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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 29 mars 1862

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page 1055) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Moor, secrétaire, procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Les membres du conseil communal et des habitants d’Exel déclarent adhérer à la pétition qui a pour objet la concession d'un chemin de fer de Liège à Eindhoven par Hasselt, Zonhoven, etc. »

« Même adhésion des membres du conseil communal et d'habitants de Cautille. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Valcke-Desmet demande le prompt achèvement des travaux de pavage à la station du chemin de fer à Deynze. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics.


« La chambre de commerce et des fabriques d'Anvers demande la démolition des citadelles du Nord et du Sud de cette ville. »

M. de Boe. - La Chambre, dans une précédente séance, a décidé qu'un prompt rapport serait fait sur des pétitions, ayant le même objet que celle qui vient d'être analysée. Je demanderai que M. le rapporteur soit invité à comprendre cette dernière pétition dans son rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Les membres de l'administration communale et des habitants de Moll prient la Chambre de décréter les chemins de fer projetés de Liège par Hasselt à Eindhoven et de Herenthals à Maeseyck et de décider qu'ils traverseront Gheel et Moll. »

- Même renvoi.


« M. le ministre de la justice adresse à la Chambre les pièces de l'instruction de la demande en naturalisation du sieur Thomas, artiste peintre. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« M. le ministre des finances adresse à la Chambre le compte rendu des opérations des caisses d'amortissement des dépôts et consignations pendant l'année 1861. »

- Distribution et dépôt à la bibliothèque.


« M. le ministre de la justice adresse à la Chambre deux exemplaires du 4ème volume des procès-verbaux des séances de la commission royale pour la publication des anciennes lois et ordonnances de Belgique. »

- Dépôt à la bibliothèque.

Projet de loi portant le budget du ministère des travaux publics de l’exercice 1862

Discussion du tableau des crédits

Chapitre II. Ponts et chaussées. Bâtiments civils

Section III. Service des canaux et rivières, des bacs et bateaux de passage et des polders
Travaux d'amélioration des canaux et rivières. Bassin de l’Escaut
Article 30

M. le président. - La discussion continue sur l'article 30 : « Dendre ».

M. B. Dumortier. - Messieurs, dans la séance d'hier il a été question de travaux à effectuer à nos voies navigables et en particulier de ceux qu'on pourrait faire à l'Escaut et à la Dendre dans la vallée occidentale de la Belgique.

En entendant mon honorable ami, M. de Naeyer insister vivement pour obtenir du gouvernement la canalisation de la Dendre avec une prise à l'Escaut pour y établir un canal...

- un membre. - Non ! non !

M. B. Dumortier. - Je démontrerai que c'est oui. Est-ce qu'il n'est pas question de faire un canal de la Dendre à l'Escaut ? Peut-on le faire sans eau ?

M. de Naeyer. - Non, mais ce ne sera pas avec les eaux de l'Escaut.

M. B. Dumortier. - En entendant mon honorable ami. M. de Naeyer insister pour obtenir la canalisation de la Dendre et proposer un canal qui prendrait les eaux de l'Escaut et de ses affluents pour mener les bateaux jusque dans la Dendre, j'avoue que je n'ai pu m'empêcher de prendre la parole. C'est une question qui, à mes yeux, a une excessive gravité. Ce qui fait que j'attache une double importance à celle question, c'est l'annonce faite par M. le ministre qu'il serait question d'opérer une chose dont il est fait mention depuis vingt ans et qui a toujours été repoussée, la canalisation de l'Escaut.

Cette double question est d'une importance immense pour tout le bassin occidental de la Belgique.

D'abord, en fait de navigation fluviale, quel est le fleuve le plus important de la Belgique ? Incontestablement c'est l'Escaut, c'est la perle de la navigation du pays. M. Vifquain, dans son magnifique travail, l'a dit avec raison, il n'existe pas dans toute l'Europe de navigation comparable à celle de l'Escaut, c'est le fleuve dont la navigation est la moins dispendieuse, et en même temps celle qui transporte les plus grandes quantités de marchandises pondéreuses pour les mener du bassin houiller du couchant de Mons jusqu'aux Flandres à Anvers, et même à Bruxelles par le canal de Willebroeck.

C'est une navigation magnifique, une navigation qui marche admirablement bien et à laquelle, dans mon opinion, il serait très dangereux de vouloir toucher. J'y arriverai tout à l'heure. Mais, messieurs, examinons d'abord quelle est la situation de ce fleuve.

Les eaux de l'Escaut se composent de celles qui arrivent en Belgique par l'Escaut et par la Scarpe.

La Scarpe, qui se jette dans l'Escaut immédiatement au-dessus de la frontière, est une rivière presque aussi grande que l'Escaut. Or, que s'est-il passé dans ces derniers temps ? Le gouvernement français a détourné les eaux de la Scarpe pour les jeter, à Lille, dans la Deule. Vous avez dû voir, messieurs, il n'y a pas longtemps, par les gelées, que par les manœuvres habiles des ingénieurs français le canal de jonction de la Scarpe à la Deule n'a point eu de glace à cause du mouvement des écluses et parce qu'on avait jeté toutes les eaux de la Scarpe sur Lille et sur la Deule.

Il résulte de là, messieurs, deux choses : c'est que l'Escaut est privé de la moitié des eaux qui jusqu'ici avaient formé son contingent, et en deuxième lieu, que la Lys reçoit deux fais plus d'eau qu'elle n'en recevait auparavant.

Nous n'avons plus à Tournai, maintenant, ces inondations si déplorables que nous avions jadis ; depuis que le radier de l'écluse d'Antoing a été abaissé, nous sommes tombes dans un système diamétralement opposé : les magnifiques prairies des bords de l'Escaut sont devenues en quelque sorte des terres labourables, parce que la moitié des eaux qui constituaient autrefois le contingent du fleuve sont rejetées dans la Deule, c'est un préjudice énorme causé au pays.

D'autre part, messieurs, pour favoriser le canal de Bossuyt, on a créé une écluse à Autryve et pour favoriser le canal qu'on avait fait sur Roubaix on a fait une écluse à Espierre. Ainsi une écluse pour le canal de Bossuyt, une écluse pour le canal de l'Espierre, puis certaines coupures faites au fleuve, voilà des travaux qui ont considérablement modifié le régime du fleuve.

Nous verrons tout à l'heure le résultat qui a été amené par les deux écluses et celui qui serait amené si le système de la canalisation de l'Escaut pouvait être exécuté.

Messieurs, nous avons un corps d'ingénieurs en Belgique, il est composé d'hommes très savants, je le reconnais ; nos ingénieurs, comme génie civil, sont des hommes remarquables, mais je me suis toujours demandé si dans les études qu'ils doivent faire sont comprises les études géologiques ; ils devraient surtout étudier l'hydraulique et la nature des climats.

C'est sur ce point que je veux appeler l'attention de la Chambre et du gouvernement ; c'est une question purement scientifique, je demande pardon à la Chambre de devoir la traiter devant elle, mais l'importance des intérêts qui s'y rattachent l'exige absolument.

La science nous enseigne, messieurs, qu'il y a deux genres de fleuves, dont le régime est complètement différent ; il y a des fleuves qui charrient leurs eaux sur gravier, et il y en a qui charrient leurs eaux sur limon.

Les fleuves et les rivières comme la Meuse, comme la Sambre, qui charrient leurs eaux sur gravier ont des eaux beaucoup plus limpides que ceux qui charrient leurs eaux sur limon ; dans les premiers vous pouvez faire des travaux de canalisation sans exposer en rien le régime du fleuve.

Mais en est-il de même des fleuves et rivières qui charrient leurs eaux sur limon ?

Nullement, messieurs ; la différence est complète. Les fleuves qui coulent sur un lit de limon présentent un danger immense pour les ingénieurs Aussi longtemps que les eaux limoneuses, ces eaux qui sont en quelque sore de la boue flottante, aussi longtemps que ces eaux voyagent, il ne s'opère point d'atterrissements ; mais le jour où vous arrêtez le cours des (page 1056) eaux, vous tombez nécessairement dans les atterrissements qui présentent un danger immense pour la navigation.

Celte question des atterrissements, messieurs, est l’une des plus graves qui puissent se présenter. Je viens de recevoir un ouvrage de Cuvier que je regrette vivement de n'avoir pas eu plus tôt ; j'aurais été heureux de pouvoir vous citer quelques passages de ce savant illustre, à l'appui de mes observations.

La géologie nous enseigne qu'il y a toujours un immense danger à contrarier la nature dans les fleuves qui charrient leurs eaux sur limon. Cuvier cite entre autre autres le Pô. Dans ce fleuve, par les travaux qu'on y a faits anciennement on est arrivé à ce résultat que le lit du fleuve est aujourd'hui beaucoup plus élevé une les terrains voisins. Cela est tout simple ; aussi longtemps que les eaux du fleuve sont en mouvement, elles ne déposent pas de limon, elles vont se jeter dans la mer, où elles forment les bancs mais le jour où vous faites des barrages, le jour où vous faites des travaux de canalisation, vous empêchez le cours du fleuve, les eaux deviennent stagnantes, déposent leur limon et relèvent incessamment le lit du fleuve. Ceci est tellement vrai que mon honorable collègue et ami H. Henri Dumortier disait tout à l'heure que depuis quelques années seulement, à la suite de la construction des écluses d'Autryve et de l'Espierre, déjà des atterrissements se sont formés et que bientôt on ne saura que faire pour déblayer le lit du fleuve.

Voilà, messieurs, où vous arriverez si vous réalisez le projet de canaliser l'Escaut. Ne vous faites pas illusion, pour un avantage excessivement minime, pour un avantage incertain, vous exposez tout le fleuve à un danger immense.

Le jour où vous allez laisser le lit du fleuve se relever de quelques pouces, d'un quart de pied, chaque année, vous arriverez au bout d'un certain nombre d'années, à un soulèvement de plusieurs pieds, et alors les prairies qui avoisinent le fleuve deviennent des marécages, au grand détriment de la santé publique. Vous avez alors le typhus et les fièvres pestilentielles qui deviennent permanentes.

C'est ainsi, messieurs, que depuis qu'on a fait l'écluse d'Autryve, toutes les prairies qui bordent la rivière de l'Espierre sont devenues des marais pestilentiels ; dans ces plaines où l'on n'avait jamais connu le typhus, le typhus est aujourd'hui en permanence ; la peste du pays y a établi son siège.

Est-ce un avantage que de créer de pareilles situations ? Je dis, pour mon compte, que c'est excessivement dangereux.

Maintenant, quel avantage retirerez-vous de la canalisation de l'Escaut ? Cette canalisation amènera-t-elle un navire de plus à Gand, à Anvers, dans les Flandres ? Non ; toute la différence est que vous aurez une navigation continue, au lieu d'une navigation par rames. Est-ce là un avantage bien sérieux ? Mais la canalisation du fleuve produira la nécessité de créer une traction pour le transport des navires qui aujourd'hui n'exigent pas de traction ; vous augmenterez le fret, et en supposant que vous ne l'augmentiez pas, vous ne retirerez de la canalisation de l'Escaut que le seul avantage de substituer une navigation continue à une navigation par rames.

Pour un avantage aussi minime, aussi incertain, faut-il compromettre une immense vallée, la vallée du plus beau fleuve qui soit en Belgique ?

L'Escaut, depuis Tournai jusqu'à Gand, a une pente excessivement faible. Je viens de vérifier dans le magnifique ouvrage de M. Vifquain quelle est la chute d'eau depuis la sortie de l'Escaut à Tournai jusqu'à Gand ; cette chute est, environ de 9 mètres 8 centimètres. Le parcours est de 92,072 mètres, c'est-à-dire de 18 lieues 1/2 kilométriques. Ainsi pour ces 18 1/2 lieues kilométriques, vous avez une chute d'eau de 9 mètres 8 centimètres.

Voilà les conditions territoriales, géologiques, du fleuve, tel qu'il a été créé par la nature.

C'est là, vous en conviendrez, une chute d'eau excessivement minime, mais c'est précisément parce qu'elle est minime que l'on s'expose aux plus grands dangers, quand on voudra opérer la canalisation.

En canalisant un fleuve qui a une chute d'eau presque insignifiante, vous exposez le lit du fleuve à devenir un dépôt de sédiment considérable.

Je conçois que lorsqu'une partie quelconque d'un fleuve est réduite à l'état de canal, comme l'Escaut à Tournai, à Gand ; je conçois que le curement de cette partie du fleuve puisse s'opérer tous les 25, 30 ou 40 ans ; mais il n'est pas possible de songer à curer un fleuve sur un parcours de 25 lieues ; cela ne pourrait s'exécuter qu'en dépensant un nombre considérable de millions, et en suspendant la navigation pendant un grand nombre d'années.

D'où vient, par exemple, qu'à Gand les eaux ont menacé les habitations à tel point qu'il a fallu créer d'abord la coupure pour déverser les eaux dans le canal de Bruges, puis le canal de Terneuzen pour déverser le eaux dans le bas Escaut, enfin le canal de Schipdonck ? A quoi cela tient-il ? A ce que dans la ville de Gand les eaux sont stagnantes ; le lit du fleuve s'y relève d'une manière considérable ; il faudra que le gouvernement pourvoie d'une manière sérieuse au draguage du fleuve. L'écluse de la Pêcherie, indispensable pour la chute d'eau à la mer, maintient les eaux à une grande élévation ; il en est de même des moulins qui se trouvent dans la ville.

Il en résulte que ces eaux déposent leur limon et que le sol se soulève constamment.

C'est en vertu de cette loi fatale des atterrissements qu'on a dû enlever à la ville d'Anvers, pour les rejeter directement à la mer, plus de la moitié des eaux de l'Escaut arrivant à Gand, et l'on a privé ainsi le port d'Anvers des eaux qui lui étaient indispensables pour conserver au fleuve la profondeur qu'il doit avoir. (Interruption.)

