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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 4 décembre 1862

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1862-1863)

(page 69) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 3 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre ;

« Le sieur Pierre Hamilius, maréchal ferrant à Messancy, né à Esch-sur-l'Alzette (grand-duché de Luxembourg), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le conseil communal de Wonck demande qu'il soit porté au budget de l'intérieur un crédit spécial pour subsidier les travaux d'entretien de la voirie vicinale, et que le gouvernement organise une surveillance spéciale pour cet objet. »

« Même demande des conseils communaux de Bassenge, Vlytingen, Hoesselt, Tongres. »

-Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le budget de l'intérieur.


« Le sieur Sneyers réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir le prix d'une pièce de terre qu'il a vendue en 1850. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres de l'administration communale de Goyer demandent que le gouvernement accorde à cette commune un subside pour l'entretien de la voirie vicinale empierrée. »

- Même renvoi.


« Le sieur Coppée, auditeur militaire de la province d'Anvers, propose à la Chambre de l'assimiler, quant au traitement, aux procureurs du roi près les tribunaux de première classe. »

M. E. Vandenpeereboom. - La section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif aux traitements de la magistrature militaire ayant terminé son travail, je propose le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.

- Cette proposition est adoptée.


« Des blanchisseurs d'Ath présentent des observations contre une demande adressée au gouvernement et tendante à obtenir la libre entrée pour les toiles et les linges de table envoyés au blanchiment à l'étranger. »

« Mêmes observations de blanchisseurs à Lokeren. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« L'administration communale de Malines demande que le tribunal de cette ville passe de la troisième classe à la deuxième classe. »

- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi sur l'organisation judiciaire.


« Les greffiers des justices de paix de l'arrondissement judiciaire de Liège demandent que leurs traitements soient portés aux deux tiers de ceux des juges de paix. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif aux traitements des membres de l'ordre judiciaire.


« Par dépêche du 4 décembre, M. le ministre de la guerre adresse à la Chambre le compte de l'emploi des fonds accordés par la loi du 8 mai 1861 pour le matériel de l'artillerie et du génie. »

- Impression, distribution et renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le budget de la guerre.


« Par dépêche du 4 décembre, M. le ministre des finances adresse à la Chambre les propositions de la cour des comptes sur les modifications à introduire dans son budget quant au personnel de ses bureaux. »

- Impression, distribution et renvoi à la section centrale qui a examiné le budget des dotations.


« Par dépêche du 4 décembre, la cour des comptes adresse à la Chambre son cahier d'observations relatif au compte définitif de l'exercice 1850 et à la situation provisoire de l'exercice 1860. »

- Distribution aux membres de la Chambre, de ce document qui est imprimé.

Projet de loi accordant un crédit au budget du ministère de l’intérieur

Discussion générale

M. Jacquemyns. - Messieurs, contrairement à la thèse soutenue par mon honorable collège et ami, M. Sabatier, dans le remarquable discours par lequel il a ouvert cette discussion, je crois que la tendance du progrès industriel n'est pas de restreindre le nombre d'heures de travail, mais plutôt de l'augmenter.

Ici j'ai besoin de faire de prime abord une distinction importante entre l'industriel et l'industrie.

La pétition du Cercle commercial de Gaud vous prouve, puisqu'elle émane de manufacturiers, la sollicitude des industriels pour les classes ouvrières. Mais si nous nous occupons de l'industrie elle-même, nous n'avons à nous demander qu'une chose : Quel est son intérêt ? La tendance, en industrie, est de demander constamment moins de fatigues de la part des ouvriers et de leur permettre de travailler pendant un plus grand nombre d'heures.

Dans les industries textiles, dans la fabrication du coton notamment., on en est arrivé à transformer en quelque sorte l'ouvrier en un simple inspecteur de la mécanique qui est confiée à ses soins. Il y a un certain nombre d'années, les ouvriers de nos filatures de ctlon étaient obligés de déployer de la force, de payer de leur personne pour la fabrication des tissus. Mais progressivement, tout ce qui exigeait de la force, tout ce qui exigeait une attention assidue, a été changé, de manière que l'ouvrier n'a plus besoin de travailler ; et quand l'honorable M. Sabatier a dit qu'on réclamait douze heures de travail effectif, il m'a semblé établir une espèce de confusion. Car les ouvriers dans les filatures de coton ne travaillent guère.

