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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 14 mars 1862

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page 915) (Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Moor, secrétaire, fait l'appel nominal à 2 1/4 heures.

Il donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

Il présente ensuite l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre :

« Les conseils communaux d'Appelterre-Aychem et de Sleydinge demandent des modifications à la loi du 18 février 1845, relative au domicile de secours. »

-- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Eenens, se plaignant de l'application que l'administration communale de Schaerbeek veut donner à la loi du 1er juillet 1858, prie la Chambre de décréter des garanties efficaces et définitives contre l'abus qui se fait de cette loi ou de la rapporter. »

M. de Renesse. - Messieurs, par pétition datée d'Anvers, le 13 mars courant, M. le général-major Eenens, ancien membre de la Chambre des représentants, et commandant de la première brigade d'artillerie, croit devoir s'adresser à la Chambre à l'effet de lui dénoncer l'abus que le conseil communal de Schaerbeek voudrait faire de la loi du 1er juillet 1858, se rapportant à l'expropriation de propriétés particulières, pour l'assainissement des quartiers insalubres.

La propriété indivise, que l'honorable général et sa famille possèdent sur le plateau très élevé de la commune de Schaerbeek, derrière l'église Sainte-Marie, ne présente aucune cause d'insalubrité ; il n'y a ni cours d'eau, ni eau stagnante, ni impasse ; il ne peut donc être question d'appliquer à cette propriété les dispositions de la loi précitée, intitulée, la loi pour l'expropriation des propriétés dans les quartiers insalubres.

Cette juste réclamation de M. le général Eenens, contre la fausse application que le conseil communal de Schaerbeek voudrait faire de la loi du 1er juillet 1858, malgré l'opposition formelle de plusieurs propriétaires de cette commune, m'engage à faire la proposition à la Chambre de vouloir ordonner le renvoi de cette requête à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport, ainsi que cela a eu lieu pour les autres pétitions adressées à la Chambre, depuis quelque temps, et qui sont relatives à la même question.

M. Coppens-Bove. - J'appuie la demande d'un prompt rapport..

- La proposition est adoptée.


« Le sieur Maubach, ancien avocat du département des finances, prie, la Chambre de statuer sur sa pétition tendante à obtenir une pension. »

- Même renvoi.


« Des habitants d’Ixelles prient les membres de la Chambre de s'occuper du projet de loi sur l'art de guérir. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Le sieur Bevernage, combattant de septembre, demande que son fils soit employé comme homme de peine dans une station du chemin de fer de l'Etat. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


< Le conseil communal de Seneffe prie la Chambre d'accorder à la compagnie Delval-Drion la concession d'un chemin de fer de Momignies à Manage par Beaumont et Thuin et de cette ville à Mons. »

- Même renvoi.


« Le sieur De Leeck demande que la condamnation prononcée par un conseil de guerre à charge de son fils soit annulée. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Grivegnée et de Jupille demandent la construction d'une digue en terre gazonnée pour les mettre à l'abri des inondations de l'Ourthe. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics.

« Le sieur Lezaack, fabricant d'armes à Liège, demande que le département de l'intérieur fasse liquider les prix obtenus dans le concours pour la meilleure arme de guerre et qu'il mette au concours l'amélioration des fusils lisses de la garde civique. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Par message du 13 mars 1862, le Sénat informe la Chambre qu'il a donné son adhésion au projet de loi contenant le budget du ministère de la justice pour l'exercice 1862. »

- Pris pour notification.


Il est fait hommage à la Chambre, par M. Morren, secrétaire de la fédération des sociétés d'horticulture de Belgique, de trois exemplaires des bulletins de cette association, pour l'année 1861. »

- Dépôt à la bibliothèque.

« M. Vergauwen fait hommage à la Chambre d'un exemplaire d'une requête des grandes dames et supérieures des deux béguinages de Gand. »

- Même dépôt.

Rapports de pétitions

Pétitions relatives à l’établissement des servitudes militaires et à la responsabilité des faits de guerre

M. le président. - La parole est continuée à M. le ministre de la guerre.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, j'ai eu l'honneur d'entrer hier dans quelques développements pour vous prouver la nécessité des zones de servitude. Je vous ai aussi démontré quelles citadelles sont le réduit indispensable des grandes positions militaires et que les ont besoin d'avoir devant tout leur pourtour un espace libre pour pouvoir être défendues comme toutes les positions fortifiées. Je vous ai fait distribuer hier, messieurs, à la fin de la séance un petit croquis de la citadelle (nord) d'Anvers, afin que vous puissiez mieux saisir les explications que je vais vous donner sur sa position et sur la zone de servitude qui l'entoure.

Si vous voulez, messieurs, jeter un coup d'œil sur ce croquis, vous verrez au bas de la feuille la position de la partie nord de la ville d'Anvers. Les parties teintées en brun sont des fortifications qui, dans quelque temps, seront démolies et viendront s'ajouter aux terrains dont la ville pourra disposer.

Un peu plus haut vous trouvez, marquée également en brun, une ligne circulaire qui indique la limite de l'ancienne zone de servitude, zone qui depuis trois siècles appartenait à l'Etat, c'est-à-dire dans laquelle l'Etat, usant de son droit, n'avait jamais laissé faire aucun bâtiment ni aucune excavation.

Bien que les fortifications de la vieille enceinte ne soient pas démolies, l'Etat a autorisé la ville d'Anvers à prendre possession de cette zone frappée de servitude ; et, comme vous le voyez, on y a déjà creusé le canal de la Campine et les nouveaux bassins d'Anvers. Cependant la loi interdit de creuser des fossés, des excavations, etc., dans les zones de servitude ; mais comme les anciennes fortifications d'Anvers devaient être démolies, l'Etat n'a pas cru devoir maintenir son droit d'interdiction.

Le petit fort du Nord est remplacé par la grande citadelle ; mais je vous prie de remarquer ceci : c'est que la zone de servitude de ce petit fort du Nord, qui existe depuis des siècles, est absolument la même du côté de la ville que la zone de la nouvelle citadelle.

J'ai fait indiquer par un trait rouge la zone de servitude du fort du Nord et parallèlement, à côté, une ligne brune délimite la zone de servitude de la nouvelle citadelle.

Vous pouvez vous convaincre ainsi que ces deux lignes sont à peu près identiquement les mêmes.

Il n'y a donc rien de nouveau, sous ce rapport, pour la ville d'Anvers, si ce n'est que la ville d'Anvers se trouve dégrevée à l'intérieur de toute la zone de servitude créée antérieurement devant les anciennes fortifications.

L'honorable M. de Boe disait hier qu'on ne demandait d'indemnité que pour les zones nouvelles à établir devant les places de guerre ; que quant aux zones anciennes il n'y avait pas lieu à indemnité. Aux réclamations élevées par l'honorable M. Allard il a répondu : Ces zones existent depuis longtemps, les propriétaires des terrains qu'elles renferment les ont acquises, grevées de ces servitudes.

Or, depuis trois siècles les terrains situés dans la zone de la citadelle ont été acquis avec ces servitudes par les propriétaires qui se sont succédé.

Il n'y aurait donc pas droit à indemnité pour la zone de servitude intérieure, celle cependant pour laquelle on élève le plus de réclamations.

Je ferai remarquer, pour montrer combien l'autorité militaire a mis d'empressement, de bienveillance à accueillir tout ce qui pouvait être agréable et avantageux à la ville d'Anvers, que bien que la zone déterminée par la loi fût de 585 mètres, le département de la guerre a autorisé la (page 916) ville d'Anvers à disposer comme elle l'entendrait de plus de la moitié de cette zone.

Nous avons dit à la régence d'Anvers : Nous n'avons besoin que d'une esplanade de 250 mètres, qui serait limitée par le Vossche-Schyn et vous pourrez bien bâtir, creuser des bassins jusqu'à cette rivière.

Vous voyez donc que la ville, après la démolition des fortifications, pourra disposer d'une très grande superficie de terrain, d'abord de l'espace occupé par les anciennes fortifications qui ont en moyenne 300 mètres de largeur, ensuite de l'ancienne zone de servitude qui les entourait, soit 585 mètres, et enfin de 335 mètres de terrain de la zone de servitude de la citadelle du Nord, ce qui fait un espace de plus de 1,200 mètres, où elle pourra s'étendre au nord et creuser d'aussi vastes bassins qu'elle peut le désirer.

Il est de fait que la ville disposera en fin de compte de plus d'espace qu'elle n'en aura jamais besoin, quel que soit son développement et sa prospérité future.

Remarquez d'ailleurs que ces terrains sont complètement nus ; il n'y existe aucune bâtisse, ce sont des terrains de polders, à 3 mètres au-dessous du niveau de la marée haute ; il serait impossible d'y établir des habitations sans faire d'abord des remblais considérables.

En faisant cette concession à la ville d'Anvers, en l'autorisant à bâtir jusqu'au Schyn, je n'ai pu cependant accorder cette concession que dans les termes fixés par la loi.

La loi dit que M. le ministre, de la guerre peut autoriser à bâtir, dans le rayon de servitude, des habitations en planches, faciles à détruire en cas de guerre, et que ceux qui les auront construites n'auront droit à aucune indemnité, en cas d'événements de guerre. Eh bien, j'ai été plus loin que ne le permettait la loi, puisque j'ai autorisé toute espèce de construction jusqu'au Vosche-Schyn, en abandonnant toute la portion de zone au-delà de cette rivière, sous la seule réserve que l'Etat ne pourrait garantir aucune indemnité pour les démolitions exécutées en temps de guerre.

La loi ne me permettait pas d'aller plus loin, je ne pouvais faire plus pour Anvers que pour toutes les autres villes où il y a des citadelles.

Quand on bâtit une citadelle tout près d'une ville il est évident qu'on ne peut pas exiger une zone de servitude qui embrasse toutes les habitations : on prend ce qui est strictement nécessaire pour la défense. On renonce au reste, on laisse subsister les bâtiments existants en dehors de la zone réservée nécessaire : c'est une tolérance justifiée, admise.

C'est ce qui a été fait pour Tournai, Liège, Gand, etc., et c'est ce que nous faisons encore pour la citadelle du Nord à Anvers, puisque nous renonçons en faveur de cette ville à plus de la moitié de la zone de servitude qui nous appartient depuis des siècles, quoiqu'elle soit entièrement libre et que nous soyons en droit de la conserver tout entière.

L'étendue de la zone de servitude que l'Etat se réserve du côté des villes dépend de la position des citadelles, ou la configuration du sol sur lequel elles sont bâties et du rôle qu'elles ont à remplir.

Lorsqu'elles sont sur une éminence comme les citadelles de Namur, de Huy, etc., etc., il est parfaitement inutile d'exiger une zone de servitude aussi large que celle qui est nécessaire à une citadelle située comme celle d'Anvers.

Ainsi à Diest, par exemple, la zone de servitude du côté de la ville est restreinte, elle ne comprend que des terrains où ne se trouve aucune bâtisse à l'exception de quelques masures, qu'on a pu laisser debout sans inconvénients.

A Gand, et ceci répond à ce que m'a demandé hier l'honorable M. Jacquemyns, il n'existe aucune habitation dans la zone de servitude que l'Etat s'est réservée du côté de la ville. Il y a seulement une caserne, cédée à la ville avec l'obligation de lui laisser une destination militaire.

Un particulier a demandé de bâtir dans ladite zone un bloc de 120 habitations d'ouvriers qui s'y serait trouvé en face d'un des bastions de la citadelle, et qui aurait paralysé complètement ce bastion. L'autorité militaire a fait opposition ; elle le devait. Mais la zone ne s'étend nulle part où il y a des habitations.

Du reste, jusqu’à présent on n'avait pas fait les plans des zones de servitude des différentes localités.

J'ai fait travailler à ces plans et aujourd'hui il y en a une grande partie de terminés.

Ils seront déposés chez les commandants du génie, où chacun pourra en prendre connaissance et adresser les observations qu'il pourrait avoir à faire. J'ai fait déposer, au commencement de cette discussion, quatre plans terriers des zones de servitude des forts d'Anvers, afin que la Chambre puisse voir comment ces plans sont établis. On y trouve toutes les indications possibles et personne ne pourra plus se méprendre sur l'étendue de la zone.

L'honorable M. de Gottal m'a demandé de faire faire ce travail. Il verra que malgré les difficultés, je n'avais pas attendu sa demande. Ce travail qui doit être fait sur le terrain, avec une exactitude scrupuleuse et indiquer toutes les parcelles, est immense, et pourtant il est presque achevé dans tout le royaume.

