(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)
(page 1521) (Présidence de M. Vervoort.)
M. Thienpont, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. Thienpont, secrétaire., présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Lezaack prie la Chambre de statuer sur sa demande ayant pour objet le payement du prix qu'il a obtenu au concours institué dans le but de rechercher la meilleure arme de guerre. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
«Le sieur Wauters, ancien volontaire de 1853, demande la décoration de l'ordre de Léopold ou la croix de Fer pour services rendus au pays. »
- Même renvoi.
« Le sieur Duliere, ancien employé de l'octroi d'Anvers, ayant depuis occupé un emploi dans l'administration de la douane, demande à pouvoir entrer en jouissance de son traitement d'attente. »
- Même renvoi.
« M. Muller, qui a eu le malheur de perdre sa belle-mère, demande un congé de quelques jours. »
- Accordé.
M. Julliot. - Messieurs, par la loi du 8 mai 1850, on a créé une caisse de retraite à l'adresse des petites bourses ; cette loi est restée à l'état de lettre morte et l'honorable baron Osy l'avait prédit.
Aujourd'hui l'Etat offre sa responsabilité à tous les capitalistes du pays, sans limite aucune.
A cette époque, mon honorable ami M. Jean Pirmez et moi nous finies tous nos efforts pour démontrer que l'Etat s'engageait dans une fausse voie s'il réussissait, ou qu'il perdrait son temps si le projet ne donnait pas de résultat.
Aujourd'hui l'épreuve est faite, et au lieu d'abandonner ce service social à l'intérêt privé, l'Etat se charge d'une responsabilité dont nul ne peut calculer les conséquences.
Les bons avis n'ont cependant pas fait défaut. M. Auguste Visschers, le plus capable en cette matière, et le gouvernement partage à cet égard mon avis, puisqu'il le nomme dans toutes les commissions, M. Visschers condamne le projet tel qu'il est.
Mon honorable collègue M. Eudore Pirmez a figuré dans la section centrale, mais il est impossible qu'il soit le collaborateur du rapport poétique de l'honorable M. Dumortier.
Car, s'il en était ainsi, je dirais : Bon Dieu, où allons-nous ? Les économistes ont-ils entrepris la construction d'une Babel et ne parlent-ils plus la même langue ?
Quand, à l'ouverture d'une session, j'entends dire que la session sera fructueuse, la peur me saisit, parce que, le pouvoir laïque n'étant pas infaillible, de trois lois qu'il fait, il en est une bonne, une médiocre et une mauvaise en moyenne, c'est le résultat inévitable de l'erreur humaine.
La volonté forte, la persévérance à mener à fin ce que l'on a commencé est une qualité essentielle à un homme d'Etat et, sous ce rapport, je rends hommage à l'honorable ministre des finances ; mais cette qualité devient défaut quand la direction prise n'est pas bonne.
La loi de 1850 ne s'adressait qu'aux petites bourses, l'Etat n'était pas en scène, il se tenait dans les coulisses, en donnant sa parole d'honneur que sa caisse était bonne, et le public de ne pas y croire.
Cette loi, déjà, n'était acceptable qu'au point de vue des philanthropes car, du moment que vous leur montrez les petits, ils acceptent tout. On va faire des warrants pour le petit commerce, ne serait-il pas logique, dan^scet ordre d'idées, que l'Etat aussi se chargeât de tous ces warrants pour le petit commerce ? Certes, et nous y viendrons quand on en aura le temps. L'analogie est parfaite.
Puis de progrès en progrès nous serons tous enveloppés dans les réseaux de l'Etat, l'individu n'existera plus que dans l'histoire et nos petits-neveux payeront un droit d'entrée pour pouvoir contempler un homme libre.
Voilà ce qu'on nous prépare aux applaudissements de MM. les doctrinaires de la droite et ceux de la gauche qui s'entendent à merveille chaque fois qu'il s'agit de substituer l'Etat à l'individu.
Mon honorable collègue M. de Renesse nous l'a déjà dit en de meilleurs termes.
Je dis que ces motifs m'engagent à rejeter la loi, car, de deux choses l'une, ou vous n'accordez pas d'avantages et alors la loi sera aussi stérile que sa devancière. Ou bien vous accordez des avantage moraux et matériels à votre caisse, et telle est votre intention.
Mais l'Etat n'a rien, n'est rien et ne peut rien donner, à moins qu'il ne le prélève sur la généralité des contribuables. Or, la part de garantie que vous offrez aux déposants n'est qu'un déplacement, vous n'avez aucun avantage à offrir qu'après l'avoir emprunté entre autres à ceux qui ne déposent pas dans la caisse ; vous ne fortifiez la sécurité de vos déposants qu'en diminuant, dans la même proportion, la sécurité de ceux qui ne déposent pas. Cela est-il clair ?
Voilà cependant le résultat négatif de l'opération ; on ne peut nier ce fait qu'en ne regardant que ceux qui se trouvent dans votre caisse et du moment qu'on regarde en dehors, on doit être de mou avis.
Lors de la création de la Banque Nationale qui honore le ministre qui en est l'auteur, on a pris toutes les précautions pour éviter les sinistres imprévus. Il n'en est pas de même de la caisse nouvelle, la loi est plus casse-cou, elle ne me convient pas, et je vote contre.
M. de Naeyer. - Je pense que nous sommes tous d'accord sur l'importance et la gravité des questions relatives à l'organisation des caisses d'épargne. L'exposé des motifs prouve que le gouvernement a apporté le plus grand soin à l'étude de ces questions ; le document remarquable que je viens de citer fait certainement honneur à l'administration ; ce document est vraiment remarquable, car il renferme des renseignements statistiques qui ont nécessité des recherches longues et patientes et qui sont d'une utilité incontestable pour élucider le problème que nous avons à résoudre.
J'en remercie le gouvernement, je remercie aussi l'honorable rapporteur de la section centrale pour le zèle, le talent qu'il a déployé dans l'accomplissement de la mission difficile qui lui a été confiée.
Je crois qu'il est nécessaire, avant tout, de bien nous fixer sur le véritable caractère et sur la nature réelle de l'établissement dont on nous demande la création.
Je crois que le projet de loi n'est pas très explicite à cet égard ; je dirai même, je dirai franchement que je ne place pas ce projet sur la même ligne que l'exposé des motifs ; en d'autres termes, je pense que c'est le cas de dire que le péristyle vaut mieux que l'édifice lui-même.
On pourrait dire, sans une grande exagération, que le gouvernement demande une espèce de blanc-seing pour organiser une caisse d'épargne au compte de l'Etat à peu près comme il trouvera convenable.
Au reste, cette manière de faire s'explique en quelque sorte par la nature même des choses.
Le gouvernement nous demande l'autorisation de faire des affaires de banque, affaires qui rentrent essentiellement dans le domaine de l'activité privée, il est donc tout naturel qu'il désire jouir d'une très grande latitude et être gêné le moins possible.
Il y a, à l'article premier du projet de loi, une espèce de définition de l'établissement qu'on veut créer ; ce sera une institution garantie par l'Etat, à laquelle on annexera la caisse de retraite établie par la loi du 8 mai 1850, et qui, comme vient de le dire l'honorable M. Julliot, a donné d'assez médiocres résultats.
Je ferai remarquer d’abord que ces deux institutions sont régies par des principes essentiellement différents. Il y a, entre ces deux choses, à peu près la même différence qu'entre la dette flottante et la dette consolidée.
Ainsi la caisse d'épargne sera une espèce de dette flottante, elle en présentera les dangers et les inconvénients, tandis que la caisse de retraite on peut l'assimiler à la dette consolidée ; ce n'est qu'une transformation, pour ainsi dire, d'une partie de la dette perpétuelle en dette viagère, et cette transformation étant opérée d'après des règles de probabilité sagement calculée n’aggrave guère la position de l'Etat ; elle reste en quelque sorte la même ; mais une dette flottante créée sous une forme quelconque entraîne des conséquences bien autrement graves. Examinons maintenant la véritable signification de la garantie dont parle l'article premier.
(page 1522) La garantie est en général une obligation subsidiaire, accessoire, qui suppose une obligation principale ; ici il n'y a rien de pareil.
Il n'y a ici, d'après le système que l'on propose, qu'une seule et unique obligation, c'est l'obligation du gouvernement. C'est le gouvernement seul qui reçoit des dépôts ; c'est le gouvernement seul qui s'engage à bonifier les intérêts, c'est le gouvernement seul qui s'engage à opérer les remboursements. Seul il est obligé, seul il est responsable envers les déposants ; il n'y a pas d'intermédiaire ou plutôt il n'y a qu'un intermédiaire fictif, la caisse, qui est une forme représentative des engagements, des obligations du gouvernement.
De manière donc qu'on se ferait une idée beaucoup plus juste du système que l'on veut faire fonctionner si l'on mettait partout dans le projet de loi le mot « gouvernement » au lieu de « caisse ».
Cela serait beaucoup plus clair et serait certainement mieux compris par tout le monde.
C'est le mot de « caisse », employé itérativement, comme s'il surgissait d'une institution indépendante et distincte du gouvernement, qui paraît avoir induit la section centrale en erreur, au point qu'elle a posé la question de savoir si le directeur de l'institution nouvelle pourrait faire partie de nos assemblées législatives. Elle a examiné cette question et par 3 voix contre 3, elle a rejeté la proposition d'incompatibilité.
Eh bien, cette question n'en est pas une. Cette question est résolue par la loi sur les incompatibilités, parce que, évidemment, ce directeur est un fonctionnaire de l'Etat, un fonctionnaire salarié par l'Etat. Il n'a pas d'autre qualité, je défie qu'on lui en assigne une autre.
Ainsi il était parfaitement erroné de le comparer au directeur de la Société Générale, au directeur de la Banque Nationale ou de toute autre société anonyme ; parce que ces sociétés ont des engagements à elles, une caisse à elles et ces engagements sont complètement séparés des engagements de l’Etat.
Si l'Etat leur donne une garantie dans certaines circonstances, ce n'est qu'un cautionnement ; tandis qu'ici il ne s'agit pas de cautionnement, il s'agit d'obligation principale, et cette obligation principale, cette responsabilité retombe exclusivement sur le gouvernement. Donc la caisse n'est qu'un agent fictif, un rouage administratif, et pas autre chose ; c'est une forme représentative du gouvernement, et les fonctionnaires de la caisse sont les fonctionnaires du gouvernement. Cela ne peut souffrir de difficultés.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous vous trompez.
M. de Naeyer. - Je me trompe ! Direz-vous que votre caisse est indépendante du gouvernement ?
Vous voulez vous cacher derrière votre caisse et vous avez grandement tort. Vous n'avez qu'à y perdre. J'aime beaucoup mieux votre figure, à vous, gouvernement, que la figure de votre caisse ; la vôtre est plus imposante et plus respectable.
Messieurs, nous nous trouvons donc ici en présence d'une intervention du gouvernement, la plus large possible. Nous nous trouvons en présence de la centralisation poussée à ses dernières limites ; il n'y a pas moyen d'aller plus loin, et je crois qu'en aucun autre pays, en cette matière, on ne va aussi loin.
Cela n'empêche pas l'honorable ministre des finances de se déclarer franchement partisan du système de non-intervention, et je me rappelle qu'il a fait encore la même déclaration daris une autre circonstance où il pratiquait également l’interventionnisme sur une très large échelle.
Eh bien, je suis convaincu de deux choses : c'est que l'honorable ministre aime bien le principe de non-intervention, comment en douter encore après ses déclarations réitérées ? Mais je suis convaincu au même degré que chez l'honorable ministre l'amour de ce principe est purement platonique, c'est un amour qui se complaît dans le monde des choses métaphysiques et qui a peur de se souiller par le contact avec les réalités de cette vie. Il reste dans cette sphère élevée et ne se produit pas d'une manière visible pour nous, simples mortels.
Sur quoi se fonde-t-on pour justifier ce système que j'appellerai exorbitant ?