Ils ont, je le répète, à soigner, à surveiller les machines, les mécaniques qui sont confiées à leurs soins. Pour vous donner une idée des résultats qu'amène le progrès industriel, voici un fait :

Un industriel de mes amis se montre constamment empressé d'introduire les derniers perfectionnements dans son usine, et, à la suite de ceux qu'il a récemment introduits, des ouvriers qui étaient à la veille de quitter ces établissements, parce que leur âge, leurs forces ne leur permettaient plus de continuer à travailler, sont venus lui déclarer qu'ils prévoyaient pouvoir parfaitement continuer pendant 10 ou 15 ans encore à filer du coton.

Il y a une différence essentielle à faire sous ce rapport entre les diverses industries. Ainsi l'honorable M. Sabatier nous montre les ouvriers ne travaillant que 10 heures dans les houillères, alors qu'ils travaillent 12 heures dans les filatures de coton.

Mais il est à remarquer que l'ouvrier charbonnier se livre réellement à un travail actif ; c'est beaucoup pour l'ouvrier que de rester couché pendant un certain nombre d'heures dans un espace trop bas pour qu'il puisse se redresser, de s'appliquer là continuellement à détacher la houille de la veine, et de passer 10 heures privé de la lumière du jour, qui exerce une action vivifiante sur la nature entière.

Dans les filatures de coton, c'est tout autre chose : on y place l'ouvrier dans un local parfaitement sain, parfaitement chauffé et éclairé, et il n'a pas autre chose à faire que de surveiller sa mécanique et d'obvier aux faibles dérangements qui se produisent dans les fils.

Dans les verreries, lorsque l'ouvrier se trouve exposé à l'ardeur d'un feu rayonnant, lorsqu'il est obligé d'employer la force de ses poumons, pour souffler le verre, je comprends qu'il ne puisse pas résister à cette fatigue pendant un temps très long. Que doit faire le progrès industriel pour l'art du verrier ?

C'est évidemment de remplacer l'insufflation qui se fait par l'ouvrier, par l'insufflation mécanique. Dès lors, le travail sera moins fatigant et il pourra durer plus longtemps.

Dans la filature du lin, on facilite constamment le travail et on peut ainsi demander à l'ouvrier un plus grand nombre d'heures. L'ouvrier lui-même les offre quelquefois ; il démontre à toute évidence qu'il peut travailler un plus grand nombre d'heures et il demande qu'on lui permette de le faire.

A la vérité, l'honorable M. Sabatier nous montre qu'en Angleterre en 58 heures on produit autant de travail dans les diverses industries textiles, qu'on en produit en Belgique en 72 heures ; pourquoi la même réforme ne s'introduirait-elle pas en Belgique ?

Messieurs, il y a pour cela diverses raisons : d'abord en Angleterre la loi a réduit le nombre d'heures de travail, par conséquent l'industrie ne gagne rien à rendre le travail plus facile pendant les heures de travail ; elle a tout à gagner à faire en sorte qu'une plus grande somme de travail s'effectue pendant le nombre d'heures fixé par la loi.

(page 70) Mais que les perfectionnements qui se sont introduits en Angleterre et qui permettent de fabriquer une plus grande quantité de produits en un «ombre d'heures déterminé, que ces perfectionnements s'introduisent en Belgique, il en résultera, en effet, que les ouvriers, en 58 heures, produiront autant qu'ils produisent aujourd'hui en 72 heures ; mais aussitôt quelques industriels aviseront à augmenter le salaire journalier de leurs ouvriers, en rétablissant le nombre d'heures de travail et en demandant plus de produits encore. Notamment, dans les filatures de lin, en Angleterre, les broches vont plus vite que chez nous, parce que l'ouvrier peut donner une attention soutenue pendant un nombre déterminé d'heures, tandis que cette attention ne peut se prolonger au-delà d'un temps déterminé.

Or, la loi ayant fixé le nombre d'heures de travail, l'industriel, est engagé à produire plus vite, par conséquent à épuiser en un nombre moins considérable d'heures la somme d'attention et de travail que l'ouvrier peut donner.

Mais si l'on essaye le même système en Belgique, l'ouvrier se plaint de ce que les dérangements de l'appareil sont trop fréquents, qu'il ne peut pas donner toute l'attention nécessaire.