Messieurs, la loi sur les servitudes n'indique ni maximum ni minimum. Je ne puis donc dire précisément à la ville d'Anvers : J'abandonne entièrement la servitude sur les terrains jusqu'au Schyn.

Je ne puis qu'user de tolérance. Il faudrait une loi spéciale pour dégrever entièrement ces terrains, et pour ma part, je n'y ferais aucune opposition, je crois sauvegarder ainsi les droits de l'Etat et de la défense et satisfaire en même temps à tous les intérêts de la ville d'Anvers.

Messieurs, il ne faut pas perdre de vue qu'une citadelle dépendant d'un système aussi important que celui d'Anvers, qui doit être la base de notre défense et en quelque sorte le palladium de notre indépendance nationale ; que cette citadelle a pour but de permettre à la garnison de faire une défense énergique, de renforcer le moral de cette garnison, parce qu'en tout état de choses, elle saura qu'elle a toujours un dernier refuge. Elle a aussi pour but de décourager l'ennemi par les périls, par les difficultés de plusieurs attaques successives.

Ainsi si un ennemi se présente pour attaquer la position d'Anvers, il saura qu'il aura un camp retranché formidable à prendre, que quand il aura pris ce camp retranché, il devra s'emparer de la ville qui est également formidable, et que la place étant prise, il resterait encore les deux citadelles du Nord et du Sud qui serviraient de refuge à la garnison.

Mais ces citadelles ont encore une autre importance ; la ville d'Anvers est ouverte à la gorge, c'est-à-dire qu'il y a un côté de la ville, celui qui longe l'Escaut, qui n'a aucune fortification. Jadis ce côté était fortifié comme les autres.

Pourquoi ne l'est-il plus ?

C'est que le fleuve est la source de la richesse, de la prospérité d'Anvers et que l'intérêt du commerce exigeait qu'on n'en fermât pas les rives et les abords par des remparts.

Mais la ville étant ouverte de ce côté et le fleuve étant la route la plus avantageuse pour un ennemi maître de la mer, puisqu'il pourrait conduire, par cette voie, des citadelles flottantes jusqu'au cœur de la position et en tourner ainsi toutes les défenses, il était donc indispensable de remplacer ces remparts supprimés par des citadelles assez puissantes pour arrêter une flotte et l'empêcher de venir s'embosser en face de la ville, pour la bombarder et la prendre à revers.

Si les citadelles qui défendent le fleuve étaient ouvertes à la gorge, une flotte ennemie, non seulement n'aurait plus rien à craindre de ces citadelles dès qu'elle aurait jeté l'ancre devant la ville, mais encore elle pourrait prendre les défenses à revers et empêcher ainsi l'action des fronts conservés.

Si, au contraire, les citadelles étaient intactes, c'est-à-dire fermées de tout côté, la flotte ennemie ne pourrait trouver aucun abri, aucun refuge dans la rade. Elle courrait les plus grands dangers, et si par hasard elle parvenait à débarquer des troupes sur les quais, celles-ci viendraient se heurter contre des citadelles inattaquables de vive force et qui pourraient, sans s'inquiéter de ce débarquement, anéantir la flotte ennemie.

Voilà, messieurs, quel est le but des citadelles d'Anvers. Elles sont le complément obligé de cette importante position stratégique.

On peut donc dire, en se plaçant uniquement au point de vue de l'intérêt et de la sécurité des Anversois, qu'il est indispensable que ces citadelles soient très fortes, car, je l'ai déjà dit, plus la position d'Anvers sera redoutable, moins elle aura de chance d'être attaquée.

Je crois pouvoir ajouter, messieurs, qu'avant très peu de temps la position d'Anvers aura acquis un si haut degré de puissance défensive, qu'il faudra tous les efforts, toutes les ressources maritimes ou militaires d'une nation de premier ordre pour songer à l'attaquer.

Je dirai plus, messieurs, quand cette position sera armée avec une artillerie aussi formidable que celle que nous allons posséder et défendue par le patriotisme de notre armée et de la nation, j'ai la conviction profonde qu'elle sera une sauvegarde éternelle non seulement pour la ville d'Anvers, mais encore pour le pays tout entier.

On a exprimé une crainte. Je ne sais si je dois y attacher beaucoup d'importance. On redoute que la ville d'Anvers puisse être un jour bombardée par les citadelles. Je ne pense pas que semblable crainte soit sérieusement entrée dans l'esprit ou dans le cœur des habitants d'Anvers.

Avez-vous jamais entendu dire que les habitants de Liège, de Gand, de Namur et de nos autres villes fortes aient demandé, sous l'empire de cette crainte, la démolition des citadelles qui dominent ces villes d'une manière beaucoup plus formidable que la citadelle du Nord ne dominera jamais Anvers ?

(page 917) Existe-t-il une seule place forte de quelque importance en Europe qui n'ait pas de citadelle ? Avez-vous jamais vu les habitants en demander la démolition ?

Voyez la libre Angleterre où les citoyens sont aussi jaloux de leurs droits que quelque peuple que ce soit ; n'y construit-on pas des citadelles, les habitants élèvent-ils des réclamations ? Au contraire, toute la nation demande qu'on fasse des travaux de fortification, et presque toutes les fortifications que les Anglais élèvent dans ce moment sont des citadelles.

Il en est de même aux Etats-Unis d'Amérique.

Messieurs, s'il fallait démolir toutes les citadelles pour prévenir un bombardement, il faudrait logiquement démolir toutes les fortifications. Est-il possible de croire, en effet, qu'on ne pourrait pas bombarder Anvers d'autres parties des fortifications que de la citadelle du Nord ou de la citadelle du Sud ? Ne le pourrait-on pas des forts du camp retranché, par exemple ? Mais ce qu'il y a d'extraordinaire, c'est qu'on a construit, il y a 4 ou 5 ans, une citadelle qui menace bien plus la ville que la citadelle du Nord ou la citadelle du Sud ; c'est la citadelle de la Tête de Flandre.

Cette dernière se trouve précisément en face de la ville et elle est flanquée, à droite et à gauche, de deux petits forts qui sont également menaçants pour la ville, elle a devant elle une esplanade qu'on ne peut supprimer, ni obstruer, c'est l'Escaut. Tous les feux de la citadelle balayent le fleuve.

Par conséquent une très faible garnison renfermée dans cette citadelle pourrait tenir en échec toute la ville d'Anvers ; eh bien, jamais les Anversois n'ont demandé la démolition de la citadelle de la Tête de Flandre jamais, pendant qu'on la construisait, ils n'ont élevé une seule réclamation.

Mais, messieurs, avec une artillerie telle que la nôtre, avec une artillerie qui peut envoyer des projectiles incendiaires à plus de 5,000 mètres que serait-il besoin de fortifications, de citadelles pour bombarder une ville ?

Si l'on pouvait supposer qu'un gouvernement pût jamais être atteindre la monomanie stupide, impossible du bombardement, il faudrait demander non seulement la démolition de toutes les fortifications, mais encore la suppression de l'artillerie.

Je crois donc, messieurs, qu'il n'y a pas lieu d'attacher d'importance à cette crainte chimérique et je crois m'y être arrêté assez longtemps.

Messieurs, il me reste un dernier point à examiner, pour achever de répondre aux différentes objections qui m'ont été faites, et aux attaques qui ont été dirigées contre moi.

Messieurs, quand vous avez décrété les fortifications d'Anvers, vous avez voulu faire une chose sérieuse pour la défense du pays, vous avez voulu que le sacrifice que vous imposiez à la nation ne fût pas fait en pure perte.

Quel était dès lors mon devoir ? C'était de réaliser vos intentions, c'était d'empêcher que ces fortifications ne fussent annihilées avant d'être achevées, ne fussent qu'une dépense inutile.

Je vais vous donner connaissance des mesures que j'ai prises dans ce but.

Vous apprécierez ensuite si j'ai répondu à vos intentions et rempli mon devoir comme j'en ai la ferme conviction.

Dès que les fortifications ont été décrétées, je me suis empressé de faire connaître par tous les moyens en mon pouvoir, la loi sur les servitudes militaires aux intéressés parce qu'il était devenu indispensable de la faire observer.

Les commandants du génie du camp retranché et de l'enceinte d'Anvers ont reçu l'ordre de s'entendre à ce sujet avec les bourgmestres de toutes les communes dont les terrains tombaient dans les différentes zones de servitude.

J'ai fait imprimer des pancartes reproduisant en français et en flamand les dispositions des lois sur les servitudes militaires.

Ces pancartes ont été affichées sur les murs des églises et des maisons communales, ainsi qu'à toutes les portes d'Anvers. Enfin, nous avons employé tous les moyens possibles de publication pour que personne n'ignorât la loi et que chacun sût quels étaient ses devoirs envers l'Etat.

De plus, les gardes du génie ont reçu l'ordre d'empêcher les contraventions autant qu'il serait en leur pouvoir, en prévenant à temps les particuliers disposés à bâtir, afin de leur épargner des poursuites.

Mais, messieurs, qu'arrive-t-il ? C'est que l'on ne suivait pas les conseils des agents du génie.

D'autre part, les propriétaires se trouvaient livrés à de mauvaises influences, On leur disait : Bâtissez, on ne vous en empêchera pas, on n'osera jamais faire exécuter la loi sur les servitudes. Il est malheureusement vrai, messieurs, que les précédents semblaient justifier ce langage.

J'ai pu m'assurer sur les lieux de la réalité des faits que j'avance, et j'ai fait donner des avertissements à ces individus qui commençaient h faire des constructions en maçonnerie.

Ils ont répondu : On n'exécutera pas la loi, on ne l'osera pas.

Messieurs, que fallait-il faire ? fallait-il laisser envahir la zone des servitudes ? fallait-il laisser violer la loi ?

J'ai déféré ceux qui avaient fait des constructions aux tribunaux. Les tribunaux les ont condamnés.

J'ai fait alors prévenir ces individus qu'on exécuterait les jugements.

On leur a donné des délais et des prolongations de délais en les engageant à exécuter les jugements pour ne pas nous mettre dans la nécessité de les faire exécuter nous-même.

Rien n'y a fait. Les hommes de loi ont conseillé de faire une exécution.

Nous avons alors mis à la disposition de la justice une compagnie d'ouvriers militaires pour faire exécuter un jugement.

L'huissier instrumentant s'est présenté chez un particulier avec la compagnie d'ouvriers militaires et a fait exécuter un des jugements.

Je dois vous faire remarquer, messieurs, que l'huissier avait d'abord voulu faire procéder à la démolition par des ouvriers civils et qu'on avait fait de l'intimidation pour s'y opposer.

M. Loos. - Dans quelle commune, M. le ministre ?

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je ne me rappelle pas dans quelle commune

Je cite des faits. On avait répondu que les ouvriers civils n'exécuteraient pas le jugement parce qu'on avait des craintes de résistance.

C'est alors seulement que je mis à la disposition de l'autorité judiciaire une compagnie d'ouvriers du génie.

Des ordres ont été donnés à ces ouvriers d'exécuter la démolition d'un hangar avec toutes les précautions possibles pour ne pas endommager les matériaux.

Vous voyez, messieurs, que j'ai épuisé tous les moyens avant d'en venir à cette extrémité nécessaire, et que j'ai fait prendre toutes les précautions possibles.

Qu'est-il arrivé, messieurs ? Quarante-trois délinquants avaient été signalés au département de la guerre, et tous sont venus trouver l'avoué du département pour lui dire qu'ils allaient s'exécuter eux-mêmes. Quelques-uns ont demandé des délais ; d'autres ont demandé à pouvoir remplacer certains bâtiments, certains hangars en maçonnerie par d'autres constructions en planches. Le département de la guerre a accordé tout ce qu'il a pu, et j'ai ici une liste de vingt-trois individus auxquels nous avons accordé ce qu'ils ont demandé.

Il y en a même un que m'avait recommandé l'honorable M. de Gottal, et si j'ai bonne mémoire, l'honorable M. de Gottal m'a même écrit pour me remercier d'avoir donné à cette affaire la suite qu'il avait sollicitée.

M. de Gottal. - C'est vrai !

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je remercie d'autant plus M. de Gottal de sa déclaration que c'est de la part de l'honorable membre un acte de véritable courage que de reconnaître publiquement d'avoir adressé des remerciements à un homme aussi impopulaire que moi auprès de certaines gens d'Anvers.

M. de Gottal. - Je demande la parole.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). -Vous savez, messieurs, qu'on m'accuse à Anvers de toute espèce de méfaits.

