(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)
(page 1251) (Présidence de M. Vervoort.)
M. de Moor, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
MM. Thienpont, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« Les membres du conseil communal de Tubise prient la Chambre d'indemniser les cultivateurs du tort que leur causent les plantations sur les routes de l'Etat et des provinces, si l'on accorde une indemnité aux propriétaires des terrains frappés de servitudes militaires. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les membres du conseil communal de Solre-Saint-Géry demandent la construction d'un chemin de fer de Frameries à Chimay par Beaumont. »
- Même renvoi.
M. Van Leempoel. - Je demande que la commission soit invitée à faire un prompt rapport.
- Adopté.
« Le sieur Grisard réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir un emploi au chemin de fer de l'Etat. »
- Même renvoi.
« Le sieur Puraye, professeur à Ixelles, né à Bruxelles, demande de recouvrer la qualité de Belge qu'il a perdue en prenant du service militaire à l'étranger. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Le sieur Bovesse, ancien volontaire de 1830, demande la croix de l'Ordre de Léopold ou une gratification pour services rendus à la révolution. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le conseil communal de Rymenam demande des modifications à la loi du 18 février 1845, relative au domicile de secours. »
« Même demande du conseil communal de Boort-Meerbeck. »
- Même renvoi.
« Le sieur Vaarder prie la Chambre de statuer sur la pétition ayant pour objet d'interdire à certains agents de l'administration des postes l'exercice de professions soumises à la patente. »
- Même renvoi.
« Le sieur Devos prie la Chambre d'examiner s'il n'y aurait pas lieu d'accorder au jury pour l'examen de gradué en lettres, le droit d'autoriser le récipiendaire, qui n'a pas été admis, à se présenter une deuxième fois devant le jury, pendant la même session, mais dans une autre ville. »
- Même renvoi.
« Le sieur Adolphe Strauss, commissionnaire-expéditeur et affréteur de navires, à Anvers, né à Sommerhausen (Bavière), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Les sieurs Jean-François et Henri Stradman, cultivateurs à Grimbergen, nés dans cette commune, demandent la naturalisation avec exemption du droit d'enregistrement. »
- Même renvoi.
« Par dépêche du 10 mai, M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, la demande de naturalisation du sieur Farineux, Emmanuel-Hyacinthe-Victor-Daniel, sous-instituteur à Malines. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« M. Landeloos, retenu par affection de famille, demande un congé. »
- Accordé.
« M. Mouton, obligé de s'absenter, demande un congé. »
- Accordé.
« M. de Ridder, retenu par une légère indisposition, demande un congé de quelques jours. »
- Accordé.
« M. Muller, empêché par une indisposition, et M. Mercier, forcé de s'absenter, demandent un congé de quelques jours. »
- Ces congés sont accordés.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban) présente :
1° Un projet de loi qui autorise l'enregistrement et la transcription en debet des actes entre-vifs, portant transmission de biens immeubles, au profit des sociétés qui ont pour objet la construction de maisons à l'usage des classes ouvrières et qui accorde un délai pour le payement de l'impôt ;
2° Un projet de loi qui modifie la loi relative au droit de timbre des billets au porteur ;
3° Un projet de loi qui modifie la loi sur la police de la chasse ;
4° Un projet de loi qui alloue au département des travaux publics un crédit spécial de 325,000 fr. pour l'extension des lignes et des appareils télégraphiques ;
5° Un projet de loi qui ouvre au département de la guerre un crédit de 338,910 fr. provenant de la vente de fusils hors d'usage ;
6° Un projet de loi qui alloue au département de la guerre un crédit spécial de 180,766 fr. 15 c. destiné à rembourser à la caisse des veuves et orphelins de l'armée belge les avances qu'elle a faites depuis 1830 jusqu'au 31 décembre 1852 ;
7° Un projet de loi qui alloue au département de l'intérieur des crédits supplémentaires à rattacher au budget de l'exercice 1861 et s'élevant ensemble à la somme de 220,143 fr. 46 c ;
8° Un projet de loi qui autorise le gouvernement à vendre à main ferme à la ville de Spa le bois domanial de Commune Paule ;
9° Un projet de loi ouvrant au département de l'intérieur un crédit de 160,040 fr. pour améliorer et compléter l'armement de la garde civique ;
10° Un projet de loi accordant au département des travaux publics des crédits se rattachant à des exercices clos et s'élevant à 530,808 fr. 60 c ;
11° Un projet de loi exemptant des frais de régie pendant dix ans les terrains incultes boisés pour le compte des communes et des établissements publics.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces projets et les renvoie à l'examen des sections.
- M. E. Vandenpeereboom remplace M. Vervoort au fauteuil.
M. Loos. - Ce qui blesse et irrite la population d'Anvers, c'«st d'abord l'indifférence, pour ne rien dire de plus, avec laquelle toutes ses réclamations ont été accueillies jusqu'à présent par le gouvernement, et les efforts qui sont faits pour donner le change à l'opinion publique et faire croire que toute l'agitation qui se produit n'a d'autre but, en définitive, que d'obtenir des indemnités du chef de la dépréciation des propriétés frappées de servitudes militaires. On veut représenter ainsi les Anversois comme ne s'agitant qu'en vue d'intérêts purement matériels.
(page 1252) Je crois devoir protester contre une semblable interprétation. Sans doute, les premières réclamations n'avaient d'autre but et la commission formée pour défendre ces intérêts très légitimes, mais qui ne sont pas en cause pour le moment, poursuivait son œuvre avec modération, comptant sur la justice et l'équité du pays, sans provoquer les violences qui se sont produites ensuite.
Ces intérêts, messieurs, j'en ai le ferme espoir, et quel que soit le sentiment actuel delà Chambre, obtiendront un jour une légitime satisfaction.
J'en ai pour garant le sentiment individuel d'un grand nombre de mes honorables collègues qui plus d'une fois m'ont déclaré qu'à leur avis il y avait équité à faire supporter, par le pays entier, des charges très onéreuses imposées dans l'intérêt de tous. Ce ne sont donc pas ces intérêts qui ont surexcité la population anversoise ; c'est un intérêt plus grave, le premier de tous, celui de sa conservation, celui qui en diverses circonstances nous a fait lutter contre les projets du départements de la guerre, qui nous a fait combattre la petite enceinte et que nous espérions enfin avoir sauvegardé autant que possible, en obtenant l'établissement d'une enceinte nouvelle portant à distance respectable la défense d'Anvers.
C'est quand la population s'est vue frustrée de l'espoir d'avoir obtenu enfin la sécurité relative que lui promettait le projet de la grande enceinte, qu'elle s'est abandonnée aux sentiments que lui inspiraient l'inquiétude et la déception qu'elle éprouvait.
C'est alors qu'elle a trouvé, pour interpréter ses griefs, tous les corps constitués de la ville.
En effet, messieurs, quel a été le but principal qu'on a voulu atteindre en adoptant le plan de défense colossal qui s'exécute en ce moment à Anvers ? C’était bien, je crois, celui de donner à la métropole du commerce toute la sécurité compatible avec le rôle périlleux, et si contraire à ses intérêts, qu'il s'agissait de lui imposer. Ce but on le croyait atteint, quand tout à coup se sont révélées des prétentions exagérées de la part du département de la guerre, prétentions auxquelles personne n'avait pu s'attendre, pas plus moi, et je ne crains pas de le dire, qu'aucun membre de la section centrale qui a examiné le projet de loi qui s'exécute en ce moment et, à plus forte raison, aucun de mes concitoyens.
Nous n'avons certes pas ignoré, je le déclare ici, comme je l'ai très franchement déclaré ailleurs, qu'au nord de la ville devait exister une citadelle, dernier abri destiné surtout à faire obtenir à la garnison épuisée par la défense, mais non entièrement vaincue, une honorable capitulation. Mais ce que nous avons complètement ignoré et ce qui détruit toute confiance, c'est que dans les intentions du département de la guerre cette citadelle devait pouvoir agir au besoin, avec la même énergie, du côté de la ville qu'à l'extérieur et sur le fleuve ; c'est que la citadelle devait posséder un rayon de servitudes à l'intérieur qui étendrait jusque contre les établissements maritimes, un terrain inoccupé de 585 mètres à l'intérieur de la ville agrandie, susceptible, en cas de siège, de travaux d'approche des plus compromettants pour le sort de la ville et de sa fortune commerciale.
Voilà ce que la population d'Anvers et vous tous probablement, messieurs, avez complètement ignoré.
Quelles ont été, à ce sujet, les premières réclamations des habitants et des autorités de la ville et comment ont-elles été écoutées ? A t-on demandé tout d'abord la démolition des citadelles ? En aucune façon. On a demandé ce que très sincèrement on supposait exister, on a demandé que la citadelle n'eût pas du côté de la ville les fronts menaçants qu'on croyait n'exister que du côté du fleuve. On a demandé et j'ai demandé, moi, avec les plus vives instances et avant toute démonstration de la part de la population, que la citadelle n'eût du côté de la ville qu'une simple esplanade de 200 mètres environ, afin de limiter ainsi le rôle qu'elle pourrait être appelée à remplir un jour.
Ces prétentions si légitimes n'ont pas été accueillies par le gouvernement. On a laissé naître et grandir l'agitation et les craintes, et finalement les représentants de la commune, édifiés sur les intentions du gouvernement, ont demandé la démolition des citadelles.
J'ai fait tout ce qui dépendait de moi pour éviter que cette prétention ne vînt à se produire ; si vous avez à la discuter aujourd'hui, c'est le gouvernement qui l'a voulu.
Il aurait probablement pu l'éviter en faisant en temps utile les concessions que je sollicitais et qu'il est peut-être disposé à faire aujourd'hui. Mais aujourd'hui, la frayeur s'est emparée des esprits, on s'est fait une idée telle du rôle réservé aux citadelles, qu'on ne peut plus les envisager que comme devant amener d'une manière certaine la ruine de la ville et qu'on en demande la démolition.
Ces craintes sont-elles fondées ? Si elles l'étaient, messieurs vous ne voudriez pas plus que la population d'Anvers qu'elles pussent se réaliser un jour, et vous voudriez y pourvoir.
