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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 12 juin 1862

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page 1533) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont, secrétaire., présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Foutrel, ouvrier mécanicien à Tirlemont, réclame l'intervention de la Chambre pour être réintégré en cette qualité au chemin de fer de l'Etat. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Kruys demande un délai d'un an pour se procurer la tenue de garde civique. »

- Même renvoi.


« Le sieur Geniesse, gendarme pensionné, demande une augmentation de pension. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Looz prient la Chambre d'accorder aux sieurs Claes et Fléchet la concession d'un chemin de fer direct de Hasselt à Liège par Tongres et Ans. »

- Même renvoi.


« La chambre de commerce et des fabriques de Charleroi transmet 23 exemplaires de son rapport annuel pour l'année 1861. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« M. Braconier, obligé de s'absenter pour affaires, demande un congé de quelques jours. »

- Ce congé est accordé.

Projet de loi instituant une caisse d'épargne et de retraite

Discussion générale

M. de Theux. - Messieurs, le projet de loi a pour objet d'établir une très grande centralisation de finances, de créer une très grande banque gérée, pour compte des déposants à la caisse d'épargne et des fonds versés à la caisse de retraite, par des administrateurs nommés par le gouvernement et le gouvernement restant responsable de leur gestion.

Cet argument a été signalé avec beaucoup d'énergie par l'honorable M. de Naeyer.

Il a été combattu par M. le ministre des finances, se fondant sur l'exemple d'autres pays. Mais, pour invoquer l'exemple de ces pays, il a fallu dénaturer le caractère de l'intervention de ces Etats dans les caisses d'épargne, en la comparant à l'intervention qui nous est proposée.

En effet, dans certains pays qu'on nous a cités, les caisses d'épargne peuvent être fondées quelquefois par les communes, quelquefois par les provinces ou par les cantons. Dans d'autres pays, le gouvernement peut accorder un subside. Dans tout cela, il n'y a rien qui puisse compromettre la situation financière d'un Etat ; si des accidents particuliers se produisent, ce sont des événements locaux qui n'influent en aucune manière sur le crédit de l'Etat et qui ne peuvent jamais embarrasser ses finances. Ici, il en est tout autrement : si une véritable crise, de longue durée et d'un caractère général, venait à affecter l'établissement qu'il s'agit de créer, il est évident que l'Etat se trouverait dans le plus grand embarras.

Qu'on ne dise pas qu'en tout état de cause l'Etat doit toujours garantir la caisse d'épargne. On a cité les exemples de 1838 et de 1848 ; mais il est à remarquer que les caisses d'épargne alors existantes n'avaient pas cette grande extension qu'on veut leur donner aujourd'hui, et que, quand le gouvernement assure sa garantie dans un moment de crise, il doit cette garantie dans les limites que comporte la situation du trésor. Il y apporte alors tel tempérament qu'il trouve convenable. Il n'est pas engagé de par la loi à satisfaire à toutes les exigences de ceux qui réclament le remboursement immédiat de leurs fonds. La différence est donc énorme.

D'autre part, il est à remarquer que quand des établissements particuliers, des banques tiennent à créer des causes d'épargne, elles sont elles-mêmes le garant de l'établissement, et ce n'est qu'éventuellement et dans la limite qui lui convient que je gouvernement vient leur prêter son aide.

La situation est toute différente ; dans ce cas, je trouve même que la situation des déposants est meilleure ; car ils ont un recours contre l'établissement financier qui a créé la caisse ; et si le gouvernement veut accorder sa garantie, ils ont un recours de plus ; leur position est donc meilleure. Quoique l'indépendance de notre pays soit garantie par les grandes puissances, il peut arriver que la neutralité soit violée, le pays envahi ; dans ce cas la caisse d'épargne fondée par le gouvernement continuerait-elle à fonctionner comme celles créées par les établissements financiers ?

Il est à craindre que la première pensée de l'ennemi soit de faire main basse sur la caisse de l'Etat. On aurait beau objecter que ce sont des fonds déposés par des particuliers, l'ennemi n'y regarde pas de si près. On dira : L'Etat est garant du dépôt, prenons toujours les fonds, laissons plus tard le gouvernement acquitter sa dette de garantie.

Le gouvernement se trouverait pendant plusieurs années dans l'impossibilité de faire droit aux réclamations des déposants et plus tard il se trouverait grevé, dans tous les cas, d'une dette énorme.

Nous avons déjà centralisé beaucoup de choses : d'abord les chemins de fer ; au début on n'avait voulu centraliser dans les mains du gouvernement que le chemin de fer international, mais cette ligne, étendue peu à peu, est devenue un vaste réseau ; le gouvernement ayant commencé, ne peut plus s'en dessaisir : cette exploitation va toujours s'étendant, on avait même prétendu que le gouvernement ne devait pas accorder de concession, qu'il devait tout faire, tout exploiter par lui-même.

Mais débordé par les réclamations des localités, il a fallu admettre les concessions et se débarrasser d'une partie du fardeau que l'Etat aurait assumé si l'on avait fait tous les chemins de fer du pays aux frais du trésor.

Un principe posé ne l'est pas en vain.

Depuis lors, nous avons vu une deuxième intervention de l'Etat qui est considérable. C'est la création du fonds communal ; l'Etat s'est chargé de fournir 12 à 14 millions, je crois même que c'est 15 millions aux communes en remboursement des octrois.

Ces 15 millions le gouvernement devra les fournir dans quelque situation que ce soit. Les impôts indirects peuvent ne pas fournir ce qu'on en attend, n'importe, l'Etat doit payer aux communes, c'est un droit acquis, il ne peut laisser leur service en souffrance. Il a fait un cadeau aux administrations communales, surtout des petites communes, en facilitant les moyens de faire des dépenses, mais en même temps, il a surtaxé les communes rurales, surtaxe qui dépasse les ressources qu'elles retirent du fonds communal.

Je constate qu'il en résulte de grandes charges pour le trésor, une dette réelle ; je constate que le gouvernement a épuisé pour l'avenir une grande source de revenu. Dans un moment de détresse du trésor, le gouvernement aurait pu prendre à son profit la mesure qu'il vient de prendre au profit du fonds communal.

C'était une réserve pour les cas de crise où aurait pu se trouver le trésor.

Le gouvernement a décrété les grandes fortifications d'Anvers, on nous assure que la dépense ne dépassera que de quelques millions les évaluations.

Messieurs, je ne suis pas du tout rassuré sur ce fait. Mais cela fût-il, est-ce tout ? Croyez-vous que quand les fortifications d'Anvers seront exécutées, vous n'aurez pas un accroissement de dépenses militaires ? Mais certainement. Vous devrez augmenter le corps du génie, le corps de l'artillerie ; vous devrez avoir la place d'Anvers en état permanent de très grand approvisionnement, pour faire face à un siège de longue durée.

Vous aurez donc des augmentations de dépenses, à mon avis, certaines dans l'avenir et dans un avenir prochain. C'est une question qui sera discutée en temps et lieu ; mais je crois qu'il est permis de communiquer ses prévisions à cet égard et je doute fort qu'elles soient détrompées à l'avantage du trésor.

Si, par malheur, le pays était envahi pour un temps plus ou moins long, la prospérité dont nous jouissons aujourd'hui et que je me fais honneur d'avoir prévue à l'époque même du Congrès pour rassurer tous ceux qui croyaient que la Belgique était perdue par suite de la séparation d'avec la Hollande, cette grande prospérité éprouverait évidemment un véritable échec. D'autre part, les ressources financières de l'Etat seraient tellement épuisées, qu'il faudrait de longues années pour les rétablir sur un pied convenable.

(page 1534) Convient-il, dans cette situation, d'exposer encore l'Etat si grandement du chef des caisses d'épargne et de retraite ? Je ne le crois pas. Car s'il en résultait seulement une aggravation d'une dette de 100 ou de 200 millions à ajouter à toutes les dettes qui seraient la conséquence infaillible de l'occupation, même temporaire, du pays, la situation du trésor serait telle, qu'on devrait recourir aux moyens les plus extrêmes pour faire face aux besoins du service général.

Et à quels moyens aurait-on recours ? Les impôts indirects sont épuisés. Je crois qu'ils sont élevés au plus haut degré. Quant aux impôts directs, je ne vois pas non plus quel impôt on pourrait encore inventer.

Il est vrai que M. le ministre des finances nous a annoncé hier que le gouvernement pourrait, au profit de l'Etat, exercer encore tel ou tel monopole qu'il n'a pas nommé. Je présume qu'il est dans sa pensée de prendre le monopole du tabac, par exemple, la régie. C'est une chose qui a été discutée, mais qui, dans la pratique, a présenté de grands inconvénients et le projet a été rejeté.

On a aussi médité le projet du monopole des assurances, mais on a prévu qu'il n'en résulterait pas de ressource financière véritable, à moins d'en faire non seulement une sécurité pour les assurés, mais une source de revenu, un impôt véritable.

Voilà deux monopoles qui, convertis en impôts, pourraient encore rapporter, mais qui, je pense, déplairaient beaucoup au pays. Resterait l'impôt sur le revenu.

Eh bien, cet impôt assurément déplairait énormément et je ne crois pas que le gouvernement pourrait conclure, des élections qui accompagneraient ce nouveau régime en Belgique, que l'impôt est populaire. Ce serait revenir aux impôts les plus rétrogrades. C'est ce que l'on peut considérer comme la dîme personnelle.

Elle existe en Angleterre, dans ce pays de progrès ; mais nous, nous avions fait un autre progrès du temps de nos ancêtres ; nous avions aboli la dîme personnelle, parce qu'elle était si difficile à prélever.

Je ne crois donc pas qu'on puisse sérieusement compter sur la ressource de l'impôt sur le revenu.

Il en résulte, messieurs, que nous pouvons, par suite de toutes nos entreprises, par notre système de centralisation, arriver à faire au pays une situation financière détestable.

Notez que les revenus du chemin de fer, qui sont bons aujourd'hui, et qui constituent une des grandes ressources du budget, pourraient s'en aller, avec des circonstances très difficiles et, au contraire, le chemin de fer de l'Etat pourrait créer une nouvelle dette par suite de la destruction de son matériel.

Ainsi, messieurs, nos revenus sont assis sur une base assez incertaine ; nos impôts indirects peuvent, à une époque donnée produire beaucoup moins.

Dans cette situation, je me demande s'il est prudent d'entreprendre cette caisse d'épargne qui, de la manière dont elle est présentée dans le projet de loi, n'existe nulle part.

Il est vrai que M. le ministre des finances a dit que le gouvernement ne cherchait pas à centraliser la caisse d'épargne, qu'il tâcherait de s'entendre avec les institutions locales. Mais, d'abord l'article 38 du projet de loi indique une pensée qui n'est guère en harmonie avec l'assertion de l'honorable ministre :

« La caisse peut, avec l'approbation du ministre des finances, faire des conventions avec les caisses d'épargne existantes pour la reprise de leur actif et passif, en tout ou en partie. »

Il est vrai que l'article 2 vient appuyer l'assertion de M. le ministre des finances. On y prévoit des caisses d'épargne établies avec le concours des personnes bienfaisantes, des communes ou des établissements publics ; mais cela ne paraît pas très sérieux.

Je crois même que les motifs louables qui ont conduit à créer aujourd'hui certaines institutions de ce genre n'auraient guère de raison d'être, en présence d'une loi qui crée une caisse d'épargne générale à charge du trésor. Du moment que le gouvernement accorde son concours, accorde sa garantie, pour quel motif les localités se constitueraient-elles en dépenses, s'attireraient-elles des embarras ? Cela n'est guère probable, ce seront là des exceptions très maigres.

Dans tous les cas, M. le ministre des finances a annoncé que le gouvernement garantirait les remboursements à toutes ces caisses auxiliaires, et cela doit être, car sans cela il n'accorderait pas un système uniforme au pays.

Messieurs, je pose ce dilemme : ou la caisse sera généralisée, étendue à toutes les communes ou il le faudra pour favoriser nos populations rurales comme se trouvent aujourd'hui favorisés les grands centres d'industrie et de commerce ; ou bien l'action du gouvernement ne s'étendra qu'aux grandes communes.

Si l'action du gouvernement ne s'étend qu'aux grandes communes, encore une fois c'est un privilège pour les grandes localités, dont les petites supporteront les charges éventuelles. Si, au contraire le gouvernement étend l'institution à tout le royaume, s'il fait des efforts sérieux pour que toutes les communes rurales puissent en profiter ; eh bien, je dis que c'est une machine financière immense, immense dans ses embarras, immense dans ses charges.

J'aurais préféré que le gouvernement nous eût proposé les moyens d'étendre ce qui se trouve déjà créé en dehors de son intervention et de sa direction.

Je pense que si on avait confié l'étude de cette question à des hommes éclairés et qui s'occupent particulièrement de ces matières, on aurait pu arriver à des résultats assez satisfaisants.

Indépendamment des caisses d'épargne qui existent déjà dans la plupart de nos villes, il y a d'autres institutions qui ont le même but et qui ne sont pas de nature à entraîner des conséquences onéreuses pour le trésor public.