On m'accuse, je demande pardon à la Chambre de répéter l'expression, on m'accuse de vouloir crever la constitution comme la peau d'un vieux tambour. (Interruption.)

On m'accuse encore d'être vendu à l'Angleterre, on m'a accusé souvent ailleurs d'être vendu à la France ; on m'accuse quelquefois d'être vendu à la Prusse.

J'avoue, messieurs, que je ne me supposais pas une telle valeur. Enfin les Anversois des meetings ont poussé l'hyperbole jusqu'à se vanter de m'avoir engraissé ! J'ai trouvé que c'était par trop abuser de la crédulité publique. (Longue interruption.)

J'aime mieux, du reste, que mes adversaires se vantent de m'avoir engraissé que de se vanter de m'avoir fait maigrir, ce qui leur sera assez difficile. (Nouvelle interruption.)

Messieurs, ce qui s'est passé à Anvers m'a rappelé un fait que j'avais presque oublié, mais que je vous demande la permission de rappeler.

Il y a une trentaine d'années, une flottille embossée dans l'Escaut et une armée retranchée dans la vieille citadelle bombardaient Anvers. Les (page 918) habitants, sans défense, fuyaient épouvantés. Quelques citoyens à ce moment même accouraient dans la ville, Ils n'avaient cependant là ni famille à défendre, ni propriétés à sauver ; ils venaient pour secourir Anvers et cherchaient à lui être utiles dans ces circonstances difficiles.

L'un de ces citoyens fut assez heureux pour conclure avec le général ennemi un armistice, une convention qui, je crois, a sauvé Anvers d'un grand désastre. Il fut assez heureux aussi pour prendre, avec un de ses compagnons, des mesures pour rétablir l'ordre et la sécurité dans la ville d'Anvers.

Je ne rappelle ce fait, messieurs, qu'afin que les Anversois sachent que l'homme qu'ils accusent de vouloir les faire bombarder, dont ils demandent l'expulsion est le même qui leur a rendu ce service, et pour qu'ils sachent que s'ils étaient encore menacés d'un semblable danger, le même homme agirait comme il l'a fait en 1830 ! (Interruption.)

J'ajoute, messieurs, que tout ce qui se fait maintenant à Anvers a précisément pour but de préserver cette ville d'un pareil désastre.

En 1830 déjà, j'ai compris le danger qu'il y avait pour Anvers à ce qu'une flotte ennemie pût venir impunément sous ses murs détruire ses établissements maritimes et la ville tout entière. A cette époque déjà me trouvant en parlementaire à bord de la frégate Proserpine, qui avait bombardé Anvers, en même temps que la citadelle, je pus me convaincre, du haut de ce navire, quelle importance il y avait à prendre des mesures pour mettre Anvers à l'abri d'un pareil danger.

Eh bien, messieurs, ce que nous faisons aujourd'hui à Anvers, rendra désormais pareille catastrophe impossible, car j'espère que jamais nos citadelles ne seront défendues que par des soldats belges qui sauront les garder.

Permettez-moi, messieurs, de vous citer encore un fait historique qui, pour être un peu ancien, contient cependant un enseignement d'une valeur réelle au point de vue de la question des servitudes. A l'époque où Charles-Quint fit sa seconde expédition contre Barberousse et les pirates d'Alger, il se forma, pour attaquer les Pays-Bas une alliance entre le roi de France, François Ier, le roi de Danemark, Christian III et le duc de Clèves.

Ce dernier devait, moyennant un subside de 100,000 écus fournis par la France, lever une armée pour attaquer la Belgique par l'Est et par le Nord, tandis qu'une armée française commandée par les ducs de Vendôme et d'Orléans devait pénétrer en Belgique par la Flandre et le Hainaut.

Quand la gouvernante des Pays-Bas, Marie de Hongrie apprit le danger que courait le pays, elle fit un appel à toutes les populations.

Le duc de Clèves rassembla son armée qui se composait de 16 à 18 mille hommes. Il en confia le commandement à un célèbre chef de bande, à Martin Van Rossum, capitaine renommé par ses talents et connu par son caractère impitoyable qui l'avait fait surnommer Martin le Noir.

Le plan de Van Rossum était de surprendre Anvers et Gand, et de se réunir dans cette dernière ville aux armées françaises qui devaient opérer par la Flandre et le Hainaut.

En apprenant le danger qui les menaçait, les Anversois regrettèrent d'avoir négligé leurs fortifications. Elles étaient commencées depuis 1487 et étaient loin d'être achevées.

Chacun se mit aussitôt à l'œuvre, et les historiens du temps nous apprennent que les femmes elles-mêmes vinrent travailler aux remparts.

La ville d'Anvers avait résolu de construire un magnifique hôtel de ville, digne de. son importance et de sa richesse. Les plans en étaient arrêtés, les matériaux, les pierres sculptées conduites à pied d'œuvre. On sacrifia ces matériaux pour achever les remparts. On fondit des canons, on fabriqua de la poudre, enfin on prit toutes les mesures de défense que le patriotisme et l'énergie inspirent. Les négociants donnèrent, pour hâter l'édification des remparts, des balles, des caisses et des ballots de marchandises.

Pendant ce temps Martin Van Rossum avait passé la Meuse à Gavre et s’était avancé à marches forcées, en ravageant tout sur son passage jusqu'à Brasschaet.

Il apprit là que les Anversois avaient appelé à leur aide leur margrave le prince d'Orange et que celui-ci accourait avec une armée à leur secours. Van Rossum tendit une embuscade à ce prince, et le battit complètement.

Le prince d'Orange eut grand-peine à se jeter dans Anvers avec un millier d'hommes.

Le lendemain de cette victoire, Van Rossum vint camper sous les murs d'Anvers, à Merxem.

Les habitants de la ville confièrent le commandement à un de leurs échevins, nommé Corneille de Spangen qui avait l'expérience de la guerre.

Ils s'aperçurent qu'ils avaient eu le tort de laisser bâtir des maisons de campagne, construire des édifices de toute espèce trop près des remparts et que l'ennemi pourrait en profiter.

Aussitôt sans hésiter les magistrats ordonnèrent la démolition de tous ces bâtiments, de tous ces édifices, la destruction de ces somptueuses campagnes et des parcs qui les embellissaient.

Les historiens nous apprennent qu'on mit le feu sur plus de 40 points à la fois et qu'on voyait pendant la nuit sur les remparts d'Anvers comme en plein jour.

L'échevin de Spangen craignant une attaque du côté du Kipdorp (faubourg de Borgerhout) fit brûler le couvent des Victorines où l'ennemi aurait pu se retrancher. Ce couvent était situé où est aujourd'hui la lunette d'Herenthals.

Le 26 juillet Van Rossum fit une fausse attaque sur la porte Rouge. Les défenseurs de ce poste craignant qu'il ne s'établît le lendemain au couvent des chartreux demandèrent aux magistrats l'autorisation d'aller détruire ce couvent, ce qui leur fut accordé.

Van Rossum, voyant qu'il ne pouvait surprendre une ville si bien gardée, si héroïquement défendue, prit le parti de lever le siège, et Anvers fut sauvée.

Savez-vous quel fut le résultat de ce danger qu'avait couru Anvers ?

C'est qu'immédiatement les Anversois demandèrent à Charles-Quint de fortifier leur ville et d'établir en même temps une zone libre autour de la nouvelle enceinte.

Dès cette époque, la question des servitudes militaires reçut sa première consécration.

Je vous demande la permission, messieurs, de lire ce que disent, à ce sujet, MM. Martens et Torfs dans leur Histoire d'Anvers :

« On avait eu l'occasion, pendant cette expédition, de remarquer combien les habitations trop rapprochées de la place sont nuisibles à la défense.

« On s'était vu obligé de démolir sans pitié toutes celles qui se trouvaient dans le voisinage des remparts, pour avoir la vue libre sur les plaines environnantes et aussi pour empêcher l'ennemi de se retrancher dans les habitations.

«. C'est pourquoi en février 1545, six mois après l'attaque de Martin Van Rossum, on défendit de bâtir à moins de 3,500 pieds des murs de la ville.

« La régence voulant en même temps faire voir qu'elle prenait la chose au sérieux, fit immédiatement commencer les travaux. L'église de Saint-Willebroeck qui avait servi de retranchement à l'ennemi, fut démolie de fond en comble. Avec ses débris on bâtit un blockhaus destiné à couvrir la porte Rouge. »

Messieurs, voilà ce que disent deux historiens très consciencieux, parfaitement connus de tous les Anversois. Il n'y a qu'une petite erreur dans leur relation, ils prétendent que l'ordonnance a été publiée en février 1545, six mois après la tentative de Martin Van Rossum, tandis qu'elle porte la date du 16 août 1542, 19 jours après le départ du célèbre chef de partisans.

929

(page 929) « Par octroi du 16 août 1542, Charles-Quint, à la demande du magistrat et de la communauté de la ville d'Anvers, autorise la constitution de nouvelles fortifications autour de cette place, et ordonne la démolition de tous les édifices et maisons, ainsi que l'abatis de tous les arbres se trouvant dans le rayon de 500 pas, le pas compté à raison de 5 pieds (soit 2,500 pieds) à partir de la contre-escarpe.

« Il est défendu de bâtir et de planter des arbres dans ce rayon, sous peine d'une amende de 100 carolus (2,954 fr. valeur actuelle) pour chaque maison ou édifice et de 10 carolus (fr. 295-40) pour chaque arbre.

« Il est défendu en outre d'élever des maisons de pierre et de faire des plantations d'arbres, dans un rayon de 200 pas hors des limites du susdit rayon (1,000 pieds).

« Registre des privilèges, tome II, fol. CLXXXVI, recto, des archives d'Anvers. »

(page 918) L'ordonnance dont parlent les historiens de la ville d'Anvers n'est que le rappel de l'ordonnance du 16 août ; parce qu'à cette époque on rappelait tous les six mois les ordonnances du souverain.

J'ai trouvé dans les archives d'Anvers l'ordonnance de 1542 sur les servitudes : on dirait qu'elle a servi de type aux lois faites depuis, même à la loi française de 1819.

En effet, d'après cette ordonnance, la zone est de 5,500 pieds, elle se partage en deux zones, une première de 2,500 pieds, et une seconde de 1,000 pieds.

Dans la loi française, il y a deux zones ; la première zone où l'on ne peut rien construire et la seconde où l'on ne peut pas construire de maisons en pierre. L'ordonnance de 1542 est donc excessivement remarquable ; c'est la plus ancienne connue sur la matière, elle se trouve au tome II du registre des privilèges, folio 176, des archives d'Anvers.

Messieurs, je n'ai cité ces faits historiques que pour répondre à ce reproche que j'avais voulu imposer à la Belgique des lois d'origine française, inconnues chez nous, antipathiques au caractère national et contre lesquelles se seraient révoltés nos aïeux : si ceux qui tenaient ces faux discours avaient connu l'histoire de leur pays, s'ils avaient connu seulement l'histoire d'Anvers, ils n'auraient pas répudié la gloire qui appartient à leurs ancêtres et que je revendique pour la Belgique, car je crois que c'est un grand titre de gloire que d'avoir fait des sacrifices pour la défense de la patrie.

Ainsi, la première ordonnance connue sur les servitudes militaires est du 16 août 1542 ; elle est due au patriotisme, au désintéressement des Anversois ; et chose remarquable, les plus riches habitations des négociants (page 919) d'Anvers furent démolies en vertu de cette ordonnance et on ne trouve pas dans les archives qu'aucun d'eux ait élevé la moindre réclamation contre cette dure nécessité.

Ce qu'il y a de plus extraordinaire, c'est qu'à telle époque de ferveur religieuse, le clergé n'hésita pas à sacrifier ses couvents et ses églises dans l'intérêt de la défense nationale.

Les indemnités accordées à ceux dont les propriétés avaient été démolies n'ont pas été payées immédiatement, elles ne l'ont été que vingt ans après. J'ai encore trouvé cela dans un document des archives de la ville d'Anvers. En voici un extrait :

« Il consle d'une réclamation adressée au magistrat d'Anvers, le 5 août 1555, que les indemnités allouées pour les démolitions effectuées dans le nouveau rayon de la place, en 1542, n'étaient pas encore payées à cette époque, et on sait d'après une résolution du magistrat en date du 1er août 1561, qu'elles ne furent payées qu'à cette dernière date. »

Messieurs, je reconnais que les devoirs que j'ai à remplir sont difficiles, je vous prie d'être convaincus qu'ils sont quelquefois très pénibles ; j'ai à faire exécuter des lois d'intérêt général qui blessent presque toujours des intérêts particuliers. Je fais exécuter ces lois avec la fermeté qui m'est commandée par mon devoir, mais aussi avec toute la modération compatible avec les graves intérêts dont la garde n'est confiée. Tant que j'aurai cette responsabilité et tant que vous m'accorderez votre confiance, j'agirai comme je l'ai fait jusqu'à présent sans me laisser émouvoir par aucune opposition.

