(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)
(page 1493) (Présidence de M. Vervoort.)
M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. Thienpont, secrétaire., présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre :
« Les membres du conseil communal de Lille-Saint-Hubert déclarent s'engager à céder gratuitement les terrains incultes appartenant à la commune qui pourraient être empris pour la construction du chemin de fer de Liège à Tongres et de Hasselt à Eyndhoven par Zonhoven, etc., si la législature accorde un minimum d'intérêt de 4 p. c. à la société concessionnaire. »
-Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Longchamps demandent la construction du chemin de fer de Namur à Landen. »
- Même renvoi.
«Le sieur Schwan, caporal clairon au 7ème régiment de ligne, né à Gand, demande à recouvrer la qualité de Belge qu'il a perdu en prenant du service militaire à l'étranger. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« M. de Bronckart, retenu par une indisposition, demande un congé »
- Accordé.
M. le président. - Plusieurs sections ont autorisé la lecture de la proposition suivante :
« Art. 1er. L'action en dommages-intérêts contre un ministre pour faits de son administration sera portée devant les tribunaux civils ordinaires.
« Art. 2. Cette action ne pourra être introduite sans l'autorisation préalable de la Chambre des représentants.
« Art. 3. Elle devra être intentée endéans les six mois à compter du jour où l'autorisation aura été accordée.
« Art. 4. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation.
« (Signé) Em. de Gottal, Louis Goblet. »
Quand ces messieurs désirent-ils développer leur proposition ?
M. Goblet. - Je désire ajouter quelques mots aux développements donnés hier par M. de Gottal.
- Plusieurs membres. - Parlez !
M. Goblet. - Messieurs, la présentation de ce projet de loi est justifiée par les faits.
Permettez-moi de vous faire un résumé succinct de la question, et je suis convaincu que vous trouverez comme moi que dans cette enceinte, soit de la part du gouvernement, soit de la part de l'initiative d'un membre, il devait nécessairement surgir un projet de loi pour régler définitivement une question aussi importante.
Comment se présente la question devant nous ? Un citoyen est lésé dans ses intérêts, il y a un délit, un acte illégal ; ce citoyen demande à la Chambre belge un moyen d'obtenir réparation du tort qui lui a été causé.
Certes, messieurs, avant de permettre qu'un ministre subisse les conséquences d'un acte qu'il a posé, même d'un acte illégal, il y a plusieurs considérations à examiner ; d'abord il faut établir si le pétitionnaire est fondé en venant demander à la Chambre la réparation d'un dommage, ensuite si réellement l'acte illégal a été posé. Ces deux points sont ici hors de doute. Personne ne peut nier aujourd'hui qu'il y a eu un acte illégal posé ; deux arrêts le déclarait, l'ont déclaré successivement, il y a eu arrestation arbitraire par suite de cet acte illégal, et il est dû des dommages et intérêts au citoyen lésé.
Y a-t-il moyen de réparer le dommage causé par ces faits ?
Non, en présence de certaines lacunes de procédure qui existent dans notre législation.
Messieurs, dois-je vous rappeler la manière dont cette affaire Hayez, qui a eu tant de retentissement, fut introduite dans la Chambre ? Vous souvenez-vous de la manière hautaine, dédaigneuse, si je puis m’exprimer ainsi, dont la réclamation du pétitionnaire a été accueillie au banc ministériel ? Vous rappelez-vous quels efforts il nous a fallu faire, non pas pour obtenir que l'on fît attention aux plaintes de l’honorable M. Hayez, mais pour obtenir qu'il fût envoyé devant une juridiction quelconque qui lui permît de discuter l'acte posé contre lui.
Jusqu'au dernier moment l'honorable ministre de la guerre et l'honorable ministre des finances s'opposaient au renvoi devant la Cour militaire elle-même.
M. le ministre de la guerre disait : « Pour être traduit devant la cour militaire, il faut qu'il se rende coupable d'un nouveau délit. » Ainsi, on refusait de traduire le colonel Hayez, qui le demandait, devant un juge où il pût se défendre.
Quand on est arraché de sa demeure, emprisonné, torturé moralement, je dis torturer, car si le lieutenant-colonel Hayez n'avait pas pu avoir recours à la Chambre, en vacances, combien aurait duré sa détention illégale ? Vous ne pouvez pas le dire.
Le colonel Hayez, malade, aurait été ruiné dans ses affaires, ruiné dans sa santé. Il lui était impossible de se soustraire aux conséquences de son arrestation illégale, car on a employé la force.
Je dis donc qu'il n'y a pas seulement emprisonnement illégal mais qu'il y a eu torture morale pour faire céder le colonel Hayez, pour lui faire adopter la manière de voir de l'administration et lui faire abandonner son bon droit.
La Chambre ne voulant pas déclarer avant coup que le département de la guerre avait juridiquement tort, qu'a-t-elle fait ? Elle a acquiescé à la demande si modérée, trop modérée, du renvoi du lieutenant-colonel Hayez devant la haute cour militaire ; les ministres se sont alors clairement expliqués : ils s'en sont entièrement référés au pouvoir judiciaire. Qu'a fait la haute cour militaire ? Qu'ont fait ces généraux, ces officiers, ces pairs du lieutenant général Chazal et du lieutenant-colonel Hayez ? Ils ont déclaré que l'administration de la guerre avait tort. Qu'a-t-on dit alors ? Les membres de la haute cour militaire ne sont pas des hommes de loi ; nous nous adresserons à la cour de cassation ; là on connaît le droit et là aussi on nous donnera gain de cause.
Or, qu'a fait la cour de cassation ? Qu'a fait le représentant du gouvernement près la cour de cassation ? Il a condamné formellement la doctrine du département de la guerre, et la cour de cassation a jugé qu'il y avait eu arrestation illégale.
Voilà donc la question telle qu'elle se pose.
Après ces deux arrêts, après les paroles que nous avons entendu prononcer sur le banc ministériel, il n'y a qu'une seule chose qui m'étonne.
C'est que le lendemain de la décision de la cour suprême, les ministres ne soient pas venus présenter un projet de loi pour rendre justice à un citoyen qui avait été traité d'une manière si illégale.
Messieurs, voici les motifs généraux qui nous ont inspirés ; d'un côté c'est le regret de ne pas voir le ministère aller au-devant de cette nécessité ; d'autre part, nous avons la conviction qu'en Belgique il ne peut y avoir de citoyens hors la loi et des citoyens au-dessus de la loi.
Nous inspirant de l'article 24, qui porte que les fonctionnaires publics sont renvoyés devant les tribunaux civils pour faits de leur administration, sauf les exceptions prévues ultérieurement par le ministre, nous avons cru pouvoir demander à la Chambre de régler ce mode de procédure en renvoyant également les ministres devant les tribunaux civils.
En combinant l'article 24 avec l'article 90, nous nous sommes dit que puisque la Chambre avait un pouvoir discrétionnaire, elle pouvait le plus en pouvant le moins, il n'y avait nul inconvénient à suivre ce mode.
Messieurs, qu'on ne s'y trompe pas : la question qui se débat devant nous n'est pas une question de parti ; ce n'est pas une question politique ; c'est une question de haute moralité, de moralité publique ; c'est une question de justice distributive.
Si en Belgique, dans ce pays si libéralement constitué, un citoyen peut être illégalement et impunément privé de sa liberté individuelle qui est la plus précieuse de toutes les libertés, si on peut se permettre en Belgique ce qu'on ne se permettrait pas dans le gouvernement le plus absolu, si on peut enfermer un citoyen sans raison, et venir lui dire ensuite : « Personne n'est responsable du tort qu'on vous a fait, » je dis que la Belgique, qui ne remédierait pas à un pareil étal de choses, subirait un abaissement moral.
Si dans une Chambre belge, où l'on parle si souvent de liberté, où l'on invoque à tout moment de beaux et généreux sentiments, on trouve (page 1494) une majorité pour refuser à un citoyen les moyens de procédure nécessaires pour se faire rendre justice, je dis qu'il y aurait là aussi un abaissement pour la Chambre devant le pays.
Et si, comme je le crains, un ministère libéral recule devant la tâche qui lui incombe, de placer tout le monde sur la même ligne, de faire respecter la légalité depuis la plus haute personnalité jusqu'à la plus infime ; si le ministère ne présente pas un projet de loi pour atteindre ce but si désiré, je crois de mon devoir de persévérer dans la voie où je suis entré avec mon honorable ami M. de Gottal et de poursuivre la discussion et l'adoption du projet de loi que nous avons déposé sur le bureau.
M. le président. - La discussion sur la prise en considération de la proposition de loi est ouverte.
- Quelqu'un demande-t-il la parole ?
Personne ne demandant la parole, la discussion est close.
Je vais mettre aux voix la prise en considération.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je demande la parole.
- Plusieurs membres. - La discussion vient d'être close.
- Plusieurs voix. - Non ! non !
M. de Naeyer. - Elle a été close, mais sans discussion.
M. Allard. - Ne veut-on pas que l'on parle ?
M. le président. - La Chambre veut-elle rouvrir la discussion ?
- Voix nombreuses. - Oui ! oui !
M. le président. - La discussion est donc rouverte.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je n'avais pas compris que la discussion fût close.
M. le président. - La discussion est rouverte sur la prise en considération. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je crois que, l'honorable M. Goblet serait le premier à consentir à ce que la discussion de la proposition eût lieu d'une manière complète.
M. Goblet. - Je n'ai pas dit le contraire.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Le ministère, messieurs, ne s'oppose pas à la prise en considération de la proposition de loi déposée par les honorables MM. de Gottal et Goblet. Si cependant ce projet était exclusivement motivé par les considérations qui ont été produites dans la séance d'hier et dans celle d'aujourd'hui, le gouvernement devrait le combattre.
Nous admettons parfaitement que la Constitution renferme un article qui jusqu'ici n'a pas reçu d'exécution, en ce qui concerne la procédure à suivre à l'égard des ministres et les cas de responsabilité. Sous ce rapport, une loi est nécessaire et, si l'on s'en rapportait à l'article 139 de la Constitution, cette loi devrait être considérée depuis longtemps comme urgente.
Il a été décidé par le Congrès, en 1831, qu'il y avait lieu de faire, dans le plus court délai, une loi relative à la responsabilité ministérielle.
Depuis cette époque, messieurs, aucune loi n'a été faite. Je crois que toutes les Chambres et tous les ministères qui se sont succédé depuis le Congrès, ont leur part de responsabilité dans cette lacune, si tant est qu'on ne puisse pas dire à leur décharge qu'une loi pareille est très difficile à faire.
Quant à nous, messieurs, nous n'avons aucun motif de reculer devant la discussion d'une pareille loi. Mais venir reprocher au ministère actuel de ne pas s'être empressé, dès le lendemain de l'arrêt rendu par la cour de cassation, de venir déposer un pareil projet de loi, voilà ce que je ne puis comprendre. Il nous semble que ce devoir incombait à ceux qui, dominés par des raisons que je ne veux pas examiner en ce moment, avaient imprimé à nos débats un caractère si passionné et avaient mis tant de persévérance dans leurs attaques ; c'était à ceux-là qu'il incombait de proposer, dès le lendemain de l'arrêt de cassation, la mesure qu'ils viennent de se résoudre à présenter.
Il faut, messieurs, qu'il soit bien entendu que, si nous acceptons la prise en considération de la proposition qui est faite, nous repoussons en même temps les motifs sur lesquels on appuie cette proposition. Si l'on veut se renfermer dans des motifs généraux, si l'on veut invoquer la nécessité de mettre enfin en pratique l'article de la Constitution resté inexécuté jusqu'ici, nous le voulons bien : nous reconnaissons que cet article n'a pas reçu son exécution et qu'il peut y avoir lieu d'y procéder. Mais nous voulons que cette question soit entièrement indépendante des faits posés antérieurement.
C'est aussi dans ce sens que nous nous sommes ralliés à la proposition du dépôt au bureau des renseignements de la pétition du colonel Hayez, Nous disons que, sur cette question, chaque membre de la Chambre conserve son opinion entièrement libre et que les motifs de détermination de chacun restent à l'état purement personnel.