Il faut donc, me paraît-il, faire examiner sérieusement un état de choses qui, jusqu'à présent, n'a été examiné qu'à un point de vue exclusif, l'intérêt bien ou mal entendu de la défense.
Il faut nommer une commission d'enquête, composée de manière à inspirer de la confiance et à donner satisfaction à tous les intérêts en cause.
Messieurs, il est très beau de parler d'abnégation, d« dangers et de sacrifices pour la patrie ; tous ceux à qui on ne demande rien de ce genre y applaudissent nécessairement, cela est facile.
Ceux pour qui ce langage peut être plus significatif y applaudiront aussi et avec plus de mérite que les autres, si l'on se montre juste et équitable envers eux ; si on ne leur impose pas des sacrifices qu'il était possible de leur éviter et auxquels les intérêts de la patrie n'ont rien à gagner.
La Belgique ne possède qu'une seule grande place de commerce, dont on semble mal comprendre l'importance comme source de richesse pour tout le pays. A défaut de sécurité, il n'est pas pour le commerce de prospérité possible, ni pour le présent, ni pour l'avenir. Faites, messieurs, que cette sécurité puisse exister autant qu'il est possible avec la double destination que vous attribuez à Anvers.
Faites que les bienfaits de l'état permanent qui est la paix, ne soient pas continuellement comprimés par les craintes de l’état exceptionnel et éventuel qui peut fatalement se produire un jour.
Il n'est pas impossible d'ailleurs qu'une pareille situation soit créée sans nouveaux sacrifices pour le pays, et j'adjure la Chambre de ne pas refuser qu'on en fasse l'examen.
M. J. Lebeau. - Messieurs, si quelquefois, dans cette enceinte, j'ai professé cette doctrine que l'existence des partis est une condition naturelle, rigoureuse et nécessaire du gouvernement représentatif ; si, en cela, j'étais d'accord avec les plus imposantes autorités que j'ai citées : MM. Guizot, de Tocqueville, de Montalembert et beaucoup d'autres,, c'est alors que le pays et le gouvernement sont dans une situation complètement normale.
Mais, messieurs, dans les circonstances exceptionnelles, graves, où l'inquiétude s'empare des esprits, que le danger vienne du dedans ou du dehors, alors, messieurs, cette théorie, par la force même des choses, vient à cesser, et c'est un devoir, pour tous les bons citoyens, d'abdiquer, devant un danger extérieur ou intérieur, la lutte des partis, catholiques ou libéraux, pour ne plus être que des Belges, des amis de l'ordre et de la légalité, sauf à recommencer nos luttes de parti, quand on aura satisfait à ces grands besoins sociaux qui sont les premiers et sans lesquels les partis ne peuvent pas même exister.
Messieurs, vous avez donné, et je m'adresse à nos honorables collègues de la droite, un noble et mémorable exemple de la théorie que je viens d'exposer en quelques mots, et vous l'avez appliqué en 1848, dans le sens le plus favorable aux intérêts, à l'honneur et à la sécurité de la Belgique.
À la veille de février 1848, nous discutions très vivement ici ; et bien qu'on niât alors, sur quelques bancs, l'existence des partis, il suffisait d'assister un instant à nos discussions pour être convaincu que la lutte des partis existait chez nous, avant 1848, avec une vivacité presque égale à celle qui règne dans les débats du parlement britannique.
A cette époque, messieurs, en présence d'un grand danger à l'extérieur, d'un danger qui pouvait menacer à la fois nos libertés, nos institutions et jusqu'à notre nationalité, il n'y a plus eu ni gauche ni droite ; tous, nous avons senti que nos efforts devaient s'unir pour faire face au danger dont la patrie était menacée en face des bouleversements extérieurs.
Eh bien, messieurs, sans vouloir faire un rapprochement qui serait exagéré, qui manquerait de justesse, je crois pouvoir dire que la situation faite au parlement par les événements d'Anvers, que les devoirs qui lui sont prescrits, ont quelque chose qui se rapproche un peu de la gravité de la situation dont je viens d’entretenir la Chambre.
Oui, messieurs, il faut que tout ce qu’il y a ici d'hommes d'ordre, d'hommes de cœur attachés à la nationalité, signent encore aujourd'hui une suspension d'armes. L'ordre intérieur est menacé à Anvers, des lois y sont menacées ; et j'aime à croire que, dans des questions de ce genre, il n'y a pas ici un seul homme de parti ; il ne peut y avoir que des citoyens, des amis de l'ordre intérieur, des bons Belges.
Je ne veux pas exagérer : Ce qui se passe à Anvers n'a pas, en apparence au moins, la gravité des dangers qui paraissaient à l'extérieur, à l'époque que j'ai indiquée tout à l'heure.
(page 1253) Non assurément, nous n'avons pas encore la rébellion, la guerre civile ; mais, messieurs, est-il bien sûr que nous ne faisons pas les premiers pas dans le chemin qui conduit à une situation anomale et dangereuse à tous égards ?
On a dit avec raison, qu'on n'allait jamais si loin que quand on n'avait pas mesuré la route dans laquelle on s'engageait.
Ainsi, messieurs, dans une de nos provinces on a presque la prétention de traiter d'égal à égal avec le pouvoir chargé de l'exécution des lois que vous avez votées.
Messieurs, céder devant les menaces, devant les meetings, devant des menaces de mort adressées à un des ministres du Roi, c'est quelque chose de fort grave.
C'est là le chemin qui a conduit une généreuse nation à ce liberum veto dont l'usage, l'abus, si l'on veut, l'a conduite à la perte de son indépendance, de ce bien, le premier de tous, qu'elle ne recouvrera peut-être jamais.
Je crois ne rien exagérer en disant que, si la Chambre et le pouvoir exécutif reculaient devant les manifestations de la ville d'Anvers, ce serait une véritable abdication des pouvoirs publics.
Je crois ne rien exagérer en signalant ce danger. Je suis convaincu qu'on n'en a pas le sentiment à Anvers ; je commence par le déclarer. Mais, je le répète, on ne va jamais si loin que quand on n'a pas complètement conscience de ce qu'on fait, de la route dans laquelle les passions nous engagent.
Encore une fois, ce n'est pas là une exagération : il y a là, je le répète, quelque parenté avec le liberum veto de la Pologne.
Avant tout donc, pour traiter avec Anvers, il faut que force reste à la loi, il faut que les menaces, les violences cessent ; il faut que le calme se rétablisse ; qu'il se rétablisse d'une manière permanente. Alors seulement nous pourrons rechercher avec utilité, avec dignité, de commun accord avec les représentants d'Anvers, les moyens de faire cesser ce qu'il peut y avoir de vrai dans les griefs qu'on met en avant, les indemnités qu'on pourrait légitimement exiger.
Je n'ai pas la prétention de m'engager dans la partie technique de la question.
Cependant je crois qu'il me sera permis de dire que l'empereur Napoléon se connaissait quelque peu dans le choix des places d'armes, des places fortes. Il savait apparemment quelles étaient celles qui réunissaient les véritables conditions qu'on attend de cette partie de l'art et des constructions militaires. Or il a toujours considéré la position d'Anvers, la forteresse d'Anvers, comme un des premiers boulevards de son empire.
On sait à quel point la possession et la défense d'Anvers par le général Carnot ont influé sur les manœuvres des armées réunies des alliés. Et ne savez-vous pas (ceci est de l'histoire contemporaine) quel parti le roi Guillaume, qui avait contre lui l'Europe tout entière, a tiré, par la main et la bravoure du général Chassé, qui commandait la forteresse, de la position d'Anvers ?
Ne savez-vous pas combien de temps le général Chassé a su maintenir sur Anvers le drapeau hollandais ? Il n'a fallu, pour s'emparer de la forteresse, qui n'était pas alors dans les conditions favorables où se trouveront les nouvelles fortifications il n'a fallu rien moins qu'une armée française et un long siège.
La capitulation supposait même une défense assez énergique, car elle fut des plus honorables pour le général hollandais.
Aussi, messieurs, si le roi Guillaume, au lieu d'être abandonné par tous ses anciens alliés, en avait conservé quelques-uns, un seul même, qui eût pu combiner ses opérations avec la défense de la forteresse, peut-être ses descendants régneraient-ils encore à Bruxelles comme ils règnent à La Haye.
Je crois, messieurs, que nous avons le droit d'exiger, plus que le droit, le devoir d'exiger, avant tout, le respect à la loi. Le calme une fois rétabli, la loi obéie, nous pourrons chercher tous ensemble les moyens de compensation qui peuvent être dus à la ville, aux habitants d'Anvers ; et je serai des premiers à user largement des fonds du trésor public dans un pareil intérêt, s'il m'est démontré que la justice est du côté d'Anvers.
Mais il faut, avant tout, que l'ordre se rétablisse, que les lois s'exécutent.
Conçoit-on, messieurs, que nous délibérions encore aujourd'hui, en quelque sorte, aux yeux du pays et certainement aux yeux de l'étranger, sous la pression des meetings et des menaces qui s'en échappent ? Avant que toute agitation, toute menace ait disparu, il est impossible que vous abordiez la question des compensations, des indemnités que la ville d'Anvers peut solliciter.
Pour ma part, je ne suis nullement porté à refuser rien de ce que la justice, largement pratiquée, peut exiger pour indemniser Anvers ; toutes les concessions conciliables avec les besoins de la défense du pays, toutes ces concessions je les accorderai de grand cœur.
Je ne veux pas terminer ces observations sans dire un mot sur la conduite qu'on tient à Anvers à l'égard de M. le ministre de la guerre. Ce haut fonctionnaire, qui ne fait qu'exécuter les résolutions des Chambres et du gouvernement, qui pourvoit simplement à l'exécution d'une loi, a droit à d'autres procédés que ceux auxquels il est exposé, je ne dirai pas dans cette Chambre, mais dans la ville d'Anvers.
M. le ministre de la guerre a attaché son nom à l'existence de la Belgique, à laquelle il a participé, en offrant au besoin de verser son sang pour elle et en lui rendant, en 1830, des services qui n'étaient pas sans danger. M. le ministre de la guerre n'est pas étranger en Belgique ; en récompense des services auxquels je viens de faire allusion, il a reçu la grande naturalisation ; il a été déclaré Belge et bon Belge.