Les clameurs de la place publique, les calomnies, les menaces ne font qu'exciter mon zèle et retremper mes forces. Elles ne me feront jamais faire un pas en arrière tant que j'aurai un devoir à remplir envers le pays, tant que je serai chargé de faire exécuter des mesures que vous aurez sanctionnées.

Je fais cette déclaration en ajoutant qu'en agissant avec fermeté je ne me départirai jamais de la modération compatible avec mes devoirs.

M. Coomans. - Je ne me propose pas de faire un discours en règle, je n'y suis pas préparé ; je ne comptais pas parler immédiatement ; M. Vervoort était inscrit avant moi ; en renonçant à la parole, cet honorable collègue se montre vraiment trop modeste et me fait trop d'honneur. Il aurait pu plus facilement que moi soutenir la lutte contre l'honorable et habile orateur que nous venons d'entendre. Je me bornerai à présenter quelques observations et à demander quelques explications que ce débat m'a suggérées.

Comme les idées que j'ai à développer devant vous sont diamétralement opposées à celles de M. le ministre de la guerre et, je regrette de devoir en convenir, à celles de la majorité de cette Chambre, je sollicite toute votre indulgence.

Je suis déjà assez malheureux d'être à peu près seul de mon avis pour que vous n'ajoutiez pas à ce désavantage vos interruptions critiques. Vous êtes les plus forts, montrez-vous généreux ; ne m'interrompez pas souvent et ne me forcez pas à parler plus longtemps que je n'en ai envie.

Messieurs, j'ai été trop bon prophète, je le déplore, en prédisant que ces fatales fortifications d'Anvers nous créeraient bien des embarras, bien des ennuis, bien des dangers même. L'expérience me donne bientôt raison.

Nous voilà engagés dans une nouvelle discussion sur ces fortifications ; demain ou après-demain nous aurons encore à nous en occuper au sujet de la compagnie Pauwels. Un autre jour, qui ne se fera pas longtemps attendre, les fortifications d'Anvers reparaîtront encore devant nous, parce que nous aurons à solder le premier déficit dont M. le ministre de la guerre nous a déjà parlé. Fasse le ciel que nous n'ayons pas à payer plus tard des centaines de millions pour indemniser les populations bombardées.

- Un membre. - Cela ne sera pas.

M. Coomans. - Si votre garantie suffisait, je serais tranquille.

Messieurs, il y a des points très obscurs, au moins pour moi, dans cette discussion.

L'honorable ministre nous a prouvé, je crois, très victorieusement qu'il a droit à 1,800 pieds de servitude autour de toutes les citadelles, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur des villes, Cette interprétation me paraît conforme à la loi, et la raison militaire qu'en a donnée l'honorable ministre, me semble vraie. (Interruption.) C'est mon opinion, je n'en dépends pas d'autre.

Je dis qu'il me semble que l'honorable ministre a raison d'interpréter la loi comme il le fait ; c'est-à-dire qu'il doit avoir une surface do terrain libre de 1,800 pieds autour de toutes ses citadelles, et que si l'on venait bâtir au sein de la ville d'Anvers à une moindre distance de ses deux grandes citadelles, elles ne se trouveraient pas dans la possibilité d'opposer une résistance durable aux assaillants.

L'honorable ministre a d'autant plus raison, selon moi, que l'artillerie s'est étrangement perfectionnée.

Si Vauban, il y a près de deux siècles, considérait déjà comme un minimum les 1,800 pieds, longueur égale à la portée utile du boulet ; si d'autre part la servitude doit être égale à la portée du boulet, et c'est le principe établi par M. le ministre de la guerre, il est évident que les 1,800 pieds qui figurent dans la loi sont un minimum duquel M. le ministre n'a rien à rabattre.

Il y a, messieurs, dans son discours, une sorte de révélation, qui m'a fort effrayé.

Les choses ont singulièrement changé, paraît-il, depuis Vauban. Les boulets de Vauban ne portaient qu'à 1,800 pieds ; aujourd'hui ils portent à 5,000 mètres et au-delà.

C'est l'honorable ministre qui l'a prouvé hier ; et si la servitude doit être égale à la portée du boulet, il est évident que, militairement parlant, il faut à M. le ministre une servitude d'au moins 5,000 mètres autour des fortifications d'Anvers.

M. B. Dumortier. - Par conséquent il faut raser toutes nos villes et ne pas laisser une maison debout.

- Un membre. - C'est évident.

M. Coomans. - Soit. Ou le principe posé par Vauban et approuvé par l'honorable ministre, est faux ou mon argumentation est évidente. Le progrès introduit dans l'artillerie est tel, que vous êtes obligés scientifiquement de modifier votre législation sur les servitudes, et d'exiger un minimum de 5,000 mètres.

Je dis minimum, car l'honorable ministre nous a dit que c'est la mitraille qu'on expédie à 5,000 mètres. Or, si la mitraille porte si loin, je suis assez militaire, quoique simple garde civique, pour comprendre que les boulets portent plus loin encore. Je le répète, si le principe proclamé par M. le ministre est vrai, à savoir que la servitude doit être égale à la portée utile des projectiles, il faut que vous modifiiez votre législation sur les servitudes et que vos esplanades soient larges de 5,000 mètres tout au moins.

M. de Man d’Attenrode. - Cela est logique.

M. Coomans. - Oui, mais cela est terrible.

C'est assez dire que je ne joindrai pas ma voix à celle des honorables membres qui demandent une réforme de la loi sur les servitudes. Si le gouvernement nous apportait cette réforme, il serait obligé d'exiger 5,000 mètres au lieu de 585 ; il ne resterait plus rien de la ville d'Anvers et de nos autres villes frappées de servitudes militaires, et je verrais se reproduire la triste comédie qui a été jouée devant nous, il y a une dizaine d'années, alors que les partisans les plus absolus de la réduction de nos dépenses militaires ont tant crié, ont tant demandé une réforme, qu'ils ont fini par augmenter le budget de sept à huit ou neuf millions par an. (Interruption.)

- Un membre. - Il a fallu augmenter le budget de la guerre.

M. Coomans. - Je ne l'ai pas voulu, moi, et je ne veux pas non plus aggraver les servitudes militaires.

Autre point que je ne comprends pas bien. A Anvers il paraît que l'on maintient la servitude de 1,800 pieds, (Interruption.)

- Un membre. - Dites mètres.

M. Coomans. - Je dis pieds parce que c'est le terme légal... (interruption) légal en ce sens qu'il est employé par la loi.

A Anvers donc, on maintient les 1,800 pieds, on ne les maintient pas à Tournai. M. le ministre de la guerre répondant hier à l'honorable M. Allard, a déclaré qu'à Tournai, l'on pouvait bâtir dans le rayon de 1,800 pieds sans demander la permission à l'autorité militaire. Je ne comprends pas que nous ayons diverses lois pour diverses villes.

Je n'ai pas lu dans nos lois sur les servitudes le nom d'Anvers, ni le nom de Tournai, ni le nom de Gand.

Si la loi s'applique à Anvers, elle doit s'appliquer à Tournai comme Gand ; ce n'est qu'une seule et même loi. Si donc on peut à Tournai bâtir sans autorisation dans la zone frappée de servitude, on le peut aussi à Anvers et à Gand.

C'est la conclusion forcée des déclarations faites par M. le ministre ; de la guerre.

M. Kervyn de Volkaersbeke. - Il n'y a rien à répondre à cela.

M. Coomans. - Et cependant on répondra, mais Dieu sait quoi !

On a beaucoup parlé de l'indemnité. Mais cette question est encore à mes yeux enveloppée de grands nuages.

Nul ne s'est expliqué sur la manière de payer ni d'appliquer ces indemnités.

Je sais bien que les défenseurs d'Anvers trouvent très simple de s’en (page 920) réserver le bénéfice ; les députés anversois disent : « Indemnisez-nous, nous nous tairons, et tout sera fini. » Mais si le principe de l'indemnité entre dans nos lois, il y entraînera bientôt toutes les autres villes de la Belgique, Et lorsqu'on aura indemnisé pour cause de servitudes militaires, la logique naturelle nous amènera à examiner la grave question de savoir s'il n'y a pas à indemniser d'autres services que ceux que l'on impose forcément à des propriétaires fonciers.

M. Nothomb. - C'est clair.

M. Coomans. - C'est inévitable ; ah ! si l'on venait soutenir en principe général que chaque fois que le gouvernement cause un dommage à un citoyen, il est forcé de l'indemniser, je le comprendrais, j'y applaudirais même, mais je ne me chargerais pas de l'exécution et j'engage l'honorable ministre des finances à réfléchir d'avance et longtempsàh ce problème.

Remarquez bien, messieurs, qu'il y a à indemniser des services bien autrement importants, bien autrement douloureux, bien autrement onéreux pour les citoyens, que les petites servitudes que le ministre de la guerre établit autour de ses forteresses. Il y a de cela vingt exemples, je n'en citerai qu'un seul, qui m'est familier.

M. Allard. - La milice.

M. Coomans. - Oui, M. le ministre, la milice.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne vous ai pas interrompu.

M. Allard. - C'est moi.

M. Coomans. - Je vous remercie de m'avoir si bien deviné. Je considère comme une flatterie le reproche qu'on m'adresse parfois de toujours revenir sur l'iniquité de nos lois de milice.

Je constate que lorsque l'honorable M. Chazal, agissant d'ailleurs avec une parfaite modération et au nom de la loi, force un milicien, soutien de ses parents ou de ses frères et sœurs, à venir passer plusieurs années dans les casernes et au camp de Beverloo, il cause à ce milicien ou, à coup sûr, à sa famille, un dommage bien autrement considérable que celui dont on s'occupe si fort dans notre Chambre.

Comment, messieurs, quand M. le ministre, la loi, vous tous, ou presque tous, quand vous ruinez une famille (je dis : « une famille » c'est manière de parler, car je prétends que vous en ruinez, 5,000 tous les ans), quand, dis -je, vous ruinez des familles dans l'intérêt de la nation, je demande (et je le demande depuis de longues années) une indemnité pour cette servitude militaire, servitude personnelle, servitude illibérale, antichrétienne, antiphilosophique ; vous ne m'accordez rien, vous trouvez que je me répète trop souvent, que je vous ennuie, et vous avez peut-être raison, mais mon argument n'en reste pas moins debout. Je vous ennuierai jusqu'à ce que vous ayez exaucé le vœu du pays. (Interruption.)

Et, messieurs, quelle comparaison à établir entre la famille que vous ruinez et le tort quelquefois imperceptible que vous faites à un propriétaire, en lui défendant de bâtir ou déplanter dans la zone militaire ?

Et vous viendriez, en n'indemnisant pas les malheureux dont je parle, indemniser les propriétaires ! Messieurs, je m'opposerai de toutes mes forces à cette iniquité.

Je ne voterai jamais d'indemnités pour vos servitudes militaires, vos petites, inoffensives et anodines servitudes militaires, aussi longtemps que vous maintiendrez la grande, l'intolérable servitude militaire de la conscription.

M. Nothomb. - C'est juste.

M. Coomans. - C'est ma conviction profonde.

Je me borne à ajouter, messieurs, que si vous appliquiez militairement le principe de l'indemnité, vous devriez l'appliquer administrativement à une foule d'autres cas, vous devriez l'appliquer par exemple pour les terrains longeant les routes et les chemins de fer, pour les terrains longeant les forêts, etc. Je vous engage beaucoup à réfléchir sur les conséquences de ce principe.

M. le ministre de la guerre a formulé hier une assertion contre laquelle je m'inscris complètement en faux ; d'après M. le ministre, les citadelles servent à défendre les villes. Mais, messieurs, il n'en est rien.

Je connais un peu l'histoire et je ne crains pas d'affirmer que les citadelles n'ont servi qu'à bombarder les villes. (Interruption.)

Qu'elles y aient servi souvent, vous ne le nierez pas, mais dites-moi, je vous prie, quand elles ont servi à défendre une ville ? Je vous en défie. Quand on est le plus fort on n'a pas besoin de citadelles, quand on est faible on s'y enferme, on s'y défend à outrance et l'on bombarde, moins pour se défendre que pour se venger.