Messieurs, le projet de loi que nous n'avons pas à discuter ici, je le prédis d'avance, ne pourra en aucune manière demeurer dans la forme qui lui est donnée. Je prédis que cette loi sera très laborieuse, très difficile à faire et ce sont ces difficultés mêmes qui ont fait jusqu'ici reculer devant une obligation constitutionnelle.
Mais en attendant, messieurs, est-il vrai que les citoyens soient livrés à l'arbitraire ministériel ? Est-il vrai que la responsabilité ministérielle ne soit qu'un vain mot ? Est-il un pays au monde où la responsabilité ministérielle soit plus souvent, plus fréquemment, plus vivement mise en jeu qu'au sein de la libre Belgique ?
N'avez-vous pas l'article 134 de la Constitution qui vous investit d'un pouvoir discrétionnaire pour mettre à toute heure les ministres en accusation ?
On parle de tortures qui auraient été infligées à un brave officier, parce qu'il aurait été mis aux arrêts et parce qu'il aurait subi quelques jours de détention dans une forteresse.
Loin de moi, messieurs, l'idée de vouloir exciter aucun sentiment que nous serions les premiers à repousser, sur la situation des ministres. Mais croit-on que cette situation soit si agréable, si heureuse, si peu entourée de soucis ?
N'est-ce rien pour des ministres, honnêtes gens, faisant de bonne foi les affaires du pays, pouvant se tromper, mais agissant de bonne foi et loyalement, n'est-ce rien que de se voir tous les jours traînés à la barre de cette Chambre et du pays, accusés de toute espèce de méfaits, de violation de la Constitution, de mépris des droits des citoyens ? Je ne parle pas d'autres injures, d'autres outrages. Il faut aux hommes du gouvernement un profond sentiment de leur devoir ; il leur faut du courage pour supporter avec sang-froid, et sans se laisser détourner de leur route, de pareilles attaques, de pareilles injures.
M. Goblet. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Veuillez respecter le droit qu'a chaque orateur de s'expliquer.
Je ne parle pas de vous, je parle de la situation générale du ministère.
M. Goblet. - Si vous ne parlez pas de moi, je n'insiste pas, et je vous demande pardon de vous avoir interrompu.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Vous savez que je ne parle pas de vous ; je ne vous ai pas nommé, je vous prie de ne pas m'interrompre.
M. de Brouckere. - On parle en général.
M. le président. - Les paroles de M. le ministre avaient évidemment une portée générale.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je n'ai pas parlé des injures que vous avez débitées. Cependant vous ne vous en faites pas faute.
M. Goblet. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.
Je ne puis admettre que M. le ministre des affaires étrangères déclare dans cette enceinte que je ne me fais pas faute d'injurier les membres de cette Chambre.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - J'ai dit : d'injurier les ministres.
M. Goblet. - M. le ministre des affaires étrangères a prononcé ces paroles : Ce n'est pas à vous que mes paroles s'adressent. Cependant vous ne vous faites pas faute d'injurier. Voilà ce que je n'admets pas qu'on puisse dire, ni ici, ni ailleurs.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Ici et ailleurs, je garde mon franc parler vis-à-vis de vous, je vous prie d'en prendre noie.
M. Goblet. - Je demande formellement que cette expression soit retirée.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Comment ! quand vous dites aux ministres qu'ils violent la Constitution !
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Quand vous les accusez de faire des arrestations arbitraires, ce qui est une injure !
M. Goblet. - Ce n'est pas une injure.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Quand vous dites qu'un citoyen a été mis à la torture par un ministre, ce n'est pas une injure ?
M. Goblet. - Non, ce n'est pas une injure, c'est constaté par le jugement.
M. le président. - Je vous engage, M. le ministre, à apporter du calme dans ce débat, à éviter toute expression qui peut lui donner un caractère irritant.
De son côté, M. Goblet n'aurait pas dû vous interrompre. Maintenant ne prolongeons pas cet incident et veuillez reprendre votre discours.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). Il semble que je suis resté parfaitement calme.
(page 1495) M. le président. - Je vous engage et j'engagerai tous les membres de la Chambre à observer le calme qui doit surtout présider aux discussions de la nature de celle qui nous occupe.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je disais que les ministres étaient responsables moralement et constitutionnellement, j'admettais qu'il y avait une lacune dans notre législation, au point de vue de la procédure.
J'ajoutais que quant à nous, nous ne demandions pas mieux que de prêter la main à la confection d'une loi organique de la Constitution, faisant observer qu'une pareille loi serait très difficile à faire.
Si la proposition de MM. Goblet et de Gottal contient en elle les germes d'une loi acceptable, si après avoir été examinée et profondément modifiée dans les sections, elle peut être le point de départ d'une législation dont tout le monde regrette l'absence, nous serons heureux de doter le pays d'une pareille législation. Les ministres n'ont aucune espèce d'intérêt à ce qu'aucune loi ne se prononce sur leur compte ; il leur importe, comme à tous les citoyens, de savoir jusqu'où va leur droit et leur responsabilité. Ils sont responsables de tout ce qu'ils disent, de tout ce qu'ils font et même de tout ce qu'ils ne disent pas ou ne font pas.
M. Coomans. - Nous aussi.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Soit, mais dans une beaucoup moindre mesure ; le banc ministériel est le point de mire des attaques de l'opposition ; les ministres acceptent leur rôle bien franchement, et je ne pense pas qu'on puisse nous accuser de vouloir échapper aux conséquences de notre position. Cela dit, nous ne nous opposons pas à la prise en considération.
Maintenant, je demande aux auteurs de la proposition, me plaçant à leur point de vue, s'ils ne doivent pas être satisfaits : ils ont soutenu qu'un arrêté pris de bonne foi, conforme à de nombreux précédents, ainsi que l'a constaté la cour de cassation, ils ont soutenu que cet arrêté était illégal ; la légalité de l'arrête était défendue par les ministres, la question est venue se résoudre devant la justice ; la légalité de l'arrêté n'a été reconnue ni par la haute cour militaire, ni par la cour de cassation. Sous ce rapport, l'opposition doit être satisfaite.
Mais il paraît que cela ne lui suffit pas ; il faut pousser plus avant l'attaque contre le ministre de la guerre. Il faut qu'il subisse jusqu'au bout les conséquences de cet acte qu'il a posé de bonne foi.
Un officier a été placé dans la même position que beaucoup d'autres avant lui ; il faut à cet officier la réparation des prétendues tortures auxquelles il a été soumis par le ministre de la guerre.
Je crois, messieurs, que dans cette circonstance l'opposition va trop loin, et qu'elle s'expose à perdre la situation favorable, je le reconnais, que lui avait faite la jurisprudence qui a donné tort au ministère. Je crois que l'intéressé lui-même, le principal intéressé, s'il avait été bien conseillé, n'aurait pas occupé davantage le parlement de sa personne. Il est un moment, messieurs, où l'intérêt qu'à tort ou à raison on excite dans l'opinion publique, vient à disparaître devant l'insistance même que l'on met à vouloir l'exciter.
Il ne faut pas en abuser ; à cet intérêt, bien ou mal justifié, peut succéder l'indifférence. On est exposé à ce que le public ne voie dans cette persistance à poursuivre la réparation d'un grief, autre chose que ces hautes questions de moralité que l'on a mises tout à l'heure en avant. Beaucoup d'esprits, sans pousser trop loin la défiance, en viennent à se demander s'il n'y a pas au fond de cette persistance autre chose que la poursuite de la réparation d'un grief, s'il n'y a pas aussi dans cette question, qui n'est pas, dit-on, une question de parti, une question de personne. Voilà, messieurs, les réflexions qui peuvent se présenter à certains esprits.
Du reste, je n'ai pas à diriger les membres de l'opposition dans la conduite qu'ils ont à tenir. Ils pourront continuer d'entretenir la Chambre de cette question. Mon avis est que l'on fera bien mieux d'aborder l'examen de la loi qu'il s'agit de faire, sans préoccupation aucune des faits qui se sont accomplis. Voilà, messieurs, les conseils que je me permets de donner à la Chambre avant qu'elle procède dans ses sections à l'examen du projet de loi.
(page 1501) M. Van Overloop. - Messieurs, je regrette profondément les faits qui ont donné naissance à la plainte du colonel Hayez. Je les regrette d'autant plus que, je n'hésite pas à le déclarer, j'estime sincèrement le général Chazal. Je crois que les sentiments de l'honorable ministre de la guerre sont trop élevés, je crois qu'il comprend si bien ce que lui impose le devoir, qu'il ne m'en voudra pas de remplir le mien, alors même que sa propre personne est en jeu.
Je regrette encore, à un autre point de vue, les faits qui ont donné naissance à la plainte du colonel Hayez ; dans mon âme et conscience, je suis convaincu que le général Chazal n'a posé ces faits que parce qu'il avait été induit en erreur sur la portée de son droit.
Si donc, messieurs, je n'écoutais que mes sentiments personnels, je me tairais ; mais les questions que la plainte du colonel Hayez soulève sont trop graves, elles touchent à l'essence même de notre pacte fondamental, elles touchent à ce qui est au-dessus de notre pacte fondamental, elles touchent aux principes d'éternelle justice.
Elles touchent, dis-je, à l'essence de notre pacte fondamental. Quelle est donc cette essence ? N'est-ce pas de protéger la liberté des citoyens ? Chaque article de la Constitution n'est-il pas une garantie pour les citoyens contre les empiétements du pouvoir ? Et la justice éternelle, la conscience ne dit-elle pas à chacun de nous que lorsque nous avons, par notre faute, causé un dommage à quelqu'un, nous devons le réparer ?
Dans ces circonstances, je crois ne pas pouvoir me taire.
Le colonel Hayez se plaint d'avoir été arrêté arbitrairement. Or, selon moi, on ne saurait être assez circonspect lorsqu'il s'agit d'atteintes portées à la liberté individuelle par un agent du gouvernement.
Comme tout homme, messieurs, tout gouvernement a une tendance naturelle à faire disparaître les entraves qui forment obstacle à la libre exécution de sa volonté.
Parfois même, les gouvernements donnent à la réalisation de cette tendance, la qualification de mesures libérales, et, à leur point de vue, ils ont raison, car l'essence de la liberté, c'est la suppression des entraves que l'on rencontre à l'exécution de sa volonté.
A ce point de vue donc, les gouvernements ont raison de qualifier quelquefois de mesures libérales, des mesures qui sont, au contraire, profondément illibérales.
C'est surtout des gouvernements qu'on peut dire, l'histoire le constate :
« Laissez-leur prendre un pied chez vous
« Ils en auront bientôt pris quatre. »
L'histoire de. l'Europe moderne nous en fournit plus d'un exemple.
Messieurs, ce qui se passe actuellement en Piémont, n'est-ce pas encore la justification de cette vérité ? Dans le Piémont, il existe également des chambres ; elles ont permis, vous le savez tous, de porter des atteintes graves, profondes à la liberté des citoyens, dans l'ordre religieux, et que nous apprennent aujourd'hui les journaux ? C'est que ces mêmes atteintes graves, profondes, le gouvernement veut les porter à l'exercice de la liberté dans l'ordre politique. Je cite un fait, je ne le discute pas.
La première question à résoudre est celle de savoir si un ministre est responsable, comme tous les autres citoyens, des dommages causés par sa faute.
En droit naturel, messieurs, la solution de cette question n'est pas un seul instant douteuse. La conscience nous dit à tous, et malheur à celui à qui elle ne le dirait pas, que quiconque a causé par sa faute un tort à autrui, doit le réparer.
Le droit positif est, sous ce rapport, d'accord avec le droit naturel : les articles 1382 et 1383 du Code civil ne laissent aucun doute à cet égard.
Et remarquez, messieurs, que ces articles 1382 et 1383 ne sont pas la source du droit à la réparation qu'a la personne lésée- : ils ne font que proclamer un droit préexistant.
