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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 4 mars 1863

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1862-1863)

(page 485) Présidence de (M. E. Vandenpeereboom, premier vice-président.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Moor, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le conseil communal de Saffelaere prie la Chambre de voter le crédit nécessaire pour mettre le Zuidleede et le Saffelaers-Vaerdeken dans leur précédent état de navigabilité. »

M. Van de Woestyne. - Je propose à la Chambre le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics.

- Adopté.


« Les conseils communaux d'Exaerde et de Sinay prient la Chambre de voter un crédit pour la construction, sur le Moervaert, d'un pont entre Exaerde et Sinay, à l'endroit dit : le nouveau quai. »

M. Van Overloop. -Je propose à la Chambre de déposer cette pétition sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics.

- Adopté.


« Le sieur Caron demande que les traitements des secrétaires du parquet soient portés au taux de ceux des commis greffiers attachés aux tribunaux de première instance. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la justice.

Composition des bureaux de sections

Les sections de mars se sont constituées comme suit :

Première section

Président : M. le Bailly de Tilleghem

Vice-président : M. Vanden Branden de Reeth

Secrétaire : M. de Paul

Rapporteur de pétitions : M. Vander Donckt


Deuxième section

Président : M. Van Leempoel

Vice-président : M. Ch. Lebeau

Secrétaire : M. Bara

Rapporteur de pétitions : M. Frison


Troisième section

Président : M. M. Jouret

Vice-président : M. Laubry

Secrétaire : M. de Florisone

Rapporteur de pétitions : M. Landeloos


Quatrième section

Président : M. de Ruddere de te Lokeren

Vice-président : M. Magherman

Secrétaire : M. Tack

Rapporteur de pétitions : M. Julliot


Cinquième section

Président : M. de Renesse

Vice-président : M. Orban

Secrétaire : M. Notelteirs

Rapporteur de pétitions : M. Jamar


Sixième section

Président : M. de Bronckart

Vice-président : M. Allard

Secrétaire : M. Thienpont

Rapporteur de pétitions : M. Dechentinnes

Projet de loi relatif à diverses concessions de chemins de fer

Dépôt

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi relatif à diverses concessions de chemin de fer.

- Des membres en demandent la lecture.

M. de Moor donne lecture du projet de loi qui est ainsi conçu :

« Art. 1er. Le gouvernement est autorisé à concéder :

« A. 1° Un chemin de fer prenant son origine à la frontière française près Bouillon et aboutissant à la frontière de Prusse dans la direction de St-Vith, avec embranchement d'un point pris à proximité de Bastogne et aboutissant d'une part à la frontière du Grand-Duché de Luxembourg dans la direction de Wiltz, d'autre part, vers Hotton, soit à la ligne reprise ci-dessous sub. n°2, soit à la ligne de Marche à Liège, par la vallée de l'Ourthe ;

« 2° Un chemin de fer prenant son origine à la ligne de Namur vers Givet, au point de jonction à cette ligne, de celle de Marienbourg vers Dînant, et aboutissant, à ou près Vielsalm, au chemin ci-dessus décrit sub. n°1.

« 3° Un chemin de fer prenant son origine à celui de Bouillon vers Bastogne, et se raccordant au deuxième chemin énoncé ci-dessus, à ou près Rochefort ; ensemble aux clauses et conditions de la convention et du cahier des charges du 10 janvier 1863 ;

« B. Un chemin de fer partant de Landen, passant par IHnnut, Huy et la vallée du Hoyoux et se raccordant au chemin de Namur à Arlon, aux clauses et conditions de la convention et du cahier des charges du 15 janvier 1863 ;

« C. Un chemin de fer prenant son origine à Piéton sur la ligne de Beaume à Marchienne et se raccordant à celle de Manage à Wavre, entre la station de Manage et celle de Seneffe, avec embranchement vers la première de ces stations, aux clauses et conditions de la convention et du cahier des charges du 21 février 1863.

« D. 1° Un chemin de fer partant de Courtrai et aboutissant à Denderleeuw, en passant par Audenarde et Sottegem ;

« 2° Un chemin de fer partant de Grammont et aboutissant à Nieuport, en passant par Audenarde, Waereghem, Ingelmunster et Roulers, ensemble aux clauses et conditions de la convention et du cahier des charges du 28 février 1863.

« E. Un chemin de fer de Tournai à la frontière française, dans la direction de Lille, aux clauses et conditions de la convention du 6 février 1863.

« F. Un chemin de fer de Péruwelz à la frontière française dans la direction de Condé, aux clauses et conditions de la convention du 28 février 1863.

« Art. 2. Le gouvernement est autorisé à concéder aux clauses et conditions ordinaires :

« A. Un chemin de fer d'Anvers à la frontière du duché de Limbourg, devant se prolonger jusqu'à Düsseldorf.

« L'origine de cette ligne ne pourra être éventuellement fixée à Herenthals que sous la condition que l'allongement de parcours à résulter entre Herenthals et Anvers de l'admission de ce point de départ sera négligé dans l'application des tarifs.

« B. Un chemin de fer de Poperinghe à la frontière française, dans la direction de Hazebrouck ou d'un point intermédiaire entre cette ville et Dunkerque.

« Art. 3. Le gouvernement est autorisé à concéder à la société du chemin de fer Liégeois-Limbourgeois un chemin de fer de Beverst à Hasselt, avec embranchement au bassin de cette dernière ville, aux clauses et conditions du cahier des charges annexé à la convention du 7 juin 1862.

« Art. 4. La convention en date du 14 février 1863, portant modification, en ce qui concerne le tracé, de celle du 24 mai 1862, relative au chemin de fer de Hal à Ath et du cahier des charges y annexé, est approuvée.

« Art. 5. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »

Rapports de pétitions

M. Wasseige (pour une motion d’ordre). - J'ai regretté vivement d'être obligé, hier, d'avoir recours à un appel nominal pour faire constater que la Chambre ne se trouvait pas en nombre et obtenir ainsi 24 heures d'examen qui m'avaient été refusées par d'honorables collègues... (Interruption.) J'en demande pardon à mes collègues qui se trouvaient absents, mais je n'ai pas eu le choix des moyens.

- Plusieurs membres. - On ne peut pas parler entre deux épreuves.

M. Wasseige. - On m'a refusé toute remise, et cela pour un objet qui ne se trouvait à l'ordre du jour que par suite d'une interversion que je ne pouvais prévoir.

Maintenant que j'ai obtenu cet ajournement de 24 heures, je déclare retirer ma proposition d'hier.

M. le président. - La motion d'ajournement ne peut pas être retirée, et M. Wasseige n'eût peut-être pas même pu obtenir la parole si j'avais su qu'il se proposât de s'occuper de cet objet, attendu que l'on pourrait dire que l'article 24 du règlement défend de parler entre deux épreuves. Mais il n'est pas nécessaire d'invoquer ce motif, puisqu'il en existe un autre plus sérieux. En effet, le vote a été entamé ; il faut qu'il se termine. La clôture a été prononcée et le vote a été commencé ; le retrait de la proposition est tardif ; il faut que le vote, qui n'a pas abouti hier, soit purement et simplement repris aujourd'hui.

M. Wasseige. - Il n'y a pas eu d'épreuve hier ; le vote est non avenu par défaut d'une majorité suffisante pour lui donner une (page 486) existence. Voyez le Moniteur, il ne constate le vote d'aucun des membres présents.

M. le président. - Je ne puis pas vous l'accorder ; l'épreuve est restée hier sans résultat, mais il y a eu tuer un commencement d'épreuve et dès lors il faut que cette épreuve soit achevée, et, d'ailleurs, la clôture a été formellement prononcée. Si la Chambre ne partageait pas cette manière de voir, si ce que je viens d'exposer n'était pas fondé, le retrait de la motion par M. Wasseige ne lui servirait à rien, puisqu'un autre membre aurait le droit de la reprendre pour la soumettre à la décision de la Chambre.

M. Thibaut. - Ce n'a pas été une épreuve.

M. de Theux. - L'affaire a peu d'importance en elle-même ; cependant je crois devoir présenter une observation sur le sens véritable de l'article24 du règlement. Je ne pense pas que l'on puisse considérer comme épreuve le vote qui a eu lieu hier et qui n'a pas eu de résultat parce que la Chambre ne se trouvait plus en nombre. Dès lors le vote doit être considéré comme n'ayant pas été commencé et l'article 24 du règlement n'est pas applicable dans le cas actuel.

M. Allard. - L’appel nominal a été réclamé hier par M. Wasseige lui-même et il y a été procédé.

M. Muller. - Dans tous les cas, la discussion a été déclarée close et il ne doit plus être permis de la rouvrir.

M. le président. - Je vais faire procéder à l'appel nominal sur la motion d'ajournement faite par M. Wasseige.

- Il est procédé à cette opération.

En voici le résultat : 85 membres répondent à l'appel.

1 membre, M. Ch. Carlier, répond oui.

79 membres répondent non.

3 membres, MM. de Theux, Pirmez et Thibaut, s'abstiennent.

En conséquence la Chambre n'adopte pas.

Ont répondu non : MM. Beeckman, Braconier, Coomans, Coppens, Crombez, Cumont, Debaets, de Baillet-Latour, de Boe, de Breyne, de Bronckart, de Brouckere, de Florisone, de Haerne, de Lexhy, de Mérode, de Montpellier, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, de Paul, de Pitteurs-Hiegaerts, de Renesse, de Ridder, de Rongé, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, Devaux, d'Hoffschmidt, Dolez, H. Dumortier, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, C. Lebeau, Loos, Magherman, Moncheur, Moreau, Mouton, Muller, Notelteirs, Nothomb, Orban, Orts, Pirson, Rodenbach, Rogier, Royer de Behr, Sabatier, Snoy, Tack, Tesch, Thienpont, Vanden Branden de Reeth, A. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van de Woestyne, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Overloop, Van Volxem, Verwilghen, Wasseige, Allard, Ansiau et E. Vandenpeereboom.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.

M. de Theux. - J'ai fait connaître les motifs de mon abstention avant le vote.

M. Pirmez. - Je me suis abstenu, parce qu'il m'a paru que M. Wasseige pouvait retirer sa proposition.

M. Thibaut. - Je me suis abstenu, parce que je n'ai pas compris la signification du vote.

M. Wasseige. - Vous avez entendu par la lecture de la pétition du conseil provincial de Namur qu'il ne demande pas qu'on inscrive de nouvelles dépenses au budget de l'Etat, mais seulement que l'allocation qui y figure puisse être divisée de façon qu’une partie soit consacrée à l'entretien des chemins vicinaux de grande communication, l'autre partie restant employée à la construction de chemins nouveaux.

D'après la loi de 1841 l'entretien des chemins vicinaux est une charge communale, cela est écrit textuellement dans la loi, mais nulle part elle ne proscrit ni l'intervention de la province ni l'intervention de l'Etat ; bien au contraire elle prévoit c'est catégoriquement l'intervention de la province dans l’article 26 de la loi qui porte :

« Les chemins vicinaux de grande communication et, dans les cas extraordinaires, les autres chemins vicinaux pourront recevoir des subventions sur les fonds de la province. »

Cela est d'ailleurs conforme à l’article 69, n°20 de la loi provinciale.

D'un autre côté le budget de l'Etat au département de l'intérieur porte chaque année un chiffre considérable pour pourvoir à l'amélioration de la voirie vicinale.

