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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 10 mars 1863

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1862-1863)

(page 533) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal

M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

Lecture du procès-verbal

M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

M. Guillery. - Je demande la parole.

M. le président. - Est-ce sur le procès-verbal ?

M. Guillery. -Non, M. le président, c'est sur les Annales.

M. le président. La rédaction du procès-verbal est approuvée, la parole est à M. Guillery.

M. Guillery. - II s'est glissé dans les Annales une erreur qu'il importe de rectifier, parce qu'il importe que chacun ait la responsabilité de son opinion, mais n'ait la responsabilité que de son opinion.

L'honorable M. Thibaut a cité un passage d'un ouvrage de M. Laurent ; dans ce passage nous lisons ce qui suit :

« Qu'on réfléchisse un instant aux doctrines que cette puissance étrangère (il parle de la puissance de Rome) impose à notre clergé, et qu'on décide si le système de la liberté de l'Église consacrée par notre Constitution mérite d'être exalté comme un progrès de la civilisation ou si elle est une abdication imprudente et coupable des droits et des devoirs de l’Etat. »

Ici dans les Annales, je trouve :

« M. Hymans. C'est vrai.

« M. Guillery. Il y a quelque chose de vrai.

« M. Thibaut, continue. - « Les évêques sont vos rivaux, disons mieux, ils sont les ennemis de la souveraineté civile. »

C'est ici que j'ai interrompu M. Thibaut en disant : « il y a quelque•chose de vrai » ; je n'aurais pas pu le dire plus tôt, attendu que le principe énoncé plus haut n'est pas le mien, je suis partisan de l'indépendance du clergé ; et si la Constitution était à refaire, je voudrais qu'elle la consacrât aussi pleine et aussi entière qu'elle l'est aujourd'hui. Mais c'est quand il a dit : « Nos évêques sont vos rivaux, disons mieux, ils sont les ennemis de la souveraineté civile, » que j'ai interrompu l'honorable membre en disant : il y a quelque chose de vrai.

Je demande qu'une rectification soit faite en ce sens aux Annales parlementaires.

M. Thibaut. - Je suis le premier à demander que la rectification soit faite. L'interruption n'a pas été placée par moi. Je ne l'avais pas même comprise. Quand j'ai reçu la copie, en voyant l'interruption attribuée à M. Guillery, j'ai recommandé, si M. Guillery passait par le Moniteur, de lui communiquer cette interruption pour savoir si elle était bien à sa place.

M. le président. - Les observations qui viennent d'être faites tiendront lieu de rectification.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont, secrétaire., présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Dewit demande l'établissement d'abonnements mensuels aux chemins de fer de l'Etat pour un parcours de 10 kilomètres. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres de l'administration communale d'Achel déclarent adhérer à la pétition ayant pour objet la direction du chemin de fer d'Anvers à Gladbach par la ligne la plus courte et la plus directe. »

« Même décision des membres du conseil communal de Neerpelt et Overpelt. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi relatif à la concession de divers chemin de fer.


« Les membres du conseil communal de Houdeng-Aimeries demandent la construction d'un chemin de fer de Houdeng à Jurbise. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi relatif à la concession de divers chemins de fer. »


« Des industriels de Molenbeek-Saint-Jean demandent la libre entrée pour tous les tissus belges apprêtés, teints ou imprimés à l'étranger. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« Des cultivateurs à Frasnes prient la Chambre de statuer sur leur réclamation contre des irrégularités dans la comptabilité communale en ce qui touche la formation des rôles pour l'entretien des chemins vicinaux. »

-- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur De Borelle prie la Chambre de voter une loi qui permette d'accorder la croix de Fer aux combattants de 1830 qui peuvent justifier d'actions éclatantes. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

« D’anciens combattants de 1830 demandant la croix de Fer et déclarent renoncer au bénéfice de la pension attachée à cette croix. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion d'autres pétitions concernant le même objet.

« Le sieur Moreau demande que le gouvernement replace à la frontière des postes de douane qui en sont trop éloignés. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Par messages en date des 7 et 9 mars, le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté les projets de loi :

« 1° Portant augmentation du traitement des professeurs et des administrateurs inspecteurs des universités de l’Etat ;

« 2° Portant augmentation du traitement des membres de la députation permanente du conseil provincial et des greffiers provinciaux ;

« 3° Portant augmentation de traitement des inspecteurs provinciaux de l'enseignement primaire et de l'indemnité des inspecteurs cantonaux ;

« 4° Portant augmentation du traitement des membres de la cour des comptes ;

« 5° Approuvant le traité d'amitié, de commerce et de navigation entre la Belgique et les îles Hawaïennes.

« 6° Contenant le budget des affaires étrangères pour l'exercice 1863.

« 7° Contenant le budget du ministère de la guerre pour l'exercice 1863.

« 8° Allouant au budget des finances et des non-valeurs et remboursements, pour l'exercice 1863 des crédits supplémentaires à concurrence de fr. 3,452,44.

« 9° Augmentant le budget des dotations pour l'exercice 1863 d'une somme de fr. 19,669 87.

« 10° Ouvrant au département de l’intérieur un crédit de 1 million de francs pour construction et ameublement de maisons d'école. »

- Pris pour notification.


« M. le ministre de la justice transmet à la Chambre, avec les pièces de l'instruction, la demande en naturalisation du sieur Kunsch. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« M. d'Hoffschmidt, obligé de s'absenter pour affaires urgentes, demande un congé. »

- Accordé.


« M. de Ruddere, obligé de s'absenter pour affaires de famille, demande un congé. »

- Accordé.

Décès d’un membre de la chambre

M. le président. - J'ai une communication douloureuse à faire à la Chambre.

J'ai reçu une lettre de M. Vanderveke, premier clerc de M. Van Bockel, qui m'annonce le décès de notre honorable collègue.

Cette lettre est ainsi conçue :

« M. le président.

« C'est avec la plus grande douleur que je viens vous faire part de la mort presque subite de mon estimable patron M. Van Bockel, notaire, représentant. Il est décédé cette nuit. Veuillez, M. le président, agréer les sentiments d'estime de votre tout accablé serviteur. Vanderveke. »

Je propose à la Chambre de charger le bureau d'adresser à la famille une lettre de condoléance et de tirer au sort une députation pour assister aux obsèques de notre regretté collègue. (Oui ! oui !)

M. B. Dumortier. - Messieurs, permettez-moi de vous exprimer la douleur que nos amis et moi éprouvons de la perte que nous venons de faire dans la personne de M. Van Bockel.

L'honorable citoyen est un des hommes qui ont contribué le plus puissamment à la constitution de notre existence nationale, et à cet effet je pourrais vous lire l'exposé du décret du gouvernement provisoire fait par la commission des récompenses qui lui a décerné la croix de Fer dans les termes les plus élogieux.

Voici ce que porte ce décret :

« Un des hommes qui, par leur influence et leur active coopération, (page 534) contribuèrent à organiser et à diriger le mouvement national de Louvain. »

L'honorable membre, après avoir rendu des services aussi signalés à la patrie, a été successivement échevin de Louvain, puis bourgmestre de Louvain, puis enfin membre de I a Chambre des représentants.

Pour nous tous qui avons connu la noblesse de son caractère, l'énergie de ses convictions, nous ne pouvons que rendre un hommage à sa conduite politique dans toutes les circonstances et je me rends ici, au nom de mes collègues, l'organe de la douleur que nous éprouvons de sa perte.

M. Guillery. - Messieurs, je viens joindre ma voix à celle de l'honorable M. Dumortier pour signaler les regrets que laisse parmi nous l'homme dont la perte vient de nous être annoncée.

Parmi les qualités qui le distinguaient, il en était une qui suffirait à elle seule pour lui valoir l'estime, la sympathie et les regrets de tout le monde, c'était sa fidélité à ses convictions et la sincérité avec laquelle il les a défendues.

M. de Montpellier. - Je fais la proposition que la Chambre ne siège pas le jour de l'enterrement de M. Van Bockel.

M. Rodenbach. - C'est l'usage.

M. Van Overloop. - Messieurs, c'est là un précédent. Il est d'usage de ne pas siéger le jour des obsèques d'un membre de la Chambre, afin que, non seulement la commission désignée par le sort, mais aussi tous les autres membres qui le désirent puissent assister à ces obsèques, et rendre un dernier hommage à un collègue profondément regretté.

- La Chambre décide qu'elle ne siégera pas le jour des obsèques de M. Van Bockel.

II est procédé au tirage au sort de la commission chargée d'assister aux obsèques de M. Van Bockel.

Cette commission est composée comme suit : MM. Vanden Branden de Reeth. Ch. Lebeau, Crombez. J. Jouret. de Brouckere. de Moor. de Theux.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l’exercice 1863

Discussion du tableau des crédits

Chapitre VIII. Cultes

Article 27

M. Thibaut. - Messieurs, dans la séance de samedi, ma réplique à M. le ministre de la justice a été incomplète et insuffisante. Je demande donc la permission de la développer et de répondre en même temps au discours de l'honorable M. Pirmez.

L'honorable M. Pirmez a dit que je resterai seul pour soutenir ma thèse. Je n'abandonnerai pas une cause que je crois juste et vraie, dussé-je me trouver isolé pour la défendre. Mais si je défends mes opinions, je ne défends pas celles que, par une générosité pour laquelle je n'ai aucune reconnaissance, on s'efforce de me prêter.

J'ai dit et je soutiens que de la liberté des cultes découle pour les particuliers la faculté de créer des fondations pour toutes les cérémonies du culte et spécialement pour les missions.

On m'a répondu qu'il n'appartenait pas aux particuliers de créer des personnes civiles ; que c'était là le droit de l'Etat.

Messieurs, je n'ai pas contesté le principe, je n'en ai pas même parlé ; je ne le conteste pas encore. Je fais seulement des réserves sur la question de savoir si ce droit de l'Etat peut être exercé par le pouvoir exécutif ou s'il doit l'être nécessairement par les trois branches du pouvoir législatif.

Je n'ai pas dit que les particuliers avaient le droit de créer des personnes civiles. Je me suis servi de l'expressions de l'arrêté du 13 septembre 1862 et j'ai supposé, comme cet arrêté, une fondation ou une donation offerte à une personne civile représentant un culte, ou à un culte représenté par une personne civile.

Puisque ma pensée n'a pas été bien comprise, je vais tâcher de l'exprimer plus clairement.