Je citerai, par exemple, les caisses de prévoyance pour les ouvriers mineurs ; il est vrai que le gouvernement accorde quelques subventions à ces caisses, mais sans que sa responsabilité puisse jamais être engagée, sans qu'on puisse jamais faire appel à sa garantie.

Je citerai encore les associations de secours mutuels, formées dans un grand nombre de villes par la classe ouvrière. Ces associations paraissent fonctionner avec avantage ; on les voit encore se multiplier. Tout cela est récent. Le temps ne manquera pas d'apporter son contingent en cette matière comme en toute autre.

Messieurs, je fais une autre observation sur l'ensemble de la loi.

Dans toute banque les actionnaires et le gouvernement exigent qu'il y ait un fonds de réserve considérable.

Le minimum de ce fonds de réserve est fixé dans les statuts ; et ici le fonds de réserve sera fixé par le ministre et par le conseil général qui est nommé par le ministre.

Dans les sociétés anonymes et autres on prévoit les cas de dissolution. Ici, il n'en est rien. Que le gouvernement n'ait pas voulu prévoir que sa garantie serait insuffisante, cela se comprend ; mais du moins on aurait dû fixer une réserve très considérable, d'autant plus considérable que jamais le gouvernement ne peut bénéficier sur les opérations dont il s'agit ; il s'expose à toutes les pertes, à tous les embarras, sans qu'il doive jamais lui en revenir le moindre bénéfice.

Ici on comprend encore que le gouvernement ne veuille pas spéculer sur les profits qui peuvent résulter des caisses d'épargne ; mais tout au moins si le principe de la loi est adopté, faut-il que la loi détermine un fonds de réserve qui soit le plus considérable possible.

Autre observation. Le gouvernement prévoit que tous les cinq ans il pourra ordonner de partager le bénéfice entre les déposants alors existants. Ce sera un grand avantage pour ceux qui seront alors déposants à la caisse d'épargne ; mais tous ceux qui ont précédé et qui ont créé ce fonds de réserve, en seront exclus.

Dans les sociétés anonymes ordinaires, on fixe le taux le plus élevé de l'intérêt que la société veut donner pour maintenir à flot l'établissement de la caisse d'épargne. Alors tous les déposants sont sur la même ligne ; il n'y a ni premier, ni deuxième, ni troisième.

Ici au contraire il y a avantage pour quelques-uns au détriment de ceux qui les auront précédés et souvent au détriment de quelques malheureux, car souvent ceux qui doivent retirer leurs fonds sont victimes de quelque malheur.

Messieurs, je ne poursuivrai pas plus loin les observations que j'ai faites, mais jusqu'à ce qu'il soit bien démontré qu'il est impossible de recourir à d'autres moyens qui exposent moins l'Etat, et qui en même temps laissent subsister une garantie au moins égale, si pas plus forte, par le concours des établissements particuliers à la fondation des caisses d'épargne parce que dans ce cas, il y a la garantie des fonds de la société -et de plus l'espoir que le gouvernement pourra intervenir, je ne donnerai pas mon approbation à l'article premier de la loi.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je veux répondre aussi brièvement que possible aux observations qui viennent d'être présentées par l'honorable M. de Theux.

Il me paraît s'être fait une idée entièrement fausse de l'institution que nous proposons et des conséquences qu'elle peut avoir pour le trésor public.

L'institution projetée apparaît à l'honorable comte de Theux comme une grande banque créée par l'Etat, dont l'Etat est responsable, et qui diffère du tout au tout de ce qui a été fait en d'autres pays, qui en diffère surtout quant aux obligations qui out été assumées par d'autres gouvernements.

(page 1535) Messieurs, l'institution que nous proposons d'établir, on peut, si on le veut, la qualifier de banque, et même de grande banque. Je ne vois pas trop de raisons pour m'y opposer. Seulement, on peut également, au même titre, appliquer cette qualification aux institutions du même genre qui existent partout ailleurs.

On peut dire qu'en Angleterre, il y a, dans les caisses du trésor public, un milliard provenant des dépôts faits aux caisses d'épargne, l'Etat a une grande banque, au capital d'un milliard formé des épargnes des particuliers.

Si donc on croit trouver un argument dans la qualification de banque petite ou grande, donnée à la caisse d'épargne, je ne sais trop quelle valeur un pareil argument peut avoir.

Messieurs, selon l'honorable M. de Theux, nous voulons faire ici ce qui ne se fait nulle part.

C'est ici l'Etat qui prend la responsabilité, tandis que, partout ailleurs la responsabilité est divisée, éparpillée ; c'est bien l'Etat si l'on veut mais l'Etat seulement en un certain sens ; ce sont les cantons, les provinces, les communes qui donnent leur garantie, mais du moins la centralisation n'existe pas.

Ainsi, messieurs, en Angleterre...

M. de Theux. - En Angleterre c'est bien différent ;on paye en fonds publics.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais c'est justement là qu'est le danger.

M. H. Dumortier. - C'est évident.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous le verrez d'ailleurs quand je répondrai à vos observations sur la manière d'opérer de la caisse.

Ainsi, en Angleterre il y a une centralisation complète. La redevabilité de la caisse envers les déposants s'identifie avec la dette de l'Etat. Si l'Etat se trouvait dans un embarras quelconque, il ne pourrait pas plus satisfaire à ces obligations qu'à sa propre dette. (Interruption.)

Pour le moment je ne fais que rectifier une erreur manifeste dans laquelle est tombé l'honorable membre.

Oui, il y a des pays dans lesquels les communes, les provinces et l'Etat donnent leur garantie.

Mais il est également vrai qu'il y a des pays, comme l'Angleterre, comme la France, où la garantie est directe et complète de la part de l'Etat. J'en pourrais citer d'autres encore ; mais cela suffit, je pense, pour répondre à l'argumentation erronée de l'honorable membre.

On invoque, dit l'honorable membre, pour justifier cette garantie, ce qui est arrivé déjà dans ce pays.

Oui, messieurs, on invoque ce précédent.

Et en effet, l'argument paraît invincible. Quand on veut contester la garantie de l'Etat et qu'on oppose à cette contestation le fait que l'Etat est intervenu plusieurs fois déjà, et qu'on ne peut pas nier qu'en pareilles circonstances il interviendrait encore, cela est assurément décisif pour justifier la garantie formelle que nous proposons d'insérer dans le projet de loi.

Non, dit l'honorable membre ; car, lorsque l'Etat est intervenu, les caisses d'épargne n'avaient pas l'importance qu'aura la caisse que vous proposez d'instituer ; le danger était donc beaucoup moindre.

Messieurs, on a poussé tout à l'heure jusqu'à l'exagération l'importance que cette caisse va acquérir : tout y était versé avec la plus grande facilité, avec la plus grande profusion ; on y accumulait cent millions, deux cent millions. On suppose que tout s'efface, que tout disparaît, que tout s'évanouit devant cette caisse, que tout ce qui existe aujourd'hui va se centraliser dans le nouvel établissement qu'il s'agit de créer.

Je pourrais contester complètement cette hypothèse,

Il y a un très grand intérêt attaché à la constitution des caisses d'épargne dans certains cas, par exemple, lorsqu'on les établit comme annexes de certains établissements financiers, et les établissements de ce genre qui ont aujourd'hui des caisses d'épargne, ne renonceront pas, selon toute vraisemblance, à leurs caisses. La preuve qu'ils ne sont point disposés à y renoncer, c'est que, en présence même du projet de loi, ainsi que je l'ai dit déjà, d'autres établissements se proposent d'en créer.

Mais supposons que l'assertion soit exacte : n'est-il pas vrai que l'Etat a dû intervenir en faveur des caisses d'épargnes dont les engagements n'étaient guère beaucoup moins considérables que ceux que vous prévoyez pour la nouvelle caisse à établir ?

Mais en 1848 la caisse d'épargne de la société générale s'élevait, si je ne me trompe, à une cinquantaine de millions, à elle seule,

M. de Theux. - Quarante millions ; mais enfin soit !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Elle a été jusqu'à 61 millions à une certaine époque. Je ne saurais préciser au juste le chiffre des dépôts lors de la catastrophe de 1848, mais il n'était à coup sûr pas de beaucoup inférieur à 50 millions.

M. Tack. - Il était de 46 millions.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il existait en outre la caisse d'épargne de la banque liégeoise, en faveur de laquelle l'Etat est intervenu indirectement par un prêt d'un million. Il y avait enfin la caisse d'épargne de la Banque de Belgique, et celles d'autres localités. Ainsi, l'intervention de l'Etat pouvait avoir une proportion tout aussi grande que celle que l'on suppose devoir exister pour l'institution nouvelle.

Mais, dit-on, s'il survient une grande crise vous vous trouverez dans une situation extrêmement embarrassée ; vous aurez à faire face à toutes les obligations résultant des dépôts effectuées à la caisse d'épargne.

L'honorable préopinant, dans son argumentation, suppose toujours qu'il n'y aura rien dans la caisse d'épargne, que cette caisse sera absolument vide, qu'elle n'aura aucun moyen, par elle-même, de faire face à ses engagements.

L'objection serait fondée, comme je le disais tout à l'heure lorsque l'honorable membre m'interrompait, si les fonds de la caisse d'épargne étaient totalement convertis en fonds publics. Dans cette hypothèse, la garantie de l'Etat ne serait, en réalité, que purement nominale ; on pourrait même se dispenser de la stipuler, puisqu'elle résulterait implicitement de ce que les fonds de la caisse d'épargne seraient convertis en obligations de la dette nationale.

C'est là précisément le danger que présentent les caisses d'épargne de la France et de l'Angleterre. Mais dans l'institution que nous vous proposons de créer, les placements ne seront pas exclusivement convertis en fonds publics.

Une grande partie des capitaux seront convertis en valeurs qui se trouvent sur le marché général, et qui sont d'une réalisation prompte et facile. (Interruption.)

M. de Naeyer. - Les placements définitifs ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Non, certainement, pas les placements définitifs, mais les placements provisoires. Vous supposez qu'une caisse d'épargne ayant, par exemple, pour cent millions de dépôts, sera obligée de rembourser immédiatement jusqu'au dernier sou. Mais, messieurs, une pareille assertion est insoutenable, elle ne peut être sérieuse. Ne nous écartons pas de ce qui est raisonnable. Dans le maximum de la crise, si intense, si grave qu'on veuille la supposer, on ne réclamera évidemment qu'une partie des fonds versés ; et il y a, d'ailleurs, des délais stipulés pour les retraits ; ces délais peuvent aller jusqu'à six mois ; à l'aide des valeurs immédiatement réalisables qu'elle aura toujours dans son portefeuille, la caisse pourra faire face à ses propres engagements.

Que signifie donc, en définitive, la garantie de l'Etat ? Elle signifie que, pour le cas improbable, mais possible si vous le voulez, où la réalisation des valeurs occasionnerait une perte, l'Etat sera tenu de suppléer à cette différence, qui, dans toutes les hypothèses, même les plus défavorables, ne pourra jamais être très considérable.

La garantie signifie encore que l'Etat, s'étant ainsi engagé d'avance pourra parfaitement faire un prêt à la caisse d'épargne pour la dispenser de réaliser ses valeurs en perte ; de cette façon, l'Etat interviendra sans qu'il lui en coûte un denier, et il sauvera la caisse d'épargne. Voilà précisément le mérite de la combinaison que j'ai l'honneur de soumettre à la Chambre,

Mais s'il arrive une invasion ; si le pays est envahi, et si l'ennemi qui envahit le territoire fait main basse sur les fonds du trésor !

Ah ! oui, dans cette hypothèse, l'Etat pourra se trouver dans l'impossibilité de tenir son engagement. Mais il y aura bien d'autres calamités, si ce cas se présente.

Cependant, messieurs, dans cette hypothèse même, la caisse pourra fonctionner ; la caisse pourra faire face à ses engagements ; la caisse existera comme établissement particulier ; et, sauf les pertes qui peuvent résulter de la réalisation des valeurs, la caisse remplira ses obligations,.

Cependant, voulez-vous pousser jusqu'au bout cette hypothèse d'une invasion ? Voulez-vous l'exagérer jusqu'à dire : « Mais si l'envahisseur fait main basse sur la caisse d'épargne, s'il s'empare des valeurs qui s'y trouve déposées ! Qu'arrivera-t-il ? » Je l'avoue, .messieurs, dan» ce cas, les valeurs de la caisse seront emportées par l'ennemi envahisseur, comme il pourra fort bien enlever les biens de l'honorable M. de Theux lui-même, si la fantaisie lui en prend. (Interruption.)

Mais, encore une fois, messieurs, nous devons supposer ce qui est raisonnable, ce qui est vraisemblable ; nous devons supposer des choses sensées, nous devons supposer qu'à l'époque où nous vivons, au point où en est arrivée la civilisation, l'ennemi, même envahissant le pays, n'ira (page 1536) pas, comme premier acte, s'emparer des valeurs des caisses d'épargne, s'approprier le pécule de la classe laborieuse, voler le dépôt sacré de l'épargne de l'ouvrier ! Un ennemi, quel qu'il soit, qui commettrait une pareille action, serait certainement mis au ban de l'humanité ; ce serait l'action la plus honteuse qu'on pût commettre.

