(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)
(page 815) (Présidence de M. Vervoort.)
M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
M. de Boe, secrétaire, lit le procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. Thienpont, secrétaire., présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« Les membres du conseil communal de Macon présentent des observations en faveur d'un chemin de fer de Thuin vers Momignies par Maçon, dont le sieur Delval demande la concession. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Libin, garde champêtre de la commune de Gossoncourt, demande une augmentation de traitement. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Sivry demandent la révision des règlements relatifs au mariage des commis des accises et des préposés de la douane. »
- Même renvoi.
« Le sieur Milkens, blessé de septembre, demande une récompense. »
- Même renvoi.
« Le sieur Van Belleghem, enfermé dans une maison de santé, demande sa mise en liberté et prie la Chambre de faire annuler des jugements prononcés contre lui. »
- Même renvoi.
« Des propriétaires à St-Josse-ten-Noode, Bruxelles, Schaerbeek et Ixelles prient la Chambre de décréter des garanties sérieuses contre l'application abusive par les communes de la loi du 1er juillet 1858 sur l'assainissement, à des quartiers sains et salubres, et de prononcer, en attendant, le retrait de cette loi. »
- Même renvoi.
M. le président. - Le bureau a été chargé hier de compléter la section centrale à laquelle a été renvoyée la proposition de loi de M. Guillery sur la composition des cours d'assises. Le bureau a remplacé M. Deliége par M. Van Humbeeck.
(page 867) M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, je regrette, comme tout le monde, la longueur de ces débats. La Chambre a commencé l'examen du budget de l'intérieur le 29 du mois de janvier dernier : voilà donc près d'un mois que nous consacrons à cette discussion ; c'est la première fois, je pense, que l'examen du budget prend à la Chambre un temps aussi long.
Le pays, d'ailleurs, je le sais, est. fatigué de cette longue discussion ; et je n(y serais pas rentré si je n'y avais été directement provoqué, dans la séance de samedi dernier et hier encore, tant par l'honorable M. Dechamps que par d'autres honorables collègues.
Mais mon silence pourrait être taxé d'impuissance, et l'on pourrait croire que je me trouve dans l'impossibilité de répondre aux divers arguments qui ont été produits par mes honorables adversaires.
L'honorable M. Dechamps a prétendu, modestie à part, qu'il avait fourni des preuves complètes à l'appui de sa thèse ; il a assuré que je n'ai rien réfuté, par cet excellent motif que les arguments qu'il a fait valoir étaient irréfutables.
Messieurs, il est toujours facile de s'adjuger à soi-même la couronne du vainqueur, de se décerner les honneurs du triomphe et de dire : Bénissons les dieux et montons au Capitole !
Mais à côté du jugement que l'on porte sur son propre ouvrage, vient se placer l'appréciation de l'opinion publique, et je crois que, dans cette circonstance, ni l'opinion publique, ni la majorité de cette Chambre, ni même une fraction des amis de. l'honorable M. Dechamps, ne pensent, comme lui, qu'il a fourni, à l'appui de sa thèse, des arguments complètement victorieux, et qu'il n'a rien laissé debout de ce que j'ai eu l'honneur de dire à la Chambre.
Prenant en main la discussion et le texte de la loi de 1842, citant de nombreux faits administratifs, j'ai cherché à prouver que la jurisprudence admise par le gouvernement, depuis une dizaine d'années surtout, est en tous points conforme, à la loi et aux intentions du législateur.
On a dit, messieurs, que mon siège était fait, que je devais nécessairement faire valoir ces arguments. Et, en effet, messieurs, en arrivant au département de l'intérieur, je me suis attaché, comme c'était mon devoir, à me mettre au courant des questions les plus importantes qui ressortissent à ce département.
J'ai donc dû étudier tous les précédents afin de pouvoir établir consciencieusement mon opinion.
Je savais, d'ailleurs, que j'avais affaire à forte partie, à un orateur qui a fait de la loi une longue étude, et c'était pour moi une raison de plus pour m'approvisionner également de munitions, afin de pouvoir résister au siège dont était menacée la jurisprudence du gouvernement.
