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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 26 juin 1862

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page 1647) Présidence de (M. E. Vandenpeereboom, premier vice-président.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Moor, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Montpellier, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.


M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Landwehr demande que les transports de poudre à tirer puissent se faire sans escorte militaire. »

- Sur la proposition de M. Kervyn de Lettenhove, renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.


« Les juges de paix de l'arrondissement de Dinant demandent que le projet de loi sur l'organisation judiciaire assimile les juges de paix aux juges de première instance, qu'il porte leurs vacations au taux uniforme de 3 fr. 75 c. et que ces émoluments soient perçus pour leur compte par le receveur de l'enregistrement. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Le conseil communal de Zolder prie la Chambre d'accorder au sieur Missalle-Vifquin la garantie d'un minimum d'intérêt de 4 p. c. sur un capital de 5,330,000 fr. pour la construction d'un chemin de fer de Hasselt à la frontière hollandaise. »

- Renvoi à la section centrale, qui sera chargée d'examiner le projet de loi concernant des travaux d'utilité publique.


« Le sieur Van Aerschodt demande la suppression des tribunaux de commerce ou que des modifications soient apportées à cette institution. »

- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi sur l'organisation judiciaire.


« Par dépêche du 25 juin, M. le ministre de la justice transmet à la Chambre, avec les pièces de l'instruction, la demande de naturalisation ordinaire du sieur J.-G.-A. Kliemann. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Par dépêche du 20 juin, M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre 117 exemplaires du tome II du Bulletin du conseil supérieur de l'industrie et du commerce. »

- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.


« M. de Rongé, obligé de s'absenter, demande un congé. »

- Ce congé est accordé.


M. le président. - Dans une précédente séance, M. le ministre des finances a proposé de faire compléter, par le bureau, la commission chargée d'examiner le projet de loi d'interprétation. Je demanderai s'il y a opposition à cette proposition.

- La proposition de M. le ministre des finances est adoptée.

Projet de loi relatif à l’institution du système des warrants

Discussion générale

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je demanderai à la Chambre de décider que l'on continuera demain la discussion de ce projet, sans l'interrompre par des rapports de pétitions.

- Cette proposition est adoptée.

M. le président. - M. le ministre des finances se rallie-t-il aux amendements de la section centrale ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je consens à ce que la discussion s'ouvre sur le projet de la section centrale. Je m'expliquerai lorsque nous arriverons à la discussion des articles. II y a quelques points qui peuvent donner lieu à discussion. Mais en général, nous serons d'accord, je pense, avec la section centrale.

M. le président. - En conséquence la discussion portera sur le projet de la section centrale.

- La discussion générale est ouverte.

M. Sabatier. - Messieurs, la déclaration que vient de faire l'honorable ministre des finances qu'il se rallie aux amendements proposés par la section centrale, abrégera et simplifiera beaucoup la discussion, si même discussion il y a.

J'aurais même renoncé à la parole, si je ne croyais devoir soumettre à la Chambre quelques observations sur les tendances de la section centrale, sur l'esprit qui a guidé ses résolutions, et surtout sur la manière dont la chambre de commerce d'Anvers a envisagé l'institution des warrants. J'y aurais renoncé d'autant plus volontiers, je dois le dire, que le sujet est fort ennuyeux ; il offre très peu d'attraits, et j'aurai besoin de toute l'indulgence de la Chambre pour qu'elle m'écoute quelques instants.

Messieurs, en règle générale, j'aurais voulu, dans le projet de loi qui nous est soumis, quelque chose de très simple, à la portée de tout le monde, d'une pratique très facile, de manière à rendre les warrants une institution tout à fait courante ; la question n'a pas été précisément résolue de cette manière. Cependant, quel que soit ce désir, je n'entends pas faire suivre mes observations d'une proposition de changement radical au projet de loi auquel M. le ministre des finances se rallie, et j'ai pour cela différents motifs que je dois d'abord indiquer.

Le fait d'abord annoncé par M. le ministre des finances qu'il se rallie au projet de la section centrale enlève évidemment toute possibilité, toute probabilité du moins que le projet de loi soulève des observations bien sérieuses en dehors de cette enceinte.

Le gouvernement est d'accord avec la section centrale et le gouvernement et la section centrale se sont quelque peu inspirés des idées de la chambre de commerce d'Anvers, de sorte qu'il semble que tout le monde est d'accord.

En second lieu, je suppose un instant que dans la pratique des choses on s'aperçoive que le projet laisse à désirer, le gouvernement et la section centrale, qui ont reconnu que leur œuvre pouvait n'être point parfaite, vont au-devant de cette éventualité par l'article 29, ainsi conçu :

« § 1er. Le gouvernement est autorisé à prendre des dispositions ultérieures pour assurer l'efficacité de l'institution des warrants.

« § 2. Ces dispositions sont soumises à l'approbation des Chambres législatives avant la fin de la session, si elles sont réunies, sinon dans la session suivante. »

De sorte que si l'on est dans l'erreur on n'y restera pas bien longtemps.

En troisième lieu, je dirai que j'ai des motifs sérieux, indépendants de la confection même de la loi et qui permettent de supposer que l'institution des warrants ne produira peut-être pas tous les bons effets qu'on en attend.

Messieurs, avant d'aller plus loin je dois rappeler que le projet en question étant déposé depuis trois ans et que le rapport de la section centrale étant fait depuis deux ans, on peut avoir perdu de vue certaines dispositions de ce projet, et je crois dès lors devoir rappeler en quelques mots ce que sont les warrants, ce qu'on espère de cette institution, enfin quelles conditions une loi sur la matière doit remplir pour être bonne, autant que faire se peut.

Lorsqu'une marchandise est déposée dans un dock, dans un magasin spécial ou un entrepôt, ce dépôt donne lieu à une déclaration qui renferme quelques renseignements sur la nature même de la marchandise. C'est cette déclaration qui sert ultérieurement de warrant, c'est-à-dire d'autorisation de revendre la marchandise. On conçoit parfaitement qu'en transmettant cette autorisation, ce warrant, on fait passer la marchandise en différentes mains sans qu'elle doive pour cela changer de place ; c'est là l'essence des warrants, dont le but essentiel est de favoriser les ventes, les ventes publiques surtout. Mais le fait même du dépôt de la marchandise peut donner lieu à une autre opération.

Si la transmission du titre aide à la vente, elle a aussi l'avantage de faciliter un emprunt sur la marchandise.

Un négociant, fort bien dans ses affaires, du reste, recevant une cargaison quelconque, peut, dans un but de spéculation, ne pas vendre immédiatement.

Par exemple, il espère une hausse, il fera acte de bon négociant en attendant le moment favorable pour se défaire de sa marchandise, et cependant si des fonds lui sont nécessaires pour se lancer dans une nouvelle opération commerciale, il empruntera sur le dépôt même. Je ne dois pas omettre de faire remarquer que lorsque je parle de ventes, c'est de ventes à terme qu'il s'agit, puisque la vente au comptant ne nécessite nullement l'intervention des warrants.

Je reviens à l'emprunt, et je dis que pour le faciliter on a imaginé l'émission d'un second titre simultanément avec le warrant. Ce titre prend le nom de cédule et joue en partie le rôle du weight-note à Londres et du récépissé en France. Au moyen de cette idée, on peut vendre, puis emprunter, ou bien même emprunter d'abord et vendre ensuite, en assignant à chacun des deux titres un rôle spécial. La section centrale veut que le warrant soit et reste un titre de gage et que la cédule soit et reste un titre de propriété. Il faut bien reconnaître que cette combinaison donne lieu à des complications que l'on n'a rien fait pour éviter. J'y reviendrai dans un instant ; je me borne jusqu'à présent à indiquer le (page 1648) système et j'ajoute qu'en tout état de cause il faut dire en principe qu'une bonne loi sur les warrants doit répondre aux deux conditions que voici : Il faut qu'elle inspire toute confiance aux porteurs des titres et qu'elle soit en même temps d'une application simple.

En inspirant confiance, les titres se transmettront avec d'autant plus de facilité, puisqu'alors les opérations de vente ou d'emprunt seront à l'abri d'éventualités fâcheuses. Il faut cependant que la pratique de la loi soit à la portée de tout le monde, il faut l'entourer de moins d'entraves et de complications possible, et ne pas oublier que trop de précautions nuit. Sur ces points nous devons être d'accord ; rien ne semble plus facile en apparence que de se conformer aux vœux ou aux conditions que je viens d'émettre, et cependant dès qu'il s'agit de mettre la chose en pratique le désaccord commence.

Il faut croire même que les difficultés à vaincre sont assez sérieuses, puisque le gouvernement s'occupe depuis 18 ans de doter le pays d'une bonne loi sur les warrants. La première tentative date de 1844 ; elle échoua.

En 1848 une loi fut votée par les Chambres, c'est celle qui fonctionne ou, pour être plus exact, pourrait fonctionner aujourd'hui. En 1850 on essaya de modifier la loi de 1848, mais la Chambre n'adopta pas le projet qui lui fut présenté à cet effet.

En 1855 la chambre de commerce d'Anvers, la plus intéressée dans la question, fut invitée à présenter un avant-projet, et c'est cet avant-projet qui a donné lieu à la loi, que nous discutons, déposée en 1859.

Je ne me suis pas trompé, vous le voyez, messieurs, en disant que depuis 18 ans on s'occupe de warrants. Je doute que nous soyons arrivés au bout de nos peines. Je n'incrimine en aucune façon le gouvernement ou la section centrale. Tous deux avaient un programme à remplir, programme inspiré par le commerce d'Anvers, qui, je persiste à le croire, n'a pas envisagé l'institution des warrants sous son point de vue le plus pratique.

Messieurs, je reprends maintenant le développement des motifs auxquels je faisais allusion tout à l'heure, et qui m'autorisent à mettre en doute la complète efficacité de la loi qui nous est soumise. Ces motifs sont indépendants, je le répète, de la confection de la loi même.

D'abord, je crois pouvoir poser en fait que si les warrants devaient présenter au commerce tous les avantages qu'on semble en attendre, s'ils manquaient absolument au développement de nos affaires commerciales, ils fonctionneraient depuis longtemps, par la raison qu'ils fussent nés spontanément, sauf à en régler ensuite l'usage par une loi.

C'est ainsi que les choses se sont passées en Angleterre ; ou s'y passe même de loi, puisque chacun sait que dans le Royaume-Uni les warrants résultent d'une coutume commerciale et non pas d'une législation spéciale.

On peut dire qu'à un besoin commercial bien réel répond toujours une solution pratique et spontanée.

Ces idées peuvent se résumer en quelques mots dans un langage économique : c'est que si les faits économiques engendrent parfois des lois, il est au moins douteux que des lois puissent produire des faits économiques.

Avant d'arriver à un second motif, je dois ouvrir une parenthèse pour dire que si je suis amené à citer parfois l'Angleterre, c'est que l'on a toujours invoqué l'exemple de ce qui s'y pratiquait à propos des warrants. Ainsi bien des négociants, attribuant en partie à l'institution même le développement inouï des affaires à Londres, ont cru pouvoir dire que si les warrants fonctionnaient chez nous, il en résulterait aussi une grande extension de nos opérations commerciales. Je cite le fait sans l'approuver : les warrants doivent être la conséquence des affaires et non pas les affaires être la conséquence des warrants. Je ferme la parenthèse et je continue.

