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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 30 mai 1862

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page 1391) (Présidence de M. E. Vandenpeereboom, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(M. Coomans., procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Moor, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont, secrétaire, communique l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Des propriétaires, fermiers et cultivateurs à Péruwelz et Blaton, demandent que tout propriétaire de récoltes sur pied soit dispensé du port d'armes de chasse pour les défendre contre les ravages du gibier. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Boël se plaint de l'exemption du service militaire accordée au sieur Louis Malghem, et demande une enquête sur les faits qu'il signale. »

- Même renvoi.


« Le sieur Vanden Mosselaer, ancien sous-officier, prie la Chambre de le faire admettre dans une administration publique, en qualité d'employé ou de garde-convoi. »

- Même renvoi.


« Des blessés de septembre demandent de pouvoir porter une distinction honorifique. »

M. Rodenbach. - Messieurs, cette pétition émane de blessés de septembre qui combattaient à la frontière lorsqu'on a distribué les croix de Fer. Ils ne demandent point d'argent ; ils demandent uniquement à pouvoir porter une distinction honorifique.

Puisque la commission des croix de Fer n'existe plus, on pourrait donner à ces hommes qui ont versé leur sang pour la patrie, une médaille comme celle, par exemple, qu'on a donnée à la garde civique.

Je propose à la Chambre de renvoyer cette requête à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.

- Adopté.


« Le sieur Vanhassel, médecin vétérinaire, demande de pouvoir céder au gouvernement, moyennant des conditions qu'il propose, un procédé pour éviter la maladie de la morve. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Lezaack prie la Chambre de lui faire obtenir le montant du prix qu'il a remporté au concours institué pour rechercher la meilleure arme de guerre. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Hamipré demandent que le projet de loi concernant des travaux d'utilité publique comprenne la concession sur le territoire belge du chemin de fer de Sedan vers Coblence, passant par Herbeumont, Neufchâteau et Bastogne. »

« Même demande des membres du conseil communal de Bastogne. »

- Même renvoi.


« Le sieur Haubion, journalier à Jambes, demande que son fils Auguste-Joseph, milicien de la classe de 1862, soit exempte du service militaire. »

- Même renvoi.


« Le sieur Gérard Vander Cammen, marchand tailleur à Bruxelles, né à Bois-le-Duc (Pays-Bas), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Il est fait hommage à la Chambre par la chambre de commerce et des fabriques de Tournai, de 120 exemplaires de son rapport général sur la situation du commerce, de l'industrie et de l'agriculture de son ressort pendant l'année 1861. »

- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.


« M. Vervoort, obligé de s'absenter pour affaires importantes, demande un congé de deux jours. »

- Accordé.

Projet de loi relatif aux péages sur les chemins de fer de l’Etat

Rapport de la section centrale

Projet de loi érigeant la commune de Framont

Rapport de la commission

M. Allard dépose le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi concernant les péages sur les chemins de fer de l'Etat.

M. de Moor dépose le rapport de la commission qui a examiné le projet de loi sur l'érection de la commune de Framont.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les met à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi révisant le code pénal

Discussion des articles amendés (livre II. Des infractions et de leur répression en particulier

Titre IV. Des crimes et des délits contre l’ordre public, commis par des fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions ou par des ministre des cultes dans l’exercice de leur ministère

Chapitre IX. Des infractions commises par les ministres des cultes dans l’exercice de leurs fonctions
Article 295

M. Moncheur. - Messieurs, l'article 295 a été, il y a trois ans, l'objet de longues discussions auxquelles j'ai eu, comme rapporteur, l'occasion de prendre part.

L'importance de ce sujet explique comment il se fait que plusieurs des membres de cette Chambre, qui, au premier vote, ont, comme moi, combattu cet article, croient encore devoir protester aujourd'hui contre son adoption.

Je n'avais cependant nulle intention de prendre la parole dans cette nouvelle discussion, mais mon nom ayant été mêlé aux débats avant-hier par l'honorable ministre de la justice, ainsi que celui de plusieurs de mes amis qui ne font point partie de cette assemblée, notamment MM. d'Anethan, Malou et Brabant, je crois devoir rompre le silence.

Je n'ai, quant à moi, absolument rien à retrancher ni à changer dans tout ce que j'ai dit, il y a trois ans, sur l'objet en discussion. L'opinion que j'avais alors sur la grave matière qui nous occupe, je l'ai encore aujourd'hui.

Voici, messieurs, en quelques mots, ce qui s'est passé lors de l'examen, par votre commission spéciale, des articles 295 et suivants qui concernent les ministres des cultes.

(page 1392) Lorsque la commission arriva à ces articles, elle refusa de reconnaître le caractère de délit à la censure ou à la critique faite par le ministre d'un culte dans l'exercice de son ministère, soit du gouvernement, soit d'une loi ou d'un acte de l'autorité. Elle raya à l'unanimité les mots « critique et censure » et elle les remplaça par l'expression « attaque ». Elle exigea donc, pour qu'il y eût délit, qu'il y eût attaque du gouvernement, d'une loi ou d'un acte de l'autorité, c'est-à-dire « attaque méchante, » car il est entendu, par d'autres dispositions du Code, que le mot « attaque » emporte l'idée de méchanceté.

C'est, du reste, le mot qui se trouve employé dans l'article 2 du décret du 20 juillet 1831 sur la presse.

Messieurs, cette formule que la commission avait adoptée, paraissait devoir satisfaire tout le monde. En effet, qui est-ce qui voudrait permettre que le ministre d'un culte quelconque attaquât méchamment et dans l'exercice de son ministère, une loi, un arrêté ou un acte de l'autorité ? Personne.

Cette disposition laissait donc une liberté très large pour la chaire, et elle contenait, d'un autre côté, une protection suffisante pour l'autorité publique.

Toutefois, notre système ne fut pas admis par tout le monde ; on lui reprocha de créer un délit spécial contre les ministres du culte ; mais votre commission crut juste et légitime d'exiger des ministres du culte dans l'exercice de leur ministère et en assemblée publique, une réserve plus grande que des citoyens ordinaires ou des ministres du culte eux-mêmes lorsqu'ils sont hors de l'exercice de leur ministère.

Vous savez, en effet, messieurs, que sous l'empire de la liberté large dont nous jouissons en Belgique, les attaques, quelque méchantes et violentes qu'elles soient contre le gouvernement ou contre une loi, ne suffisent pas pour constituer un délit, mais qu'il faut pour qu'il y ait crime ou délit, que le délinquant ait méchamment et publiquement attaqué la force obligatoire des lois ou bien qu'il ait provoqué directement à leur désobéir.

Eh bien, la commission avait apporté à cet égard une restriction au droit commun, et elle avait rédigé l'article 295 comme' suit : « Les ministres des cultes qui, dans des discours prononcés dans l'exercice de leur ministère et en assemblée publique, auront attaqué le gouvernement, une loi, un arrêté royal ou tout autre acte de l'autorité publique, seront punis de.... »

Cette formule formait une transaction entre le système beaucoup trop restreint et trop sévère du gouvernement et l'opinion qui ne voulait soumettre le ministre du culte, même lorsqu'il parle en chaire, qu'aux dispositions pénales du droit commun.

Notre système avait été admis, du moins en principe, par mes honorables amis, MM. d'Anethan et Malou ; il était celui de la commission tout entière ; il avait été également adopté par M. le ministre de la justice dans les conférences officieuses qui eurent lieu entre lui et la commission et en présence, si mes souvenirs sont fidèles, de l'honorable et savant rapporteur de la commission de magistrats chargée de préparer le projet de révision du Code pénal, M. Haus. Mais tout à coup, il y eut un revirement subit, et c'est le jour même de la discussion de l'article 295 que M. le ministre informa la commission que le gouvernement maintenait son projet qui consistait à punir, non pas l'attaque, mais la simple critique ou la censure exercée par le ministre d'un culte quelconque contre le gouvernement ou contre un acte de l'autorité publique

On ne se borna pas là, messieurs, et pour remplacer les articles 298, 299 et 300 relatifs aux lettres pastorales, articles que l'on supprimait, on inséra dans l'article 295 après les mots : « par des discours prononcés », les mots : ou « par des écris lus, » de sorte que cet article contient aujourd'hui deux dispositions bien distinctes : la première porte que les ministres des cultes qui dans des discours prononcés dans l'exercice de leur ministère et en assemblée publique auront fait la critique ou la censure du gouvernement, d'une loi ou de tout autre acte de l'autorité publique, seront punis de 8 jours à 3 mois d'emprisonnement et de 26 à 500 fr. d'amende ; et la seconde commine la même peine contre les ministres d'un culte qui, dans les mêmes circonstances, auront, par des écrits lus, fait la critique ou la censure du gouvernement, d'une loi ou de tout autre acte de l'autorité publique.

Je n'ai pu, quant à moi, adopter ni l'un, ni l'autre de ces dispositions.

Pour établir son système et pour prouver que l'article 295, qui n'est, en ce qui concerne les discours prononcés par les ministres des cultes, que la reproduction de l'article 201 du Code pénal de 1810, doit être adopté par vous, messieurs, M. le ministre de la justice se fonde sur la jurisprudence, et il s'est attaché, avant-hier, à établir que plusieurs tribunaux et cours d'appel da Belgique ont appliqué l'article 201 de la loi de 1810 depuis 1830, ce qui prouve qu'ils ne le considèrent pas comme abrogé par la Constitution,

Je connaissais, quant à moi, les arrêtés et les jugements cités par M. le ministre de la justice ; je les ai connus peut-être avant M. le minière, et j'en ai même fait la nomenclature dans mon premier discours prononcé, il y a trois ans, sur cet objet, mais je n'en ai nullement conclu, et personne de vous ne peut en conclure que l'article 201 du Code de 1810 doive encore reparaître, avec tous ses défauts, dans le Code pénal que nous élaborons en 1862.

En effet, de ce que les cours et tribunaux n'ont pas cru que les articles 201 et 202 fussent abrogés par l'article 14 de la Constitution, en résulte-t-il que nous soyons rivés éternellement à ces articles ? Devons-nous les perpétuer à jamais dans notre Code pénal ?

En aucune manière.

Autre chose est pour les juges d'appliquer une loi même surannée et défectueuse d'après l'esprit des institutions sous lesquelles on vit, d'après le courant des idées où l'on se trouve, et autre chose est pour la législature de réinscrire de nouveau cette loi dans un Code révisé et que l'on cherche à mettre à la hauteur de l'époque.

Par exemple, et pour ne pas sortir de l'objet même qui nous occupe, le juge peut fort bien ne considérer comme punissable, en fait, la critique prévue par l'article 201 du Code pénal de 1810 que lorsqu'elle atteint le degré de gravité que nous appellerions aujourd'hui l’attaque et même l'attaque méchante.

Et pourquoi cela ? Parce que nous sommes habitués à plus de liberté qu'il y a 50 ans ; parce que les susceptibilités ne sont plus aussi vives qu'à cette époque, et que les faits qui auraient pu peut-être alors constituer une critique punissable n'ont plus ce caractère aujourd'hui.

Or, le juge, dans ce cas, statue comme il croit devoir le faire en conscience, et il ne doit compte qu'à lui-même de ses jugements.

C'est là, de sa part, une appréciation en fait, et cette appréciation échappe complètement à la cour de cassation, dont M. le ministre de la justice nous a parlé avant-hier.

M. le ministre nous faisait remarquer que M. le procureur général de Liège ne s'était pas pourvu en cassation contre les arrêts ou les jugements qui avaient fait application dans son ressort de l'article 201 du Code de 1810.

Mais de ce que le procureur général de Liège ne s'est pas pourvu devant la cour de cassation contre l'application de l'article 201 de la loi de 1810, s'en suit-il qu'il trouve la disposition de cet article excellente ?

M. Muller. - Il la trouve constitutionnelle.

M. Moncheur. - C'est possible, mais tout ce qui est strictement constitutionnel n'est pas conseillable. En tous cas, je voudrais qu'on le consultât officiellement et je suis persuadé, bien que je ne connaisse pas son opinion personnelle, que s'il trouve l'article 201 constitutionnel, il le trouve très détestable dans sa formule actuelle et qu'il ne conseillerait pas de le replacer, tel qu'il est, dans notre Code révisé.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je n'ai cité les arrêts et les jugements qu'au point de vue constitutionnel.

M. Moncheur. - Mais là n'est pas réellement la question. Je pense aussi, et je l'ai dit en 1859, que la législature peut réglementer cette matière ; qu'elle peut faire une loi pénale spéciale sur les délits qui peuvent être commis par les ministres des cultes dans l'exercice de leur ministère, mais de ce que la législature peut faire une loi sur cette matière, il n'en résulte nullement qu'elle reste dans l'esprit de la Constitution, en faisant une loi d'une sévérité excessive et qui répugne à nos mœurs.

Aussi, si je ne considère pas l'article 295 comme violant directement l'article 14 de la Constitution, je le regarde comme la violation la plus manifeste de l'esprit de notre grande charte.