Par le canal de Terneuzen, par le canal de Schipdonck et par le canal de Bruges vous faites passer, au détriment d'Anvers, la moitié des eaux qui arrivent à Gand et qui autrefois maintenaient l'Escaut à une grande profondeur.

Ainsi, par suite de travaux faits sans intelligence par nos ingénieurs (je regrette d'être obligé de le dire), au lieu d'avoir rendu service à la ville de Gand, on a compromis au plus haut degré l'existence du port d'Anvers, le plus beau de l'Europe, un des plus beaux joyaux de la couronne de la Belgique.

Que résulte-t-il de là, messieurs ? C'est qu'on ne saurait être trop prudent quand il s'agit de modifier le régime des fleuves dont les eaux coulent sur un fond limoneux ; et, pour mon compte, je tiens à ce que le gouvernement ne touche pas à l'Escaut sans avoir très profondément examiné cette grave question.

Je ne crois pas, du reste, que le gouvernement puisse, de son autorité privée et sans être armé d'une loi, opérer la canalisation d'un fleuve. Il s'agit là de travaux d'une telle importance qu'il faut nécessairement qu'ils soient autorisés par la législature. Remarquez, du reste, que c'est ainsi que l'on a procédé pour la canalisation de la Meuse ; et je ne comprendrais pas que l'on agît autrement pour l'Escaut qu'on ne l'a fait pour la Meuse.

Quelque confiance que je puisse avoir dans la sollicitude de M. le ministre des travaux publics pour l'amélioration du régime de l'Escaut, et. dans l'aptitude de MM. les ingénieurs, il s'agit ici d'une question tellement importante, qu'il ne peut appartenir qu'au parlement de la résoudre.

Je suis tellement convaincu du danger qu'il y aurait de faire des travaux de canalisation sur le cours de l'Escaut que, quelque opposé que je sois aux dépenses continuelles que l'on veut faire à la Meuse, je donnerais volontiers à ce fleuve tous les fonds qui seraient nécessaires à la canalisation de l'Escaut, parce que je considérerais ces travaux de canalisation, que d'autres membres viendront sans doute nous demander, comme un immense danger, tout à la fois pour le régime du fleuve, pour les propriétaires des magnifiques prairies qui le bordent sur un parcours de 20 lieues, et enfin pour la santé des habitants qui se sont fixés sur ses rives et qui seraient constamment exposés aux mortelles atteintes du typhus.

Il est possible, messieurs, que M. de Naeyer, en me voyant si peu zélé et si peu dévoué pour la canalisation de la Dendre, vienne vous dire que je défends ici un intérêt de clocher ; que je crains que les bateaux ne finissent par prendre le chemin de la Dendre.

Mais, vous comprendrez sans peine que les intérêts de la ville de Tournai sont au-dessus de considérations aussi mesquines.

Une ville comme celle de Tournai, avec sa vaste industrie, tient fort peu à avoir quelques centaines de bateaux de plus qui passent dans ses murs.

Si nous avions quelques centaines de bateaux de moins qui traversassent la ville, je trouverais cela très commode, on tournerait les ponts moins souvent et nous passerions plus facilement ; mais ce n'est pas là ce qui me touche ; ce qui me touche comme représentant, c'est la crainte qu'on ne s'expose par une mesure quelconque à compromettre le plus beau fleuve que non seulement la Belgique, mais l'Europe possède au point de vue de la navigation et surtout de la navigation des matières pondéreuses.

J'ai exposé les pertes d'eau que l'Escaut a faites ; on veut canaliser la Dendre, l'honorable M. de Naeyer le demande, cela le regarde ; je suis convaincu qu'on regrettera plus tard cette canalisation et que les dangers que je redoute pour l'Escaut arriveront pour la Dendre. Un de nos anciens collègues, M, de Portemont, a dit que depuis les travaux exécutés à, (page 1057) la Dendre, d'excellentes prairies sont devenues des marais infects ; c'est ce qui arrive toujours quand vous canalisez des fleuves bordés de prairies.

Je ne m'inquiète pas de la canalisation de la Dendre. mais ce que je ne veux pas, c'est qu'on prenne les eaux de l'Escaut pour canaliser la Deule, qu'on compromette la navigation d'un fleuve pour créer une petite rivière et prétendre même en faire un fleuve. Ce projet, au point de vue de la navigation, a une importance excessive.

Déjà l'Escaut a perdu la moitié de ses eaux qu'on a déversée dans la Dendre et la Lys ; si on veut faire la canalisation dont il s'agit et le canal de Blaton à la Dendre, ce canal ne pourra exister qu'en prenant les eaux de l'Escaut ou de ses affluents ; on ne conduira pas les eaux de la Dendre dans ce canal ; la moitié de l'année, la Dendre n'a pas d'eau ; ce n'est guère qu'un ruisseau formé de deux petits ruisseaux venant l'un de Leuze, l'autre de Lens près de Mons ; ce sont ces deux ruisseaux qui constituent la Dendre, c'est de la partie la plus éloignée de l'embouchure que je parle.

Déjà aujourd'hui on a de la peine à organiser la navigation avec les eaux si peu considérables que ces ruisseaux amènent. Si vous voulez mettre la Dendre canalisée en rapport avec l'Escaut, c'est dans l'Escaut que vous viendrez chercher les eaux pour votre canal.

- Un membre. - Pas du tout.

M. B. Dumortier. - Sans doute l'honorable M. de Naeyer a trouvé une fontaine qui tombera du ciel pour alimenter son canal.

Il faut qu'il prenne l'eau de la Dendre ou de l'Escaut.

M. de Boe. - Mais ces eaux viendront toujours au bas de l'Escaut.

M. B. Dumortier. - Je suis étonné de l'observation de M. de Bec ; je parle du haut Escaut, il est aussi respectable que le bas Escaut. Je trouve étrange qu'un membre représentant du bas Escaut se montre si indifférent au haut Escaut quand nous, nous défendons toujours avec chaleur les intérêts du bas Escaut qu'il représente.

M. de Boe. - Je ne dis pas le contraire.

M. B. Dumortier. - Il fallait alors conserver pour vous votre réflexion.

Si donc on établit un canal depuis celui de Pommerœul à Antoing jusqu'à Ath, ce canal doit prendre ses eaux au canal de Pommerœul. Or, le canal de Pommerœul est alimenté par l'Escaut, c'est donc à l'Escaut qu'on prendra l'eau, et vous aurez encore appauvri les eaux que charrie l'Escaut.

Mais qu'est-ce que cela fait ? Les eaux arriveront toujours au bas Escaut ; les Anversois, un peu égoïstes, s'inquiètent fort peu du reste.

Je demande s'il y a deux Escauts et si l'Escaut de Tournai ne sert pas l'Escaut anversois et si l'Escaut d'Anvers ne sert pas celui de Tournai ?

Je demande si les bateaux de Tournai ne vont pas à Anvers et si des chargements complets ne remontent pas d'Anvers â Tournai ?

Nous avons les mêmes intérêts à conserver à l'Escaut, dans toute son étendue, les magnifiques conditions de navigation que la nature lui a données et que l'art vient chaque jour lui enlever.

N'enlevons pas à l'Escaut sa magnifique navigation.

L'Escaut a toujours été navigable tant qu'on n'y a rien fait. Le jour où vous aurez compromis son régime, je ne sais ce qui peut arriver, ce qui arrivera le jour où vous aurez voulu rendre la navigation continue. Ce n'est pas la première fois que cette question se présente.

Elle s'est présentée encore à l'occasion du travail de M. Vifquain ; alors MM. Dubus, Doignon et Trentesaux sont venus s'opposer de la manière la plus énergique à ce qu'aucun travail se fît à l'Escaut pour la navigation sans l'intervention de la législature ; une loi a été portée, disant qu'il est interdit de rien changer au régime de l'Escaut sans consulter au préalable les administrations communales de Tournai et d'Audenarde. Je demande que le gouvernement n'entreprenne rien sans avoir consulté non seulement ces administrations, mais le parlement .Quand il s'agit de changer le régime du plus beau fleuve du pays, il est nécessaire que les Chambres soient consultées.

J'ai prouvé que je ne veux pas deux combinaisons différentes, l'une du haut, l'autre du bas Escaut ; bien des fois je me suis occupé des atterrissements dans l'Escaut ; quoique je ne sois pas représentant de la province d'Anvers, je suis heureux d'avoir été le premier qui ait saisi la Chambre de cette question ; je ne l'ai pas fait en député de Tournai ou de Roulers, mais en représentant de mon pays. Je donne l'exemple à ceux qui voudraient faire deux Escauts.

Je demande si le gouvernement veut faire l'acquisition d'un bateau dragueur pour assurer la complète navigation du bas Escaut.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - J'ai dit non, et j'ai dit pourquoi.

M. B. Dumortier. - Je regrette vivement que ce travail ne se fasse pas. Nous avons en Belgique un corps d'ingénieurs, c'est une fatalité pour un pays d'avoir un corps d'ingénieurs permanent.

Vous me permettrez d'avoir cette opinion.

Aussi longtemps qu'il y a de bonnes choses à faire, le corps permanent a une utilité, mais il faut qu'il produise en permanence, toujours sous peine de devenir inutile.

Alors les idées les plus simples, les choses qui ne le concernent pas, il les repoussera toujours pour faire prévaloir le système des travaux par ses ingénieurs.

Pour l'Escaut, par exemple, j'ai entendu souvent préconiser le système des épis.

Pour rendre à l'Escaut son ancienne profondeur, il faut, disait-on, créer des épis. J'ai consulté sur ce point les hommes les plus compétents.

- Une voix. - Des ingénieurs.

M. B. Dumortier. - Tous ont été d'avis que ce système pouvait parfois être utile, mais que très souvent il était fort dangereux.

Le système des bateaux dragueurs, au contraire, ne peut jamais présenter aucun danger. Il aide la nature, il marche avec la nature.

En France et en Angleterre, à l'embouchure de tous les ports de mer, il y a des bateaux dragueurs.

Allez à Londres, remontez la Tamise et vous verrez partout des bateaux dragueurs qui conservent au fleuve sa profondeur.

Ce n'est qu'à ce prix que nous maintiendrons la profondeur de l'Escaut ou, pour mieux dire, que nous lui rendrons son ancienne profondeur et que nous pourrons suppléer à la perte considérable des eaux qui sont détournées aujourd'hui et qui formaient autrefois un draguage perpétuel.

Je demande pardon à l'assemblée de l'avoir entretenue si longtemps de cette question ; elle a une importance très grande.

Je prie M. le ministre des travaux publics de vouloir bien y prêter une sérieuse attention, lui qui est député de Gand et Flamand et qui porte un intérêt immense à la navigation de l'Escaut.

C'est notre fleuve commun ; il arrose nos villes. Ne touchons pas légèrement, témérairement à ce fleuve, dont la navigation est la plus belle du monde.

- M. E. Vandenpeereboom remplace M. Vervoort au fauteuil.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Comme vient de le dire l'honorable préopinant, en ma qualité de Gantois et de Flamand, j'ai pour l'Escaut autant d'amour que lui.

C'est assez dire qu'indépendamment de ma qualité de ministre qui m'oblige à ne me laisser guider que par des considérations d'intérêt public, je n'entreprendrai rien sur l'Escaut avant d'être parfaitement éclairé et parfaitement sûr que les travaux qu'il s'agirait d'entreprendre ne seraient pas de nature à porter la moindre perturbation au régime de ce beau fleuve.

Je ne puis, malgré les considérations dans lesquelles l'honorable membre vient d'entrer, me ranger à son opinion. Il ne parvient pas à me convaincre que les travaux de canalisation projetés sur l'Escaut pourraient porter au régime de ce fleuve quelque trouble. Je ne suis pas le seul incrédule sur ce point. Comme l'honorable membre le rappelait tout à l'heure lui-même, il y a 20 ans qu'il défend la thèse qu'il vient encore de soutenir, mais il y a 20 ans aussi qu'il n'a pas fait une seule conquête à son opinion.

M. B. Dumortier. - L'administration de Tournai et celle d'Audenarde soutiennent la même thèse que moi, et elles ont envoyé ici des pétitions pour s'opposer à la canalisation. Il y a beaucoup plus d'incrédules pour le système contraire que pour celui que je défends. Vous n'avez pour vous que les ingénieurs.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Mais ce sont des hommes compétents, j'imagine, et il faut bien tenir quelque compte de leur manière de voir.

L'honorable membre voulait tout à l'heure soumettre cette question au parlement, Il prétend que le parlement seul doit intervenir pour la décider.

Je crois que le parlement a le droit de savoir comment on se propose de faire emploi des fonds votés, mais je crois aussi que ceux qui sont naturellement appelés à éclairer le gouvernement, ce sont les ingénieurs ; que ce sont les hommes techniques qui ont le premier et le dernier mot à dire dans des affaires de cette nature. De quoi s'agit-il ?

II s'agit de canaliser l'Escaut. Qu'est-ce que c'est que canaliser un fleuve ou une rivière en général ? C'est établir certains ouvrages d'art dans le lit du fleuve ou de la rivière, qui séparent le fleuve ou la rivière en divers (page 1058) biefs. Quelle peut être l'utilité de ce travail en ce qui concerne l'Escaut ? ^ L'Escaut dessert principalement la navigation entre Tournai et Gand. Par conséquent si, moyennant certains travaux, nous pouvons favoriser la navigation du fleuve, nous ne faisons, pour me servir de l'expression de l'honorable membre, qu'une chose, nous aidons la nature. Qu'est-ce qu'il y a d'illogique à aider la nature ?

Dans nos contrées les fleuves ou rivières remplissent en général une autre fonction encore : ils fécondent les propriétés riveraines.

