un iota de changé.
M. B. Dumortier. - Je n'ai pas dit cela.
M. Orts. - Ne vous défendez pas, vous aviez raison.
M. Devaux. - Ainsi, messieurs, principe à part (car M. Dumortier avait mis le principe entre parenthèse) ; il trouvait que c'était une trahison que la neutralité des fonctionnaires dans les élections.
Or, si les fonctionnaires doivent soutenir des membres qui appartiennent à l'opinion du ministère et si le ministère doit par là leur montrer sa reconnaissance, je demande s'il doit nommer des hommes de l'opposition pour soutenir ses amis, je demande si c'était là le principe de l'honorable M. Dumortier quand la droite était au pouvoir. (Interruption.)
(page 570) M. H. Dumortier. - Ce sont là des opinions individuelles.
M. Devaux. - Messieurs, je défends la majorité contre ceux qui l'attaquent. Si l'honorable M. Henri Dumortier m'avait fait connaître ses principes, je les aurais examinés. J'ai affaire à M. Barthélémy Dumortier qui s'est fait l'organe de la droite.
M. H. Dumortier. - Non ! non !
M. Devaux. -L'honorable M. Barthélémy Dumortier a assez d'autorité dans l'opposition pour que je puisse dire quels sont ses principes en matière de fonctionnaires et en matière d'élections.
Messieurs, voilà donc ce grief, ce dernier grief. Vous voyez qu'on a le courage de reprocher au ministère d'avoir certainement été en cette matière beaucoup plus modéré, beaucoup plus réservé qu'on ne l'a été quand on avait ses amis au pouvoir ou qu'on y était soi-même.
Comment se fait-il, messieurs, que lorsque en définitive on aboutit à n'avoir à articuler contre un gouvernement que des griefs aussi peu sérieux, il se manifeste cependant, à l'avènement de ce gouvernement et pendant sa durée, une irritation aussi grande dans les rangs de l'opposition ?
Voilà quatre fois que les libéraux arrivent au pouvoir. On les a vus agir ; ils n'ont pas commis plus d'énormités les autres fois que celle-ci. Comment se fait-il que la seule présence de ces libéraux au pouvoir, indépendamment de leurs actes, fasse frémir en quelque sorte le parti de la droite, lui fasse perdre son sang-froid, qu'au-dehors, on se livre à des excès de paroles impardonnables, qu'ici même des hommes raisonnables, qui résistent d'abord, finissent par se laisser gagner par cette contagion et s'exagérer leur situation comme les autres tout en étant dans l'impuissance de préciser des faits qui motivent une pareille émotion ?
A mon avis, cela provient de ce que, dans la droite, on se fait une fausse idée de l'influence du pouvoir et de celle de l'opposition ; on attache un tel prix à la possession matérielle du pouvoir, qu'on pense que, quand un parti n'a plus le pouvoir entre les mains, il a tout perdu. On a une si mince idée de l'influence morale des opinions, qu'on croit que dès qu'on n'a plus ici la majorité numérique, on n'exerce plus aucune influence sur les affaires du pays.
Ce sont là des idées bien fausses et qui mènent à bien des erreurs, à bien des fautes. Cette préoccupation de la possession de fait du pouvoir est cause que, pour y arriver, on va jusqu'à sacrifier son influence morale elle-même. Dans ce moment, la droite ne se soupçonne pas l'influence que, comme minorité, elle exerce sur les affaires. Vous vous figurez que parce que vous n'êtes ici que 44...
M. B. Dumortier. - 49.
M. Devaux. - Tenez-vous à être un peu plus ? Je dis 44, je n'ai pas vérifié le nombre depuis bien longtemps. Vous vous figurez, dis-je, que parce que vous n'êtes ici que 44, votre influence est nulle. Je prétends que vous ne seriez ici que 20, que représentant une opinion considérable, vous seriez encore forts et vous exerceriez une influence très efficace, sur les affaires du pays.
Il résulte de cette opinion qu'on se fait de l'extrême influence du gouvernement et de l'impuissance de l'opposition que lorsqu'on perd le pouvoir on croit que tout est perdu. On s'attend à toutes les calamités, à tous les cataclysmes et non seulement on s'abandonne à des pronostics sinistres, à des exagérations de toute espèce, que par la suite on est fort embarrassé de justifier, mais pour recouvrer ce pouvoir auquel on attache une importance si exclusive, on sacrifie une force bien plus grande et plus durable, l'influence morale de son opinion.
Ainsi, par exemple, il y a quelques années, les voix se trouvaient à peu près également partagées dans cette Chambre, la droite voulut à tout prix avoir la majorité numérique, et qu'a-t-elle fait ? Elle est venue s'adresser dans nos rangs à un homme qui avait toujours figuré dans l'opinion libérale, qui la veille se trouvait encore dans nos réunions. Cet homme, par des voix de la droite avec celles de deux ou trois de ses amis de la gauche, on l'a placé sur le fauteuil. Et depuis lors, il n'a plus voté qu'avec la droite.
On a acquis la majorité par ce moyen-là. On a acquis la majorité numérique. Mais combien a-t-elle duré et quel a été le résultat ? On a sacrifié la considération morale de son opinion à la possession de fait du pouvoir. On expie encore aujourd'hui la faute commise à cette époque, et cependant cette leçon n'a pas profité encore à tout le monde. Que voyons-nous en ce moment même à Anvers ? L'opinion de la droite, si elle n'a pas commencé les honteux événements qui s'y passent, n'y a-t-elle pas contribué ? Et dans quel intérêt ?
Croit-on que ce soit un bien grand secret ? Uniquement dans l'espoir de renverser trois, quatre ou cinq membres de la gauche parlementaire, et de renforcer d'autant la minorité.
On ne songe pas un instant à ce qu'on perd ainsi dans l'estime du pays, on croit que l'on aura tout gagné si par ce moyen on obtient 3 ou 4 voix de plus dans la Chambre. Je vous en donne 20, je vous donne la majorité numérique, et je dis : Malheur à vous si vous l'obtenez par ce moyen ; ce que vous croiriez votre triomphe, ce serait votre déchéance morale.
Voyez la différence entre les deux partis. Croyez-vous que nous ne nous soyons pas aperçus du but qu'on poursuivait ? Nous ne l'avons pas ignoré un instant.
Croyez-vous que le gouvernement n'aurait pas pu faire ce que l'opinion de la droite fait à Anvers, donner la main aux meneurs des meetings, conclure avec eux quelque pacte au mépris de ses devoirs pour être plus sûr de conserver trois ou quatre voix dans cette Chambre ? Cette considération, à laquelle on cède tout de l'autre côté, n'a eu aucune influence sur lui. II s'est dit que ce que, par l'effet de ce moyen, ses adversaires espéraient gagner à Anvers, ils le perdraient ailleurs par l'influence même de ce qui se passe dans cette ville.
Il s'est dit que les partis ne grandissent pas par le mépris public, que tout n'est pas d'avoir quelques voix de plus dans cette Chambre, d'avoir même la majorité numérique et le pouvoir ; mais que ce qu'il fallait avant tout au pouvoir et à une opinion, c'était l'estime et la considération des honnêtes gens dans le pays tout entier.
Oh ! que la droite, si elle peut, gagne la majorité par ce moyen ! Qu'on se taise quand il s'agit de la question d'Anvers. Qu'on se retire même dans la salle voisine. Que croyant faire en cela acte d'une politique bien profonde, on se dise : Laissons les libéraux se brouiller entre eux. Qu'on oublie le devoir qui commandait de protester ici hautement avec nous en faveur de la légalité de la Constitution et de la nationalité. Qu'on espère recueillir les fruits de cette politique, je vous le dis à l'avance, ces fruits-là sont amers, vous vous en apercevrez un jour.