Mais cet acte invraisemblable, impossible, peut-il être une raison de ne pas faire une chose utile, et peut-on faire entrer une telle hypothèse en ligne de compte dans l'appréciation de l'institution que nous proposons.

Mais enfin, la grande objection c'est que nous voulons tout centraliser. Nous avons centralisé les chemins de fer dans la main de l'Etat ! Pas précisément ; mais enfin, quel grand malheur y a-t-il à cela ? Nous avons fait une expérience qui, sans doute, a parfaitement réussi. Le succès en a été jadis fort contesté par d'honorables membres de cette assemblée, et il n'a pas dépendu d'eux qu'elle ne se fît pas. Sans la résistance énergique et convaincue qu'ils ont rencontrée, ils seraient vraisemblablement parvenus à faire passer les chemins de fer des mains de l'Etat dans celles de quelque bonne compagnie, qui aurait parfaitement traité le pays.

Mais aujourd'hui, nous avons obtenu des résultats qui condamnent les sinistres prédictions qu'on a si souvent reproduites, et qui confirment toutes les prévisions que nous n'avons cessé d'exprimer.

En définitive, l'Etat éprouve ce malheur d'avoir placé de l'argent à 7 1/2 p. c ; nous avons le malheur d'avoir enrichi le pays, d'avoir fait une très bonne affaire pour le trésor.

M. de Theux. - J'ai dit que dans certaines circonstances cela pourrait être une cause de très grands embarras.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Toujours, sans doute, avec l'invasion, quand les biens des particuliers, la fortune privée, le bien des pauvres seront saisis ! Vous pouvez faire toutes ces hypothèses ; mais parce qu'un cataclysme est possible, faut-il donc en conclure qu'il y a lieu de s'abstenir absolument de faire, pour un temps normal, ordinaire, des choses bonnes en elles-mêmes et utiles à la société ?

L'Etat a fait une deuxième centralisation bien funeste, dont le pays se plaint vivement, contre laquelle il réclame, et que, je l'espère bien, on parviendra à faire disparaître.

Un jour, sans doute, on rétablira les octrois. Nous attendons que nos adversaires soient au pouvoir pour assister à la réalisation de ce beau programme.

M. de Naeyer. - Le système de remboursement qui est mauvais pour les communes rurales.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous attendrons vos projets. Dans ce programme, parmi les propositions qui seront formulées, nous verrons celles qui pourront être admises, et j'applaudirai de tout cœur à ce qu'on pourra faire de mieux. D'ailleurs, vous aurez dans peu de temps une magnifique occasion d'exposer votre système : la loi doit être prochainement révisée, et nous pourrons examiner alors les propositions que vous croirez devoir présenter. En attendant, je ne vois pas qu'on se plaigne beaucoup de la situation actuelle.

Comme corollaire de l'abolition des octrois, il y a la création du fonds communal.

Voilà ce qui frappe l'honorable comte de Theux : l'Etat a contracté une obligation, il est obligé de servir aux communes une somme annuelle et fixe de 15 millions, et un tel engagement lui inspire les craintes les plus vives. Dans quels embarras, s'écrie-t-il, n'allez-vous pas vous trouver, si une invasion étrangère a lieu ! Vous êtes obligé, dans toute hypothèse, à payer ces 15 millions que vous avez garantis aux communes !

L'honorable membre peut rayer cet argument de son thème : l'Etat n'a rien garanti de semblable ; il a garanti, mais pendant trois ans seulement, un minimum de 15,000,000 ; ce délai de trois années une fois expiré, les communes recevront ce que le fonds produira, rien de plus, rien de moins. Les communes, néanmoins, n'auront pas une position plus défavorable que celle qu'elles auraient eue avec leurs octrois, dans la chimérique hypothèse d'une invasion ; car si, par impossible, cette catastrophe se produisait, croit-on que l'octroi lui-même donnerait encore de bien grandes ressources aux communes ? Et d'ailleurs, pourquoi ne dirais-je pas que l'ennemie supprimerait les octrois ?

Messieurs, toutes ces hypothèses sont trop invraisemblables pour être de quelque valeur.

Mais nous nous sommes encore engagés bien davantage ; nous avons fait les fortifications d'Anvers ; nous nous sommes engagés dans de grandes dépenses pour la défense nationale ; celles-là aussi sont le prétexte d'un bizarre argument contre les caisses d'épargne.

En effet, messieurs, nous avons encore décrété de grandes dépenses. Seulement les fonds sont encaisse pour les payer, et il est sans doute impossible de trouver là un danger bien sérieux pour les caisses d'épargne.

Bien, dit l'honorable membre ; mais vous n'en serez pas quittes avec l'argent voté ; vous devrez faire de nouvelles dépenses, soit pour achever les fortifications, soit pour augmenter l'arme du génie et celle de l'artillerie, soit pour d'autres services encore. Nous contestons de telles assertions.

Mais du moment qu'il objecte l'hypothèse des dépenses qu'on peut avoir à faire dans l'avenir, l'honorable préopinant peut dire sans doute, d'une manière générale, que nous aurons encore à faire beaucoup d'autres dépenses que celles qu'il a énumérées ; si l'honorable membre argumente dans cet ordre d'idées, il arrivera très facilement à faire, pour un avenir plus ou moins éloigné, un programme présentant bien des millions à consacrer à des dépenses que l'Etat devra effectuer pour les grands services publics. Mais c'est vraiment trop de prévoyance.

Tenons-nous donc dans les choses raisonnables, dans les choses sérieuses...

M. de Theux. - J'ai parlé de choses raisonnables et sérieuses.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Eh bien, que l'honorable membre me permette de le lui dire, ces objections ne sont pas dignes de lui ; il faut que ses raisons d'opposition au projet soient bien faibles, pour qu'il ait été obligé de présenter comme un argument cette circonstance que l'Etat pourrait être hypothétiquement engagé dans de nouvelles dépenses.

Nous aurons en outre, dit-il, en cas de crise, à faire face à tous les engagements que je viens d'énumérer et aux 100 ou 200 millions de la caisse d'épargne.

Ici je ne puis que répéter ce qui ne peut être trop répété ; l'honorable membre est dans l'erreur la plus complète. Si mauvaises, si déplorables que l'on puisse supposer les circonstances éventuelles dans lesquelles se trouverait le pays, il ne peut jamais y avoir pour l'Etat autre chose à payer du chef de la garantie donnée à la caisse d'épargne, qu'une différence entre la somme que produirait la réalisation des valeurs en caisse, et les sommes qu'il y aurait à rembourser aux déposants. En supposant que la somme totale déposée à la caisse d'épargne soit de 100 ou de 2i0 millions, il faut imaginer une catastrophe bien considérable pour présumer une perte qui puisse sérieusement préoccuper le pays.

L'honorable M. de Theux ne dira pas, sans doute, que, s'il y avait une perte, bien improbable d'ailleurs, impossible même, de 15 à 20 millions, le pays serait ruiné, serait dans une situation désastreuse, désespérée ; cela est impossible, absolument impossible !

Il n'y a pas de raison pour supposer que les caisses d'épargne gérées dans les conditions que nous proposons puissent moins payer que les caisses particulières que le gouvernement a jadis garanties. Elles ont réalisé leurs valeurs et les pertes que l'on redoutait, qui étaient possibles, ne se sont pas produites.

Après avoir dit que nous étions menacés de ces dangers financiers, l'honorable membre a ajouté que j'avais prévu qu'il y aurait moyen de créer des ressources, et que ces ressources pourraient se trouver dans certains monopoles dont l'Etat s'emparerait.

Messieurs ; il n'y a aucune nécessité de créer des ressources. J'ai eu l'honneur de le dire déjà, la situation du trésor est tout à fait satisfaisante. Nous avons contracté de grands engagements pour plusieurs années encore ; mais nous sommes en mesure d'y faire face complètement. Pour le dire d'un mot, nous nous sommes engagés par les lois de 1859 et de 1861 pour plus de 50 millions, à prélever sur les excédants des ressources à réaliser jusqu'en 1865. Eh bien ! dès à présent, et si je compte l'année 1862 comme acquise complètement, nous avons déjà en caisse, pour solder ces engagements contractés, qui vont jusqu'en 1863, la somme de 46 millions de francs !

Vous voyez donc que nous n'avons pas à nous préoccuper de créer des ressources nouvelles. Nous avons fait face et nous continuerons de faire face à nos engagements, dans les limites des ressources qui sont actuellement acquises au trésor. Je n'ai donc parlé incidemment de monopoles, que pour répondre à l'honorable M. de Naeyer, et non pour faire prévoir le monopole des tabacs, ni le monopole des assurances, ni le monopole des sucres, ni aucun autre monopole quelconque. C'est une simple idée théorique que j'ai émise en réponse à certaines objections faites par l’honorable membre, et je ne veux pas m'y arrêter, pas plus qu'à l'impôt sur le revenu, dont l'honorable M. de Theux a parlé, dans cette circonstance, je ne sais trop pourquoi.

L'honorable membre vous a dit encore qu'il était vrai que j'avais contesté la volonté de centraliser toutes les caisses d'épargne, et il a ajouté qu'en effet l'article 2 du projet de loi semblait confirmer mon opinion ; mais qu'il trouvait cependant, dans l'article 38 du projet, la preuve que l'on voulait réellement arriver à cette centralisation.

(page 1537) Messieurs, en cherchant à organiser la caisse d'épargne, il a fallu se préoccuper d'une hypothèse. Une caisse d'épargne existe ; elle ne veut pas continuer ses opérations. Que doit faire la caisse nouvelle ? Elle peut laisser cette caisse se dissoudre, se liquider, sauf aux déposants à revenir à la caisse nouvelle s'ils le trouvent bon.

Mais l'on peut faire quelque chose qui soit à la fois favorable aux déposants et favorable à l'institution qui se prépare à cesser. On peut transférer à la caisse nouvelle toutes les obligations de la caisse ancienne, et il est dit pour cette hypothèse, c'est là l'objet de l'article 38, que l'administration pourra se faire attribuer des valeurs d'autres catégories que celles qui sont désignées aux articles 28 et 29. C'est là l'exception qu'on a voulu prévoir.

D'après les articles 28 et 29, la caisse ne peut placer son actif que de la manière suivante :

Escompte de traites belges ou étrangères ;

Avances sur traites de commerce, bons de monnaies ou d'affinage du pays ou de l'étranger ;

Avances sur marchandises, warrants ou connaissements ;

Avances sur fond publics belges ou des Etats étrangers, des communes ou des provinces, actions ou obligations de sociétés belges.

Fonds publics belges ou autres valeurs garanties par l'Etat ;

Obligations sur les provinces, les villes ou les communes de la Belgique ;

Cédules ou prêts hypothécaires ;

Obligations de sociétés belges qui sont dans certaines conditions déterminées dans le projet.

Il pourrait se faire que les caisses existantes n'eussent pas à offrir les catégories de valeurs qui sont spécifiées dans les articles 28 et 29. L'article 38 n'a pas d'autre objet que de permettre de prendre d'autres valeurs de nature à donner une garantie suffisante.

Selon l'honorable M. de Theux, il y aura cependant un motif pour ne pas arriver à l'institution de caisses d'épargne dans toutes les localités, avec l'intervention des communes ou des établissements publics, comme le suppose l'article 2. Pourquoi, en effet, dit-il, se gênerait-on ? Puisque la caisse centrale organisée par l'Etat existera, pourquoi irait-on en créer ailleurs ?

Messieurs, c'est précisément pourquoi la caisse d'épargne n'est pas obligée de créer des succursales ailleurs, si ce n'est lorsque les communes, lorsque des établissements publics ou des personnes charitables veulent l'aider dans son œuvre.

C'est pour cela que l'obligation n'existe pas quand même, d'une manière absolue. La caisse dira à ces localités : Voulez-vous m'aider ? Aujourd'hui vous n'agissez pas. Pourquoi n'agissez-vous pas ? Parce que la responsabilité de la gestion d'une caisse d'épargne est trop lourde ; parce que vous n'avez pas des moyens de placement suffisants, et parce que, vous, communes, vous pouvez, à un moment donné, être sous le coup du retrait des dépôts et dans l'impossibilité de faire face à vos obligations.

Car il n'y a pas une commune en Belgique qui ne soit désireuse de voir établir des caisses d'épargne, et qui ne veuille contribuer à l'établissement de ces caisses.

C'est l'impossibilité de créer, seules, ces institutions, qui les arrête. Or, du jour où la nouvelle caisse fonctionnera, ce motif disparaîtra pour les communes.

Elles pourront très facilement créer des caisses d'épargne sans engager leur responsabilité, et elles créeront ces caisses avec une pleine sécurité, en diminuant considérablement les charges de l'institution.

Toute commune pourra alors établir une caisse ; elle fera faire la recette ; elle délivrera les livrets ; elle a un personnel qui lui permet de faire ces opérations sans avoir besoin de créer une administration spéciale, et par conséquent avec des dépenses infiniment restreintes. Elle transférera les dépôts à la caisse d'épargne principale, qui lui donnera les moyens de faire faire face à tous ses engagements ; de cette façon, les communes ou les établissements publics, ou même les personnes charitables, se trouvent associées sans grand risque, à l'œuvre de bienfaisance qu'il s'agit de réaliser.