M. B. Dumortier. - C'est le but principal.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - C'est le but principal, si vous le voulez, mais cela n'est pas une objection lorsqu'il s'agit de travaux qui, tout en favorisant la navigation, favorisent en même temps la fécondation des propriétés riveraines.

Comment la navigation se pratique-t-elle aujourd'hui sur l'Escaut ? Elle se pratique au moyen de ce qu'on appelle des bonds d'eau ou des lâchures ; on rassemble les eaux en amont des ouvrages d'art destinés à les retenir, en amont des barrages, puis on abaisse les barrages ; le volume d'eau amassée descend, et avec le volume d'eau les engins de transport que l'eau porte, c'est-à-dire les bateaux.

Voilà, messieurs, le moyen très simple, très économique, mais passablement barbare, qui constitue aujourd'hui la navigation entre le haut et le bas Escaut.

Maintenant que veut-on faire de cette navigation essentiellement intermittente et dépendante de la quantité d'eau qu'on est parvenu à rassembler ? On veut y substituer une navigation permanente.

La simple énonciation du but que l'on se propose, suffît à démontrer que, s’il peut être atteint, le résultat sera considérable.

Mais, messieurs, si, lorsqu'il y a de l'eau en grande quantité, la navigation est facile à la descente, elle est, dans tous les cas, difficile à la remonte ; on peut dire que quand on emprisonne les eaux du fleuve dans des biefs, c'est non pas faciliter mais créer la navigation en remonte.

Voilà donc le deuxième but que l'on veut atteindre et, encore une fois, il suffit de l'énoncer pour prouver combien il est important.

Il y a un troisième but à poursuivre : les eaux de l'amont se trouvant lâchées, arrivent à l'aval, à Gand, où le haut Escaut se sépare du bas Escaut, en très grande abondance, quelquefois en si grande abondance que, quelque précieuses qu'elles soient, on est obligé de s'en débarrasser.

On s'en débarrasse donc, et le lendemain ou le surlendemain, quand il en faudrait dans le bassin de Gand, il n'y en a plus ; c'est encore là un état de choses très regrettable.

Voilà, messieurs, la question au point de vue de la navigation et au point de vue de l'alimentation du bassin de Gand.

Mais il y a un autre point de vue, c'est celui de l'intérêt des propriétés riveraines. Je disais tout à l'heure qu'un travail de canalisation consiste dans l'établissement, dans le lit du fleuve ou de la rivière, de barrages ou d'écluses ; mais ce qui doit nécessairement accompagner ce travail, c'est le creusement, à côté de la rivière ou du fleuve, de rigoles destinées à débarrasser les propriétés riveraines des eaux surabondantes, en les ramenant en aval du barrage le plus voisin.

Ces sont les rigoles maîtresses dont l'honorable M. de Naeyer a entretenu la Chambre à diverses reprises, à propos de la canalisation de la Dendre et qui sont, en effet, indispensables. N'est-il pas évident que, si de pareilles rigoles sont établies à côté de l'Escaut, elles contribueront de la manière la plus heureuse à l'assèchement et à l'assainissement des prairies ?

Il y a donc, messieurs, divers résultats à poursuivre et chacun de ces résultats est éminemment désirable.

Maintenant, à côté de ces fruits heureux de la canalisation de l'Escaut, y a-t-il des inconvénients graves qui devraient faire renoncer à ce projet ?

L'honorable membre n'en a cité absolument qu'un seul, c'est l'envasement.

M. B. Dumortier. - Tout est là.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Nous sommes d'accord si cette crainte est fondée, mais elle ne l'est pas.

Quelqu'un qui ne connaîtrait pas la situation présente, croirait, à entendre l'honorable membre, qu'il s'agit de créer quelque chose de complètement nouveau ; il n'en est absolument rien. Il s'agit tout simplement de compléter, dans une assez faible mesure, ce qui existe aujourd'hui et ce qui existe depuis longtemps.

Je parlais des ouvrages d'art qui existent aujourd'hui dans l'Escaut et qui sont des barrages ; eh bien, messieurs, à côté de ces barrages, pour établir une navigation permanente, que faut-il faire ? Etablir des écluses à sas. Or ce qui retient les eaux ce ne sont pas plus les écluses que les barrages. Actuellement si vous n'avez pas d'écluses à sas, si vous n'avez pas le bon côté de la chose, vous avez les barrages, vous avez le mauvais côté, (Interruption.)

Ne contestez pas. Entre Tournai et Gand, il n'y a pas moins de six barrages, pas moins de six ouvrages d'art qui retiennent les eaux ; vous avez un barrage à Antoing, un au-dessus et un au-dessous de la ville de Tournai, un à Autryve, un à Audenarde et un à Semmerzaeke. Vous avez donc aujourd'hui déjà six barrages et de quoi s'agit-il ? D'accoler à ces barrages des écluses à sas.

Je demande ce que cela peut faire, je demande jusqu'à quel point cela peut modifier, non pas le régime ancien, mais le régime présent de l'Escaut ? Je me le demande et je ne le trouve pas. Si on achève le travail commencé, on se trouvera, au point de vue du danger de l'ensablement, exactement dans la position où l'on se trouve aujourd'hui ; seulement on recueillera le bénéfice de la chose.

Je comprendrais que l'établissement d'écluses à sas à côté des barrages pût apporter quelque gêne ; si, par exemple, le radier de l'écluse était établi au-dessus du radier du barrage ; mais si le radier des deux ouvrages se trouve sur le même niveau, c'est comme si les écluses n'existaient pas, de même que l'établissement de trois ou quatre barrages nouveaux est indifférente là où il en existe déjà six.

Je dis donc que la canalisation donc il s'agit ne présente aucun des dangers qu'a signalés l'honorable M. B. Dumortier. Je crois que les dangers dont il a entretenu la Chambre sont purement imaginaires ; on ne s'y est pas arrêté jusqu'ici, je ne pense pas qu'on doive s'y arrêter dans l’avenir. Il me paraît possible d'exécuter à peu de frais la canalisation de l'Escaut, de façon à augmenter notablement les services que rend déjà le fleuve, et sans faire naître aucun des dangers que signale l'honorable M. Dumortier.

Quand on dit qu'on veut substituer une navigation permanente à une navigation intermittente, c'est la même chose que si l'on disait qu'on veut abaisser le fret, puisqu'une navigation permanente est notablement plus régulière et ne comporte aucune des pertes de temps qu'entraîne la navigation intermittente.

Il s'agit donc d'un travail de la plus haute importance, qu'on peut effectuer à peu de frais. Comme je le disais dans une précédente séance, avec les fonds déjà mis à la disposition du gouvernement, et un crédit complémentaire très peu considérable, trois à quatre cent mille francs, le travail complet pourra être achevé.

Je ne crois donc pas que nous devions nous arrêter aux prédictions sinistres de l'honorable M. Dumortier ; je crois que le corps des ponts et chaussées peut avoir confiance en lui-même ; je crois qu'il peut poursuivre paisiblement ce travail de canalisation qui est projeté depuis longtemps et qui, je dois le déclarer à la Chambre, va prochainement recevoir un commencement d'exécution.

Ce qu'a dit l'honorable membre des eaux limoneuses de l'Escaut, s'applique à d'autres voies navigables.

La Dendre est absolument dans la même position. Il n'y a, à cet égard, aucune différence entre les deux cours d'eau ; j'admets qu'il y ait une différence entre l'Escaut et la Meuse ; mais il n'y en pas, au point de vue où s'est placé l'honorable membre, entre l'Escaut et la Dendre.

Puisque nous sommes à l'article de la Dendre, je dois cependant me ranger à l'avis de l'honorable préopinant, lorsqu’il dit que pour alimenter le canal projeté du bassin de Mons à Ath, il ne devrait pas être permis d'appauvrir l'Escaut.

En effet, cela ne doit pas être : l'Escaut a été saigné assez fort dans ces derniers temps, en France comme en Belgique : en France, par le détournement de la Scarpe ; en Belgique, entre autres, par la construction du canal de Bossuyt à Courtrai, et l'année dernière, par le détournement des eaux de la Lys, au moyen de l'écluse d'Astene, pour permettre le rouissage du lin dans la Flandre occidentale.

A cet égard, je le répète, je dois me ranger à l'avis de l'honorable membre, et si des projets sérieux étaient présentés pour la construction du canal destiné à joindre le bassin de Mons à la Dendre, le gouvernement aurait à examiner avec soin quelle est l'origine des eaux qu'on se proposerait d'affecter à l'alimentation de ce canal.

Messieurs, je crois que je puis me borner provisoirement à ces observations ; j'attendrai, du reste, celles qui pourraient être produites dans la suite de cette discussion.

M. le président. - Je dois rappeler aux membres inscrits que nous sommes à l'article « Dendre » ; nous sommes rentrés un peu dans l'Escaut en passant par la Dendre, il faut, si c'est possible, rester dans la Dendre.

La parole est à M. de Naeyer.

(page 1059) M. de Naeyer. - Messieurs, je voulais présenter l'observation que vient de faire notre honorable président ; l'honorable M. Dumortier s'est étendu très longuement sur la question de la canalisation des fleuves et rivières ; mais il me semble que ses observations, pour les neuf dixièmes au moins, se rapportent exclusivement à l'Escaut qui, me paraît-il, n'avait rien à voir dans cette discussion.

Je me bornerai à parler de la Dendre qui est seule en discussion et que je connais beaucoup mieux que l'Escaut.

Je commencerai par relever deux erreurs dans lesquelles est tombé l'honorable M. Dumortier. D'abord, il n'est pas exact de dire que j'aie insisté pour la canalisation de la Dendre ; cela était complètement inutile ; cette canalisation est décrétée depuis plusieurs années, de même que le gouvernement a été autorisé à concéder le canal de jonction du bassin de Mons à la Dendre ; tout cela a été décrété, malgré l'opposition de l'honorable M. Dumortier, et malgré toutes les objections qu'il a fait valoir à cette époque et qu'il a répétées aujourd'hui.

Il est donc inutile que je m'occupe encore de cet objet.

C'est une question qui est vidée, qui a été décidée en pleine connaissance de cause et qui, suivant moi, a reçu une solution éminemment favorable à l'intérêt général.

L'honorable membre a commis une seconde erreur qui lui a servi de transition de la Dendre à l'Escaut, et je crois que c'était là le but principal des observations tout à fait accessoires qu'il a présentées relativement à la rivière qui traverse notre arrondissement ; il s'est donc trompé en soutenant que pour alimenter notre canal de jonction, nous voulons puiser des eaux dans l'Escaut ou dans les affluents de ce fleuve.

A une autre époque, j'ai encore répondu à cette objection-là, j'aurai aujourd'hui, je l'espère, le bonheur de convaincre l'honorable M. Dumortier qu'il est, à cet égard, dans une profonde erreur.

Le canal de jonction qui, selon moi, doit obtenir la préférence et qui offre le plus d'avantage, est celui d'Ath à Jemmapes. Eh bien, ce canal a déjà fait l'objet d'une concession, si je ne me trompe, en 1842.

Or, les ingénieurs du corps des ponts et chaussées, dont l'honorable membre lui-même reconnaît la parfaite compétence quand il s'agit de questions de construction, ont reconnu alors après mûr examen la possibilité de l'exécution du canal sans prendre une goutte d'eau à l'Escaut.

En effet, à ce point de vue toute la question est de savoir comment sera alimenté le bief de partage. Si le bief de partage ne reçoit pas d'eau de l'Escaut, évidemment aucun des autres biefs ne peut enlever de l'eau à l'Escaut.

Eh bien, voici ce que je lis dans le cahier des charges de cette concession, à l'article 8 :

« Le concessionnaire fera l'alimentation de la première section du canal en conduisant au bief de partage les eaux du ruisseau du plateau de Lens et 2° en élevant au moyen des machines à vapeur les eaux de la rivière de Chièvres. »

L'honorable M. Dumortier, parfaitement versé dans la géologie, saura que ces eaux appartiennent au bassin de la Dendre : les eaux du ruisseau du plateau de Lens appartiennent au bassin de la Dendre et à plus forte raison les eaux de la rivière de Chièvres. Ainsi vous voyez que je n'ai pas besoin d'ouvrir miraculeusement les cataractes du ciel pour alimenter le canal dont il s'agit sans emprunter les eaux de l’Escaut.

M. B. Dumortier. - Cela n'arrive pas à Blaton.

M. de Naeyer. - Il ne s'agit pas de Blaton. Je vous parle du canal d'Ath à Jemmapes. Quant au canal de Blaton, je crois vous avoir répondu l'année dernière, mais j'ai démontré hier que celui de Jemmapes est évidemment supérieur comme canal de jonction ; pour le moment donc, il ne s'agit pas d'autre chose.

Ainsi, veuillez-vous tranquilliser. Vous voyez qu'au lieu de vous enlever des eaux, nous allons vous en donner. Etes-vous content maintenant ?

Messieurs, quant à tous les graves inconvénients qui, dans l'opinion de l'honorable membre, sont attachés à la canalisation d'une rivière, inconvénients qu'il veut absolument appliquer à la Dendre, quoiqu'il ait eu soin de dire qu'il ne s'intéressait que médiocrement à cette rivière, encore une fois à cet égard, je ne puis partager sa manière de voir. Je crois que tout dépend de la manière dont les travaux sont conçus et exécutés.

En toutes choses on trouve du bon et du mauvais. Je crois qu'il y a eu de très mauvaises canalisations, surtout au point de vue des intérêts agricoles, et je crois qu'il en a été ainsi parce que malheureusement l'industrie et le commerce ont beaucoup plus d'influence dans les régions administratives que l'agriculture. On ne recule pas devant les grosses dépenses quand il s'agit de favoriser la navigation, mais quand on en vient aux travaux nécessaires pour assurer l'écoulement régulier des eaux surabondantes pour éviter à l'agriculture des pertes énormes, oh ! alors on parle d'économie, alors les dépenses doivent être réduites dans les limites les plus rigoureuses, et s'il manque quelque chose on le fera après. Oui, je le dis avec douleur, trop souvent on relègue l'agriculture à l'arrière-plan, et l'on oublie que l'agriculture est la grande industrie, l'industrie alimentaire du pays.