Je ne pense pas qu'au temps où nous vivons, on puisse raisonnablement, bien que constitutionnellement, ériger la critique ou la censure en délit et même en délit puni d'emprisonnement.

Messieurs, la majorité actuelle a beaucoup de peine, quoi qu'elle en dise, à entrer dans le véritable esprit de la Constitution. C'est ainsi qu'en relisant, dans les Annales parlementaires, une partie de la discussion qui a eu lieu il y a trois ans, sur l'objet qui nous occupe, j'ai été très peu édifié d'un argument qui y a été produit par M, le ministre des finances à l'appui du projet : « Par une disposition, disait-il dans la séance du 18 février 1859, qui a le mérite de se trouver dans nos lois depuis un demi-siècle, nous déclarons d'une manière claire, nette, précise, que (page 1393) l'ordre est troublé par le ministre du culte quand il critique on censure, dans l'exercice de ses fonctions, les actes de l'autorité publique. »

Ainsi, messieurs, aux jeux de l'honorable ministre, le mérite ou du moins l'un des mérites de l’article 201 du Code pénal de 1810, que l'on veut réinsérer dans le Code pénal de 1862, c'est d'exister depuis plus d'un demi-siècle !

Si un membre de la droite, qu'il est de bon ton de taxer d'immobilité, sinon de retour en arrière, mais qui marche pourtant, si un membre de la droite produisait un pareil argument en faveur d'une loi quelconque et surtout eu faveur d'une loi aussi excessive que celle dont il s'agit, nous verrions immédiatement le sourire errer sur les lèvres des membres de la gauche, et ils s'écrieraient :

« Arrière, avec votre demi-siècle ! Depuis lors les temps ont bien changé, les institutions se sont bien modifiées ; nous sommes à mille lieues des idées de ce temps-là ! »

Puis ils ajouteraient que c'est précisément parce que cette disposition a dû sa naissance au régime despotique de 1810 qu'il faut la changer aujourd'hui.

Ils demanderaient à quoi bon nous faisons la révision du Code de cette époque déjà si éloignée de nous et si différente de la nôtre, au point de vue des institutions et de l'esprit public, si ce n'est pas pour en faire disparaître toutes les dispositions surannées. Ils ne manqueraient pas enfin de nous dire que notre argument du demi-siècle d'existence est détestable et qu'il agit sur leur esprit précisément en sens inverse de l'effet que nous voulons obtenir.

Eh bien, messieurs de la gauche, voilà aussi ce que nous vous disons aujourd'hui avec raison.

Non-seulement vous maintenez religieusement cette loi d'un autre âge dans votre nouveau Code, mais encore vous l'exagérez et vous en portez le sens jusqu'à l'absurde par vos commentaires, dans cette enceinte, ainsi que je vais vous le prouver :

Au moment où l'honorable M. Frère prononçait la phrase que je viens de rapporter, au moment où il disait que l'ordre est troublé par le ministre du culte qui critique ou censure des actes de l'autorité publique, l'honorable M. Coomans l'interrompit en ces termes : « Et s'il fait l'éloge de ses actes ? »

A quoi l'honorable M. Lelièvre, partisan du projet du gouvernement répondit immédiatement : « On pourrait dire que c'est la même chose. » Puis M. le ministre des finances, ajouta : « Qu'on le dise si l'on veut. » Ainsi, vous le voyez, messieurs, le mot « critique » sera pris désormais dans son sens le plus large, c'est-à-dire, dans le sens le plus répressif, et lors même que la critique sera louangeuse, elle pourra être considérée comme un délit punissable de trois mois d'emprisonnement et d'amende. Jusqu'ici on avait pensé que le mot « critique » employé dans l'article 201 ancien et 295 du projet était à peu près synonyme de censure, et même je me rappelle parfaitement que l'honorable M. Pirmez, voulant mitiger la signification du mot « critique » et nous rassurer quelque peu sur sa portée, nous disait que, selon lui, si la conjonction ou qui réunit les deux mots « critique et censure » devait être traduite en latin, elle le serait par le mot sive et non point par le mot aut, sive étant le signe de l'équipollence.

Mais vous venez de voir qu'à cet égard toutes nos illusions doivent disparaître, car un membre du gouvernement et un membre important de la gauche ont établi que, dans l'esprit de la majorité, le mot « critique » devra être pris désormais dans le sens de la définition du dictionnaire de l'Académie, le talent de juger les faits et les ouvrages d'esprit.

Ainsi, messieurs, que le ministre du culte distribue l'éloge ou le blâme, n'importe : il trouble l'ordre et il mérite la peine de l'emprisonnement ! Voilà la disposition en présence de laquelle vous vous trouvez.

Je n'invente rien, c'est extrait du Moniteur.

Or, il m'est échappé de dire avant-hier, en interrompant M. le ministre de la justice, que la punition de la critique, selon le projet, était une monstruosité ; je maintiens le mot.

Aussi, j'espère encore que vous ne laisserez pas une semblable disposition dans un Code auquel nous voudrions assurer un long avenir et dont nous entendons nous faite honneur.

C'est ici, messieurs, le lieu de dire quelques mots de l'amendement de M. Guillery. Cet honorable membre propose de punir quiconque dans des cours prononcés ou par des écrits lus publiquement dans un édifice destiné ou servant actuellement au culte ou dans des cérémonies ou des exercices religieux aura fait la critique ou la censure du gouvernement, etc., etc.

Je ne considère pas, je l'avoue, cet amendement comme sérieux.

Il est évident, en effet, que si un citoyen ordinaire avait le droit d'exprimer ses opinions dans un temple deviné au culte ou d'y lire des écrits quelconques, il aurait aussi le droit de le faire dans toute la plénitude de sa liberté constitutionnelle, car il ne serait pas revêtu, lui, du caractère particulier qui légitime et justifie une peine spéciale contre le ministre du culte qui oublierait sa mission dans l'exercice de son ministère.

Ce citoyen n'est pas, non plus, protégé par la loi d'une manière particulière. Vous ne pouvez donc créer à son égard un délit spécial ; mais, au surplus, le citoyen ordinaire n'a pas le droit de prendre la parole dans un temple consacré au culte et pendant les cérémonies du culte, et il a si peu ce droit que, s'il le faisait, il serait puni en vertu de l'article 149 du projet que vous avez adopté. Ce dernier ferait donc double emploi avec l'article 295.

L'amendement de l'honorable M. Guillery n'enlève aucun de nos griefs en ce qui concerne les ministres des cultes, et il en fait naître d'autres en ce qui touche les citoyens non revêtus de ce caractère. Je considère donc son adoption comme impossible.

Je passe à présent, messieurs, à un autre ordre d'idées. Vous savez que, pendant la discussion de l'aricle. 295, une disposition nouvelle y a été introduite, c'est celle qui punit la lecture d'un écrit contenant la censure ou la critique du gouvernement ou de l'autorité publique.

Or, il est évident, selon moi, que cette disposition viole l'article 16 de la Constitution. En effet, il a été entendu que par ces mots « écrits lus » placés dans l'article 295, on entendait remplacer les articles 298, 299 et 300 qui étaient relatifs aux lettres pastorales, mais l'article 16 ayant mis les lettres pastorales dans le droit commun, l'auteur et le lecteur d'une lettre pastorale ne pourraient être punis que si celle-ci contenaient un délit de droit commun. Votre commission spéciale chargée de la révision du Code pénal a reconnu à l'unanimité que l'article 16 de la Constitution a abrogé non seulement les articles 208 et 209 du Code pénal de 1810, relatifs à la correspondance des ministres des cultes avec leur chef, mais encore les articles du même Code qui punissent spécialement les critiques, les censures ou les provocations que contiendraient les lettres pastorales. Celles-ci sont donc replacées entièrement sous l'empire des lois qui régissent la presse.

Ceux qui les ont écrites comme ceux qui les ont lues publiquement ne sont soumis qu'à la responsabilité ordinaire, en matière de presse et de publication ; donc la loi ne peut créer contre eux une responsabilité extraordinaire.

Au reste, messieurs, à quelque point de vue que l'on se place, soit que l'on suppose que l'article 16 n'a abrogé que les articles relatifs à la correspondance des ministres des cultes avec leurs chefs, soit que l'on pense que l'article 16 a replacé les lettres pastorales dans le droit commun, d'une manière absolue, il est évident que les mandements, par exemple, qui sont imprimés et publiés, constituent des faits de presse ; que, par conséquent si, dans les mandements, il se trouve un délit, ce ne peut être qu'un délit de presse ; que, par conséquent encore, toutes les conséquences qui sont attachées par la Constitution et par la loi aux délits de presse leur sont applicables.

Or, quelles sont ces conséquences ?

La première, c'est qu'en vertu de l'article 18 de la Constitution, lorsque l'auteur de l'écrit incriminé est connu, lui seul peut être poursuivi. Tout ceci est bien, que faites-vous d'après l'article 295 ? Vous ne poursuivez pas seulement l'auteur de l'écrit, mais vous poursuivez encore tous les ministres du culte qui auront lu cet écrit dans l'exercice de leur ministère.

Lors de l'examen de l'article 335 relatif à la publication des écrits ne portant pas de nom d'auteur ni d'imprimeur, nous avons eu, dans cette enceinte, une brillante discussion sur les principes qui régissent la liberté de la presse.

On y a remis en lumière tous ces principes et l'on s'est arrêté surtout à celui-ci qui est fondamental, c'est que lorsque l'auteur d'un écrit est connu, lui seul peut être puni.

On a rappelé ce mot de l'honorable M. Devaux : « Lorsqu'un délit de presse a été commis et que l'auteur de l'écrit est connu, vous faut-il plus d'une victime ? » Et l'on a pris les plus grandes précautions pour que jamais il n'y eût, dans ce cas, qu'une seule victime.

C'est ainsi que l'article 335 porte que ceux qui auront sciemment contribué d'une manière quelconque à la publication ou distribution d'un écrit contenant une provocation à un crime ou à un délit, seront, il est vrai, considérés comme complices des provocateurs, si l'écrit ne porte de nom ni d'auteur, ni d'imprimeur, mais que lorsqu'ils ont fait connaître la personne de qui ils tiennent l'écrit ou lorsque l'auteur ou l'imprimeur sont connus et domiciliés en Belgique, les crieurs, afficheurs, vendeurs ou distributeurs seront exempts de toute peine.

Au contraire, que fuit le gouvernement dans le projet dont nous nous occupons ? Il veut autant de victimes qu'il y a de ministres du culte qui (page 1394) auront lu publiquement, et. dans l'exercice de leur ministère, l'écrit incriminé de leur chef.

Ainsi, messieurs, je suppose qu'un mandement soit écrit et publié par un évêque ; il contient la critique ou la censure d'un acte de l'autorité publique ; ce fait est, on ne le conteste pas, très légitime jusque-là ; il a été posé par l'auteur de l'écrit dans la plénitude de ses droits et de sa liberté constitutionnelle. Mais l’évêque envoie ce mandement à tous ses curés avec ordre de le lire au prône ; dès lors, le fait très innocent, de la critique ou de la censure d'un acte de l'autorité, devient un délit dont l'auteur principal sera l'évêque et dont les complices ou coauteurs seront les trois cents ou les quatre cents ministres du culte qui auront lus publiquement le mandement !

Voilà le système de la loi qu'on vous propose. Elle enveloppe dans la même poursuite et elle punit de la même peine le prétendu auteur du prétendu délit et tous les ministres du culte qui, en publiant le mandement qui le contient, n'ont fait que remplir un devoir rigoureux d'obéissance.

Or, je le demande, comment conciliez-vous cela avec l'article 18 de la Constitution qui porte en propres termes que lorsque l'auteur est connu et domicilié en Belgique l'éditeur, l'imprimeur ou le distributeur ne pourront être poursuivis ?

Ici vous poursuivez tout le monde, et au lieu d'une seule victime il vous en faut par centaines et par milliers peut-être.

Et de quelle manière exercerez-vous ces poursuites extraordinaires ?

Poursuivrez-vous l'évêque, ou le grand rabbin, ou le chef du consistoire devant le jury, puisqu'ils ne peuvent avoir commis, quant à eux, qu'un délit de presse, et citerez-vous devant le tribunal correctionnel tous les ministres inférieurs du culte qui auront commis le délit sui generis de critique ou censure ? Si vous le faites, vous violez le principe le plus élémentaire, en fait de procédure criminelle, car vous diviserez l’'action.

Traînerez-vous devant le même tribunal correctionnel et les auteurs des lettres pastorales et tous les ministres du culte qui les auront lues ? Vous éviterez la division de l'action, mais vous violerez ouvertement l'article 98 de la Constitution qui assure la garantie du jury aux écrivains.

Enfin, porterez-vous toute l'affaire devant le jury ? Alors il faudrait le dire, mais je ne pense pas que ce soit là votre intention.

Ainsi, messieurs, de quelque manière qu'on envisage la question, il est évident que la disposition de l'article 295 constitue la violation de l'article 18 et de l'article 98 de la Constitution.