Les industriels parviendraient à faire le même ouvrage en moins d'heures de travail ;je l'accepte parfaitement ; mais les ouvriers n'y consentiraient que difficilement, par la raison que cela réclamerait une transformation complète dans le mode de travail, une application plus soutenue à laquelle ils ne sont pas habitués. Dans les Flandres, l'habitude de douze heures de travail est établie pour presque toutes les branches de l'industrie. Si l'on voulait réduire cette durée à dix heures, il faudrait nécessairement que l'ouvrier dépensât plus d'attention à chaque instant ; ce serait une éducation complète à refaire.

Il faudrait des efforts persévérants pour y réussir. On arrivera au succès, si la loi est là pour contraindre le maître et l'ouvrier ; mais on l'attendra très difficilement du progrès industriel.

D'après ces considérations, j'admets que dans l'industrie gantoise un travail de 12 heures, en présence des conditions qui sont faites à l'ouvrier, n'est pas plus un abus qu'un travail de 10 heures dans les houillères, dans les verreries et dans les laminoirs.

Mais il y a des abus qui se commettent et qui pourraient se multiplier en présence de la concurrence et surtout dans les moments de prospérité. Ainsi des industriels ont tenu les ouvriers depuis 6 heures du matin jusqu'à 10 heures du soir.

Cet abus se commet surtout lorsque les conditions de vente sont très favorables. J'admets que l'augmentation de production n'est pas tout à fait proportionnée à l'augmentation du nombre d'heures de travail.

Mais lorsque les conditions de vente sont favorables, il importe assez peu à l'industriel que les conditions de production le soient un peu moins, pourvu qu'il obtienne une plus grande somme de produits, ses intérêts sont satisfaites.

C'est contre de semblables abus que le Cercle industriel de Gand s'est prononcé. Si même la législation réduisait au-dessous de 12 heures la durée du travail autorisé, je suis persuadé que l'industrie gantoise s'appliquerait avec empressement à satisfaire aux nouvelles exigences, comme l'industrie anglaise y est parvenue elle-même sous l'empire de cette limitation. Mais, pour le moment, ce que demande le Cercle industriel gantois, c'est qu'on réprime l'énorme abus résultant d'une prolongation considérable de la durée du travail.

Ici se présente une question : L'autorité peut-elle restreindre les heures de travail sans porter atteinte à la liberté ?

Une chose me frappe, messieurs : c'est que c'est précisément dans les pays les plus libres que les heures de travail ont été réduites d'abord. En Angleterre, en Suisse, cette restriction a été introduite, avant qu'elle le fût dans d'autres pays.

Les pays libres se distinguent des pays despotiques, non pas par une plus grande somme de liberté accordée aux grands, mais par une sollicitude plus marquée pour les garanties de liberté accordées aux classes inférieures de la société.

Or, lorsqu'un industriel augmente le nombre d'heures de travail dans son usine, je veux bien admettre que la plupart des ouvriers en sont satisfaits ; la plupart se réjouissent, en effet, de l'augmentation de salaire journalier qui en résulte.

Mais pour ceux qui ne sont pas assez forts pour résister à ce travail prolongé, la liberté individuelle ne se trouve-t-elle pas quelque peu compromise ?

D'un autre côté, les enfants, les jeunes filles qui n'ont pas la liberté de disposer de leur temps, qui n'en peuvent pas disposer sans le consentement de leurs parents, n'auront-ils pas à regretter quelque jour la triste alternative où leurs parents se trouvent inopinément placés d'enlever le travail à leurs enfants et de chercher à les placer dans une autre usine où le travail se fait dans des conditions plus conformes aux sentiments d'humanité, ou de les laisser travailler pendant un temps trop considérable pour leur âge ?

Peut-on admettre, pour les uns, qu'ils aient librement consenti à un surcroît de travail qui les mine, pour les autres qu'ils aient librement renoncé à la santé de leurs enfants et renoncé presque à les voir journellement ?

Messieurs, il y a aussi un intérêt social évident à supprimer les abus qui se présentent quant au nombre d'heures de travail.

Ainsi, lorsque les enfants sont retenus dans les fabriques pendant 12, 13 et jusqu'à 14 heures consécutives, évidemment ils finissent par devenir distraits ; leur attention finit par se lasser outre mesure, et de leur distraction résultent la plupart des accidents qui arrivent dans les fabriques. Il est évident, en effet, que l'enfant ne peut prêter à son travail une attention soutenue pendant un laps de temps aussi considérable, et l'on conçoit qu'il y a là une cause permanente d'accidents.

Sous bien des rapports, d'ailleurs, la liberté de l'industrie se trouve étroitement limitée, sans qu'on s'en plaigne la moins du monde. Ainsi, on ne peut pas établir une usine partout où on le veut.