Qui sait si un jour, lorsqu'on aura exécuté les travaux d'Anvers et qu'on aura perdu le souvenir du conflit actuel, une guerre survenant peut-être, le sort des armes contraignait notre armée à se retirer dans la forteresse et que là, réfugiée momentanément, cette armée eût le temps d'attendre le secours de nos alliés, et qu'ainsi la Belgique pût échapper au danger de perdre jusqu'à son nom, ce même homme, ce ministre, qu'un brave bourgeois veut placer aujourd'hui à l'embouchure d'un canon, ce même homme, si la citadelle avait aidé à sauver la nationalité, serait peut-être un des premiers à souscrire pour la statue que la reconnaissance anversoise déférerait au général Chazal, au successeur du général Carnot ?
J'ai tenu à donner, par ces quelques mots, un nouveau témoignage d'estime et de sympathie à mon honorable concitoyen, au moment où tant d'aveugles haines semblent déchaînées contre lui.
M. Coomans. - L'honorable M. Lebeau est sous un .impression fâcheuse, sous l'impression d'une peur, non seulement exagérée, mais imaginaire. L'honorable M. Lebeau ne voit que des dangers planant sur la Belgique ; dangers à l'intérieur, dangers à l'extérieur. Il convie le plus solennellement du monde les partis qui divisent cette Chambre à un désarmement, à une suspension d'armes, c'est-à-dire au silence.
D'après l'honorable M. Lebeau, en 1848 époque où, il le reconnaît, les dangers étaient bien plus grands pour la Belgique, une partie de cette Chambre avait donné un grand, un noble exemple ; elle avait désarmé, (erratum, page 1273) elle s'était tue.
L'honorable M. Lebeau approuve fort cette conduite que d'autres de ses amis politiques ont moins approuvée, ont calomniée, puisqu'ils nous ont dit ici même que ce n'était pas le patriotisme, que c'était la peur qui nous avait fait désarmer en 1848.
M. J. Lebeau. - Je n'ai pas parlé de peur.
M. Coomans. - Vos amis nous ont accusés d'avoir eu peur en 1848. (Interruption.) Je vous ai écouté attentivement sans vous interrompre ; veuillez donc me faire le même plaisir. (Interruption.) Vous n'avez pas parlé de peur, soit, mais on nous a accusés d'avoir eu peur. Du reste, il y a des peurs très patriotiques et très généreuses, quand elles sont fondées ; et ces peurs-là, je les avouerai franchement, quand elles ne seront pas imaginaires, quand elles seront réelles, quand je pourrai les prendre pour telles. Votre peur, à vous, n'est qu'une tactique aujourd'hui.
L'honorable M. Lebeau insiste en outre sur l'impossibilité morale où se trouve la Chambre d'accorder la moindre satisfaction aux Anversois, après les meetings, les proclamations et autres manifestations que nous avons vues. Cette manière de voir de l'honorable membre provoque immédiatement de ma part les observations suivantes.
D'abord, s'il est vrai, ce qui est incontestable, que la situation, en 1848, était infiniment plus grave qu'aujourd'hui, il est vrai, d'autre part, que nous n'avons pas désarmé, en 1848, sur la question militaire. C'est en 1848 qu'ont eu lieu, dans cette assemblée, les discussions les plus vives sur le budget de la guerre. C'est en 1848 qu'on a insisté le plus fortement sur la nécessité de réduire nos dépenses militaires. Et de qui est venue cette initiative ? Des amis de l'honorable M. Lebeau. Je ne les en blâme pas ; je les en félicite. J'étais avec eux partisan des économies, et je n'avais pas peur.
Ce ne sont pas mes amis qui partageaient alors les sentiments de quiétude absolue que semblaient avoir certains membres de la gauche.
Donc, en 1848, dans une situation beaucoup plus grave que celle d'aujourd'hui, nous discutions nos dépenses militaires, nos charges militaires ; nous les trouvions trop élevées et nous voulions, moi et quelques membres de la gauche, nous voulions réduire le budget de la guerre à 25 millions et même certains membres à 20 millions.
(page 1254) Voilà ma première réponse à l'honorable M. Lebeau.
En second lieu, le discours de l'honorable membre se trompe d'adresse. Qui convie-t-il au silence sur la question militaire ? Est-ce la grande majorité de la droite ?
La précaution est inutile. La grande majorité de la droite se tait. Ce n'est pas une question de parti.
Voilà la vérité, et quand l'honorable M. Lebeau essaye d'en faire une question de parti...
M. J. Lebeau. - J'ai dit le contraire.
M. Coomans. - L'honorable M. Lebeau a convié les partis au désarmement. Je suppose que c'est le désarmement à propos de nos armements.
M. J. Lebeau. - Oui certainement.
M. Coomans. - Sinon, je ne comprendrais pas. Eh bien, je constate que c'est à ses honorables amis qu'il doit adresser ses exhortations patriotiques plutôt qu'aux miens.
M. J. Lebeau. - A tout le monde.
M. Coomans. - Non, ce n'est pas une question de parti que nous discutons, et la preuve, c'est que toutes les opinions sont amalgamées sur ce point.
Vous trouvez réunis, dans les votes, des représentants de toutes les opinions comme vous trouvez des représentants de toutes les opinions dans les diverses manifestations qui ont lieu à Anvers et ailleurs.
L'honorable M. Lebeau a peut-être fait allusion à un autre désarmement. Veut-il que nous ne discutions aucun projet de loi irritant ? Encore une fois, est-ce nous qui avons proposé ou annoncé des projets de lois irritants ?
L'honorable M. Lebeau parle-t-il au nom du ministère ? Qu'on nous le dise. Le ministère renonce-t-il aux projets de lois irritants qu'il a annoncés dans le discours du trône ? Je ne le pense pas.
La situation était tout aussi grave il y a 6 ou 7 mois qu'aujourd'hui ; à mon sens, elle était même plus grave. Et cependant le cabinet déclarait à la droite une guerre implacable. S'en repent-il à présent ?
Ici, messieurs, je m'éloigne très fort du point de vue où se placent les honorables MM. Lebeau et De Fré. Quant à moi, la situation extérieure ne m'a jamais paru plus favorable ; jamais depuis trente et un ans, la Belgique n'a été plus forte, par la longue épreuve qu'elle a faite de ses institutions, par les nobles exemples qu'elle a donnés à l'Europe ; elle est forte aussi par l'unanimité de nos sentiments en ce qui concerne la nationalité et l'indépendance, forte aussi par suite de la faiblesse relative des grandes puissances de l'Europe, par suite aussi de leur antagonisme.
M. Lebeau affirme que les excès commis dans les meetings l'empêchent et doivent empêcher la Chambre d'écouter les réclamations. Je ne sais trop quels sont les excès qui l'ont tant ému, mais je dis que la représentation nationale doit aller au fond des choses et prendre des décisions justes et utiles, quelles que soient les fautes commises.
Un gouvernement, une Chambre ne peuvent pas obéir à des rancunes. D'ailleurs, messieurs, les ministres nous ont déjà dit que la loi de 1859 étant parfaite, elle devait être exécutée. Alors même qu'il n'y aurait eu ni meetings, ni discours, ni pétitions, MM. les ministres auraient éconduit les Anversois. On ne doit donc pas rendre ceux-ci responsables de l'insuccès de leurs démarches. Leurs prétendus excès sont un prétexte pour les débouter, rien de plus.
Ainsi, messieurs, dégagé des préoccupations de l'honorable M. Lebeau, j'examine, pour ma part, avec un sang-froid parfait, nos dépenses militaires, nos armements militaires, toutes les modifications que l'on peut juger convenable d'y introduire.
Le discours sentimental de l'honorable M. Lebeau a été précédé d'un autre discours encore plus sentimental de M. De Fré, auquel je crois devoir répondre quelques mots.
M. J. Lebeau. - On a chacun ses goûts ; il y en a qui préfèrent le burlesque.
M. Coomans. - Les plus burlesques ne sont pas toujours ceux qu'on pense, M. Lebeau.
La politique sentimentale et passionnée est honnête, facile, parfois séduisante, mais souvent dangereuse.
A. la politique sentimentale et passionnée je préfère la politique raisonnée, surtout la politique raisonnable. Je pourrais prouver à l'honorable M. De Fré que ses sentiments l'égarent ; j'aime mieux lui démontrer que ses raisonnements sont faux et que ses coups portent plus loin et ailleurs qu’il ne le croit.
D'après l'honorable M. De Fré on ne marchande pas la défense nationale. Arrière, dit-il, les lâches ! Arrière les mauvais citoyens qui veulent sauver la patrie à prix fixe, qui disent : Ne nous défendez pas trop, cela nous gêne ; ne nous défendez pas trop, cela nous coûte trop cher ! Arrière ces lâches ! Arrière ces égoïstes ! Arrière ces hommes sans cœur, sans âme, qui n'ont qu'un estomac, qu'un ventre !
L'honorable M. De Fré s'est imaginé sans doute que ces belles tirades ne portaient que contre moi et il a dû se réjouir de l'accueil qu'elles ont reçu sur certains bancs.
Mais hélas ! il n'y a pas que moi de frappé ! M. De Fré n'y a pas réfléchi ; il ne s'est pas rappelé les hommes nombreux et honorables qui ont fait comme moi, avec moi, tout ce qu'il flétrit si vivement. Qui a marchandé la défense nationale ? Qui a voulu sauver la patrie à juste prix ?
Mais ce sont les hommes dont je parlais tout à l'heure en répondant à l'honorable M. Lebeau, et surtout, il faut le dire, les libéraux parmi lesquels j'étais rangé cette fois. Ah ! nous étions tous des citoyens énervés !
Sans cœur, sans âme, M. d'Elhoungne qui voulait sauver la patrie pour 20 millions ! Sans cœur, sans âme, M. Delfosse, qui ne voulait que 25 millions au maximum ! Sans cœur, sans âme, les nombreux membres de la gauche qui ne voulaient non plus donner que 25 millions pour le salut de la patrie !