En d'autres termes quels sont les grands motifs qui déterminent encore une fois l'honorable ministre des finances à faire une véritable violence à ses instincts naturels ? Eh bien, les considérations qu'on a fait valoir se réduisent pour ainsi dire à une seule ; on nous dit : « Aux grands maux les grands remèdes. » Le mal est grand en Belgique, à ce qu'il semble, car on a l'air de nous placer en quelque sorte à la queue de toutes les nations en ce qui concerne les habitudes d'ordre et d'économie des populations ouvrières. Puis on nous dit :
Cette situation déplorable, la cause en est évidente : c'est parce que nous n'avons pas un bon système de caisses d'épargne, parce que nos caisses d'épargne, telles qu'elles existent, n'inspirent pas une véritable confiance au public ; quel gouvernement se montre aux populations, comme une divinité tutélaire, qu'il leur déclare ouvertement et loyalement : Donnez-moi vos épargnes, je les ferai fructifier, et à l'instant vous verrez affluer les capitaux vers les caisses d'épargne, et à l'instant la face de la Belgique sera renouvelée. Voilà, je pense, les principales considérations qu'on peut faire valoir pour justifier un système que j'ai qualifié et que je continue à qualifier d'exorbitant.
Je pense, moi, qu'on exagère beaucoup le mal qu'on a la prétention de guérir ; je pense, en outre, qu'on se fait complètement illusion sur l'efficacité du remède qu'on met en avant et je pense, en troisième lieu, que, entraîné par des intentions louables et généreuses, on s'aveugle sur les inconvénients et les dangers même que doit produire le système qu'on préconise.
Messieurs, sur quoi se fonde -t-on pour peindre sous des couleurs aussi sombres la situation de la Belgique ? On se fonde sur la statistique des caisses d'épargne. Cette statistique est résumée à grands traits dans l'exposé des motifs, page 9, si je ne me trompe. Il en résulte qu'on fait en Belgique moins usage que dans beaucoup d'autres pays des caisses d'épargne.
Voilà le fait. Rien que cela. Maintenant faut-il en conclure que nos populations sont moins prévoyantes, moins économes ? Ici je suis obligé de vous arrêter, car pour que cette conclusion fût légitime, il faudrait deux choses, il faudrait d'abord que la caisse d'épargne fût en quelque sorte le seul mode de placement pour les épargnes des ouvriers ; il faudrait ensuite que, dans les pays que vous nous opposez, les caisses d'épargne fussent alimentées principalement ou presque exclusivement par les capitaux des classes ouvrières.
Eh bien, messieurs, l'un et l'autre sont faux. Quant au premier, je ne veux pas reproduire les observations très judicieuses présentées par l'honorable M. Tack, qui a démontré parfaitement qu'il y a bien d'autres modes de placement usités en Belgique ; ces observations sont restées debout.
Qu'a fait l'honorable ministre des finances pour lui répondre ? L'honorable ministre a parlé beaucoup des emprunts à primes dont l'honorable M. Tack n'avait pas dit un mot, auxquels il n'avait pas même fait allusion.
L'honorable membre avait parlé, au contraire, des petites coupures de notre dette publique, et de nos dettes communales et provinciales sans primes ; voilà des placements dans les conditions ordinaires, dont l'usage est déjà très répandu et se répand chaque jour davantage. Il y a encore un moyen excellent de faire fructifier les économies de l'ouvrier, c'est la participation aux caisses de secours et de prévoyance.
En outre, il est généralement connu que chez beaucoup de banquiers il y a des comptes courants avec bonification d'intérêt, qui permettent d'utiliser même les petites économies. Ce sont, en réalité, des caisses d'épargne nombreuses et variées, qui rendent des services incontestables sans revendiquer l'honneur de figurer pompeusement dans les statistiques officielles.
M. Allard. - Le banquier n'acceptera pas un franc que viendra lui offrir l'ouvrier.
M. de Naeyer. - Permettez ; avant d'arriver au banquier, il y a les moyens d'épargne organisés dans beaucoup de familles ; et là les moindres sommes peuvent trouver un placement fructueux.
Mais voici le malheur : c'est que le gouvernement en général ne fait attention qu'à ce qui se passe dans le monde officiel ; il croit que toute la Belgique est le monde officiel. Mais il n'en est pas du tout ainsi. Il y a les faits de notoriété publique qui ne figurent pas et qui ne peuvent figurer dans la statistique officielle, il y a bien des moyens d'épargne qui fonctionnent en réalité dans le pays et qui restent naturellement ignorés à ceux qui ne font attention qu'aux indications de la statistique officielle.
Je dirai plus : dans ma manière de voir, les caisses d'épargne ne sont pas toujours le moyen le plus désirable pour faire fructifier les économies de l'ouvrier. Cela dépend absolument de la manière dont on en fait usage ; l'instrument, considéré en soi, est bon ; mais encore faut-il l'employer dans des bonnes conditions. Or l'exposé des motifs prouve à la dernière évidence, qu'il y a une tendance que j'appellerai malheureuse à transformer ces établissements en établissements de bienfaisance publique et de charité légale.
On a beaucoup parlé des sacrifices énormes que fait chaque année l'échiquier en Angleterre pour soutenir les caisses d'épargne. Ces sacrifices, si je ne me trompe, s’élèvent de quatre à cinq millions de livres sterling. Eh bien, cette somme si énorme, imposée au trésor anglais, n'est, en réalité, autre chose qu'une aumône allouée aux établissements (page 1523) dont il s'agît. Je vous défie de lui attribuer sérieusement un autre caractère.
Les partisans du projet de loi ont cru trouver dans cette intervention si large du gouvernement anglais un argument décisif contre nous, partisans de la non-intervention du gouvernement. Ils ont eu l’air de dire : « Voyez l'Angleterre, cette nation modèle sous le rapport du self-government ; voyez comme elle sait faire exception ici à ce principe, combien elle est étrangère à un respect absolu et aveugle pour la théorie. »
Eh bien, cet argument ne signifie rien du tout, car on le produit en faisant abstraction d'une circonstance essentielle qu'on a complètement perdue de vue.
Messieurs, souvenons-nous que l'Angleterre, il y a trois siècles environ, a introduit dans sa législation un principe mauvais au plus haut degré.
Ce principe, qui aurait en quelque sorte suffi pour miner et ruiner tous autres pays d'une constitution moins robuste que l'Angleterre, ce principe, c'est le droit au secours, qui est plus funeste même que le droit au travail ; ce principe, dont l'Angleterre ne parviendra plus à s'affranchir, parce qu'une fois entré dans cette voie déplorable on ne peut plus guère reculer sans un véritable cataclysme social ; ce principe explique tout ce que fait l'Angleterre dans cette circonstance.
Le principe du droit au secours y reçoit une application excessivement large par la taxe des pauvres qui prend de si grands développements et qui, au lieu de guérir la plaie du paupérisme, ne fait que l'élargir d'année en année.
Eh bien, dans ces sacrifices que l'Angleterre fait pour les caisses d'épargne, elle croit trouver une atténuation à la taxe des pauvres. Tout cela se rattache à un vaste système de charité publique et légale qui, je le répète, dans tout autre pays ayant des ressources moins considérables que l'Angleterre, serait un véritable chancre qui ne manquerait pas d'entraîner la ruine du corps social.
Vous voyez donc, messieurs, qu'il n'y a aucun argument à tirer de cette intervention de l'Angleterre. C'est ici une exception à ce que ce gouvernement pratique en général, mais une exception rendue nécessaire par ce mauvais principe qui a pris son siège dans sa législation.
M. H. Dumortier. - Et en France ?
M. de Naeyer. - La France n'est pas un pays de self-government.
M. H. Dumortier. - On y a fait aussi les plus grands sacrifices, et vous ne soutiendrez sans, doute pas que l'on connaît en France comme en Angleterre un droit au secours.
M. de Naeyer. - Oui, en France c'est la même chose. Tout son système est empreint de ce sentiment de bienfaisance publique, de charité officielle. (Interruption.)
Que sont en effet les sacrifices que fait chaque année le trésor dans ce pays ? Pouvez-vous y donner une autre qualification que celle d'aumônes ?
M. H. Dumortier. - Je ne veux pas d'aumônes.
M. de Naeyer. - Vous n'en voulez pas lorsque je l'appelle aumône, et vous l'acceptez lorsque je l'appelle subside ou intervention.
C'est une dispute de mots et pas autre chose. Or, on a beau chercher dans les expressions un moyen de décorer la pilule, tout cela ne saurait induire en erreur l'observateur tant soit peu attentif.
Mais l'honorable ministre des finances a parfaitement reconnu que le caractère que je viens de signaler est inévitable, car il a prouvé à la dernière évidence qu'une caisse d'épargne qui, instituée par le gouvernement et ne recevant que les économies de l'ouvrier, n'est pas viable.
C'est un établissement impossible, à moins qu'il ne soit soutenu par un secours étranger quelconque.
N'est-ce pas le caractère évident de la bienfaisance publique, de la charité légale ? Cela me parait clair comme le jour.
Je n'irai pas vous faire ressortir les désavantages de la charité légale. C'est parfaitement inutile, M. le ministre des finances s'est charge de cette tâche dans un de ses ouvrages. Là il s'est efforcé de poser une digue infranchissable à la charité légale. C'est un ouvrage que chacun connaît et qu'il avait signé, probablement pour le motif que je viens d'indiquer, d'un nom figuratif flamand qui signifie Jean de la digue.
Je crois donc avoir prouvé deux choses : c'est que les caisses d'épargne sont loin d'être le seul moyen de placement des économies de l'ouvrier et que ce n'est pas même toujours le moyen de placement le plus désirable, vu les tendances qui se manifestent aujourd'hui partout et la transformation qu'on fait subir à ces établissements du moment qu'on en fait des institutions gouvernementales proprement dites.
Faut-il maintenant que je vous prouve que dans les pays qu'on nous oppose comme termes de comparaison, les caisses d'épargne sont loin d'être alimentées exclusivement ou même principalement par les économies de l'ouvrier ?
Cette preuve est faite à chaque page dans l'exposé des motifs.
Ainsi, par exemple, pour la France j'y lis, à la page 106, que l'institution a été faussée parce qu'il y a des personnes qui confient à la caisse d'épargne leurs capitaux par pure spéculation, comme un placement commode et avantageux ; en d'autres termes parce qu'on est venu ainsi en quelque sorte en aide à l'indolence des rentiers et des capitalistes.
Voilà comment on a vu affluer des sommes aussi considérables à la caisse d'épargne.
Mais il y a plus que tout cela : tout ce qu'on a pu faire pour empêcher cette invasion de capitaux n'émanant pas des ouvriers, tout cela a été impuissant, inutile. Ainsi, on a fixé un maximum aux versements, on a limité le montant de chaque dépôt, on a diminué les intérêts pour les sommes dépassant tel ou tel chiffre. Eh bien, toutes ces mesures ont été éludées et les caisses d'épargne ont continué à recevoir, pour la quantité la plus considérable, des capitaux venant d'autres personnes, parfois de spéculateurs, le plus souvent de rentiers et d'autres individus n'appartenant pas à la classe ouvrière, qui n'avaient pas, comme celle-ci, droit aux sympathies spéciales du gouvernement et qui auraient dû, comme tous les autres citoyens, se donner la peine de chercher ailleurs le placement de leurs capitaux et tâcher de les faire fructifier dans les conditions ordinaires.
Il est donc impossible de soutenir sérieusement que les opérations des caisses d'épargne dans les pays étrangers puissent vous servir de moyen d'appréciation, de thermomètre en quelque sorte, pour juger le degré de moralité ou de prévoyance des classes ouvrières. Le mal donc n'est pas aussi grand qu'on veut bien le dire.