Les fabriques d'église sont des personnes civiles ; ont-elles la capacité de recevoir des fondations, c'est-à-dire des donations avec charge perpétuelle, pour les appliquer à tout acte ou à toute cérémonie du culte catholique que le donateur aura désigné ?

Voilà, messieurs, toute la question.

Je dis qu'en vertu de la liberté des cultes, cette capacité existe, parce que la liberté des cultes étant absolue, aucun acte, aucune cérémonie du culte ne peuvent être interdits et ne sont interdits.

Ainsi les missions sont permises comme actes du culte.

J'en conclus que les fabriques qui ont la capacité de recevoir pour le culte, ont la faculté de recevoir pour faire célébrer des missions. Si la liberté du culte n'existait pas, si elle était restreinte, si les missions étaient prohibées, les fabriques n'auraient pas cette capacité dont je parle.

Vous voyez donc que c'est le principe constitutionnel de la liberté des cultes qui règle aujourd’hui la capacité des fabriques ; et en ce sens j'ai raison de dire que c'est de la liberté des cultes que découle pour le particulier la faculté de créer des fondations pour toutes les cérémonies du culte.

On insiste et l'on dit : La loi qui a créé les fabriques a réglé leur capacité.

Examinons quelle est la capacité que cette loi a donnée aux fabriques. Elle n'a pas dit : La fabrique pourra recevoir des libéralités ou des fondations pour telle cérémonie, pour tel ou tel acte du culte. Elle a institué les fabriques avec la faculté de recevoir pour tout ce qui constitue le culte extérieur ; non pas uniquement pour le culte extérieur tel qu'il était limité et restreint par d'autres lois, à l'époque où la loi spéciale sur les fabriques a été faite, mais pour tout ce qui constitue le culte à l'époque où la fabrique est appelée à user du droit de la personnification civile.

Cette capacité n'est donc pas toujours la même. Elle était moins complète en 1809, si, comme on le prétend, les missions étaient prohibées. Elle est plus large aujourd'hui que nous jouissons de la liberté complète du culte et de la liberté de l'exercice public du culte.

Pour les particuliers, la faculté de fonder ou de donner à une fabrique correspond à la capacité de recevoir qui est attribuée à la fabrique, et comme la fabrique peut recevoir des dons avec affectation spéciale à toutes les cérémonies, à tous les actes qui sont aujourd'hui permis et qui ne l'étaient pas anciennement, les particuliers peuvent également faire aujourd'hui des dons qui leur étaient anciennement interdits.

On dit encore que la capacité de recevoir, conférée aux fabriques, n'est pas plus étendue aujourd'hui qu'elle ne l'était en 1809.

C'est toujours la même objection sous une autre forme ; elle revient à dire qu'on ne peut faire aujourd'hui des fondations qui étaient impossibles en 1809. Mais pourquoi certaines fondations étaient-elles impossibles en 1809 ? Pour une seule raison. C'est que certains actes du culte étaient défendus.

Les missions étaient défendues (je raisonne dans l'hypothèse de nos adversaires) et on ne pouvait faire des fondations pour les missions, uniquement parce qu'elles étaient interdites. Si les missions avaient été permises, les fondations pour missions auraient été également permises.

La capacité des fabriques n'a donc pas été limitée en 1809 par la loi qui les a organisées, mais la capacité des fabriques a été limitée par la loi qui a prohibé certains actes du culte. Il en résulte que la loi qui interdit ces actes étant abrogée et ceux-ci devenant licites, les fondations en faveur de ces actes peuvent avoir lieu. La capacité des fabriques n'est pas changée, elle cesse d'être limitée ; la loi de son origine devient applicable dans toute son étendue.

La Constitution a aboli le décret qui prohibait les missions ; M. le ministre lui-même le reconnaît ; elle a donc rendu aux fabriques toute la capacité qu'elles tenaient de leur loi constitutive.

Vous le voyez donc, messieurs, c'est la Constitution qui, en proclamant la liberté des cultes, a rétabli les fabriques dans toute leur capacité de recevoir, et les particuliers dans la faculté de donner en faveur des églises, telles qu'elles avaient été comprises lors de la convention de 1809 entre le pape et le gouvernement français. En vertu de la Constitution, l'article 15 du concordat devient une vérité : Les Belges peuvent, s'ils le veulent, faire, en faveur des églises, des fondations.

Je sais bien qu'il appartient à l'autorité civile, au Roi et aux députations permanentes d'accorder ou de refuser l'autorisation dont les fabriques ont besoin pour accepter les donations ; mais ni le Roi ni les députations ne peuvent restreindre la capacité des fabriques et des particuliers.

L'autorité civile peut refuser l'autorisation, en déclarant qu'il n'y a pas lieu de l'accorder, ou en déclarant la fabrique non fondée dans sa demande ; mais l'autorité ne peut déclarer une fabrique non fondée, quand cette fabrique demande l'autorisation d'accepter ce qu'elle a capacité légale d'accepter.

Pour rendre cette distinction plus claire, je suppose qu'une donation offerte à une fabrique, stipule affectation perpétuelle de biens, en faveur d'une association qui n'a pas capacité pour recevoir et posséder.

(page 535) La fabrique est alors personne interposée et elle doit être déclarée non fondée, dans sa demande d'autorisation pour accepter la donation.

Cette observation satisfera, j'espère, l'honorable M. Pirmez, et fera cesser ses craintes de voir ériger en personnes civiles les couvents et même ceux de l'ordre contemplatif.

L'argumentation de l'honorable membre, dans la partie de son discours à laquelle je réponds, repose sur une confusion.

L'honorable membre confond les actes de la vie religieuse, ce sont les mots dont il s'est servi, avec les actes du culte. (Interruption.)

Messieurs, la donation dont je me suis constitué le défenseur, était-elle un ballon d'essai, comme l'a dit l'honorable M. Pirmez ? Mon Dieu, non, la rapide imagination de l'honorable M. Pirmez l'a transporté au-delà des limites de la vraisemblance. Pour moi, je ne connais personne à Mont ; personne ne m'a parlé de la donation qui avait été faite ; personne ne m'a engagé à la défendre ici. Mais je ne comprends pas quel résultat funeste pourraient avoir des fondations pour quelques missions dans les campagnes.

Ce n'est pas un ballon d'essai, c'est une manière très louable de travailler à l'instruction et à la moralisation des populations. Que d'autres pensent le contraire, c'est leur droit, je ne le discute pas. Mais les fondations pour missions sont, selon moi, chose tout aussi utile que les fondations pour octaves, soit de messes, soit de saluts, et cependant l'honorable M. Pirmez ne veut pas sans doute interdire ces sortes de fondations ?

« Mais, dit encore l’honorable M. Pirmez, la fondation de Mont n'a pas de précédents.» C'est vrai, mais une chose nouvelle n'est pas nécessairement mauvaise, parce qu'elle est nouvelle.

Je dst que l'arrêté du 23 septembre 1862 pouvait avoir une signification politique, qu'il faisait partie d'un système hostile à la liberté religieuse ; pourquoi ? Précisément parce que c'est la première fois que le gouvernement belge a eu à s'occuper d'une fondation semblable et qu'il a refusé de la sanctionner par principe. Je maintiens mon appréciation.

Il est difficile en effet de défendre ce qui a été toujours permis, et vous l'avez expérimenté, quand vous avez voulu séculariser toutes les fondations charitables : vous n'y êtes parvenu qu'après de longs efforts

Etouffer à sa naissance une manifestation de la liberté qui n'est pas passée dans les habitudes, offre moins de dangers.

On comprime alors la liberté, sans que personne s'en aperçoive.

Messieurs, je ne veux pas omettre une objection qui a paru sérieuse à M. le ministre de la justice. Tous les cultes sont égaux devant la Constitution, a-t-il dit.

Si donc on fait dériver le droit de fonder de la liberté des cultes, on pourra fonder en faveur des cultes qui n'ont pas la personnalité civile, et ainsi établir des personnes civiles, malgré le pouvoir souverain.

Cette objection n'a pas de valeur.

Tous les cultes sont égaux, mais tous les cultes n'ont pas la personnalité civile. Je m'éloigne en ce point de la doctrine de l'honorable M. Tielemans, que M. le ministre de la justice nous a rappelée dans la dernière séance. Les Belges sont donc autorisés, en vertu de la liberté des cultes, à donner, avec charges perpétuelles, aux cultes qui ont la personnification civile ; et ils ne peuvent donner à ceux qui n'ont pas la capacité d'accepter.

Tous les cultes sont égaux, comme tous les Belges sont égaux devant la loi, cependant tous les Belges n'ont pas le droit d'exercer l'art de guérir, ou de plaider devant les tribunaux.

M. le ministre de la justice s'est fortement élevé contre ce que j'ai dit, quand, appréciant la conduite du cabinet, ses actes posés et ses actes en projet, j'en ai conclu qu'un complot était formé contre la liberté religieuse.

Ce n'est pas ma faute, messieurs, si, depuis 15 ans, tous les actes du ministère de la justice, où la religion est intéressée, accusent un esprit d'hostilité contre la religion. Oh ! sans doute, on n'a pas refusé de subsides ni aux édifices du culte ni au clergé ; mais quand je parle liberté, il ne faut pas me répondre argent.

Je n'éprouve, je le déclare, aucun embarras à faire, à cette occasion, ma profession de foi : J'aime la pompe et la magnificence dans les édifices consacrés au culte ; mais je n'aime pas autant un clergé riche. Qu'on donne aux membres du clergé ce qui est nécessaire et convenable ; je ne demande rien au-delà : un clergé pauvre est ordinairement un clergé riche en vertus et il est souvent plus respecté, plus considéré et plus aimé qu'un clergé opulent.

A entendre certains orateurs, messieurs, je n'aurais pas dû parler de l'ouvrage de M. Laurent ; l'honorable M. Pirmez m'a surtout reproché d'avoir nommé cet auteur M. Laurent Tesch. Je ne crois pas que ce soit un crime d'appeler quelqu'un par son nom.

Je considère M. Laurent comme le théoricien du parti hostile non seulement à la liberté religieuse mais même à toute la Constitution. Son livra est un arsenal où se trouvent préparées les armes avec lesquelles on essayera peut-être, en Belgique, une révolution au profit de l'omnipotence de l'Etat, au Dieu-Etat. Ce livre est d'autant plus dangereux qu'il émane d'un fonctionnaire de l’Etat, d'un professeur qui dans son cours doit inspirer à ses jeunes auditeurs le respect et l'amour de nos institutions.

