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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 27 février 1863

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1862-1863)

(page 442) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.

M. Thienpont, secrétaire., donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone, secrétaire, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Des habitants de Reeth demandent que les subsides de l'Etat pour la construction de routes soient accordés aux communes qui ne sont point reliées aux grandes routes et aux stations du chemin de fer. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les secrétaires du parquet près les trois cours d'appel demandent l'assimilation de leur traitement à celui des commis greffiers des cours d'appel. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la justice.


« Les huissiers attachés au tribunal de première instance de Courtrai prient la Chambre de voter en faveur des huissiers : 1° une augmentation de salaire pour les actes de justice répressive ou du moins un chiffre d'émoluments uniforme ; 2° la suppression des distinctions pour les parcours à faire par chemin de fer ; 3° un traitement fixe et annuel pour les services qu'ils rendent dans l'intérieur des tribunaux. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la justice.


« Le conseil communal d’Oyghem présente des observations sur la direction à donner au canal de Roulers à la Lys, et demande qu'il soit fait des études spéciales sur la question d'alimentation du canal. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« La députation permanente du conseil provincial de Namur présente des observations sur une assertion émise par M. le ministre de l'intérieur au sujet de la fréquentation des écoles dans cette province. »

M. Wasseige. - Messieurs, l'honorable ministre de l'intérieur, en répondant à l'interpellation que j'avais eu l'honneur de lui adresser à propos d'un règlement sur l'enseignement primaire, avait dit dans la séance de mardi :

« Il n'y a peut-être pas de province où l'on fasse des sacrifices plus considérables pour l'enseignement primaire que la province de Namur, et cependant il n'y en a pas peut-être non plus dont les écoles soient moins fréquentées. »

Cette assertion a ému la députation permanente de Namur ; elle la conteste positivement à l'aide de renseignements sérieux, et ce sont ces renseignements qui sont contenus dans la lettre qu'elle vous adresse, et qui vient d'être analysée.

II paraît résulter en effet d'un tableau annexé à cette lettre et dont tous les chiffres ont été puisés aux sources officielles, puisqu'ils ont été pris dans les rapports des députations permanentes présentés aux conseils provinciaux au mois de juillet 1862, que 13/15 des enfants en âge d'écolage fréquentent les écoles dans la province de Namur, et que ce nombre place cette province sur la même ligne que le Hainaut et n'est surpassé que par la province de Luxembourg.

Il paraît en résulter également que 1/6 seulement des miliciens de la province de Namur sont dépourvus de toute instruction, ce qui place sous ce rapport cette province au premier rang parmi toutes celles dont la statistique est connue.

Je demande que cette réclamation soit renvoyée à l'examen de la commission avec demande de prompt rapport.

J'aime à croire que s'il résulte de l'examen impartial de cette pièce que M. le ministre de l'intérieur a été induit en erreur par des renseignements inexacts, il sera le premier à le reconnaître, et que s'il n'en est pas ainsi, il voudra bien nous donner les raisons pour lesquelles il persiste dans son assertion ; j'aurai alors à examiner et à combattre ses raisons, s'il y a lieu, sauf à vous autres, messieurs, à apprécier de quel côté sera la vérité.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je ne m'oppose pas au renvoi de la pétition à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport, mais je crois pouvoir dire, dès ce moment, qu'il me sera très facile de maintenir les assertions que j'ai produites devant la Chambre.

Lorsque la discussion viendra je pourrai produire des documents qui prouveront que la province de Namur n'obtient pas, en faisant de grands, de louables sacrifices, tous les résultats qu'on pourrait espérer d'une bonne organisation de l'enseignement primaire.

Du reste, je remercie la députation permanente d'avoir produit cette pièce à la Chambre, parce que c'est un témoignage nouveau de la sollicitude de ce collège pour tout ce qui concerne l'enseignement primaire.

- Renvoi à la commission des pétitions avec demande de prompt rapport.


« D'anciens combattants de 1830 demandent la croix de Fer et déclarent renoncer au bénéfice de la pension attachée à cette croix. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions relatives au même objet.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1863

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XIX. Beaux-arts

Article 117

M. de Boe. - Messieurs, je m'étais fait inscrire avant-hier pendant le discours prononcé par l'honorable rapporteur de la section centrale, avec le désir de contredire quelques-unes de ses allégations et de combattre la réduction de crédit proposée par la section centrale.

Je serai, messieurs, très sobre de considérations sur la peinture murale ; ce débat me paraît quelque peu épuisé et ne me semble de nature à être réveillé que par la parole vive, ardente et colorée de l'honorable M. Barthélémy Dumortier qui compte prendre la parole tout à l'heure.

En entendant parler l'honorable rapporteur de la section centrale, en l'entendant attaquer avec une vivacité extrême la peinture murale, exalter à ses dépens la peinture sur toile et sur bois, j'ai cru voir revivre ces heureux temps de vitalité artistique et intellectuelle, où des écoles rivales et des systèmes opposés se jetaient réciproquement l'anathème ; ces temps où les coloristes prétendaient exclure ceux qui cultivaient la pureté de la ligne et du dessin ; où les romantique conspuaient les classiques, où l'on prétendait, au nom des lettres chrétiennes, exclure de l'enseignement les auteurs de la littérature profane.

Ces luttes sont déjà bien loin de nous, et l'on ne peut les rappeler sans quelque émotion, car elles étaient l'indice d'une foi profonde, et par cela même un peu intolérante. Elles étaient contemporaines d'une des plus brillantes époques du XIXème siècle ; la renaissance des lettres et des arts qui fut comme le premier fruit et le premier don offerts par la grande paix qui suivit les longues guerres de la république et de l'empire.

Le discours de l'honorable M. Hymans est comme une dernière lueur de ces grandes batailles, batailles terminées aujourd'hui que l'éclectisme envahit toute chose, le domaine des arts comme le domaine des lettres. Les écoles rivales se sont réconciliées ; elles ont fait de nécessité vertu ; les coloristes ont donné la main aux partisans de la pureté de la ligne ; les romantiques siègent sur les bancs des académies à côté des classiques, et les pères de l'Eglise se sont introduits dans l'enseignement à côté des auteurs de la littérature profane. Leurs œuvres ont été trouvées tellement remarquables, qu'elles ont pu faire l'objet d'un des cours les plus suivis de la faculté des lettres de Paris.

La paix s'était faite dans les esprits, et la peinture murale avait profité de cette paie pour s'introduire en France et en Belgique. Elle en jouit pleinement jusqu'au jour d'une conversion éclatante, ce sont les termes de l'honorable M. Hymans, conversion qui a froissé des convictions et jeté l'alarme dans le camp des partisans des traditions de l'ancienne école belge ; jusqu'au jour où le gouvernement belge a cru devoir associer la peinture murale à la restauration de nos édifices communaux.

Déjà, l'an dernier, l'honorable M. B. Dumortier avait ouvert la campagne, et cette fois l'honorable M. Hymans lui apportant le concours de son esprit, de son éloquence et sa science des arts, a livré à cette peinture le plus redoutable assaut.

Sa passe d'armes a été des plus brillantes ; mais ses adversaires ne me paraissent pas avoir mordu la poussière, et cela par une raison bien simple : c'est que les coups de l'honorable membre ont été trop violents pour porter juste. C'est que l'honorable membre a dépassé le but ; il a ainsi forcé les gens qui, comme moi, souscriraient volontiers à quelques-unes de ses idées, si elles étaient émises avec modération et réserve, à prendre la défense d'un genre de peinture pour lequel ils ont une assez médiocre sympathie, mais qui ne me paraît pas mériter l'excès d'indignité dont on l'accable ou la proscription dont on veut la frapper.

(page 445) La peinture murale, pour le dire en deux mots, ne me paraît mériter ni l'excès d'enthousiasme, ni l'excès de colère dont elle est l'objet. Il me semble que l'honorable rapporteur de la section centrale eût pu parler avec un peu plus de respect d'un genre de peinture dont Michel Ange a dit, avec la fougue qui distingue son caractère et son esprit, qu'elle était la première des peintures, et que la peinture à l'huile n'était que peinture de femme.

C'était de l'exagération, direz-vous ! C'est vrai ; mais l'honorable M. Hymans n'aurait pas dû oublier davantage que les chefs-d'œuvre de la grande peinture sont des fresques.

II nous disait avant-hier que Rubens était allé étudier en Italie et qu'il n'en avait pas rapporté la fresque. C'est parfaitement vrai ; mai ce qui n'est pas moins vrai, c'est que c'est à la vue des fresques de Michel-Ange et de Raphaël que Rubens a fécondé son admirable génie. Les prophètes et les Sibylles, le Jugement dernier sont des fresques. L'Ecole d'Athènes, la Dispute du saint sacrement sont des fresques.

Voilà pour la peinture murale dans le passé. Est-ce une raison pour préconiser outre mesure ce genre de peinture pour l'avenir ? Je ne le pense pas.

Je crois cependant qu'il a son utilité. Je crois qu'il convient parfaitement à l'ornementation de nos églises et qu'il convient beaucoup mieux à cet égard que la peinture à l'huile. Les tons froids, les tons mats, les teintes virginales de la peinture murale, se marient beaucoup mieux avec ce que Montaigne appelait, dans son langage pittoresque, la vastité sombre de nos édifices religieux.

Puisque je parle de l'ornementation intérieure des églises, permettez-moi d'en dire quelques mots.

On a fait des réparations remarquables à l'extérieur ; à cet égard il n'y a guère de critique à faire. A l'intérieur, on a fait des essais de peinture murale et de peinture polychrome. Ces essais ont admirablement réussi à l'église Saint-Georges à Anvers.

La peinture polychrome y est sobre de couleur, du noir et du gris. Mais les essais faits ailleurs n'ont pas été aussi heureux.

On a fait dans ces derniers temps, à Notre-Dame de Paris, de la peinture polychrome ; c'était le plus affreux badigeonnage qui se pût voir et auquel on ne peut guère comparer que l'affreux badigeonnage de la salle Gothique de l'hôtel de ville de Bruxelles.

On a depuis lors effacé ces couleurs discordantes et on a rendu au temple l'austérité de la pierre nue.

Tout au plus, a-t-on mis en couleur les voussures et l'extrémité des arceaux.

Tous les ornements intérieurs du temple ont été mis en harmonie avec l'architecture ogivale.

Le même genre de décoration prévaut aujourd'hui dans toutes les églises gothiques de France et prévaut aussi en Allemagne ; il prévaut notamment dans le plus beau temple gothique connu, la cathédrale de Cologne.

Lorsqu'on visite les monuments belges et, pour n'en citer qu'un, l'église Sainte-Gudule qui est à nos portes, on y voit trop souvent le badigeonnage au lait de chaux s'y étaler en quelque sorte dans toute sa laideur. On y trouve adossées à des colonnes gothiques des statues reposant sur consoles du XVIIIème siècle.

Je crois qu'il serait temps de mettre un peu d'harmonie dans l'ornementation de nos églises et d'étudier les améliorations faites ailleurs.

Le discours prononcé par l'honorable M. Hymans est parfait au point de vue esthétique, c'est une charmante critique d'art, mais ce n'est pas un discours parlementaire.

Il manque un peu de conclusion pratique. Cette conclusion se trouve cependant dans son rapport.

L'honorable M. Hymans est partisan de la construction d'un palais des beaux-arts ; il s'en est exprimé à plusieurs reprises dans cette enceinte. (Interruption.)

L'honorable M. Hymans est de plus partisan de la création d'un musée moderne renfermant les œuvres les plus remarquables de nos artistes.

Je suis loin de m'opposer à l'achat de tableaux, au contraire.

Mais je viens combattre l'idée de concentrer les tableaux dans un seul musée. D'abord, au point de vue de l'art, de la mise en valeur artistique des tableaux, un musée est une chose imparfaite.

Les couleurs les plus discordantes s'y trouvent réunies, chaque tableau y fait tort à son voisin, les toiles hurlent en quelque sorte de se trouver ensemble. Il m'est impossible de passer une demi-heure dans un musée moderne sans éprouver un violent mal de tête et sans ressentir un dégoût profond, momentané, il est vrai, de toute espèce de peinture.

Les musées de tableaux anciens n'ont pas cet inconvénient, le temps a mis sur les toiles une teinte uniforme, et détruit l'antagonisme de leurs couleurs.