Le second motif que j'ai à invoquer cet celui-ci :

En Angleterre les warrants ont suivi de près les docks. On suppose ici que les docks seront la conséquence des warrants. C'est possible, mais j’aimerais mieux des docks d'abord, et je suis d’accord avec la section centrale en disant que leur établissement est nécessaire à l'institution des warrants. Donc, tant que nous n'aurons pas de docks, nous aurons une difficulté de plus à vaincre pour rendre efficace la loi qui nous occupe.

En troisième lieu, je ferai remarquer que l'on peut mettre quelque peu en doute la nécessité absolue des warrants quand on se rappelle qu'en Angleterre ils ne fonctionnent qu'à Londres seulement. Ainsi à Liverpool, à Hull, à Manchester point de warrants. On a trouvé moyen de les remplacer tout simplement par une intervention plus active des courtiers et par les règlements constants en lettres de change.

Je dois dire pendant qu'à Liverpool les affaires à terme sont moins ordinaires qu'à Londres. J'invoque ensuite la liberté commerciale et je dis que l'on peut aisément concevoir qu'elle exerce une grande influence sur la pratique des warrants.

En effet, messieurs, la liberté des échanges donne de l'extension aux relations commerciales, tandis que, de leur côté, les warrants facilitent les opérations commerciales.

Il existe entre ces deux choses une union étroite, mais je ne fais qu'effleurer le sujet. Je sais que les faits commerciaux qui se sont produits dans ces derniers temps et qui, par une interprétation erronée, sinon déloyale, ont été convertis en faits économiques, ont fait tourner le vent contre le libre échange.

Ce n'est pas le moment d'insister sur ce point. J'ajoute cependant que j'espère bien que les causes qui ont amené la crise commerciale et industrielle, dont le monde entier souffre, venant à disparaître, le gouvernement reprendra avec énergie la réforme qu'il a entreprise, et la mènera à bonne fin.

Il est bien entendu, messieurs, que je ne prétends pas que les motifs que je viens d'indiquer, bien que sérieux, soient de nature à rendre la loi inefficace. J'ai voulu montrer quelles étaient les causes qui, dans ma pensée, pouvaient faire douter du succès complet de la loi sur les warrants.

J'arrive maintenant à des faits spéciaux, inhérents au projet qui nous est soumis et qui forment le fond des observations que j'adresse plus particulièrement à la section centrale.

Elles sont surtout relatives à la condition de simplicité que je crois nécessaire à la pratique de la loi.

En Angleterre les warrants ont surtout en vue de faciliter les ventes publiques. Les négociants, par suite de la multiplicité des affaires, craignent beaucoup de perdre du temps et ne peuvent rechercher les clients. Ils les convoquent pour ainsi dire, en leur adressant un catalogue des marchandises à vendre avec indication du jour et de toutes les conditions de la vente. L'emprunt est accessoire.

En Belgique, au contraire, ou semble vouloir assigner comme but principal de la loi, de faciliter les emprunts sur dépôt de marchandise ; et, voyez la contradiction : la loi veut favoriser les emprunts, et cependant à chaque page du rapport de la section centrale on insiste sur ce point que le fait d'emprunter doit nuire ou nuit au crédit de l'emprunteur.

C'est-à-dire que l'on semble admettre que ceux qui voudront profiter des avantages de la loi devront s'arranger de manière qu'on ne sache pas qu'ils usent de cette même loi. Il faut donc que l'opération de l'emprunt soit tenue autant que possible secrète, et le moyen que l'on a cru trouver de conserver ce secret, si nécessaire au crédit de l'emprunteur, consiste dans l'usage de l'endos en blanc.

Ici, messieurs, j'aborde la corde sensible, le côté délicat de la loi des warrants, et je dois m'y arrêter quelques instants.

Je dois examiner d'abord ce que c'est que l'endos en blanc, ce qu'on en espère et enfin si les inconvénients de cette pratique ne l'emportent pas de beaucoup sur les avantages qu'on suppose en tirer.

Les documents que nous avons sous les yeux, c'est-à-dire l'exposé des motifs et le rapport de la section centrale, parlent tous deux de l'endos en blanc d'une manière multiple.

On voudrait que les titres, warrants et cédules se transmissent comme des effets de commerce auxquels l'article 138 du code de commerce fait allusion ; c'est-à-dire ne contenant que le nom du cédant sans suscription aucune.

Voilà une forme d'endos en blanc ; mais il est dit aussi que les titres pourront se transmettre comme des billets de banque.

Ceux-ci ne portent pas de nom du tout et représentent plutôt l'absence d'endos. Il faut choisir cependant, et il est de fait que la chose n'est pas indifférente pour se réserver le secret de l'emprunt. Cette dernière réflexion me fait arriver à l'examen de la question de savoir ce qu'on espère obtenir par l'endos en blanc. Le secret, dit-on. Mais je vais vous prouver que le secret sera très mal gardé.

Si l'endos en blanc consiste à signer l'endos sans suscription, comment voulez-vous que l'on ne sache pas qu'il y a emprunt, puisque vous voulez que le warrant ne soit qu'un titre de gage, autrement dit d'emprunt ? Si, au contraire, c'est l'absence d'endos que vous voulez, et en cela vous serez très logique, deux choses pourront arriver.

Ou bien vous emprunterez dans l'endroit même où seront déposées les marchandises, ou vous emprunterez dans une ville quelconque, la plus éloignée possible sans doute. Dans le premier cas, c'est donc dans la ville que vous habiterez que l'emprunt se fera, et vous croyez que les (page 1649 négociants qui ont toujours intérêt à connaître leurs positions respectives, ne seront pas renseignés, quand ils le voudront, sur les opérations les uns des autres ; mais personne ne le soutiendra.

Dans le second cas, peut-on admettre que, si sérieux que soient les titres, les warrants, un prêt soit consenti sur dépôt de marchandises sans que des renseignements soient pris dans la localité où a lieu le dépôt ? Encore une fois, que devient le secret ? Et si j'insiste sur ce point, c'est que pour conserver le secret, on a voulu l'endos en blanc et que c'est l'endos en blanc qui a amené des complications et des difficultés que la section centrale ne niera pas.

Le gouvernement propose l'endos en blanc, mais avec faculté, que j'approuve, de ne lever qu'un titre.

La section centrale croit qu'en ne levant qu'un titre, les droits des tiers de bonne foi ne seront pas suffisamment sauvegardés, alors que ce titre peut servir à volonté de gage ou de propriété. C'est l'endos en blanc qui cause la difficulté.

Mais il me semble qu'il eût été plus simple de supprimer l'endos en blanc et de ne pas amener des complications fâcheuses.

Les deux titres s'en iront chacun d'un côté, il faudra que sous peine de dommages et intérêts ils reviennent à jour fixe, à heure fixe.

Cette combinaison ne me paraît pas heureuse. On parle d'abus de blanc)seing, des droits des tiers de bonne foi compromis, toujours par suite de l'endos en blanc. Je répète : Supprimez l'endos en blanc, n'obligez pas à lever deux titres.

Je demanderai à l'honorable rapporteur, M. de Boe, s'il n'est pas vrai de dire que si l'on n'avait pas inséré dans le programme à remplir pour la confection de la loi cette condition de l'endos en blanc, la loi eût été infiniment plus facile à faire.

On eût apporté moins d'entraves, moins de réserves, moins de complications.

Je sais que l'idée est assez généralement admise à Anvers, que si la loi de 1848 a été inopérante, c'est que l'endos des warrants' devait être régulier et conforme aux prescriptions des articles 136 et 137 du Code de commerce.

Mais je dirai qu'il y a entre la loi actuelle et la loi de 1848 bien d'autres différences dont on ne parle pas. Ces différences, les voici : Vous verrez, messieurs, qu'elles ont bien leur importance.

La loi de 1848 proscrit l'endos en blanc, ne permet l'émission des warrants que pour certaines marchandises, n'autorise que le gouvernement à émettre des warrants et enfin n'exige qu'un titre.

La loi nouvelle rend légal l'endos en blanc, permet de délivrer des warrants pour toute espèce de marchandises, exige deux titres, autorise tout le monde à émettre les titres.

Messieurs, je ne comprends pas très bien comment l'honorable M. de Boe, reconnaissant dans son rapport que l'endos en blanc avait soulevé toute espèce de difficultés et pouvait donner lieu à des abus, a consenti à inscrire dans la loi le principe même de ces abus. Je sais bien que des négociants d'Anvers et la chambre de commerce ont tenu à introduire cet usage, je l'ai dit déjà ; mais je répondrai à cela que l'on ne doit pas toujours s'en tenir à des idées qui sentent la routine d'une lieue. Nous avons un exemple bien frappant du tort que certaines idées peuvent occasionner aux affaires, au commerce.

Je veux parler de la répugnance inexplicable qu'un grand nombre de négociants montrent pour l'acceptation des effets de commerce. Souvent j'ai entendu, même dans cette enceinte, se plaindre du taux élevé de l'escompte à la Banque Nationale. Cependant celle-ci annonce constamment que, pour les effets acceptés, l'escompte est diminué d'un demi pour cent, ce qui ne manque pas d'importance. Eh bien, on se refuse néanmoins à accepter les effets de commerce, sous prétexte que, de la part de celui qui réclame l'acceptation, c'est une preuve de méfiance, c'est un affront. Mais l'affront, si affront il y a, est pour celui qui crée l'effet et non pas pour celui qui doit le payer.

L'affaire de l'endos en blanc est sur la même pente ; c'est une fausse honte qui fait croire que le secret de l'emprunt sur dépôt de marchandises doit être absolument gardé et que le fait d'emprunter doit dénoter nécessairement une gêne de celui qui fait cette opération. On veut assimiler l'emprunteur à une personne qui, dans un moment d'embarras, doit recourir au mont-de-piété.

Je dis, moi, que c'est tuer la loi que de prétendre que ceux qui en feront usage doivent se cacher.

Enfin pour en finir avec cette affaire de l'endos en blanc, je dirai encore que la loi elle-même semble se refuser à cet usage en tant qu'il n'y ait, en fait de signatures ou d'endosseurs, que celui qui lève le warrant et, en effet, l'article 18 ne dit-il pas que les tiers porteurs auront leur recours contre les endosseurs ?

Par conséquent, l'intérêt du tiers porteur est de faire endosser les warrants.

Je me résume, messieurs, en répétant que j'aurais désiré une loi bien simple, bien facile à comprendre et à appliquer ; que la cause qui empêche de remplir ces conditions est tout entière dans l'endos en blanc et qu'il eût mieux valu dès lors ne pas insister sur ce point. Enfin je dirai que ce qu'il faut aussi pour que la loi des warrants réponde complètement à ce qu'on attend d'elle, des docks, la liberté commerciale, l'intervention constante des courtiers, un peu de bonne volonté de la part des principaux négociants qui ont foi dans la loi.