Je vais vous prouver que cette disposition détruit en outre l'une des conditions essentielles de la liberté de la presse.

Quelles sont, en effet, les trois conditions essentielles de. cette liberté précieuse ? C'est d'abord l'absence de censure de la part du gouvernement ; c'est ensuite l'absence du cautionnement ; et c'est, en troisième lieu, l'absence d'une censure indirecte et préventive de la part de personnes quelconques, qui seraient déclarées, par la loi pénale, responsables des délits de presse commis par l'auteur de l'écrit.

Eh bien, messieurs, que faites-vous par l'article 295 ? Cette dernière condition essentielle de la liberté de la presse, vous l'anéantissez complètement. En effet, si les ministres inférieurs du culte sont responsables du fait de leur supérieur et s'ils savent qu'en lisant l'écrit de celui-ci, même en vertu de leur devoir d'obéissance, ils seront exposés à des poursuites judiciaires et à la honte de la prison, vous sentez qu'ils deviennent alors forcément les censeurs de leur chef, c'est-à-dire de l'auteur de l'écrit.

En effet, est-ce que celui qui est menacé de l'emprisonnement n'a pas le droit de dire à celui qui peut l'exposer à un pareil malheur : « Mais, de grâce n'allez pas si loin. Ce mot est à peine une critique, c'est vrai, mais il peut éveiller de la part de certains de mes auditeurs des susceptibilités spéciales. Vous allez m'exposer à être traîné devant les tribunaux. » Est-ce que cet homme ne sera pas forcément et en vertu de votre loi le censeur de son chef ecclésiastique bien plus encore que ne le serait pour un écrivain quelconque son imprimeur ou son éditeur, ou son distributeur si ces derniers étaient responsables du fait de l'écrivain ? Evidemment oui.

L'article 18 de la Constitution a voulu laisser à l'auteur d'un écrit quelconque sa pleine et entière liberté ; il n'a pas voulu que l'imprimeur pût venir arrêter la plume d'un écrivain ; il faut que la personne qui ne fait que concourir à la publication d'un écrit, sache que du moment où l'auteur de cet écrit est connu, elle n'encourt, elle, aucune responsabilité au point de vue pénal. Voilà le principe.

Eh bien, messieurs, vous renversez ce principe, lorsque vous rendez les ministres inférieurs du culte responsables du fait de leurs supérieurs ; vous les érigez en véritables censeurs de leur chef ou bien vous êtes cruels et injustes envers eux.

Messieurs, à l'appui de ces observations je vais vous citer les paroles d'un de nos honorables collègues, qui certainement vous inspire de la confiance en matière de liberté de la presse, et ces paroles me semblent établir de la manière la plus claire la vérité de ce que je viens d'avancer ; mais, avant cela, je vous prie encore de remarquer dans quelle position vous mettez le chef ecclésiastique qui veut faire une lettre pastorale, si, au lieu de jouir de la pleine et entière liberté d'écrire que la Constitution lui donne, il est sans cesse, et abstraction faite de toute censure préalable, impossible en fait d'ailleurs de la part de ses subordonnés, s'il est, dis-je, sans cesse arrêté par la crainte d'exposer ceux-ci et lui-même, et cela le plus involontairement du monde, à des poursuites correctionnelles du chef de critique et de censure d'actes de l'autorité publique, actes qui comprennent toutes choses jusqu'aux règlements de police ou de chemins vicinaux ?

Ce régime me semble parfaitement illibéral et intolérable.

A présent, messieurs, voici la citation que je vous ai promise ; elle est de M. Orts ; lors de la discussion de l'article 535, dont je vous ai déjà parlé, voici comment l'honorable membre a rappelé les trois conditions essentielles de la liberté de la presse, conditions que je viens de vous citer :

« La presse est libre » ; voilà le principe. Pour assurer cette liberté contre les entreprises du pouvoir législatif lui-même, la Constitution va poser trois conditions, trois garanties sans lesquelles, dans sa pensée, la liberté n'existe pas. 1° « La censure ne pourra jamais être établie. » 2° « Il ne peut être exigé de cautionnement. »

« Enfin, et comme troisième condition de la liberté de la presse proclamée en tête de l'article, vient le paragraphe final :

« Lorsque l'auteur est connu et domicilié en Belgique, l'éditeur, l'imprimeur ou le distributeur ne peut être poursuivi. »

« Ainsi donc le vœu de la Constitution est celui-ci.

« La presse est libre et pour qu'elle soit libre il faut constitutionnellement interdire trois atteintes à cette liberté : la censure, le cautionnement, censure indirecte ou préventive, et de plus la crainte que pourrait concevoir l'éditeur, l'imprimeur ou le distributeur d'être soumis à des poursuites quelconques quand l'auteur est connu.

« Et pourquoi cette troisième condition ? Parce que la presse n'est pas libre, parce que la presse est indirectement censurée quand l'éditeur, l'imprimeur ou le distributeur peut craindre des poursuites quelconques devant un tribunal civil ou criminel lorsque l'auteur est connu.

a En effet la crainte de la possibilité de la poursuite dans ce cas fait que l'éditeur, l'imprimeur ou le distributeur refuse, par prudence, de prêter son concours à une œuvre dans laquelle un écrivain veut faire connaître son opinion à ses concitoyens.

« Cette censure indirecte, on ne l'a pas voulu, et pour poser devant son rétablissement une impossibilité absolue on a proclamé comme troisième condition indispensable à la liberté de la presse, l'absence de responsabilité quelconque de l'éditeur, de l'imprimeur et du distributeur lorsqu'un écrit imprimé distribué ou édité est l'œuvre d'un auteur connu et d'un auteur qui présente les garanties nécessaires à la justice, parce qu'il faut non seulement qu'il soit connu, mais qu'il soit domicilié en Belgique. »

Eh bien, au fond, y a-t-il une différence entre la position du ministre du culte, qui est exposé à porter la responsabilité du fait de son supérieur, et celle de l'éditeur ou de l'imprimeur ? Non. Je ne pense pas qu'aucune subtilité puisse l'établir.

M. Guillery. - Si ! si !

M. Moncheur, rapporteur. - On dit : si, si. Eh bien, quant à moi, je trouve que s'il y a une différence entre ces personnes, elle est toute en faveur du ministre inférieur du culte.

En effet, il n'est pas, lui, dans la même position d'indépendance vis-à-vis de son chef qu'un éditeur vis-à-vis d'un auteur. Comme l'a dit l'honorable M. Orts lors de la discussion de l'article 335, le principal motif pour lequel on a exempté l'éditeur et l'imprimeur de toute responsabilité, c'est qu'on a voulu éviter que ces derniers, par une prudence exagérée, n'empêchassent des œuvres utiles devoir le jour, mais au moins l'éditeur et l'imprimeur jouissaient déjà de tout leur libre arbitre, de toute leur indépendance à l'égard de l'auteur ; ils pouvaient donc par une simple abstention se soustraire aux conséquences d'une publication à laquelle ils étaient appelés à concourir ; mais le ministre du culte ne peut pas même user de cette prudence-là ; il ne peut, sous peine de manquer à son devoir, se dispenser de lire ce que son supérieur lui ordonne de lire ; donc il lui est (page 1395 moralement impossible de se soustraire à une poursuite judiciaire, à moins qu'il ne rompe entièrement avec son chef.

Ainsi, je le répète, s'il y a une différence au fond des choses entre l'éditeur ou l'imprimeur et le ministre du culte, au point de vue de la responsabilité que vous voulez faire peser sur ce dernier, elle est toute en faveur du maintien du principe, qu'en matière de lettres pastorales, comme de tout autre fait de presse, du moment que l'auteur est connu, lui seul peut être poursuivi ; et si, dans ce cas, vous poursuivez tous ceux qui ont contribué à la publication de l'écrit, vous ferez une chose qui est tout à fait contraire à l'article 18 de la Constitution sur la liberté de la presse.

Messieurs, je crois que les observations que je viens d'avoir l'honneur de vous présenter suffisent pour justifier le vote négatif que j'émettrai sur l'article en discussion.

On n'a pas voulu accepter le système juste, raisonnable et transactionnel que la commission avait proposé sur cet objet important. Eh bien, entre le système du gouvernement et celui du droit commun, mon choix n'est pas douteux.

MM. les ministres nous disaient, en 1859, que tout l'objet de l'article 295 était d'assurer l'ordre et la bonne police dans les temples destinés au culte ; cet article n'était selon eux qu'une sorte de règlement d'ordre intérieur des églises ; il fallait simplement empêcher les ministres des cultes de se livrer à des écarts, à de petites tracasseries envers les autorités de la commune. Mais, messieurs, plutôt que d'admettre des dispositions aussi excessives que celles qu'on vous propose, fiez-vous donc un peu, pour atteindre ce but, au bon esprit des populations et à l'opinion publique qui prévient ces petites tracasseries, ces petites taquineries ou qui en fait justice. Ne sont-ce pas les personnes le plus profondément religieuses qui blâment le plus énergiquement des faits de ce genre ? Ne sont-ce pas elles qui sont les plus intéressées à conserver au ministre du culte tout son prestige, toute son autorité, toute sa dignité ? Ne sont-ce pas elles qui usent de toute leur influence pour prévenir ou faire cesser tout conflit, tout scandale ? Les chefs du clergé ne sont-ils pas toujours disposés et prompts à réprimer tout ce qui, par la faute des ministres du culte, pourrait porter atteinte à la paix publique ?

L'expérience ne le prouve-t-elle pas tous les jours ? Existe-t-il beaucoup d'abus ? Où sont-ils ?

Plutôt que d'insérer dans votre Code pénal de 1862 une disposition qui n'y entrera, dans tous les cas, qu'à une très faible majorité, et qui paraissait déjà une énormité dans celui de 1810, ne pouvez-vous donc pas avoir-foi dans le bon sens du pays ?

Nous voulons faire de notre Code pénal nouveau un œuvre durable et complète qui soit en rapport avec nos mœurs douces et notre civilisation avancée, n'y introduisons donc pas un article qui y serait une tache, et une tache qui devrait être effacée dans un avenir plus ou moins rapproché.

Je vous adjure de lui refuser votre assentiment et soyez persuadés qu'en le faisant vous serez réellement de votre temps, de votre siècle.

Proposition de loi

Lecture

M. le président. - Un de nos honorables collègues a déposé sur le bureau une proposition de loi. Aux termes du règlement, elle sera transmise aux sections qui doivent faire connaître si elles en autorisent la lecture. Les sections seront convoquées demain à cet effet.

Projet de loi révisant le code pénal

Discussion des articles amendés (livre II. Des infractions et de leur répression en particulier

Titre IV. Des crimes et des délits contre l’ordre public, commis par des fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions ou par des ministre des cultes dans l’exercice de leur ministère

Chapitre IX. Des infractions commises par les ministres des cultes dans l’exercice de leurs fonctions
Article 295

M. Nothomb. - Messieurs, il me semble que mes honorables amis ont épuisé le débat, et l'honorable préopinant vient, selon moi, de porter jusqu'à la dernière évidence la démonstration que nous avons entreprise. On a éludé nos objections, on ne les a pas réfutées. Aussi, si j'interviens dans la discussion, intention que je n'avais pas d'abord, c’est qu'elle a pris des proportions inattendues et que, n'ayant pas fait partie de la Chambre de 1859, j'espère que vous trouverez naturel que je veuille exprimer ma pensée sur cette grave question et motiver ainsi mon vote : c'est ce que je vais essayer le plus brièvement possible.

Mais, d'abord et avant tout, je sens le besoin de faire une réponse au reproche qu'adressait, dans la séance d'avant-hier, l'honorable M. Guillery à l'opinion à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir : de ne défendre les libertés constitutionnelles que dans de certaines circonstances, par accident, et seulement lorsqu'un intérêt de parti l'y obligeait.

Déjà mon honorable ami, M. Dechamps, a fait justice de cette étrange accusation ; il n'en est pas de plus fausse.

Nous avons toujours, partout et dans toutes les occasions, défendu ardemment les libertés constitutionnelles, et je défie qu'on me cite une circonstance, une seule, où nous avons déserté une de nos libertés, ou nous ayons failli au soutien de n'importe lequel de nos droits politiques. Et ainsi accusé, il me sera bien permis de me citer moi-même ; je rappellerai donc que depuis que j'ai l'honneur de siéger ici j'ai, dans toutes les occasions, rempli mon devoir de citoyen en défendant, dans la mesure de mes forces, toutes les libertés publiques.

Je les ai défendues, je dis ceci à l'honorable M. Guillery, plusieurs lois avec vous, j'ai eu cette chance, et quelquefois sans vous.

J'ai défendu le premier la liberté de la presse contre les visites domiciliaires et j'ai eu pour appui l'honorable M. Orts, visites domiciliaires qui, à mon sens, sont la négation de la liberté de la presse.

