(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1862-1863)
(page 170) (Présidence de M. Vervoort.)
M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
M. de Moor, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
M. Grandgagnage. - Messieurs, les Annales parlementaires mentionnent mon nom parmi les membres qui ont pris part au second appel nominal dans la séance d'hier, c'est une erreur : j'étais absent au moment du vote.
M. B. Dumortier. - Messieurs, il me paraît que les phrases qui ont été lues par M. le président dans la séance d'hier devraient être mentionnées au procès-verbal. En second lieu, j'insiste sur ce point que j'ai invité M. le président à rappeler à l'ordre celui qui s'était permis le mot « impertinence », et que M. le président s'est refusé à le faire. Cela devrait être également acté au procès-verbal.
M. le président. - Le procès-verbal d'ordinaire ne relate que d'une manière sommaire ce qui se passe dans la Chambre.
M. Wasseige. - Je conçois parfaitement, messieurs, que le procès-verbal ne doive contenir que le résumé sommaire de nos séances ; mais autre chose est un résumé aussi succinct que vous le voudrez, autre chose est une omission complète. Or, vous l'avez entendu, et j'en appelle ici à la mémoire de tous mes honorables collègues, le procès-verbal se tait sur un des faits les plus graves et, à mon avis, l'un des plus regrettables de cette triste séance. J'ajouterai que cette omission change la physionomie de la séance et rend le procès-verbal peu intelligible ; je désire que cette omission soit réparée sous ce rapport et qu'il y soit inséré que M. le président Vandenpeereboom invité par deux membres de cette Chambre de rappeler à l'ordre celui qui s'était permis de traiter d'impertinent un de ses collègues ou tout au moins d'engager le ministre de la justice à retirer ses paroles, s'y est constamment refusé. Il est bon que le souvenir de semblable manière d'agir subsiste ; je fais donc la proposition formelle de compléter le procès-verbal dans ce sens.
M. le président. - Le bureau en délibérera.
M. Hymans. - Si le bureau juge convenable de réparer les omissions faites au procès-verbal, je demanderai qu'on veuille bien y mentionner la proposition de l'honorable M, Dolez et le refus, six fois réitéré, de l'honorable M. Coomans, de retirer les paroles offensantes qu'il avait prononcées.
M. de Renesse. - Je crois que le moyen de mettre tout le monde d'accord est d'insérer au procès-verbal la partie des Annales parlementaires relative à la séance d'hier. J'en fais la proposition.
M. Wasseige. - Messieurs, la proposition de l'honorable M. de Renesse rentre parfaitement dans le sens de mes observations, puisque par ce moyen toute omission serait réparée. Je m'y rallie bien volontiers
M. E. Vandenpeereboom. - Messieurs, je ne fais, pour ce qui me concerne, aucune opposition. Je dirai seulement que M. le greffier, qui rédige ordinairement les procès-verbaux, a rédigé le procès-verbal de la séance d'hier comme il rédige tous les autres ; il a relaté les résolutions prises, le nombre des votants pour et contre dans les deux appels nominaux ; c'est tout ce que doit contenir un bon procès-verbal. Ordinairement on se réfère aux Annales parlementaires pour les détails. Ce qu'on demande aujourd'hui est une chose qui n'a pas d'utilité. On propose d'inscrire dans le procès-verbal un extrait des Annales ; mais personne ne gagnera rien à cela, il s'ensuivra seulement que vous aurez dans votre procès-verbal ce qui se trouve déjà au Moniteur ; c'est-à-dire que l'on mettra dans nos archives, que personne ne consulte, ce qui se trouve dans les mains de tout le monde. Si l'on veut faire ce double emploi, pour ma part, je n'y vois pas d'autre inconvénient que de prendre une résolution peu sérieuse.
- Personne ne demandant plus la parole, la proposition de M. de Renesse est mise aux voix et adoptée. En conséquence, la Chambre décide que la partie des Annales parlementaires, rendant compte de l'incident d'hier, sera insérée au procès-verbal.
Le procès-verbal est ensuite adopté avec cette modification.
M. Thienpont, secrétaire., présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Les sieurs de Beer, de Corts et autres membres d'une société flamande à Sotteghem proposent des modifications au projet de loi relatif aux jurys d'examen pour la collation des grades académiques. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Le sieur Evrard demande l'abolition du tirage au sort de la milice. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi concernant la milice.
« Des habitants d'Assesse demandent que les trains express sur les lignes du Luxembourg fassent arrêt dans cette commune. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Par trois messages en date du 18 décembre, le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté les trois projets de loi ci-après :
« 1° Convention littéraire et artistique conclue avec la Russie ;
« 2° Crédit spécial de 500,000 francs au département de l'intérieur ;
« 3° Crédit supplémentaire de 345,163 fr. 8 c. au budget du ministère de l'intérieur de l'exercice 1862. »
- Pris pour notification.
La Chambre se constitue en comité secret à deux heures moins un quart.
La séance publique est reprise à trois heures.
M. le président. - La Chambre veut-elle s'occuper d'abord du projet de loi allouant des crédits provisoires à divers départements ministériels ?
- De toutes parts. - Oui ! oui !
M. le président. - La parole est à M. Jamar, rapporteur de la section centrale qui a examiné ce projet de loi.
M. Jamar donne lecture d'un rapport qui conclut à l'adoption du projet de loi.
La discussion générale est ouverte ; personne ne demandant la parole, l'assemblée passe à la discussion des articles.
« Art. 1er. Des crédits provisoires, à valoir sur les budgets des dépenses de l'exercice 1863, sont ouverts :
« 1° Justice : fr. 2,250,000.
« 2° Affaires étrangères : fr. 500,000.
« 3° Intérieur : fr. 1,800,000.
« 4° Travaux publics : fr. 6,485,157.
« 5° Guerre : fr. 7,200,000.
« Ensemble : fr. 18,238,157. »
- Adopté.
« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le 1er janvier 1863. »
- Adopté.
Il est procédé à l'appel nominal.
83 membres y répondent.
81 membres répondent oui.
2 membres répondent non.
En conséquence, la Chambre adopte.
Ont voté pour le projet : MM. de Baillet-Latour, de Breyne, de Brouckere, Dechentinnes, de Florisone, De Fré, de Gottal, de Haerne, de Lexhy, de Liedekerke, de Mérode, de Moor, de Naeyer, de Pitteurs-Hiegaerts, de Renesse, de Rongé, de Ruddere de Te Lokeren, de Terbecq, de Theux, d'Hoffschmidt, B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel, Frison, Grandgagnage, Grosfils, Hymans, Jacquemyns, Jamar, Janssens, J. Jouret, M. Jouret, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Lange, Laubry, C. Lebeau, Loos, Magherman, Mercier, Moncheur, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Notelteirs, Nothomb, Orban, Orts, Pirson, Rodenbach, Rogier, Royer de Behr, Sabatier, Tack, Tesch, Thibaut, Thienpont, Van Bockel, Vanden Branden de Reeth, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Van de Woestyne, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Overloop, Van Renynghe, Van Volxem, Verwilghen, Wasseige, Allard, Ansiaux, Bara, Beeckman, Braconier, Carlier-Dautrebande, Coppens, Crombez et Vervoort.
Ont voté contre le projet : MM. Guillery et Vander Donckt.
M. le président. - Je propose à la Chambre de s'occuper maintenant du budget des dotations.
- Cette proposition est adoptée.
(page 171) La discussion générale est ouverte.
M. Allard. - Nous allons voter le budget des dotations tel que M. le ministre des finances nous l'a présenté dans la séance du 8 avril dernier. Il est bien entendu que toutes les questions relatives à l'augmentation des traitements des membres et du personnel de la cour des comptes et des fonctionnaires et employés de la Chambre sont réservées. Nou discuterons ces questions dans une des séances qui suivront la rentrée de la Chambre après les vacances qu'elle va prendre.
M. le président. - Cela est entendu.
- La discussion générale est close.