Elles se trouveront donc ainsi intéressées à propager les caisses d'épargne, sans qu'il y ait de risques autres que ceux de la responsabilité de leurs propres actes, de leur intervention directe dans l'administration de la caisse locale.

L'honorable membre nous a enfin posé ce dilemme : Il y aura des caisses dans toutes les communes, ou il n'y en aura que dans quelques communes. S'il n'y on a que dans quelques communes, c'est un privilège. S'il y en a dans toutes les communes, c'est alors une machine financière extrêmement considérable, extrêmement vaste et compliquée, et qui sera fort difficile à gérer.

Messieurs, je crois que le but est précisément qu'il n'y ait pas de privilège ; le but que l'on se propose est de donner à l'institution le plus d'extension possible ; c'est de faire que les classes agricoles profitent de l'institution des caisses d'épargne, aussi bien que les populations urbaines. Mais la machine ne sera ni si vaste, ni si difficile à administrer dans notre petit pays qu'on paraît le craindre. L'Angleterre trouve bien à centraliser un milliard prélevé dans toutes les parties de cet empire, et à gérer cette caisse sans qu'il en résulte de trop grandes complications ni de trop grandes difficultés.

Eh bien, messieurs, grâce à notre organisation administrative et financière, qui est sous certains rapports meilleure que celle de l'Angleterre, qui s'étend partout, nous avons des moyens simples et économiques de gérer une pareille administration, de tenir parfaitement une pareille comptabilité. Avec l'intervention des autorités communales, de quelques personnes même animées de bonnes intentions, en supposant que l'administration centrale n'intervienne pas, avec l'aide de quelques personnes dévouées dans les localités, il sera facile d'assurer le contrôle des versements, et c'est là justement que gît une grande difficulté de ces sortes d'opérations, car il faut arriver au contrôle, et au contrôle de sommes extrêmement minimes.

Ce contrôle n'existerait pas si, sur le simple versement dans une caisse publique, un livret se trouvait délivré.

Nous n'avons donc pas les immenses difficultés que prévoit l'honorable préopinant.

L'honorable comte de Theux a prétendu encore que l'on aurait pu proposer quelque chose de moins vaste, de moins compliqué que l'institution projetée ; si l'on avait consulté quelques hommes spéciaux, on aurait pu généraliser ce qui existe, et le résultat eût été meilleur.

Messieurs, je soupçonne que l'honorable membre, pendant qu'il était au pouvoir, lorsqu'il défendait l'article 92 de la loi communale, recommandant la création de caisses d'épargne dans les diverses localités, n'a pas négligé de faire ce qu'il conseille aujourd'hui, et je pense qu'il a eu lui-même l'occasion de consulter des hommes compétents sur la question des caisses d'épargne. Il y a eu beaucoup de ces hommes dans le gouvernement. On a aussi réuni très souvent de nombreuses commissions, qui se sont livrées à de grandes recherches, qui ont élaboré bien des projets. Il y a de quoi remplir tout un waggon de projets. Mais ces projets n'ont pas abouti. J'ai repris l'œuvre et j'ai soumis la proposition qui est actuellement en discussion.

A la vérité, elle s'écarte un peu des sentiers battus. J'aurais pu agir beaucoup plus simplement, je l'ai déjà dit, copier la loi du voisin, et vous la présenter. Est-ce là ce qu'eût voulu l'honorable comte de Theux ?

Il n'est d'ailleurs pas besoin de méditer longtemps. Si le système proposé ne lui convient pas, il peut présenter, par amendement, le système français.

Ce sera très simple ; mais nous aurons au bout tous les embarras qui sont la conséquence de cette organisation, non seulement les embarras, mais les vices ; non seulement les embarras et les vices, mais les charges qui en sont résultées à diverses époques pour le trésor.

C'est précisément dans le but d'éviter ces embarras, ces vices et ces charges éventuelles, que la loi actuelle est proposée dans les termes formulés au projet.

Mais, à tout prendre, dit l'honorable membre, il est assez inutile de présenter un semblable projet ; il existe des caisses d'épargne dans toutes les villes, et il n'y a pas lieu de tant s'en préoccuper ; le progrès aidant, elles se développeront et s'étendront partout.

Messieurs, je suis étonné que l'honorable membre, après avoir lu l'exposé des motifs, fasse une objection de l'existence de caisses dans toutes les villes ou dans la plupart des villes de la Belgique.

L'exposé des motifs prouve, en effet, qu'il n'en existe pour ainsi dire pas ; cela est énoncé à la page 7 de l'exposé des motifs, et j'ai donné le tableau des caisses qui existent. Il y a d'abord la caisse de la société générale, qui, assurément, n'existe pas dans toutes les villes ; il y a la caisse de la Banque Liégeoise, celle de la Vieille-Montagne, celle de la Banque de Seraing. Des caisses communales ont en outre été établies à Bruxelles, Louvain, Nivelles, Malines, Mons, Tournai et Ostende. Comme vous le voyez, elles ne sont pas nombreuses, il y en a sept.

M. H. Dumortier, rapporteur. - La population agricole est complètement exclue.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Comme le fait remarquer l'honorable rapporteur, la population agricole ne peut que difficilement se servir de l'institution.

Voilà ce qu'on a fait depuis 30 ans ; voilà ce qu'on a pu faire, malgré toutes les recommandations du gouvernement, malgré l'article 92 de la loi communale.

(page 1538) Et l'on dit sérieusement : Attendez, continuez à attendre ; le progrès donnera successivement les plus grands développements aux caisses existantes.

Ce serait désespérer des améliorations à introduire dans un pays, s'il fallait procéder de la sorte.

Je ne pense pas, messieurs, que l'honorable membre et quelques-uns de ses amis se soient sérieusement pénétrés de l'importance des caisses d'épargne. Qu'ils me permettent de citer quelques mots, surtout aux honorables opposants économistes, quelques mots d'un économiste de la bonne école, M. Rossi :

« C'est là ce que les classes riches et instruites doivent avant tout, au peuple. Au lieu de le corrompre par de honteuses adulations ou de l'avilir par une aumône dédaigneuse et regrettée, nous devons travailler de toutes nos forces à l'éclairer sur ses vrais intérêts, à cultiver ces trésors de bons sens et d'équité naturelle que l'humanité, quoi qu'on en dise, recèle dans son sein. L'ouvrier est un enfant robuste, mais ignare, qui a d'autant plus besoin de direction et de conseils que sa position est plus difficile.

« Entre autres choses, l'ouvrier, le plus souvent, ne sait ni dépenser habilement, ni épargner. Il est facile au riche d'acheter à juste prix, d'épargner avec intelligence, de tirer un bon parti de ses économies. Le pauvre, au contraire, trop souvent paye cher les mauvaises denrées qu'il achète ; il ne fait point d'économies, uniquement parce qu'il ne comprend pas la puissance cumulative des petites épargnes, ou il les perd misérablement par une aveugle confiance et par les séductions perfides du gros intérêt.

« On ne se dit pas assez ce que pourraient être les épargnes du pauvre, et tout le bien qu'il pourrait en retirer, s'il était mieux éclairé dans l'art de bien dépenser, et dans celui, plus difficile encore, de mettre en sûreté et de faire valoir les petits capitaux. Sous ce dernier point de vue, l'institution des caisses d'épargne, si on en excepte les établissements consacrés à l'éducation nationale, laisse derrière elle, à une grande distance, toutes les institutions d'utilité publique. Nous l'avons déjà dit, nous ne craignons pas de le répéter : les salles d'asile et les caisses d'épargne peuvent, à elles seules, changer la face de la société »

M. Tack. - Messieurs, je ne reviendrai pas sur la thèse que j'ai défendue dans nos précédentes séances ; je me bornerai à demander quelques explications sur un point spécial.

Je voudrais obtenir de plus amples renseignements au sujet des relations à établir entre la caisse d'épargne et la Banque Nationale. De quelle nature seront les services réclamés de la Banque Nationale ? De quelle manière interviendra-t-elle dans les opérations de la caisse d'épargne ? Quelles seront les conditions du concours qu'on exigera d'elle ? Il n'est rien décidé à cet égard ou très peu de chose dans le projet de loi. L'article 28 se borne à dire que les placements se feront par les soins et à l'intervention de la Banque Nationale. L'article 39 ajoute que le service de la Banque Nationale sera réglé par le gouvernement, en exécution de l'article 11 de la loi du 5 mai 1850.

L'exposé des motifs est très sobre en détails sur ce point. Le rapport n'en dit guère davantage, et dans le discours que l'honorable ministre des finances a prononcé hier, il s'est renfermé dans des explications extrêmement vagues. Je vais, messieurs, préciser la question.

La caisse d'épargne, ou si l'on veut, l'administration de la caisse d'épargne surveillera-t-elle, par elle-même, par un membre délégué, par son directeur ou par ses agents, les placements qui se feront par l'intermédiaire de la Banque Nationale.

L'administration de la caisse sera-t-elle juge de ses placements ? suivra-t-elle tous les détails de l'escompte ?

Est-ce elle, par ses propres agents, qui dira : J'accepte tel effet de commerce, je repousse tel autre ; j'ouvre un crédit à un tel, je le refuse à tel autre ? Et la Banque ne sera-t-elle ici qu'un faible instrument ; ne fera-t-elle que prêter ses locaux, mettre à la disposition du gouvernement ses employés ?

En un mot, ne sera-t-elle, comme le caissier de l'Etat, qu'un simple commissionnaire ? C'est, je pense, dans ce dernier sens que doit être résolue la question...

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je répondrai à ces questions lors de la discussion des articles.

M. Tack. - Vous me permettrez de les indiquer maintenant : vous pourrez y répondre d'une manière plus pertinente lors de la discussion des articles.

Toute autre intervention de la part de la Banque serait illogique, absurde même ; d'abord parce que la Banque n'est pas responsable ; elle n'a tout au plus qu'une responsabilité morale ; qu'elle ne peut répondre que de la fidélité de ses agents et nullement du succès des opérations dont on pourrait la charger,

Ensuite, et c'est un point qui a été développé hier par l'honorable M. de Naeyer, les intérêts de la Banque sont évidemment opposés à ceux de la caisse d'épargne ; il ne peut s'élever à cet égard aucun doute.

Il est vrai, M. le ministre des finances a paru contester cette affirmation lorsqu'il a dit : « Mais la caisse d'épargne fera d'autres opérations que celles réservées à la Banque. »

Cette réponse n'en est pas une. Un grand nombre d'opérations de la caisse d'épargne se confondent et doivent se confondre avec les opérations de la Banque Nationale, parce que toutes les opérations que fait la Banque Nationale sont les meilleurs placements, les placements le plus facilement réalisables.

D'après le texte de l'article 28, voici quels sont les placements provisoires qui pourront se faire pour le compte de la caisse d'épargne :

1° Escompte de traites belges ou étrangères ;

2° Avances sur traites de commerce, bons de monnaie ou d'affinage du pays ou de l'étranger ;

3° Avances sur marchandises, warrants ou connaissements ;

4° Avances sur fonds publics belges ou des Etats étrangers, des communes ou des provinces, actions ou obligations de sociétés belges.

L'article ajoute :

« Ces placements et la réalisation se font par les soins et à l'intervention de la Banque Nationale, qui en tient des comptes et des portefeuilles distincts et indépendants des siens. »

L'article 28 se résume en ceci : c'est que la caisse d'épargne a le droit de faire, par l'intermédiaire de la Banque, deux catégories de placements ; d'abord, l'escompte proprement dit, ou l'achat et la vente des traites belges ou étrangères ; en second lieu, des avances en compte courant, sauf garantie de la part du débiteur.

De son côté, la Banque Nationale a le droit, aux termes de la loi de 1850, d'escompter des lettres de change ou effets de commerce et de faire des avances en compte courant à court terme, sur fonds publics nationaux ou d'autres valeurs garanties par l'Etat.

De prime abord les attributions semblent les mêmes pour les deux institutions, il n'en est rien.

Et si la caisse d'épargne a le droit de faire tous les placements que peut faire la Banque Nationale, il n'y a cependant pas de réciprocité, la Banque Nationale n'a pas le droit de faire tous les placements autorisés en faveur de la caisse d'épargne.

Quant à l'escompte, la Banque ne peut acheter que des lettres de change, des effets ayant pour objet des opérations commerciales, c'est-à-dire des valeurs pour lesquelles il y a provision mobilière, si je puis m'exprimer ainsi, des valeurs pour lesquelles il y a garantie consistant en marchandises fabriquées ou même livrées.

La caisse d'épargne escompte des traites belges ou étrangères, c'est-à-dire, non seulement des effets qui se rattachent à des opérations commerciales, mais aussi des traites qui ont pour objet des entreprises industrielles, espèce de traites qui se renouvellent périodiquement, qui sont au demeurant des placements à long terme, des avances qui peuvent présenter un danger réel pour une banque d'escompte, qu'elle soit banque d'émission ou non, danger qui naît de ce que ces avances trop facilement obtenues provoquent des spéculations immodérées, hasardeuses, inconsidérées ; au moyen de ces traites, la caisse ne fait autre chose que de commanditer des entreprises industrielles, sans autre garantie que la signature des souscripteurs dont les noms figurent au bas des effets qu'elle escompta.