Je sais, messieurs, que cela peut contrarier quelque peu mes honorables adversaires ; j'aurais pu prendre une position plus facile et dire : Nouveau venu, je n'ai pas eu le temps d'examiner à fond la question, remettons la discussion. En ce qui concerne les faits qu'on aurait articulés, j'aurais pu ajouter : Ils ne sont pas mon ouvrage, c'est l'ouvrage de M. Rogier, de M. de Decker, de M. Piercot. Cette position commode ne me convenait pas ; elle n'eût été ni courageuse ni loyale, et je n'ai pas voulu la prendre.
Messieurs, l'honorable M. Dechamps m'a fait une espèce de reproche d'une double digression que j'ai cru pouvoir me permettre pour répondre à deux objections laites par M. Wasseige et que l'honorable M. Dechamps a cru prudent de ne pas reproduire. Ces objections étaient fort sérieuses, elles étaient capitales. L'honorable M. Wasseige avait prétendu qu'il existait, en dehors des écoles adoptées, d'autres établissements qui pouvaient être subventionnés ou désignés, comme l'a dit l'honorable membre, aux termes de l’article 26, et qui pouvaient recevoir une rémunération ou des subsides par application de ce même article. Il prétendait, en outre, que les communes pouvaient accorder des traitements aux instituteurs adoptés.
J'ai combattu les affirmations de cet honorable membre : je crois avoir démontré qu'elles ne sont pas fondées. Je ne recommencerai pas cette démonstration, par le motif que M. Dechamps lui-même a passé condamnation sur ce point. Mais ma réponse à M. Wasseige se justifiait parfaitement. L'honorable M. Dechamps n'a pas, sans doute, la prétention d'avoir le monopole des bons discours !
Dans cette discussion on a parlé de la législation en matière d’enseignement mise en pratique à l'étranger : on a parlé de l'Angleterre, de la France, de la Suisse, de la Hollande et d'autres pays.
Je vous avoue que je ne comprends pas comment ce qui se passe loin de nous peut servira interpréter une loi belge, la loi de 1842.
Lorsqu'on prend ses arguments à l'étranger, on s'expose à mal apprécier ce qui s'y passe. Pour ne citer qu'un exemple, celui de la France, on a dit que, dans ce pays, il suffisait, pour certains instituteurs, de produire certains documents délivrés par les chefs des associations religieuses.
Cela peut être vrai, mais il faut considérer la législation française sur l’enseignement dans son ensemble et même la législation générale de ce pays.
On a oublié de dire que toutes les corporations n'étaient pas autorisées à enseigner ; il faut qu'elle soient reconnues par le gouvernement, ce qui n'existe, pas en Belgique ; on n'a pas dit qu'un établissement doit être reconnu comme établissement d'utilité publique pour être admis à enseigner.
C'est là une différence entre notre pays et nos voisins ; toutes les associations en Belgique sont libres : toutes peuvent enseigner, toutes jouissent à cet égard d'une liberté illimitée, ce qui n'existe pas dans le pays dont je viens de parler.
Non seulement des autorisations peuvent être données à certaines corporations, mais ces autorisations peuvent être retirées. Une corporation, celle de la Sainte-Union, s'est vu retirer l'autorisation qu'elle avait reçue autrefois pour enseigner en France ; et cette autorisation a été retirée à la suite d'un procès qui a fait quelque bruit, à la suite du procès du chanoine Mallet.
Vous le voyez donc, en France on peut retirer les autorisations et ce régime n'est pas comparable au nôtre.
Je crois que personne en Belgique ne demandera la liberté d'enseignement comme en France. J'ajouterai que le personnel de ces corporations, lorsqu'il ne peut plus enseigner en France, passe la frontière et vient fonder des établissements chez nous.
Il y a en Belgique un assez grand nombre d'écoles tenues par des membres de corporations auxquelles il a été défendu, en France, d'enseigner.
Messieurs, l'honorable M. Dechamps vous a fait hier un discours en trois points. Je suivrai l'ordre de ses idées, en cherchant à rencontrer, je ne dirai pas tous les arguments, tous les faits cités par lui, mais au moins les arguments qui forment la base de son raisonnement.