Je fais cette observation en passant pour répondre à une objection que j'ai entendue : c'est que le Code civil ne règle que les rapports des citoyens entre eux.
D'ailleurs, plusieurs articles de la Constitution consacrent formellement le principe que les ministres sont responsables. Il suffit de lire les articles 63, 89, 90, 134, 139 n°5.
Ainsi, tant au point de vue du droit naturel qu'au point de vue du droit positif, il me paraît évident qu'un ministre, comme toute autre personne, est responsable du dommage qu'il a causé par sa faute à un simple citoyen.
La Constitution ne déclare irresponsable que deux espèces de personnes.
Elle déclare d'abord irresponsables les membres des deux Chambres, quant aux opinions et aux votes émis par eux dans l'exercice de leurs fonctions. (Article 44.)
Elle ne les déclare plus, comme autrefois, irresponsables même du chef de leurs faits ; les membres des Chambres ne sont plus, comme sous l'empire de la constitution de 1791, si je ne me trompe, irresponsables des faits posés dans l'exercice de leurs fonctions.
La Constitution déclare encore irresponsable une autre personne : c'est le Roi. Mais l'irresponsabilité même du Roi est plutôt fictive que réelle au point de vue des actes administratifs, car les actes pesés par le Roi ne produisent aucun effet, s'ils ne sont pas contresignés par un ministre, et, d'autre part, les ministres sont responsables des actes contresignés par eux.
Il en résulte, je le répète, que l'inviolabilité même du Roi, au point de vue administratif, est plutôt fictive que réelle, puisque les citoyens trouvent toujours quelqu'un à qui s'adresser pour demander réparation du dommage qui leur aurait été injustement causé.
Mais, messieurs, si en principe, un ministre est responsable, cornue tout autre citoyen, en fait, l'exercice de l'action en réparation dirigée contre un ministre doit être soumis à des conditions et à des formalités autrement grandes que l'exercice d'une action en réparation dirigée contre un simple particulier.
Et cela se comprend : il faut qu'un ministre ne puisse pas être facilement détourné des graves devoirs qu'il a à remplir, par des préoccupations privées ; il ne faut pas qu'un ministre qui, en définitive, ne peut tout voir par lui-même, qui est cependant responsable des actes de ses subordonnés ; il ne faut pas que ce ministre puisse, à la légère, être traduit devant les tribunaux, aux fins d'être condamné à la réparation du préjudice qu'il pourrait avoir causé à un citoyen.
Voilà ce qui explique la nécessité de l'autorisation préalable requise pour intenter une action dirigée contre un ministre du chef d'actes posés par lui dans l'exercice de ses fonctions.
La question de savoir si un ministre, a commis une faute donnant lieu à réparation, ne pourrait être décidée, en fait, avec la même rigueur que s'il s'agissait d'un particulier.
Il ne sera peut-être pas indifférent, messieurs, puisque nous sommes, en ce moment, saisis d'un projet de loi relatif à la responsabilité ministérielle, de vous faire aussi brièvement que possible l'historique de la législation sur cette matière.
En premier lieu, se trouve le décret des 27 avril-23 mai 1791, relatif à l'organisation du ministère.
J'y lis :
« Art. 29. Les ministres sont responsables :
« 1° De tous délits par eux commis contre la sûreté nationale et la constitution du royaume.
« 2° De tout attentat à la liberté et à la propriété individuelle.
« 3° De tout emploi de fonds publics sans un décret du corps législatif et de toute dissipation de deniers publics qu'ils auraient faite ou favorisée.
« Art. 30. Les délits des ministres, les réparations et les peines qui pourront être prononcées contre les ministres coupables, seront déterminés dans le Code pénal.
« Art. 31. Aucun ministre en place, ou hors de place, ne pourra, pour faits de son administration, être traduit en justice en matière criminelle, qu'après un décret du corps législatif, prononçant qu'il y a lieu à accusation.
« Tout ministre contre lequel il sera intervenu un décret du corps législatif, déclarant, qu'il y a lieu à accusation, pourra être poursuivi en dommages-intérêts par les citoyens qui éprouvent une lésion résultant de faits qui auront donné lieu au décret du corps législatif. »
Conformément à l'article 30 de ce décret, le législateur du Code pénal des 25 seplembre-6 octobre 1791 tâcha de déterminer les délits spéciaux des ministres.
Survint ensuite, la Constitution du 25 fructidor an III.
Sous l'empire de cette Constitution, le pouvoir exécutif lui-même n'était pas irresponsable.
Quant aux ministres, l'article152 de cette Constitution dispose :
« Les ministres sont respectivement responsables, tant de l'inexécution des lois, que de l'inexécution des arrêtés du directoire. »
Le 10 vendémiaire an IV, parut un nouveau décret sur l'organisation du ministère.
Il reproduit à peu près le système du décret des 27 avrit-25 mai 1794. Comme ce dernier décret, il renvoie au Code pénal pour déterminer les délits des ministres, les réparations et les peines.
On s'efforça de remplir cette lacune dans le Code du 3 brumaire an IV.
Ce Code pénal contenait, avec quelques extensions, les mêmes dispositions que le précédent.
(page 1502) On y trouve entre autres les dispositions suivantes, identiques à celles du Code de 1791, dispositions sur lesquelles je crois devoir appeler toute votre attention spéciale.
« Art. 634. Tout attentat contre la liberté individuelle, chose essentielle de la Constitution française, sera puni ainsi qu'il suit :
« Tout homme, quelle que soit sa place ou son emploi, autre que ceux qui ont reçu de la loi le droit d'arrestation, qui donnera, signera, exécutera l’ordre d'arrêter une personne vivant sous l'empire et la protection des lois françaises, ou l'arrêtera effectivement, si ce n'est pour la remettre sur-le-champ à la police, dans les cas déterminés par la loi, sera puni de la peine de six années de gêne. »
L'article 635 porte :
« Si ce crime était commis en vertu d'un ordre émané du pouvoir exécutif, les membres du directoire exécutif ou les ministres qui l'auront signé, seront punis de douze années de gêne. »
Je ne cite ces dispositions que pour faire remarquer la juste importance qu'on attachait à la liberté individuelle.
Comme vous le voyez, messieurs, les ministres étaient, sous l'empire de cette législation, soumis, non seulement à la législation pénale ordinaire, mais encore à une législation spéciale.
Le 22 frimaire an VIII parut la constitution de ce jour. On y lit, article 69 :
« Les fonctions des membres soit du Sénat, soit du corps législatif, soit du tribunat ; celles des consuls et des conseillers d'Etat, ne donnent lieu à aucune responsabilité.
« Art. 70. Les délits personnel emportant peine afflictive ou infamante, commis par un membre soit du Sénat, soit du tribunat, soit du corps législatif, soit du conseil d'Etat, sont poursuivis devant les tribunaux ordinaires, après qu'une délibération du corps auquel le prévenu appartient a autorisé cette poursuite. »
Vous le voyez, messieurs, on se rapproche du système de l'empire, du système qui, comme vous le savez, a eu pour effet réel de décréter les ministres d'inviolabilité, de les rendre inviolables pour tous les actes qu'ils pourraient accomplir. L'article 71 continue :
« Les ministres prévenus de délits privés emportant peine afflictive ou infamante sont considérés comme membres du conseil d'Etat. »
C'est-à-dire qu'on ne peut les poursuivre que pour autant qu'on y ait été autorisé par une délibération du conseil d'Etat.
« Art. 72. Les ministres sont responsables : 1° de tout acte du gouvernement signé par eux, et déclaré inconstitutionnel par le sénat ; 2° de l'inexécution des lois et des règlements de l'administration publique ; 3° des ordres particuliers qu'ils ont donnés, si ces ordres sont contraires à la constitution, aux lois et aux règlements. »
Ce qui, au fond, signifie : pas de responsabilité. Je ne pense pas que le sénat ait jamais déclaré un acte quelconque inconstitutionnel.
D'ailleurs, comme vous le voyez, les expressions de l'article 72 sont très larges ; et les ministres pouvaient parfaitement passer à travers sans jamais être exposés à être poursuivis.
« Art. 73. Dans le cas de l'article précédent, le tribunat dénonce le ministre par un acte sur lequel le corps législatif délibère dans les formes ordinaires, après avoir entendu ou appelé le dénoncé.
« Le ministre mis en jugement par un décret du corps législatif est jugé par une haute cour, sans appel et sans recours en cassation. »
Vous remarquerez, messieurs, que cette Constitution du 22 frimaire an VIII s'écarte des constitutions antérieures en ce qu'elle ne renvoie pas au Code pénal pour déterminer les délits des ministres.
Enfin, messieurs, parut le sénatus-consulte du 28 floréal an XII qui, comme vous le savez, fut constitutif de l'empire français.
Ce sénatus-consulte a maintenu les principes consacrés par la Constitution de l'an VIII. Il ne renvoie pas davantage au Code pénal pour les délits des ministres. Il faut seulement remarquer que l'article 130 porte : « La haute cour impériale ne peut prononcer que des peines portées par le Code pénal.
« Elle prononce, s'il y a lieu, la condamnation aux dommages et intérêts civils. »
Le Code pénal de brumaire an IV était encore en vigueur sous l'empire du sénatus-consulte de floréal an XII. Les ministres restaient donc passibles des peines comminées contre les crimes et délits ordinaires et de celles comminées contre les délits spéciaux dont les ministres peuvent se rendre coupables dans l'exercice de leurs fondions.
Ensuite, messieurs, survint le Code pénal de 1810. Nous sommes en plein empire. Ce Code ne parle plus des crimes et des délits spéciaux des ministres. Ceux-ci se trouvent rangés par le Code de 1810 absolument sur la même ligne que les antres fonctionnaires. A partir de 1810 donc, à partir de l'empire dans toute sa puissance, plus de délits spéciaux pour les ministres.
Enfin arriva la loi fondamentale de 1815.
Cette loi ne proclame pas même le principe de la responsabilité ministérielle. Je crois pouvoir déduire de ce silence que les ministres se sont trouvés légalement dans la même position que les autres fonctionnaires, c'est-à-dire qu'ils sont restés responsables, comme eux, de tous les délits et quasi-délits qu'ils pourraient commettre dans l'exercice de leurs fonctions.
L'existence, du reste, de cette responsabilité générale ne saurait être mise en doute, en présence de l'article 177 de cette loi fondamentale. Cet article porte :
« Les membres des états généraux, les chefs des départements d'administration générale, les conseillers d'Etat et les commissaires du roi dans les provinces, sont justiciables de la haute cour, pour tous les délits commis pendant la durée de leurs fonctions.
« Pour délits commis dans l'exercice de leurs fonctions, ils ne peuvent être poursuivis qu'après que les états généraux ont autorisé la poursuite. »
Dans la loi fondamentale de 1815, on fait donc une distinction entre les délits ordinaires, commis pendant la durée des fonctions ministérielles et les délits commis dans l'exercice des fonctions ministérielles.
Tel était, messieurs, l'état de la législation sur la matière, lorsque le Congrès national se trouva appelé à doter la Belgique d'une nouvelle Constitution.
Ainsi, à cette époque, en 1830, les ministres avaient un juge spécial, chargé de connaître des crimes qu'on leur imputait, soit que ces crimes eussent été commis dans l'exercice ou hors de l'exercice de leurs fonctions.
Si les ministres étaient accusés d'un fait commis dans l'exercice de leurs fonctions, on ne pouvait les traduire devant la haute cour qu'après avoir obtenu l'autorisation préalable des états généraux. Quant aux quasi-délits, quant à la responsabilité civile des faits posés par les ministres, la loi fondamentale garde le silence.
Messieurs, ces observations préliminaires étaient nécessaires, je pense, pour faire bien comprendre la portée des articles de la Constitution relatifs à la responsabilité ministérielle. Quelles sont les dispositions de la Constitution relatives à cet objet ?