Vous le voyez donc, messieurs, l'intervention soit de l'Etat, soit de la province, pour l'entretien des chemins vicinaux de grande communication déjà construits, n'est proscrite nulle part, ni dans le texte, ni dans l'esprit de la loi de 1841. Bien au contraire, cette loi prévoit l'intervention de la province sans la spécifier, sans en limiter l’objet, et le libellé qui se trouve au budget de l'intérieur et qui porte : Subsides pour l'amélioration de la voirie vicinale, sans distinguer s'il y a lieu de créer de nouveaux chemins ou d'entretenir ceux qui sont déjà créés, n'y fait pas non plus obstacle.

La question de droit étant donc décidée en faveur des pétitionnaires, il reste donc, messieurs, à examiner la question du meilleur emploi des subsides au point de vue de l'économie générale.

Messieurs, trois conseils provinciaux ont été d'avis qu'il y avait lieu d'appliquer une partie des fonds votés par la législature à l'entretien des chemins vicinaux de grande communication ; ce sont le conseil provincial de Liège, le conseil provincial de Namur, et, je pense, le conseil provincial du Limbourg.

Sans doute, messieurs, il vaudrait peut-être mieux créer des ressources nouvelles pour les attribuer à l'entretien des chemins vicinaux, et il n'y aurait là aucune espèce d'injustice pour aucune province, comme a paru le croire hier l'honorable rapporteur de la commission des pétitions, puisque chaque province recevrait une part proportionnelle à ses besoins. Mais, messieurs, le conseil provincial de Namur, comme j'ai eu l'honneur de le dire, ne va pas jusque-là.

Il ne demande pas que le subside porté au budget de l'intérieur soit nécessairement augmenté ni que l'on retire quoi que ce soit du chiffre attribué à chaque province ; il veut laisser les choses dans l'état où elles se trouvent actuellement.

Chaque province recevra ce qu'elle a reçu jusqu'à ce jour ; seulement le chiffre attribué à chaque province pourrait être affecté en partie à l'entretien des chemins vicinaux lorsque la députation permanente jugerait les sacrifices trop lourds pour être supportés par les communes seules.

Voici les termes de la pétition :

« Les données fournies par les agents voyers établissent ,dit-il, que la dépense qu'entraînerait l'entretien convenable des chemins dépasserait de beaucoup le montant total des rôles, et cependant ceux-ci excèdent dans presque toutes les communes le dixième du principal des contributions directes. L'insuffisance des ressources communales pour faire face aux dépenses d'entretien ressort encore à l'évidence des chiffres donnés dans le rapport annuel du commissaire voyer de l'arrondissement de Philippeville.

« Il y a donc nécessité d'apporter un remède à cet état de choses si l'on ne veut perdre les fruits des efforts qui ont été faits jusqu'aujourd'hui pour créer la voirie vicinale, si l'on ne veut pas que les capitaux considérables employés à la création et à l'amélioration des chemins aient été dépensés en pure perte. Déjà les assemblées cantonales comprenant le danger que courait la conservation de la voirie ont affecté depuis plusieurs année une partie des rôles et leur entièreté même dans quelques communes, à l'entretien des chemins. D'un autre côté pour concourir au même but nous avons provoqué et obtenu un arrêté royal qui rend applicables aux chemins de grande communication les lois et règlements concernant la police du roulage sur les grandes routes, afin surtout de pouvoir atteindre les surcharges. Mais dans notre opinion ces mesures conservatrices ne peuvent être considérées que comme des palliatifs et sont entièrement insuffisantes pour assurer le bon état des chemins. »

Quant à la bonté de la mesure au point de vue économique et par rapport aux règles d'une bonne administration, l'exposé des faits contenu dans la pétition ne peut laisser aucun doute à cet égard.

Voici comment s'exprime le rapport fait au conseil provincial de Namur, par un jeune conseiller d'un grand mérite :

« L'intervention du trésor public et de la caisse provinciale est aussi légitime, aussi nécessaire lorsqu'elle l'applique à l'entretien des chemins vicinaux de grande communication, que quand il s'agit de leur création, l'intérêt général qu'on a en vue en construisant les chemins de cette catégorie resterait en souffrance si un mauvais état d'entretien les rendait difficiles ou impraticables. L'Etat, les provinces ont, par des subsides accordés à la voirie, commencé une grande œuvre, elle est inachevée encore il faut la compléter ; d'abord en achevant le réseau des voies de grande communication, mais aussi en conservant l'existence à ce qui est fait, la logique et l'intérêt général le veulent. Des sommes énormes ont été dépensées dans notre province en faveur de la voirie. On a posé les premiers éléments d'une des plus grandes améliorations matérielles qui aient été réalisées depuis notre émancipation politique, d'un puissant instrument de civilisation et de progrès, mais il est temps qu'on s'arrête sur la pente fatale où on est engagé, que jetant un regard en arrière, on (page 487) s'efforce de maintenir l'œuvre si bien commencée. Des communes se trouvant dans l’impossibilité de subvenir aux dépenses nécessitées pour la voirie laissent dégrader leurs chemins. Ce mauvais entretien amènera, si on n'y porte un remède efficace, la reconstruction de ces voies de communication ; l'Etat, les provinces seront alors forcés d'intervenir dans ces nouvelles dépenses, une mesure de bonne administration commandée par la nécessité est de nature à prévenir cette triste extrémité.

Peut-on prétendre au moins, messieurs, que les communes ne font pas assez de sacrifices ; qu'on devrait les imposer davantage en usant envers elles des pouvoirs attribués aux députations permanentes par l'article 22 de la loi de 1841 ?

Je ne crois pas, messieurs, que cette assertion soit exacte. Je ne pense pas surtout que cela serait juste pour la province de Namur, car j'aurai l'honneur de vous faire connaître, messieurs, que sur 400 communes environ dont se compose cette province, 319 portent le montant de leur rôle à un chiffre supérieur au dixième du principal des contributions directes.

Un grand nombre les élèvent de 20 à 30 p. c., un tiers de 30 à 40 p. c. et plusieurs jusqu'à 50 p. c. du principal.

Il me paraît qu'en présence de ces chiffres si éloquents, il n'est pas possible de prétendre que les communes ne font pas des sacrifices suffisants et qu'il serait possible de les engager à pousser plus loin leurs dépenses pour cet objet.

D'un autre côté, messieurs, j'aurai l'honneur de vous faire observer que l'intérêt général, le seul qui justifie l'intervention de l'Etat en fait de subsides, est tout aussi évident quant à l'entretien qu'il pourrait l'être pour la construction. C'est ce qui est parfaitement établi par le passage de la pétition dont j'ai eu l'honneur de vous donner lecture.

Il est évident en effet que si par défaut d'entretien les chemins déjà construits viennent à se détériorer complément, l'Etat et la province seront alors forcés d'intervenir dans leur reconstruction et dépenseront ainsi des sommes bien plus considérables que s'ils étaient intervenus dans leur entretien.

La pétition n'a pas, d'ailleurs, pour objet d'enlever à la construction de nouvelles voies de communication les subsides qui leur sont dus. Car elle déclare qu'il faut commencer par terminer ce qui est resté inachevé, qu'il faut, avant tout, compléter le système de voirie vicinale tel qu'il est commencé, et, je l'avoue, je ne vois pas d'objection raisonnable possible contre le système que sollicitent les pétitionnaires.

Je crois que les considérations que je viens de développer sont nouvelles, que la question ne s'était pas encore présentée sous cet aspect. C'est pourquoi j'aurai l'honneur de proposer le renvoi de la pétition à M. le ministre de l'intérieur, avec prière de soumettre la question à un nouvel examen avant la présentation de son budget de 1864.

M. H. Dumortier. - Messieurs, le moment n'est pas bien choisi, je crois, pour discuter à fond la question que vient de soulever l'honorable M. Wasseige.

Au prime abord et sauf à faire une étude plus complète de la question, son système ne me semble pas admissible. Il est vrai qu'il y a certaines localités où la voirie vicinale n'est pas toujours bien entretenue. Mais je remarque que ce fait existe surtout dans certaines localités d'industrie et de fabriques et où le service de ces usines met les routes communales dans un état tel, qu'il est impossible aux communes de pourvoir aux frais d'un entretien qui doit être recommencé chaque année.

Je pense que ce sont quelques-uns de ces cas qui auront frappé plus particulièrement l'honorable M. Wasseige.

Je crois que son système conduirait à ceci : de favoriser les communes qui n'ont pas eu le courage d'entretenir leur voirie, de mettre à profit les avantages qui leur ont été faits par le gouvernement d'une part et d'empêcher d'autre part des communes qui sont réellement dépourvues des ressources suffisantes, qui depuis 1830 n'ont pas eu un grès à placer sur leur territoire, de sortir jamais de leur bourbier.

Mais, messieurs, ce qui doit surtout étonner, ce que j'admire surtout dans les observations de l'honorable membre, c'est de l'entendre faire des doléances sur la triste situation des pauvres communes de la province de Namur qui manquent, selon lui, des ressources financières pour l'entretien de leurs routes.

Je vais, messieurs, donner deux mots d'explication qui pourront diminuer quelque peu la commisération que les paroles de l'honorable membre auraient pu nous inspirer pour ces malheureuses communes.

Dans la province à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir, les communes possèdent en immeubles un revenu de 18,000 francs et les routes communales y sont généralement bien entretenues.

Les revenus de cette nature s'élèvent, pour la province d'Anvers, à 14,000 fr.

Et les communes de la province de Namur ont en immeubles le revenu énormissime de 734,759 fr.

Et elles viennent se plaindre de ce qu'elles ne sont pas comme d'autres en état d'entretenir leur voirie !

Si je fais la répartition par tête d'habitant, je trouve que chaque habitant a de ce chef le revenu suivant :

Dans la Flandre occidentale, fr. 0,03.

Dans la Flandre orientale, fr. 0,14.

Dans la province d'Anvers, fr. 0,11.

Dans le Hainaut, fr. 0,29.

Dans le Limbourg, fr. 0,68.

Dans la province de Namur, fr. 3,05.

Que serait-ce si je faisais une comparaison entre la situation financière des communes de la province de Namur et celles de la province à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir, au point de vue des charges qu'elles supportent pour l'entretien des indigents et pour les besoins des bureaux de bienfaisance ?

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, pour traiter la question soulevée par la pétition, je devrais entretenir la Chambre pendant un temps assez longtemps et je pense que la Chambre ne désire pas en ce moment que j'entame une discussion sur les chemins vicinaux.

M. Wasseige. - Ni moi non plus.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Ni moi non plus, de sorte que nous sommes parfaitement d'accord.

Je dirai seulement que je maintiens l'opinion que j'ai émise à deux ou trois reprises dans cette enceinte.

L'entretien des chemins vicinaux est et doit rester longtemps encore une charge communale.

D'un autre côté ce serait là encore une intervention du gouvernement dans une matière où cette intervention est moins justifiée que dans beaucoup d'autres, puisqu'il s'agit d'une dépense purement communale.

Du reste, messieurs, j'accepte le renvoi de la pétition, mais en ce qui concerne les recommandations de l'honorable M. Wasseige, je déclare que mon opinion est faite sur la question.

M. Wasseige. -Vous pouvez du moins la soumettre à un nouvel examen.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Soit ; mais en conscience je le déclare que je ne pense pas que l'examen le plus attentif me fasse changer d'opinion.