Et puis, autre considération, je vois que l'exposé des motifs fait, à juste titre, l'éloge des habitudes économiques, parcimonieuses même du peuple hollandais. Mais, messieurs, le peuple hollandais est moins avancé encore que nous, sous le rapport des caisses d'épargne. Consultez le tableau inséré à la page 9 de l'exposé des motifs et vous verrez qu'en Hollande l'importance des capitaux confiés aux caisses d'épargne est proportionnellement de beaucoup inférieurs au montant des capitaux déposés dans les caisses d'épargne de la Belgique.
Je n'y vois figurer, pour la Hollande, que douze millions, tandis que, pour la Belgique, il y a vingt-sept millions ; et en déduisant même les versements faits par les administrations charitables, il restera encore une somme double du montant des capitaux confiés aux caisses d'épargne de la Hollande.
Eh bien, est-ce que cette situation excite des alarmes en Hollande ? Parle-t-on d'une espèce d'infériorité humiliante vis-à-vis des autres nations ? Cette situation est-elle signalée comme un mal grave auquel il soit urgent de porter remède par un moyen aussi extraordinaire, aussi exorbitant que celui qu'on veut pratiquer en Belgique ?
Nullement, messieurs, le gouvernement hollandais, qui est en présence de cette situation, persiste à croire qu'il n'a pas, lui, à intervenir et qu'il peut fort bien, sous ce rapport, se confier aux efforts de la liberté, aux efforts des associations privées et, au besoin, aux efforts de la charité privée.
Il se présente ici un fait que je constate avec peine, je dirai même avec douleur. Il y a trente ans, nous nous sommes séparés de nos frères du nord, au nom de la liberté. Que voyons-nous aujourd'hui ? C'est que ces frères du nord ont plus de confiance que nous dans la liberté ; c'est qu'ils ne sont pas prêts, à tout propos, à invoquer cette providence gouvernementale que nous adorons encore comme une divinité, et celle conduite vraiment libre fait honneur à la virilité de leur caractère.
Eh bien, messieurs, puisque nous avons un peu la manie de copier les autres, je voudrais qu'au lieu de diriger pour ainsi dire constamment ses regards vers le Midi, le gouvernement se tournât un peu plus souvent du côté du Nord. L'air qui vient de ce côté est, si on veut, un peu plus froid, mais il serait, je crois, de nature à fortifier beaucoup mieux notre organisation en l'appropriant aux devoirs de la liberté vraiment pratique.
Un mot maintenant, messieurs, sur l'efficacité du remède qu'on vous propose.
Est-il bien vrai que cette centralisation des caisses d'épargne entre les mains du gouvernement soit de nature à exercer une influence si puissante, si féconde pour développer l'esprit d'ordre, l'esprit d'économie de nos populations ouvrières ? Car c'est là, après tout, le sud but réel, le seul but avouable du projet de loi.
Votre projet de loi produira-t-il donc tous les merveilleux effets que vous lui attribuez ? Je concevrais jusqu’à un certain point vos illusions si les caisses d’épargne étaient une institution nouvelle, inconnue jusqu’ici (page 1524) à nos populations. Or, d'après l'exposé des motifs, il y a bien du temps que nous pratiquons les caisses d'épargne ; il y a eu des moments où les résultats étaient plus considérables que ceux qui existent aujourd'hui. Est-ce que cela va changer quand le gouvernement s'en mêlera ? Je crois qu'il est permis d'en douter.
On a dit que les caisses d'épargne qui existent dans le pays n'inspirent pas assez de confiance. Je crois que c'est faux en fait. Ain si que la plupart de mes collègues probablement, je me suis trouvé assez souvent en contact avec des individus qui avaient quelques petites économies à faire fructifier ; je n'ai pas entendu objecter à nos caisses d'épargne d'offrir trop peu de sécurités et de garanties, et d'ailleurs une pareille défiance serait déraisonnable et dénuée de tout fondement ; pour en être convaincu, on n'a qu'à jeter les yeux sur la cote de la bourse et voir le taux des actions des établissements qui se chargent de ces genres de dépôts.
Il y a eu, dit-on, des catastrophes ; depuis lors on ne veut plus de caisses d'épargne, à moins qu'elles soient organisées par le gouvernement. L'argument que vous prétendez tirer de ces catastrophes est faux ; ces catastrophes et notamment celle de 1848, qui est la seule qui soit encore de nature à frapper les esprits, ont été traversées sans pertes réelles supportées par les intéressés. Vous me direz : C'est grâce au concours qu'a prêté le gouvernement. Soit, je n'entends pas discuter ce point ; mais ce concours qu'a-t-il été ? Un concours moral qui n'a rien coûté au trésor ; vous proclamez hautement que ce même concours ne pourrait jamais faire défaut, si de nouvelles catastrophes se présentaient. Si vous le dites aujourd'hui après l'avoir pratiqué une fois, pourquoi cette défiance que vous supposez, qui serait la cause, suivant vous, que les capitaux n'affluent pas vers les caisses d'épargne ?
Les précédents que vous citez, loin de faire naître une défiance, seraient plutôt de nature à affermir la confiance, puisque, appuyés par vos déclarations, ils prouvent que, au milieu des crises commerciales, alimentaires et même politiques qui pourront se produire, le déposant peut être assuré que le remboursement aura lieu et que les engagements contractés envers lui seront tenus. Maintenant les catastrophes dont on veut faire un si grand argument, sont moins à craindre dans l'avenir que dans le passé.
Le public le sait ; cette situation qui était mauvaise, qui inspirait certaine défiance provenait d'une cause qui n'existe plus ; ces établissements faisant le service de caisse d'épargne avaient alors en circulation des billets pour une somme considérable représentée par des valeurs immobilisées ; voilà un mal qui n'existera plus. Cela est parfaitement connu et de notoriété publique, la défiance dont vous parlez est donc inventée pour les besoins de la cause.
Les erreurs et les fausses appréciations de nos adversaires proviennent de ce qu'ils argumentent d'une manière trop absolue, d'un pays à un autre. Chaque pays a ses idées, ses mœurs, ses habitudes, ses usages, sa physionomie propre, les besoins et les allures qui lui sont propres ; voilà pourquoi les mêmes causes apparentes sont loin de produire partout les mêmes effets.
Ainsi, en Angleterre, malgré une intervention très large du trésor public, les caisses d'épargne ne sont entourées d'aucune sécurité ; cela est répété plusieurs fois dans l'exposé des motifs ; et cependant les capitaux affluent en Angleterre dans les caisses d'épargne, elle figure à la tête des nations qui font le plus usage de cette institution.
Eu Suisse, elles ne jouissent guère de la garantie du gouvernement, la garantie n'est pour ainsi dire que morale.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La garantie est réelle, elle est efficace.
M. de Naeyer. - Elle n'est pas stipulée dans les lois.
- Un membre. - Lisez l'article relatif à la Suisse.
M. de Naeyer. - Je lis donc, à la page 10 de l'exposé des motifs : « Il n'y a en Suisse que peu ou point de contrôle d'une autorité quelconque. » Voilà ce que je lis à l'article Suisse.
- Une voix. - Et plus loin ?
M. de Naeyer. - Voici ce que l'expose dit au commencement de l'article Suisse :
« En France on a adopté pour les caisses d'épargne une législation, une administration et une organisation complètement uniformes ; elles sont surveillées et contrôlées par l'Etat et celui-ci est seul chargé de recevoir et de faire fructifier les capitaux.
« En Suisse au contraire ces établissements ne sont régis par aucune disposition législative.
« Là leur administration, leur organisation, le placement des fonds, les conditions d'admission, le taux de l'intérêt, tout, en un mot, est arbitraire ; il n’y a que peu ou point de contrôle d'une autorité quelconque. »
Je ne conçois pas de garantie sans disposition législative, et comment voulez-vous une garantie sans contrôle d'une autorité quelconque ? C'est un point incontestable. (Interruption.)
Je ne peux pas lire tout l'article concernant la Suisse. Voici cependant un passage plus explicite encore : « Quelques caisses cantonales sont garanties par les cantons, par exemple, caisse hypothécaire de Berne : celles-ci, qui forment d'ailleurs l'exception, sont sous la surveillance et le contrôle de l'autorité, on s'applaudit d'avoir suivi le principe de la liberté absolue. » Cela est assez clair. Aussi en lisant l'exposé des motifs j'avais acquis la conviction qu'en général il n'y avait pas de garantie stipulée.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai dit que les cantons ou les communes donnaient leur garantie aux caisses d'épargne, je les ai énumérées.
M. de Naeyer. - Prétendez-vous que les gouvernements cantonaux interviennent dans les caisses d'épargne au moyen de subsides.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Les caisses d'épargne sont organisées par les cantons ou les communes.
M. H. Dumortier, rapporteur. - Ou par des établissements charitables qui leur donnent une garantie réelle.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je vais donner l'énumération des caisses de la Suisse qui jouissent de la garantie :
Ce sont celles de Fribourg, Vaud, Thurgovie, Uri, Oberwald, Niederwald, Glaris, Berne, Zug, Bâle-Campagne, Genève, Soleure, Schwitz, Lucerne, Neuchâtel.
Mais celles d'Oberwald, Niedcewald, Zug, Genève et Neuchâtel n'ont pas la garantie formelle de l'Etat.
Celle de Saint-Gall est garantie par la ville.
Il n'y a pas de caisses organisées par la fédération Suisse, par le gouvernement fédéral ; mais les caisses organisées par les cantons que je viens d'indiquer en premier lieu ont une garantie réelle, soit cantonale, soit communale.
M. de Naeyer. - Il est donc vrai que le système de garantie n'existe pas d'une manière générale en Suisse. Je crois que vous admettez au moins cela.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - A la page 107 de l'exposé des motifs, on vous dit : « En Suisse même, les cantons où les caisses d'épargne n'ont pas pris le développement remarqué chez leurs voisins, s'empressent de garantir complètement celles qui sont établies par leurs soins. »
M. de Naeyer. - Vous soutenez donc qu'en Suisse il y a une garantie complète inscrite dans la loi, donnée à chaque caisse, soit par le canton où elle est établie soit par le canton voisin, que tout est garanti ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je n'ai pas dit tout.
M. H. Dumortier, rapporteur. - A peu près tout.
M. de Naeyer. - M. le rapporteur dit tout, M. le ministre des finances ne dit pas tout.
M. H. Dumortier, rapporteur. - A peu d'exceptions près.
M. de Naeyer. - Alors donnez-nous un tableau complet.
M. H. Dumortier, rapporteur. - Nous vous répondrons, soyez tranquille.
M. de Naeyer. - Il reste donc prouvé que ce système de garantie, en Suisse, ne ressemble en rien à celui que vous voulez établir.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est la même chose.
M. de Naeyer. - Comment ! c'est la même chose ? Mais c'est une caisse gouvernementale que vous voulez faire ici, la même pour tout le pays ; vous centralisez complètement ; quelle est la consistance de votre caisse, si vous la séparez du gouvernement ? Signifie-t-elle encore quelque chose ? Elle n'a de réalité, de vérité, dirai-je, que pour autant que vous la considériez comme une institution du gouvernement ; indépendamment de cela, elle n'est rien du tout.
Le système qui fonctionne en Suisse ressemble-t-il à cela ? Pas le moins du monde, puisqu'il y a en Suisse plusieurs caisses (je considère la déclaration du ministre comme la moins contestable) qui n'ont pas de garantie et qui fonctionnent parfaitement.
Je vous citerai encore la Lombardie. Direz-vous que là aussi le gouvernement s'est chargé des caisses d'épargne, qui ont cependant produit d'excellents résultats ?
Mais je trouve que le premier article de la législation de ce pays rapporté à la page 71 de l'exposé des motifs, est celui-ci : « Les caisses d'épargnes doivent être considérées et traitées comme des établissements particuliers. »
Voilà le principe fondamental de la législation de ce pays. Eh bien, ce principe fondamental n'a pas mis le moindre obstacle à ce que les caisses d'épargne y prennent un très large développement.
