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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 6 mai 1862

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page 1183) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Thienpont, secrétaire., fait l'appel nominal, à deux heures et un quart.

M. de Boe, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont, secrétaire., présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Les membres du conseil communal de Deurne demandent qu'il soit accordé une indemnité aux propriétaires de terrains frappés de servitudes militaires, ou que le gouvernement se rende acquéreur de ces propriétés. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs habitants d'Anvers, membres de l'association libérale et constitutionnelle de cette ville, prient la Chambre de décréter : 1° que l'Etat doit indemniser les propriétaires des terrains grevés de servitudes militaires par suite des nouvelles fortifications établies autour de cette ville ; 2° qu'aucune servitude militaire ne peut être établie dans l'intérieur des villes et que celles qui pourraient exister sont supprimées ; 3° que les deux citadelles placées au nord et au sud d'Anvers seront détruites immédiatement. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal d'Anvers demande la démolition des deux citadelles qui menacent cette ville. »

- Même renvoi.


« La dame Bovie présente des observations contre l'application faite par la commune de Saint-Josse-ten-Noode, de la loi sur l'assainissement des quartiers insalubres et réclame l'intervention de la Chambre pour être maintenue dans la propriété de la zone qu'on veut lui enlever. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des pétitions relatives à la loi sur l'assainissement des quartiers insalubres.


« Le sieur Van Hoorde T'Serstevens soumet à la Chambre un travail extrait de la Revue de l’administration et du droit administratif de la Belgique, dans lequel, dès 1859, étaient signalés les inconvénients auxquels aurait prêté la loi sur l'expropriation pour cause d'assainissement des quartiers insalubres. »

- Même décision.


« Des habitants et propriétaires à Schaerbeek présentent des observations contre la pétition relative à l'application de la loi sur l'assainissement des quartiers insalubres. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la pétition qu'elle concerne.


« Les membres de l'administration communale et des habitants de Laroche demandent que le chemin de fer projeté pour la vallée de l'Ourthe passe par Laroche ou près de cette ville ou du moins qu'il soit établi un embranchement de Hotton jusqu'à Laroche. »

-Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Bloudot demande une loi sur la responsabilité ministérielle. »

- Même renvoi.


« Le sieur Peinte demande que son fils Ferdinand, milicien de la levée de 1862, soit exempté du service ou qu'on lui accorde un congé illimité. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Forchies-la-Marche demande l'exécution du chemin de fer concédé de Baume à Marchienne-au-Pont. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Lierre prie la Chambre d'accorder à la compagnie Missale-Vifquin la concession d'un chemin de fer de Lierre à Aerschot. »

« Même demande des membres du conseil communal et d'habitants de Boisschot. »

- Même renvoi.


« La veuve Evenepoel réclame l'intervention de la Chambre pour que son fils Anselme, milicien de la levée de 1801, soit exempté du service militaire. »

- Même renvoi.


« Des propriétaires, cultivateurs et industriels à Eghezée demandent la suppression des barrières. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Hever demande des modifications à la loi du 18 février 1845, relative au domicile de secours. »

« Même demande des conseils communaux de Haecht, Waerbeke, Dendenwindeke, Werchter, Ninove, Warnaut-Dreye. »

- Même renvoi.


« Des propriétaires de bois à Tournai et Longlier demandent que le gouvernement oblige la compagnie du chemin de fer du Luxembourg à indemniser convenablement les propriétaires et à prendre des mesures pour que ses locomotives ne puissent occasionner des incendies sur leur passage. »

- Même renvoi.

« Des échevins, membres du bureau de bienfaisance et répartiteurs à Clercken se plaignent que l'administration impose à l'école des pauvres de cette commune une patente de fabrication de la dentelle. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Calmphout demandent qu'il soit pris des mesures pour éviter les dangers que peuvent occasionner les essais de canons au camp de Brasschaet. »

- Même renvoi.


« Les administrations communales de Waha, Roy, Hodister, Halleux, Laroche et Marche demandent que le chemin de grande communication de Marche à Laroche soit repris par l'Etat. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Willersies demandent la révision du règlement relatif au mariage des commis des accises et des préposés des douanes. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Tavigny demandent la construction du chemin de fer projeté de Spa vers le grand-duché de Luxembourg. »

« Même demande des membres du conseil communal et d'habitants de Limerlé, Witry, Cherain et Vielsalm. »

- Même renvoi.

M. d’Hoffschmidt. - Je demande que la commission soit invitée à faire un prompt rapport sur cette pétition.

- Adopté.


« Les brigadiers et gardes forestiers du cantonnement de Bouillon demandent une augmentation de traitement. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Frameries prient la Chambre d'autoriser la concession du chemin de fer de Frameries à Chimay, projeté par le sieur du Pré. »

« Même demande des membres du conseil communal et d'habitants de Rouveroy-Leugnies. »

- Même renvoi.


« L'administration communale de Termonde demande la création par l'Etat d'un établissement où seraient placés les sourds-muets dont l'instruction et l'entretien incombent à la commune. »

- Même renvoi.


. L'administration communale de Bourg-Léopold propose de réviser la disposition de la loi sur la milice relative à la répartition du contingent. »

- Même renvoi.


« Le sieur Uytterhaegen prie la Chambre de statuer sur sa demande, tendante à obtenir un emploi. »

- Même renvoi.


« Le sieur Alphonse Lefèvre, caporal au régiment des carabiniers, demande à recouvrer la qualité de belge qu'il a perdue en prenant du service à l'étranger. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur Farineau, professeur à Gand, demande la naturalisation ordinaire. »

- Même renvoi.


« Le sieur Louis Craus, cultivateur à Grimberghen, né dans cette commune, demande la naturalisation ordinaire pour lui et ses enfants, avec exemption du droit d'enregistrement. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal et des habitants de Beeringen demandent que le chemin de fer projeté de Hasselt à Eyndhoven passe par le canton de Beeringen et Bourg-Léopold. »

(page 1184) « Même demande du conseil communal et d'habitants de Bourg-Léopold. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des pétitions relatives à ce chemin de fer.


« Le sieur Vandam demande la révision de l'article de la Constitution qui déclare Bruxelles la capitale de la Belgique. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres de l'administration communale et des habitants de Zolder prient la Chambre d'accorder au sieur Missale-Vifquin, la concession d'un chemin de fer de Hasselt à Eyndhoven. »

« Même demande des membres de l'administration communale et d'habitants de Quaedmechelen, Coursel, Heusden, Lommel. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des pétitions relatives à ce chemin de fer.


« Par dépêche du 14 avril, M. le ministre des finances transmet des explications sur la pétition du sieur Berlier ayant pour but de faire exempter du droit sur les successions les biens possédés par les Belges à l'étranger. »

- Dépôt au bureau des renseignements.


« Par messages des 2 et 5 mai, le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté :

« 1° Le projet de loi qui autorise le gouvernement à faire, à concurrence d'une somme de cinq millions de fr., des payements à valoir sur les travaux repris à l'article premier, paragraphe premier, de la loi du 8 septembre 1859.

« 2° Le projet de loi contenant le budget du ministère des affaires étrangères pour l'exercice 1862. »

- Pris pour information.


« M. le ministre de la justice transmet à la Chambre, avec les pièces de l'instruction, six demandes de naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Il est fait hommage à la Chambre :

« 1° Par M. le ministre de l'intérieur de 117 exemplaires du tome premier du Bulletin du conseil supérieur de l'industrie et du commerce.

« 2°Par la chambre de commerce d'Arlon, de deux exemplaires de son rapport général pour l'année 1861 ;

« 3° Par M. de Noël, de quelques poésies, dédiées à S. M. le Roi. »

- Distribution aux membres, et dépôt à la bibliothèque.


« M. de Mérode-Westerloo, empêché par la mort de sa mère, demande un congé. »

« MM. Beeckman, de Liedekerke, de Paul et de Terbecq, retenus pour indisposition, demandent un congé. »

- Ces congés sont accordés.


« M. le ministre de l'intérieur transmet, avec les pièces à l'appui, les procès-verbaux des opérations qui ont eu lieu à Tournai, le 15 avril, pour l'élection d'un représentant. »

Il est procédé au tirage au sort de la commission chargée de vérifier les pouvoirs du nouvel élu ; elle se compose de MM. Julliot, Rodenbach, Landeloos, d'Ursel, Ch. Lebeau, B. Dumortier et Kervyn de Volkarsbeke.


Il est procédé au tirage au sort des sections de mai.

Rapport de pétitions

Pétitions relatives à a loi sur l’assainissement des quartiers insalubres

M. le président. - La commission conclut au renvoi de ces pétitions à M. le ministre de l'intérieur avec demande d'explications.

M. B. Dumortier a proposé l'amendement suivant :

« La Chambre, considérant que la loi du 1er juillet 1858 n'est relative qu'à l'assainissement et non à l'embellissement, ordonne le renvoi à M. le ministre de l'intérieur. »

M. Van Humbeeck. - Messieurs, comme je l'ai déclaré dans une séance précédente, il est impossible, dans l'état actuel de la question, de se préoccuper avec quelque détail des griefs spéciaux produits par les pétitionnaires.

Nous manquons de données sur la nature des plans critiqués ; nous ne connaissons nullement les intentions du gouvernement à leur égard.

Mais on peut placer utilement dans cette discussion quelques considérations générales sur les principes qui doivent présider à l'exécution de la loi, sur les irrégularités qui ont pu être signalées dans le passé lorsqu'il s'est agi de son application.

Je ne viens pas, messieurs, combattre en principe la loi de 1858. Ce principe est, au contraire, excellent ; comme il a été dit dans la discussion de cette loi, les questions d'assainissement sont à la fois des questions d'hygiène et des questions de moralité ; par conséquent des questions d'intérêt public.

Loin donc de vouloir critiquer les dispositions adoptées par la législature, il y a quelques années, je m'en déclare le partisan déterminé ; mais si le principe consacré dans cette disposition est excellent, il n'en est pas moins exceptionnel ; c'est pour cela qu'il faut se garder de le compromettre en lui donnant, dans l'application, une extension qu'il ne comporte pas.

M. le ministre des affaires étrangères disait, dans une des séances que la Chambre a déjà consacrées à ces pétitions, qu'il faut plutôt encourager les communes que les arrêter dans leur essor. M. le ministre des affaires étrangères avait raison ; lorsqu'on appliquera la loi de 1858, dans sa portée véritable, les communes auront encore à lutter contre de grandes difficultés, difficultés moindres toutefois que sous la loi de 1835.

Mais, allant trop loin dans l'interprétation de la loi de 1858, les communes se sont imaginé que, grâce à cette loi, elles allaient se trouver débarrassées de toute difficulté financière lorsqu'il s'agirait de grands travaux publics.

D'après le but de cette loi, c'est surtout dans les quartiers où la population ouvrière se trouve entassée dans des habitations trop agglomérées et trop restreintes ; c'est surtout dans les quartiers où manquent l'air et la lumière, que ces dispositions doivent recevoir leur application.