M. le président. - Il y a trois propositions : le dépôt au bureau des renseignements, proposé par la commission ; la proposition de M. Muller, qui demande le renvoi pur et simple à M. le ministre de l'intérieur, et enfin le renvoi au même ministre, avec prière de soumettre la question à un nouvel examen, proposé par M. Wasseige.

M. Allard. - La Chambre ne vote pas des prières.

M. Muller. - J'ai proposé hier le renvoi pur et simple à M. le ministre de l'intérieur, qui s'y était rallié. Je maintiens cette proposition, je tiens la question en réserve, car je ne partage pas entièrement l'opinion du gouvernement qui, selon moi, est trop absolue en ce qu'il ne distingue pas entre les deux catégories de chemins vicinaux. Mais le moment n'est pas opportun pour reprendre le débat sur ce point.

M. Wasseige. - Après les explications que M. le ministre a bien voulu nous donner et sa déclaration, qu'il ne s'oppose pas à un nouvel examen, je me rallie au renvoi pur et simple proposé par M. Muller, en faisant comme lui toutes mes réserves.

- Le renvoi pur et simple est mis aux voix et adopté.

Rapports de pétitions

M. Sabatier. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission permanente d'industrie sur la pétition du sieur Douzéc présentant des observations sur la législation relative aux établissements incommodes, insalubres et dangereux.

- Impression et mise à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l’exercice 1863

Discussion générale

M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il aux amendements proposés par la section centrale ?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, je pense que la discussion peut s'ouvrir sur le projet de la section centrale ; je ferai à chaque article les observations que j'aurai à présenter.

(page 488) M. le président. - Sous cette réserve, la discussion s'établit sur le projet de la section centrale.

La discussion générale est ouverte.

(page 493) M. Debaets. - Messieurs, dans une discussion récente, j'ai eu l'occasion d'exprimer le désir de voir augmenter le traitement des secrétaires des parquets. J'ai vu avec regret que M. le ministre de la justice n'a pas jugé à propos d'attribuer à ces fonctionnaires un traitement que je considère comme étant en rapport avec l’importance de leurs fonctions, avec les services qu'ils rendent à l'administration de la justice et avec les capacités qu'on exige d'eux.

En effet le projet de budget qui est en discussion établit une différence assez grande entre le traitement alloué aux secrétaires des parquets et celui des commis greffiers des divers degrés de juridiction.

A mon avis, cette différence n'est pas justifiée. Je pense que les secrétaires des parquets auraient dû être placés sur la même ligue que les commis greffiers.

Messieurs, à plusieurs reprises les hommes les plus compétents qui ont siégé dans cette Chambre ont eu occasion de manifester à cet égard leur manière de voir ; je pourrais citer notamment les honorables MM. Dolez, Nothomb, Lange, etc., enfin la plupart des membres de la Chambre qui ont eu des rapports directs avec l'administration de la justice soit comme magistrats soit comme appartenant au barreau.

Je pense que M. le ministre de la justice voudra bien revenir sur la décision qu'il a prise. S'il croit impossible d'allouer dans le budget de 1863 l'augmentation que je réclame pour les secrétaires des parquets, je désire vivement que l'honorable ministre nous fasse une proposition à ce sujet dans le budget de 1864.

Il me semble que si M. le ministre de la justice prenait l'avis de ceux qui sont le mieux en état d'apprécier les services rendus par les employés et que cet avis leur fût favorable, aucun motif ne devrait plus porter obstacle à cette augmentation de traitement.

Eh bien, quels sont les hommes les plus compétents pour apprécier les services rendus par les secrétaires des parquets ? Ce sont leurs chefs.

Que l'on consulte les procureurs généraux pour les secrétaires attachés aux parquets des cours d'appel ; que l'on consulte les procureurs du roi pour les secrétaires attachés à leur service, je suis sûr que l'avis unanime de ces magistrats sera conforme au désir que j'exprime.

II est une autre catégorie de fonctionnaires, je les nommerai les plus humbles serviteurs de la justice, qui se trouvent pour la plupart dans une position de gêne et sur lesquels j’appelle l'attention bienveillante du gouvernement, ce sont les huissiers.

Messieurs, la Chambre par une longue série de décisions est revenue sur des votes qui, en d'autres temps, lui avaient été inspirés par d'autres circonstances. En 1848 et 1849 le vent soufflait aux économies ; on en a fait beaucoup alors : on en a même opéré qui plus tard ont été jugées inconsidérées, de telle sorte que l'assemblée, par des votes successifs, est revenue sur ses décisions antérieures.

C'est ainsi qu'on a amélioré la position de tous les fonctionnaires ; tous ceux qui notamment se rattachent de près ou de loin à l'administration de la justice se trouvent placés maintenant dans une position pécuniaire, si pas supérieure à celle qu'ils occupaient avant 1849, tout au moins égale à celle-là, je pourrais dire supérieure pour tous.

Il n'en est pas de même des huissiers. Un grand nombre de ces fonctionnaires sont actuellement dans un état voisin de la misère. Pour ma part, j'en connais beaucoup dont la position est extrêmement précaire. Je crois que c'est là un danger pour l'administration de la justice.

D'un autre côté, c'est un déni de justice envers ces fonctionnaires qui ont aussi leur part de coopération et en même temps de responsabilité dans la préparation et l'exécution des décisions rendues par le pouvoir judiciaire.

Je pense qu'il y a lieu de revenir sur bien des mesures qui ont été prises précédemment à leur préjudice.

Dans les années qui ont suivi 1848, le gouvernement a envoyé aux chefs des parquets des instructions qui leur prescrivaient de diminuer autant que possible les services des huissiers et de conférer à d'autres agents de la force publique une partie notable des attributions exercées par ces fonctionnaires.

Or, cette mesure a eu pour résultat de placer plusieurs d'entre eux dans une condition telle que leur existence est devenue matériellement impossible s'ils veulent n'être qu'huissiers.

Parmi eux il y en a qui font le service gratuit aux audiences des tribunaux correctionnels et cours d'assises, il en est de même de leur service près des juges d’instruction et des tribunaux de police.

Cela leur prend 3, 4, et plus encore de journées presque complètes par semaine.

Comme compensation unique, ils ont le monopole des exploits correctionnels et de police. Encore les audienciers ne font-ils pas ces exploits en dehors du canton où siège le tribunal.

Les émoluments trimestriels qui, de ce chef, s'élevaient autrefois à 300 fr. et au-dessus, sont descendus à 100 fr. et au-dessous, parce qu'ils ne font plus les citations pour les témoins, mais seulement pour les prévenus. Et que valent ces citations pour les huissiers des cantons ruraux ? Obligés de faire 15 kilomètres à pied ou en voiture, ils reçoivent la somme de 3, 4 francs.

Maintenant, il y a des lois ; - j'applaudis à l’esprit qui les a dictées - il y a des lois qui ont restreint encore considérablement le service des huissiers. Je citerai notamment la loi sur le régime hypothécaire, la loi sur l'expropriation forcée et d'autres lois qui sont venues modifier les règles de la procédure.

Eh bien, le service des huissiers ayant été restreint, leurs émoluments doivent nécessairement s'en ressentir ; ces causes encore aggravent leur position de gêne, à laquelle je voudrais porter remède.

Il ne sera pas inutile de faire remarquer à la Chambre qu'il y a un moyen pour le gouvernement de récupérer une partie des frais qui lui incomberaient de ce chef. Il est connu de tout le monde dans cette enceinte, ou du moins de la plus grande partie de mes honorables collègues, que les frais de justice étaient autrefois moins faciles à récupérer, parce qu'alors les tribunaux ne pouvaient prononcer l'emprisonnement subsidiaire pour contraindre les délinquants à s'exécuter. Mais depuis que la loi a établi ce moyen, la plupart des condamnés payent les amendes et les frais. Ce ne serait donc qu'une simple avance que le gouvernement ferait aux huissiers, et le gouvernement rentrerait aisément dans ces frais par l'intermédiaire des receveurs de l'enregistrement. Pour les condamnés ce serait une légère aggravation de peine, mais cette contribution-là peut certes être considérée chez les délinquants comme volontaire ou à peu près.

Je pense donc que M. le ministre de la justice ferait bien de prendre en sérieuse considération les quelques observations que je viens de présenter en faveur de ces fonctionnaires et d'adopter les mesures que lui seul est compétent à prendre afin d'améliorer leur position.

La Chambre me permettra de passer maintenant à un autre ordre d'idées et de lui signaler un fait qui a produit, dans nos Flandres surtout, une émotion assez profonde chez des officiers publics respectables, chez les notaires.

La cour de cassation, par une décision récente, par un arrêt rendu sur les plaidoiries de notre honorable collègue M. Orts, vient de résoudre une question de principe qui jusqu'à présent n'avait pas été décidée par notre premier corps judiciaire. La cour de cassation vient de juger que les notaires n'ont pas le droit exclusif de procéder, à la vente d'immeubles aux enchères publiques, précédées d'affiches et d'annonces.

Cette décision est très importante ; l'on comprend l'émotion qu'elle a causée surtout dans le corps notarial de nos Flandres où l'agence d'affaires est organisée sur un autre pied que dans d'autres provinces.

Je m'empresse cependant d'ajouter que je n'ai nulle envie de discuter le principe sur lequel la cour de cassation a eu à statuer, et qu'elle a résolu contrairement à l'opinion de la cour d'appel de Gand et d'autres corps judiciaires.

J'ajoute que la solution de cette question, au point de vue même du législateur, présente des côtés d'une délicatesse extrême ; nous touchons immédiatement à la liberté du mandat qui présuppose une question de confiance. Or, ces considérations sont certainement d'une importance assez grande pour qu'on y songe à deux fois avant de toucher à la législation actuelle.

Je ne me place donc pas au point de vue des notaires, en tant qu'ils subissent la concurrence des agents d'affaires mêmes ; je n'examine pas quels changements il faudrait apporter à la loi, mais je me demande s'il n'y aurait rien à faire pour les notaires, abstraction faite de la solution à donner au conflit qui s'élève entre eux et les agents.

La loi de ventôse, organique du notariat, établit plusieurs catégories de notaires. il y a des notaires de canton, des notaires d'arrondissement, et des notaires pouvant exercer dans le ressort des cours d'appel, et dont la compétence respective est circonscrite dans ces trois différents ressorts.

Les notaires qui sont établis dans une ville où siège une cour d'appel, ont compétence pour instrumenter dans tout le ressort de cette cour. (page 494) Les notaires établis dans les villes où siège un tribunal de première instance ont compétence dans tout l'arrondissement ; enfin les notaires de canton ne peuvent instrumenter que dans le canton. J'ai examiné jusqu'à quel point, en fait, on avait satisfait au vœu de la loi de ventôse. Lorsque cette loi restreignait la capacité des notaires de canton dans le cercle du canton, elle devait nécessairement aussi borner le nombre des notaires par canton. Il ne peut, en effet, y avoir au maximum que cinq notaires par canton.

Le maximum est deux. Mais je remarque quo, dans le ressort du tribunal de Gand, le maximum est partout atteint, sauf dans un seul canton.

Le chiffre minimum m’existe nulle part, ce qui fait que dans le cercle de chaque canton, il doit y avoir déjà une concurrence ardente entre les notaires. Quelques chiffres feront mieux comprendre l'état des choses.