On ne peut établir que dans des conditions déterminées une machine mue par la vapeur. Quand un manufacturier demande à établir une machine à vapeur, il ne peut pas le faire où il veut et comme il veut, il doit se conformer à des règlements et il y a une autorité qui veille à l'exécution de ces règlements, sans que l'industriel ait à y redire et même sans qu'il songe à s'en plaindre.

Ainsi, un industriel demande-t-il à établir une machine mue par la vapeur, la députation permanente du conseil provincial autorise ou interdit l'établissement de l'usine. Quand l'autorisation est accordée, elle ne l'est que moyennant certaines conditions et toujours sauf les réclamations des tiers.

Il est contraire à la liberté qu'un industriel ne puisse pas établir une fabrique partout, quand les tiers ne réclament pas ; cependant les règlements interdisent l'établissement de ces fabriques.

Quant à l'établissement des chaudières à vapeur, il faut que la force des chaudières soit vérifiée et qu'elles soient soumises une pression bien plus forte que celle qu'elles sont destinées à supporter. Il faut que les bâtiments où elles sont placées soient à l'abri du feu, la cheminée doit avoir une hauteur déterminée. J'entends dire que c'est dans l'intérêt des tiers ; mais lorsque les tiers ne réclament pas contre l'établissement de la chaudière à vapeur, lorsque personne ne réclame, l'exécution des règlements provinciaux n'en est pas moins exigée.

J'ai beau dire que, si ma chaudière fait explosion, vous me condamnerez à réparer les dommages occasionnés par cette explosion ; on me répond par l'intérêt public.

On exige que l'établissement industriel présente des garanties contre des accidents dont les conséquences seraient trop graves pour ne pas les éviter soigneusement. Et quel inconvénient y aurait-il à donner à l'autorité qui est libre de faire fermer un établissement quand on ne se conforme pas aux conditions sous lesquelles il a été autorisée, quel inconvénient, dis-je, y aurait-il à ce que cette autorité fût appelée à réprimer les abus flagrants que présente le nombre trop considérable d'heures de travail exigées des ouvriers ?

Ce serait beaucoup moins arbitraire d'empêcher un industriel de prolonger le travail de manière à nuire manifestement à la santé des ouvriers, de manière à rendre l'instruction des jeunes ouvriers impossible, que de lui interdire d'établir une usine de crainte qu'il ne nuise éventuellement à ses voisins. Dans un cas l'inconvénient est à l'état hypothétique, dans l'autre il est certain.

Quand on demande à établir une fabrique dans un espace isolé en pleine bruyère, là où l'établissement ne peut nuire qu'à l'industriel lui-même, dans un cas semblable les règlements provinciaux sont encore appliqués sans réclamation.

Et quand l'industriel prolonge le travail au-delà de toute limite, s'il nuit à la santé des ouvriers, des enfants surtout, l'autorité se montrerait indifférente à leur intérêt, en ne mettant pas un terme à un pareil abus ?

La question est peut-être de savoir où commence l'abus.

Ici il y a évidemment quelque chose de vague, mais lorsque le travail se trouve prolongé de manière que des ouvriers qui demeurent quelquefois à une demi-lieue ou une lieue de l'usine doivent arriver à (page 71) 6 heures du matin, lorsqu'ils la quittent à 10 heures du soir, il y a là un abus flagrant, et il est temps que l'autorité intervienne.

C'est seulement lorsque le nombre d'heures de travail dépasserait le temps normal dans des localités déterminées que j'appellerais le concours de l'autorité.

Une fois le principe admis que l'autorité a le droit d'intervenir pour réprimer les abus, je crois que les industriels, comprenant les inconvénients d'abus que la concurrence a trop souvent imposés, s'appliqueraient à réaliser les idées de l'honorable M. Sabatier, à chercher une augmentation de production dans des moyens autres qu'une prolongation de travail,

Si le nombre d'heures de travail pouvait être limité à 11 ou même 12, le travail cesserait à 7 ou tout au moins à 8 heures du soir dans toutes les usines.

Déjà dans les filatures de lin on ne travaille que onze heures et l'on y répartit le travail sur toute l'étendue de la semaine, de manière à supprimer le chômage du lundi.

Il en résulte que le travail ne se prolonge pas dans la soirée comme dans les filatures de coton et que l'on pourrait trouver dans la soirée les heures nécessaires pour donner l'instruction.