Je crois qu'à ce titre l'ouvrage de M. Laurent engage le cabinet tout entier, si celui-ci ne le désavoue pas. (Interruption.) Je crois qu'il engage non seulement le cabinet, mais tout le parti libéral.

- Voix à gauche. - Oh ! oh !

M. Thibaut. - Ce n'est pas moi qui le dis, c'est M. Laurent lui-même ; écoutez ; aux pages 129-130 il déclare que tout ce qu'il y a devrai dans la Constitution a été puisé dans les travaux de l'assemblée constituante et de l'assemblée nationale de France, et que tout ce que le congrès y a ajouté, est outré et faux.

Quant aux cultes, il dit page 311, et ici il convient que je cite textuellement puisque c'est le chapitre des cultes que nous discutons :

« C'est au nom de la souveraineté que M. Defacqz, et avec lui le parti libéral, combattit la séparation de l'Église et de l’Etat : « Il faut que la puissance temporelle, dit cet éminent jurisconsulte, absorbe la puissance spirituelle, parce que la loi civile étant faite dans l'intérêt de tous, elle doit l'emporter sur ce qui n'est que de l'intérêt de quelques-uns. » M. Defacqz ajoute que la séparation organise le désordre. Le mot est profondément vrai, car la séparation, telle que les catholiques l'entendent, détruit la souveraineté dans son essence, en la divisant. »

Et à la page 312, on lit :

« En déclarant la religion indépendante de l'Etat, ce n'est pas une religion abstraite, c'est le catholicisme que le congrès affranchit de toute action du pouvoir souverain.... Et c'est cette Eglise arbitraire, envahissante, ennemie-née de l'Etat que le congrès déclare indépendante de l'Etat ! N'était-ce pas décréter qu'on lui donnait pleine liberté de ruiner l'Etat ? N'était-ce pas organiser l'anarchie, comme le dit M. Defacqz ? »

Messieurs, vous riiez tantôt quand je disais que non seulement le cabinet mais que le parti libéral devait s'expliquer sur l'ouvrage de M. Laurent (interruption), attendez que j'aie lu le dernier passage que je veux citer, et puis vous répondrez.

- Un membre. - Vous n'avez pas le droit de nous le demander.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et l'encyclique ?

M. H. Dumortier. - Cela ne nous regarde pas ici. C'est votre vieille rengaine.

M. Thibaut. - A la page 446 du livre je lis : « Une espérance chèrement payée à ouvert les yeux au parti libéral ; il a fini par se rallier tout entier aux principes de la minorité du congrès. »

Messieurs, le parti libéral, c'est vous qui le représentez, c'est donc de vous que M. Laurent a dit : Vous vous êtes ralliés aux principes de la minorité du congrès. Messieurs, dans mon premier discours je n'avais voulu que protester contre les principes énoncés à l'appui de l'arrêté du 13 septembre 1862, et avertir le pays des entreprises constantes de l'Etat contre la liberté religieuse.

Je ne regrette pas d'avoir été forcé de donner à ma pensée plus de développement que je ne me l'étais proposé.

M. Hymans. - Je viens de lire aux Annales parlementaires dans le discours de M. Thibaut certaines interruptions qui portent mon nom et dont je ne puis accepter la responsabilité.

A propos d'un passage de l'ouvrage de M. Laurent, où il est dit que la liberté religieuse consacrée par la Constitution a été une abdication imprudente et coupable des droits et des devoirs de l'Etat, on a imprimé : « M. Hymans, c'est vrai !» Je n'ai pu dire ces mots : ce qu'ils expriment est très loin de ma pensée.

J'ai bien dit, pendant que M. Thibaut parlait : C'est vrai. Mais c'était à propos d'une autre phrase, c'est quand il disait : « Les évêques sont vos rivaux, disons mieux, ils sont les ennemis-nés de la souveraineté civile.» C'est à ce moment que je me suis permis d'interrompre M. Thibaut pour dire : « C'est vrai », et sur ce point je maintiens mon affirmation.

On me fait dire encore, à propos d'une autre phrase, que je suis d'accord avec l’auteur que l'on cite, sur la nécessité d'abolir la liberté d'enseignement et la liberté des cultes. Cela est absurde. Si j'avais trouvé, au milieu d'un discours prononcé par moi, une pareille interruption, une affirmation aussi peu en harmonie avec les sentiments qui doivent animer tout membre de la représentation nationale, je me serais permis de la (page 536) supprimer, la considérant comme une erreur, ou tout ou moins j'aurais consulté mon collègue, j'aurais appelé son attention sur la phrase, persuadé qu'il ne pouvait l'avoir dite, que le sténographe n'en avait pas saisi l'application.

Je déclare formellement que je suis pas l'adversaire de la libéré religieuse, que je ne la considère pas comme une abdication imprudente et coupable des droits et des devoirs de l'Etat, et que je ne suis pas davantage l'adversaire de la liberté d'enseignement. J'ai à peine besoin de le dire, si j'étais appelé un jour à concourir à réviser la Constitution, ce ne serait ni la liberté des cultes ( j'ai pour cela d'excellentes raisons) ni la liberté d'enseignement que je proposerais de supprimer.

M. de Theux. - Messieurs, nous avons une Constitution large, libérale, dans son texte et dans son esprit. Je regrette qu'au lieu de s'attacher à abolir toutes les entraves qui existaient avant 1830, on cherche à restreindre la Constitution par des interprétations, des arguments subtils et rétrécis. C’est, messieurs, au moyen de semblables arguments que l'on diminue même en certaines matières la portion de liberté que la France impériale et le royaume des Pays-Bas nous avaient donnée.

Par exemple, en fait de sépulture, sous le gouvernement impérial et sous le royaume des Pays-Bas, chaque culte avait de droit un lieu de sépulture séparée ou une portion distincte déterminée dans le cimetière commun. Aujourd'hui ou veut abolir cet antique usage presque aussi ancien que le monde.

Sous le même gouvernement il y avait de grandes facilités pour laisser distribuer des aumônes lors des inhumations ou des anniversaires soit par les ministres des cultes ou par l'intermédiaire des membres du conseil des fabriques

Il y avait à cet antique usage qui remonte aux premiers temps du christianisme un motif très naturel, très sérieux ; celui qui laissait une certaine fortune conviait les indigents à son service et les gratifiait d'une récompense ; il s'établissait dans ce moment suprême une mutualité aussi honorable pour le défunt que pour les indigents conviés à ses obsèques.

D'un côté l'on reconnaissait la nécessité de venir en aide à la misère ; de l'autre d'invoquer les prières efficaces de l'indigent. On nous dira que les aumônes distribuées par les bureaux de bienfaisance ont le même résultat, qu'on a pour but une répartition plus équitable entre les indigents. Soit, mais si le bureau de bienfaisance distribue les aumônes avec d'autres ressources aux indigents, ceux-ci pouvant les recevoir chez eux sans se déranger n'ont pas de motif pour se rendre aux obsèques du défunt.

Evidemment l'intention du défunt de convier les indigents à son service n'est pas remplie, et cet antique usage chrétien se trouve en quelque sorte supprimé.

On veut encore restreindre les attributions des conseils de fabrique, et en changer la composition. Qu'on ne dise pas qui l'administration du temporel des cultes est chose peu importante, elle a toujours été considérée comme connexe avec la liberté des cultes. Nous espérons que quand il s'agira de discuter cette loi, on voudra bien tenir compte de ce qu'ont fait le gouvernement impérial et celui des Pays-Bas, sans aucune espèce d'intention d'innover à ce qui était considéré comme nécessaire, comme, utile à l'indépendance du culte.

En plusieurs matières, messieurs, on permet aux Belges, malgré nos larges libertés, moins qu'on ne permet dans d'autres pays.

Ainsi, il est certain qu'en ce qui concerne la charité, en Angleterre, aux Etats-Unis, en Hollande, en Allemagne, il y a beaucoup plus de liberté pour les fondations qu'il n'y en a ici.

Ici il n'y en a qu'à la condition absolue de passer par l'intermédiaire des hospices du bureau de bienfaisance.

Il serait utile que l'on parvînt à présenter une loi qui déterminât pour quels objets, dans quels cas, et sous quelles conditions il pourrait être fait des fondations charitables en dehors des bureaux de bienfaisance et des hospices.

Ce serait là une mesure non seulement libérale, mais aussi utile, qui stimulerait la concurrence des établissements publics et obvierait à une lacune qu'ils ne peuvent combler dans leur composition actuelle.

On se plaint souvent de la liberté d'enseignement. A ce point de vue on dit que nous sommes ici dans des conditions exceptionnellement favorables.

Voudrait-on appliquer à la Belgique le système usité en Angleterre ? Je ne le crois pas.

Voudrait-on appliquer le système usité en Allemagne où le clergé est pour ainsi dire omnipotent en matière d'enseignement, où il y a un enseignement obligatoire ?

On dirait : Mais c'est livrer l'enseignement entier en Belgique aux mains du parti catholique, et ce projet que l'on a tant défendu, l'enseignement obligatoire avec les conditions dont il est accompagné en Allemagne serait à coup sûr repoussé par ceux qui l'invoquent aujourd'hui.

En France même, messieurs, dans ce pays du régime gouvernemental par excellence, il y a en matière de charité et en matière d'enseignement, à certains égards, des dispositions dont vous ne voudriez pas ici.

Ainsi pour la bienfaisance, en vertu de la loi existante, le gouvernement a été très large à reconnaître la personnification civile d'un grand nombre de corporations. Il en est de même en ce qui concerne l'enseignement Le gouvernement n'a pas eu peur de la personnification civile appliquée à des corporations ayant une mission sociale de secours à porter aux classes indigentes principalement.

Vous ne voudriez pas de ce système.

Il s'ensuit donc, messieurs, qu'avec nos libertés nous sommes dans une situation à plusieurs égards moins avantageuse que la France, que l'Allemagne, que l'Angleterre.

Nous demandons, messieurs, pourquoi l'on fait, en matière d'enseignement, tant d'efforts pour écarter le concours des institutions religieuses qui ont pour mission spéciale de procurer l'enseignement au peuple.

Je ne puis en trouver aucune raison fondée. Aussi j'appelle sur ce point la bienveillance de M. le ministre de l'intérieur, et je l'engage à s'écarter du rigorisme qui a été introduit pendant quelques années dans cette matière, contrairement à l'esprit de la loi.

Messieurs, certains écrivains et d'autres personnes encore semblent croire qu'il est nécessaire de régler la liberté religieuse.