Dans le canton d'Evergem, le seul où le chiffre maximum ne soit pas atteint, puisqu'il n'y a que quatre notaires, la population est de 15,000 habitants, soit un notaire pour 30,325 habitants.

Dans le canton de Loochristy, il y a une population totale de 19,000 habitants et cinq notaires, ce qui fait un notaire pour 5,900 habitants.

Dans le canton de Waerschot, je trouve cinq notaires pour trois communes et 2,196 habitants pour chaque notaire.

Dans le canton d'Assenede, il y a 14,000 habitants et cinq notaires, soit 2,900 habitants pour chacun.

Je crois inutile de faire remarquer, messieurs, que dans les campagnes les affaires sont infiniment moins nombreuses que dans les villes, et que les affaires y sont en outre moins imposantes. Et cependant, pour la ville de Gand, par exemple, il y a 19 notaires et 120,000 habitants, soit de 6,000 à 7,000 habitants par notaire, et cela pour un nombre d'affaires bien plus considérables et pour des affaires généralement plus considérables.

Or,, veuillez remarquer, messieurs, que ces notaires de canton, parqués dans leur circonscription, ont à soutenir, non seulement la concurrence qu’ils se font entre eux, mais encore celle des notaires de villes qui viennent périodiquement passer des actes et faire ainsi une concurrence permanente aux notaires de canton.

Mais combien cet état de choses ne va-t-il pas s'aggraver encore par suite de la décision de la cour de cassation ?

En effet, si les notaires de canton doivent encore voir à côté d'eux les agents d'affaires procéder aux actes qui jusqu'ici avaient été considérés comme appartenant exclusivement au notariat, si cette concurrence vient s'ajouter à celle que les notaires de canton subissent de la part de leurs collègues des villes, il est évident que leur position ne sera plus tenable ; car, tandis qu'ils ne peuvent instrumenter que dans leur canton, leurs concurrents ont une latitude presque illimitée.

Il me semble qu'il y aurait des mesures à prendre : je répète qu'on doit y songer à deux fois avant de restreindre la liberté.

Mais le gouvernement doit songer aussi à sauvegarder les intérêts des fonctionnaires institués par lui. Il ne faut pas non plus que ces fonctionnaires soient écrasés par la liberté sans pouvoir se défendre. Frappés d'incapacité hors de leur ressort, faisant abstraction de leur qualité de notaire, s’ils voulaient procédé à de certains actes comme agents d'affaires, ils seraient soumis à des poursuites disciplinaires dont la conséquence serait, à bon droit, de les empêcher de continuer ces manœuvres incompatibles avec leur caractère.

II y a donc là une situation funeste, à laquelle il doit être remédié.

Un premier remède ce serait l'unité du ressort, un second serait la réduction du nombre des notaires dans une proportion assez considérable.

La distinction entre les notaires des villes et ceux des campagnes n'a pas de raison d'être. Elle est injustifiable, et dès lors nous n'entrerons pas dans de plus amples détails pour la combattre.

Il est notoire que bien des places de notaires ne sont que des postes d'attente auxquels on se fait nommer pour avoir, comme on dit, le pied dans l'étrier, car on n'a rien de plus empressé que de quitter la résidence où l'on se trouve pour aller dans une autre où l'on puisse gagner honorablement sa vie.

Souvent on y passe sans laisser d'autre souvenir que celui de son nom ; quant aux actes inscrits au répertoire on trouve souvent zéro ou à peu près. Or, je dis que dans ces communes le notariat ne répond pas au vœu du législateur, car il a voulu que les notaires fussent investis de la confiance publique, et ceux qui ne font que passer dans une résidence ne peuvent satisfaire au vœu de la loi.

Je demande, messieurs, la permission de présenter une dernière observation. Hier pendant la discussion l'honorable ministre des finances disait, et je pense avec infiniment de raison, qu'il n'a pas le pouvoir de suspendre l'exécution des lois que s'il le faisait ce serait une belle et bonne violation de la Constitution. Ce sont les expressions textuelles que j'ai recueillies de la bouche de M. le ministre des finances, je les ai inscrites séance tenante.

Or j'ai appris un fait qui, s'il était exact, prouverait que M. le ministre de la justice n'est pas aussi scrupuleux, sous ce rapport, que son honorable collègue des finances.

Je m'empresse d'ajouter que je serais très heureux d'apprendre par les explications que voudra bien donner M. le ministre de la justice que j'ai été mal renseigné. Mais comme la chose m'a été signalée, il est de mon devoir de la faire connaître à l'honorable chef du département de la justice en le priant de vouloir bien nous donner des explications.

Messieurs, beaucoup d'entre vous se souviendront qu'une question de liberté, celle des courtiers, a été portée à différentes reprises devant la Chambre ; la question s'agitait entre les courtiers légaux et les courtiers libres ou marrons ; ii s'agissait de savoir s'il fallait maintenir les mesures restrictives en faveur des courtiers établis par la loi.

Je ne prétends pas traiter cette question, mais c'est à propos de cette question que je demande une explication sur un fait qui s'y rattache.

En passant je dirai cependant que personnellement je désire la liberté. du courtage, qu'il vaut mieux laisser aux négociants la liberté de gérer eux-mêmes leurs affaires ou de choisir les plus capables de les gérer pour eux. Mais là n'est pas la question, la loi bonne ou mauvaise, mais telle qu'elle existe, doit être observée. Lorsque dans une autre occasion la question des courtiers s'est présentée devant la Chambre, le ministre de la justice d'alors, l'honorable M. Nothomb disait : « La question se présence sous deux aspects, le côté juridique et le côté législatif ; quant à l'aspect juridique, la discussion de la Chambre ne peut pas s'y porter d'une manière utile ; il s'agit de l'interprétation d’une loi, il s'agit de savoir jusqu'à quel point et dans quelle mesure les dispositions de la loi du 26 août 1822 ont modifié et étendu l'article 80 du code de commerce.

« C'est un cas d'application de la loi qui échappe au parlement et qui ressortit exclusivement au pouvoir judiciaire.

« Déjà il a eu à s'en occuper, et la cour de cassation a résolu la question par un arrêté du 18 mars 1859, qui a déclaré formellement que la loi de 1822 a modifié l'article 80 du Code de commerce en ce qui concerne le monopole attribué aux courtiers de navires. Sous ce rapport, il n'y a donc rien à faire, il faut laisser pleine liberté au pouvoir judiciaire. »

Dans la même séance un membre aujourd'hui ministre de la justice l'honorable M. Tesch, ajoutait : « Messieurs, la discussion qui nous occupe présente une question de droit et une question de fait. La question de droit a été soumise aux tribunaux ; si on trouve qu'ils ont mal jugé, il faut suivre la méthode indiquée par l'honorable M. Verhaegen, il faut se pourvoir de nouveau devant eux. »

Messieurs, on a suivi ce conseil ; on s'est adressé aux tribunaux.

Je fais toujours mes réserves sur l'exactitude de mes renseignements. Le tribunal a condamné la personne qui s'était immiscée illégalement dans les fonctions de courtier ; le délinquant a interjeté appel, et par ordre de M le ministre aucune suite ultérieure n'a été donnée à l'affaire. Trois ans se sont passés depuis, de sorte que la prescription est acquise.

Ce fait impliquait la suspension de la loi et, pour me servir de l'expression de M. le ministre des finances, constituerait une belle et bonne violation de la Constitution.

Ce n'est pas ici seulement empêcher le parquet d'agir, ou lui recommander des ménagements, c'est arrêter l’action de la justice, l'action du pouvoir judiciaire lorsque déjà il avait été mis en mouvement de façon à arriver à cette conséquence insolite qu'un individu est condamné à une peine qui ne peut pas être appliquée parce qu'il a interprété appel et que la cour d'appel chargée de statuer en dernier ressort se trouve dans l'impossibilité de s'occuper de cette affaire.

Le prévenu est frappé d'une condamnation qu'il ne peut ni faire lever ni subir.

Je serais heureux si M. le ministre me prouve que mes conclusions sont basées sur des renseignements inexacts.

(page 488) M. J. Jouret. - Je saisirai l'occasion de la discussion générale du budget de la justice, pour demander à M. le ministre d .vouloir faire compléter, si, comme je le crois, c'est possible, certains documents statistiques publiés en 1858 et relatifs à la justice criminelle.

Les documents dont je parle concernent la peine de mort, question toujours pleine d'actualité, non seulement dans notre pays, mais dans plusieurs autres contrées de l'Europe.

En effet, messieurs, pour ce qui concerne notre pays, nous voyons partout un mouvement actif des esprits s'occupant de la question de l'abolition de la peine de mort ; la presse, reflétant ce mouvement des esprits, provoquer sur cette grave question d'incessantes et profondes méditations ; et, nous voyions récemment, dans l'une des principales villes du pays, la foule se porter avec avidité vers l'enceinte où un jurisconsulte devait plaider la réforme de cette partie de notre législation pénale.

De plus, si la Chambre des représentants s'est prononcée depuis quelque temps déjà sur cette question, et, il faut le dire à une grande majorité, le Sénat vient d'en être saisi à son tour, et s'il faut en croire ce qu'annonçait, il y a quelques jours, l'organe des idées de l'administration et de la majorité de cette Chambre, la proposition de l'abolition de la peine de mort y sera faite d'une manière formelle.

Pour ce qui est des pays étrangers, la guillotine a déjà disparu de certains cantons suisses et de plusieurs Etats américains sans que la criminalité y ait pris des proportions plus graves. D'autres cantons suisses sont occupés, dans ce moment, à réviser sous ce rapport leur législation pénale.

Le royaume d'Italie devra de toute nécessité, en adoptant sa législation pénale, pour le royaume unifié, aborder la question de l'abolition de la peine de mort, puisque cette peine a été abolie dans un des pays réunis, la Toscane, de fait à partir de 1765, et de droit par une ordonnance du 30 novembre 1786, et il paraît, dit M. le procureur de la cour d'appel de Bruxelles, dans son discours d'audience de rentrée de l'année judiciaire actuelle, que j'ai en mains, que les crimes capitaux ont, dans ce pays, plutôt subi une diminution qu'une augmentation.

Les observations qui précèdent n'ont qu'un but, celui d'établir que la question de l'abolition de la peine de mort est assez actuelle pour légitimer la demande de renseignements statistiques que je fais, et que je vais expliquer. Elle m'est du reste suggérée par la mercuriale dont je viens de citer un passage.

Messieurs, il y a un an à peu près, une brochure pleine d'intérêt, reproduisant des articles d'un journal de Liège la Meuse, sur la peine de mort, vous a été remise à tous. Cette brochure établit par des chiffres concluants selon nous, mais qui ne paraissent pas tels à l'honorable procureur général de la cour d'appel de Bruxelles qui en a contesté la portée dans la dernière mercuriale qu'il a prononcée devant la cour, cette brochure établit, disons-nous, la criminalité relative de nos trois ressorts de cour d'appel, et elle en conclut que les crimes capitaux ont diminué dans le ressort de Liège, où il n'y a eu qu'une seule exécution depuis 1830, tandis que dans le ressort de Bruxelles, où il y en a eu vingt-cinq et dans celui de Gand, où il y en a eu 22, ces crimes ont considérablement augmente.