L'un des chefs de cette industrie a formé le projet qui ne tardera pas, je l'espère, à trouver sa réalisation, d'organiser une école dans l'usine qu'il dirige.

Je ne vois pas, une fois que le travail ne se prolongerait pas jusqu'à une heure avancée dans la soirée, pourquoi l'autorité n'établirait pas dans les villes manufacturières des écoles que pourraient fréquenter les enfants au sortir des ateliers.

Malgré tous les efforts tentés, l'habitude s'est maintenue parmi les ouvriers cotonniers de Gand de prendre du repos le lundi après-midi.

On s'est beaucoup récrié contre cette habitude et je trouverais un avantage réel à ce que l'on pût la supprimer en réduisant le nombre d'heures de travail des autres jours.

Mais lorsque l'ouvrier est appelé de très bonne heure à son travail, lorsqu'il doit y rester jusque bien avant dans la soirée, je crois qu'il y aurait quelque chose d'inhumain à lui refuser encore le repos du lundi.

Et ce repos du lundi après-midi, contre lequel on s'est récrié tant de fois, a amené une conséquence extrêmement favorable pour l'industrie gantoise en ce qui concerne l'éducation des ouvriers ; il a rendu possible l'établissement d'une école industrielle pour les ouvriers. Les cours de cette école se donnent le lundi, précisément aux heures de repos que les ouvriers se réservent dans les usines.

Si l'on pouvait limiter le maximum du travail journalier, il en résulterait bientôt que les manufacturiers seraient obligés de réclamer l'après-dînée du lundi, et que les ouvriers le céderaient volontiers, afin d'avoir un plus grand nombre d'heures de travail par semaine. Ce serait peut-être la suppression de quelques cours de l'école industrielle, mais en même temps il en résulterait la possibilité de donner des cours du soir pendant toute la semaine, et de continuer ainsi, pour les uns l'instruction primaire, pour les autres une instruction plus élevée.

Lorsque l'ouvrier aurait travaillé jusqu'à 7 heures du soir, je ne vois pas la difficulté qu'il y aurait à lui donner après cette heure des cours de lecture, d'écriture, de calcul, et même des cours de physique et de mécanique. C'est après cette heure que se donnent certains cours de l'école industrielle.

Ce que je réclame, c'est bien peu : je ne demande que la répression des abus évidents, des abus incontestables et je crois que du moment que l'on aura réprimé ces abus, du moment que le principe sera posé que l'autorité est en droit de réprimer les abus évidents, les abus manifestes qui se produisent, dès lors par suite du contact avec une autorité qui a toujours été regardée comme ayant un caractère tout paternel, avec l'autorité de la députation permanente, l'impulsion sera donnée, les forces disséminées qui tendent à amener le bien, se grouperont autour d'un centre d'action, et la réduction du nombre d'heures de travail normal se fera par les industriels eux-mêmes. Ils n'auront plus à prévoir une lutte bien plus dangereuse encore pour les ouvriers que pour les concurrents.

Je n'ai garde de demander une réglementation. Ce n'est pas une réglementation que de fixer un maximum d'heures de travail, pour mettre obstacle à des abus que tous les sentiments d'humanité devraient nous porter à réprimer, c'est la simple répression d'abus évidents

Je me résume.

Je crois que le progrès industriel tend à diminuer les fatigues de l'ouvrier de manière à lui permettre un travail journalier plus long et que le progrès industriel tend également à imposer ce travail journalier plus long.

L'autorité a le droit, et si elle a le droit, elle a le devoir de réprimer les abus et de limiter le maximum de la durée du travail journalier, tout au moins dans les grandes usines où l'on ne peut s'assurer du libre consentement de chaque ouvrier à une prolongation de travail, qui se fait souvent d'une manière inopinée.

Elle le peut, elle le doit aussi dans un intérêt public, qui est d'autant plus pressant que le nombre d'ouvriers est plus considérable.

Elle le peut et elle le doit surtout là où l'on emploie des enfants qui ne peuvent consentir par eux-mêmes à une prolongation de travail.

D'après ces motifs, je crois que le but que les orateurs qui ont traité la question, dans cette enceinte, se proposent, que le but que se propose le Cercle commercial de Gand serait atteint, si la loi autorisait la députation permanente du conseil provincial, cette même autorité qui décide de l'établissement ou de la suppression des usines, à réprimer les abus qui se commettent par la prolongation, pendant un trop grand nombre d'heures, du travail dans les manufactures où l'on emploie l'eau ou la vapeur comme forces motrices.