Dans de pareils cas, voici ce qui doit naturellement se produire : les communes auront à exproprier et les terrains et les constructions qui les recouvrent ; lorsqu'il s'agira de revendre les parcelles qui ne serviront pas à la création de voies nouvelles, le seul bénéfice possible portera sur la plus-value des terrains ; il sera très rares que cette plus-value des terrains dépasse ce qui aura été primitivement payé pour l'acquisition des constructions qui couvraient primitivement ces mêmes terrains.

On se trouvera donc encore devant des difficultés très grandes, je le répète, quoique moindres que celles qui existaient sous l’empire de la loi de 1835.

Pour éviter les difficultés au lieu de les aborder franchement, on a voulu créer des travaux prétendus d'assainissement dans des quartiers où il y avait de l'air et de la lumière en abondance. On s'est mis à côté de la loi.

Ce fait s'est produit aux portes de Bruxelles, lorsqu'il s'est agi du prolongement de la rue Marie-Thérèse.

C'est là surtout qu'on a voulu répandre l'air et la lumière dans des localités où l'air et la lumière existaient. Il y avait là de vastes jardins anglais, provenant d'anciennes maisons de campagne aujourd'hui englobées dans le faubourg. On s'est imaginé, en présentant une nécessité d'assainissement, de tracer au milieu de ces jardins anglais une rue qui sera couverte, des deux côtes, d'hôtels somptueux, faisant suite à l'agglomération du quartier Léopold.

C'est ce fait qui a déjà autrefois donné lieu à des explications au sein de cette Chambre. On s'est demandé, dans cette enceinte, comment on voulait faire application de la loi de 1858 à un quartier dans lequel se trouvaient de rares constructions, parmi lesquelles aucune habitation insalubre, et alors qu'il ne s'agissait pas de disposer des terrains excédants pour y faire des habitations destinées à la classe ouvrière.

La propriété a été un moment, il faut le dire, grandement alarmée ; on a redouté que la loi de 1858, vînt inaugurer un système arbitraire, presque révoltant.

L'impression de cette émotion s'est perpétuée jusqu'aujourd'hui, j'en suis convaincu ; elle a inspiré aux pétitionnaires les réclamations sur lesquelles la Chambre est appelée à statuer en ce moment.

M. le ministre de l'intérieur, aujourd'hui ministre des affaires étrangères, lançait à cette époque une circulaire dans laquelle il expliquait les principes qui, d’après lui, doivent servir de guide au gouvernement dans l'application de la loi de 1858.

Il disait :

« L'extension que la loi donne à cet effet au droit d'expropriation trouve sa justification dans la nécessité, non contestée, de favoriser par des moyens exceptionnels l'assainissement des rues et des quartiers insalubres, spécialement dans les grands centres de population. »

Et plus loin :

« Ainsi que je l'ai dit dans ma circulaire du 23 août 1858, le but de la loi est de faciliter, par une large application du principe de l'expropriation pour cause d'utilité publique, l'exécution de certains travaux communaux qui, tels que l'ouverture de rues nouvelles, le redressement ou l'élargissement de rues existantes, la formation de places publiques, etc. (page 1185) sont indispensables pour assainir des quartiers insalubres, en y faisant pénétrer l'air et la lumière, »

Ces principes rappelés dans les deux passages de la circulaire que je viens de vous citer sont les principes véritables. Je les rappelais moi-même tout à l'heure en d'autres termes. Mais précisément ces principes renferment la plus vive critique de l'arrêté auquel j'ai déjà fait allusion.

Cet arrêté, je ne veux pas le blâmer d'une manière trop vive ; lorsque surtout une loi est appliquée pour la première fois, il faut être indulgent pour les erreurs.

Mais le précédent, d'après moi, pourrait compromettre le sort de la loi de 1858, tandis qu'en restreignant le principe dans les limites pour lesquelles il a été consacré, on peut en trouver des applications précieuses non seulement pour les grands centres de population, mais encore pour toutes les autres localités, où habitent des populations ouvrières.

C'est donc, messieurs, une première considération à ne jamais perdre de vue, qu'il faut, pour sauvegarder le principe même de la loi de 1858, procéder dans l'application avec une grande prudence, une grande circonspection.

La première protection à laquelle les propriétaires ont droit, c'est que la loi de 1858 soit restreinte à son but.

Maintenant quelles précautions trouvons-nous dans la loi pour qu'elle ne puisse être détournée de son but ? Elles se réduisent à fort peu de chose ; je crois cependant qu'elles seraient suffisantes, mais à la condition de s'y renfermer strictement. C'est ce qui n'a pas eu lieu dans le passé.

La loi de 1858 exige que les lieux où l'on prétend que les travaux d'assainissement sont nécessaires, soient visités par une commission de 5 membres.

Lorsqu'il s'est agi du prolongement de la rue Marie-Thérèse, la commission de 5 membres a été nommée par la députation permanente, mais la visite des lieux a été faite par 4 membres de cette commission seulement.

Le cinquième s'est rendu isolément sur les lieux et a ensuite déclaré qu'il adhérait à l'appréciation de ses collègues.

Lorsqu'il s'est agi d'émettre un avis définitif et de rédiger le rapport, encore une fois quatre membres seulement de la commission ont délibéré, et de ces quatre membres, il en est un qui s'est prononcé contre le projet. Un autre, je le répète, était absent. Enfin, un membre de cette commission était presque directement intéressé à l'adoption du projet.

Ceci, messieurs, m'amène à rappeler un point du rapport de la section centrale rédigé en 1858 par l'honorable M. de Brouckere.

Cet honorable membre insistait sur la nécessité de ne composer la commission que de membres qui échapperaient à toute influence de localité.

Il serait bon de rappeler ce point à l'attention des députations permanentes chargées de nommer ces commissions.

Dans la question du prolongement de la rue Marie-Thérèse, siégeait, parmi les membres chargés d'examiner le projet, un propriétaire possédant deux maisons précisément à l'endroit où la nouvelle rue à créer devait déboucher.

C'était là un intérêt évident.

Ce propriétaire est un homme d'une probité incontestable ; mais, vous le savez, messieurs, les intérêts dans une cause font suspecter les consciences qu'on suspecterait le moins en toute autre occasion ; le magistrat le plus irréprochable, le plus considéré est entaché d'une légitime suspicion une fois que dans une contestation judiciaire il a le moindre intérêt.

Là où il s'agit de statuer d'une manière exceptionnelle sur le sort de la propriété, je crois que les garanties doivent être les mêmes et qu'on ne peut prendre à cet égard assez de précautions.

Il y a encore un autre abus qui s'est produit dans cette première application de la loi et sur lequel je prends la confiance d'appeler l'attention du gouvernement.

D'après la loi de 1858, l'arrêté qui autorise l'expropriation pour cause d'assainissement par zones doit statuer en même temps sur le mode de revente des terrains non compris dans les voies nouvelles à créer. L'arrêté royal qui a décrété le prolongement de la rue Marie-Thérèse ne contient pas de disposition semblable : le dernier article de cet arrêté dit simplement que le gouvernement statuera par une disposition ultérieure sur la manière dont les excédants de terrains seront revendus. Messieurs, cela est contraire au texte de la loi de 1858, et cette manière de procéder peut, dans certains cas, être préjudiciable aux propriétés.

Vous voyez, messieurs, qu'il est nécessaire de conserver à la loi de 1858 le but dans lequel elle a été portée ; vous voyez aussi que cette loi exige certaines garanties qui n'ont rien d'exagéré, et que ces garanties n'ont pas été respectées toujours en entier.

J'appelle sur ce point l'attention du gouvernement. Les tribunaux sont en ce moment saisis de la question de savoir jusqu'à quel point l'oubli de ces garanties peut influer sur la validité des actes administratifs.

C'est un point dont il ne m'est pas permis d'entretenir maintenant la Chambre. C'est pourquoi je me borne aux observations que je viens de présenter.

M. Guillery. - Par suite des déclarations faites, dans la dernière séance, par M. le ministre de l'intérieur, je pense qu'il n'y a pas lieu de prolonger cette discussion, D'abord, il paraît que les faits sur lesquels les pétitionnaires se sont appuyés n'existent pas encore ou n'existent plus ; la discussion manquerait donc de base ; ensuite, d'après les principes que M. le ministre de l'intérieur a annoncé l'intention d'appliquer, principes qui me semblent conformes à la saine interprétation de la loi, conformes à ce que demandent les pétitionnaires ; tout débat sur cet objet serait maintenant tout à fait sans objet.

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Tournai

M. Landeloos. - Messieurs, votre commission chargée d'examiner les procès-verbaux de l'élection qui a eu lieu récemment dans l'arrondissement de Tournai, a constaté que 1,189 électeurs ont pris part à cette élection.

Il y a eu 54 bulletins blancs ou contenant des suffrages nuls ; il est donc resté 1,135 votes valables ; et la majorité absolue était de 568. M. Louis-Joseph Dupret, conseiller communal à Tournai, a obtenu 1,106 suffrages et a été proclamé, par conséquent, membre de la Chambre des représentants. La commission a constaté que toutes les formalités exigées par la loi électorale ont été observées. D'un autre côté, M. Louis-Joseph Dupret a établi ses droits à l'indigénat.

Votre commission a donc l'honneur, messieurs, de vous proposer son admission comme membre de la Chambre.

- Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.

M. Louis-Joseph Dupret est introduit et prête serment.

Rapport de pétitions

Pétitions relatives à a loi sur l’assainissement des quartiers insalubres

M. de Renesse. - Messieurs, la discussion qui a eu lieu à la Chambre, avant les vacances de Pâques, à la séance du 8 avril dernier, sur le rapport de la commission des pétitions, concernant les réclamations de quelques habitants de Schaerbeek et de Saint-Josse-ten-Noode contre l'abus que l'on voudrait faire de la loi du 1er juillet 1858, sur l'expropriation pour assainissement des propriétés réputées insalubres, paraît avoir eu un certain retentissement, surtout à Schaerbeek, où une nouvelle proposition a été faite au conseil communal, pour parvenir, par d'autres moyens, à l'expropriation de la propriété Eenens.

Parce que cette famille défend, conformément à son bon droit et à la garantie constitutionnelle, sa propriété contre la fausse application d'une loi, l'on semble maintenant vouloir chercher d'autres expédients pour parvenir à son expropriation forcée.

D'après le Bulletin communal de Schaerbeek, relatant la séance du ler avril dernier, un rapport a été présenté audit conseil communal, par un honorable conseiller ; il s'agissait d’exproprier en partie la propriété Eenens, pour y bâtir des écoles communales ; l'on ne parle plus dans ce rapport d'appliquer à une partie de cette propriété la loi pour l'assainissement des quartiers insalubres ; mais l'on y fait ressortir « qu'en construisant des écoles sur le terrain de la famille Eenens, la troisième partie de notre rapport du 6 janvier dernier (Bulletin communal, page 6), concernant le percement et l'élargissement de la rue de la Poste vers la rue des Palais, se trouverait considérablement simplifié ; et de plus, de bien grandes difficultés d'exécution seraient aplanies. »

Pour réaliser aussi promptement que possible cet utile travail, la section des travaux dudit conseil demande d'autoriser le collège de faire des diligences aux fins d'exproprier pour cause d'utilité publique, aux termes de la loi du 17 avril 1835, le terrain ci-dessus désigné.