« En effet, dit cette brochure, que l'honorable M. de Bavay cite textuellement dans sa mercuriale, la moyenne annuelle des accusés traduits devant le jury pour des crimes de cette catégorie et qui n'était que de quarante-cinq, dans la période de 1832 à 1835, s'est élevée à cinquante dans la période de 1850 à 1855. Cette moyenne était pour la première période de quinze, dans le ressort de la cour d'appel de Bruxelles ; de dix-sept dans le ressort de la cour de Gand ; de treize dans le ressort de la cour de Liège.

« Pendant la dernière période, nous voyons que cette moyenne s'est élevée de quinze à vingt dans le ressort de Bruxelles ; de dix-sept à dix-neuf, dans le ressort de Gand, et qu'elle est descendue au contraire de treize à onze dans le ressort de Liège. Ainsi, dans l'espace de vingt ans, on a vu le nombre des accusés de crimes capitaux augmenter de 33 p. c. dans le ressort de Bruxelles, et de 12 p. c. dans le ressort de Gand, c'est-à-dire dans les deux ressorts de cour d'appel où la peine de mort a été appliquée : nous constatons, d'autre part, une diminution de 15 p. c. dans le ressort de la cour de Liège, où cette peine a été abolie de fait.

Le magistrat liégeois, car c'est à un jeune magistrat du tribunal de première instance de cette ville que sont dues ces intéressantes observations, fait remarquer que le résultat est bien plus digne d'attention si on compare le nombre des accusés de crimes capitaux au chiffre de la population des trois cours d'appel, et après avoir produit des chiffres officiels, puisqu'ils sont empruntés à la statistique criminelle produite en 1858, il en tire la conclusion suivante que l'honorable procureur général cite encore textuellement, et que je lis dans son discours ;

« Ainsi, dit-il, le ressort de la cour d'appel de Liège était, en 1832, celui où le nombre des accusés de crime emportant la peine de mort était le plus élevé relativement au chiffre de la population. Ce nombre était moins élevé dans les deux autres ressorts. Quelle transformation depuis cette époque !

« Dans le ressort de Bruxelles il y a eu, depuis 1832, vingt-cinq exécutions capitales, et le nombre des accusés comparé au chiffre de la population, augmente de 22 p. c. dans l'espace de vingt ans.

« Dans le ressort de Gand, vingt-deux exécutions capitales et augmentation de 15 p. c. dans le nombre des accusés.

« Dans le ressort de Liège, la peine de mort est abolie de fait, et nous constatons une diminution de 55 p. c. dans le nombre des criminels. Tel a été, dans notre pays, le mouvement de la criminalité depuis 1830 jusqu'en 1856. »

Messieurs, dans ces passages de l'écrivain liégeois reproduits dans le discours que j'ai en main, le mot «accusés » est partout souligné et vous indique l'argument que l'honorable procureur général entend opposer aux chiffres officiels irréfutables du magistrat liégeois, et à l'aide duquel il essaye de leur ôter leur signification.

Voici les paroles mêmes de l'honorable M. de Bavay : « Le tableau qui résume ces chiffres, dit-il, ne les applique déterminément, comme son texte le prouve, qu'aux accusés jugés contradictoirement pour meurtre, infanticide, assassinat, empoisonnement et parricide. » Il ne s'occupe donc ni des accusés contumaces, ni de ceux qui peuvent avoir commis des vols auxquels la loi attache la peine de mort. (Article 381 du Code pénal.) Ces vols cependant n'ont été que trop nombreux depuis quelques années, puisque nous en avons constaté seize à charge de la bande qui a comparu aux assises du Hainaut...

« Il y a donc trop de lacunes dans le tableau de 1858, pour qu'il puisse, quoi qu'en dise l'écrivain liégeois, établir le mouvement de la criminalité, en Belgique, depuis 1830 jusqu'en 1856.

« Ce mouvement ne reposerait pas d'ailleurs, comme on le voit, sur le chiffre des crimes capitaux réellement commis dans chaque ressort, mais sur celui des accusés renvoyés aux assises pour des crimes de cette nature. Il est certain, cependant, qu'en dehors des crimes qui aboutissent aux cours d'assises, il y en a d'autres, et en grand nombre, dont les auteurs restent complètement inconnus, ou dont la poursuite, à défaut de charges suffisantes, vient échouer à la Chambre du conseil, où à la Chambre des mises en accusation. Le chiffre des accusés traduits en cour d'assises ne suffit donc point pour établir la criminalité d'une province, d'un ressort ou d'un pays, puisque cette criminalité se compose tout à la fois des crimes dont les cours d'assises ont pu être saisies, et de ceux qui ne leur ont pas été déférés, soit parce que leurs auteurs sont restés inconnus, soit parce que les poursuites n'ont abouti qu'à des ordonnances ou à des arrêts de non-lieu. Il en résulte que, s'il y a aujourd'hui, en matière de crimes capitaux, moins d'accusés dans le ressort de Liège et que s'il y en a plus qu'autrefois dans les ressorts de Bruxelles et de Gand, cela ne prouve pas nécessairement que les crimes de cette nature aient diminué à Liège, où la peine de mort est abolie de fait, ni qu'ils aient augmenté à Bruxelles et à Gand, où des exécutions ont eu lieu.

« Pour avoir, à cet égard, une conclusion plus ou moins certaine qui se modifierait peut-être encore par des circonstances particulières, il faudrait tout au moins tenir compte, pour chaque ressort, des crimes capitaux dont les auteurs sont restés inconnus, et de ceux dont la poursuite, à défaut de charges suffisantes, est venue échouer à la chambre du conseil ou à la chambre des mises en accusation.

« La statistique, malheureusement, ne fournit aucune donnée à cet égard. »

Messieurs, je ne sais si mon jugement, faussé par l'horreur que m'inspire la peine de mort, me trompe, mais je me demande si, en présence de ces observations qui, en elles-mêmes, sont vraies, il n'y a pas quelque chose d'autre à faire que d'en tirer, prématurément selon moi, un argument plus ou moins favorable à l'opinion qui combat l'abolition de la peine de mort ?

La première chose à faire évidemment c'est de| faire compléter la statistique dont, de part et d'autre, on argumente, et ce doit être chose facile que de donner le chiffre exact des accusés contumaces (je me sers des paroles mêmes de M. le procureur général), de ceux qui peuvent « avoir commis des vols auxquels la loi attache la peine de mort, article 381 du code pénal, des crimes capitaux dont les auteurs sont restés inconnus, et de ceux dont la poursuite, à défaut de charges suffisantes, est (page 489) venue échouer à la chambre du conseil ou à la chambre des mises en accusation. »

Il y avait lieu, pour l'honorable chef du parquet de la cour d'appel de Bruxelles comme pour les partisans de l'abolition de la peine de mort, de demander que cette statistique fût complétée, parce qu'avec tous les criminalistes, il pense que « la peine de mort n'est légitime que lorsqu'elle est nécessaire. » Voici, en effet, ce qu'il dit à ce sujet dans sa mercuriale : « S'il faut à la société la peine de mort pour atteindre son but, elle a incontestablement le droit de la prononcer, et de préserver ses membres de nouveaux attentats, par la seule peine qui puisse en prévenir le retour. Sous ce rapport donc, la peine de m ot est parfaitement légitime, si elle est nécessaire. »

Eh bien, la statistique seule, après que tout a été dit sur la peine de mort, et au point où en est venue cette question, nous dira s'il est vrai que la criminalité est loin d'avoir augmenté dans les pays où elle a été abolie en fait ou par la législation.

C'est ce que le grand meeting qui a eu lieu à Liège, il y a quelques jours, dit avec raison dans la pétition qu'il a décidé d'adresser au Sénat :

« Considérant, dit-il, que l'histoire et la statistique prouvent à l'évidence que l'adoucissement des peines, de même que la diminution ou la suppression totale de l'application de la peine de mort, n'ont pas été suivies d'une criminalité croissante ;

« Considérant, que l'expérience faite en Belgique de 1830 à 1835, et, dans le ressort de la cour d'appel de Liège, depuis près de quarante ans, atteste hautement l'inutilité et les effets pernicieux des exécutions capitales... »

Mais, messieurs, l'honorable procureur général conteste cette expérience, les chiffres, dit-il, sont incomplets et n'ont pas la portée qu'on leur attribue. Rien de plus simple et de plus facile que de les compléter ; c'est ce que je viens prier le gouvernement de faire.

Au surplus, lorsque les renseignements dont M. le procureur général signale l'absence et que je viens réclamer du gouvernement, auront été donnés, est-il présumable que la base du travail de l'honorable magistrat liégeois soit sérieusement modifiée ? Je ne le crois pas, par la raison que les observations de l'honorable procureur général concernent les ressorts de Bruxelles et de Gand comme celui de Liège, et qu'il y a, selon toute apparence, autant d'accusés contumaces, autant de ceux qui peuvent avoir commis des vols auxquels la loi attache la peine de mort, autant de crimes capitaux dont les auteurs sont restés inconnus, et de ceux dont la poursuite, à défaut de charges suffisantes, est venue échouer à la chambre du conseil ou à la chambre des mises en accusation, il y a, disons-nous, autant de ces accusés et de ces crimes dans l'un des ressorts que dans l'autre. On concevrait difficilement, en effet, qu'il en pût être autrement.

Les chiffres pourront donc être changés sans que le rapport qui en est résulté aux yeux de l'honorable magistrat liégeois, au point de vue de la criminalité entre les divers ressorts de cour d'appel, le soit à son tour.

Il est donc permis de croire, je dirai d'espérer que, ces renseignements statistiques complétés, les chiffres produits dans ce travail resteront intacts au point de vue de leur rapport entre eux et garderont toute leur éloquence.

Messieurs, il y aurait bien des choses à répondre à la mercuriale de l'honorable procureur général. Ce n'est ni le lieu ni le moment de le faire, la tâche serait bien lourde pour moi, et je me bornerai aux observations qui étaient indispensables pour motiver ma demande de renseignements nouveaux.

Un mot cependant sur une chose essentielle de son discours.

« Au point de vue des crimes capitaux, dit l'honorable procureur général, page 17, et au point de vue de savoir si la peine de mort a eu pour effet de diminuer ces crimes, la question réduite à ces termes est résolue depuis 12 ans dans l'arrondissement de Tournai, puisque deux exécutions capitales qui remontent à 1844 et 1850, y ont fait complètement disparaître les incendies, les assassinats et les autres crimes résultant de ce que l'on appelait la haine de cense ou le mauvais gré. »

Je ne nie pas que ces exécutions aient pu produire ce résultat. Mais là n'est pas la question. Une autre peine, je ne dirai pas, ayant la même force d'intimidation, mais une autre « punition terrible, » comme le dit M. le procureur général, une autre peine ayant une force d'intimidation suffisante n'aurait-elle pas produit le même résultat ? Est-il impossible de trouver, en dehors de la peine de mort, une peine de cette nature appliquée avec énergie, certitude, instantanéité, et qui partant soit efficace ? Je ne puis le croire. Ce qui multiplie le « nombre des délits, dit M. Ch. Comte dans son Traité de législation criminelle, ce n'est pas l'insuffisance ou la faiblesse des peines, c'est l'incertitude de leur application. »

Dès l'instant donc qu'une peine efficace peut être trouvée, et je ne crois pas que cela soit douteux, la peine de mort devient injuste, illégitime, éminemment condamnable à tous les points de vue possibles, surtout lorsque sa suppression produit des résultats tels que ceux qui ont été constatés dans la province de Liège.