« Nous sommes des conservateurs », disait M. Kervyn. Je l'ai interrompu en lui demandant : « Etes-vous conservateurs à Anvers ? » Il ne me répondra pas.
Voilà, messieurs, où mènent les fausses idées que l'on s'est faites sur la possession matérielle du pouvoir et sur l'influence morale des partis, qui sera toujours la première de leurs forces.
Messieurs, avant de me rasseoir, il est encore un point sur lequel je veux m'expliquer.
L'honorable M. Thibaut qui a ouvert cette discussion nous a interpellés, nous membres de la majorité, sur notre opinion relativement à un livre publié depuis peu pour un savant belge ; voici, messieurs, ce que j'ai à répondre à l'honorable M. Thibaut.
Il s'est agi du même écrivain il y a quelques années, sous un ministère qui n'était pas de mon opinion ; je n'ai pas hésité à défendre la liberté d'un écrivain, je la défendrai encore.
Je crois, messieurs, que le gouvernement n'est pas responsable des livres que publie un professeur en dehors de son enseignement et en dehors des matières qu'il enseigne. Je crois aussi que la position du gouvernement n'est pas la même quand il s'agit de l'enseignement proprement dit, que s'il doit laisser aux professeurs une grande liberté scientifique, il doit cependant leur faire sentir que dans certaines limites il n'entend pas dégager leur enseignement de toute responsabilité envers lui en matière de dogme, de politique ou de morale.
Je ne conteste pas que la publication d'un livre peut être un fait regrettable, regrettable aux yeux du gouvernement, mais je dis que le gouvernement n'a pas toujours le droit de punir ce qu'il regrette.
Je l'ai déjà dit dans une autre discussion ; si un professeur d'université passait d'une religion qui est celle de la plupart de ses élèves à la religion protestante ou à la religion juive, faisait une abjuration publique, ce fait pourrait être d'un fâcheux effet ; le gouvernement pourrait le regretter, mais ni un ministère catholique ni un ministère libéral ne pourrait le punir. Il en est ainsi de certains ouvrages publics par des professeurs et qui ne se rattachent peu aux matières que l'auteur enseigne.
Maintenant je vais aller plus loin. L'honorable M. Thibaut désire savoir quelle est notre opinion sur le fond du livre ? Eh bien, je ne lui refuse pas la réponse la plus catégorique.
S'il s'agissait, messieurs, de matières religieuses, comme je ne suis pas ici pour représenter une opinion religieuse, je dirais que je n’ai pas à m’expliquer ; mais comme il est question d’opinion politique et comme je désire et que j’ai désiré de tout temps que mes opinions politiques n'aient rien d'équivoque, je ne refuse pas à M. Thibaut une explication complète et je lui dirai que je désapprouve de la manière la plus formelle toute la partie de ce livre qui combat les doctrines politiques sur lesquelles reposent notre Constitution et les libertés qu'elle consacre. A mon avis l'erreur du savant écrivain est la même que celle que je (page 571) reprochais tout a l'heure à la droite ; il a trop de confiance dans la contrainte et pas assez dans l'influence bienfaisante de la liberté.
Cette opinion, messieurs, je la connais depuis quarante ans. Il y a quarante ans elle était plus répandue qu'aujourd’hui, parce que nous avions moins d'expérience ; nous naissions à une demi-liberté, nous ne la connaissions qu'à moitié. Il y a quarante ans, on rencontrait beaucoup de personnes qui la professaient ; il y en avait encore au Congrès.
Voici ce que l'on nous disait alors, à mes amis et à moi : Vous voulez la liberté d'enseignement, vous voulez la liberté complète des catholiques, mais ils ne sont pas sincères ; dès que le clergé sera le maître, il confisquera la liberté à son profit et empêchera non seulement toute liberté, tout progrès ultérieur de l'opinion libérale.
Nous répondions à cette époque : Nous avons foi dans la liberté et dans son influence. Vous craignez que les catholiques ne la confisquent après en avoir joui ; ils le voudraient qu'ils ne le pourront plus ; quelques-uns l'essayeront peut-être, mais ils ne le pourront plus : quand elle a pratiqué la liberté, une nation aussi sensée et aussi morale que la Belgique ne se la laisse plus arracher.
Nous disions que pour les progrès de l'opinion libérale, nous comptions plus sur l'effet de la liberté que sur celui de la contrainte ; que par la contrainte, on arriverait peut-être plus vite, mais au risque de perdre de nouveau en un jour ce qu'on aurait gagné, tandis que ce que nous gagnerions par la liberté, nous serait acquis à toujours.
Eh bien, l'expérience a-t-elle prouvé que nous avions tort ?
Nos libertés de 1830 nous sont-elles ravies, et l'opinion libérale n'a-t-elle pas fait des progrès ? Je le demande aux faits et je n'ai besoin que deux mots pour le prouver.
Au mois de juillet prochain, il y aura 32 ans que le royaume belge est organisé sur ses bases libérales et constitutionnelles.
Dans la première moitié de cette période, pendant les seize premières années, de 1831 à 1847, nous avons vu au pouvoir la droite pendant 13 ans, les libéraux pendant 3 ; dans la seconde péri ode, composée de 16 années moins quelques mois, nous avons vu au pouvoir les libéraux pendant 13 années, et les catholiques pendant 3 ; c'est-à-dire que la position â été complètement intervertie.
Devant de tels résultats, est-ce à l'opinion libérale de désespérer de la liberté ?
Oh ! sans doute tout n'est pas fini ; nous aurons nos luttes, nos dangers, nos difficultés. Ne nous en plaignons pas. Je ne demande pas pour notre opinion une sécurité complète ; notre éducation n'est pas encore finie ; les opinions dans un gouvernement comme le nôtre ont beaucoup à apprendre. Il est surtout, pour les partis, une chose plus utile à apprendre que toutes les autres, c'est la sagesse politique et elle ne s'apprend que par l'expérience, par de grandes leçons.
Oui, nous lutterons encore ; mais dans l'avenir comme dans le passé, nos luttes seront fécondes ; nous n'obtiendrons pas tout à la fois ; nous irons lentement, mais nous irons avec sûreté ; et nous continuerons à suivre dans l'avenir une politique réfléchie et vraiment progressive.
Messieurs, je viens d'exprimer mon opinion avec une grande franchise.
Je désire que désormais cette franchise soit imitée dans d'autres rangs, que lorsque des faits ou des doctrines se produiront que le devoir est de combattre et de désavouer, on ne se demande pas si telle petite considération, tel intérêt du moment réclame notre silence ; et que dans toutes les circonstances nous soyons prêts à proclamer notre foi commune dans les institutions glorieuses sur lesquelles reposent en Belgique l'avenir et la sécurité de toutes les opinions.
M. Kervyn de Lettenhove (pour un fait personnel). - Messieurs, l'honorable M. Devaux, en rappelant tout à l'heure ce que j'ai dit du titre de conservateurs que nous réclamons, a rappelé en même temps un vote récent que j'ai émis sur une pétition adressée à la Chambre par des communes voisines d'Anvers ; il a ajouté qu'il me serait impossible de concilier mon langage et ce vote.
Je demande à la Chambre la permission de répondre immédiatement à l’interpellation de l'honorable membre.