Eh bien, je dis que toute atteinte, portée à une liberté quelconque, provoque une atteinte à d'autres libertés. Et c'est ainsi que les libéraux, sous l'empire, sous le royaume des Pays-Bas, après avoir soutenu le gouvernement impérial, dans ses empiétements contra l'Eglise catholique en particulier, et sous le gouvernement des Pays-Bas, dans la dernière période de son existence, ont fini par se réjouir, aussi bien que les catholiques, de la chute du gouvernement impérial et de la chute du gouvernement des Pays-Bas.

Et que l'on ne dise pas que cela est impossible en Belgique.

N'avez-vous pas vu que dans la révision du code pénal où l'on cherchait à porter atteinte à la liberté de la chaire il s'est trouvé des dispositions qui portaient atteinte aussi à la liberté de la presse, dispositions que l'on s'est empressé de rapporter plus tard lorsque l'attention publique eut été éveillée.

Cela fait voir combien la pente vers le pouvoir inconstitutionnel est dangereuse.

On nous dit : Mais si l'Eglise catholique obtenait plus d'influence, elle pourrait peut-être provoquer des lois exceptionnelles.

Je dis, messieurs, que ce danger n'est à craindre sous aucune espèce de rapport.

La chose serait d'abord complètement impossible. J'ajouterai qu'elle serait diamétralement contraire aux véritables intérêts de l’Eglise catholique.

N'est-ce pas elle qui dans la plupart des pays doit lutter pour obtenir sa liberté dans l'exercice du culte, dans l’enseignement, dans les associations, etc. ?

C'est elle qui depuis un temps excessivement considérable est seule eu butte aux attaques du pouvoir.

Et comment aurait-elle l'imprudence d'aller aujourd’hui se soumettre à un pouvoir qui l'a si longtemps opprimée ?

Heureusement, messieurs, dans beaucoup de pays d'où le catholicisme était proscrit, l'indifférentisme a amené la tolérance et la tolérance a ramené la liberté.

Je crois, messieurs, que le catholicisme est appelé à profiter largement de ces dispositions, je ne dirai pas européennes, mais universelles, favorisées par la propulsion des écrits et par toutes les facilités des relations communales.

Je crois donc que sous aucun rapport le retour vers le régime de prohibition des cultes n'est à craindre.

Le libéralisme vrai, messieurs, ne doit chercher en aucune manière à amoindrir l'influence du culte chrétien. C'est lui qui a toujours été la protection des faibles, une barrière forte contre les abus du pouvoir, et quand le pouvoir en a abusé, c'est encore là qu'on a trouvé le principe de la résistance à l'oppression.

Le culte est en même temps une sauvegarde pour le pouvoir parce qu'il est également l'ennemi du désordre et de toute espèce d'oppression, qui l'accompagne.

Le libéralisme doit donc désirer que l'influence religieuse ne soit ralentie en aucune manière ni sous aucun rapport.

(page 537) Ceux qui n'ont pas de convictions religieuses ont, dans le système de nos institutions, la liberté la plus parfaite non seulement pour eux et leurs familles, mais aussi pour la propagande qu'ils trouvent bon d'exercer. Nos institutions n'y portent et n'y porteront pas d'obstacle.

Ainsi, messieurs, liberté et égalité pour tous.

Ce serait une chose véritablement fatale que d'entraver le prêtre dans sa mission, de miner son influence et de décourager le zèle religieux ; je dirai plus, de persister dans un système de collation d'emplois exclusivement au point de vue électoral, par lequel on est amené à donner des emplois de préférence aux hommes indifférents et quelquefois hostiles. C'est là un système mauvais et que rien ne justifie.

Soyons libéraux dans la vraie acception du mot. Tenons fermement à notre Constitution, et alors les préventions viendront à tomber, et de commun accord nous pourrons consacrer toutes nos forces au bien-être de la patrie. On n'aura plus à rechercher pour les emplois que le talent que les qualités morales et le dévouement à son service.

Mais pour arriver à ce résultat, il faut que le système de tolérance pratique fasse encore de grands progrès.

Pour quels motifs, messieurs, provoque-t-on tant de préventions contre le parti conservateur, contre le parti catholique, si vous le voulez ? Je le demande, quel mal les institutions de 1830 ont-elles produit ?

Le culte est aujourd'hui exercé avec une étendue suffisante pour tous les besoins des populations, et nous voyons que ces maisons religieuses, dont on semble tant craindre l'influence ou l'existence, sont réellement en possession d'une grande popularité.

Serait-ce l'instruction dont on aurait à se plaindre ? Mais par la concurrence l'enseignement est mis à la disposition de toutes les classes de la société ; on a créé les institutions les plus utiles, qui peuvent être fréquentées à peu de frais et pour ainsi dire sans déplacement.

Serait-ce au point de vue de la charité ? Mais la fondation des hospices libres, l'organisation des secours à domicile ne sont-elles pas un bienfait, une véritable ressource pour la société ? En quoi donc a-t-on à se plaindre ?

S'il s'agit de la différence des dogmes, de la différence des opinions, nous sommes obligés, de notre côté, de supporter des opinionsqui nous déplaisent au point de vue moral, mais que nous n'entendons en aucune manière combattre de par la loi ou de par le budget.

On va jusqu'à désirer que le clergé soit considéré comme exerçant des fonctions publiques et qu'il soit dépendant de l'Etat.

Cette opinion, je n'en parlerais pas ici, si elle n'était exprimée que dans un seul livre. Mais elle a plus d'adhérents qu'on ne pense.

Eh bien, le gouvernement n'acquiert-il pas déjà une immense prépondérance par le grand nombre de fonctionnaires et d'employés qui sont à sa nomination ? Subordonnez encore le clergé au pouvoir de l'Etat, tout le système de la liberté n'existe plus que de nom.

L'individualité est nécessairement faible ; la corporation de l'Etat par tous ses agents est très puissante. Il existe encore des corporations religieuses qui renferment en elles un principe de vitalité, de résistance, devant lequel quelquefois des gouvernements doivent s'arrêter pour le bien-être de tous. Nous ne devons pas désirer que cette force de résistance disparaisse.

L'on n'a pas à craindre, messieurs, que, l'un ou l'autre devienne hostile à l'Etat. Que l'Etat seulement soit juste, impartial à l'égard du culte et, loin d'y rencontrer de l'hostilité, il ne rencontrera qu'un concours bienveillant. Car enfin, tous ont besoin d'un gouvernement assez fort pour le maintien de l'ordre.

.Mais les gouvernements qui veulent entreprendre contre le culte, s'affaiblissent. Nous pourrions en citer de nombreux exemples contemporains, qu'il est inutile de rappeler ici.

Aussi, nos luttes n'ont pas pour objet de fortifier le pouvoir royal que nous considérons tous comme la sauvegarde de nos institutions et la dépense des intérêts, renfermé dans les justes limites que la Constitution lui assigne. Ce n'est pas de cela qu'il s'agit.

Nos luttes ont pour objet de fortifier un parti, de l'aider à s'assurer pour longtemps le pouvoir et tous les avantages qui en découlent, et à ce point de vue, ce ne sont pas des luttes nationales, ce sont des luttes de partis qui sont véritablement déplorables.

Messiers, je ne crains pas de dire que la situation actuelle est trop tendue pour durer longtemps. (Interruption.) Oui, je le dis avec une profonde conviction. Le pays se fatiguera de cette situation. Il verra qu'en définitive elle menace ses plus chers intérêts, qu'elle menace même son avenir.

Nous avons, messieurs, exposé franchement et sans passion nos convictions. Elles sont profondes et nous sommes certain qu'en vous les exposant, nous n'avons rien exagéré, que nous n'avons été que l’écho de plaintes nombreuses de nombreux amis de la patrie, de gens qui ont salué l'indépendance avec bonheur et qui ne désirent rien mieux que de la conserver. J'ai dit.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, je ne puis m'empêcher de répéter aujourd'hui ce que je disais dans notre dernière séance : c'est que, dans toutes ces discussions, il y a continuellement confusion entre les libertés que la Constitution proclame et les privilèges, dont la Constitution ne s'occupe pas.

Quand il s'agit de fondations religieuses, nos adversaires invoquent la liberté des cultes.

Quand il s'agit de fondations charitables, quand il s'agit de corporations, quand il s'agit de personnification civile, la droite argumente comme s'il s'agissait du droit d'association tel qu'il nous est garanti par la Constitution.

Mais jamais, messieurs, et c'est une chose à remarquer, jamais dans aucune circonstance, on ne laisse aux choses leur véritable nom. Si l'on voulait bien rester dans la vérité des mots, dans la vérité des expressions, mais, messieurs, il n'y aurait pas de discussion. Mais nos adversaires savent qu'il y a certaine mots qui, si on les employait, sonneraient très mal et feraient repousser la chose, et ils savent aussi qu'il y en a d'autres qui exercent un grand prestige. C'est pour ce motif que chaque fois qu'ils réclament un privilège, ce privilège ils l'appellent liberté. Ainsi l'honorable comte de Theux vient dire : « Vous attaquez les libertés que la Constitution nous a garanties ; vous nous enlevez même ce que l'empire et le gouvernement du roi Guillaume nous laissaient. » Mais, messieurs, quelle est donc cette liberté que nous attaquons ? Est-ce que la Constitution, qui parle de la liberté des cultes, s'occupe des fondations ? L'honorable comte de Theux n'oserait pas le dire, il n'a pas osé soutenir la théorie de l'honorable M. Thibaut, il n'en a pas dit un mot.

Pour que nous attaquions la liberté des cultes à propos des fondations, que faudrait-il ? Il faudrait que fonder fut un acte du culte. Si fonder n'est pas un acte du culte, refuser une fondation ne peut évidemment pas être une atteinte à la liberté des cultes.

En quoi consiste la liberté des cultes ? Voulez-vous que je vous donne la définition que consacre un arrêt de la cour de cassation ?

« Attendu que la liberté de conscience et la liberté des cultes sont le droit pour chacun de croire et de professer sa foi religieuse sans pouvoir être interdit ni persécuté de ce chef ; d'exercer son culte sans que l'autorité civile puisse, par des considérations tirées de sa nature, de son plus ou moins de vérité, de sa plus ou moins bonne organisation, le prohiber, soit en tout soit en partie, ou y intervenir, pour le régler dans le sens qu'elle jugerait le mieux en rapport avec son but, l'adoration de la divinité, la conservation, la propagation de ses doctrines et la pratique de sa morale. »

Voilà ce que c'est que la liberté des cultes. La voilà définie par un arrêt rendu sous la présidence de M. de Sauvage.