« Art. 1er. Liste civile (fixée en vertu de l'article 77 de la Constitution), par la loi du 28 février 1832 : fr. 2,751,322 75. »
- Adopté.
« Art. 2. Dotation de l'héritier présomptif du Roi (loi du 14 juin 1853) : fr. 500,000. »
- Adopté.
« Art. 3. Dotation de S. A. R. le Comte de Flandre : fr. 150,000. »
- Adopté.
« Art. 4. Sénat : fr. 40,000. »
- Adopté.
« Art. 5. Chambre des représentants : fr. 582,050.
« Charge extraordinaire : fr. 10,000. »
- Adopté.
« Art. 6. Traitement des membres de la Cour : fr. 58,000. »
- Adopté.
« Art. 7. Traitement du personnel des bureaux : fr. 82,920.
- Adopté.
« Art. 8. Matériel et dépenses diverses : fr. 16,900.
- Adopté.
« Art. 9. Premier terme des pensions à accorder éventuellement : fr. 1,200. »
- Adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'article unique du projet, qui est ainsi conçu :
« Article unique. Le budget des dotations est fixé, pour l'exercice 1863, à la somme de quatre millions cent quatre-vingt-douze mille trois cent quatre-vingt-douze francs soixante-quinze centimes (4,192,392 francs 75 centimes)-, conformément au tableau ci-annexé. »
- Le projet de loi est adopté à l'unanimité des 81 membres qui ont répondu à l'appel.
Il sera transmis au Sénat.
Ont répondu à l'appel : MM. de Baillet-Latour, de Breyne, de Brouckere, Dechentinnes, de Florisone, De Fré, de Gottal, de Haerne, de Liedekerke, de Mérode, de Moor, de Naeyer, de Pitteurs-Hiegaerts, de Renesse, de Rongé, de Ruddere de Te Lokeren, de Terbecq, de Theux, d'Hoffschmidt, H. Dumortier, d'Ursel, Frison, Grandgagnage, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, Janssens, J. Jouret, M. Jouret, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Lange, Laubry, C. Lebeau, Loos, Magherman, Mercier, Moncheur, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Notelteirs, Nothomb, Orban, Orts, Pirson, Rodenbach, Rogier, Sabatier, Tack, Tesch, Thibaut, Thienpont, Van Bockel, Vanden Branden de Reeth, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van de Woestyne, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Overloop, Van Renynghe, Van Volxem, Verwilghen, Wasseige, Allard, Ansiau, Bara, Beeckman, Braconier, Carlier-Dautrebande, Coppens, Crombez et Vervoort.
M. Rodenbach (pour une motion d’ordre). - Messieurs, j'ai l'honneur de proposer à la Chambre de s'occuper encore, aujourd'hui et demain, de l'augmentation des traitements de la magistrature 'et ensuite de nous donner un congé jusqu'au deuxième mardi de janvier, qui tombe le 13. C'est l'habitude de la Chambre de prendre une vacance à cette époque de l'année, et je crois que ce terme que je propose n'est pas trop long. Il n'y a pas péril en la demeure, nous venons de voter 18 millions. Ainsi, je propose à la Chambre de s'ajourner, après la séance de demain, jusqu'au mardi, 13 janvier.
M. le président. - Demandez-vous que ce soit après le vote du projet de loi sur l'augmentation du traitement de la magistrature ?
M. Rodenbach. - Aujourd'hui et demain on pourrait s'occuper de cette loi.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je ne sais pas si la Chambre veut adopter dès maintenant la proposition de l'honorable M. Rodenbach, ce serait en quelque sorte préjuger la question et décider la clôture de la discussion et le vote de la loi demain.
Je ne pense pas qu'il entre dans les intentions de la Chambre de se séparer si le projet de loi n'est pas voté.
- Plusieurs membres. - Non !
M. Allard. - On décidera demain.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il me semble donc que la proposition de M. Rodenbach est subordonnée à la question de savoir si la Chambre clora oui ou non demain la discussion du projet de loi dont nous nous occupons en ce moment.
M. Rodenbach. - Je présenterai ma proposition demain.
M. le président. - Par suite de la décision de la Chambre sur la proposition qu'a faite dans une précédente séance l'honorable M. Vander Donckt, la proposition de l'honorable M. Rodenbach ne pourra être examinée que demain.
« M. Carlier, rappelé chez lui par une affaire urgente, demande un congé. »
- Accordé.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, j'ai établi, je crois, dans la séance d'hier, que la réforme et les simplifications que l'on eût désiré voir introduire dans l'administration du pays, sont complétement impossibles dans le département de la justice.
J'ai démontré que, quant à l'administration centrale, il n'y avait pas moyen de supprimer des rouages ni de réduire le nombre des employés, qui est déjà fort restreint.
J'ai aussi démontré qu'on ne pouvait pas non plus apporter de sérieuses modifications aux services qui, en province, ressortissent au département de la justice.
(page 172) La Chambre est, en ce moment, saisie d'un projet de loi sur l'organisation judiciaire et les corps judiciaires constituent les plus importantes de ces administrations.
La Chambre aura à examiner elle-même si l'on peut opérer des réductions dans les corps judiciaires, si l'on peut se passer de cour de cassation, diminuer le nombre des cours d'appel, ou le nombre des tribunaux ou enfin supprimer les cantons.
M. De Fré. - C'est dans la Constitution.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - La Constitution ne parle pas des tribunaux, mais seulement de la cour de cassation et des cours d'appel.
C'est une raison de plus pour que les simplifications, sous ce rapport, soient complètement impossibles.
Messieurs, la Chambre examinera cette question. Quant à moi, je doute que l'on puisse réduire le personnel même des cours et tribunaux ; toutes les réclamations que je reçois tendent plutôt à l'augmenter encore.
Du reste, je le répète, la Chambre sera libre de faire, sous ce rapport, ce qu'elle croira convenir.
Je constate seulement que ce qui existe actuellement est réglé par la loi et que, l'eussé-je voulu, je n'eusse pu le changer.
J'ai fait également connaître à la Chambre quel est le personnel des autres administrations qui sont sous mes ordres, et je ne crois pas que la Chambre ait trouvé d'exagération dans ce personnel.
Enfin, j'ai fait remarquer que, pour les bases de l'augmentation des traitements de la magistrature, j'avais suivi les principes consacrés par les lois de 1832 et de 1845. Et j'ai prouvé par des chiffres que ce n'étaient pas, comme on le croyait, les hautes fonctions qui avaient été principalement favorisées dans la répartition, mais que c'était précisément pour les positions inférieures que la proportion de l'augmentation était la plus forte.
Ainsi, la majoration des traitements n'est que de 14 p. c. pour-le président de la cour de cassation, tandis qu'elle est de 33 p. c. pour les juges de paix ainsi que pour les commis-greffiers, qui tiennent le dernier rang dans les tribunaux de première instance.
L'augmentation des traitements est-elle trop forte, abstraction faite des proportions gardées dans la répartition ? Je ne saurais l'admettre. L'honorable M. Pirmez vous a démontré hier à la dernière évidence que ce qu'il faut donner aux magistrats, c'est un traitement suffisant pour qu'ils puissent occuper dans la société la position que leur rang leur assigne.
Vous ne pouvez placer les magistrats dans une situation inférieure à la mission qu'ils sont appelés à remplir.
Cette mission elle-même en souffrirait si vous les réduisiez à des traitements peu convenables. Vous ne pouvez pas vouloir qu'un magistrat ait le même genre de vie qu'un simple employé : ce serait diminuer le prestige de la justice même.
Aussi, messieurs, l'on ne semble pas trouver trop forte l'augmentation des traitements de la magistrature inférieure ; nous avons supprimé toute une classe de tribunaux, celle où les juges ne recevaient que 2,800 francs, et nous les avons placés dans la troisième classe, où le traitement est fixé à 4,000 fr., c'est-à-dire que dans la dernière classe les traitements sont majorés dans une proportion très forte et tout exceptionnelle : nouvelle preuve que le projet de loi n'a pas pour effet de favoriser seulement la magistrature supérieure.