Je n'en fais pas un grief à l'honorable membre ; mais il me serait impossible de le suivre pas à pas, son discours n'ayant pu paraître aux Annales parlementaires. Si je cite ce fait, c'est uniquement pour m'excuser de ne pouvoir le suivre dans tous les détails.
Je comprends, dis-je, qu'après avoir parlé pendant plusieurs heures, il n'est guère possible de faire paraître son discours le soir. J'ai été moi-même dans ce cas, et peut-être y serai-je encore aujourd'hui.
Le premier argument, l'argument capital qu'a fait valoir l'honorable M. Dechamps, est tiré de la combinaison de la loi communale de 1836 et de. la loi sur l’enseignement primaire de 1842.
L'honorable M. Dechamps a posé magistralement le principe suivant. Il a dit : Tout ce que la loi de 1842 n'a pas interdit et tout ce que la loi de 1836 permet, les communes peuvent le faire. Tirant la conséquence de ce principe ainsi posé, l'honorable M. Dechamps dit : Donc les communes peuvent fonder des écoles ; donc elles peuvent adopter des écoles ; donc elles peuvent arrêter les programmes ; en un mot, elles peuvent faire tout ce qui n'est pas strictement interdit par la loi de 184-2.
Messieurs, j'ai reconnu moi-même que, sous l'empire de la loi de 1836, les communes jouissaient de plus de liberté que depuis 1842. Mais je n'ai pas dit, et l'honorable M. Dechamps ne l'a pas dit lui-même, que les communes avaient plus de droits sous l'empire de la loi de 1836 que sous l’empire de la loi de 1842.
Entre la tolérance qu'on laisse et le droit qu'on accorde, il y a une grande différence.
Les communes, comme plusieurs membres l'ont proclamé cent fois, les communes et toutes les personnes morales n'ont d'autres droits que ceux qui leur sont conférés par la loi de leur institution ou par des lois subséquentes, C'est un principe que personne ne peut contester ; il est généralement admis.
Les communes ne pouvaient donc, sous l'empire de la loi de 1836, avoir d'autres droits que ceux qui leur étaient confères par cette loi.
Or, que permet la loi de 1836, en matière d’enseignement primaire ? Eh bien, je ne trouve dans cette loi que deux dispositions : l'une consacre un droit, l'autre impose un devoir.
(page 868) Le droit, c'est de nommer les instituteurs et professeurs des établissements communaux d'instruction ; le devoir, c'est de contribuer aux dépenses de l'instruction primaire.
Ces frais ont été déclarés obligatoires.
Mais, veuillez bien le remarquer, l'art.icle131 de la loi communale qui impose ces obligations, dit clairement que ces frais sont ceux que la loi sur l'instruction publique met à la charge des communes.
La loi de 1836 n'a rien réglé en matière d'enseignement primaire ; mais elle a prévu la loi spéciale à faire sur l'organisation de cet enseignement.
Et, messieurs, s'il en avait été autrement, comprendrions-nous le silence de la loi de 1836 ? Pourrait-on supposer que, dans une matière de cette importance, cette loi n'eût donné à la commune qu'une chose, le droit strict de nommer les instituteurs communaux ?
Evidemment non. Il suffit de jeter les yeux sur les différentes dispositions de cette loi pour voir qu'elle a réglé des questions beaucoup moins importantes, par exemple les questions d'aliénation, d'acquisition, d'emprunts, les questions de l'organisation des monts-de-piété et des caisses d'épargne ; je crois donc que si la loi de 1836 avait dû être réellement appliquée aux établissements d'instruction publique, elle aurait réglé les différentes questions relatives à cette matière.
Elle n'en a rien fait, et pourquoi ? Parce qu'elle prévoyait la loi à faire et qu'elle entendait tenir en réserve les droits qu'on pouvait conférer aux communes et les devoirs qu'on devait leur imposer.
Cette vérité, messieurs, est tellement évidente que les personnes mêmes qui partagent l'opinion de l'honorable M. Dechamps, ont appliqué ce principe ; on en a cité un cas hier.