Eh bien, messieurs, je vous le demande, est-il un seul de ces actes qui rentre dans l'exercice de la liberté des cultes, qui jamais ait éprouvé de la part du gouvernement la moindre entrave, la moindre opposition ! Mais, messieurs, vous n'oseriez pas le dire.

Quand vous appelez les fondations « liberté des cultes », vous appelez une chose d'un nom qu'elle n'a pas et qu'elle ne peut pas avoir.

La fondation est un acte de la vie civile, et vous ne pouvez pas l'assimiler à un acte de la vie religieuse ; vous ne pouvez pas assimiler le fait d'aller à la messe, le fait de recevoir les sacrements, au fait d'aller chez un notaire conserver vos volontés. Ce sont des faits entièrement différents, et c'est parce qu'ils sont différents, parce que l'exercice du culte ne concerne que celui qui s'y livre tandis que la fondation intéresse la société, que pour les fondations l'autorité civile doit toujours intervenir.

De même quant à l'association, est-ce que jamais le gouvernement, en quelque circonstance que ce soit, a porté au droit d'association la moindre atteinte ? Non.

Mais lorsque, directement ou indirectement, vous avez voulu arriver à ce que la Constitution n'a pas voulu accorder, à la personnification civile, le gouvernement a résisté, le gouvernement n'a pas voulu de la personnification civile là où la loi ne l'admettait pas, là où la Constitution ne l'a pas admise elle-même.

M. Nothomb. - Tout cela est expliqué dans l'exposé des motifs du projet de loi de 1857.

(page 438) M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il n'en est pas moins vrai que par ce projet de loi vous arriviez à faire indirectement. (Interruption) ... vous y arriviez pour les corporations enseignantes.

M. Nothomb. - En dénaturant la loi.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - En l'appliquant comme vous appliquez les lois de cette nature.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous auriez pu l'appliquer même à des ordres contemplatifs.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - J'ai assurément le droit d'avoir de cette loi l'opinion que je veux ; eh bien, pour moi il est certain que vous arriviez à la personnification civile d'une manière indirecte. (Interruption.)

Ne jouons pas sur les mots, ce sont là de véritables subtilités. (Interruption.)

Quelle était la base de votre système ? C'était de faire reposer la propriété sur une personne civile existante, mais pour en donner tous les bénéfices à des associations. (Interruption.)

Messieurs, pour établir qu'aujourd'hui au point de vue de la liberté des cultes et au point de vue de la liberté d'association le gouvernement a apporté des restrictions là où, sous l'empire et sous le gouvernement du roi Guillaume, il n'y en avait pas, l'honorable comte de Theux a cité entre autres la question des inhumations, et il nous a dit que sous l'empire les cultes avaient le droit d'avoir chacun dans le cimetière un compartiment séparé et qu'aujourd'hui on leur conteste ce droit.

L'honorable comte de Theux sait parfaitement bien que la difficulté n'existe pas dans la question de savoir s'il y aura des compartiments séparés ou s'il n'y en aura pas ; la difficulté n'est pas là, mais la difficulté est de savoir quelle autorité décidera dans quel compartiment le corps sera inhumé.

Eh bien, l'honorable M. de Theux veut-il accepter sous ce rapport la législation de l'empire ? Mais l'honorable M. de Theux sait très bien qu'il y avait un décret de l'an XII qui portait :

« Art. 19. Lorsque le ministre d'un culte, sous quelque prétexte que ce soit, se permettra de refuser son ministère pour l'inhumation d'un corps, l'autorité civile, soit d'office, soit sur la réquisition de la famille, commettra un autre ministre du même culte pour remplir ces fonctions. Dans tous les cas l'autorité, civile est chargée de faire porter, présenter, déposer et inhumer le corps. » (Interruption.)

Vous avez cité l'empire et vous avez cité le règne du roi Guillaume, c'est à cela que je réponds. Je ne puis pas répondre à des arguments que vous ne présentez pas.

Vous dites que nous re respectons pas même ce que respectaient l'empire et le gouvernement néerlandais. (Interruption.)

L'honorable M. de Theux a commencé par nous reprocher d'arriver, par des arguments subtils, à porter à la liberté des restrictions qui n'existaient ni sous l'empire, ni sous le gouvernement du roi Guillaume ; et puis immédiatement il a passé aux inhumations. Je lui réponds que les inhumations sont régies par le décret du 25 prairial an XII et que ce décret avait toujours été exécuté d'une manière beaucoup plus rigoureuse qu'il ne l'a été par nous en Belgique. J'ai fait ensuite observer à l'honorable membre que la difficulté n'existe pas dans la question de savoir s'il y aura ou s'il n'y aura pas de compartiments dans les cimetières ; mais que la difficulté est de savoir quelle sera l'autorité qui décidera dans quel compartiment le corps sera inhumé. Vous prétendez que ce droit appartient exclusivement au clergé ; que le clergé doit décider d'une manière souveraine dans quel compartiment une personne décédée doit être inhumée.

Voilà où est le dissentiment, voilà la question qui nous sépare ; vous avez donc eu tort de nous attaquer et de citer l'empire et le gouvernement néerlandais.

L'honorable M. de Theux a passé ensuite aux aumônes ; il a dit que sous l'empire et sous le gouvernement du roi Guillaume, le clergé a toujours été autorisé à distribuer des aumônes en Belgique.

Messieurs, j'ai déjà eu l'occasion de citer différents décrets de l'empire et du roi Guillaume qui ont déclaré que de semblables dispositions étaient contraires à la loi.

Je sais qu'il y a une ou deux de ces autorisations.

Mais je sais que d'autres décrets et, si je ne me trompe, un décret pris sous l'empire, au sujet de la commune d'Anderlecht et un autre au sujet de Malines qui ont déclaré que cela était contraire à la loi ; on a décidé que les distributions devaient se faire par les bureaux de bienfaisance et on a interprété la loi comme nous le faisons.

Je crois me rappeler aussi qu'une circulaire du ministre des cultes ou de l'intérieur de France a déclaré comment il faut entendre le mot « aumône. » Cette signification n'est pas celle qu'admet l'honorable M. de Theux ; en effet, il ne s'agit, dans le décret de 1809, que des aumônes pour l'église et non pas des aumônes pour les pauvres.

L'honorable M. de Theux a dit que, dans les pays voisins, on se montre beaucoup plus large tant sous le rapport de congrégations enseignantes que sous le rapport des associations religieuses. Mais il y a pour cela une raison très simple, et cette raison, je m'étonne qu'elle ait échappé à l'honorable M. de Theux.

Dans un pays, on ne peut jamais juger d'un système d'une manière isolée ; quand on veut juger d'une loi, il faut prendre l'ensemble des institutions ; c'est quand on se rend bien compte de l'ensemble des institutions qu'on voit par quelle raison on peut faire telles choses dans un pays plutôt que dans tel autre. Ainsi, en France, où n'existe ni la liberté d'enseignement, ni la liberté des associations, il y a certaines choses qu'on peut tolérer et qu'on ne peut pas accepter dans notre pays.

La raison en est bien simple : c'est que chez nous la liberté d'enseignement et la liberté d'association existant d'une manière absolue, il y aurait dans la personnification civile des abus contre lesquels vous n'auriez pas de remède. En France, on peut y mettre fin, quand on veut ; la liberté d'association n'existant pas dans ce pays, on peut y faire disparaître immédiatement l'association elle-même.

De même avec la liberté d'enseignement, vous pouvez ne pas avoir certaines garanties ; mais en France, où n'existe pas cette liberté, le gouvernement, s'il se commet dans une école privée un fait qui ne lui convienne pas, rentre dans les règles de son système universitaire et supprime l'école privée.

Ainsi, je pose en fait que le projet de loi de 1857 sur la charité dans un pays où n'existe ni la liberté d'association, ni la liberté d'enseignement, n'aurait pas les inconvénients qu'il aurait en Belgique. (Interruption.)

Vous avez en Belgique le droit de créer des écoles, de faire la charité, de vous constituer en association contemplative ; le gouvernement n'a rien à y voir. Mais vous voulez plus que cela ; ce que vous voulez toujours c'est le privilège de la personnification civile.

C'est tellement vrai, que je vous défie de citer un seul acte de culte, qu'il s'agisse d'une association, comme simple association, ou d'un enseignement, comme liberté d'enseignement, où le gouvernement ait apporté la moindre entrave à l'exercice de nos libertés constitutionnelles.

Toutes nos difficultés naissent de ce que vous prétendez toujours arriver à la personnification civile, c'est à dire matérialiser nos libertés, si je puis m'exprimer ainsi ; et de ce que nous croyons devoir résister à ces tendances. En réalité, nos luttes n'existent donc pas sur le terrain sonstitutionnel ; la Constitution est religieusement respectée par nous ; mais nous luttons contre vos prétentions ; vous ne vous contentez pas du droit que la Constitution accorde à tous ; mais vous cherchez à créer des personnes civiles ; ce qui est un privilège. Voilà la vérité !

Messieurs, j'ai quelques mots à répondre maintenant à l'honorable M. Thibaut.

L'honorable membre soutient toujours qu'en vertu de la Constitution, tous les citoyens ont le droit de fondation, et il continue à confondre les personnes civiles avec les personnes naturelles. J'ai démontré, je crois, de la manière la plus évidente que la Constitution ne s'occupe pas du droit de fondation ; elle ne s'en occupe pas, parce que la fondation n'est pas un acte du culte. (Interruption.)

Si c'est un contrat, comme vous dites, vous devez bien admettre que la Constitution n'a rien statué à cet égard.

La Constitution règle les droits politiques des citoyens, elle définit les pouvoirs et les rapports qui existent entre eux, mais elle ne s'occupe pas des contrats, des conventions des particuliers.

Vous avez donc tort d'invoquer la Constitution pour prouver que, par cela seul qu'elle proclame la liberté des cultes, il en résulte pour les citoyens le droit de créer des fondations : le droit de fondation ne réside pas dans la Constitution ; il faut le chercher ailleurs, il faut le chercher en ce qui concerne les fabriques, dans les articles organiques du concordat et dans le décret de 1809.

Je dois, messieurs, répéter ici une observation que j'ai déjà fait valoir : les attributions d'une personne civile sont déterminées, fixées par la loi de son institution.

