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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 10 mai 1862

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page 1235) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Boe procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Montpellier lit le procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

Il présente ensuite l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Lichen, ancien employé des douanes, prie la Chambre de statuer sur sa demande ayant pour objet la révision de sa pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres des administrations communales d'Erneuville et d'Ortho demandent que le chemin de fer projeté pour la vallée de l'Ourthe passe par Laroche ou près de cette ville, ou du moins qu'on établisse un embranchement de Hotton jusqu'à Laroche. »

- Même renvoi.

« Les membres de l'administration communale, de Berlaer prient la Chambre d'accorder au sieur Missalle-Vifquin, la concession d'un chemin de fer de Lierre à Aerschot, par Berlaer. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal, des propriétaires et cultivateurs de Heron demandent la suppression des barrières sur toutes les routes. »

- Même renvoi.


« La dame Loust demande qu'il soit pris une mesure pour conserver leurs pensions aux veuves qui se remarient. »

- Même renvoi.

Rapports sur des pétitions

Discussion du rapport sur les pétitions d’Anvers

M. de Gottal. - Messieurs, je ne saurais assez appeler votre attention spéciale sur les pétitions qui ont été adressées à la Chambre, et qui ont fait l'objet du rapport lu dans la séance d'hier par l'honorable M. de Boe.

Nous avons déjà examiné antérieurement les réclamations concernant les demandes d'indemnités pour l'établissement de servitudes militaires ; nous avons également discuté la question des servitudes intérieures, réclamations qui se trouvent de nouveau comprises dans les pétitions qui nous sont soumises ; et la Chambre ayant sur ces objets pris une décision, en renvoyant ces pétitions, avec demande d'explications, à MM. les ministres de la guerre, de la justice et des finances, je crois pouvoir me borner à l'examen d'une nouvelle réclamation adressée à la Chambre, de celle ayant pour objet la demande de démolition des citadelles au Nord et au Sud de la ville d'Anvers.

Cette demande, messieurs, tant dans cette enceinte qu'au dehors, a été l'objet de vives critiques, d'amères récriminations ; les reproches de contradiction, de versatilité n'ont pas manqué d'être adressés aux pétitionnaires ; permettez-moi un mot h ce sujet.

Comme, en 1859, j'ai voté le projet de loi en vertu duquel s'exécutent aujourd'hui les fortifications d'Anvers, je pourrais prendre ma part de ces reproches, en venant soutenir les réclamations qui se présentent devant vous.

Sur ce terrain cependant je me sens parfaitement à l'aise. Lorsque en 1859 j'ai voté la grande enceinte, je me suis complètement et nettement expliqué à ce sujet, je vous ai dit alors que si je ne repoussais pas pour Anvers le périlleux honneur qu'on voulait lui faire, j'étais loin de le revendiquer, et même de l'accepter, que je ne faisais que le subir ; je vous ai dit alors que si j'entrevoyais la possibilité de voir tomber les fortifications d'Anvers, ce démantèlement complet serait mon Delenda Carthago.

Tels sont encore mes sentiments aujourd'hui. Dès lors y a-t-il contradiction de ma part à demander aujourd'hui la démolition des citadelles du Nord et du Sud à Anvers ?

Anvers, à cette époque, emprisonnée dans des murs où elle étouffait, Anvers eût désiré la liberté et l'espace ; le gouvernement lui offrait le choix entre la petite et la grande enceinte. C'est la grande enceinte qu'Anvers a préférée. Y aurait-il même contradiction si aujourd'hui elle venait réclamer sa liberté, la démolition complète et entière de toutes ses fortifications ?

Est-ce même là ce qu'on vient demander ?

Je ne m'explique donc pas toutes ces récriminations que nous avons entendues contre les réclamations de ceux que j'ai l’honneur de représenter plus spécialement dans cette enceinte,

S'il fallait rechercher où se rencontrent la contradiction, une versatilité incessante dans cette question d'Anvers, il me serait très facile de prouver que c'est du côté du gouvernement.

Mais, a-t-on dit, vous avez connu, en 1859, l'établissement de la citadelle du Nord, et vous n'avez pas protesté. Anvers ne pouvait pas ne plus ignorer l'existence séculaire de la citadelle du Sud, et en 1859 et antérieurement on n'en a pas demandé la démolition.

On vous a déjà expliqué comment les yeux d'Anvers se sont ouverts sur les dangers, sur les malheurs inévitables qui devaient fondre sur elle par suite de l'existence de ces deux forts.

Les prétentions qui ont été élevées par M. le ministre de la guerre, prétentions d'autant plus incroyables qu'il a dû reconnaître depuis qu'elles étaient parfaitement inutiles, n'ont plus laissé aucun doute aux habitants d'Anvers sur le sort qui les attendait.

C'est alors que les réclamations se sont produites, que les craintes se sont exprimées ; ces craintes, ces réclamations, M. le ministre des finances les a qualifiées dans une discussion antérieure comme indiquant la perte de tout sentiment viril, l'absence de toute idée généreuse et patriotique. Une seule préoccupation, disait-il, une seule préoccupation domine tout à Anvers : on va endommager nos magasins, nos propriétés ; nos vies sont en danger.

Je n'ai pu m'empêcher, en entendant ces paroles, de me demander pourquoi la demande de la démolition de la citadelle du Sud était moins fondée aujourd'hui qu'en 1830.

Je n'ai pu m'empêcher de me demander pourquoi l'on devait accuser de moins de patriotisme ceux qui la demandent aujourd'hui que ceux qui l'ont demandée et accordée à cette époque.

M. le ministre des finances, il est vrai, a ajouté que le gouvernement n'avait pas oublié que c'était également d'Anvers qu'était parti le signal de ces imposantes manifestations qui ont eu lieu en 1860, pour affirmer de nouveau le sentiment national, le dévouement à la dynastie et aux institutions que le pays s'est données.

Je remercie M. le ministre de s'en être souvenu, et je le rappelle également avec plaisir ; mais j'aurais voulu que M. le ministre se souvînt aussi que c'est de ce conseil provincial qu'est émanée, en 1860, la pétition demandant la révision des lois qui régissent les servitudes militaires, pétition à laquelle le gouvernement a fait si peu d'accueil. Que le ministre se rappelle aussi que c'est ce même conseiller provincial qui, à cette époque, proposait d'envoyer au Roi une adresse afin d'exprimer, au nom de la province, les sentiments du plus pur patriotisme, que c'est ce même conseiller qui dans une réunion de l'association libérale à Anvers, après avoir donné lecture de la pétition qui est produite, l'appuie de la manière la plus énergique.

Je sais, messieurs, que je m'écarte ici de mon sujet, mais je devais bien quelques mots de réponse à un passage du discours du ministre afin de faire disparaître les préventions qu'il aurait pu faire naître contre les pétitions d'Anvers.

Je reviens à l'objection qui nous est faite, d'avoir connu en 1859 qu'une vaste citadelle s'établirait au nord de la ville d'Anvers.

Tous ceux qui, à cette époque, faisaient partie de la Chambre, se rappelleront les plans qui nous ont été soumis, et tous reconnaîtront que ces plans ne pouvaient indiquer, d'aucune manière, l'importance ni la destination de cette citadelle.

Quant à moi, messieurs, je n'hésite pas à faire publiquement mon mea culpa à cet égard, car je faisais partie de la section centrale qui a examiné le projet de loi en 1859.

J'aurais pu, j'aurais peut-être dû demander plus d'éclaircissements à ce sujet, mais je venais d'entrer dans cette enceinte et j'acceptais alors de confiance toutes les explications qu'on voulait bien nous donner. Et ne répétait-on pas, à cette époque sur tous les bancs, que les nouvelles fortifications d'Anvers devaient éloigner le danger de la ville ? Aujourd'hui par ce qui s'est passé en cette circonstance comme en bien d'autres depuis, je suis devenu beaucoup moins crédule, et je n'accepte plus rien, et surtout du département de la guerre, je n'accepte que sous bénéfice d'inventaire le plus complet.

A cette époque, messieurs, la citadelle du Nord était présentée à la Chambre d'une manière fort peu redoutable ; et cependant d'après les explications qui nous ont été fournies depuis, elle doit jouer un grand rôle dans la défense d'Anvers et dans la défense de notre nationalité.

Dans toutes les discussions qui ont eu lieu à cette époque, il n'a guère été fait allusion à l'établissement de cette citadelle.

Tout au plus, ai-je pu retrouver dans la discussion un seul passage qui en fasse mention. C'est dans un discours de l'honorable M. Orts.

(page 1236) M. Orts. - Et le rapport de la section centrale ?

M. de Gottal. - Je parlerai du rapport à l'instant.

L'honorable M. Orts répondant à la question posée dans cette Chambre si l'adoption du nouveau système de défense ne devait pas entraîner également la création d'une marine militaire, s'exprimait en ces termes :

« Si vous laissez Anvers sans citadelle, sans canons, sans remparts, il faudra bien défendre les abords du fleuve par une marine ; d'où la conséquence que plus Anvers sera faible comme place de guerre, plus vous aurez besoin de navires de guerre. »

Vous le voyez donc encore, messieurs, ici la citadelle nous est présentée simplement, uniquement comme devant servir à la défense du fleuve.

Le rapport, messieurs, ne fait nullement mention de la citadelle du Nord.

Dans la réponse du ministre de la guerre deux mots en sont dits.

C'est également en répondant à une question identique, à une question où il était demandé, s'il faudrait créer une marine militaire qu'il a dit : « Il est certain que si l'on ne construit pas de batteries le long du fleuve et que si l'on n'avait pas le front de la citadelle du Nord, la création d'une marine militaire serait beaucoup plus nécessaire encore. »

Voilà, messieurs, la seule allusion qui ait été faite à la citadelle du Nord et j'en appelle ici à la Chambre de cette époque ; on ne songeait nullement alors à faire jouer à cette position le rôle redoutable qu'on lui assigne aujourd'hui. Je demande aux honorables collègues de cette époque s'il en est un seul qui se soit rendu compte de ce qu'on fait aujourd'hui.

Du reste, peu importe qu'on ait su ou ignoré qu'une citadelle devait être élevée à cet endroit ; peu importe qu'on ait connu ou non l'importance qu'elle devait avoir, il n'est pas moins évident que si aujourd'hui il pouvait être démontré qu'il y a seulement possibilité de mieux concilier les intérêts de la défense d'Anvers avec les intérêts particuliers de cette métropole, nous commettrions une grande faute en ne soumettant pas la question à un nouvel examen. Quant à moi, je croirais manquer gravement à mon devoir en n'appelant pas votre attention toute spéciale sur ce sujet.

Je passe, messieurs, directement à l'examen de la question.

M. le ministre des finances, dans une séance antérieure, et M. le ministre de la guerre dans une séance d'il y a quelques jours au Sénat, ont affirmé que la citadelle du Nord était le complément indispensable des fortifications d'Anvers ; le gouvernement est même allé jusqu'à dire que c'était la condition sine qua non, sans laquelle il n'eût jamais présenté en 1859 le projet de grande enceinte qu'il combattait l'année précédente. Je crois, messieurs, que c'est là une erreur complète.

En 1858, le gouvernement présentait à la législature un projet de loi comportant uniquement l'agrandissement de la ville d'Anvers au Nord. Ce projet fut combattu vivement par les députés d'Anvers, comme ne sauvegardant pas assez les intérêts de la métropole commerciale.

Les députés d'Anvers réclamaient et appelaient à cette époque l'attention toute spéciale du gouvernement sur un projet de grande enceinte, projet qui se trouvait indiqué dans une brochure publiée sous le nom de Keller et Cie. Ce projet ne faisait nullement mention de la construction d'une citadelle au Nord.

A ce projet de grande enceinte, le gouvernement fit une foule d'objections devant la Chambre ; il le combattit très vivement, en critiquant surtout le tracé, qui lui paraissait défectueux, principalement du côté de Berchem ; il le combattit encore par des considérations financières et autres, mais nulle part il ne laissa entrevoir que cette enceinte devait contenir une grande citadelle, un réduit considérable au Nord de la ville d'Anvers.

Le gouvernement, à cette époque, affirmait que le projet de loi qu'il présentait, le projet de petite enceinte, n'était qu'un acheminement vers l'agrandissement général que réclamaient les députés d'Anvers.

C'était là, disait-il, une pure question de temps, et l'adoption du projet présenté en 1858 devait être d'autant moins, disait le gouvernement, un obstacle à la création d'une grande enceinte, que le projet était conçu de telle manière que la grande enceinte s'y relierait parfaitement.

Or, messieurs, voici ce qui était nécessaire pour la défense d'Anvers dans le projet de 1858. Une commission avait été instituée afin d'examiner cette question ; elle avait jugé nécessaire, pour défendre Anvers, que la ville fût agrandie au nord, sur une superficie de plus de 200 hectares, limitée par une enceinte bastionnée en terrassements, s'étendant parallèlement au fleuve, depuis Austruweel jusqu'au bassin du Schyn.

Vous le voyez, il ne s'agit pas là de citadelle, mais d'un agrandissement partiel au nord sur une superficie d'environ 200 hectares.

S'il était vrai, si ce que le gouvernement disait à cette époque était exact, c'est-à-dire que le plan d'agrandissement partiel, présenté en 1858, devait se relier avec un agrandissement plus vaste, je me demande si alors on avait seulement soupçonné l'utilité et encore moins la nécessité d'une citadelle de 134 heetares ; car enfin comment aurait-on pu postérieurement placer dans cet espace de 200 hectares une citadelle de 134 hectares, l'agrandissement ayant surtout pour objet de permettre à Anvers de développer ses établissements maritimes de ce côté ?

Le projet qu'on présentait n'aurait donc répondu que d'une manière dérisoire à cette nécessité.

Ce qui prouve encore que l'absence de cette citadelle ne peut pas constituer la condition sine qua non du projet de grande enceinte, c'est la réponse que le gouvernement fit, à cette époque, à la section centrale. Consulté en 1858 sur le projet Keller, qui ne comprenait pas la citadelle du Nord, le gouvernement répondit :

« Le projet présenté sous le nom de MM. Keller et Cie doit d'autant moins empêcher ou retarder l'adoption du projet du gouvernement (la petite enceinte), que les deux plans sont les mêmes quant aux nouveaux forts à construire et quant au tracé de la nouvelle enceinte. »

Ainsi le gouvernement à cette époque déclarait que, pour construire la grande enceinte postérieurement, il ne fallait pas d'autres forts que ceux qui étaient consignés dans le projet Keller qui ne comprenait nullement la citadelle dont on demande la démolition.