La loi de 1836 ne défendait pas aux communes de fonder des écoles normales.
Il en existait ; mais quand la loi de 1842 est venue régler spécialement l'enseignement primaire, bien qu'elle n'eût pas interdit formellement aux communes de fonder des écoles normales, on a cru devoir supprimer ces écoles normales communales.
Cependant, la loi disait tout simplement qu'il y aurait deux écoles normales de l'Etat, et que l'Etat pourrait adopter des écoles privées.
Ainsi, messieurs, je crois que les arguments tirés, par l'honorable M. Dechamps, du principe que je viens de rappeler, ne sont pas fondés, bien qu'ils soient décorés de nombreuses fleurs de rhétorique.
Messieurs, un deuxième argument capital que l'honorable M. Dechamps a fait valoir est celui tiré des dispositions et des développements du projet de loi de 1834 sur l'enseignement primaire. Mais, messieurs, les arguments empruntés à ce projet de loi par assimilation, ne sont pas fondés. On a entièrement dénaturé le système du projet de loi de 1834. Ce projet, les membres de la Chambre qui siégeaient déjà dans cette enceinte en 1842 se le rappelleront, ce projet était tout autre : il donnait à la commune la liberté la plus large, il assimilait la commune au particulier ; il disait que les communes qui ne demanderaient pas de subsides conserveraient la liberté d'enseigner exactement comme les particuliers. Ce principe n'a pas été admis dans la loi de 1842.
On a emprunté un article du projet de 1834, mais on y a ajouté des dispositions nouvelles qui en modifient la portée.
Ainsi, l'on a introduit dans la loi de 1842 l'article premier du projet de loi de 1834 ; et l'on y a ajouté - ce qui fait précisément l'objet de nos discussions - l'article 3 concernant les écoles adoptées.
Dans le projet de loi de 1834, rien n'était réglé en ce qui concerne les écoles adoptées : on laissait aux communes la liberté de faire ce qu'elles voulaient, lorsqu'elles ne recevaient pas de subside.
Vous comprendrez donc que les arguments puisés dans le texte du projet de loi de 1834, et dans les développements auxquels ce projet a pu donner lieu, et même dans les discours des membres de l'opposition, pour défendre les principes de la loi du 23 septembre ne peuvent avoir aucune valeur, lorsqu'il s'agit de l'interprétation de cette loi.
La loi de 1842 a été faite dans un sens tout à fait différent de l'esprit qui a présidé à la rédaction du projet de loi de 1834.
L'honorable M. Dechamps est venu vous lire des passages d'un discours de M. Verhaegen, ancien président de cette Chambre.
Eh bien, l'honorable M. Verhaegen a dit que l'article 3 détruisait l'article premier, que l'on pourrait substituer des écoles adoptées aux écoles communales, et anéantir ainsi l'action du gouvernement. C'était une crainte qu'il exprimait ; ce qui se passe aujourd'hui et ce qui s'est passé dans les premières années qui ont suivi la mise à exécution de la loi prouve que l'honorable M. Verhaegen était perspicace ; c'est là, en effet, ce qu'on tente de faire aujourd'hui, et c'est ce que nous combattons.
Je suis donc fondé à soutenir que l'argument tiré des discours des membres de l'opposition n'est pas plus concluant que celui que l'honorable M. Dechamps a produit en combinant la loi de 1842 et la discussion, avec le projet de loi de 1834.
A l'appui de sa thèse, l'honorable M. Dechamps a-t-il invoqué des faits administratifs ? N'a-t-il pas dû reconnaître pour ainsi dire avec nous que les auteurs de la loi ne l'ont pas appliquée comme ils l'avaient expliquée ? Nous avons prouvé par des circulaires de M. le ministre Nothomb et de ses successeurs, que les faits administratifs posés par eux étaient en opposition directe avec les prétentions de l'honorable M. Dechamps.
Il est vrai que, de son côté, l'honorable M. Dechamps a fait des citations, mais j'ai expliqué cela dans un premier discours ; j'ai dit comment il s'est fait que dans cette discussion, il y a eu un peu de tout, un peu de blanc, un peu de noir, et qu'on a cherché à concilier les opinions.