Si j'avais l'honneur d'être négociant à Anvers, je tiendrais à honneur de faire de nombreuses applications de cette loi, bien que ne devant pas absolument y recourir.

Il faudrait que l'on se montrât plus disposé en faveur des ventes publiques et que par suite de l'exemple que quelques-uns voudraient bien donner on considérât l'emprunt sur warrants comme la conséquence d'une institution courante, non comme le résultat d'un expédient.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, l'honorable préopinant vient d'exposer devant la Chambre, d'une manière très remarquable, très lucide, le système de ce qu'on appelle les warrants, et de formuler des reproches qu'il adresse au projet de loi, et, particulièrement aux amendements qui y ont été introduits par la section centrale. La manière dont il s'est exprimé, la connaissance si approfondie dont il a fait preuve de la matière, me feraient regretter de m'être rallié aux amendements de la section centrale, si, grâce à lui, nous devions arriver à perfectionner la loi. Mais je ferai remarquer à l'honorable membre que j'ai été mal compris. Je n'ai pas dit que je me ralliais aux amendements de la section centrale.

J'ai dit que je consentais, et c'était afin d'éviter toute confusion dans ce débat, qui par lui-même est assez obscur, à ce que la discussion s'ouvrît sur le projet amendé de la section centrale, en me réservant de m'expliquer sur les articles.

Cependant je dois déclarer, pour être complètement dans le vrai, que je ne supposais pas que les amendements dussent soulever de grandes objections, vu l'intérêt qu'y attache une certaine classe de négociants ; je pensais que ces amendements passeraient dans la loi.

Mais j'avais, comme l'honorable membre, un motif particulier de ne pas faire grande opposition contre ces amendements : c'est que, d'après une disposition du projet de loi dont tout le monde reconnaît la nécessité, le gouvernement se trouve investi du pouvoir de modifier les dispositions de la loi qui seraient ultérieurement reconnues défectueuses, sauf à soumettre ces modifications aux Chambres dans leur plus prochaine session.

En présence de l'expérience que nous avons faite, cette disposition paraît indispensable. Jusqu'à présent, malgré les efforts nombreux qui ont été tentés, malgré les lois qui ont été votées, on n'est pas arrivé à faire pénétrer le mécanisme des warrants dans nos transactions commerciales. On croit que tel mode, qui est aujourd'hui proposé, sera bon, qu'il permettra d'arriver au but ; mais on peut évidemment se tromper, et je crois même qu'on se trompe ; et la nécessité d'apporter des modifications à la loi qui vous est en ce moment soumise, peut donc être prévue dès à présent.

De là, la nécessité de la disposition que je viens d'indiquer.

Messieurs, il arrive souvent que l'on prend les effets pour les causes. Souvent, lorsque l'on va en pays étranger, où on remarque certains faits qui frappent plus particulièrement, on est porté à croire que ces faits, cette activité, ce développement industriel ou commercial sont dus à certaine mécanique que l'on emploie. Or, on se dit alors que si l'on avait chez soi cette mécanique, si l'on parvenait à l'importer dans son pays, on y obtiendrait absolument les mêmes résultats.

On a vu en Angleterre un grand mouvement d'affaires, à Londres particulièrement, et il semble même que l'on ne soit occupé que de Londres, au point de vue qui nous occupe ; on y a trouvé une institution qui s'appelle institution des warrants ; on en a conclu que c'était grâce à cette institution des warrants que ce grand développement d'affaires s'était produit.

C'est là une erreur évidente, qui résulte, comme je viens de le dire, de ce que l'on prend l'effet pour la cause ; l'honorable préopinant l'a fait remarquer avec beaucoup de raison et je l'avais également indiqué dam l'exposé des motifs. Cette erreur est d'autant plus manifeste, que, dans les autres centres industriels et commerciaux de la Grande-Bretagne ce même système ne fonctionne pas ; il n'en est pas question dans les divers ports, même les plus importants après Londres, tels que Liverpool, Hull, etc.

(page 1650) Mais, à Londres, on s'était bien plus mépris encore sur la portée, sur les effets du système des warrants. Dans la pensée de ceux qui l'ont réclamé, et la Chambre se souviendra qu'on les a toujours réclamés dans les moments de crise, le système des warrants devait offrir surtout un moyen commode et facile d'emprunter. C'était là l'objet fondamental ; c'était la raison d'être de ce mécanisme.

Eh bien, messieurs, cela est encore complètement inexact. II est bien vrai qu'à l’aide de ce mécanisme on arrive à emprunter très facilement. Mais, sur la place de Londres, c'est une opération secondaire, tout à fait accessoire ; l'objet principal des warrants étant de permettre la transmission de la marchandise avec le plus de facilité et de rapidité possible

Qu'est-ce, en fait, que ce qu'on appelle warrant ? C'est un document qui constate que, dans un magasin déterminé, se trouvent certaines marchandises.

Ce document énonce la qualité des marchandises, (erratum, page 1662 le nombre de colis, etc. ; de telle sorte que, sans qu'on ait besoin d'opérer de vérification, vu la confiance qu'inspire le tiers qui détient la marchandise, celle-ci peut être facilement transmise de main en main.

C'est là manifestement l'idée première de ce qu'on appelle warrant. Mais à mesure que l'on s'est servi de ce warrant, l'on s'est dit que l'on pourrait encore rendre le titre plus utile. On s'est dit qu'en le divisant, on pourrait tout à la fois avoir un titre qui constaterait que la marchandise est donnée en nantissement, et avoir un titre qui permettrait de vendre cette marchandise, sauf à l'acquéreur à payer la somme pour laquelle la marchandise a été affectée comme gage.

De là, la division du titre en warrant et en weight-note en Angleterre, et la division, qui a été également introduite dans le projet de loi, en warrant et en cédule.

Mais on comprend aussi immédiatement que, ces deux documents existant, il en résulte des droits et des obligations pour ceux qui interviennent dans les contrats que ces titres supposent. Il y a à régler le mode de transmission de ce titre, le droit et les obligations des tiers porteurs de bonne foi, les droits et les obligations des dépositaires, etc.

De là, messieurs, la nécessité des dispositions du projet de loi. C'est là l'objet principal de ce projet.

Dans la pensée du gouvernement, le projet de loi devait se rapprocher autant que possible, et je dirai même complètement, du système anglais. C'est là ce qu'on voulait, ce qu'on demandait.

Cependant, quoique la chambre de commerce d'Anvers eût particulièrement insisté pour obtenir ce qu'elle déclarait elle-même le système anglais, dans les dispositions qu'elle formulait, elle s'écartait considérablement de l'idée du système anglais. Ainsi, la chambre de commerce d'Anvers aurait voulu que les warrants ne fussent délivrés que par le gouvernement.

J'ai résisté à cette demande, j'ai pensé que l'on devait laisser à chacun la faculté d'user de l'institution que l'on crée.

C'est aux particuliers à s'assurer eux-mêmes de la solvabilité, des garanties que présente le tiers dépositaire de la marchandise, et à apprécier la confiance que mérite le titre, comme ils le font pour les autres titres commerciaux qu'ils ont à accepter.

Les négociants d'Anvers auraient voulu, dans ce même système, non seulement que le titre fût délivré par le gouvernement, mais encore que la levée de ces documents fût obligatoire.

C'était, messieurs, en agissant toujours d'après l'idée si bien signalée tout à l'heure par l'honorable M. Sabatier, c'était toujours dans la pensée d'assurer le secret des opérations d'emprunt ; on se disait, eu effet, que si tous les négociants étaient obligés de lever des warrants, on ne pourrait soupçonner que tel ou tel emprunte plutôt sur son titre que tel autre, tandis que si la levée des documents est facultative, les négociants qui n'ont pas l'intention d'emprunter ne lèveront pas les documents, et que, par conséquent, tous ceux qui en lèveront seront signalés comme ayant emprunté.

Nous n'avons point pensé qu'il fallût s'arrêter à une pareille objection ; ceux qui voudront lever des warrants en demanderont ; ceux qui ne le voudront pas s’en passeront.

Le projet de loi avait donc été formulé dans l'esprit que je viens d'indiquer. La section centrale y a introduit certaines mesures restrictives.

Voici les différences entre le projet de la section centrale et le projet du gouvernement.

La section centrale a pensé, comme une grande partie des négociants d’Anvers, qu'il fallait prendre des précautions particulières, les commerçants étant sans doute présumés incapables de prendre eux-mêmes, comme le font les Anglais, les précautions nécessaires pour s'assurer que les engagements qui doivent résulter de ces titres ne les exposeront à aucun inconvénient sérieux,

La section centrale s'est donc inspirée d'idées préventives et restrictives.

De là, messieurs, l'obligation insérée dans le projet de la section centrale, au lieu de la faculté inscrite dans le projet du gouvernement, de lever la cédule avec le warrant (article premier) ; de là, la durée limitée, au lieu de la durée illimitée des titres (article 3) ; de là, également, le principe que le tiers porteur a un recours, non seulement contre la marchandise, mais aussi contre l'emprunteur et les endosseurs (article 18) ; de là, enfin, les formalités et les restrictions nouvelles des articles 11, 23 et 24.

Tel est le but des amendements de la section centrale. Le projet du gouvernement est plus large ; la section centrale y a introduit des dispositions restrictives.

Cependant, messieurs, je ne m'oppose pas absolument à ces modifications ; d'abord parce qu'il n'y a rien de fondamental en cette matière ; ensuite parce que c'est principalement eu vue de la place d'Anvers que le système des warrants est établi, et que c'est en conformité des idées émises par plusieurs négociants de cette ville que la section centrale a formulé ses amendements.

Quant à l'endos en blanc, dont parlait tout à l'heure l'honorable M. Sabatier, je dois faire remarquer qu'il existe en Angleterre. Il peut présenter des inconvénients, cela est clair, et les inconvénients ont été très bien signalés ; mais il a aussi ses avantages, et c'est aux particuliers à veiller eux-mêmes à leurs intérêts. Pourquoi leur enlever la faculté d'opérer de cette façon, avec l'endos en blanc s'ils le jugent convenable, s'ils n'y voient aucun danger ? II n'y a aucune espèce de raison pour les en empêcher.

En l'absence de dispositions légales, et ne pouvant pas se servir des dispositions de la loi de 1848, une compagnie qui possédait un entrepôt particulier à Anvers, a imaginé l'émission de titres dont le commerce a usé dans une certaine mesure. Cela n'a pas existé pendant assez longtemps pour qu'on puisse dire que l'expérience est faite ; mais l'entrepôt Saint-Félix émettait de véritables titres au porteur. (Interruption.)

Des titres au porteur ont donc été simplement émis par l'entrepôt Saint-Félix, et ces titres au porteur ont été acceptés. L'opération s'est faite régulièrement et jusqu'à présent elle n'a pas présenté d'inconvénients.

Mais ces titres imparfaits ne pouvaient par eux-mêmes valoir comme nantissement et ils ne suppléaient en aucune façon aux véritables warrants.