M. le ministre vient de nous raconter d'une manière très attrayante l'histoire de Martin Van Rossum ; je ne sais trop ce que M. le ministre a voulu prouver par là, quelle morale il y a vue. A-t-il voulu prouver que quand une ville n'est pas fortifiée elle s'expose à être pillée par un nouveau Martinus Van Rossum ? Alors fortifiez toutes les villes, fortifiez surtout Bruxelles ; car si un nouveau Van Rossum vient piller dans notre pays, ce n'est pas par Anvers qu'il commencera, il commencera par Bruxelles, je vous le garantis.

Les Anversois n'avaient pas de raison particulière pour se fortifier ; ils subissaient la loi du temps. Leur raison était celle de tout le monde, à savoir l'infâme coutume des pilleries militaires.

Toutes les villes à cette époque se fortifiaient, parce que les Van Rossum grands et petits étaient très nombreux ; mais aujourd'hui grâce au progrès de la civilisation les Van Rossum se sont un peu disciplinés, du moins en Belgique (je ne parle pas du midi de l'Europe), et ils sont entrés dans les armées régulières.

C'est contre ces armées seulement que nous devons nous tenir en garde et c'est pour cela qu'au lieu de fortifier toutes les villes, on les désarme, on les émancipe, on les embellit le plus possible, ce à quoi j'applaudis de tout mon cœur, n'en déplaise à M. le ministre de la guerre. Et voilà pourquoi les Anversois d'aujourd'hui, connaissant leurs intérêts tout aussi bien que leurs ancêtres du XVIème siècle, demandent la démolition de leurs citadelles. Les fortifications sont bonnes dans l'état plus ou moins sauvage des sociétés, comme les drogues pour les malades. On peut les subir sans les aimer.

Il n'y avait pas que les villes, messieurs, qui se fortifiaient à cette époque ; tout le monde le faisait, le paysan dans sa ferme, le seigneur dans son château, les moines dans leur abbaye ; tout le monde, je le répète, se fortifiait ; je vois avec plaisir que le contraire se fait aujourd'hui, que nous nous fortifions beaucoup moins chez nous, les uns contre les autres, que nos villes s'affaiblissent, militairement parlant, qu'on nous enlève jusqu'aux murs d'octroi qui étaient une fortification parfaitement ridicule et qui étaient un reste du moyen âge, tout comme les forteresses.

Eh bien, si nous fortifions encore les villes, c'est malgré elles, c'est contre elles ; et pourquoi ? Parce que les temps ont changé, parce que nous avons fait du progrès, et que, selon moi, le progrès réel, c'est la diminution de la force brutale au profit de la force morale, de la force de l'intelligence. Voilà où est le progrès ; s'il n'est pas là, je ne le comprends pas.

Or, je vois avec une peine inexprimable que les gouvernements de l'Europe vont en sens contraire, et qu'en présence de toutes les félicitations que nous nous adressons sans cesse à nous-mêmes au sujet des progrès que nous faisons, l'Europe entière ne cesse de fortifier ses armées permanentes ; qu'aujourd'hui l'Europe compte 2,800,000 soldats sous les armes, fait absurde, unique dans l'histoire du monde, fait qui épouvante les hommes de paix et de- bonne volonté, qui sont les seuls hommes de liberté et de progrès.

Oui, ce qui me fait douter un peu que nous soyons réellement dans les voies de la véritable civilisation, dans les bonnes voies, c'est que la force brutale augmente sans cesse ; que la force morale, la force intelligente suffit moins d'heure en heure, pour guider, pour maintenir les masses. Quant à moi, je ne croirai au vrai progrès, au progrès libéral et chrétien, que lorsque je verrai les grandes armées mises pour ainsi dire à la retraite, devenir de plus en plus des miniatures d'armée, lorsque je ne verrai plus une seule ville entourée de fortifications.

- Un membre. - On ne verra jamais cela.


M. Coomans. - Pourquoi pas ? Je crois au progrès moi, nous y marchons, même en arrière, à travers les épreuves les plus tristes.

Je ne crains pas de me tromper, en disant que le jour viendra, qu'il n'est pas loin, oh s'opérera une grande, une puissante réaction contre l'exagération des dépenses militaires, qu'un jour viendra où l'Europe s'apercevra du dommage presque irréparable qu'elle éprouve en entretenant 3 millions d'hommes armés, dans une situation d'oisiveté ou tout au moins d'improductivité qu'on peut appeler glorieuse mais que je considère comme déplorable.

Ce jour n'est pas loin, et alors la réaction contre l'esprit militaire, la manie militaire, la passion militaire qui s'est emparée de notre époque, sera peut-être si vive que nous, ennemi des armées, nom serons peut-être forcés d'intervenir pour l'arrêter. (Interruption.)

Y a-t-il quelque chose d'exorbitant dans l'espoir que j'exprime que bientôt nos villes seront dégagées de toutes leurs bastilles ? Je ne le pense pas ; je crois que nous sommes sous l'empire d'un faux préjugé qui nous porte à considérer comme les meilleures fortifications celles qui entourent les villes.

Je crois que c'est une erreur ; je crois qu'il ne serait pas difficile à M. le ministre de la guerre de prouver que s'il avait pu construire un vaste système de camps retranchés, de fortifications et de citadelles en dehors (page 921) de toute ville, dans les plus mauvaises parties de la Campine, par exemple, où personne ne l'aurait chicané sur la largeur des zones des servitudes militaires, oh il n'aurait pas eu sur les bras une population de 120,000 âmes qui le gêneront beaucoup dans ses opérations militaires ; je crois, dis-je, qu'il ne serait pas difficile à M. le ministre de la guerre de nous prouver que la défense qu'il opposerait à l'ennemi dans une pareille situation, serait beaucoup plus solide, plus durable et plus efficace que celle qu'il pourrait lui opposer à Anvers. (Interruption.)

C'est ma conviction profonde ; et c'est pourquoi, dans les diverses commissions militaires dont moi indigne j'ai fait partie, j’ai toujours proposé, non pas la suppression complète des fortifications en Belgique, j'aurais passé pour fou, hélas ! mais le choix d'un emplacement qui ne gênât en rien l'autorité militaire.

J'ai dit : Vous voulez, messieurs, défendre à outrance la dynastie, le drapeau national, nos institutions, soit, c'est une belle et grande idée ; mais faites-le dans des conditions telles que le dommage soit moins grand que le profit.

C'est alors que j'ai proposé soit un camp retranché autour de Diest (j'en demande pardon à mes collègues de Louvain), soit un camp retranché autour d'Ostende (M. Van Iseghem ne m'a pas combattu), soit.., si personne ne voulait d'un camp retranché chez soi même avec un chiffre indéterminé de millions, un beau camp retranché en Campine ; j'aurais fini par y consentir par patriotisme. (Interruption.)

Ne vous hâtez pas de rire ; je prétends que militairement cette idée avait de la valeur.

Cela est tellement vrai, que des officiers supérieurs choisis par le gouvernement pour examiner toutes ces choses à fond, y ont applaudi ; ils ont cru que mieux valait établir le camp retranché à Ostende, à Diest, à Termonde, à Herenthals ou ailleurs qu'à Anvers.

Renforcé de l'opinion de ces hommes compétents, j'ai insisté davantage, l'adhésion qu'ils ont donnée à cette idée me fait encore hasarder d'y revenir.

Messieurs, on a beaucoup trop parlé, ce me semble, d'indemnités et de stratégie dans cette discussion ; je crois que M. le ministre de la guerre, au point de vue de la stratégie, est bien plus fort que moi, je ne l'attaquerai pas.

Mais quant à ce qui regarde l'indemnité, c'est le tout petit côté de la question. Jusqu'à présent les honorables députés d'Anvers n'ont pas parlé d'autre chose, ils ont l'air de dire : « Donnez-nous des millions et n'en parlons plus. »

Ils se sont fait illusion sur la portée réelle de l'émotion, je ne veux pas qualifier le fait autrement qui s'est emparée de la ville d'Anvers.

Croyez-vous sérieusement, messieurs, que les 8,000 à 10,000 personnes accumulées dans les salons des Variétés à Anvers, étaient tous des propriétaires ?

Croyez-vous qu'un meeting de 10,000 personnes s'était formé dans ces salons uniquement pour tendre l'escarcelle à l'honorable M. Frère ? Pas le moins du monde.

Croyez-vous que si vous accordiez 3 à 4 millions, l'agitation cesserait ? Erreur. Vous auriez satisfait 200 à 300 propriétaires, c'est possible ; mais le reste des réclamants continuerait à se plaindre et, selon moi, avec infiniment de raison.

- Des membres. - Non.

M. Coomans. - Si.

- D'autres membres. - Oui, oui.

M. Coomans. - Ce n'est pas au point de vue de l'indemnité que se sont placés les pétitionnaires anversois, c'est au point de vue du bombardement.

M. de Man d’Attenrode et M. Debaets. - Voilà la vérité.

M. Coomans. - C'est le côté sérieux de la question. J'avoue que le discours de M. le ministre de la guerre n'est pas du tout de nature à les calmer. M. le ministre de la guerre a prouvé que les forts avancés pris l'enceinte fortifiée prise, la ville prise, il ne lâchera pas prise lui. (Interruption.) Je n'en doute pas, du reste, qu'il continuera à se défendre dans les deux citadelles et que la ville se trouvera entre deux feux.

Ce sont les expressions de M. le ministre de la guerre que j'ai entendues et notées il y a quelques minutes.

Quand les ennemis seront dans la ville, dit-il, nous continuerons à tirer dessus, c'est très militaire assurément, mais les ennemis seront dans les maisons et il est physiquement démontré que vous n'atteindrez les ennemis qu'en abattant les maisons.

Eh bien, c'est ce qui préoccupe les Anversois et il me semble que la question en vaut la peine,

L' honorable ministre de la guerre nous a non pas révélé, mais signale un troisième danger, c'est la citadelle de la Tête de Flandre. Voilà donc les Anversois entre trois feux. (Interruption.)

II est vrai, je veux être juste, que ce troisième feu n'est guère à redouter parce que l'Escaut coule entre la ville et la citadelle. Je n'en parle donc que pour mémoire, voulant être généreux (Interruption.)

Quand l'honorable général Chazal se trouvera dans la citadelle de la Tête de Flandre, je suis convaincu qu'il ne lancera pas un seul boulet dans la ville d'Anvers, car ce serait inutile.

J'ai à cet égard tous mes apaisements, mais il n'en sera pas de même quand il se trouvera dans une des deux autres.

Là il continuera à tirer et militairement je crois qu'il fera bien, mais il doit trouver tout naturel que les Anversois réclament.

A ce sujet j'ai une rectification importante à faire à l'histoire de Martinus Van Rossum racontée tout à l'heure par l'honorable ministre de la guerre.

Il est bien vrai que les Anversois ont demandé alors des fortifications nouvelles pour les raisons toutes naturelles que j'ai exposées, mais on ne nous a pas dit qu'ils se sont opposés de toutes leurs forces à la construction d'une citadelle.

Il y a 25 ans que j'ai lu cette histoire, mais elle est tellement intéressante qu'elle m'est restée dans la mémoire.

Les Anversois ont protesté avec force contre l'idée que leur avait suggérée le gouvernement central de construire une petite citadelle auprès de leurs fortifications.

Il sont dit : Nenni. Nos remparts suffiront contre Martin Van Rossum. Et quant à notre haut et puissant seigneur Charles V, nous nous en défions un peu parce que nos frères de Gand nous ont appris en parfaite connaissance de cause, dans quelles vues leur citadelle avait été élevée.

Ce même Charles V avait construit, comme vous le savez, la citadelle de Gand contre les Gantois et non pour les Gantois.

Je pourrais vous faire une histoire intéressante de l'an 1539 et vous expliquer comme quoi les Gantois ont édifié la citadelle, mais à leur corps défendant et la corde au cou.

Il est vrai qu'aujourd'hui on y met plus de formes. Nos ouvriers n'ont pas la corde au cou. C'est un progrès.

Mais, messieurs, cette rectification est importante. Les Anversois, je pourrais le démontrer, se sont opposés à la construction de leur fatale citadelle non seulement du temps de Martinus Van Rossum, mais quelques années plus tard quand le duc d'Albe, autre chat enfariné, leur prouva que, dans leur intérêt, il fallait construire une citadelle à Anvers.

Comme les Anversois n'avaient pas bien compris l'argumentation, le duc est arrivé avec des raisons irrésistibles et il les a forcés aussi d'élever la citadelle.