Plus récemment, comme mon ami, l'honorable M. Moncheur vient dû le rappeler, à propos de l'extension proposée de la complicité aux distributeurs d'écrits ou de journaux, je me suis joint à l'honorable M. Guillery et j'ai défendu vivement, consciencieusement, de toute mon énergie, la liberté de la presse qui me paraissait en péril.

Et vous appelez cela manquer à la défense de nos libertés ?

Le droit d'association, je l'ai toujours soutenu et mes amis comme moi.

Dans la question des coalitions qui a donné lieu à la longue discussion que vous savez, j'ai défendu un des premiers le droit d'association, le droit commun. Je me suis opposé à ce que l'inégalité continuât de subsister entre les maîtres et les ouvriers.

J'ai voulu effacer cette choquante, cette injuste disproportion ; pour les uns et les autres, j'ai voulu le même traitement, l'égalité et je l'ai demandé avec une insistance telle, que l'un des vôtres et des plus considérables s'est écrié que je fatiguais la Chambre par mon incroyable obstination.

Dites, est-ce encore là abandonner les libertés publiques ?

Ce reproche, je le repousse donc énergiquement, pour mes amis comme pour moi, et je dis à mon honorable collègue qu'il n'a pas été juste envers nous et j'aime mieux accuser sa mémoire en défaut que ses intentions.

Hé ! messieurs, quand nous ne défendrions pas ces libertés par conviction, par attachement, par esprit civique, par amour politique, nous les défendrions encore au nom de nos intérêts bien entendus.

Comment les opinions, qui sont en minorité, remontent-elles le chemin de défaites ? Comment redeviennent-elles majorité ?

C'est par l'usage de toutes les libertés publiques. Ce sont elles qui servent le mieux, qui sauvent les vaincus.

A les abandonner, nous serions non seulement des ingrats, nous serions des aveugles.

Toujours aussi, messieurs, nous avons invoqué le droit commun, c'est-à-dire, l'égalité, qui est une des formes, la plus haute, et certes la plus usuelle de la véritable liberté et sans laquelle celle-ci n'existe pas.

Dans cette question des coalitions dont je parlais à l'instant, c'est encore le droit commun que nous avons revendiqué et que je revendique encore en ce moment, en proposant l'extension des dispositions du Code à toutes les matières traitées par des lois spéciales.

Voilà comment nous trahissons la liberté !

Ceci dit, et l'honorable M. Guillery, à ma grande surprise, m'y a forcé, j'arrive à l'objet spécial que nous discutons.

Messieurs, que les articles 295 et 296 soient contraires à l'esprit comme au texte de la Constitution, cela me paraît prouvé surabondamment et jusqu'à l'évidence le plus palpable.

Je défie qu'on renverse les arguments irréfutables produits par mes honorables amis.

Que pourrais-je y ajouter ?

Il suffit de lire les articles 14 et 16 de la Constitution, et à moins de se ranger dans la catégorie de ceux qui ont des yeux pour ne point voir et des oreilles pour ne pas entendre, il est impossible de nier les conséquences qui en dérivent.

L'article 14 garantit à tous les Belges le droit de manifester librement leurs opinions en toute matière sauf la répression des délits commis à cette occasion.

Il est impossible de soutenir que le Congrès constituant, qui a écarté en principe toute juridiction exceptionnelle, ait voulu parler d'autre répression que de celle qui est commune à tous les citoyens.

Je prétends que cet article 14, fût-il seul, suffirait à permettre aux ministres des cultes de faire ce qui est loisible à tous les citoyens.

Mais, messieurs, veuillez-le remarquer, on ne s'est pas borné à cela.

Le Congrès, en 1830, était placé en face d'une question qu'il connaissait très bien ; les difficultés nées dans le passé, il les avait vues, il les sentait ; la situation du clergé exigeait une solution nouvelle et catégorique ; (page 1396) aussi le Congrès n'a-t-il voulu laisser aucune espèce d'équivoque et pour en empêcher le retour il a fait pour les ministres des cultes une disposition spéciale, l'article 16 qui porte qu'ils ont le droit de publier les actes de leurs supérieurs, sauf la responsabilité ordinaire en matière de presse et de publication.

L'on doit donc reconnaître que les ministres du culte ont été protégés dans l'exercice de leurs droits de citoyens, d'abord par l'article 14 qui s'applique à tous les Belges, ensuite par l'article 16 fait spécialement pour eux et dans leur intérêt. Il y a pour ces ministres deux garanties et ils sont doublement assurés dans la libre manifestation de leurs opinions.

Dans la séance d'avant-hier, j'ai entendu invoquer en faveur des articles que nous discutons le respect dû au passé. C'est l'honorable ministre de la justice qui a produit cet argument. Selon lui un demi-siècle doit protéger le Code de 1810.

Cet argument n'est pas sérieux et mon honorable ami M. Moncheur vient de l'anéantir. Il a démontré d'une manière qui ne laisse place à aucune espèce de contradiction, qu'à moins de se retrancher derrière un fétichisme qui n'est plus de notre temps, l'on ne peut justifier une pareille mesure au nom du passé !

Ce langage dans la bouche de l'honorable ministre et ce respect subit sont choses bien nouvelles que l'on n'a pas toujours pratiquées. Vous allez en juger. Si tel est votre respect pour le Code de 1810, si c'est pour vous un monument sacro-saint, sur lequel il ne faille pas porter la main, pourquoi donc y touchez-vous ; pourquoi en faites-vous la réforme ? Vous effacez de ce Code une foule de dispositions qui sont virtuellement incompatibles ou avec notre Constitution, ou avec nos mœurs, avec notre état social. Vous en modifiez ou effacez, (je cite au hasard) les dispositions sur la révélation, sur les attentats, sur les associations.

Je ne vois plus dans notre nouveau code rien de préventif concernant les associations, par la raison fort simple que le droit d'association est inscrit dans notre Constitution.

Vous n'avez pas reproduit dans notre nouveau code le chapitre de l'ancien, relatif aux enchères, pourquoi ? Parce que proscrire aujourd'hui la liberté des enchères, serait une idée surannée, un véritable anachronisme condamné par nos idées sur la propriété et nos principes économiques.

Cessez donc d'invoquer en faveur de la disposition que nous discutons la considération qu'elle date de plus d'un demi-siècle, pour en conclure qu'il faut la conserver. C'est le contraire que j'en induis, et votre raisonnement ne vaut rien.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je ne l'ai pas employé.

M. Nothomb. - Vous avez dit que la disposition mérite d'être conservée, puisqu'elle est dans le Code de 1810 On nous objecte encore ceci : Vous ne signalez jusqu'à présent aucun abus résultant de l'article 201 ; pourquoi donc ne pas le reproduire ?

Oh ! messieurs, quand nous débattions ici la grande question de la liberté de la charité, nous affirmions aussi qu'il n'y avait pas eu d'abus et nous prouvions, en effet, que cinquante années de pratique de cette liberté n'avaient produit que du bien.

Mais cet argument, vous ne l'avez pas accueilli, vous le repoussiez en disant : qu'il suffit que l'abus soit possible, qu'il suffit que la disposition recèle l'éventualité d'un abus ou d'un danger, pour qu'il soit nécessaire de l'écarter.

Rien n'y a fait, et en vue d'abus chimériques, vous avez supprimé la liberté de la bienfaisance. Souffrez donc qu'aujourd'hui nous vous opposions vos propres armes.

Et le respect de la chose jugée dont vous nous avez parlé avant-hier ! respect bien inattendu aussi et dont votre prétendue interprétation de l'article 84 de la loi communale nous avait donné un singulier exemple !

Nous soutenons, messieurs, que les articles 295 et 296 du Code nouveau violent le sens et l'esprit non seulement des articles 14 et 16 de la Constitution, mais encore de l'article 98 relatif au jury.

Mon honorable ami, M. Moncheur, vient d'en fournir la démonstration tellement manifeste qu'il est impossible d'y rien ajouter. Vous ôtez aux ministres du culte une garantie qui est accordée à tous les autres citoyens. Et, en effet, le délit que vous allez prévoir sera presque toujours, avouons-le, ou un délit politique ou un délit de publication.

Eh bien, les délits politiques, les délits de publication sont des délits qui doivent être soumis au jury, en vertu de l'article 98 de la Constitution ; et cependant vous enlevez maintenant au jury la connaissance de ce fait, pour la transporter au juge correctionnel.

M. Guillery. - Où trouvez-vous cela ?

M. Orts. - Le Code pénal ne dit pas un mot de cela.

M. Nothomb. - Sans doute, mais c'est dans votre intention, je suis autorisé à le croire. (Interruption.)

Vous réclamez, eh bien, je serais enchanté d'obtenir à cet égard une déclaration formelle ; ce sera toujours quelque chose. La juridiction du jury en matière de publication est obligatoire en vertu de la Constitution.

La censure des actes de l'autorité est évidemment du ressort de l'opinion publique. Or, le tribunal de l'opinion publique, c'est le jury. Qu'on nous concède au moins cela. C'est un point d'une très grande importance, une chose capitale, et c'est incontinent qu'il faut s'en expliquer, se prononcer, car il s'agit ici encore d'un principe général, d'un principe qui domine tout, qui donne à l'œuvre son caractère vrai.

Il en est de ce principe comme de celui des circonstances atténuantes, comme du pouvoir de correctionnaliser certaines crimes.

Ce sont là, messieurs, non des questions de forme, comme on le prétend, c'est le fond même, et il est déraisonnable de nous renvoyer à la réforme du Code d'instruction criminelle.

Maintenant, messieurs, après avoir attendu en vain la réponse que je sollicite, je passe à un autre point.

L'argument principal, l'argument unique même, comme on l'a fort bien dit, quel est-il ?

Le voici : nous accordons aux ministres du culte une protection spéciale ; d'où la conséquence, comme corollaire contre eux d'une responsabilité spéciale. En d'autres termes, les articles 151,152 et 153 du Code ont engendré les articles 295 et 296. Protection, répression, deux termes obligés.

Eh bien, messieurs, je vais m'expliquer très franchement sur ce point et je déclare que je fais un très médiocre cas de ces fameux articles 151, 152 et 153.

.M. Dechamps. - Et moi aussi.

- Plusieurs membres. - Nous aussi.

M. Nothomb. - Je constate avec plaisir l'assentiment de mes amis et j'ajoute que si j'avais fait partie de cette assemblée lorsqu'ils ont été votés je les aurais combattus et rejetés. (Interruption.) Permettez ; c'est mon opinion, je n'engage celle de personne ; mais je veux dire ce que pense.

Je répète que je n'aurais pas voté ces articles, parce que je suis d'avis que le droit commun suffît pour protéger le ministre du culte. Il y a dans ce chapitre III intitulé : « Crimes et délits relatifs au libre exercice des cultes, » il y a deux choses qu'il ne faut pas confondre ; d'abord les articles 148, 149 et 150 qui protègent le culte en tant que manifestation extérieure de la religion, qui préservent les objets du culte contre toute espèce d'outrage.

C'est la partie acceptable des lois du sacrilège. Ceci, messieurs, doit rester dans le Code, parce qu'il n’y a pas de législation humaine qui ne renferme des dispositions analogues. Chez tous les peuples, même chez les plus sauvages, vous trouvez des pénalités contre le sacrilège. Partout et toujours l'on a entouré d'une sollicitude spéciale les objets du culte. C'est un hommage rendu à la Divinité, par la conscience unanime du genre humain, et il est impossible qu'elle ne soit exprimée dans notre législation.

Ensuite viennent les dispositions qui paraissent avoir pour but de protéger plus directement la personne même du ministre du culte ; et ceci est différent. N'oublions pas, messieurs, que le chapitre IX est intitulé : « Des infractions commises par les ministre des cultes dans l’exercice de leurs fonctions, » on veut donc protéger le ministre des cultes, parce que, derrière sa personnalité, il y a la liberté des cultes, et, en définitive, toutes les atteintes portées au ministre dans l'exercice de ses fonctions sont de véritables troubles au culte lui-même.

Mais enfin, soit ! Je veux bien n'y voir qu'une protection spéciale de la personne même des ministres des cultes et à ce point de vue je répète nettement que je n'y tiens pas du tout ; si nous pouvions y revenir, je sacrifierais volontiers ces dispositions.

Ainsi, je me joins à l'honorable M. Julliot, pour désirer que le Sénat nous renvoie le Code amendé de ce chef comme de maint autre.

Je fais, sans hésiter, cette déclaration, parce que, partisan du droit commun en toutes choses je n'y veux d'exceptions que là où elles sont absolument indispensables. Or, selon moi, le droit commun suffit amplement à protéger les ministres des cultes. Il me sera bien facile de le prouver.

En effet, messieurs, veuillez décomposer et vous arrêter à des exemples, supposons qu'il s'agisse d'une blessure, de coups, d'une voie de fait envers un ministre du culte ; l'article 311 y pourvoit (je cite les articles du Code en vigueur). S'agit-il d'une calomnie, vous avez l'article 367 ; d'injure caractérisée, l'article 375 ; enfin s'agit-il de simple injure par geste, menace, situes, etc., vous avez l'article 471.