M. Vermeire. - Messieurs, mon intention n'est pas d'entrer dans le cœur de ce débat et de présenter des considérations théoriques nouvelles sur la question qui est agitée devant la Chambre.

Il résulte de la discussion, au point où elle est arrivée, que, tous, nous sommes animés du même désir : c'est-à-dire du désir de voir améliorer la situation des classes ouvrières ; et surtout, celle des enfants dont le travail précoce engendre des abus réels.

Messieurs, je ne pense pas que l'on puisse faire disparaître ces abus, en réglementant le travail des enfants et des ouvriers dans les fabriques. Ce n’est pas en Belgique seulement que cette question est à l'ordre du jour. Depuis longtemps elle a été agitée dans d'autres pays, et notamment en Angleterre, en France, en Bavière, en Prusse et dans tous les Etats allemands. Elle l'a encore été en Amérique, où elle a fait l'objet de plusieurs enquêtes.

Quelque sévères que soient les lois édictées contre ceux qui abusent de la faiblesse dans un but de lucre, elles sont restées, presque toujours, à l'état de lettre morte.

En effet, il n'y a pas de loi qui, dans ses dispositions, flétrisse plus sévèrement ceux qui abusent de l'âge des enfants pour le travail dans les fabriques, que les statuts 3 et 4 du règne de Guillaume IV (29 août 1833) ; et, cependant, quand il s'agit d'atteindre le délinquant, les pénalités ne sont plus en rapport avec la gravité du délit. La sonction contre la violation du statut se traduit en une amende de 5 à 20 shillings, c'est-à dire en une amende de 6 à 25 f r.

Est-ce à dire, messieurs, qu'il n'y a pas d'abus ? Je n'oserais le prétendre. Mais, de ce que ces abus existeraient, serait-ce une raison pour qu'il fallût, par des mesures générales, réglementer l'industrie au point même de nuire à son développement ? Non certes, et je suis d'avis que le droit commun suffit pour réprimer les abus quand ils seraient reconnus.

D'autre part, si on devait énumérer tout ce que l'industrie belge fait en faveur de la classe ouvrière, on serait forcé de reconnaître qu'il y a un progrès sensible vers le bien.

Mais, messieurs, tout ne serait pas progrès dans la réduction des heures de travail. Si, par exemple, on limitait le travail, pour les enfants, à huit heures par jour, que feront-ils durant les quatre heures qui leur resteront ?

Si vous n'avez pas, pendant ces quatre heures d'occupation à leur donner, vous ferez plus de mal que de bien. En effet, messieurs, en vagabondant pendant ce temps de loisir, ils apprendront des principes tellement opposés à l'éducation industrielle que les huit heures employées dans l'atelier seront pour ainsi dire perdues.

II n'y a donc, messieurs, qu'un moyen, c'est d'occuper les enfants à l'école pendant le temps qu'on ne leur permettrait pas de passer dans la fabrique.

Je ne sais pas si ce passage continuel de l'atelier à l'école et de l'école à l'atelier serait exempt de tout inconvénient ; mais enfin je suppose qu'ils puissent employer utilement 3 ou 4 heures par jour à l'école ; à quelle école les enverriez-vous ? A la charge de qui seront les frais d'écolage ? Seront-ils à la charge des industriels ou à la charge de la commune, ou à la charge de l'Etat ?

Où trouverez-vous les instituteurs ? Direz-vous, par exemple, à l'instituteur communal : Vous aurez une classe le matin pour les ouvriers, une (page 72) classe de 9 à 11 heures, et une de 2 à 4 heures pour les enfants à la commune, puis encore une classe du soir pour les ouvriers ? Il me semble que cela n’est pas bien facile.

D'autre part, les écoles communales ne seront-elles pas désertées en grande partie par les écoliers payants, lorsque l'on placera, à côté d’eux, les enfants de la fabrique ?

Vous voyez donc, messieurs, qu'au point de vue pratique l'éducation primaire à donner aux enfants devient pour ainsi dire impossible, du moment qu'il s'agit de l'imposer.

Mais, comme je l'ai dit en commençant, nous sommes tous convaincus des avantages qui résultent d'une bonne éducation populaire, et je crois qu'il y a un autre moyen d'obtenir ces avantages, au moins d'une manière partielle.