Nous avons d'abord l'article 24 ainsi conçu :
« Nulle autorisation préalable n'est nécessaire pour exercer des poursuites contre les fonctionnaires publics, pour faits de leur administration, sauf ce qui est statué à l'égard des ministres.
Plus loin, l'article 90 porte :
« La Chambre des représentants a le droit d'accuser les ministres et de les traduire devant la cour de cassation, qui seule a le droit de les juger, Chambres réunies, sauf ce qui sera statué par la loi, quant à l'exercice de l'action civile par la partie lésée et aux crimes et délits que des ministres auraient commis dans l'exercice de leurs fonctions.
« Une loi déterminera le cas de responsabilité, les peines à infliger aux ministres et le mode de procéder contre eux, soit sur l'accusation admise par la Chambre des représentants, soit sur la poursuite des parties lésées. »
Et le Congrès, messieurs, s'attendant sans doute à ce que les ministres ne se seraient pas empressés de déposer un projet de loi sur la responsabilité ministérielle ; le Congrès, toujours prévoyant, formula un article complémentaire, l'article 134 de la Constitution.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - On en a fait usage en 1834.
M. Van Overloop. - Oui, mais sans aucun effet.
L'article 134 dit : « Jusqu'à ce qu'il y soit pourvu par une loi, la Chambre des représentants aura un pouvoir discrétionnaire pour accuser un ministre, et la cour de cassation pour le juger, en caractérisant le délit et en déterminant la peine.
« Néanmoins, la peine ne pourra excéder celle de la réclusion, sans préjudice des cas expressément prévus par les lois pénales. »
Messieurs, je crois qu'il est utile d'analyser ces dispositions ; car, comme vous avez pu le remarquer à la simple lecture, elles traitent à la fois et de la responsabilité criminelle et civile, et de la juridiction qui devra être suivie, et de la procédure à suivre.
Au point de vue de la responsabilité criminelle, les ministres sont passibles des peines communes, lorsqu'ils ont agi hors de l'exercice de leurs fonctions.
La Constitution, en effet, ne fait aucune exception, en leur faveur, à (page 1503) l'article 6 qui proclame tous les citoyens égaux devant la loi, soit que. la loi protège, soit que la loi punisse.
Au point de vue de la responsabilité criminelle, les ministres sont en outre passibles des peines que la loi doit déterminer contre certains faits dont ils peuvent se rendre coupables dans l'exercice de leurs fonctions C'est ce que porte le paragraphe 2 de l'article 90 :
« Une loi déterminera les cas de responsabilité, les peines à infliger aux ministres et le mode de procéder contre eux soit sur l'accusation admise par la Chambre des représentants, suit sur la poursuite des parties lésées. »
C'est ce que dit encore l'article 139, n°5 :
« Le Congrès national déclare qu'il est nécessaire de pourvoir par des lois séparées et dans le plus court délai possible aux objets suivants :
« 5° La responsabilité des ministres et autres agents du pouvoir. »
En attendant qu'une loi détermine les cas de responsabilité des ministres, si un ministre commet un fait assez grave pour être poursuivi criminellement, la cour de cassation a le droit et le devoir de caractériser la nature du délit et de déterminer la peine.
Voilà, nous semble-t-il, ce que la Constitution dit, relativement à la responsabilité des ministres, au point de vue criminel.
Au point de vue de la responsabilité civile, vis à-vis des citoyens lésés, les ministres restent soumis au droit commun, qui nous oblige de réparer le tort causé par notre faute.
La Constitution ne proclame aucune exception eu leur faveur, au point de vue du principe de cette responsabilité.
Il n'y a aucun doute que tel soit le sens de l'article 90, en présence de la discussion du Congrès et des opinions de M. de Theux et autres membres du Congrès dont les paroles ont été citées hier par M. de Gottal. C'est d'ailleurs conforme à la loi fondamentale que les membres du Congrès avaient sous les yeux en formulant la Constitution.
L'article 90 présuppose la responsabilité civile du ministre, puisqu'il dit que ce sera à la loi à régler l'exercice de l'action en réparation civile du dommage éprouvé.
Au point de vue de la juridiction compétente, si un ministre est poursuivi du chef de crime ou de délit commis dans l'exercice de ses fonctions, la cour de cassation est seule compétente pour le juger.
L'article 90 le dit, et sous ce rapport, il est encore conforme au prescrit de la loi fondamentale de 1815.
Si au contraire le crime ou délit a été commis hors l'exercice des fonctions de ministre, c'est au législateur que la Constitution se réfère pour déterminer le juge compétent : « sauf ce qui sera statué par la loi quant aux crimes et délits que des ministres auraient commis hors l'exercice de leurs fonctions. »
Sous l'empire de la loi fondamentale, le même juge était appelé à décider dans les deux cas.
S'agit-il, non pas d'une poursuite criminelle, mais seulement d'une action en réparation du dommage causée ; c'est encore au législateur que le Congrès se réfère pour décider quel est le juge compétent. La loi fondamentale se tait sur ce point, comme je l'ai déjà dit.
Au point de vue des formalités de procédure, le ministre accusé de crime ou délit commis dans l'exercice de ses fonctions, ne peut être poursuivi qu'en vertu d'un décret d'accusation de la Chambre des représentants, qui le traduit devant la Cour de cassation, seule appelée à le juger.
La Constitution proclame le principe, mais elle ne dit pas comment il doit être appliqué. La loi fondamentale ne le disait pas davantage.
Si un ministre est accusé de crime ou de délit commis hors de ses fonctions, l'article 90 n'exige pas un décret préalable de la Chambre des représentants.
La Constitution laisse au législateur le soin de déterminer ce qu'il y a à faire dans ce cas.
Elle ne dit pas non plus quelles sont les formes à suivre au cas qu'un citoyen veuille actionner un ministre en réparation d'un dommage causé ; elle abandonne le règlement de ce point au législateur futur.
Celui-ci a donc à décider s'il faut une autorisation préalable pour poursuivre au civil un ministre en réparation de dommages causés. Quel sera le juge compétent ? Les tribunaux ordinaires ou la cour de cassation ? Quelles seront les formalités ? Celles du Code de procédure ou des formalités déterminées par une loi spéciale ? Le Congrès a laissé au législateur futur le soin de régler toutes ces questions. Nous aurons à les examiner à l'occasion du projet de loi déposé par MM. de Gottal et Goblet.
En présence de ces principes et des plaintes du colonel Hayez, que nous reste-il à faire ?
Nous sommes saisis de la plainte du colonel Bayez. Le fait imputé à M. le ministre de la guerre a été commis dans l'exercice de ses fonctions. Ce fait est grave ; c'est incontestable.
Y a-t-il lieu, dans ces circonstances, d'user de notre pouvoir discrétionnaire et de mettre l'honorable général Chazal en accusation ? Personne ne le demandera.
Le général Chazal n'a posé le fait regrettable de l'arrestation du colonel Hayez que, j'en ai la conviction, parce qu'il a été induit en erreur sur la nature de ses droits. Je dirai plus, les intentions du général Chazal, en posant ce fait d'arrestation, étaient des intentions louables. Le général Chazal voulait faire respecter la discipline de l'armée en sévissant contre un citoyen, qu'il considérait comme officier, et qui, en le supposant encore officier, avait gravement manqué aux lois de la subordination.
Est-ce à dire, messieurs, que nous devons nous borner à un simple dépôt de la pétition du colonel Hayez au bureau des renseignements ? Ce serait, messieurs, frapper un citoyen d'un déni de justice.
Le colonel Hayez a été lésé par suite d'une erreur en droit du général Chazal. Mais enfin, il a été lésé. Il doit être possible au colonel Hayez de demander la réparation du dommage qu'il prétend lui avoir été causé par sa faute. Je ne pense pas qu'il nous appartienne à nous, membres de la Chambre, d'apprécier, en fait, si l'erreur dans laquelle a versé le général Chazal, le met à l'abri de toute condamnation.
Cela rentre dans les attributions du pouvoir judiciaire. En présence d'une Constitution qui proclame la séparation des pouvoirs, nous ne devons poser aucun acte d'empiétement sur les attributions du pouvoir judiciaire, de même qu'il faut empêcher le pouvoir judiciaire de faire un empiétement sur les attributions du pouvoir exécutif ou du pouvoir législatif. Gardons-nous de suivre, sous ce rapport, l'exemple qui nous a été donné à la fin du siècle dernier par la convention nationale !
II ne nous reste donc pour le moment actuel qu'à faire une loi qui règle l'exercice de l'action civile en réparation de dommages causés, action intentée à un ministre du chef de faits posés par lui dans l'exercice de ses fonctions.
Cette loi, suivant moi, nous sommes obligés en conscience de la faire. Notre mission, n'est-ce pas de veiller incessamment au respect des droits des citoyens, et quel droit est plus sacré que le droit de la liberté individuelle ? Ne manquerions-nous pas à notre mission, si par notre propre inaction, nous empêchions un citoyen de demander la justice qu'il prétend lui être due du chef d'une atteinte à sa liberté individuelle ?
Pour moi, cela ne fait pas de doute et c'est surtout le motif qui m'a déterminé à prendre la parole dans cette discussion. Le juge qui refuse de juger sous prétexte de silence, d'obscurité ou d'insuffisance de la loi, ce juge est coupable du crime de déni de justice. Je ne pense pas que nos pouvoirs de membre de la Chambre, quelque grands qu'ils soient, puissent nous autoriser à commettre ce même crime.
Notre honneur nous oblige, au surplus, de ne pas envoyer simplement au bureau des renseignements la pétition du colonel Hayez. Que penserait-on de nous à l'étranger, si l'on pouvait supposer que, dans cette libre Belgique, comme vient de le dire M. le ministre des affaires étrangères, il serait cependant permis à un ministre d'arrêter impunément, d'une manière illégale et de détenir impunément et d'une manière illégale un simple citoyen ? Notre honneur serait compromis. Et que dirait le pays lui-même, si nous consacrions par notre inaction une pareille impunité ?
Je sais, messieurs, qu'on nous fait une objection. On dit : Mais la loi que vous allez faire ou que vous proposez de faire, sera une loi inefficace pour le plaignant. Car elle ne peut avoir d'effet rétroactif.
Si cette objection était fondée, ce serait un motif de plus de faire cette loi immédiatement, pour prévenir qu'à l'avenir le même fait se représentant, on vienne empêcher, par la même objection, la réparation du préjudice éprouvé.
Mais, du reste, à mon point de vue, cette loi aurait un effet rétroactif, et peut avoir un effet rétroactif. Il est, je crois, de science certaine que les lois de compétences et de procédure ont des effets rétroactifs. Cela me semble incontestable. On n’a jamais, je crois, considération une loi de compétence, ni une loi de procédure, comme n’entraînant pas un effet rétroactif.
Nous pouvons donc faire une telle loi, et le colonel Hayez pourra user de cette loi, si bon lui semble.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est votre opinion.
M. Van Overloop. - Il paraît que M. le ministre de la justice ne partage pas mon opinion sur la rétroactivité de la loi à faire. Eh bien, messieurs, voici, cependant, quelle serait la conséquence d'une opinion contraire à la mienne. Si la loi que nous sommes appelés à faire ne pouvait pas avoir d'effet rétroactif, qu'en résulterait-il ?
(page 1504) Il en résulterait, le texte de l'article 90 de la Constitution à la main, qu'un ministre resterait impuni, alors même qu'il aurait commis un crime ou un délit hors de l'exercice de ses fonctions. Un ministre se serait rendu coupable d'assassinat, se serait rendu coupable de vol hors de l'exercice de ses fonctions : si la loi à faire ne pouvait avoir d'effet rétroactif, il en résulterait que ce ministre serait impuni.
Voilà la réponse que je fais à M. le ministre et je prends l'article 90 pour le prouver.
« La Chambre des représentants a le droit d'accuser les ministres et de les traduire devant la cour de cassation, qui, seule, a le droit de les juger, chambres réunies, sauf ce qui sera statué par la loi, quant à l'exercice de l'action civile par la partie lésée, et aux crimes et délits que les ministres auraient commis hors de l'exercice de leurs fonctions. »
Il faut donc une loi de procédure, même pour poursuivre un ministre devant la justice répressive du chef de crime ou délit commis hors de ses fonctions.