Ils l'ont construite à leur corps défendant et ils en ont immédiatement senti les inconvénients, non seulement à cause du duc d'Albe qui les maintenait sous sa verge de fer, mais aussi à cause de l'indiscipline des troupes espagnoles.

Un beau jour les Espagnols et les Belges, car il est démontré qu'il y avait beaucoup de Belges parmi ces hommes ; mais nous les appelons Espagnols pour sauver un peu notre amour-propre national, sont sortis de la citadelle et ont pillé de fond en comble la ville d'Anvers.

Voilà, messieurs, un petit inconvénient des citadelles. Il y en a eu d'autres depuis.

Je pourrais prouver qu'un jour il y eut un incident diplomatique entre les Provinces-Unies et le gouvernement autrichien, au sujet de la citadelle et des fortifications d'Anvers.

Les Hollandais du temps demandaient la suppression de toutes ces fortifications.

Je regrette énormément qu'ils n'aient pas réussi, au risque, d'une petite avanie pour l'honneur national ; mais ils n'ont pas beaucoup insisté et la citadelle est restée debout.

En 1830, nouvel inconvénient des citadelles.

La citadelle, qui n'aurait jamais dû servir à un pareil usage, a détruit de grandes richesses dans la ville d'Anvers.

- Un membre. - Nous savons cela.

M. Coomans. - Je croyais que vous l'aviez oublié.

Messieurs, je le répète, le cours d'histoire serait trop long. Mais ce serait un livre curieux à faire que l'histoire des citadelles, et il en résulterait la preuve très positive, que jamais elles ne sauvent une localité, que toujours elles causent sa ruine, ou du moins de très grands désastres.

Les Anversois crient, ils crient fort, ils crient trop fort, ils crient, par exemple : A bas Chazal ! à bas Rogier ! Ils ont tort, j'ai à peine besoin de le dire, mais nous ne devons pas nous laisser intimider, influencer par de semblables bagatelles.

(page 922) Ils ont tort parce que crier à bas qui que ce soit, à part les bêtes fauves, est une chose illibérale, antichrétienne, absurde, et parce que le reproche adressé à quelques hommes seulement est immérité. Les Chambres sont leurs complices ; la ville d'Anvers elle-même est un peu complice. (Interruption.)

Je reconnais qu'il est désagréable d'entendre de pareils cris autour de soi, mais j'ai entendu le même cri poussé contre moi, et de plus près que M. le ministre de la guerre, et je dois dire que si j'ai trouvé cela désagréable, je n'en ai été ni effrayé ni intimidé, et la Chambre reconnaîtra, je pense, que je ne m'en suis pas trop plaint non plus.

- Un membre. - Vous avez bien fait.

M. Coomans. - Faites de même.

Mais quand les Anversois crient : A bas les citadelles ! je crois qu'ils ont raison, et je répète avec eux :A bas les citadelles ! Je crois que lorsqu'une grande ville consent à subir un siège de l'importance de celui auquel on se prépare à résister éventuellement, lorsqu'une grande et riche ville se résout à être assiégée pendant plusieurs mois et bombardée, c'est bien assez pour elle de voir ses forts et l'enceinte continue pris par l'ennemi ; je crois que la défense à outrance, à l'intérieur, est une mauvaise chose.

Aussi, messieurs, si telle était l'intention du gouvernement, je devrais l'en blâmer d'avance. L'honneur du soldat l'oblige à mourir, soit ; l'honneur d'une nation ne l'oblige pas à détruire sa principale ville, à se ruiner, à se suicider.

Selon moi, fortifier une grande ville, une ville de commerce, notre seul bon port, exposer cette ville à une destruction complète, c'est un crime de lèse-nation... (interruption) de lèse-science... (interruption)... de lèse-humanité (interruption)... de lèse-progrès (interruption)... mais à mes yeux la faute serait régulièrement aggravée si la résistance continuait dans la ville même, et si ses propres forteresses la détruisaient.

Maintenant, messieurs, je vous demande la permission de vous exprimer nettement ma pensée.

- Plusieurs membres. - Parlez, parlez.

Si ces citadelles devaient rester entre les mains de l'armée belge, même entre les mains de l'honorable général Chazal, je serais relativement rassuré. Je suis convaincu qu'une armée belge renfermée dans ces deux citadelles, sous le commandement suprême du Roi ou de ses fils, ne bombarderait pas la ville. Elle ne le ferait pas pour toute sorte de raisons et, dès lors, et dans cette hypothèse, les citadelles seraient inutiles. Mais ce que je crains, c'est que ces citadelles ne tombent entre les mains, soit de nos ennemis, soit de nos amis (interruption), je dis de nos amis, ce qui serait tout aussi dangereux.

Je crains que la majorité des défenseurs ne soit pas du côté des Belges, et dans ce cas, je crains qu'un bombardement ne soit non seulement possible, mais inévitable : une garnison étrangère ne reculera pas devant la destruction d'une partie et peut-être de la totalité d'Anvers pour se défendre et pour sauver, comme on dit, l'honneur militaire. On en a beaucoup d'exemples.

Voilà, messieurs, le fond de ma pensée. Vous comprenez donc qu'il m'est impossible de blâmer les cris « A bas les citadelles » qui éclatent à Anvers, Pour ma part, je m'y associe de tout mon cœur.

On reproche aux Anversois d'être inconséquents dans cette affaire. Le reproche est peut-être fondé. Les Anversois ont commis l'immense folie de se laisser embastiller en 1848 ; si leurs plaintes légitimes avaient éclaté alors, cet embastillement n'eût pas été accompli. (Interruption.)

Je l'affirme, il ne s'agissait pas encore de citadelle grande ou petite, mais de tout petits forts avancés dont la gorge était ouverte du côté de la ville et il s'agissait tout simplement de maintenir les mauvais murs qui défendant la ville aujourd'hui.

Quoiqu'il en soit, ils ont donc commis cette faute, et ils en ont commis une non moins grande, selon moi, ç'a été de consentir, en 1859, du moins en apparence, au grand embastillement.

Mais, messieurs- une erreur n'est pas un crime, et de quel droit le gouvernement débouterait-il la ville d'Anvers du chef de cette inconséquence, alors que lui-même a varié, je ne sais combien de fois, sur la question d'Anvers ?

Pourquoi ne permettriez-vous pas aux Anversois de revenir à résipiscence aujourd'hui, alors que vous-même n'avez jamais bien su ce qu'il fallait faire à Anvers, alors que vous avez changé trois ou quatre fois d'idée ? Eh bien, les Anversois voient plus clair aujourd'hui. Je dois ajouter, du reste, que bien des gens, même des membres de cette Chambre, ne se sont pas attendus à voir s'élever au nord d'Anvers, non pas un fortin, mais pas un fort, mais une vaste citadelle.

- Des membres. - C’est vrai !

M. Coomans. - Il y a quelque temps encore on appelait cela le fort Nord, aujourd'hui que la chose est presque faite on la nomme fièrement la citadelle du Nord, il me semble même que c'est la première fois que ce nom lui est officiellement donné.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Pas du tout !

M. Coomansù. - Du reste cela ne fait rien à la question. (Interruption.)

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cela a été discuté en 1858.

M. Coomans. - Toujours est-il et j'en appelle ici aux souvenirs des honorables collègues qui faisaient avec moi partie de la section centrale, toujours est-il qu'il y a eu une certaine obscurité autour de cette question... L'honorable M. de Gottal me fait un signe d'assentiment.

M. Orts. - Et moi j'en fais un de dissentiment.

M. Coomans. - Vous n'étiez peut-être pas dans la même section que moi.

M. Orts. - C'est possible, mais j'étais rapporteur de la section centrale.

M. Coomans. - Oui, de la dernière. Au surplus, comme je me range parmi ceux qui se sont trompés, mon observation n'a absolument rien de blessant pour personne. J'ai bien vu en projet des fortifications au nord d'Anvers, mais jamais je n'ai cru qu'il s'agissait de construire là une immense citadelle capable d'abriter 10,000 à 12,000 hommes et devant servir de dernier refuge aux vaincus. Jamais je n'ai cru à la possibilité de tirer sur Anvers du haut de la citadelle du Nord.

Messieurs, nos appréciations diffèrent selon les points de vue auxquels nous nous plaçons. M. le ministre de la guerre envisage la question au point de vue militaire : il lui faut des servitudes, les plus grandes possibles et il a raison. Moi, je crois qu'on a fait une grosse faute en fortifiant Anvers ; je crois qu'on en a fait une plus grande encore en la fortifiant de telle façon qu'un siège pourra y être soutenu à outrance, au détriment de plus grands intérêts du pays. Je ne puis donc pas être du même avis que M. le ministre de la guerre.

Il me reste un mot à ajouter quant aux servitudes, M. le ministre dit qu'elles datent du temps de Charles-Quint. Il a été bien bon de ne pas remonter plus haut : je fortifierai son argument, les servitudes sont une des choses les plus anciennes de ce monde ; Hérodote en parle et bien d'autres historiens encore des temps anciens. (Interruption.)

Les peuples anciens, quand ils voulaient bien se défendre, saccageaient, dévastaient tout ce qui était autour d'eux, ils créaient de vastes solitudes qu'ils auraient pu appeler des servitudes. Le système militaire de l'empire romain et de l'empire des Parthes était basé sur les servitudes, ils désolaient les provinces pour mieux se défendre.(Interruption.) Vous trouvez cela barbare, cela l'est en effet ; c'était sauvage évidemment. Mais vous me direz peut-être que c'est de l'histoire ancienne ; messieurs, pas du tout, c'est aussi de l'histoire moderne.

Quand je suis entré dans cette enceinte, j'ai été fort étonné et fort indigné d'apprendre que l'arrondissement de Turnhout tout entier était grevé de servitude militaire.

Je ne pouvais le croire ; j'ai couru au département de la guerre, c'est l'honorable général Chazal qui m'a accueilli et renseigné avec son affabilité habituelle ; il a reconnu que tout l'arrondissement de Turnhout était frappé de servitude ; en effet il y avait défense formelle de construire aucune route entre la Belgique et la Hollande.

Pour justifier cette défense, le département de la guerre disait qu'il ne fallait pas faciliter l'entrée de l'ennemi, Prussien ou Hollandais, par la frontière de la Campine, et que, pour cette raison, on ne devait pas faire de route entre la Campine et la Hollande. J'ai pensé que cela ressemblait aux servitudes des Parthes, des Romains ou des Germains, et je me suis mis à l'œuvre pour faire supprimer cette horrible et absurde servitude. Le baron Chazal s'y est prêté de bonne grâce, il a consenti à écrire au ministre des affaires étrangères d'une manière officielle pour déclarer qu'il levait la servitude qui pesait sur l'arrondissement de Turnhout.

Le gouvernement hollandais après 18 mois de réflexion a donné le même dénouement au problème, et en 1852, je suis parvenu à obtenir une route pavée allant de Turnhout à Tilbourg (interruption), il a fallu que les autorités militaires des deux pays levassent cette servitude. Ce sont là des choses abominables.

J'espère que tout cela disparaîtra un jour ; nous ou nos enfants serons très surpris et honteux d'avoir tant discuté la question des servitudes, quand il est si simple de faire disparaître les causes de dommage et de ruine.

Pour le moment, je persiste à croire que la meilleure solution de la question dont il s'agit, serait la démolition des fortifications ou tout au moins de la citadelle d'Anvers.

(page 923) On aura beau dire qu'on a déjà dépensé 20 millions. Je répondrai que les courtes folies sont les meilleures ; que s'il est démontré que ces fortifications d'Anvers amèneront certainement beaucoup de mal et problématiquement un peu de bien, il faut y renoncer dès à présent ; ce serait encore une vingtaine de millions d'économisés... (Interruption.) Si je ne fais pas cette proposition formelle, c'est que je crois que ce serait à peu près inutile ; mais si quelques membres étaient disposés à adhérer à cette idée, je serais prêt à me mettre en avant.

J'ai la conviction profonde que si nous avions à voter encore sur les fortifications d'Anvers, le vote ne serait pas pareil à celui de 1859 ; depuis lors nous avons réfléchi et le pays aussi ; nous avons vu quelles énormes difficultés sont issues de cette loi ; j'aime à croire qu'aujourd'hui la Chambre émettrait un autre vote, je le dis pour son honneur, de même que je n'ai pas cessé de croire que si la Chambre avait été libre en 1852 et 1859 elle n'aurait pas voté les gros budgets de la guerre ni les fortifications d'Anvers. (Interruption).