Si le système que nous avons suivi pour les tribunaux de première instance ne soulève aucune critique, il en est autrement en ce qui concerne les cours d'appel et la cour de cassation. L'honorable M. de Naeyer trouve trop élevé le traitement que nous allouons aux membres de ces cours. Je ne puis partager cette manière de voir et j'appelle toute votre attention sur une considération que je vais avoir l'honneur de vous soumettre.
Il est, messieurs, très désirable que toute la magistrature, depuis le bas de l'échelle jusqu'au sommet, soit partout convenablement composée ; il est très désirable que partout, depuis le juge de paix jusqu'au président de la cour de cassation, vous ayez des hommes qui, par leur science, leur honorabilité, leur caractère, soient tout à fait à la hauteur de leur mission.
Mais ce qui importe surtout, c'est que la magistrature supérieure se recrute dans des conditions telles que vous puissiez y appeler des hommes remarquables par la science juridique, l'expérience et le caractère.
Messieurs, la raison en est très simple. Je ne rappellerai pas que la magistrature est un pouvoir ; vous le savez, cela est écrit dans la Constitution. Mais il est évident que l'administration de la justice est la plus importante de toutes les administrations du pays,
Elle est la plus importante sous tous les rapports. Il convient donc d'y voir entrer des hommes distingués.
Les corps judiciaires décident de la vie, de la liberté, de la fortune, de l'honneur des citoyens et leurs décisions sont irrévocables.
Remarquez-le bien, la magistrature seule, avec l'organisation que la Constitution lui a donnée, échappe à toute action, n'est soumise à aucun contrôle.
Les administrations ordinaires, qui constituent le pouvoir exécutif, sont surveillées par le gouvernement qui lui-même est responsable vis-à-vis de vous.
Il n'est pas une administration dans le pays sur laquelle les Chambres n'exercent une action puissante et à laquelle elles ne puissent, en quelque sorte, imprimer une marche, une direction. Il n'en est pas de même de la justice. Tout ce que vous pouvez faire, c'est d'établir les meilleures conditions de recrutement possible. Quand ces conditions sont défectueuses, quand elles ne sont pas établies de manière à appeler dans la magistrature les hommes remarquables par la science et l'honorabilité, il arrive que la haute magistrature, les cours supérieures deviennent un véritable malheur au lieu d'être une institution salutaire ; il arrive que les juges supérieurs sont moins capables que les juges inférieurs : ceux qui doivent réformer sont moins capables que ceux qu'ils sont appelés à réformer.
Aussi, messieurs, si vous devez avoir dans la magistrature inférieure des hommes capables, il est bien plus indispensable encore d'en avoir au sommet de l'échelle.
Et, messieurs, ne croyez pas que quand je parle de la difficulté du recrutement de la haute magistrature, ce soit une simple hypothèse, un argument que je fais valoir pour les besoins de la cause. Aujourd'hui déjà la haute magistrature ne se recrute pas aussi facilement qu'on le voudrait. Je pourrais citer des faits. Ainsi, messieurs, une place de conseiller était vacante il n'y a pas longtemps, il y a peut-être un an, c'était à la province de Luxembourg à présenter. Il ne s'est présenté de candidat ni dans le tribunal d'Arlon, ni dans le tribunal de Neufchâteau : C'est à peine si cette place a été postulée par un seul juge du Luxembourg.
A cette époque j'ai entendu émettre l'avis que la position de la magistrature inférieure était relativement trop bonne et que cela empêchait certains magistrats de demander de l'avancement. (Interruption.) Je laisse ce qui est, mais je dirai à l'honorable M. de Naeyer qui, lui, veut encore empirer cette situation en réduisant les traitements des conseillers des cours d'appel et de la cour de cassation. (Interruption.) J'avais cru comprendre que l'honorable M. de Naeyer attaquait principalement les traitements des conseillers des cours d'appel et de la cour de cassation.
M. de Naeyer. - Je les ai attaqués comme base.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - En ce qui concerne la cour de cassation, messieurs, il ne faut pas croire que beaucoup de membres des cours d'appel de Liège et de Gand soient bien désireux d'y obtenir un siège. Ceux qui le demandent forment l'exception.
Vous voyez donc que la position que l'on fait aux magistrats supérieurs n'est pas tellement belle, qu'on trouve autant de candidats qu'il serait désirable. Il est beaucoup de magistrats qui ne consentent pas à quitter la cour dont ils sont membres, pour venir à la cour de cassation. Sous ce rapport, il y aurait plutôt lieu d'élever les traitements que de les diminuer,
Je crois donc que dans les propositions que j'ai eu l'honneur de soumettre à la Chambre, je suis resté dans des limites très raisonnables.
Cette augmentation paraît un peu forte, mais il faut tenir compte aussi des circonstances. L'honorable M. Pirmez vous a dit avec beaucoup de raison que jadis la magistrature n'était accessible qu'aux personnes qui avaient de la fortune et qui, en sus de leur traitement, avaient un patrimoine suffisant pour leur assurer une existence convenable.
Aujourd'hui, tout est changé sous ce rapport ; il faut qu'on attribue aux fonctions de la magistrature une rémunération qui réponde à tout ce que la position exige ; et je crois que cette rémunération n'a pas été fixée d'une manière trop large.
Il m'est impossible d'établir mathématiquement la somme dont le magistrat a besoin pour vivre d'une manière convenable ; mais que chacun de vous fasse un retour sur lui-même, et qu'il se demande si les traitements qui sont alloués présentent quelque chose d'exagéré, si surtout dans les grandes villes les magistrats peuvent faire des économies ; il reconnaîtra que les traitements des magistrats restent plutôt en dessous qu'au-dessus des nécessités de la vie. Il n'y a donc aucune exagération dans les propositions que le gouvernement a soumises à la Chambre.
Il me reste, messieurs, à examiner quelques critiques qui ont é/é présentées contre des points spéciaux de la loi.
La première a été faite par un honorable député de Malines, (page 173) M. Vanden Branden de Reeth, qui s'est plaint de ce que le tribunal de Malines n'avait pas été compris dans la seconde classe.
L'honorable membre vous a dit qu'il ne parvenait pas à se rendre compte des principes sur lesquels la nouvelle classification avait été fondée.
Cela me paraît cependant assez facile. Je me suis trouvé en présence d'une classification établie par la loi. Cette loi avait placé dans la première classe les tribunaux d'Anvers, de Bruxelles, de Gand et de Liège. J'ai maintenu le rang de ces tribunaux. La seconde classe comprenait les tribunaux de Bruges, de Mons, de Namur, de Tournai, de Tongres, d'Arlon et de Verviers. J'ai encore respecté les droits acquis.
En supprimant la quatrième classe, j'ai eu à examiner quels tribunaux devaient entrer dans la deuxième classe, et je me suis décidé d'après leur importance.
Ainsi j'ai fait entrer dans la seconde classe les tribunaux de Termonde, de Charleroi, de Louvain et de Dînant, parce que ces quatre tribunaux, qui ont chacun deux chambres, sont sans contredit les plus importants du pays, après ceux et même avec ceux que la loi a déjà rangés dans la deuxième classe. Le tribunal de Malines, au sujet duquel l'honorable M. Vanden Branden de Reeth a fait une réclamation, ne peut être mis sur la même ligne.
M. Vanden Branden de Reeth. - Et l'élément de la population ?
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - La population est un élément d'appréciation, mais il n'est pas le seul qui doive déterminer la classification des tribunaux. L'honorable membre est d'accord avec moi sur ce point.
M. Vanden Branden de Reeth. - C'est le seul élément d'appréciation pour la première classe.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - A votre avis, faudrait-il placer le tribunal de Malines dans la deuxième classe, par cela seul que la ville de Malines a une population de 33,000 habitants ? Si tel n'est pas votre raisonnement, si vous admettez qu'il y a d'autres éléments et entre autres l’importance des tribunaux, je dis que votre réclamation n'est pas fondée.