Eh bien, le gouvernement en proposant de décorer nos édifices communaux me semble, en définitive, réaliser une idée plus grande que celle qui est préconisée par l'honorable M. Hymans.

Le gouvernement en agissant ainsi rentre dans les véritables traditions de l'art.

Il encourage l'art comme on l'encourageait aux grands siècles de la peinture, comme l'encourageait Henri VIII commandant des tableaux à Holbein ; il l'encourage comme l'encourageait le gouvernement vénitien confiant le palais des Doges au pinceau du Titien et du Véronèse.

Il l'encourage comme l'encourageaient les grands papes de la Renaissance lorsqu'ils chargeaient Michel-Ange et Raphaël de peindre l'un la chapelle Sixtine, l'autre les galeries du Vatican.

Il l'encourage, enfin, comme l'encourageait Marie de Médicis lorsqu'elle commandait à Rubens les toiles du palais de Luxembourg, aujourd’hui transportées au Louvre.

Il importe, du reste, messieurs, de ne pas perdre de vue que si la centralisation, que l'on combat si fréquemment dans cette enceinte, est une chose funeste, ce n'est pas qu'elle soit funeste en elle-même, c'est parce qu'elle amène la centralisation de l'intelligence.

La décentralisation n'est en réalité qu'un moyen ; le but c'est de maintenir dans les. grands centres autres que la capitale, une activité intellectuelle.

Si la France est un pays centralisé, ce n'est pas parce qu'on traite à Paris certaines affaires qui devraient être traitées dans les départements ; ce n'est pas que les préfets tranchent des questions qui devraient être résolues par des corps électifs, c'est parce que toute la vie intellectuelle et politique se trouve concentrée à Paris.

Le gouvernement, du reste, est quelque peu tenu à soutenir nos communes dans cette œuvre grandiose qu'elles ont entreprise, pour réparer les anciens édifices communaux. Les dépenses qu'elles ont faites de ce chef sont considérables, et pour ne citer qu'un exemple, la restauration de la tour de Notre-Dame d'Anvers a occasionné jusqu'ici une dépense de 700,000 à 800,000 fr., la ville y a contribué pour plus de 600,000 francs. Quand des villes font de tels sacrifices pour la restauration de monuments qui ne sont pas, à proprement parler, des édifices communaux, qui sont des monuments nationaux et qui font la gloire de la Belgique, je crois que le gouvernement doit faire quelque chose. Je dis même qu'il devrait faire davantage.

Comment ! la génération actuelle fait les fonds de ces restaurations ; nos petits-neveux en jouiront, et nous, nous sommes condamnés à voir des échafaudages pendant toute notre existence ! Depuis 10 ans on ne voit que les planches collées contre l'hôtel de ville de Bruxelles.

Je crois que le gouvernement devrait intervenir davantage et que s'il fallait quelques centaines de mille francs, même quelques millions de plus pour faire marcher plus vite cette œuvre de restauration, il faudrait les dépenser.

II est un autre point sur lequel je désire appeler l'attention du gouvernement ; il s'agit de la conservation des monuments restaurés. Quand on a achevé le nouveau Louvre, à Paris, on a pris des mesures pour le mettre à l'abri de l'action corrosive des brouillards et de la fumée.

On l'a couvert d'un enduit chimique incolore qui le met complètement à l'abri de cette destruction.

Je m'étonne qu'à la suite des restaurations faites à l'église de Sainte-Gudule et à l'hôtel de ville de Bruxelles, on n'ait pas eu recours à un semblable préservatif. (Interruption.)

On l'a employé pour la colonne du Congrès, dit-on ; on l'a employé ailleurs, notamment à Louvain. A Louvain, au lieu de mettre un enduit chimique incolore, on a peint l'hôtel de ville. Ce qui est tout à fait autre chose.

Enfin, messieurs, la restauration et la décoration de nos anciens monuments présentent l'avantage d'être une source puissante d'inspiration.

C'est une heureuse idée qui réussira peut-être que de mettre en quelque sorte le génie de nos artistes en contact avec le génie des grands architectes du moyen âge.

J'ai dit tout à l'heure qu'en agissant comme on l'a fait, le gouvernement reprend les grandes traditions du XVIème siècle, et en me plaçant sur ce terrain, je dois surtout combattre une autre idée de l'honorable rapporteur de la section centrale, c'est celle de soumettre les procédés des artistes à des hommes compétents, c'est celle de les obliger à fournir, avant l'exécution de leurs commandes, des cartons ou des esquisses ; si les anciens gouvernements du XVIème siècle ont obtenu de si magnifiques résultats, (page 444) c'est qu'ils avaient foi dans le génie de l'artiste, c'est qu'ils se fiaient à sa liberté.

Le XVIème siècle était un siècle de foi avant toute chose, siècle de foi artistique au commencement, siècle de foi religieuse à la fin.

Quand Jules II confia l'exécution de la chapelle Sixtine à Michel-Ange, Michel-Ange comptait à peine parmi les peintres. Doué de ce génie encyclopédique qui est un des traits distinctifs des hommes de talent de l'Italie, il avait fait du génie militaire ; il devait être un jour, en qualité d'inspecteur des fortifications, chargé de la défense militaire de Florence.

Il avait fait de l'architecture : il élevait le Panthéon de Rome sur l'église nouvelle de Saint-Pierre ; il travaillait au mausolée de Jules II. Il avait fait de la statuaire : il venait d'achever le Moïse, la plus belle statue des temps modernes. Il avait fait de la littérature : ses œuvres viennent d'être traduites en français.

Il n'avait que très peu manié le pinceau ; et son ignorance des procédés de l'art, des procédés de la peinture à fresque, de la peinture murale était telle, qu'il dut faire venir des praticiens de Florence qui lui formèrent la main. La chapelle fut fermée au public, au pape même ; l'œuvre achevée, Michel-Ange offrit aux regards éblouis des Romains, les Prophètes et les Sibylles auxquels il devait un jour ajouter le Jugement dernier.

Tel était au XVIème siècle la foi que l'on avait dans le génie des grands hommes. On ne consultait pas alors les hommes compétents ; on ne demandait pas aux artistes des esquisses et des cartons ; et je suis étonné d'entendre glorifier un semblable système par l'honorable M. Hymans, qui s'est toujours, fait, dans cette enceinte, l'adversaire déclaré des commissions en matière administrative, c'est-à-dire là où elles peuvent être utiles.

Je suis surpris de le voir réclamer la création de commissions en matière artistique, c'est-à-dire là où elles ne peuvent qu'être nuisibles. Quels seraient du reste les hommes compétent ; qui entreraient dans ces commissions ? Des artistes évidemment.

M. Hymans. - L'Académie.

M. de Boe. - Mais l'Académie est composée d'artistes, je suppose. Vos commissions seraient donc composées d'artistes, c'est-à-dire d'hommes qui la plupart du temps professeraient des principes diamétralement opposés à ceux de l'artiste qui aurait reçu la commande.

Ce serait, pour ne point chercher de termes de comparaison dans le présent, ce serait Raphaël jugeant Michel-Ange.

L'honorable membre s'est livré à une critique très vive de la peinture allemande contemporaine ; il nous a dit que toutes les fresques de l'Allemagne ne valent pas les tableaux d'un peintre de second ordre de la Belgique.

Eh bien, par ce système de commissions, d'esquisses et de cartons préalables, on tomberait précisément dans un des principaux vices de la manière dont on encourage les arts en Allemagne.

L'honorable ministre a vu, comme moi, les fresques de Munich ; elles ne m'ont inspiré, je dois le dire, qu'un médiocre intérêt pour la peinture murale.

Eh bien, l'un des peintres le plus en renom de l'Allemagne, Cornélius, peignait de la façon suivante : il faisait des cartons, et ses élèves les copiaient et les mettaient en peinture.

M. Hymans et M. B. Dumortier. - Ils procèdent tous ainsi.

M. de Boe. - Eh bien, qu'est-ce qu'un pareil procédé ? C'est de l'enluminure ; ce n'est pas de la peinture. Il est le produit des cartons. On peut voir dans le même musée les esquisses qui ont servi à Rubens pour l'exécution de ses tableaux exposés au Louvre ; mais ces esquisses ressemblent autant à l'œuvre finale que le squelette ressemble à l'homme, que les notes d'un orateur ressemblent au discours qu'il prononce.

Je demanderai à l'honorable M. Hymans si, lorsqu'il a commencé à écrire ce spirituel roman de mœurs contemporaines intitulé la Famille Buvard il eût été à même de produire un canevas de son œuvre, une esquisse des caractères qu'il se proposait de traiter. Evidemment non, ce roman il l'a écrit au jour le jour ; et le succès de la production de la veille lui servait en quelque sorte d'inspiration pour la continuation de son œuvre.

C'est ainsi qu'il a réussi ; c'est ainsi que réussissent tous les littérateurs et tous les artistes.

Il y a eu, en Europe, un souverain qui a voulu imposer ses idées à un artiste, un peuple qui a voulu imposer ses goûts à une école. Le souverain c'est Philippe IV, l'artiste, Velasquez. Philippe IV a étouffé un des plus beaux génies modernes : Velasquez a passé sa vie à peindre admirablement des infants et des infantes affublées comme des poupées. L'Espagne a horreur du nu ; ses artistes se sont fermé ainsi cette source vivante d'inspiration, la plus grande douleur physique, la plus grande douleur morale, la plus grande scène de la religion chrétienne, le crucifiement du Sauveur.

Ils ont horreur du nu, non pas du nu humain et lascif de l'Adam et Eve de Van Eyck, mais du nu chaste, du nu artistique de Rubens, de Van Dyck, du Titien.

Tout le monde connaît l'histoire de la Descente de croix de Rubens. Le couvent voulait un saint Christophe, Rubens se sentait de l'inspiration pour une descente de croix, et il fit son chef-d'œuvre ; le couvent persista à vouloir son saint Christophe et Rubens lui en fournit un sur le volet.

Tout le monde connaît plus ou moins le magnifique tableau des Noces de Cana qui se trouve dans la galerie de la tribune au Louvre.

Les églises et les couvents de Venise commandaient des scènes de la vie religieuse, l'adoration de la Madone par saint Pierre, Moïse sauvé des eaux, les Noces de Cana. Que livraient les artistes ? Ils fournissaient des sujets religieux au fond, mais où brillaient la splendeur et le luxe de la vie vénitienne. Les Noces de Cana sont un splendide repas, Moïse sauvé des eaux est une scène pastorale de la vie vénitienne.

Quant à la Madone adorée par saint Pierre, j'engage l'honorable rapporteur à lire ce qu'en a écrit récemment M. Veuillot, c'est une page pleine de verve et d'humour.

Que veut-on ? On veut avant toute chose créer des artistes, créer des créateurs. Ce n'est pas créer que mettre le génie sous l'étouffoir des commissions que de demander aux artistes des esquisses, des cartons ?

De deux choses l'une, ou les artistes suivront les esquisses ou ils ne les suivront pas ; s'ils les suivent ils feront une œuvre médiocre, s'ils ne les suivent pas, mieux aurait valu alors ne pas les leur demander.

Je me sépare donc de l'honorable rapporteur dans les attaques trop vives qu'il dirige contre la peinture murale et dans la proscription dont il veut la frapper ; je me sépare encore de lui quand il veut centraliser sur un même point toutes les œuvres d'art, et quant à son système de soumettre les artistes à des hommes compétents et de leur demander des cartons, des esquisses à l'aide desquelles on pût juger d'avance de leur œuvre.

Je le répète, ce qu'il faut aux artistes, c'est la liberté, ce qu'il faut au gouvernement c'est la foi dans la liberté de l’artiste. Quand un homme qui a fait ses preuves veut adopter un genre nouveau, qu'on le laisse faire. L'enjeu n’est pas égal. Que risque le gouvernement ? Quelques écus ! Qu'est-ce que risque l'artiste ? Il risque sa réputation, sa gloire.

Abordant la question financière, je déclare que je ne me rallie pas à la proposition de la section centrale.

Que consacre le gouvernement par an à l'encouragement des lettres, des sciences et des arts ? Pas un million, pas le quart du revenu d'un duc de Bedfort, le douzième du revenu du marquis de Westminster.