Je pense que la Chambre n'a pas émis son vote en liberté. (Interruption.)

Je défie mes amis comme mes adversaires de me donner un démenti sur ce point.

M. Allard. - J'ai voté librement.

M. Rodenbach. - Moi aussi !

M. Coomans. - J'ai voté en toute liberté. (Interruption.)

Je n'impose pas mon opinion, je l'exprime, mais je l'exprime avec toute la certitude exigée par ma conscience. Ayant cette opinion que la manière de voir de la Chambre et du pays s'est beaucoup modifiée à l'endroit des fortifications d'Anvers, je pense qu'il serait très raisonnable de discuter de nouveau la question ou de consulter le pays. Ici je ne suis pas seul de mon avis.

- Plusieurs membres. - Non, vous n'êtes pas seul, nous le partageons.

M. Coomans. - Je ferai observer que la troisième section, à une grande majorité, a émis ce vote que : « Que vu les circonstances nouvelles qui se sont produites à Anvers (à cause des servitudes, des dommages qui peuvent en résulter, et des prétentions de la compagnie Pauwels) que vu ces circonstances nouvelles, il y avait lieu d'examiner si les fortifications d'Anvers doivent être maintenues, ou modifiées, ou supprimées. »

Ce vote a été émis par sept voix contre trois et une abstention. (Interruption.)

C'est absurde ! dites-vous.

L'interruption est peu flatteuse pour sept de vos collègues. Du reste, je n'y suis que pour un septième. J'ai dit, pour le moment.

M. de Montpellier. - Messieurs, la pétition que le conseil provincial d'Anvers a adressée à la Chambre mérite toute notre attention. L'objet de cette pétition est une question d'équité ; considérée à ce point de vue, la solution n'en saurait être douteuse. En effet, la Chambre ne pourra refuser une juste indemnité à ceux qui, dans l'intérêt de la patrie, voient leurs propriétés grevées de servitudes et se trouvent par conséquent frappés dans leurs droits de propriétaires.

Evidemment, messieurs, il ne peut exister de forteresses sans qu'il en résulte des servitudes. Je ne viens donc pas demander pour Anvers l'abandon de ces servitudes. Anvers ne saurait être placée dans une position privilégiée vis-à-vis des autres places fortes du pays ; mais s'il est vrai qu'aux termes de notre Constitution il ne peut y avoir de privilèges en matière d'impôts, il ne saurait non plus exister de privilèges en matière de servitudes. Inégalité des charges est un de nos principes constitutionnels.

Je ne demande donc pas de faveur pour Anvers, je ne réclame pour elle que le droit commun.

Un grand nombre d'honorables membres de cette Chambre et moi, nous n'étions pas partisans des fortifications d'Anvers : parmi nous, les uns croyaient qu'elles pourraient éventuellement profiter à l'étranger, les autres pensaient qu'elles étaient trop considérables pour un pays comme le nôtre, d'autres enfin disaient que nous sortions des strictes règles de la neutralité.

Quoi qu'il en soit, ce n'est plus le moment de discuter la valeur relative de ces appréciations. La Chambre a voté les fortifications d'Anvers. Inclinons-nous.

On peut soutenir, mais ce n'est pas mon opinion, que l'honneur du pays nous commande de compléter notre œuvre, qu'on ne peut arrêter les travaux ; mais ce qui, d'après moi, n'est pas admissible, c'est d'en retrancher une partie, car nous devons bien admettre que les fortifications d'Anvers ont été l'objet des études les plus sérieuses et combinées de telle sorte qu'on ne pourrait en supprimer une partie sans en compromettre l'ensemble.

Les Anversois auraient dû le comprendre et ils n'auraient pas gâté une bonne cause, en demandant ce qu'on ne leur accordera pas ; ils auraient dû se borner à solliciter avec calme des indemnités, ils seraient ainsi restés dans le vrai.

En général, messieurs, une propriété est dépréciée lorsqu'elle est frappée de servitude : votre propriété tombe-t-elle sous le coup des servitudes, vous ne pouvez plus y toucher : vous ne pouvez plus ni bâtir ni planter et de propriétaire vous devenez usufruitier. Est-ce juste ? Non. Y a-t-il un remède à ce mal ? Oui. Quel est-il ? L'indemnité. Cette indemnité pourtant, selon moi, ne doit pas être accordée à tout propriétaire dont le terrain est frappé de servitudes ; elle n'est due qu'à ceux dont elle déprécie la propriété. Il en est pour qui le voisinage d'un fort ou d'un citadelle peut devenir un très grand avantages ; certains négociants, par exemple, sont dans ce cas : on comprend que je parle ici des servitudes extérieures. Quant aux servitudes intérieures, je suppose, quoi qu'on en dise, que M. le ministre de la guerre n'a jamais pensé à les établir et qu'il se bornera à appliquer l'article 15 du décret de 1791 qui porte que dans toutes les places de guerre et postes militaires, le terrain compris entre le pied du talus du rempart et une ligne tracée du côté de la place à quatre toises du pied dudit talus et parallèlement à lui, etc., etc., sera considérée comme terrain militaire national.

La déclaration que M. le ministre a faite en répondant à mon honorable ami M. Royer de Behr doit nous rassurer complètement. Si pourtant, comme l’affirment plusieurs personnes, le rayon des servitudes militaires intérieures devait s'étendre jusqu'à cent toises et au-delà, alors je n'hésiterai pas à déclarer la mesure arbitraire et despotique, les conséquences d'une semblable mesure seraient la ruine des villes auxquelles elle serait appliquée et cette espèce d'interdit qui frapperait plusieurs de nos belles villes de province pourrait conduire à de véritables actes de vandalisme. L'honorable baron Chazal est trop soucieux du bonheur et de la prospérité de la Belgique, pour vouloir nous faire subir un semblable régime.

Depuis 1815 jusqu'à ce jour, la plupart des forteresses de notre pays n'ont pas été appelées à jouer un rôle quelconque dans la défense nationale. Plusieurs de nos villes en suite des travaux d'Anvers voient démanteler leurs remparts et disparaître en même temps les servitudes établies dans le rayon stratégique des places.

Nous ne savons pas ce que l'avenir nous réserve, la grande enceinte d'Anvers peut disparaître comme ont disparu les remparts dont je viens de parler ; si un jour semblable fait se réalise, les servitudes extra-muros, dont se plaint avec tant de raison la population anversoise, disparaîtront également.

Ces considérations m'engagent à recommander au gouvernement, s'il formule un projet de loi, l'examen de l'idée d'une redevance à payer aux populations et non pas une somme fixe. Effectivement les servitudes disparaissant, les propriétés grevées récupèrent toute leur valeur, et l'indemnité doit disparaître avec le fait qui l'a motivée. Messieurs, on s'étonne du mécontentement et de l'agitation qui règnent à Anvers ; hier, mon honorable ami M. Royer de Behr a flétri dans un langage aussi énergique que plein de patriotisme les menaces qu'on a osé proférer, dans les meetings d'Anvers, contre la Chambre, le Roi et un de ses ministres. Messieurs, je partage entièrement l'opinion de mon honorable ami et je tiens à le dire bien haut, car dans une brochure publiée à Anvers, j'ai été signalé comme l'un des instigateurs de ces manifestations regrettables, mais si je réprouve ces actes de violence, je ne viendrai pas dire que je ne les comprends pas.

En 1830 les Anversois sacrifiant leurs intérêts à la grande cause de la liberté, ont pris une large part à notre émancipation. Anvers avait bien le droit de croire que si dans l'avenir un sacrifice était exigé d'une ville belge, ce ne serait pas à elle que l'on s'adresserait encore. Le sacrifice qu'elle venait de faire semblait, d'une part, être pour elle une garantie de tranquillité ; tandis que, d'autre part, la raison indiquait que la métropole du commerce, que le seul port marchand que possède un pays, ne peut jamais être le dernier point de la défense de ce pays. On fortifie Toulon, Southampton ou Douvres, mais on ne fortifie par Liverpool. Les Anversois étaient donc confiants dans l'avenir ; lorsqu'un beau jour on leur apprend qu'on leur réserve l'honneur de voir leur ville devenir le dernier rempart de la nationalité belge.

Les Anversois s'inquiètent et ils protestent, rien n'y fait ; les fortifications d'Anvers sont votées et les cinq députés d'Anvers les acclament avec enthousiasme.

J'avoue, messieurs, que je n'ai jamais rien compris à un vote semblable, à moins qu'il ne fût tout d'abnégation. Quoi qu'il en soit, je constate que tous ils ont voté cette loi dont l'application soulève aujourd'hui Anvers tout entier.

(page 924) Eh ! messieurs, permettez-moi de vous le dire, quand on exige d'une population un sacrifice, il faut voir si ce sacrifice est en rapport avec le caractère de cette population. Les Anversois d'aujourd'hui, qui valent bien ceux qui vivaient à l'époque de Charles-Quint, et dont M. le ministre vient de nous parler, aiment beaucoup leur patrie, mais ils ne méprisent pas leurs capitaux.

Ils ont, en 1830, généreusement fait le sacrifice de leurs intérêts, et maintenant que par une sage économie qui est dans leur nature et par un zèle et une application soutenus, ils sont parvenus à réparer les pertes qu'ils avaient faites, ils ne pensent pas qu'ils vous doivent de nouveaux sacrifices, ont-ils tout à fait tort ? Je n'oserais le dire. En 1830, ils ont vu un voisin ami prêter la main à notre révolution, mais ils savaient que ce voisin voyait avec plaisir la ruine probable du port d'Anvers ; aujourd'hui après 30 années de rudes travaux on veut encore leur imposer de nouveaux sacrifices et ils entendent dire, à tort ou à raison, je ne le sais, que c'est encore ce même voisin qui leur crée cette triste position ; et après tout cela vous voulez que les Anversois restent calmes, vous ne comprenez pas leur indignation, vous êtes étonnés qu'ils se soulèvent et qu'ils profèrent des cris séditieux.

Ces cris, je ne les approuve pas, encore une fois je les blâme. Mais encore une fois aussi je les comprends. Je m'associe aux paroles prononcées par mon honorable ami M. Royer de Behr.

Attaché par les plus fermes convictions à ce grand parti national qui a contribué plus que tout autre à la fondation de notre nationalité, je ne pactiserai jamais avec la sédition, de quelque part qu'elle vienne. On a beaucoup parlé des dangers qui nous menacent à l'extérieur, mais on oublie trop souvent que nous avons à conjurer aussi des périls à l'intérieur : ces périls naîtront peut-être de l'abus que l'on pourra faire de ces précieuses libertés que notre constitution proclame et que tous les peuples nous envient. Il ne peut y avoir dans cette Chambre qu'une seule pensée à cet égard et nos honorables collègues de la gauche, qui n'ont pas craint d'accepter le pouvoir en dissolvant la Chambre et à la suite des journées regrettables de 1857, peuvent-ils voir sans inquiétude les manifestations d'Anvers ?

Quant à moi, et en ce qui concerne ces manifestations, je pense que quelques sympathies que nous puissions éprouver par la position désastreuse de nos frères, nous n'en devons pas moins flétrir les excès auxquels leur désespoir les conduit.

Quant à la question financière, j'abonde dans le sens de l'honorable M. de Gottal, nous ne pouvons ici nous laisser arrêter par une question d'économie. Les sommes à payer sont-elles considérables, tant pis, vous n'aviez qu'à ne pas voter les fortifications.

Et en définitive, si, comme on le dit, les fortifications d'Anvers doivent préserver à tout jamais la Belgique du joug de l'étranger, nous ne pouvons pas payer trop cher le dévouement et le patriotisme de ceux de nos frères qui s'exposent pour nous à toutes les horreurs d'un long siège et qui se voient en ce moment sous le coup de rudes servitudes militaires.

Je voterai donc, messieurs, pour qu'une juste indemnité soit accordée à ceux dont les propriétés seront dépréciées par l'établissement des servitudes militaires.

M. Van Overloop. - J'ai longtemps hésité avant de me décider à prendre la parole. Je pense que la pétition du conseil provincial d'Anvers mérite d'être prise en sérieuse considération ; mais je craignais, en exprimant mon opinion à cet égard, que mes paroles ne parussent une approbation, même indirecte, des fâcheuses manifestations qui ont eu lieu à Anvers.

Autant j'aime voir une ville user d'un droit constitutionnel pour réclamer ce qu'elle croit être juste, car c'est un symptôme de vitalité communale, autant je déplore de voir l'exercice de ce droit accompagné d« violences.