Sans cœur, sans âme, MM. les ministres d'aujourd'hui ! Il entrait, disaient-ils officiellement, dans leurs vues de sauver la patrie à prix fixe, avec 25 millions !
Sans cœur, sans âme, l'honorable M. Verhaegen qui a déclaré qu'il n'aurait pas voté les grandes fortifications d'Anvers !...(Interruption.) Or, le débat porte sur les grandes fortifications d'Anvers, si nous sommes accusés aujourd'hui de n'avoir pas de cœur, c'est parce que nous voulons soit la démolition des fronts intérieurs des citadelles, soit la démolition des citadelles elles-mêmes, soit la démolition de toutes les fortifications ; or tout cela n'existait pas en 1848 ; toutes ces choses indispensables au salut de la patrie sont nées depuis, personne ne s'en était aperçu, pas même un seul militaire ; ce sont tous des hommes sans cœur, sans âme, ceux qui n'ont pas demandé tout cela en 1818.
Je m'aperçois que nous sommes ici plusieurs qui n'avons ni cœur ni âme.
Il y a beaucoup de sénateurs aussi qui n'en ont pas. Enfin, les sept huitièmes de la Belgique n'ont ni cœur ni âme parce qu'ils croient que nos dépenses militaires sont trop élevées et que nous n'avons pas besoin du vaste appareil militaire réuni autour d'Anvers.
Messieurs, il y a des arguments dangereux, parce qu'ils portent beaucoup plus loin que ne le pensent ceux qui les mettent en avant.
Eh ! messieurs, en 1858 encore, l'honorable M. Frère et ses honorables collaborateurs du ministère ne voulaient pas de la grande enceinte ; manquons-nous de cœur, manquons-nous d'âme, parce que nous croyons aujourd'hui ce qu'ils croyaient en 1858 ?
Si vos grandes fortifications d'Anvers sont la condition sine qua non du salut de la Belgique, de quel droit nous accusez-vous de manquer de cœur, si nous les croyons aujourd'hui inutiles ? Et les ministres en 1858 les croyaient parfaitement inutiles, puisqu'ils avaient pris l'engagement de ne pas les exécuter.
J'ai été quelque peu surpris de lire aujourd'hui, dans un compte rendu d'une séance de l'association libérale de Bruxelles, cette déclaration de l'honorable M. Verhaegen :
« Du reste, avant de donner mon concours au cabinet sur cette grave question, dans la position d'isolement où je me trouvais placé, j'avais obtenu l'assurance que jamais il n'appuierait une proposition de grande enceinte. »
Donc, en 1858, vous donniez à l'honorable M. Verhaegen l'assurance que jamais vous n'appuieriez une proposition de grande enceinte, et en 1859 vous venez vous-même proposer cette grande enceinte. Soit ! il est permis de se contredire ; mais quand on se contredit à ce point, est-il convenable de venir faire un crime à ses adversaires de soutenir l'opinion qu'on a soi-même abandonnée ? Permettez-moi de soutenir vos opinions d'autrefois, vos opinions sur les 25 millions, vos opinions contre la grande enceinte d'Anvers et d'autres opinions encore que vous adoptez et abandonnez très à la légère
Le langage tenu par l'honorable M. Verhaegen n'a pas été démenti et ne peut pas l'être.
Or, il y a là quelque chose d'excessivement grave, et qui vient singulièrement à l'appui des réclamations des Anversois....
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je démens cela de la manière la plus complète.
M. Coomans. - Ce n'est pas à moi que le démenti s'adresse. Je l'enregistre avec surprise.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - La grande (page 1255) enceinte a toujours été dans les vues du gouvernement ; il s'en est expliqué et dans l'exposé des motifs et dans la discussion.
M. Coomans. - Ce n'est pas mon affaire ; vous vous expliquerez à l'honorable M. Verhaegen, à qui vous lancez ce démenti. (Interruption.) Entendons-nous, il s'agit bien de 1858.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Oui.
M. Coomans. - Alors que l'honorable M. Frère déclarait qu'il n'y aurait pas de ministère disposé à proposer à la Chambre la grande enceinte.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La grande enceinte de 80 millions.
M. Coomans. - Vous arriverez à 80 millions. Mais ne jouons pas sur les mots ou plutôt sur les chiffres ; vous n'avez pas fait de pareilles réserves en 1858 ; vous déclariez simplement, loyalement, et je suis sûr avec une conviction profonde, que vous n'exécuteriez pas la grande enceinte d'Anvers, et qu'à votre avis on ne trouverait pas un ministère disposé à l'exécuter. Cette grande enceinte vous semblait inutile, dangereuse. (Interruption.)
Il faut bien que telle fût votre opinion, puisque vous l'appuyiez d'un argument qui est très significatif, vous disiez que l'exécution de la grande enceinte entraînait nécessairement la fuite de l'armée belge vers Anvers. C'est votre mot.
Or, si une enceinte de 40 à 50 millions impliquait la fuite de l'armée belge vers Anvers, a fortiori une enceinte de 80 millions devait-elle avoir ce résultat.
Du reste, messieurs, remarquez-le bien, si je rappelle ces faits, ce n'est pas pour me donner le facile plaisir de mettre d'honorables adversaires en contradiction avec eux-mêmes, c'est pour mieux me défendre contre l'indigne reproche qu'on nous adresse ; ce reproche de manquer de cœur, d'être des égoïstes, de compter notre bourse, alors qu'on parle de défense nationale.
Ne m'est-il pas permis de prouver à M. De Fré que les sentiments qu'il nous attribue doivent être ceux de ses amis politiques ? (Interruption.) Alors excommuniez-nous tous ensemble et j'y consentirai ; mettez-moi sur la même ligne que les honorables ministres, et je ne me plaindrai pas ; je les laisserai plaider pour moi notre cause commune : ce sera tout profit pour eux et pour moi.
La défense nationale !.... C'est un beau mot ; et avec des phrases, on a facilement raison de nos raisonnements. Quand, à propos d'Anvers, on répète toujours défense nationale, défense nationale, n'est-ce pas un abus, un mensonge ? Etrange système de défense nationale qui consiste à livrer la nation à l'ennemi et à ne défendre que l'armée !
Car j'ai de la mémoire ; je l'ai prouvé quelquefois à la Chambre ; eh bien, je me rappelle que l'honorable M. Chazal, en qui j'ai une entière confiance pour les questions militaires, nous a déclaré en 1859 qu'Anvers serait si forte qu'elle ne serait sans doute pas attaquée.
Or, voyez votre système de défense nationale ; toute l'armée belge nous quitte ; elle se rend à Anvers, bien malgré elle, j'en suis convaincu ; elle se rend à Anvers, elle s'y case ; elle n'y est pas attaquée ; on ne l'osera pas, tant elle sera fortement défendue par les admirables fortifications que vous y élevez, et le reste du pays est livré à l'ennemi. (Interruption.)
C'est un raisonnement que je fais sur votre déclaration de 1859.
M. Allard. - Pourquoi Anvers se plaint-elle alors, puisqu'elle n'a rien à craindre ?
M. Coomans. - Je ne parle pas seulement pour Anvers, je parle pour les Bruxellois, pour les Gantois, pour les Tournaisiens, M. Allard.
M. Allard. - Nous avons une citadelle ; nous avons du courage et nous ne demandons pas qu'elle soit démolie.
M. Coomans. - Parce que vous savez qu'elle ne vaut pas grand-chose.
M. le président. - N'interrompez pas.
M. Coomans. - Singulier système de défense nationale que celui qui consiste à livrer la nation à l'ennemi et à ne défendre qu'une seule ville et l'armée !
Voilà pour la défense nationale.
Maintenant, l'honorable M. De Fré base tous ses raisonnements ou plutôt ses sentiments sur une hypothèse, à savoir que les fortifications d'Anvers sont le nec plus ultra de l'art militaire, qu'il n'y a plus rien à y modifier et que le salut du pays est parfaitement assuré aujourd'hui. Ce n'est là qu'une hypothèse, l'honorable membre sait bien que des opinions contraires sont acceptées, défendues par des hommes très compétents. C'est tout ce que je veux prouver pour le moment. On peut différer d'opinion avec n'importe qui sur ces questions-là et ne pas cesser d'être un bon citoyen.
D'après l'honorable M. De Fré, dès qu'il s'agit de défense nationale, d'établissements militaires, il ne faut pas hésiter, ni calculer, ni raisonner, il faut faire tous les sacrifices possibles, tous parce qu'il s'agit là d'un intérêt qui n'admet pas de calcul, pas de discussion, pas même de raisonnement.
Mais, messieurs, cela n'est pas vrai, pas même aux yeux de l'honorable M. De Fré.
L'honorable M. De Fré admet certainement des limites aux charges militaires ; il doit le faire, à moins d'aller à l'absurde. Si c'est manquer de cœur que d'apprécier les facultés d'un pays pour les mettre en rapport avec sa défense, l'honorable membre manquera de cœur quand on viendra lui proposer un budget de 100, de 150 millions et une armée de 200 ou de 300 mille hommes. Il repoussera ces chiffres, contrairement à sa logique. Il les déclarera sans doute inadmissibles. Ce serait trop de millions et de soldats.
Cependant, messieurs, remarquez que tout cela est possible. On prouvera à M. De Fré que 150 millions et 300,000 hommes assureront beaucoup mieux la défense nationale que ce qui existe aujourd'hui, et les auteurs de ces propositions, évidemment exagérées, pourraient adresser à l'honorable M. De Fré le discours qu'il nous a fait samedi, et il n'aurait rien de bon à leur répondre.
Il est une question de limite à étudier dans toutes les dépenses.
La Belgique peut se défendre à outrance ; elle peut à la rigueur se rendre imprenable.
Qu'elle mette 300,000 ou 400,000 hommes sur pied ; qu'elle dépense 200 ou 300 millions par an pour son état militaire ; qu'elle arme tout le monde, et son indépendance sera assurée, car il serait impossible à n'importe quelle puissance de faire violence à un peuple de 4 ou 5 millions dames qui aurai t300,000 hommes sous les armes et 500,000 autres hommes prêts à les prendre.