Le conseil de défense, la commission nommée pour examiner cette question exigeait aussi l'établissement d'une batterie casematée sur le fleuve au point de départ de la nouvelle enceinte.

Ainsi, à cette époque, aux yeux des hommes compétents, il ne fallait pas, pour défendre Anvers, une citadelle. Il suffisait d'une batterie casematée qui était loin d'avoir cette étendue.

Enfin cette pièce que je viens d'invoquer portait la date du 7 avril 1858 ; elle était signée De Liem, Delannoy, Renard et Chazal. Vous voyez donc qu'à cette époque M. le ministre de la guerre actuel ne croyait pas cette citadelle nécessaire. Aujourd'hui paraît-il, elle est devenue indispensable.

La question, messieurs, a-t-elle été décidée dans la commission qui a examiné le système de défense que nous avons adopté, en 1859, dans la commission des 27 ?

Je crois pouvoir affirmer qu'elle n'a pas du tout examiné ce point et qu'elle ne s'est nullement prononcée sur l'établissement de la citadelle. Si je m'en rapporte aux paroles mêmes que M. le ministre de la guerre a prononcées en 1859, la mission de cette commission s’est bornée à ce qui suit, et je cite textuellement les paroles de l'honorable ministre.

« La commission a examiné quel était le système de défense à adopter. S'étant prononcée à l'unanimité pour l'adoption du système défensif concentrique, il restait à décider quel point serait choisi comme base de la défense nationale.

La commission, après une longue discussion, s'est prononcée" pour Anvers.

Après, la commission s'est occupée de rechercher quelles étaient les places fortes qui devaient être conservées et celles qui devaient être démolies.

Enfin la commission a formulé des principes d'après lesquels le gouvernement a fait examiner le plan soumis à la législature en 1859. Ce plan, disait M le ministre, ne présente plus aucun des mouvements que le commissaire du Roi vous signalait l'an dernier, et parmi tous ces inconvénients, je vous l'ai déjà dit, nulle part on ne cite l'absence d'une citadelle du Nord.

« Il est donc tout naturel, ajoutait l'honorable ministre de la guerre, que la majorité de la commission se soit ralliée à un projet de grande enceinte qui ne laisse plus rien à désirer au point de vue des intérêts de la défense. »

Ainsi donc encore, nulle part nous ne trouvons trace de cette citadelle qui aujourd'hui, d'après les explications qu'on nous a données, constituerait la condition sine qua non en dehors de laquelle le gouvernement n'aurait pu présenter le projet de 1859. Il eût été intéressant de consulter ici les procès-verbaux. En 1859, il nous était permis de les voir ; en 1862, ils sont devenus un secret d Etat ; la Chambre, à mon grand regret, a partagé cette manière de voir.

Aujourd'hui donc, d'après le système du département de la guerre, la citadelle du Nord constitue la clef de voûte de nos fortifications. Vouloir l'enlever, dit M. le ministre, c'est faire crouler toute possibilité de défense.

Je vais, aussi brièvement que possible, rencontrer les arguments principaux, ou plutôt les seuls arguments qu'on a fait valoir pour soutenir que ces citadelles sont nécessaires, sont indispensables.

On nous a dit que ces citadelles avaient un double but ; d'abord (page 1237) d'assurer la défense du fleuve, ensuite de servir de réduit à la position après la prise du camp retranché et de la grande enceinte.

Ces arguments, messieurs, me semblent peu concluants pour faire écarter les réclamations qui nous sont soumises.

Quant à la défense de l'Escaut, j'ai déjà eu l'honneur de vous dire qu'en 1858, cette défense, aux yeux du département de la guerre, aux yeux de M. le ministre actuel, se trouvait parfaitement assurée par la création d'une batterie casematée.

En outre, et je ne crains pas d'être démenti par l'honorable ministre de la guerre, il n'est qu'une partie de la citadelle qui puisse répondre à ce but, c'est le front qui se trouve du côté du fleuve, et encore les canons que l’on pourra placer en cet endroit ne pourront jamais battre le fleuve que d'une manière oblique et nullement comme ils devraient le faire pour agir d'une manière efficace, prendre la passe dans sa longueur.

Dans une des dernières séances, l'honorable ministre a rencontré une première demande qui a été produite, où l'on réclamait uniquement la démolition des fronts de la citadelle du côté de la ville. L'honorable ministre, pour justifier que la citadelle devait être fermée de ce côté, est entré dans de longues suppositions, il nous a dit que si la citadelle n'était pas fermée de ce côté il était à craindre qu'elle ne se trouvât exposée à un coup de main, qu'on pouvait avoir à craindre un débarquement.

Dans les suppositions produites à cette époque l'honorable ministre a fait bon marché de cette artillerie que quelques jours auparavant il dépeignait comme la meilleure de l'Europe.

De nombreuses batteries, qui cependant ne se trouvent pas placées dans des ouvrages fermés, doivent défendre le fleuve.

Des forts mêmes sont élevés dans ce but.

L'honorable ministre a donc commencé par admettre que tous ces obstacles déjà créés le long du fleuve fussent franchis, que ni les batteries établies sur les rives, ni les batteries sous-marines qu'on ne manquerait pas de faire jouer, n'eussent pu arrêter une flotte ennemie qui viendrait enfin s'embosser devant la rade.

Là encore, disait le ministre, 800 bouches à feu viendraient la battre en tous sens. Ici je dois faire remarquer que si l'armement de la rade doit exiger un si grand nombre de bouches à feu, je ne comprends pas comment notre armée pourra y suffire, car l'armement des autres points devra être établi dans les mêmes proportions.

Mais si la flotte a franchi si heureusement tous ces obstacles, le bombardement de la ville ne souffre plus de difficultés et, continuant les suppositions de l'honorable ministre, il m'est permis aussi de croire que le débarquement ne sera pas impossible.

Quelle sera alors la position d'Anvers ? Le débarquement opéré, l'armée ennemie, ou bien, entreprendra le siège de la citadelle, ou bien se bornera à occuper la ville, à s'emparer de nos arsenaux et de nos établissements, et, dans les deux cas, l'armée qui occupe la citadelle devra chercher à déloger l'ennemi en lançant sur la ville des projectiles explosifs, des obus qui ne peuvent manquer de la réduire en cendres, car je ne considère pas comme sérieux cet argument que la citadelle ne devrait point résister à outrance, qu'elle se bornerait à un simple feu de mousqueterie. Quelle que soit la bonne foi de l’honorable ministre de la guerre, je persiste à croire que ce ne serait point par un simple feu de mousqueterie qu'elle répondrait au bombardement dont elle serait l'objet.

Cette assertion produite par l'honorable ministre ne me paraît pas plus sérieuse que celle qu'il produisit, il y a quelques jours, au Sénat, où il n'hésitait pas à dire qu'un bombardement n'était pas à craindre, les projectiles nécessaires à cet effet étant d'une trop grande cherté, et leur emploi devant amener la ruine de l'ennemi !

Ainsi donc, messieurs, je crois que les citadelles d'Anvers, au point de vue de la défense du fleuve, ne se justifient nullement comme citadelles et tout au plus comme batteries.

Je rencontre, messieurs, le deuxième argument. La citadelle, nous a-t-on dit, doit servir de réduit à la garnison, et ici, messieurs, je ne puis m'empêcher, après avoir entendu toutes les explications qui, à différentes reprises, ont été données sur ce point, d'exprimer un sentiment pénible.

C'est dans ces citadelles, a-t-on dit, que le camp retranché, puis l'enceinte emportée, la garnison se retirera pour obtenir une capitulation honorable.

Anvers, d'après ces explications, ne sera donc plus, comme on l'a toujours dit, le boulevard de notre nationalité ; elle est destinée à en être le tombeau. Est-ce là ce qu'on a voulu ? Je ne le pense pas, et cependant le rôle que l'on assigne à cette citadelle, les explications que l'on nous a données démontrent qu'il ne saurait en être autrement.

Ces explications M. le ministre de la guerre les a données peut-être pour calmer les appréhensions d'Anvers. Je les prends telles qu'elles ont été données, j'aime à croire qu'elles sont sincères, et je me demande si c’est là le rôle de l'armée, si c'est là un rôle digne d'elle et digne de sentiments patriotiques que l'on a si souvent exprimés dans cette enceinte.

Renfermée dans cette vaste citadelle, cernée par l'Escaut et l'inondation d'une part, par l'ennemi de l'autre, tout retour offensif est devenu impossible pour l'armée.

Aucun secours de nos alliés n'est plus guère à espérer, et vous le reconnaissez vous-mêmes, car vous l'avez dit, la citadelle ne doit servir qu'à obtenir une capitulation honorable.

Et cette capitulation faite, c'en est fait aussi de la patrie ; avec cette citadelle tout tombe, l'armée, la dynastie, et la nationalité belge.

Messieurs, je me demande si c'est là le rôle que l'armée doit remplir, je me demande si c'est là un rôle réellement patriotique ? Après avoir si souvent essuyé le reproche de manquer de patriotisme, je puis demander à mon tour si l'armée n'aurait pas à remplir un rôle bien plus noble, bien plus beau ?

Je puis me demander si l'armée n'aurait pas à chercher un réduit plus efficace sur l'autre rive de l'Escaut ? Elle pourrait y attendre des secours, se retremper dans le sein du pays, et reprendre la lutte pour conserver nos institutions, nos libertés.

Je sais bien que M. le ministre de la guerre ne manquera pas de faire à ces idées des objections très sérieuses ; la Chambre, comme elle n'en a que trop souvent l'habitude, se déclarera incompétente, et s'en rapportera aveuglément aux allégations de M. le ministre de la guerre.

Je ne veux donc pas établir le débat sur ce terrain ; je n'ai pas à ma disposition un conseil privé qui me fournisse des mémoires sur ces questions toutes spéciales.

Ce que je veux, ce que je désire, c'est parvenir uniquement à faire naître, sur ce point, le doute en vos esprits ; je ne demande pas, sur cette question, une solution immédiate, je demande qu'on l'examine, qu'on fasse étudier par une commission spéciale s'il ne faut pas modifier le système de défense de manière à le concilier mieux avec l'intérêt de la métropole du commerce ; et je crois même avec l'intérêt de la nation tout entière. Voilà le seul but que j'ai en vue ; et c'est pourquoi j'aurai l'honneur de proposer formellement à la Chambre de nommer une commission, qui sera chargée d'examiner cette question.

- M. Ernest Vandenpeereboom remplace M. Vervoort au fauteuil.

M. De Fré. - Messieurs, je tiens les signataires des pétitions que nous discutons pour des gens très honorables, très convaincus de la bonté de leur cause, mais égarés par une fausse théorie. La question qu'on demande à la Chambre de résoudre est d'une grande importance. Ce que les pétitionnaires demandent, c'est de subordonner l'intérêt général à l'intérêt privé, c'est de sacrifier la sûreté générale au profit d'une localité.

En 1859, le gouvernement, obéissant à un grand devoir, a demandé à la Chambre de lourds sacrifices ; le gouvernement a cru qu'il était nécessaire, dans la situation de l'Europe, de faire à Anvers une grande citadelle. A cette occasion, d'autres projets ont surgi. On a répondu que ce n'était pas Anvers qu'il fallait fortifier ; que c'était Bruxelles. D'autres membres ont soutenu qu'il fallait fortifier la ligne de la Meuse. Quoiqu'il en soit, après un long et solennel débat, la Chambre a voté le système proposé par le gouvernement. Ce système, qu'en vertu de nos institutions, le gouvernement exécute, ce système est en voie d'exécution ; l'année prochaine, l'exécution sera parfaite.

Et aujourd'hui on vient demander à la Chambre de revenir sur ce qu'elle a fait ! Anvers vient dire à la Chambre : « Nous ne voulons pas que le pays soit défendu de cette manière ; cela nous dérange, cela ne nous convient pas. »

Messieurs, on oublie que lorsqu'il s'agit d'une loi de sûreté générale, d'une loi de salut public, tous les intérêts privés doivent se soumettre à cette loi ; et s'il y avait un pays possible où elle ne fût pas, l'unité nationale manquant, ce pays devrait périr !

Messieurs, je suppose qu'un général se trouve à la tête d'une armée pour défendre le pays ; il a devant lui une armée ennemie ; il se trouve avec son armée aux environs d'une ville ; ce général a sa mission ; il a sa responsabilité, et on viendra lui dire :

« Nous savons que vous voulez vous défendre d'après tel plan conçu par vous notre indépendance nationale ; eh bien, nous ne le vouions pas ; nous ne voulons pas que vous nous défendiez de cette façon-là ; cela nous dérange, cela ne nous convient pas ; cela serait trop désagréable. »

Et on viendra parler de sacrifices, de sacrifices matériels, lorsqu'il s'agit du salut du pays ; et on arrêtera ce général dans sa mission, et le salut du pays sera compromis.

Admettrez-vous une pareille théorie ? C'est cependant ce que les pétitionnaires demandent ; et c’est ce que la Chambre ne peut pas leur accorder .

Messieurs, savez-vous pourquoi les pétitionnaires d'Anvers nous (page 1238) demandent ce sacrifice ? C'est parce qu'ils ont été gâtés par la Chambre. (Interruption.) Je ne parle qu'au point de vue des fortifications. En 1858, lorsque le gouvernement a présenté au parlement un projet de loi pour la petite enceinte qui devait coûter seulement 20 millions, vous avez vu toute la ville d'Anvers venir vous demander par des pétitions nombreuses, de rejeter ce projet.

« Au lieu de dépenser 20 millions, disait alors Anvers, je vous en prie, messieurs, dépensez 45 millions ; cela nous arrange mieux ; notre intérêt privé doit l'emporter sur l'intérêt du trésor. »

Voilà ce qui s'est passé. J'ai visité Anvers en 1858 ; on m'a montré avec attendrissement les 5,000 maisons bâties sur les terrains frappés de servitude et qui allait disparaître. On m'a dit qu'Anvers étouffait dans l'enceinte espagnole ; on m'a dit qu'Anvers devait avoir la grande enceinte, afin d'avoir plus d'air, plus d'espace.