J'attendrai, d'ailleurs, la discussion des articles pour m'expliquer sur les questions spéciales.

M. de Boe, rapporteur. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour justifier la section centrale des reproches dont elle vient d'être l'objet de la part de M. Sabatier.

M. Sabatier. - Il n'est pas entré dans ma pensée d'adresser le moindre reproche à la section centrale. J'ai seulement présenté des observations.

M. de Boe. - Parmi les observations qui ont été faites, il en est beaucoup auxquelles je souscris d'autant plus volontiers qu'elles se trouvent déjà dans le rapport de la section centrale.

Messieurs, la question des warrants est une question difficile, et elle présente cet étrange phénomène que, quoiqu'elle soit à l'ordre du jour en Belgique depuis plus de vingt ans, elle n'a jamais été discutée à fond par les Chambres législatives ; que, quoiqu'il y ait une loi qui date de quatorze ans, on n'en a guère fait usage.

Nous nous trouvons, en conséquence, devant l'inconnu en fait d'idées sur la matière et en fait d'application pratique.

Il est vrai que depuis un certain temps l'usage de faire des avances sur marchandises s'est quelque peu introduit chez nous ; des comptoirs de prêts se sont organisés à Anvers, à Liège, à Bruxelles ; des avances ont été faites, mais elles l'ont été, en général, d'après les formalités prescrites par la loi civile.

De plus, il s'est fondé à Anvers, comme vient de le dire l'honorable ministre des finances, une société particulière connue sous le nom d'Entrepôt Saint-Félix. Cette société a émis des récépissés au porteur pour les marchandises dont elle recevait le dépôt.

Elle n'a pas attendu une loi nouvelle sur les warrants.

La confiance qu'inspiraient ces titres était telle, qu'ils circulaient à l'étranger comme en Belgique.

Lors de la liquidation, lors du règlement des assurances, la société de Saint-Félix n'a eu aucune difficulté du chef des récépissés qu'elle avait en circulation.

(page 1651) S'il m'est permis d'émettre une idée toute personnelle sur la question des warrants, je dirai que l'avenir du système me semble résider dans une loi qui consacrerait la faculté d'émission de titres au porteur en créant pour eux les mêmes droits que pour les titres nominatifs.

Postérieurement au dépôt du rapport de la section centrale, j'ai eu l'honneur d'entretenir M. le directeur des magasins généraux de Paris. Les magasins généraux sont seuls autorisés à émettre des warrants en France.

Le système n'y a pas plus réussi qu'en Belgique. Les négociants français tout comme les négociants belges n'ont pas fait usage des facilités que les lois ont créées en leur faveur.

Le directeur m'a dit que si l'on pouvait formuler en loi un système de titres au porteur, on parviendrait peut-être à déterminer les négociants à faire usage de ces documents.

Ainsi, messieurs, sauf les avances faites par les comptoirs de prêts sur marchandises, et les quelques récépissés émis par l'Entrepôt Saint-Félix, nous manquons de faits pour nous guider, nous sommes obligés de nous en référer à ce qui existe dans un pays voisin.

Nous avons formulé ces usages en dispositions législatives, dans l'espérance que ces dispositions législatives feraient pénétrer ces usages dans nos mœurs commerciales. L'œuvre est difficile, et j'avoue qu'elle peut être l'objet de critiques. Les lois, comme le dit M. Sabatier, ne créent pas les mœurs, elles en sont le reflet. Cependant de pareilles tentatives ne sont pas nouvelles, ni en matière de crédit, témoin le projet de loi sur le crédit foncier, ni en matière politique, témoin la Constitution, dont il y a une trentaine d'années on a doté certaines nations du midi de l'Europe, quoique ces nations fussent loin de posséder les mœurs viriles que suppose l'exercice des libertés modernes. Ce système a d'abord très mal fonctionné. Les populations ont fini par s'en servir convenablement. Le projet de loi que nous vous présentons restera peut-être en cartons à l'état de lettre morte, il donnera peut-être lieu à des abus. Les commerçants finiront par en faire usage, et son influence sur le développement du commerce sera des plus heureuses.

L'honorable M. Sabatier, précisant davantage le caractère de ses objections, nous dit qu'il trouve le projet de loi trop compliqué. Ce reproche est grave ; le commerce ne s'accommode guère, en effet, des complications législatives ; il veut des lois simples et claires.

J'avoue, messieurs, que le projet de loi est compliqué. Mais il ne l'est que par suite de dispositions nouvelles, dont les commerçants ont demandé l'insertion dans la loi, à savoir les dispositions relatives à l'endossement en blanc et au double titre.

Nous possédons une loi sur les warrants, c'est la loi de 1848, elle est claire, simple, formulée en quelques articles, elle a toutes les qualités qu'on refuse au projet de loi qui nous est soumis. Elle n'a qu'un défaut, c'est que, malgré sa simplicité et sa clarté, on n'en fait aucun usage. Les négociants consultés sur les causes qui rendent la loi inopérante ont répondu qu'elle avait deux défauts capitaux, le premier de ne permettre que la levée d'un seul titre au lieu de deux, le deuxième de ne pas autoriser l'endossement en blanc.

Pour satisfaire aux réclamations du commerce, nous avons dans le projet nouveau autorisé, déclaré même obligatoire la levée de deux titres, nous avons autorisé l'endossement en blanc. Il a fallu formuler ces droits en dispositions législatives, ce qui n'était pas facile. De là vient toute la complication du projet.

Le gouvernement en a ajouté une troisième. En vertu de la loi actuellement en vigueur comme de tous les projets et avant-projets antérieurs, l'émission des warrants ne peut se faire que par l'administration des douanes et pour des marchandises déposées à l'entrepôt ou tout au moins dans des établissements offrant les garanties nécessaires.

Le gouvernement, dans le projet nouveau, a proclamé la liberté d'émission des warrants de la part de tout dépositaire et pour toutes marchandises, sauf pour l'administration des douanes qui ne peut émettre ces documents pour les marchandises eu entrepôt.

Le gouvernement a pensé que le fisc ne pouvait que difficilement contrôler les pièces que le déposant doit produire pour que le dépositaire puisse délivrer des warrants.

Ces pièces doivent établir le droit à la libre disposition. Ce sont des titres commerciaux, le gouvernement a pensé qu'une administration purement fiscale n'était pas apte à faire ces vérifications.

La loi suppose de plus que l'entrepositaire sera responsable de la conservation de la marchandise. L'administration des douanes ne peut, en vertu des articles 10 et 17 de la loi de 1846, assumer une semblable responsabilité.

Le gouvernement ne peut que faire entrer les marchandises en entrepôt public, un intermédiaire examine les titres qui établissent le droit à la libre disposition, s'engage, s'il y a lieu, à veiller à la conservation des marchandises et émettre les titres. Ce rouage nouveau dans le mécanisme crée une complication nouvelle. Les difficultés qui entourent l'existence de titres pour les marchandises en entrepôt ne disparaîtront que lorsque les entrepôts seront, comme en Angleterre, entre les mains de sociétés privées, que lorsque l'Etat aura cessé de remplir un rôle qui ne lui convient pas, le rôle de magasinier.

Si l'endossement en blanc est l'une des principales causes de la complication de la loi, l'honorable M. Sabatier s'en déclare l'adversaire. Je ne suis pas plus partisan qu'il ne le faut de ce mode de transmission de titres. Seulement l'honorable membre me semble être tombé dans l'erreur sur les causes qui nous ont déterminé à l'introduire dans le projet de loi. Nous n'avons pas eu uniquement en vue le secret des emprunts sur marchandises. Nous avons emprunté ce mode d'endossement à l'Angleterre. Dans ce pays l'endossement en blanc est, en quelque sorte, la règle pour tous les titres de commerce négociables. Il suffit que le titre, warrant, lettre de change, billet à ordre porte la signature du premier endosseur pour qu'il circule désormais comme un titre au porteur, un billet de banque. En matière de warrants il assure une circulation plus rapide du titre, il permet ensuite au négociant de donner ce titre en garantie du recouvrement de sommes qui doivent lui être avancées successivement et dont le montant et la date de l'échéance ne sont pas connus au moment de la transmission du warrant.

A Londres et généralement en Angleterre, les négociants, comme les particuliers, gardent chez eux peu de valeurs de payement métalliques ou autres.

Ils déposent leur monnaie, billets de banque, billets à ordre, etc., chez un banquier, qui leur ouvre un compte courant et leur tient un livre de chèques quel'e client tire sur son banquier, et à l'aide desquels il effectue ses payements. Certains négociants, pour augmenter leur crédit, déposent des warrants après les avoir endossés en blanc. Les sommes qui leur seront avancées sous la garantie de ce titre ne sont pas connues, il est donc impossible d'en faire mention dans l'endos.

En troisième lieu l'ordre en blanc a plus ou moins pour but de sauvegarder le secret de l'emprunt sur marchandises.

En fait les administrations des docks ne reçoivent guère de warrants portant indication de sommes. Cela m'a été affirmé par le secrétaire des docks des Indes orientales et occidentales, et comme ces titres servent dans une certaine mesure à contracter des emprunts, ces emprunts se font sans indication de sommes sur le warrant, c'est-à-dire en blanc, ce n'est pas l'indication de ces sommes qui peut entraver la circulation rapide des titres, puisqu'elle ne doit être faite qu'une fois lors du premier endossement.

Je suppose qu'on interdise la faculté d'endosser un titre en blanc, il arrivera ce qui arrive pour les lettres de change et les billets à ordre, c'est-à-dire que ces endossements se feront malgré la loi. Il faudra bien déterminer les droits du tiers porteur.

Déciderez-vous qu'en l'absence d'un endos régulier, la négociation du titre sera nulle ? Il me semble que cela serait extrêmement rigoureux. Si vous décidiez autrement, vous tomberiez dans toutes les difficultés de législation en présence desquelles s'est trouvée la section centrale et qu'elle a eu tant de peine à vaincre.

L'honorable M. Sabatier a pensé que c'était le désir d'introduire dans la législation nouvelle la faculté de l'endossement en blanc qui nous avait fait adopter ce principe que la levée des deux titres devait être obligatoire.

L'honorable membre voit dans la levée de ce double titre une autre cause de complication qu'il faudrait faire disparaître. L'honorable membre est dans l'erreur.

D'après le projet du gouvernement, tout individu qui a des marchandises en dépôt peut se faire délivrer un seul titre qui porte le nom de warrant, ou bien deux titres, le warrant et une cédule. La levée des deux titres n'est pas obligatoire, comme dans le système de la section centrale.

Nous avons pensé, messieurs, que la levée d'un seul titre combinée avec l'endossement en blanc compliquait extrêmement le système, qu'elle le compliquait bien plus que le système de la section centrale et que de plus elle pouvait donner naissance à de grandes difficultés.

En effet le titre unique qu'on peut, en vertu du projet du gouvernement, lever, sera, au gré de celui qui l'aura levé, ou un titre de propriété ou un titre de gage.

(page 1652) Il pourra le donner comme titre de nantissement ; il pourra le transmettre comme titre de vente de la marchandise.