Mais ces sacrifices extraordinaires, déraisonnables, sauvages, sont-ils de notre temps ? Pouvons-nous brûler nos villes à la Russe, nous battre tous comme les Belges du temps de César ? Si M. De Fré le croit, et s'il prêche cela, il ne fera guère de prosélytes.
Si l'honorable membre venait nous proposer ce système, et il le devrait pour se montrer logique et pour avoir quelque apparence de droit de nous adresser le reproche qu'il formule, s'il venait nous proposer ce système d'armement à outrance, d'armement général, universel, soit, alors la Belgique serait sauvée.
Mais l'osera-t-il ? Non, il ne l'osera pas, et dès lors tombe cette comparaison qu'il a faite entre la patrie et la mère malade. Quoi ! nous a-t-il dit votre mère est malade, et vous hésitez devant les dépenses que sa maladie peut occasionner ! Vous calculez par pièces de cent sous ce qu'il en peut coûter !
Comparaison n'est pas raison, et celle-là surtout. Comparaison est souvent déraison.
D'abord, la Belgique n'est pas malade, elle ne s'est jamais mieux portée, pour les motifs que j'ai exposées au commencement de mon discours.
Tous les jours, messieurs, les plus honnêtes gens reculent devant de grandes dépenses pour leur mère malade et ils ont parfaitement raison.
Quand un ouvrier voit sa mère malade et qu'on vient lui dire : « Vendez tout ce que vous avez et faites venir quelque grand médecin d'Allemagne, de France ou d'ailleurs pour la guérir, » s'il ne le fait pas, le signalerez-vous comme un fils dénaturé ? Il répond : Je me contente du médecin de mon village ; nous nous sauvons d'après nos moyens ; nous nous guérissons selon nos ressources ; tout le monde n'est pas riche. N'est pas criminel qui ne l'est pas, et 4 millions d'hommes ne sont pas tenus à déployer des facultés militaires égales à celles de 50 millions d'hommes.
Et vous trouverez que cet ouvrier manque de cœur, parce qu'il se contente de payer quelques pièces de cent sous à un médecin de son voisinage au lieu de vendre tout ce qu'il a et de contracter, encore beaucoup de dettes afin d'obtenir la visite de quelque médecin renommé de l'étranger ou même du chef-lieu de la province ! Puis cet ouvrier doit penser aussi à sa femme et à ses enfants qui survivront à sa mère.
- Un membre. - Il ne faut reculer devant aucun sacrifice,
M. Coomans. - Cela n'est pas vrai, car si l'honorable M. De Fré avait raison, il n'y aurait que de mauvais Belges ; il ne s'agit pas seulement de sauver la Belgique, il faut aussi sauver les Belges.
Oui, quand la mère est malade il faut faire beaucoup ; il faut faire tout ce qu'on peut pour la guérir. Mais il y a aussi des maladies imaginaires, et voilà le danger. J'en ai la conviction, on traite un peu la Belgique comme on traitait M. Argan. (Interruption.)
M. De Fré a cité Beaumarchais, je puis bien citer Molière. (Interruption.)
(page 1256) M. Argan, à qui la docte Faculté avait persuadé qu'il était malade, était exploité par les Diafoirus, parles Purgon et par les Fleurant.
Eh bien, cette situation est celle de la Belgique ; seulement ses médecins ne portent pas de robes noires et de perruques ridicules ; ils ont d'autres uniformes (interruption) ; mais la Belgique n'est pas malade, cela vous crève les yeux.
M. Devaux. - Est-il permis de-dégrader la Chambre ?
M. Coomans. - Vous vous dégradez vous-même, M. Devaux, par une telle interruption.
M. Devaux. - Respectez-vous, monsieur !
M. Coomans. - Respectez-vous vous-même.
M. Devaux. - Vous ne vous respectez pas.
M. Coomans. - Merci de vos leçons, gardez-les. Vous ne n'empêcherez pas de dire un seul mot de ce que je veux dire.
M. Devaux. - On devrait vous en empêcher.
M. Coomans. - Ce que vous dites est un reproche pour M. le président.
Vous n'avez pas le droit de vous adresser à moi.
M. le président. - M. Devaux, je suis seul ici pour faire la police de l'assemblée. Il me semble qu'on a l'habitude de laisser une grande liberté à la discussion dans cette enceinte, et c'est ce que j'ai cru devoir faire.
Je n'ai jamais rappelé à l'ordre pour de pareilles plaisanteries. M. De Fré en avait fait aussi, et c'est à lui que M. Coomans répondait.
M. Coomans. - S'il vous plaît, M. le président, ce n'est pas une simple plaisanterie ; il y a un argument dessous.
L'honorable M. De Fré a parlé de Beaumarchais, de Bazilo et de Figaro et moi je ne pourrais pas parler de Molière, d'Argan et de Diafoirus ? Et pourquoi pas, M. Devaux ? (Interruption.)
A mon sens Molière est beaucoup plus sérieux que Pradon qui était plus pompeux et présomptueux que sérieux, M. Devaux. Molière était très sérieux et vous avez tort de ne pas le lire.
Quant à moi, j'y ai trouvé d'excellentes leçons morales, économiques, politiques et même parlementaires.
Est-ce ma faute si mon discours s'allonge ?
J'aurais déjà fini sans toutes vos interruptions.
Je dis que la Belgique n'est pas malade ; telle est la signification de la comparaison faite par l'honorable M. De Fré, ou elle n'a pas de sens.
Ce qui peut la rendre malade, c'est la peur qu'on lui fait, ce sont toutes les saignées dont on la fatigue, c'est la foule de docteurs intéressés qu'elle a le tort d'écouter.
J'ajoute qu'on exploite de bons sentiments dans un mauvais but, et que si les maladies sérieuses doivent être convenablement traitées, les maladies imaginaires celles dont parlent les honorables MM. Lebeau et De Fré ne méritent pas ce traitement.
Les enfants de M. Argan avaient parfaitement le droit de lui dire : Mais vous vous trompez, vous vous portez bien, renvoyez vos médecins ! Et ils n'étaient pas mauvais enfants pour cela.
Messieurs, les comparaisons de l'honorable M. De Fré sont réellement sévères, j'allais dire odieuses. Non seulement nous sommes, nous, partisans d'économies, des hommes sans cœur, des fils dénaturés, mais il nous a comparés aussi à l'écume flottante de la mer, tandis que lui et MM. les ministres sont des rocs inébranlables.
Eh bien, messieurs, cette comparaison cloche encore et complètement. Comment 1 Vous nous appelez l'écume flottante, nous qui n'avons pas changé de manière de voir à l'endroit de nos dépenses militaires ; et vous qualifiez de rocs MM. les ministres qui ont bougé et varié sans cesse ! Je ne veux pas insister davantage sur ce point : le vice de la métaphore saute aux yeux.
Le ministère, qui a tant varié sur la question d'Anvers, se déshonorerait s'il acceptait une modification au système adopté 1 Mais pourquoi ?
Il me semble que quand on a changé quelquefois d'opinion et en matière si grave, ces changements peuvent être très honorables et très fondés, un virement de plus ne peut pas faire grand tort et ne peut rien compromettre.
Messieurs, je placerai ici un argument que je recommande à toute l'attention de la Chambre : il est clair pour tout le monde qu'en 1859, la majorité, faible d'ailleurs, qui a voté la loi du 8 septembre, a voulu mettre la ville d'Anvers à l'abri d'un bombardement.
C'était là le but de la loi ; car on avait déjà soutenu qu'au point de vue militaire, la grande enceinte d'Anvers n'était pas nécessaire, que c'était une concession faite aux Anversois, dans l'intérêt du commerce belge. Cela est parfaitement établi par une déclaration de l'honorable général Chazal, faite en séance du 17 août.
« L'adoption de ce principe, disait l'honorable Chazal, combiné avec celui de la grande enceinte, donnera à la population d'Anvers la garantie que ses propriétés seront complètement soustraites aux éventualités d'un bombardement, quels que soient les progrès que réalisent les armes à feu. »
Voilà le langage que tenait l'honorable général Chazal le 17 août 1859. Le 8 mai dernier, voici ce que disait encore l'honorable général au Sénat :
« On a témoigné (au sujet de la citadelle du Nord) la crainte d'un bombardement. Cette crainte est vraiment absurde, je ne puis me servir d'une autre expression : l'ennemi n'a pas besoin, pour bombarder une ville, de se trouver en possession d'une citadelle rapprochée.
« En admettant qu'on voulût bombarder Anvers, il ne serait même pas nécessaire de s'établir à la Tête de Flandre ou dans un fort du camp retranché ; eu égard à la portée de l'artillerie actuelle, on pourrait à la rigueur s'établir en rase campagne. »
Voilà deux opinions formulées loyalement, par un homme très compétent, deux opinions qui sont diamétralement opposées.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Au contraire ; c'est que vous ne comprenez pas ce que j'ai dit. Je l'expliquerai tout à l'heure.
M. Coomans. - Je croyais comprendre un peu le français.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Il faut croire que vous ne le comprenez pas dans cette circonstance.
M. Coomans. - La nation jugera. En 1859, l'honorable général Chazal disait que la population d'Anvers était complètement soustraite aux éventualités d'un bombardement, quels que fussent les progrès que réaliseraient encore les armes à feu.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Avec les forts et la citadelle existants, je le maintiens encore.
M. Coomans. - L'honorable général dit donc que ses déclarations portaient sur la citadelle du Nord.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal).—Sur l'ensemble.
M. Coomans. - Sur l'ensemble des fortifications d'aujourd'hui, c'est-à-dire qu'avec cet ensemble il n'y a pas de bombardement possible.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - C'est évident.
M. Coomans. - Mais, il y a quelques jours, le 8 mai, l'honorable général disait que l'ennemi n'aurait pas besoin de se placer dans un fort pour bombarder Anvers (sur quoi je suis complètement de l'avis de M. le ministre) ; que l'ennemi pourrait se placer en rase campagne.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Oui, s'il n'y avait ni forts ni citadelles pour l'en empêcher, mais en présence de forts et d'une citadelle qui le tiendraient éloigné, il ne pourrait pas venir bombarder la ville. Voilà le sens de mes paroles. Du reste je m'expliquerai plus longuement tout à l'heure.