S'il y avait réellement nécessité de construire de nouvelles maisons d'école à Schaerbeek, pourquoi vouloir à toute force exproprier de préférence la propriété Eenens qui, outre la maison d'habitation, contient plusieurs autres bâtiments, lorsque tout contre cette propriété se trouvent des terrains non bâtis, très vastes et disponibles ; par conséquent, plus propres à bâtir des écoles que celle de la famille Eenens qui est effectivement une propriété d'affection, où sans doute l’un ou l'autre membre de cette famille, actuellement au service militaire, habiterait lui-même s'il se trouvait en garnison à Bruxelles ou s'il était mis à la retraite.

L'administration communale de Schaerbeek, dans sa requête à la (page 1186) Chambre, déclare « qu'elle n'a jamais eu la pensée de provoquer l'application de la loi sur l'assainissement des quartiers insalubres, qu'à la partie de la propriété de la famille Eenens, venant à front à la ruelle dite rue de la Poste. »

Cependant, d'après le bulletin communal, il paraîtrait que l'unanimité dudit conseil aurait adopté la proposition d'un honorable conseiller, d’appliquer la loi du 1er juillet 1858 à toute la propriété de la famille Eenens ; on lit, en effet, page 14, ligne 16, dudit bulletin, que « 8°' le terrain 1 (Eenens) depuis la place projetée, jusqu'à la chaussée d'Haecht, est d'une contenance de 37 ares 62 centiares, ou 49,470 pieds, qui, à 2 francs le pied, produira 98,940 francs, » c'est-à-dire, que la commune compte revendre, à cent pour cent de bénéfice, le même terrain, qu'elle veut enlèvera cette famille au prix d'un franc le pied.

Et, quant à la rue de la Poste, que l'on voudrait élargir aux dépens de la même propriété, il est aussi à observer que cette rue est d'une belle largeur, et n'est réellement devenue une ruelle que sur un très petit espace, le long de la propriété Eenens, que parce que la précédente administration de cette commune aurait, il y a déjà bien des années, lors de l'établissement de la rue des Palais, permis de déblayer le niveau de la rue de la Poste, et aurait laissé, par tolérance, bâtir sur cette voie publique, la rue de la Poste, par les propriétaires d'en face ; tandis que la famille Eenens est restée strictement dans ses limites.

Aujourd'hui, par un renversement complet des principes de toute équité, la commune de Schaerbeek voudrait exproprier avec zone le propriétaire qui n'a fait aucune emprise sur la voie publique, tandis qu'elle ne réclamerait pas l'application de cette mesure à ceux qui se sont emparés d'une partie de la rue, pour l'incorporer dans leur propriété, au su de l’administration de Schaerbeek. (Voir le Bulletin communal de 1862, p. 21, ligne 42.)

Cette manière de procéder pour parvenir à l'expropriation forcée d'une grande partie de la propriété Eenens, me paraît peu équitable ; elle pourrais être taxée d'arbitraire, et je ne pense pas que les Chambres législatives, ni le gouvernement puissent tolérer une si abusive et si large application d'une loi d’expropriation.

Les lois d'exportation sont tout exceptionnelles, elles portent une atteinte réelle au droit de propriété, garanti par l'article 11 de la Constitution ; il faut donc entourer ces lois d'exceptions, de mesures sévères, pour ne pas froisser, sans nécessité absolue, un principe constitutionnel qui fait la base de la société civile ; et, sous ce rapport, les pétitionnaires affirment que les commissions nommées pour faire l'enquête de l'utilité publique ne présenteraient pas toujours des garanties suffisantes, des personnes intéressées aux questions d'expropriation y ayant été admises ; il faut, à cet égard, que l'autorité supérieure s'entoure de tous les renseignements les plus exacts ; il ne faut pas qu'elle donne la main à des spéculations commerciales ou autres qui tendraient à froisser des intérêts de propriété ; il ne faut pas, sans nécessité réelle et dûment constatée, autoriser de pareilles affaires d'expropriation.

En terminant, je crois pouvoir déclarer qu'aucune offre sérieuse ni acceptable n'a été faite à la famille Eenens, pour la vente de cette propriété ; des tentatives dérisoires ont seules été faites, par un honorable conseiller de Schaerbeek, pour l'achat, à vil prix, pour son propre compte.

La famille Eenens, au contraire, paraît prête à céder gratuitement le terrain nécessaire, à l'élargissement de la rue de la Poste et au prolongement de la rue Royale, ou de la place projetée, pourvu que la commune de Schaerbeek y fasse élever de simples murs de clôture.

J'ose espérer que l'honorable ministre de l'intérieur voudra bien examiner avec une sérieuse attention les réclamations si fondées des pétitionnaires ; connaissant l'indépendance de son caractère et les preuves nombreuses qu'il a données, pendant sa longue carrière administrative et parlementaire, de son dévouement à la défense des intérêts froissés, nous avons tout lieu de croire que la décision à prendre à l'égard de ces requêtes sera conforme à l'équité et au bon droit.

M. de Naeyer. - Messieurs, je pense, avec plusieurs honorables membres, qu'il serait prématuré de se livrer à un examen approfondi de toutes les questions que les pétitions dont nous sommes saisis peuvent soulever. Je me bornerai à présenter quelques observations ayant surtout pour objet d'indiquer quelques-uns des changements qui me paraissent devoir être apportés à la loi du 1er juillet 1858.

Messieurs, je suis loin de combattre le principe même de cette loi. Au contraire, dans ma manière de voir, ce principe pourrait même recevoir une application plus large, mais toujours réglée par la loi. Ainsi je ne voudrais pas borner l'expropriation uniquement aux travaux d'assainissement.

Je crois qu'il serait possible d'étendre ce principe et de l'appliquer à des travaux d'embellissement et même à certains travaux agricoles offrant un caractère incontestable d'utilité et étant impossibles, à moins que ceux qui veulent les entreprendre ne soient armés du droit d'expropriation.

Toute la question est de savoir quelles sont les garanties qu'on accordera à la propriété.

Sous ce rapport, il importe avant tout de bien nous pénétrer du véritable sens de l'article 11 de notre Constitution. Cet article, comme vous le savez, est conçu comme suit :

« Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi, et moyennant une juste et préalable indemnité. »

Il y a évidemment, dans cette disposition constitutionnelle, trois choses : il y a l'obligation pour le propriétaire de céder sa propriété, lorsque l'utilité publique l'exige. Il y a, en second lieu, l'obligation corrélative de l'Etat, d'accorder une indemnité juste et préalable. Mais ce n'est pas tout, il y a en outre la nécessité d'une loi qui détermine les cas où l'expropriation pour cause d'utilité publique peut avoir lieu, et cette nécessité est écrite clairement et nettement dans l'article 11 de notre Constitution qui exige impérieusement que les cas où le gouvernement peut agir soient déterminés par la loi.

Eh bien, sous ce dernier rapport, il y a une différence essentielle, radicale, entre la Constitution belge et l'article 545 du Code civil qui porte ce qui suit :

« Nul ne peut être contraint de céder sa propriété si ce n'est pour cause d'utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnité. »

Dans cet article je trouve encore une fois l'obligation de céder sa propriété pour cause d'utilité publique.

Je trouve encore l'obligation d'accorder une juste et préalable indemnité. Mais ce qui n'y est plus, c'est la nécessité de la loi qui règle les cas où le gouvernement peut déclarer l’utilité publique, nécessité écrite dans les termes les plus formels dans l'article 11 de la Constitution.

Ainsi, j'ai entendu dire quelquefois que la déclaration d'utilité publique rentre exclusivement dans les attributions du gouvernement qui aurait, à cet égard, un pouvoir absolu et discrétionnaire. Cela peut être vrai jusqu'à un certain point sous la législation française, sous l'empire du Code civil ; mais cela est faux, complètement faux sous l'empire de notre Constitution, qui n'autorise le gouvernement à déclarer l'utilité publique que pour autant qu'on le fasse dans les cas prévus par la loi et pas autrement.

Hors de ces cas prévus par la loi, le gouvernement est absolument sans pouvoir pour déclarer l'utilité publique.

Cela est évident, me paraît-il, en présence du texte si formel, si clair, si positif de l'article 11 de notre Constitution.

Voilà, en Belgique, sous l'empire de notre Constitution, le principe fondamental : c'est que la déclaration d'utilité publique ne peut avoir lieu que dans les cas déterminés par la loi. Eh bien, voyons quel est sous ce rapport l'état de notre législation.

Nous avons la loi générale du 8 mars 1810 ; nous avons, à côté de cela, les lois particulières : celle du 17 mai 1837 qui autorise l'expropriation des terrains devant servir à l'établissement de voies de communication qui n'intéresseraient qu'une seule exploitation minière ; nous avons, en outre, la loi du 25 mars 1847 qui autorise encore l'expropriation lorsqu'il s'agit de défricher des terrains incultes.

Enfin, nous avons la loi de 1858, qui concerne les travaux d'assainissement.

Je ne parle pas de la loi de 1835, qui ne concerne que le règlement de l'indemnité ; elle n'est pour ainsi dire qu'une loi de procédure.

Eh bien, messieurs, quels sont les cas où la déclaration d'utilité publique peut avoir lieu dans les termes de la loi générale de 1810 ? Evidemment ce sont les cas où il s'agit de travaux publics. Ce sont les cas où il s'agit de faire passer une propriété particulière dans le domaine public, de donner à un immeuble une destination incompatible avec la propriété privée. Voilà tout ce qui se trouve dans la loi de 1810.

Hors de là, il faut, pour que le gouvernement puisse déclarer l'utilité publique, il faut une loi spéciale, qui lui donne clairement ce pouvoir.

Eh bien, ce pouvoir il l'a pour les communications à établir dans l’intérêt des exploitations minières ; il l'a encore, quand il s'agit du défrichement de terrains incultes ; enfin, il l'a lorsqu'il s'agit de travaux d'assainissement.

Mais s'il veut faire, sous prétexte d'assainissement, d'autres travaux, je dis que le gouvernement n'a plus le droit de faire la déclaration d'utilité publique, nécessaire pour qu'il puisse être procédé à l'expropriation. Du reste, c'est là une question qui rentre dans les attributions du (page 1187) pouvoir judiciaire. Dans ma manière de voir, en présence de l'article 11 de la Constitution, le pouvoir judiciaire est évidemment compétent pour décider la question de savoir si le gouvernement a fait une déclaration d'utilité publique dans l'un des cas déterminés par la loi, puisque l'acte du gouvernement serait illégal et même inconstitutionnel, s'il avait été posé dans un cas non déterminé par la loi.