(page 1525) Je le disais donc, on tombe nécessairement dans l'erreur, quand on veut argumenter d'un pays à l'autre, et qu'on se borne en quelque sorte à dire : Cela se fait là ; eh bien, cela doit se faire également ici. Ce raisonnement est faux, parce que tout dépend des mœurs, du caractère, des habitudes d'un peuple, et qu'il est impossible de jeter, en quelque sorte, toutes les nations dans le même moule.
Vous me direz : Pourquoi les caisses d'épargne n'ont-elles pas pris plus de développement en Belgique ? Mais je vous demanderai : Pourquoi n'ont-elles pas pris plus de développement en Hollande ? Pourquoi y ont-elles pris moins de développement que chez nous ? Pourquoi ont-elles pris, par exemple, si peu de développement à Amsterdam ? Là aussi il y a un grand nombre d'ouvriers qui ont de petites économies à placer, à faire fructifier. Cependant, à Amsterdam surtout, les caisses d'épargne ne reçoivent presque rien.
Mais vous nous en donnez vous-même la raison ; vous nous dites qu'à raison du développement de la prospérité commerciale dans cette ville, on y trouve plus de facilités pour placer des capitaux. Eh bien, il pourrait bien en être un peu de même eu Belgique.
Voulez-vous un autre motif pour lequel peut-être les caisses d'épargne se sont assez peu répandues ? C'est précisément à cause de la situation provisoire dans laquelle nous sommes depuis si longtemps. Voilà quatorze ans que le gouvernement annonce quelque chose au pays. On annonce à nos populations une espèce de messie. Comment voulez-vous qu'on ne soit pas dans l'attente ?
Eh bien, dans cette situation, les efforts des particuliers, les efforts de la liberté, dirai-je, de l'esprit d'association, tout cela est paralysé. On attend une situation qui puisse être considérée comme définitive. Comment voulez-vous que l'on forme des projets, qu'on se mette en quête de moyens pour les réaliser, lorsque la situation est provisoire, lorsque le gouvernement peut venir du jour au lendemain tout renverser, tout bouleverser ? Cela me paraît complètement impossible.
Ainsi, je n'ai pas la conviction que la situation actuelle sera maintenue. Si le gouvernement se prononce une bonne fois, s'il déclare franchement, ouvertement : J'ai confiance dans la liberté, dans l'esprit d'association, dans la solidarité morale qui existe entre tous les membres d'un même pays ; eh bien, je me bornerai à prêter un concours moral ; alors la situation étant devenue claire, précise et nette pour tout le monde, rien ne prouve que la situation qui existe doive continuer. Elle ne continuera certainement pas, s'il est dans les véritables intérêts du pays qu'elle soit changée, parce que je soutiens qu'avec la liberté appuyée sur le bon ordre et la sécurité, les-choses grandes et véritablement utiles arrivent toujours à point.
Messieurs, en parcourant l'exposé des motifs, un fait m'a frappé : C'est que partout où le gouvernement intervient le plus directement dans les caisses d'épargne, on rencontre des inconvénients graves, je dirai même des embarras en quelque sorte inextricables et devant lesquels il n'est plus possible de reculer, parce que, comme nous venons de vous le dire, une fois le premier pas fait dans cette voie, il est impossible de reculer ; il faut aller jusqu'au bout.
On est entraîné alors par des considérations politiques et d'ordre public.
Eh bien, en France, en Angleterre, que de lois, d'ordonnances n'a-t-on pas faites, combien de fois n'a-t-on pas remanié la législation ! Et encore pour arriver à une situation qui ne paraît pas satisfaisante ! Or, dans les autres pays, notamment en Suisse et aussi en Amérique, où l'on a plus de confiance dans la liberté, où l'on n'admet pas une intervention aussi large et aussi directe qu'en France et en Angleterre, ces inconvénients ne se sont pas produits. Je viens de vous lire un passage de l'exposé des motifs qui le prouve à la dernière évidence.
On y dit que le système fonctionne depuis je ne sais combien d'années sans avoir donné lieu à des inconvénients. Il en est de même en Lombardie. L'exposé des motifs confirme encore ce fait, à la page 7 et suivantes.
Or dans cet état de choses, lorsque d'un côté nous voyons des embarras inextricables, et de l'autre, peu ou point d'embarras, que faisons-nous ? On serait tenté de croire que nous allons nous placer du côté le plus favorable à la liberté, du côté qui a donné lieu au moins d'inconvénients.
Pas du tout, on nous propose de pratiquer un système d'intervention beaucoup plus considérable, beaucoup plus exagéré qu'il n'en existe dans aucun autre pays.
Nous disons : Là, on n'a pas réussi, parce qu'on n'a pas fait assez. Nous allons faire tout, et tout sera bien fait, parce que c'est nous qui le ferons.
Eh bien, je n'ai pas une foi assez robuste dans l'infaillibilité gouvernementale pour me laisser convaincre par cet argument.
Messieurs, je ne sais pas si on niera cette vérité qui est pour moi évidente : le système qu'on nous propose, c'est la centralisation à peu près complète de tous les capitaux des caisses d'épargne entre les main du gouvernement. Cela peut s'élever à un chiffre très considérable ; il est même dans les prévisions du gouvernement que les dépôts atteignent un chiffre très élevé, car le système, tel qu'il est conçu dans son ensemble, ne peut être couronné de succès qu'autant que la caisse qu'on veut instituer dispose de fonds très considérables. Les capitaux versés entre les mains de l'Etat pourront donc aller à 100 millions, peut être à 200 millions.
Je crois que dans l'exposé des motifs on fait allusion à un chiffre de 120 ou 130 millions. Il paraît que c'est de cette ressource qu'on doit pouvoir disposer pour faire fonctionner convenablement le système.
Eh bien, messieurs, qu'est-ce que c'est que cela ? Cela revient, sous beaucoup de rapports, à une dette flottante de 120, 150 ou 200 millions, et remarquez-le bien, il s'agit d'une dette flottante permanente. On s'est effrayé ici quelquefois d'une dette flottante temporaire de 20 à 25 millions.
Ici vous aurez à certains égards une dette flottante, égale, supérieure même à toute la circulation de la Banque Nationale.
A plusieurs reprises on a signalé cette circulation comme un danger. Or, s'il y a là un danger, ce que je n'admets pas avec l'organisation de la Banque Nationale, mais s'il y a là un danger apparent avec 125 millions, quel danger n'y aurait-il pas avec une dette flottante de 150 à 200 millions ?
Est-ce que votre caisse a les mêmes ressources que la Banque Nationale, pour faire face aux exigences et à toutes les éventualités d'une pareille situation ?
En aucune manière, la Banque Nationale doit avoir un encaisse métallique considérable qui doit s'élever, si je ne me trompe, au tiers de sa circulation et des comptes-courants. La Banque Nationale peut facilement se soumettre à cette condition, parce que les capitaux provenant de la circulation lui sont fournis gratuitement, ne lui coûtent rien ; mais la caisse que vous allez créer n'aura pas une obole qui ne soit productive d'intérêt. Il faudra donc ou bien qu'elle se ruine ou bien qu'elle restreigne son encaisse, c'est-à-dire son fonds roulant à une somme assez peu importante. Cela me paraît évident.
Maintenant il y a autre chose pour la Banque Nationale. Comment a-t-on pris des garanties contre les éventualités ? Mais en lui imposant comme condition sine qua non de ne faire des placements qu'en valeurs facilement réalisables. Ainsi pour elle pas de placements définitifs, et remarquez cependant qu'elle dispose non seulement du produit de sa circulation, mais encore d'un capital qui n'est pas exigible, du capital de ses actionnaires.
Rien de pareil dans votre caisse, vous avez non seulement des placements provisoires plus ou moins facilement réalisables, mais vous avez aussi des placements définitifs et en quelque sorte immobilisés, qui ne peuvent pas se réaliser du jour au lendemain et qui, dans les moments difficiles, ne pourront être réalisés qu'avec perte.
Comme vous n'avez pas une obole qui ne soit productive d'intérêt à votre détriment, alors même que les placements seront provisoires, vous n'entendez pas vous imposer des limites aussi étroites que celles qui sont imposées à la Banque Nationale ; vous ne voulez pas vous arrêter pour l'escompte, à des effets remboursables à 100 jours de date.
Non, vous ne posez à cet égard aucune limite ; vous ne vous contentez pas d'escompter, ni même de faire des avances sur valeurs remboursables, mais vous faites des avances même sur simples marchandises et sur d'autres valeurs, qui sont loin d'être d'une réalisation facile. Vous voulez avoir beaucoup plus de latitude pour les placements provisoires que n'en a la Banque Nationale, vous ferez donc des avances peut-être plus lucratives, mais aussi plus chanceuses. Vous aurez, en outre, des placements définitifs, et outre cela vous êtes dans la nécessité de restreindre dans les limites les plus étroites votre encaisse, votre fonds de roulement at comment voulez-vous que tout cela soit sans danger ? Evidemment vous n'inspireriez aucune confiance si le trésor public n'était pas là pour porter le fardeau de vos pertes, et si vous n'étiez pas appuyé par la ressource toute-puissante de l'impôt. Et remarquez que placé en face d'une pareille situation, vous êtes gouvernement, c'est-à-dire que dans les moments de crise vous aurez à satisfaire à d'autres besoins qui peuvent être immenses.
On me dira :
Mais vous avez beau faire vous devez toujours garantir les capitaux déposés à la caisse d'épargne ; comme gouvernement, vous ne pouvez pas vous soustraire à cette obligation, vous l'avez fait et vous le ferez tout jours si les mêmes crises se reproduisent.
(page 1526) C'est ici qu'on abuse du mot « garantie » et on tombe dans une véritable confusion d'idées. J'ai dit, en commençant mon discours qu'il n'y a de garantie proprement dite que lorsqu'il s'agit d'obligations accessoires ; mais qu'il n'y a ici autre chose qu'une obligation principale ou plutôt unique.
Quand le gouvernement donne sa garantie à une société, il contracte une obligation qui n'est susceptible d'entraîner des sacrifices qu'autant que l'avoir de la société soit définitivement épuisé, et nous savons que la garantie de l'Etat, lorsqu'elle a été engagée une première fois en ce qui concerne les caisses d'épargne alors existantes, n'a rien coûté au trésor ; et eût-elle coûté quelque chose au trésor, l'Etat aurait eu son recours ; ici rien de semblable n'existe ; vous êtes tenus directement et vous ne pouvez exercer de recours contre personne.
On dit : Aujourd'hui nous sommes engagés et nous n'avons aucune garantie, aucun contrôle contre les abus d'une mauvaise gestion.
C'est une erreur, vous avez aujourd'hui la meilleure de toutes les garanties, vous avez la garantie de l'intérêt des établissements qui reçoivent les dépôts, tandis que dans votre système vous n'avez qu'un seul intérêt, l'intérêt de l'Etat ; l'intérêt personnel de ceux qui administrent vous manque complètement.
Messieurs, je ne veux pas dire que cette caisse qu'on veut instituer ne puisse pas réussir, en ce sens que les capitaux lui feraient défaut ; au contraire, je crois qu'elle réussira, mais elle ne réussira pas avec les économies des classes ouvrières. Pourquoi peut-elle réussir ? Parce que c'est un placement privilégié, et qu'avec les privilèges, que le gouvernement seul peut accorder, on fait pour ainsi dire l'impossible, on opère de véritables miracles ou quelque chose qui y ressemble.
Ce placement est un placement privilégié, parce que d'abord c'est l'Etat, c'est à dire le pays tout entier qui s'engage et qui est responsable ; c'est, sous ce rapport, une dette de l'Etat et qui a pour garantie la nation tout entière. Voilà le premier privilège.
Il y a un second privilège, à un autre point de vue, privilège au moins tout aussi considérable, c'est qu'il ne s'agit pas seulement ici d'une dette publique ordinaire, mais il s'agit d'un engagement ayant un caractère tout particulier, un caractère plus sacré que les autres engagements. En effet, il s'agit de rembourser les économies de l'ouvrier, confiées à la loyauté du gouvernement.