M. Coomans. - Soit, mais comme ce point est très important j'insiste.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Votre siège est fait.
M. Coomans. - Je me rends toujours quand j’ai tort. Le 8 mai, il s'agissait de prouver aux Anversois qu'ils pourraient être bombardés sans la citadelle du Nord.
Et, en effet, le 8 mai l'honorable général avait raison, car il disait aux Anversois : Vous ne voulez pas être pas bombardés, mais vous pourrez l'être même sans la citadelle du Nord ni celle du Midi ; on aura beau supprimer ces deux citadelles, vous pourrez encore être bombardés attendu que les progrès de l'artillerie sont tels, que l'ennemi pourra se placer en rase campagne.
Cet argument était très bon contée les Anversois qui demandent la démolition des deux citadelles ; l'argument était très victorieux, je l'avoue.
Mais voici la conclusion ; c'est que les Anversois savent aujourd'hui qu'ils peuvent être bombardés même avec leurs citadelles et leurs forts, tandis que, en 1859, ils croyaient qu'ils ne le seraient plus jamais.
Cela me paraît évident. D'où je conclus que la situation des choses a changé ; d'où je conclus encore qu'il n'est pas juste de dire aux Anversois, sur tous les tons, qu'ils sont des inconséquents, qu'ils demandent aujourd'hui le contraire de ce qu'ils ont accepté naguère ; car les Anversois vous répondent avec raison :
En 1859, nous vivions dans l'agréable conviction de ne pouvoir plus être bombardés ; tandis que, en 1862, on nous apprend, à notre grand regret, que nous pouvons l'être, en tout état de cause, avec ou sans citadelle.
M. Orts. - Sans citadelle.
M. Coomans. - Avec ou sans citadelle.
(page 1257) M. Orts. - Pas avec citadelle, mais sans citadelle.
M. Coomans. - Avec ou sans la citadelle du Nord.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Mais non !
M. Coomans. - Mais, messieurs, ce n'est pas la citadelle du Nord qui empêchera l'ennemi de s'établir en rase campagne du côté de Berchem !
Il y a donc de grands changements qui se sont introduits dans les faits, et les raisons d'agir de 1859 n'existent plus en 1862. C'est là tout ce que je tiens à démontrer ; et cela est si vrai qu'en 1859, M. le ministre, qui croit avoir prévu tout, déclarait qu'il suffisait d'une dépense de 5 francs par pièce d'artillerie pour rayer les canons, et que l'année suivante il nous demandait 15 millions pour la transformation de notre artillerie.
Je sais bien que M. le ministre vous a expliqué cela, comme beaucoup d'autres choses, à son avantage ; c'est-à-dire qu'il y avait eu, selon lui, des changements dans l'artillerie. J'admets cela. En dix mois l'opinion de l'honorable général a pu se modifier complètement. Il nous annonçait, en 1858, que nous n'aurions pas à ajouter un centime au budget pour notre artillerie, tandis qu'en 1859, il nous demandait 15 millions.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Vous me faites dire des choses auxquelles je n'ai même jamais pensé.
M. Coomans. - Mais enfin, est-il vrai, oui ou non, que vous nous avez dit, en 1858, que la transformation de notre artillerie ne nous coûterait que cinq francs par pièce ?
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Voulez-vous me permettre de répondre immédiatement ?... Ce sera une troisième, si pas une quatrième explication que je donnerai sur ce fait. Lorsqu'il a été question des modifications qu'on était à la veille d'opérer dans la plupart des artilleries de l'Europe et alors qu'on ne savait pas au juste en quoi consisteraient ces changements, on m'a demandé combien le rayage des canons pourrait coûter.
J'ai répondu que pour le rayage, proprement dit, la dépense serait insignifiante, et qu'elle ne s'élèverait pas à plus de 5 francs par pièce. Or, je déclare que le rayage ne coûte plus même aujourd'hui 5 francs.
Voilà ce que j'ai dit et répété ; mais j'ai dit aussi qu'il y aurait une dépense considérable à faire pour compléter notre matériel d'artillerie et que mes prédécesseurs bien longtemps avant qu'il fût question de modifications dans le système de l'artillerie, avaient évalué cette dépense à 10 ou 12 millions.
M. Coomans. - Il est vrai que M. le ministre de la guerre a dit ce qu'il vient de répéter ; mais il a ajouté qu'il ne résulterait pas des fortifications d'Anvers d'augmentation de dépenses pour l'artillerie.(Interruption.)
Mais oui, me dit-on de divers côtés ; en effet, la Chambre entière sait qu'il avait été déclaré en 1859 que les fortifications d'Anvers, qui coûtaient déjà très cher, ne nécessiteront pas de dépenses nouvelles pour l'artillerie.
M. Orts. - On a dit que la dépense à faire pour l'artillerie serait la même, qu'on adopte le nouveau système de fortifications ou qu'on conserve l'ancien.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - J'ai dit que la construction des fortifications d'Anvers n'entraînerait pas de dépense supplémentaire pour l’artillerie, parce qu'il aurait fallu également compléter le matériel de cette arme pour pouvoir défendre les anciennes forteresses, si on les eût conservées.
M. Coomans. - Si l'on prévoyait, quand il s'est agi des fortifications, les canons Wharendorf, il eût été convenable de l'annoncer. On ne l'a pas fait. J'aime à croire que ce perfectionnement de l'artillerie est venu surprendre l'honorable ministre ; c'est la portée de mon argument. Je constate que des faits nouveaux se sont produits depuis 1859, en matière d'artillerie.
On peut donc très bien expliquer le changement d'opinion des Anversois sur la question militaire. Ils croyaient en 1859 le bombardement désormais impossible
Je le croyais aussi. Aujourd'hui il devient possible, non par la faute du ministre, mais par la faute des inventeurs qui perfectionnent chaque année les engins militaires.
Eclairons-nous de bonne foi ; je tâche d'être aussi sérieux que possible ; cela n'est pas facile en présence de toutes les contradictions qu'on a à constater dans les débats de la Chambre à quelques années d'intervalle.
Messieurs, je vais finir, mais il faut bien qu'on ne se méprenne pas sur les sentiments des adversaires des grandes fortifications d'Anvers ; quant à moi, sans engager la responsabilité de personne, je serai toujours prêt à expliquer ma pensée nettement, franchement, sauf à vous à l'apprécier comme vous voudrez, sévèrement mais loyalement, telle que je la formule.
Or, la voici : selon moi, la Belgique, neutre, indépendante, libérale, avait devant elle les plus belles destinées à accomplir, elle pouvait à tout jamais assurer son indépendance, sa liberté, sa prospérité, mais en suivant d'autres voies que celles que vous suivez, voies où vous entrez loyalement, j'en suis convaincu, mais croyez-moi, les miennes sont aussi loyales que les vôtres.
La Belgique se serait puissamment (erratum, page 1273) garantie vis-à-vis de ceux qui peuvent désirer de se l'annexer si elle avait pu supprimer quelques impôts odieux, perçus encore chez nos voisins, par exemple l'impôt sur le sel ; diminuer quelques impôts vexatoires, presque odieux aussi, des impôts d'accises ; si elle avait supprimé le plus impopulaire des impôts, nous sommes tous d'accord là-dessus, la conscription, si elle avait accordé aux Belges toutes les libertés qu'ils aiment et qu'ils sont capables de supporter, Dieu merci, ils peuvent en supporter beaucoup ; en un mot si on avait fait de la Belgique un petit peuple modèle, dont le sort glorieux, quoique pacifique, aurait été envié par le monde entier ; si on avait fait d'elle un peuple riche, libre, heureux, une sorte de Salente, au milieu de l'Europe, si on avait bien armé les citoyens de bonne volonté et confié surtout la défense de la patrie à une centaine de mille volontaires exercés quelques jours par an, sous le commandement d'officiers du roi et qui à l'heure du danger auraient donné un concours précieux à une armée permanente de 25 mille hommes bien choisis, bien aguerris, bien disciplinés, bien traités ; dans ces conditions de bien-être général n'est-il pas vrai que la Belgique eût été plus forte qu'aujourd'hui ?
Est-ce que sa force morale n'eût pas été double, triple de celle qu'elle peut aujourd'hui opposer à l'étranger ?
Ne réfléchirait-on pas deux fois avant d'attaquer un peuple pareil (erratum, page 1273) qui aurait créé de si grandes difficultés à l’annexion ?
En d'autres termes, je ne crois pas que la Belgique puisse être sauvée par sa force militaire ; non seulement je ne crois pas que la Belgique puisse être sauvée par sa force militaire, mais je crois que l'exagération de nos forces militaires, de nos charges militaires, créera des dangers réels un jour pour notre indépendance et nos institutions.
Je crois cela, parce qu'on a beau dire, on ne vit pas seulement d'idées généreuses, il faut du positif aussi, et le jour où nos fortifications d'Anvers (ce jour n'est pas loin) vous auront obligés d'augmenter vos impôts et de déclarer à la nation que les lois de recrutement doivent être maintenues dans toute leur sévérité, vous aurez affaibli sensiblement la Belgique.
En d'autres termes encore, pour me résumer en un mot, moins la Belgique sera forte, militairement parlant, plus elle sera forte moralement parlant, et c'est cette force morale, intellectuelle, essentiellement patriotique que j'aurais voulu opposer à l'étranger. Tout ceci soit dit, sans suspecter en rien le courage, la science, le dévouement de notre armée, qualités, vertus auxquelles je suis le premier à rendre hommage. Le système suisse ou américain est préférable dans un pays étroit, et neutre comme le nôtre...
M. de Renesse. - Donnez-nous les montagnes de la Suisse.
M. Coomans. - ... est préférable, dis-je, à ces systèmes ultra militaires, qui ne conviennent qu'à des peuples conquérants et dont j'espère que l'Europe se fatiguera bientôt.