Messieurs, je disais que, quant à moi, le principe qui sert de base à la loi du 1er juillet 1858 pourrait recevoir une application plus large ; on pourrait même exproprier pour cause d'utilité publique des terrains qui ne seraient pas destinés à être réunis au domaine public, qui seraient destinés à rentrer plus tard dans le domaine des particuliers, on pourrait le faire en dehors des cas d'assainissement ; mais avant tout il faudrait que ces cas soient clairement déterminés par une loi spéciale, et que cette loi accorde à la propriété les plus grandes garanties, car je suis convaincu qu'une loi qui ne tiendrait pas compte de cette considération, ne pourrait pas être maintenue en Belgique ; elle tomberait sous le poids de la réprobation publique, parce que le respect de la propriété est un sentiment éminemment belge.

Aussi je ne crois pas qu'il y ait une législation quelconque en Europe, qui consacre d'une manière plus formelle le droit de propriété, qui ait voulu l'entourer de plus de garanties, de plus de protection que la Constitution belge. Nous devons donc, pour rester fidèle à la Constitution, ainsi qu'aux mœurs et au caractère du pays, employer en cette matière les pins grandes précautions et professer en réalité le plus grand respect pour la propriété.

Voici ce qui révolte surtout dans les expropriations qui frappent des propriétés destinées ensuite à passer dans le domaine d'autres particuliers ; c'est qu'on voit plus tard ces mêmes terrains mis en vente être vendus à des prix beaucoup plus élevés que ceux qui ont été payés au propriétaire exproprié.

Voilà ce qui révolte, voilà ce qui rend la loi impopulaire.

Eh bien, je me suis demandé s'il n'y a pas moyen de remédier à ces inconvénients ; ne pourrait-on, lorsqu'il s'agit de projets de ce genre, laisser au propriétaire l'option de s'y associer ? Il y a quelque chose de cela dans la loi du 1er juillet 1858 ; mais pour que les propriétaires aient ce droit, il faut que ceux qui veulent en user possèdent entre eux la moitié des terrains à exproprier.

Je crois que cela est trop restreint.

Je ne sais pas quel inconvénient il y aurait à laisser au propriétaire l'option de conserver sa propriété, mais à charge de contribuer, dans une proportion à déterminer, aux frais généraux de l'exécution du projet.

Ce ne serait là que la reproduction du principe consacré par l'article 30 de la loi du 16 septembre 1807. Cet article est ainsi conçu :

« Lorsque, pour l'ouverture de nouvelles rues, pour la formation de nouvelles places, pour la construction de quais ou pour tous autres travaux publics, généraux, départementaux ou communaux, ordonnés ou approuvés par le gouvernement, des propriétés privées auront acquis une notable augmentation de valeur, ces propriétés pourront être chargées de payer une indemnité qui pourra s'élever jusqu'à la valeur de la moitié des avantages qu'elles auront acquis ; le tout sera réglé par estimation dans les formes déjà établies par la présente loi. »

L'article suivant de la même loi laisse au propriétaire la faculté, pour le cas où il ne lui conviendrait pas de payer l'indemnité dont il s'agit, de céder son terrain suivant sa valeur actuelle ; de cette manière on sauve tout ce me semble, et on empêche que la loi ne froisse l'opinion publique en ne tenant pas assez compte des droits et des attributs naturels de la propriété.

Il y a une différence très considérable entre l'expropriation qui a lieu pour réunir certains terrains au domaine public et l'expropriation qui a lieu pour exécuter certains projets, à la suite desquels une partie des terrains expropriés sont mis en vente.

Lorsqu'il s'agit de travaux publics, la spéculation devient, pour ains dire, impossible ; alors il y a une garantie pour les propriétaires, dans les sacrifices que ceux qui exécutent les travaux doivent s'imposer, mais quand il s'agit de terrains qui doivent être revendus ultérieurement, on se trouve en face de toutes les combinaisons, de toutes les spéculations, de toutes les manœuvres même que l'intérêt privé peut produire.

Il y a là un danger grave pour la propriété, qui exige évidemment des garanties tout à fait spéciales. Eh bien, si le propriétaire lui-même est admis à s'associer à l'entreprise, à la combinaison, à la spéculation, il y a là une garantie véritable, et je crois, d'ailleurs, que cela est de toute justice, parce que, rigoureusement parlant, vous n'indemnisez pas d'une manière complète le propriétaire en lui donnant la valeur actuelle ; il a pu compter légitimement sur une valeur d'avenir, que vous lui enlevez sans compensation. Il existe surtout, pour les terrains situés dans les environs des grandes villes, une spéculation très raisonnable et très légitime.

On suppose que dans un avenir assez rapproché par l'extension de ces grands centres de population, ces terrains acquerront un accroissement considérable de valeur.

Eh bien, quand vous expropriez en vertu de la loi de 1858, vous confisquez cette valeur d'avenir, tandis que, d'après la combinaison que j'indique, le droit du propriétaire est complètement respecté.

Il ne peut se plaindre en aucune façon, puisque, si le projet est utile et de nature à augmenter 1a valeur de la propriété au-delà du prorata de la dépense générale à résulter de l'exécution, le propriétaire a la faculté de s'y associer, tandis que si cela ne lui convient pas, il se laisse exproprier, et dans ce cas on est obligé de lui bonifier toute la valeur actuelle de sa propriété ; il ne perd donc la valeur d'avenir que pour autant qu'il y renonce.

En adoptant ce système, vous ferez cesser en grande partie toutes ces réclamations qui se sont produites et qui, si elles doivent se renouveler, rendront la loi tellement impopulaire, qu'elle tombera sous le poids de la réprobation publique.

En deux mots le principe de la loi du 1er juillet 1858 me parait bon ; mais les dispositions destinées à organiser le principe me paraissent évidemment incomplètes et défectueuses, et je crois que dans l'intérêt même du principe il est dangereux de soumettre la loi à de nouvelles expériences sans lui faire subir les modifications nécessaires. Je me borne, pour le moment, à appeler sur ce point la plus sérieuse attention du gouvernement.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, j'ai eu l'honneur de donner à la Chambre, avant les vacances, quelques explications à l'occasion du rapport fait par l'honorable M. Vander Donckt. J'ai déclaré alors que les réclamations dont la Chambre était saisie ne pouvaient être fondées, en ce sens que les faits contre lesquels on s’élevait, n’existaient pas. En effet, dans ces réclamations, on combattait un projet formé par le conseil communal de Scharbeek, projet qui n’avait jamais été arrêté et qui, en tout cas, n’avait pas été déféré à la décision du département de l’intérieur.

Ce qui prouve que les craintes manifestées étaient chimériques c'est le discours de l'honorable M. de Renesse qui vient de dire lui-même qu'il ne s'agit plus de l'application de la loi de 1858, mais bien de la loi générale sur les expropriations. L'honorable orateur désire que le gouvernement examine avec bienveillance la nouvelle demande faite par l'administration communale de Schaerbeek ; je me propose certainement d'examiner cette demande avec beaucoup d'impartialité ; mais je crois pouvoir faire remarquer que c'est là une question purement administrative et qui n'est pas le moins du monde de la compétence de la Chambre.

Je déclare, du reste, que jusqu'ici aucune demande du conseil communal de Schaerbeek n'est parvenue au département de l'intérieur. D'après ce que vient de dire l'honorable M. de Renesse, il s'agit simplement d'une expropriation ordinaire, il n'est question que d'exproprier les terrains nécessaires pour créer, si je ne me trompe, une école et d'autres établissements publics.

Ce sont là des institutions d'intérêt général, et je ne vois pas pourquoi on n'autoriserait pas ces expropriations, comme on autorise toutes les expropriations qui ont un but d'utilité publique ; et ce n'est pas parce qu'il s'agirait de tel propriétaire plutôt que de tel autre, qu'il faudrait se montrer plus sévère. Toute la question se réduit à savoir si, oui ou non, il y a nécessité d'exproprier le terrain pour y créer des établissements d'utilité publique.

Messieurs, on n'a plus fait aujourd'hui, comme dans une discussion précédente, le procès à la loi de 1858. Je m'en félicite, car je crois, avec les honorables orateurs qui ont pris la parole dans cette séance, que cette loi est bonne en principe.

Si l'intérêt des propriétaires est fort respectable ; si la classe des propriétaires est intéressante, il y a, à côté d'eux, une autre classe dont l'intérêt doit aussi être respecté, et qui est au moins aussi intéressante que celle des propriétaires : je veux parler des pauvres, des prolétaires qui habitent des quartiers insalubres où l'air circule à peine, et qu'il est de la plus grande importance d'assainir.

Ces citoyens-là excitent grandement ma sympathie, parce qu'ils ne peuvent pas aussi bien que les propriétaires venir se défendre à cette Chambre.

Je crois donc que la loi est très bonne en principe. Cela n'empêche pas (page 1188) qu'on ne doive examiner si, dans son application ou dans ses détails, elle doit être appliquée entièrement c'est-à-dire, telle qu'elle a été votée.

Je ferai remarquer que la loi date seulement de 1858, et que les applications en ont été très rares (interruption), trop rares, comme le dit l'honorable M. Julliot, et que par conséquent il n'est pas encore possible de juger de ses effets, d'apprécier les modifications qui pourraient y être introduites.

Il y a un certain danger à modifier constamment nos lois. Quand après une première ou une seconde application d'une loi, on constate quelque inconvénient, on vient immédiatement demander à cette Chambre le retrait la loi même ou de ses dispositions essentielles.

Il faut laisser fonctionner la loi pendant quelques années, avant d'en pouvoir constater les inconvénients et les avantages.

Si l'expérience vient à établir que les inconvénients l'emportent sur les avantages, alors, si je suis encore assis à ce banc, je serai le premier à venir proposer à la Chambre de modifier la loi de 1858.

Pour le moment il faut appliquer la loi sagement, équitablement, en se pénétrant de l'esprit du législateur : c'est ce que je chercherai à faire chaque fois que des cas d'application me seront fournis par des conseils communaux.

Messieurs, la commission des pétitions demande le renvoi au ministre de l'intérieur avec demande d'explications.

Dans une des dernières séances, j'ai donné des explications assez longues ; il est inutile de donner des éclaircissements sur les faits, puisqu'il n'y a pas de faits en ce moment. Je crois donc que le renvoi avec demande d'explications serait sans objet ; les explications que le gouvernement pourrait donner ayant été fournies.

D'un autre côté, l'honorable M. Dumortier a proposé un ordre du jour motivé, ainsi conçu :

« Considérant que la loi de 1858 est relative à l'assainissement et non à l'embellissement, la Chambre renvoie, etc. »

Je prierai l'honorable membre de vouloir bien retirer son ordre du jour, à la suite des explications que je viens de donner. Il est évident que le but principal de la loi, c'est l'assainissement des quartiers pauvres. (Interruption.) Mais quand l'embellissement du quartier en est la conséquence il est évident qu'il ne faut pas l'exclure.