Or, si ce principe était vrai, que les lois de procédure ne peuvent avoir d'effet rétroactif, il en résulterait qu'un ministre pourrait impunément commettre un crime, ou un délit ordinaire.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Mais non.
M. Van Overloop. - Mais en matière de responsabilité ministérielle, il y a peut-être quelque chose de plus fort, c'est qu'à un certain point de vue, l'article 134 de la Constitution consacre le principe de la rétroactivité. C'est la cour de cassation qui est appelée à caractériser le fait du délit et à déterminer la peine.
Eh bien, c'est une dérogation à l'article 9 de la Constitution en vertu duquel aucune peine ne peut être appliquée qu'en vertu d'une loi : C'est à un certain point de vue une véritable loi rétroactive que la cour de cassation est appelée en certains cas à faire.
Du reste, je ne m'occupe pas de la question du fond. Quand la loi sera faite, le colonel Hayez s'en servira ou ne s'en servira pas. Si, nonobstant cette loi, l'action du colonel Hayez est non recevable, les tribunaux le déclareront. Si l'action est recevable, les tribunaux l'accueilleront. Ce n'est pas à nous de décider cette question.
Mais ce n'est pas parce que cette loi ne pourrait produire un effet efficace pour le colonel Hayez, que nous devons nous abstenir de faire cette loi. Je ne comprends pas qu'on soutienne le contraire.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Mais je ne soutiens rien du tout. Vous ne pouvez me prêter une quantité d'opinions que je n'ai pas.
M. Van Overloop. - Vous faites des signes négatifs ; je dois supposer que vous ne partagez pas mon opinion.
L'objection tirée de ce que M. Hayez ne serait pas recevable à intenter une action en réparation devant les tribunaux, ne peut pas tenir.
Mais, messieurs, puisque nous traitons, en ce moment une question de responsabilité ministérielle, je désirerais savoir si et quand le gouvernement se déterminera à déposer un projet de loi sur la responsabilité des ministres en général.
Messieurs, au banc des ministres l'on invoque souvent les principes de 1789, mais il paraît que lorsqu'il s'agit de l'autorité, les honorables membres du cabinet préfèrent se retrancher derrière les principes de l'empire.
En 1789, le Code pénal déterminait les cas de responsabilité ministérielle, pourquoi donc n'a-t-on pas trouvé une place quelconque pour spécifier les cas de responsabilité ministérielle dans l'énorme Code pénal que nous venons de voter ?
Je me trompe, messieurs, le Code pénal ordinaire règle des cas de responsabilité des ministres, mais il est à remarquer que ce sont des cas de responsabilité des ministres du culte et non pas des ministres à portefeuille. Or, pour moi, je crois qu'il vaudrait infiniment mieux régler avant tout les cas de responsabilité des ministres à portefeuille, car ce sont les ministres à portefeuille qui peuvent porter des atteintes graves à la liberté individuelle, tandis que les ministres du culte ne peuvent pas poser des faits de cette nature.
Les ministres invoquent continuellement le droit commun, mais ils restent en dehors du droit commun.
Messieurs, si la loi de procédure que vous avez à faire ne pouvait pas avoir d'effet rétroactif, il en résulterait un privilège pour les ministres.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Vous avez l’article 134.
M. Van Overloop. - Messieurs, je n'entends mettre en doute l'honorabilité d'aucun de mes collègues, mais l'expérience d'autres pays a démontré que lorsqu'un cabinet dispose d'une majorité en sa faveur, un ministre se serait rendu coupable des faits les plus graves, la majorité ne le décréterait pas d'accusation. (Interruption.)
M. le président. - M. Van Overloop, je dois vous arrêter ; il n'est pas permis de mettre ici en avant de pareilles doctrines.
M. Van Overloop. - J'ai commencé par dire que je ne mettais en doute l'honorabilité d'aucun de mes collègues de la Chambre, mais que l'histoire constate ailleurs que la responsabilité des ministres n'offre pas de garanties suffisantes aux citoyens. Je n'ai pas parlé de la Belgique.
En résumé, messieurs, je désire pour ma part que nous soyons saisis sans retard d'une loi déterminant les cas de responsabilité ministérielle en général, qu'on fasse, immédiatement une loi réglant l'exercice de l'action civile contre les ministre en réparation du dommage qu'ils auraient causé par leur faute. Avec cette loi nous aurons au moins une garantie en faveur des citoyens, si nous n'avons pas une garantie suffisante en faveur de la société. En un mot, je désire qu'on mette immédiatement le colonel Hayez à même de demander la réparation du dommage qu'il prétend lui avoir été causé. Les tribunaux seuls auront à décider si l'honorable chef du département de la guerre, en posant les actes dont le colonel Hayez se plaint, a encouru une responsabilité civile quelconque.
Voyez, messieurs, quelle serait la conséquence de l'absence d'une loi donnant aux citoyens le moyen de demander justice.
Les citoyens ne pourraient-ils pas dans certaines circonstances, au grand dam de l'ordre social, se rendre justice à eux-mêmes ? Que serait-il arrivé si le colonel Hayez, au lieu d'opposer une résistance passive aux actes dont il se plaint, si le colonel Hayez avait opposé à ces actes une résistance active ? Que serait-il arrivé si le colonel Hayez avait brûlé la cervelle à l'agent de l'autorité qui venait l'arrêter ? (Interruption.)
Je crois que c'est l'honorable M. de Brouckere qui a dit : « Mais il serait mort ! » Je dois déclarer que. je trouve fort étrange qu'un honorable membres de cette Chambre fasse si peu de cas de la vie d'un homme.
Messieurs, si, en l'absence d'une loi réglant l'exercice de l'action civile, le ministre de la guerre peut impunément faire arrêter d'une manière illégale un colonel de l'armée, pourquoi donc l'honorable ministre de l'intérieur ne pourrait-il pas faire arrêter illégalement un colonel de la garde civique ? Il serait irresponsable au point de vue civil.
Il est donc, messieurs, de la plus haute importance qu'on règle par une loi l'exercice de l'action civile des citoyens en réparation du dommage qui leur aurait été causé par la faute d'un ministre.
Et qu'on ne vienne pas me dire, messieurs, que moi, qui appartiens au parti conservateur, je porte atteinte au respect dû à l'autorité, qu'il faut avoir confiance aux agents du pouvoir. A mon point de vue, messieurs, les plus grands partisans du pouvoir fort légal sont d'ordinaire les plus rudes adversaires du pouvoir moral.
Le seul moyen pour l'autorité, de se faire respecter et de se faire respecter convenablement, c'est d'agir de façon à obtenir l'obéissance non par la contrainte extérieure, non par la force, mais par l'adhésion volontaire, l'adhésion morale et libre des citoyens. Pour que le pouvoir soit respecté, il faut qu'il reste dans les limites de la loi.
Si le pouvoir, en sortant des limites de la loi, a causé un préjudice à quelqu'un, comme c'est lui qui est, avant tout, chargé de faire respecter le droit, il serait convenable qu'il agît comme le particulier qui a causé un préjudice à autrui, par sa faute, c'est-à-dire, qu'il prît les devants pour faire rendre justice à qui de droit.
(page 1495) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, l'honorable préopinant se flatte d'avoir dit beaucoup de vérités ; je suppose qu'au nombre de ces vérités, il range cette accusation qui a soulevé de vives réclamations de ce côté de la Chambre. Il a accusé les majorités d'être généralement complices des actes des ministres, quelle que pût être l'énormité, la criminalité de ces actes. Je ne sais pas si l'honorable membre connaît des majorités capables de descendre à ce degré d'indignité...
M. Van Overloop. - Je n'ai rien dit de t mt cela.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai reproduit vos paroles : Vous avez parlé des majorités... (Interruption.)
M. Van Overloop. - J'ai dit ailleurs.
M. B. Dumortier. - Cela a été expliqué ; on a cité un fait historique,
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Si vous voulez bien me le permettre, nous allons rappeler les faits.
L'honorable ministre des affaires étrangères, interrompant le préopinant, lui a dit : « Vous avez à votre disposition l'article 134 de la Constitution ; vous pouvez tous les jours, à toute heure, proposer la mise en accusation des ministres. »
A quoi l'honorable membre répondit : « On sait que les ministères qui disposent d'une majorité sont à l'abri de toute espèce de poursuites... (Interruption) que les majorités sont à la disposition des ministres. » (Nouvelle interruption.)
M. Van Overloop. - Je répète que je n'ai pas voulu faire allusion à la majorité de cette Chambre.
M. B. Dumortier. - On n'a fait que rappeler ce qui s'est produit ailleurs.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je comprends très bien d'ailleurs qu'on veuille reculer devant l'offense ; mais je la maintiendrai, et je vais montrer l'injustice de cette offense, dans les faits mêmes qui se sont produits à l'occasion de la plainte du lieutenant-colonel Hayez.
Qui a pris sous sa protection le grief qu'a fait valoir M. le lieutenant-colonel Hayez ? Ce sont nos honorables amis.
C'est sur la motion d'un de nos amis que M. le lieutenant-colonel Hayez a été renvoyé devant les tribunaux.
Voilà la réponse à l'injuste accusation de l’honorable préopinant, et voilà la justification de la majorité libérale.
Messieurs, je n'aurais pas pris la parole dans cette discussion, si l'on s'était borné à accueillir le dépôt de la pétition au bureau des renseignements, seule mesure qui soit praticable, même en proposant la prise en considération du projet de loi dont nous sommes saisis, toutes les opinions étant, d'ailleurs, réservées, chacun gardant ses convictions sur tous les faits qui ont donné lieu à cette motion. Mais on accompagne chacun de ces actes de commentaires et d'accusations ; les incriminations les plus graves sont adressées à l'un de nos collègues, et nous croyons que nous ne pouvons nous taire, sans qu'on ait le droit de nous accuser de lâcheté.
M. le ministre de la guerre est donc accusé d'avoir commis une illégalité, d'avoir violé la Constitution, d'avoir commis un acte arbitraire, d'avoir emprisonné, torturé, le mot a été dit, un citoyen, et tout cela au mépris des lois !
Messieurs, voyons dans quelles circonstances les faits se sont produits, avant d'apprécier leur caractère.
Le 21 mai 1859, le lieutenant-colonel Hayez, que je ne connais pas, que je n'ai aucune espèce de raison d'accuser, que je tiens pour un homme parfaitement honorable, le lieutenant-colonel Bayez fut promu par M. le ministre de la guerre, et, dans son nouveau grade, un poste lui fut assigné.
Le lieutenant-colonel Hayez éleva toutes sortes de difficultés pour ne pas se rendre à ce poste. Il demanda d'abord un congé de deux mois. M. le ministre de la guerre lui accorda ce congé. Le congé expiré, il en demanda une prolongation ; cette prolongation de congé lui fut encore accordée.
Après ce deuxième congé, nouvelle demande, nouvelles instances du lieutenant-colonel Hayez. Le lieutenant-colonel Hayez, promu par M. le ministre de la guerre, et dont le devoir était de se rendre au poste qui lui avait été assigné ; le lieutenant-colonel Hayez, qui avait obtenu déjà deux congés, en demande un troisième ; il écrit que la demande de congé n'était pas seulement motivée par son désir de rester à Anvers, où se trouvaient ses intérêts particuliers, mais encore par la répugnance qu'il éprouvait à se rendre au poste qui lui avait été assigné.
N'oubliez pas que c'est un soldat qui agit ainsi !
Que fait M. le ministre de la guerre ? Il écrit au lieutenant-colonel Hayez la lettre dont je vais donner lecture à la Chambre :
« Monsieur le lieutenant-colonel,
« Je ne puis vous cacher la pénible impression que me cause la lettre que vous venez de m'adresser.