M. Orts. - Et si on siffle son sermon ?

(page 1397) M. Nothomb. - Cela est prévu.

.M. Dechamps. - On le mettra à la porte.

M. Nothomb. - Ce ferait un trouble au culte même, ou tout au moins m outrage par gestes ou signes. Le Code nouveau renferme, à cet égard, une disposition formelle ; c'est encore la répression du droit commun, elle suffît, et si j'étais ministre du culte, je le déclare, je n'en voudrais pas d'autre. D'ailleurs, il n'y a qu'un fou, un furieux, qui puisse attaquer, outrager un ministre du culte dans l'exercice de ses fonctions.

Cela ne se voit pas une fois en 25 ans ; pourquoi faire des dispositions pour les cas presque impossibles, et s'il se présentait un fou, un maniaque de cette espèce, la loi fournit le moyen d'en avoir raison.

Ainsi, je ne voudrais pas de cette protection, je ne voudrais pas racheter au prix de la liberté ; c'est trop cher. Toute protection surtout sent l'esclavage, et pour ma part, j'aime mieux être moins protégé et rester plus libre.

Maintenant que faites-vous dans les dispositions des articles 295 et 296 ? Vous érigez la censure et la critique en acte coupable et en délit ; je trouve, moi, que c'est exorbitant, cela me paraît une énormité de travestir ainsi des faits qui de leur nature ne sont pas immoraux ni partant punissables.

Considérez, messieurs, que l'on veut créer des délits fictifs, conventionnels et spéciaux, quelque chose d'absolument contraire à nos mœurs, comme à toute bonne législation.

Je reproduirais volontiers les paroles de M. le ministre des finances qui disait dernièrement à propos d'une dépense que la Chambre voulait lui imposer : Vous en avez le pouvoir, mais vous n'en avez pas le droit ; non vous n'avez pas le droit de dénaturer un fait licite, de le changer en infraction, en délit, en fait immoral.

Votre droit ne va pas jusque-là !

Comment ! ce qui n'est un délit pour personne en Belgique deviendra un délit pour une classe de citoyens parce qu'ils sont ministres du culte ! N'est-ce pas une mise hors de la Constitution ? Non seulement ce n'est un délit pour personne, que dis-je ! mais c'est un droit pour tous les Belges de censurer et de critiquer. Ce droit, ce devoir plutôt, c'est la base, l'essence des pays libres, c'est la condition vitale de notre régime, et si je puis m'exprimer ainsi, c'en est la moelle.

Où se tait la critique, la liberté est bien près de s'éteindre. Voyez l'Angleterre, les Etats-Unis, la Hollande, tous les peuples libres, la censure, la critique des actes publics s'y meuvent n'importe sous quelle forme.

Tout cela alimente la liberté politique, la fait durer, la fait vivre. Cette censure, cette critique en sont les gardiennes.

Ne subissons-nous pas tous, autant que nous sommes, petits comme grands, cette censure, cette critique qui vous effarouchent tant dans la bouche d'un pauvre et obscur ministre du culte ?

C'est un crible par lequel nous passons tous depuis les plus hauts jusqu'aux plus bas : une personne, une seule y échappe en Belgique : le Roi ; et la Constitution a dû le dire.

Nous-mêmes ne sommes-nous pas soumis à cette censure ? Ne nous demande-t-elle pas compte de nos moindres paroles ? Demain je serai probablement censuré, critiqué par des journaux, peut-être même injurié, pour le discours que vous voulez bien écouter en ce moment.

Je ne m'en plains pas ; il faut s'accommoder de la liberté, même quand elle nous contrarie, et je n'oublie pas que dans une société libre tout est et doit être censuré ou critiqué.

C'est ce régime qui fait les hommes ; je désespérerais d'une société qui ne pourrait pas le supporter, et je plains les gouvernements qui s'en effrayent. Ce droit de censure, la presse l'exerce tous les jours, souvent jusqu'au scandale, parfois jusqu'à la cruauté ; qui songe cependant à demander que ce droit lui soit enlevé ? qui songe seulement à lui imposer des entraves, des restrictions spéciales ?

Je demande encore une fois pourquoi deux poids et deux mesures, pourquoi priver de ce droit une seule classe de citoyens ? Tous et chacun pourront continuer à critiquer, à blâmer les actes de l'autorité excepté les ministres du culte.

M. Guillery. - En chaire ?

M. Nothomb. - Ils ne le sont que là ; vous me parlez de chaire, mais je vais vous citer d'autres personnes qui ont aussi leur chaire. - Supposez un président de tribunal qui censure, qui critique de son siège un acte du gouvernement, cela s'est vu, cela se voit, et cela se verra.

Allez-vous lui infliger l'amende et la prison ?

Du tout, vous ne pourrez pas même le déplacer, vous pouvez tout au plus le traduire devant le pouvoir disciplinaire.

Le ministère public admoneste, blâme, censure de son siège, souvent, très souvent les autorités publiques et leurs actes ; j'en sais quelque chose, il m'est arrivé d'en parler plus d'une fois dans des termes fort vifs.

Et les avocats ? Oh les avocats ! s'en donnent-ils de la censure et de la critique ! Combien de fois n'al-je pas dû me laisser dire que le ministère public était absurde, que l'action qu'il soutenait n'avait pas le sens commun, qu'il avait agi à la légère, qu'il n'était pas à sa place, et autres aménités de ce genre !

Et le ministère public laisse le plus souvent passer tout cela et il a raison. C'est la condition d'une défense libre. C'est notre régime. Et les témoins et ces pauvres fonctionnaires, ceux de la police surtout, comme messieurs les avocats les arrangent ! Les gendarmes particulièrement ! Et cependant on laisse souvent dire et l'on a raison.

C'est encore la critique, c'est encore la censure ; vous avez beau faire, vous la rencontrez partout et vous ne l'étoufferez jamais.

Aussi, ce droit de censurer, de blâmer, on l'a toujours respecté, même sous les gouvernements les plus antipathiques au régime de libre discussion. Sous celui des Pays-Bas, on avait fait, en 1829, une loi contre la presse, sous prétexte de combler les lacunes dans le Code pénal ; et voyez cependant, l'article 4 porte textuellement ceci :

« Les dispositions des articles 2 et 3 de la présente loi, (relatifs aux faits de calomnie et d'injure) ne pourront porter atteinte au droit de discussion et de critique des actes des autorités publiques. »

Ainsi s'exprimait un gouvernement qui n'était pas précisément fanatique de liberté, et cet hommage venu de telle source et à telle époque (il s'agit d'une loi de 1829) doit vous paraître, comme à moi, bien significatif.

Mais, messieurs, il y a bien plus et vous en serez certainement étonnés : c'est que les dispositions de l'article 201 du Code actuel, qui est le moule dans lequel sont coulés les deux articles que nous discutons, ont rencontré, au conseil d'Etat de 1810, de l'opposition. On les a trouvées dangereuses, exorbitantes. On a essayé de rentrer dans le droit commun.

Et cela en 1810 !

Permettez-moi de vous lire, à cet égard, quelques citations ; elles sont vraiment très intéressantes. Je trouve dans Locré ce qui suit :

« Un conseiller d'Etat, M. Defermon, est frappé de ce qu'a dit Berlier, que les mauvais discours font une impression plus prompte et plus vive que les mauvais écrits ; mais si c'est là un motif de punir aussi sévèrement le délit commis de l'une ou de l'autre de ces manières, il n'en est pas moins vrai que la peine ne doit être appliquée aux prédicateurs qu'avec des précautions qu'il est très difficile de bien déterminer. Un auditeur plus attaché au gouvernement verra une provocation à la désobéissance, là où un autre moins zélé ne verra qu'une simple censure. On appellera des témoins qui déposeront aussi chacun suivant ses préventions et sa manière de voir ; et la justice, mal éclairée, ou s'abstiendra de punir un délit véritable ou le punira avec une rigueur excessive. »

Un autre conseiller, portant un grand nom, M. Molé s'exprimait ainsi :

« Molé voudrait qu'afin de ne pas faire pour les évêques une exception qui les déconsidérerait, on fît porter en général la disposition sur tous les fonctionnaires qui, en parlant au peuple, se rendent coupables de quelqu'un des délits prévus par l'article. »

Molé, vous le voyez, demandait non pas l'égalité dans la liberté, ce n'était pas de l'époque, mais l'égalité dans la répression, le droit commun sous le despotisme.

« Le prince archichancelier de l'empire approuve la disposition, mais il observe qu’elle oblige à établir une procédure particulière où les règles communes sont insuffisantes. Il n'y a pas, en effet, comme dans l'espèce des articles précédents. un écrit qui établisse le corps du délit. Or, comment constater que les paroles fugitives sont criminelles ? Ce ne peut être que par les dépositions de ceux qui les ont entendues ; et cependant, si ce genre de preuve est admis, deux ou trois témoins qui auraient mal saisi le sermon pourraient faire condamner à mort le prédicateur. »

On discuta longtemps ; je ne veux pas vous fatiguer de lecture ; et finalement savez-vous sous quelle impression furent votées ces dispositions trouvées injustes, exorbitantes par les hommes dont je viens de rappeler les noms ? On vota l'article sur la déclaration de Cambacérès, prince archichancelier, que voici :

« Le prince archichancelier de l'empire ajoute que d'ailleurs Sa Majesté a manifesté la volonté que les délits particuliers aux ecclésiastiques formassent une classe à part. »

Cette raison dispensait de toute autre. César le voulait. Ultima ratio. Mais, messieurs, si une pareille raison était bonne en 1810, avouez qu'elle doit être détestable en 1862 et en Belgique.

Mais je vais plus loin et je prétends que vous n'avez pas besoin de cette (page 1398) disposition spéciale. Personne d'entre nous ne réclame l'impunité pour qui que ce soit, et moins pour le ministre du culte que pour tout autre citoyen. Nous ne voulons que le droit commun en toute chose. Eh bien, je dis que vous êtes suffisamment armés par les dispositions du droit commun, pour réprimer tous les écarts sérieux, tout ce qui peut porter une atteinte réelle à l'ordre public et aux intérêts du pays. Je vais l'établir.

Je suppose que le discours du prédicateur, du ministre du culte s'attaque à une personne déterminée, qu'il ait nommé ou désigné clairement cette personne. Ou ces paroles seront une calomnie, ou elles seront une simple injure. Dans l'un cas, comme dans l'autre, le Code pénal est là. Le ministre du culte n'échappera pas à la répression. Il sera poursuivi ou pour avoir calomnié ou pour avoir injurié. Que veut-on déplus ? Et que vous manque-t-il ?

S'agit-il au contraire d'une attaque contre les actes de l'autorité ? Le Code est encore suffisant. Car je suppose que ces attaques aient une tendance à la désobéissance aux lois, à exciter les citoyens les uns contre les autres, à la sédition, aux attentats contre l'Etat.

Vous avez l'embarras du choix dans vingt-cinq articles du Code pour punir de pareilles provocations. Jamais donc le prédicateur, le ministre du culte commettant ces infractions, ne pourra échapper à la répression, mais ce sera la répression de tous les citoyens.

En définitive, messieurs, votre loi, si elle est votée, sera ou inutile ou dangereuse, et j'arrive ainsi à la même conclusion que d'autres de mes honorables amis.

Inutile, je viens de vous prouver que sous un gouvernement animé de bonnes intentions (je ne suspecte pas les intentions du gouvernement actuel), sous un gouvernement animé de loyales intentions, pareille disposition est inutile ; le Code lui suffira. Mais cette loi peut devenir dangereuse, s'il venait à surgir un mauvais gouvernement.

Jusqu'ici, grâce au ciel, le pays n'en a pas vu de pareil. Toutefois l'avenir est mystérieux. Un tel gouvernement arrivant, il pourrait abuser monstrueusement d'une semblable législation.

Savez-vous ce qu'on pourrait faire de cette loi ? Une véritable loi de suspects. Elle rappellerait involontairement, par l'abus qu'on en ferait, ces lois de majesté de l'ancienne Rome, où c'était mal penser de César que de n'en parler pas ; et c'était un crime capital...

Ces mots « censure et critique », on vous l'a déjà dit, sont tellement vagues, tellement indéfinis, ils ont des nuances telles, que c'est à s'en effrayer. Où sera la limite ? Qui en sera le juge ?

Mais il y a des éloges qui pourront apparaître comme des censures et des critiques, et un ministre du culte, pour avoir fait l'apologie de tel acte, de telle chose, de telle opinion, verra ses paroles assimilées par les hommes du jour à une censure, à une critique punissables ! Plus ce gouvernement sera mauvais, plus il sera ombrageux ; c'est la nature, c'est la destinée fatale des mauvais régimes, d'être soupçonneux à l'excès et il poussera cette loi jusqu'à ses plus déplorables conséquences. Il verra censure et critique partout.