En résumé, messieurs, je prie M, le ministre de la justice de vouloir, si, comme je ne puis en douter, c'est possible, faire compléter les renseignements de statistique criminelle, dont l'insuffisance a été signalée, et pour me servir des termes de l'honorable chef du parquet de la cour d'appel de Bruxelles, de faire relever le nombre des « accusés contumaces, de de ceux qui pourraient avoir commis des vols auxquels la loi attache la peine de mort, des crimes capitaux dont les auteurs sont restés inconnus, ainsi que de ceux dont la poursuite, à défaut de charges suffisantes, est venue échouer à la chambre du conseil ou à la chambre des mises en accusation. »

Je crois que la recherche de ces renseignements statistiques n'offre pas de difficultés, et elle sera de la plus grande utilité, indispensable même, lors de la discussion du code pénal au sein de l'autre Chambre.

M. Vander Donckt. - Messieurs, lors de la discussion du budget de l'intérieur je me suis plaint des lourdes charges que font peser sur les communes et surtout sur les communes rurales les lois des dépôts de mendicité et de domicile de secours.

Ces lois imposent à nos communes des charges très lourdes qui entravent en grande partie la liberté d'action des conseils communaux dans la gestion de leurs finances qui sont en grande partie absorbées par l'obligation où ils se trouvent de satisfaire aux prescriptions de la loi sur les dépôts de mendicité et sur le domicile de secours.

Messieurs, j'ai appelé à cette époque l'attention de M. le ministre de la justice sur cette grave question et l'honorable ministre de la justice m'a fait l'honneur de me répondre :

« L'honorable membre se plaint de ce l'on entretienne à côté de la nouvelle promenade de très vastes bâtiments pour lesquels on aurait offert des sommes considérables.

« Messieurs, je n'ai pas besoin de le dire à la Chambre, les dépôts de mendicité ne sont pas administrés par le gouvernement. Il ne dépend pas de la volonté du gouvernement de faire disparaître le dépôt de mendicité de la Cambre. »

Je tiens en main le compte rendu des séances du conseil provincial du Brabant. J'étais déjà informé que depuis nombre d'années le conseil provincial et les autorités de la ville de Bruxelles ont insisté auprès du gouvernement pour réformer ce dépôt, et je trouve que sur une motion faite dans la dernière session du conseil provincial du Brabant on a de nouveau rappelé cette question à l'ordre du jour.

L'honorable M. Fizenne, membre de la députation permanente, s'est chargé de répondre et voici ce qu'il dit :

« Depuis 1850, la députation permanente a demandé à plusieurs reprises au gouvernement l'autorisation de vendre le dépôt de mendicité de la Cambre. Elle n'eût pas été fâchée de faire disparaître cet hôtel à la Gil Blas des pauvres de Bruxelles, elle eût préféré qu'on établît le dépôt de mendicité loin des villes, à l'entrée d'une commune rurale et que l'on essayât d'y former des ouvriers industriels ou agricoles. Le gouvernement n'a pas répondu. »

Voilà les paroles d'un membre de la députation permanente prononcées en séance publique, en présence du gouverneur, en présence de tous les membres du conseil provincial, et personne ne lui a contesté cette assertion, personne ne l'a contredit.

Cependant il y a une contradiction flagrante entre ces deux assertions. L'honorable ministre nous dit : Il ne dépend pas de la volonté du gouvernement de faire disparaître le dépôt de mendicité de la Cambre ; si la chose dépendait de moi, je le déclare très nettement, j'accepterais très volontiers. Et d'autre part, le membre de la députation permanente dit : Depuis 1850, nous avons demandé à plusieurs reprises l'autorisation de vendre le dépôt de mendicité de la Cambre ; le gouvernement n'a pas répondu.

Je laisse à l'honorable ministre le soin de débrouiller cette affaire.

J'insiste particulièrement et j'appelle l'attention sérieuse de M. le ministre de la justice sur ce point, afin que le dépôt de la Cambre disparaisse.

Messieurs, je n'ai pas besoin d'entrer dans de longs développements pour vous démontrer l'état déplorable dans lequel se trouvent les finances des communes rurales, accablées sous le poids des charges fort lourdes causées par les dépôts de mendicité et par la loi sur le domicile de secours. Il y a évidemment moyen d'obvier à cet état de choses en révisant la loi.

Non seulement le plus clair des revenus des communes passe par cette porte, mais en outre on empêche aussi les administrations communales animées du bon vouloir de satisfaire aux prescriptions de la loi sur l'instruction primaire, de réaliser leurs bonnes intentions puisqu'on les prive ; de leurs ressources ordinaires.

(page 490) Je dis, messieurs qu'il y a réellement quelque chose à faire.

Révisez la loi. Rendez facultatif le dépôt de mendicité ; n'imposez cette charge aux communes que lorsqu’elles auront demandé l'entrée de mendiants dans le dépôt de mendicité, ou lorsqu'elles auront consenti à l'entretien de ces individus dans le dépôt.

Alors il y aura liberté ; j'ai protesté, lors de la discussion du budget de l'intérieur, contre le peu de liberté laissé aux administrations communales dans la gestion de leurs finances.

L'adoption du moyen que j'indique serait un bienfait considérable ; ce serait un premier pas vers la liberté que je réclame de toutes mes forces

Quant au dépôt de mendicité de la Cambre, le rapport qui a été fait par le directeur de ce dépôt est clair ; voici ce qu'il dit :

« Pendant l'exercice dernier, le nombre des journées d'entretien s'est élevé à 401,945 représentant une somme de 238,953 fr. 50 c, savoir 153,333 journées d'infirmes à 78 centimes et 248,612 journées de valides à 48 centimes.

« Qu'on ne suppose pas que cette créance d'environ 200,000 fr. reste en souffrance par la mauvaise volonté des communes débitrices. Pour prouver que le manque de ressources suffisantes est la seule cause du retard que ces localités mettent à se libérer, nous rappellerons que la députation permanente du conseil provincial a supprimé du budget des communes endettées toutes les dépenses facultatives ; le premier chiffre qui en a été biffé est celui qui y était porté pour le traitement du bourgmestre et des échevins.

« Eh bien, cette mesure extrême a-t-elle amené un résultat quelque peu satisfaisant ? Pas le moins du monde. »

Les communes sont restées sous le même régime arbitraire et vexatoire que les députations permanentes exerçaient sur les conseils communaux en supprimant le traitement des bourgmestre et échevins, ce qui évidemment est un acte contraire à la loi communale.

Ainsi, messieurs, pour faire exécuter une loi on en transgresse une autre et cela n’est pas admissible. Il y a donc des motifs, et des motifs très sérieux pour la révision de la loi sur les dépôts de mendicité et du domicile de secours.

J'appelle l'attention spéciale de M. le ministre de la justice sur cet objet, et je demande cette réforme avec insistance et le plus prochainement possible.

M. Van Overloop. - L'honorable M. Jouret a cru devoir prononcer un discours relativement à la peine de mort. Je n'entends pas examiner la nécessité, ni l'utilité de l'application de cette peine, mais j'ajoute immédiatement que j'incline à partager l'opinion d'Alphonse Karr, disant qu'il était prêt à abolir la peine de mort, pourvu que MM. les assassins donnassent l'exemple.

Je crois cependant devoir citer un fait qui m'est arrivé à moi-même il y a quelques années.

Un crime abominable avait été commis à Bruxelles. Deux individus furent condamnés à mort. J'eus l'occasion de voir ces individus la veille ou l'avant-veille de leur exécution. Il était-certain qu'ils auraient été exécutés. En présence du directeur de la prison, je dis à l'un de ces individus, le nommé Rosseel : « Malheureux, comment se fait-il que vous ayez été commettre un crime aussi atroce que celui pour lequel vous avez été condamné ? Ne saviez-vous pas que la peine de mort pouvait vous atteindre ? -Ah ! monsieur, me répondit-il, si j'avais su que la peine mort était encore applicable en Belgique, je me serais bien gardé de commettre ce crime. »

Voilà ce qui m'est arrivé à moi-même, à la prison de Bruxelles. Je cite ce fait, sans entendre cependant me prononcer sur la question soulevée par l'honorable membre auquel je réponds.

Je passe à un autre ordre d'idées.

Je crois devoir appuyer les observations de l'honorable M. Debaets, relativement aux secrétaires des parquets, aux huissiers et aux notaires.

Quant aux secrétaires des parquets, il me semble que toute peine mérite un salaire convenable. C'est là un point élémentaire de justice.

Le traitement de MM. les secrétaires des parquets est-il convenable ? C'est une question que je pose en présence du traitement dont ils jouissaient autrefois.

Jusqu'en 1845, les secrétaires des parquets des cours d'appel touchaient 2,500 fr. Les commis greffiers touchaient également 2,500 fr. Différence 0.

Depuis 1845, le traitement des secrétaires des parquets a été porté à 2,750 francs et celui des commis greffiers à 3,000 francs. Différence 250 francs.

Enfin, d'après le projet de budget, le traitement des secrétaires des parquets serait porté à 3,300 fr. et celui des commis greffiers à 4,000 fr. Différence 700 francs.

Ainsi, ceux qui en 1845 étaient égaux sont aujourd'hui inégaux puisque les commis greffiers touchent 700 francs de plus que les secrétaires des parquets. Je ne pense pas que la besogne des commis greffiers soit plus importante que celle des secrétaires des parquets ; à coup sûr, je ne pense pas qu'il y ait lieu de leur accorder 700 francs de plus qu'à ces derniers. Je désire qu'on rétablisse l'égalité en donnant aux secrétaires des parquets le même traitement qu’aux commis greffiers.

En ce qui concerne les huissiers, il faut, selon moi, ou les supprimer complètement ou leur assurer les moyens de vivre en travaillant. Par suite des modifications faites depuis quelques années, il paraît certain qu'une grande partie de nos huissiers ne trouvent plus, dans l'exercice de leurs fonctions, les moyens de suffire à leurs besoins. Je passe aux notaires.

Un privilège a été maintenu en faveur des notaires près des cours d'appel et des tribunaux d'arrondissement. Je ne vois pas pourquoi ce privilège existe encore sous le régime de l'égalité qui est le nôtre.

Il est certain qu'aujourd’hui les notaires des grandes villes font aux notaires de canton une concurrence tellement redoutable, que la plupart des jeunes gens qui se destinent au notariat ne demandent un notariat de canton que pour avoir, ainsi que l’a dit l'honorable M. Debaets, le pied dans l'étrier, et qu'ils sollicitent une autre place dès qu'elle devient vacante.

Je connais telle localité où depuis dix ans il y a eu trois ou quatre notaires.

Si je ne me trompe, sous l'administration de l'honorable M. Nothomb, il avait été résolu de ne plus déplacer un notaire qu'après dix années de résidence dans le lieu dans lequel il avait été nommé. (Interruption.)

Quoi qu'il en soit, que cette décision ait été prise ou non, il est certain que, par suite de ce déplacement si multiplié des notaires, le notariat se perd nécessairement dans les résidences où il s'opère. Comme je viens de le dire, les jeunes gens qui se destinent au notariat ne sollicitent plus de place dans les cantons que pour abandonner l'emploi qu'ils ont obtenu, dès qu'il se présente une occasion favorable d'en avoir un autre.