Ces tendances déplorables je les ai combattues hier et je ne cesserai de les combattre avec toute l'énergie dont je serai capable. Je ne pense pas avec l'honorable M. Dumortier que ce sont les connaissances géologiques qui font défaut à nos ingénieurs ; mais ce qui leur manque trop souvent c'est une intelligence parfaite de l'importance des intérêts agricoles, si intimement liés aux travaux qui s'exécutent dans les rivières. Voilà comment on néglige d'accorder une légitime influence aux avis et aux renseignements des hommes qui sont à même de bien connaître les faits locaux devant servir de base aux projets, voilà comment l'agriculture a essuyé bien des pertes qui auraient pu être évitées.

Eh bien, j'espère encore qu'il n'en sera pas ainsi pour la canalisation de la Dendre, j'espère que l'honorable ministre n'adoptera pas les économies que j'ai combattues hier et qui, ayant pour objet de réduire en aval les moyens d'écoulement, pourraient porter le plus grave préjudice à l'industrie agricole.

Je nourris cet espoir à cause des sympathies que l'honorable ministre a témoignées dans d'autres circonstances pour l'agriculture et aussi à cause des observations qu'il vient de présenter quant à la canalisation de l'Escaut.

En effet, il nous a dit positivement qu'en ce qui concerne l'Escaut, le radier des nouvelles écluses à sas serait placé au même niveau que le radier des barrages actuels, afin d'éviter les envasements en conservant au lit du fleuve la pente naturelle, c'est-à-dire une pente parallèle à celle de la vallée.

Eh bien, c'est là le bon système de canalisation. Cette question a beaucoup occupé un savant ingénieur que la mort nous a enlevé il y a peu de temps, je parle de M. Wolters qui était particulièrement versé dans les matières qui nous occupent en ce moment. Il a prouvé dans ses écrits qu'afin de ne pas bouleverser le régime naturel des rivières par des travaux de canalisation, il faut absolument adopter pour le plafond une pente parallèle à celle de la vallée, surtout en ce qui concerne le territoire d'aval où les envasements sont le plus à craindre.

Eh bien, voilà ce qui n'aurait pas lieu pour la Dendre si les modifications que j'ai combattues hier étaient adoptées, car évidemment en diminuant la profondeur projetée, on relèverait le lit en amont des écluses,. qui cesserait ainsi d'avoir une pente parallèle à celle de la vallée. Cela serait donc détestable au point de vue du régime naturel des eaux, outre qu'il en résulterait une réduction dans la section de la rivière, réduction qui, dans mon intime conviction, ne peut être admise sans s'exposer à de véritables désastres et à des pertes considérables pour l'agriculture.

L’honorable M. Dumortier a traité longuement ce qu'il appelle la théorie des atterrissements. Je ne crois pas devoir le suivre sur ce terrain, ni aller chercher des exemples à l'étranger en examinant notamment ce qui se passe au Pô en Italie. Nous avons, pour nous éclairer, des faits qui sont plus près de nous, au moins quant à la Dendre. En effet, déjà sous le gouvernement autrichien, une partie de cette rivière, celle entre Alost et Termonde a été canalisée et tous les grands inconvénients signalés par l’honorable membre en ce qui concerne l'envasement ne se font pas sentir. Pourquoi, si la canalisation s'exécute dans des bonnes conditions, en serait-il autrement à la Dendre supérieure ?

Il est même à remarquer que pour la partie déjà canalisée, la profondeur de la rivière est plus grande que celle projetée pour la canalisation qui est encore à faire et, sous ce rapport, le danger d'envasement est moindre, pourvu, bien entendu, qu'on ait soin de ne pas gâter la pente naturelle du lit de la rivière.

Je pourrais, messieurs, présenter de nombreuses considérations pour faire ressortir toute la différence de position qui existe entre la Dendre et l'Escaut.

Ainsi, l'honorable M. Dumortier dit que l'Escaut a une magnifique navigation. C'est possible ; mais cela n'existe pas pour la Dendre. Il y a là une navigation pitoyable, une navigation tombée en quelque sorte à l'état de barbarie, parce qu'on a laissé cette rivière dans un entier abandon, et cet état de choses réclame incontestablement des améliorations. Je pourrais faire ressortir d'autres différences encore.

(page 1060) L'honorable M. Dumortier a parlé des dangers d'envasement pour l'Escaut, parce que le fleuve présente très peu de pente. Eh bien, je lui dirai que, pour la Dendre, il y a une pente triple. Je pense donc que nous n'avons rien à craindre, pourvu qu'on ne recule pas devant les dépenses nécessaires pour faire la canalisation dans de bonnes conditions, dans des conditions de justice et d'équité, pourvu qu'outre les travaux destinés à favoriser la navigation on adopte aussi loyalement ceux qui sont réclamés pour sauvegarder les intérêts de l'agriculture. Les observations que j'ai présentées hier avaient principalement pour objet d'insister sur ce point, et j'espère que ce ne sera pas en vain que j'aurai fait appel à la sollicitude du gouvernement.

M. le président. - La parole est à M. Allard sur l'article relatif à la Dendre.

M. Allard. - Je n'ai pas envie de parler sur la Dendre ; mais l'honorable M. Dumortier ayant parlé de l'Escaut, qui n'était plus à l'ordre du jour, je crois que la Chambre me permettra de lui répondre quelques mots.

L'honorable M. Dumortier nous disait tout à l'heure : On peut donner à la Meuse les fonds destinés à l'amélioration de l'Escaut. Quant à moi, je ne veux pas cela, et j'espère, que les fonds qui ont été votés depuis 1851, seront enfin, employés à l'amélioration du régime de l'Escaut.

Je ne partage pas les craintes de l'honorable M. Dumortier quant aux travaux projetés, si du moins je comprends l'espèce de travaux qu'a indiqués M. le ministre.

Il s'agit uniquement de faire quelques barrages et de conserver, pour la navigation de l'Escaut, le système qui existe actuellement.

Or, messieurs, ce qu'on appelle canalisation de l'Escaut, c'est précisément un système de barrages qui ne serviraient que lorsque les eaux seraient basses, système que personne ne peut trouver mauvais, puisqu'il fonctionne bien depuis longtemps.

Comment voulez-vous avoir des écluses et un système de canalisation autre que celui qui existe maintenant sans avoir un canal de dérivation ? Car il faudrait nécessairement en construire un de Tournai à Gand pour faire la canalisation du fleuve. Cela, certes, ne se fera pas, et je suis bien persuadé que M. le ministre des travaux publics ne me contredira pas.

L'Escaut reçoit une énorme quantité d'eau, le courant est des plus forts ; comment pourriez-vous avoir une navigation permanente dans un canal par les hautes eaux, sans un canal de dérivation ? Cela n'est pas possible ; la navigation, quoi qu'on fasse, sera toujours très difficile.

Quant à l'envasement que craint l'honorable M. Dumortier, je ne puis encore être de son avis.

Ne voyons-nous pis à Ostende des écluses de chasse ? Eh bien, ces écluses dégagent constamment le port et le tiennent toujours à une certaine profondeur.

Au moyen des écluses et des barrages, on pourra de même, dans certains moments, faire des chasses et par conséquent nettoyer le lit de l'Escaut.

S'il s'agissait d'un canal de navigation avec un canal de dérivation je comprendrais les craintes de l'honorable M. Dumortier, mais il ne s'agit ici que d'ajouter quelques barrages à ceux qui existent déjà.

Puisque j'ai la parole, messieurs, je demanderai à M. le ministre des travaux publics si l'on mettra bientôt en adjudication ces travaux.

L'an dernier, dans la séance du 11 mars, il a dit qu'ils seraient exécutés prochainement et je n'ai pas vu qu'on les ait jusqu'ici adjugés.

Il s'agissait alors d'un bassin qui serait construit à Tournai et je désire, si la chose est possible, qu'on mette la main à l'œuvre immédiatement.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je désire dire quelques mots en réponse au petit discours que vient de prononcer l'honorable M. Allard.

Voici, en deux mots, de quoi il s'agit. Il n'est pas question d'un canal latéral, d'un canal de dérivation. Il existe aujourd'hui quelques barrages dans l'Escaut. Il s'agit, dans un avenir plus ou moins rapproché, comme indication de système, d'établir trois ou quatre barrages de plus et d'accoler des écluses aux barrages à construire ou à ceux déjà construits.

Lorsque les eaux seront abondantes, on ne se servira pas des écluses ; elles resteront ouvertes comme les barrages dans l'état actuel des choses.

Lorsqu'il n'y aura pas suffisamment d'eau ou lorsque l'on voudra favoriser la navigation en remonte, on fermera les barrages et l'on se servira des écluses.

Il ne s'agit pas d'autre chose.

Quant à l’exécution des travaux dont parle l’honorable membre, on va commencer le système de canalisation par l'accolement d'une écluse à sas au barrage d'Antoing, qui existe.

L'adjudication est annoncée, on va l'être immédiatement. Le cahier des charges est prêt. On commencera donc, à l'ouverture de la campagne.

De plus avec les fonds qui sont à la disposition du gouvernement, on construira ultérieurement d'autres barrages.

Si l'on n'en fait pas actuellement, c'est que l'on cherche les meilleurs endroits pour les établir. Cette recherche est délicate, messieurs ; il y a aussi quelques rectifications à opérer.

Pour la Dendre, j'avais oublié, tant la chose me paraissait peu importante, de relever quelques observations présentées hier par l'honorable M. de Naeyer.

J'avais dit que l'administration recherchait si, dans le travail de canalisation de la Dendre tel qu'il était présenté, il n'y avait pas quelques modifications à introduire ayant pour résultat une économie sur cette grosse somme de 7 millions que va coûter la canalisation de la Dendre ; ce n'est ni pour 500,000 fr., ni même pour un million qu'on entreprendrait, je ne dirai pas dans un esprit d'économie, mais dans un esprit de lésinerie, un travail qui serait mauvais.

On n'admettra donc pas de modifications aux plans qui sont déposés, s'il n'est bien reconnu qu'elles n'offrent aucun danger.

Si elles sont indifférentes au bien de l'entreprise, on les adoptera, mais dans le cas contraire, il est évident, je le répète, qu'on ne fera pas une mauvaise économie de 500,000 fr., ni d'un million, au risque de compromettre le but final de l'entreprise.

L'honorable membre peut donc être parfaitement rassuré.

M. B. Dumortier. - Messieurs, M. le ministre des travaux publics a présenté la question de la canalisation de l'Escaut sous un double point de vue : l'intérêt de la navigation et l'intérêt des riverains.

L'intérêt de la navigation, c'est d'établir une navigation continue en remplacement de la navigation intermittente qui existe aujourd'hui.

Eh bien, je le demande, est-ce là un intérêt sérieux ? Quel intérêt y a-t-il à ce que les navires chargés de houille qui chaque semaine descendant de Tournai à Gand en deux ou trois jours, circulent tous les jours ou une fois par semaine ?

S'il s'agissait de valeurs excessivement grandes, d'opérations de banque par exemple, on comprendrait qu'on voulût éviter le retard ? mais qu'est-ce qu'un retard de 2 ou 3 jours pour un bateau chargé de houille qui se rend du Borinage à Gand ?

Cela n'a aucune espèce de valeur ; cela n'a aucune espèce de signification, surtout dans une question de cette importance.

Je le concevrais encore s'il y avait intermittence pour la navigation à la remonte, mais veuillez remarquer qu'à la remonte les bateaux de l'Escaut sont à vide.

Il y a ceci de favorable et de remarquable, les navires qui sillonnent l'Escaut chargent dans sa partie supérieure ; c'est au voisinage de sa source qu'ils prennent leurs chargements. Ils les déposent dans les Flandres après avoir descendu le fleuve et ils le remontent à vide.

Quel intérêt y a-t-il donc à avoir une navigation à plein bord lorsque en définitive les bateaux remontent à vide ? Aucun, absolument aucun.

Ce qu'il y a ici, je vais vous le dire. C'est le besoin de faire, de produire, le besoin de faire des travaux inutiles et dangereux.

Je l'ai dit tout à l'heure et je le répète, il n'est personne dans la direction de l'Escaut depuis la frontière jusqu'à Gand qui ait jamais réclamé la canalisation de l'Escaut. Au contraire, chaque fois qu'il a été question de cette canalisation dans les administrations communales de Tournai et d'Audenarde, chaque fois qu'il en a été question dans les administrations communales riveraines, tous les propriétaires de prairies ont réclamé de la manière la plus pressante contre la canalisation du fleuve.

Qu'on ne vienne donc pas dire, messieurs, que l'on sert ici les intérêts des riverains ; on ne sert que les intérêts des ingénieurs qui veulent construire.

Que si la ville de Gand voulait par hasard placer 20 à 25 lieues de territoire sous un régime pestilentiel pour obtenir un avantage dans cette affaire, je dirais qu'elle est mauvaise coucheuse et qu'elle tire toutes les couvertures à elle.

Dans tous les cas, il faut de la justice distributive.

Si l'on voulait faire ses affaires, ce n'était pas une raison pour condamner à mourir du typhus et de maladies miasmatiques les populations du haut Escaut et pour condamner les propriétaires riverains à voir leurs prairies diminuer constamment de valeur.

Ici, je dois le dire, j'ai été surpris et désolé de voir l'honorable M. Allard parler de cette affaire comme il l'a fait.

(page1061) Est-il vrai, oui ou non, que depuis qu'on a établi les barrages de l'Espierre et d'Autryve les prairies qui bordent l'Escaut ont perdu plus d'un tiers de leur valeur ? Vous ne le contesterez pas. Je vois l'honorable M, Vander Donckt, qui habite les bords de l'Escaut, me faire un signe affirmatif. J'en appelle également à l'honorable M. H. Dumortier qui habite aussi dans la vallée de l'Escaut.