Je pense qu'il serait utile d'appeler l'attention publique sur les industriels qui joignent au travail une bonne éducation ouvrière, en d'autres termes, qu'il conviendrait de signaler les industriels qui établissent l'école à côté des ateliers et qui pourvoient, dans la mesure du possible, à l'instruction de leurs ouvriers.

Nous savons, messieurs, que l'ordre des travailleurs a été institué en 1817 ou 1818, eh bien, je dois le dire, les ouvriers qui ont été décorés de cet ordre ont contribué efficacement à améliorer la conduite de leurs camarades. Si on pouvait donner des encouragements aux chefs d'industrie qui font donner une bonne éducation à leurs ouvriers, je crois qu'on obtiendrait des résultats autrement avantageux que ceux qui résulteraient de la limitation du travail combinée avec l'instruction imposée.

N'oublions pas, messieurs, que ce n'est pas dans notre Belgique, où tous les habitants sont si fortement opposés à la contrainte exercée sur eux par l'autorité que nous arriverons à quelque chose de bon par l'intimidation.

Je voudrais donc, que l'on pût, au moyen d'encouragements, engager les industriels à propager l'instruction parmi leurs ouvriers et qu'à la fin de chaque année l'administratif centrale pût se faire rendre compte des résultats qui seraient obtenus.

M. Julliot. - Messieurs, je ne m'attendais pas à ce que, à propos d'une pétition, on irait aussi loin dans la discussion qui nous occupe depuis trois jours ; je n'en ai donc pas étudié les détails. Mais n'importe, je m'attache de préférence au côté philosophique des propositions, et pour saisir ce côté d'une question, la lecture d'un seul document suffit souvent.

Il m'est déjà démontré une fois de plus, que du moment où on s'écarte des principes et que l’on fait bon marché de l'à priori, en se bornant à vouloir faire de la pratique, qu'alors, plus on discute plus on patauge, et si cette discussion dure, elle sera l'émule de la discussion en section sur la loi des fraudes électorales, qui se présentera à la Chambre sous forme d'une tour de Babel.

Le moyen le plus sûr de battre la campagne, c'est de commencer par mettre les principes de côté ; et les pétitions qui nous arrivent, et quelques orateurs qui les soutiennent paraissent enclins à cet exercice peu utile à la société : ils font du travail improductif et ne méritent aucun salaire, selon moi.

On nous demande de réglementer les heures de travail des femmes et des enfants, et l'Etat sera chargé de l'exécution et se mettra au lieu et place du père pour les enfants et du mari pour la femme, le tout avec accompagnement d'instruction obligatoire pour quelques heures par jour.

Voilà la question claire et nette.

Messieurs, le discours de l'honorable M. Sabatier ne va pas aussi loin que moi, ce discours fait plaisir à ceux qui le lisent, parce qu'il ne s'y trouve pas une seule trace de ce crétinisme qui attend tout de l'Etat, parce que ce discours tend à prouver que si le gouvernement n'était capable que de faire du mal à la frontière, son action à l’intérieur n'est guère plus bienfaisante. Je félicite et remercie l'honorable député de Charleroi, car il me donne foi dans l'avenir, et dans dix ans on sera scandalisé de voir qu'aujourd'hui encore la protection sous toute forme et la réglementation étaient prônées par des libéraux, d'anciens professeurs et des jeunes gens. C'est le culte de la liberté pris au rebours qu'on nous vante.

On veut destituer le père de son autorité paternelle et le remplacer par l'Etat, puis l'enseignement obligatoire imposé par l'Etat à une catégorie de citoyens, voilà l'idée des pétitionnaires.

Selon moi, l'autorité paternelle est déjà trop restreinte pour qu'on aggrave encore sa position.,

L'autorité du chef de la famille constitue la base de la société, et quand vous aurez substitué l'Etat au père, vous aurez formé une république dans chaque ménage avec un président nominal et vous aurez produit le chaos social.

Selon moi, l'enfant mineur appartient au père, qui en est responsable, et ceux qui veulent le donner à l'Etat ne regrettent pas le XVIème siècle, mais ils regrettent l'époque où l'enfant était propriété de l'Etat.

L'Etat comme l'individu ne peut avoir de droit sans devoir.

L'Etat ne peut avoir d'autorité sans responsabilité.

Et du moment que l'Etat s'arroge le droit de disposer de l'enfant, il a le devoir de le nourrir.

Du moment que l'Etat a l'autorité de condamner l'enfant au chômage, il encourt la responsabilité de son entretien.