« Lorsque, au mois de mai dernier, je vous ai fait obtenir le grade de lieutenant-colonel, et que vous avez été désigné pour prendre le commandement supérieur de l'artillerie d'une de nos principales places fortes, j'ai pensé que l'honneur qui vous était fait vous aurait inspiré d'autres sentiments que ceux que vous exprimez.
«Vous avez été investi des hautes fonctions que je vous ai confiées à une époque où votre commandement pouvait devenir un des plus importants de l'artillerie, et au lieu de les accepter avec reconnaissance, vous (page 1496) cherchez à vous soustraire aux obligations qu’elles vous imposent en demandant des congés dont vous n’avez nullement besoin.
« Cette conduite, M. le lieutenant-colonel, n’est pas celle d’un militaire dévoué à ses devoirs, et je ne puis que vous exprimez tout le mécontentement qu’elle m’inspire.
« En conséquence, je ne vous accorderai plus de nouveaux congés, et je vous invite itérativement à reprendre vos fonctions et à vous en acquitter avec tout le zèle et tout le dévouement que je suis en droit d'attendre de vous. »
Après cette lettre, que se passa-t-il ? M. le ministre de la guerre eut, je dois le dite, la faiblesse que je condamne, d'accorder un nouveau congé. Cependant, M. le lieutenant-colonel Hayez, à l'expiration de ce troisième congé, accordé dans de pareilles conditions, insiste encore ; il demande un quatrième congé, et tout au moins il sollicite comme une faveur sa mise en non-activité, jusqu'au jour où il aura pu gagner le temps nécessaire pour obtenir le maximum de sa pension ! Par une condescendance inouïe, on accorde encore à M. le lieutenant-colonel Hayez le congé qu'il demande, et avec solde entière.
Mais, messieurs, ce n'était pas assez : à l'expiration de ce quatrième congé, un nouveau congé est encore sollicité. M. le ministre de la guerre consulte l'inspecteur général de l'artillerie, et on reconnaît qu'il n'y a pas autre chose à faire que de mettre le requérant à la pension de retraite.
M. le ministre de la guerre prend un arrêté, conforme aux précédents en pareille circonstance, admettant M. le lieutenant-colonel Hayez à faire valoir ses droits à la pension. Pendant un temps assez long, des discussions ont lieu sur le taux de la liquidation éventuelle de cette pension. Et M. le lieutenant-colonel Hayez élève des prétentions illégales, des prétentions exorbitantes, qu'on est obligé de repousser. La Chambre se souvient de la plupart de ces prétentions ; je ne les rappellerai pas.
Bien convaincu qu'elles ne seraient pas accueillies, M le lieutenant-colonel Hayez écrit à M. le ministre de la guerre la lettre suivante :
« Monsieur le ministre,
« La bienveillance particulière que vous n'avez cessé de me témoigner depuis plus de deux ans, ne me laissant aucun doute sur l'accueil que vous réservez à toute nouvelle réclamation que je pourrais vous adresser, il ne me reste, quelque dure que soit cette nécessité, dans un pays où l'on chante la liberté dans tous les tons, qu'à me soumettre à la loi du plus fort et à accepter la position que vous me faites, position que vous avez rendue et continuez à rendre la moins favorable possible.
« Lorsque, au mépris de toute justice, vous m'avez mis à la pension, après m'avoir attribué des fonctions faites pour jeter du ridicule sur celui qui persistait à les maintenir, bien plus encore que sur celui qui devait les exercer, vous n'avez guère été arrêté par la loi, mais vous vous montrez plein de respect pour d'autres lois ou pour leur interprétation ou leur silence, lorsqu'il s'agit d'admettre les moyens que je fais valoir pour porter au maximum l'espèce d'aumône jetée aux Belges qui ont eu la simplicité de mettre leur confiance dans leurs institutions militaires.
« Le certificat qui atteste mes services civils ne pouvant être appuyé d'autres pièces, pour les motifs que je vous ai énoncés dans ma lettre du 18 juin dernier, je crois inutile de vous l'adresser de nouveau.
« Quant au certificat joint à ma lettre du 28 du même mois, je vous prie de me le renvoyer puisqu'il vous paraît sans valeur.
« Recevez, etc. »
M. le ministre de la guerre a pensé, messieurs, qu'en présence d'une pareille lettre, qui contenait non seulement de graves offenses envers un supérieur, mais encore des insultes à l'adresse du pays, qu'en présence de l'incroyable langage d'un officier osant dire qu'il considérait comme une misérable aumône jetée à ceux qui ont foi dans nos institutions militaires, la pension qu'il sollicitait, M. le ministre de la guerre a pensé, dis-je, qu'une répression était nécessaire. Il a cru, conformément à des précédents du département de la guerre, que les arrêtés qu'il avait obtenus du Roi pour admettre M. le lieutenant-colonel Hayez à la pension, n'étaient point des arrêtés irrévocables, qu'il pouvait les faire rapporter, comme on l'avait fait précédemment, et réintégrer M. le lieutenant-colonel Hayez dans les cadres de l'armée pour lui infliger la juste punition qu'il méritait.
Messieurs, si dans de pareilles circonstances M. le ministre de la guerre s'était tu, s'il avait gardé le silence, et si d'honorables membres de cette Chambre, n'étant plus inspirés par des intérêts individuels, mais se préoccupant de l'intérêt public, étaient venus accuser M. le ministre de la guerre d'avoir montré une faiblesse, une condescendance des plus coupables à l'égard de l'un de ses subordonnés, cette accusation n'aurait-elle pas trouvé des défenseurs dans cette Chambre ? Si on l'avait accusé de favoritisme à l'égard de M. le lieutenant-colonel Hayez, de M. Hayez promu, de M. Hayez qui refuse d'aller à son poste, de M. Hayez qui sollicite et qui obtient congés sur congés, de M. Hayez à qui ces congés sont successivement accordés, de M. Hayez qui ne tient aucun compte des représentations bienveillantes que M. le ministre lui-même lui adresse au sujet de sa conduite, on eût été incontestablement autorisé à se plaindre du relâchement que de tels actes pouvaient introduire dans la discipline de l'armée.
S'il s'était agi d'un simple employé civil, d'un fonctionnaire de l'ordre civil, se rendant coupable d'un pareil acte, dans de pareilles circonstances, refusant de se rendre à son poste, sollicitant successivement des congés, puis, les obtenant, les ayant obtenus, refusant encore de remplir son devoir, et enfin, lorsque le ministre l'a admis à faire valoir ses droits à la pension, lui écrivant une lettre injurieuse, offensante, comme l'est celle de M. Hayez ; et que ce ministre civil eût destitué ce fonctionnaire, dans de pareilles circonstances, il eût usé de son droit, et ce fonctionnaire n'aurait pas trouvé de défenseur dans cette enceinte.
Eh bien, M. le ministre de la guerre a cru qu'il pouvait mettre M. le lieutenant-colonel Hayez en non-activité, au traitement de réforme ; il a pensé que c'était son droit.
On a contesté ce droit ; on a prétendu que M. le lieutenant-colonel Hayez était, dès ce moment, mis à la pension (je ne discute pas la question) ; on a prétendu qu'il avait cessé d'appartenir à l'armée, et qu'on ne pouvait plus, dès lors, le soumettre à la discipline militaire.
Messieurs, on a jugé en première instance, on a jugé en cassation, qu'en effet M. le lieutenant-colonel Hayez n'appartenait plus à l'armée ; mais on n'a pas jugé, comme ne cessent de le répéter les honorables préopinants, qu'il y avait eu arrestation illégale, arbitraire. Cela, ne l'oubliez, pas, n'a aucunement été décidé et ne pouvait pas l'être.
On a jugé, veuillez bien le remarquer, que l'acte ministériel, l'arrêté royal qui avait admis le lieutenant-colonel Hayez à faire valoir ses droits à la pension, était définitif. Mais de cette décision vous induisez, par voie de conséquence, qu'il y a eu arrestation arbitraire, illégalité, violation de la loi et de la Constitution.
Je vous arrête ici ; pour qu'il y eût eu arrestation arbitraire, dans le sens que vous attribuez à ces mots, il faudrait d'abord établir l'intention criminelle du ministre. C'est dans cette intention qu'il faut rechercher le véritable caractère de l'acte que vous incriminez. (Interruption.)
Je parle du sens qu'on donne ici au mot « arrestation arbitraire », acte coupable posé en violation des droits d'un citoyen.
Pour pouvoir accuser le ministre d'avoir posé un tel acte, avec la portée si grave qu'on lui attribue fort gratuitement, il faudrait d'abord que le ministre fût convaincu d'avoir arrêté un homme qu'il savait ne pas pouvoir arrêter, il faudrait d'abord que ce ministre fût convaincu d'intention criminelle ; ce serait alors le cas de prononcer la mise en accusation du ministre ; alors, mais alors seulement, il serait permis de parler de violation de la loi et de la Constitution.
L'arrestation a eu lieu par suite d'une erreur, et d'une erreur qui s'excuse par une bonne foi que personne ne met en doute, pas même les honorables membres qui ont le plus chaudement soutenu la cause du lieutenant-colonel Hayez ; ils ont reconnu la bonne foi du ministre ; la cour de cassation proclame que les antécédents du département de la guerre expliquent l'erreur dans laquelle le ministre est tombé ; il a, de bonne foi, fait un acte qu'il croyait pouvoir faire ; cet acte a pu causer un dommage à autrui, je le reconnais. Mais quand un magistrat, agissant de bonne foi, dans l'exercice de ses fonctions, croyant remplir son devoir et user du droit que la loi lui confère, pose un acte qui cause préjudice à un tiers, je ne demande pas si on peut l'accuser d'un crime ou d'un délit, car ce serait immoral ; mais je demande s'il y a lieu à réparation ? Tous les jours, le juge d'instruction, agissant en acquit de son devoir, dans un intérêt social, fait arrêter, emprisonner, mettre au secret des individus dont on reconnaît ensuite l'innocence. Sans doute, c'est là un grand mal, c'est un malheur que l'on doit déplorer ; mais qui oserait dire que ce juge doit être rendu responsable de l'erreur qu'il a commise, de bonne foi, je le répète, et que cette erreur doit être assimilée à un crime ?
Ce juge sera-t-il civilement responsable de l'acte posé dans l'exercice de ses fonctions ? Mais il est bien évident que personne ne pourrait sérieusement soutenir une semblable théorie. De ce qu'un dommage existe, doit-on nécessairement induire qu'il doit toujours, dans tous les cas, y avoir réparation, même simple réparation civile ?
Mais, messieurs, remarquez-le bien : se tromper, pour un administrateur, pour un ministre, sur le sens d'une loi, on dirait que c'est une de ces monstruosités ou de ces faits qui ne peuvent se commettre que quand on est inspiré, poussé par la perversité !
(page 1497) Et pourtant, quelle est la question de droit qui ne soit sujette aux controverses les plus contradictoires, sur laquelle les arrêts les plus divergents ne soient intervenus ?
Croyez-vous que, dans la cause du lieutenant-colonel Hayez, où vous vous prévalez d'un arrêt, il ne puisse pas y avoir deux opinions, malgré cet arrêt ? Vous êtes avocat, donc vous avez dû dire cent fois qu'un arrêt ne fait pas jurisprudence ; devant la cour même qui avait rendu l'arrêt, vous avez pu soutenir que l'arrêt avait été mal rendu, qu'il pouvait être contesté.
Si les ministres devaient être rendus responsables pour les erreurs qu'ils peuvent commettre dans l'appréciation du droit, je ne voudrais pas rester à mon banc 24 heures. Si des poursuites criminelles pouvaient être intentées, si des réparations civiles seulement pouvaient être réclamées, comment voudriez-vous que je fusse ministre des finances seulement pendant 24 heures, sans être entièrement ruiné ? Mais, tous les jours, je statue sur des questions controversées en matière de droit ; je soutiens que tel est débiteur, je le fais exécuter ; des arrêts surviennent qui déclarent que j'ai eu tort, et qui ordonnent la restitution des droits perçus. J'ai fait exécuter l'individu, j'ai fait vendre ses meubles, j'ai porté atteinte à sa considération, à son crédit, et je serais responsable... Cela n'est pas sérieux.