En dehors de l'escompte, les autres opérations de la Banque Nationale et de la caisse consistent en avances, en compte courant, au commerce et à l'industrie.

Mais ici encore la latitude laissée à la caisse d'épargne est beaucoup plus grande que pour la Banque Nationale. Celle-ci ne peut faire que des avances en compte courant, et à court terme, sur dépôt d'effets publics et nationaux. La caisse fait en outre des avances sur fonds publics étrangers, sur obligations des provinces et des communes, sur actions et obligations de sociétés belges.

Maintenant si la caisse d'épargne abandonne à la Banque Nationale les placements que celle-ci a droit de faire, que restera-t-il pour elle, à quoi se borneront ses opérations qualifiées de placements provisoires ?.

A des placements en fonds communaux ou provinciaux et à une commandite directe ou indirecte en faveur d'entreprises industrielles, sont-ce là des placements provisoires, à courte échéance ? Non ; ce sont, en réalité, des placements à long terme. Que devient, dès lors, la disponibilité des fonds confiés à la caisse ? Quelle sera sa position en temps de. crise, lorsqu'on se trouvera dans le cas de devoir rembourser, en six mois, un capital de 100 millions ?

M. le ministre des finances disait tout à l'heure ; « Survienne une crise, (page 1530) la caisse ne sera pas vide ; elle pourra répondre à ses engagements ; elle pourra réaliser facilement les valeurs de son portefeuille. »

Je fais observer que les valeurs de son portefeuille ne seront pas facilement réalisables, si elles ne consistent pas en effets créés, en vue d'opérations de commerce, mais au contraire, en valeurs partiellement immobilisées.

Son fonds de roulement lui viendra-t-il en aide ? Je réponds qu'il n'en est pas de la caisse d'épargne comme de la Banque Nationale qui doit avoir un encaisse proportionné à l'émission de ses billets ; la caisse d'épargne doit nécessairement placer à peu près tous ses capitaux. Le fonds de roulement sera par conséquent insignifiant.

Evidemment, l'Etat se trouve en présence d'inextricables difficultés. Voulez-vous vous mettre en mesure de les prévenir ? Assurez-vous des placements dont la réalisation puisse être prompte. Faites les opérations que fait la Banque Nationale.

Mais alors il est essentiel que les affaires de la caisse d'épargne soient bien réellement distinctes des affaires de la Banque Nationale, qu'il n'y ait entre les deux établissements aucune confusion.

Vous ne pouvez exiger évidemment que la Banque serve en même temps deux maîtres : ses actionnaires dont elle doit défendre les intérêts, et les participants à la caisse d'épargne représentés par l'Etat.

Ce point doit être réglé. Jusqu'à présent, je le répète, nous n'avons obtenu aucune indication précise quant aux rapports qui seront établis entre les deux établissements.

J'avais pensé que ces rapports devaient être réglés par la législature. Mais l’article 39 porte qu'ils le seront par le gouvernement en exécution de l'article 11 de la loi du 5 mai 1850.

Je ne sais si je me trompe, mais il me semble qu'il aurait fallu plutôt dire :

« Par dérogation à l'article 11 de la loi du 5 mai 1850. » En effet, comment est conçu cet article 11 ?

« S'il est institué une caisse d'épargne, le gouvernement se réserve le droit d'en faire opérer le service par la Banque. Ce service sera distinct et indépendant des affaires de la Banque. Son organisation fera l'objet d'une loi. »

Ces mots : « son organisation fera objet d'une loi » se rapportant au service de la Banque.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Du tout ; il est inutile de discuter, cela est hors de doute.

M. Tack. - Cependant, le texte me paraît clair ; je ne sais ce qui peut résulter des discussions qui ont eu lieu à ce sujet, mais je vois distinctement, en interprètent l'art.icle11 d'après son sens grammatical, que le service de la Banque fera l'objet d'une loi. Si cela n'est pas, il conviendrait au moins que le gouvernement nous fît connaître le projet de règlement qu'il compte proposer à la Banque, car c'est un point capital.

Comme je viens de le démontrer, il s'agit de savoir quel pouvoir on donnera à la Banque Nationale, quelles seront les limites de sa mission. Je pourrais demander les mêmes indications en ce qui concerne la caisse des dépôts et consignations ; placera-t-elle plus ou moins arbitrairement les fonds qui lui seront confiés par la caisse d'épargne ? Ici évidemment le danger est moins grand. La caisse des dépôts et consignations est un établissement de l'Etat, dirigé par des fonctionnaires de l'Etat, agissant dans un intérêt fiscal. Quelques explications sur ces divers points sont nécessaires, les déclarations faites jusqu'à présent par le gouvernement sont insuffisantes.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, j'ai rencontré déjà les objections qui ont été présentées par l'honorable M. Tack ; je répondrai, dans la discussion des articles, aux diverses questions qu'il vient de poser et qui ne me paraissent pas opportunément introduites dans la discussion générale.

Mais je veux dire un mot pour réparer une omission que j'ai commise en répondant à l'honorable M. de Theux.

Je voulais lui dire que je m'étais inspiré de ses idées en préparant le projet de loi qui est soumis à vos délibérations.

A une certaine époque, messieurs, nous avions soumis à la Chambre un projet de loi sur les caisses de retraite. A cette époque, l'honorable M. de Theux combattait l'institution projetée et nous renvoyait aux caisses d'épargne.

Et voici le programme qu'il avait lui-même de ces institutions :

« Je désirerais que l'on pût organiser au nom de l'Etat une caisse générale d'épargne, dans ces conditions, et avec cette facilité de placement et de recette de la part des dépositaires à la caisse. Alors on verrait les caisses d'épargne produire d'incalculables résultats au profit des classes réellement nécessiteuses ; car là une épargne est souvent possible, dans un moment où le travail abonde, tandis que ces classes ne peuvent pas accumuler un capital suffisant pour une rente viagère de 12 francs qui d'ailleurs est déjà bien peu de chose.

« Messieurs, j'applaudirai toujours à toutes les mesures que la loi pourra prendre pour encourager l'épargne ; car, en même temps que l'épargne pourvoit aux besoins, elle est aussi un puissant moyen de moralisation, j'ajouterai de sécurité pour l'Etat ; ce sont là des choses qui n'ont pas besoin d'être démontrées ; mais, pour généraliser l'épargne, c'est surtout par la caisse d'épargne, dont l'accès sera rendu facile par le dépôt qui pourra être fait dans toutes les communes, par le payement des intérêts qui pourra être fait dans chaque commune, qu'on devra agir .C'est là le problème à résoudre dans l'intérêt des ouvriers. »

Vous voyez, messieurs, que le projet de loi vous propose précisément de réaliser les conceptions de l'honorable comte de Theux, en organisant les caisses d'épargne sous la garantie de l'Etat, de telle sorte que, de toutes parts, dans toutes les communes on puisse déposer des fonds dans une caisse d'épargne instituée par l'Etat.

J'ai été aussi loin que le désirait l'honorable membre.

Par l'article 2 j'ai voulu appeler le concours des communes, des établissements publics et des établissements de bienfaisance afin de diminuer la charge qui doit en résulter pour l'administration.

M. de Theux. - Messieurs, il est vrai que j'ai émis ces idées. Je ne puis le contester ; elles sont consignées au Moniteur.

Je ne veux pas non plus contester que le principe est avantageux aux classes ouvrières ; il est inutile de le rappeler, M. le ministre des finances l'a parfaitement exposé. Mais, j'ai fait remarquer à la Chambre que par suite de la grande extension que le gouvernement a donnée à certaines dépenses, un système de fortifications nouvelles, des dépenses militaires permanentes, le système du fonds communal, toutes dépenses qui vont absorber à l'avenir des ressources qui auraient pu être versées au trésor, j'ai dit enfin que vu les tendances générales du gouvernement on risque de créer à un jour donné pour notre pays une situation qui rendrait son existence très difficile.

M. H. Dumortier. - Messieurs, je pense qu’il est inutile de recommencer la discussion pour répondre aux nombreuses questions posées par l'honorable M. Tack.

M. le ministre des finances vient de dire que ses explications sur ce point seront ajournées jusqu'au moment où l'on discutera les articles.

Je ne puis cependant m'empêcher de dire que je suis étonné que l'honorable M. Tack, qui faisait partie de la section centrale, éprouve le besoin de poser tant de questions, tant de demandes d'explications, qu'en vérité le ministère aurait fort à faire pour répondre à toutes les questions, à toutes les objections contenues dans les trois longs discours que mon honorable collègue a déjà prononcés dans cette discussion générale.

On a parfaitement expliqué à la section centrale quels seraient les pouvoirs et les attributions de la Banque Nationale. Cela a été établi de telle sorte qu'on ne pouvait s'y tromper.

On s'attendait d'avance à cette objection. On a dit que la Banque n'avait aucun pouvoir pour disposer de quoi que ce fût quant à l'emploi des fonds de la caisse d'épargne ; qu'elle était un simple agent, un véritable commissionnaire chargé d'exécuter les ordres que lui donnerait le conseil d'administration de la caisse, que jamais elle n'aurait pu faire autre chose et que, pour remplir ces fonctions, elle aurait reçu une très légère rémunération.

Cela a été dit et répété à la section centrale, et je l'ai dit moi-même dans le discours que j’ai prononcé à l'ouverture de cette discussion. Il n'y a donc plus lieu de poser encore la question de savoir si la Banque Nationale sera juge du mode de placement des fonds versés à la caisse d'épargne : la Banque Nationale ne fera qu'exécuter ce qu'on lui dira de faire ; rien de plus ni de moins.

L'honorable membre nous dit : Il faudrait, dans tous les cas, une organisation distincte entre la Banque Nationale et la caisse d'épargne ; il faut qu'il n'y ait entre elles aucune espèce de confusion.

Mais, messieurs, les deux tiers des articles du projet sont là pour témoigner que l'administration de la caisse d'épargne sera complètement distincte de celle de la Banque Nationale ; et non seulement il n'y aura rien de commun entre les deux institutions, mais la Banque Nationale considère comme un si mince avantage cette adjonction de la caisse d'épargne qu'elle se refuse, si je suis bien informé, à ce que les bureaux de la caisse d'épargne soient établis dans ses propres locaux.

Il y aura donc une séparation complète entre les deux institutions ; le projet de loi contient au moins 20 articles, relatifs aux attributions du directeur, au conseil d'administration, au conseil général, etc., qui témoignent de l'impossibilité absolue de toute espèce de confusion,

M. Tack. - Du tout ; c'est une erreur.

(page 1540) M. H. Dumortier. - Mais, messieurs, c'est nier l'évidence, et je ne comprends vraiment pas qu'il faille encore insister sur ce point.

Maintenant, n'est-ce pas pousser les exigences au-delà de toutes les limites que de venir demander encore une foule de renseignements secondaires et jusqu'à la communication du projet de règlement. On reproche au projet de loi de n'être pas assez explicite.

Quant à moi, je dirai que s'il est un reproche que l'on puisse faire au projet de loi, c'est de n'être pas plus laconique, c'est de comprendre beaucoup d'articles qui touchent non aux principes de la loi, mais à son exécution, à la partie administrative et réglementaire.

La loi anglaise comprend 15 articles, la loi française en a encore moins.

Ici on nous présente un projet qui compte environ 70 articles ! Je le regrette et je m'étais bien proposé de signaler ce défaut du projet de loi, défaut qui dépare la généralité de nos projets de lois, et que nous avons pu constater, naguère encore, dans le projet de loi sur la police médicale, dans le projet de loi sur les prud'hommes, sur les warrants et dans plusieurs autres encore.

Le reproche que l'on fait au projet de loi actuellement en discussion, de n'être pas assez explicite, me semble donc manquer tout à fait de fondement.

Certes, messieurs, je ne songe nullement à m'opposer à ce qu'on fournisse à l'honorable membre toutes les explications qu'il croit utile de demander, mais j'espère qu'il ne trouvera pas mauvais qu'on ne les lui fournisse qu'à l'occasion de la discussion des articles auxquels elles ont trait.

C'est le seul moyen, je pense, de ne pas jeter la confusion dans la discussion d'un projet qui est déjà suffisamment compliqué et difficile à comprendre, ainsi que la discussion nous en fournit de nombreuses preuves.

M. Tack. - Malgré ce que vient de déclarer mon honorable collègue M. Henri Dumortier, je persiste à dire que le gouvernement est demeuré jusqu'à ce moment extrêmement sobre d'explications en ce qui concerne les relations de la Banque Nationale avec la caisse d'épargne. Il est impossible de le nier ; dans le projet de loi même il n'est question de la Banque que deux fois, savoir dans la disposition oh il est dit que les placements se feront par les soins et avec l’intervention de la Banque Nationale et dans celle de l'article 39 qui porte que le service de la Banque sera réglé par le gouvernement.

Il résulte du discours que M. le ministre des finances a prononcé hier que la caisse d'épargne n'aurait pas à faire de placements du genre de ceux que fait la Banque Nationale.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai dit : pas exclusivement, pas nécessairement.

M. Tack. - C'était en réponse à une observation de l'honorable M. de Naeyer qui faisait remarquer que la confusion entre les deux institutions pourrait être regrettable ; vous avez répondu que la caisse d’épargne ferait d'autres placements que ceux que fait la Banque.