Il y a cette différence entre une personne naturelle et une personne civile, que la personne naturelle a tous les droits qui ne lui sont pas déniés ; tandis que les droits de la personne civile sont circonscrits très étroitement dans les limites que la loi a fixées. Et c'est parce que la personne civile constitue une exception, parce qu'elle jouit d'un privilège, que vous ne pouvez jamais étendre ses droits.

(page 539) Quelles sont donc les attributions d'un conseil de fabrique ? Elles ne peuvent évidemment comprendre que les actes qui étaient permis au moment où l'on a institué les fabriques ; on ne peut pas prétendre que les fabriques aient eu qualité pour recevoir des donations pour les missions ; que le législateur ait voulu leur donner cette qualité, précisément pour un acte qu'il avait lui-même proscrit.

Cela me paraît d'une clarté évidente. Il ne me semble pas qu'on puisse prétendre que le législateur en accordant une certaine capacité aux fabriques, ait entendu y comprendre des cérémonies qu'il venait de proscrire.

C'eût été déclarer un fait délictueux et procurer en même temps des moyens légaux de le commettre. Cela n'est «évidemment pas admissible.

Pouvez-vous maintenant soutenir que la personne civile qui lors de son institution (et c'est là le point sur lequel je suis en dissentiment avec l'honorable M. Thibaut), pouvez-vous soutenir que la personne civile qui lors de son institution n'avait pas de capacité, a pu s'en donner une sans que le législateur soit intervenu ?

Encore une fois, cela n'est pas admissible. La personne civile n'ayant d'autres droits que ceux que la loi lui attribue, ses droits ne peuvent être étendus qu'en vertu d'une loi nouvelle ; si l'on veut ultérieurement que les fabriques aient capacité pour recevoir des fondations pour des missions ou pour n'importe quel objet du culte, il faudra faire une loi pour la leur donner. Voilà, je le répète, ce que je crois incontestable.

Et, messieurs, dans la réalité qu'est-ce que le décret de 1809 et le concordat ont réglé en ce qui concerne le culte ? Ils ont réglé tout ce qui a rapport au culte paroissial. Notre constitution a proclamé la liberté des cultes, mais elle a laissé complètement dans le domaine de la liberté différentes autres cérémonies étrangères au culte paroissial ; mais en décrétant la liberté des cultes la Constitution n'a pas eu pour effet d'étendre en même temps le décret de 1809.

II faudrait, pour qu'il en fût ainsi, qu'elle se fût occupée des fondations. Or vous ne pouvez pas soutenir que la Constitution, en proclamant la liberté des cultes, se soit occupée des fondations, qui ne sont pas un acte du culte.

Je maintiens donc que l'arrêté qui a été pris et qui n'a fait que confirmer la décision de la députation permanente du Luxembourg, est également en tous points conforme aux vrais principes du droit. Les missions sont permises ; elles sont dans le domaine de la liberté ; mais, en ce qui concerne les fondations pour cet objet le décret de 1809 ne donne aucune qualité aux fabriques pour les recevoir. Ce décret a prévu certaines dépenses pour des prédicateurs, mais ce n'est pas la même chose.

On a cité un auteur ; cet auteur a parfaitement distingué entre une mission et une prédication qui a lieu à certains jours à l'occasion de certaines cérémonies du culte.

Par cela même qu'en 1809 on a prévu certains frais pour des prédicateurs, on a indiqué en quelque sorte virtuellement qu'il ne s'agissait pas des missions, qui venaient d'être défendues ; et l'honorable M. Thibaut, s'il avait voulu ouvrir le même livre au mot « missions », y aurait trouvé la distinction que je fais, il y aurait vu quelle était la législation française sous l'empire, sous la restauration, sous le règne de Louis-Philippe et ce qu'elle est encore aujourd'hui.

Cet examen lui aurait permis de saisir la différence qu'on a toujours faite entre la fondation pour une mission et une fondation pour les frais de certaines prédications dont s'occupe le décret de 1809.

J'attendrais, messieurs, que l'incident sur l'affaire de Mont soit clos pour répondre aux divers orateurs qui se sont occupés plus spécialement du chiffre du budget.

J'aurai, sous ce rapport, à présenter quelques observations qu'il me paraît utile de ne point mêler à ce débat.


M. le président. - M. le ministre des travaux publics vient de m'annoncer par dépêche d'aujourd'hui qu'il a quelques amendements à présenter à son budget de 1863 pour l'établissement d'un service complet de nuit pour le transport des marchandises par chemin de fer.

M. le ministre pense qu'on pourrait renvoyer ces amendements à la section centrale qui a examiné son budget.

- Plusieurs voix. - Oui ! Oui !

- Ces amendements seront imprimés, distribués et renvoyés à la section centrale du budget des travaux publics.


M. Guillery. - Je m'attendais, je l'avoue, à un débat plus grave au sujet du budget de la justice : des bruits avaient circulé qui nous annonçaient une véritable levée de boucliers de la part de la droite, un grand combat, une lutte comme il s'en produit d'ordinaire chaque année dans les assemblées législatives ; lutte dans laquelle la droite se proposait de faire le procès aux doctrines libérales afin de montrer aux électeurs, à la veille du renouvellement du mandat de la moitié de cette Chambre, où sont leurs véritables amis, où sont les défenseurs de la liberté.

Grand donc a été mon étonnement de voir, d'abord retarder la discussion jusqu'à l'article « Cultes », ensuite se produire dans cette enceinte, des accusations très graves, il est vrai ; très générales, il est vrai, puisqu'elles s'attaquent à tout le parti libéral.

Mais, si les accusations sont graves, si les mots sont très lourds, il faut avouer que les arguments invoqués à l'appui sont excessivement légers.

Ainsi, le premier orateur qui a porté la parole ne voyant pas d'accusation assez importante à diriger contre la conduite, soit du gouvernement, soit de la majorité elle-même, a été obligé, en définitive, de donner comme base à ses accusations, à son discours, un ouvrage que nous ne sommes pas obligés de connaître, qui n'émane pas même d'un membre de cette Chambre et c'est là, messieurs, que se trouve jusqu'à présent, la seule accusation importante, le seul objet de discussion qui ait été soulevé du côté opposé à celui où j'ai l'honneur de siéger. On nous a dit : Acceptez ou repoussez un ouvrage que je vais vous lire ; je viens de faire sa connaissance il n'y a pas longtemps, je ne veux pas vous en priver ; je somme le gouvernement, et chacun des membres de la gauche de s'expliquer sur chacune des doctrines que je vais en extraire, et l'honorable orateur de la droite nous a soumis à un examen se constituant à la fois jury central et jury combiné.

Nous sommes bien heureux qu'il n'ait pas poussé plus loin ses questions, car il n'y avait pas de raison pour ne pas passer en revue tout l'ouvrage qui est très volumineux, et ne pas nous interroger sur toutes les questions qui y sont traitées.

Si l'auteur de ce remarquable ouvrage, que j'admire sans en partager toutes les opinions, avait une autorité quelconque qui nous obligeât de nous rallier à ce qu'il dit, qu'il eût mission de fixer la doctrine que nous professons, que nous dussions lui obéir, écouter ce qu'il dit, je comprendrais qu'on nous rendît responsables de ses écrits ; mais jusqu'à présent, l'auteur de cet ouvrage n'a pas prétendu à l'infaillibilité, n'a pas voulu guider, gouverner qui que ce soit, autrement que par la persuasion.

Si nous disions, nous :

Nous ouvrons, non pas un ouvrage quelconque, mais un ouvrage destiné à guider, éclairer, améliorer, moraliser une catégorie de citoyens, émané, non pas d'un fonctionnaire agissant comme particulier, car le professeur quand il est descendu de sa chaire n'est plus qu'un simple particulier, il est un simple particulier quand il écrit ; si nous disions : L'auteur de cet ouvrage n'est pas un fonctionnaire public, mais jouit d'une autorité plus grande que la plupart des fonctionnaires publics ; d'une autorité que vous êtes les premiers à vouloir augmenter ; témoin la loi de 18-2 qui vous présente cependant assez de garantie et que vous voulez augmenter encore et que vous nous accusez de fausser, si nous disions : Voici des mandements ; qu'en pensez-vous ?

Voici un mandement où on n'emploie pas des arguments plus ou moins spécieux, mais où l'on recourt à l'injure ; on appelle les membres du gouvernement, des hommes sans religion et sans foi qui ont usé de violence, contre la liberté des cultes ; d'autres citoyens sont accusés d'être des brutes, des délégués de Satan, des suppôts de l'enfer. Aurions-nous le droit de vous rendre responsables d'un pareil langage, de vous demander si vous approuvez les calomnies, si heureusement encadrées dans ces injures, contre des hommes honorables qui ont rempli un mandat sacré.

On les accuse d'avoir commis une infamie, d'avoir empêché la manifestation, l'expression des sentiments que la nature inspire à tout homme dans un moment suprême.

Si nous ajoutions : Soit, un mandement d'évêque n'est pas précisément parole d'évangile, mais l'encyclique de Grégoire XVI ? Au nom de qui, à qui le pape parlait-il, la doctrine qu'il émettait à qui était-elle imposée ? On lui conteste beaucoup son pouvoir temporel, mais son pouvoir spirituel le restreignez-vous ? S'étend-il jusqu'à définir jusqu'où peut aller la liberté de conscience, où elle doit s'arrêter ? Voilà ce que moi, ignorant, mais fils soumis de l'Eglise, je trouve dans l'encyclique de Grégoire XVI. C'était en 1832, notre Constitution venait d'être promulguée ; et elle avait fait assez de bruit dans le monde et surtout à Rome. Eh bien, voici ce qu'en dit Grégoire XVI :

« De cette source infecte de l'indifférentisme découle cette maxime absurde et erronée ou plutôt ce délire qu'il faut assurer et garantir à qui que ce soit la liberté de conscience.

(page 540) « On prépare la voie à cette pernicieuse erreur par la liberté d'opinion pleine et sans bornes qui se répand au loin pour le malheur de la société religieuse et civile, quelques-uns répétant avec une extrême indulgence qu'il en résulte quelque avantage pour la religion. Mais, disait saint Augustin, qui peut mieux donner la mort à l'âme que la liberté de l'erreur ? »

Voilà l'opinion, non d'un auteur dont personne n'est responsable, mais de l'encyclique.