Messieurs, j'ai été un peu étonné du beau zèle déployé en cette circonstance par l'honorable M. Van Overloop, zèle qu'il a révélé tout à coup. Il s'est montré extrêmement ému ici d'un attentat à la liberté individuelle, qu'il reconnaît cependant avoir été commis de bonne foi, car, comme tout le monde, l'honorable préopinant lui-même proclame la bonne foi du ministre de la guerre.
Mais messieurs, nous avons un exemple, non pas un seulement, mais beaucoup d'exemples anciens et récents d'arrestations non autorisées par la loi, commises par des ministres dans les circonstances les plus graves, qui ont été portées à la connaissance de cette Chambre, et qui pouvaient, aux yeux de tous, être dénoncés légitimement. Qu'a-t-on fait cependant ? On a fait cesser l'arrestation ; personne ne s'est avisé de soutenir que les ministres qui avaient commis l'erreur devaient être mis en accusation, devaient subir une responsabilité personnelle quelconque.
Entre autres faits, un ministre avait ordonné l'expulsion d'une femme étrangère ; on a soutenu que cette expulsion était illégale ; les tribunaux mêmes ont jugé qu'elle était illégale. Quelqu'un s'est-il levé pour demander la mise en accusation de M. d'Anethan, qui avait signé l'arrêté d'expulsion ?
Dans la session de 1856-1857, l'honorable M. Van Overloop a eu une belle occasion d'exposer ces grands et beaux sentiments, ces excellents principes dont il vient de vous donner lecture, et qui se trouvent imprimés tout au long dans l'ouvrage de Dalloz que j'ai ici sous la main.
L'honorable M. Orts a dénoncé à cette époque un fait de la plus haute gravité.
Par ordre de M. Nothomb, un individu avait été expulsé du pays comme étranger. Cet individu était rentré dans le pays, il avait été arrêté et expulsé de nouveau. Rentré et arrêté encore pour rupture de ban, devant le tribunal de Gand où il fut traduit, on proclama qu'il était Belge. Et nonobstant ce jugement, il fut saisi de nouveau et expulsé encore du pays. Ce malheureux rôdait dans le pays, se cachait dans les bois, se trouvait dans la situation la plus déplorable ; sa famille, ses enfants étaient réduits à la plus profonde misère. Eh bien, en présence de faits si graves, je n'ai vu personne se lever ici pour demander qu'on fît une loi afin d'accorder des réparations civiles à ce pauvre malheureux, qui n'était pas dans la position du lieutenant-colonel Hayez.
Et de nos bancs, s'est-on levé pour réclamer des réparations civiles à charge de M. Nothomb ? L'honorable M. Orts a pris la parole ; il a exposé les faits, il a déclaré que de pareils abus devaient être réprimés, et que si les explications de M. Nothomb n'étaient point satisfaisantes, il voterait contre son budget Mais rien au-delà, rien de plus ; parce qu'il eût été injuste, je dois le dire, qu'on vînt, de ce chef, accuser M. Nothomb d'arrestation illégale, de tortures exercées à l'égard de ce malheureux, et qu'on vînt soumettre un projet de loi pour accorder, à charge de M. Nothomb, des réparations civiles à la victime de cette erreur.
M. Coomans. - Il y a mille cas pareils, je le prouverai.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais certainement ! Ce que vous avez donc à examiner en pareille circonstance, c'est l'intention, c'est la bonne foi.
Ah ! sans doute, à un magistrat, si un fonctionnaire, si un ministre, sachant qu'il n'a pas le droit de faire tel ou tel acte, se permettait de le faire, dans un intérêt de vengeance ou de cupidité, vous auriez vingt fois raison, et la Chambre serait unanime pour flétrir la conduite du ministre. Mais lorsqu'on est de bonne foi, lorsqu'un homme se trompe, lorsqu'un homme commet une erreur, le dénoncer comme ayant commis un attentat, comme ayant commis un crime, cela est contraire à toutes les notions du bon sens et de la morale.
Maintenant, on nous dit : Mais cependant la responsabilité ministérielle est quelque chose ; ce n'est pas un vain mot ; la responsabilité ministérielle est écrite dans la Constitution ; la responsabilité ministérielle n'est pas organisée ; il faut qu'elle le soit. L'occasion est propice.
Soit, l'occasion est propice.
Je ne veux pas discuter par anticipation le projet de loi qui vous a été soumis. Je veux seulement appeler sur ce projet l'attention de la Chambre, parce qu'elle aura à l'examiner en sections ; et je me permettrai aussi d'y appeler l'attention des honorables auteurs mêmes de la proposition. Ils comprendront peut-être, après quelques observations, qu'on pourrait aussi les accuser de violer la Constitution,
Car je me demande tout d'abord si un pareil projet de loi est constitutionnel ?
Je ne pose que des questions ; je les soumets à votre appréciation ; je ne veux rien préjuger.
Mais la Constitution porte, article 90 : « La Chambre des représentants a le droit d'accuser les ministres, de les traduire devant la cour de cassation qui, seule le a droit de les juger, chambres réunies, sauf ce qui sera statué par la loi, quant à l'exercice de l'action civile par la partie lésée, et aux crimes et délits que des ministres auraient commis hors de l'exercice de leurs fonctions.
« Une loi déterminera les cas de responsabilité, les peines à infliger aux ministres et le mode de procéder contre eux, soit sur l'accusation admise par la Chambre des représentants, soit sur la poursuite des parties lésées. »
Il faut donc commencer, messieurs, par le commencement ; il faut commencer par faire une loi qui détermine les cas de responsabilité, avant de décréter une loi qu'on appelle de compétence ou de procédure. C'est ce premier point qu'il faudrait évidemment décider, d'abord.
Cela est incontestable, et l'article 134 de la Constitution ajoute, ce qui détermine parfaitement le sens de la disposition de l'article 90 : « Jusqu'à ce qu'il y soit pourvu par une loi, la Chambre des représentants aura un pouvoir discrétionnaire pour accuser un ministre, et la cour de cassation pour le juger, en caractérisant le délit et en déterminant la peine. »
Ainsi, messieurs, vous voyez que, jusqu'à ce que les cas soient déterminés par la loi, la Chambre a un pouvoir discrétionnaire.
Second doute, que je me permets de soumettre aux honorables membres et à l'assemblée. Il semble assez bien résulter des articles 90 et 134 de la Constitution combinés, qu'il y a lieu à responsabilité ministérielle pour les crimes ou délits, mais qu'il n'y a pas lieu (et vous verrez, lorsque vous y aurez réfléchi, combien cela serait impraticable), qu'il n'y a pas lieu à responsabilité du chef de simples dommages causés.
Lorsqu'il y a un dommage causé, selon les cas, selon les circonstances, l'Etat peut être engagé, comme vous le jugeriez, par exemple, si vous décidiez, ce qui a été souvent demandé, que quand des individus sont arrêtés sous prévention d'un crime ou d'un délit dont ils sont reconnus innocents, il y a lieu de leur accorder une indemnité. Mais personne ne dira : C'est le juge, qui s'est trompé, qui payera l'indemnité.
De même, lorsqu'il s'agit de faits pouvant engager la responsabilité ministérielle, il faut, c'est du moins ce qui semble résulter des dispositions constitutionnelles que je viens de citer, qu'il y ait crime ou délit ; et cela est si vrai que, d'après l'article 134 de la Constitution, jusqu'à ce que la loi ait déterminé les cas de responsabilité, il ne pourrait y avoir responsabilité que pour les crimes ou délits. Une loi ultérieure pourrait-elle changer ce principe ? Ce principe pourrait-il être ultérieurement modifié par l'exécution que l'on donnerait aux prescriptions de l'article 90 ? Mais cela serait incompréhensible.
Sous l'empire de l'article 134, il est clair que la cour de cassation doit caractériser le délit. Or, si c'est ce qu'on fait transitoirement en vertu de l'article 134, c'est ce qu'on doit faire définitivement en vertu de l'article 90.
Je le répète, je ne fais que soumettre ces doutes à l'examen de la Chambre, et je convie les honorables membres qui croient pouvoir crier si facilement à la violation des lois et de la Constitution, à méditer mûrement avant de soutenir le texte qu'ils soumettent à vos délibérations.
(page 1513) M. Coomans. - Il semble, messieurs, que le gouvernement croie que la proposition des honorables MM. de Gottal et Goblet n'a d'autre raison d’être que l'affaire Hayez, je ne puis pas me placer à ce point de vue étroit. Je déclare qu'au point de vue de la justice distributive l’affaire Hayez est, selon moi, une bagatelle, ainsi que je l'ai déjà dit ; je veux toujours être franc avant tout.
Eu égard aux circonstances de cette affaire, je m'y intéresserais assez peu... (Interruption.) Oui, au point de vue de la justice distributive, il se passe tous les jours des faits beaucoup plus graves que le fait Hayez. (Interruption.)
Je viens appuyer la proposition des honorables membres et par conséquent la prise en considération, mais par des motifs, à mon sens, plus graves.
(page 1498) Messieurs, je regrette d'avoir à vous le dire, j'ai la conviction que cette affaire Hayez, réellement fâcheuse, je le reconnais, n'a tant préoccupé la Chambre et le pays que parce qu'il s'agit d'un homme riche et porteur de grosses épaulettes. (Interruption.) Je le regrette, mais c'est ma conviction.
J'ai pris souvent la liberté de vous démontrer que des milliers de militaires sont traités aussi illégalement et beaucoup plus durement que ne l'a été M. le lieutenant-colonel Hayez, qu'envers eu. on n'a pas usé des ménagements dont l'honorable ministre des finances a étalé la longue série sous nos yeux, qu'on leur a occasionné de très grands dommages à eux et à leurs familles, qu'ils n'ont pas obtenu de décoration, ni de pension, ni de réparation, et cependant je n'ai guère rencontré d'appui ni dans cette Chambre ni ailleurs. Voici, entre bien d'autres, un fait sur lequel je dois revenir et que je déclare cent fois plus grave que le fait Hayez.
Au mois de janvier dernier, j'apprends et je dis à la Chambre qu'un fils et enfant unique, exempté formellement par la loi, a été incorporé dans un régiment ; que, malgré ses plaintes nombreuses, appuyée par des hommes honorables, il a été maintenu longtemps impitoyablement sous les drapeaux.
Après discussion, deux honorables ministres, M. le ministre de l'intérieur ici présent et M. le ministre de la guerre avouent que le fait est très regrettable, qu'ils ne peuvent pas légalement libérer ce milicien puisqu'il a été régulièrement incorporé en 1861, mais ils nous assurent qu'ils vont s'empresser de faire ce que l'on fait en pareille circonstance, lui délivrer des congés successifs afin de le laisser chez lui et de réparer ainsi une erreur regrettable. Le fait était d'autant plus grave que ce Deswerts était un malheureux (un honnête garçon quoi qu'on en ait dit, j'en ai les preuves sous la main), et enfant unique de deux malheureux plus que sexagénaires.
Les honorables ministres de la guerre et de l'intérieur ont fait ce que la loi leur permettait de faire, ils l'ont fait un peu tard, mais ils l'ont fait ; ils ont renvoyé Deswerts chez lui, en me promettant de ne plus le rappeler au régiment.
Je croyais l'affaire finie, et certes j'estimais trop le gouvernement de mon pays pour que l’idée me vînt que j'aurais encore eu à en entretenir la Chambre. Eh bien, ma confiance était exagérée, messieurs. Le 15 mai dernier on enlève Deswerts à sa famille en le réintégrant au régiment et on lui signifie qu'il y restera jusqu'à ce qu'il ait payé sa dette à la masse, dette qui n'était pas son fait, qui était le fait de la loi, le résultat forcé de l'insuffisance de la solde.
L'autorité communale d'Anvers s'est émue parce que ce Deswerts lui a été recommandé par deux ou trois hommes qui ont, je dois le dire, encore plus de zèle que d'influence.