M. B. Dumortier. - C'est très vrai.

M. B. Dumortier. - Et vous appelez ce que vous avez fait un bienfait pour l'agriculture, un bienfait par les propriétés riveraines !

Je dis que votre système est condamné et il est condamné par votre propre fait.

Votre système est condamné, et ce qui le prouve c'est que ces magnifiques prairies de la vallée de l'Escaut ont tellement perdu de leur valeur, qu'on ne trouve plus aujourd'hui que de mauvaises terres labourables là où l'on faisait autrefois les plus magnifiques récoltes de foin.

Et pourquoi, messieurs, sacrifie-t-on ainsi cet immense intérêt de l'agriculture sur un parcours de 25 lieues ? Pour obtenir, à Gand, l'hectolitre de charbon à un centime meilleur marché qu'aujourd'hui !

Je dis qu'un tel système est inhumain, barbare et peu digne d'un pays où règne la fraternité comme en Belgique.

Je dis qu'il n'est pas digne de l'industrie de Gand de sacrifier ainsi toute une contrée à ses propres intérêts.

Ainsi, messieurs, voilà donc les deux intérêts que l'on veut servir. Or, la navigation, encore une fois, n'a aucun intérêt à la canalisation de l'Escaut.

Lisez l'ouvrage de M. Vifquain, l'un des plus grands ingénieurs que vous ayez eus, vous y verrez que la navigation de l’Escaut est la plus belle, non seulement de la Belgique et de la France, mais du monde entier.

Un bateau prend une charge de charbon au Borinage, descend l'Escaut par la seule impulsion des eaux et, après un parcours de plus de 25 lieues, sans avoir occasionné aucuns frais de traction, va déposer sa charge au centre de notre plus grande ville manufacturière.

Dites-moi, messieurs, où il est possible de trouver encore un fleuve aussi beau, aussi utile ? Et, dès lors, pourquoi y toucher ? Quel besoin d'en modifier le régime, si ce n'est de donner satisfaction à quelques faiseurs ? On veut faire quelque chose à tout prix et sans se soucier des atteintes qui seront portées à des intérêts excessivement graves.

Mais, dit M. le ministre des travaux publics, l'honorable membre n'a point répondu à ce que j'ai dit quant à la question des atterrissements : aujourd'hui il existe déjà des barrages et ils n'ont point créé d'atterrissements.

Mais, messieurs, je crois avoir dit tout à l'heure que les barrages que vous avez créés depuis dix ans ont produit des atterrissements, et je suis bien persuadé que mon honorable collègue, M. H. Dumortier, ne me contredira pas. Il y a toujours eu des atterrissements près des barrages actuels ; et pourquoi votre système créera-t-il nécessairement des atterrissements ? Par la raison tout simple que vous voulez établir une écluse à sas dans le but de créer une navigation permanente, et que pour obtenir cette navigation permanente vous devez nécessairement tenir les eaux à une jauge déterminée et permanente aussi.

Or, dès le jour où vous tiendrez les eaux à une hauteur déterminée, d'une manière permanente, dès le jour où, par conséquent, vous entraverez l'écoulement régulier des eaux, le limon s'accumulera nécessairement à proximité des barrages.

Versez de l'eau limoneuse dans un vase et bientôt vous verrez le limon descendre au fond si le vase est maintenu dans l'immobilité.

Il en est ainsi, messieurs, de l'Escaut. Aussi longtemps que ces eaux peuvent s'écouler librement, elles entraînent avec elles le limon qui forme le fond du fleuve ; mais le jour où, par l'établissement d'une écluse ou d'un barrage, vous entravez l'écoulement naturel des eaux, il va de soi que la partie limoneuse doit s'accumuler et former des atterrissements.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Et vous prétendez qu'il y a des atterrissements près des barrages de l'Escaut ?

M. B. Dumortier. - Les barrages de l'Escaut ! Voilà, par exemple, une étrange plaisanterie.

Où donc trouvez-vous sur l'Escaut des écluses à sas et des barrages comme ceux que vous voulez établir ? Vous avez des écluses à simples poutrelles, poutrelles qui ne restent guère en place plus de deux jours par semaine, et qu'on enlève à volonté pour faire disparaître les sédiments qui s'y accumulent. C'est pour cela que tous les grands ingénieurs français n'établissent autant que possible que des écluses à poutrelles, tandis qu'avec vos écluses à sas, destinées à obtenir une navigation permanente, vous êtes obligé de les tenir constamment fermées pour maintenir les eaux à un niveau convenable.

Les grandes eaux, nous dit-on, transformeront ces écluses en écluses de chasse. Mais, messieurs, c'est là un véritable rêve ! Conçoit-on des écluses de chasse destinées à opérer sur un parcours de 25 lieues ? Cela n'est vraiment pas sérieux. A Ostende, par exemple, les eaux n'ont plus de force après un parcours d'un quart de lieue, et ici on s'imagine que des eaux lancées de Tournai avec infiniment moins d'impétuosité exerceront leur action jusqu'à Gand ! Vraiment, messieurs, c'est une plaisanterie.

M. Allard. - Ce n'est pas du tout une plaisanterie, attendu qu'il y aurait plusieurs barrages entre Tournai et Gand et pas une seule écluse à Tournai.

M. B. Dumortier. - Voyons, messieurs, ce que dit M. Cuvier, dans son ouvrage sur les révolutions de la surface du globe, relativement à la question des atterrissements. (L'orateur donne lecture d'un passage de l'ouvrage de M. Cuvier.)

Voilà, messieurs les considérations dont les membres du génie civil ne tiennent aucun compte. Le Pô et l'Escaut sont des fleuves essentiellement limoneux ; la Dendre est à peine limoneuse. L'Escaut, qui prend sa source à Cateaux-Cambrésis, près de St-Quentin, et traverse les plaines les plus riches du département du Nord, est un fleuve essentiellement limoneux, à tel point, qu'arrivé à Tournai, ses eaux sont véritablement de la boue liquide. A Tournai, en 1830, on a dû opérer un curement général de l'Escaut dans l'intérieur de la ville, et il serait presque indispensable de recommencer ce travail aujourd'hui, pour rendre à l'Escaut une profondeur suffisante.

Ecoutez encore, messieurs, ce que dit M. Cuvier :

« Les atterrissements le long des côtes de la mer du Nord n'ont pas une marche moins rapide qu'en Italie. On peut les suivre aisément en Frise et dans le pays de Groningue, où l'on connaît l'époque des premières digues construites par le gouverneur espagnol Gaspar Roblès, en 1570. Cent ans après l'on avait déjà gagné, en quelques endroits, trois quarts de lieue de terrain en dehors de ces digues ; et la ville même de Groningue, bâtie en partie sur l'ancien sol, sur un calcaire qui n'appartient point à la mer actuelle, et où l'on trouve les mêmes coquilles que dans notre calcaire grossier des environs de Paris, la ville de Groningue n'est qu'à six lieues de la mer... »

Voilà, messieurs, les effets de la loi des atterrissements. Eh bien, ce sont ces effets, c'est cette loi que le corps du génie civil méconnaît dans une question aussi importante, et la navigation, de l'Escaut et le sort des propriétés qui longent le fleuve, et l'agriculture, et les magnifiques prairies qui, dans une longueur de 20 lieues, sur une profondeur d'une demi-lieue, bordent l'Escaut, tout cela est compromis, ainsi que la santé des habitants.

Tous les faits qui se sont passés depuis que des travaux ont été exécutés à l'Escaut sont là qui viennent protester contre les projets qu'on veut encore exécuter ; nos prairies ont diminué de valeur de moitié, de magnifiques prairies sont devenues des terres arables aussi mauvaises pour la culture qu'elles étaient bonnes et fructueuses en pâturage.

Ailleurs, ce sont encore de magnifiques prairies qui ont perdu leur valeur ; elles sont devenues des marais.

Loin des écluses, on les a desséchées, près des écluses, on en a fait des marais. Le typhus, jadis inconnu dans nos contrées, y est devenu endémique. Ce sont là des choses excessivement graves. Je ne comprends pas que le gouvernement puisse établir sur l'Escaut un régime tel que celui qu'il annonce sans consulter la législature.

On lui a accordé des crédits pour améliorer l'Escaut, non pour en changer le régime.

Or, le système qu'il établit n'est pas une amélioration, mais un changement de régime ; vous le reconnaissez puisque vous voulez rendre la navigation continue au lieu d'être intermittente.

Ce sera un changement de régime. Je vous dénie le droit de le faire de votre autorité privée ; il faut que le parlement soit consulté, et avant tout je demande qu'on fasse une enquête sur ces intérêts si graves ; la Chambre ne refusera pas de s'éclairer quand il s'agit d'intérêts aussi majeurs.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je demande la parole pour répondre à une allégation que l'honorable M. Dumortier vient de répéter et que je ne puis laisser passer, parce qu'elle serait de nature à faire une certaine impression sur la Chambre.

Les ouvrages que l'honorable membre trouve présenter de si grands dangers existant ; quels sont les résultats néfastes que vous avez constatés ?

(page 1062) Vous citez les Barrage d'Autryve et vous dites : Vous avez converti des prairies fertiles en marais infects, pestilentiels ; vous avez importé le typhus dans des contrées où il était inconnu. Je vous demanderai si, quand on aura établi un système complet et établi à côté des barrages des rigoles de décharge.,.

M. B. Dumortier. - Elle seront inutile, quand le lit du fleuve sera élevé ; vous verrez se produire ce qui est arrivé à Ferrare.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Si l'honorable membre trouve que ce n'est rien de construire un petit canal qui doit conduire à l'aval de chaque barrage les eaux des prairies riveraines, je n'ai rien à répondre ; si un pareil travail est d'une inefficacité absolue, je passe condamnation, mais je soumets cette question avec confiance à l'appréciation et au bon sens de la Chambre.

Il y a entre Tournai et Gand neuf mètres et quelques centimètres de pente ; pour racheter cette différence, on a fait six barrages, six escaliers entre Tournai et Gand, c'est-à-dire six niveaux d'eau ; si au lieu de six barrages, si au lieu de six escaliers on en fait dix, n'est-il pas évident que chacun de ces escaliers sera moins élevé ?

Qu'est-ce que cela veut dire, si ce n'est qu'en amont de chaque barrage, le niveau de l'eau sera moins élevé qu'aujourd'hui ? Le travail projeté n'est-il pas, dans ces conditions, un véritable travail d'assainissement ? Cela n'est pas douteux. Si à cette circonstance on en ajoute une autre qu'on établira partout des rigoles de décharge, à côté du fleuve, n'est-il pas évident que vous allez en assécher à volonté les bords ? On nous accuse de vouloir faire le contraire, d'arriver à inonder les prairies riveraines ; l'honorable membre prend évidemment le contre-pied de la vérité.

M. Magherman. - Je ne veux pas me livrer à l'examen des travaux que M. le ministre veut faire au régime de l'Escaut, mais il me semble qu'il met les intérêts de l'industrie et de la navigation en première ligne, qu'il considère les fleuves avant tout comme des moyens de navigation. C'est contre cette tendance que je viens m'élever.

Il existe des intérêts antérieurs et supérieurs à ceux de l'industrie et de la navigation, ce sont ceux de l'agriculture.

Avant qu'il fût question d'industrie et de navigation, les fleuves ont été avant tout des moyens d'écoulement, d'évacuation des eaux des vallées.

Il ne faut pas perdre de vue qu'il y a dans l'Escaut des intérêts majeurs ; je n'entends pas que les intérêts riverains soient sacrifiés à ceux de la navigation et de l'industrie ; on se demande pourquoi, dans l'intérêt de qui seraient faits les travaux projetés.

M. le ministre a cité les industriels de Gand et du Couchant de Mons sans parler de l'intérêt de l'agriculture ; il y a cependant dans la vallée de l'Escaut des intérêts agricoles immenses ; les travaux à faire doivent être conçus de manière à subordonner les intérêts de la navigation à ceux de l'agriculture ou tout au moins à les concilier. On ne peut pas considérer isolément l'intérêt de la navigation ; je ne trouve pas mal qu'on l'améliore autant que possible, mais aussi autant que cela est compatible avec l'intérêt de l'agriculture, que je ne veux pas qu'on sacrifie.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je me suis déjà expliqué sur la prééminence des deux intérêts engagés dans le régime d'un fleuve, l'intérêt agricole et l'intérêt industriel sous forme de navigation.

J'ai déjà déclaré que lorsque ces deux intérêts étaient en conflit et qu'il s'agissait d'apporter des améliorations à un cours d'eau, les intérêts agricoles avaient la préférence pour deux motifs : d'abord parce qu'ils sont plus considérables, et en second lieu parce qu'ils constituent le plus souvent un état de possession pour ceux à qui on porterait préjudice en apportant une modification à l'état de choses existant. Je réitère cette déclaration sans aucune espèce de réserve.

M. de Baets. - Je demande la permission d'ajouter une observation à celles que vient de présenter M. le ministre des travaux publics. L'honorable M. B. Dumortier professe, quant au régime des fleuves et des rivières, la doctrine du laisser-faire, du laisser-aller. L'honorable membre n'a pas toujours défendu ce système en fait de régime des eaux. Si je me trompe, les honorables membres qui sont plus anciens que moi dans cette Chambre pourront, au besoin, rectifier mes paroles, c'est l'honorable M. B. Dumortier qui a proposé la modification la plus radicale, la plus absolue au régime de l'Escaut ; il n'entendait pas seulement canaliser l'Escaut, mais il voulait faire un Escaut nouveau.