M. Vanden Branden de Reeth. - Il faut combiner les éléments.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je vais les combiner, et vous verrez que vous êtes loin encore d'arriver à la seconde classe.
Quel est le nombre des affaires qui se jugent ordinairement à Malines ? Je prends la moyenne des années 1856 à 1860 ; la statistique s'arrête là ; et vous allez voir que le tribunal de Malines ne peut être placé dans une. classe supérieure, à moins qu'on ne supprime complètement la troisième classe.
A Malines, il y a, par an, 74 affaires civiles, 68 affaires commerciales et 347 affaires soumises au tribunal correctionnel. Voyons maintenant les tribunaux qui passent à la deuxième classe.
M. Vanden Branden de Reeth. - Prenez Arlon.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je prendrai Arlon et je vous prouverai que le tribunal d'Arlon, qui est le chef-lieu d'une province et le siège d'une cour d'assises, est beaucoup plus important que le tribunal de Malines. Si vous avez tenu note des chiffres que j'ai donnés pour le tribunal de Malines. je vous prierai de placer en regard ceux du tribunal d'Arlon.
Je n'ai pas à craindre la comparaison, Seulement, je ferai remarquer à la Chambre, pour répondre à une espèce d'insinuation personnelle, que ce n'est pas moi qui ai fait entrer Arlon dans la seconde classe. La classification actuelle existait avant mon entrée au ministère.
Comparons maintenant, puisqu'on le désire, Arlon avec Malines ; tout à l'heure je prendrai d'autres tribunaux encore.
Malines a 74 affaires civiles, Arlon 131 ; Malines 68 affaires commerciales, Arlon 91 ; Malines a eu à juger 347 affaires soumises au tribunal correctionnel ; Arlon 744, et Arlon a de plus une cour d'assises.
Voilà les chiffres pour Arlon. Voulez-vous que je pousse plus loin la comparaison et que je prenne les tribunaux de Charleroi, de Louvain, de Dinant, de Termonde ?
Prenons Charleroi : Charleroi a 415 affaires civiles, Malines 74 ; 690 affaires commerciales, Malines 68 ; 1,096 affaires soumises au tribunal correctionnel, Malines, 347.
Pour Louvain, je trouve aussi une disproportion : Louvain a 142 affaires civiles, Malines 74 ; 181 affaires commerciales, Malines 68, 862 affaires soumises au tribunal correctionnel, Malines 347.
Maintenant, je vais vous prouver que si l'on arrive à mettre Malines dans la deuxième classe, il faut supprimer la troisième.
L'honorable M. Van den Branden de Reeth parait croire que Malines se trouverait en très mauvaise compagnie avec les tribunaux de Marche et de Neufchâteau, dont la population est très peu élevée.
Il ignore que ces tribunaux ont plus d'importance que Malines. En voici la preuve :
Malines a 74 affaires civiles ; Neufchâteau en a 95.
Malines à 68 affaires commerciales ; Neufchâteau 69.
Malines a 347 affaires soumises au tribunal correctionnel, Neufchâteau 476.
Ces chiffres sont irréfutables.
Il faut ajouter que territorialement, quant à l'étendue de la circonscription, Malines encore une fois est le tribunal le moins important.
Malines arrive en première ligne comme population de chef-lieu, mais comme population d'arrondissement, il n'est que le cinquième des tribunaux de troisième classe ; comme étendue territoriale, il est le dernier ; quant au nombre des affaires civiles, il est le huitième des tribunaux de troisième classe ; pour les affaires commerciales, il est le cinquième et pour les affaires correctionnelles, il est le sixième.
Vous voyez donc que si Malines peut venir dire : En raison de ma population je dois être placé dans la deuxième classe, les autres tribunaux de la troisième classe peuvent venir dire à leur tour ; En raison de l'étendue de notre territoire, de la population de l'arrondissement et du nombre des affaires, nous devons aussi être rangés dans la deuxième classe.
L'honorable M. Vanden Branden de Reeth peut donc être certain que cette question a été mûrement examinée.
M. Vanden Branden de Reeth. - Non ! non !
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Vous pouvez le contester ; mais je vous demande si les chiffres que j'invoque sont contestables ; je vous demande s'il serait équitable, alors que le tribunal de Malines ne vient que le huitième parmi les tribunaux de troisième classe pour les affaires civiles, le sixième pour les affaires correctionnelles, le cinquième quant à la population de l'arrondissement et le dernier quant à l'étendue du territoire, s'il serait bien équitable de le faire passer dans la deuxième classe. Cela n'est vraiment pas admissible.
M. Vanden Branden de Reeth. - Je demande la parole.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je crois donc, messieurs, que la classification a été faite de la manière la plus rationnelle et la plus juste ; elle a respecté les droits acquis, et d'un autre côté elle a fait monter en même temps à une classe supérieure plusieurs tribunaux qui, par leur importance, le méritaient incontestablement.
J'arrive, messieurs, à l'amendement qui tend à élever le traitement des juges de paix à 3,000 francs.
Messieurs, le principal argument qu'on a fait valoir pour justifier cet amendement, c'est la disproportion choquante qui existerait entre le traitement des juges de paix et le traitement des juges des tribunaux de troisième classe.
Cela se résume à dire qu'autrefois il n'y avait qu'une différence de 1,000 fr. entre le traitement des juges de paix et celui des juges des tribunaux de la dernière classe, tandis que désormais cette différence sera de 1,600 fr.
J'ai déjà indiqué la cause de cette différence, elle provient de la suppression d'une classe de tribunaux ; en ce qui concerne les majorations, les juges de paix ont été traités d'une manière plus favorable même que les autres membres du corps judiciaire.
L'augmentation pour eux est de 33 p. c. ; elle n'atteint pas cette proportion pour les autres magistrats (sauf, bien entendu, pour ceux qui sont montés d'une classe par suite du changement de classification) : l'augmentation générale est de 25 p. c. ; elle monte à 30 p. c. en raison de la différence de classification.
M. d'Hoffschmidt. - Je demande la parole.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - J'ajouterai que cet argument est sans valeur, car vous pourriez l'appliquer à tous les autres traitements. Lorsque vous augmentez proportionnellement tous les traitements, il est évident que la différence qui les séparait antérieurement augmentera, en raison même de l'application que vous ferez d'un même tantième aux différents traitements.
Supposez deux traitements, l'un de 100 fr. l'autre de 50, la différence est de 50 fr. ; si vous les augmentez de 10 p. c., la différence va être de 55 fr.
On pourrait faire le même raisonnement pour les tribunaux. La différence entre les tribunaux des différentes classes deviendra plus sensible (page 174) si vous les augmentez proportionnellement. D'un tribunal de première classe à une cour d'appel la différence est de 2 mille fr. ; le traitement des magistrats des tribunaux de première classe est de 4 mille francs, celui des magistrats des cours d'appel est de 6 mille francs ; d'après le projet, cette différence sera de 2,500 francs, parce que vous augmentez les uns et les autres dans la même proportion.
Il en est de même pour les tribunaux de deuxième et de troisième classe, puisqu'on admet les mêmes bases d'augmentation.
On critique la disproportion qui existe entre le traitement des juges de paix et celui des magistrats des tribunaux de troisième classe : quand on argumente de cette différence, on ne tient pas compte des émoluments des juges de paix ; les émoluments rendent cette différence bien moins grande qu'on ne veut bien le dire.
On a aussi prétendu que l'augmentation du traitement ferait disparaître un des grands inconvénients qui semblent s'introduire dans le personnel des justices de paix, l'instabilité.