Messieurs, j'ai été converti à ce système et, revenu à Bruxelles, j'ai voté contre la petite enceinte, et la majorité de la Chambre a voté contre le petite enceinte, pourquoi ? Pour être favorable à Anvers. Eh bien, c'est grâce à l'exigence d'Anvers en 1858 que l'Etat paye 30 millions de plus.

Je dis donc aux honorables signataires des pétitions : Vous avez été traités en enfants gâtés ; les traditions parlementaires suivies à votre égard, en matière de fortifications, vous ont autorisés à venir demander aujourd'hui la démolition des forts du Nord et du Sud.

On ne doit pas en vouloir à Anvers. Anvers s'est dit : Nous avons réussi en 1858, pourquoi ne réussirions-nous pas en 1862 ?

Messieurs, on vient toujours vous dire, pour vous apitoyer sur le sort d'Anvers : Mais voyez le danger que court Anvers et songez aux épouvantables calamités dont elle est menacée !

Mon Dieu, messieurs, lorsque les Anversois seront derrière leurs triples murailles, le peuple, le pauvre peuple, arrosera de son sang le sol de la patrie, il mourra aux frontières. Et les veuves de ce peuple ne viendront pas demander à l'Etat une indemnité du chef de servitude militaire.

Messieurs, en cette matière on part d'une idée excessivement fausse. C'est de croire que le gouvernement, et par gouvernement, je n'entends pas les amis politiques qui sont au banc des ministres, mais que le gouvernement, quel que soit le parti auquel il appartienne, puisse ne pas prendre, en matière de défense nationale, toutes les mesures nécessaires pour le salut du pays.

Est-ce qu'il n'est pas responsable ? Quel est le premier intérêt de ceux qui sont obligés d'exécuter une loi, de ceux qui, dans des moments difficiles, oui la plus terrible des responsabilités, une responsabilité qui ne cesse pas avec leur carrière ministérielle, qui ne cesse pas même avec leur existence, qui les poursuit dans l'histoire lorsqu'ils ont manqué à leurs devoirs ?

C'est une fausse idée que de croire que, lorsqu'il s'agit de la défense nationale, le gouvernement est nécessairement l'ennemi du pays.

Eh bien, messieurs, on traite toujours le gouvernement - il ne s'agit pas ici de personnes - comme si tout ce qu'il fait n'était pas fait dans le but de défendre le pays, mais uniquement pour vexer les citoyens. On lui dit : Les canons sont tournés contre nous ; il ne s'agit pas de défendre le pays, il s'agit de tirer sur les populations.

On dit donc : Changez votre plan de défense. Mais je réponds : Si ce plan de défense est ainsi constitué, c'est qu'il est nécessaire au grand but que le pays veut atteindre, et dès lors pourquoi demandez-vous à la Chambre de le modifier ?

Messieurs, je trouve que les Anversois raisonnent en cette matière comme souvent les gens de la campagne - je demande pardon de cette comparaison - raisonnent à l'endroit de leur avocat. Il croit, ce brave campagnard, que l'avocat qui doit défendre sa cause, va ou négliger ou trahir ses intérêts, qu'il ne prendra pas toutes les mesures nécessaires pour arriver au but, le gain du procès. Il est inquiet, il est défiant comme un Anversois. Mais l'avocat a intérêt à gagner le procès. Le bon sens le dit et le bon sens dit aussi que puisque le gouvernement est intéressé à gagner la grande cause nationale, il ne faut donc pas le soupçonner de vouloir la trahir.

Je ne parle pas d'autres raisons de confiance tirées de la probité politique de ceux qui dirigent les affaires du pays.

Messieurs, ce ne sont pas les citadelles que je voudrais voir disparaître. Ce que je voudrais voir disparaître, c'est cette peste de l'égoïsme qui ravage tant de gens.

C'est sous l'impression de ce sentiment étroit que se produit dans le pays un mouvement stérile, déplorable, que je considère comme stérile et déplorable. Anvers coûte trop d'argent !

On confond une question d'économie avec une question d'honneur national ; on confond une question de chiffre avec une question de devoir.

En cette manière, il n'y a qu'une question, la voici : Les dépenses sont-elles nécessaires. En matière de défense nationale, il ne faut pas dire quelles sont les dépenses les plus économiques, mais quelles sont les dépenses les plus efficaces pour conserver l'indépendance du pays. Toute la question est là, messieurs, il n'y en a pas d'autre.

II ne s'agit pas de savoir s'il ne vaudrait pas mieux d'avoir peu de dépenses militaires. Je suis parfaitement de cet avis, et j'appelle de tous mes vœux un temps où il n'existera plus que de petites armées, très peu et même plus d'armées.

J'appelle de tous mes vœux le temps où toutes les grandes ressources que le pays possède pourront être appliquées aux arts de la paix.

Mais, messieurs, la politique est avant tout la pratique de vérités relatives. La philosophie s'occupe de l'avenir, la politique s'occupe du présent, des événements présents, c'est la vérité relative au pays dans lequel on se trouve, relative à la situation géographique de ce pays. Ainsi, il ne s'agit pas d'appliquer ici les règles de la vérité absolue. Mais, messieurs, établissez donc cette vérité absolue, agissez donc comme si les hommes n'avaient point de passions ; faites disparaître demain et le procureur lu roi et le gendarme, et même le prêtre ; faites disparaître et les armées permanentes et les rois conquérants, et la cause qui les produit ; changez l'humanité, changez l'état de l'Europe et demandez alors des économies !

Le mouvement qui s'est produit contre nos dépenses militaires est un mouvement stérile, parce que les causes qui ont produit ces dépenses militaires existent toujours comme elles existaient lorsque en 1859 ces dépenses ont été décrétées. Quelle était alors la situation de l'Europe ? La guerre, d'abord allumée dans le Midi de l'Europe et menaçant de se transporter vers le Rhin ; toutes les grandes puissances s'armant, se préparant à la guerre.

Et à côté de ces grands armements, des projets de remaniement de la carte de l'Europe, dans lesquels la petite Belgique devait disparaître, et par dessus tout les menaces de l'étranger. Et vous voulez qu'en présence d'une pareille situation, lorsque l'indépendance du pays était menacée, la Belgique n'affirmât point, par un grand sacrifice, qui a fait une grande impression sur l'Europe, qu'elle tenait à ses libertés, qu'elle tenait à son indépendance ; que, quelles que pussent être les éventualités de l'avenir, elle saurait, par des sacrifices successifs, lutter pour maintenir son indépendance et sa liberté ?

Pour les individus comme pour les peuples, le seul moyen d'affirmer son affection, son dévouement, son amour pour une idée, pour un principe, c'est le sacrifice ; ôtez du cœur de l'homme le besoin de prouver par le sacrifice qu'il aime fortement, qu'il tient fortement à ce qu'il aime, et vous tuez chez lui la vie morale.

Les nations qui ne comprennent pas la nécessité du sacrifice, doivent périr.

Les causes que je vous ai énumérées et qui, en 1859, ont rendu nécessaires les armements contre lesquels on se récrie, ont-elles disparu ? Non, messieurs, personne n'oserait le prétendre. Est-ce que la situation de l'Europe a changé ? Certes, non ; et j'en conclus qu'on agite le pays pour demander aux Chambres quelque chose qu'elles ne peuvent pas accorder. Personne n'oserait en prendre la responsabilité, et ceux-là mêmes, quelques-uns du moins, qui ont repoussé la loi de 1859 ne consentiraient pas à la démolition qu'on vient solliciter de vous.

Le mouvement est donc stérile. Cependant s'il n'était que stérile, il n'aurait d'autre inconvénient que de nous faire perdre du temps. Mais ce mouvement est aussi déplorable.

Il est déplorable parce qu'il surexcite dans l'esprit des populations les plus mesquine les passions, l'égoïsme ; et parce que cette surexcitation produit des résultats détestables.

L'égoïsme, je le compare à un vent aride qui emporte les bourgeons de l'arbre et tue le fruit dans la fleur. Surexcitez continuellement le sentiment de l'égoïsme chez une nation et vous arriverez à faire d'une population intelligente une cohue de brutes.

Au lieu de dire aux contribuables : N'aimez-vous pas mieux payer cinq francs que 20 francs pour les dépenses militaires ? - à quoi les contribuables, ne manqueront point de répondre qu'ils aiment mieux payer 5 francs que 20 ; - au lieu de formuler cette question égoïste, demandez-leur quels sacrifices ils sont disposés à faire pour la défense du pays ; et si, après vous être adressés à leur bourse, vous vous adressez à leur cœur, à ce qu'il y a de plus élevé dans l'homme, soyez-en convaincus, messieurs, vous aurez une toute autre réponse.

Voyez ce qu'une nation devient lorsqu'on surexcite continuellement ce sentiment de l'égoïsme, et ce qu'elle peut devenir lorsqu'on l'élève dans ces vastes sphères de la vie morale. Messieurs, lorsqu'on a une mère malade, est-ce que vous demandez (page 1239) avant de consulter le médecin, ce que la conservation de cette mère chérie vous coûtera, s'il vaut mieux payer 5 francs que 20. Non, vous ne calculez pas, vous ne chiffrez pas, vous voulez sauver votre mère à tout prix, car vous ne seriez plus un homme, si dans une pareille circonstance, vous parliez d'économie.

Il n'est qu'une chose à laquelle vous songiez dans ce moment, c'est au salut de l'être que vous aimez.

La question économique disparaît ; on ne la comprend pas ; et je ne la comprends pas davantage lorsqu'il s'agit de faire pour son pays ce que votre devoir de citoyen vous oblige de faire.

Messieurs, ce sentiment de l'égoïsme finit par produire des choses étranges : sous l'excitation de cette fièvre, on discute tout, on sait tout ; science militaire, science économique, science financière. On argumente, on chiffre, on raille, mais on ne sent plus.

L'égoïsme produit des merveilles, j'ai connu des dévots qui sont devenus spirituels ; des gens qui, après avoir joué longtemps le rôle de Basile se sont déguisés en Figaro.

Messieurs, j'ai entendu d'amères railleries à l'endroit du plus saint des devoirs, paroles décourageantes où l'esprit ne fait pas défaut, mais où le cœur a manqué.

Or, l'esprit est un dissolvant ; le cœur groupe, c'est avec le cœur qu'on fait de grandes choses. J'ai observé que tous les hommes d'Etat qui, dans tous les temps, avaient le mieux servi leur patrie, avaient le cœur à la hauteur de l'intelligence.

Ce n'est pas avec l'esprit, qui est un enfant joueur, qu'on sauve un pays.

Lorsque en 1830, la Belgique a fait sa révolution, elle n'a pas seulement attaqué la Hollande, elle a attaqué l'Europe entière ; elle a déchiré, à la face de l'Europe, les traités de 1815. S'il y avait eu alors d'ingénieux calculateurs, de fins économistes, de spirituels railleurs pour décourager cette nation, la révolution aurait péri, et vous n'auriez pas donné au monde ce grand et immortel exemple qui prouve la force d'une petite nation, lorsqu'elle est conduite par le cœur.

Messieurs, la lutte, la grande lutte, elle est toujours là : entre l'égoïsme et le devoir. Eh bien, les hommes qui ont de l'influence sur les masses par leurs talents ou par leur position ne devraient jamais s'adresser qu'au cœur, et ne devraient pas s'adresser à l'égoïsme. Il faut élever le niveau moral d'une nation. C'est comme cela qu'elle est immortelle.

Les peuples libres n'ont péri que le jour où ils ont oublié la loi du devoir. Voilà ce qu'il faut apprendre aux masses. Voilà ce qu'il faut prêcher du haut de cette tribune qui, je l'espère, comme le disait très bien hier l'honorable M. Lebeau, fera rentrer le calme dans les esprits.

Messieurs, il y a une chose qui est déplorable, et qui m'attriste, ce cri d'économie proféré d'une façon si peu opportune, nous fait représenter aux yeux de l'Europe comme un peuple par trop économe et par trop calculateur.

Lorsque en 1830, les hommes de la révolution plaidaient en Europe la cause de l'indépendance du pays, on leur disait :

Vous ne pouvez pas être une nation ; vous n'avez jamais été une nation ! Et lorsqu'ils montraient les champs de bataille où nos pères avaient lutté contre l'étranger, lorsqu'ils rappelaient les noms de nos martyrs, et le courage et la persévérance que nous avions déployés contre tous ceux qui avaient voulu nous opprimer, on nous répondait :

Vous ne savez pas faire de sacrifices ; vous calculez trop ; vous ne savez pas prodiguer l'argent lorsqu'il s'agit d'une grande chose.

Vous êtes petits, vous êtes étroits, vous êtes mesquins. Oui vous avez eu de beaux moments dans l'histoire. Oui, vous avez étonné le monde par votre courage ; parfois vous avez remporté de beaux triomphes, de grandes victoires contre de grands empires ; cela est vrai. Vous avez eu vos écrivains, vos artistes, vos guerriers, vos hommes d'Etat, mais vous calculez trop ! Or, pour faire une nation, il faut savoir faire de grands sacrifices et par moments faire d'énormes dépenses pour se conserver et se défendre.

Dans la discussion qui eut lieu en France à l'occasion du refus de la couronne offerte par la Belgique au duc de Nemours, M. de Sébastiani fut attaqué par l'opposition. Louis-Philippe en refusant cette couronne avait exposé la sécurité de la France. La Belgique, disait le général Lamarque, n'ayant ni armée ni forteresse, sera facilement envahie par les ennemis de la France. Ce peuple, disait-on, qui ne sait pas dépenser d'argent pour payer une armée et bâtir des forts, ce peuple calcule trop. Il aura bien ses jours d'entrain patriotique ; mais quand il s'agira de délier les cordons delà bourse, il criera.

Voilà la terrible accusation qui a été portée contre nous, accusation contre laquelle nous tous, nous protestons.