L'année dernière, la Chambre avait été saisie de la question de la suspension des travaux d'Anvers ; je me suis abstenu et j'ai indiqué de la manière la plus claire et la plus catégorique les motifs de mon abstention. J'ai eu l'honneur de faire connaître à la Chambre que si les fortifications d'Anvers étaient encore à voter, mon vote ne leur serait pas acquis ; mais que, dans l'état actuel des choses, je ne croyais pas avoir le droit d’entraver l'exécution de mesures adoptées par la législature. En présence d'un meeting tumultueux, je ne me suis jamais associé à des manifestations que je blâmais de toutes mes forces ; et aujourd'hui, je m'empresse de le déclarer, mon blâme serait encore plus énergique lorsque je vois les habitants d'Anvers se fermer la voie constitutionnelle qui leur était ouverte pour qu'ils fissent entendre leurs plaintes dans un des grands corps de l'Etat.
En ce qui touche mon vote dans la discussion récente sur les pétitions auxquelles l'honorable M. Devaux a fait allusion, il m'est très facile de l'expliquer. Ces pétitions n'émanaient pas des Anversois, des orateurs des meetings ; elles vous étaient présentées par les habitants des communes qui entourent la ville. Les pétitionnaires vous exposaient que les toits de leurs maisons s'effondraient, que leurs murs s'écroulaient, et ils demandaient l'autorisation de les réparer, de les reconstruire. Pour moi, en dehors de tout esprit de parti, je ne voyais là qu'une question de justice et d'humanité ; et je n'ai jamais compris que repousser une question de justice et d'humanité peut être une question de dignité pour le gouvernement, et à plus forte raison une question de cabinet.
M. B. Dumortier. - Messieurs, je ne m'attendais pas à prendre la parole une seconde fois dans ce débat ; je croyais avoir rempli ma tâche, et de la manière dont on m'avait réfuté, il me semblait très inutile de répondre.
Mais, messieurs, l'honorable M. Devaux a rappelé tout à l'heure une opinion que j'avais professée, et il l'a rappelée dans des termes tels, que je ne me suis pas reconnu moi-même et que j'ai été obligé de demander la parole.
Messieurs, j'ai toujours professé l'opinion que le gouvernement duit rester étranger à l'action des fonctionnaires publics en matière d'élections. Ce principe est le seul vrai, le seul qui soit conséquent avec nos institutions. Mais quand je vois que cette opinion que je professe n'est pas acceptée par tout le monde, quand je vois les divers partis, une fois arrivés au pouvoir, se servir des fonctionnaires publics, pour favoriser les élections dans leur sens, je me regarderais, je l'avoue, comme un niais, si je voulais maintenir les principes au-dessus des faits.
Voilà ma pensée dans toute sa vérité ; je la proclame aujourd'hui avec la même naïveté que j'ai mise à l'énoncer dans toutes les circonstances.
A mon avis, dans un pays constitutionnel, le gouvernement qui doit être jugé par les élections doit rester étranger aux élections. En Angleterre et aux Etats-Unis on ne tolérerait pas que le gouvernement exerçât une pression en matière d'élections. Aussi, dans ces deux pays, n'a-t-on jamais voulu accorder au gouvernement la nomination des autorités communales de crainte qu'il ne se fît de ces autorités des instruments dans les élections.
Voilà mes principes, je les professe encore ; mais vous n'ignorez pas qu'en matière d'élections chaque parti cherche à employer les instruments qu'il a sous sa main, et quoi qu'en pense l'honorable M. Devaux, le ministère actuel n'est pas en reste sous ce rapport ; nous savons que pour lui toutes les nominations qui ont été attribuées au Roi... toutes les nominations... (Interruption de M. Henri Dumortier.) Permettez, monsieur, ne m'interrompez pas.
Toutes les nominations qui ont été soumises au Roi sont devenues aux mains du ministère un instrument de corruption électorale.
Voilà ma pensée et je dis que c'est là un très grand mal pour le pays parce que, en définitive, ce n'est pas l'action du pays seul qui constitue le pouvoir représentatif. Le gouvernement qui doit être jugé par les élections est lui-même partie on cause dans l'élection, en pareilles circonstances,
Je dis qu'au moyen du système actuel, c'est M. le ministre de l'intérieur qui est le grand électeur de la Belgique. (Interruption.)
Eh bien, messieurs, lorsque, dans une discussion qu'on a rappelée, j'ai prononcé les paroles auxquelles l'honorable M. Devaux a fait allusion et d'autres dont il n'a point parlé, j'ai fait mes réserves expresses quant au principe. J'ai dit que quant au principe, je persistais à croire que le gouvernement...
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Oh ! certainement vous avez déclaré maintenir le principe.
M. B. Dumortier - Je l'ai dit formellement. Mais j'ai ajouté : Puisqu'il est admis malgré mon opinion à moi… (Interruption.) Mais, M. le président, il n'y a plus de discussion possible si chacune de nos paroles est accueillie par des rires.
M. le président. - J'invite tout le monde au silence.
M. B. Dumortier. - Si nous sommes ici pour nous ricaner, il nous sera bien facile d'user de réciprocité.
Je disais donc alors que, puisqu'il était admis que les partis avaient en mains des moyens électoraux, je désavouais ce qu'avait fait M. le ministre de l'intérieur d'alors de prescrire la neutralité de ses fonctionnaires.
Ainsi, messieurs, ma pensée était bien claire., je disais qu'au moyen de (page 572) cette neutralité recommandée par le ministère, on empêchait les fonctionnaires appartenant à notre opinion de travailler en notre faveur. Et quant à ce qu'a dit l'honorable M. Devaux du reproche de trahison que j'avais adressé au ministère, il a complètement dénaturé ma pensée : ce mot s'appliquait à la formation du nouveau cabinet. (Interruption.)
M. Devaux. - Lisez bien, vous verrez qu'il s'appliquait encore à autre chose.
M. B. Dumortier. - Eh bien, nous allons voir. Voici ce que je disais :
« Que fait M. Nothomb ? Il renvoie le cabinet qui avait été soutenu par tant de votes, le cabinet qui représentait tous mes amis ; il fait un demi-tour à gauche : il se borne à prendre dans les rangs de la majorité un homme qu'il place en dehors de toute action politique, au ministère des travaux publics ; et ce sont vos votes qu'on vient vous demander aujourd'hui. »
J'ajoutais : « Dans la formation.....
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Non ! non ! ce n'est pas cela du tout.
M. B. Dumortier. - Voyons, je vais reprendre.
« Chacun peut expliquer une pareille conduite à sa manière ; à nos yeux c'était, vis-à-vis de la majorité, un acte de trahison....»
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est cela ; nous y voilà !
M. B. Dumortier. - Et j'ajoutais : « Dans la formation de ce cabinet, que fait M. le ministre de l'intérieur ? Sur six ministres, un seul appartient à l'opinion de la majorité ; les cinq autres sont pris pour représenter la gauche, qui les repousse. »
Ainsi voilà où était l'accusation que l'honorable M. Devaux vient d'attribuer à une toute autre pensée. (Interruption.)
Eh bien, je vous le demande, si un ministre de votre parti congédiait cinq de ses collègues et les remplaçait par cinq autres pris dans nos rangs, je vous demande si vous ne qualifieriez point cela de trahison.
- Un membre. - C'est M. Nothomb qui a fait cela.
M. B. Dumortier. - Peu importe ; vous savez à quel titre il est arrivé.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est la circulaire que vous avez traitée de trahison.