Qu'avons-nous fait de grand, avec ces encouragements mesquins depuis 30 ans ? Je parle du gouvernement et non des artistes qui ont fait des efforts individuels,, qui ont admirablement réussi. L'exposition de Londres, pour l'organisation de laquelle nous avons trouvé un contradicteur en M. Hymans, en a été la preuve éclatante ; si je ne craignais de céder à cette plaie de l'époque moderne, de me laisser aller à la flatterie de l'opinion publique, je dirais que la Belgique a brillé sans rivale.

La France par son organisation avait adopté le principe démocratique alors que la Belgique avait donné la préférence au principe aristocratique ; tandis que nous n'avions admis que les œuvres les plus remarquables de l'art, la France a admis tout le monde, et on a vu le charmant tableau de M. Ingres, la Source, écrasé par les batailles de Magenta et de Solferino, assemblage incohérent de couleurs de toute espèce.

Nous avons distribué depuis 30 ans beaucoup de subsides, je ne le conteste pas, mais en quoi nous sommes-nous associés à quelque grande œuvre ?

En quoi nous sommes-nous associés à ces missions coûteuses entreprises par le gouvernement russe, par le gouvernement prussien, par le gouvernement autrichien, par le gouvernement anglais et par le gouvernement français dans l'intérêt des sciences, des lettres et des arts, dans l'intérêt de l'archéologie, dans l'intérêt de l'histoire, dans l'intérêt de l'astronomie, dans l'intérêt de la physique, dans l'intérêt de la géographie ? En rien, absolument en rien.

Comme les femmes de la Bible qui avaient pour elles l'excuse de la pauvreté, que nous n'avons pas, nous nous sommes contentés de glaner dans le champ semé et cultivé par les autres à la sueur de leur front.

Le gouvernement prussien nous a gracieusement offert un exemplaire d'un magnifique ouvrage de Lepsius, entrepris aux frais de ce gouvernement.

(page 445) Nous l'avons gracieusement accepté. Cela ne nous a rien coûté.

Le gouvernement autrichien a chargé la frégate la Novare de faire une expédition scientifique dans l'océan Pacifique. Nous profiterons des découvertes, et cela ne nous coûtera absolument rien.

Le gouvernement anglais fait à grands frais la police des mers. Nous profitons de la sécurité qu'elle procure à nos navires et à notre commerce ; cela ne nous coûte rien.

Nous avons fait, messieurs, une seule entreprise littéraire qui n'a pas un caractère exclusivement national, c'est la publication de la correspondance des gouverneurs généraux des Pays-Bas au XVIème siècle.

Cette œuvre est de nature à mettre en relief une des plus grandes époques de l'histoire religieuse et politique du monde.

Eh bien, le monde nous a payés avec usure. Je ne veux pas citer des auteurs belges, tout éloge peut être suivi de critique, mais je puis citer un auteur étranger qui a en quelque sorte par ses œuvres immortalisé cette époque et partant le nom belge.

Il est mort aveugle, victime, comme Augustin Thierry, de son amour pour la science, laissant inachevée cette magnifique épopée qui commence au règne de Ferdinand et d'Isabelle et qui se poursuit jusque vers la fin du règne de Philippe II.

Cet homme c'est Prescott, et je crois qu'il serait de l'honneur de la Belgique de placer le buste de cet homme au milieu de ceux des hommes qui lui ont rendu des services éminents.

A mon avis le gouvernement belge, bien loin de faire trop, ne fait pas assez.

Je voterai tous les crédits pétitionnés, de quelque côté qu'ils viennent, et qui auront pour but d'accroître en Belgique le mouvement intellectuel. Je les voterai avec beaucoup plus de satisfaction que je ne vote les crédits demandés pour les routes, pour les canaux et pour la voirie vicinale.

Nos populations savent assez ce que rapportent ces travaux, mais ce que les masses ne savent pas assez, c'est ce que rapportent les travaux intellectuels. En un mot, je termine par une expression peu littéraire, mais juste.

Ce n'est pas en fondant des sous que dans le passé, le présent et l'avenir, on a fait, on fait et l'on fera vivre les lettres, les sciences et les beaux-arts.

M. Jacquemyns. - Messieurs, lorsque, il y a quelques mois, l'honorable M. Hymans appela l'attention de la Chambre et du gouvernement sur la nécessité de favoriser les applications de l'art à l'industrie, je m'attendais à ce que cet honorable membre aurait été large pour les allocations aux beaux-arts. Je m'attendais même à ce qu'il m'eût effrayé par les nombreuses allocations qu'il aurait proposées pour répandre le goût des arts en Belgique. Je m'attendais également à ce que le gouvernement, imitant les nations voisines, serait entré dans une voie large à l'égard des arts.

Ainsi la France, depuis très longtemps, a fait énormément pour répandre le goût des arts parmi les populations et, en effet, dans toutes les expositions l'industrie française brille sous le rapport du bon goût des produits.

Lors de la première exposition universelle qui a eu lieu à Londres, les Anglais ont compris tout d'abord le côté faible de leur industrie : c'était le côté artistique.

L'honorable M. Hymans et d'autres orateurs de cette Chambre ont fait ressortir les immenses sacrifices que l'Angleterre a faits pour développer l'application de l'art à l'industrie.

Le gouvernement s'est à peine timidement engagé dans une nouvelle voie pour l'encouragement de l'art, que déjà la section centrale propose une réduction sur l'un des chiffres du budget.

La diminution devait être de 36,000 fr. d'abord, et l'honorable M. Hymans l'a soutenue avec tout l'éclat de son talent.

Cependant une église à Gand est bâtie de manière à réclamer des peintures murales ; l'architecture du monument la réclame comme indispensable complément, et le peintre qui doit les exécuter a fait, au prix de grands sacrifices, des preuves d'un talent incontesté. Il n'est pas plus possible de laisser le monument inachevé que de renoncer à restaurer les halles d'Ypres.

Les deux ont trouvé grâce devant l'honorable rapporteur, et la diminution de 36,000 fr. se trouve par lui réduite à 13,000 fr. Il est à remarquer que l'amendement de l'honorable membre apporte une réduction de 13,000 fr. sur le crédit demandé pour la peinture murale, tandis qu'en réalité le gouvernement demande une somma globale de près de 300,000 fr. pour subsides aux beaux-arts.

Nous nous trouvons donc en ce moment devant une diminution de 4 p. c. sur le montant des subsides proposés par le gouvernement en faveur des beaux-arts.

Messieurs, notre industrie est grande ; elle est belle aussi longtemps qu'il s'agit de produire de la matière, mais évidemment nous sommes inférieurs à d'autres nations lorsqu'il s'agit de donner à la matière des formes artistiques.

A l'exposition de Londres nous étions brillants dans notre exposition des beaux-arts. Nous l'étions encore en industrie, quand il s'agissait de bonnes matières produites à bon compte, mais dans les applications de l'art à l'industrie, nous étions incontestablement faibles. L'honorable M. Hymans a plus que personne fait ressortir cette infériorité.

Que faut-il faire pour sortir de cette infériorité ? Il faut encourager l'art, non pas sous une seule de ses formes, mais sous toutes ses formes, comme nos aïeux l'ont fait.

Nos aïeux ne se sont pas bornés à faire de la peinture à l'huile. Ils ont encouragé l'art en le plaçant partout où le bon goût lui assignait une place quelconque. Ainsi, non seulement, ils faisaient de la peinture à l'huile, ils faisaient des peintures murales ; ils faisaient des tapis, et dans ces tapis ce n'était point par le coloris que l'école flamande brillât, c'était par l'harmonie, par la conception du dessin. Ils faisaient également des vitraux peints ; enfin, ils faisaient de la sculpture sur bois. La Belgique a occupé une place très honorable par les produits de la sculpture sur bois ; et pourtant là évidemment, il ne s'agit pas de coloris. Ce n'est donc pas dans la couleur seule que l'art belge a brillé ; c'est encore par l'ensemble des formes, par la nature des conceptions.

Je n'hésite pas à dire que parmi les diverses formes de l'art, celle qui impressionne le plus le peuple, c'est la peinture murale. Elle vivifie le monument, elle lui prête une expression que la sculpture et l'architecture ne lui donneraient que moyennant une dépense beaucoup plus considérable. Il faut des dépenses énormes pour faire un monument qui soit beau d'architecture, et nous en avons la preuve dans les dépenses qu'entraîne déjà l'église de Laeken. Ce sera là un monument qui sera beau par son architecture ; mais on sait ce qu'il coûte.

L'honorable M. Janssens nous a dit combien la peinture murale est devenue populaire à Saint-Nicolas. Les familles les moins aisées contribuent par des cotisations hebdomadaires à en supporter les frais.

A Gand, la peinture murale fut accueillie d'abord avec une extrême défiance. Mais du moment que l'on a vu les peintures qui décorent aujourd'hui l'une de nos églises, la peinture murale y est devenue extrêmement populaire.

Le peuple surtout aime la peinture murale, parce qu'il aime les grandes choses. Ces grandes, ces vastes conceptions l'impressionnent. Il la préfère à la peinture à l’huile et voici pourquoi ; c'est que pour la peinture à l'huile, il faut la voir sous un certain jour ; lorsqu'on ne voit pas la peinture à l'huile sous un jour déterminé, on ne l'aperçoit pas. Le peuple se défie instinctivement de tout ce qui peut donner lieu à un privilège. Dans les grandes occasions, alors surtout que la peinture doit ajouter à la beauté, à la splendeur du monument, l'homme du peuple ne voit que le cadre du tableau à l'huile ; il ne peut y puiser ses inspirations que lorsqu'il a l'occasion de se placer dans le jour du tableau.

Mais n'importe où il est obligé de se placer, il distingue tous les détails de la peinture murale.

Une autre considération encore, c'est celle-ci :

Le peuple se rappelle, peut-être mieux qu'on ne se les rappelle dans les classes élevées, nos anciens revers. Il sait que la plupart de nos tableaux, que beaucoup de nos richesses artistiques ont été transportées à l'étranger. A la vérité, l'on pourrait aussi transporter à l'étranger nos fresques ; mais le transport serait plus difficile. Les peintures murales perdent énormément de leur valeur, lorsqu'on les détache du monument architectural sur lequel elles se trouvent moulées, dont elles ont pris les formes. Le peuple, en voyant ces tableaux appliqués sur le mur, faisant partie de l'immeuble qu'ils décorent se dit : Voilà du moins des tableaux qu'on ne nous enlèvera pas.

M. B. Dumortier. - Messieurs, ce serait une erreur de croire que le temps que nous avons employé à la présente discussion, est un temps perdu pour les affaires du pays. Tout ce qui tient à l'orgueil national, tout ce qui tient à la grandeur du pays est évidemment du plus grand intérêt pour la Chambre ; et certes, il n'est point pour la Belgique de gloire plus pure, plus incontestable et plus incontestée que l'art de la peinture. C'est vous dire assez que dans mon opinion la discussion actuelle n'est pas un hors-d'œuvre. Je la considère comme étant au contraire appropriée à nos débats et je félicite vivement la section centrale et son honorable rapporteur d'avoir eu le courage d'engager ce débat, si important pour l'avenir de l'art en Belgique.

(page 446) Vous voyez, messieurs, par ce peu de mots que je ne partage pas du tout l'opinion de la plupart des orateurs qui m'ont précédé à la tribune. En effet, quand j'envisage quels sont ces orateurs qui ont parlé, je suis frappé d'une chose : c'est que toutes ces voix si belles, si éloquentes, si magnifiques, ne sont que des parties prenantes au budget, des parties qui réclament les gros chiffres que l'on veut y porter pour la peinture murale et qui font le plus grand éloge de cet art étranger, uniquement pour s'assurer les crédits dont ils ont besoin pour leur chapelle.

Eh bien, moi qui suis étranger à cette distribution de fonds, je vous demanderai la permission de parler au nom de l'art en lui-même, au nom de cette grande gloire nationale dont nous sommes tous fiers, de cette gloire nationale que nous devons chercher non à amoindrir, mais à relever autant qu'il est en nous, et pour laquelle nous ne devrions épargner aucun sacrifice quand il s'agit de l'art belge, de l'art qui fait la gloire du pays.