Droit et devoir, autorité et responsabilité ou ni l'un ni l'autre, voilà le principe.

Les uns veulent borner la réglementation à trois industries principales.

D'autres, tels que l'honorable M. Hymans, veulent appliquer le remède à tous les ateliers en général, et sur ce point on n'est pas d'accord. Mais où commence l'atelier et où finit-il ?

On nous dit qu'en Angleterre on réglemente cette matière, mais aussi comme compensation on a la taxe des pauvres, est-ce là qu'on veut en venir en Belgique ?

Mais si nous devons regretter ce monument du XVIème siècle, ces métiers, ces corporations qui font à la fois la gloire et la richesse matérielle du pays où ils fonctionnent, comme l'a dit l'honorable M. Hymans, ne vous bornez pas aux enfants, appliquez le principe à tous en substituant l'Etat aux associations comme vous le faites généralement, et puis après avoir établi un maximum de travail, décrétez un maximum et un minimum de salaire, et vous serez logique et complet. Pourquoi rester en route ?

Messieurs, il faut avoir la conviction dans son opinion pour ne pas se laisser séduire par les discours de l'honorable député de Bruxelles. Ils sont toujours littéraires et élégants ; si seulement il voulait un peu en modifier le fond, ils auraient plus de valeur encore.

L'honorable membre veut réglementer tous les ateliers et il plaide en même temps les bienfaits de l’enseignement obligatoire sous de certaines réserves dans les formes.

L'honorable membre regrette le XVIème siècle ; à cette époque l'instruction était généralement répandue dans les Pays-Bas ; je n'ai pas pu vérifier de visu ce qui se passait alors, mais ce que je sais, c'est qu'au commencement de ce siècle, les domestiques, en général, ne savaient ni lire ni écrire, et qu'aujourd'hui, si vous laissez traîner vos lettres, elles sont lues autant de fois que vous avez de sujets à votre service. Voilà le passé et le présent.

Et si Guichardin a trouvé qu'à cette époque tous les paysans savaient lire et écrire, il a vu quadruple, pour ne pas en dire plus.

L'honorable M. Hymans a traité avec dureté les partisans du laisser faire, du laisser passer ; il condamne ce principe d'une manière générale il en a horreur.

Mais, si mes souvenirs sont fidèles, à la dernière élection de Bruxelles l'honorable membre a laissé faire et laissé passer, et je le remercie de l'exception qu'il a bien voulu admettre, car nous avons recruté un homme d'esprit de plus sur nos bancs.

Messieurs, je me résume.

Toutes les tentatives réglementaires qu'on nous proposera sont au fond les mêmes.

C'est la guerre à la libre concurrence, parce que dans cette lutte qu'on soutient partout et en tout pour vivre, les vainqueurs font le petit nombre, et les blessés, les traînards, et les paresseux sont très nombreux, et c'est d'eux que nous viennent les propositions dictées par le malaise qu'ils éprouvent.

Si vous regrettez ces monuments d'un autre âge, réédifiez-les, car ni l'art de les faire ni l'argent pour les payer ne vous l'ont défaut, et vous en trouvez la solution en remplaçant les corporations diverses par une seule corporation, celle de l'Etat.

Mais je ne serai jamais des vôtres et je n'accepte aucune fraction de ce recul vers une autre époque.

Je propose donc le dépôt de cette pétition au bureau des renseignements.

- Plusieurs membres. - A demain !

M. le président. - A quelle heure la Chambre veut elle se réunir demain ?

(page 73) - Des membres. - A 2 heures !

- D'autres membres. A 3 heures !

M. Hymans. - Messieurs, nous nous occupons d'abréger le travail des enfants dans lés manufactures, mais ce n'est pas une raison pour que nous abrégions de plus en plus le travail de la Chambre. On prend maintenant l'habitude de se réunir à 3 heures chaque fois qu'il y a des sections ou des sections centrales ; autrefois il y avait aussi des sections et des sections centrales ; mais elles se réunissaient à midi et la séance publique commençait à une heure. Aujourd'hui on convoque les sections pour 2 heures, la séance publique commence à 3 heures et à 4 1/4 heures on crie : « A demain ! »

M. le président. - Je dois faire observer à M. Hymans qu'il y a très peu de chose à l'ordre du jour. Je vais consulter la Chambre.

-La Chambre décide qu'elle se réunira demain à 2 heures.

La séance est levée à quatre heures et demie.