Messieurs, le moyen qu'on propose ne remédierait pas au mal qu'on redoute. En supposant le traitement porté à 3 mille fr., cela n'empêchera pas de désirer de l'avancement, cela n'empêchera pas quelques magistrats de rechercher le séjour des villes, qu'ils préfèrent à celui des campagnes. Vous ne remédierez pas à l'instabilité des juges de paix. Je ne crois pas que ce soit au moyen des traitements qu'on parviendra à faire disparaître ce qui dans certains cas est un inconvénient, je le reconnais. Les nouvelles lois sur les justices de paix ont profondément altéré la nature de cette institution. C'est dans ces nouvelles lois, c'est dans les nouvelles conditions imposées aux juges de paix que se trouve la véritable cause de l'instabilité de ces magistrats. Autrefois, ils étaient pris dans le canton, on ne leur imposait ni condition de résidence au chef-lieu, ni condition de capacité, de diplôme ; ou choisissait un homme qui à une certaine intelligence joignait une honorabilité reconnue, un homme qui avait un grand ascendant sur ses concitoyens. C'était le juge de paix.
Voilà quelle était l'institution. Aujourd'hui vous avez changé cela, vous avez exigé le diplôme de docteur en droit et la résidence au chef-lieu de canton. Par suite de ces conditions nouvelles, on est obligé de choisir, en dehors des cantons, des jeunes gens qui appartiennent aux villes, qui ont fait leur éducation dans les villes. Je n'examine pas si on a bien fait, je recherche les causes de l'instabilité qui existe et qui continuera à exister à certain degré malgré l'augmentation des traitements. Quand vous placerez dans les campagnes des jeunes gens qui n'y ont pas leur famille, leurs relations, leur fortune, leurs affaires, il arrivera inévitablement que beaucoup d'entre eux chercheront à les délaisser, guidés en cela les uns, par une ambition légitime d'avancer, de parcourir la carrière judiciaire, d'arriver aux tribunaux et aux cours ; d'autres par le désir de se rapprocher de leur famille ou d'arriver au séjour des villes qui leur convient mieux ; d'autres, enfin, par des nécessités de position.
Vous aurez beau donner un traitement égal à celui des juges des tribunaux de troisième classe ; quand il s'agira d'une famille à élever, d'instruction à donner, on recherchera le séjour des villes ; ce n'est pas avec quelques cents francs que vous les retiendrez dans les campagnes, ce n'est pas par l'argent que vous parviendrez à détruire le vice que vous signalez
Il faudrait plutôt, quand on trouve au chef-lieu de canton un homme qui réunit les conditions de capacité, nommer cet homme dans son canton ; il resterait au sein de sa famille, au milieu de ses relations, au siège de sa fortune, c'est le seul moyen de fixer un juge de paix au chef-lieu.
On a dit aussi que le travail des juges de paix était considérablement augmenté, qu'à ce point de vue encore il y avait lieu d'augmenter leur traitement. Je dois dire que je ne puis pas partager cette manière de voir.
L'honorable M. Nothomb a parlé du code forestier.
M. Nothomb. - Entre autres choses.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est très peu de chose.
M. Nothomb. - La loi de 1849 a augmenté aussi leur besogne.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Les juges de paix ont très peu d'occupation ; s'ils en avaient beaucoup plus, l'augmentation s'expliquerait bien mieux. Une chose qu'il ne faut pas perdre de vue, c'est qu'en général les juges de paix n'ont qu'une ou deux audiences par semaine.
Si on ne tenait compte que du travail, il n'y aurait pas lieu de songer à une augmentation du traitement ; ce n'est pas leur faute s'ils n'ont pas plus de procès à juger, plus d'affaires à examiner, mais si on ne prenait, pour déterminer leur traitement, que cet élément, le travail, ils seraient suffisamment rémunérés par le traitement qu'ils reçoivent aujourd'hui.
La loi reste dans de justes limites ; comme je l'ai dit, l'augmentation a été plus forte pour les juges de paix que pour les autres magistrats en général. Si même on élevait le traitement des juges de paix dans la même proportion que celui des juges de la quatrième classe qui sont passés à la troisième, vous n'arriveriez pas, à beaucoup près, au traitement proposé par l'amendement des honorables MM. Nothomb, de Baillet et d'autres collègues, vous n'arriveriez pas même à la somme de 2,600 francs, tandis que l'on demande aujourd'hui la somme de 3,000 fr. c'est-à-dire une augmentation de 66 p. c.
C'est, à mon sens, une exagération, et je ne puis l'accepter.
L'honorable M. De Fré a proposé de renvoyer l'amendement à la commission chargée de l'examen du projet de loi sur l'organisation judiciaire, et je crois que c'est le parti le plus sage que la Chambre puisse prendre, car la question des traitements des juges de paix et des greffiers se rattache à la question la plus sérieuse de toutes, à celle des émoluments.
Si l'on doit maintenir les émoluments, le traitement de 3,000 francs est évidemment exagéré.
Mais quel sera le système adopté par la Chambre pour les émoluments ?
Les supprimera-t-on d'une manière absolue, ou bien changera-t-on le mode de perception ?
Aujourd'hui ils sont perçus directement par les greffiers. On a dit que cela donne à la justice un caractère de vénalité.
Il y aurait un moyen de faire disparaître cet inconvénient : ce serait de faire toucher les émoluments par le receveur de l'enregistrement ; la chose serait facile.
Voilà un système.
Vous auriez aussi de cette manière la mesure exacte de la quotité des émoluments On pourrait encore procéder autrement. On pourrait établir que le traitement sera de... y compris les émoluments et que si ceux-ci ne s'élèvent pas à la somme prévue par la loi, le traitement sera parfait jusqu'à concurrence de cette somme.
Voilà encore un système.
Ce sont toutes choses qui doivent être mûrement examinées.
Je ne puis donc me rallier à une proposition qui donnerait dès maintenant un traitement tel que vous préjugeriez la question des émoluments. Il est certain qu'une fois le traitement fixé on ne le réduira pas.
Relativement aux greffiers, des questions très importantes se présentent également.
Quelles seront les attributions des greffiers ? D'après les uns, il faudrait permettre aux greffiers de faire des ventes publiques ; d'après d'autres, il faut le leur défendre.
Selon les attributions que vous allez leur donner, devra être fixé le traitement que vous leur allouerez.
Si vous leur permettez, par exemple, d'exercer en partie les fonctions de notaires, il est certain qu'en leur accordant cette prérogative, vous leur donnerez le moyen de se faire un traitement qui n'a plus besoin d'être augmenté lorsqu'il se trouve déjà porté à 1,200 fr.
Sous ce rapport donc, vous préjugeriez la question et vous voteriez dès maintenant des traitements que vous ne voudriez pas maintenir après la loi d'organisation judiciaire. Tous ces points doivent être réservés.
On nous a dit que si nous ne pouvions discuter la question des traitements des juges de paix, nous ne pouvions pas non plus discuter la question des traitements des autres juges. C'est une erreur.
Est-ce qu'aux traitements des autres juges se rattache la question d'émoluments que nous rencontrons pour les juges de paix ?
Les autres juges ont-ils des attributions qui leur permettent de percevoir des émoluments ?
Pas le moins du monde.
Ainsi l'organisation judiciaire ne pourra rien changer à raison du casuel des autres juges. Ils n'en ont pas. Les juges de paix en ont, et c'est d'après la décision que la Chambre prendra au sujet de ce casuel, de ces émoluments, que devra être décidée la question du traitement lui-même qui s'y lie de la manière la plus intime.
Je crois donc que la seule chose à faire pour rester dans des limites raisonnables, c'est d'adopter, tel qu'il est présenté, le projet de loi qui traite très généreusement déjà les juges de paix et de laisser à la loi sur (page 175) l'organisation judiciaire par laquelle les traitements doivent être révisés, le soin de fixer définitivement la position de ces magistrats,
Messieurs, je finirai par une seule considération qui doit faire impression sur la Chambre.
C'est pour ainsi dire 1a première loi d'augmentation que nous discutons aujourd'hui. On s'est plaint et l'on s'est montré effrayé du chiffre auquel doivent se monter toutes les augmentations réunies.
Lorsque l’on a parlé de six millions tout le monde a été très disposé à trouver la chose exorbitante.