Messieurs, le gouvernement est-il entré dans une voie favorable à ce grand intérêt national en proposant à la Chambre des dépenses aussi exorbitantes pour la peinture murale ? Je ne puis le croire. Je suis opposé à ce système, et cela par trois motifs principaux : le premier, c'est qu'à mes yeux le système dans lequel on entre a pour résultat de détourner l'art belge de ses voies, ce qui est une grande calamité, une affreuse calamité pour le pays ; en second lieu, c'est qu'il établit le favoritisme dans l'intérêt de quelques villes ; en troisième lieu, parce qu'il constitue un privilège pour l'art étranger, au détriment de l'art national.

Qu'est-ce donc que l'art national ? Je n'ai pas besoin de vous le dire, vous le savez tous comme moi, l'art national, l'art belge par excellence, l'art flamand, ce qui fait la gloire de l'art flamand dans le monde entier, c'est la peinture à l'huile, la peinture à l'huile inventée par un Flamand, Jean Van Eyck et qui de la Belgique a été transportée dans l'Europe entière.

Voilà, messieurs, ce qui fait la gloire de notre Belgique depuis des siècles, voilà ce qui vient encore de faire la gloire de la Belgique à l'exposition de Londres.

Messieurs, la peinture à la détrempe, la peinture sur les murs, étrangère aux traditions de notre école, n'a jamais été chez nous un art cultivé par les grands maîtres. Je sais qu'en Italie cette peinture a produit de grands et de magnifiques chefs-d'œuvre ; chacun de nous a vu sans doute à Rome les Stance de Raphaël et l'Aurore du Guide ; chacun de nous s'est transporté sans doute à Milan pour voir les derniers débris des fameuses fresques de Léonard de Vinci. Mais, messieurs, est-ce qu'en Belgique on a suivi cette voie ?

Quel est le motif pour lequel l'Italie est entrée dans cette voie et pour lequel nous ne pouvons pas y entrer sans compromettre les traditions de l'art belge ?

C'est ce que je veux examiner.

La Belgique, messieurs, n'a jamais produit rien d'important en matière de peinture murale. Depuis trente ans on a enlevé le badigeon d'une grande partie de nos anciens édifices soit religieux soit civils, et ce qu'on a trouvé de peintures murales est excessivement peu de chose, et ce peu de chose, réellement important au point de vue archéologique, est sans aucune espèce de valeur au point de vue artistique. Ce sont des débris informes sans aucune espèce de mérite artistique, sans aucune espèce d'intérêt.

Quelle était la peinture principale de la Belgique avant la découverte de Van Eyck ? C'était la peinture au blanc d'œuf, peinture qui a été abandonnée lorsque Van Eyck eut fait sa découverte, et à partir de ce moment vous ne voyez plus en Belgique d'autre peinture que la peinture à l'huile.

Dans notre climat, la peinture faite sur mur est exposée à une détérioration rapide. Mais, messieurs, permettez-moi de le dire, les murs de notre pays ont leur rhumatisme chaque hiver, ils repoussent la peinture, tandis que la peinture à l'huile est à l'abri de la détérioration.

Les amateurs de peinture murale ont prétendu, bien à tort, que le procédé de peinture murale a plus de durée que la peinture à l'huile.

Pour exprimer un pareil sentiment il faut n'avoir jamais visité le pays où la peinture murale s'est faite en grand, l'Italie.

J'ai parcouru, pour l'étude de l'histoire des arts, presque toute l'Europe, eh bien, je n'ai jamais pu voir qu'une seule fresque dans un état parfait de conservation, c'est l'Aurore du Guide. Remarquez que cette fresque est un plafond à 20 pieds de hauteur, en sorte que l’humidité des murs ni la main de l'homme n'ont pu l'atteindre.

Toutes les autres peintures à fresque de l'Italie se trouvent dans le dernier état de détérioration.

Les magnifiques Stanze de Raphaël sont tellement effacées qu'on semble les voir à travers une gaze ; les célèbres loges de Raphaël ont dû être vitrées pour assurer leur conservation. Tandis que le tableau de l'Agneau, peint par les frères Van Eyck plus d'un siècle auparavant, semble n'être sorti qu'hier des divines mains de ses admirables auteurs. Et la Cène de Léonard de Vinci ! Ah, nous ne pouvons plus voir ce chef-d'œuvre que par la magnifique gravure de Raphaël Morgen qui en existe. Allez visiter toutes les églises de l'Italie, vous verrez partout que les peintures murales à la détrempe sont extrêmement effacées. Il n'en reste plus rien. De Guy d'Assera, de Cimabue, de Giotto, les peintures murales sont disparues ; que reste-t-il de ces grands maîtres ? Des peintures au blanc d'œuf qu'ils avaient faites sur des panneaux. Allez visiter les églises et les musées, de Ravenne, de Sienne et de Florence, vous y verrez les anciens maîtres, Guy d'Assera, Cimabue, Giotto, André Orcagna, Masaccio et tant d'autres, représentées par des tableaux à l'eau d'œuf.

Mais quant aux peintures murales de ces auteurs, il n'en reste plus que des débris informes. Allez à Ravenne voir le Giotto, il ne reste plus rien de ses peintures murales. Allez voir le Campo-Santo de Venise ; il est dans un état de détérioration complète. On ne voit presque plus rien des fameuses loges de Raphaël ; il a fallu les vitrer pour conserver le peu qui en restait.

Or, messieurs, je le demande, si de pareilles choses se passent sous le climat de l'Italie, qu'arriverait-il sous notre climat ?

Nous vivons sous ce climat parce que nous y sommes habitués, mais ce n'est certes pas le plus beau côté de la Belgique.

Pourquoi l'Italie s'est-elle adonnée à la peinture murale ?

La raison en est toute simple, et l'honorable M. de Boe vous a dit le mot ; Michel-Ange, dans un jugement que le monde artistique n'a pas confirmé, disait souvent que la peinture murale est la seule peinture artistique et que la peinture à l'huile n'est bonne que pour les femmes. Cela s'explique par l'orgueil national. La peinture à l'huile avait été inventée en Belgique ; en Italie elle était d'importation étrangère. L'Italie ne voulait pas recevoir des étrangers, « des barbares du Nord », un procédé de peinture quelconque. Fière de ses anciens procédés, elle ne voulait pas accepter la peinture à l'huile, tandis qu'au contraire, la Belgique marchait dans cette voie tout à fait nouvelle, qui lui avait été ouverte par un de ses enfants, et elle produisait des chefs-d'œuvre qui font encore aujourd'hui l'admiration du monde entier.

Messieurs, aussi loin que je puis lire dans l'histoire de l'art, j'y vois deux différences capitales entre l'art italien et l'art belge, et ce sont ces différences, transmises de siècle en siècle, qui font la gloire de notre école et qu'il importe de conserver. Dès l'origine de l'art, l'école italienne se forme sur l’imitation de l'art de l'Orient, du byzantin d'abord, du grec ensuite, tandis que l'art belge se forme sur l'étude de la nature. En second lieu, en Italie la perfection de l'art consiste dans le contour tandis qu'en Belgique la perfection de l'art consiste dans le modelé. Le contour italien est souvent sublime, mais ce contour sublime est sec, découpé et étranger à la nature qui n'arrête pas ses traits par des contours. L'art belge au contraire ne connaît pas ces contours qui n'existent pas dans la nature ; il peint non de côté mais en avant et il donne la puissance et la vie au moyen du glacis. Le contour, c'est l'art italien, le glacis, c'est l'art belge.

Or, messieurs, le procédé employé pour la peinture murale ne permet pas le glacis ; le glacis c'est le procédé de l'école flamande ; il en résulte que dans la peinture murale vous avez de magnifiques esquisse, mais au point de vue du modelé vous arrivez toujours à l'imparfait et vous faites perdre à l'école belge ce qui est sa force et sa gloire.

Il en résulte qu'avec ce système vous devez marcher dans une voie tout à fait différente de celle qui a été suivie par l'école flamande. Vous devez vous attacher à tout sacrifier pour le contour. C'est ce qu'a fait l'école italienne, et, sous ce rapport, notre école a suivi une voie différente, en cherchant le rendu dans le modelé ; pour elle, le contenu tel que le comprend l'art italien est une erreur. Si vous comparez l'art italien et l'art flamand, vous voyez que dans les œuvres de l'école italienne tout est contourné avec le plus grand soin, tandis que dans l'école flamande le contour n'existe pas.

Dans l'école italienne, chaque main, chaque pied a un contour arrêté, qui en définit l'extérieur. L'école italienne a pour maxime cette parole de David : Faites un beau contour et moquez-vous du reste ; tandis que l'école flamande part de ce principe tout opposé que la nature ne présente pas de contour, mais un modelé de formes et que tous ses efforts tendent vers ce modèle et vers la couleur qui l'illumine.

Voilà en quoi notre école a acquis une supériorité incontestable et incontestée sur l'école italienne. Or, le gouvernement, en nous poussant dans la voie de la peinture murale, nous pousse dans la voie des contours secs et arrêtés, qui serait la perte de l'école flamande. Le jour où nos artistes seront entrés dans cette voie, c'en sera fait de notre école, et comme elle manque des qualités de l'école italienne et de l'école (page447) française, vous aurez donc causé le tort le plus grand à l'école nationale ; au lieu de l'encourager, vous l'aurez abandonnée.

Messieurs, je me suis beaucoup occupé de l'étude des monuments et des arts en Belgique et à l'étranger ; eh bien, une chose m'a toujours frappé, c'est la rareté excessive de peintures à fresque dans les édifices anciens de notre pays et spécialement dans nos églises.

Dans la magnifique cathédrale de Tournai, dans cet édifice si imposant, le monument le plus majestueux du Nord de l'Europe, et sans conteste le plus important de la Belgique, il existait autrefois de nombreuses peintures murales.

Mais quelles étaient ces peintures murales ? C'étaient des peintures polychromes et non pas des peintures à sujet et à figures ? Quand on a enlevé le badigeon qui le couvrait, on n'a trouvé dans cet immense édifice qu'un seul tableau peint sur le mur, et qui est antérieur à la première croisade. Vous comprenez dans quel état il s'est présenté.

On n'est donc pas fondé à dire que la peinture murale a été cultivée de tout temps en Belgique comme peinture d'art, parce qu'on en a trouvé quelques débris dans d'anciens réfectoires et dans d'anciens édifices particuliers ; je prétends, moi, que la peinture murale, comme peinture d'art, n'a été en Belgique que la rarissime exception ; qu'elle ne couvre pas la 500ème partie des murs de nos églises.

On ne peut pas invoquer ces essais informes comme constituant l'art ancien en Belgique. Car s'il en avait été ainsi, à l'époque où nos églises et nos monastères étaient si riches, vous auriez trouvé partout des peintures murales en abondance. Comme l'a dit l'honorable rapporteur de la section centrale, si vous avez conservé quelques débris de peinture murale, c'est parce qu'ils ont été sauvés par le badigeon qui les couvrait.

Ce sont des débris pleins d'intérêt pour l'archéologie, mais absolument sans signification pour l'art.

On ne peut donc pas, comme on l'a soutenu, prétendre que la peinture murale a fait ou fera faire de grands progrès à l'art en Belgique ; au contraire, le plus grand de tous les progrès que la Belgique ait accomplis en fait d'art, c'est celui de la peinture à l'huile.

Retourner à la détrempe, c'est reculer, c'est rétrograder, c'est revenir à l'enfance de l'art.

Messieurs, chaque pays en Europe peut se glorifier d'une invention ; l'Allemagne peut se glorifier de l'invention de l'imprimerie ; l'Angleterre peut se glorifier de l'invention de la vapeur ; la Belgique peut se glorifier de l'invention de la peinture à l'huile : c'est là son plus beau titre à la reconnaissance du monde savant, à la reconnaissance de l'Europe.

Eh bien, quand je vois le budget de l'Etat engagé jusqu'à concurrence de 723 mille francs pour la peinture murale en faveur de dix artistes et seulement 46 mille francs pour encouragement à l'art et à tous les autres artistes du pays, je vous le demande, messieurs, est-il sage d'encourager d'une manière aussi mesquine ce qui constitue l'art national, c'est-à-dire la peinture à l'huile, et d'accorder les encouragements les plus considérables à la peinture murale, de n'avoir que 46,000 fr. pour tous les artistes et de trouver 723,000 fr. pour dix favoris ?