Savez-vous pourquoi je trouve ce mouvement déplorable ? Parce qu'il semble justifier cette accusation. Et voilà le mal que vous faites au pays. Vous lui faites perdre quelque chose de sa banne renommée ; vous avez l'air de faire dire par le pays : Défendre mon indépendance, cela coûte trop cher.

Messieurs, cette accusation s'est produite en dernier lieu encore, lorsqu'on discutait le projet de loi des fortifications d'Anvers. On est venu encore nous accuser de ne pas savoir faire de sacrifices.

Je ne reviendrai pas sur l'utilité des fortifications d'Anvers, telles qu'elles existent, ni sur la question de l'efficacité des traités, ni sur la question des devoirs de la neutralité. Si ces questions sont soulevées dans le débat, je me réserve de reprendre la parole.

Quant à moi, messieurs, si j'avais quelque chose à reprocher au gouvernement, ce ne serait pas de faire de grandes dépenses ; ce serait de ne pas mettre à la disposition des citoyens une arme efficace, une arme telle qu'ils puissent s'en servir pour se défendre au jour du danger. Car l'honorable général Chazal l'a reconnu dans plus d'une circonstance, il compte sur le concours de la garde civique. Eh bien, il est jugé que l'arme de la garde civique est insuffisante. Comment donc pourra-t-elle se défendre ? Il y avait, messieurs, en 18G un très grand mouvement patriotique dans le pays. Sous l'empire de ce mouvement, des sociétés particulières se sont formées, des sociétés de carabiniers.

Mais pour pouvoir s'organiser en compagnies, le gouvernement devait leur indiquer le modèle de l'arme, afin qu'il n'y eût pour toutes les sociétés qu'un calibre uniforme.

Elles se sont adressées au gouvernement, qui a nommé une commission pour faire le choix du calibre.

Cette commission a rendu une décision portant qu'elle ne ferait pas de choix, qu'elle remettait son choix à l'année prochaine, et en attendant les citoyens sont mis dans l'impossibilité de s'armer.

Quand je viens demander au gouvernement qu'il vide cette question, et qu'il arme les citoyens, je le demande au nom de la patrie. Je suis de ceux qui s'associent au gouvernement quand il s'agit de la défense nationale, je crois que cette défense est incomplète.

La Constitution a voulu, non seulement qu'il y eût une armée, mais qu'à côté de cette armée il y eût une milice citoyenne. Cette milice citoyenne n'est point une armée, de sorte que le système de défense du pays n'est pas complet, et il faut qu'il le soit pour obéir à la Constitution et donner satisfaction à la légitime impatience du pays.

Ainsi donc, loin de crier contre les grandes dépenses, je dis : Faites tout ce qui est nécessaire, mais tout ce qui est nécessaire n'est point encore fait.

Messieurs, la Chambre ne peut pas, ne doit pas se laisser émouvoir par le mouvement qui, parti d'Anvers, agite certains esprits. L'opinion publique est souvent variable et mobile ; elle ressemble quelquefois à ces flots de la mer qui s'agitent toujours, qui montent et qui descendent ; ne soyez pas l'écume que ces flots portent à leur surface, ressemblez plutôt à ces rocs contre lesquels les flots se jettent avec colère, qu'ils couvrent souvent de leurs vagues, mais qu'ils ne brisent jamais. L'homme d'Etat dont l'intelligence s'éclaire à la lumière du devoir, doit rester inébranlable dans sa résolution. Si quelquefois des mouvements passagers viennent attaquer son existence, il ne périra point, s'il a foi dans son œuvre.

M. Royer de Behr. - Messieurs, après les discussions qui ont eu lieu sur les servitudes militaires, il était permis de croire que cette question n'apparaîtrait plus immédiatement devant la Chambre. Les conclusions de la commission des pétitions avaient été accueillies, je ne dirai pas par l'unanimité di la Chambre, cette unanimité était très difficile à constater, le vote ayant eu lieu par assis et levé, mais par une imposante majorité.

Le gouvernement s'était engagé, après avoir donné de très longues explications à la Chambre, à en fournir encore. Une loi sur les servitudes militaires ne s'improvise pas. Pour mon compte personnel, je saurais très mauvais gré au pouvoir exécutif, quel qu'il fût, si, du jour au lendemain, il venait proposer une nouvelle législation et faire table rase de tout le système existant, pour y substituer je ne sais quel régime, que personne n'a indiqué jusqu'à ce jour.

Je verrais avec regret les Chambres se prononcer légèrement dans une circonstance aussi grave et j'accueillerais avec appréhension, avec inquiétude toute proposition qui ne semblerait pas mûrie par le temps et par la réflexion, qui paraîtrait peut-être le résultat d'une pression quelconque. Une loi sur les servitudes, j'ai déjà eu l'occasion de le dire et de le démontrer, est très difficile à régler, et s'il fallait en chercher encore la preuve, je la rencontrerais dans l'attitude de nos honorables collègues d'Anvers qui, trouvant la situation intolérable, ne proposent cependant rien qui soit de nature à la modifier.

(page 1240) Donc, messieurs, jusqu'à ce qu'un projet de loi nous soit présenté, soit par l'initiative du gouvernement, soit par l'initiative, d'un des membres de cette Chambre, je m’abstiens de parler de la question des servitudes militaires.

Je dirai purement et simplement que toute législation qui sauvegardera les principes de la justice distributive et ne se heurtera pas à des impossibilités pratiques rencontrera mon assentiment et rencontrera, je le suppose, l'assentiment de la Chambre tout entière.

La question des citadelles est donc spécialement à l'ordre du jour. J'aborde cette question sans plus tarder. Cependant je dois constater que je ne suis pas partisan de l'exagération des dépenses militaires, mais je veux une armée parfaitement constituée ; je ne veux pas un simulacre d'armée, et si je me trouvais dans l'alternative de devoir choisir entre une dépense considérable pour avoir une armée fortement constituée, digne de la mission qu'elle est éventuellement appelée à remplir, et un simulacre d'armée qui ne servirait à rien le cas échéant, mon choix ne serait pas douteux.

Quant à la question du désarmement, je crois qu'elle est complètement insoluble dans le moment actuel. Le rêve de l'abbé de Saint-Pierre est aujourd'hui et sera longtemps encore une grande et généreuse utopie, et nous sommes encore loin des temps heureux prédits par les prophètes où nous verrons les fers des lances meurtrières se transformer en socs de charrue, pour nous résigner bénévolement et dès à présent à la suppression de notre état militaire

J'aborde donc, messieurs, la question des citadelles.

Les citadelles adjointes aux grandes places de guerre ont un triple objet d'utilité défensive ! D'abord elles permettent la défense à outrance de l'enceinte de la ville ; ensuite elles exigent un nouveau "siège après la prise delà ville ; enfin les citadelles, jusqu'à la dernière heure de leur résistance, créent, et c'est là leur principal avantage, créent la possibilité de' reprendre la ville à l'aide des secours qui se présentent.

Les lois militaires comminent la peine de mort contre tout gouverneur de place qui se rendrait sans avoir forcé l'ennemi à passer par les travaux réguliers d'un siège ou sans avoir subi un assaut au corps de place préalablement mis en brèche.

Voilà les termes des lois militaires. Supposons la suppression des citadelles d'Anvers. En présence de l'immense enceinte que l'on construit, l'exécution de ces lois militaires deviendrait presque impossible. La garnison sera répartie sur tous les points accessibles de l'enceinte. Pour une garnison ainsi éparpillée, il faut un point de refuge, un point de rassemblement, une citadelle, et l'histoire des sièges explique par l'absence de citadelles la reddition prématurée d'un grand nombre de places.

Un honorable député d'Anvers nous a fait entendre que les citadelles n'ont point d autre objet que d'assurer la défense de la ville en offrant un refuge à la garnison de celle-ci. Une citadelle ne devrait donc résister qu'un jour tout au plus. C'est un moyen d'arriver à une capitulation honorable.

Eh bien, c'est là tout simplement une hérésie au point de vue militaire, et pour s'en convaincre, il suffit de citer l'histoire de notre pays.

En 1692, lors du siège de Namur, la citadelle résista quatre fois plus longtemps que la ville.

A Tournai, en 1709, la citadelle résista également plus longtemps que ne l'avait fait la ville à la même époque.

Ces deux exemples suffisent pour démontrer l'erreur de l'honorable membre ; mais je désire appuyer ma démonstration, non pas seulement par des exemples, mais par quelques considérations.

Toute citadelle régulièrement constituée est pourvue de deux portes.

L'une communiquant avec la campagne, l'autre donnant accès dans la ville.

La porte située vers la campagne se nomme la porte de secours. Or, il n'est pas besoin d'être militaire pour comprendre que celui entre les mains de qui se trouve la citadelle, ouvrira la porte de secours, fût-ce même au dernier moment de la résistance, à l'armée amie, qui se présentera, et la laissera pénétrer dans la place par la porte qui se trouve de ce côté. Cette observation me paraît si évidente, qu'il serait puéril de m'y arrêter un seul instant.

Ce qui est encore évident, c'est que les chances d'être secouru croissent progressivement avec la durée totale de la résistance de la position à défendre. Je viens d'établir que cette durée est augmentée dans une forte proportion, par l'addition d'une citadelle bien établie. Il n'y a pas d'exagération à soutenir qu'une citadelle peut quadrupler et quelquefois décupler la probabilité de l'envoi des secours en temps opportun, c'est-à-dire avant que la dernière heure de la résistance ait sonné.

Cette démonstration est de la plus haute importance, car il faut bien reconnaître que dans un petit Etat comme la Belgique, l'indépendance, en cas d'invasion, ne saurait être sauvée que par le secours des armées alliées.

Nous ne pourrions nous suffire à nous-mêmes, et c'est dans cette pensée que doit être conçu et dirigé tout notre système de défense.

Je le déclare, et sur ce point ma conviction est inébranlable, quel que soit le ministère, qu'on le suppose libéral ou conservateur, il se trouvera placé en présence des nécessités que rencontre le cabinet actuel, il ne consentira pas à la démolition des citadelles. Il n'y a pas d'homme d'Etat véritablement digne de ce nom, qui ne soit convaincu que l'un des devoirs les plus sacrés d'un gouvernement est de veiller à la sécurité du pays. Quelles sont donc les considérations qui doivent primer l'intérêt de la défense nationale ? Il n'en est aucune, du moins aux yeux de ceux qui sont sincèrement attachés à leur pays.

Je suppose cependant que le gouvernement vînt un jour à accueillir les réclamations qu'on nous adresse.

Voyons les conséquences les plus immédiates : Gand, Liège, Tournai, Namur, Diest, Dinant et Huy seraient en droit d'obtenir, aux mêmes titres, la démolition de leurs citadelles, et le gouvernement, appliquant le principe de la justice distributive, livrerait la Belgique à la merci de l'étranger.

Je n'exagère pas.

Justice pour tous, dirait-on.

Et je voudrais savoir ce que répondrait le gouvernement. Il ne pourrait même plus alléguer les intérêts de la défense, ces intérêts ayant été par lui méconnus.

La plupart des citadelles dont je viens de parler dominent les villes. On serait donc bien plus fondé qu'à Anvers, en soutenant qu'il y a danger à les maintenir.

La citadelle de Namur, par exemple, domine la ville à vol d'oiseau, et si le danger de destruction qu'allèguent les Anversois n'était pas étrangement exagéré en ce qui concerne Anvers, il serait encore bien plus réel pour Namur, où le canon de la citadelle pourrait être dirigé à volonté sur chacun des établissements particuliers ou publics qu'on voudrait vouer à la destruction. Mais de telles éventualités ne sont point à redouter dans l'état actuel de la civilisation.

On ne détruit plus aujourd'hui pour le plaisir de détruire.

L'honorable M. de Gottal et l'honorable M. de Boe ont cherché à établir de l'analogie entre Anvers et Paris.

Messieurs, la comparaison entre Paris et Anvers est tout à fait insoutenable.

Paris est aujourd'hui entouré d'un système régulier de fortifications qui était réclamé depuis Vauban. Ce n'est point là, quoi qu'on dise, un anachronisme. Tout ce qu'il y a en France d'esprits prévoyants et de cœurs patriotiques considèrent cet immense travail comme un des titres les plus glorieux du règne de Louis-Philippe. Grâce à ces fortifications, l'invasion ne saurait plus se rendre maîtresse de Paris qu'en faisant un siège dans toutes les formes, et cette opération gigantesque serait compliquée de telles difficultés qu'on ne pourrait l'entreprendre avec des chances de succès qu'après avoir triomphé au préalable de toutes les forces mobiles en campagne.

Mais l'analogie entre Paris et Anvers encore une fois n'est pas soutenable. Lorsque les débris des armées françaises seront refoulés de la frontière vers la capitale et se voueront à la défense de Paris, ils n'auront ni à espérer ni à attendre de secours d'aucune sorte ; de là l'absence d'une citadelle proprement dite à Paris.

La preuve, c'est que Lille s'agrandit et conserve sa citadelle, quoique l'honorable M. de Boe dise le contraire dans son rapport.

M. de Boe. - Je n’ai pas dit cela.

M. Royer de Behr. - Voici le passage du rapport que je n'ai pu lire que très rapidement, comme tous les membres de la Chambre : ce rapport nous a été distribué ce matin à dix heures.

« On comprend que dans des forteresses exclusivement militaires comme Sébastopol, on songe, lorsque l'ennemi est déjà dans la place, à une dernière lutte, à des retours offensifs opérés par des troupes réfugiées dans des citadelles. La ville peut devenir le théâtre d'une scène à outrance. La population civile est partie, il n'y reste que des soldats. Mais lorsqu'il s'agit de villes industrielles comme Lille et Lyon, dont des décrets récents ont fait de grandes places de guerre, lorsqu'il s'agit d'une ville de commerce comme Anvers, renfermant 120,000 âmes, d'une ville de luxe et d'affaires comme Paris, une pareille lutte aurait des conséquences auxquelles on ne peut songer sans frémir. »

Eh bien, Lille agrandie conserve sa citadelle. Il en est de même de Grenoble, de Perpignan, de Bayonne et de beaucoup d'autres places.

La place de Lyon, que vous citez également dans votre rapport, quoique ville industrielle de premier ordre, possède non pas une (page 1241) citadelle, mais le fort Saint-Jean, le fort de Vaize, et d'autres forts dont les noms m'échappent mais qui sont de véritables citadelles d'où l'on pourrait bombarder la ville ; mais semblables dangers ne sont pas à redouter.