Voilà la présomption légale ; eh bien, cette présomption légale, peut-être pour les trois quarts, sera un mensonge ; car ce seront des capitalistes, même des spéculateurs, qui viendront demander l'exécution d'un engagement si sacré, à la caisse destinée à recevoir spécialement les économies de l'ouvrier.
C'est là le très mauvais côté de votre institution. Je n'aime pas qu'on vienne ainsi, sous la livrée de l'ouvrier, réclamer, usurper des sympathies auxquelles on n'a pas droit, rigoureusement parlant.
Messieurs, permettez-moi en terminant d'examiner d'une manière un peu plus approfondie le mécanisme même de cette nouvelle institution, de ce nouvel appareil gouvernemental.
Voici, je pense, la vérité ; si le gouvernement, et il le reconnaît, se bornait à instituer une caisse recevant exclusivement les économies de l'ouvrier, il serait dans l'impossibilité de faire marcher cette institution sans un sacrifice du trésor public.
Eh bien, si on pratiquait réellement ce système, si on disait : « Nous voulons faire un sacrifice pour développer les habitudes d'ordre et d'économie de nos classes ouvrières, voilà ce que cela doit coûter au trésor. » Ce serait un système vrai, franc et loyal.
Mais on veut masquer ce côté de la question au moyen d'une combinaison plus ou moins ingénieuse.
Voici comment on opère. La caisse, restant dans les limites d'une caisse d'épargne pour l'ouvrier, n'est pas viable, elle ne peut fonctionner en quelque sorte que comme trafic additionnel à une maison de banque.
C'est comme un chemin de fer qui effectuerait certains transports, transports qui le constitueraient en perte, s'il se bornait à ces opérations-là ; mais il n'en est plus ainsi, si ce chemin de fer opère en outre d'autres transports qui lui donnent de quoi couvrir ses dépenses et si les transports qui isolés seraient onéreux ne forment plus qu'un trafic additionnel.
Eh bien, le gouvernement se dit : « Comment me tirer d'affaire, pour que l'institution de la caisse ne pèse pas sur le trésor public, du moins en apparence ? Exerçons la profession de banquier ; beaucoup de personnes s'enrichissent dans cette profession, faisons des opérations de cette nature, nous allons faire la banque ; nous ne nous bornerons pas aux économies de l'ouvrier ; cela nous constituerait en perte ; nous ferons un appel à tous les capitalistes, et nous leur donnerons comme garantie la foi nationale, la loyauté belge.
Nous aurons des capitaux trois fois plus considérables peut-être que ceux que les ouvriers peuvent nous donner ; avec ces capitaux, nous ferons des affaires, nous gagnerons de l'argent, et l'argent que nous gagnerons servira à combler le déficit de notre caisse d'épargne proprement dite ; cette caisse deviendra un trafic additionnel ; et de cette manière nous pourrons supporter très bien les frais que cet établissement doit entraîner.
Que diriez-vous, messieurs, si le gouvernement vous proposait de se faire banquier, afin de diminuer les dépenses publiques ? S'il vous disait : « Parmi toutes les professions industrielles il y en a peu qui donnent autant de bénéfices que celle de banquier ; eh bien, je viens vous proposer d'autoriser le gouvernement à faire des affaires de banque, afin qu'il y ait moins d'impôts, moins de charges publiques ! » Pourriez-vous admettre une combinaison de ce genre ?
Eh bien, ce qu'on vous propose aujourd'hui est en définitive la même chose, avec cette différence que vous masquez l'énormité d'une intervention de ce genre, en y adjoignant une caisse d'économie pour les ouvriers.
N'est-il pas évident que de toutes les interventions gouvernementales il n'en est pas de plus dangereuse, de moins compatible avec la dignité du gouvernement ?
Le gouvernement serait constamment en contact avec des personnes qui ont besoin d'argent ; il aurait à s'enquérir de la solvabilité des individus qui s'adresseraient à lui ; je le répète, y a-t-il une intervention moins compatible avec la dignité du gouvernement ?
Aussi, jamais cela ne s'est fait en Belgique ; jamais un gouvernement ne s'y est fait banquier ; du moins je n'en ai pas souvenir et je ne pense pas que personne ici en ai souvenance.
Maintenant viendra-t-on soutenir sérieusement que la caisse, ce n'est pas le gouvernement ? N'est-ce pas le gouvernement qui nomme et révoque les administrateurs de la caisse ? Ce sont évidemment les agents du gouvernement et non pas d'autres qui feront les affaires dont il s'agit ; tous les rouages qu'on emploie sont évidemment les rouages du gouvernement ; la Banque Nationale interviendra comme simple rouage et uniquement sous les ordres du gouvernement ; elle cessera quand le gouvernement voudra qu'elle cesse.
Une dernière considération.
Est-on dans de bonnes conditions pour faire ces opérations de banque A-t-on les garanties qu'on trouve ordinairement dans les établissements de ce genre convenablement organisés ?
La véritable garantie, c'est d'abord l'intérêt même des administrateurs. Ainsi dans toute société bien organisée, on exige que les administrateurs les directeurs et les autres fonctionnaires y aient un intérêt personnel considérable, qu'ils soient actionnaires dans une assez forte mesure. Ici, absolument rien de pareil. Là encore il y a d'autres garanties, c'est que l'administrateur, les directeurs qui manient les fonds d'autrui, sont tenus à un compte rigoureux qu'ils doivent rendre aux actionnaires, qui examinent tout scrupuleusement sous l'influence si puissante de leur intérêt personnel.
De tout cela rien. Vous avez la responsabilité du fonctionnaire et pas autre chose, c'est-à-dire qu'il doit répondre de la régularité de ses opérations. Vous ne pouvez exiger plus.
Et la Banque Nationale qui va intervenir ? Voyez donc dans quelle singulière position vous la placez.
Vous voulez en quelque sorte lui confier le soin de faire vos placements provisoires en concurrence avec ses propres opérations, car vous voulez faire l'escompte et la Banque le fait également.
Croyez-vous qu'elle va faire tellement abnégation de ses propres intérêts qu'elle vous donnera la préférence pour les meilleurs placements.
Je n'attends pas du tout cela, cette générosité extraordinaire de la Banque Nationale.
Je crois qu'elle dira : Primo mihi. Ce qui est bon je le prends pour moi, ce qui est moins bon je vous le donnerai si je ne puis pas en faire usage.
Voilà comment on raisonne dans le cours ordinaire de la vie et surtout dans le cercle des opérations financières.
Maintenant, si les opérations ne réussissent pas, vous avez une responsabilité morale. Mais, mon Dieu, cette responsabilité morale est éparpillée on ne sait comment.
Si le résultat n'est pas bon, à qui vous en prendrez-vous ?
Au directeur ?
Aux administrateurs ?
Le conseil d'administration vous dira : J'avais assez bien réglé les choses ; j'avais établi une assez bonne proportion entre le fonds de roulement, (page 1527) entre les placements provisoires et définitifs ; c'est la caisse- des dépôts et consignations qui n'a pas été heureuse dans ses opérations ; évidemment elle aurait pu acheter des fonds plus productifs. C'est pour cela que nous sommes en perte.
Ou bien, on vous dira : C'est la banque chargée des placements provisoires qui est la cause du mal, elle a eu la déplorable idée d'être plus préoccupée de ses intérêts que de notre caisse ; elle a pris les meilleurs placements.
A son tour, la caisse des dépôts et consignations dira . On a mal déterminé la proportion pour les placements. On aurait dû nous donner plus de latitude quant aux placements définitifs. Nous avions de magnifiques affaires en vue, mais nous avions les bras liés, on ne mettait pas assez de fonds à notre disposition. C'est là la cause de l'insuccès.
La Banque, elle, dira peut-être : On m'a trop gênée quant aux avances et prêts, on a prétendu connaître mieux que moi la solvabilité des individus, on m'a empêchée de faire d'excellentes opérations, et il me serait difficile d'apprécier toutes les influences qui ont été en jeu, mais toujours est-il qu'il y a des indications déplorables et fâcheuses.
Vous voyez qu'il y a là une responsabilité morale éparpillée, tellement éparpillée, qu'on ne saura jamais sur qui rejeter la responsabilité. On saura que quelqu'un est en faute, mais on ne pourra dire qui.
Je ne prolongerai pas davantage ces observations.
La question est très compliquée ; elle prête à de très grands développements. Je crois pouvoir me borner à ce que je viens de dire pour motiver mon vote, qui sera négatif.
- M. Ern. Vandenpeereboom remplace M. Vervoort au fauteuil.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, il y a dans le discours de l'honorable préopinant une opinion prédominante qui explique parfaitement la pensée qui l'inspire et le genre d'argumentation auquel il vient de se livrer.
Cette opinion la voici :
Les caisses d'épargne ne sont pas, selon l’honorable membre, des institutions très dignes d'encouragement. Elles ne constituent pas le mode le meilleur, ni le moyen le plus efficace de servir la cause des classes laborieuses.
Je reproduis, je crois, la pensée de l'honorable membre.
M. de Naeyer. - Pas tout à fait.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai compris que cette institution n'était pas le moyen le plus efficace de servir la cause des classes laborieuses.
M. de Naeyer. - Cela dépend des circonstances.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ah ! c'est déjà une atténuation de votre théorie.
Quoi qu'il en soit, je dis que c'est là ce qui explique parfaitement l'opposition que l'honorable membre fait au projet.
C'est une idée qu'on peut considérer comme nouvelle, comme absolument isolée, car, jusqu'à ce jour, on n'avait entendu de toutes parts que l'éloge des caisses d'épargne. De toutes parts, on réclamait des caisses d'épargne ; de toutes parts on les signalait comme étant l'un des éléments les plus puissants de moralisation pour les classes laborieuses.
Telle a été de tout temps la pensée persévérante du gouvernement et des Chambres.
Le gouvernement n'a pas cessé, depuis 30 années, de poursuivre la réalisation du résultat que j'espère enfin pouvoir atteindre.
Il faudrait donc, pour admettre les idées de l'honorable membre, considérer comme non advenu tout ce qui a été dit, tout ce qui a été préconisé, toutes les exhortations qui ont été adressées au gouvernement, et par le gouvernement à d'autres, pour arriver à instituer, à organiser des caisses d'épargne.
Je vous ai dit, messieurs, quels avaient été les sinistres des caisses en 1830. En 1832, la Société Générale, encouragée dans ses efforts en faveur de la classe laborieuse, rétablit l'institution. Mais l'œuvre était difficile, et dès 1834, la Société Générale annonçait qu'elle supprimait partout en province ses caisses d'épargne, ne les maintenant plus qu'à Bruxelles et à Anvers.
Le gouvernement fut frappé de cet état de choses, et, en 1835, le département de la justice adressa une circulaire aux autorités provinciales, en leur envoyant un avant-projet de caisse d'épargne.
La circulaire portait :
« Pénétrée de l'immense utilité de l'institution des caisses d'épargne, la Chambre des représentants a adopté, dans le projet de loi d'organisation communale, une disposition qui enjoint aux bourgmestres et échevins des villes manufacturières de veiller à ce qu'il soit établi une caisse d'épargne, et de rendre compte, chaque annèe, de la situation de cette caisse.
« Désirant devancer les vues philanthropiques de la législature à cet égard, je viens, messieurs, appeler votre attention et demander votre avis sur un projet tout à fait en harmonie avec la disposition dont il s'agit. »
L'auteur du projet disait :
« Les caisses d'épargnes fondées par la Société Générale ou par d'autres associations financières, pouvant se fermer de nouveau par les mêmes causes qui ont déjà privé le public de leur service, ou même uniquement parce que ces sociétés cesseraient d'y trouver les avantages qu'elle se promettaient en les fondant, il est utile de prévoir le cas où l'on devrait y suppléer. »
Il ajoutait :
« Plus le maximum des dépôts serait élevé, plus serait grand l'avantage que l'établissement retirerait par suite du bas intérêt qu'il aurait à payer : cet avantage tournerait au profit des petits. »
Les autorités consultées émirent leur avis. Le conseil provincial de Liège déclara qu'une caisse d'épargne isolée ne lui semblait pas offrir les mêmes garanties que celle qui serait créée par le gouvernement, ou par une banque.