Voyons, quel est sans conteste le premier artiste de notre pays ? Je suis fier de le dire, comme Tournaisien et comme Belge : C'est Gallait. Eh bien, qu'a-t-on fait pour ce grand artiste ? Tandis qu'on allait proposer à tels peintres 200,000 fr. pour peindre des murs à Anvers, on a marchandé à Gallait sou par sou, liard par liard, l'exécution de son tableau capital représentant la peste de Tournai ; on lui a offert successivement 60,000, 65,000, 70,000 et 75,000 francs ; on a marchandé son œuvre au plus grand de nos artistes, comme on va marchander dans la dernière des boutiques.

C'est là une voie décourageante pour les artistes. Je dis que ce magnifique génie dont nous devons être fiers et qui grandit la Belgique artistique aux yeux de l'étranger, aurait dû ne pas se voir marchander ainsi par le gouvernement qui a des centaines de mille francs pour peindre des murailles. Comment voulez-vous que nos artistes ne se découragent pas, quand ils voient quelques favoris accaparer tous les subsides, et quand ils voient le gouvernement marchander les œuvres des plus grands artistes jusqu'au dernier sou... (Interruption de M. Rogier.)

Si vous trouvez, M. Rogier, que 75,000 francs, ce n'est pas malhonnête, vous devez trouver que 200,000 francs pour la peinture murale, c'est beaucoup trop. (Nouvelle interruption de M. Rogier.)

L'ouvrier se paye à la mesure, mais ce qui ne se paye pas au mètre, c'est le génie.

Quel est donc l'encouragement qu'on donne à la peinture nationale, à la peinture à l'huile ? La modique somme de 46,000. francs ; et dans le moment où l'on ne donne que 46,000 francs à la peinture à l'huile qui fait notre gloire, dont nous devons être fiers, que donne-t-on à la peinture morale ? On lui donne une somme de 723,000 francs.

Et comment cette somme de 723,000 fr. se répartit-elle ? Et ici j'appelle l'attention de la Chambre sur l'étrange répartition de ce crédit. On accorde à la ville d'Anvers une somme de 311,000 francs ; je ne suis donc pas surpris de voir les députés d'Anvers défendre si éloquemment le crédit. On donne à la ville de Gand 119,000 francs ; je comprends aussi les beaux discours prononcés par les honorables députés de Gand ; on donne un crédit de 105,000 francs à la ville d'Ypres ; je comprends encore admirablement l'éloquent discours qu'a prononcé M. le ministre de l'intérieur.

Voilà comment les choses se passent ; chaque saint prêche pour sa chapelle, et s'il n'y a pas de saints ici, il y a de grands solliciteurs.

Trois villes absorbent donc dans le crédit une somme de 430,000 fr. ; et pour tout le reste du pays il n'y a plus que 293,000 fr.

Maintenant de quoi se compose tout le reste du pays ? Il se compose d'un très petit nombre de localités. Vous ayez Ixelles qui a 20,000 francs ; Saint-Trond a 40,000 fr ; Bruges et Liège ont quelques petites sommes ; de manière que vous avez une dizaine de parties prenantes en Belgique, et tout le reste eu pays n'a rien.

Et voyons quel est, au point de vue de la dépense, le concours de l'Etat ?

Quand une ville, une commune, ou une église commande à un artiste un tableau peint à l'huile, l'Etat fait difficulté d'intervenir pour un tiers ; il n'intervient jamais pour la moitié ; eh bien, voyons maintenant comment l'Etat va intervenir dans cette affaire de l'hôtel de ville d’Anvers ; la dépense est de 200,000 francs ; l'Etat donnera 125,000 francs, et la commune 75,000 francs ; l'Etat se charge des cinq huitièmes et la commune des trois huitièmes.

Musée d'Anvers, 200,000 fr. ; Ici encore la même proportion : 5/8 pour l'Etat et 3/8 pour la commune.

Saint-Georges. Là, il y a partage par moitié.

Ixelles. Là l'Etat fait un don gratuit : la dépense est de 24,000 francs ; l'Etat paye tout ; la commune ne paye pas un sou ; c'est donc du pur favoritisme.

M. Orts. - M. Hymans est d'Ixelles cependant.

M. B. Dumortier. - A Ypres, le travail à faire coûtera 130,000 francs ; l'Etat payera 105,000 fr. et la commune seulement 25,000 fr. ; en d'autres termes, l'Etat payera les 4/5 de la dépense, la commune seulement un cinquième.

Ainsi, messieurs, non seulement on fait du favoritisme à l'égard de quelques artistes et de quelques communes ; mais on ne suit pas même des règles fixes quant à la mesure de la participation de l'Etat et de la commune.

Je suis vraiment surpris, messieurs, d'entendre les discours qui ont été prononcés depuis quelques jours sur cette question ; je suis surpris d'entendre dire et répéter que la peinture murale c'est de la grande peinture, c'est le grand art. Hors d'elle il n'y a pas de salut pour l'art, il n'y a rien en Belgique ; c'est par elle que l'art doit se régénérer en Belgique. Voilà quel a été le thème développé par plusieurs des orateurs qui m'ont précédé. Cela revient à dire que Van Eyck n'a fait que de la petite peinture, que Rubens, que Van Dyck, que Rembrandt n'ont fait que de la petite peinture.

Mais le grand badigeon sur mur, voilà de la grande peinture. (Interruption.)

Vous n'avez cessé de parler de la peinture murale comme de la grande peinture.

Pour moi, messieurs, la grande peinture n'est pas celle qui se mesure à l'aune. Allez voir les tribunes de Florence ; voyez la Vision d'Ézéchiel, de Raphaël, un petit tableau, haut d'un pied tout au plus et qui, cependant, est le plus grand œuvre de Raphaël.

La grande peinture, messieurs, est celle qui sort d'un grand génie, et je conçois, pour mon compte, la peinture murale quand elle est faite par un Raphaël, par un Guido, par les plus grands artistes en un mot.

La peinture à la détrempe, la peinture murale ne sont supportables que lorsqu'elles sont l'œuvre des plus grands dessinateurs, car elles n'ont que le charme du dessin : mais ce que je ne puis point concevoir, c'est la peinture murale qui n'est point exécutée par les plus grands artistes.

Je le répète, la peinture murale, pour être supportable, doit être faite par les artistes les plus éminents et je pense, avec l'honorable rapporteur, que les tableaux à l'huile d'un de nos artistes de second ordre valent beaucoup mieux que toutes les grandes peintures murales de l'Allemagne entière.

Or, en présence de pareils faits, je demande toujours s'il est juste et convenable de n'avoir que 46,000 francs à donner pour la peinture à l'huile, alors qu'on nous propose de faire pour la peinture sur mur un dépense de 723,000 francs.

(page 448) Ce n'est pas tout. Depuis longtemps j'ai demandé à la Chambre la création d'un musée national, et je crois qu'en entrant dans la voie des dépenses fabuleuses pour la peinture murale ce ne soit au détriment de ce projet.

Messieurs, à aucune époque de notre histoire, l'art flamand ne s'est élevé aussi haut que de nos jours.

Il ne faut pas se faire illusion, ni à l'époque de Van Eyck, ni à l'époque de Rubens, l'art belge n'a eu dans son ensemble la grandeur, l'élévation qu'il a aujourd'hui ; à aucune époque, l'école belge n'a fourni comme de nos jours des artistes de premier ordre dans tous les genres.

Le nombre de nos artistes de premier ordre dépasse de beaucoup ce qu'il a jamais été aux époques les plus brillantes de l'art en Belgique, et un jour viendra où l'on citera l'époque actuelle, le règne de Léopold Ier comme la plus grande époque de l'histoire de l'art en Belgique.

Eh bien, voici ce que je regrette, c'en que quand ce jour viendra, où faudra-t-il aller pour trouver ces chefs-d'œuvre produits par le génie de notre époque ? Il faudra parcourir l'Europe entière, l'Allemagne, la France, l'Angleterre ; mais on n'en trouvera point de traces en Belgique. Messieurs, je voudrais, pour prévenir ce déplorable résultat, que nous créassions un grand musée national, dans lequel tous nos artistes de mérite seraient représentés non pas par une seule toile, mais par leurs principales productions, et qu'au lieu d'employer les fonds du budget à peindre des murs, de les donner à quelques favoris, on employât ces fonds à des commandes ou à des achats à tous nos artistes, pour la création d'un musée national.

Je voudrais que, de même qu'en Hollande, nous nous missions en mesure de montrer à la postérité les œuvres qui font la gloire artistique de notre pays.

Quoi ! messieurs, il y a quelques jours à peine le palais Ducal réunissait encore les œuvres belges qui ont figuré à l'exposition de Londres. Il n'est pas un seul d'entre vous qui n'ait éprouvé un sentiment de légitime fierté à l'aspect de ces œuvres qui ont si dignement soutenu à Londres la réputation de notre école, et j'entendais dire partout autour de moi : On est fier d'être Belge en présence de ces splendides productions.

Eh bien que sont devenues toutes ses œuvres ? Elles sout aujourd'hui disséminées sur tous les points de l’Europe, sauf en Belgique.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - C'est une grande erreur ; beaucoup de ces œuvres sont la propriété de l'Etat.

M. B. Dumortier. - Les œuvres d'art de l'Etat ! vous n'oseriez pas montrer un seul de ces tableaux. (Interruption.) Oh ! oui, vous avez fait de bien belles acquisitions ; vous avez fait un bien bel emploi des deniers que nous avons votés depuis 20 ans !

Je le sais, à la première époque de notre existence, des commandes avaient été faites à nos grands artistes ; mais depuis les fonds de l'Etat ont été employés en acquisitions qu'on n'oserait montrer. A l'époque où l'honorable M. de Theux était aux affaires, une marche entièrement différente était suivie ; c'est alors que des commandes ont été faites à Wappers, à de Keyser, à Gallait et à tant d'autres. Mais depuis 20 ans, où sont allés les tableaux que vous avez acquis ? On les a réfugiés dans les ministères et vous n'oseriez pas les en retirer pour les exposer en public, parce qu'au lieu de faire la gloire du pays, ils en feraient la honte. On dirait : Quoi, c’est là l'école belge ; elle n'a produit que de misérables œuvres comme celles-là ! Elle a donc usurpé la réputation dont elle se glorifie !

On est entré, messieurs, dans un système vicieux ; on a dévié du principe fondamental qui devait présider à la création d'un musée national et l'on s'est égaré en ne distribuant que par favoritisme les crédits du budget.

Je félicite M. le ministre de l'intérieur d'être rentré dans la voie d'où l'on n'aurait jamais dû sortir et je l'engage à y persévérer avec le zèle et l'activité, si dignes d'éloges, dont il a fait preuve jusqu'à présent. Mais à l'honorable ministre qui m'interrompait tout à l'heure je dirai : Vous n'oseriez pas montrer au public les œuvres que vous avez achetées aux frais de l'Etat.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je demande la parole.

M. B. Dumortier. - Reconnaissons donc, messieurs, que la discussion actuelle a une immense portée. Il s'agît de savoir si l'art belge, l'art réellement national, la peinture à l'huile doit être l'objet des encouragements du gouvernement ou si elle doit être sacrifiée, sous ce rapport, à une peinture d'importation étrangère, qui est l'antipode de l'art belge. Car je vous l'ai dit déjà, la peinture à la colle, la peinture à la détrempe n'existait que très rarement dans nos anciens monuments, elle y est d'ailleurs d'une déplorable médiocrité et elle offre un intérêt archéologique, mais aucune espèce d'intérêt artistique.

D'où donc nous est venue cette manie de la peinture sur mur ? Je puis le dire, cette manie nous est venue de l'Allemagne. Qu'est-ce que l'Allemagne, au point de vue de l'art ? Où l'Allemagne a-t-elle brillé par la grande peinture, par la peinture historique, la peinture qui représente les grands faits de la vie, de l'humanité ? L'Allemagne a été nulle dans la peinture historique, la raison en est simple : la Réforme ne permettait pas la peinture historique, religieuse dans les églises.