J'en ai inféré que la Banque aurait une certaine option pour les placements à faire dans l'intérêt de la caisse d'épargne. C'est pourquoi j'ai demandé des explications que l'honorable ministre ferait bien, je crois, de donner à la Chambre. Maintenant s'il désire les ajourner au moment où l'on discutera les articles, je n'y vois aucune espèce d'inconvénient, mais j'ajoute que ni les déclarations qui ont pu être faites en section centrale, ni les observations consignées dans le rapport et dont aucune ne m'a échappé, pas plus que les discours prononcés dans cette enceinte, ni le texte de la loi ne peuvent me donner les apaisements que je désire obtenir.

M. de Naeyer. - Je tâcherai d'être aussi bref que possible ; mais je ne saurais me dispenser de répondre quelques mots aux observations qu'a présentées hier M. le ministre des finances.

Je ne puis évidemment pas accepter en silence les absurdités qu'il a, hier, voulu me prêter gratuitement avec une libérable beaucoup trop grande.

Ainsi, suivant M. le ministre, toute mon argumentation, toute mon opposition provient d'une seule erreur fondamentale ; et cette erreur consiste dans une opinion, dominante chez moi, dans une théorie beaucoup trop absolue, qui ne serait autre chose que la négation de l’utilité des caisses d’épargne.

Messieurs, il faut le reconnaître, il devient excessivement dangereux de combattre les idées de centralisation ; car si vous avez le malheur de vous opposer à ce qu'une institution quelconque soit placée entre les mains du gouvernement, on vous déclare adversaire de cette institution.

L'un ou l'autre jour je m'attends à être signalé comme un ennemi de l'industrie, du commerce, voire même de l'agriculture, parce que je ne veux pas que le gouvernement se fasse industriel, commerçant ou agriculteur ; eh bien, voilà toute la valeur de l'observation que l'honorable ministre des finances a fait sonner si haut. Ai-je donc nié l'utilité des caisses d'épargne ? Comment est-il possible de l'affirmer sérieusement ? Mais cette utilité, je l'ai reconnue de la manière la plus formelle. J'ai dit et répété que l'instrument est bon, mais qu'il cesse d'être utile quand on en fait un mauvais usage.

Y a-t-il rien de plus simple au monde ? Y a-t-il rien là qui ressemble à une négation de l'utilité des caisses d'épargne ?

Il était donc tout au moins inutile de citer ici solennellement les auteurs qui ont écrit sur l'utilité des caisses d'épargne, des auteurs qui appartiennent, dit-on, à la bonne école, auteurs qui sont parfaitement connus, et qui, en définitive, ne disent pas autre chose, si ce n'est que l'épargne est une chose utile et que les caisses érigées dans le but de la recueillir sont utiles.

M. Julliot. - Mais ils ne parlent pas de l'intervention de l'Etat.

M. de Naeyer. - C'est ce que j'allais dire. Ces auteurs ne disent pas du tout que ces institutions ne sont utiles que pour autant qu'elles fonctionnent entre les mains de l'Etat.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Elles ne sont donc utiles que pour autant que l'Etat ne s'en mêle pas ?

M. de Naeyer. - Il me sera impossible de répondre à l'observation de l'honorable ministre des affaires étrangères si cet honorable ministre ne trouve pas convenable de la reproduire, car cette observation ne parvient pas jusqu'à moi.

J'ai dit en outre que les caisses d'épargne ne sont pas le seul mode de placement des économies de l'ouvrier, et j'ai dit encore que l'argument que l'on tirait du développement de ces caisses dans d'autres pays ne prouvait en aucune façon que l'esprit d'ordre et d'économie des populations ouvrières y était plus développé que chez nous. A ce propos j'ai cité l'exemple de la Hollande et l'on ne m'a nullement répondu à cet égard.

Le peuple hollandais, ai-je dit, n'est pas plus dissipateur qu'aucun autre ; on lui reconnaît, sans contestation aucune, des habitudes non seulement d'économie, mais même de parcimonie.

M. le ministre a donc évidemment tort de prétendre que je me place dans un isolement complet en combattant des idées généralement reçues, en émettant des opinions absolues dont on n'avait pas encore entendu parler.

Jamais, au grand jamais, je n'ai nié l'utilité des caisses d'épargne ; je n'ai dit qu'une seule chose, savoir : que ces institutions devenaient dangereuses quand on les transformait en établissements de charité légale, parce que j'ai cette profonde conviction que dans l'intérêt de la dignité et par conséquent la véritable moralité des classes ouvrières, il importe qu'elles aient le moins de contact possible avec la charité légale, c'est-à-dire avec la charité de l'impôt, deux mots qui hurlent de se trouver ensemble ; sont-ce là par hasard des idées exorbitantes, des opinions tellement absolues que tous les bons esprits les repoussent ? Je pense au contraire que ce sont vérités que je vous défie de contester sérieusement ; et voilà comment j'ai soutenu que les caisses, transformées en établissements de charité publique ou légale, perdent leur véritable caractère d'utilité, et j'ai dit en outre qu'elles subissent nécessairement cette transformation quand on les fait passer entre les mains de l'Etat.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'institution que je propose n'a pas ce caractère.

M. de Naeyer. - C'est ce qui vous trompe. Je vous ai prouvé que ce caractère vous ne faites que le masquer au moyen d'une combinaison qui n'est autre chose qu'un empiétement incroyable sur le domaine de l'activité privée et vous ne m'avez rien répondu à cet égard.

Ainsi, je n'ai pas combattu les idées généralement reçues ; je n'ai pas été rétrograde, au point de dire que l'épargne n'est pas une excellente chose et que, sous ce rapport, des institutions créées dans de bonnes conditions pour recevoir les économies peuvent rendre de très grands services.

Je n'ai pas méconnu non plus l'esprit de notre législation. Je ne me suis élevé en rien contre la disposition de l'article 92 de la loi communale ; mais il y a une différence énorme entre admettre un principe consacré par la législation et lui donner une extension tellement exagérée, qu'il est dénaturé dans son essence.

L'article 92 veut que les bourgmestre et échevins des villes manufacturières veillent à ce qu'il soit établi une caisse d'épargne dans leur commune et qu'il soit rendu annuellement compte de la situation de cette caisse, voilà tout ce qui est décrété par notre législation, qu'on m'accuse (page 1541) injustement de vouloir renverser.

Remarquons d'abord que cet article 92 ne prescrit en aucune façon que cette caisse sera établie par la commune ou même avec la garantie de la commune. S'il est satisfait au vœu de h loi par une caisse fondée, soit par des particuliers, par la charité privée ou par une association charitable, par une société de charité privée, il ne reste aucune obligation quelconque pour l'administration communale, de créer à côté de ces caisses un établissement du même genre aux frais de la commune. Déjà on l'a fait remarquer, il n'est pas vrai de dire que cet article n'a reçu aucune exécution ; on vient de citer un nombre de villes manufacturières (et ce n'est qu'à celles-là que s'applique l'article 92) où des caisses d'épargne ont été instituées par les administrations locales, et il en est beaucoup d'autres où il y a des caisses établies par la Société Générale et dont le ministre n'a pas parlé. Il a compris tous les établissements de la Société Générale dans un chiffre global, et cependant ils sont disséminés dans tout le pays ; là où ils fonctionnent, l'administration communale peut dire : Il est satisfait à la loi.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - 27 sur 2,500 communes.

M. de Naeyer. - Mais encore une fois l'article 92 ne parle que des villes manufacturières ; on a dit tout à l'heure : Mais dans tout cela il n'y a rien pour les communes rurales. Est-ce que par hasard les communes rurales n'ont aucun rapport avec les villes où des caisses sont établies ?

M. Allard. - Elles ne peuvent pas y déposer.

M. de Naeyer. - Il est à ma connaissance qu'il en est qui viennent déposer à Bruxelles, à la Société Générale.

M. Allard. - A Tournai, le règlement s'y oppose.

M. de Naeyer. - J’ai eu l’occasion moi-même de faire à la Société générale des dépôts pour le compte de travailleurs campagnards. Si le règlement de la ville de Tournai l’interdit, il est trop exclusif. C’est une caisse communale qui devrait être organisée sur des bases plus larges.

M. B. Dumortier. - S'ils ne vont pas à Tournai, ils iront ailleurs.

M. de Naeyer. - Une autre cause de la situation actuelle des caisses d'épargne, c'est, comme j'ai eu l'honneur de le prouver, c'est l'état provisoire dans lequel nous nous trouvons depuis quatorze ans. Il est incontestable que cet état d'incertitude exerce une influence beaucoup plus funeste en paralysant tous les projets., tous les efforts des personnes charitables, des personnes riches et des administrations publiques, que ce prétendu défaut de confiance dans les caisses existantes, dont l'honorable ministre s'obstine à faire son argument de prédilection.

L'honorable ministre nous répète à satiété que les catastrophes de 1830 et de 1848 ont absolument gâté la situation et rendu indispensable l'intervention toute-puissante du gouvernement.

Je n'avais pas parlé de 1830, par une bonne raison, c'est que cet événement n'exerce plus aucune influence sensible, depuis 1830 ; d'après les chiffres que vous avez cités, les dépôts sont arrivés à une somme considérable, car en 1848 ils s'élevaient, je pense, à 60 millions, et cependant le souvenir des événements de 1830 était alors plus récent et par conséquent frappait plus fortement les esprits qu'aujourd'hui, et cela n'empêchait pas les versements d'atteindre les proportions que je viens d'indiquer. Comment voulez-vous donc que ce soit là aujourd'hui la cause du mal ? Depuis nous avons eu les événements de 1848 ; eh bien, ceux-là n'ont pas fait de victimes, au moins pour la caisse de la Société Générale, grâce à votre concours purement moral qui n'a pas coûté un centime. Les engagements ont été tenus sans perte pour les déposants.

Il y avait une autre caisse d'épargne, fondée non par la Banque de Belgique, mais à côté de cette banque ; celle-ci, paraît-il, n'a pu être liquidée sans une certaine perte pour les déposants. Mais veuillez remarquer que cette caisse était basée sur le principe de mutualité qui a été abandonné depuis lors pour ce genre d'établissements. Il y a donc une expérience peu heureuse qui n'a pas été renouvelée. C'est un système abandonné aujourd'hui, qu'on ne pratique plus et qui ne peut par conséquent exercer aucune influence ni faire naître la moindre défiance. Maintenant pour les caisses qui existent aujourd'hui quelle défiance peut-on avoir, puisqu'elles appartiennent à cette catégorie d'établissements qui ont rempli leurs engagements au milieu des circonstances les plus difficiles et puisque la cote même de notre bourse ne peut laisser aucun doute sur leur solidité ? Ainsi les causes que vous indiquez ne sont pas réelles. Nous sommes un peu dans les mêmes conditions que la Hollande, qui est loin de s'inquiéter de sa situation et qui cependant veut tout aussi sincèrement que nous la moralisation des classes ouvrières, qui veut, comme nous, que l'ouvrier se relève de sa position, comprenne mieux sa dignité et cela surtout en faisant usage de ce grand moyen de moralisation qui est l'épargne.

La Hollande ne s'inquiète pas de sa situation, et pourquoi ? Parce qu'elle pense que les caisses d'épargne ne sont pas le seul mode de placement pour les économies.

Eh bien, il en est de même chez nous. Je crois inutile d'entrer à cet égard dans de nouveaux détails, et puis il est évident que le peu de développement de nos caisses d'épargne officiellement connues est dû en grande partie à ce déplorable provisoire que nous ne maintenons que depuis trop longtemps.

Sortons de ce provisoire, et la situation deviendra normale, toutes les forces vitales du pays se réveilleront, et il sera prouvé une fois de plus que la liberté, garantie par l'ordre, suffit pour faire a qui est vraiment utile.

L'article 92, dit l’honorable ministre, consacre le principe que vous contestez, c'est le principe de l'intervention du gouvernement. Eh bien, je viens de vous montrer qu'il ne s'agit pas, à proprement parler, de l'intervention de l'Etat-gouvernement, il s'agit de l'intervention des communes, ou si vous voulez de l'Etat-commune, et cela dans des limites assez restreintes. L'honorable ministre nous a dit hier, et c'est un argument qui m'étonne énormément, que c'était la même chose au point de vue des principes, parce qu'il s'agit, après tout, de l'intervention du contribuable. Or, que ce soit le contribuable de la commune ou le contribuable de l'Etat, c'est la même chose, et, si je ne me trompe, M. le ministre de la justice a confirmé cette doctrine.

Eh bien, au point de vue des principes, il y a une énorme différence, et voici pourquoi : c'est que le contribuable rapproché de celui qui crée l'impôt a beaucoup plus de puissance que quand l'impôt lui tombe d'en haut. Cela a été reconnu par les meilleurs économistes, et d'ailleurs le simple bon sens le dit. Lorsque vous travaillez avec l'impôt communal, lorsque l'opération se fait auprès du contribuable, sous ses yeux, sous son contrôle incessant, cela est beaucoup moins dangereux que quand on se trouve à des distances en quelque sorte infranchissables de l'autorité qui frappe l'impôt ; il y a dans le premier cas des garanties contre les abus qui font défaut dans le second.