Toutes ces places que je viens de citer n'ont aucune analogie avec Paris, mais elles en ont, au contraire, une très grande avec Anvers. Elles peuvent recevoir des secours de l'intérieur, même de la France ; elles sont dans cette position identique à celle d'Anvers qui, assiégée par des forces prépondérantes, pourrait attendre son salut des secours que ses défenseurs pourraient recevoir, grâce aux citadelles.

Mais, dit-on, la métropole commerciale ne doit pas être fortifiée.

Si une considération de ce genre pouvait avoir quelque valeur, je dirais moi : Les métropoles industrielles ne doivent pas être fortifiées non plus. Je ne vois pas que Liège et Gand, qui sont des métropoles industrielles de premier ordre, réclament, au nom de l'industrie menacée, la démolition de leurs forteresses.

Je me trompe, une ville de commerce fait exception.

II est arrivé, dans cette Chambre, le 2 avril, si j'ai bonne mémoire, une pétition de Namur sollicitant la démolition de la citadelle ; on y demande que la citadelle soit rasée au niveau du sol de la ville de Namur.

Je ne sais si vous avez pris attention à la date de cette pétition ; toujours est-il que ce document m'a paru, à moi, une véritable mystification.

D'ailleurs, toutes nos cités sont ou industrielles ou commerciales.

On ne veut pas, je suppose, avoir deux poids et deux mesures ?

On ne veut pas enfin créer une espèce de féodalité communale, avec tous les privilèges que la féodalité comporte. Les Anversois le savent, ce qui fait la prospérité du commerce c'est l'industrie, car il faut produire avant de trafiquer. Encore une fois les villes industrielles ne réclament pas jusqu'à présent, et s’il ne faut pas de fortifications ni dans les métropoles commerciales ni dans les métropoles industrielles, où placerez-vous donc les fortifications ? Sera-ce dans les campagnes, comme le disait mon honorable ami M. Coomans ; sera-ce dans les plaines de la Campine ? Mais moi je réclamerais au nom de l'industrie agricole, qui est bien aussi respectable que celle des villes.

Du reste, messieurs, cet intérêt prétendu de la métropole commerciale est une véritable fantasmagorie. Je n'énumérerai pas les nombreux exemples de métropoles commerciales fortifiées ; je me bornerai à citer deux faits :

Il existe en France deux grandes villes de commerce dont l'une renferme une population plus que double de celle d'Anvers, et où l'on a démoli les fortifications de l'enceinte dans le but de favoriser le développement industriel et commercial.

Ce qu'il y a de particulièrement remarquable dans ces exemples, c'est que l'une de ces villes, Marseille a conservé sa citadelle qui domine précisément le port et la rade et tout le quartier des commerçants et des fabriques.

Dans l'autre ville, le Havre, il existait une enceinte. On lui a substitué des forts établis sur les hauteurs, d'où il serait aisé de bombarder la ville.

Mais je le répète, semblable crainte est chimérique pour Marseille et le Havre, comme elle l'est pour Anvers.

Dans les assemblées qui ont eu lieu à Anvers, un honorable ancien échevin de cette ville a fait une observation très judicieuse. Il a demandé si les gens sérieux ne pourraient pas croire à des instigations ou si l'on ne pourrait reprocher aux assemblées qui ont eu lieu à Anvers d'agir sans réflexion. .

J'ajouterai que ces assemblées, dans leurs délibérations, agissent, ce me semble, sans trop de connaissance de la question qu'elles traitent, et peut-être, comme je vais essayer de le démontrer à la Chambre, y a-t-il pour Anvers plus d'avantages à conserver ses citadelles qu'à se les voir supprimer.

L'avis des hommes spéciaux est que si la citadelle du Nord est exécutée conformément aux plans du gouvernement et que si un jour elle vient à être attaquée selon les règles de l'art, c'est-à-dire après la prise de la ville, la ville n'a rien ou n'a que fort peu à redouter, soit de l'attaque, soit de la défense.

Je suppose que le gouvernement renonce à l'achèvement des travaux et consente à raser le front intérieur de la citadelle du Nord.

Satisfaction complète sera dès lors donnée aux Anversois.

Eh bien, pour garantir la terrible responsabilité qui pèsera sur lui, voyons ce que fera le commandant supérieur de la place.

Voici à cet égard ce que pensent les hommes compétents :

Pour suppléer autant que possible au défaut de la citadelle du Nord, le commandant supérieur de la place fera retrancher la partie Nord d'Anvers ; dans ce moment suprême tous les moyens devenant légitimes, il ne reculera devant aucune démolition jugée indispensable.

Il se servira des bassins et du canal de la Campine comme de larges fossés propres à garantir l'accès de ses retranchements.

Il fera usage de tous les matériaux qu'il trouvera dans la place, fer, bois, ballots ; il contraindra les hommes valides de toutes les catégories à travailler aux travaux improvisés, et si l'argent manque pour payer les salaires de ceux qui ne peuvent subvenir à leur subsistance, il recourra au moyen dont se servit le général Rapp au siège de Dantzig.

Le général Rapp commandant le 10ème corps de l'armée française était chargé en 1815 de la défense de Dantzig contre l'armée combinée autrichienne, prussienne et russe.

Depuis quatre mois l'armée assiégée subissait un blocus, et bien que les opérations militaires sur l'Elbe eussent été suivies de quelque succès, l'espoir de la délivrance paraissait encore lointain.

Pendant la durée du blocus, l'absence de travaux permanents de fortifications avait contraint le général en chef à improviser un grand nombre de travaux de défense. Les fonds lui manquaient pour l'exécution de ces projets. La ville depuis quatre mois était soumise aux plus dures privations. Malgré cela, on décréta une contribution de trois millions. Un comité fut chargé de la percevoir.

Ce comité fit comparaître devant lui les notables de la ville, et comme ceux-ci se refusaient à faire la répartition de cette contribution de trois millions, on eut recours à des moyens de rigueur et on enleva même des otages.

Je conseille donc à la ville d'Anvers de réfléchir à l'éventualité de mesures aussi extrêmes. Je la conjure de seconder les efforts que fait le gouvernement pour éloigner de semblables dangers ; je la conjure enfin de ne point prendre de résolutions ab irato et sans examen, et de ne pas entraver l'exécution d'une loi promulguée en 1859, avec l'assentiment de la population d'Anvers, représentée dans cette Chambre par ses députés.

Je désire maintenant, messieurs, dire quelques mots d'un fait militaire qui a excité un très grand intérêt et que je ne puis, à ce titre, passer sous silence, quoiqu'on en ait déjà parlé dans cette Chambre.

Le combat naval qui vient d'avoir lieu en Amérique entre un bâtiment cuirassé, le Merrimac, et deux frégates de construction ordinaire ; ensuite entre ce même bâtiment cuirassé et un bâtiment de même nature, le Monitor, a produit, surtout parmi les puissances maritimes, une très grande émotion.

Le résultat de ce combat ne laisse aucun doute sur la supériorité des bâtiments cuirassés comparés aux bâtiments ordinaires et la perspective d'avoir à substituer un jour, au prix d'énormes sacrifices, une marine cuirassée à la marine actuelle, suffit pour légitimer une émotion que tout le monde a comprise ou ressentie. Mais je ferai remarquer, avec M. le ministre de la guerre, que la Belgique n'a rien à démêler avec cette transformation.

On a voulu inférer du second épisode, la nécessité d'un changement absolu dans la manière de fortifier les places.

D'abord, s'il y avait des changements à introduire de ce chef, ce ne serait, en tout cas, qu'aux points où les fortifications peuvent être exposées à une attaque par navires cuirassés, ce qui restreint singulièrement le problème Mais il y a plus.

Le combat naval du Merrimac et du Monitor, pour qu'on pût en tirer quelque enseignement pour les fortifications, aurait dû avoir lieu, non de navire à navire, mais de navire à batterie de côte, comme à Kinburn en 1855.

Puis il aurait fallu, de part et d'autre, que l'armement fût composé d'artillerie rayée.

Ces conditions ont fait défaut toutes deux, et cependant l'une d'elle, venant seule à manquer, il serait déjà totalement impossible de baser une nouvelle manière de fortifier, sur semblable événement.

Il paraît, du reste, que les nouveaux ouvrages de fortification des bords de l'Escaut à Anvers, ont été conçus ou établis, en ayant égard, tant à la nouvelle artillerie qu'aux circonstances du mémorable combat de Kinburn entre les casemates en maçonneries nues de ce fort et les trois batteries cuirassées de la marine française.

Il est un point cependant sur lequel je crois devoir attirer l'attention sérieuse de M. le ministre de la guerre.

S'il faut admettre qu'une bonne batterie de côte dans une lutte à outrance, aurait raison même d'un navire cuirassé, surtout sur l'Escaut, et à petite distance, quand il serait facile à la batterie de côte de faire coup d'embrasure, on doit s'attendre, d'une autre part, à voir dorénavant les bâtiments cuirassés, ayant au préalable blindé leurs sabords, braver pendant quelques instants, le feu des batteries de côte et traverser à toute vapeur les passes qu'elles commandent.

(page 1242) Ils le feront, sans doute, chaque fois qu'il y aura un grand but à atteindre, soit pour détruire quelque écluse d'inondation, pour brûler quelque magasin de munitions, eu pour faire diversion pendant l'assaut de la place, en l'attaquant à revers par la gorge.

Cette dernière observation ne semble pas devoir conduire à changer le système des fortifications, mais seulement à exercer une surveillance constante en temps de guerre, afin de faire échouer des entreprises réalisables quoique aventureuses.

Un navire cuirassé, capable d'arrêter momentanément les adversaires sous le feu des batteries de côte, serait peut-être le moyen le plus efficace de prévenir ces entreprises. Je laisse aux hommes spéciaux la solution de la question, et je m'abstiens de rien conseiller qu'ils pourraient juger n'être point d'une indispensable nécessité, ou qu'ils croiraient moins sûr et plus sujet à caution que l'expédient d'un barrage ou de mines sous-marine établies dans l'Escaut.

Je crois, messieurs, en avoir dit assez sur la question militaire. J'ajouterai cependant que les citadelles ne sont pas d'invention moderne. On les trouve chez presque toutes les nations civilisées de l'antiquité. Rome avait son Capitole ; Athènes, Jérusalem, Carthage, la métropole commerciale de l'antiquité, avaient leurs citadelles. Les hommes politiques d'alors, loin de provoquer la multitude à la démolition de ces derniers refuges de la nationalité, mettaient tout en œuvre pour convaincre les populations qu'aussi longtemps que les citadelles auraient des défenseurs, les entreprises ennemies rencontreraient dans leur accomplissement un obstacle infranchissable.

Ce n'est pas ici, messieurs, et surtout dans les circonstances actuelles, qu'il convient de dire le rôle intéressant et considérable que les citadelles d'Anvers sont peut-être appelées à jouer dans la défense de la nation ; mais la Chambre et le pays tout entier me comprendront.

Que font en ce moment les pétitionnaires ? Je dégage leurs réclamations de tous les artifices du langage dont elles sont revêtues : ils demandent l'annihilation du système défensif qui convient le mieux à la situation politique de notre pays.

Mais persisteraient-ils, si nous pouvions leur dire : Les servitudes militaires disparaîtront sans retour, les citadelles seront démolies ; acceptez la responsabilité de cette abolition, de cette démolition ; acceptez-la franchement et loyalement ! Que feraient les honorables citoyens qui s'adressent à nous aujourd'hui ? Ils hésiteraient pour la plupart ; et si nous parvenions à les convaincre qu'ils exposeraient la nation au plus grand péril, ils briseraient leur plume plutôt que de signer, je ne dirai pas une simple abdication, mais la déchéance la plus honteuse et la plus déshonorante que l’histoire des peuples aurait jamais enregistrée.

Et la raison en est simple, messieurs, c'est que la responsabilité dans les sphères du pouvoir, est le contre-poids de l'irréflexion et de l'entraînement. Cette responsabilité impose des devoirs tellement impérieux, que les pétitionnaires les plus ardents chercheraient vainement à s'y soustraire. Sans doute, quelques hommes exagérés, quelques énergumènes, comme le disait M. le ministre des finances, n'accepteront pas mes observations ; mais la cité patriotique d'Anvers ne me désavouera pas.

Que faisait-elle lors de la discussion des octrois ; alors qu'une pétition révélant des tendances annexionnistes apparaissait dans cette Chambre ? La ville d'Anvers s'associait à l'indignation que nous inspirait une manifestation jusqu'alors sans exemple dans notre pays. Anvers aurait-elle changé ? Non, messieurs, mille fois non. Vainement chercherait-on à nous le persuader.

Si cependant la population anversoise voyait se réaliser le vœu qu'on exprime en son nom et si l'avenir nous réservait l'une de ces cruelles épreuves auxquelles succombent parfois les peuples doués de la plus énergique vitalité, Anvers ne craindrait-elle pas que l'histoire ne dénaturât des faits contre lesquels nous sommes heureusement à même aujourd'hui de protester au nom de tout un passé glorieux ? Anvers ne craindrait-elle pas que, trompé par les apparences, on ne l'accusât d'avoir cédé aux instigations de quelques hommes qui, dans un but inavouable, ont fomenté la discorde, la division et la démoralisation politique ?

Anvers ne redouterait-elle pas qu'on ne lui reprochât, toujours trompée par les apparences, d'avoir adoré le veau d'or, et calculé en sous et deniers ce que vaut l'indépendance de la patrie ?

Si je n'étais guidé par le sentiment du devoir, ce serait une mission pénible que celle que j'accomplis aujourd'hui.

Sans doute il me serait facile de lancer du haut de cette tribune le cri des meetings : « A bas les citadelles ! » et d’appuyer de ma parole les clameurs irréfléchies qui se sont produites en dehors de la Chambre.

Oh ! j'y gagnerais de la popularité. Mais cette popularité, je ne l'ambitionne pas. Elle pourrait devenir un fardeau trop lourd pour moi, si, ce qu'à Dieu ne plaise, la Belgique se voyait désarmée, en face du danger.