La commission des hospices de Liège, également consultée, fut d'avis « qu'une institution de ce genre n'aurait d'efficacité, ne réussirait, ne parviendrait à se fonder, que pour autant qu'elle obtint la garantie de l'Etat. »
Ce fut également l'avis d'autres autorités consultées sur le même objet.
En 1836, la question se représenta de nouveau devant la Chambre et, cette fois encore, la Chambre montra toute sa sollicitude pour les caisses d'épargne ; elle maintint, dans l'article 92 de la loi communale, le principe qui avait été admis dans le projet antérieur. Cet article porte :
« Les bourgmestre et échevins veillent à ce que, dans chaque commune, il soit établi un bureau de bienfaisance.
« Dans toutes les communes dont la population agglomérée excède 2,000 habitants, ils veillent à ce qu'il soit établi, par les soins des bureaux de bienfaisance, des comités de charité pour distribuer à domicile les secours aux indigents.
« Dans les villes manufacturières, les bourgmestre et échevins veillent à ce qu'il soit établi une caisse d’épargne.
« Chaque année, dans la séance prescrite à l'article 71, le collège des bourgmestre et échevins rend compte de la situation de cette caisse. »
Ainsi, le principe de l'intervention de l'Etat a été admis à cette époque.
M. B. Dumortier. - De l'Etat ?
M. de Naeyer. - De la commune oui, mais pas de l'Etat.
M. B. Dumortier. - Voilà, et c'est bien différent.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - En effet, cela peut paraître fort différent à l'honorable M. Dumortier, mais il n'en sera pas ainsi pour les cinq sixièmes de l'assemblée (Interruption.) Qu'est-ce que cela signifie ? Pourquoi contestez-vous l'intervention de l'Etat ? Parce que vous ne voulez pas que les contribuables soient éventuellement atteints par la garantie qui serait ainsi prêtée. C'est là votre motif déterminant ; sans cela, il n'y aurait aucune espèce de raison de discuter.
M. B. Dumortier. - Nous ne voulons pas que l'Etat se fasse banquier.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je le sais bien ; mais, dans votre système, la commune peut donc faire l'office de banquier ?
M. B. Dumortier. - Pas davantage.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais elle peut instituer des caisses d'épargne.
M. B. Dumortier. - Sans doute, comme il y en a à Tournai et à Verviers.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Eh bien, je dis et je répète ici ce que j'ai dit déjà dans mon premier discours : l'Etat, en cette matière, c'est le contribuable. Que la garantie soit donnée par la commune, par la province ou par l'Etat, cela revient absolument au même, au point de vue des principes.
Que vient de vous dire, en effet, l'honorable M. de Naeyer ? que me dit-on encore en m'interrompant ? On ne veut pas que l'Etat fasse des opérations qui peuvent être faites par des particuliers, par des industries privées. On ne veut pas que l'Etat envahisse le domaine de l'activité privée.
Mais, messieurs, le domaine de l'activité privée sera-t-il moins envahi si ce sont les communes ou les provinces qui font ces opérations ? On ne peut le soutenir. Le principe est donc identiquement le même, et je dis que ce principe a été admis par la législature.
On comprend que l'honorable membre auquel je réponds, n'admettant pas ce principe, le repoussant de la manière la plus absolue, on comprend, (page 1528) dis-je, que l'honorable membre conteste aussi les principes sur lesquels est fondé le projet de loi soumis à vos délibérations. Mais ce que l'on comprend moins, c'est qu'il ait exagéré, comme il vient de le faire, la portée des principales dispositions de ce projet. Pour l'honorable membre, ce projet est un blanc-seing (c'est le terme dont on s'est servi), donné au gouvernement pour faire toutes les opérations qu'il trouvera bon de faire par l'intermédiaire de la caisse d'épargne. Mais, messieurs, assurément, les opérations de la caisse qu'il s'agit d'établir sont très définies ; assurément ces opérations sont très limitées. Si l'on veut consulter sans prévention les dispositions du projet de loi, on doit reconnaître qu’elles sont évidemment combinées en vue d'attirer principalement dans la caisse les capitaux de l'épargne proprement dite, et accessoirement, secondairement, quelques capitaux qui ne tombent pas dans cette catégorie, mais ceux-ci uniquement dans la mesure de ce qui est nécessaire, indispensable, afin que les opérations de la caisse ne se fassent point en perte.
L'honorable membre vous dit encore que l'institution même n'est pas bien définie.
L'article premier, dit-il, parle de l'institution d'une caisse d'épargne sous la garantie de l'Etat ; mais cela suppose que l'Etat va garantir ce que fera un tiers. Selon l'honorable membre, dans tout le système du projet de loi, il n'y a pas autre chose que l'Etat. La caisse d'épargne et l'Etat, c'est identiquement la même chose ; c'est une seule et même personne ; c'est une confusion complète ; il ne peut pas être question de garantie proprement dite. En règle générale, la garantie est d'un ordre secondaire ; ce doit être l'accessoire,. tandis que, dans le système du projet de loi, la garantie est l'objet principal, et par conséquent la garantie est tout, car c'est l'Etat qui fera tout.
J'en demande pardon à l'honorable membre ; mais si son système est vrai en ce point, il est impossible à l'Etat de jamais constituer une personne civile ; cela devient impraticable, dès l'instant que l'on reconnaît que la personne civile instituée se confond parfaitement avec l'Etat. Cela est incontestable. Or, je ne pense pas que personne veuille défendre une pareille théorie.
Mais qu'est-ce donc que nous faisons par le projet ? Mais nous instituons une personne civile, ayant des droits propres, ayant une personnalité distincte, ayant le droit d'ester en justice, ayant la faculté de posséder, ayant des actions propres et tout à fait distinctes de celles de l'Etat comme de celles de tout autre particulier.
M. de Naeyer. - C'est fictif.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est fictif ? Mais vous pouvez dire la même chose de toute espèce d'institution, personne civile créée par l'Etat. Cela me paraît incontestable.
Dans toute espèce d'institution que vous créez, vous pouvez stipuler telle ou telle condition, s'éloignant davantage, si vous le voulez, de toute relation avec l'Etat ou avec tout autre autorité constituée. Mais, enfin, quand vous créez une personne civile dans de pareilles conditions, vous ne pouvez pas dire que c'est l'Etat lui-même qui opère. C'est pour cela, messieurs, que l'honorable membre a trouvé que c'était une discussion parfaitement oiseuse de se demander si les personnes qui seront appelées à l'administration de la caisse seront atteintes par la loi des incompatibilités.
L'honorable membre ne doute pas que la loi ne leur soit applicable. Ce seront, dit-il, des fonctionnaires de l'Etat, et à ce titre ils tomberont sous l'application de la loi sur les incompatibilités. C'est là, messieurs, une extension que personne assurément n'entendrait donner à cette loi ; c'est aussi une erreur que repousse à la fois le texte et l'esprit de cette loi.
Enfin, dit l'honorable membre, on va, cette fois, par l'institution proposée, beaucoup plus loin qu'en aucun autre pays : en aucun autre pays, on ne voit une intervention aussi considérable que celle qui est ici proposée.
J'ai été étonné, je l'avoue, d'entendre l'honorable membre émettre une pareille assertion. Je demande quels sont les pays dans lesquels cette intervention n'existe pas, dans lesquels la garantie de l'Etat n'est point prêtée aux caisses d'épargne ? Je comprends l'Etat, bien entendu, dans le sens que je viens de définir. Eh bien, messieurs, il y en a fort peu. Il en est sans doute, mais c'est la rare exception : il y a des pays dans lesquels cette intervention n'a pas lieu, des pays qui sont dans des conditions infiniment plus favorable que d'autres, situation que je souhaiterais pour la Belgique, et où les caisses d'épargne peuvent exister et se soutenir sans cette garantie.
Mais, je le répète, c'est là une rare exception. Dans le monde entier, j'en ai dit les raisons, la règle générale, c'est l'intervention ; elle existe à un haut degré en Angleterre ; elle existe en France, en Allemagne, dans diverses, parties de l'Allemagne, elle existe à un très haut degré ; elle existe en Prusse, elle existe en Suisse ; en interrompant l'honorable membre, j'ai cité tous les cantons où cette garantie existe.
L'intervention du gouvernement, sollicitée ici pour les caisses d'épargne, est donc justifiée par des exemples qui ont une grande valeur. Est-ce par pur désir d'intervenir, par manie d'intervention, que les gouvernements se sont occupés des caisses d'épargne, leur ont prêté leur garantie ? Non, certes ! c'est à leur corps défendant, c'est par nécessité, parce qu'ils ont reconnu que les caisses d'épargne ne pourraient prospérer que dans une pareille condition. Voyez ce qu'on a fait en Prusse. Voici les derniers renseignements statistiques publiés par le gouvernement prussien à la date de janvier 1861 :
« En 1859, il y avait 463 caisses reconnues, dont 353 étaient urbaines, 109 des cantons et une provinciale.
« Les caisses urbaines sont fondées et garanties par les communes ; celles des cantons ont été créées par le cercle et sont garanties par lui, de même que les caisses provinciales ne peuvent être créées que sous la garantie de la province.
« Toutes ces caisses avaient réuni 48,281,000 thalers (169,803,750 francs).
« II existe, en outre, un certain nombre de caisses d'épargne particulières, sur lesquelles on ne possède malheureusement aucun renseignement, sauf ceux que donne Dicterici, qui leur assigne, en 1846, un capital total de 374,700 thalers (1,405,125 fr.).
« Les livrets dépassant 200 thalers se sont accrus, dans les dix dernières années, dans la proportion de 364 p. c., tandis que la progression n'est en général que de 215 p. c.
« Depuis longtemps on a remarqué que la progression des livrets élevés est toujours la plus forte ; c'est là un résultat dont on doit se réjouir au point de vue de l'administration des caisses d'épargne, car les frais d'administration augmentent selon le nombre des livrets, et diminuent proportionnellement selon le capital qu'elles ont à gérer.
« Il ne faut pas attacher trop d'importance à la classification des livrets d'après le maximum, car, même dans les caisses où on a veillé avec le plus grand soin à ce qu'aucun déposant ne possédât plus d'un livret, il a été de toute impossibilité d'échapper à de nombreux abus, et, quoi qu'on fasse, on ne pourra jamais tirer une ligne de démarcation entre le capital de dépôt et le capitale d'épargne.
« Cela est fâcheux, surtout au point de vue de la statistique, mais on ne saurait y porter remède. On aura beau mettre ces livrets au nom du propriétaire, ils finiront toujours, en fait, par être payables au porteur.
« Il serait, du reste, extrêmement regrettable de ne pas accorder les plus grandes facilités aux déposants. Cette facilité a contribué, partout où elle existe, à faire fleurir les caisses, tandis qu'un contrôle trop sévère a arrêté leur essor.
« Les caisses doivent être et sont d'ailleurs créées pour toutes les classes de la population, et c'est seulement à ce point de vue qu'on peut réclamer la garantie de la généralité de la population.
« C'est grâce à ce principe que la ville de Zurich compte 2 livrets par 3 habitants, et le royaume de Saxe 86 déposants sur 100 habitants. »
Ainsi, vous le voyez, partout dans ces pays les caisses sont organisées par l’intervention de l'Etat et sous la garantie de la généralité de la population, des corps publics, des autorités constituées, soit cercles, provinces ou villes, qui se portent les garants des caisses d'épargne, seul moyen qu'on ait reconnu capable de les faire prospérer.