La Belgique au contraire s'est développée dans ce genre d'une manière remarquable, parce qu'elle était riche en églises, en abbayes et en monastères qui chaque jour commandaient des œuvres d'art aux artistes. L'Allemagne voulant faire quelque chose a imaginé les tableaux sur murs, elle a bien fait, mais je dois le dire avec l'honorable membre que vous venez d'entendre, comme lui quand j'ai vu ces peintures de l'Allemagne je suis resté froid, elles ne m'ont causé aucune satisfaction tandis que je me sens transporté d'admiration quand je considère les œuvres des enfants de la patrie, je me sens fier d'être Belge quand je me trouve en présence des œuvres immortelles de Rubens, des Van Dyck, et j'ai été surpris d'entendre cet honorable membre parler de mal de tête quand il se trouve dans un musée, lui né dans cette ville si fière à juste titre de l'école flamande.

Mais s'il a mal à la tête quand il voit réunis les tableaux de cette école, quel mal n'aura-t-il pas quand il verra les tableaux qu'on veut faire !

Ce n'est pas avec de pareils arguments, avec de pareilles plaisanteries qu'on traite les questions de cette importance. La question est celle-ci : la Belgique a créé non pas un art national, mais un art européen ; cet art est sa gloire, sa gloire la plus grande ; faut-il importer à grands frais un art étranger qui est l'antipode de l'art national ?

Savez-vous quelle sera la conséquence de cette importation pour la peinture belge ?

La voici : le jour où vous aurez protégé cette importation d'une manière exorbitante, vous aurez exercé une influence déplorable sur nos artistes. Au lieu de peindre par les procédés qui font la gloire de notre pays, ils voudront peindre par les procédés importés et vous aurez mis l'école belge hors de ses voies.

Quand vous portez vos regards en arrière, vous êtes frappés d'un grand fait ; c'est que trois fois notre école flamande s'est perdue, par l'influence de l'étranger. Après Van Eyck et Memling, lorsque Raphaël eut paru en Italie, il produisit une telle impression, que chacun voulut l'imiter et on n'est arrivé qu'à reproduire des œuvres médiocres ; sous l'empire des imitateurs de Raphaël, l'art belge est tombé dans un état tel, que plus un artiste remarquable ne s'est produit, et il n'a pas fallu moins que la venue de Rubens pour relever l'école. Il l'a relevée en créant l'école d'Anvers, dont vous voyez les magnifiques œuvres qui décorent le musée d'Anvers et tous les musées du monde.

Après Rubens et son école, les artistes belges, poussés par je ne sais quelle impulsion, ont voulu faire un second retour vers l'Italie. A l'époque de Goubeau et de ses contemporains, sous prétexte de perfectionner le dessin de l’école flamande, on lui a donné une direction nouvelle, on a dit : Vous n'êtes pas dessinateur, et l'école sortie de ses voies pour tendre à une perfection idéale qui n'est pas dans sa nature, est encore tombée dans une période d'abaissement. Pendant un grand nombre d'années elle n'a rien produit jusqu'au moment où sont venus Herreyns et son disciple Ommegang qui ont retrouvé les traditions de la grande école.

Après eux est venue l'époque de David ; alors on a voulu franciser l'école flamande, prétendant qu'elle n'était pas assez élevée, et on l'a fait tomber dans un état tel, qu'il a fallu Wappers et Gallait pour la relever.

Ne retombons pas dans les mêmes fautes que nos devanciers. En donnant un trop grand encouragement à l'art étranger, nous nous exposerons à perdre la grandeur et la majesté de notre école.

Si nous voulons élever et développer le génie de nos artistes, donnons les plus grands encouragements à la peinture à l'huile et les plus petits à la peinture murale si tant est qu'on lui en donne, et abandonnons ce système de faveur pour l'art étranger, ce système de favoritisme pour quelques-uns, de découragement pour les autres, pour rentrer dans la voie d'encouragement de tous et arriver à la formation d'un musée national que nous soyons fiers de montrer à l'étranger.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Quand je vois des antagonistes se rencontrer dans un touchant accord, quand je vois l'honorable M. Dumortier donner fraternellement la main à l'honorable M. Hymans, pour défendre la même cause, je dois supposer que cette cause est excellente, et j'hésite à défendre l'opinion contraire

L'honorable M. B, Dumortier vient de livrer un combat à outrance à (page 449) ce qu'il appelle la peinture murale, qu'il traite à sa manière. Suivant lui les encouragements du gouvernement auront pour effet de faire dévier l'école belge de ses grandes traditions historiques et de substituer partout la peinture à l'eau à la peinture à l'huile. Hors de la peinture à l'huile pas de salut pour l'art en Belgique.

Quand le gouvernement a encouragé la peinture murale, il a porté à l'art belge un coup fatal. Je veux d'abord rassurer l'honorable M. Dumortier sur l'étendue des encouragements donnés à la peinture à fresque proprement dite ; j'espère que je calmerai un peu ses frayeurs, ses indignations, quand je lui apprendrai que parmi les peintures monumentales plus de la moitié au moins doit être exécutée à l'huile.

Ainsi en ce qui concerne le Palais ducal, les peintures s'exécutent dans l'atelier de l'artiste, elles seront ensuite appliquées sur les panneaux ; les peintures pour le musée d'Anvers seront exécutées par le même procédé. De même pour les peintures de l'école d'Ixelles : l'erreur du député de Roulers est donc bien grande.

Des peintures dues à d'autres procédés ont été encouragées, et elles ont été encouragées par un esprit de favoritisme insupportable.

Tandis que l'on marchandait sou par sou des chefs-d'œuvre, on prodiguait. des centaines de mille francs à des artistes médiocres !

M. B. Dumortier. - Je n'ai pas dit cela.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - A des artistes médiocres ! Et permettez-moi de prendre la défense de ces artistes que l'on a tort, suivant moi, de juger ici du haut de la tribune et de classer en quelque sorte, en exaltant les uns, en dépréciant les autres.

Ce n'est pas là notre rôle.

M. B. Dumortier. - Je n'ai pas parlé d'artistes médiocres.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Nous ne sommes pas une académie, mais un corps législatif. Nous ne sommes pas appelés à distribuer des éloges ou des blâmes artistiques.

Eh bien, messieurs, un artiste a été cité par l'honorable M. Dumortier. Il a dit que l'on avait marchandé un de ses tableaux sou par sou.

Voici ce qui s'est passé.

Cet artiste, que je suis heureux de compter parmi ceux dont j'ai pu favoriser la carrière dès leur début, cet artiste dont j'ai toujours suivi et apprécié les travaux avec le plus grand intérêt, que j'ai toujours recommandé à la justice et la sollicitude du Roi, a reçu de ma part des propositions pour l'acquisition d'un tableau représentant la peste de Tournai.

Si mes souvenirs sont exacts, on aurait été en effet jusqu'à offrir à l'artiste une somme de 70,000 à 80,0 00 fr. pour ce tableau.

Je vous le demande, messieurs, est-ce un prix à dédaigner pour un tableau moderne quel qu'il soit ?

On n'a pas pu s'entendre avec cet artiste sur ses prétentions qui sont demeurées plus élevées.

Je soumets, messieurs, ce simple fait à l'appréciation de la Chambre. A ce même artiste que l'on m'accuse d'avoir traité avec si peu d'égards et de respect, j'ai fait offrir la décoration de toute la salle du Sénat que, dans mon opinion, nous devrions transformer en une espèce de galerie politique nationale. Cette offre n'a pas été acceptée. Ai-je négligé d'autres artistes ? N'y a-t-il pas aussi des hommes recommandâmes à côté de celui-là ?

Je ne veux pas ici citer de noms propres, mais il en est un qui est particulièrement connu par l'étendue de son talent, et je dirai aussi par l'étendue de ses caprices.

Celui-là aussi, dont les idées sont grandes et dont le talent est grand, a reçu les encouragements les plus paternels de la part de l'administration.

On lui a offert une église à son choix à décorer. L'on n'est pas parvenu à se mettre d'accord avec lui.

Cet artiste se dit l'inventeur d'un procédé nouveau, et je ne pense pas avec l'honorable M. Dumortier que, hors du procédé à l'huile, tous les autres procédés sont exécrables ; il se dit l'inventeur d'un procédé nouveau qui donnerait beaucoup plus de fixité à la peinture à fresque, à la peinture murale.

Que l'on visite au surplus ses ateliers, et l'on verra que cet artiste remarquable ne méprise pas la peinture murale, la peinture monumentale.

Après ces deux artistes, le gouvernement a dû se souvenir qu'il y en avait d'autres. Puisque l'on vient de dire avec une exagération qua je ne blâme pas d'ailleurs, qu'à aucune époque la Belgique n'avait possédé autant d'artistes éminents, le gouvernement s'est adressé à d'autres artistes encore.

Il en est deux à Anvers qui, je pense, doivent aussi compter pour quelque chose dans la pléiade de nos artistes modernes.

On a offert à l'un d'ornementer l'hôtel de ville, à l'autre de décorer le musée de peinture.

Le travail dont ils sont chargés est de très longue haleine ; il doit leur prendre 10 années de leur vie. Ce sent des artistes qui, s'ils appliquaient leur talent à des peintures moins importantes, gagneraient facilement et au-delà de ce que leur rapportera la somme de 200,000 francs répartie en 10 années.

On vient de dire que le mérite de la peinture ne se mesure pas à l'aune. Je ne le sais que trop.

Je sais fort bien que j'ai été accusé un jour ici en pleine séance par des amis de l'honorable M. Dumortier d'avoir consacré telle somme à je ne sais quelle quantités d'aunes de toile. Je sais qu'une pareille opinion fit alors une profonde impression sur beaucoup de membres de la Chambre, qu'elle excita une forte hilarité.

Mais cette opinion n'a jamais été la mienne et l’honorable M. Dumortier pouvait certainement se dispenser de cette sortie contre ceux qui mesurent à l'aune le talent, le génie. Je suis de ceux qui pensent que nous avons des artistes qui atteindront la même réputation par des œuvres de petite dimension que par des œuvres d'une étendue matérielle plus considérable.

Ceci ne vaut pas la peine d'une discussion.

Vous ne faites rien, dit-on, pour la peinture à l'huile ; lorsque vous consacrez à peine 50,000 francs par an à la peinture à l'huile, vous consacrez 730,000 francs à la peinture monumentale.

Eh bien, messieurs, la justice exigeait d'abord que l'honorable M. Dumortier remarquât que cette somme de 750,000 fr., je ne sais s'il a bien calculé, n'était pas une dépense annuelle, mais qu'elle se répartit sur un grand nombre d'années, qu'elle équivalait peut-être à une somme annuelle de 70,000 fr. Voilà ma première observation.

En second lieu, il devrait remarquer, lui, le partisan-exclusif de la peinture à l'huile, que, dans ces œuvres monumentales les 2/3 devaient constituer des peintures à l’huile.

Le crédit pour les autres peintures, dit-on, pour les tableaux ordinaires qui peuvent se détacher des murs, n'est pas suffisant.

S'il n'est pas suffisant il y a un moyen très simple de porter remède à cet état de choses, c'est de l'augmenter.

Et quant à moi j'ai fait pendant des années de grands efforts pour accroître le chiffre du crédit destiné aux beaux-arts.

Ce chiffre est-il assez élevé ?

D'après le budget, cette Belgique artistique, cette Belgique qui marche à la tête de toutes les nations, suivant l'honorable M. Dumortier, et il faudrait cependant être modeste même au point de vue artistique, savez-vous ce qu'elle consacre à l'encouragement des beaux-arts au budget de l'intérieur ? 5 p. c. de ce budget. Voilà le grand effort que la Belgique fait en faveur des arts. Si l'on trouve que c'est trop, que l'on propose des réductions.

Mais, dit-on, si vous devez doter toutes nos écoles de peintures murales, vous allez dépenser des sommes folles, impossibles à atteindre par le budget belge. Il y a là une sorte de gaspillage des fonds publics.

Messieurs, il faudrait au moins que les orateurs, avant de se livrer k de pareils reproches, s'informassent de la réalité des faits.

Qu'est-ce que les peintures murales que l'on doit placer à Ixelles ? Il s'agit ici d'une excellente idée qui ne peut recevoir, dans cette Chambre comme elle l'a reçu dans tout le pays et à l'étranger, qu'un très bon accueil.

II s'agit de représenter, comme dans un grand livre toujours ouvert, dans un grand livre très attrayant, les faits principaux de l'histoire belge. Mais il ne s'agit pas de peindre ces faits dans toutes les écoles et voilà où est l'erreur.