M. B. Dumortier. - Pas du tout.

M. de Baets. - Ma mémoire pourrait être infidèle, mais je crois avoir lu à diverses reprises dans les Annales parlementaires que l'honorable membre défendait chaleureusement l’idée d'établir un canal de jonction entre le haut Escaut et le bas Escaut, depuis Zwynaerde jusqu'à Molle.

Je pourrais, si c'était nécessaire, par l’exemple d'autres rivières, faire comprendre à mes honorables collègues qui habitent d'autres villes, que l'argumentation, si je ne me trompe pas sur les faits, est serrée et irrésistible.

Le haut Escaut, après avoir traversé la ville de Tournai, puis la ville d'Audenaerde, arrive aux communes de Meirelbeke et de Zwynaerde. Il vient à Gand prendre les eaux de la Lys. Il en sort pour se diriger vers Melle, l'aval formant ainsi avec l'amont un triangle dont notre ville occupe le sommet.

Or, messieurs, M. Dumortier voulait couper la base de ce triangle et construire un nouvel Escaut ; c'est-à-dire que cette ville de Gand, à laquelle on porte un si vif intérêt, parce qu'on est représentant de la nation et non de tel ou tel district, on voulait tout bonnement la mettre à sec.

Vous comprenez les conséquences inévitables qui seraient résultées, pour le bassin de Gand et pour tout le nord de la Flandre, du changement apporté au cours de ce beau fleuve, cours que la nature a établi et qui du temps de Jules César, comme aujourd'hui, venait baigner notre mont Blandin. Cet ancien état de choses, cet état de choses tout naturel, on voulait le modifier complètement.

Je suis aussi de l'avis de l'honorable ministre des travaux publics que lorsqu'on peut concilier les intérêts du commerce et de l'industrie avec les intérêts agricoles, il faut le faire. Je suis aussi d'avis que l'on doit respecter les intérêts qui ont pour eux un droit acquis. Mais ces observations prouvent que l'on peut défendre une opinion et ne rien sacrifier sur ce point.

M. H. Dumortier. - Je ne veux pas prolonger cette discussion. D'ailleurs, les observations très judicieuses de l'honorable M. Magherman rentrent complètement dans celles que je me proposais de faire. Mais je croirais manquer à mon devoir si, connaissant parfaitement les intérêts de l'Escaut, puisque j'habite pendant une partie de l'année les localités qui longent ce fleuve, je ne disais pas qu'une grande partie des observations de l'honorable M. Barthélémy Dumortier sont parfaitement judicieuses et que je serais ici pour joindre ma voix à la sienne si l'on voulait faire tous ces grands travaux sans procéder d'abord à une enquête et sans s'entourer de tous les renseignements possibles pour être bien sûr que l'on ne portera aucun préjudice aux intérêts agricoles.

M. B. Dumortier. - Je demande la parole pour un fait personnel.

Je ne veux pas qu'on me représente ici comme ayant demandé des choses ridicules, comme ayant voulu mettre la ville de Gand à sec et faire un nouvel Escaut. Il n'a jamais été plus question de cela chez moi qu'il n'est question du mont Blandin dans Jules César.

Ce qu'il y a de vrai, c'est que, lorsqu'il y avait autrefois des inondations considérables sur les bords de l'Escaut, les ingénieurs de la Flandre ont proposé de faire un canal de Melle à Zwynaerde et que j'ai appuyé le projet de ce canal.

En l'appuyant, j'ai eu l'honneur de dire à la Chambre que si on enlevait à l'Escaut et à la Lys toutes leurs eaux pour les déverser à la mer, on causerait un préjudice immense au bas Escaut, à la navigation de l'Escaut à Anvers ; et les paroles que je prononçais il y a environ vingt ans, sont aujourd'hui précisément les mêmes qu'on répète à Anvers, malheureusement trop tard.

- La discussion est close.

L'article 30 est adopté.

Article 31

« Art. 31. Rupel ; charge extraordinaire : fr. 10,000. »

- Adopté.

Article 32

« Art. 32. Dyle et Demer ; charge extraordinaire : fr. 11,200. »

M. Beeckman. - Messieurs, pendant la discussion du budget des travaux publics de 1861, mon honorable collègue M. le baron de Man d'Attenrode a appelé l'attention de M. le ministre des travaux publics sur la nécessité d'établir un barrage dans le Demer en aval de la ville de Diest, travail réclamé depuis plusieurs années dans l'intérêt de la navigation.

Messieurs, l'honorable ministre répondit alors à mon collègue qu'il aurait fait examiner l'affaire par les ingénieurs et je me permets de venir lui demander quel a été le résultat de cet examen.

J'ajouterai, messieurs, qu'à l'endroit où ce barrage devrait être construit on doit rectifier le Demer pour l'établissement du chemin de fer d'Aerschot à Diest ; ce travail diminuerait à peu près de moitié la dépense de la construction du barrage, j'engage M. le ministre à profiter de cette occasion qui est on ne peut plus favorable.

Pendant que j'ai la parole je demanderai à l'honorable ministre des travaux publics de comprendre dans le projet de travaux publics qu'il a l'intention de soumettre à la Chambre pendant la session actuelle, un (page 1063) bout de canal de deux lieues de longueur environ qui n'occasionnerait pas pas une grande dépense et qui relierait le canal de la Campine au Demer.

Messieurs, permettez-moi d'entrer dans quelques détails pour vous faire comprendre l'intérêt général qui s'attache à cette affaire.

D'abord, messieurs, la construction de cette voie navigable relierait, au moyen du canal de la Campine, le canal de Maestricht et le canal latéral de la Meuse, les provinces d'Anvers, Liège et le Luxembourg avec le Brabant. Vous le voyez, messieurs, la construction de ce travail, qui n'occasionnera peut-être pas une dépense de plus d'un million, rendra des services immenses et augmentera considérablement les recettes du trésor sur le canal de la Campine, le canal de Maestricht à Bois-le-Duc, et le canal latéral de la Meuse.

Messieurs, il faut, pour pouvoir faire concurrence à ses voisins, tâcher de produire au plus bas prix possible ; or, messieurs, pour produire à bas prix dans nos fabriques il faut tâcher de fournir le combustible qui doit alimenter les machines à vapeur au plus bas prix possible. Eh bien, messieurs, pour arriver à ce résultat, il faut construire des voies de communication faciles et peu coûteuses, afin de faire arriver à peu de frais les perches de sapin dont on a besoin dans les houillères.

Messieurs, dans les environs de Diest, la valeur des sapins sur pied n'excède pas les frais de transport jusqu'à Liège, qui est cependant notre grand débouché ; la construction du canal que je réclame diminuerait ces frais au moins de moitié. J'ai donc le droit de dire que l'Etat, qui doit favoriser l'industrie nationale, est aussi intéressé que le canton de Diest à l'exécution de ce canal.

Messieurs, j'ai été souvent étonné que la province de Liège ne réclamât pas impérieusement ce travail ; car, remarquez-le bien, messieurs, il y a des houillères des environs de Liège qui s'approvisionnent pour ainsi dire exclusivement des bois dont ils ont besoin, dans les environs de Diest.

Messieurs, je ne vous parlerai pas longuement de l'avantage que procurera ce canal à l'agriculture, je ne vous signalerai qu'un fait : aujourd'hui, messieurs, nos agriculteurs sont obligés d'aller chercher au canal de la Campine, à Beeringen, la chaux dont ils ont besoin pour amender leurs terres ; la chaux y arrive par bateaux des environs de Visé. Or, messieurs, il m'est arrivé de compter en un jour, non compris les charrettes de houille, au-delà de cent charrettes de chaux entre Diest et Beeringen.

Messieurs, je n'ai pas besoin d'ajouter quel développement prendrait l'emploi de la chaux si on pouvait la prendre à Diest et quelle richesse de produits elle procurerait au pays.

Messieurs, je connais la bienveillance avec laquelle procède l'honorable ministre des travaux publics dans l'examen des affaires qui concernent son département ; je me borne en terminant à lui recommander ce travail, j'ai la certitude, messieurs, que l'honorable ministre, après l'avoir bien examiné, se décidera à l'inscrire dans le projet de loi qu'il soumettra à la Chambre pendant la session actuelle.

- L'article est adopté.

Article 33

« Art. 33. Petite-Nèthe canalisée ; charge extraordinaire. : fr. 15,000. »

- Adopté.

Travaux d'amélioration des canaux et rivières. Bassin de l’Yser
Articles 34 et 35

« Art. 34. Yser ; charge extraordinaire : fr. 8,000. »

- Adopté.


« Art. 35. Canal d'Ypres à l'Yser ; charge extraordinaire : fr. 5,000. »

- Adopté.

Plantations
Article 36

« Art. 36. Plantations nouvelles : fr. 25,000. »

- Adopté.

Bacs et bateaux de passage
Article 37

« Art. 37. Entretien des bacs et bateaux de passage et de leurs dépendances : fr. 32,000. »

- Adopté.

Section IV. Ports et côtes
Article 38

« Art. 38. Travaux d'entretien ordinaire et extraordinaire des ports, côtes, phares et fanaux : fr. 190,200.

« Charge extraordinaire : fr. 192,500. »

M. de Smedt. - A l'occasion de l'article en discussion, j'adresserai à M. le ministre des travaux publics quelques questions. Il y a à peu près un an, la Chambre a voté un premier crédit de 200,000 francs pour le renouvellement de l'estacade de l'ouest au port de Nieuport. Jusqu'ici l’adjudication de ces travaux n’a pas eu lieu et la ville de Nieuport, qui a attendu si longtemps, craint que l'on ne tarde encore de mettre la main à l'œuvre.

J'espère que M. le ministre des travaux publics hâtera l'exécution de ces travaux, et qu'à l'occasion du projet de loi de travaux publics qu'il nous a annoncé, il demandera le complément de la somme nécessaire pour ce travail. Ce complément n'est pas très élevé ; il s'agit d'une somme de 300,000 francs.

Plusieurs ingénieurs m'ont assuré du reste qu'il était regrettable que le crédit n'eût pas été demandé en une fois ; cela pourrait paralyser les travaux et nuire à leur bonne exécution.

Je demanderai aussi à l'honorable ministre si la ville de Nieuport aura bientôt la satisfaction de voir figurer à sa tour l'ancien feu d'Ostende. Nous en sommes encore à avoir une misérable lanterne attaché au haut d'une perche, et la tour que l'on a restaurée n'est pas encore rendue à sa destination.

J'ose espérer que la réponse de l'honorable ministre des travaux publics sera satisfaisante sur ces divers points.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - C'est par la loi de 1861, c'est-à-dire depuis quelques mois seulement, que le gouvernement dispose d’un premier crédit pour améliorer le chenal du port de Nieuport. Le gouvernement a obtenu à cette fin 200,000 fr. Il faut, comme l'a dit l'honorable membre, un crédit complémentaire de 300,000 fr. Le premier crédit de 200,000 fr. va être employé immédiatement. On mettra la main à l'œuvre à l'ouverture de la campagne.

Quant au crédit complémentaire, je reconnais qu'il serait désirable qu'il fût mis à la disposition du gouvernement le plus tôt possible, et à la première occasion je le demanderai à la Chambre.

Quant au déplacement du feu d'Ostende, il va être opéré très prochainement.

- L'article est adopté.

Travaux d'amélioration des ports, côtes, phares et fanaux
Article 39

« Art. 39. Côte de Blankenberghe ; charge extraordinaire : fr. 23,000. »

M. de Vrière. - Messieurs, si je suis bien informé, le département des travaux publies a pris une résolution définitive quant à l'emplacement du port de Blankenberghe. Cependant dans cette ville on est encore dans l'incertitude sur le point de savoir si le port sera établi à l'Est ou à l'Ouest. Cette incertitude paralyse de nombreux travaux, et je désirerais que M. le ministre voulût bien nous dire si réellement l'emplacement est définitivement arrêté et quel est cet emplacement.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Messieurs, l'emplacement se trouve en effet définitivement fixé ; il est conforme aux vœux de la ville de Blankenberghe. On s'occupe activement de dresser les devis et cahier des charges du bassin de refuge et il n'est pas douteux que dans le courant de l'été il y aura un commencement d'exécution.

Je suis heureux de pouvoir ajouter que, selon toute probabilité, pour ne pas dire d'une manière certaine, l'ensemble de la dépense n'excédera pas le crédit voté.

- L'article est mis aux voix et adopté.

Article 40

« Art. 40. Phares et fanaux ; charge extraordinaire : fr. 2,000. »

- Adopté.

Section V. Frais d'études et d'adjudications
Article 41

« Art. 41. Etudes de projets, frais de levée de plans, achats d'instruments, de cartes et de livres ; matériel, impressions, etc., frais d'adjudications : fr. 22,000. »

- Adopté.

Section VI. Personnel des ponts et chaussées
Article 42

« Art. 42. Traitements des ingénieurs et conducteurs des ponts et chaussées ; frais de bureau et de déplacement : fr. 584,910. »

- Adopté.

Article 43

« Art. 43. Traitements et indemnités des chefs de bureau et commis, des éclusiers, pontonniers, sergents d'eau, gardes-canal et autres agents subalternes des ponts et chaussées : fr. 527,027 »

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Messieurs, j'ai l'honneur de proposer par amendement d'augmenter ce crédit de 5,200 francs.

Depuis un temps immémorial on percevait aux écluses de Comines, (page 1064) de Menin et d'Harlebeke une certaine taxe supplémentaire destinée à la rémunération des aides des éclusiers. cette perception, messieurs, n'était point légale et, il y a quelques mois, un batelier a actionné en restitution et même en dommages-intérêts l'un des éclusiers qui prélevaient cette taxe ; l'éclusier a été condamné.

Il n'est donc pas douteux qu'à l'avenir le payement de cette taxe sera refusé par tous les bateliers ; d'un autre côté il est impossible que les éclusiers n'aient point des aides pour les manœuvres difficiles qu'ils ont à faire ; il n'y a donc qu'un moyen, c'est de mettre à la charge de l'administration les salaires de ces aides. C'est là la destination du supplément de crédit que je demande ; j'espère que la Chambre ne fera pas difficulté de l'accorder.