M. Devaux. - Lisez un peu plus loin.
M. B. Dumortier. - Messieurs, je vous ai démontré à la dernière évidence... (Interruption.)
M. Devaux. - Lisez donc ce que vous avez dit de la circulaire.
M. B. Dumortier. - Vous me permettez bien, je suppose, de lire ce que je veux.
Quand vous parlez, ce n'est pas à nous que vous venez demander vos inspirations. Souffrez donc que je ne cherche pas les miennes chez vous.
M. Devaux. - Soyez au moins exact dans vos citations.
M. B. Dumortier. - M. le président, il n'y a plus de discussion possible dans de pareilles conditions ; je ne puis plus continuer.
- M. Dumortier se rassied.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je demande la parole.
M. B. Dumortier. - Et moi je demande qu'on ne permette pas à M. le ministre de lire mon discours. Quand on m'interrompt constamment pendant que je lis, il serait étrange qu'on me remplaçât pour citer ce que j'ai dit.
M. le président. - Je prie M. Dumortier de continuer son discours.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Très volontiers ; je parlerai après lui.
M. B. Dumortier. - J'ai donc démontré à l'évidence, - et cette fois on ne rira plus, j'espère, - que l'honorable M. Devaux a commis une grosse erreur quand il m'a dit que j'avais qualifié de trahison la conduite du ministère d'alors parce qu'il aurait empêché ses fonctionnaires de travailler en faveur de notre parti. L'expression dont je me suis servi s'appliquait au fait, que je reprochais au ministère, d'avoir, la veille des élections, congédié cinq ministres dans lesquels nous avions confiance, pour les remplacer par des hommes appartenant à l'autre parti.
M. Devaux. - Mais relisez donc votre discours !
M. B. Dumortier. - Il était donc inutile de m'attribuer des pensées qui ne sont pas les miennes, des expressions dont je ne me suis pas servi ; et je proteste contre cette manière d'argumenter. Je le répète, si M. Rogier ou M. Frère-Orban ou n'importe qui, congédiait, à la veille des élections, cinq des ministres actuels pour les remplacer par des hommes de notre parti, ne diriez-vous pas que c'est une trahison ?
M. Hymans. - Cela ne serait pas possible.
M. B. Dumortier. - C'est une autre affaire ; mais cela s'est vu.
Maintenant, messieurs, je ne sais vraiment pas ce que l'honorable M. Frère veut me faire lire. Au barreau, il est d'usage qu'ayant de se servir d'une pièce on la communique à la partie adverse. Ici, ou procède autrement ; il m'est donc permis d'ignorer à quoi on veut faire allusion. Vous comprenez qu'il est bien difficile de se rappeler exactement un discours prononcé il y a vingt ans. Je ne sais donc pas quel passage on prétend incriminer.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Voulez-vous que je vous l'indique ?
M. le président. - M. Dumortier désire-t-il que le ministre lui indique ce passage ?
M. B. Dumortier. - On a parlé d'une circulaire concernant les fonctionnaires. Eh bien, messieurs, je n'ai jamais dissimulé mon opinion que les fonctionnaires ne devaient pas intervenir dans les élections. Mais j'ai ajouté que le gouvernement en faisant une circulaire pour prescrire aux fonctionnaires la neutralité dans les élections, avait fait une chose qui ne s'était jamais faite, une chose que vous vous garderiez bien de faire dans les conditions où nous étions alors.
Savez-vous ce qui constitue la corruption électorale ? Ce sont des faits comme ceux qui se sont passés dans l'arrondissement de Nivelles ; c'est quand le gouvernement promet des subsides pour construction de routes, par exemple, si l'on vote dans son sens.
L'honorable M. Devaux prétend que j'aurais dit que c'était une trahison d'avoir prescrit la neutralité aux fonctionnaires tandis que cette expression s'appliquait à la formation du nouveau cabinet.
M. Devaux. - Lisez bien.
M. B. Dumortier. - On me dit qu’il y a un autre passage. Je suis prêt, messieurs, à expliquer tout mon discours.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Voulez-vous que je vous indique le passage ?
M. B. Dumortier. - Je continue ma citation. (L'orateur en donne lecture.) C'est toujours la même pensée.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Continuez ! continuez !
M. B. Dumortier. - Est-ce que je suis ici en accusation ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je vous Indique le passage de votre discours ou vous dites que la circulaire était un second acte de trahison.
M. B. Dumortier. - Je n'ai pas dit cela, je viens de lire le passage.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous avez dit que c'était un second acte de trahison.
M. B. Dumortier. - Je ne vois pas cela dans le discours. (Interruption.) Ce n'est plus une discussion parlementaire. Je ne comprends pas qu'on puisse m'interroger de la sorte :
« L'opinion conservatrice qui n'a pas confiance dans la liberté ! »
Je suis étonné que l'amateur par excellence du pouvoir fort nous adresse de pareils reproches ; il ne s'est levé dans cette enceinte depuis 30 ans que pour défendre le pouvoir fort. Ce même membre qui a voté toutes les mesures contraires à la liberté vient nous reprocher de n'avoir pas confiance en elle.
M. Devaux. - J'ai voté les mesures contraires à l'anarchie.
M. B. Dumortier. - Comment ! vous avez voté toutes les mesuras réactionnaires. Quand vous avez voté le renversement de la loi communale en ce qui concerne la nomination des bourgmestres était-ce pour combattre l'anarchie ? Quand vous avez voté des mesures contre la liberté de la presse, était-ce pour combattre l’anarchie ?
Tous vos votes ont été pour le pouvoir fort ! Vous étiez l'adversaire incarné des libertés publiques. Quand M. Gendebien se levait, c'était toujours contre vous qu'il prenait la parole pour vous mettre en opposition avec vos doctrines d'autrefois. Pour nous, nous n'avons fait autre chose que défendre la liberté, rien que la liberté.
Citez un seul acte que la grande opinion conservatrice ait fait de contraire à la liberté, citez une seule loi de privilège qu'elle ait votée, une seule loi qui porte la moindre atteinte à la liberté !
Vous êtes arrivés au pouvoir en 1847, vous aviez inscrit sur votre drapeau une chose de nature à produire de l'effet sur les populations. Vous aviez inscrit : Retrait des lois réactionnaires.
Vous avez dépouillé les lois votées par l'opinion conservatrice pendant les quinze ans qu'elle a dirigé les affaires ; en quoi consistaient ces lois réactionnaires dont on annonçait le retrait ? Une seule, celle relative à la nomination des bourgmestres avec ou sans l'avis de la députation.
(page 573) Voilà la seule loi réactionnaire qu'on a trouvée ! la seule atteinte à la liberté qu'on ait pu nous reprocher.
Si nous avons porté à la liberté une atteinte dont vous eussiez pu vous prévaloir contre nous, vous seriez venu en demander le rappel. Mais vous n'avez rien trouvé à faire rapporter parmi les lois diverses votées par cette majorité qui avait siégé pendant 15 ans dans cette enceinte pour la gloire et l'honneur du pays.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Mais vous étiez alors dans l'opposition !
M. B. Dumortier. - Vous, M. le ministre, vous êtes partisan du pouvoir fort et des mesures contraires à la liberté et leur vote peut plus vous être reproché qu'à moi.
Quand vous êtes venu au pouvoir en 1847, quelles mesures avez-vous dû faire prendre pour réparer les atteintes à la liberté, à la Constitution que nous avions portées ? Vous n'avez présenté aucun projet de loi.de sorte que votre phrase de rappel des lois réactionnaires était une parade véritable, un mot vide de sens que vous n'avez pas pu réaliser.