Je disais, messieurs, que la concurrence que font les notaires des grandes villes, est très considérable, et, sous ce rapport encore, je puis citer un fait. Un jour je fis le voyage de Bruxelles à Anvers, avec un notaire de Bruxelles, par le train du matin. Dans la conversation il me dit qu'il allait passer un acte à Anvers, qu'il reprenait le convoi de dix ou de onze heures pour aller passer un acte à Louvain et qu'ensuite il revenait l'après-midi faire les affaires à Bruxelles.

Vous comprenez qu'une pareille concurrence est ruineuse pour les notaires de canton.

Je passe à un autre ordre d'idées.

Un journal qui se distingue parmi ceux qui ont toujours l'œil ouvert sur les abus, Het Land van Waes, signale, dans son numéro du 1er février, un fait sur lequel j'appelle la sérieuse attention de M. le ministre de la justice.

L'arrêté royal du 18 juin 1853, portant règlement général sur les frais de justice, dispose :

« Art. 1er. L'administration de l'enregistrement fait l'avance des frais de justice criminelle, etc..

« Art. 2. Sont compris sous la dénomination de frais de justice criminelle tous ceux qui sont faits pour la recherche et la poursuite des crimes, délits et contraventions, notamment :

« 2° Les honoraires et vacations.... des interprètes. »

L'article 21 de ce même arrêté fixe ainsi les honoraires des interprètes :

« Dans les villes de première classe 5 fr.

« Dans les villes de deuxième classe 4 fr.

« Partout ailleurs 3 fr. »

Puis l'article 24 porte :

« Les traductions par écrit seront payées, pour chaque rôle de 30 lignes à la page et de 16 à 18 syllabes la ligne, savoir :

« Dans les villes de première classe 1 fr. 50 c.

« Dans les villes de deuxième classe 1 fr. 25 c.

« Partout ailleurs 1 fr. »

Enfin l'article 140 dispose :

« Le recouvrement des.... frais sera poursuivi par toutes voies de droit et même par celle de la contrainte par corps, à la diligence des préposés de l'administration de l'enregistrement. »

Quelle est, messieurs, la conséquence de ces dispositions ?

La conséquence évidente en est que les Flamands se trouvent devant les (page 491) tribunaux dans une position infiniment plus désavantageuse que les autres habitants du pays. Les frais d'interprète étant à leur charge, il s'ensuit que nos pauvres Flamands jouissent d'un privilège dont ils désireraient beaucoup être débarrassés.

Ainsi un malheureux peut être condamné à un franc d'amende et avoir à payer cinq francs pour frais d'interprète.

Il y a plus, ou peut être contraint par corps pour les frais de justice et, par conséquent, pour les frais d'interprète.

Il en résulte, en dernière analyse, qu'un Flamand peut être mis en prison parce qu'il ne connaît que sa langue maternelle.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Un Wallon aussi.

M. Van Overloop. - Il n’y a pas d'interprète pour les Wallons, je pense.

Dans tous les cas, cela entraîne des inconvénients extrêmement graves. Ainsi, dernièrement un Flamand a été condamné à mort, et lorsqu'il fut réintégré en prison il ignorait parfaitement sa condamnation.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Ce fait a été démenti de la manière la plus formelle.

M. Van Overloop. - Tant mieux si je suis dans l'erreur sur ce point.

M. Debaets. - Pourquoi dans une province flamande faut-il des interprètes lorsqu'on juge des Flamands ?

M. Van Overloop. - Toujours est-il que devant les tribunaux, les Flamands ne se trouvent pas dans la même position que les autres Belges.

Je suis convaincu que l'honorable ministre de la justice, après y avoir réfléchi, fera disparaître ce grief. Il n'est pas juste qu'on puisse contraindre un individu par corps et le mettre en prison parce qu'il ne connaît que sa langue maternelle.

Si ce fait s'était présenté quant aux populations wallonnes de notre pays sous le gouvernement hollandais, on en aurait fait un grief des plus graves.

Je n’exagère donc pas en demandant qu'on fasse disparaître ce grief pour nos populations flamandes.

J'ai encore, messieurs, une observation à faire.

Une des bases de notre Constitution, c'est incontestablement l'égalité devant la loi, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ; or, messieurs, si un fait, parvenu à ma connaissance, est vrai, l'égalité devant la loi n'est pas toujours respectée.

On dit qu'un homme occupant une belle position sociale a été condamné l'année dernière à sept années de réclusion pour des faits de la plus profonde immoralité.

On ajoute que cet homme, au lieu de subir sa peine à la prison de Vilvorde, la subit au contraire aux Petits-Carmes à Bruxelles et qu'il y est à la pistole.

Si ce fait est vrai, il est évident qu'où accorde à cet homme un double privilège ; le premier, de subir sa peine à Bruxelles, le second, de ne pas être soumis au régime des condamnés. Je désire savoir :

1° Si ces faits sont vrais,

2° En cas d'affirmative, si des motifs d'humanité nécessitent le double privilège dont jouit le condamné auquel je fais allusion.

Ce qui se passe à l'égard de ce condamné produit sur l'esprit d'un grand nombre de personnes un très fâcheux effet.

J'espère que l'honorable ministre de la justice donnera des explications satisfaisantes et qu'il pourra répondre, sur ce point, d'une manière aussi victorieuse qu'il vient de le faire pour le fait qui concerne la cour d'assises de Tongres.

Voilà, messieurs, ce que j'avais à dire dans la discussion générale du budget de la justice.

(page 495) M. Carlier. - Je demande pardon à la Chambre de revenir sur un débat ancien, mais je désire obtenir de la loyauté de M. le ministre de la justice le redressement d'une erreur dans laquelle je crois qu'il a versé, lorsqu'il était question de MM. les auditeurs militaires.

Dans le discours que M. le ministre de la justice a prononcé dans la séance du 14 janvier 1863, il disait, relativement à la motion que j'avais l'honneur de faire pour que l'auditoriat de Mons fût porté de la deuxième classe à la première, que d'après le tableau des causes de 1860 mes observations étaient fondées, mais qu'il fallait se décider d'après la moyenne des 10 années qui ont précédé 1860, et prenant cette moyenne, M. le ministre ajoutait que l'auditoriat de Mons traitait moins d'affaires que tous les autres, que la moyenne des affaires traitées par l'auditoriat de Mons pendant ces 10 années, n'était que de 91 par an. Je n'avais pas alors le document que je tiens ici et je dus laisser passer l'allégation de l'honorable ministre de la justice,,

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est une erreur du Moniteur.

M. Carlier. - Pour que je n'aie pas l'air d'avoir induit la Chambre en erreur, je prie M. le ministre de la justice de vouloir bien s'assurer si le Moniteur a commis une faute d'impression.

Dans tous les cas il résulte des documents que je tiens à la disposition de la Chambre et de l'honorable ministre que l'auditoriat de Mons vient bien en deuxième ligne et qu'il précède, au point de vue du nombre d'affaires, les auditoriats d'Anvers et de Gand. Je réclame de la loyauté de M. le ministre de vouloir bien rectifier l'erreur sur laquelle j'appelle son attention.

(page 491) M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, je n'ai pas les Annales parlementaires sous les jeux, mais j’ai la mémoire assez fidèle pour déclarer à l'honorable membre que ce qu'il vient d'en lire ne reproduit pas exactement mes paroles. Voici, messieurs, ce que je dois avoir dit :

D'abord il ne s'est pas agi de la période décennale de 1850 à 1860, il s'est agi d'une période qui s'arrête en 1856, je pense ; il s'est agi d'un tableau qui était fourni par l’auditorat militaire lui-même, et qui se trouvait annexé à la pétition qu'il avait adressée au Sénat ; de ce tableau il résultait que dans tous les auditoriats de première classe, sauf, je crois, à Liège, l'on avait traité plus d'affaires qu'à Mons. Je comparais seulement Mons aux auditoriats de première classe.

Demain, j'apporterai les pièces ; je les mettrai sous les yeux de la Chambre, je crois pouvoir faire dès ài présent la rectification demandée par l’honorable préopinant.

Il est évident que je ne puis pas avoir dit ce que les Annales parlementaires m'attribuent.

M. Tack. - Messieurs, je viens appuyer par quelques mots les observations qui ont été présentées tout à l'heure par les honorables MM. Debaets et Van Overloop, touchant la position des secrétaires des paquets ainsi que celle des huissiers.

Messieurs, depuis longtemps les secrétaires des parquets insistent pour obtenir d'être assimilés aux commis greffiers, sous le rapport du traitement. A propos de la présentation du projet de loi sur l'organisation judiciaire, à propos aussi de la présentation du projet de loi sur les traitements de la magistrature, des pétitions émanées de ces fonctionnaires ont été adressées à la Chambre.

La section centrale qui les a eus sous les yeux disait que « le traitement des secrétaires des parquets est loin d'être en rapport avec les fonctions qu'ils exercent. »

Après ce témoignage de sympathie, les pétitionnaires pouvaient espérer que leurs vœux seraient comblés Mais, messieurs, il faut bien le dire, ils ont été en grande partie déçus dans leur espoir. Veuillez-le remarquer : bien loin de les assimiler aux commis greffiers, on fait tout le contraire : on augmente l'écart entre leurs traitements, on élargit considérablement la ligne de démarcation qui les sépare.

Et en effet, les commis greffiers reçoivent tous indistinctement une augmentation de 1,000 francs, tandis que les secrétaires des parquets voient leur traitement majoré, les uns de 550 ou de 500 fr., les autres de 400 fr., d'autres de 300 fr. Cela constitue pour les uns une augmentation de 10 p. c, pour d'autres une augmentation de 20 p. c. ; pour quelques-uns une augmentation de 32 p c. ; c'est le maximum ;tandis que les commis greffiers, ont 50,, 55 et même60 p. c. d'augmentation.

Dans une cour d'appel, quatre fonctionnaires, c'est-à-dire le secrétaire du parquet et 3 employés reçoivent ensemble à titre de majoration de traitement une somme de 1,030 fr., tandis qu’un commis greffier d’un tribunal de troisième classe obtient à lui seul une augmentation de 1,000 fr.

Peut-ou prétendre qu'en ceci on a respecté les règles de l’égalité ? J’ai soutenu qu'on avait augmenté l’écart entre les traitements respectifs de cette double catégorie de fonctionnaires. Pour le prouver je vais indiquer quelle était antérieurement la différence entre la position pécuniaire des secrétaires des parquets et celles des commis greffiers et quelle sera cette différence dans le projet nouveau de M. le ministre de la justice.

En faveur du commis greffier de la cour de cassation 1,200 fr. au lieu de 500 fr., en faveur du commis greffier des cours d'appel 700 fr. au lieu de 250 fr., en faveur du commis greffier des tribunaux de première classe 600 fr. au lieu de 100 fr. en faveur du commis greffier des tribunaux de deuxième classe 1,000 fr. au lieu de 400 fr., et finalement en faveur du commis greffier du tribunal de troisième classe 900 fr. au lieu de 300 fr. Certes les commis greffiers ne sont pas trop rétribués, mais en présence de ces chiffres peut-on dire que les secrétaires des parquets le sont assez ?

II y a 15 ans, il y avait au tribunal de Nivelles, qui est cité dans le rapport de la section centrale concernant le projet de loi qui règle les traitements de la magistrature, un commis greffier au traitement de 900 francs. Depuis lors, on a nommé à ce siège un second commis greffier ; or, en vertu de la loi que nous avons votée l'autre jour, chacun de ces deux commis greffiers reçoit 2,600 fr. ; ensemble 5,200 fr., tandis que le secrétaire du parquet du même tribunal qui à lui seul a plus de besogne que les deux commis greffiers, ne jouira que d’un traitement de 1,700 fr.