C'était une position très difficile : il ne fallait pas effrayer les uns, il fallait tâcher encore de rassurer les autres ; on devait, comme je l'ai dit, être un diplomate habile pour se tirer du pas difficile dans lequel on s'était engagé. Les discussions de la loi présentent donc quelque chose d'obscur, et nous sommes depuis plusieurs jours occupés à discuter pour en chercher le véritable sens.
Je viens de rencontrer les principaux arguments de l'honorable M. Dechamps ; ces arguments résument tout son système.
Mais, dit l'honorable M. Dechamps, vous n'avez rien prouvé. J'ai exposé, je pense, aussi complètement que possible le système du gouvernement et les motifs qui l'ont fait admettre.
Cette jurisprudence n'est pas due à l'initiative d'un cabinet libéral qui en veut aux piètres et à la religion, qui veut faire fermer les églises et les écoles chrétiennes, qui veut chasser les religieux.
Ce n'est pas une interprétation inventée par le cabinet actuel, c'est la jurisprudence admise longtemps avant son arrivée au pouvoir et maintenue par l'honorable M. de Decker avec un grand courage ; je me plais à lui rendre hommage, puisque l'occasion s'en présente.
J'ai donc fourni la preuve que l'école communale est la règle et qu'à cette règle il y a deux exceptions consacrées par les articles 2 et 3.
Je l'ai prouvé d'abord par le texte ; je ne veux pas reproduire tous les arguments, cela fatiguerait la Chambre, mais cela est clairement prouvé par le texte, qu'il suffit de lire pour dissiper tout doute.
En effet, l'article premier est une disposition générale qui impose une obligation. Il y aura, dit cet article, au moins une école primaire. Or, je vous le demande, comment l'article premier aurait-il pu dire à la commune, il y aura une école, si cette prescription pouvait s'entendre aussi d'une école adoptée ?
Il ne dépend pas des communes seules d'avoir des écoles adoptées ; il faut qu'elles y soient autorisées.
L'article 3 porte : La commune pourra être autorisée. Eh bien, en présence de termes aussi formels, est-il possible de soutenir que la commune a satisfait à l'obligation résultant de l'article premier en adoptant une école ?
C'est une faculté et non un droit, et quelqu'un peut-il prétendre que l'on est libre quand, pour user de sa liberté, on doit demander une permission à autrui ? Mais ce n'est plus là une liberté sérieuse, réelle.
J'ai cité de nombreux extraits de la discussion ; j'ai fait allusion aux déclarations de l'honorable M. Dechamps lui-même. Je ne les avais pas citées, je n'ai pas voulu les insérer au Moniteur. M. Dechamps en a lu la première partie hier, mais il n'a pas lu la fin. Dans le paragraphe final il remarquera que lui-même reconnaît pour ainsi dire que l'école communale sera la règle. Je vais le lire.
« Il ne faut pas, disiez-vous, jeter la perturbation dans des provinces entières.
« Dans les Flandres, par exemple, si vous déclariez qu'il y a obligation absolue pour la commune d'avoir dès le principe une école communale, vous jetteriez une véritable perturbation dans ces deux provinces. »
L'école communale vous préoccupait donc, cher collègue, puisque vous ne parlez là que de l'école communale proprement dite. C'est du reste une simple rectification. A l'appui de ma thèse, messieurs, ou plutôt pour revenir à la jurisprudence établie par le gouvernement, j'ai cité de nombreux documents ; je ne les rappellerai pas.
Je ne recommencerai pas cette longue et peut-être fastidieuse lecture, mais je dois constater encore une fois que l'honorable M. Dechamps, au sortir de cette discussion, a, par sa circulaire adressée aux administrations communales du Luxembourg, admis le principe que je soutiens. Il désavoue cette circulaire. C'est une erreur, dit-il. Je le veux bien, mais cela n'empêche qu'il m'est difficile de croire que dans une matière aussi (page 869) 869
importante, on puisse avoir proclamé un principe qui serait le renversement de toute la loi. D'ailleurs, cette circulaire a eu des conséquences très graves, car elle a été envoyée à toutes les communes de la province de Luxembourg et a été exécutée.