La moindre allusion prendra ce caractère et j'affirme qu'armé de cette disposition, un gouvernement animé de haineuses intentions, peut rendre toute prédication impossible. Vous ne pouvez, messieurs, vouloir qu'il puisse en être ainsi !

Qui, d'ailleurs, mettra l'action en mouvement ? Le gouvernement, le gouvernement qui est un corps politique ? Il ne laissera pas, il ne pourra pas laisser au ministère public le droit d'intenter d'office des actions pour une censure de ses propres actes. Cela est impossible.

C'est le gouvernement qui provoquera les poursuites, lui, corps politique par excellence, lui qui se croit lésé. Il sera donc à la fois juge et partie. Peut-on s'imaginer une plus grave confusion !

Et ne dites pas que les juges apprécieront, car la menace seule d'intenter une poursuite criminelle constitue une véritable censure, une mesure préventive incompatible avec nos libres institutions.

Enfin, messieurs, c'est comme précédent qu'une pareille disposition serait dangereuse au premier chef.

Permettez-moi, pour finir, d'appeler particulièrement votre attention sur ce point.

On l'a dit déjà avec infiniment de raison, toutes les libertés sont solidaires ; où l'une souffre, toutes les autres s'en ressentent. On a fait des hypothèses, je m'en permets une aussi. Croyez-vous qu'il ne puisse jamais être rien tenté ou pour mieux dire attenté contre d'autres libertés ? Croyez-vous par exemple qu'il soit à jamais impossible qu'il vienne des temps où l'on songerait à créer des entraves à la liberté de la presse ?

J'ai entendu des hommes, non sans valeur et certainement de très bonne foi émettre l'avis que l'on pourrait établir pour les délits de presse, un jury spécial, trié, choisi, privilégié, en un mot, un jury qui ne serait plus notre jury.

Un pareil système serait incontestablement attentatoire à l'indépendance de la presse ; c'en serait la négation, et cependant je le répète il y a des personnes qui consciencieusement l'ont cru possible. Ces personnes n'étaient frappées que des écarts, des excès de la presse, et se plaçant à un point de vue étroit, n'apercevaient pas que les abus de cette presse sont compensés et au-delà par les immenses avantages qu'elle donne.

Condamner une liberté pour les abus qu'elle peut entraîner est une pensée antilibérale, antisociale, ennemie de tout progrès, et c'est cependant ce que vous voulez réaliser par vos articles 295 et 296.

Et ceci n'est pas un danger purement imaginaire !

N'avons-nous pas déjà l'action civile en dommages-intérêts soumise au juge ordinaire, ce que beaucoup de bons esprits considèrent comme une déviation de l'esprit de la Constitution ? Et ils ont peut-être raison.

Si j'insiste sur ce côté, c'est pour mieux avertir combien il est dangereux de poser de pareils précédents. Dans la voie funeste où vous êtes engagés, les pas sont rapides et glissants. Ne vous y obstinez pas. Il y va de votre intérêt comme du nôtre.

Ne montrez pas, sans le vouloir sans doute, ne montrez pas comment on dénature, comment on falsifie, comment, si je puis parler ainsi, on escamote les libertés publiques. N'enseignez à personne comment on torture la Constitution et comment, d'un pacte de liberté et d'affranchissement, on pourrait faire sortir un arsenal de vexations et de mesquine tyrannie.

Je voterai contre la disposition, parce qu'elle viole la Constitution et, comme d'autres dispositions que j'ai signalées, le droit commun.

Si elle est maintenue, je voterai contre le Code tout entier.

M. B. Dumortier. - Je désirerais que M. le ministre de la justice voulût bien nous dire comment il entend répondre à l'observation faite par l'honorable M. Nothomb sur le point de savoir si les délits qu'il s'agit de créer seront déférés au jury ou bien aux tribunaux correctionnels Je prie M. le ministre de donner une réponse catégorique sur ce point.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je suis libre, messieurs, de prendre la parole quand je le crois nécessaire, et je ne puis pas admettre que l'honorable M. Dumortier vienne, à chaque instant, mettre tantôt les membres de la gauche, tantôt le gouvernement en demeure de parler. Quand je croirai devoir donner des explications, je demanderai la parole à M. le président.

M. B. Dumortier. - Il faut que la Chambre sache sur quoi elle est appelée à voter. Il n'est point d'exemple dans un pays constitutionnel qu'un gouvernement, dans une discussion, refuse de s'expliquer sur la portée de la loi qui fait l'objet de cette discussion. Si un pareil système était admis, il n'y aurait plus qu'une chose à faire, c'est de ne point prendre part à un débat qui aurait lieu dans de semblables conditions.

M. le président. - Je puis donner la parole à ceux qui la demandent, mais je ne puis forcer personne à parler.

M. Orts. - Je crois, messieurs, qu'il serait très difficile à M. le ministre de la justice, en supposant qu'il le veuille, de donner satisfaction à l'honorable M. Dumortier.

L'honorable membre demande à M. le ministre de la justice de déclarer ce qu'il n'a pas le pouvoir de déclarer, savoir que le délit dont nous nous occupons sera toujours soumis à l'appréciation du jury. Une seule autorité pourrait répondre à la question posée par l'honorable M. Dumortier : la cour de cassation.

En effet, la Constitution dit que tous les délits politiques sont déférés à la juridiction du jury.

Mais aucune loi en Belgique ne définit le délit politique ; jusqu'à présent il a été impossible de faire pareille loi ; je ne dis pas qu'on ne doive jamais la faire, je suis même très disposé à concourir à sa confection, mais il ne faut pas se le dissimuler, ce serait une loi très dangereuse, comme toute loi de définition.

Quoi qu'il en soit, je le répète, il n'existe aujourd'hui aucune loi définissant les délits politiques.

Des lors, un ministre ne peut déclarer de façon à lier le pouvoir judiciaire, que tel fait est ou n'est pas un délit politique.

La cour de cassation seule a compétence pour résoudre cette question en dernier ressort comme toute autre question de droit criminel ou civil.

Je suppose que M. le ministre de la justice déclare à l'honorable M. Dumortier, que le délit dont il s'agit est, dans la pensée du ministre, un délit politique, qui sera lié par cette affirmation ? Personne. Demain la cour de cassation pourra juger le contraire. L'opinion de M. le ministre de la justice n'arrêterait pas la cour, et à bon droit.

(page 1399) Une seule chose doit l'arrêter, un acte collectif des trois branches du pouvoir législatif, c'est-à-dire, une loi disant que le délit dont nous nous occupons est un délit politique. Or, cette loi, M. le ministre de la justice n'a pas compétence pour la faire seul. Il ne peut donc pas répondre à l'honorable M. Dumortier.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je m'expliquerai quand je le croirai nécessaire.

M. Guillery. - Je prends la parole, uniquement pour être agréable à l'honorable M. Dumortier, qui ne veut pas que la droite soit sans contradicteur.

Je n'ai, du reste, qu'une simple explication à donner. La droite s'est obstinée à reproduire un argument dont je ne comprends pas l'origine ; je ne comprends pas l'erreur qui consiste à voir dans l'article 295 le renvoi devant les tribunaux correctionnels des délits prévus dans cet article. Est-ce qu'il y a un seul mot dans l'article 295 du Code pénal qui ait rapport en quoi que ce soit, au tribunal correctionnel ?

Y a-t-il un seul mot de ce genre dans l'article 201 du Code actuel ? Les tribunaux règlent leur compétence d'après la nature des faits.

M. Vilain XIIII. - Et le curé de Boitsfort ?

M. Guillery. - Le curé de Boitsfort et celui d'Auderghem ont commencé par contester la compétence du tribunal correctionnel ; ils ont prétendu que le délit a raison duquel ils étaient poursuivis, était un délit politique. C'était une question de fait. Les prévenus n'ont pas dit : « Tout curé qui est poursuivi du chef de paroles proférées en chaire commet un délit politique. » Ils se sont bornés à dire, je le répète : « Les faits pour lesquels nous sommes poursuivis constituent un délit politique. »

Le tribunal correctionnel et la cour de Bruxelles en instance d'appel, appréciant les faits, ont décidé que ces faits ne constituaient pas un délit politique.

Mais le lendemain, un autre prêtre aurait pu dire autre chose en chaire, et les paroles à raison desquelles il aurait été poursuivi, en vertu du même article, auraient pu constituer un délit politique, et dès lors il aurait été traduit devant le jury.

La droite nous dit :

« Le prêtre sera traduit devant le tribunal correctionnel. » Pourquoi ? Vous supposez donc que toute parole quelconque à raison de laquelle le prêtre sera poursuivi, n'est pas un délit politique. Nous, nous ne disons pas cela, nous ne disons pas non plus le contraire ; nous ne pouvons pas caractériser d'avance les mille et mille variétés de faits à raison desquels les ministres du culte, parlant en chaire, peuvent être poursuivis.

Si l'attaque à laquelle le ministre du culte s'est livré, a un caractère politique, il sera renvoyé devant le jury. Ce sont toutes questions de fait dont l'appréciation par les tribunaux est laissée intacte par le nouveau Code pénal comme elles le sont sous l'empire du Code pénal actuel.

Si les tribunaux croient, comme les honorables MM. Moncheur et Nothomb, que le ministre du culte qui lit en chaire un mandement, commet un délit de presse, le ministre du culte sera traduit devant le jury.

Je ne crois pas, je l'avoue, qu'il y ait jamais un tribunal qui considère le prêtre, lisant un mandement en chaire, comme étant l'imprimeur, l'éditeur ou le distributeur d'un écrit incriminé. Mais laissons à cet égard les tribunaux agir comme ils l'entendent.

Et puisque j'ai la parole et que l'honorable M. Dumortier tient beaucoup à ce qu'il y ait une réplique de notre part, je répondrai à un autre argument de l'honorable M. Moncheur sur ce point-là.

L'honorable membre a argumenté, à l'appui de sa singulière, définition du délit de presse, et aussi de sa singulière définition des délits commis par les ministres des cultes ; il a argumenté, dis-je, de l'article 355bis du nouveau Code pénal ; il a argumenté d'un discours de l'honorable M. Orts, pour prétendre que celui qui contribue à la publication d'un écrit en est l'imprimeur, l'éditeur ou le distributeur.

M. Moncheur. - Je n'ai pas dit cela.

M. Guillery. - Pardon, je l'ai écrit immédiatement après l'avoir entendu.

L'honorable membre a déclaré tout à l'heure qu'il espérait bien qu'on n'aurait pas assez de subtilité pour vouloir prétendre que le ministre des cultes n'est pas l'imprimeur, l'éditeur ou le distributeur. (Interruption.) Soit ; pour prouver que ceux qui donnent de la publicité à un écrit d'une manière quelconque, doivent être assimilés, quant à la mise hors de cause, à l'imprimeur, à l'éditeur ou au distributeur, l'honorable membre augmente de l'art. 335bis du nouveau Code pénal.

Que porte cet article :

« § 1"'. Ceux qui auront sciemment contribué d'une manière quelconque à la publication ou distribution d'un écrit contenant une provocation à un crime ou à un délit, soit que la provocation ait été ou non suivie d'effet, seront considérés comme complices des provocateurs. »

Voilà pour la peine. Maintenant nous allons voir pour la mise hors de cause :

« Néanmoins, lorsqu'ils ont fait connaître la personne de qui ils tiennent l'écrit ou lorsque l'auteur ou l'imprimeur sont connus et domiciliés en Belgique, les crieurs, afficheurs, vendeurs ou distributeurs seront exempts de toute peine.

« Il en sera de même de l'éditeur ou de l'imprimeur, lorsque l'auteur est connu et domicilié en Belgique. »

Voilà donc les personnes qui sont exemptes de la peine, lorsque l'auteur est connu.

Mais on n'a jamais prétendu et on ne prétendra jamais avec quelque chance de succès que celui qui vient lire un écrit en public doive être mis hors de cause, par cela seul que l'auteur est connu. Ainsi, je viens lire sur la place publique un écrit incendiaire ; je n'aurai qu'à déclarer le nom de l'auteur, qui demeure peut-être à l'extrémité du royaume, et je pourrai lire impunément l'écrit, sans qu'on puisse poursuivre et réprimer mon délit !

Mais, messieurs, je serais coupable du délit expressément prévu par l'article 335bis du nouveau Code pénal, ainsi que par l'article premier du décret du 20 juillet 1831 sur la presse.

On ne veut pas assimiler le ministre du culte, qui lit en chaire un mandement, à l'imprimeur, à l'éditeur ou au distributeur ; tout ce que l'honorable M. Moncheur a dit de la censure n'est donc pas fondé.

Le Congrès a voulu affranchir l'auteur de la censure de l'imprimeur, parce que, sans imprimeur, il n'y a pas d'écrit possible ; il a donc voulu affranchir l'imprimeur de toute responsabilité, afin que jamais il n'eût à examiner la question de savoir s'il lui était possible d'imprimer un écrit sans s'exposer à des poursuites. Voilà le contrôle dont on a voulu affranchir la presse.