On a dénaturé les destinées de la Belgique ; on a fait d'elle, depuis dix ans, un Etat militaire, chose non seulement ruineuse, mais dangereuse ; on a créé chez nous un pouvoir militaire qui tendra à absorber les autres pouvoirs. Les vastes fortifications d'Anvers nous condamnent à des armements sans fin sur une grande échelle ; elles nous empêcheront de désarmer, de réformer sérieusement nos lois de milice, d'appliquer aux travaux de la paix les dépenses exagérées du budget de la guerre.
Telles sont les raisons de mes votes hostiles au budget de l'armée et aux fortifications d'Anvers.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, je ne croyais pas devoir prendre la parole dans cette discussion. Je le croyais d'autant moins, que j'ai déjà donné à la Chambre les explications les plus développées sur toutes les questions qui viennent encore d'être soulevées. En effet, il y a peu de temps, dans les séances des 12, 13 et 14 mars, j'ai traité tout ce qui a rapport aux servitudes militaires et aux citadelles.
J'ai démontré, en me basant sur l'opinion des autorités les plus compétentes, qu'il est impossible qu'une forteresse ait une valeur défensive, si elle est cernée par des constructions qui masquent ses feux et qui lui dérobent les approches de l'ennemi.
Je crois avoir dit tout ce qu'il y a à dire sur cette question. Je m'abstiendrai donc d'y revenir en ce moment.
On m'a reproché de ne pas avoir prévenu la ville d'Anvers que les abords des fortifications seraient grevés de servitudes. Mais ces servitudes sont imposées par la loi ; pouvais-je ne pas les maintenir ? Alors (page 1258) que les Chambres venaient de voter des fonds considérables pour la création du système d'Anvers, fallait-il, par une condescendance coupable, laisser annihiler les fortifications avant même qu'elles fussent achevées ?
Bien loin de laisser ignorer à la ville d'Anvers les dispositions de la loi, j'ai employé tous les moyens en mon pouvoir pour qu'elles fussent portées de nouveau à la connaissance du public.
Dès que la loi du 8 septembre 1859 a été promulguée, j'ai fait afficher les dispositions légales sur les servitudes à toutes les portes d'Anvers et dans les communes environnantes.
On ne peut donc prétexter ignorance de la loi et on le peut d'autant moins à Anvers, que cette ville est fortifiée depuis un temps immémorial et que les servitudes militaires y ont pour ainsi dire pris naissance et n'ont pas cessé d'y être appliquées.
Et quant aux servitudes de la citadelle du Nord, contre lesquelles on s'élève particulièrement, elles ont toujours existé. Je vous ai remis un croquis où les terrains grevés de la citadelle du Nord sont indiqués ; ce sont les mêmes que ceux qui étaient assujettis à l'ancien fort du Nord. Mais, dira-t-on, Anvers n'a donc rien gagné à l'agrandissement général ! Je répondrai, Anvers a gagné toute l'étendue des fortifications de l'ancienne enceinte et le dégrèvement des terrains avoisinants des anciennes fortifications, ce qui est une étendue très considérable.
Si vous aviez acheté, nous dit-on, une esplanade de 250 mètres, tout était fini, il n'y aurait pas eu d'agitation à Anvers. Mais je dois faire observer que la loi étant votée, je n'avais pas le droit de venir dire à la ville d'Anvers : Je vous prendrai une esplanade de 250 mètres, que j'achèterai à mes frais. Je ne pouvais faire qu'une chose : donner à la loi l'interprétation la plus favorable pour Anvers. Eh bien, j'en ai pris l'initiative ; j'ai donné ordre au commandant du génie d'écrire à l'autorité communal d'Anvers que nous n'étendrions la ligne des servitudes absolues qu'à 250 mètres, c'est-à-dire jusqu'au Vosseschyn, ce qui équivaut à l'abandon de la moitié de la servitude qui avait existé jusqu'alors ; mais que, pour la partie maintenue, je ne pourrais consentir à y laisser bâtir que sous l'engagement de ne pas réclamer, en cas de guerre, d'indemnité pour démolition.
C'étaient les termes de la loi ; je ne pouvais aller au-delà sans poser un acte arbitraire.
Dois-je, messieurs, répondre à ce reproche qu'ont renouvelé l'honorable M. de Gottal et d'autres membres, que la citadelle du Nord n'était pas indiquée sur les plans primitifs.
M. de Gottal. - Je n'ai pas dit cela.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Pardon, vous avez dit qu'elle avait été introduite en quelque sorte subrepticement, frauduleusement dans le projet de fortification de la place.
Messieurs, de tous temps, la citadelle du Nord a existé. Quand la discussion sur les fortifications générales a eu lieu, on m'a demandé un plan général. Je vous ai remis ce plan, la citadelle du Nord y tenait sa place. On m'a demandé le devis. Je tiens en main l'original qui a été soumis à la Chambre ; il s'y trouve tout un chapitre consacré à la citadelle du Nord.
Bien mieux, dès les années 1859 et 1860, le conseil communal d'Anvers en rendant compte de sa gestion félicitait le gouvernement de l'impulsion donnée aux travaux de la citadelle du Nord et de tout ce qu'il avait fait depuis un an. Ce qu'on approuvait alors est devenu digne de blâme et de récriminations.
Messieurs, l'honorable M. Loos, avec une loyauté et un courage dont je le remercie, a fait justice de ces exagérations, dans une des dernières séances du conseil communal d'Anvers.
Voici un extrait du compte rendu de cette séance :
« M. le bourgmestre attribue les préventions des provinces contre la ville d'Anvers à l'exagération de ses réclamations. Ce n'est certainement pas par des insultes et des clameurs que l'on se conciliera l'opinion. D'un autre côté, c'est une allégation fausse que de prétendre qu'on n'a pas su qu'il y aurait une citadelle au nord de la ville.
« M. Devos-Verbrugghe. - Je demande la parole.
« M. le bourgmestre. - J'en suis bien aise, M. Devos. Le collège n'a jamais laissé rien ignorer de ce qu'il savait concernant les plans, Le seul qu'il ait connu a été soumis à tous les conseillers. En outre, ceux-ci ne peuvent pas avoir ignoré plus que le collège, l'existence d'une citadelle, puisqu'ils ont approuvé le rapport de la ville qui mentionne l'état d'avancement des travaux à cette même citadelle. De plus, toutes les quinzaines les journaux publiaient des bulletins sur cet état d'avancement. Il pourrait citer beaucoup d'autres circonstances qui prouvent à l'évidence que l'existence de la citadelle au Nord était parfaitement connue.
« Malgré le profond soupir que j'entends pousser par M. Gheysens, je dirai que c'est le gouvernement qui a accédé aux vœux de la population d'Anvers qui réclamait contre la petite enceinte, en lui accordant la grande et que dans le premier plan comme dans tous les autres projets qui ont suivi il existait une citadelle au Nord.
« Eh bien, on a méconnu tous ces précédents qui sont de puissants arguments que l'on peut produire contre nous et qui nous ont aliéné les sympathies des autres provinces.
« Je le répète, ce n'est pas par des exagérations qu'on plaide sa cause et qu'on gagne l'appui des autres. Que n'a-t-on pas dit et fait contre le ministre Chazal qui ne fait après tout qu'exécuter une loi ?
« Mais si vous avez des griefs contre cette loi, demandez-en la révision, vous en avez parfaitement le droit. »
Voilà ce que je voulais établir, messieurs, c'est que je ne fais qu'exécuter une loi dont on pouvait demander la révision si on la trouvait mauvaise.
Je trouve encore dans le compte rendu de la même séance du conseil communal le passage suivant :
« M. le bourgmestre n'a pas voulu confondre les insultes et les clameurs avec les faits erronés. Il a voulu démontrer qu'on a pu ne pas savoir qu'il y avait une citadelle au Nord. Il soutient que cette prétention d'ignorance nuit aux intérêts d'Anvers. M. Devos peut l'avoir ignoré, avant son entrée au conseil, c'est possible. Mais le collège l'a su comme tout le monde, ni plus ni moins. Je crois, dit M. le bourgmestre, avoir dit précédemment, au sein du conseil - à huis clos, je pense - que c'est précisément l'établissement d'une citadelle au Nord qui a fait décider l'agrandissement de la ville. »
Eh bien, messieurs...
M. Loos. - Puisque M. le ministre cite ce que j'ai dit au conseil, je voudrais bien qu'il ajoutât ce que j'ai ajouté moi-même, c'est que nous avons complètement ignoré que cette citadelle dût projeter des servitudes jusqu'à nos établissements maritimes.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - L'honorable M. Loos a donc reconnu ce point : qu'on savait parfaitement à Anvers que la citadelle du Nord dût exister.
M. Loos. - Personne de nous n'a jamais nié que la citadelle du Nord dût exister.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La pétition le nie formellement.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, vous connaissez tous les accusations, je dirai même les calomnies odieuses dirigées contre moi à propos de ce fait ; je ne puis pas laisser propager cette idée que j'ai trompé la Chambre, trompé la ville d'Anvers et le pays.
Rappelons-nous, messieurs, que lorsque la loi sur l'agrandissement d'Anvers a été présentée, j'ai pris l'initiative d'une démarche sans antécédent, j'ai demandé que chaque section de la Chambre voulût bien m'appeler dans son sein pour je pusse lui donner toutes les explications qu'elle désirerait sur le projet de loi. Jamais cela ne s'était fait ; les ministres ne se mettant en rapport qu'avec la section centrale. Je me suis rendu dans les sections et j'ai répondu à toutes les questions qui m'y ont été posées. Comment peut-on dire, après cela, que je n'ai pas donné d'explications suffisantes, que j'ai caché la vérité ?
Messieurs, après les explications que j'ai déjà données sur le rôle des citadelles, après celles qui vous ont été données par plusieurs orateurs, entre autres par l'honorable M. Royer de Behr, j'aurais bien peu de chose à ajouter.
Mais puisqu'on fait jouer aux citadelles un rôle impossible, puisque l'honorable M. de Gottal a été jusqu'à prétendre que la citadelle du Nord n'a pas de feux directs sur le fleuve, et qu'elle n'a que des feux obliques, je suis bien obligé de répondre.
(page 1259) J’ai dit que les citadelles ont un double but, qu’elles servent de réduit à la position de batteries pour la défense de la rade.