L'autorité communale d'Anvers intervient en faveur de Deswerts, elle prétend que sa rentrée au régiment est illégale, que l'équité au moins exige qu'il soit rendu à ses parents, et elle demande au ministre, sinon la libération, tout au moins le renvoi de l'enfant unique dans ses foyers. Pas de réponse, à coup sûr pas de réponse favorable. Deswerts est encore retenu au régiment.
Messieurs, j'ai en mains une lettre de l'honorable bourgmestre d'Anvers qui prouve en partie les faits que j'avance.
Je sais gré à l'honorable M. Loos de s'être intéressé à Deswerts, à un enfant d'Anvers et d'avoir essayé, quoique en vain, d'obtenir justice.
Messieurs, je ne sais pas si vous partagez ma manière de voir, mais en supposant que tous les Belges sont égaux devant la loi, je trouve cela beaucoup plus grave que le fait Hayez.
Après tout, l'honorable M. Hayez, je l'en félicite, a de la fortune, il a une bonne réputation qui n'a souffert aucune atteinte, il n'a pas été injustement flétri comme l'a été Deswerts, il a été décoré, pensionné, loué par les journaux, il a excité un vif intérêt dans le pays, il n'a guère souffert des illégalités commises contre lui ; mais la famille de Deswerts a souffert beaucoup et sans compensation aucune, elle est parfaitement malheureuse, elle n'a pas dix francs à verser à la caisse du gouvernement qui lui en demande 85, au lieu de lui donner une indemnité. Elle se compose de deux estimables vieillards, et d'un jeune homme laborieux, mais ignorant, auxquels le conseil communal d'Anvers s'intéresse.
Pourtant elle a réclamé plusieurs fois depuis deux ans pour qu'on lui rendît justice. Elle a échoué ; François Deswerts est encore captif ; je viens de vous dire où en est l'affaire. Aidez-moi en faveur de Deswerts et des milliers d'hommes qui se trouvent à peu près dans son cas, et je défendrai M. Hayez.
Qu'on rende justice à M. Hayez, je le veux bien, j'y prêterai les mains de très bon cœur, car on a eu des torts envers lui, mais qu'on rende justice aussi aux cinq ou six mille Hayez que vous comptez en Belgique, en ce moment-ci, dans tous nos régiments. (Interruption.)
Messieurs, prenez-y garde, je dis cinq ou six mille, je pourrais dire davantage.
J'ai sommé itérativement le gouvernement de dire en vertu de quelle disposition légale il exerce la contrainte par corps contre des citoyens belges incorporés dans l'armée et les oblige à servir plus longtemps que d'autres parce qu'ils n'ont pas pu acquitter une dette qu'ils n'ont pas librement contractée.
Je n'ai jamais pu obtenir de réponse. Vous comprenez la gravité de ce silence ! j'en suis fortement touché.
J'ai lu et relu toutes les lois sur la milice, tous les arrêtés royaux, une foule d'instructions ministérielles, mais je le déclare, il n'existe pas une seule disposition légale qui autorise le gouvernement à contraindre par corps, pour des dettes de 40 ou 50 fr., des citoyens belges d'autant plus estimables dans cette circonstance, qu'ils sont plus malheureux et qu'ils forment la classe la plus nombreuse, la plus respectable des fonctionnaires publics.
Les seuls fonctionnaires belges qui travaillent gratis, ce sont les miliciens. (Interruption.) Oui, ce sont les plus respectables des fonctionnaires, et aussi les moins favorisés, les moins appuyés.
Messieurs, dans ma conviction profonde vous n'avez pas le droit de retenir sous les armes les soldats pour cause de dettes. Je vous invite très poliment, mais instamment dans l'intérêt de mon instruction, à m'indiquer en vertu de quelle disposition législative, vous exercez ce droit odieux, droit que vous n'avez pas, que je vous dénie.
Non, vous ne pouvez pas retenir un homme sous les armes parce qu'il est endetté. Non, vous n'êtes pas dans la loi. Vous n'avez pas même le droit de délivrer des congés de faveur. C'est pourtant ce que vous faites tous les jours.
Aucun soldat ne peut sortir du régiment que par la voie du sort ; de même qu'il y entre par la voie du sort, il doit en sortir par le sort, la loi le veut. (Interruption.)
Le sort est aveugle, c'est vrai ; mais au moins il est juste à certains égards, il ne prête pas à l'arbitraire ni au favoritisme.
La loi veut que les congés soient accordés par la voie du sort ; vous ne le faites pas ; les congés de faveur qu'on accorde tous les jours, sont illégaux.
Vous maintenez des hommes pendant des années entières sous les drapeaux pour 50, 40 ou 50 francs. C'est illégal, l'entendez-vous, messieurs ? ce sont des arrestations illégales.
On vient de répéter un mot dangereux, il est sorti de la bouche d'un de mes honorables amis, à savoir que la résistance à l'illégalité, même par la force, est au moins excusable. (Interruption.)
Je crois que l'honorable M. Orts a dit quelque chose de semblable, il y a quelques mois.
M. Orts. - Certainement.
M. Coomans. - Je l'avais bien retenu. Soit, la résistance à l’illégalité est permise. Pourtant, songez-y, messieurs, je vous le demande : que feriez-vous, si 7,000 ou 8,000 miliciens, retenus illégalement sous les drapeaux comme l'a été M. le lieutenant-colonel Hayez, employaient les baïonnettes, non le revolver (parce qu'ils n'en ont pas), contre ceux qui voudraient les contraindre à rester sous les drapeaux ?
La question est grave, plus grave que celle vous avez posée vous-même. Je vous engage à bien y réfléchir.
On a beaucoup parlé et même trop parlé du lieutenant-colonel Hayez, dans cette circonstance ; vous comprendrez qu'ayant devant les yeux les faits que j'indique et avec la conviction qui m'anime, il m'est impossible de m'attendrir sur la situation du lieutenant-colonel Hayez ; son sort, après tout, est beaucoup plus enviable que celui des milliers de miliciens, évidemment maltraités dont je vous ai parlé si souvent.
Messieurs, la moralité de cette espèce d'incident, qui est cependant un argument, c'est qu'il faut que le gouvernement se hâte enfin de déposer le projet de loi sur la milice.
J'ai demandé aussi depuis longtemps une loi sur la responsabilité ministérielle ; je crois qu'il est grand temps qu'on nous la présente et surtout que nous la votions. Mais encore une fois, je tiens beaucoup plus à une bonne loi sur la milice.
Je tiens aussi, je l'avoue, à ce que le projet de loi des honorables MM. de Gottal et Goblet passe, parce que le lendemain du vote, j'examinerai avec des jurisconsultes plus habiles que moi l'intéressante question de savoir s'il n'y a pas 5,000 ou 6,000 procès à intenter immédiatement à l'honorable général Chazal.
(page 1499) C'est là mon motif principal pour appuyer la proposition de loi ; et si celle-ci devait seulement s'appliquer au lieutenant-colonel Hayez, je doute fort que je me dérangeasse pour la voter.
La logique et l'équité m'obligent à m'intéresser aux plus nombreux et aux plus faibles plutôt qu'aux puissants et aux riches qui ont toujours assez de moyens d'obtenir gain de cause.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, je crois devoir répondre deux mots à l'honorable préopinant, à propos du fait dont il vient de parler et qui concerne le milicien Deswerts. Ce fait a été expliqué à plusieurs reprises dans cette Chambre de la manière la plus claire et la plus catégorique. Voici le fait en lui-même.
Un nommé Deswerts a été appelé devant le conseil de milice d'Anvers. On lui demanda s'il avait des motifs d'exemption à faire valoir ; il répondit que non... (Interruption). On l'invita à produire le certificat exigé par la loi, et le certificat ne fut pas produit ; le conseil de milice, en l'absence du certificat, dut désigner Deswerts pour faire partie de l'armée.
Le gouvernement n'a rien à voir dans ces sortes d'affaires. Tout le monde sait que ce sont le conseil de milice et la députation permanente qui jugent les réclamations.
Maintenant il y a une autre question, c'est celle de savoir si Deswerst pouvait, oui ou non, être envoyé en congé. J'ai dit dans une circonstance précédente que je m'occuperais de cette affaire. J'ai écrit en effet au département de la guerre et j'ai reçu la promesse qu'un congé serait donné ; ce congé a été accordé ; j'ignore s'il est expiré ou s'il a été prolongé.
Voilà les faits, le gouvernement n'a rien commis d'illégal ; et si, à raison de ces faits, on doit me mettre en accusation, je pourrai, je pense, plaider avec succès ma cause et établir que je ne suis nullement coupable.
M. Coomans. - L'honorable ministre de l'intérieur suppose que les observations que j'ai présentées le concernent.....
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Vous m'avez toujours regardé !
M. Coomans. - Mes observations ne s'appliquaient pas à son département. Ainsi que l'honorable ministre vient de le dire, les faits se sont passés légalement, en ce qui touche son administration ; mais ils ne se sont pas passés comme l'a prétendu M. le ministre, dont la mémoire le trompe en cette circonstance.
Quand, en 1860, le milicien Deswerts a comparu pour la première fois devant le conseil de milice et quand on lui a demandé s'il avait des motifs d'exemption à faire valoir, il a répondu :
« Oui, je suis enfant unique, » et le conseil de milice, comme la loi l'exige, lui a accordé un congé d'un an. (Interruption.) Pourquoi un an seulement ? Parce que la survenance d'enfants peut modifier la position du milicien.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Sa mère avait 60 ans !
M. Coomans. - Oui, et au-delà, mais enfin telle est la prescription de la loi.
La seconde année, les autorités savaient parfaitement bien, je l'espère, que la mère, plus que sexagénaire, de Deswerts n'avait pas eu d'enfants.... Deswerts, se basant sur ce fait vraisemblable, n'a pas comparu la seconde année ou a comparu trop tard, et on l'a incorporé. Soit ! Jusque-là les choses se sont passées légalement. Mais je vous demande pourquoi M. le ministre de la guerre rappelle au régiment un homme qu'il reconnaît y avoir été injustement incorporé. (Interruption.) Je veux dire erronément.
M. le ministre de la guerre m'a déclaré comme M. le ministre de l'intérieur que Deswerts ne serait plus rappelé au régiment. En effet, un enfant unique ne doit pas servir, et il serait odieux de la part du gouvernement de profiter d'une erreur pour compromettre l'existence de toute une famille.
Eh bien, malgré cette promesse, faite pour ainsi dire à la Chambre et au pays, le département de la guerre a rappelé Deswerts sous les drapeaux, il y a été maintenu de force et il y est encore. Voilà ce que j'appelle une illégalité. (Interruption.)
M. Muller. - Mais non !
M. Coomans. - Et de plus une indignité (interruption) et de plus une monstruosité ! (Interruption.)
C'est une illégalité, M. Muller, parce que le motif que le colonel du régiment en donne est illégal,
J'ai entre les mains une pièce officielle signée d'un officier supérieur et déclarant que Deswerts restera soldat, quoique enfant unique, aussi longtemps qu'il n'aura payé les 85 francs dont il est redevable au gouvernement, car, messieurs, c'est pour 85 francs que l'on commet cette iniquité, cette monstruosité. (Interruption. ) Je le répète, il n'y a pas de loi qui permette la contrainte par corps pour dette à la masse. Je vous défie de me citer l'ombre d'un texte. Votre silence me donne pleinement raison.
J'espère qu'à la prochaine séance, j'obtiendrai une réponse plus satisfaisante que celle que M. le ministre de l'intérieur vient de me donner.
- Plusieurs membres. - A mardi !
M. le président. - Je reçois une lettre de M. Van Renynghe qui rappelé chez lui pour des affaires administratives, demande un congé de quelques jours.
- Ce congé est accordé.
M. le président. - La Chambre paraît disposée à lever la séance. (Oui ! oui !)
L'ordre du jour est maintenu.
- La séance est levée à 4 1/4 heures.