A ceux qui disent ; « Ne nous défendons pas, nous sommes trop faibles pour nous défendre, » j'opposerai le spectacle douloureux des nations asservies, dominées, écrasées parce qu'elles ont été faibles ou lâches, et je rappellerai que les peuples sachant se défendre ont toujours été les seuls peuples dignes de vivre.

Les peuples les plus courageux peuvent être vaincus, mais ils conservent des sympathies qui leur permettent d'espérer le retour de temps meilleurs ; et s'il me fallait citer des exemples, je pourrais invoquer des peuples qui n'ont pas perdu leur titre de nation parce qu'ils l'ont su graver en lettres de sang sur la carte de l'Europe.

Messieurs, je finis. Si, dans la discussion actuelle, je donne au ministère l'appui de ma faible parole, cette discussion m'amène à lui dire la vérité tout entière sur certains faits que sa politique a jadis opposés au parti auquel j'ai l'honneur d'appartenir et que sa politique doit aujourd'hui blâmer et réprouver avec nous.

Ce sont précisément des agitations, des luttes du genre de celles qui se produisent à Anvers, qui ont amené l'avènement du ministère actuel au pouvoir. (Interruption.)

M. Devaux. - Il y a eu six mois d'intervalle.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ce sont les élections du mois d'octobre.

M. Royer de Behr. - Direz-vous qu'il n'y a pas eu d'agitation ?

Vous oubliez donc ce qui s'est passé dans cette enceinte même ? vous oubliez l'évacuation des tribunes ! Vous oubliez les insultes prodiguées aux membres de la majorité ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cela a-t-il fait les élections ?

M. Royer de Behr. - Vous oubliez les pavés lancés dans la demeure des particuliers ? Vous oubliez donc qu'un membre du corps diplomatique a été insulté ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous oubliez que cela se passait au mois de mai et que le ministère est resté au pouvoir, qu'il a attendu les élections du mois d'octobre, que c'est sur les élections d'octobre qu'il s'est retiré.

M. le président. - Nous sommes dans la question des citadelles.

M. Royer de Behr. - Je crois, messieurs, ne pas être sorti de la question en parlant de l'agitation qui s'est produite à Anvers. J'ai dit simplement que des agitations de cette nature étaient très regrettables, et je persiste à le soutenir.

J'ai ajouté que l'agitation qui s'est produite en 1857 était une agitation de même nature. A l'époque où ces faits se sont passés, je n'avais pas l'honneur de siéger dans cette chambre, mais je me disais : Une grande et importante loi est soumise en ce moment à la législature. C’est à la législature qu’il appartient, de même qu’aujourd’hui, de se prononcer.

La liberté de se réunir est un droit naturel dont il importe à la société de garantir l'exercice.

Mais il m'appartient de dire, sans sortir de la question, que quand on se fait une arme de cette liberté pour s'insurger contre la légalité, on crée un abus, un véritable danger, et que ceux-là (je rends justice au ministère sur ce point) sont des hommes d'Etat qui savent résister à de telles situations. A l'époque des meetings dont je parle, on ne faisait pas de discours, on ne pétitionnait pas ; on menaçait ; on se posait comme insulteur de la majorité envoyée ici par la volonté nationale.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Pourquoi la-majorité n'a-t-elle pas résisté ? Vous nous louez de résister ; il fallait le faire quand vous étiez au pouvoir.

M. Royer de Behr. - Toujours est-il, et c'est regrettable à dire, qu'à cette époque la rivalité entre le droit et la révolution fut inaugurée en Belgique.

M. Devaux. - Vous étiez au pouvoir ; pourquoi n'avez-vous pas maintenu le droit ? Est-ce à l'opposition à faire la police ?

M. Royer de Behr. - Je pourrais vous rappeler des faits ; d'autres mieux que moi sans doute seront à même de le faire.

Mais j'ajoute que, de la rivalité à l'usurpation, il n'y a qu'un pas, et que, dans la circonstance que je viens de rappeler, la volonté des meetings se substitua à celle de la majorité légale. J'espère que ce fait ne se reproduira plus aujourd'hui. Il a été une trop rude leçon pour ceux qui l'ont subi, et pour tous un trop grand enseignement.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne veux pas, messieurs, entamer une discussion approfondie sur l'incident que vient de soulever l'honorable M. Royer de Behr ; mais je dois, en quelques mots, réfuter certaines allégations que renferme la fin de son discours.

L'honorable préopinant se trompe singulièrement lorsqu'il veut établir une comparaison entre les faits qui se sont passés au mois de mai (page 1243) 1857 et ceux qui se produisent actuellement à Anvers. Le caractère de ces manifestations est assurément fort différent.

En 1857, à tort ou à raison, je ne veux pas l'examiner, une émotion universelle s'était emparée du pays. Elle avait pour cause une question à laquelle le pays tout entier attachait la plus grande importance. Aujourd'hui, vous avez, sur un point unique du territoire, une certaine agitation produite par certains intérêts exclusivement propres à la ville d'Anvers. A cette première cause de différence, qui semble avoir échappé à l'honorable membre, vient s'en ajouter une autre. L'honorable membre a cru pouvoir induire de ce qui s'était passé en 1857, que nous étions arrivés au pouvoir sous l'influence de ces événements, que c'était grâce à cette influence que la minorité avait vaincu la majorité.

Mais l'honorable membre, je le lui ai déjà dit en l'interrompant tout à l'heure, ne sait donc pas que le ministère de cette époque, composé de ses amis politiques, est resté au pouvoir longtemps après que les agitations du mois de mai 1857 avaient complètement cessé ? L'honorable membre ne sait donc pas que, depuis le mois de mai jusqu'au mois de novembre 1857, le pays est resté dans le calme le plus parfait ; que le 28 octobre 1857 des élections communales ont eu lieu, et que le résultat significatif de ces élections, qui se sont faites au milieu du calme le plus profond, a pu être librement apprécié par les hommes qui occupaient alors le pouvoir ? Qu'ont pensé alors les ministres ? Qu'ils avaient à se retirer à propos des événements du mois de mai ? Certainement non ! C'eût été un peu tard ; et si ces événements avaient été la raison de leur détermination, c'eût été un acte de nature à les incriminer.

M. de Decker. - Je demande la parole.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Aussi, je ne leur adresse pas ce reproche J'ai déjà dit à une autre époque, et je répète aujourd'hui, qu'ils ont compris, par le résultat d'élections tout à fait libres, d'élections purement communales, il est vrai, que le sentiment du pays n'était plus avec eux ; ils n'ont été pressés par personne, aucune espèce d'influence n'a été exercée sur eux, ils ont librement remis leur démission entre les mains du Roi.

Et lorsque nous avons été appelés par la Couronne pour reconstituer un cabinet, devions-nous, par hasard, refuser d'accepter le pouvoir ? Nos adversaires l'abandonnaient ! Ils avaient jugé qu'à raison des élections, mais seulement à raison des élections, et nullement à cause de l'agitation qui s'était produite six mois auparavant, et devant laquelle ils ne s'étaient pas retirés, ils ne pouvaient plus convenablement rester au pouvoir. C'est alors que nous avons accepté la mission de constituer un cabinet, et immédiatement nous avons consulté le pays. Le pays a répondu, par les élections du mois de décembre que l'appréciation faite par nos prédécesseurs était parfaitement exacte. Le pays envoya dans cette Chambre une majorité considérable pour y représenter l'opinion qui était auparavant celle de la minorité. Peut-on voir rien de plus régulier dans le jeu de nos institutions ? A qui peut-on adresser un reproche à raison de ces faits ? Dites, si vous voulez, à vos amis qu'ils ont mal apprécié la situation ; dites, si vous voulez, qu'ils ont eu tort de penser que les élections du mois d'octobre 1857, signifiaient que le pays n'était plus avec eux, dites cela, soit ! Mais vous ne pouvez pas incriminer ceux qui ont accepté le pouvoir lorsque vos amis l'abandonnaient et parce qu'ils l'abandonnaient.

Maintenant si vous avez voulu, par l'attitude que vous venez de prendre, établir un contraste avec l'attitude si souvent reprochée à mes amis et à moi, lorsque l'agitation existait au mois de mai 1857, je vous répondrai qu'à cette époque, interpellé par vos amis, par les ministres d'alors, qui me demandaient mon opinion sur ce qu'il fallait faire, qui me demandaient s'il fallait, oui ou non, retirer le projet de loi, projet de loi que j'avais combattu avec la plus grande énergie, j'ai répondu que ce projet ne pouvait pas être retiré en pareille circonstance.

M. Vilain XIIII. - Les ministres n'ont jamais demandé cela.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai été appelé dans le cabinet du président, oh j'ai trouvé l'honorable M. de Decker...

M. Devaux. - M. Vilain XIIII a dit : Le projet de loi est mort ; vous pouvez le considérer comme mort.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai été interpellé sur ce point, comme membre de l'opinion qui combattait le projet de loi ; j'ai été interpellé sur ce qu'il y avait à faire en présence de l'émotion publique ; j'ai déclaré qu'à mon sens le projet de loi ne pouvait pas être retiré, qu'il devait être maintenu ; à quoi l'honorable M. Nothomb répondit : « C'est également mon avis. »

Voilà ce qui s'est passé.

Ainsi, j'ai à cette époque, moi, membre de l'opposition, prêté mon appui au gouvernement, et si les délibérations avaient continué, c'eût été en présence du projet de loi. Mais le ministère a jugé qu'il y avait lieu de suspendre les délibérations de la Chambre, tout a été dit, et immédiatement le calme le plus parfait a régné dans le pays. Voilà la vérité sur cette situation.

Il reste donc bien acquis que c'est par suite d'une appréciation pleinement libre, d'élections parfaitement calmes, en l'absence de toute émotion, de toute pression quelconques, que le cabinet s'est retiré et que nous sommes arrivés au pouvoir.

M. de Decker. - La Chambre comprendra la nécessité où je me trouve de donner quelques explications relativement à l'incident qui vient d'être soulevé.

Messieurs, il est bien vrai que le ministère dont j'avais l'honneur de faire partie, s'est retiré à la suite d'une libre appréciation des élections communales du mois d'octobre 1857.

Ces élections, à la suite de l'émotion qui s'était manifestée dans le pays, avaient revêtu un caractère incontestablement politique ; elles étaient, depuis les scènes si profondément regrettables du mois de mai, la première manifestation légale de l'opinion publique.

Quoique le caractère des élections communales soit généralement tel qu'il ne faille pas y attribuer une influence directe sur la politique générale du pays, nous avons cru qu'a raison de la signification donnée exceptionnellement aux élections du mois d'octobre, il fallait y voir la manifestation de l'opinion nationale.

C'est par suite de cette appréciation que nous nous sommes retirés.

Mais, messieurs, il est inexact de prétendre que ces élections ont été précédées de quatre ou cinq mois de calme parfait ; il est, au contraire, avéré pour tous que les élections communales du mois d’octobre 1857 n'ont été que le contre-coup de l'agitation des mois de mai et de juin.

Voilà la vérité incontestable, il faut en convenir.

Si donc les scènes du mois de mai n'ont pas exercé une influence directe, ni sur les élections communales, ni sur la retraite du ministère, il est juste de reconnaître qu'elles ont exercé sur ces faits une influence indirecte incontestable.

L'honorable ministre des finances, dans les observations qu'il vient de présenter, a jugé convenable d'apprécier en quelques mots la conduite tenue par le cabinet d'alors.

Messieurs, il est fort difficile d'apprécier la conduite d'un cabinet dans des circonstances si anomales. Après coup, il est très facile de dire : Il aurait fallu faire ceci, il aurait fallu éviter cela ; l'émotion publique n'était pas aussi universelle que vous l'avez cru ; vous auriez dû maintenir les prérogatives du pouvoir et résister ; car l'honorable ministre des affaires étrangères disait tout à l'heure : « Pourquoi n'avez-vous pas résisté ? »

L'honorable ministre des finances vient lui-même d'indiquer une première et importante raison pour laquelle nous n'avons pas pu, en 1857, résister, comme le ministère paraît être décidé à résister aujourd'hui.

Aujourd'hui, il s'agit de l'émotion causée dans une seule ville, tandis qu'en 1857 l'émotion était universelle, elle avait gagné jusqu'aux derniers villages de la Belgique.

C'est un fait dont on convient généralement et qu'a reconnu tout à l'heure encore M. le ministre des finances.

Ainsi, il y avait, pour le gouvernement d'alors, un motif bien plus sérieux de préoccupation que celui que peut avoir le cabinet d'aujourd'hui.

Il faut ensuite tenir compte de la nature des questions qui étaient soulevées alors et de celles qui le sont aujourd'hui.

Il s'agissait alors d'une question essentiellement politique, passionnant les partis, d'une question de politique religieuse : très mauvais terrain pour les luttes d'un gouvernement, tandis qu'aujourd'hui vous avez devant vous une question nationale, et le gouvernement trahirait son devoir s'il ne soutenait pas, contre une seule cité, l'intérêt général du pays.

Une autre différence essentielle, c'est qu'à cette époque, il s'agissait de continuer la discussion d'une loi ; aujourd'hui vous êtes devant l'exécution d'une loi ; la loi est votée, et le gouvernement est obligé de l'exécuter avec l'appui non équivoque du parlement.

M. le ministre des finances nous a dit tout à l'heure qu'à cette époque, il n'aurait pas fallu retirer la loi.

Messieurs, la loi n'a pas été retirée ; mais il y avait impossibilité matérielle de continuer à la discuter.

Le projet de loi comprenait cent et autant d'articles ; la Chambre en avait à peine voté quelques-uns, il fallait encore le vote du Sénat ; eh bien, en présence de l’agitation extrême qui régnait partout, nous aurions été coupables au premier chef, si nous n'avions pas enrayé le mouvement de l'opinion publique en ajournant la Chambre.

(page 1244) J'ose le dire, le cabinet dont j'ai eu l'honneur de faire partie s'est conduit, dans ces difficiles circonstances, comme un gouvernement qui sent le fardeau de sa responsabilité et qui comprend les véritables intérêts du pays.

Et, lorsque plus tard, nous nous sommes retirés, nous avons cru faire encore acte de bons citoyens ; en effet, la Chambre qui nous avait portés et soutenus au pouvoir, pouvait être considérée, avec une apparence de raison, comme ne représentant plus l'opinion publique.