Avec un endossement régulier, la transmission est très simple, ne présente pas de danger, attendu que par ce mode d'endos, le titre révèle quel est le droit qu'il confère, indique si c'est un nantissement ou la propriété de la marchandise.

Mais avec l'endossement en blanc, avec la simple signature mise au dos du titre, rien ne révèle aux tiers quels sont les droits du premier cessionnaire.

Ils s'exposent à accepter comme titre de propriété un warrant qui a été négocié à titre de gage. En Angleterre ces faits se sont présentés, les tribunaux en ont été saisis la cour de l'échiquier a décidé. Celui qui a ainsi négocié un titre en blanc a le droit d'administrer contre les tiers même de bonne fois la preuve du droit transmis à son cessionnaire.

Les résultats d'une semblable décision ne se sont pas fait attendre.

Un grand nombre de négociants, de banquiers de Londres, ont décidé qu'ils n'avanceraient plus sur warrants, ces titres endossés en blanc ne leur offrant plus de garanties sous l'empire d'une semblable jurisprudence.

Telle est, messieurs, la conséquence de la levée possible d'un seul titre combinée avec l'endossement en blanc.

Elle provient de l'incertitude de la nature de ce titre unique qui est titre de gage ou de propriété au gré de l'endosseur.

Nous voulons que celui qui place des marchandises sous le bénéfice du système lève deux titres ayant l'un et l'autre dès l'origine un caractère déterminé : l'un titre de gage, le warrant, l'autre titre de vente, la cédule et dont l'endossement offre en conséquence moins d'inconvénients.

Nous pouvons donner une définition de ces titres, chose très avantageuse dans une loi nouvelle et compliquée. Quelle définition nous donne du warrant le projet du gouvernement ?

D'après l'article premier, c'est un titre de commerce qui représente la marchandise. Pas autre chose.

A quel titre le warrant représente-t-il la marchandise ? On n'en sait rien. Il faut lire la loi jusqu'à l'article 6 pour savoir que le warrant endossé vaut titre de propriété et qu'il est censé contenir quittance de la valeur de la marchandise, sauf la preuve contraire, celle par témoins exceptée.

Ainsi donc le warrant endossé vaut titre de propriété entre les mains des tiers, à moins toutefois qu'il ne vaille pas titre de propriété. Que veut dire cet article ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Sauf les restrictions.

M. de Boe. - Donc il ne dit absolument rien.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cela va de soi.

M. de Boe. - La seconde différence consiste en ce que nous avons fixé une limite à la durée des dépôts.

Telle est, messieurs, la première différence entre le système du gouvernement et celui de la section centrale et sur laquelle M. le ministre des finances appelait tout à l'heure votre attention.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Pas au dépôt, mais à la durée du titre.

M. de Boe. - Qu'entendez-vous par durée limitée des titres ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est ce que vous proposez à l'article 3 ; vous y indiquez une échéance.

M. de Boe. - Oui, j'indique une échéance, et c'est pour me rapprocher du système anglais.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il n'y a pas, dans ce système, d'échéance du dépôt.

M. Sabatier. - Il y a une échéance qui s'appelle prompt.

M. de Boe. - Précisément, le prompt c'est l'échéance du dépôt. (Interruption.) Permettez-moi de m'expliquer. En Angleterre, lorsqu'il y a levée de warrant et de weigh-note, ces titres portent tous deux une échéance fixe qu'on appelle prompt. C'est à cette échéance qu'au plus tard doit s'opérer la jonction des deux titres, qui jusque-là peuvent circuler séparément.

Cette échéance est celle du payement à faire par le porteur de la weigh-note. Elle concorde généralement avec celle des sommes avancées sur le warrant.

Jusqu'à cette échéance, pour pouvoir retirer la marchandise d'entre les mains du dépositaire, il faut reproduire les deux documents, le warrant et la weight-note. Passé l'échéance, il suffit de représenter le warrant au dépositaire pour obtenir la délivrance de la marchandise, c'est-à-dire que, passé l'échéance, la cédule n'a plus de valeur.

Cette échéance a donc pour le dépositaire une très grande importance.

II sait que jusqu'à cette époque, il ne peut délivrer la marchandise que contre la représentation des deux titres. De plus les tiers auxquels les titres seraient négociés savent que c'est là en quelque sorte une date fatale, avec laquelle ils cherchent en général à faire concorder l'échéance de leurs droits et de leurs obligations. Nous avons cherché à introduire un usage analogue chez nous comme un correctif aux difficultés que peut créer l'endossement en blanc ; ce point sera éclairci plus tard lors de la discussion des articles.

Enfin, la section centrale a autorisé le recours du porteur du warrant contre l'emprunteur et contre les endosseurs. Remarquez bien, messieurs, que ce recours n'aura lieu que très rarement. L'individu qui accepte un warrant ne donnera guère que 75 p c. de la valeur de la marchandise et comme il ne peut avoir son recours qu'en cas d'insuffisance de la valeur de celle-ci, il s'ensuivra que ce recours ne sera que très rarement exercé.

Nous avons vu dans la disposition introduite un motif de confiance de plus pour les capitalistes dans les warrants.

Elle nous a paru offrir quelques avantages qui ne sont atténués par aucun inconvénient.

Je ne sais pas si tous les membres de cette Chambre saisissent bien les différents points de la discussion qui s'engage devant eux. Aussi,-peut-être aurais-je dû commencer par où je finis, c'est-à-dire par donner quelques explications succinctes sur le mécanisme du système. Je ne l'ai pas fait parce que M. Sabatier et M. le ministre des finances sont entrés dans quelques développements à cet égard.

Tout individu ayant la libre disposition de marchandises dans un dépôt quelconque peut délivrer un double titre de commerce, un warrant ou une cédule.

Nous proclamons la liberté à l'inverse de la loi actuelle qui fait de l'émission des titres un monopole pour l'Etat. Nous exigeons la libre disposition.

Ainsi, il ne suffit pas qu'un individu dépose une marchandise pour obtenir un warrant et une cédule ; il faut de plus qu'il prouve qu'il en a la libre disposition.

Il suffît qu'il ait cette libre disposition, il n'est donc pas nécessaire qu'il soit propriétaire de la marchandise. Nous exigeons qu'il lève un double titre et je viens de dire pourquoi nous avons, sous ce rapport, amendé le projet du gouvernement.

Le dépositaire ne peut désormais délivrer sa marchandise que contre la représentation de la cédule, accompagnée du warrant. Seulement, il devra distinguer la personne qui présentera ces titres : si c'est la personne qui les a levés où à l'ordre de laquelle ils ont été levés, la marchandise pourra lui être délivrée contre sa signature apposée au dos de l'un et de l'autre titre ; si c'est un tiers, il faudra que les titres soient signés du premier endosseur, que le warrant contienne son ordre de délivrance.

Les titres seront de plus signés par la personne qui les présente, cette signature vaudra reçu de la marchandise.

Quels sont les usages auxquels ces deux titres peuvent servir ? Si le déposant vend sa marchandise et veut autoriser l'acheteur a se le faire délivrer immédiatement, il lui transmet signés la cédule et le warrant sur lequel figure l'ordre de la délivrance.

L'acheteur muni de ces deux pièces peut se faire délivrer immédiatement la marchandise ; il peut aussi la transmettre comme son cédant à titre de vente.

Si, au lieu de vendre, le déposant veut emprunter, il négocie son warrant et il fera bien d'indiquer sur ce titre la somme qui lui a été avancée et la date de son échéance.

A l'échéance ou antérieurement, il rembourse la somme, rentre en possession du warrant et se trouve dans la même position qu'avant la cession de ce titre.

Si, au lieu de vendre au comptant ou d'emprunter, il veut vendre à terme, il négocie la cédule et garde le warrant.

Il inscrit sur la cédule la somme dont il reste créancier, et la date de son échéance, et l'acquéreur transcrit les mêmes mentions sur le warrant. L'acquéreur peut à son tour, en négociant sa cédule, revendre la marchandise sous condition du payement qu'il a à faire entre les mains du vendeur. A l'échéance, le porteur de la cédule paye la somme, et reçoit en échange le warrant portant l'ordre de délivrance ; muni de ces deux titres, il n'a plus qu'à se faire délivrer les marchandises.

Enfin, si, antérieurement à l'échéance de la cédule, le déposant veut rentrer en possession de tout ou partie de la somme dont il est créancier, il peut le faire en donnant la marchandise en nantissement par l'endossement du warrant.

Réciproquement après avoir donné la marchandise en nantissement par (page 1653) l'endossement du warrant, il peut la prendre à terme en transmettant la cédule.

Vous le voyez, messieurs, ce mécanisme n'est pas aussi compliqué qu'on pourrait le croire au premier abord.

Supposons qu'au lieu d'une liquidation volontaire, il faille procéder à une liquidation forcée.

Supposons qu'à l'époque de l'échéance du warrant l'emprunteur ne rembourse pas la somme que ce titre garantit.

Le porteur du warrant, après l'avoir mis en demeure, se fait autoriser par le président du tribunal à vendre la marchandise et il rentre facilement dans les sommes qu'il a avancées.

Si à l'échéance de la cédule le porteur de ce titre ne paye pas, eh bien, le marché est résilié et comme, en général, le porteur de la cédule n'aura obtenu ce titre qu'au moyen d'un à-compte payé au vendeur, il perdra, en vertu de la loi, l'à-compte versé. La loi offre des moyens de liquidation si le warrant n'était pas remis contre l'offre de remboursement des sommes qu'il garantit.

Ainsi, ce système, même dans le cas d'une liquidation forcée, est encore assez simple.

J'ai supposé, messieurs, qu'en cas d'emprunt celui qui négocie le titre inscrit sur le warrant la somme qui lui est avancée et la date de son échéance ; j'ai supposé qu'en cas de négociation de la cédule, le vendeur inscrit sur le titre la somme dont il est créancier et la date de l'échéance ; j'ai supposé qu'en cas de négociation de la cédule le porteur de ce titre a fait mention de la somme dont il reste débiteur et de son échéance sur le warrant.

Si ces diverses mentions ont été faites, la liquidation ne présentera guère de difficulté.

Les difficultés commencent seulement si ces mentions ont été omises, si l'endossement est en blanc.

La question est très délicate.

Le warrant séparé de la cédule et valant en conséquence titre de gage peut être envisagé à deux points de vue différents. Ou bien on peut le considérer comme garantissant uniquement l'exécution d'un contrat préexistant, ou bien on peut le considérer comme représentant la marchandise pour toute sa valeur à titre de gage.

Dans le premier système ce titre ne conférerait aux cessionnaires même vis-à-vis des tiers de bonne foi que les droits du contrat préexistant.

Ce contrat peut se trouver formulé au dos des titres, c'est le cas d'un endos régulier. Dans ce cas, les tiers ne peuvent être induits en erreur.

Ce contrat peut être indépendant du warrant ; dans ce cas les tiers, avant de rien avancer, devront s'assurer des stipulations intervenues entre le premier cédant et le premier cessionnaire.

C'est le système de la cour de l'Echiquier d'Angleterre, j'en ai parlé à la page 9 du rapport.