Et que propose-t-on aujourd'hui ? On propose déjà, pour le premier projet de loi qui vous est soumis, une augmentation de plus de 25 p. c., de sorte que si l'on continue et je ne vois pas de raison de ne pas continuer. Ce ne sera plus cette somme de six millions, qui paraît déjà exorbitante, qu'il faudra trouver, mais bien une somme de plus de 7,500,000 francs.
Je le demande, les finances de l'Etat peuvent-elles supporter une pareille charge ?
Nous avons déjà atteint la limite extrême de ce qui peut être fait. Je supplie la Chambre de ne pas pousser les choses à un point tel, que les finances de l'Etat subiraient un véritable désastre.
M. Moncheur. - Je prends un instant la parole pour déclarer que mon vote sera favorable au projet de loi dans son ensemble.
Je crois, en effet, qu'il est de la plus haute importance de placer la magistrature dans une position en rapport avec la haute mission qu'elle doit remplir.
Je tiens à déclarer, en second lieu, que j'appuie de toutes mes forces l'amendement déposé par plusieurs honorables membres relativement au traitement des juges de paix et de leurs greffiers. Mon opinion est qu'il faut attacher autant que possible les juges de paix à leurs sièges. Il faut que leur position y soit assez bonne pour pouvoir y rester. Or, le traitement de 2,400 francs, surtout dans les cantons où les émoluments ne se montent qu'à 300 ou 400 francs par an, est insuffisant pour attacher les juges de paix à leurs sièges et pour qu'ils puissent se maintenir au rang qu'ils doivent occuper dans la société.
Messieurs, lorsqu'un juge de paix connaît bien son canton et lorsqu'il y est favorablement connu, il peut faire infiniment de bien.
Il est donc toujours excessivement défavorable à une bonne administration de la justice que ces juges s'éloignent du siège où ils ont déjà conquis de l'ascendant sur les justiciables pour aller dans un autre canton, où ils ne connaissent ni les personnes ni les choses.
Messieurs, M. le ministre de la justice pense que la stabilité des juges de paix ne serait pas plus grande si l'on augmentait le minimum de leur traitement. Mais c'est évidemment là une erreur ; car lorsque le juge de paix n'a pas le strict nécessaire pour vivre honorablement dans la position qu'il occupe, il est nécessairement et inévitablement forcé de demander une autre position quelconque qui soit un peu plus lucrative, tandis que lorsqu'il aura au moins le strict nécessaire, et ce n'est que cela que nous demandons, il évitera d'encourir toutes les chances d'un déplacement et d'en faire les frais.
Je crois donc, messieurs, que la stabilité des juges de paix gagnerait infiniment à ce que vous augmentiez les traitements de ces magistrats et à ce que vous les portiez au moins à 3,000 fr.
Quant aux traitements des greffiers, le chiffre de 1,500 fr. n'est certes pas exagéré non plus.
L'honorable ministre de la justice appuie le renvoi de la proposition d'augmentation à la commission d'organisation judiciaire. Je conçois qu'il y a des motifs pour étudier à fond ces questions. Mais si le renvoi était ordonné, je voudrais qu'il fût au moins bien entendu que la question des traitements des juges de paix et de leurs greffiers fût non seulement réservée...
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Cela est dans la loi.
M. Moncheur. - Je dis que je voudrais que cette question fût non seulement réservée, mais encore qu'il résultât des impressions qui seront laissées dans cette Chambre après cette discussion, que la position des juges de paix et de leurs greffiers doit être sensiblement améliorée, non seulement eu égard à ce qu'elle est aujourd'hui, mais encore eu égard à la proposition qui est faite par le gouvernement dans le projet en discussion.
Messieurs, peu importe à mes yeux, je vous l'avoue, que l'on ait admis ou non la même proportion pour l'augmentation du traitement des juges de paix que pour d'autres magistrats, par exemple, pour les juges de première instance, car là n'est pas la question. Ainsi, on objecte que les traitements des magistrats d'un ordre plus élevé n'ont été augmentés que de 20 p. c, tandis que celui des juges de paix l'est de 30 p. c, mais cet argument n'est pas péremptoire.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - J'ai répondu.
M. Moncheur. - C'est-à-dire, M. le ministre, que vous avez répondu cela. Mais c'est précisément cette réponse qui ne me satisfait pas. En effet, si vous parlez d'un chiffre de traitement extrêmement bas, ridiculement bas, vous avez beau l'augmenter de 30 p. c., vous n'arrivez encore qu'à un chiffre trop peu élevé. Cette proportion ne répond donc pas à ce qui est juste, équitable, nécessaire. Car, ce qui est nécessaire, c'est de mettre les juges de paix dans une position qui réponde au rang qu'ils doivent conserver dans la société, et si, pour atteindre ce but, vous devez augmenter leurs traitements actuels, même de plus de 30 p. c, vous devez le faire, vous ne devez pas être arrêté par une proportion fatale et, pour ainsi dire sacramentelle qu'il serait moralement impossible de dépasser.
Je tenais à réfuter cet argument qui n'a rien de concluant en résumé.
Messieurs, j'appuie l'amendement et je le voterai si j'en ai l'occasion, mais si le renvoi est ordonné à la commission d'organisation judiciaire, dont je fais du reste partie, j'espère qu'elle sentira la nécessité d'améliorer la condition des juges de paix, que je considère comme ayant une mission d'une excessive importance dans notre organisation sociale.
- Plusieurs membres. - La clôture !
M. Guillery. - Je ne serai pas long, ce qui me vaudra, j'espère, le pardon d'avoir pris la parole lorsque la Chambre a le droit d'être fatiguée.
Je désire, messieurs, féliciter très sincèrement M. le ministre de la justice d'avoir présenté le projet de loi que nous discutons en ce moment. Je crois que ce projet n'augmente pas en réalité les traitements de l'ordre judiciaire, qu'il ne fait que les maintenir à la hauteur où ils avaient été successivement placés par la loi de 1832 et par les lois qui les ont modifiés en partie depuis lors.
On a beaucoup parlé contre les gros traitements. J'ai vainement compulsé toutes nos lois de traitements et de finances et il ne m'a pas été possible jusqu'à présent de trouver un gros traitement en Belgique. Je n'ai pas trouvé de gros traitement surtout dans la magistrature.
Le maximum, pour deux fonctionnaires seulement, le nec plus ultra sera 16,000 fr. d'après le projet de loi, et est actuellement 14,000 fr.
Si je compare ce que peut donner de richesse une intelligence hors ligne, une honorabilité incontestable, une vie de labeur, dans cette carrière, et ce que peut donner une intelligence souvent très ordinaire dans d'autres, si je considère quel est l'état de nos mœurs et de la richesse publique en Belgique, je trouve que ces traitements sont excessivement modérés.
Un pays qui a beaucoup d'analogie avec le nôtre, et quant à la fortune publique et quant aux mœurs, est la France. Eh bien, là, on a pris pour principe de donner des traitements très considérables aux fonctionnaires hors ligne, aux intelligences exceptionnelles. On a désiré que ces intelligences exceptionnelles fussent au service de l'Etat, et pour les attirer, on leur a offert des positions brillantes.
Chez nous, tous les hommes qui entrent dans la magistrature doivent renoncer à la fortune. Quels que soient ses travaux, lorsque le magistrat arrive même aux fonctions les plus élevées, fonctions auxquelles il n'arrivera souvent qu'à un âge très avancé, lorsqu'il sera déjà usé par la fatigue, lorsqu'il aurait besoin de la retraite, il ne pourra avoir qu'un traitement modique relativement d'abord aux travaux auxquels il a dû se livrer et ensuite à ce qu'il aurait obtenu dans d'autres carrières.
Mais, messieurs, il est un point sur lequel je désire appeler spécialement l'attention de la Chambre et du gouvernement, sans cependant en faire l'objet d'un amendement. Le gouvernement, après l'avoir examiné, verra s'il est opportun de l'accueillir.