En fortification, messieurs, les réduits sont à peu près ce qu'est la réserve pour une armée ; plus une ligne de bataille est étendue, plus il est nécessaire qu'elle soit appuyée par une bonne réserve ; de même, plus une enceinte est grande, plus il importe de la renforcer par un réduit.
Quand on a proposé l'agrandissement général d'Anvers, il s'est produit, comme l'a dit M. Loos, une certaine opposition de la part du gouvernement et si l'on n'avait proposé depuis une citadelle au Nord pour flanquer la gorge de la place, nous n'aurions jamais consenti à l'agrandissement général ou tout au moins nous aurions exigé le maintien de l'enceinte actuelle comme réduit de la position, vous le comprendrez sans peine ; il ne faut pas être militaire pour cela.
Je suppose un instant que nous soyons abandonnés à nos propres forces et attaqués par une armée beaucoup plus considérable que la nôtre, que nous n'ayons pas pu défendre tous les points du pays, et que nos troupes aient été forcées de se replier sur Anvers pour y attendre des circonstances plus favorables ou soutenir une dernière lutte.
Je suppose encore que nous soyons forcés dans le camp retranché et réduits à nous retirer dans l'enceinte, croyez-vous que l'armée chargée de défendre cette longue ligne d'ouvrages aurait les mêmes garanties et la même énergie si elle savait qu'elle n'a pas d'appui, qu'elle peut être prise en flanc, que dans le cas où elle serait forcée sur un point elle n'aurait pas un refuge où elle pourrait se retirer pas à pas, contenir l'armée ennemie, lui dicter des conditions honorables ou attendre des secours pour reprendre l'offensive ?
Tel est le rôle des citadelles en général.
Les citadelles d'Anvers ont des poternes par où la garnison peut au besoin se retirer pour prendre position ailleurs si l'intérêt du pays l'exige, ou pour se réunir à une armée de secours.
Mais, messieurs, les citadelles d'Anvers ont encore un autre rôle à jouer. Elles doivent assurer la défense du fleuve et flanquer la gorge de la place.
Anvers n'est pas une ville entourée d'une enceinte continue ; c'est une ville ouverte du côté du fleuve, et dépourvue de fortifications sur la rive opposée.
Jadis Anvers était fortifié de tous côtés ; mais dans l'intérêt du commerce on a voulu laisser le fleuve libre ; c'est ainsi que les fortifications qui longeaient la rive droite ont disparu, et ont été remplacées par une citadelle pouvant battre la partie des quais dépourvue de fortifications. Cette citadelle, qui porte aujourd'hui le nom de citadelle du Nord, suffisait pour la défense de la gorge lorsque la ville ne s'étendait que jusqu'au coude du fleuve ; mais lorsque, par suite de l'agrandissement général, on dut étendre cette gorge au-delà du coude, jusqu'au village d'Austruweel, on reconnut que l'ancienne citadelle n'était plus suffisante pour la défense de la rade, et il fallut dès lors établir une seconde citadelle au Nord sous peine de compromettre la sûreté de la place. Aucun militaire n'aurait accepté la responsabilité de la défense sans cette garantie indispensable.
Si l'on n'avait pas établi cette citadelle au Nord de la place, il aurait fallu construire, au coude de l'Escaut, une vaste batterie casematée qui aurait été d'une gêne immense pour le commerce ; car cette batterie aurait occupé une grande partie des quais, et surtout ceux qui avoisinent les nouveaux bassins.
Vous voyez donc qu'à ce point de vue la grande citadelle du Nord était encore un avantage pour la ville d'Anvers.
Si les citadelles étaient ouvertes du côté de la ville, elles perdraient une grande partie de leur force et de leur valeur. L'honorable M. de Gottal a fait à ce sujet plusieurs observations critiques ; il vous a dit : Si le fleuve est si bien défendu en aval d'Anvers, quel besoin aviez-vous de le défendre sous les murs de la ville !
Messieurs, quand l'ennemi sait qu'il n'y a qu'un obstacle sérieux à vaincre, il n'hésite pas à l'aborder, convaincu que rien ne l'arrêtera dès qu'il l'aura franchi. Mais quand il sait qu'il doit affronter plusieurs obstacles successifs et que les premiers ne sont pas les plus redoutables, il craint de s’aventurer et renonce à son entreprise.
Messieurs, on a voulu aussi comparer les fortifications de Paris à celles d'Anvers.
On vous a dit : « A Paris la zone de servitude n'est pas aussi grande qu'à Anvers ; de plus on n'y a pas construit de citadelle. »
D'abord, il est à remarquer, messieurs, que quand on a construit les fortifications; de Paris, on ne connaissait pas encore la nouvelle artillerie ; ensuite, Paris ne peut être comparé à Anvers sous aucun rapport ; il n'y a aucune analogie, au point de vue stratégique ni au point de vue topographique, entre ces deux positions.
Paris n'est pas une ville qu'on puisse attaquer à la fois avec une flotte et avec une armée. Il n'est pas ouvert à la gorge ; il est environnée d'un terrain accidenté ; il n'est pas à deux ou trois étapes de la frontière comme Anvers ; Paris est le cœur d'une grande puissance militaire, et il n'a de chances d'être attaqué qu'après des guerres longues et malheureuses. On aura donc le temps de compléter ses moyens de défense ; c'est ce qui a été parfaitement expliqué dans les discussions de 1840 relatives aux fortifications.
Les environs de Paris sont couverts d'habitations et il aurait fallu dépenser des sommes considérables pour déblayer le terrain dans toute l'étendue de la zone légale.
On s'est donc contenté d'une zone unique de 250 mètres, sachant bien qu'en temps de guerre, on aurait le loisir nécessaire pour raser toutes les constructions nuisibles.
Cette tolérance a néanmoins soulevé, de la part des militaires compétents, les protestations les plus formelles ; je vous ai même fait connaître, lors de la discussion du mois de mars dernier, l'opinion d'un des généraux du génie français, m. Prevost-Duvernois. On était tellement certain de ne pas être attaqué à l'improviste, que pour assurer la facilité des communications en temps de paix, on a ménagé 35 larges ouvertures dans l'enceinte continue de Paris, en se réservant de faire les ouvrages de fermeture en temps de guerre.
Voilà toutes circonstances qui établissent la grande différence qui existe entre Paris et Anvers.
Messieurs, on vient de vous proposer de nommer une commission d'enquête pour examiner la question d'Anvers ; mais je ne puis croire que la proposition soit faite sérieusement.
A quoi conduirait une enquête ?
On remettrait en question une loi votée par vous après une longue et solennelle discussion, conformément aux avis motivés de plusieurs commissions spéciales, on suspendrait d'immenses travaux en voie d'exécution, au moment où ils sont arrivés à un notable degré d'avancement.
Que feriez-vous, messieurs, si vous nommiez une commission ? Dans le cas où vous ne voudriez pas faire suspendre les travaux, ils seraient probablement achevés avant que la commission eût terminé le long examen auquel elle devrait se livrer, car elle serait composée d'éléments nouveaux, attendu que l'on ne nommerait probablement pas les mêmes hommes qui ont décidé la question dans d'autres commissions.
Si, au contraire, vous vouliez suspendre les travaux, vous perdriez non seulement du temps, mais encore des sommes considérables. Car ce temps d'arrêt équivaudrait à la destruction d'une partie des travaux achevés, par suite de l'envahissement des eaux.
En outre, vous auriez de fortes indemnités à payer aux entrepreneurs.
Du reste, un fait de ce genre vient de se passer dans un pays voisin.
Vous vous rappelez le retentissement qu'eut en Angleterre, le combat du Merrimac et du Monitor ; l'Angleterre, puissance maritime de premier ordre, venait d'apprendre que de médiocres navires cuirassés avaient coulé tous les vaisseaux de ligne en bois qui s'étaient offerts à leurs coups ; on comprend l'émotion que ce fait produisit.
Elle gagna le parlement qui demanda au gouvernement de suspendre l'exécution des fortifications de Spithead, non pas les fortifications de terre mais les fortifications de la rade.
Je pense bien que dans le parlement, tout le monde ne savait pas que ces fortifications de la rade sont, en définitive, des constructions en fer.
Ce sont, si je puis m'exprimer ainsi, des navires cuirassés fixes, car elles consistent en des tours en fer établies sur des enrochements artificiels construits au milieu de la mer.
Le gouvernement a cru pouvoir suspendre provisoirement les travaux de ces tours, se basant sur ce que les fondations seules étaient exécutées et sur ce qu'il n'y avait encore rien d'arrêté quant à la forme et au mode de construction de ces tours.
Il y a trois ou quatre jours, on a demandé au parlement à lord Palmerston où en était cette question ? II a répondu : « Sans manquer au respect que je dois à cette Chambre, elle me permettra de lui dire que quand le pouvoir législatif veut se mettre en lieu et place du pouvoir exécutif dans des questions de cette nature, il en résulte deux inconvénients. Une perte d'argent et une perte de temps ; c'est-à-dire : que le temps qu'on a perdu par cette suspension ne se retrouvera plus et qu'il en coûte de l'argent à donner aux entrepreneurs. »
(page 1260) Le même fait, soyez-en certains, se produirait chez nous si nous suspendions les travaux d'Anvers.
Il en résulterait uniquement une perte de temps et une perte d'argent ; or je laisse à la Chambre à apprécier si nous avons du temps et de l'argent à perdre.
Quant à moi je crois que le temps est ce que nous avons de plus précieux et que nous serions coupables si nous ne mettions pas à profit celui que la Providence nous accorde.
M. le président. - Il n'y a plus d'inscrits.
- Plusieurs membres. - A demain.
- D'autres membres. - Il n'est que 4 heures et demie.
M. le président. - Si personne ne demande plus la parole, je vais clore la discussion.
M. Devaux. - Je la demande, M. le président. Il me serait impossible de dire aujourd'hui tout ce que j'ai à dire. Je pourrais tout au plus commencer. Je préférerais donc que la suite de la discussion fût renvoyée à demain.
- Plusieurs voix. - Oui, à demain !
- La séance est levée à 4 heures et demie.