Je disais donc avec raison que les secrétaires des parquets ont été trompés dans leur attente. Permettez-moi de le faire remarquer à la Chambre, les secrétaires du parquet ont eu cette singulière chance d'entendre tout le monde plaider constamment leur cause dans cette enceinte et de ne jamais gagner leur procès. Trois sections centrales, celle de 1842, celle de 1856 et celle de 1858 se sont prononcées en leur faveur, se sont apitoyées sur leur sort. Aujourd'hui, une quatrième, la section centrale de 1863 déclare, comme je l'ai rappelé tout à l'heure, que le traitement de ces fonctionnaires est loin d’être en rapport avec l’importance de leur emploi, et cependant tout cela, au lieu de les rapprocher du terme auquel ils aspirent, les en éloigne.

Dans les discussions qui ont eu lieu en 1844 et sur lesquelles l'honorable M. Dcbaets vient de s'appuyer, tous les membres de la Chambre qui appartenaient aux parquets, (nous n'avions pas encore la loi sur les incompatibilités parlementaires) ont pris tour à tour la parole pour défendre la cause des secrétaires des parquets et pour demander formellement leur assimilation aux commis greffiers en ce qui concerne le traitement.

En 1856, l'honorable M. Nothomb, alors ministre de la justice, dans les développements du budget, se prononça aussi pour l'assimilation des secrétaires des parquets aux commis greffiers ; son opinion ne rencontra aucun contradicteur. La mesure fut seulement retardée par suite des circonstances.

Dans d'autres pays, les. secrétaires des parquets, notamment ceux des cours d'appel, ont le même traitement que les commis greffiers ; il en est ainsi en Hollande ; en France, leur traitement est même supérieur. Même chez nous depuis 1836 jusqu'en 1845 leur position fut la même, alors seulement l'équilibre fut rompu.

Dira-t-on que les secrétaires des parquets n'appartiennent pas à l'ordre judiciaire. Je le veux bien ; mais il faut avoir égard avant tout aux services rendus, à l'intelligence qu'exigent les fonctions qui incombent aux agents de l'Etat.

Eh bien, peut-on prétendre que les secrétaires des parquets doivent faire preuve de moins de capacité que les commis greffiers ? Non sans doute ; on proclame unanimement qu'ils doivent avoir, au moins, autant d'intelligence que les commis greffiers ; que leur besogne est plus considérable, qu'ils doivent être des hommes de confiance, d'une discrétion à toute épreuve.

Dira-t-on que ceux qui, par exemple, appartiennent aux parquets des cours d'appel, ont devant eux la perspective d'entrer dans la magistrature ? Je ne le nie point. Encore faut-il, en attendant, les rétribuer convenablement. Mais encore l’intérêt public n'exige-t-il pas qu'on attache les secrétaires de parquets plus étroitement à leurs fonctions ? N'est-il pas désirable de faire en sorte qu'ils ne renoncent pas à leur position aussi facilement qu'ils le font aujourd'hui ?

Un secrétaire de parquet est un homme spécial qui ne se forme pas du jour au lendemain.

J'espère donc, avec l'honorable M. Debaets, que le dernier mot n'est pas dit pour les secrétaires des palais, qu'on reviendra sur le chiffre de leurs traitements, lorsqu'il s'agira de la loi d'organisation judiciaire ; quant à moi, j'aurais volontiers voté une augmentation plus grande dès à présent à l'occasion du budget.

Quant aux huissiers, ils nous ont aussi adressé de nombreuses pétitions.

Un mot maintenant au sujet des huissiers. Ces modestes agents de l'autorité se plaignent et avec raison., selon moi, de la fausse position qui leur est faite par suite des économies introduites surtout en matière répressive et aussi en matière de procédure, d'expropriation, d'hypothèques et de contrainte,

Pas plus que l'honorable M. Debaets, je n'entends blâmer les mesures qui ont donné lieu à ces économies ; il n'en est pas moins constant qu'elles ne font pas le compte des huissiers.

En matière de répressions, on nous l'a dit, contrairement à ce qui se passait autrefois, les témoins sont appelés par de simples invitations remises par les gardes champêtres ; les citations, les significations aux détenus sont faites par les gardiens des prisons ; les inscriptions d'écrou, les extradions par les gendarmes, les commandements et les arrestations pour le recouvrement des frais, par les agents de la force publique. Il ne reste plus aux huissiers que les citations aux prévenus non détenus, et les significations de jugements par défaut alors que le condamné n'a pas acquiescé au jugement, ce qui est le cas le plus fréquent.

Sont-ils du moins convenablement rétribués pour ces devoirs ? Non. Vous avez pu en juger déjà par ce que vous a dit l'honorable M. Debaets ; permettez-moi d'ajouter un exemple à ceux qu'il vous a cités, je le prendrai dans l'arrondissement que je représente. Quand un huissier de Courtrai est obligé de faite une signification, en matière répressive, à Mouscron, quelle est la rétribution qu'il reçoit ? Pour 28 kilomètres, aller et retour, il reçoit 1 fr. 95 c.

Voilà tout son salaire. Déduisez-en un franc pour sa place au convoi en troisième classe s'il y en a, il lui reste 95 centimes, et ces 95 centimes sont le plus souvent encore absorbés en petits débours qu'il est obligé de faire pour se procurer des renseignements ou se livrer à des recherches de diverses natures.

Souvent il est obligé d'aller signifier son exploit à une distance de la station de Mouscron, de quatre ou cinq kilomètres.

Pour ce trajet de 8 à 10 kilomètres aller et retour, il ne lui reste pas une obole.

Ainsi il aura payé tout une journée en courses, il aura perdu tout son temps et n'aura pas gagné un centime. Et c'est à raison des prétendus avantages qu'il recueille par suite des actes dont il est chargé en matière de justice répressive, qu'on le force encore à faire gratuitement le service des audiences du tribunal correctionnel.

Cela dégénère en dérision.

Mieux vaudrait, et c'est ce que les huissiers demandent, leur enlever toute la besogne en matière répressive et les dispenser du service qu'on réclame d'eux comme audienciers au tribunal correctionnel.

Il ne faut pas perdre de vue, messieurs, que l'huissier doit avoir une certaine capacité, qu'il doit être probe, qu’il est astreint à une tenue convenable, qu'il ne peut exercer aucun commerce, que ses fonctions sont des plus ingrates. Au surplus leurs prétentions sont loin d'être exorbitantes. Voici ce qu'ils demandent ou du moins ce que sollicitent les huissiers du ressort du tribunal de Courtrai. Ils voudraient d'abord une augmentation de salaire pour leurs actes en matière répressive, tout au moins qu'on leur alloue les émoluments qui sont réservés aux huissiers des villes de première classe ; c'est-à-dire, au lieu de 50 centimes pour l'original et 80 centimes pour la copie, 75 centimes pour l'un et 60 centimes pour l'autre. Ils insistant ensuite pour qu'ils puissent voyager comme ils l'entendent et qu'on supprime la distinction entre les parcours faits par chemins de fer et ceux fournis à pied, en un mot qu'on accorde la taxe entière de 15 centimes par kilomètre.

Enfin ils demandent qu'on les rémunère des travaux qu'on leur impose en police correctionnelle et devant les tribunaux correctionnels.

J'espère que M. le ministre de la justice voudra bien porter sou attention sur les réclamations qui sont parvenues à cette Chambre de la part de ces modestes fonctionnaires qu'on a appelés avec raison les serviteurs de la justice.

Avant de terminer, je désire, messieurs, vous entretenir un instant d'une autre catégorie de personnes qui n'appartiennent pas au personnel de nos tribunaux, qui sont cependant de véritables juges, dans l'acception vulgaire du mot ; je veux parler des membres du jury siégeant en matière criminelle.

L'indemnité de séjour accordée aux membres du jury est vraiment insignifiante ; elle est encore telle aujourd'hui qu'elle a été fixée par la loi du 1er mars 1832, c'est-à-dire 1 florin 50 cents ou 3 francs par jour !

Messieurs, en fixant les traitements des magistrats et de tous les fonctionnaires et employés qui forment le personnel de nos cours et tribunaux, nous sommes partis de ce principe que les traitements doivent être en rapport avec les besoins de la vie, et nous avons pris en considération que depuis vingt ans l'argent a considérablement diminué de valeur. Or, l'indemnité pour les jurés a été fixée il y a 31 ans.

Peut-on soutenir raisonnablement qu'avec 3 fr. par jour il soit possible de se nourrir, de se loger convenablement dans un chef-lieu de province ? Evidemment non. On objectera peut-être que les jurés sont en général des gens aisés ; d'accord. Mais, messieurs, il y en a dans le nombre pour qui les fonctions de jurés, exercées pendant une quinzaine de jours, sont une véritable charge. Aux frais de séjour auxquels ils sont astreints, il faut ajouter la perte de temps : le juré est soustrait forcément, malgré lui, à ses affaires ; et, sa fortune en dépendît-elle, il faut qu'il soit à son poste : la Constitution le veut ; la loi sur le jury l'exige.

Il est vrai que les fonctions de juré sont une prérogative constitutionnelle ; que l'exercice de ces fonctions est un des côtés par lesquels les citoyens participent directement à la puissance publique dans sa plus haute expression. Mais, prérogative ou non, c'est rarement sous cet aspect, qu'on envisage l'exercice des fonctions de juré. On y voit assez souvent une charge, un véritable corvée, et le législateur a si bien pressenti que telle serait l'appréciation générale, qu'il condamne à une amende de 500 francs le juré qui ne répond pas à l'appel de son nom au jour où il est appelé pour juger ses concitoyens.

Ne convient-il pas de rendre la charge aussi peu onéreuse que possible pour ne pas rendre l'institution elle-même impopulaire ? N'obligeons donc pas les jurés à puiser dans leur bourse pour payer leurs frais de séjour pendant les assises ; ne perdons point de vue que leurs fonctions sont des fonctions forcées. N'oublions pas, non plus, que la nature même de ces fonctions constituent une charge très inégale. En effet, les fonctions de juré incombent tout juste aux plus intelligents, les ignares y échappent.

Vous le savez, messieurs, les jurés sont pris parmi des censitaires qui ne sont pas très nombreux ; la liste des censitaires subit une double épuration ; la première qui consiste à réduire la liste de moitié, opération qui se fait par le président du tribunal de première instance assisté de deux juges ; la seconde épuration de moitié est faite en cour d’appel. D'autre part parmi les membres du jury il en est un grand nombre qui siègent, non comme censitaires, mais à cause de leur capacité ; tels sont par exemple, les secrétaires communaux ; les artistes vétérinaires, etc. Il est évident que, pour la plupart d'entre eux, l'exercice des fonctions de juré constitue une très lourde contribution dont sont exempts des gens beaucoup plus aisés ; n'est-ce pas une anomalie choquante ?

Je voudrais donc que M. le ministre de la justice examinât la question de savoir s'il ne serait pas possible d'augmenter l'indemnité accordée aux (page 493) membres du jury. Cela me semble de toute équité, et je compte que M. le ministre de la justice voudra bien nous faire connaître ses intentions à ce sujet.

- La séance est levée à 4 3/4 heures.