D'un autre côté, s'il y avait doute sur ce point, ce n'est pas par un ordre du jour motivé de la Chambre que la loi pourrait être interprétée : il faut pour cela autre chose que l'intervention d'une seule des trois branches du pouvoir législatif. La Chambre seule ne peut pas interpréter une loi ; la majorité peut exprimer une opinion ; le Sénat pourrait l'interpréter dans un sens différent.

Du reste, il n'est pas nécessaire de discuter cette question-là ; je répète que j'appliquerai la loi conformément aux déclarations que j'ai faites dans une séance précédente et dans celle d'aujourd'hui ; je pense, dès lors, que l'honorable M. Dumortier peut retirer son ordre du jour motivé.

M. B. Dumortier. - Messieurs, je ne fais pas grande difficulté à ajourner ou, si vous le voulez, à retirer l'ordre du jour motivé que j'avais proposé ; d'autant plus que, dans la situation des esprits à la rentrée, je conçois que nous ne soyons pas prêts à discuter de pareilles questions.

Je maintiens cependant le principe que j'ai posé lorsque j'ai déposé cet ordre du jour motivé.

Je ne puis admettre, avec M. le ministre qui vient de se rasseoir, les deux principes qu'il a posés et qui sont, à mon avis, de flagrantes inconstitutionnalités.

Le premier, c'est qu'il s'agit ici de matières administratives et que la Chambre n'a rien à y voir ; le second, c'est qu'il s'agit de l'interprétation d'une loi et que la Chambre ne peut interpréter une loi sans le concours des deux branches du pouvoir législatif.

Ces deux principes, messieurs, sont la suppression de la responsabilité ministérielle et du gouvernement représentatif.

De quoi seriez-vous responsables si la Chambre ne peut s'enquérir d'un acte administratif que vous avez posé, si la Chambre ne peut examiner si vous avez, oui ou non, exécuté la loi ?

Si la Chambre est privée de ces droits, la Constitution n'est plus qu'un vain mot ; elle devient un mensonge ; nous avons un gouvernement absolu et non un gouvernement représentatif.

Vous êtes responsable devant le parlement de tous les actes que vous posez et vous ne pouvez venir dire : Cet acte est administratif ; il ne vous concerne pas. J'ai, moi, interprété la loi comme je l'ai voulu ; vous ne pouvez, vous, l'interpréter, sans le concours d'un autre pouvoir.

Mais que deviendrait la responsabilité ministérielle, s'il fallait une loi pour décider qu'un ministre est resté ou n'est pas resté dans la légalité ?

Il arriverait que le ministre serait juge lui-même de l'acte qu'il aurait posé. Si pour critiquer cet acte il fallait une loi, cette critique deviendrait impossible, puisque la loi doit être contre-signée par le ministre.

Voilà la véritable portée de vos maximes. Je dis qu'elles sont subversives de toute espèce de principe constitutionnel.

Je ne puis, moi, vieux parlementaire de trente et des années, laisser passer de pareilles doctrines.

Jamais elles ne s'étaient produites antérieurement dans cette enceinte. Je doute que personne ici veuille d'un pareil régime, mais je suis convaincu que, si un ministère conservateur était au pouvoir et qu'il vînt proclamer de pareils principes, tous les membres de la gauche s'élèveraient avec violence contre ses prétentions.

La question qui nous divise est celle-ci :

La loi de 1858 a-t-elle été faite pour l'assainissement, ou bien pour l'embellissement, ou bien encore pour la spéculation des communes ?

Je le répète avec mes honorables amis, MM. de Naeyer et de Theux, avec tous les orateurs qui ont pris la parole dans cette discussion, la loi n'a été faite que pour l'assainissement et pas pour autre chose.

Quand vous me parlez de l'intérêt que vous portez aux pauvres, je vous réponds que j’éprouve cet intérêt autant que vous ; mais je ne veux pas que sous prétexte d'être utile aux pauvres on construise de magnifiques bâtiments aux dépens de tel ou tel particulier. Je ne veux pas qu'une commune puisse s'enrichir avec les deniers volés aux particuliers.

C'est un abus scandaleux. C'est la violation la plus flagrante du droit de propriété.

La loi n'a qu'un seul but : c'est l'assainissement.

Ni sur vos bancs, ni sur les bancs de la gauche, ceux qui ont critiqué la portée qu'on voulait donner à la loi de 1858, j'en réponds, puisque je connais la sincérité de leurs opinions, ne viendront pas vous attaquer quand vous appliquerez la loi dans l'intérêt des pauvres. Mais quand vous voudrez en faire un moyen de spéculation pour les communes, nous viendrons combattre les abus résultant d'un pareil système.

En les combattant, nous accomplirons un devoir, et vous serez mal venus à dire que nous n'avons pas le droit de critiquer vos actes sous le prétexte que nous ne pouvons interpréter la loi.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - L’honorable M. Dumortier vient de se placer complètement à côté de la question. Il a choisi un terrain extrêmement facile, et il a fait un discours émouvants comme il a seul le talent d’en faire.

Qu'ai-je dit ?

J'ai dit à la Chambre qu'on n'avait pas le droit de critiquer un acte non approuvé, mais je n'ai nullement prétendu que nous n'étions pas responsables des actes que nous posions.

Répondant à l'honorable M. de Renesse, j'ai dit que nous ne pouvions être rendus responsables d'actes que nous n'avions pas posés.

M. B. Dumortier. - C'est une autre question. Je n'en ai pas parlé.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Alors vous ne m'avez pas compris.

L'honorable M. de Renesse a parlé d'une délibération prise par le conseil communal de Schaerbeek qui n'est pas parvenue au gouvernement et sur laquelle, par conséquent, je n'ai pas eu à statuer. J'ai soutenu que l'examen de cette question appartenait au gouvernement ; que c'était une question purement administrative et non une question qui devait être examinée par la législature.

Comment ! chaque fois qu'un conseil communal prendrait une résolution, chaque fois qu'il proposerait d'exproprier, par exemple, un terrain pour y bâtir une école, des membres de la Chambre viendraient combattre cette résolution ; ils viendraient dire au gouvernement : Vous ne pouvez approuver cet acte ?

Je crois, messieurs, qu'il y a là une critique préalable que rien ne justifie. Mais entre la doctrine que je soutiens et qui est la vraie et celle que défend l'honorable M. Dumortier, il y a une différence énorme.

Jamais je n'ai nié la responsabilité du gouvernement, mais je dis qu'il ne peut être attaqué, incriminé pour des actes non encore posés.

M. B. Dumortier. - C'est évident. Je n'ai pas dit le contraire.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Vous n'avez dit que cela.

Vous avez prétendu que je ne voulais pas être responsable de mes actes ; que les principes que je défends sont la négation du pouvoir représentatif, la violation de la Constitution et si j'ai bien compris, la glorification du vol.

Je crois m'être exprimé d'une manière assez claire dans cette circonstance, mais l'honorable M. Dumortier m'a mal compris.

Je remercie, du reste, l'honorable membre de consentir au retrait de son amendement.

(page 1189) En résumé, je tâcherai, messieurs, dans l'appréciation des faits, d'exécuter la loi le mieux possible et si je m’écarte de la bonne voie, l'honorable M. Dumortier pourra se lever et, comme vieux parlementaire, venir me critiquer et m'indiquer la voie de la légalité.

M. B. Dumortier. - Je suis heureux de voir que nous sommes au fond d'accord avec l'honorable ministre de l'intérieur ; mais je l'avoue, je n'avais point compris l'expression dont il s'était servi, que la Chambre n'était point appelée à examiner les matières administratives dans le sens qu'il vient de donner à cette expression.

La Chambre n'a point à entrer dans les affaires des communes.

Dans le sens qu'il vient de lui donner, je suis d'accord avec lui : la Chambre n'a pas à s'immiscer dans les affaires des communes, lorsqu'elles ne sont pas arrivées à fin. Cependant la Chambre peut éclairer le gouvernement sur les faits que posent les communes et auxquels il peut être appelé à donner son approbation. Elle peut le faire surtout, lorsque des actes antérieurs du gouvernement ont créé un grief dont on désire ne pas voir le renouvellement.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Quels sont ces actes antérieurs du gouvernement ?

M. B. Dumortier. - L'acte de Saint-Josse-ten-Noode. A l'occasion d'une pétition dont nous avons été saisis, la Chambre, je crois pouvoir le dire, à la presque unanimité, était d'accord que le gouvernement ne devait pas consentir à accorder le droit d'expropriation dans les termes oh il était demandé. Eh bien, le lendemain du jour où la discussion avait eu lieu, nous avons vu paraître au Moniteur un arrêté qui ne tenait aucun compte de la discussion qui avait eu lieu dans le parlement,

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - On s'était mis d'accord.

M. B. Dumortier. - Or, lorsque des cas pareils se sont présentés et que la Chambre croit que des faits de cette nature sont sur le point de se renouveler, elle est parfaitement dans son droit lorsqu'elle vient éclairer la conscience des ministres.

M. Tack. - L'honorable ministre de l'intérieur nous a dit tantôt qu'aujourd'hui personne n'est venu faire le procès à la loi de 1858. Je ne sache pas que, dans les séances précédentes où il a été question du même objet, qui que ce soit ait voulu faire le procès à la loi de 1858. On en a critiqué l'application, voilà tout.

Messieurs, ce qui a déterminé l'alarme des pétitionnaires qui s'adressent aujourd'hui à la Chambre, ce sont, comme vient de le dire l'honorable M. Dumortier, les actes posés par le gouvernement, c'est l'affaire des expropriations de Saint-Josse-ten-Noode.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - On s'est mis d'accord avec les propriétaires.

M. Tack. - M. le ministre de l'intérieur nous dit qu'aucun fait n'est signalé, qu'aucune demande n'est parvenue jusqu'à présent au département de l'intérieur. Je ne le nie pas.

Mais ce qui est positif, ce qu'on ne saurait mettre en doute, c'est que la commune de Schaerbeek a prétendu au moins momentanément, comme l'affirme l'honorable comte de Renesse, exproprier pour cause de salubrité les terrains appartenant à la famille Eenens et situés derrière l'église Ste-Marie à Schaerbeek.

D'après ce que nous apprend encore aujourd'hui l'honorable comte de Renesse, l'administration communale de Schaerbeek, sentant toute l'absurdité qu'il y avait à vouloir exproprier pour cause d'assainissement, une magnifique propriété comme celle de la famille Eenens, un superbe jardin, une véritable oasis, qui est plutôt une cause de salubrité qu'autre chose, l'administration communale de Schaerbeek, dis-je, a changé de thème ; outre son projet d'ouvrir des rues nouvelles, de créer un marché, elle voudrait maintenant construire une école.

Sans doute, comme le dit l'honorable ministre de l'intérieur, l'expropriation de terrains pour ouvrir des rues, pour créer des marchés, pour construire des écoles, rentre dans l'application de la loi.