Mais, dit-on, un ministre du culte à qui on donne un mandement à lire en chaire, se demandera : « Cette lecture ne doit-elle pas me compromettre ; ne m'expose-t-elle pas à être poursuivi ? » Si les ordres de ses supérieurs sont tels, qu'il ne puisse pas résister, il a alors à régler sa conduite d'après sa conscience. Si ses supérieurs trouvent bon de l'exposer à des poursuites et à l'application d'une peine, ce n'est pas à nous d'entrer dans les discussions qu'ils peuvent avoir entre eux.

Quant à moi, je ne serais pas fâché qu'il y eût une petite censure de la part des ministres du culte à l'égard de leurs supérieurs ; que les ministres du culte jetassent, en pareil cas, les yeux sur le Code pénal, et que, reconnaissant qu'ils vont peut-être commettre un délit, ils ne fussent pas toujours disposés en lire en chaire ce qu'on leur dit d'y lire. Je serais très heureux de contribuer à faire une loi qui amènerait ce résultat salutaire.

L'honorable M. Moncheur craint que par l'article 395 on n'enchaîne l'essor, l'imagination de ceux qui font les mandements.

Mais, messieurs, encore une fois, j'invoquerai l'histoire de 52 années : sous l'empire de l'article 201 du Code pénal, l'essor a-t-il été enchaîné ? A-t-on vu que les auteurs des mandements aient été arrêtés dans l'élan de leur imagination et qu'ils n'aient pas joui d'une assez grande liberté pour critiquer, censurer ou blâmer tout ce qu'ils ont voulu ?

Pour ma part, je crois que la liberté dont ils ont joui jusqu'ici est parfaitement suffisante, et qu'ils auraient tort d'en réclamer une plus grande.

Je ne veux pas revenir sur les considérations politiques par lesquelles j'avais commencé avant-hier ; il paraît qu'elles ont vivement blessé les honorables membres de la droite. Je crois que le moment n'est pas opportun pour renouveler une discussion à cet égard. Je me suis expliqué sur ce que je pense de la politique de la droite.

Dans la discussion générale du budget de l'intérieur, je suis prêt à renouveler cette discussion. Je suis prêt à examiner, lorsque le moment sera venu de renouveler les débats politiques, si la droite doit inspirer au pays une si grande confiance et si on doit la considérer comme représentant ici exclusivement l'amour de la liberté.

Je me bornerai à dire en quelques mots que si l'honorable M. Nothomb est particulièrement et personnellement très dévoué aux idées les plus larges, les plus libérales, je m'en applaudis beaucoup et je reconnais que je l'ai quelquefois trouvé comme auxiliaire dans la défense d'idées très libérales, mais cela ne peut caractériser un parti, et je dirai avec plus de droit de parler ainsi, ce que l'on disait avant-hier à M. le ministre de la justice : « Ce sont des opinions individuelles. »

(page 1400) (Cette feuille remplace celle portant la même signature et dont les pages 1400, 1401 et 1402 ont été supprimées par décision de la chambre du 4 juin 1862) L'honorable membre ne doit pas oublier qu'il a fait partie d'un ministère catholique qui était accusé par beaucoup de membres de la droite d'être trop libéral ; il ne doit pas oublier que son honorable frère a fait partie d'un ministère qui était accusé d'être trop libéral ; que le seul ministère qui ait été véritablement, complètement libéral dans sa composition n'a pu durer longtemps ; que chaque fois que ces ministères catholiques, et même ceux qui étaient trop libéraux ont voulu mettre à exécution leur véritable programme, celui de leur parti, une explosion de l'opinion publique les a renversés.

C'est ce qui est arrivé en 1847, et c'est ce qui est arrivé depuis.

Ils nous ont laissé quelques souvenirs qui doivent nous inspirer quelque défiance ; je parle moins. du reste, de ce qu'ils ont fait que de ce qu'ils ont voulu faire, car on ne les a pas laissé faire. (Interruption.)

Ainsi lorsqu'ils proposaient une loi autorisant la nomination des bourgmestres en dehors du conseil ; lorsqu'ils promulguaient une loi amenant le fractionnement des collèges électoraux dans les communes, leurs tendances n'étaient pas libérales.

Et lorsqu'ils nous menaçaient du vote à la commune sous prétexte de la liberté la plus large, je le sais bien, de même que lorsqu'ils nous menaçaient de la loi sur la charité, libertés dont le pays ne veut pas parce que la droite est parfois trop généreuse, le pays a été obligé de crier : Assez, nous n'en voulons pas. (Interruption.).

Lorsque ces ministères nous ont proposé ces lois, ils ont effrayé le pays moins encore par ce qu'ils ont fait que par leurs tendances et par les tendances de leurs amis politiques qui exerçaient de notoriété une grande influence dans les conseils. (Interruption.)

Je me borne à cette courte réponse. Je ne puis accepter, quant à présent, l'invitation toute gracieuse et toute séduisante que nous adressait hier l'honorable M. Dechamps à la fin de son discours ; il nous faudrait pour cela ne pas connaître aussi bien le terrain sur lequel on nous convie.

M. B. Dumortier. - Messieurs, j'éprouve une surprise : c'est de voir l'honorable membre qui vient de se rasseoir, accuser le côté de la Chambre où j'ai l'honneur de siéger, de faire des choses contraires à la liberté et à la Constitution, et soutenir cette thèse au moment même où il vient combattre la liberté la plus sacrée de toutes, la plus constitutionnelle de toutes, la liberté de la parole. . Comment ! c'est au moment où vous venez porter à la liberté l'atteinte la plus grave qui jamais y ait été portée dans cette enceinte, que vous osez parler ainsi !

Nous, du moins, nous sommes ici pour défendre cette liberté que vous attaquez et vous ne pouvez pas citer un seul cas où nous ayons agi autrement.

Et c'est au moment où vous avez la parole pour soutenir le système le plus monstrueux qui ait été établi par le despotisme impérial et que nous subissons aujourd'hui parce que telle était la volonté du tyran, de l'empereur que vous venez flétrir ceux qui combattent un pareil système.

Je m'attendais à d'autres sentiments de la part de l'honorable membre.

Quand on appartient à une génération de jeunes libéraux, à cette génération qui vante sa répulsion pour le despotisme, on devrait avoir plus d'amour pour la liberté.

Vous nous accusez de tendances, vous, jeune libéral, qu'on accuse tous les jours de tendances subversives. Ne perdez pas de vue que c'est le reproche qu'on vous fait tous les jours et que le procès de tendance que vous nous faites retombe de tout son poids sur vous.

Quoi ! étrange procureur général, vous accusez une opinion de tendances et vous ne pouvez invoquer un seul fait contre elle.

L'opinion conservatrice a gouverné le pays pendant vingt ans. Y a-t-il une loi, une seule, dans laquelle elle ait violé la liberté ?

Quand vous êtes arrivé au congrès, non pas national, mais à un congrès que vous placez bien plus haut, au congrès libéral, vous avez parlé dans votre programme du retrait de lois réactionnaire», et lorsque vous êtes parvenus au pouvoir vous n'avez pas trouvé une seule loi à retirer, vous n'en avez pas trouvé une seule dans laquelle le parti conservateur, durant vingt années de pouvoir, avait porté atteinte à la liberté.

Et c'est après de pareils faits, lorsque, depuis trente ans, nous sommes ici pour défendre les libertés, lorsque même souvent nous les défendons pour vous contre vos adversaires, que vous viendrez nous accuser de ne pas vouloir de la liberté, de vouloir la combattre, et cela dans ce moment solennel où vous n'avez de paroles que pour flétrir la plus sacrée de toutes les libertés, la liberté de la parole !

Messieurs, le débat auquel nous assistons aujourd'hui a cela de remarquable, que jamais peut-être il ne s'en est produit de pareil dans un gouvernement représentatif.

Je ne sache pas que jamais dans aucun pays libre, on soit venu contester à un citoyen le droit d'exprimer sa pensée sur les actes du gouvernement et ériger en crime ce qui est un droit, une vertu.

Attaquer les actes du gouvernement quand ils sont arbitraires, c'est un droit, c'est un devoir, c'est une vertu.

Je sais fort bien qu'il n'en était pas ainsi sous le gouvernement impérial ; c'était alors la génuflexion devant le maître, le servilisme de tous aux pieds du pouvoir. Est-ce là, jeune libéral, que vous voulez ramener le pays ? Est-ce à la génuflexion devant le ministère que vous voulez astreindre le pays ?

Or les entraves que vous apportez aujourd'hui à la liberté de la parole ne sont que des mesures ayant pour objet la génuflexion du pays devant un pouvoir qui restreint la liberté des citoyens.

Eh quoi ! vous êtes avocat. Que diriez-vous si un homme dans cette enceinte proposait d'appliquer cet article au barreau, si l'on venait dire :

«Tout avocat qui, dans l'exercice de ses fonctions, fera la critique ou la censure du gouvernement, sera condamné à une pénalité de cinq mois de prison. »

Est-ce que par hasard la parole est plus libre chez vous que chez les autres ?

Oh ! je le sais bien. Vous voulez de la liberté pour vous, mais pas pour les autres. Si l'on touchait à cette liberté, en ce qui vous concerne, vous jetteriez les hauts cris, et alors nous viendrions nous joindre à vous pour la défendre.

Mais non ; il est des hommes, je le sais, pour qui le libéralisme ne consiste qu'à attaquer la liberté de la conscience humaine ; ceux-là sont ce qu'on est convenu d'appeler des hommes du progrès. Celui qui la veut, c'est un rétrograde ; celui qui l'opprime, c'est un homme du progrès.

Eh bien, ce système, je le déclare devant le pays, ce système je ne cesserai de le combattre, parce que c'est l'oppression du faible par le fort, la proscription des uns par les autres. (Interruption.)

Vous riez, messieurs ; mais savez-vous ce que prouvent ces rires indécents ? C'est qu'au fond du cœur vous ne voulez de la liberté que pour vous et l'oppression pour les autres. Si vous aimiez réellement la liberté pour tous, mes paroles trouveraient de l'écho dans vos cœurs, au lieu de provoquer des rires qui prouvent que vous voulez en réalité museler toute une classe de citoyens et les rendre esclaves de vos caprices et de vos volontés.

Je lis, messieurs, l'article en discussion :

« Art. 295. Les ministres des cultes qui, dans des discours prononcés ou par des écrits lus, dans l'exercice de leur ministère et en assemblée publique, auront fait la critique ou la censure du gouvernement, d'une loi, d'un arrêté royal ou de tout autre acte de l'autorité publique, seront punis d'un emprisonnement de huit jours a trois mois et d'une amende de vingt-six francs à cinq cents francs. »

Ainsi, messieurs, tout ministre du culte qui aura fait la critique ou la censure du gouvernement, d'une loi, d'un arrêté royal ou de tout autre acte de l'autorité publique, sera emprisonné. Mais depuis quand, je le demande, est-ce un crime dans la libre Belgique de faire la critique ou la censure du gouvernement ? Depuis quand faut-il, pour complaire au gouvernement, muscler toute une fraction de citoyens et les empêcher de faire entendre la voix de la vérité sur tel ou tel acte qui lui semble mauvais et blâmable ?

Vous défendez la liberté de la presse ; mais la presse c'est la parole écrite et pourquoi donc la parole parlée serait-elle moins libre que la parole écrite ? Vous reconnaissez à la presse le droit de critiquer, de censurer les actes du gouvernement ; et ce droit, vous le refusez au ministre du culte ! Ce qui est de droit commun dans un cas, ce qui même est considéré comme un devoir, quand il s'agit de la parole écrite, devient un délit quand il s'agit de l'exercice du même droit par les ministres du culte. Ce qui est un droit pour les uns, est transformé en délit pour les autres. C'est donc une loi d'exception tout à la fois contre les personnes et contre les choses que vous faites ici, une loi contre les ministres du culte dans l'exercice de leur ministère, et contre le libre examen des actes du gouvernement. Vous vous intitulez les hommes du libre examen, et ce libre examen vous voulez l'interdire quand il s'étend à vos actes.

Ne croyez pas, messieurs, que je vienne ici prêcher l'impunité pour les ministres du culte ; loin de moi une pareille pensée. Quand les ministres du culte, dans l'exercice de leurs fonctions, violent le droit commun, il faut qu'ils soient poursuivis.

Je suis le premier à le déclarer ; et je suis convaincu que le tribunal se montrera d'autant plus sévère envers eux que le délit aura été commis dans l'exercice de leurs fonctions.

De ce chef, le prêtre est punissable comme le dernier des citoyens. Mais faut-il ériger contre lui en crime ou en délit ce qui, pour tous les autres (page 1401) citoyens, est l'exercice de la liberté ; faut-il le punir pour avoir usé du droit commun ?

Voilà toute la question, et je soutiendrai toujours que cela vous n'avez pas le droit de le faire, parce que c'est violer les principes les plus sacrés de notre Constitution,

Le premier besoin de notre époque. C'est l'égalité de tous devant la loi.