Il faut un type à cette peinture historique. Après avoir cherché dans les écoles de Bruxelles un emplacement convenable, on n'y a pas trouvé de local approprié à cet effet, et l'école d'Ixelles, le domicile de l'honorable rapporteur de la section centrale, a été choisie pour cet essai.

M. Hymans, rapporteur. - C\st une excellente idée.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Oh ! de concession en concession, je crois que vous arriverez bientôt à notre opinion. Je ne cherche pas à mettre les orateurs en contradiction avec eux-mêmes ; mais j'aurais de quoi vous prouver que nous avons été d’accord autrefois et j'en tire la conclusion que nous nous remettrons d'accord.

(page 450) En bien, voici quant à l'école d'Ixelles tout simplement le procédé. L'artiste très distingué chargé de ce travail, s'est engagé vis à-vis du gouvernement, aussitôt que ces peintures seraient faites, non pas des peintures à fresque, mais des peintures à l'huile, M. Dumortier.

M. B. Dumortier. - Sur quoi ?

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Sur toile.

Eh bien, lorsque cette peinture sera faite, par un procédé dont nous devons aussi faire honneur à un Belge, cette peinture sera reproduite en dessin appliqué sur toile encore, et ces toiles seront placées dans toutes les écoles qui voudront accepter ce genre d'ornementation.

Et quel sera le sacrifice que chaque école aura à faire pour obtenir cette décoration si belle et si utile ?

75 francs.

Voilà de quelle manière les fonds de l'Etat seront gaspillés !

Nécessairement dans les pauvres communes qui ont des locaux convenables, l'Etat pourra donner ces toiles, ne fût-ce qu'à titre de récompense, aux écoles qui se distingueront ; mais les villes et les grandes communes ne demanderont évidemment pas à l'Etat un subside de 75 fr. pour obtenir de pareils ornements.

On dit, messieurs, que l'Etat n'a fait que du favoritisme. J'ai cité les artistes auxquels le gouvernement s'était adressé d'abord. Je voudrais que l'on me citât un seul artiste, de quelque valeur, qui ait des plaintes à adresser au gouvernement pour son indifférence ou son esprit de favoritisme. Qu'on en cite un seul.

La liste est longue des artistes avec lesquels le gouvernement a été en rapport. Certes, il s'éloigne autant qu'il le peut des artistes médiocres, des artistes impuissants ; il recherche autant que possible les meilleurs artistes. C'est ce qu'il a fait et avec succès, et cependant l'honorable M. Dumortier vient de dire encore que l'exposition dernière du Palais-Ducal ne signifiait rien.

M. B. Dumortier - J'ai dit tout le contraire ; ne dénaturer, pas ma pensée. J'ai dit que l'on était fier d'être Belge, lorsqu'on se trouvait au milieu de ces chefs-d'œuvre.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Laissez-moi achever. Si vous étiez fier d'être Belge, en entrant dans ce musée, il ne fallait pas conserver d'amertume, de sentiment injuste envers le gouvernement, attendu qu'une grande partie des œuvres dont vous êtes fier, et à juste titre, appartiennent au gouvernement, sont le résultat de commandes ou d'acquisitions faites par le gouvernement. Voilà ce que vous devriez reconnaître.

Maïs tout en louant les œuvres qui étaient au Palais-Ducal, vous trouvez moyen de faire des reproches au gouvernement, de prétendre qu'il ne fait rien pour les artistes, alors, je le répète, que la plupart de ces belles œuvres sont la propriété du gouvernement, ont été commandées par lui.

Mais nous avons perdu les grandes traditions. La grande époque, pour les artistes, remonte au premier ministère de l'honorable M. de Theux, qui avait parfaitement compris l'art en faisant de grandes commandes ; et depuis lors il n'y a plus eu, dit-on, que des commandes misérables, indignes du gouvernement.

Messieurs, après 1830, le sentiment belge a reçu un élan heureux, qui s'est manifesté non seulement dans la politique et l'industrie, mais qui s'est manifesté dans les arts.

Nous avons souvent constaté que les premières œuvres de nos artistes à la suite de 1830, avaient un caractère de grandeur, de nationalité que les œuvres qui ont suivi n'ont pas toujours conservé au même degré.

De grandes œuvres ont été produites à cette époque, cela est vrai. Maïs qui a fait obstacle à ce que ce mouvement continuât ? Pourquoi les artistes n'ont-ils pas continué à travailler dans le même esprit et avec le même succès ? Est-ce le gouvernement qui a été l'obstacle ?

Je nie au reste que l'école d'aujourd'hui soit inférieure à l'école qui a suivi 1830. Nous avons un grand nombre d'artistes. Ils n'ont pas fait tous de grandes toiles. Nous avons, dans tous les genres, des artistes très distingués, quoiqu'ils ne fassent pas des tableaux historiques.

Messieurs, je ne voudrais pas me mêler à une discussion déjà bien longue sur les mérites ou les inconvénients de la peinture à fresque, mais je dis qu'à toutes les époques, de la part des membres de la Chambre, le gouvernement a rencontré une approbation unanime quand il a tenté de donner à l'art belge une direction élevée, une direction patriotique.

La grande peinture ne se manifeste pas seulement par de grands tableaux, mais, évidemment, lorsqu'un artiste a à sa disposition un grand espace pour peindre une grande scène, il est beaucoup plus à l'aise que lorsqu'il est renfermé dans un petit espace ; et jamais vous ne pourrez reproduire aux yeux du peuple nos grandes scènes populaires, nos grandes scènes de guerre, nos grandes scènes politiques, si vous n'offrez pas à l'artiste un terrain où il puisse à l'aise déployer son talent.

En ce qui concerne, messieurs, cette innovation de la peinture monumentale, j'ai une observation à faire, c'est que les critiques arrivent trop tard. Il y a des années déjà que le gouvernement est entré dans cette voie avec le concours des Chambres et je ne sais pas pourquoi l'honorable M. Dumortier et l'honorable M. Hymans n'ont pas poussé ces cris de détresse à l'époque où le gouvernement est venu proposer pour la première fois des crédits pour encourager la peinture monumentale.

La Belgique a-t-elle eu tort, messieurs, de s'engager dans cette voie ? Je ne puis le croire, je ne puis croire que l'Angleterre, la France et l'Allemagne, qui encouragent ce genre de peinture, soient livrées à des tendances rétrogrades, à des hommes qui ne connaissent absolument rien dans le domaine de l'art. Je crois, au contraire, que lorsque nous nous appuyons de l'exemple de ces pays, nous pouvons nous rassurer sur les conséquences des actes que nous avons posés.

L'honorable M. Dumortier a félicité mon honorable successeur d'être rentré dans la bonne voie, eh bien, moi, je félicite aussi mon honorable successeur, non pas d'être « rentré », mais d'avoir continué dans la bonne voie, car en ce qui concerne la peinture monumentale, mon honorable successeur qui a si bien, si éloquemment démontré à la Chambre, sa compétence en ces matières, mon honorable successeur est venu demander de nouveaux crédits pour étendre à d'autres monuments la peinture murale.

Est-ce là ce que l’honorable M. Dumortier appelle : rentrer dans la bonne voie ? Quant à moi c'est ce que j'appelle rester dans la bonne voie, et je ne doute pas que la Chambre ne s'associe aux propositions que mon honorable prédécesseur a si bien justifiées. Nous verrons par le vote de la Chambre qui, de l’honoraire M. Dumortier ou de nous, a raison..

- La clôture est demandée et prononcée.

Le chiffre demandé par le gouvernement est mis aux voix par appel nominal.

96 membres sont présents.

77 adoptent.

19 rejettent.

En conséquence, le chiffre est adopté.

Ont voté l'adoption : MM. De Fré, de Gottal, de Haerne, de Lexhy, de Liedekerke, de Mérode, de Montpellier, de Muelenaere, de Paul, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, Devaux, de Vrière, d'Hoffschmidt, Dolez, H. Dumortier, d'Ursel, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Jacquemyns, Jamar, Janssens, J. Jouret, M. Jouret, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, le Bailly de Tilleghem, C. Lebeau, Lesoinne, Loos, Magherman, Mouton, Muller, Orban, Orts, Pirson, Rodenbach, Rogier, Royer de Behr, Snoy, Tack, Tesch, Vanden Branden de Reeth, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van de Woestyne, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Wasseige, Allard, Ansiau, Bara, Braconier, C. Carlier, Coppens, David, Debaets, de Baillet-Latour, de Boe, dé Breyne, de Bronckart, Dechentinnes, de Decker, de Florisone et Vervoort.

Ont voté le rejet : MM. de Renesse, de Rongé, B. Dumortier, Faignart, Hymans, Landeloos, Moreau, Nélis, Notelteirs, Pirmez, Sabatier, Thibaut, Thienpont, Van Bockel, Vander Donckt, Van Volxem, Beeckman, Coomans et Crombez.

Articles 118 à 124

« Art. 118. Académie royale d'Anvers : fr. 32,500.

« Charge extraordinaire : fr. 25,000. »

- Adopté.


« Art. 119. Conservatoire royal de musique de Bruxelles. Dotation de l'Etat destinée, avec les subsides de la province de Brabant et de la ville de Bruxelles, à couvrir les dépenses tant du personnel que du matériel : fr. 58,690.

« Troisième tiers de la part du gouvernement dans les frais d'acquisition d'un orgue ; charge extraordinaire : fr. 13,000. »

- Adopté.


« Art. 120. Conservatoire royal de musique de Liège. Dotation de l'Etat, destinée, avec les subsides de la province et de la ville de Liège, à couvrir les dépenses tant du personnel que du matériel : fr. 28,620. »

- Adopté.

(page 451) « Art. 121. Musée royal de peinture et de sculpture. Personnel : fr. 8,570. »

- Adopté.


« Art. 122. Musée royal de peinture et de sculpture. Matériel et acquisitions ; frais d'impression et de vente du catalogue : fr. 23,400. »

- Adopté.


« Art. 123. Musée royal d'armures et d'antiquités. Personnel : fr. 7,700. »

- Adopté.


« Art. 124. Musée royal d'armures et d'antiquités. Matériel et acquisitions ; frais d'impression et de vente du catalogue : fr. 11,000. »

- Adopté.

Article 125

« Art. 125. Entretien du monument de la place des Martyrs, des jardins et des arbustes ; salaire des gardiens. Frais de surveillance et d'entretien de la colonne du Congrès ; jardin et arbustes. Traitement du personnel préposé à la surveillance et à l'entretien du palais de la rue Ducale. Frais d'entretien des locaux du palais de la rue Ducale ; frais de surveillance du musée moderne à établir audit palais ; frais relatifs au jardin (salaire du jardinier et entretien du jardin) ; chauffage des locaux habités par les concierges : fr. 8,680.

« Charge extraordinaire : fr. 15,600. »

M. le président. - La section centrale, d'accord avec le gouvernement, propose de diminuer l'ensemble de l'article 123 d'une somme de 18,100 fr. qui doit être transférée au budget des travaux publics.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Par suite du transfert, le chiffre des charges ordinaires et permanentes est réduit à 6,180 fr., et toutes les charges extraordinaires sont supprimées.

M. B. Dumortier. - Messieurs, lorsque nous avons voté des subsides considérables pour l'appropriation du Palais Ducal, il a été question de transformer ce palais en un musée moderne. Depuis lors, le gouvernement semble avoir complètement dévié de ce qui devait être considéré comme arrêté. La salle principale du palais paraît être devenue aujourd'hui une salle de concerts. Je demande qu'on rende cette salle à sa destination primitive. Si l'on veut faire un musée moderne, il est évident que c'est là surtout que les tableaux doivent être placés.. Le conservatoire peut très bien donner ses concerts là où il les donnait autrefois. Il a d'abord le temple des Augustins, où ces concerts peuvent se donner ; en hiver, le conservatoire a la salle de la Grande Harmonie.