Mais il y a lieu d'examiner si tout cela n'est pas au fond un subterfuge, une tactique plus habile que loyale, et à cet égard, je me joins à l'honorable comte de Renesse pour demander à M. le ministre de l'intérieur de bien vouloir examiner la question de très près.

Si, comme nous l'assure l'honorable comte de Renesse, il y a, à côté des biens appartenant à la famille Eenens, d'autres terrains où l'on pourrait tout aussi avantageusement établir la nouvelle école communale, il est évident que ce que l'on veut, c'est d'arriver par tous les moyens possibles à l'expropriation de la propriété Eenens.

Il y a donc lieu ici de voir, non-seulement s'il y a utilité publique dans les projets de construction, cela ne peut faire doute, mais s'il y a nécessité d'exproprier ce terrain plutôt qu'un autre.

- La discussion est close.

M. le président. - La proposition de M. Dumortier étant retirée, reste la conclusion de la commission des pétitions qui tend au renvoi à M. le ministre de l'intérieur avec demande d'explications.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - J'ai donné les explications dans une précédente séance. Je prie la Chambre de voter le simple renvoi.

-Le simple renvoi est ordonné.


Rapport de la commission d’industrie sur les plaintes contre la douane dans l’exécution du traité franco-belge

M. le président. - La commission conclut au renvoi de la pétition à M. le ministre des finances avec demande d'explications.

M. de Rongé. - Depuis le dépôt du rapport de la commission de l'industrie sur la pétition des négociants de Bruxelles qui se plaignent des vexations de la douane, le gouvernement a donné de nouvelles instructions aux employés de cette administration.

Sans faire droit à toutes les réclamations des pétitionnaires, elles paraissent cependant, au premier abord, de nature à concilier tous les intérêts ; mais en les examinant avec soin, on ne tarde pas à reconnaître que les réformes sont plus apparentes que réelles.

Ainsi, le retrait de l'article 5 de la loi du tarif du 22 août a été maintenu, et il ne se passe pas de jour que le commerce ne soit victime de l'extrême rigueur des employés de la douane.

La prime de 52 p. c. a disparu, il est vrai ; mais il est formé du produit net des préemptions et des amendes un fonds spécial dont le ministre dispose pour accorder des indemnités aux employés qui ont donné des preuves de zèle et d'intelligence pour les intérêts du trésor, sans distinguer si les résultats sont positifs ou négatifs.

Ce nouveau système, messieurs, me parait aussi vicieux que celui qu'il remplace ; la prime n'est plus réglementée, mais elle existe toujours : elle n'est plus un droit, elle devient une faveur, le nom seul a changé, l'esprit est resté le même.

Il est évident que plus le fonds spécial sera considérable, plus les primes seront élevées.

Les employés de la douane ont donc le même intérêt qu'avant à se montrer d'une sévérité exagérée, et, sous ce rapport, la satisfaction donnée au commerce n'est qu'apparente. Si M. le ministre des finances reconnaît que les appointements sont insuffisants, il pourrait majorer les chiffres au budget et je suis persuadé d'avance que la Chambre ne lui refusera pas son concours.

Il serait plus rationnel, me semble-il, d'affecter le produit des amendes et de ce que j'appellerai des préemptions heureuses à combler le déficit provenant de la vente des marchandises préemptées à tort, déficit qui pourrait être assez considérable, car il est à remarquer que le système des primes laissait encore au gouvernement 48 p. c. de bénéfice net sur la vente des marchandises préemptées, et si j'ai bien compris la nouvelle circulaire, la totalité de ce bénéfice est affectée au fonds spécial.

Ma proposition aurait encore l'avantage, en compensant les pertes par les bénéfices, de permettre au gouvernement de supprimer les paragraphes 7, 8 et 9 des nouvelles instructions ministérielles qui enlèvent toute garantie aux importateurs et les mettent à la merci des fantaisies de l'administration des douanes.

« § 7. Lorsque des intérêts sérieux le commandent, il est permis, par dérogation au paragraphe 12 de ladite circulaire (anciennes instructions), de comprendre dans un même lot des marchandises provenant de préemptions différentes, à la condition qu'elles soient de même nature et imposées aux mêmes droits. »

« § 8. Si le directeur a des motifs particuliers de supposer que des marchandises ne se vendraient pas à un prix suffisant pour couvrir les avances faites par le trésor, il en réfère préalablement à l'administration en lui proposant, s'il le juge utile, de faire procéder à la vente dans une localité autre que celle où elle devrait avoir lieu d'après les dispositions du paragraphe 10 de la circulaire du 28 mai 1861, n°97. »

« § 9. Lorsque au jour de la vente, les prix offerts sont notoirement inférieurs à la valeur réelle de la marchandise, telle qu'elle doit être établie pour servir de base à la liquidation des droits, l'entreposeur s'abstient d'adjuger cette marchandise et rend compte du fait au directeur, qui en réfère à l'administration, comme il est dit au paragraphe 8. »

Voici ce qui peut se présenter et même ce qui se présentera sans aucun doute.

Les employés se trompent sur la valeur réelle de marchandises bien déclarées et les préemptent ; on s'aperçoit trop tard qu'elles ne se vendront pas à un prix suffisant pour couvrir les avances du trésor et le gouvernement ne veut pas y perdre. Que faire ? Le moyen est tout indiqué. On les vendra dans un local spécial, on fera de la réclame, en vertu du paragraphe 7 de la nouvelle circulaire, on comprendra dans le même lot des marchandises provenant de préemptions différentes et on n'adjugera que lorsqu'on aura rencontré un acheteur qui, ne connaissant pas la marchandise, sera victime de ces petites manœuvres qui peuvent être très profitables au trésor, mais qui sont peu dignes d'un gouvernement.

La marchandise préemptée devrait être vendue par colis et aucune considération ne devrait faire déroger de ce système.

Voilà, messieurs, ce qui m'a paru le plus anomal dans la dernière circulaire, et j'espère que M. le ministre des finances voudra bien tenir compte de ces observations.

(page 1189) M. Goblet. - J'espérais que M. le ministre des finances aurait répondu quelques mots au discours de l'honorable M. de Rongé...

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J’étais désireux de vous entendre avant de répondre.

M. Goblet. - Je vous remercie ; mais je ferai remarquer qu'en répondant immédiatement vous m'eussiez peut-être dispensé de prendre la parole ; attendu que si vos explications avaient été satisfaisantes il serait tout à fait superflu de prolonger cette discussion.

Puisque M. le ministre en juge autrement, je vais m'occuper d'un point spécial de la question qui est portée devant nous, et qui intéresse la généralité des citoyens.

Dans le système qui existait il y a quelque temps encore, il y avait des abus, ces abus ont provoqué des plaintes et ces plaintes ont été reconnues fondées en partie par le gouvernement lui-même. La commission de l'industrie a donné raison sur presque tous les points aux pétitionnaires. Le gouvernement, de son côté, a fait semblant de reconnaître la justesse de leurs plaintes, et cependant il n'a recouru qu'à des moyens qui doivent produire les mêmes résultats qu'auparavant ; telle doit être du moins, selon moi, la conséquence des instructions qu'il a données à ses employés.

Messieurs, dans un pays comme la Belgique, où, en définitive, ce sont les citoyens qui gouvernent, je trouve qu'un système fiscal qui met en suspicion tout le monde, qui n'a aucun souci de la dignité du contribuable, est un mauvais système.

J'admets que le gouvernement se défende, j'admets qu'il punisse ; mais je n'admets pas que, pour sévir, il se place dans une position tout à fait exceptionnelle et qui ne laisse aucun recours possible contre ses décisions.

On fait des circulaires qui modifient la loi dans son exécution et ces circulaires ne sont pas même exécutées. M. le ministre des finances me dit que non.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Moi ? Je n'ai rien dit du tout.

M. Goblet. - Vous avez fait un signe de dénégation.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Pas le moins du monde.

M. Goblet. - Soit ; cela m'est parfaitement indifférent.

La circulaire veut, et le bon sens le plus vulgaire dit que l'on devra prendre en considération la bonne foi bien établie, et que l'on accordera une certaine latitude au commerçant dont la déclaration sera légèrement inexacte. Cette latitude, qui était autrefois de six francs, a été portée à vingt francs.

A-t-on égard à cette prescription, messieurs ? Nullement. Quand la bonne foi est parfaitement établie, quand il est parfaitement constaté que ce n'est que par une erreur involontaire que la limite de la tolérance de 6 francs a été dépassée, savez-vous ce qu'on répond quand le bénéfice de la circulaire est invoqué ?

On dit au commerçant : Il fallait demander l'inventaire, c'est-à-dire qu'on se prévaut du défaut d'accomplissement d'une formalité qui n'est prescrite nulle part.

Ne sont-ce pas là de véritables vexations imaginées à plaisir ? Quand il s'agit d'imposer une marchandise au poids et quand la déclaration est erronée, pourquoi ne pas admettre une vérification contradictoire ; pourquoi ne pas admettre que cette vérification se fasse de telle manière que tons les intérêts reçoivent une légitime satisfaction ?

Le département des finances vous dit : Mais, nous avons été plus d'une fois trompés de cette façon ! Je n'en sais rien, messieurs, mais je dis que si vous avez été trompés, c'est à vos agents et non au public qu'il faut vous en prendre ; et si votre contrôle est insuffisant, vous ne devez vous (page 1190) en prendre qu'à vous-mêmes. Il n'est pas juste de faire pâtir les commerçants, qui n'en peuvent rien.

Ainsi, pour ne citer qu'un exemple des abus qui naissent de cette façon de procéder, je vous dirai qu'il y a quelques semaines, un négociant de Bruxelles déclare par écrit peser 300 grammes un colis qui en pesait 3 kilos 500 grammes. L'erreur était manifeste, et résultait d'une simple omission dans la suscription : la bonne foi était évidente.

Que fait-on ? Croyez-vous que l'on signale cette erreur à l'expéditeur ? qu'on l'admette à une pesée contradictoire ? Nullement, on le proclame fraudeur, et on lui fait subir toutes les conséquences de sa prétendue fraude.

Le gouvernement croit justifier cette façon de procéder en disant qu'il doit pouvoir réprimer la fraude ; mais il oublie qu'il est ici dans une position tout fait exceptionnelle ; que ses agents sont tout à la fois juges et parties dans leur propre cause.

Les employés de la douane sont intéressés à préempter parce que, même sous le nouveau régime, il leur en revient toujours quelque chose.

Or, pour que ce droit de préemption puisse être exercé librement et sans aucune entrave, on oppose aux commerçants le caractère d'agents assermentés des employés de la douane et l'on n'ajoute foi qu'à leurs allégations dans les contestations qui surgissent entre eux et les déclarants.

M. Hymans. - C'est comme la police de Malines.

M. Goblet. - En effet, cela y ressemble beaucoup.

Aussi, messieurs, voyez ce qui résulte de cette façon d'appliquer la loi. Il y a, notamment à Bruxelles, des employés de la douane qui tiennent magasin de toutes les marchandises qu'ils ont saisies.