Voilà quant aux principes.

D'ailleurs, messieurs, il est évident que jamais les communes, les administrations communales ne donneraient à leurs caisses d'épargne ce caractère de grandes banques qui forme la base du projet du gouvernement. Ainsi que l'honorable comte de Theux l'a parfaitement remarqué, il s'agit dans l'article 92 d'établissements locaux, d'établissements qui n'ont pas ce caractère de généralité pour tout le pays, et sous ce rapport encore sont loin de pouvoir offrir les inconvénients que nous signalons.

Que dire maintenant de cette doctrine qui consiste à déclarer que la commune c'est l'Etat, qu'il n'y a en quelque sorte pas de différence ? Mais c'est en réalité la centralisation élevée à la plus haute puissance. La commune disparaît complètement, et il n'y a plus en réalité que l'Etat en fait de personnification civile véritable. Quoi de plus monstrueux en Belgique où l'esprit communal est si vivace et a jeté de si profondes racines ?

Messieurs, j'avais dit que ce que l'on nous propose est une intervention exorbitante qui n'existe dans aucun autre pays au même degré. Cela a encore été contesté comme une grave erreur par l'honorable ministre. Cependant n'est-il pas vrai que vous arrivez ici à une centralisation complète des capitaux des caisses d'épargne ? N'est-il pas vrai que c'est là votre but ? Vous dites que vous aurez des caisses auxiliaires, des succursales, que vous ne voulez pas les empêcher, qu'au contraire vous en provoquez la création. Oui, mais votre intention évidente est de faire affluer leurs capitaux dans votre caisse centrale.

Vous seul serez chargé du placement des fonds, et toutes les opérations de banque seront centralisées entre vos mains. Voilà le caractère incontestable de votre projet.

Eh bien, quant à la centralisation des capitaux, j'admets encore qu'exceptionnellement, il y a des pays où la même chose existe.

Je crois qu'en Angleterre, je crois même qu'en France cela peut exister jusqu'à un certain point ; mais ce qui n'existe pas dans ces pays, c'est que cette centralisation de capitaux est destinée à faire fonctionner une banque gouvernementale, opérant sur de larges bases, et dont la caisse d'épargne, proprement dite, ne forme plus que l'accessoire, ne forme plus qu'un trafic additionnel.

Je ne reviens pas, messieurs, sur les développements dans lesquels je suis entré hier à cet égard ; je crois que cela est resté démontré. Du reste, voulez-vous à cet égard un nouvel argument ? Je le trouve dans votre exposé des motifs, à la page 118. Vous me dites que la caisse d'épargne doit être assimilée à une banque établie sur de larges bases.

Vous dites cela clairement et vous ajoutez encore à la page 119 qu'une caisse d'épargne ne commence à réaliser des bénéfices que quand ses (page 1542) spéculations portent sur des capitaux assez élevés ; qu'elle peut alors en immobiliser une partie plus ou moins considérable en vue d'un intérêt plus fort, qui lui permettra de faire face à tous ses frais d'administration et aux pertes éventuelles.

C'est à cette possibilité que vous voulez arriver et vous reconnaissez que vous ne pouvez y arriver qu'en disposant de capitaux considérables. Il est donc évident qu'en parlant de caisses auxiliaires, votre intention, votre but, toute la combinaison de votre système, c'est de faire affluer les capitaux vers la caisse centrale. C'est tout le système ; il n'est pas susceptible de se suffire à lui-même d'une autre manière.

Voilà ce qui n'existe, je le répète, dans aucun autre pays, et voilà ce que vous proposes d'organiser dans notre libre Belgique. Cette banque gouvernementale forme la base de tout le système, la caisse d'épargne n'en est que l'accessoire.

Eh bien, je dis que c'est là un danger immense. Je répète que ces opérations de banque sont celles qui sont le moins compatibles avec la dignité, avec les véritables attributions d'un gouvernement. Car enfin est-il raisonnable d'établir des rapports journaliers et en quelque sorte continuels entre un gouvernement et ceux qui sont en besoin d'argent, qui doivent demander des prêts ou des avances ? Il suffit de signaler ce point. Les développements sont inutiles, ils se présentent naturellement.

Direz-vous encore, comme vous l'avez soutenu à mon grand étonnement, que la caisse que vous allez fonder, formera une personne civile distincte du gouvernement ?

Mais, messieurs, s'il en est ainsi, vous pouvez ériger en personnes civiles tous les rouages du gouvernement et nous n'aurons plus de fonctionnaires de l'Etat proprement dits. Nous les payerons toujours, cela va de soi ; mais tous les rouages du gouvernement seront des personnes civiles, et les fonctionnaires publics seront considérés comme les agents, les administrateurs de ces personnes civiles.

Ainsi par exemple, pour les chemins de fer vous pouvez fonder une caisse, mettre au doit de cette caisse tout le capital que les chemins de fer ont coûté jusqu'à ce jour, et à l'avoir les produits que peuvent donner les voies ferrées en déclarant que cela constitue une personne civile.

Cela ne modifiera en rien les obligations, les droits, l'autorité véritable du gouvernement, mais d'après la doctrine qu'on professe, les fonctionnaires et employés du chemin de fer ne seront plus les agents du gouvernement proprement dit, et vous pourrez faire de même pour d'autres rouages encore.

Mais, messieurs, je suis vraiment étonné de ce désir ardent de multiplier les personnes civiles.

Ainsi vous êtes exploitant de chemins de fer, vous pouvez ériger cette administration en personne civile, sans rien charger à votre pouvoir, sans rien changer à votre autorité sur ce qui se pratique aujourd'hui.

Eh bien, vous faites la même chose pour la caisse d'épargne, vous vous proposez de vous faire banquier en même temps qu'exploitant de chemins de fer et vous proposez à cet effet la création d'une personne civile qui n'est autre chose qu'une fiction, une personne civile dont tous les engagements sont les vôtres, qui n'a et ne peut avoir d'autre volonté que la volonté du gouvernement, qui agit sous l'impulsion incessante de vos ordres, qui ne peut se soustraire à votre autorité, qui n'a d'agents que ceux que vous nommez et que vous révoquez quand vous le voulez.

Voilà ce que vous appelez une personne civile ! Voilà ce que vous comparez à la province, à la commune, à une société anonyme ! Mais pour la commune, la province, la société anonyme, il y a des engagements qui ne sont nullement les vôtres ; il y a là un avoir dont ces institutions sont maîtresses ; il y a là une volonté qui leur est propre, que vous ne pouvez jamais remplacer.

Il est bien vrai que l'exercice de cette volonté peut être restreint dans certaines limites, que pour certains actes de la province et de la commune votre autorisation est nécessaire, mais leur volonté vous ne pouvez jamais la remplacer.

Evidemment cela n'a rien de commun avec cette caisse qui n'est autre chose qu'un rouage du gouvernement.

Pourquoi donc se retrancher derrière des fictions ? Pourquoi s'envelopper de subtilités ?

Plaçons-nous dans la réalité des faits, disons : Voilà la banque du gouvernement ; on ne peut pas lui donner un autre nom.

On a dit encore, pour soutenir que la caisse est une personne civile : Mais elle peut accepter des legs. Mais, messieurs, c'est encore là une affaire de pure forme : c'est le gouvernement qui acceptera avec affectation spéciale, tout comme il a accepté dernièrement, pour l'Académie, un legs du baron de Stassart.

Messieurs, l'exposé des motifs nous donne des détails extrêmement intéressants sur les divers systèmes adoptés dans les autres pays ; oh bien, il me semble que les pays avec lesquels nous avons le plus d'analogie sous le rapport des institutions, sous le rapport des idées de liberté, sont, je pense, la Suisse et la Hollande- et l'Amérique encore jusqu'à un certain point ; pourquoi donc absolument laisser ces pays de côté et aller chercher des modèles dans les pays de centralisation ou dans des pays qui ont si peu de rapports avec la Belgique en ce qui concerne les institutions et le caractère national ?

On a objecté l'Angleterre. Mais j'ai expliqué cela, j'ai dit qu'ici l'Angleterre avait été entraînée en quelque sorte dans le système d'intervention par suite d'un détestable principe déposé dans la législation. (Interruption.)

Vous avez prétendu que je faisais remonter les caisses d'épargne à l'époque où l'on a établi la taxe des pauvres, je n'ai rien dit de pareil.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ni moi non plus.

M. de Naeyer. - Vous avez dit : Malheureusement pour vous, quand la taxe des pauvres a été introduite en Angleterre, les caisses d'épargne n'existaient pas.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai dit qu'un grand malheur pour votre argument, c'est que la taxe des pauvres est très ancienne et la caisse d'épargne très récente ; que, dès lors, il n'y avait aucun lien entre les deux institutions.

M. de Naeyer. - Mais cette différence de dates est absolument sans valeur. J'ai dit que l'Angleterre se trouvait sous l'empire du fatal, du funeste principe du droit au secours et qu'elle se cramponnait en quelque sorte à tout ce qui, dans sa manière de voir, pouvait atténuer sa position sous ce rapport. Et voilà comment dans les derniers temps, elle s'est attachée aux caisses d'épargne et qu'elle leur a imprimé ainsi un véritable caractère de charité légale.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le gouvernement anglais a institué une caisse d'épargne à cause des désastres des caisses d'épargne particulières.

M. de Naeyer. - Mais évidemment ces désastres des caisses particulières étaient de nature à aggraver la taxe des pauvres. Tout ce qui touche d'une manière défavorable au sort des classes ouvrières exerce nécessairement cette influence. Voilà les relations intimes, incontestables, qui par la force même des choses existent entre la taxe des pauvres et les sacrifices imposés au trésor anglais pour soutenir les caisses d'épargne. En deux mots, pour tout ce qui touche à la charité légale, l'Angleterre pratique forcément le système de l'intervention, parce que le droit au secours est inscrit dans sa législation.

Cet argument donc, M. le ministre, reste debout malgré toutes vos dénégations.

Messieurs, malgré les observations extrêmement judicieuses présentées par l'honorable M. de Theux, M. le ministre des finances persiste à dire que la garantie qui pourra résulter de l'institution de la caisse d'épargne, c'est celle que nous subissons aujourd'hui.

Faut-il répondre sous ce rapport éternellement la même chose ? N'y a-t-il donc aucune différence entre une garantie subsidiaire et une garantie principale ?

Voilà la question. Elle est bien simple, bien claire. La garantie que vous assumez, c'est une obligation principale, universelle pour tous les dépôts qui s'effectueront à votre caisse par suite du système de succursales, tel que vous l'établissez, le but que vous poursuivez, c'est d'y faire affluer tous les capitaux.

Voilà donc une position grave. Vous seul vous êtes responsable, vous seul êtes débiteur, personne ne peut être attaqué avant vous, et vous n'avez pas le moindre recours à exercer ; il ne s'agit pas d'un secours à porter à autrui, mais il s'agit de payer à la première demande et en espèces sonnantes, tandis que, avec la garantie morale, qui a été pratiquée jusqu'ici, d'autres établissements étaient tenus avant vous, des établissements ayant des ressources, qui n'étaient que momentanément gênés, auxquels il suffisait de prêter un appui moral, l'influence de votre crédit, sans qu'on fût autorisé à agir directement contre vous. Et puis vous pouviez faire vos conditions. Il était parfaitement entendu que votre garantie morale, votre concours moral n'étaient motivés que par une seule considération, par une considération d'humanité, l'intérêt que vous portiez à la classe ouvrière, et que, par conséquent, vous ne deviez pas aller au-delà.

M. le ministre des finances a cité l'opinion de l'honorable M. Malou, qui prétendait qu'on ne pouvait pas faire de catégories.

J'ai lu cette citation ; en général, j'aime beaucoup les opinions de l'honorable M. Malou ; mais j'aime aussi qu'il y ajoute quelques bonnes (page 1543) raisons. Je n'admets pas qu'une chose soit Traie par cela seul que l'honorable M. Malou l'a dite. Or, ici l'honorable M. Malou ne donne aucun argument ; il fait une masse d’affirmations exprimées en termes pittoresques et éloquents, si vous voulez, mais qui ne sont appuyées sur aucune raison.

Mais cela n'est pas sérieux. Si aujourd'hui je fais une catégorie, fondée sur une raison excellente comprise par tout le monde, mais c'est évidemment cette même considération qui servira de règle pour l'avenir, et à moins de renverser tous les principes de justice, et d'équité, et de bon sens, on ne peut pas supposer qu'on agira autrement.

La garantie morale, dont on nous parle sans cesse, ne ressemble don en rien, sous aucun rapport, à la garantie très réelle ou plutôt à l'obligation principale, exclusive, inscrite dans le projet de loi.

D'ailleurs la garantie qu'on prétend exister aujourd'hui, nous en avons fait l'expérience, elle n'a rien coûté au trésor, elle a été purement morale.

Messieurs, l'honorable ministre des finances a encore involontairement, j'en suis convaincu, dénaturé mes paroles, en ce qui concerne le danger que j'avais signalé et qui pourrait se produire, comme une conséquence de cette nouvelle institution.