S'il n'y a pas la liberté de l'erreur, il n'y a pas de liberté de conscience. Voici comment se termine la citation que je veux faire :

« Là se rapporte cette liberté funeste, et dont on ne peut avoir assez d(horreur, la liberté de la librairie, pour publier quelque écrit que ce soit, liberté que quelques-uns osent solliciter et étendre avec tant de bruit et d'ardeur. »

Ainsi la liberté de penser, la liberté de la presse, voilà les choses que condamne la cour de Rome.

La liberté de la presse, autrement dit la liberté de la librairie, c'est cette liberté funeste dont on ne peut avoir assez d'horreur.

Nous ne vous accusons pas, nous ne venons pas vous dire : Vous êtes de trop bons catholiques pour ne pas vous empresser de mettre la main à l'œuvre afin de chercher à détruire la liberté de conscience, la liberté de la presse ; nous sommes parfaitement convaincus que vous êtes disposés à défendre, comme nous, la liberté de conscience, la liberté des cultes et la liberté de la presse.

De quel droit voulez-vous que nous soyons responsables d'un écrit qui ne jouit d'aucune autorité officielle et légale parmi nous ? Si nous étions méchants, nous pourrions vous tourmenter beaucoup ; nous ne le feront pas.

Voilà ce que je voulais répondre à la citation de l'honorable M. Thibaut.

L'honorable comte de Theux a trouvé des griefs d'une autre nature ; il a vu dans la conduite du libéralisme, dans ces derniers temps, des erreurs tellement grandes, des erreurs tellement déplorables que la situation est trop tendue pour durer encore longtemps. Le monde va finir.

A quoi faisait-il allusion quand il s'exprimait ainsi ? A la question des fondations, à celle de l'enseignement primaire. Nous allons discuter bientôt la première de ces questions. Elle a, du reste, été traitée à fond et par M. le ministre et par l'honorable M. Pirmez.

Je me bornerai à dire que je serai toujours d'avis de faire, en cette matière, toutes les concessions qui seront compatibles avec l’ordre public qui seront, pour mieux m'exprimer, compatibles avec la liberté.

Je défendrai la liberté en matière de fondations comme en toute autre ; mais lorsque je verrai que, sous prétexte de défendre la liberté, vous opprimez la liberté ; que, sous couleur de vouloir le bien, vous compromettez le bien, je crois que l'intervention de l'Etat est nécessaire ; elle est nécessaire pour contrôler non pas d'une manière apparente, mais d'une manière efficace.

Il ne me suffit pas d'une promesse de contrôle, car nous connaissons beaucoup de corporations et de personnes civiles en Belgique qui doivent rendre des comptes, mais qui ne les rendent pas. Nous sommes dès lors défiants, dès que nous ne voyons pas de sanction à cette obligation.

Mais si nous n'opprimons pas la religion en proscrivant les fondations sans contrôle, nous l'opprimons, du moins, d'après l'honorable chef de la droite, dans l'exécution de la loi de 1842.

Ce n'est pas la première fois que. se produit cette accusation qui me confond chaque fois que je l'entends ; c'est l'application de la loi de 1842 qui vient compromettre la liberté des cultes !

La loi de 1842 elle-même est la plus large, la plus grande concession que l'on ait pu faire au clergé.

C'est une loi qui revenant sur cette admirable séparation de l'Eglise et de l'Etat, que, quant à moi, je désire voir maintenir avec toutes les libertés possibles pour l'Eglise, je ne saurais trop le répéter, c'est une loi qui a ramené l'Eglise dans l'Etat ; qui a donné au clergé une partie du pouvoir exécutif et qui par conséquent est revenue sur cette démarcation, sur cette grande séparation qui est une des garanties de nos libertés.

On a donné au clergé le droit d'intervenir à titre d'autorité, le droit de vouloir et de ne pas vouloir.

Eh bien, c'est là une condition que je déplore, et si je n'étais certain que la proposition ne trouverait pas une majorité suffisante, il y a longtemps que je vous en avait demandé le rappel.

La droite a donc mauvaise grâce de se plaindre de la loi de 1842.

Quoi qu'il en soit, si l'on exécutait déloyalement cette loi, il faudrait faire droit à des réclamations légitimes.

Mais en quoi consistent les griefs imputés au gouvernement ? C'est que l'on ne favorise pas assez les établissements libres et que l'on favorise davantage les établissements communaux.

Eh bien, messieurs, la loi de 1842 dit que l'enseignement est communal, que dans toutes les communes il doit y avoir une école. Vous avez sans doute contribué à faire cette loi, vous étiez majorité en 1842, vous pouvez donc bien aussi en accepter un peu la responsabilité.

Maintenant, si sous couleur de fonder des écoles adoptées, vous venez dire à l'Etat : Voici une école qui vous convient, on a le droit de vous répondre ce que l'on a répondu dans différentes circonstances. Vous demandez plus de sacrifices pour une école adoptée qu'il n'en faut pour une école communale. Nous préférons voir une école instituée sur des bases larges, où toutes les opinions, toutes les sectes, toutes les doctrines puissent se rencontrer, à une école où il n'y a qu'une doctrine exclusive.

Voilà la différence qu'il y a entre votre système et le nôtre.

Nous ne demandons pas, nous, des écoles d'où les catholiques soient proscrits. Nous ne demandons pas qu'une restriction quelconque soit apportée à l'enseignement religieux. Nous demandons seulement que l'école soit accessible à tout le monde, que tous les cultes y soient admis et que les enfants puissent recevoir des ministres du culte l'enseignement religieux selon la volonté des pères de famille.

Mais vous voulez, vous, que sous prétexte de liberté, il y ait dans les communes des écoles exclusivement catholiques subsidiées par la commune et empêcher ainsi la création d'écoles communales, de manière que l'enseignement vienne tout entier dans vos mains.

Voilà, messieurs, tout le grief des écoles adoptées.

Il y a, messieurs, une immense différence entre l'enseignement donné pour tout le monde et l'enseignement donné au nom de certaines opinions. C'est que l'enseignement catholique, car il faut dire catholique là où la droite dit liberté d'enseignement, consiste dans des doctrines exclusives.

Nous venons de le voir. Car je suppose que l'encyclique et les mandements font partie de l'enseignement catholique ; on y enseigne la haine de doctrines qui, cependant, doivent être respectées dans notre pays ; on n'y voit la liberté que d'un seul côté.

On y fera bien des vœux pour l'affranchissement de la Pologne, vœux qui sont dans nos cœurs aussi ; on y fera des vœux pour que ce peuple généreux parvienne à secouer le joug de l'étranger et à reconquérir cette liberté dont il est si digne ; mais lorsqu'il s'agira de l'Italie qui, au lieu de chercher à renverser un gouvernement hérétique, s'insurge contre le gouvernement autrichien, l'amour de la liberté des peuples, l'horreur de l'oppression disparaîtront de chez vous.

Voilà la différence entre les doctrines véritablement libérales et celles qui ne sont invoquées que dans l'intérêt d'une seule opinion, d'une seule secte.

Il faut avouer, messieurs, que dans l'accusation qui a été lancée aujourd'hui à la majorité et au ministère, s'il y a beaucoup d'exagération, il y a aussi des motifs bien futiles et je prévois même que le gouvernement va se trouver dans une singulière position. Car si à droite on lui reproche de la partialité dans la collation des emplois, de ce côté-ci on est bien prêt à lui reprocher une étrange faiblesse dans les concessions qu'il a faites à la droite.

Nous sommes disposés à dire à nos amis qui sont au ministère : Dans la nomination des bourgmestres de tel ou tel arrondissement que je pourrais citer, vous avez choisi des bourgmestres catholiques alors qu'il vous était très facile de nommer dans le sein du conseil des bourgmestres libéraux. Dans des arrondissements où il y a lutte électorale, vous avez conservé des commissaires d'arrondissement catholiques alors que, d'après les saines doctrines constitutionnelles, vous devriez avoir des libéraux, des hommes qui défendent vos opinions.

Quant à l'accusation de porter atteinte à la liberté des cultes, accusation qui devait nécessairement venir, puisque nous sommes au chapitre VIII, cultes, elle est appuyée sur l'accusation de vouloir faire des ministres du cube des fonctionnaires publics.

Je ne sais où l'honorable M. de Theux a vu développer cette doctrine, mais il a cru devoir nous l'imputer pour avoir à la combattre. J'ajoute que je ne sais pas où elle a été développée, à moins que ce ne soit dans un ouvrage que l'on a rencontré la nuit au coin d'un bois et que l'on s'empresse de venir déposer ici comme pièce à conviction.

Non seulement nous ne voulons pas attaquer la liberté des cultes, mais nous sommes disposés à la défendre comme nous sommes disposés à défendre la liberté du clergé à l'égal des autres, sans admettre pourtant, (page 541) comme l'honorable chef de la droite, que le culte et ses ministres ont toujours été une barrière contre les entreprises du despotisme.

Non, dans certains cas, lorsque les gouvernements ne sont pas assez catholiques, les ministres, les écrivains catholiques font partie de l'opposition et s'entendent même parfaitement à démolir les gouvernements ; mais lorsqu'ils ont quelque espoir de trouver un appui, oh ! alors on ne trouve pas de plus fervents admirateurs du pouvoir que les catholiques.

Le coup d'Etat trouve des ministres très complaisants et de grands aumôniers à sa disposition lorsqu'il veut opprimer la liberté.

Partout où vous avez été les maîtres, la même doctrine s'est reproduite, et il ne faut pas aller pour cela bien loin dans l'histoire. Il suffit de parler de l'année 1863 pour voir des pays où les principes de la droite dominent sans partage et où règne un Code pénal contenant un article bien plus cruel que les articles signalés dans le nôtre, condamnant aux galères tout individu qui change de religion. (Interruption.) C'est, messieurs, le nouveau code espagnol, et ce code pénal a été appliqué l'année dernière a des Espagnols qui ont changé de religion. Ils sont condamnés à deux années de galères, incapables d'exercer à l'avenir aucun emploi public, privés de leurs droits civils. (Nouvelles interruptions.)

J'aurai l'honneur d'apporter demain le code pénal espagnol. L'exemplaire que j'ai eu en ma possession est imprimé à Barcelone, il y a quelques années.

- Plusieurs membres. - Et en Suède ?

M. Guillery. - Je n'ai pas le Code pénal suédois, mais s'il contient des dispositions pareilles, je les blâme également.

Certainement l'Espagne est un pays qu'on peut vous opposer. Le catholicisme a fait l'Espagne. Il peut dire qu'il l'a formée avec amour. Le catholicisme a pris l'Espagne lorsqu'elle était le plus grand peuple du monde. On n'a été gêné en quoi que ce soit pour développer les doctrines catholiques. Il n'y a pas eu là de liberté de la presse, de liberté des cultes, de source infecte d'indifférentisme. Tout a été pur. L'éducation a été catholique, religieuse depuis la naissance de l'enfant jusqu'à sa mort. Et cependant voilà les principes qui, en 1863, trouvent encore place dans la législation de l'Espagne.