J'aurais voulu que l'on s'écartât du système consacré par la loi de 1832. D'après ce système d'abord, on a mis les trois cours d'appel complètement sur le même pied ; ensuite on a toujours rétribué le président du tribunal de première instance comme le conseiller à la cour d'appel et le premier président de cour d'appel comme le conseiller à la cour de cassation. Je crois que c'est là un principe essentiellement erroné.
En général, les présidents, les chefs de compagnie, comme les chefs de parquet, les procureurs du roi et les procureurs généraux, doivent réunir des qualités tout à fait exceptionnelles. Tel pourra, étant excellent jurisconsulte, ayant l'expérience des affaires de la justice, être bon conseiller de cour d'appel, remplir même convenablement les fonctions de conseiller à la cour de cassation, qui n'aura pas ces qualités exceptionnelles qu'il faut pour être président d'un tribunal de première instance, surtout dans un tribunal de première classe. Il faut ici des qualités tout à fait hors ligne. Non seulement il faut un jurisconsulte, mais il faut un homme qui ait cette vivacité d'intelligence, cette activité, cette santé même qui permet de suffire à un travail de tous les instants, De même, (page 176) pour exercer les fonctions de chef de parquet, il faut une aptitude spéciale.
Les procureurs généraux, par exemple, sont astreints à un travail véritablement très considérable et que ne peuvent comprendre ceux qui ne sont pas un peu du métier.
Eh bien, le procureur général près la cour d'appel, le premier président de la cour d'appel sont rétribués comme un conseiller à la cour de cassation.
En France, on a suivi un tout autre système. Ainsi, il n'est pas rare, en France, de voir un conseiller à la cour de cassation nommé premier président de cour d'appel. Cela est arrivé notamment il y a quelques années, pour un magistrat qui est devenu depuis lors président à la cour de cassation.
Le vénérable président du tribunal de première instance de Paris est resté dans sa position, que personne n'était capable d'occuper mieux que lui, jusqu'au moment où le poids des années l'a forcé à demander de passer directement à la cour de cassation.
II y aurait donc lieu, suivant moi, de faire aux présidents des tribunaux de première classe et spécialement au président du tribunal de première instance de Bruxelles et au procureur du roi près le tribunal, une position autre que celle d'un conseiller de cour d'appel.
De même les premiers présidents sont encore des magistrats dont la position est exceptionnelle. Etre chef d'une compagnie, savoir diriger ses collègues avec cette discrétion et cette fermeté que doit posséder un premier président, demande des qualités que l'on ne rencontre pas communément.,
Tel sera bon conseiller à la cour de cassation qui n'aura pas les aptitudes nécessaires pour remplir les fonctions de premier président de la cour d'appel.
Je n'en dirai pas davantage quant à présent, parce que cette question se représentera lorsque nous examinerons le projet de loi d'organisation judiciaire ; mais comme nous nous occupons aujourd'hui des traitements, il eût été préférable de la résoudre dès à présent.
Seulement un dernier mot quant aux cours d'appel. Je ne crois pas que les trois cours d'appel doivent être mises sur le même pied. La cour de Bruxelles est évidemment beaucoup plus importante que celles de Gand et de Liège. (Interruption.)
La cour de Liège n'a que trois chambres et on pourrait sans aucun inconvénient en supprimer une. Il n'y a plus d'arriéré. Les affaires font défaut aux sièges et les chambres ne siègent pas tous les jours d'audience. À Bruxelles au contraire, où il y a quatre chambres, le nombre des affaires est tellement considérable que l'arriéré augmente tous les jours.
Je dis qu’il n'y a aucune raison pour mettre sur le même pied des cours d'appel qui n'ont pas la même importance et des villes entre lesquelles il existe une grande différence au point de vue de la cherté de la vie.
De même, le président du tribunal de Bruxelles a une mission beaucoup plus importante que les présidents des autres tribunaux, notamment en ce qui concerne les référés. Il y a ensuite beaucoup d'affaires (dans le détail desquelles je ne veux pas entrer), qui se produisent à peine dans les autres villes et qui, à Bruxelles, sont très nombreuses.
Je trouve, messieurs, que le gouvernement a eu parfaitement raison de supprimer la quatrième classe des tribunaux de première instance, c'était un acte d'équité promis depuis longtemps, et je félicite M. le ministre de l'avoir accompli.
Je ne ferai plus qu'une observation, c'est en ce qui concerne les juges d'instruction.
La différence entre les juges d'instruction et les juges ordinaires n'est que de 500 fr., cette différence ne me paraît pas suffisante ; en France elle est beaucoup plus considérable. Il est très difficile aujourd'hui de trouver des juges d'instruction ; et les magistrats astreints à ces fonctions, qui exigent aussi des qualités exceptionnelles, ont un service beaucoup plus pénible que les juges ordinaires. On évite autant que possible ces fonctions, qui devraient au contraire être recherchées, qui devraient être le marchepied pour arriver à une magistrature supérieure.
Aujourd'hui elles sont confiées souvent à de jeunes magistrats qui entrent dans la carrière et qui ne sont souvent nommés que sous la condition tacite de les accepter.
Or, messieurs, si ces fonctions sont pénibles, si elles sont peu recherchées, il faut les rétribuer davantage. La différence de traitement devrait être de 1,000 fr. ou au moins de 800 fr. Elle est aujourd'hui beaucoup moindre et elle serait moindre encore qu'aujourd'hui d'après le projet qui nous est soumis.
L'intérêt de la bonne instruction des affaires exige que la Chambre accueille d'une manière bienveillante les observations que je viens de présenter ; il ne faut pas perdre de vue l'extrême importance des juges d'instruction. Souvent toute une affaire criminelle, depuis le commencement jusqu'au verdict du jury, dépend de la manière dont l'instruction a été faite. Bien des erreurs judiciaires auraient été évitées par une instruction bien conduite, et lorsqu'une affaire est mal instruite il est souvent très difficile de la bien juger.
Tâchons donc, messieurs, que ces fonctions soient autant que possible recherchées par les magistrats les plus expérimentés, qui ont déjà acquis dans le service des audiences la connaissance des hommes et des choses.
J'arrive, messieurs, aux justices de paix et je crois devoir appuyer l'amendement qui a été présenté par plusieurs honorables collègues. Je reconnais parfaitement toute la bienveillance dont M. le ministre de la justice a fait preuve en ce qui concerne les juges de paix, mais je crains, comme plusieurs honorables collègues qui ont pris la parole avant moi, de voir les justices de paix perdre tout à fait leur caractère, qu'on a déjà beaucoup trop entamé. Les juges de paix qui devaient être, dans l'origine, des juges conciliateurs et pas autre chose, sont devenus, depuis le Code d'instruction criminelle, les auxiliaires du procureur du roi et de véritables officiers de police judiciaire.
Si outre cela les fonctions de juge de paix deviennent un marchepied pour entrer dans la magistrature plus élevée, évidemment il n'y aura plus de juges de paix. Je voudrais que les fonctions de juge de paix fussent données autant que possible à des hommes d'un certain âge, disposés à les conserver. Je ne dis pas que, de temps à autre, il n'y ait pas lieu pour le gouvernement de récompenser un juge de paix éminent qui désire quitter ses fonctions, en l'appelant à une place élevée dans la magistrature, mais ce ne doit être là qu'une exception.
L'honorable ministre de la justice ne croit pas que les fonctions de juge de paix deviennent plus stables parce que le traitement sera augmenté. Sans doute, cette considération ne suffit pas, comme elle ne suffira pas pour attirer des capacités dans la magistrature ; le traitement n'est qu'un des éléments de la question, mais c'est un élément important.