M. de Muelenaere. - Je demanderai à M. le ministre des travaux publics s'il y aurait un inconvénient à légaliser la perception de cette taxe, qui se perçoit de temps immémorial.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je veux très bien examiner la question, mais on pourrait, pour la régularité, admettre toujours l'augmentation ; si la taxe peut être légalisée sans inconvénient, le crédit que je demande ne sera pas dépensé.

M. de Muelenaere. - Si la taxe doit présenter des inconvénients, je déclare que je n'insiste pas. Je me borne à prier M. le ministre d'examiner la question.

M. Tack. - Messieurs, j'ai fait remarquer dans la dernière séance que les taxes perçues sur la Lys sont en disproportion notable avec les péages qui se perçoivent sur d'autres rivières, et qu'il fallait absolument dégrever la navigation.

Je pense donc qu'il ne peut pas être question de rétablir la taxe dont il s'agit.

- L'arltcle est adopté avec l'augmentation demandée par M. le ministre.

Article 44

« Art. 44. Frais des jurys d'examen et des conseils de perfectionnement, missions des élèves ingénieurs et conducteurs de l'école spéciale du génie civil : fr. 12,000. »

- Adopté.

Chapitre III. Mines

Section I. Personnel du conseil
Article 45

« Art. 45. Personnel du conseil des mines ; traitements : fr. 42,100. »

M. H. Dumortier. - Messieurs, dans la discussion du budget des travaux publics de 1861, à propos de la nomination d'un membre du conseil des mines, l'honorable M. d'Hoffschmidt s'exprimait en ces termes :

« Vous savez, messieurs, que le conseil des mines se compose de cinq conseillers titulaires et de quatre conseillers honoraires. Les conseillers honoraires sont destinés à remplacer les conseillers titulaires en cas d'absence ou de maladie.

« Ils sont placés en quelque sorte sur le même pied que les conseillers titulaires, sauf le traitement ; ils sont convoqués à toutes les séances du conseil ; ils portent le même uniforme, sont soumis aux mêmes restrictions prescrites par la loi, c'est-à-dire qu'ils ne peuvent, ni eux ni leurs parents en ligne directe, avoir aucun intérêt dans une exploitation de mines ; on devrait croire que quand il se trouve une place de conseiller titulaire vacante, le choix devrait se faire parmi les honoraires. Il n'en est rien.

« Déjà, à deux reprises, le gouvernement a choisi en dehors des conseillers honoraires. Je ne critique en aucune manière les choix qui ont été faits, quant au mérite et au talent des personnes que le gouvernement a nommées ; mais enfin je trouve que ce système est fort peu équitable envers les conseillers honoraires qui siègent déjà depuis quatorze années et qui ont parfaitement rempli leurs fonctions. »

Quelle que fût la justesse de ces observations, l'honorable ministre donna quelques motifs qui ne furent pas repoussés par la Chambre ; il dit entre autres qu'il avait nommé une personne qui n'était pas étrangère au conseil des mines ; que c'était, au contraire, un chef de division de ce corps, qui avait fait preuve d'une grande capacité, qui avait même publié un ouvrage très utile sur les matières dont le conseil des mines a à s'occuper.

Il ajoutait qu'en faisant cette nomination il avait pu supprimer la place de chef de division que la personne nommée occupait .Cependant les observations de l'honorable M. d'Hoffschmidt avaient frappé la Chambre, et nous pouvions au moins espérer que dans l'avenir on y aurait eu quelque égard.

Le même cas s'est présenté il n'y a pas bien longtemps ; mais cette fois, non seulement on n'a pas nommé un conseiller honoraire, ni même une personne appartenant à l'administration centrale des mines ; mais on a nommé une personne, dont je ne veux pas le moins du monde contester l'honorabilité, mais qui était restée jusque-là complètement étrangère au conseil des mines.

Il ne peut pas être question de limiter ici l'action du gouvernement, et je, ne veux pas développer le thème que le gouvernement doit forcément choisir les conseillers titulaires à nommer parmi les conseillers honoraires ; ce serait perdre du temps que de discuter ce soutènement.

Je ne connais aucun des conseillers honoraires actuels des mines ; je puis donc faire entendre un langage impartial en traitant la question de principe ; eh bien, je dis que quand des conseillers honoraires ont accompli, en cette qualité, une longue carrière, qu'ils y ont rendu de bons services et que pour rendre ces services, qui sont gratuirs, ils se sont imposé des sacrifices, en ce sens qu’ils ont dû renoncer à prendre des intérêts dans des exploitations de mines où il leur aurait été avantageux d’en prendre ; je dis qu’il n’est pas équitable d’ériger en système de faire constamment des nominations en dehors de ce cercle.

C'est la troisième fois que les conseillers honoraires se voient préférer des personnes étrangères au conseil des mines, et à moins que M. le ministre des travaux publics ne nous fasse connaître des circonstances particulières que je puis ignorer maintenant, je dois désapprouver l'acte qu'il vient de poser.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Messieurs, dans une circulaire précédente, que l'honorable préopinant vient de rappeler, j'ai protesté contre la limitation des droits du gouvernement, qu'on voulait ériger en système, en matière de nomination des fonctionnaires publics.

Je n'invoquerai pas ici le principe, que la Chambre ne doit pas s'immiscer dans les actes administratifs ; j'admets qu'un ministre est responsable de tous les actes qu'il pose, et que si la Chambre fait bien de ne pas entrer dans des détails qu'elle ne connaît pas, elle peut cependant soulever des débats pareils ; je pense que sous ce rapport l'honorable préopinant ne voudra pas aller plus loin que moi.

Ce principe posé, et si des explications sont demandées par un membre de la Chambre à un ministre, je pense que le ministre fait une réponse satisfaisante s'il prouve ce que l'on reconnaît sans difficulté dans la circonstance présente, que le fonctionnaire qui a été nommé est un homme honorable et capable. Toute la question, en ce qui concerne la nomination dont il s'agit, est donc là.

J'ai provoqué la mise à la retraite d'un fonctionnaire recommandable qui avait, au point de vue de ses fonctions, le malheur d'avoir atteint l'âge de 80 ans.

Je pense que ce n'est pas là un acte exorbitant de la part d'un chef de département ; j'ai remplacé ce fonctionnaire par un homme dont l'honorable préopinant reconnaît la respectabilité.

Reste donc à savoir si cette personne était parfaitement compétente dans les fonctions dont elle s'est trouvée investie.

Enfin, il s'agit d'un homme qui avait été pendant 22 ans membre de la députation permanente du conseil provincial de Liège, et qui, en cette qualité, avait été appelé pendant 22 ans à instruire toutes les affaires de mines de la province, de la même manière que le conseil des mines les instruit.

Je pense donc que si l'honorabilité de l'homme auquel il est fait allusion n'est pas suspectée, sa compétence ne peut pas l'être davantage ; et que ce fonctionnaire remplit dès lors toutes les conditions voulues pour justifier la faveur dont il a été l'objet de la part du gouvernement.

M. Muller. - Messieurs, les observations que je voulais présenter sont tout à fait semblables à celles qu'a présentées en dernier lieu M. le ministre des travaux publics. Je voulais faire remarquer que la personne qui a été nommée membre du conseil des mines, avait pendant vingt-deux ans, comme membre de la députation permanente du conseil provincial, traité toutes les affaires relatives aux mines, et l'on sait que dans cette province, comme dans celle du Hainaut, ces affaires sont excessivement nombreuses et que dès lors, les personnes qui les traitent, doivent nécessairement acquérir une grande expérience en cette matière.

M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, je commence par déclarer que sous le rapport du choix qui a été fait par le gouvernement, je partage entièrement l'opinion de M. le ministre des travaux publics et de l'honorable préopinant ; nous avons eu occasion de connaître celui qui a été nommé ; c'est un de nos anciens collègues, qui avait su conquérir l'estime et les sympathies de tous.

(page 1065) Aussi, n'est-ce pas le choix fait que je critique, mes objections portent sur le système qui semble prévaloir au département des travaux publics, sur la question de principe en un mot, et sous ce rapport je ne saurais partager l'opinion de M. le ministre des travaux publics.

Ainsi qu'on vous l'a dit, il y a au conseil des mines des conseillers honoraires qui y siègent depuis 16 ou 17 ans, qui ont toujours rempli parfaitement leurs fonctions, sans jouir de la moindre indemnité, et qui, de plus, ont été nommés en vertu de la loi.

Il est vrai que la loi ne dit pas que le gouvernement pourvoira aux places vacantes en faisant ses choix parmi les conseillers honoraires ; mais ç'a été la pensée du législateur, il est impossible qu'on ait voulu instituer des fonctionnaires, chargés de faire la besogne pendant un membre indéterminé d'années, et qui ne puissent aspirer jamais à remplacer des membres titulaires.

Il est donc désagréable et même humiliant pour ces fonctionnaires, possédant toutes les connaissances voulues, de se voir préférer des personnes étrangères au conseil des mines.

Certes, le gouvernement est libre de choisir où il veut sous sa responsabilité ; mais il y a des règles qu'en bonne administration il doit suivre ; il y a des cas où l'on ne peut méconnaître des titres sans tomber dans l'arbitraire et dans le favoritisme.

J'engage M. le ministre des travaux publics à ne pas persister dans son système ; je crois qu'il aurait tort d'y persister. Si on voulait continuer d'agir comme on l'a fait jusqu'à présent, on devrait le déclarer positivement ; les conseillers honoraires du conseil des mines sauraient à quoi s'en tenir, et s'empresseraient probablement de donner leur démission.

Je répète en terminant que je n'ai pas voulu blâmer le choix fait par le gouvernement, choix parfaitement honorable à tous égards.

L'homme qui pendant 22 ans a exercé les fonctions de membre de la députation permanente à Liège, dans cette province éminemment houillère, ne peut être qu'un bon conseiller des mines.

M. H. Dumortier. - Messieurs, je serai très bref.

Je n'admets point la théorie que vient de développer l'honorable ministre des travaux publics et qui consiste à dire : Je suis responsable, vous êtes incompétents pour apprécier les actes d'administration que je pose. Je dois être libre, et pour ainsi dire sans contrôle pour ces actes d'administration.

Je demande en quoi consiste la responsabilité ministérielle si pour des actes d'une certaine importance nous n'avons pas le droit de faire des observations ou si, malgré nos observations reconnues fondées, l'on persiste dans les mêmes errements.

Je ne puis admettre que les membres de la Chambre n'aient aucune espèce de compétence pour apprécier les actes d'un ministre, par cela seul qu'il plaît à ce ministre de les qualifier d'actes de pure administration.

Que la personne nommée soit capable et honorable, je le veux bien ; mais il faut voir s'il n'y en avait pas de plus capables et surtout de plus méritantes ; il faut voir s'il n'y avait pas de personnes ayant rendu de longs et d'incontestables services à cette branche de l'administration et même des services gratuits.

Or, je ne sache pas que l'honorable membre de la députation de Liège, en admettant qu'il fît bien sa besogne, la fît gratuitement, tandis que les conseillers honoraires des mines ne reçoivent pas la moindre rémunération et sont même astreints à s'imposer des sacrifices dans certains cas.

Que dirait-on si M. le ministre de la justice nommait systématiquement aux fonctions de la magistrature des docteurs en droit fort honorables, voire même capables, mais en excluant sans cesse les juges suppléants ? (Interruption.)

Qu'en serait-il si, lorsque des fonctions deviennent vacantes dans l'administration du chemin de fer ou dans telle autre spécialité, un ministre nommait systématiquement des personnes ne manquant ni d'honorabilité, ni de capacité, mais en excluant celles qui ont fait preuve de capacité par un long stage pour entrer dans ces fonctions ! Ce que je critique, ce n'est pas le fait isolé, c'est le système ; c'est l'exception devenant la règle.

Il ne suffit pas d'être capable et honorable pour être admis à certaines fonctions. Il s'agit de savoir s'il n'y a pas d'autres personnes plus capables et ayant plus de titres.

En bonne administration, il faut tenir compte des longs services et surtout des services gratuits.

Je ne veux pas prolonger ce débat, mais j'espère que le gouvernement voudra bien tenir compte, à l'avenir, des considérations que je viens de faire valoir.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - L’honorable membre, en fait de compte à rendre à la Chambre, m'a fait dire exactement le contraire de ce que j'avais dit, et je tiens beaucoup à relever cette erreur. Il faut que la position respective des uns à l'égard des autres soit parfaitement dessinée.

J'ai dit et je répète que j'admets parfaitement que la Chambre interpelle un ministre sur les nominations qu'il fait, que j'admets par conséquent que le ministre est responsable devant la Chambre de ces nominations ; mais j'ai ajouté immédiatement que je ne croyais pas que les explications à donner par le ministre dussent dégénérer en discussion de personnes, qu'il dût porter à la tribune les considérations si multiples qui peuvent avoir motivé sa décision.

Puis-je venir discuter ici les considérations qui militent plutôt en faveur d'un tel candidat que de tel autre ? Est-ce là ce que vous demandez ?

M. H. Dumortier. - Ce n'est pas sur ce terrain que je place la question.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Ce n'est pas sur ce terrain que vous placez la question.

Il est donc constaté que je reconnais le droit de la Chambre, à l'égard du ministre, dans cette circonstance.

Maintenant quel est l'autre point ? C'est le droit qu'a le ministre de sortir du cercle des conseillers honoraires.

M. H. Dumortier. - Cela n'est pas contesté.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Cela n'est pas contesté, dites-vous. Mais cela est au contraire formellement contesté par vous.

M. H. Dumortier. - Non.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Vous reconnaissez le droit du ministre à une seule condition, c'est qu'il n'en usera pas.