N'est-il pas vrai que les lois réactionnaires c'est vous qui les avez portées ! n'est-il pas vrai que toutes les lois sont empreintes d'hostilité contre l'esprit religieux, contre la liberté, sont une réaction contre les grands principes de liberté consacrés par la Constitution et par le Congrès national ?
Chacun de vos projets a ce caractère. La loi d'instruction est une atteinte portée à la liberté de la commune. Il sera permis à Bruxelles de patronner une université libre, et une petite commune ne pourra pas patronner une école catholique ! La grande disposition de la loi sur l'instruction primaire que nous avions adoptée, vous l'avez retranchée, vous l'avez anéantie. Voilà une atteinte portée à la liberté.
Dans l'affaire de la charité vous avez voulu refaire les testaments ; personne n'a oublié que votre prétention a été flétrie par la cour de cassation. Vous avez voulu remplacer par votre main la main du donateur, faire donner à ceux à qui le donateur avait refusé de donner.
Pareille violation du droit crie vengeance au ciel ; la cour de cassation a flétri ce système comme contraire à toute espèce de principe de justice et d'équité.
Qu'avez-vous fait dans cette question des donations ou fondations ? Avez-vous oublié cette circulaire de M. de Haussy, membre du cabinet libéral ? Cette circulaire qui demandait aux villes et aux communes ce qu'il fallait faire des hospitalières si le gouvernement les supprimait ? car il avait l'intention de supprimer ces institutions qui rendent les plus grands services à la société. Vous avez reculé, mais j'ai lu la circulaire, elle est au Moniteur.
Qu'avez-vous fait encore ? Vous avez fait une loi sur les donations, par laquelle vous avez violenté sous une forme hypocrite, par une mesure réactionnaire, réformé la loi communale ; vous avez changé une disposition empruntée au gouvernement du roi Guillaume pour empêcher les donations en faveur d'autres établissements en vue d'interdire les administrations spéciales. Toute donation doit passer par vos mains ; c'est là, ce me semble, une grave atteinte portée à la liberté.
Quelles lois présentez-vous encore ? Une loi de spoliation de toutes les donations faites dans un intérêt religieux, catholique, loi dans laquelle vous ne reculez pas devant ce qu'il y a de plus odieux en législation, la rétroactivité. Vous spoliez les villes qui possèdent des bourses d'études, et cette spoliation a pour but de saper, dans leur base, les sentiments religieux, d'amoindrir les moyens d'action du christianisme sur les populations.
Vous nous annoncez une autre loi qui sera le comble de toutes vos lois, la loi sur les fabriques d'église, dans laquelle vous voulez encore une fois rendre laïque ce qui est essentiellement religieux. Vous voulez vous introduire vous-mêmes dans le sanctuaire pour y dicter des lois aux ministres du culte.
Je dis, messieurs, que toutes ces lois sont des lois réactionnaires, tandis que vous n'avez pas un seul reproche à nous adresser pendant la longue période où le parti catholique a eu une influence sur le gouvernement.
Aujourd'hui vous vous trouvez devant le pays avec une série de lois réactionnaires présentées par vous.
Et vous croyez que nous allons être muets ? (Interruption.)
Voulez-vous, par hasard, que. je déroule devant vous le tableau de tous les actes du ministère ; voulez-vous que je parle de toutes les destitutions, de toutes les révocations qui ont eu lieu, des avertissements, des menaces adressées aux fonctionnaires publics ?
Voulez-vous que je vous déroule ce tableau ?
- Voix nombreuses à gauche. - Oui ! oui !
M. B. Dumortier. - Puisqu'on me provoque, je réponds. Vous avez dit tout à l'heure qu'il y avait parmi les fonctionnaires administratifs que vous appelez politiques, avouant ainsi que tous les commissaires d'arrondissement ne sont autre chose que des agents électoraux, qu'un tiers de ces fonctionnaires appartenaient à notre opinion. Je n'ai point fait de pareilles imputations.
J'ignore ce qu'il y a de vrai dans cette assertion, mais ce que je sais, c'est que si un tiers appartient à notre opinion, deux tiers ne lui appartiennent pas. (Interruption.)
Eh bien, messieurs, quelle a été la conduite du ministère catholique ?
Il résulte de votre aveu que lorsque le ministère catholique était au pouvoir, il y avait deux tiers de ses agents qui étaient contraires à notre opinion. Nous l'avons cependant toléré.
Nous n'avons rien dit.
Vous savez parfaitement bien que quand vous êtes arrivés en 1847, vous avez fait une razzia complète de gouverneurs et de commissaires d'arrondissement.
Vous avez destitué de leurs fonctions M. Mercier, qui était, je crois, gouverneur de Mons, M. de la Coste qui était gouverneur de Liége.
Vous avez amené, par de petites tracasseries la démission de deux des hommes qui avaient rendu le plus de services au pays, MM. de Muelenaere et d'Huart.
Vous avez fait une razzia complète de commissaires d'arrondissement, à Courtrai, à Namur, partout vous avez peuplé le pays de vos créatures. (Interruption.)
Et maintenant, quel est votre regret ? C'est qu'il y ait encore un tiers de ces fonctionnaires qui appartiennent, dites-vous, à notre opinion.
Et l'on nous cite un de nos collègues qui est aujourd'hui gouverneur du Limbourg.
Cela prouve que vous voulez faire une razzia de fonctionnaires dans le pays.
Je demanderai à l'honorable M. Devaux dans quel but, à quelle fin, il veut voir partout les mêmes agents ? Dans un seul et même but. Dans le but d'avoir partout des agents électoraux pour exercer une pression constante sur les élections ; dans le but de faire nommer, au moyen de ces agents, dans chaque village, des bourgmestres appartenant au pouvoir, de manière à arriver à ce résultat que M. le ministre de l'intérieur deviendra grand électeur de la Belgique, et que nul ne sera élu qu'avec son autorisation, avec sa permission, comme cela se fait dans un pays voisin, et qu'alors on pourra de nouveau dire ce que j'ai entendu dire à mon côté par un ministre à mon honorable ami M. Adolphe Roussel : Si vous faites de l'opposition dans les élections, vous ne serez pas réélu.
Voilà, messieurs, des paroles que j'ai entendues et qui prouvent que les tendances et la volonté du ministère étaient de faire de tous les fonctionnaires publics des agents électoraux et de fausser par là le régime électoral en Belgique ; et cela pour arriver à quoi ? A perpétuer les portefeuilles.
Voilà le système que vous voulez introduire et que le pays repoussa.
Oh ! il vaudrait bien mieux que le pays pût se prévaloir de sa seule force dans les élections pour émettre son choix comme il l'entend ; pour mon compte, je désire que le jour arrive où le pouvoir soit désarmé de tous ses moyens d'influence. Les faveurs, les décorations, les places, les emplois de tous genres, ne sont-ils pas des moyens d'influence dans les élections ?
Vous disiez tout à l'heure que l'on avait trouvé des billets de confession. Ah mon Dieu ! si l'on pouvait fouiller dans vos portefeuilles on y trouverait bien d'autres billets. On y trouverai aujourd'hui beaucoup de billets de franc-maçonnerie.
Aujourd'hui il ne faut plus appartenir à l'église, mais au temple.
C'est le temple qui gouverne, et nous ne sommes ici, nous membres de la Chambre, que de faibles instruments de ce pouvoir occulte.
On a beaucoup parlé, dans le temps, de ce pouvoir. Il existe aujourd'hui plus fort que jamais ce pouvoir violent qui disait avec beaucoup de ses grands orateurs qu'il fallait employer au besoin la force pour se débarrasser de la lèpre du pouvoir religieux.