Remarquez, messieurs, que dans les campagnes le juge de paix est le seul représentant de l'autorité. Souvent, dans les villages, les bourgmestres sont dépourvus de tout ascendant ; ils sont même quelquefois faibles à l'égard de leurs électeurs ; il faut bien appeler les choses par leur nom : on n'a qu'à demander aux procureurs du roi ce qu'ils en pensent :
Je dis donc que le juge de paix est le seul représentant de l'autorité dans les communes rurales ; il faut donc qu'il soit indépendant, il ne faut pas qu'il soit à la discrétion de tel ou tel homme puissant dans la localité ; il ne faut pas qu'à raison de la modicité de son traitement, il puisse être porté à rechercher des fonctions qui ne sont pas compatibles avec celles qu'il tient de la loi. Je sais bien qu'on me dira que ces fonctions lui sont interdites, qu'il ne peut pas s'occuper d'affaires autres que celles qui entrent dans ses attributions légales ; mais il n'est pas toujours possible de réprimer les abus et il vaut beaucoup mieux les prévenir.
La question de dignité est celle qui l'emporte sur toutes les autres. Que le juge de paix ait une position qui lui permette d'être aux yeux des populations, aux yeux des propriétaires comme aux yeux du peuple le digne représentant de l'autorité dans le canton,
Ces motifs m'engagent à appuyer l'amendement présentée et je ne crois pas que cet amendement doive être ajourné, attendu que c'est bien le moment, comme l'a dit l'honorable M. de Paul, de discuter les traitements. Il n'y a pas de raison pour ajourner.
M. Vanden Branden de Reeth. - Messieurs, lorsque j'ai présenté des observations sur la classification des tribunaux, notamment en ce qui concerne le tribunal de Malines, on m'a répondu (et c'est l'honorable rapporteur de la section centrale) qu'il ne s'agissait ici que d'une mesure provisoire, qu'il fallait absolument un classement pour pouvoir établir les traitements, que plus tard, lorsqu'on s'occupera de l'organisation judiciaire, on reviendra sur cette question.
M. le ministre de la justice, dans un entretien que j'ai eu avec lui dans une autre enceinte, m'a tenu à peu près le même langage ; aujourd'hui il paraît qu'il a complètement changé d'avis. M. le ministre, qui est très adroit, qui connaît bien mieux que moi les petits moyens oratoires dont on se sert pour tourner une difficulté, a trouvé précisément le défaut de la cuirasse ; c'était le nombre d'affaires assez peu important pour Malines,
M. le ministre a laissé de côté tous les autres arguments que j'avais fait valoir ; il s'est longuement étendu sur cette dernière considération et a présenté des chiffres à l'infini pour prouver l'infériorité du tribunal de Malines.
Mais, j'insiste sur ce point, M. le ministre n'a rencontré aucun de mes (page 177) arguments ; il ne s'est attaché qu'à un seul côté de la question et a fait au tribunal de Malines une position tellement infime et d'une insignifiance si grande que je lui dois véritablement des remerciements de ce qu'il n'a pas conservé une quatrième classe, uniquement pour y placer le tribunal de Malines.
D'après M. le ministre, il y a trois bases d'appréciation : le nombre d'affaires, l'importance du personnel du tribunal et la population.
J’ai fait voir, dans le discours que j'ai prononcé dans la séance d'avant-hier, qu'on n'a tenu aucun compte des deux premières bases, notamment pour le tribunal de Charleroi et que ce tribunal, qui avait un nombre d'affaires plus considérable et un personnel plus nombreux que les tribunaux d'Anvers et de Gand, avait cependant été placé à la deuxième classe.
Si l'on n'avait pas tenu compte de la population du chef-lieu judiciaire ce tribunal aurait dû figurer à la première classe, mais l'on a jugé qu'Anvers et Gand étaient des villes plus considérables que Charleroi et on les a placées au premier rang.
A-t-on agi ainsi pour le tribunal de Malines par rapport à des villes d'une bien moindre importance ?
Pourquoi cette différence ? C'est ce que M. le ministre n'explique pas.
Messieurs, pour faire voir combien on se montrait injuste pour Malines j'ai cité notamment ce qu'on faisait pour Arlon.
Il est vrai qu'au tribunal d'Arlon le nombre d'affaires est plus considérable ; mais le personnel est le même qu'à Malines, et je n'ai pas besoin de dire que la population de la ville d'Arlon n'est que le sixième de celle de la ville de Malines.
L'on a parlé de droits acquis pour la ville d'Arlon ! Je vais vous faire voir comment, dans d'autres circonstances, l’on a tenu compte des droits acquis.
Il y a vraiment, il faut bien le reconnaître, des villes privilégiées et des villes frappées d'un interdit perpétuel.
Lorsqu'il s'est agi, il y a dix ou douze ans, d'opérer une nouvelle classification des commissariats d'arrondissement, l'arrondissement de Malines était placé dans la seconde classe ; à la suite de la nouvelle classification, l'arrondissement de Malines, malgré des droits acquis, a été mis dans la quatrième classe ; j'ai fréquemment demandé le redressement de cette injustice, mais c'a été en vain ; et c'est seulement lorsqu'on a supprimé les commissariats d'arrondissement de la quatrième classe, que celui de Malines a été mis dans la troisième.
Je devrais également de ce chef adresser des remerciements à M. le ministre de l'intérieur de l'époque de ce qu'il n'a pas conservé aussi une quatrièmeclasse, uniquement pour l'arrondissement de Malines.
Voilà la justice distributive, voilà le respect des droits acquis !
J'ai dit qu'en France, l'on prenait pour unique base d'appréciation le chiffre de la population du chef-lieu judiciaire et que le chiffre de 30,000 âmes était le point de départ du classement des tribunaux dans un rang supérieur.
J'avais cru pouvoir chercher mes exemples en France, et il me paraissait qu'on y était aussi intelligent pour régler ces questions qu'on peut l'être en Belgique. J'ai fait voir aussi qu'il y avait une anomalie choquante, que les officiers ministériels étaient payés à Malines d'après les tarifs des grandes villes parce que cette ville a une population supérieure à 30,000 âmes.
Pourquoi accorde-t-on cet avantage aux officiers ministériels dans la ville de Malines ? Parce qu'on trouve qu'une agglomération de 34,000 âmes forme une grande ville ; que ces fonctionnaires y ont plus de frais que dans des localités de moindre importance. Mais actuellement pour le tribunal, on ne tient aucun compte de ces faits.
Voilà les considérations que j'ai fait valoir et auxquelles M. le ministre n'a pas répondu.
Je trouve qu'il est assez ridicule de prétendre que le tribunal de Malines, qui siège dans une ville de 33,000 à 34,000 habitants, aux portes de Bruxelles, n'a pas plus d'importance, pour la cherté des vivres, pour tous les frais auxquels les juges sont soumis que les tribunaux de Marche et de Neufchâteau. M. le ministre seul trouve que cette prétention est étrange.
D'ailleurs, je ne sais comment les statistiques dont on s'étaye ont été établies, car il me paraît étrange et inexplicable que dans un arrondissement judiciaire qui comprend Malines, ville de 34,000 habitants. Lierre, ville de 16,000 habitants, ensemble une population urbaine de 50,000 âmes, il y ait moins d'affaires que dans ces petits tribunaux que je viens de citer.
Je le répète, je n'ai pas demandé pour le tribunal de Malines un traitement exceptionnel, j'ai demandé l'égalité, et je suis fondé à vous poser cette question : Pourquoi n'avez-vous pas agi pour Malines comme vous l'avez fait pour Tongres et pour Arlon et pour d'autres tribunaux ? Là vous avez pris pour base uniquement le nombre d'affaires. Mais pourquoi vous êtes-vous borné à ce seul élément d'appréciation et n'avez-vous pas tenu compte de la population du chef-lieu judiciaire ? Pourquoi deux poids et deux mesures ? Voilà des points sur lesquels M. le ministre ne s'est pas expliqué.
Messieurs, je ne puis pas forcer la main au gouvernement ; mais s'il refuse de faire droit à mes réclamations, ce sera un véritable déni de justice !
- La suite de la discussion est remise à demain à une heure.
La séance est levée à 4 heures trois quarts.