Dans le second système le warrant confère aux actionnaires vis-à-vis des tiers de bonne foi la possession de la marchandise pour toute sa valeur.

C'est à celui qui négocie ce titre à en restreindre entre les mains de son cessionnaire la valeur négociable. Cette restriction ne pourra résulter que du contexte du titre, elle résultera d'une manière spéciale de l'inscription de la somme à recouvrer avec la date de son échéance et d'une manière générale de cette mention que le titre ne vaut que comme garantie de l'exécution d'un contrat, que tout tiers porteur devra se faire représenter avant d'avancer des fonds.

Ce système est celui du commerce anglais, c'était celui admis par la jurisprudence, avant la décision de la cour de l'échiquier dont j'ai parlé plus haut.

Nous avons cru devoir l'adopter ; c'est celui qui laisse plus de latitude, plus de liberté aux négociants.

L'acheteur par cédule, s'il n'indique pas sur le warrant la somme dont il était débiteur et la date de son échéance, laisse le vendeur en possession fictive de la marchandise ; il devra, dans son intérêt, bien entendu restreindre la valeur négociable du warrant au montant de la somme qu'il doit.

L'absence de cette mention sur la cédule ne rendra pas nul l'endossement. Je fournirai des explications, plus tard, sur ce point s'il y a lieu.

Je ne sais si ce projet sera plus heureux que ses devanciers, nous présentons le projet comme un complément de la loi sur les ventes publiques, comme devant tendre à développer chez nous ce mode de vente.

Dans les ventes publiques, acheteurs et vendeurs ne se connaisse pas, le vendeur ne fait donc pas crédit.

Grâce aux cédules et aux warrants, ce crédit pourra avoir lieu. Le vendeur n'hésitera pas à délivrer une cédule, parce que la marchandise ne sera délivrée à l'acheteur que quand il en aura payé le prix. Comme gage du caractère sérieux de l'opération et comme garantie contre la baisse de la marchandise, le vendeur recevra un à-compte de 10 à 15 p. c. qui lui restera acquis avec la marchandise en cas de non-payement à l'échéance. Le négociant qui n'a qu'un petit capital et qui se trouve sans crédit, pourra acheter des marchandises aux ventes publiques, moyennant un à-compte de 10 à 15 p. c. et profiter en la revendant des fluctuations du prix. Une maison qui n'a que cent mille francs de capital peut faire pour 700 mille à un million de francs d'affaires ; les jeunes maisons ne peuvent pas marcher par les voies battues. Comme les hommes nouveaux, elles doivent se frayer des voies nouvelles et elles ouvrent des sources de prospérité que d'anciennes maisons ne trouveraient pas ; le projet crée pour elles un moyen de crédit nouveau. C'est à ce titre surtout que nous le présentons à votre approbation.

(page 1661) M. Sabatier. - Je dois faire remarquer à l'honorable M. de Boe que je n'ai nullement attaqué la section centrale.

Ainsi que je l'ai dit tout à l'heure, en commençant mon discours, je me suis borné à présenter des observations sur le travail qui nous était présenté. Ces observations, je les maintiens, sans aller au-delà.

Mon intention n'est donc pas de réfuter point par point le discours de l’honorable rapporteur.

La discussion ne nous ferait sans doute changer d'avis ni l'un ni l'autre : chacun conserverait son opinion et en définitive la meilleure preuve à donner que je n'ai voulu me livrer à aucune attaque contre le projet de loi, c'est que je le voterai.

Je dois cependant quelques mots de réponse à l'honorable ministre des finances qui vient de rappeler que l'endos en blanc était parfaitement admis à Londres.

Cela est vrai, mais il faut bien remarquer que l'endos se fait en blanc en Angleterre non pas par suite d'une législation, puisqu'il n'y en a pas sur la matière ; il résulte d'une coutume commerciale tout comme l'institution des warrants elle-même.

J'ai questionné plusieurs négociants anglais sur les craintes qu'ils pouvaient avoir des abus résultant de l'endos en blanc ; tous ont reconnu la possibilité de ces abus, mais tous aussi ont ajouté qu'ils préféraient en courir les chances que de devoir faire le travail de l'endos régulier. Ils réduisaient cela à une question de temps et me disaient que parfois une marchandise change si souvent de mains que s'il fallait remplir la formalité de l'endos les warrants seraient à peine portatifs, qu'ils devraient recevoir une ajoute, qu'il faudrait en outre des commis tout exprès pour écrire les endos et qu'enfin toute l'affaire des warrants reposait exclusivement sur la confiance.

En Belgique on ne veut pas l'entendre de la sorte. On tient tout particulièrement à sauvegarder quand même les droits des tiers, la question de confiance est laissée de côté et je le dis encore, dans cet état de choses, si l'endos en blanc doit faire naître des abus, supprimez la faculté de l'endos en blanc.

L'honorable M. de Boe reconnaît du reste que la loi devrait présenter le moins possible de complications dans la pratique, puisqu'il va jusqu'à dire qu'il ne demanderait pas mieux que de voir fonctionner un système de titres au porteur.

Messieurs, je suis convaincu que plus tard, lorsque l'institution des warrants sera connue et pratiquée sur une large échelle, bien des difficultés seront aplanies par la force des choses. On verra, tout comme en Angleterre, que la confiance joue un grand rôle dans cette institution, et si, aujourd'hui, nous croyions même pouvoir renoncer à cette chimère du secret de l'emprunt par l'endos en blanc, et éviter, dès lors, des difficultés et des complications que je redoute, on en arriverait un peu à la fois à se passer d'endos, non pas légalement, mais par l'usage, exactement comme on y arrive dans les effets de commerce, bien que ce soit contraire au Code de commerce qui est très catégorique sur ce point.

(page 1653) M. Pirmez. - Tous les projets qui tendent à augmenter les moyens de crédit, doivent recevoir un accueil favorable de la Chambre. Aussi je me hâte de le dire, comme mon honorable ami M. Sabatier, je voterai le projet de loi, et je veux seulement présenter quelques observations sur ses dispositions.

Ces observations ont pour but d’indiquer un moyen de rendre le projet tout à la fois plus complet et plus simple ; plus complet, en permettant l'introduction du titre au porteur que l’on est d'accord pour proclamer un point important de l'institution des warrants ; plus simple, en supprimant le double titre qui, jusqu'à présent, a été considéré comme donnant lieu aux complications que la Chambre a déjà pu constater.

Le système que je veux indiquer n'est pas nouveau. Il a fonctionné pendant un certain temps à l'entrepôt Saint-Félix, au moins dans ses éléments essentiels, et de tous les systèmes de warrants employés dans notre pays, c'est celui qui a produit le plus de résultats utiles.

Messieurs, les warrants, comme on vous l'a dit, sont nés à Londres. Ils se sont établis par un usage très long qui a réglé successivement tout ce qui les concerne.

Il est extrêmement difficile de prendre dans un pays étranger une partie de la législation et de l'incruster, sans qu'il y ait disparate, dans une législation dont les dispositions générales sont tout à fait différentes.

Ainsi, dans l'institution même des warrants, telle qu'elle se pratique à Londres, nous constatons des résultats absolument inadmissibles chez nous.

On vous a dit en effet que, dans le système anglais, le tiers de bonne foi n'est pas garanti : si un des détenteurs du warrant en abuse, c'est le tiers porteur qui est la victime de l'abus.

Or, dans toutes les matières qui ont chez nous pour but de régler, soit le gage, soit la propriété, les tiers doivent toujours être protégés ; cette protection est la condition de la confiance ; et cette confiance est la base de toute l'institution de crédit.

En France, où l'on a admis le double titre, on a rejeté, pour éviter précisément les abus, l'endossement en blanc ; on exige l'endossement complet. Mais si nous introduisions chez nous le système français, l'institution des warrants n'aurait presque aucun effet ; elle serait repoussée, à Anvers notamment, où les warrants doivent surtout fonctionner.

M. Sabatier voudrait voir se modifier les préjugés qui repoussent l'emprunt sur marchandises. Comme il est plus facile de changer nos lois que les opinions des Anversois, je crois qu'il faut plier la loi à l'état de choses existant.

M. Loos. - Il y beaucoup de maisons étrangères à Anvers. Le commerce d'Anvers ne se compose pas seulement d'Anversois.

M. Pirmez. - Je constate seulement qu'il est plus facile de changer la loi que les Anversois, de faire la loi pour eux que de leur imposer des dispositions que leurs habitudes repoussent.

Je ne crois pas que l’honorable bourgmestre d'Anvers puisse se plaindre ; car je veux précisément indiquer une législation qui satisfasse à tout ce qu'Anvers demande.

Précisons bien, messieurs, la difficulté.

On demande que le warrant ou plutôt que l'emprunt fait au moyen du warrant puisse être tenu secret. Il n'y a rien qui puisse favoriser plus complètement le secret des opérations d'emprunt que le titre au porteur, puisque dans ce titre aucun nom n'apparaît, sinon celui du dépositaire.

(page 1654) Mais si l'on admet deux titres, la cédule et le warrant, on trouve qu'il est impossible de faire que ces deux titres, qui ont voyagé séparément, viennent, s'ils sont au porteur, se rejoindre à un moment donné.

Je crois que, pour éviter cette difficulté, il faut n'adopter qu'un seul titre, mais créer un titre qui se prête, par sa forme et sa nature, à toutes les opérations du commerce.

Je vais tâcher de rendre l'idée que je voudrais voir consacrer par la loi, aussi simple que possible.

Supposons que le commerce ne se fasse que sur une seule espèce de marchandises, tellement portative qu'on puisse toujours l'avoir sur soi et la remettre réellement à celui avec qui 1 on contracte. S'il en était ainsi, personne ne s'imaginerait de demander l'institution d'un système de warrants.

Je vends cette marchandise, je la remets immédiatement à mon acheteur qui, à son tour la vendra et la livrera tout aussi facilement. Je veux donner cette chose en gage, je la mets en la possession de mon prêteur qui la tient jusqu'à ce que j'aie satisfait à mes obligations. Notons qu'ayant transmis la détention de cette marchandise à mon prêteur, je ne suis pas pour cela empêché de céder cette marchandise, sauf à l'acquéreur à ne pas jouir de cette marchandise aussi longtemps qu'elle restera affectée à ma dette entre les mains du prêteur. Si par une fiction de droit nous pouvions rendre toutes les marchandises aussi parfaitement mobiles, aussi aisées à transmettre que la marchandise que j'indique dans mon hypothèse, nous aurions atteint le but que nous poursuivons.

Mais pour donner cette facilité de transmission aux choses, il nous suffit de considérer, quant à la possession, le morceau de papier que l'on appelle warrant comme « étant la marchandise » elle-même. C'est ce que fait le gouvernement lorsqu'il définit le warrant « un titre de commerce représentant des marchandises dont des tiers sont dépositaires. »

En vertu de cette fiction juridique, le morceau de papier que le prêteur recevra lorsqu'il y aura emprunt, que l'acheteur prendra lorsqu'il y aura vente, conférera tous les droits qui découleraient de la possession relie de la marchandise.