L'opinion publique s'était modifiée complètement dans les derniers mois. Un gouvernement intelligent, je le répète, doit tenir compte de ces modifications ; car c'est en s'appuyant sur des majorités numériques, mais qui ne représentent plus réellement l'opinion nationale, que les gouvernements se perdent.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, l'honorable M. de Decker me paraît s'être mépris sur le sens de mes observations : quelques mots qu'il vient de prononcer me le font croire.

Je n'ai pas entendu le moins du monde discuter, ni surtout incriminer sa conduite. Il n'y a eu rien de cela ni dans ma pensée, ni dans mes paroles.

J'ai répondu exclusivement aux allégations de l'honorable M. Royer de Behr.

Cet honorable membre, je ne sais à quel propos, a cru qu'il était nécessaire d'introduire dans ce débat une attaque directe contre le cabinet, à raison des circonstances dans lesquelles il est arrivé au pouvoir ; il a parlé d'agitation, d'émeutes, de pavés...

M. Royer de Behr. - On espère réussir par ce moyen.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne sais qui espère réussir par ce moyen. Mais j'ai déjà dit que pour protester contre toute violence, j'avais donné le conseil de ne point retirer le projet de loi ; j'ai répondu à l’honorable membre qu'il n'y a pas eu d'émeute...

M. B. Dumortier. - Pas eu d'émeute !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai dit qu'il y avait eu une grande et universelle agitation, des rassemblements, des actes regrettables ; mais j'ai dit qu'il n'y a pas eu d'émeute, qu'il n'y avait pas eu de pavés...

M. B. Dumortier. - Ne dénaturez pas les faits.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Laissez-moi du moins achever mes phrases !

M. B. Dumortier. - Nous ne sommes pas dans une situation d'esprit à pouvoir traiter maintenant ces questions.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne dénature pas les faits ; je rappelle des faits vrais en disant que sur aucun point du pays il n'y a eu résistance à la force publique.

Après avoir constaté cette situation, j'ai ajouté, et cela est incontestable, que pendant plusieurs mois, de mai à novembre, le pays a été parfaitement calme ; qu'il était dans un calme tel, que les ministres ont pu tranquillement voyager à l'étranger ; qu'après leur retour et après les élections du mois d'octobre, appréciant librement la situation résultant de ces élections, comme vient de le dire en termes formels l'honorable M. de Decker lui-même, le ministère s'est retiré, parce qu'il avait la conviction que le cabinet n'était plus d'accord avec le pays, que la majorité n'exprimait plus les véritables opinions du pays.

Lorsque le pouvoir nous fut offert, nous avons déclaré à la Couronne qu'à notre sens l'appel qui nous était fait n'était pas suffisamment justifié par la situation ; que le cabinet auquel on nous conviait à succéder était en pleine possession de la majorité parlementaire ; qu'il n'y avait pas pour lui de raison d'abandonner cette majorité ni le pouvoir. Mais, nonobstant nos observations, on a insisté ; les démissions ont été maintenues, et, par conséquent, nous avons été mis dans l'impossibilité de ne pas accepter le pouvoir que les ministres persistaient à abandonner.

Voilà dans quelle position nous sommes arrivés, position parfaitement régulière, normale, parlementaire, et qui ne peut en aucune façon mériter les incriminations dont nous avons été si étrangement et si injustement 'lobjet de la part de l'honorable M. Royer de Behr.

M. le président. - L'incident est clos.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Pardon, je demande la parole.

M. Nothomb. - Et moi aussi.

- Un membre. - L'incident n'est pas clos.

M. le président. - Personne n'ayant demandé la parole après M. le ministre des finances et personne n'étant inscrit, j'ai clos l'incident. Si maintenant la Chambre veut rouvrir l'incident, elle le décidera.

Je vais consulter la Chambre.

- La Chambre décide que l'incident continue.

M. Nothomb. - Messieurs, je n'avais nulle intention d'intervenir dans ce débat. Le désir d'éviter toute discussion passionnée m'en faisait un devoir impérieux, mais les paroles que vient de prononcer l'honorable ministre des finances m'obligent à sortir de cette réserve.

Il m'a mis directement en cause, la première fois à propos d'une conférence à laquelle l'honorable membre avait assisté au sujet de la discussion de la loi de la bienfaisance.

L'honorable M. Frère, je le reconnais, a pensé qu'il fallait continuer la discussion et cet avis, c'était le mien ; je l'avais vivement soutenu, et l'honorable M. Frère s'est joint à moi.

Est-ce ainsi que vous avez rappelé les faits ? Je ne suis pas sûr de vous avoir bien compris ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai déclaré que vous aviez dit comme moi, qu'il n'y avait pas lieu de retirer la loi.

M. Nothomb. - Nous sommes donc d'accord sur ce point.

M. Orts. - J'y étais aussi ; c'est parfaitement exact.

M. Nothomb. - Bien ; il m'importait de le constater formellement, mais si nous sommes d'accord sur ce fait, il en est un autre sur lequel nous sommes absolument en opposition, c'est lorsque M. le ministre des finances prétend qu'en 1857 il n'y a pas eu d'excès dans les rues, et lorsqu'il nie ce que l'on appelle les pavés de cette triste époque.

Messieurs, je n'avais jamais voulu parler jusqu'à ce jour de ce qui m'est personnel dans ces événements de 1857 ; j'y répugnais par respect pour mon pays ; mais l'insistance incroyable que M. le ministre vient de mettre à contester les violences, les brutalités dans les rues et les pavés ne me permet plus le silence.

Ces excès j'en ai été personnellement l'objet ; j'ai été injurié, poursuivi, menacé dans la rue et aux abords mêmes de cette Chambre ; ma demeure a été assaillie deux fois, en mon absence, une fois que j'étais ici, une autre fois pendant que j'étais dans le conseil du Roi. Ma famille a été menacée, et elle a dû être protégée par un employé supérieur du département de la justice, auquel je dois de la reconnaissance ; je la lui témoigne publiquement ici.

A 11 heures du soir, des cris sauvages ont été proférés sous mes croisées, et dans ma demeure on a lancé des pavés.

M. B. Dumortier. - J'étais présent à ces pavés.

M. Nothomb. - Je n'en eusse jamais parlé, sans ces imprudentes dénégations.

Et que se passait-il chez un de mes amis qui habitait le quartier d'Ixelles ? Les mêmes excès s'y produisaient.

Que s'est-il passé devant le collège Saint-Michel où la force publique a dû intervenir, où l'en a opéré des arrestations nombreuses ?

Des excès, des violences plus grandes ont troublé la rue des Ursulines.

Oubliez-vous aussi les tumultes, les vociférations devant les bureaux des journaux de notre opinion ?

Enfin l'un de nos collègues, l'un de mes meilleurs amis, l'honorable M. Coomans, a été insulté, menacé, attaqué dans son domicile. Il s'en est fallu de bien peu qu'il ne se commît chez lui un attentat irréparable.

M. Dolez. - C'était au gouvernement de faire respecter l'ordre. C'est le gouvernement d'alors que vous accusez.

M. Nothomb. - Ah ! fallait-il avoir secours à l'action rigoureuse de la force armée ?

Fallait-il répondre à ces scènes par des coups de fusil ? Fallait-il massacrer des citoyens, excités et égarés ?

- Une voix. - Il ne faut pas vous plaindre alors.

M. Nothomb. - Nous n'avons pas voulu aller jusqu'à ces extrémités.

On nous eût accusés d'introduire la guerre civile, de répandre le sang des citoyens pour sauver nos positions ; plutôt les perdre que les conserver à ce prix !

Vous parlez de coupables ! je les connais. Ce sont ceux qui provoquaient à ces manifestations, ce sont ceux qui les ont fomentées.

Les coupables, ce sont ceux qui en ont profité ; ce ne sont assurément pas ceux qui ont répondu à la violence par la modération, à d'impatientes ambitions par le désintéressement et l'abnégation.

Les coupables nous les connaissons, le pays les connaît aussi.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Il faut les nommer si vous les connaissez.

M. Nothomb. - Vous dites qu'il n'y a pas eu d'agitation depuis le mois de mai ; mais elle n'a plus cessé, elle a été en permanence dans la plupart des villes du pays.

(page 1245) Elle a commencé ici dans cette tribune, pour aboutir aux bûchers de Jemmapes.

Mais rappelez-vous donc les cris proférés ici, dans cette salle même, les clameurs devant la place du palais où nous siégeons, ce palais où l'indépendance la plus complète des délibérations avait jusque-là toujours régné ; et vous osez dire qu'il n'y a pas eu de violences, qu'il n'y a pas eu d'attentats, qu'il n'y a pas eu d'émeutes !

Vous osez donner un démenti à des faits patents, irrécusables, qui se sont accomplis sous nos yeux ! C'est trop d'audace ou trop d'oubli !

Pas d'agitation depuis le mois de mai ! Mais souvenez-vous de la situation de la ville de Gand, où l'on a mis en interdit les autorités militaires.

Rappelez-vous ce qui s'est passé à propos du brave et digne général Capiaumont, qui commandait dans cette ville et dont l'énergie y a sauvé l'ordre public !

N'a-t-il pas fallu briser un acte du conseil communal de Gand, une délibération factieuse, par un arrêté royal qui subsiste encore, mesure dont je revendique ma part de responsabilité et d'honneur, car j'y ai largement contribué !

M. Coomans. - Le général a été disgracié et puni.

M. Nothomb. - Oui, il a été sacrifié par ceux dont l'avènement, je le déclare hautement, est devant le pays et restera devant l'histoire, le produit irrégulier et le précédent à jamais dangereux de la violence dans le parlement et de la sédition dans la rue.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, voilà bientôt cinq ans que nous avons provoqué la discussion qui vient de surgir tout à coup aujourd'hui.

Dès notre entrée au pouvoir, nous avons convié nos adversaires à des débats parlementaires sur les causes qui nous avaient amenés aux affaires.

Nous n'avions pu obtenir jusqu'ici cette discussion. Il a fallu qu'un honorable membre de la droite, sans doute pour se justifier devant ses amis de l'appui qu'il apportait momentanément au cabinet...

M. Royer de Behr. - Vous êtes dans l'erreur. J'ai une indépendance suffisante pour parler librement comme je l'ai toujours fait et comme je viens de le faire encore.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Il a fallu, dis-je, qu'un honorable membre de la droite vînt, sans doute pour justifier l'appui qu'il donnait momentanément au cabinet, évoquer cette discussion qu'on croyait depuis longtemps morte ; et quel moment choisit-il pour faire naître cette discussion ? Le lendemain du jour où un de ses honorables amis, qui ne recule pas devant les discussions animées et irritantes, est venu convier la Chambre à s'abstenir, vu les circonstances, de toute espèce de débat passionné.

Or, voilà que, pour répondre à ce vœu très louable, l'honorable député de Namur, qui ne se range pas parmi les députés exagérés, vient soulever cette discussion qui devait nécessairement devenir irritante.

M. Royer de Behr. - C'était un argument.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Oui, un argument ad hominem.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - L'incident était donc tout à fait imprévu, et j'admets parfaitement, avec M. le président, qu'il n'est guère à sa place. Mais, une fois un pareil incident soulevé, il faut bien que le ministère y prenne part.

Le ministère, accusé par ses prédécesseurs d'être entré au pouvoir par des voies irrégulières et coupables, ne peut pas rester sous le poids d'une pareille accusation.

Eh bien, j'interpellerai l'honorable M. de Decker ; je lui demanderai si, après qu'il eut déposé son portefeuille, lui et ses amis, entre les mains du Roi et après que le Roi nous eut fait l'honneur de nous appeler, pour nous exposer la situation, nous n'insistâmes pas auprès de S. M. de la manière la plus explicite pour qu'Elle fit revenir auprès d'Elle les ministres démissionnaires et qu'Elle leur dit, en notre nom, qu'il n'y avait pas lieu pour eux de quitter le pouvoir, attendu qu'ils possédaient encore dans la Chambre une majorité suffisante pour les soutenir et que les hommes nouveaux, appelés à leur succéder, n'avaient pas, eux, cette majorité.

Je fais ici appel à la loyauté de l'honorable M. de Decker, et je lui demande s'il n'a pas eu à répondre à une invitation expresse de garder le pouvoir, attendu que la majorité restait acquise au cabinet démissionnaire. C'est sur le refus formel de MM. les ministres de rester au pouvoir que les hommes de la minorité y sont entrés, bien qu'ils n'eussent pas la majorité dans la Chambre.

Dans cette situation, ils ont bien dû consulter le pays sur leur origine, sur leur programme ; et c'est alors que le pays, régulièrement consulté, a rendu, avec le plus grand calme, avec la plus parfaite indépendance, un jugement qui a condamné l'ancienne majorité, l'ancien cabinet et a fourni au ministère nouveau une majorité considérable qui lui a permis, depuis bientôt cinq ans, de gérer, avec quelque succès, je pense, les affaires du pays

Cela n'a pas empêché, messieurs (non pas dans cette enceinte, car je crois que c'est la première fois que de pareilles accusations s'y produisent), cela n'a pas empêché, depuis cinq ans, l'opposition ultra-parlementaire de nous appeler le ministère de l'émeute, le ministère des pavés, le ministère des bûchers.

Messieurs, reconnaissez-le, il y a eu, pendant la discussion de la loi de la bienfaisance, loi à laquelle le pays a donné un autre nom, il y a eu, à l'occasion de cette loi, une grande agitation dans le pays et, si l'on veut, des excès fort regrettables. Mais qui est-ce qui était chargé de maintenir l'ordre dans le pays ? Qui est-ce qui était chargé de réprimer les excès ? Etait-ce, par hasard, l'opposition, ou était-ce le chef de la sûreté publique, le ministre de la justice ? Comment ! l'honorable M. Nothomb vient signaler ici des actes condamnables qui auraient été commis pendant qu'il était ministre de la justice, il nous dit que des pavés ont été lancés dans sa demeure, que des menaces ont été adressées à sa personne ; mais qu'a donc fait le pouvoir à cette époque ?

Le devoir du gouvernement était de réprimer les désordres. (Interruption.)