J'avais parlé d'une dette flottante. Eh bien, il paraît que ce mot a scandalisé M. le ministre des finances ; d'après lui, il ne s'agit de rien qui ressemble à une dette flottante.

L'honorable ministre ne nous dit pas à quel chiffre il présume que pourront s'élever les capitaux confiés à la caisse d'épargne ; je ne sais pas trop pourquoi il n'a pas fait quelques évaluations ; je vois que dans l'exposé des motifs il parle tantôt de 100 millions, tantôt de 120 millions ; et puisque le gouvernement veut établir l'institution sur de larges bases et faire une bonne opération, en ce sens que la caisse puisse suffire à toutes ses dépenses, l'honorable ministre reconnaît, sans doute, que ce n'est qu'à l'aide de forts capitaux qu'il peut espérer ce résultat.

Il n'y a donc pas d'exagération à porter le chiffre à 150 millions.

Ces 150 millions ne constituent-ils pas une dette flottante ? Et pourquoi, je vous prie, ne serait-ce pas une dette flottante ?

Si je ne me trompe, une dette flottante est celle qu'on peut exiger pour ainsi dire immédiatement.

Ainsi, la dette résultant des bons du trésor est une dette flottante. Elle est flottante, parce qu'elle peut être exigée à peu près du jour au lendemain et que les plus fortes échéances sont, si je ne me trompe, de six mois.

Dans le projet de loi, le maximum de vos échéances est de six mois ; il y en a beaucoup qui sont immédiates ; il y en a d'autres à 15 jours. Mais enfin, toutes les catégories d'engagements peuvent-elles recevoir une autre qualification que celle de dettes flottantes ?

Maintenant vous dites : « Dettes flottantes... le mot est impropre car j'ai des ressources spéciales pour y faire face. »

Je n'ai pas nié ces faits ; je les ai discutés longuement hier ; mais cela ne fait pas que le capital confié à votre caisse n'ait pas le caractère d'une dette flottante ; cela prouve seulement que vous auriez au besoin pour l'acquitter quelques moyens de plus que pour les bons du trésor.

J'ai comparé sous ce rapport votre situation à celle de la Banque Nationale, mais je n'ai jamais prétendu que votre dette flottante est plus dangereuse parce que vous n'avez pas une circulation gratuite comme la Banque, c'eût été un véritable non-sens ; mais j'ai dit que cette circonstance, à savoir que la circulation de la Banque ne lui coûte rien, lui permet d'avoir un encaisse plus considérable, et j'ai ajouté que l'importance de l'encaisse doit être prise en sérieuse considération, quant au danger à résulter de la dette flottante.

En effet, avec cet encaisse la Banque peut se libérer immédiatement dans certains cas ; mais votre encaisse sera nécessairement plus restreint, parce que vous n'avez pas un centime qui ne soit productif d'intérêts à votre charge.

Je pourrais citer tel passage de l'exposé des motifs où vous dites que vous serez obligé de restreindre beaucoup votre encaisse, vous devez éviter autant que possible de laisser improductifs des capitaux pour lesquels vous avez tous les jours des intérêts à payer.

Ensuite, vous avez les placements définitifs ; dans quelle proportion ? Vous ne le dites pas. Eh bien, ces placements définitifs, vous ne pouvez pas les réaliser, vous pouvez tout au plus les vendre à perte, parce que ce seront des actions de société, des valeurs industrielles, ou bien des effets publics ; mais dans un moment critique, vous les vendrez nécessairement à perte, ou vous devrez faire un emprunt. Moi je demande si, dans de semblables circonstances, un emprunt peut se faire à des conditions avantageuses ? Evidemment non.

Quant aux placements provisoires, j'ai dit hier et je répète que vous êtes dans une situation moins favorable que la Banque ; car vous acceptez des effets remboursables à des échéances plus éloignées ; vous faites des avances sur marchandises, sur fonds publics nationaux et étrangers, sur d'autres valeurs, que vous ne pourrez pas réaliser immédiatement si ce n'est avec perte. Voilà quel peut être le danger de votre situation.

Je crois inutile de discuter longuement le système nouveau de l'honorable ministre des finances et qui consisterait à remplacer les impôts par des monopoles.

Je dirai seulement que si, un jour, cette idée qui m'a singulièrement étonné doit être mise en pratique, la qualité de Belge aura perdu à peu près toute sa valeur. Comment ! dans un pays libre, c'est au moyen de monopoles que l'on veut pourvoir aux dépenses de l'Etat ! Mais le monopole, c'est un double impôt.

On ne soutiendra pas sans doute qu'il crée des richesses nouvelles ; il ne fait, à cet égard, que remplacer imparfaitement les industries qui s’exercent par l'activité privée et qu'il frappe de mort ; donc tout comme l'impôt il prélève les ressources qu'il procure au trésor sur les ressources du pays.

Comme vous le faites avec l'impôt, non seulement vous prélevez sur les ressources du pays, mais vous confisquez la liberté du pays dans certaines proportions.

Le monopole c'est tout à la fois l'impôt et la confiscation de la liberté. C'est là un système, j'ose le prédire, qui ne prendra jamais d'extension dan» notre libre Belgique.

Le monopole...

M. Coomans. - C'est l'impôt hypocrite.

M. de Naeyer. - C'est quelque chose de plus. Le monopole ne se contente pas de l'hypocrisie ; c'est la confiscation de la liberté, la propriété la plus précieuse dont l'homme puisse disposer.

Une dernière observation, messieurs.

M. le ministre des finances me dit : Allez jusqu'au bout dans votre système ; dites que le gouvernement ne fera plus rien, qu'il doit se dessaisir des chemins de fer, postes, etc.

C'est toujours la même objection, qui consiste à exagérer les observations de ses adversaires en évitant de les rencontrer directement.

Parce que je ne veux pas qu'on bouleverse ce qui existe, parce que je ne veux pas qu'on abolisse toutes les interventions qui existent, que le pays connaît, auxquelles il est plus ou moins habitué, faut-il pour cela en admettre de nouvelles ? Cette seule question fait pleine justice de l'argument.

D'ailleurs les considérations qui ont fait exploiter les chemins de fer par le gouvernement sont en partie des considérations politiques. On a craint peut-être avec certaine raison qu'une fois les chemins de fer livrés à l'industrie privée, ils pourraient se concentrer dans les mains d'une seule société et que, pour un pays comme la Belgique, une pareille société serait trop puissante, aurait une influence prépondérante, en ce sens qu'elle disposerait d'une grande partie des forces vitales du pays.

On a dit encore que les chemins de fer sont essentiellement monopoleurs.

C'est de leur nature, et sous ce rapport ils se rapprochent jusqu'à un certain point des attributions naturelles du gouvernement.

D'ailleurs, ce monopole s'exerce d'après des règles fixées par des tarifs et qui sont les mêmes pour tout le monde ; enfin, il y a une certaine concurrence parce qu'à côté du réseau de l'Etat se trouvent des voies ferrées exploitées par des compagnies particulières.

Voilà bien des considérations spéciales qu'on peut faire valoir à l'appui de ce qui existe pour les chemins de fer. Pour les postes on peut invoquer des motifs analogues. Et parce que je ne combats pas ces interventions, s'ensuit-il que je ne puisse pas combattre des interventions nouvelles ? Cela n'est pas sérieux.

Je persiste à le dire, il m'est impossible d'admettre le système d'une intervention aussi exorbitante que celle qu'on nous propose, cela m'est impossible, moins encore à cause de la centralisation dans les mains du gouvernement de capitaux considérables et toujours exigibles, qu'à cause de cette institution d'une Banque gouvernementale, dont les opérations sont évidemment incompatibles avec les véritables attributions du gouvernement et incompatibles aussi avec la dignité du gouvernement.

Ordre des travaux de la chambre

M. Allard. - Messieurs, ordinairement le vendredi est consacré à l'examen des pétitions.

Je demande que la discussion sur le projet de loi qui nous occupe en ce moment ne soit pas scindée et qu'elle soit continuée demain.

M. le président. - M. Allard propose de continuer demain la discussion du projet de loi.

(page 1544) M. Kervyn de Volkaersbeke. - Nous avons de prompts rapports qui sont d'une très grande importance. Il y en a un sur une pétition de Gand où. il s'agit d'une question se rapportant aux servitudes militaires.

Je demande que le vendredi soit maintenu pour la discussion des prompts rapports.

M. Vander Donckt. - Messieurs, il y a quatre ou cinq semaines déjà que l'on remet de semaine en semaine les prompts rapports.

Vendredi passé j'ai été appelé à présenter deux rapports seulement. Il en est resté cinq ou six en arrière.

Je demande donc qu'on termine une bonne fois les prompts rapports et qu'on en finisse surtout avec les rapports ordinaires.

Il n'y a pas seulement des rapports de pétitions, mais il y a aussi les rapports de naturalisation. Il y a une grande naturalisation et plusieurs naturalisations ordinaires.

Nous n'avons pour cela que le vendredi, et si l'on continue à ajourner toujours, nous arriverons à la fin de la session sans que ces objets soient terminés.

J'insiste donc pour que les prompts rapports aient lieu demain. Du reste, il doit en être ainsi, car la Chambre n'est pas en nombre.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, la discussion générale de ce projet de loi a déjà été interrompue une fois, non pas un jour fixé d'ordinaire pour les prompts rapports, mais un jour ou l'on avait transféré ces prompts rapports.

S'il faut encore interrompre la discussion cette fois, nous n'en finirons pas.

Ce projet de loi est très important. 1Ilest composé d'un grand nombre d'articles et la fin de la session approche.

On parle d'une pétition sur les servitudes militaires venue de Gand. Evidemment ce n'est pas une question urgente et sur laquelle il faille statuer immédiatement. Cela ne pourrait même régulièrement faire l'objet d'un prompt rapport.

Je demande donc que l'on continue demain la discussion du projet de loi.

M. le président. - Ne pourrait-on tout concilier en fixant un jour autre que celui de demain pour les prompts rapports ?

M. Vander Donckt. - Je tiens à conserver le vendredi et j'y tiens surtout parce que, parmi les pétitions, il en est plusieurs sur lesquelles il y a demande de prompt rapport.

Nous sommes à la veille de voir M. le ministre des travaux publics nous présenter un projet de loi de grands travaux publics, entre autres des chemins de fer au sujet desquels il y a des requêtes présentées et renvoyées à la commission avec demande de prompts rapports.

Je tiens à ce que ces rapports soient faits afin que le département des travaux publics puisse examiner ces projets avant la discussion du projet de loi.

Je demande donc que les prompts rapports aient lieu demain et je demande, pour le cas où il y aurait opposition, que l'on aille aux voix.

L'appel nominal constatera que nous ne sommes pas en nombre et par conséquent que l'ordre du jour doit être maintenu, conformément au règlement.

M. Allard. - Il y a, parmi les prompts rapports, des demandes pour la construction de chemins de fer dans 36 communes.

Eh bien, qu'est-ce qu'il a de si pressé à statuer sur ces pétitions ?

Lorsque le projet de loi de travaux publics nous sera présenté, on pourra les déposer sur le bureau.

Du reste, je proposerai qu'après cette discussion on laisse 8 jours à l'honorable M. Vander Donckt pour faire tous les rapports de pétition, car nous sommes tenus toutes les semaines de consacrer un jour aux prompts rapports.

Je demande donc qu'on en finisse une bonne fois après la loi et je propose de donner alors 8 jours à l'honorable M. Vander Donckt pour présenter tous ses rapports.

M. B. Dumortier. - Il est une chose toujours importante pour une Chambre, c'est de maintenir son règlement. La Chambre a fixé un jour pour discuter les prompts rapports sur les pétitions ; il faut qu'elle maintienne cette décision.

J'ajoute que le droit de pétition est un droit sacré et que, parmi les pétitions, il en est de plus urgentes que la discussion de la loi dont nous nous occupons en ce moment.

Cette loi n'est pas tellement urgente qu'on n'en puisse pas différer d'un jour la discussion ; tandis que certaines questions soulevées par des pétitions sont souvent tellement urgentes qu’une remise à huitaine peut suffire pour rendre illusoire le droit de pétition.

Je ferai remarquer, du reste, que l'assemblée n'est plus en nombre pour changer son ordre du jour et que, si on le conteste, je me joindrai à ceux de mes collègues qui ont déjà demandé l'appel nominal.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On pourra, si l'on veut, procéder à l'appel nominal ; ce n'est pas moi qui m'y opposerai ; mais.....

M. le président. - L'appel nominal n'est pas nécessaire ; le bureau constate que l'assemblée n'est plus en nombre. Dès lors, aucune décision contraire ne pouvant être prise, les rapports de pétitions figureront demain en tête de l'ordre du jour, conformément au règlement.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ce n'est pas le règlement qui en décide ainsi.

M. le président. - Pardon, l'article 65 veut qu'un jour de la semaine soit consacré aux rapports de pétitions et la Chambre a décidé postérieurement que le vendredi serait consacré à cet objet. Et comme la Chambre n'est pas, en ce moment, en majorité pour prendre une décision contraire, ce sont ces dispositions qui doivent prévaloir.

Ainsi, messieurs, demain : prompts rapports et rapports ordinaires sur des pétitions, naturalisations et suite de l'ordre du jour.

- La séance est levée à 5 heures.