Je dis que cela n’est pas tolérable dans un gouvernement constitutionnel.
Le moyen le plus sage, c’est d'enlever au gouvernement ce pouvoir dont il abuse au détriment de la chose publique, au détriment des principes sacrés sur lesquels reposent nos institutions, le pouvoir d’intervenir dans les élections.
Laissez au peuple le soin de faire ses élections comme il l'entend ; alors la Chambre représentera le pays dans toute sa sincérité.
Mais comment voulez-vous que le pays soit juge lorsque le gouvernement (page 574) vient peser dans la balance des élections par les votes des fonctionnaires ?
M. Allard. - Et les curés donc !
M. B. Dumortier. - Est-ce que par hasard l'honorable M. Allard a peur de voir les citoyens user de leurs droits ? Est-ce que les curés ne sont pas des citoyens ?
M. Allard. - Et le fonctionnaire n'est-il pas un citoyen ?
M. B. Dumortier. - Le fonctionnaire est sous les ordres du ministre.
M. Allard. - Et les curés reçoivent des ordres des évêques.
M. B. Dumortier. - Le curé peut comme tous les citoyens exerces Je pouvoir électoral. C'est cette liberté que vous entraves par vos mesures. C'est cette liberté qui n'existe plus en Belgique. C'est ce qui fait que nous sommes ici si peu nombreux, car si vous n'agissiez pas ainsi, nous formerions les deux tiers de l'assemblée.
Tout cela, messieurs, est le fait, avant tout, de ces mêmes doctrinaires qui viennent aujourd'hui parler de liberté, et qui ont toujours été partisans de. la centralisation, qui ont toujours été partisans du pouvoir fort, qui ont voulu créer un pouvoir fort, une centralisation afin de pouvoir dominer au moyen de ce pouvoir et qui, aujourd’hui qu'ils sont au pouvoir, viennent nous parler de liberté comme s'il était pour la liberté.
C’est là ce qui nous a amené ce régime de vouloir attirer toutes les forces sociales, de vouloir faire converger toutes les forces sociales vers le pouvoir afin que ce pouvoir puisse exercer une pression dans les élections, et qu’il puisse (j'insiste sur ce mot) fausser les élections au jour où elles se présentent.
Messieurs, je vous demanderai si, dans un pareil système, la droite n'a pas grand- nient raison de s'élever contre les abus que nous avons signalés.
Oui, j'ai eu l’honneur de vous le dire et je le répète, ce qui nous divise dans la question qui nous occupe, et ce qui nous divise principalement dans cette enceinte, c'est la question des libertés religieuses.
Je sais bien que celle-là n'est pas là seule, qu'à côté de celle-là, il y a beaucoup d'autres questions. Je pourrais vous parler de la dilapidation, dans certaines circonstances, des deniers publics, des augmentations de traitement faites â la veille des élections pour se créer des influences électorales. Je pourrais vous parler de vos nominations en toutes choses, des destitutions, des révocations. Mais j'insiste sur ce point, c'est que dans toute votre conduite, il n'y a qu'un fait, un fait unique, c'est d'arriver à la corruption électorale, afin de pouvoir conserver vos portefeuilles. Je dis que par là vous faussez nos institutions par leur base et qu'il est évident que le pays doit avoir les yeux ouverts sur ce système.
Messieurs, je n'insisterai pas davantage sur ce débat, je n'avais pas, comme je l'ai dit, l'intention de prendre la parole, on m'y a forcé en citant fort a tort mon opinion et en lui donnant un sens qu'elle n'avait pas. Mais je dois le dire, en protestant contre la couleur qu'on a voulu donner â mon opinion, j'appelle de tous mes vœux le jour où l’action du gouvernement sera réduite et où la liberté, l'influence des partis sera dégagée de cette action gouvernementale dans les élections.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - 'honorable M. Devaux a cité tout à l'heure l'opinion de l'honorable M. Dumortier, relativement à l'intervention des fonctionnaires publics dans les élections. Il a dit que l'honorable Dumortier avait poussé l'exagération en cette matière jusqu'à reprocher comme un acte de trahison, au cabinet qu'il attaquait alors, le fait d'avoir publié une circulaire pour engager les fonctionnaires à la neutralité.
M. B. Dumortier. - Pour les empêcher de travailler pour nous ; c'est ce qu'il voulait.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. Dumortier a prétendu qu'il n'avait parlé de trahison que quant à la formation du cabinet par l'honorable M. Nothomb en 1845. Aujourd'hui, M. Dumortier vient de nous exposer sa théorie nouvelle sur le rôle du gouvernement et des fonctionnaires dans les élections.
A la demande de l'honorable M. Devaux, je lis le passage du discours de 1845 que, jusqu'à présent, l'honorable M. Dumortier n'a pas découvert.
M. B. Dumortier. - A quelle page ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - A la page 617. C'est justement où vous avez lu, mais là précisément où vous avez jugé bon de vous arrêter :
« La majorité était en droit d'attendre, de la part du gouvernement, une juste réciprocité ; on allait se présenter devant les électeurs qui devaient nous demander compte des votes que nous avions émis pour soutenir M. Nothomb. Eh bien, messieurs, on fait un demi-tour à gauche, on abandonne cette majorité qui avait si chaudement défendu M. Nothomb, l'on va prendre dans d'autres rangs les membres du cabinet nouveau.
« Tel fut, messieurs, le fait culminant de la formation du ministère en 1843 ; bientôt le premier acte du ministère fut conséquent avec son principe ; le premier acte du ministère fut une circulaire qui portait défense à tous les agents de l’autorité de s'occuper des élections.
« Je n'examine pas, encore une fois, la question de savoir si en principe il faut ou il ne faut pas que les fonctionnaires publics travaillent les élections ; je me borne ici à prendre le fait en lui-même, et je dis qu'une pareille conduite vis-à-vis de la majorité qui avait si fortement soutenu le ministère, qui avait usé tant de popularité à son service, je dis qu'une pareille conduite est un second acte de trahison pour cette majorité dont on réclame aujourd'hui les suffrages, et qu'on abandonnait alors. »
D'où il suit que la théorie de M. Dumortier est celle-ci : réserve faite du principe, et ne considérant que le fait en lui-même, quand les amis de l'honorable M. Dumortier sont au pouvoir, c'est un acte de trahison que de ne pas mettre toutes les forces de l'administration à la disposition des membres de la majorité qui ont usé leur popularité au service du cabinet. Mais quand l'honorable M. Dumortier est dans l'opposition, alors le principe pur doit nécessairement être appliqué ; il ne doit plus alors être question du fait. On ne peut intervenir d'une façon quelconque dans les élections, sans se rendre coupable de félonie.
Messieurs, je ne discute pas la théorie ; je me borne à dire l'opinion du ministère actuel à propos de l'intervention des agents du gouvernement dans les élections. Je l'ai dit, et je le répète sans crainte d'être démenti ; nous avons répudié la politique des cabinets précédents. On convoquait autrefois les fonctionnaires pour leur dicter la conduite qu'on entendait leur imposer ; on les appelait dans les cabinets des chefs ; on leur indiquait le mot d’ordre, on leur donnait des instructions précises, avec injonction formelle de les suivre de point en point. En un mot, ils avaient ordre, suivant l'expression alors en usage, de travailler les élections.