M. H. Dumortier. - Ce devoir incombait au chef de' l'administration communale.

M. Orts. - Je demande la parole.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Toutefois, si je ne me trompe, on n'a pas reculé, par la pensée du moins, devant des moyens très rigoureux de mettre fin à ces émeutes.

Qu'on ne vienne donc pas nous accuser ici de la faiblesse qu'on a montrée à cette époque. C'était au gouvernement d'alors à maintenir l'ordre, à mettre fin aux émeutes ; et la tâche, messieurs, n'eût pas été difficile. Cette tâche, nous ne craignons pas de le dire, nous saurions la remplir si, ce qu'à Dieu ne plaise ! les mêmes circonstances se reproduisaient ; et je crois que nous n'aurions pas de grands efforts à faire pour ramener le calme dans les esprits.

Mais on n'a rien fait ; on a cru utile de suspendre tout à coup les travaux de la Chambre. La Chambre a été ajournée, et puis, que s'est-il passé ? On vient dire que l'émeute a continué dans le pays.

M. Nothomb. - L'agitation !

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Eh bien, je dis que vous avez été doublement coupables ; car au lieu de combattre l'émeute, vous êtes allés, vous anciens ministres de la justice et de l'intérieur, vous êtes allés vous promener en Italie et en Suisse.

Voilà ce que vous faisiez pendant que, selon vous, l'émeute régnait dans le pays et le gouvernait. (Interruption.)

M. de Decker. - L'émeute, non ; mais l'agitation.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Est-il vrai que l'honorable M. de Decker a fait alors un voyage en Suisse ?

M. de Decker. - Sans doute ; serait-ce un reproche, par hasard ?

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Evidemment non : cela prouve tout simplement que vous aviez besoin de repos ; mais ne venez donc pas dire que l'émeute régnait alors dans le pays, car vous seriez inexcusable de l'avoir quitté en le laissant dans cette situation.

M. de Decker. - Encore une fois, il n'y avait plus d'émeute alors, mais un reste d'agitation.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Une agitation morale.

M. H. Dumortier. - C'était au bourgmestre de Bruxelles, à l'autorité municipale qu'incombait le devoir de maintenir l'ordre. .

M. le président. - M. Dumortier, je vous invite à ne plus interrompre.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je reconnais que la police appartient d’abord à l'autorité locale ; mais je constate que cette agitation, à laquelle on prétend que le pays était livré, était si peu importante que des ministres quittent dans ce moment le pays, que pendant les mois de juin, juillet, août et septembre le pays est resté parfaitement calme, et que les élections communales du mois d'octobre se sont faites dans le plus grand ordre.

Sans doute, il y avait de l'agitation dans le pays ; mais c'était une agitation purement morale. Le pays, je le reconnais, n'était pas devenu tout à coup partisan de votre loi, le pays ne s'était pas converti ; il a continué (page 1246) de trouver votre loi fort mauvaise ; mais il est resté parfaitement calme, quoiqu'il fût contraire à votre politique.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et il a fait deux fois des élections très calmes.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Vous avez cru devoir vous retirer devant les élections communales ; eh bien, nous n’avons pas cru que votre retraite eût lieu à propos ; nous ne pensions pas que le ministère dût se retirer devant les élections communales. Vous avez cédé la place à d'autres, et depuis lors il n'est pas de reproche qu’on ne nous ait adressé parce que nous sommes venus vous remplacer. Vous avez abandonné vos sièges, malgré nos instances pour que vous y restassiez ; nous sommes arrivés, nous avons vécu ; voilà notre crime ; voilà ce qu'on ne peut pas nous pardonner ; on ne peut pas supporter philosophiquement le fait d'avoir été renversé du pouvoir. De là, messieurs, les injures dont on ne cesse d'accabler le ministère actuel.

M. Nothomb. - Nous n'en avons pas dit un seul mot.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Vous et vos amis, vous n'avez pas su vous soumettre à ce jeu nécessaire, inévitable, de nos institutions parlementaires.

M. de Decker. - C'est une erreur, nous nous sommes parfaitement soumis.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Quant à nous, messieurs, si de semblables circonstances se présentaient, nous ferions notre devoir comme nous le faisons aujourd’hui à l'occasion de faits qui se passent ailleurs et qui n'ont pas, d'ailleurs, la moindre analogie avec les événements de 1857.

M. H. Dumortier. - Cette promesse ne sera pas difficile à tenir, puisque nous ne faisons pas faire d'émeutes, nous.

M. Orts. - J'ai demandé la parole lorsque j'ai entendu à plusieurs reprises, avec insistance, incriminer, par un membre de la droite, la conduite tenue en 1857, lors des déplorables excès dont nous nous occupons, par le chef de l'administration communale de Bruxelles à cette époque, par l'honorable M. Ch. de Brouckere. C'est sur lui que l'honorable M. Henri Dumortier veut rejeter la responsabilité des événements qui se sont produits à Bruxelles.

L'honorable M. Ch. de Brouckere, dont j'étais l'ami et le collègue, et qui n’est plus aujourd'hui pour se défendre, doit être défendu.

Tous, messieurs, vous vous souvenez de l'énergie de caractère, signe distinctif de cette haute personnalité politique. Vous savez qu'il était homme de tête, homme de résolution et de courage. Vous savez aussi qu'il était homme d'ordre. Le souvenir de ces grandes qualités chez cet ancien collègue, aurait dû le protéger contre l'injuste insinuation dont il a été l'objet.

J'avais, à cette époque déjà, l'honneur d'être membre du conseil communal de Bruxelles, où je siégeais à côté de l'honorable M. Ch. de Brouckere. Je puis donc affirmer qu'après les événements du mois de mai 1857, il ne s'est élevé, de la part d'aucune des autorités qui ont le contrôle de l'exécution de la police municipale entre les mains du bourgmestre, aucun reproche, aucune récrimination contre la part qu'avait prise cet honorable magistrat dans la répression des événements scandaleux de 1857. Toutes alors ont reconnu que l'honorable M. Ch. de Brouckere avait fait son devoir, et je trouve détestable qu'on profite, après un intervalle de cinq années, du moment où il n'est plus, pour produire ici pareille accusation.

M. H. Dumortier. - Je demande la parole.

M. Orts. - Ni M. le ministre de la justice de cette époque, ni M. le ministre de l'intérieur, ici présents, ne viendront dire qu'ils ont blâmé la conduite du chef de la police municipale de Bruxelles. La police municipale de Bruxelles, l'honorable M. Nothomb vous le rappelait tout à l'heure, a réprimé énergiquement les scènes qui se sont produites un soir rue des Ursulines.

M. Nothomb. - Il y a eu, si je me souviens bien, près de 80 individus arrêtés.

M. Orts. - De nombreuses arrestations ont été faites par la police locale. Je remercie l'honorable ancien ministre de m'en dire le chiffre exact.

Je le sais, l'honorable bourgmestre de Bruxelles n'a pas pu empêcher les tribunes de la Chambre de se livrer à des excès. L'honorable bourgmestre n'a pas pu empêcher que l'émeute ne vînt jusqu'au seuil de cette enceinte. L'honorable bourgmestre n'a pas pu débarrasser les abords de la Chambre de la foule qui grondait aux portes après l'évacuation des tribunes. Oui, je le sais. Mais pourquoi ? Parce que ce n'était pas son droit d'intervenir. La police de la Chambre est dans le domaine exclusif de son président, et ce n'était que sur les réquisitions du président que la force publique pouvait intervenir.

M. H. Dumortier. - Il l'a requise.

M. Orts. - Il l'a requise ! Je vais vous rappeler les faits. J'avais à cette époque l'honneur de faire partie du bureau ; j'en étais le second vice-président.

Immédiatement après l'évacuation des tribunes, je me suis adressé au président pendant la suspension de la séance ; je lui ai dit que la foule s'assemblait aux portes du palais législatif, qu'elle menaçait, et je lui ai offert, s'il voulait m'en donner l'ordre écrit, d'aller requérir moi-même, à l'hôtel de ville, l'intervention de la police municipale. M. le président a refusé en disant qu'il n'était pas temps.

Voilà pourquoi l'autorité municipale n'est pas intervenue. Et lorsque, quelques minutes plus tard, au moment de notre séparation, la foule se précipitait au bas de l'escalier du palais législatif pour l'envahir, deux hommes se sont présentés à elle et l'ont fait reculer : c'étaient les deux membres du bureau qui appartenaient à la minorité : l'honorable comte de Baillet et moi. Nous seuls, nous avons agi.

Maintenant jugez de la valeur des accusations que s'est permises l'honorable M. Henri Dumortier, et puisqu'on a parlé de coupables, permettez-moi un dernier mot.

Plus que personne, je blâme, je regrette les excès de 1857. Je les ai énergiquement blâmés, lorsque sorti le premier de cette enceinte, en mai 1857, je me suis le premier trouvé au milieu de ceux qui l'entouraient. Je le fais encore aujourd'hui, après cinq années, avec d'autres qui, en 1857, ne le faisaient pas avec moi.

Les coupables de ces excès, dit-on, ce sont ceux qui en ont profité ; ce sont d'autres qu'on n'a pas nommés. Je vais les nommer, moi, ces coupables.

Les coupables des violences du peuple, justement irrité, ce sont les ministres, c'est la majorité qui, lorsqu'ils ne représentaient plus les sentiments du pays, lui jetaient à la face le plus audacieux défi qui ait jamais été jeté à la face d'une nation, froissant ses sentiments les plus intimes et les plus vivaces ; les coupables, c'est le ministère, c'est la majorité souffletant en face la Belgique du plus insolent défi qu'un parti, qu'un ministère quelconque ait osé lui infliger depuis dix-huit cent trente.

M. Vilain XIIII. - M. le ministre des affaires étrangères vient de reprocher à l'ancien ministère d'avoir donné sa démission hors de propos.

Voici pourquoi j'ai donné ma démission.

Le ministère avait présenté un projet de loi important ; il en avait fait mention dans son programme en arrivant au ministère. Pendant la discussion, il en avait fait une question de cabinet.

Ce projet de loi important avait excité une agitation générale dans le pays. L'opposition nous invitait à retirer le projet. La majorité, dans un manifeste célèbre, avait déclaré qu'à la rentrée de la Chambre elle demanderait le retrait du projet de loi. L'unanimité de la représentation nationale était donc pour le retrait du projet de loi.

Or, je demanderai à M. le ministre des affaires étrangères s'il consentirait à venir retirer un projet de loi de la même main qui l'aurait présenté ? Ce serait pour un homme politique la position la moins digne qu'on puisse imaginer.

Oui, j’étais d'avis aussi que le projet devait être retiré, mais par la main d'autres que ceux qui l'avaient présenté. Oui, j'ai dit aussi qu'il fallait retirer le projet de loi, mais qu'il fallait remplacer le ministère par un autre ministère pris dans la majorité, et dont le premier acte eût été de retirer le projet de loi. Tel fut constamment mon langage à mes collègues et à la couronne.

Voilà pourquoi je me suis retiré.

M. H. Dumortier. - Messieurs, je ne veux pas prolonger cette pénible discussion ; mais je ne laisserai pas passer sans réponse la philippique que vient de prononcer M. Orts.

Je n'ai, ni personnellement, ni spécialement incriminé, la conduite de M. Charles de Brouckere, bourgmestre de Bruxelles à l'époque des émeutes du mois de mai 1857.

J'ai dit, et je répète, qu'à cette époque plusieurs autorités communales se sont montrées faibles, pour ne rien dire de plus, contre l'émeute, et que cependant, aux termes de nos lois, c'était l'autorité communale et non le ministère qui devait agir pour faire respecter l'ordre et requérir la force armée, au besoin.

Après les événements aussi tristes que graves du mois de mai 1857, chacun a dû porter la responsabilité de sa conduite ; et dans l'intérêt de la vérité, nous avons le droit d'évoquer ici les morts comme de faire comparaître les vivants à la barre de cette Chambre, afin qu'on les juge et qu'on discute leurs actes devant l'histoire et devant le pays.

L'honorable M. Orts a dit que M. Charles de Brouckere n'a pas été (page 1247) invité par le président de la Chambre ù faire respecter l'ordre dans les rues et sauvegarder la dignité du parlement.

J'affirme que le président de la Chambre d'alors a écrit à M. le bourgmestre de Bruxelles, en temps utile, pour l'informer de ce qui se passait et le requérir de prendre les mesures nécessaires pour faire respecter la Chambre et pour empêcher les désordres dans la rue.

J'ai, à cet égard, non seulement une conviction complète, mais des preuves ; et je ne permettrai pas à l'honorable M. Orts de me donner un démenti.

M. Orts. - L'honorable M. H. Dumortier ne doit pas s'attendre le moins du monde à recevoir de moi un démenti sur un fait qui est à ma connaissance et qui est parfaitement exact. J'ai dit que le premier jour où en 1857, l'ordre de nos séances a été troublé, le président n'a pas jugé à propos de requérir l'intervention de la police ; il l'a requise plus tard, mais aussi l'honorable M. H. Dumortier doit reconnaître que le lendemain il n'y a plus eu le moindre désordre à la Chambre.

M. le président. - Si personne ne demande plus la parole, je déclarerai l'incident définitivement clos.

L'incident est clos.

La Chambre a mis à l'ordre du jour de mardi le Code pénal ; est-elle d'avis d'interrompre la discussion actuelle ?

- De toutes parts. - Non ! non !

M. le président. - Ainsi, mardi continuation de la discussion sur les pétitions d'Anvers.

L'amendement suivant a été déposé sur le bureau :

« La Chambre,

« Considérant qu'il y a lieu de soumettre à l'examen d'une commission (dans laquelle la Chambre sera représentée par plusieurs de ses membres) la question de savoir si le système des fortifications que l'on exécute à Anvers ne pourrait être modifié, en éloignant ou faisant disparaître les citadelles, de manière à mieux concilier les intérêts de la ville et du commerce avec ceux de la défense nationale,

« Renvoie les pétitions à M. le ministre de la guerre et à M. le ministre de l'intérieur.

« Em. de Gottal, J.-Franç. Loos, D. Vervoort, H. de Boe. »

Cet amendement sera imprimé et distribué.

- La séance est levée à 5 heures et un quart.