Mais il n'y a pas de raison pour que, nous, nous intervenions, dit l'honorable membre ; quel motif donnez-vous pour intervenir ? L'état déplorable de nos caisses d'épargne, l'infériorité que nous constatons chez nous ? Mais cet état déplorable, je le nie, cette infériorité, je ne l'admets pas.
En vain on oppose les faits les plus manifestes, en vain on prouve que, dans presque aucun pays, on ne voit, aussi peu que chez nous, d'épargnes d'ouvriers recueillies et placées de manière à assurer ce dépôt sacré ; l'honorable membre répond imperturbablement : « C'est que nous avons d'autres moyens de faire des placements ; vous avez parlé des emprunts à primes dont personne ne s'était occupé ; mais il y a aussi les comptes courants chez les banquiers, les coupons de la dette et mille autres moyens de placement », que l'honorable membre ne précise pas autrement.
Je demande à l'honorable membre si, dans d'autres pays, ces moyens de placement font défaut ? Je demande si, en Angleterre, les moyens de placement de toute nature, tels notamment que les dépôts dans les banques, les petits coupons de la dette, si ces moyens de placement, sans parler de beaucoup d'autres, font défaut ? Et cependant, il y a, en Angleterre, un capital énorme, bien distinct de ceux qui se place dans la (page 1529) dette publique et ailleurs, qu'on trouve dans les caisses d'épargne ; il y a plus d'un milliard ainsi versé dans les caisses du gouvernement.
Est-ce qu'en Allemagne aussi il n'y a pas d'autre moyen de placement que les caisses d'épargne ? Est-ce que ceux qu'indique l'honorable membre y font plus défaut que chez nous ? On ne saurait le soutenir ; et cependant les caisses d'épargne y recueillent des sommes considérables comme je viens de le prouver.
Les autorités les plus imposantes sont, d'un seul mot, écartées par l'honorable membre : « Vous parlez de l'Angleterre, dit-il ; j'y comprends l'intervention du gouvernement ; la caisse d'épargne se lie à la taxe des pauvres. Malheureusement pour l'argument, la taxe des pauvres date de trois siècles et les caisses d'épargne sont de date fort récente. Vous voyez, dit-il, le lien qui rattache les caisses d'épargne à la taxe des pauvres ; vous voyez que c'est une subvention que le gouvernement accorde, parce que la caisse se trouve en déficit. »
Messieurs, je ne puis vraiment comprendre un pareil raisonnement ; il n'y a pas la moindre lien, il n'y a pas même de rapport d'idée entre la taxe des pauvres et la caisse d'épargne. Le gouvernement doit combler un déficit de la caisse d'épargne, est-ce parce que le gouvernement veut donner une aumône à ceux qui déposent à la caisse d'épargne, qu'il la prend sous sa garantie et comble lui-même le déficit ? Mais il irait précisément à l’encontre du but qu'il se propose, car c'est par l'effet de l'épargne qu'il veut relever la moralité de la classe ouvrière, tandis que la taxe des pauvres l'abaisse. C'est par l'épargne et par les conséquences moralisatrices qu'elle amène, que le gouvernement compte atténuer, sinon extirper, la taxe des pauvres.
Le déficit ne résulte pas d'une subvention faite à titre d'aumône ; il résulte de ce que les dépôts versés à la caisse d'épargne, étant placés seulement dans le fonds consolidé, il arrive, que, quand des réalisations doivent s'opérer pour les remboursements, elles se font à un taux moins élevé que les achats.
Ce déficit résulte encore de ce que la caisse, qui paye un intérêt fixe, le paye à un taux parfois plus élevé que celui qu'elle reçoit pour les fonds publics achetés par elle. En un mot, le déficit est le résultat d'un vice d'organisation, mais non de la volonté du gouvernement anglais. C'est ce qu'indiquent parfaitement les publicistes anglais.
Si le gouvernement, au lieu de placer les fonds des caisses d'épargne dans les consolidés, variait les placements, de manière à éviter les pertes sur les réalisations, il n'y aurait pas de déficit à combler. C'est là précisément, l'objet des réformes sollicitées, des réclamations incessantes adressées au gouvernement contre l'organisation actuelle des caisses d'épargne de l'Angleterre.
Mais, dit encore l'honorable membre, le remède qu'on vient proposer sera-t-il efficace ? L'intervention de l'Etat sauvera-t-elle ces institutions ? Suffira-elle à les faire grandir, à les faire prospérer ?
Selon l'honorable membre, on se fait illusion. On croit que les caisses d'épargne n'inspirent pas de confiance dans l'état où elles sont aujourd'hui, et que de là vient leur infériorité. Je nie cette assertion, dit-il. Quel motif y aurait-il pour que cette confiance n'existât pas ? A la vérité, il y a eu des crises, il y a eu des catastrophes. Mais il n'y a pas eu de pertes ; grâce à l'intervention du gouvernement, tout a été sauvé ; donc les populations doivent être dans la croyance que le gouvernement prêtera toujours sa garantie, et que, partant, il n'y aura jamais aucune espèce de perte à essuyer.
Je ne suis d'accord avec l'honorable membre ni en fait, ni sur les conséquences qu'il tire de la garantie probable ou de la garantie effective.
Je ne suis pas d'accord en fait, parce que l'honorable membre s'est trompé, lorsqu'il a supposé qu'il n'y avait eu aucune espèce de perte essuyée. Dans la crise de 1830, il y a eu des pertes. Il n'y a pas eu d'intervention ; les caisses ont été liquidées et presque toutes supprimées. Dans la crise de 1848, malgré une intervention de la part du gouvernement, il y a eu perte également pour certains déposants. Car toutes les caisses n'ont pas été, n'ont pas pu être garanties. Alors qu'on intervenait pour garantir les dépôts faits à la caisse d'épargne de la Société générale, on s'abstenait d'intervenir pour les dépôts faits, je ne dirai pas à la Banque de Belgique, mais à une caisse particulière, établie sous le patronage de la Banque de Belgique ; et les déposants à cette caisse n'ont pu obtenir le remboursement qu'en fonds publics, qu'ils ont dû vendre au cours du jour.
En second lieu, il y a une énorme différence entre cette garantie incertaine, problématique, qu'on peut espérer sans doute, mais qui peut ne pas se réaliser, et la garantie formelle, efficace, déclarée d'avance.
Pour l'Etat, je dis que la position est à peu près la même, parce qu'en réalité, il doit dans toute hypothèse intervenir. Je crois avoir démontré cette nécessité à toute évidence. Mais peur les classes laborieuses, qui ont à déposer leurs épargnes, la situation n'est pas la même, parce que, d'avance, on leur dira : Voici l'établissement où vous pouvez, en toute sécurité, sous la garantie de la foi publique, sous la garantie de l'Etat, déposer vos épargnes.
On objecte que les caisses d'épargne existent et que l'intervention ne paraît pas, sous ce rapport, justifiée. Mais non, messieurs, ces caisses n'existent pas. Il n'en est qu'un très petit nombre. Dans la plus grande partie du pays, on n'en trouve pas.
L'honorable membre suppose, et c'est là une des grandes erreurs dans lesquelles il est tombé, que le but que le gouvernement poursuit, en créant l'institution qu'il vous propose, en organisant une caisse d'épargne comme il l'indique, est de se substituer à la liberté, de se substituer aux autres caisses d'épargne, de les faire toutes disparaître.
Dans notre pensée au contraire, le gouvernement ne veut être que l'auxiliaire ; il veut favoriser le développement des caisses particulières, des caisses à établir par les communes, par les provinces, par les associations de bienfaisance, par des établissements privés ou publics. Il veut les favoriser de tout son pouvoir. Il n'exclut pas le moins du monde la création de ces caisses ; il les provoque ; il désire qu'elles s'établissent, et je puis en donner une preuve évidente. Le projet dont nous nous occupons ayant été déposé, des particuliers ont eu l'intention d'organiser une caisse d'épargne. Je citerai l'honorable directeur de l'Union du crédit de Bruxelles. Il s'est demandé s'il n'y avait pas d'obstacle à ce qu'il le fît, si le gouvernement ne verrait pas cela de mauvais œil. Je me suis empressé de déclarer que, bien loin devoir cela de mauvais œil, j'y applaudirais de grand cœur, et que je désirais qu'il établît cette caisse d'épargne.
Les caisses d'épargne privées qui existent et qui continueront à exister, pourront se mettre en rapport avec la caisse d'épargne principale instituée par la loi, et se trouver ainsi dans des conditions de sécurité qui leur manquent complètement aujourd'hui.
Ces caisses d'épargne recevront les dépôts qui leur seront confiés ; elles donneront, je suppose, par un arrangement à faire avec la caisse d’épargne instituée par l'Etat, certaines garanties proportionnées à ces dépôts.
Par contre, la caisse d'épargne prendra vis-à-vis de ces établissements l'obligation de leur fournir des fonds dans une certaine proportion, pour assurer le service de remboursement des dépôts qui auront été effectués chez eux.
. Ainsi, les caisses d'épargne privées s'étendront, se développeront, grâce à l'institution principale qui existera sous la garantie de l'Etat.
Remarquez bien, messieurs, que ce principe est énoncé dans une des dispositions du projet de loi. A l'article 2, il est énoncé que la caisse d'épargne créera des succursales partout où elle pourra obtenir le concours des communes, des particuliers, des personnes bienfaisantes qui voudront l'aider à propager l'institution.
Ainsi, l'institution serait complètement dénaturée, si on l'envisageait comme une sorte d'institution de monopole, voulant se substituer à tontes les caisses d'épargne du pays, voulant exclusivement recueillir les épargnes au détriment des particuliers ou des établissements publics, qui trouveraient bon de fonder de pareilles institutions.
Mais, nous dit l'honorable membre, on va faire une chose des plus périlleuses ; on va créer une dette flottante, peut-être de 150 millions de francs. Ce sera une dette flottante, presque immédiatement exigible, et qui exposera ainsi l'Etat aux plus grands dangers.
Je m'étonne qu'un esprit aussi judicieux que l'honorable membre, ait fait une pareille confusion, ait pu confondre la dette flottante avec le capital éventuel, quel qu'il soit, qui se trouverait déposé dans la caisse d'épargne.
La dette flottante, c'est le résultat d'emprunts faits par l'Etat, dont l'Etat est directement débiteur, et pour lesquels il n'existe aucune espèce de garantie autre que la sienne propre. Supposons un dépôt de 100 millions, de 150 millions, pour admettre le chiffre, quelque élevé qu'il soit, de l'honorable membre, est-ce que la caisse d'épargne n'aura pas de contre-valeur ? Où est la contre-valeur de la dette flottante ? N'aura-t-elle pas un portefeuille ? Quelle analogie y a-t-il entre une pareille institution et la dette flottante dont vous voulez faire un épouvantail ? La situation sera analogue à celle de la Banque nationale dont vous avez parlé.
La Banque nationale, dites-vous, peut avoir sa dette flottante, parce que sa circulation ne lui coûte rien. Mais, permettez-moi de vous le dire, il va là une étrange confusion d'idées. Que cette circulation coûte ou ne coûte pas, cela est indifférent, quant à la question de savoir comment elle peut rembourser. Pourquoi peut-elle rembourser ? Parce qu'elle a une (page 1530) encaisse, un portefeuille. Or, la caisse d'épargne sera absolument dans la même situation. Elle aura, elle doit avoir nécessairement une encaisse. Elle aura aussi un portefeuille, qu'elle pourra réaliser au besoin. Les objections de l'honorable membre reposent donc sur des erreurs manifestes.
Mais d'ailleurs, messieurs, ne prend-on aucune espèce de précaution ? n'y a-t-il, dans les garanties stipulées dans le projet de loi, rien qui puisse donner satisfaction aux craintes les plus exagérées que l'on puisse émettre à ce sujet ?
Et d'abord, messieurs, tout dépôt excédant 3,000 fr. doit être réclamé six mois d'avance !