Mais depuis que nous sommes au pouvoir, cette pratique mauvaise, attentatoire à la liberté individuelle des fonctionnaires et contraire à la sincérité des élections, a été complètement répudiée par nous. Nous ayons respecté l’indépendance des fonctionnaires, la liberté de leurs opinions. Ce n'est pas pourtant, comme je l'ai dit déjà, que les fonctionnaires puissent user impunément de l'influence qu'ils tiennent de leurs fonctions pour combattre le gouvernement. Sous ce rapport, nous nous montrerions impitoyables. Mais ils ont toute latitude pour émettre un vote personnel conforme aux inspirations de leur conscience.
M. B. Dumortier. - Je demande la parole pour un fait personnel.
Messieurs, j'admire beaucoup la théorie de M. le ministre des finances, mas je voudrais que les actes fussent en harmonie avec ses paroles. Or, dans cette enceinte, parmi nous, se trouve un de nos collègues qui a été appelé dans le cabinet du ministre et qui a été forcé de donner sa démission parce qu'il n'avait pas travaillé à son gré dans les élections.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Qui cela ?
- Un membre. - M. Van Cromphaut.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - M. Van Cromphaut n'était pas fonctionnaire.
M. de Theux. - Il était agent d'une société anonyme ; le gouverneur au moment des élections, pour plaire au cabinet, a forcé M. Van Cromphaut à se retirer sous peine d’être quitte de sa place. C'est alors que l'honorable M. de Terbecq, mandé dans le cabinet du ministre, et piqué dans son honneur, a donné sa démission et s'est mis sur les rangs.
M. B. Dumortier. - M. le ministre des finances prétend donner une couleur à mes paroles.
Il n'a pas trouvé et ne trouvera pas dans mon discours autre chose si ce n'est qu'il faut laisser aux fonctionnaires leur liberté, la liberté de travailler pour nos amis, s'ils le désirent. Eh bien, quand vous dites que vous voulez laisser la liberté aux fonctionnaires, vous tenez absolument le langage que je tenais alors.
Je maintiens que le jour où le ministère de cette époque a empêché ses fonctionnaires de nous défendre lorsque nous étions vivement attaqués, je maintiens que j'étais en droit de venir dire qu'il aurait dû laisser à ses fonctionnaires leur liberté d'action. Voilà ce que j'ai soutenu et il n'y a pas autre chose que cela dans mon discours. Ne me faites donc pas dire ce que vous voudriez trouver dans mes paroles, mais ce qui ne s'y trouve pas.
On vient nous dire : « le gouvernement actuel ne se mêle pas d'élections », et il est constant que personne n'est nommé bourgmestre sans avoir consenti à devenir membre d'une association libérale. Je sais bien qu'on fait une exception à cette règle quand l'occasion se présente de conférer les fonctions de bourgmestre à un membre de la Chambre, mais en toute autre circonstance on agit comme je viens de le dire et la (page 575) nomination des représentants de la commune, qui vous a été confiée en vue de l'intérêt public, devient entre vos mains un moyen de corruption électorale.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, j'ai laissé passer beaucoup de paroles de l'honorable préopinant sans y répondre, mais la voix de l'honorable M. de Theux est venue se mêler au discours de l'honorable M. Dumortier, pour articuler un fait, qu'au milieu du bruit je n'ai pas bien compris ; je le prie donc d'avoir la bonté de répéter ses paroles.
M. de Theux. - J'ai dit que la pression gouvernementale avait été poussée tellement loin que, dans l'arrondissement de Termonde, un de nos anciens collègues, M. Van Cromphaut, attaché à une société anonyme, a été menacé de destitution par le gouverneur d'Anvers., certainement d'après l'initiative du gouvernement, s'il ne renonçait pas à la candidature pour laisser arriver le candidat du gouvernement. J'ai ajouté que l'honorable baron de Terbecq, si indépendant dans toute sa carrière sous le gouvernement des Pays-Bas comme sous le gouvernement belge, a été obligé de donner sa démission parce qu'il ne voulait pas subir la pression gouvernementale. Il s'est ensuite porté candidat, après sa démission, et l'arrondissement tout entier a applaudi à son noble dévouement.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je serais charmé de recevoir des leçons de modération de l’honorable M. de Theux, mais quand je remonte à son passé, je me félicité d’autre chose, c'est de ne pas avoir été dirigé par les exemples qu'il avait laissés dans son administration.
On est remonté tout à l'heure à une époque déjà bien éloignée, mais à toutes les époques l'honorable M. de Theux a parfaitement et très énergiquement pratiqué le système que l'on qualifiait autrefois de système destitutionnel.
Je ne veux pas rappeler des faits trop connus, ni faire comparaître devant vous les nombreuses victimes de l'honorable M. de Theux. Si cependant cela n'est pas pour lui un spectacle trop affligeant, je ferais apparaître M. de Stassart, ancien membre du Congrès, ancien président du Sénat, renvoyé un beau jour du gouvernement du Brabant, après une menace d'exil en province.
Je rappellerai un commissaire de l'arrondissement de Waremme qui fut aussi plus ou moins arbitrairement destitué. Je ne sais quel était le grief qu'on lui imputait.
M. Allard. - M. de Theux a destitué en 1843 le commissaire d'arrondissement de Tournai, M. Levaillant du Chastelet.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Il y en a beaucoup d'autres. Un procureur du roi voulait se mettre sur les rangs pour la Chambre, celui de Nivelles ; il fut également destitué, toujours par la politique, modérée et conciliatrice des amis de l'honorable M. Dumortier. Toutefois à cette époque je ne pense pas que des rangs de l'opposition il se soit élevé une voix pour blâmer l'honorable M. de Theux.
En 1847 un nouveau ministère arriva au pouvoir après une opposition très longue et je crois très légitime ; il trouva toutes les fonctions politiques occupées par nos adversaires.
Nous avons voulu alors nous entourer de quelques amis et nous avons obtenu, non sans peine, car ils s'y prêtaient peu, le remplacement d'un certain nombre de fonctionnaires dans lesquels nous ne pouvions avoir aucune confiance et dont plusieurs ne pouvaient conserver honorablement leurs fonctions sous notre ministère.
Parmi ces fonctionnaires il y avait quatre gouverneurs et je ne crois pas qu'ils aient pu se plaindrc de l'injustice du pouvoir.
En 1857, messieurs, à la suite de 4 années d'opposition pendant lesquelles je pense que l'honorable M. de Theux et ses amis ne s’étaient pas fait faute d'envoyer dans les provinces et dans les arrondissements le plus d'amis qu'ils pouvaient, le ministère de l'émeute, le ministère des pavés, le ministère de la réaction arrive au pouvoir.
Quelle a été sa conduite envers les fonctionnaires politiques ? Pas un seul n'a été éloigné de ses fonctions ; tous ont été maintenus.
Voilà la violence du cabinet de l'émeute.
Plusieurs de ces fonctionnaires étaient entrés en quelque sorte de la veille dans leurs fonctions ; tous ont été maintenus et la plupart sont encore en place aujourd'hui.
M. Julliot. - Ils ont adhéré par écrit à la politique du ministère.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Maintenant, messieurs, on vient de citer un fait qui m'a forcé de prendre la parole ; le fait a été exposé par l'honorable M. de Theux sous un jour complétement faux. L'honorable M. Van Cromphaut était à la tête d'un établissement qui appartient en tout ou en partie à l'ancien gouvern cur il la province d'Anvers ; il voulait se retirer de la Chambre.
- Des voix. - Pas du tout !
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Il me l'a dit à moi-même.