Cette pensée, je l'exprime aujourd'hui que je fais partie de la minorité, comme je la professais en 1857, quand j'étais membre de la majorité.

Quel est, messieurs, l'objet de notre discussion ? Je ne suivrai pus mon honorable collègue M. Coomans dans les observations qu'il a fait valoir relativement au système de défense adopte pour le pays ; cela n'est pas en question.

Il s'agit tout simplement d'une pétition par laquelle le conseil provincial d'Anvers demande que le législateur consacre le principe qu'une indemnité est due lorsqu'il s'agit de l'établissement de servitudes militaires, et qu'il étende ce même principe à tous les dommages qui peuvent résulter des faits de guerre.

Je ne sortirai pas, messieurs, de ce cadre.

Je crois cependant devoir manifester un certain étonnement du retard qu'a mis la population d'Anvers à formuler ses prétentions. Je me rappelle qu'en 1858 et 1859, la commune de Calloo adressa aux Chambres une pétition dans laquelle, à propos de l'extension donnée au fort de Sainte-Marie, elle réclama précisément ce que réclame aujourd'hui la population d'Anvers.

Anvers fut instruite de cette pétition. Des habitants de Calloo se mirent même en rapport, à cette époque, avec des personnes d'Anvers qui s'occupaient déjà de la question des servitudes militaires, et cependant Anvers se tut.

Anvers avait été informé qu'un peu plus tôt ou un peu plus tard, elle se serait trouvée dans le cas d'appuyer le principe qu'invoquaient les habitants de Calloo.

Aussi suis-je quelque peu étonné de la vivacité des réclamations que les Anversois élèvent aujourd'hui puisqu'ils ne s'émurent nullement en 1859. Cela ne les expose-t-il pas au reproche articulé contre eux : « N'y a-t-il d'iniquité à vos yeux que lorsque vos intérêts sont lésés ?» J'aime à croire qu'il n'en est pas ainsi.

Quoi qu'il en soit, quand une demande me paraît juste, je l'appuie, quelle qu'en soit l'origine.

La pétition du conseil provincial d'Anvers soulève, selon moi, deux questions : une question de droit pur et une question d'application.

Je ne veux trancher ni l'une ni l'autre de ces questions. Il ne s'agit que d'une pétition. Je me bornerai à faire quelques observations à l'appui de la réclamation formulée par le conseil provincial.

La question de droit pur, quelle est-elle ?

Il me semble qu'elle se résume en ces termes : « Lorsqu'une société, dans l'intérêt commun, limite le droit de propriété d'un de ses membres et lui cause par ce fait un préjudice, est-il juste que la communauté indemnise ce membre du préjudice causé ? »

Il me semble que c'est ainsi que la question doit être posée.

En effet, de quoi s'agit-il ?

Nous avons un intérêt commun, le principal de nos intérêts communs, le maintien de l'indépendance nationale. Le pouvoir politique, dans le but de défendre notre indépendance nationale, a trouvé nécessaire d'ériger à Anvers un vaste système de fortifications. L'exécution de ce projet entraîne, comme conséquence nécessaire, l'établissement des servitudes militaires.

Cet établissement des servitudes militaires interdit à des particuliers de construire sur leurs propriétés dans un rayon donné. Si cette interdiction cause un préjudice à ces particuliers, est-il juste que, dans un pays d'égalité devant l'impôt, ils le supportent seuls ?

La question d'application du principe est une question de fait. Y a-t-il un préjudice réel, actuel ? Voilà, me semble-t-il, la question.

Cette question, comme question de fait, est essentiellement variable.

Ainsi, par exemple, et c'est ici que la loi actuelle tombe dans une certaine contradiction avec elle-même ; dans le rayon nouveau établi pour lies servitudes militaires, j'ai une construction. Par suite de l'établissement de la servitude, je ne puis pas réparer cette construction.

Si l'on avait besoin de ma construction entière, on devrait m'exproprier et m'indemniser ; on n'a pas besoin de m'exproprier, mais on me défend, par l'établissement de la servitude, de maintenir ma construction, de la réparer. C'est absolument le même résultat.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il en est de même pour la voirie le long de nos routes.

M. Van Overloop. - Je n'en disconviens pas, aussi mon argumentation a-t-elle une portée beaucoup plus grande que celle que vous imaginez.

J'applique mon principe non seulement aux servitudes militaires, mais à la voirie et à bien d'autres cas.

M. Coomans. - Et à la milice aussi.

M. Van Overloop. -Je commence par déclarer que je ne résous pas la question, je la pose, je ne la tranche pas.

Dans ce cas donc il y a évidemment un préjudice. Pour ce préjudice, je le répète, il me semble juste que la communauté indemnise le particulier.

Autre exemple.

Dans ce même rayon est une terre arable qui n'est pas destinée à la bâtisse. Elle est frappée d'une servitude non aedficandi, de ne pas construire. Il me semble que, dans ce cas, il n'y a pas préjudice réel, actuel, et des lors pas lieu à payer une indemnité. Encore une fois, c'est une opinion que j'émets.

On craint l'application du principe. Pourquoi ? Parce qu'on le dit :

(page 925) Voyez quelles sont les conséquences financières auxquelles l'application de votre principe donnerait lieu ! Mais c'est là une question. On n'a pas examiné les conséquences financières auxquelles pouvait donner lieu à l'application de ce principe, et c'est pourquoi je voudrais que le gouvernement se livrât à une étude, examinât très mûrement jusqu'à quel taux pourraient s'élever les indemnités nécessaires pour payer le préjudice causé aux propriétaires par suite des servitudes légales créées au profit delà communauté. Quand cet examen aura eu lieu, nous pourrons juger en connaissance de cause. Je laisse de côté la question d'application.

La question de droit pur que j'ai posée, m'e semble évidemment devoir être résolue d'une manière affirmative.

A mes yeux, l'homme n'est pas fait pour la société, mais la société est un moyen qui sert à l'homme pour arriver à sa destination.

Ce principe, qui est proclamé par le christianisme, a été également proclamé par la Constitution des 3-14 septembre 1791 dans son article 2 :

« Le but de toute association politique, dit cette Constitution, est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. »

Mon point de départ est donc parfaitement exact. Je ne suis pas fait pour la société ; mais la société est un moyen pour moi d'arriver à ma destination.

Pour atteindre son but, il est évident que la société doit imposer des sacrifices à ses membres ; mais il me paraît évident que chaque fois qu'un sacrifice est imposé à un membre de la société, celle-ci doit, en tant, bien entendu, que ce soit en son pouvoir, car à l'impossible nul n'est tenu, indemniser le membre lésé.

C'est ce principe de toute justice qui me paraît avoir été proclamé par l'article 11 de la Constitution.

L'article 11 de la Constitution ne consacre-t-il par hasard l'inviolabilité de la propriété que dans le sens restrictif proclamé par l'aricle. 544 du Code civil ? C'est-à-dire, appartient-il au législateur d'apporter arbitrairement des limites au droit d'user de son bien ? Mais dans ce cas, vous devez le reconnaître, l'article 11 de la Constitution ne servirait à rien.

Contre qui cet article est-il fait ? Il n'est évidemment pas fait pour garantir la propriété d'un particulier contre les atteintes d'un autre particulier. A ce point de vue, le Code civil et le Code pénal sont là pour garantir les droits des propriétaires.

L'article 11 est fait contre le législateur, il est fait pour empêcher le législateur de disposer arbitrairement de la propriété d'un citoyen.

Eh bien, messieurs, si l'article 11 a pour but de sauvegarder le droit naturel de propriété, il dit tout autre chose que ce que dit l'article 544 du Code civil, interprété dans un sens restrictif.

Il me semble, messieurs, en ce qui concerne la propriété, que le droit des citoyens peut parfaitement se concilier avec le droit de la société.

J'ai, comme propriétaire, le droit d'user de ma propriété comme je l'entends, mais, en même temps, comme citoyen, j'ai des devoirs à remplir, et le législateur peut intervenir pour m'obliger à remplir ces devoirs. Par exemple, s'agit-il de plantations d'arbres, la loi m'ordonne de rester à une certaine distance de ma maison. Est-ce là un droit de propriété que l'Etat exerce sur mon bien ? Non, messieurs, l'Etat intervient par ce seul motif que si je m'approchais davantage de mon voisin je lui porterais préjudice et je violerais mon devoir.

Autre exemple.

La société a besoin de mon bien. Elle a le droit de s'en emparer. Est-ce parce que la société a un droit éminent sur les propriétés ? Non. C’est parce que le citoyen propriétaire est obligé, comme associé, de contribuer au bien-être de l'association.

Mais la société en s'emparant ainsi du bien d'un de ses membres, ne peut le faire qu'en indemnisant le propriétaire du préjudice qu'elle lui cause.

Le conflit entre le droit du propriétaire et le droit de la société se résout alors par le payement d'une indemnité. Voilà, messieurs, comment tous les droits se concilient.

Messieurs, on invoque, à tort, selon moi, pour soutenir qu'aucune indemnité n'est due lorsqu'il s'agît de servitudes légales, cet adage que « l'intérêt privé doit céder devant l'intérêt général, » cet adage a une étendue telle, qu'il constitue une contre-vérité.

Qu'est-ce en définitive que l'intérêt général si ce n'est l'ensemble des intérêts privés ? L'intérêt privé ne doit pas céder devant l'intérêt général, mais l'intérêt privé et l'intérêt général doivent se concilier, et la mission du législateur est précisément d'opérer cette conciliation.

On invoque aussi à tort ce principe du droit romain, que la société a un empire éminent sur les biens des citoyens. Ce principe, on le comprend si l'on se reporte à l'époque de la chute de l'empire romain, parce qu'alors on avait poussé toutes les vérités à tel point que les Césars étaient divinisés. La conséquence de cette basse adulation devait être que les biens de tout Romain appartenaient à César, car Dieu est le maître de tous les biens et de toutes les personnes.

Cette théorie du droit éminent, le chancelier Duprat l'a exhumée au XVIème siècle et Paulmy l'a fait valoir au XVIIIème siècle. C'est enfin le principe que soutiennent les communistes de nos jours.

Mais il est contraire à la dignité humaine proclamée par le christianisme, car la propriété n'est qu'une conséquence nécessaire de la personnalité de l'homme.

Non seulement le principe de l'inviolabilité de la propriété est proclamé par la doctrine, mais il est proclamé aussi par le droit positif.

Ainsi la constitution de 1791 déclare que la propriété est de droit naturel.

Au nombre des droits imprescriptibles de l'homme se trouve, dit-elle, la propriété.

La constitution du 24 juin 1793 proclame le même principe.

Disons toutefois qu'à cette époque, les faits étaient peu d'accord avec la théorie.

Le constitution du 5 fructidor an III s'exprime dans le même sens.

La loi fondamentale de 1815 a suivi les mêmes errements et enfin la Constitution belge protège, par son article 11, la propriété des citoyens même contre les atteintes arbitraires du pouvoir législatif.

La propriété est donc de droit naturel tant au point de vue de la doctrine qu'au point de vue du droit positif.

Messieurs, comme je l'ai dit en commençant je n'entends pas trancher les questions que la pétition du conseil provincial soulève ; ces questions sont beaucoup trop graves, trop complexes, pour qu'on cherche à les résoudre sans les avoir examinées d'une manière approfondie et sous toutes leurs faces.

Mais j'appuie le renvoi de la pétition au gouvernement, conformément aux conclusions de la commission, avec demande d'explications, parce que j'espère que le gouvernement étudiera toutes ces questions avec maturité et qu'il sera amené ainsi à présenter un projet de loi consacrant définitivement des principes que je considère comme entièrement conformes aux plus saines et plus simples notions de justice.

Il ne faut pas, messieurs, s'abstenir parce que jusqu'ici le principe de l'indemnité en matière de servitudes légales n'a pas été appliqué ; il faut se demander si ce principe est juste, et s'il est juste il faut l'inscrire dans la loi.

Qu'arriverait-il si un principe ne devait pas être admis aujourd'hui uniquement parce qu'il ne l'a pas été hier ? Ainsi le principe de la propriété intellectuelle devrait être repoussé, le principe de la propriété industrielle aurait dû être repoussé.

J'espère, messieurs, que le gouvernement acceptera le renvoi de la pétition avec demande d'explications, qu'il examinera avec maturité les réclamations très justes, très équitables qu'elle renferme, et qu'il présentera ensuite à la Chambre un projet de loi qui, en définitive, ne sera qu'un acte de justice.

- La séance est levée à cinq heures.