Comment concilier un tel abus avec certaines circulaires qui interdirent aux petits employés du gouvernement de cumuler aucun autre emploi avec leurs fonctions administratives, qui ne permettent même pas à un modeste employé d'occuper ses loisirs et d'augmenter ainsi le chétif salaire qui doit nourrir sa famille ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Voudriez-vous bien me donner les noms de ces employés ?

M. Goblet. - Je discute en ce moment une question d'intérêt général et je tiens à éviter de citer en public des noms propres. Au surplus, après la séance je me permettrai de vous donner tous les renseignements à cet égard.

Je ne dis pas que tous les faits soient connus de M. le ministre des finances.

Cependant la manière dont se conduit l'administration supérieure prouve qu'elle veut établir la supériorité et l'infaillibilité constante de ses agents.

Lorsqu'un négociant voit sa marchandise arrêtée, s'il a besoin urgent de sa marchandise, s'il est reconnu honnête, si c'est un homme sur lequel on n'a rien à dire, l'administration pousse la complaisance jusqu'à la lui rendre, contre le dépôt, en écus, de la valeur de cette marchandise.

C'est là déjà une peine très grande pour le négociant de rendre ainsi improductive une somme égale à la valeur de sa marchandise : mais, en outre, on lui fait signer un engagement bien autrement arbitraire ; en lui rendant sa marchandise, on lui fait signer la déclaration suivante : J'affecte la somme de.....à la garantie des droits de la douane et je me soumets d'avance aux décisions de l'administration.

Ainsi, l'administration, dans une question où elle est juge et partie, décide souverainement, et le négociant qui a subi la loi de la nécessité, n'a plus d'appel, alors même qu'il est évidemment lésé dans ses droits.

Je prétends, messieurs, que cette manière d'agir est contraire à l'esprit de nos institutions et incompatible avec la responsabilité de nos actes que tous en Belgique nous devons subir, l'administration toute la première. En définitive ces vieux errements absolus des pouvoirs forts n'ont plus de raison d'être dans un pays où le contrôle de gouvernement appartient à tous les citoyens.

Ainsi, je félicite, pour ma part, sincèrement les négociants et les industriels qui nous ont adressé la pétition dont nous nous occupons en ce moment. Ils ont usé d'un droit que l'on abandonne trop souvent, celui d'examiner la conduite de l'administration dans les questions spéciales. Je les félicite d'autant plus, que leur tâche n'est pas finie et qu'ils pourront encore nous signaler d'autres abus s'ils persévèrent dans la voie intelligente et courageuse où ils sont entrés.

M. Hymans. - Messieurs, lorsqu'il nous est arrivé, avant notre séparation, des plaintes contre la douane, M. le ministre des finances a dit qu'il avait été fait droit aux réclamations des intéressés. Malheureusement, s'il a été fait droit à quelques-unes de ces réclamations, il en resta beaucoup d'autres à satisfaire, et sous quelques rapports la position du commerce est même aggravée.

Je ne répéterai pas ce qu'ont dit mes honorables collègues, MM, de Rongé et Goblet ; mais il est à ma connaissance que les faits qu'ils ont signalés sont parfaitement exacts.

J'ajouterai, comme observation générale, qu'il est fort étrange qu'en Belgique le gouvernement place les commerçants vis-à-vis de la douane, dans une véritable suspicion ; on dirait qu'ils ne songent qu'à voler le trésor et que tout négociant qui se présente à la douane avec une déclaration de poids ou de valeur est un fraudeur contre lequel il faut user a priori de toute la rigueur des lois et des circulaires ministérielles.

II est possible qu'en douane il faille appliquer de tout autres principes que dans la vie ordinaire, mais je ne comprends pas, quant à moi, pourquoi, lorsqu'un négociant fait une déclaration, il est suspect tandis que le douanier est infaillible.

Le négociant qui déclare qu'une caisse de 50 kilos n'en pèse que 49, 48 ou 40, est nécessairement un fraudeur qui veut voler le fisc et il faut immédiatement le frapper d'amende et de confiscation.

Je sais parfaitement qu'il est des accommodements avec les circulaires ; on est admis à modifier sa déclaration alors que la différence ne dépasse pas 20 fr. de droits ; mais, messieurs, vous admettrez avec moi qu'en ces matières plus l'erreur est grande, plus la bonne foi est évidente ; on peut supposer que le négociant a voulu frauder deux ou trois kilog., mais on ne peut admettre qu'il se soit imaginé pouvoir frauder impunément 30, 40 ou 100 kilog.

Ainsi vous le punissez précisément dans le cas où il est le plus excusable.

D'autre part, messieurs, pour peu qu'on soit au courant des choses du commerce, on sait que ce n'est pas l'importateur qui emballe la marchandise.

Cependant c'est lui qui doit déclarer le poids net d'une caisse de soieries, par exemple, qu'il reçoit de Paris ou de Lynt. Ce n'est pas lui qui a emballé la marchandise, ce n'est pas l'expéditeur qui a pris ce soin, attendu qu'il est d'usage, dans le commerce des soieries, de faire faire l'emballage par des maisons qui se chargent spécialement de ce service. Ces maisons peuvent évidemment commettre des erreurs tout aussi bien que nous, que les ministres, et même les douaniers.

Dans certains cas, le négociant a le droit de procéder à la vérification du poids de la marchandise, mais savez-vous comment ?

On l'enferme dans un local spécial, ouvert de 9 à 10 heures du matin et qui ressemble beaucoup plus à un cachot qu'à un bureau.

Là il est enfermé sous la surveillance de deux douaniers, et cette fois il ne s'agit plus de commettre des erreurs, car l’amende et la confiscation sont là qui l'attendent à la sortie.

Encore cette vérification n'est permise que dans les cas graves, et quels sont ces cas graves ? C'est la douane qui les détermine.

C’est en vertu de ces usages, messieurs, que depuis la conclusion du traité avec la France qui devait inaugurer pour la Belgique une ère libérale, les maisons les plus respectables de la capitale qui n'avaient jamais eu de difficultés avec la douane, se sont vues frappées d'amendes et obligées de faire des démarches très coûteuses, ont subi des pertes de temps et d'argent considérables.

M. le ministre des finances, croyant faire droit aux réclamations des négociants de Bruxelles, a fait, sous la date du 7 février, une circulaire, dans laquelle il dit que le pesage définitif ne peut être fait par la douane parce que, d’après la législation sur les droits d'entrée, l'importateur doit s'imposer lui-même par sa déclaration. Mais il ajoute que, dans la pratique, il est possible d'ôter tout prétexte aux plaintes légitimes en ne rédigeant pas de procès-verbal de contravention, et en se contentant du payement de supplément des droits, lorsqu'il s'agit d'une légère différence entre les droits à payer en vertu de la déclaration et ceux dus sur les quantités réelles, différence fixée au maximum de 20 fr.

Cette circulaire, messieurs, prouve déjà que la douane n'a pas toujours raison, puisque M. le ministre des finances a cru nécessaire de rappeler son administration inférieure à l'accomplissement de ses devoirs. Mais je demanderai, comme le faisait tout à l'heure l'honorable M. Goblet, pourquoi cette circulaire n'est pas appliquée, pourquoi l'on ne suit pas les instructions ministérielles et comment il se fait qu'après des instructions si précises, un négociant, pour une erreur de 3 kilog. qui entraînait une différence de 9 fr. sur le droit, s'est vu refuser le bénéfice de à laquelle la circulaire ministérielle lui donne droit.

Cela s'est fait, il y a quelques jours, pour une erreur de trois kilogrammes.

Ce poids était évidemment déclaré de bonne foi, car la marchandise (page 1191) était accompagnée d'un certificat de fabrique, légalisé par le maire de Thann, département du Haut-Rhin.

M. le ministre des finances est saisi d'une réclamation relative à ce fait ; il doit avoir en main la lettre du négociant qui a été victime de cet abus, et j'espère que dans les explications qu'il voudra bien nous donner il y en aura quelques-unes sur ce fait.

Le commerce, devant des questions de poids, si faciles à résoudre, se trouve placé en suspicion perpétuelle ; il est constamment accusé de vouloir voler le fisc, et tout naturellement, à son tour, il accuse les douaniers de le frapper d'amendes, pour enrichir le fonds spécial destiné à les enrichir eux-mêmes.

Messieurs, s'il était impossible de modifier un pareil état de choses, je n'insisterais pas, et je ne me permettrais pas même de faire une observation, car je n'aime pas les discours inutiles. Mais que se passe-t-il ailleurs ? En Angleterre, en vertu du nouveau traité anglo-français, on a supprimé tous les droits ad valorem ; ils ne subsistent plus que pour un ou deux articles. Le poids y sert donc de base ; mais encore le poids ne se déclare que pour déterminer le payement d'un timbre de contrôle.

La pesée se fait par des peseurs jurés de la compagnie des Docks en présence de l'importateur et de l'officier de la douane. (Interruption.)

M. le ministre des finances ne peut pas dire que cela n'est pas exact, j'ai vérifié le fait par moi-même, il y a trois jours.

La pesée se fait donc en présence de l'officier de la douane et de l'importateur.

S'il y a une erreur dans la déclaration, on la rectifie ; le douanier dit à l'importateur : « Vous vous êtes trompé dans votre déclaration ; vous avez déclaré autant de kilogr. en moins ; veuillez les ajouter à votre déclaration. » Voilà tout.

Il n'y a pas de caution à fournir ; il n'y a pas de pertes à subir ; le négociant n'est pas suspecté, et n'étant pas suspecté lui-même, il ne suspecte pas l'administration. (Interruption.)

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il n'y a pas de législation plus draconienne que la législation anglaise.

M. Hymans. -- La législation anglaise a été draconienne ; oui, mais depuis le nouveau traité dont le bénéfice a été étendu à tous les autres pays, y compris la Belgique, cette législation draconienne a complétement disparu, de même que cette foule d'entraves financières et autres, dont la suppression a changé la face de l'Angleterre.

Maintenant on nous dit que c'est un principe de législation que le pesage ne peut être fait par la douane. Je ne sais quelle est la raison de droit qui exige que ce principe soit maintenu. Vous dites que l'importateur doit s'imposer lui-même par sa déclaration. Je ne comprends pas cela. Car enfin il faut que la douane vérifie si l'importateur a bien ou mal déclaré, et pour faire cette vérification, il faut que la douane procède à la pesée.

Que la déclaration serve de base, soit ; mais qu'en cas de discussion, on procède comme en Angleterre, qu'on rectifie l'erreur qui aurait pu être commise de bonne foi.

Messieurs, en matière de poids, de mesures, comme le dit très bien la commission de l'industrie dans son rapport, la fraude est pour ainsi dire impossible. Qu'on frappe ceux qui veulent, par exemple, faire passer du vin pour de l'alcool ou de l'alcool pour du vin, mais qu'on se montre moins sévère quand il ne s'agit que d'une erreur de chiffres. Erreur ne fait pas compte, et vous ne pouvez pas à priori ériger une méprise en un délit.