- Un membre. - Il m'a dit le contraire.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Peu importe au surplus qu'il voulût ou ne voulût pas se retirer ; l'ancien gouverneur de la province d'Anvers aurait fait venir chez lui ce représentant, par ordre du ministre, et lui aurait déclaré qu'il devait se retirer de la Chambre ou qu'il perdrait sa place.
- Un membre. - Oui.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Eh bien, je nie que l'ancien gouverneur de la province d'Anvers ait été autorisé par moi, en aucune façon, à faire une semblable démarche auprès de M. Van Cromphaut, je le nie de la manière la plus formelle.
Je ne sais pourquoi j'aurais poursuivi avec acharnement l'honorable M. Van Cromphaut, qui était peut-être l'homme le plus modéré de l'ancienne majorité.
Maintenant, que s'cst-il passé entre le gouvernement et l’ancien commissaire de l'arrondissement de Termonde. Voici les faits. Je rends d'abord un complet hommage à la parfaite loyauté, au caractère vraiment indépendant de l'honorable représentant de Termonde. Le respectable M. de Terbecq était l'ami du parti catholique ; il soutenait M. Van Cromphaut et d'autres candidats de la même nuance ; il leur accordait publiquement son patronage officiel ; il allait recommandant les candidats de l'opposition dans les diverses communes de son arrondissement. (Interruption.)
Vous aurez beau faire des signes dénégation vous ne nierez pas ce que je vais dire.
L'honorable M. de Terbecq - encore une fois, je rends hommage à son caractère - l'honorable M. de Terbecq est venu chez moi ; je lui ai dit : « Prenez garde ; nous n'imposons pas aux fonctionnaires publics l'obligation d'agir efficacement en faveur des candidats du gouvernement ; mais nous ne pouvons pas admettre non plus que les fonctionnaires publics usent de leur influence pour patronner les adversaires du gouvernement. » J'étais alors dans de très bons termes comme nous le sommes encore aujourd’hui avec M. de Terbecq, J'ai ajouté : « Abstenez-vous d'aller dans les communes avec les candidats de l'opposition pour les y recommander. »
L'honorable commissaire d'arrondissement me répondit :
« Je ne puis m'empêcher de continuer à les soutenir, comme je l'ai fait jusqu'ici ; ce sont mes amis politiques. » Je le remerciai de sa franchise, et je lui dis : « La position que vous prenez vis-à-vis du gouvernement est fausse, vous devez le reconnaître vous-même. »
Et l’honorable M. de Terbecq l'a si bien reconnu, qu'il a donné sa démission ; je ne la lui ai pas imposée, mais je lui ai ouvert les yeux sur la position qu'il prenait ; il a résigné ses fonctions, et il s'est fait élire représentant avec MM. Vermeire et de Decker.
Je ne sais ce que l'honorable M. Van Cromphaut est devenu dans ce trouble ; il a disparu, je ne sais par l'influence de qui, mais je m'imagine que M. Van Cromphaut, qui était tout à l'heure persécuté par l'ancien gouverneur de la province d'Anvers, aura rencontré sur son chemin un autre persécuteur plus puissant qui lui aura dit : « Vous aurez à ne plus vous mettre sur les rangs, pour faire place à M. de Terbecq. »
J'espère qu'après ces simples explications, la Chambre ou du moins la majorité voudra bien reconnaître que, dans ces circonstances, le gouvernement s'est conduit avec la plus grande modération.
M. de Theux (peur un fait personnel). - Messieurs, la mémoire de l'honorable ministre des affaires étrangères lui a fait complètement défaut en ce qui concerne M. le baron de Stassart. Immédiatement après la formation du ministère de 1843, le cabinet a délibéré sur la position des gouverneurs des provinces. Un de mes amis politiques, M. le baron de Lamberts, qui était gouverneur de la Flandre orientale, a été nommé gouverneur du Limbourg et remplacé à Gand par M. de Schiervel. Le gouverneur du Brabant a été nommé gouverneur du Luxembourg, et M. le bâton de Stassart, gouverneur de la province de Namur, a été nommé gouverneur à Bruxelles. Voilà ce qui s'est passé alors.
M. le brion de Stassart a été destitué plus tard. C'est vrai : voici les motifs de cette mesure.
D'abord, M. le baron de Stassart avait annoncé l'intention de combattre la réélection de M. le comte d Aerschot comme sénateur et à qui on ne pouvait adresser aucune espèce de reproche. De la part du Roi et en mon nom, j'ai obtenu de la part de M. le baron de Stassart la promesse (page 576) qu'il ne chercherait pas à renverser M. le comte d'Aerschot. Antérieurement M. de Stassart avait déjà eu l'intention de combattre la réélection des députés de Louvain. Je lui ai dit que le gouvernement ne pourrait pas approuver une pareille conduite.
Eh bien, non seulement M. le baron de Stassart avait contrarié le gouvernement dans cette circonstance, mais il s'était fait élire sénateur à Nivelles et à Namur. Il y avait donc là trois candidatures hostiles au gouvernement.
Eh bien, je le demande, y a-t-il ici un seul député, quel que soit son parti, qui aurait approuvé la conduite de ce haut fonctionnaire ? Pour moi, j'aurais donné ma démission de ministre de l'intérieur, plutôt que de la tolérer ; je me serais cru déshonoré en restant aux affaires, en face d'une opposition aussi flagrante de la part d'un gouverneur.
Si donc M. le baron de Stassart a été démissionné de ses fonctions de gouverneur du Brabant, c'est uniquement parce qu'il avait contrevenu aux ordres formels du cabinet, en mettant en avant sa propre candidature ou en patronnant des candidatures qui étaient contraires aux intentions du gouvernement.
Enfin on a parlé d'un ancien commissaire de l'arrondissement de Waremme qui a été, en effet, destitué. Ce fait a déjà été expliqué plusieurs fois dans cette enceinte ; je vais rappeler encore une fois los motifs de cette révocation.
Un membre de la députation permanente du conseil provincial de Liège qui remplaçait toujours le gouverneur en cas d'absence et qui n'avait pas démérité, avait été combattu dans sa réélection par le commissaire d'arrondissemnet qui s'était fait élire à sa place.
Le même cas s'est présenté pour le procureur du roi à Nivelles. Là encore, j'ai pensé que le gouvernement ne pouvait pas tolérer qu'un fonctionnaire public se mît sur les rangs pour renverser un membre de la majorité. Je ne pense pas que le mii stère actuel eût toléré de semblables écarts, et s'il les avait réprimés, jamais je n'aurais songé à l'en blâmer.
Tout en agissant avec droiture et dans la plénitude de mes droits, je n'ai jamais reculé devant l'explication de mes actes. Mais je nie de la manière la plus formelle d'avoir jamais prescrit à des fonctionnaires de combattre telle ou telle candidature. J'ai toujours, au contraire, professé cette opinion que les fonctionnaires publics sont parfaitement libres dans leur vote personnel et qu'ils ne doivent pas abuser de leur position pour renverser les membres du cabinet. Si un fonctionnaire appartenant à une autre opinion que la mienne patronnait personnellement la candidature d'un homme hostile à mon parti, ce ne serait pas, selon moi, un motif suffisant de destitution, et jamais je n'ai imposé à un fonctionnaire quelconque l'opinion du cabinet.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Un seul mot, messieurs ! Toutes les vertus sont du côté de l'honorable M. de Theux, toutes les fautes du côté de ses adversaires. Il est donc bien entendu que l'honorable M. de Theux est pur de toute tache.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Même quand il destitue.
- La séance est levée à 5 heures.