La loi, pour être loi, doit être égale pour tous, s'appliquer de même à tous.

Une loi qui frapperait les uns au profit des passions, des intérêts, de l'ambition des autres, qui rendrait les uns victimes des appétits des autres, ne serait plus une loi, ce serait une sentence violente et inique, ce serait une sentence de parti prononcée par la majorité contre la minorité, et contre laquelle, par conséquent, tout homme de cœur devrait se révolter et protester aussi longtemps qu'il n'en aurait pas obtenu le retrait.

C'est donc, ne vous y trompez pas, messieurs, c'est une véritable sentence de proscription que vous voulez faire en cette circonstance.

Est-ce là, je le demande, ce que voulait le Congrès de 1830 ? Veuillez relire les discussions, les rapports de l'époque sur les dispositions dont nous nous occupons. M. Ch. de Brouckere, qui était rapporteur de ce chapitre de la Constitution, disait :

« Dans l'intérieur du temple la section centrale n'a en vue que la liberté la plus illimitée et sans restriction pour le prêtre. »

Voilà ce qu'on voulait alors : la liberté la plus absolue pour le prêtre, bien entendu en le rendant responsable des délits auxquels l'exercice de cette liberté aurait pu l'entraîner.

Mais, nous dit-on, il y a concordance, corrélation entre les articles 295 et 296 et les articles du chapitre III qui sont relatifs aux crimes et délits commis dans l'exercice du culte.

Ici, messieurs, je regrette bien vivement de ne pas me trouver complètement d'accord avec mon honorable ami M. Nothomb. Je pense, comme lui, qu'un bon nombre de ces dispositions pourraient disparaître du Code parce qu'il y est pourvu ailleurs. Mais il est cependant des articles que vous ne pourrez pas faire disparaître sans amener une subversion des articles de la Constitution. Déjà l'honorable M. Orts vous l'a dit, si un ministre du culte est troublé dans l'exercice de son ministère, il n'existe pas dans le Code de disposition qui punisse le perturbateur ; il faut donc combler cette lacune si l'on ne veut pas accorder la faculté de porter atteinte à la liberté du culte.

Or, que porte la Constitution ? « La liberté des cultes, celle de leur exercice public sont garanties. » La Constitution a donc voulu garantir la liberté des cultes contre toute atteinte.

Eh bien, ce qu'on a fait par les articles du nouveau Code auquel je fais allusion n'est pas autre chose que de créer la sanction de la garantie exigée par la Constitution ; sans cela la Constitution n'est plus qu'une lettre morte quant à la liberté des cultes. Il est donc de toute évidence qu'on ne pourrait pas supprimer ces dispositions sans donner un privilège aux perturbateurs. Dans le cas contraire, il ne resterait qu'une chose à faire, ce serait d'établir pour les croyants, pour ceux qui ont des principes religieux ; qu'ils soient catholiques ou protestants, c'est d'établir, dis-je, la loi de Lynch, c'est-à-dire d'accorder le droit de se faire justice à soi-même.

Sinon, quand un homme viendra troubler l'exercice du culte, attaquer le ministre dans sa chaire, les fidèles se révolteront contre lui, une bataille s'ensuivra et si vous n'avez pas de mesures répressives contre le perturbateur, ce seront ceux-là mêmes qui n'auront fait que répondre à son agression qui seront punis.

Il est donc de toute nécessité d'exécuter la garantie ordonnée par la Constitution et de donner à l'article 14 la sanction qu'il exige quand il dit : La liberté des cultes est garantie.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - La liberté de la parole est la plus sacrée de toutes à vos yeux.

M. B. Dumortier. - Certainement, c'est la première de toutes ; mais depuis quand dans une assemblée, quelle qu'elle soit, a-t-on le droit d'interpellation, le droit de prendre la parole sans y être appelé ?

Quand vous parlez ici, M. Rogier, quelqu'un placé dans une tribune a-t-il le droit de prendre la parole pour vous répondre ?

Il en est de même dans un conseil communal.

Dernièrement n'avez-vous pas entendu un honorable membre, trompé par un rapport exagéré, attaquer un honorable bourgmestre ?

Dans ce rapport il s'agissait d'obstacles mis à la liberté des cultes. Est-ce que le bourgmestre aurait eu le droit de prendre la parole et de répondre ? Non, dans les pays constitutionnels le droit de répondre n'est pas admis dans les assemblées pour les personnes qui n'y sont pas appelées, le droit de répondre n'en est pas moins un droit sacré, mais il n'est pas nécessaire qu'il s'exerce sur le lieu même pour qu'il existe.

Je suis dans un tribunal, je ne suis pas en cause ; un avocat me prend à partie ; ai-je le droit de répondre ? Non certainement. Le droit de la parole est sacré en toute chose : quand je parle du droit de la parole, c'est le droit d'examiner les actes mauvais du gouvernement partout en Belgique que j'entends.

Ne croyez pas que ce soit un droit illusoire en matière de cultes, il y a des ministres du culte qui peuvent se trouver dans le cas de critiquer des actes du gouvernement. L'Eglise libre dans l'Etat libre, voilà le système de nos institutions.

Un ministre du culte viendrait, dans une circonstance solennelle, faire d'un ministre un demi-dieu, cela plairait au ministre beaucoup plus que de se voir critiquer comme on l'a vu dans une circonstance récente.

Mais n'est-il pas certaines questions où le devoir du ministre du culte est de critiquer un acte du gouvernement ? Je suis curé d'une commune, je suppose ; le gouvernement vient de faire un acte qui porte atteinte au culte que je professe, je n'aurais pas le droit de dire : Cet acte est mauvais, vous devez obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes. Ce principe est celui en vertu duquel toute l'Europe est libre ; car c'est du jour où le pape a dit : Vous devez obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes...

M. Goblet. - Cela dépend de la manière dont on le fait parler.

M. B. Dumortier. - C'est de ce jour-là que date la liberté dans le monde.

Que le gouvernement vienne mettre à la tête d'une école un homme profondément immoral qui peut corrompre toute la jeunesse, n'ai-je pas le devoir, comme ministre, de prémunir mes paroissiens contre le danger que cet instituteur peut faire courir à la jeunesse ? Vous me traduirez devant les tribunaux !

Le gouvernement n'a qu'à établir une loi de mutisme dans un pays où les passions sont surexcitées comme en Belgique ; votre loi, si elle était exécutée, serait le plus grand de tous les embarras ; vous auriez organisé la moucharderie d'un bout du pays à l'autre.

- Plusieurs voix. - Mais cette loi existe.

M. B. Dumortier.~~ Elle n'existe pas, elle est abrogée par la Constitution : On a beau dire : Pourquoi ne vous êtes-vous pas pourvu devant la cour de cassation ? Parce qu'un curé ne s'est pas pourvu en cassation, devrions-nous prendre fait et cause pour lui ? Quand on nous dit : Il fallait attaquer, on ne nous dit rien de nouveau ; tout ce qu'on nous dit ici, on l'a répété dans l'affaire de la charité ; nous avons fini par aller en cassation, on vous a condamnés, chambres réunies ; vous êtes-vous alors soumis à la décision de la justice ? Avez-vous invoqué l'autorité du pouvoir judiciaire dont vous nous parlez ? Non, vous êtes arrivés ici avec une prétendue loi d'interprétation pour renverser les principes proclamés par la cour supérieure.

Et dans l'affaire Hayez, est-ce que le gouvernement s'est soumis ? (Interruption.)

Vous pouviez attaquer, disait-on encore. Le jugement a eu lieu, qu'en faites-vous de ce jugement ?

- Un membre. - Il est exécuté.

M. B. Dumortier. - L'arrestation arbitraire n'a pas moins eu lieu ; où est la réparation au mal commis ; où sont les dommages-intérêts, la réparation de la violation de la loi ? Vous avez violé la liberté individuelle de la manière la plus scandaleuse ; où est l'amende honorable que vous avez faite ? Répondez ! vous ne répondrez pas ! Ne venez plus après cela faire blanc de votre épée en disant : Adressez-vous aux tribunaux, quand vous tenez si peu compte de leurs décisions quand elles sont contre vous ?

Messieurs, en voyant l'effet qu'a produit dans tout le pays la disposition tyrannique et exécrable que nous discutons, en voyant la réprobation qu'elle a rencontrée dans la presse entière lors du premier débat, en voyant la réprobation qu'elle a rencontrée, on a pu se convaincre qu'il existait dans le pays un profond sentiment de liberté, de légalité et avant tout le sentiment d'égalité des citoyens devant la loi.

Vous voulez établir une loi en violation de cette égalité, le pays vous en tiendra compte comme il a fait pour tous les gouvernements qui ont voulu établir le despotisme sur l'asservissement des autres.

J'ajouterai un mot pour faire justice du reproche que nous a fait M. Guillery ; je lui dirai : Chaque fois que vous avez examiné l'article de la Constitution, cité les articles que nous invoquons, vous vous êtes toujours arrêté devant la dernière partie de la phrase de l'article 16 qui prescrit d'appliquer les peines ordinaires en matière de mandement. Vous avez toujours glissé sur cet article comme sur des charbons ardents.

C’est que l'article est clair au point que, s'il avait été fait exprès pour (page 1402) prévenir la discussion actuelle, on ne l'aurait pas autrement rédigé. Vous avez tellement le sentiment de l'inconstitutionnalité de la disposition que vous défendez, que votre langue s'arrête, votre bouche se ferme, quand vous arrivez à ce dernier paragraphe qui vous condamne, vous craignez qu'il ne brûle vos lèvres !

Messieurs, il s'agit ici de la liberté de la parole, de l'égalité de tous les citoyens devant la loi ; prenez garde, ici, comme en beaucoup de matières, une exception en appelle beaucoup d'autres, et vos lois d'exceptions, de violation de droit, amèneront le résultat fatal de n'avoir plus en Belgique que des vainqueurs et des vaincus, des triomphateurs et des opprimés. Si vous voulez ainsi gouverner, si vous voulez substituer le servilisme ministériel au servilisme impérial, allez dans un pays qui veuille être gouverné de la sorte, qui consente à plier le genou devant la volonté despotique du maître, à être asservi à la tyrannie des ministres, mais malheur à la libre Belgique si elle doit subir l'outrage d'un tel gouvernement !

- La clôture est prononcée.

M. le président. - Nous avons d'abord à voter sur l'amendement de M. Guillery.

M. Guillery. - Je propose une petite modification à la rédaction de mon amendement, modification consistant à remplacer le mot « ou » par le mot « soit ». L'article serait ainsi conçu : « Quiconque, soit dans des discours prononcés, soit dans des écrits lus publiquement dans un édifice destiné ou servant actuellement au culte, etc. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, je ne vois pas d'inconvénient à me rallier à l'amendement de l'honorable M. Guillery, il élargit la disposition en ce sens qu'il ne prévoit plus spécialement les délits commis par des ministres des cultes. Mais si l'article est adopté dans les termes qu'il propose, il y aura une modification à introduire dans l'intitulé du titre qui porte : « Des infractions commises par les ministres des cultes dans l'exercice de leurs fonctions. »

M. de Theux. - C'est exactement la même pensée que celle du gouvernement, aggravée et moins la franchise de l'expression ; car il ne s'agit que d'une restriction apportée à la liberté du culte.

M. le président. - Je mets l'amendement aux voix, avec la réserve que, s'il est adopté, le libellé du chapitre sera changé.

- Plusieurs membres. - L'appel nominal !

- Il est procédé au vote par appel nominal sur l'amendement.

89 membres prennent part au vote.

47 votent pour l'amendement.

42 votent contre.

En conséquence, l'amendement est adopté.

Ont voté l'adoption : MM. de Renesse, de Ridder, de Rongé, Devaux, d'Hoffschmidt, Dolez, Dupret, Frère-Orban, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Guillery, J. Jouret, M. Jouret, Lange, Laubry, C. Lebeau, J. Lebeau, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Orts, Pierre, Pirson, Rogier, Sabatier, Tesch, A. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Volxem, Allard, Braconier, Carlier, Cumont, Dautrebande, de Baillet-Latour, de Breyne, de Bronckart, de Brouckere, Dechentinnes, de Lexhy, de Moor et E. Vandenpeereboom.

Ont voté le rejet : MM. de Pitteurs-Hiegaerts, de Ruddere de te Lokeren, de Smedt, de Theux, B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel, Faignart, Janssens, Julliot, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, le Bailly de Tilleghem, Magherman, Moncheur, Notelteirs, Nothomb, Rodenbach, Tack, Thienpont, Van Bockel, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van de Woestyne, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Wasseige, Beeckman, Coomans, Debaets, Dechamps, de Decker, De Fré, de Haerne, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Montpellier, de Muelenaere et de Naeyer.

- L'article 295, ainsi amendé, est adopté.

Article 296

M. le président. - Je mets maintenant aux voix l'article 296.

- Cet article est adopté.

La séance est levée à 5 heures.