Voilà ce que j'avais à dire sur le premier grief du négoce. Le second se rapporte à l'interprétation de l'article 19 du traité, relatif à la déclaration à la valeur. M. le ministre des finances a fait droit aux réclamations du commerce sur ce point, il a renvoyé les négociants à l'article 23 de la loi de 1822, qui porte que la valeur à déclarer est celle que les marchandises ont dans le lieu et au moment de la visite.

Le commerce sait gré à M. le ministre des finances de cette concession et je me joins volontiers au commerce pour l'en remercier.

Messieurs, le point principal des réclamations se rapporte à la préemption. Je demanderai à la Chambre de me permettre de l'entretenir encore pendant quelques instants.

Les réclamations qui se rattachent à la préemption ne datent pas d'aujourd'hui, mais de plusieurs années.

Avant le traité avec la France, la préemption se faisait pour le compte des vérificateurs, à leurs risques et périls, à charge de payer à l'importateur la valeur déclarée plus 10 p. c.

Il se commettait journellement des abus scandaleux, qui étaient l'objet de réclamations adressées à une foule de membres de cette Chambre. Les réclamations m'ayant été adressées, il y a un peu plus d'un an, je fis observer aux négociants qu'en vertu du traité avec la France, la préemption allait se faire pour le compte du trésor.

Il se passait alors des choses extraordinaires. Permettez-moi de citer quelque exemples.

Un négociant déclarait une marchandise ; le douanier trouvait la déclaration inférieure à la valeur ; il préemptait ; mais ce douanier avait sur la valeur de la marchandise des idées tout à fait particulières. Ainsi une marchande de modes importait, au commencement de la saison, un article, un chapeau, par exemple, qui devait servir de modèle à tous les chapeaux qu'elle devait fournir à sa clientèle.

« Ce chapeau vaut 100 francs, dit le douanier ; mais il vaut pour vous 300 francs, parce que c'est un chapeau modèle ; vous n'aurez pas votre chapeau, à moins que vous ne payez 50 francs. »

Malheureusement, il est des négociants qui aiment mieux subir ces conditions, donner une cinquantaine de francs, que de devoir attendre leurs marchandises pendant des semaines. I

M. Crombez. - Ils ont tort.

M. Hymans. - Ils ont tort évidemment ; et c'est précisément parce qu'ils avaient tort et qu'ils se sentaient eux-mêmes coupables, que leurs réclamations se sont produites si tard dans cette enceinte ; il a fallu pour les apporter jusqu'ici que la douane s'adressât à des hommes qui pouvaient marcher la tête haute, qui n'avaient jamais transigé avec leur devoir. (Interruption.)

Si vous voulez faire une enquête sérieuse, judiciaire, dans laquelle seront entendus, non pas les douaniers, mais des témoins indépendants, M. le ministre, vous acquerrez la conviction que mes assertions sont parfaitement exactes.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai fait faire une enquête sur les faits dénoncés ; des négociants ont été entendus ; ils disent bien : « J'ai appris tel fait, mais je ne prends pas la responsabilité de la déclaration. «

M. Hymans. - Si mes renseignements sont exacts, vous devez avoir en mains dans ce moment des réclamations signées de personnes honorables appartenant au commerce de la capitale et qui sont prêtes à subir toutes les conséquences de leur dénonciation.

- Une voix. - Cela est grave.

M. Hymans. - On me dit que cela est grave, mais cela n'a rien d'extraordinaire. Il m'est arrivé ce matin d'ouvrir Dalloz au mot « Préemption » et j'y ai vu qu'en 1848, en France, de l'avis unanime du comité des douanes, on a décidé que la préemption se ferait au profit du trésor à cause des abus qui se commettaient ; ces abus existaient en Angleterre comme en France. On faisait à Paris et à Londres exactement ce qui se fait à Bruxelles.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il faut bien que les employés vendent les marchandises qu'ils ont préemptées. Cela ne constitue pas le commerce.

M. Hymans. - J'ai dit que si l'on en est venu là, c'est parce que les négociants n'ont pas fait dès le principe ce qu'ils auraient dû faire et parce qu'ils ont transigé au lieu de faire ce que leurs intérêts bien entendus autant que leur devoir leur commandaient.

Maintenant, pour en revenir au texte même de la législation, vous savez que chez nous, depuis le traité avec la France, la préemption se fait pour le compte du gouvernement qui ne donne plus que 5 p. c. au-delà de la valeur déclarée. S'il y a perte, le trésor la supporte ; s'il y a bénéfice, on répartit 50 p. c. entre les employés.

Depuis que ces nouvelles mesures sont introduites, les réclamations n'ont pas cessé. Au contraire, elles sont devenues plus vives, et l'on continue à faire à l'entrepôt des spéculations que je considère comme parfaitement illicites.

Les employés préemptent un peu plus qu'avant, à tort et à travers. On préempte certains négociants plutôt que d'autres. II existe à Bruxelles, comme l'a dit l'honorable M. Goblet, des magasins fermés, rayonnés, dans lesquels on débite des marchandises préemptées et il n'y a pas de jour où je n'entends dire par des commerçants des plus honorables que l'on vient colporter chez eux des objets préemptés à la douane.

Pour être plus sûrs de faire un bénéfice, les employés vendent en détail.

En cas de perte, le trésor seul souffre ; en cas de bénéfice, il y a des primes pour ceux qui ont fait la préemption. Je pourrais vous citer beaucoup de faits.

Je me contenterai d'en rappeler quelques-uns qui sont de notoriété publique.

Ainsi tout le monde a su, par les journaux, et cela n'a pas été contesté que 100 robes de chambre, qui avaient été préemptées à 15 francs (page 1192) environ, tous droits compris, pour le compte du trésor, ont été mises en vente publique et que quatre ont été adjugées à raison de 11 fr. pièce. Que sont devenues les 96 autres ? On ne l'a jamais su. Je ne demande pas qu'on les produise ici (interruption) ; mais je demande ce qu'elles sont devenues.

M. Coomans. - Cela ne nous regarde pas.

M. Hymans. - Je vous demande pardon, M. Coomans, cela nous regarde infiniment.

M. Coomans. - Cela ne m'intéresse pas.

M. Hymans. - Vous avez tort, car, en n'adjugeant pas les marchandises, on viole la loi.

Qui vous dit que ces 96 robes de chambre n'ont pas été brocantées par les vérificateurs ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Depuis, on en a déclaré d'autres à une valeur plus élevée.

M. Hymans. - Qu'est-ce que cela prouve quant aux premières ?

Est-ce d'abord le même négociant qui a fait la seconde déclaration ?

Passons à un autre fait, que j'affirme de source certaine.

Il y avait à Bruxelles, l'année dernière, un théâtre qui devait s'ouvrir, c'était le Théâtre des Galeries Saint-Hubert. On attendait un lustre de bronze de Paris.

. Une entreprise rivale se dit que, si la douane préemptait ce lustre, le. théâtre ne pourrait s'ouvrir, et subirait pendant quinze jours, ou un mois, le temps nécessaire pour faire arriver un nouveau lustre de Paris, une perte considérable. Le propriétaire du théâtre fut obligé d'aller trouver le directeur général des douanes qui, avec la bienveillance qu'on lui connaît, consentit à faire livrer le lustre et à laisser transporter les caisses au théâtre même, à la condition que le directeur s'engageât sur l'honneur à déclarer la véritable valeur.

Il fallait donc recourir à l'administration supérieure, et je dois le dire, chaque fois que l'on s'adresse au ministre et aux personnes les plus élevées de la hiérarchie, on trouve satisfaction complète ; mais le bon vouloir de ces hauts fonctionnaires vient échouer, là comme partout ailleurs, devant l'inertie et le mauvais vouloir des régions inférieures de la bureaucratie.

J'ai encore un autre exemple à citer et celui-ci est extrêmement curieux.

Quoiqu'il se soit passé il y a quelques mois, M. le ministre des finances n'en aura pas, je pense, perdu le souvenir.

Une maison belge établie à Londres envoie à Anvers 50,000 ou 100,000 rouleaux de papier à meubler. Je no garantis pas le chiffre ; c'était un papier nouveau qu'on fabriquait en Angleterre à un bon marché extraordinaire.

On le déclare à sa véritable valeur. Les douaniers trouvent que ce papier vaut plus. Ils préemptent et l’on rembourse à l'importateur le prix déclaré plus 5 ou 10 p. c.

Puis on fait une vente qui a eu pour résultat de provoquer les réclamations de tous les détaillants qui trouvent extraordinaire que le gouvernement vienne leur faire concurrence, lui qui ne paye ni patente, ni loyer, ni commis, qui ne supporte aucun des frais auxquels sont astreints les commerçants.

Ici l’importateur n’a rien perdu, mais le commerce ne comprend pas pourquoi le gouvernement vient se substituer au négoce et réduire les négociants, comme on l'a fort bien dit dans un meeting, au rôle de commis-voyageurs de la douane avec une commission de 5 p. c.

La commission d'industrie, dont l'autorité en cette matière ne sera pas contestée, a reconnu à l'unanimité le fondement des griefs relatifs aux préemptions ; et elle a demandé que le gouvernement donnât sous ce rapport satisfaction au commerce dans le plus bref délai ; qu'il supprimât la vente en détail des objets saisis, et qu'il défendît aux employés de la douane d'être présents à ces ventes, afin qu'ils ne pussent poser aucun acte qui pût provoquer des doutes sur leur intégrité.

- Plusieurs membres. - A demain !

M. Hymans. - Si la Chambre le désire, je continuerai demain.

Ordre des travaux de la chambre

M. Pirmez (pour une motion d'ordre). - Je demanderai que la Chambre veuille bien intervertir son ordre du jour en y plaçant le livre premier du Code pénal avant le livre second.

- Cette proposition est adoptée.

M. Loos (pour une motion d’ordre). - Au début de la séance, il a été analysé deux pétitions venant d'Anvers, concernant le même objet et qui ont été renvoyées à la commission des pétitions.

Je demanderai qu'il soit fait rapport, le même jour, sur ces deux pétitions, afin qu'elles puissent être comprises toutes deux dans la discussion qui aura lieu vendredi prochain.

M. le président. - Je crois que c'est l'intention de la commission.

M. de Boe. - Messieurs, la commission des pétitions a bien voulu me charger de vous présenter ce rapport, et ç'a été, je me hâte de le dire, sur la demande de l'honorable M. Vander Donckt lui-même. Bien que l'envoi de ces pétitions ait été un peu tardif, j'espère cependant être à même de terminer mon rapport de manière à pouvoir le soumettre jeudi à la commission des pétitions et en donner lecture à la Chambre le lendemain.

- La proposition de M.- Loos est adoptée.

La séance est levée à cinq heures.