L'honorable M. Dechamps disait que dans cette province, il n'y avait pas d'écoles adoptées. C'est une erreur. Il n'y en pas beaucoup ; cependant durant la première période, sous l'administration de l'honorable M. Dechamps, il y en avait 79 ; et ces écoles adoptées recevaient une simple subvention, comme nous soutenons qu'elles peuvent en recevoir. Cette subvention moyenne était de 167 francs par école adoptée, conformément à la circulaire de l'honorable M. Dechamps, conformément à la loi qui autorise la subvention dans ces conditions.
Du reste, messieurs, je ferai remarquer que si l'honorable M. Dechamps n'avait pas partagé, quant à ce point, l'opinion de la députation, - car la circulaire de 1842 que j'ai citée émanait de la députation elle-même, - il aurait dû, en vertu de l'article 125 de la loi provinciale, faire annuler cette circulaire comme consacrant un principe faux et pouvant conduire à la violation de la loi.
Si je cite ces exemples, messieurs, c'est pour vous prouver que, dans l'examen de cette question, j'ai agi avec une entière bonne foi, que je me suis inspiré surtout des faits posés et des opinions émises par l'honorable auteur de la loi et par l'honorable rapporteur de la section centrale.
Le second point qu'a traité l'honorable M. Dechamps est celui-ci : « Votre jurisprudence, dit-il, sur l'intervention financière des communes en faveur des écoles adoptées, viole la loi de 1836. » Voilà le principe posé par l'honorable membre.
Eh bien, je regrette de ne pas pouvoir relire le discours si concluant qu'a prononcé sur cette question l'honorable M. Brabant. Ce discours est relatif à l'article 3. « Mais, dit-on, qu'est-ce que cet article ? L'article 3 a été introduit dans la loi sans discussion aucune. »
Je réponds qu'il a été introduit uniquement pour rendre possible l'exécution de l'article 5.
Dans une commune où l'on n'aurait pas établi d'école communale, où l'on aurait décidé qu'il est suffisamment pourvu à l'instruction publique par une école privée, comment aurait-on, en l'absence de l'article 3, assuré l'instruction des enfants pauvres, si cette école privée n'avait pas voulu les recevoir ?
Il a donc fallu inventer un moyen pour rendre possible l'exécution de l'article 5 de la loi, c'est-à-dire pour assurer aux enfants pauvres les bienfaits de l'instruction.
Ce moyen, messieurs, a été l'adoption de l'article 3 ; on a dit : Quant aux communes où il n'y aura que des écoles privées, ces écoles pourront recevoir une subvention, à la charge de donner gratuitement l'instruction aux enfants pauvres. Ces écoles, de privées qu'elles étaient, sont devenues des écoles adoptées, et l'on a attaché à la subvention qu'elles reçoivent certaines conditions légales.
C'est ainsi que moi j'ai toujours compris la loi et l'organisation des écoles adoptées ; c'est une chose tellement simple, quand on se place à ce point de vue, qu'elle n'a donné lieu par elle-même à aucune discussion, et que la discussion de l'article 3 a été confondue dans celle de l'article 2 comme en faisant en quelque sorte partie intégrante, comme n'en étant qu'une conséquence nécessaire.
A l'appui, messieurs, de mon soutènement, j'ai invoqué l'opinion de l'honorable M. de Decker, de l'honorable M. Van de Weyer, et, dans une mesure plus limitée, celle de l'honorable M. Rogier. Si j'ai été sobre de citations en ce qui concerne l'honorable M. Rogier, c'est parce qu'il ne peut y avoir aucun doute sur son opinion.
Et c'est en présence de ces citations nombreuses, de ces preuves que j'ai pour ainsi dire accumulées, que l'honorable M. Dechamps vient dire que je n'ai rien prouvé. Je crois qu'il y a, de la part de mon honorable contradicteur, quelque exagération, pour ne pas dire plus, dans une pareille allégation.