Vu l'heure avancée de la séance et en présence de l'impatience de la Chambre d'arriver au vote du budget, je ne veux pas présenter d'autres considérations pour le moment, mais je me réserve de revenir sur ce point avec plus de détail lors du prochain budget.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Comme l'honorable préopinant, je ne veux pas traiter, quant à présent, cette question séparément. Il faudrait rappeler tous les précédents ; mais, comme l'honorable membre, je fais mes réserves. Cependant, je dois dire qu'il a été entendu que la salle principale serait destinée aux concerts du conservatoire royal ; la Chambre a, du reste, entendu confirmer elle-même cette décision, en votant les crédits considérables que le gouvernement lui a demandés pour le placement d’un orgue monumental.

Il a été entendu également que l'on transporterait au Palais Ducal le musée, de peinture moderne. Ce placement aura lieu d'ici à très peu de temps.

- L'article 125, tel qu'il est modifié par la section centrale, d'accord avec le gouvernement, est mis aux voix et adopté.

Adopté.

Article 126

« Art. 126. Monuments à élever aux hommes illustres de la Belgique, avec le concours des villes et des provinces ; médailles à consacrer aux événements mémorables : fr. 10,000.

« Charge extraordinaire : fr. 80,000. »

La section centrale propose une diminution de 8,024 francs.

M. Hymans, rapporteur. - Messieurs, je ne renonce pas à l'amendement de la section centrale ; mais je renonce à le développer. J'avoue qu'après le vote que la Chambre vient d’émettre au sujet de la peinture murale, je ne me sens pas du tout disposé à entreprendre une nouvelle campagne à propos de sculpture.

- L'article 126, tel qu’il est proposé par le gouvernement, est mis aux voix et adopté.

Articles 127 et 128

« Art. 127. Subsides aux provinces, aux villes et aux communes dont les ressources sont insuffisantes pour la restauration des monuments ; subsides pour la restauration et la conservation d'objets d'art et d'archéologie appartenant aux administrations publiques, aux églises, etc. ; travaux d'entretien aux propriétés de l'Etat qui ont un intérêt exclusivement historique : fr. 56,000. »

- Adopté.


« Art. 128. Commission royale «tes arts et monuments. Personnel. Jetons de présence, frais de voyage des membres de la commission, du secrétaire et des dessinateurs ; bibliothèque, mobilier, chauffage, impression, frais de bureau, achat d'instruments, compte rendu de la séance générale publique, indemnités des sténographes et frais de publication, irais de route des trois commissaires de l'Académie et des membres correspondants, rédaction et publication du bulletin de la commission d'art et d'archéologie : fr. 22,800. »

- Adopté.

Chapitre XX. Service de santé

Articles 129 à 133

« Art. 129. Frais de route et de séjour pour l'inspection des établissements dangereux, insalubres ou incommodes projetés ou en exploitation ; personnel, dépenses diverses et travaux relatifs à cette inspection ; charge extraordinaire : fr. 12,000. »

- Adopté.


« Art. 130. Frais des commissions médicales provinciales ; police sanitaire et service des épidémies : fr. 45,000. »

- Adopté.


« Art. 131. Encouragements à la vaccine ; service sanitaire des ports de mer et des côtes ; subsides aux sage-femmes pendant et après leurs études et pour les aider à s'établir ; 2° pour les indemniser des soins de leur art qu'elles donnent aux femmes indigentes ; subsides en cas d'épidémies ; récompenses pour services rendus pendant les épidémies ; impressions et dépenses diverses : fr. 30,000. »

- Adopté.


« Art. 132. Académie royale de médecine : fr. 20,140. »

- Adopté.


« Art. 133. Conseil supérieur d'hygiène publique ; jetons de présence et frais de bureau : fr. 4,200. »

- Adopté.

Chapitre XXI. Eaux de Spa

Article 134

« Art. 134. Traitement du commissaire du gouvernement près la société concessionnaire des jeux de Spa : fr. 7,000. »

- Adopté.

Chapitre XXII. Traitements de disponibilité

Article 135

« Art. 135. Traitements temporaires de disponibilité ; charge extraordinaire : fr. 30,000. »

- Adopté.

Chapitre XXIII. Dépenses imprévues

Article 136

« Art. 136. Dépenses imprévues non libellées au budget : fr. 9,900. »

- Adopté.

Second vote

M. le président. - La Chambre veut-elle passer immédiatement au second vote sur les articles amendés ?

- Voix nombreuses. - Oui ! oui !

Articles 11 et 12

- La réduction de 500 fr. opérée sur le crédit de 40,600 fr., proposé à l’article 11 et l'augmentation de 500 fr. votée à l'article 12, sont définitivement adoptées.

Article 50

M. le président. - A l'article 50 la Chambre a substitué le mot « liquidés » au mot « reconnus ». L'article est donc libellé comme suit :

(page 452) « Pensions de 250 francs en faveur des légionnaires, des décorés de la croix de Fer peu favorisés de la fortune : pensions de 250 fr. aux blessés de septembre dont les droits auront été liquidés avant le 1er novembre 1862 ; subsides à leurs veuves ou orphelins. »

M. Crombez. - Je demande si cette substitution du mot « liquidés » au mot « reconnus » aura pour effet d'empêcher les blessés de septembre dont les blessures sont dûment constatées de recevoir une pension.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Evidemment. Aucun blessé non pensionné actuellement ne pourra plus recevoir la pension, aux termes de l'amendement de l'honorable M, Dumortier.

M. Crombez. - J'avoue, messieurs, que ce n'est pas ainsi que j'avais compris l'amendement adopté au premier vote ; je ne croyais pas qu'aux termes de cet amendement il serait interdit d'allouer encore des pensions à d'anciens combattants de 1830 dont les blessures seraient bien constatées ; et je dois dire que ma conviction, sous ce rapport, était basée sur le titre de l'annexe n°6 au rapport de la section centrale ainsi conçu : « Liste des blessés de septembre qui ont demandé la pension et dont les blessures sont bien constatées. Ils seront pensionnés au fur et à mesure des extinctions. »

M. Allard. - Je me suis levé dernièrement contre cette nouvelle admission de blessés à la pension. Mais depuis lors des faits nouveaux se sont produits. L'annexe n°6 au rapport de la section centrale contient une liste de 44 blessés de septembre qui ont demandé la pension et dont les blessures sont bien constatées. Or, il paraîtrait, messieurs, qu'on a informé ces 44 individus qu'ils seraient pensionnés à mesure des extinctions des pensions allouées sur le crédit de 200,000 francs.

Ainsi l'un des individus qui figuraient sur cette liste, le n°16, est venu me montrer une lettre d'où il semble résulter que ses droits ont été réellement reconnus par l'Etat et qu'il recevra une pension dès que le crédit le permettra.

Il importe, me semble-t-il, que nous sachions positivement si ces 44 individus sont, oui ou non, dans les conditions voulues pour obtenir un jour la pension.

M. B. Dumortier. - La question est parfaitement claire. Après que la Chambre eut accordé au gouvernement la faculté d'allouer des pensions aux blessés de septembre, il s'est trouvé une foule de personnes qui, non décorées de la croix de Fer, sont venues, menues de certificats plus ou moins équivoques, prétendre qu'elles avaient été blessés en septembre 1830, et sur ce nombre 150 ont obtenu la pension. Par ce fait, les décorés de la croix de Fer, en faveur desquels la Chambre avait créé le fonds des pensionnés de septembre, n'ont pu depuis trois ans être admis à la pension. Le fonds des décorés de la croix de Fer menaçait d'être absorbé par ceux qui n'ont pas obtenu cette décoration. C'était là un abus auquel il fallait porter remède. Outre les 150 personnes qui ont demandé et obtenu la pension à titre de blessés sur le fonds de la croix de Fer, il était question de pensionner encore 44 autres personnes sur ce fonds.

Il était évident que vous ne pouviez point admettre 200 nouveaux pensionnés sur le fonds de la croix de Fer sans que ce fût au détriment des décorés de la croix de Fer, qui sont, eux, les véritables blessés de septembre et dont les titres ont été dûment constatés par la commission des récompenses unie au gouvernement provisoire. J'admets que cette commission a pu commettre quelques oublis ; mais on ne peut pas croire qu'elle ait oublié un si grand nombre de blessés. Comme l'a fort bien fait remarquer l'honorable M. Rogier, beaucoup, de ces individus viennent aujourd'hui, pour la moindre égratignure au doigt, revendiquer des droits à la pension ; c'est là un abus. Il fallait en finir avec un pareil système et il n'y avait pour cela qu'un moyen, c'est celui qui a été adopté par la Chambre au premier vote. Il est évident que si des individus réellement blessés en septembre n'ont pas fait valoir leurs droits en temps utile, ils ne doivent s'en prendre qu'à eux-mêmes et il ne faut pas que la possibilité de quelques cas très exceptionnels de ce genre donne ouverture à de véritables abus. De deux choses l'une, ou ils ont réclamé devant la commission des récompenses ou ils ne l'ont pas fait : s'ils out réclamé il y a une présomption légale que leurs titres n'ont pas été trouvés suffisants ; si, au contraire, ils n'ont point réclamé dans le délai voulu, ils n'ont qu'à s'en prendre à eux-mêmes, ce n'est pas à nous de réparer la faute qu'ils ont commise, Nous ne reconnaissons comme ayant droit au fonds de la croix de Fer que ceux dont les titres ont été reconnus par la commission des récompenses.

J'engage donc la Chambre à persister dans sa première résolution et à ne pas autoriser l'admission de cette nouvelle fournée de personnes au bénéfice d'une pension qui leur serait accordée sans aucune espèce de contrôle, sans qu'aucune commission ait constaté l'existence et la nature des prétendues blessures qu'ils invoquent pour obtenir d'être pensionnés sur le fonds de la croix de Fer.

M. Crombez. - Il ne s'agit pas ici d'une nouvelle fournée, comme le dit l'honorable M. Dumortier, il s'agit d'une liste de 44 personnes dont les noms figurent dans l'annexe n°6 au rapport de la section centrale, liste dont j'ai rappelé tout à l'heure l'intitulé.

Celte liste vient du département de l'intérieur. Je demande pourquoi cette espèce de promesse de donner la pension aux individus qui y figurent, s'ils ne doivent pas l'obtenir ?

Je prie la Chambre de vouloir bien prendre ces observations en considération et de ne pas maintenir l'amendement s'il doit avoir cette portée.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - La chose est bien simple. C'est la Chambre qui a introduit l'amendement.

Le gouvernement avait remis à la section centrale la liste des décorés et des blessés dont on avait reconnu les blessures ; mais il a paru qu'il serait injuste de donner la pension aux blessés avant de l'accorder aux décorés, attendu que ceux-ci ont un titre authentique.

Si la Chambre revenait sur son premier vote, on ne pourrait qu'à une époque plus éloignée donner de pensions aux décorés qui la demandent.

- L'amendement est mis aux voix et adopté.


Les autres amendements sont successivement confirmées sans discussion.

Vote de l’article unique et vote sur l’ensemble

M. le président. - Il va être procédé au vote par appel nominal sur l'article unique du projet qui est ainsi conçu :

« Le budget du ministère de l'intérieur est fixé pour l'exercice 1863 à la somme de 10,328,123 fr. 37 c., conformément au tableau ci-annexé. »

Proposition de loi

Dépôt

Avant de passer à l'appel nominal, je dois prévenir la Chambre qu'on vient de me remettre une proposition de loi, portant 15 signatures ; elle sera envoyée aux sections pour savoir si elles en autorisent la lecture.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1863

Vote de l’article unique et vote sur l’ensemble

Il est procédé à l'appel nominal. En voici le résultat.

Le projet de loi est adopté à l'unanimité des 83 membres présents. Il sera transmis au Sénat.

Ont répondu à l'appel : MM. De Fré, de Gottal, de Haerne, de Lexhy, de Mérode, de Montpellier, de Muelenaere, de Paul, de Renesse, de Rongé, de Smedt, de Terbecq, de Theux, Devaux, de Vrière, d'Hoffschmidt, Dolez, B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel, Faignart, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M, Jouret, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, le Bailly de Tilleghem, C. Lebeau, Loos, Magherman, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Notelteirs, Orban, Orts, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier. Royer de Behr, Sabatier, Snoy, Tack, Tesch, Thibaut, Thienpont, Vanden Branden de Reeth, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van de Woestyne, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Vilain XIIII, Allard, Bara, Braconier, C. Carlier, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Boe, de Breyne, de Bronckart, Dechentinnes, de Decker, de Florisone et Vervoort.

- La séance est levée à cinq heures.