Si donc je dois reconnaître que dans beaucoup de pays le catholicisme est révolutionnaire, qu'il a fait même des révolutions d'une manière très distinguée, je me défie un peu des catholiques, lorsqu'ils sont les maîtres, parce que là où je les ai vus les maîtres, je les ai vus les complices des tyrans.

Je m'effraye donc, lorsqu'on me parle du retour au pouvoir des doctrines catholiques. Je m'effraye toujours un peu, lorsque je vois un développement trop grand donné à un enseignement basé sur l'encyclique et sur les mandements.

Je m'effraye un peu, lorsque je vois trop de développements donnés à des idées qui, si on les laissait prospérer, seraient en définitive incompatibles avec notre Constitution. Mais je me console, lorsque je vois le pays éclairé, lorsque je le vois appréciant les doctrines de ceux auxquels il veut confier le pouvoir. Car les doctrines libérales, quelles qu'elles puissent être, ne sont jamais un obstacle au progrès. On peut discuter, on peut combattre, on peut améliorer ; mais il n'y a rien là qui, comme dans les doctrines catholiques, soit exclusif du progrès de la liberté.

Je me console en pensant que le pays éclairé maintiendra longtemps encore les doctrines qu'il a appelées au pouvoir et que cette belle loi des fondations de 1857 et le vote à la commune qui devait en être la glorieuse conséquence, ne sont pas près de nous être présentés de nouveau.

M. le président. - Quelqu'un demande-t-il encore la parole ?

M. B. Dumortier. - Je voudrais parler. Mais il est l'heure à laquelle on se sépare ordinairement ; je demande la remise à demain.

- Plusieurs membres. - Non ! non ! parlez.

M. B. Dumortier. - Il est possible que j'aie à parler pendant une heure, et je désire ne pas scinder mon discours. Je demande formellement la remise à demain.

- La remise à demain est mise aux voix ; elle n'est pas admise.

M. le président. - M. Dumortier, veuillez prendre la parole.

M. B. Dumortier. - Il m'est impossible de parler aujourd'hui. Je cède la parole à l'honorable M. Nothomb.

(page 577) M. Nothomb. - Messieurs, mon nom a été cité plusieurs fois dans cette discussion. L'honorable m. Pirmez, dans la séance de vendredi m’a interpellé à deux reprises différentes et m'a demandé ce que je pensais sur ce que l'on est convenu d'appeler le droit de fonder. Tout à l'heure M. le ministre de la justice a soulevé la même question. Et comme il a paru me prêter des opinions que je n'ai pas, comme il a paru croire que je plaçais exclusivement le droit de fonder dans la Constitution, je l'ai interrompu.

M. le ministre de la justice (M. Tesch) - Je n'ai pas dit un mot de cela.

M. Nothomb. - Laissez-moi m'expliquer.

Vous me reprochez de vouloir induire la faculté de faire des fondations de la Constitution seule.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - A M. Thibaut et pas à d'autres.

M. Nothomb. - Pardon ! Vous vous êtes adressé à nous tous et nous rendez solidaires d'une opinion qu'en ce moment je ne discute pas encore. Je constate un fait, et je vous ai interrompu pour vous dire que pour ma part je ne puise pas le droit de fonder dans la Constitution. Je l'ai assez prouvé par mes actes, par mes paroles, et surtout par l'exposé des motifs de la loi de 1857 sur les fondations de bienfaisance.

C'est une question très grave, sur laquelle je désire m'expliquer à mon aise, et rencontrer les observations de l'honorable M. Pirmez et de M. le ministre de la justice. C'est pourquoi j'ai appuyé le renvoi à demain. Je la demandais d'autant plus que j'ai entendu M. le ministre émettre presque incidemment une singulière opinion que je veux examiner de près et contre laquelle maintenant je fais mes réserves.

Il a dit que dans un pays comme la Belgique, où règne une extrême liberté, il fallait que le pouvoir fût armé contre les abus.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je n'ai pas dit cela. Je demande la parole.

M. Nothomb. - C'est au moins le sens ; nous l'avons tous compris ainsi ; vous avez expliqué l’intervention de l'autorité dans les corporations morales en disant que plus elles ont de liberté, plus aussi il faut que la main de l'Etat puisse se faire senir. Vous avez cité la France, et vous ajoutiez que là cette intervention n'est pas aussi nécessaire, attendu que le gouvernement pouvait supprimer à son gré la liberté d'enseignement comme celle d'association.

Si je saisis bien cette doctrine, la portée en serait forte ; elle impliquerait ni plus ni moins que le droit de l'Etat d'intervenir, à titre préventif, dans l'administration des personnalités civiles. C'est une forme de la censure. Nous devons vivement repousser de pareilles tendances qu'il faut laisser aux gouvernements défiants et jaloux de la liberté. Elles ne sont pas de mise chez nous. Je demande, messieurs, à pouvoir réfléchir sur cette théorie de M. le minisire de la justice et à y répondre demain.

En attendant et pour remplir la séance, j'aborde un autre sujet : Dans la séance de samedi l'honorable ministre nous a dit que dans notre régime il n'y a que le culte catholique et le culte protestant qui jouissent de la personnification civile. Il en a exclu le culte israélite et le culte anglican. Je prétends que c'est une erreur. Je tiens que le culte israélite, au moins, possède la personnification civile au même titre que le culte catholique et le culte protestant.

Le culte israélite a été organisé en France par une série de dispositions qui commencent en 1806 et qui finissent aux dernières années du règne de Louis-Philippe.

Dès 1806 l'empereur Napoléon Ier a homologué et approuvé une délibération de la grande assemblée des juifs ; dès 1808, il a reconnu les consistoires et, par un décret du mois de juin 1o08, je crois, je cite de mémoire et puis me tromper, il a ordonné l'érection de 13 synagogues et d'un consistoire attaché à chacune d'elles. N'est-ce pas là, messieurs, reconnaître le culte israélite ?

Décréter qu'il y aura des synagogues, ordonner qu'il y aura des consistoires, c'est dire qu'il y a là un corps moral qui doit être investi de tous les caractères de la personne civile.

Ces décrets de l'empire sont communs à la Belgique, puisque à l'époque où ils ont été rendus nous faisions partie de l'empire français.

Y a-t-il rien dans la Constitution de 1830 qui puisse modifier cet état de choses ? Mais tout au contraire, l'esprit de la Constitution favorise l'interprétation que je donne aux décrets de l'empire. La Constitution, en proclamant la liberté des cultes, a, par cela seul, reconnu à chacun d'eux implicitement une plus grande somme de droits et de prérogatives.

J'ai voulu m'assurer quel a été, depuis 1830, le système suivi dans la pratique administrative, et j'ai trouvé plusieurs arrêtés royaux qui admettent incontestablement que le culte israélite jouit de la personnification, civile. Je vous en citerai quelques-uns.

Il y a d'abord un arrêté du 21 mai 1833, qui alloue provisoirement un traitement à deux ministres israélites à Bruxelles ; un autre du 29 janvier 1834, qui accorde un subside au consistoire central de la même ville pour l'entretien de synagogues.

Cela me paraît clair. Comment accorder un subside au consistoire central pour l'entretien de la synagogue, si vous n'admettez pas qu'il représente la communauté comme personne civile ? (Interruption.)

Mais, messieurs, qu'est-ce qu'un consistoire ? C'est comme la fabrique en ce qui concerne le culte catholique.

Je trouve encore un arrêté de 1834 qui accorde une somme au consistoire de Bruxelles, pour être répartie à titre d'indemnité entre les ministres de la synagogue de Bruxelles.

Enfin voici un arrêté du 19 juin 1833, je prie mes honorables interrupteurs de bien écouter, qui autorise le consistoire israélite de Bruxelles à faire l'acquisition d'une salle, dite des Beaux-arts, située en cette ville, à l'effet de la convertir en synagogue.

Il est impossible d'établir d'une manière plus formelle que le culte israélite jouit de la personnification civile.

En ce qui concerne le culte anglican, je reconnais que les décrets de l'empire ne s'expliquent pas ; toutefois, j'ai rencontré un arrêté récent contresignée par l'honorable ministre de la justice, au mois de mars 1862, qui accorde un subside, pour frais du culte, à chacune des deux communautés anglicanes de Bruxelles.

On les considère donc comme des corporations. (Interruption.) Je ne comprendrais pas comment vous pourriez donner un subside à une communauté, je dis communauté, remarquez-le bien, sans lui reconnaître le caractère de personne civile. (Nouvelle interruption.)

Dans tous les cas, pour le culte israélite, il ne peut pas y avoir le moindre doute ; c'est bien à tort, par une fausse interprétation des lois, qu'on lui contesterait la personnalité civile dont il est investi au même titre que les autres cultes reconnus chez nous.

L'heure de la séance étant trop avancée pour que je puisse terminer aujourd'hui, je vous prie de me laisser reprendre demain.

(page 541) M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, l'honorable M. Nothomb m'a prêté un langage que je n'ai pas tenu. Je n'ai nullement dit que dans un pays où la liberté est large, le gouvernement doit être armé contre la liberté.

Voici la pensée que j'ai exprimée : c'est que dans un pays où existent la liberté d'association et la liberté d'enseignement, les abus de la personnification civile sont beaucoup plus à craindre et plus difficiles à réprimer que dans un pays où ces deux libertés n'existent pas ; et la raison en est bien simple : C'est que dans le premier de ces deux pays on peut, en cas d'abus, faire disparaître l'association et l'enseignement, ce qui ne serait pas possible dans l'autre. Voilà ce que j'ai dit, et pas le moins du monde ce que m'a attribué l'honorable membre.

Je désire, alors même que les expressions dont je me suis servi n’auraient pas rendu ma pensée d'une manière tout à fait complète, je désire qu'on ne leur donne pas un autre sens que celui que je leur donne moi-même. Je proteste formellement contre toute autre interprétation.

- La suite de la discussion est remise à demain.


M. le président. - Je viens de recevoir une dépêche qui m'apprend que les obsèques de M. Van Bockel auront lieu jeudi 12 mars, à 3 heures.

- Pris pour notification.

La séance est levée à 5 heures.