Je crois, moi, avoir usé de ce droit que vous me reconnaissez, et vous trouvez répréhensible l'acte que j'ai posé.

Je dis qu'il n'est pas logique de contester en fait ce qui est reconnu en droit, alors surtout qu'il n'est pas dénié que la personne nommée est parfaitement honorable et capable.

Je me hâte d'ajouter que je ne suis imbu, à cet égard, d'aucune idée systématique et que, loin de vouloir exclure les conseillers honoraires, je professe l'opinion que s'il n'y a pas de considérations toutes particulières, à titres égaux, c'est le conseiller honoraire qui doit l'emporter.

Mais, je le répète, comment voulez-vous que je discute le point de savoir si je suis resté fidèle à cette doctrine, sans entrer dans des questions de personnes et cela d'une manière qui serait peu digne de la Chambre et du gouvernement ? Je ne pense pas que ce soit là ce qu'on désire.

M. B. Dumortier. - Messieurs, la question soulevée par l'honorable M. H. Dumortier vient de faire un grand pas par la déclaration finale de M. le ministre des travaux publics, mais il me semble que la question n'a pas été bien comprise.

Il s'agit d'une loi qui crée non seulement des conseillers effectifs, mais aussi des conseillers honoraires. Or, cette loi impose aux conseillers honoraires des charges excessivement lourdes et qui n'existent pour aucune autre fonction.

M. de Moor. - Lesquelles ?

M. B. Dumortier. - La défense de posséder ni par eux-mêmes, ni par leurs ascendants, aucune espèce d'intérêt dans les mines ou minières et l'obligation de réaliser immédiatement tous les intérêts de cette nature dont ils seraient en possession par le fait de succession.

Il y a des conseillers des mines qui ont perdu des sommes considérables pour avoir dû réaliser immédiatement ce qui leur était échu par succession.

Ce sont donc des fonctions à titre onéreux. Or, il s'agit de savoir si elles doivent être prises en considération lorsqu'une place de conseiller effectif des mines est vacante.

Qu'est-ce que le conseil des mines ? C'est un corps composé de cinq membres qui doit délibérer au nombre de cinq.

Or, il est souvent difficile de réunir ces cinq membres, soit parce que l'un ou l'autre est occupé avec des demandeurs en concession, soit pour cause de maladie, soit autrement. Les travaux deviendraient alors impossibles si la loi n'avait pourvu à ce cas.

Elle a donc institué trois conseillers honoraires des mines qui doivent remplacer les conseillers effectifs lorsque deux de ceux-ci sont empêchés.

La loi leur a imposé toutes les obligations des conseillers effectifs pour leur en donner les avantages.

(page 1066) La plupart des conseillers honoraires des mines siègent, comme l'a dit l'honorable M. d'Hoffschmidt, depuis 18 à 20 ans.

Depuis 12 ans plusieurs vacances se sont présentées ; pas un seul conseiller honoraire n'a été nommé conseiller effectif.

Voilà de quoi se sont plaints et avec raison mes honorables collègues.

Ils ont vu là un système qui est vicieux parce qu'en définitive il tend à laisser les conseillers honoraires dans une position d'attente, dans un surnumérariat perpétuel, sans jamais les faire jouir des fonctions importantes auxquelles ils sont appelés par la loi.

Je sais fort bien que la loi n'a pas fait au gouvernement une obligation de choisir toujours les conseillers honoraires pour les places de conseiller effectif. Mais si cela ne résulte pas des termes de la loi, cela résulte évidemment de son esprit : la loi fait au gouvernement une obligation morale de donner la préférence aux conseillers honoraires. Il est juste qu'après un surnumérariat de 10, 15 et jusqu'à 20 années le conseiller honoraire parvienne enfin à une position salariée ; sans cela pourquoi ce surnumérariat, pourquoi les sacrifices qu'on impose aux conseillers honoraires, pourquoi les obligations attachées à leur position et qui n'ont rien d'analogue dans aucune autre situation ?

Je n'ai rien à dire quant à la personne qui a été nommée en dernier lieu ; mais je n'admets pas que sa position de membre de la députation permanente de la province de Liége pendant un certain nombre d'années fût un titre qui dût nécessairement lui faire accorder la préférence sur tous ses concurrents. A ce compte-là autant voudrait ériger en principe que les membres des députations permanentes des provinces minières sont, de droit, appelés à remplir les fonctions de conseiller des mines qui deviennent vacantes.

Franchement, messieurs, c'est une chose déplorable pour des citoyens honorables qui pendant 15 et 20 ans ont rempli gratuitement des fonctions et ont accepté les conditions excessivement rigoureuses qui y sont attachées, devoir qu'on ne tienne aucun compte de leurs antécédents lorsqu'une place de conseiller effectif devient vacante et qu'on leur préfère des personnes étrangères jusqu'alors à cette partie de l'administration. Je dis, messieurs, que si ce n'est pas violer le texte de la loi, c'est à coup sûr en violer l'esprit.

Quoi qu'il en soit, messieurs, la réponse que vient de faire M. le ministre des travaux publics simplifie la question : il reconnaît qu'à titre égal le conseiller honoraire doit l'emporter sur tout autre candidat. Cette déclaration me suffit, et je n'en dirai pas davantage.

M. Devaux. - Il m'est impossible d'admettre avec l'honorable M. Henri Dumortier que lorsque l'observation isolée d'un membre de la Chambre contre un acte administratif n'est contredite que par le ministre, elle est censée représenter l'opinion de la Chambre entière. Si d'autres membres ici ne se lèvent pas pour la combattre, ce peut très bien être ou parce qu'ils n'y attachent pas assez d'intérêt, ou parce qu'ils la croient suffisamment réfutée par le ministre.

Je suis, du reste, d'accord, au fond, que le ministre ne doit pas repousser systématiquement les membres honoraires du conseil des mines.

M. H. Dumortier. - Personne ne lui reproche cela.

M. Devaux. - Mais je ne pense pas qu'on puisse lui faire un reproche d'avoir nommé comme membre effectif un homme étranger au conseil des mines.

Je blâmerais beaucoup, au contraire, le ministre qui croirait ne pouvoir pas sortir du cercle des membres suppléants.

M. H. Dumortier. - Personne ne soutient cela.

M. Devaux. - L'honorable M. Dumortier vient de dire que les membres honoraires sont soumis à des charges extrêmement lourdes, qu'ils doivent, notamment, renoncer à posséder des actions dans les mines. Mais, s'ils n'en ont pas, la charge n'est pas très lourde.

M. de Mérode-Westerloo. - Et s'ils en ont ?

M. Devaux. - Je crois, messieurs, que c'est bien plutôt l'exception que la règle.

Après cela, on dit que les fonctions de conseiller des mines sont extrêmement laborieuses. Je crois au contraire qu'elles ne le sont guère, et je pense que pour entrer de plain-pied dans des fonctions aussi bien rétribuées, et aussi agréables pour le peu de travail qu'elles imposent que celles de membre effectif du conseil des mines, il y a des fonctions administratives qui peuvent être considérées comme un titre au moins équivalent à celui de membre honoraire du conseil. On parlait tout à l'heure des juges suppléants ; mais reproche-t-on à M. le ministre de la justice de ne pas choisir toujours les juges suppléants pour remplacer les magistrats effectifs ; et cependant ils ont auprès de certains tribunaux des fonctions bien plus assujettissantes que celles des membres honoraires du conseil des mines, et ils sont aussi frappés de certaines interdictions. D'un autre côté, si les membres honoraires du conseil des mines étaient seuls admis aux fonctions effectives il en résulterait que le gouvernement devrait en plus d'une occasion nommer des fonctionnaires moins capables, car par cela même que la place est gratuite, elle est recherchée par des candidats de moindre valeur, et les nominations aussi se font avec moins de soins. On offre aux membres honoraires le moyen de montrer leurs capacités ; c'est déjà un avantage qu'ils ont sur d'autres concurrents, et à mérite égal, il est évident qu'ils seront généralement préférés à des candidats qui n'auront pas rendu plus de services qu'eux.

Mais quand on trouve ailleurs des capacités plus grandes ou des hommes qui ont plus de titres par leurs antécédents à une telle position, je crois qu'on a raison de les préférer.

Pour moi je ne pourrais jamais reprocher au gouvernement de choisir les plus capables.

J'ai toujours été d'avis qu'il faut donner les hommes aux places et non les places aux hommes.

A nos yeux donc, il n'y a pas de reproche à faire à M. le ministre des travaux publics au sujet de la mesure qu'il a prise dans le cas actuel : il a nommé un homme honorable, et qui, par ses antécédents et ses longs services administratifs, aurait eu l'occasion de prouver qu'il est parfaitement à même de bien remplir les fonctions de conseiller des mines.

M. B. Dumortier. - Le système de l'honorable préopinant conduit nécessairement à la suppression de toute espèce de surnumérariat en Belgique. Or, il me semble, messieurs, que le surnumérariat est la meilleure occasion qui soit offerte à un homme de montrer ce qu'il sait et ce qu'on peut attendre de lui, et je ne comprends pas qu'après un surnumérariat qui a souvent duré pendant de nombreuses années et dans lequel un homme a fait preuve de capacité, cet homme soit encore exposé à se voir préférer un étranger.

S'il devait en être ainsi, que l'on supprime le surnumérariat, que l'on supprime les conseillers honoraires des mines, car s'ils n'ont pas la perspective de voir s'ouvrir devant eux, avant qu'aucun autre y passe, la porte du conseil des mines, mieux vaut ne pas les tromper et ne pas leur laisser nourrir l'espoir d'y entrer un jour.

Avec ce mot de capacité, avec un terme aussi impondérable, on peut faire tout ce qu'on veut et expliquer la nomination de l'homme le moins capable, le moins digne d'être préféré.

Ainsi, que diraient MM. les officiers de l'armée si l'on confiait certains grades à des bourgeois ?

Il est peu probable que ce système leur sourirait beaucoup ; et cependant c'est ce système que préconise l'honorable M. Devaux dans la question qui nous occupe.

- La discussion est close.

Articles 46 et 47

« Art. 46. Personnel du conseil de ; mines ; frais de route : fr. 600. »

- Adopté.


« Art. 47. Personnel du conseil des mines ; matériel : fr. 2,000. »

- Adopté.

Section II. Personnel du corps
Articles 48 à 50

« Art. 48. Traitements et indemnités du personnel du corps des mines et salaires des expéditionnaires employés par les ingénieurs : fr. 175,350. »

- Adopté.


« Art. 49. Frais des jurys d'examen, des conseils de perfectionnement et missions des élèves ingénieurs de l'école spéciale des mines : fr. 6,000. »

- Adopté.


« Art. 50. Confection de la carte générale des mines ; charge extraordinaire : fr. 15,000. »

- Adopté.

Section III. Caisses de prévoyance
Article 51

« Art. 51. Subsides aux caisses de prévoyante et récompenses aux personnes qui se distinguent par des actes de dévouement : fr. 45,000. »

(page 1067) M. Moncheur. - Je demanderai à M. le ministre s'il a l'intention de présenter un projet de loi pour accorder la personnification civile aux caisses de prévoyance des ouvriers mineurs.

Messieurs, il existe dans les provinces minières des caisses qui font un bien immense, elles deviennent de véritables établissements d'intérêt public ; elles sont favorisées et hautement conseillées par le gouvernement ; le gouvernement n'accorde même plus de concessions de mines à moins que les demandeurs en concession n'acceptent formellement la condition de s'affilier aux caisses de prévoyance ; ils s'y affilieraient, du reste, spontanément.

Elles sont administrées avec un dévouement remarquable par des hommes qui y consacrent philanthropiquement beaucoup de soin et de temps ; mais l'administration en est souvent entravée par des difficulté résultant de ce que ces établissements n'ayant pas la personnification civile, ne peuvent, comme tels, ester en justice. Il faudrait, pour intenter la moindre action, que tous les associés se constituassent parties en cause, ce qui est moralement impossible.

Je suis convaincu qu'il entre dans les intentions du gouvernement de combler cette lacune ; mais comme elle existe déjà depuis longtemps et que je ne puis prévoir quand elle cessera, je prie M. le ministre de vouloir bien fixer son attention particulière sur cet objet et de nous dire s'il se propose de présenter très prochainement un projet de loi pour régler cette matière.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je compte déposer le projet de loi dont parle l'honorable M. Moncheur, c'est d'une utilité incontestable, et plus tôt la loi sera faite, mieux cela vaudra.

- L'article 51 est mis aux voix et adopté.

Section IV. - Impressions, etc
Article 52

« Art. 52. Impressions, achats de livres, de cartes et d’instruments, publications de documents statistiques, encouragements et subventions, essais et expériences : fr. 7,000. »

- Adopté.

Projet de loi érigeant la commune d’Hamipré en commune distincte

Rapport de la section centrale

M. de Moor. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission qui a été chargée d'examiner le projet de loi érigeant la commune d'Hamipré en commune distincte.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi portant le budget du ministère des travaux publics de l’exercice 1862

Discussion du tableau des crédits

Chapitre IVI. Chemins de fer. Postes. Télégraphes. Régie. Services d’exécution

M. le président. - Nous sommes arrivés au chapitre IV. Quatre orateurs se sont fait inscrire pour la discussion générale sur ce chapitre. Comme je ne puis, sans le consentement de la Chambre, laisser ouvrir une discussion générale sur chaque chapitre, je prie ces messieurs d'indiquer les articles sur lesquels ils désirent prendre la parole.

Cela abrégera le débat ; et il est facile de rattacher les observations que l'on a à présenter à l'un ou à l'autre article.

M. Beeckman. - Je voulais demander à M. le ministre des travaux publics où en est la question du chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - J'ai demandé à la Chambre d'ajourner cette discussion jusqu'au moment où nous nous occuperons des autres projets ; nous l'aborderons alors en long et en large.

- La discussion est continuée à mardi.

La séance est levée à 4 heures et un quart.