N'est-ce donc pas là une garantie et une grande garantie ? Ensuite, aux termes du projet de loi, dès qu'un dépôt excède 3,000 fr., l'administration de la caisse peut, après avoir prévenu le déposant, convertir ce dépôt en fonds publics, qui deviennent alors immédiatement la propriété du déposant. Où donc, messieurs, est le danger de ce chef ?
Enfin l'administration est obligée de publier ses comptes par l'intermédiaire du ministre des finances. Il y a une publicité complète sur toute ses opérations ; n'est-ce pas encore une garantie ? En outre, la Cour des comptes est appelée à intervenir pour examiner la gestion de la caisse ; n'est-ce point là aussi une bien sérieuse garantie ? Enfin le gouvernement rendra annuellement compte aux chambres de toutes les opérations de la caisse. Chaque année les Chambres seront mises à même de constater quelle est véritablement la situation, quel est le genre d'opérations auxquelles se livre l'institution. N'est-ce pas là la plus sérieuse des garanties ?
Et il n'y aurait pas, dans ces précautions si multipliées, toute espèce de sécurité contre les abus que l'on semble craindre, et que je ne puis considérer que comme absolument chimériques ?
Une caisse d'épargne, dit l'honorable membre, reprenant une observation que j'ai faite, une caisse d'épargne recevant exclusivement de petits dépôts n'est pas née viable. Il en déduit que c'est pour ce motif qu'on veut masquer les opérations que l'on compte faire, que cet argument n'est mis en avant que pour permettre de réclamer, en faveur de l'institution, la faculté de se livrer à toute espèce d'opérations de banque.
Messieurs, l'honorable membre n'a pris que la moitié des observations que j'ai eu l'honneur de vous soumettre à cet égard.
J'ai dit, il est vrai, et je répète que l'établissement qui se bornerait à recevoir les petites épargnes, les dépôts d'un franc par exemple, et qui voudrait les faire fructifier, se ruinerait nécessairement. J'ai ajouté qu'il fallait donner à cet établissement le moyen de couvrir ses dépenses et de payer les intérêts. Son intervention dans les placements commerciaux, comme on l'a dit, ne va pas au-delà. Toute autre intervention serait précisément abusive, et c'est l'intervention qui serait interdite. Mais quelle objection peut-il y avoir contre une intervention ainsi limitée ?
Il vaudrait mieux, dit l'honorable membre, demander nettement et franchement au trésor public de payer la différence, de donner une subvention.
Messieurs, cela ne me paraît pas raisonnable.
Qu'y a-t-il d'exorbitant à ce que la caisse puisse recevoir une certaine somme de capitaux, qu'elle emploiera pour couvrir les dépenses qui lui sont imposées et pour payer l'intérêt qu'elle devra servir aux petits déposants ? Quelle bonne raison peut-on donner pour écarter, en pareille circonstance, le dépôt de capitaux supérieurs à 3,000 fr. ? Pour ma part, je n'en aperçois pas.
L'honorable membre dit : « Mais vous allez faire concurrence aux banquiers ; vous trouvez que les opérations de banque sout bonnes, et en conséquence vous proposez de les faire faire par votre institution. Mais que dirait-on si vous veniez proposer de mettre aux mains de l'Etat le monopole des opérations de banque, sous prétexte que l'on serait affranchi, par ce moyen, de toute espèce d'impôt ? »
Eh bien, messieurs, une telle proposition serait absurde, voilà tout ! Mais de ce que l'on ferait une chose absurde en exagérant, comme le fait l'honorable membre, s'ensuit-il qu'on ne fait pas une chose raisonnable en se maintenant dans les limites tracés par le projet de loi ?
Si, d'ailleurs, les motifs de l'honorable membre sont fondés, si ses principes absolus pouvaient prévaloir, je demande à quel titre nous conservons les chemins de fer, à quel titre nous les exploitons.
- Un membre. - Et les postes ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Sans doute. Dans l'ordre d'idées de l'honorable membre, les chemins de fer devraient être complètement exclus, les postes elles-mêmes devraient être complètement exclus. Les particuliers pourraient se livrer à ces opérations (Interruption.)
- Des membres. - C'est ce que l’on a soutenu.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Sans doute, cela a été soutenu très souvent ; mais je ne sache pas que cela ait été admis, ni surtout que cela doive l'être. Je crois que c'est se placer à un point de vue économique très faux que d'exclure l'intervention du gouvernement d'une manière absolue. Je vais plus loin, je dis que probablement l'avenir nous réserve, comme transformation des impôts, la constitution d'un certain nombre de monopoles exercés par l'Etat.
Mais l'Etat et le pays s'en trouveront parfaitement bien.
M. de Naeyer. - Ce n'est pas possible.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je sais bien qu'il y a des économistes qui n'admettent pas cela ; je le sais parfaitement bien ; mais je me demande ce qu'il y a de déraisonnable en cela, je me demande ce qu'il y a de plus anti-économique, ou de prélever directement sur les contribuables, sans s'enquérir s'ils sont dans la gêne, s'ils peuvent ou ne peuvent pas les payer, les sommes nécessaires aux divers services publics, ou d'obtenir ces sommes, comme dans un siècle nous les obtiendrons peut-être, par l'exploitation des chemins de fer qui doivent tous revenir à l'Etat, de les obtenir sans inquiéter personne, sans troubler personne, sans s'exposer à atteindre ceux qui sout dans la misère ? Je ne croirais pas cette dernière situation bien malheureuse pour un pays.
M. Julliot. - C'est d'une mauvaise école.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Votre école économique est très bonne ; nous la connaissons depuis longtemps.
J'aime beaucoup les choses raisonnables, et je ne trouve absolument rien de déraisonnable à ce que le gouvernement obtienne ce qui est nécessaire aux services publics sous une forme plutôt que sous une autre et surtout sous la forme la moins gênante pour le public.
Quoi qu'il en soit, fermons cette parenthèse, et reprenons le sujet en discussion.
Mais, dit l'honorable membre, je ne comprends pas l'intervention de la Banque comme vous l'avez imaginé dans votre projet de loi. La Banque Nationale va intervenir en faveur de la caisse d'épargne, pour faire des opérations de même nature que celles que fait la Banque elle-même, pour son propre compte. Mais évidemment, ajoute-t-il, la Banque prendra les bonnes opérations, et passera à votre caisse d'épargne les mauvaises. Vous n'avez aucune espèce de garantie contre les pertes qui pourront résulter d'une telle situation.
Je dois dire que l'honorable membre ne s'est pas rendu un compte bien exact de l'intervention de la Banque dans cette affaire.
La Banque doit intervenir en vertu de la loi de son institution, par une condition onéreuse ; elle doit faire le service de la caisse d'épargne partout où elle a des agents ; elle doit, par conséquent, supporter en certaine mesure les frais de cette administration. De cette façon, les charges des caisses d'épargne organisées par l'Etat, sont considérablement diminuées.
Cet avantage doit en amener un autre, qui en est la conséquence naturelle ; les frais d'administration étant réduits, on pourra réduire dans une égale proportion l'admission des capitaux proprement dits, sur lesquels on doit trouver les bénéfices nécessaires pour subvenir aux frais de gestion.
En second lieu, l'administration de la caisse d'épargne chargera l'administration de la Banque Nationale de faire emploi d'une certaine catégorie de ses valeurs ; mais l'administration de la caisse d'épargne aura seule la gestion ; et, par conséquent, la responsabilité n'ira pas s'éparpiller sur l'administration de la Banque Nationale et sur celle de la caisse d'épargne.
La caisse d'épargne fera, par l'intermédiaire de la Banque nationale, sous des conditions qui permettront d'éviter toute perte, non pas précisément et nécessairement les opérations que la Banque seule doit et peut faire, mais les opérations que la Banque ne peut pas faire ; elle les fera au plus grand avantage de la caisse et au plus grand avantage du public. Ce sont des opérations qui présentent toute espèce de garanties, qui ne sont pas des opérations commerciales proprement dites, mais qui sont interdites à la Banque.
M. B. Dumortier. - Ce sont des opérations de crédit mobilier.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous pouvez être bien tranquille ; vous ne tuerez pas avec ces mots-là la caisse d'épargne : on ne vous croira pas.
M. B. Dumortier. - C'est pourtant la vérité.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Oh ! si c'était une vérité, elle serait bientôt admise ; mais ceux qui vous entendront crier « crédit mobilier » à propos de la caisse d'épargne, diront que la pensée qui vous inspire est tout autre que celle que vous exprimez.
Messieurs, il en est de même de l'intervention de la caisse des dépôts et consignations. L'honorable M. De Naeyer a supposé que cette caisse ferait comme elle l'entendrait les opérations qui lui seraient confiées par la (page 1531) caisse d’épargne, et qu'ainsi on se renverrait de l'un à l'autre la responsabilité des opérations qui auraient été faites.
L'honorable membre se trompe ; la caisse des dépôts et consignations sera, comme la Banque nationale, un intermédiaire qui remplira les engagements qu'elle aura acceptés ou les ordres qui lui seront donnés par la caisse d’épargne ; mais la caisse d'épargne aura seule la responsabilité des opérations qui auront été faites.
Maintenant, voyons ce qui pourrait advenir quant aux pertes éventuelles qui résulteraient de pareilles opérations. Voyons s'il y a lieu de s'effrayer de l'idée de la garantie qui incombe à l'Etat en pareil cas.
Nous l'avons déjà dit : Aujourd'hui vous laissez faire n'importe par qui et n'importe dans quelles limites toute espère d'opérations avec les fonds provenant des caisses d'épargne ; si même la situation pouvait s'améliorer sous ce rapport ; si d'autres caisses venaient à s'établir et que les particuliers qui emploient les fonds des caisses d'épargne, le fissent de la manière la plus fructueuse, la nécessité de votre intervention, de votre garantie, renaîtrait dans un moment donné ; vous auriez laissé faire toutes les opérations sans contrôle, sans aucune espèce de surveillance, et vous en assumeriez la responsabilité !
Si, au contraire, nous agissons dans l'ordre d'idées du projet de loi, il y a toute garantie que les opérations seront faites d'une manière sage et prudente, sans que la responsabilité de l'Etat puisse être sérieusement ou même réellement engagée.
Vous aurez dans le portefeuille des caisses d'épargne des valeurs effectives, des valeurs de toute nature, et quand, dans un moment donné, on pourrait être obligé d'intervenir en faveur des caisses d'épargne, il suffira d'attendre que le calme soit rétabli, que la crise soit passée, pour qu'aucune espèce de perte ne soit essuyée par l'Etat. Il faudrait supposer, pour qu'il en fût autrement, que sur un capital de dépôt de 100 millions, par exemple, il y eût une perte de 5 p. c. pour arriver à perdre 5 millions ; une perte de 10 p. c., pour arriver à perdre 10 millions. Mais, dans la même hypothèse, comment n'essuierait-on pas ces mêmes pertes avec les caisses particulières ? Comment, d'ailleurs, avec toutes les précautions qui sont prises, des pertes sérieuses sont-elles possibles par la caisse que nous voulons organiser ?
Mais voilà donc, dans l'hypothèse où l'on s'est placé, en mettant toutes choses au pire, le risque que l'Etat aurait à courir au maximum, en faveur d'une institution qui, de l'aveu de tous, est une garantie d'ordre et de moralité, un moyen sûr et légitime d'améliorer la position des classes laborieuses de la société. En Angleterre, on attache un tel prix à ces institutions que l'on veut conférer le droit d'être électeurs à ceux qui ont une certaine somme déposée dans les caisses d'épargne.
Je convie la Chambre à vouloir bien réfléchir à l'importance du projet de loi qui lui est soumis, et je pense que lorsqu'elle l'aura examinée mûrement, elle reconnaîtra qu'il repose sur des bases telles, que jamais la garantie de l'Etat ne pourra être sérieusement engagée.
- La suite de la discussion est remise à demain à deux heures.
La séance est levée à 4 heures trois quarts.