La maxime fondamentale de notre législation mobilière : En fait de meubles, possession vaut titre, s'appliquera au titre comme à la marchandise.

On le voit, tout d'un coup, par cette fiction largement entendue, nous atteignons tous les avantages de la plus grande mobilité des marchandises. L'usage du titre sera très simple.

J'ai déposé dans un entrepôt certaines marchandises. Je demande au directeur de cet entrepôt de me délivrer un titre au porteur, constatant le dépôt de telle quantité de marchandise. Avec ce titre j'agis comme avec la marchandise elle-même. Je puis la vendre, la céder, la placer en gage, faire toutes les opérations que le commerce désire, et je les fais avec le plus grand secret, puisque mon nom n'apparaît pas même sur le titre qui aura circulé dans le commerce.

Le titre au porteur pourra être parfaitement employé et il en sera de même du titre cessible par voie d'endossement.

M. Muller. - Comment pourra-t-on fractionner ?

M. Pirmez. - Je demanderai à l'honorable M. Muller s'il parle du fractionnement du titre quant à la quantité de marchandises ou du fractionnement quant aux droits de propriété et de gage ?

Quant aux marchandises, rien n'empêche qu'un titre ne soit délivré pour moitié des marchandises et que l'on prenne un autre titre pour l'autre moitié.

La position est la même que dans le système du projet.

Quant au fractionnement du droit qui répond à la propriété et au gage, je vais y venir.

Je dis donc, messieurs, que le titre au porteur pourra être parfaitement employé dans le système que j'indique.

Le titre transmissible par voie d'endossement pourra aussi être en usage.

Rien n'empêche de laisser le choix au propriétaire des marchandises. Voyez maintenant comment ce titre unique se pliera aux exigences du négoce.

Lorsque la transmission du titre se fera sans qu'il indique aucune restriction, le détenteur doit avoir vis-à-vis des tiers la pleine possession, je ne dis pas la propriété, mais la possession de la marchandise.

Je ne m'occupe pas des obligations qui peuvent intervenir entre le cédant et le cessionnaire et qui entre eux doivent être exécutées ; mais la possession pure et simple du titre doit constituer la possession de la marchandise, et en vertu de la maxime que j'ai rappelée autoriser vis-à-vis des tiers, la disposition du warrant par celui qui le possède.

Mais je suppose qu'on ne veuille pas donner la pleine possession, la possession illimitée de la marchandise ; je suppose que je veuille vendre mes marchandises en conservant un certain privilège pour le prix qui ne serait pas payé, alors je transmettrai le titre en disant que la transmission n'est faite que sous réserve de 10 mille francs, par exemple, dus sur le prix de cette marchandise.

Je ne veux que donner la possession à titre de gage et pour une somme limitée. Je l'indique sur le titre. Dans ce cas la possession n'est conférée que pour garantie de cette somme.

En un mot, messieurs, le système devrait consister en ceci : c'est que la possession du titre sans indication de restriction conférerait la possession complète de la marchandise ; mais ce droit de possession pourrait être traité par les restrictions qui seraient inscrites sur le titre. Vous voyez, messieurs, que le système que j'indique se prête parfaitement à toutes les opérations.

Maintenant, messieurs, j'arrive à la question que faisait l'honorable SI. Muller

Je suppose que j'aie engagé une marchandise qui m'appartient, que je l'aie engagé pour sûreté d'un emprunt que j'ai contracté, l'honorable M. Muller dit : Alors vous ne pourrez plus disposer de la marchandise, vous ne pourrez plus la vendre.

Je crois bien préciser l'objection.

La solution est bien simple.

J'ai transmis par le warrant la possession fictive de la marchandise, c'est vrai, mais cette attribution de possession ne m'empêche pas plus de vendre ma marchandise, que le gage ordinaire que je transfère en remettant la possession réelle de la chose n'empêche de céder cette chose.

Lorsque j'ai engagé ma chose pour sûreté d'un emprunt, la vente que j'en fais n'a guère d'autre garantie que mon obligation personnelle ; il est inutile pour vendre que j'aie un titre spécial ; je puis traiter non seulement par correspondance, non seulement par un contrat ordinaire, mais je puis le faire par un titre négociable, car rien ne s'oppose à ce que je vende de la marchandise en créant un semblable titre.

Toute la différence de ce titre avec celui de la loi sera qu'il ne conférera pas un droit de possession ; mais cette possession grevée du warrant est sans importance pratique. Ce titre ne sera pas régi par la législation spéciale des warrants, il sera soumis aux principes ordinaires.

Si donc je propose de ne créer qu'un seul titre quant à la possession de la marchandise, quant au droit réel, rien n'empêcherait la création de tous les titres possibles ; ces titres opèrent d'ailleurs en droit comme en pratique sans transmission de possession.

Je crois, messieurs, que les observations que je viens de faire démontreront qu'il n'est pas une seule opération commerciale, pas une seule qui ne puisse se faire dans le système que j'indique.

Mais voyons maintenant quels avantages ce système présente soit sur celui du gouvernement, soit sur celui de la section centrale.

D'abord, messieurs, il est infiniment plus simple.

Ce système part d'un principe unique ; une fiction autorisée par le droit, et de cette fiction découlent, sans rien changer à la législation, toutes les conséquences de la loi.

Nous disons seulement qu'il est possible de convertir, quant à la possession, des marchandises en un morceau de papier et qu'à ce morceau de papier tous les principes de notre droit, sans en excepter un seul, sont parfaitement applicables.

Les projets qui nous sont présentés ne partent pas ainsi d'un principe unique. Le double titre viole la base même du droit. La marchandise ne peut être en effet détenue en deux endroits différents ; or, quand on use d'une fiction, il faut qu'elle n'admette rien que la réalité repousse.

La législation est donc rendue plus rationnelle en même temps que plus simple.

Les formalités nécessaires pour que les deux titres se rejoignent, me semblent graves ; elles entraînent certaines déchéances ; or, ces pertes de droit naissant du défaut de remplir des formalités doivent être autant que possible évitées aux négociants.

Mais, messieurs, ce qu'avant tout demande le commerce d'Anvers, c'est le secret absolu de l'opération.

Admettez l'endossement en blanc, comme la section centrale et le gouvernement le proposent, ce n'est pas atteindre le but. Cet endossement en blanc devra toujours porter une signature.

Si donc, celui qui a déposé des marchandises lève un warrant, et qu'il veuille le négocier, il devra, dans tous les cas, y mettre son nom.

M. de Boe, rapporteur. - Quoi que vous fassiez, il faudra toujours que celui qui lève le warrant, y mette sa signature pour obtenir la délivrance des marchandises.

(page 1655) M. Pirmez. - Si le titre est au porteur, il ne faut pas de signature. (Interruption.)

J'ai un billet de banque de mille francs, je le porte à la Banque Nationale pour avoir des espèces ; je donne mon billet, je reçois les espèces et je ne donne aucune signature.

Je dis donc que dans le système que j'indique, celui du titre unique au porteur, il ne faut aucune signature, je puis le faire circuler sans que mon nom y figure.

Dans le système de la section centrale, au contraire, même avec l'endossement en blanc il faut que je place ma signature sur le warrant, c'est-à-dire que je renonce au secret de l'emprunt.

Je suppose que n'ayant pas un crédit bien assuré, je veuille, sans me faire connaître, lever de l'argent sur marchandise, trouverai-je ce moyen dans les projets qui nous sont proposés ?

Mais pour négocier le titre je devrai d'abord le signer, et que je place au-dessus de mon nom un endos régulier ou que je n'y mette rien, ne serai-je pas également connu ?

Bien plus il suffira que l'on voie le warrant séparé de la cédule pour qu'il soit constaté que ces titres ont été levés pour emprunter.

Il n'y a donc pas, dans le système du gouvernement ni dans celui de la section centrale, obtention du secret recherché, tandis que dans le système que j'indique, le secret est parfaitement gardé.

Messieurs, je n'ai pas l'intention de proposer des amendements ; je soumets mes observations au gouvernement et à la section centrale. Si l'on n'y a pas égard, peut être auront-elles quelque utilité, si une révision prévue par la loi même est d'ici à quelque temps jugée nécessaire.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, il est impossible de saisir l'idée développée par l'honorable M. Pirmez, à moins qu'il ne veuille la formuler dans ses rapports avec les dispositions du projet de loi. Je comprends parfaitement l'idée du titre au porteur. Mais quels seront les effets de ce titre ? Comment ce titre pourra-t-il conférer un gage ? par le seul transfert ? (Interruption.)

On mettra, dit-on, sur ce titre les restrictions que le contrat comportera. Mais songez-vous aux droits des tiers créanciers ?

Aujourd'hui on peut émettre des titres au porteur, qui ont la plus grande analogie avec les warrants tels que M. Pirmez voudrait les établir.

La preuve de cela, c'est que la société de l'Entrepôt Saint-Félix, à Anvers, émettait des titres de cette nature.

Un négociant qui était possesseur de marchandises déposées à l'Entrepôt Saint-Félix, se faisait délivrer par la société une sorte de warrant constatant cette possession, puis il se rendait au comptoir de prêts sur marchandises, où, sur la remise de ce titre, il obtenait une avance proportionnée à la valeur de la marchandise. Mais il fallait faire enregistrer le contrat d'emprunt, et c'est une formalité indispensable pour avoir un gage régulier à invoquer en cas de contestation. Il est également indispensable de prévoir comment on agira en cas de faillite.

La simplicité que l'honorable M. Pirmez croit apercevoir dans l'établissement du titre unique, lui échappera quand il viendra à formuler son idée en articles de loi. Il y a certaines disposition du projet de loi qui, dans ce système, pourraient disparaître ; mais il en est un très grand nombre qui devraient nécessairement être maintenues, et il faudrait probablement y ajouter plusieurs dispositions nouvelles. Dans ce système il faut indispensablement déterminer comment le nantissement aura lieu. Et puis avec le titre au porteur, n'allez-vous pas ouvrir la porte à des fraudes immenses ?

En cas de faillite, qu'arriverait-il ? Les marchandises se trouveraient-elles valablement transférées par le billet au porteur ? Il y a, dans le projet de loi, des précautions indiquées pour éviter les fraudes. D'ailleurs, avec un titre unique, je ne comprends pas comment on pourrait faire les deux opérations que l'on veut rendre possibles par le warrant et la cédule.

Il serait donc impossible d'apprécier les conséquences de l'idée émise par l'honorable M. Pirmez, avant qu'elle fût complètement formulée, avec toutes ses modifications et ses restrictions.

M. Pirmez. - Dans le système que j'ai indiqué, le warrant représenterait la marchandise, quanta la possession.

Tous les principes du droit demeureraient applicables. Si la possession en vertu de la maxime : « possession vaut titre » a plein effet vis-à-vis des tiers, entre le cédant et le cessionnaire, tous les titres pourraient déterminer l'étendue des droits conférés.

M. le ministre parle des dangers en cas de faillite ; mais remarquez que l'endossement en blanc présente les mêmes dangers.

Dans le système des projets de loi, l'endossement en blanc convertit réellement le titre en effet au porteur.

Je ne fais qu'une chose : enlever la nécessité de cette signature. Je n'ajoute aucun danger en supprimant cette signature, mais j'atteins le résultat important de la conservation du secret.

M. le ministre des finances a demandé que je formulasse mon système ; je suis prêt à le faire, si la Chambre le désire ; le gouvernement et la section centrale y prendront ce qu'ils trouveront convenable.

(Voir page 1661.) Si l'on veut introduire dans la législation un titre au porteur ayant les effets que lui attribue l'honorable M. Pirmez, il est nécessaire de voir s'il ne faut pas prescrire certaines formalités et certaines restrictions relativement à la délivrance de ce titre. Ainsi, si le dépositaire déclare sur le titre qu'il n'assume aucune responsabilité quant à la bonne conservation de la marchandise, soit qu'elle vienne à se détériorer, soit qu'elle vienne à être détruite par une circonstance quelconque, qui donc sera garant vis-à-vis des tiers porteurs des warrants ?

On déclare, par exemple, qu'on ne répond pas des marchandises emmagasinées, ni de leur bonne conservation, à moins qu'elles ne soient détournées, perdues ou endommagées par suite du fait du dépositaire ou de ses agents.

Je veux bien que ce soient là des stipulations très licites : mais croit-on qu'un pareil système, qui ne comporte aucune garantie pour les intérêts des porteurs des titres, soit de nature à développer beaucoup le crédit commercial ? Je ne le pense pas. Je crois, au contraire, qu'il faut faire une loi qui prévienne autant que possible les inconvénients de cette nature.

En résumé, je dis qu'en substituant un titre au porteur aux titres qui sont indiqués dans le projet de loi, il n'en résultera pas moins une loi presque aussi étendue et plus compliquée peut-être que celle que nous proposons et que le but que l'on a en vue ne sera pas atteint.

M. Vermeire. - Messieurs, comme les honorables orateurs qui m'ont précédé, je suis favorable au projet de loi en discussion. J'y suis favorable, parce que je crois qu'il est un premier moyen de développer le commerce et de rendre mobiles des choses qui, aujourd'hui, sont immobiles de leur nature.

Tout ce qui peut contribuer à développer le crédit, toutes les mesures qui peuvent l'affranchir des entraves qui le retiennent, eu quelque sorte, en lisière, méritent notre sérieuse attention.

La loi qui nous est proposée renferme deux choses ; des facilités pour l'emprunt sur marchandises déposées dans certains entrepôts et pour lesquelles des certificats de dépôt sont délivrés ; et conséquemment, la probabilité d'augmenter nos importations directes et indirectes.

Si la loi qui nous est présentée n'a pas le sort de celles qui l'ont précédée, ce sera à sa simplicité que nous en serons redevables ; et puis, aussi, à l'époque à laquelle elle aura été discutée et décrétée.

Ainsi, messieurs, la première loi de 1848 ne pouvait certainement atteindre ce résultat favorable à cause des événements politiques qui pesaient sur le commerce et l'industrie.

Il n'en est pas de même de celle que nous discutons en ce moment, car, si elle a été présentée à une époque à laquelle elle fut vivement désirée à Anvers, elle est discutée à un moment auquel ce besoin ne se fait pas sentir aussi ardemment.

C'est ce qui est démontré dans le projet présenté dans la séance du 3 février 1859, où on lit :

« Vous savez, messieurs, avec quelle impatience les commerçants d'Anvers paraissent attendre une nouvelle loi sur les warrants. Le projet de loi que le Roi m'a chargé de vous présenter, satisfait à ce vœu. Le gouvernement désire que la Chambre des représentants s'en occupe le plus tôt possible. »

Aujourd'hui, messieurs, nous ne rencontrons plus cette même impatience de la part du commerce d'Anvers et du commerce en général. Pourquoi ? Parce que le crédit se trouve en meilleure position et qu'on n'a pas besoin de recourir à des moyens exceptionnels pour se procurer de l'argent, activer le commerce et développer l'industrie.

Je crois donc que le projet qui nous est présenté aura un meilleur sort que ses devanciers ; mais j'ajoute aussitôt que ce ne sera qu'à condition que vous l'ayez débarrassé de toute entrave et de toute précaution inutile.

L'usage était généralement établi que les négociants recevant des marchandises prissent un reçu du dépôt de ces marchandises, reçu que nous appelons warrant ; peu à peu on en arriverait à emprunter sur ces titres. L'absence de cette constatation sera peut-être une des causes principales pour lesquelles la loi ne fonctionnera pas immédiatement. Car l'idée erronée, selon moi, qu'on attache au warrant, que, nécessairement, celui qui le prend ne le fait qu'en vue d'emprunter, est la cause principale qu'on n'en fasse pas usage.

Or, le warrant n'est et ne doit être que la constatation que telle marchandise portant tel numéro, si elle est emballée, est emmagasinée dans tel endroit.

Là doit finir la mission du warrant.

Eh bien, je crois que si la loi peut être quelque peu fructueuse, il est nécessaire que tous les négociants, qu'ils empruntent ou non, soient munis de ce titre, et c'est ce qui se fait régulièrement à Londres.

Bien souvent lorsqu'on réclame des marchandises achetées à Londres, on reçoit pour réponse qu'il faut attendre que le warrant soit délivré.

Ainsi, dans les docks de Londres, il n'y a presque pas de négociant qui ne se fasse délivrer un warrant, au moment du dépôt des marchandises.

Maintenant on prend ces titres pour les plus petites quantités de marchandises possible, précisément pour ne pas devoir recourir aux fractionnements que l'on indiquait tout à l'heure, ce qui devient souvent une difficulté, lorsque la marchandise change de destination ou de propriétaire.

Une grande discussion paraît s'être élevée au sujet de l'endos en blanc et de l'endos réel.

Je ne comprends pas cette grande différence qu'on fait entre les deux endossements.

Cependant si l'on doit attacher à l'endos en blanc une marque de discrédit, je dois déclarer, pour ma part, qu'on verse dans une erreur complète.

En effet, celui qui a besoin d'emprunter sur les marchandises qu'il dépose, n'a pas intérêt, comme on l'a déjà fait remarquer très judicieusement, à cacher l'emprunt qu’il contracte par l'absence de l'endos. Ces emprunts sont toujours connus sur les places de commerce où tous ceux (page 1662) qui trafiquent se connaissent à peu près assez bien pour ne pas se méprendre sur leur situation réciproque.

Dans un petit pays comme la Belgique, où presque toutes les maisons, sont en relations d'affaires le crédit de chacune d'elles est trop connu pour qu'on puisse admettre la moindre idée de discrédit pour l'endos réel.

Maintenant, messieurs, sans me prononcer, cependant, d'une manière définitive sur cette question spéciale que je n'ai pas suffisamment approfondie, je désirerais qu'on créât le moins d'exceptions possible par rapport à la transmission des warrants.

Ainsi, pour les lettres de change, l'endos en blanc n'est qu'une procuration, tandis que l'endos réel constitue une transmission effective.

Il me semble que s'il en est ainsi pour la lettre de change, on ne doit pas créer au warrant un droit exceptionnel qui détruirait l'unité qu'il est utile de conserver à notre législation commerciale.

Le rapporteur de la section centrale vous a encore dit que l'endos en blanc ne créerait presque pas d'inconvénients.

Cela m'a fait supposer qu'il pouvait y en avoir ; et s'il en est ainsi, il serait nécessaire de supprimer l'exception qu'on veut établir ; car, selon moi, ce n'est qu'à cette condition qu'on pourra rendre la loi acceptable.

A cette occasion, l'honorable rapporteur a cité l'exemple d'un banquier qui est parvenu à emprunter une somme supérieure à celle qui avait été primitivement empruntée. Si la loi actuelle était de nature à rendre cet abus possible, je crois qu'il ne faudrait pas en attendre de bien bons résultats.

Messieurs, pour ne pas m'écarter des limites de la discussion générale, je m'abstiendrai de discuter les détails du projet. J'ajouterai seulement que, en résumé, je suis favorable au projet de loi ; mais je crois, d'autre part, qu'il ne sera utile que pour autant qu'on débarrasse l'institution de toutes les mesures inutiles qui pourraient en entraver le développement.

Ordre des travaux de la chambre

(page 1655) M. le président. - La Chambre a autorisé le bureau à compléter la commission chargée d'examiner un projet de loi d'interprétation. En conséquence, le bureau a nommé M. Pirmez, en remplacement de M. Savart, et M. Muller, en remplacement de M. Deliége.

Ensuite, dans une séance précédente, M. le ministre de l'intérieur a proposé de rayer de l'ordre du jour le projet de loi relatif à la propriété artistique et littéraire. Le rapporteur de la section centrale adhère à elle proposition.

S'il n'y a pas d'opposition, cet objet sera rayé de l'ordre du jour.

Demain continuation de la discussion du projet de loi sur les warrants et ensuite rapports de pétitions.

Projet de loi relatif à l’institution du système des warrants

Discussion générale

M. Coomans. - J'ai bien compris qu'au commencement de la séance il a été décidé que la discussion du projet de loi sur les warrants continuerait, mais il me semble que le discours de l'honorable M. Pirmez est de nature à faire modifier cette décision. A la suite du discours prononcé par l'honorable M. Pirmez, et que nous avons écouté avec le plus vif intérêt comme tous les autres, M. le ministre des finances a demandé à l'honorable membre de vouloir bien formuler ses idées. Entre-t-il dans les convenances de la Chambre de continuer la discussion sans avoir la formule des idées de l'honorable M. Pirmez ? La question me paraît très opportune, car si nous ne connaissons pas le système de l'honorable membre avant que la discussion soit close, il y aurait quelque difficulté à aborder la discussion des articles,

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je n'ai pas compris que l'honorable M. Pirmez eût l'intention de formuler ses idées en amendements ; il a même annoncé qu'il voterait le projet de loi. Il s'est borné à émettre quelques idées, et je lui ai demandé de vouloir bien les préciser, les formuler, pour nous permettre d'en saisir toutes les conséquences. Maintenant veut-on que cela soit présenté sous forme d'amendements ? Je n'y vois, pour ma part, aucun inconvénient. Il restera seulement alors à examiner comment ces amendements pourraient se concilier avec le projet de loi. Ce serait une étude à recommencer.

M. Pirmez. - Quand j'ai pris la parole, je n'avais l'intention de présenter aucun amendement ; je ne voulais présenter que de simples observations. J'ai compris que M. le ministre me demandait de formuler mon système en articles de loi.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Comme moyen de le comprendre.

M. Pirmez. - Si la Chambre le désire, je pourrai formuler mon système pour la séance de demain.

M. Muller. - On a décidé que la discussion générale continuerait demain.

M. le président. - C'est ce que j'allais rappeler. M. Pirmez s'engage à présenter demain ses amendements, il n'y a pas de raison, me semble-t-il, pour ne pas maintenir la décision prise au commencement de la séance.

- Cette décision est maintenue.

La séance est levée à quatre heures trois quarts.