Tout, messieurs, tout dans la discussion, et tout dans les actes administratifs qui ont été posés, tout démontre que les écoles adoptées ne peuvent recevoir qu'une subvention pour l'instruction des enfants pauvres ; cette subvention est, en quelque sorte, une conséquence même de l'adoption, puisque c'est pour instruire les enfants pauvres que le principe de l'adoption des écoles privées a été inscrit dans la loi.
Si vous avez eu d'autres motifs, des arrière-pensées, je l'ignore ; mais la loi ne les révèle nullement.
L'honorable député de Charleroi a cité quelques extraits de la discussion ; mais je lui ai répliqué déjà et je dois répliquer de nouveau que l'auteur des allégations dont on s’est prévalu les a démenties par des faits, par des actes : et que si l'honorable M. Nothomb lui-même a dit dans la discussion que les instituteurs adoptés pouvaient à la rigueur recevoir un traitement, il n'a nullement traduit en fait cette pensée erronée.
On nous a cité un fait qui a paru faire quelque la Chambre ; on a cité l'exemple de Bouillon. L'honorable M. Nothomb, dans la discussion, s'est prononcé très catégoriquement en ce qui concerne l'école de Bouillon. Eh bien, cela ne pouvait pas faire question : l'école de Bouillon était une école communale dirigée par des frères de la doctrine chrétienne. (Interruption.)
L'école de Bouillon était une école communale dirigée par les frères de la doctrine chrétienne, et elle a été maintenue, si je ne me trompe, jusqu'en 1848. A cette époque, comme ces frères ne remplissaient pas leurs devoirs d'instituteurs communaux au gré de l'administration, on le leur a fait remarquer et ils ont répondu que leurs statuts ne leur permettaient pas de se soumettre aux obligations qu'on voulait leur imposer.
.M. Dechamps. - La question n'est pas là. M. Nothomb répondait à M. Dubus qui lui demandait si cette école de Bouillon ou toute autre de ce genre, pouvait être considérée comme école adoptée, et sa réponse catégorique était affirmative.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Il importerait de savoir si cela a été dit dans la discussion, si l'honorable M. Nothomb a formulé la pensée qu'exprime aujourd'hui l'honorable M. Dechamps.
Or, messieurs, la discussion est complètement muette sur ce point, et dès lors les prescriptions de la loi devaient évidemment être appliquées à l'école de Bouillon.
Si les écoles communales étaient tenues par des congrégations religieuses, il n'y aurait pas de difficulté, et je répondrais moi-même en 1862 comme l'honorable M. Nothomb l'a fait en 1842. La robe, je l'ai déjà déclaré, ne fait pas l'instituteur. Que l'instituteur porte l'habit religieux ou l'habit laïque, qu'importe ! pourvu qu'il se soumette aux prescriptions de la loi.
L'honorable membre a discuté longuement une question qui, je pense, n'en valait pas la peine. L'honorable M. Dechamps a cherché à prouver que la subvention à payer pour l'instruction des enfants pauvres ne devait pas nécessairement être fixée par tête, comme une rétribution ordinaire, comme une sorte de minerval que l'on paye dans les collèges communaux et dans les écoles moyennes.
Mais, messieurs, je reconnais qu'on peut donner une subvention globale ; jamais je ne l'ai contesté et je ne le conteste pas encore aujourd'hui.
Je reconnais que l'honorable M. J.-B. Nothomb a répondu à l'honorable M. Devaux, en ce qui concerne l'école de Bruges, qu'on pourrait continuer à accorder des subsides aux écoles privées adoptées, à la condition qu'elles se chargeraient de l'instruction des enfants pauvres ; et je comprends que cela puisse se faire encore.
Je n'ai jamais exigé qu'on donnât six francs par enfant instruit gratuitement ; je pense qu'on peut donner une somme globale, une espèce d'abonnement.
Je soutiens qu'on ne peut pas, au moyen de grands sacrifices, transformer une école adoptée en école communale.
L'honorable membre fait un signe affirmatif ; il l'avait déjà dit dans son discours comme dans sa circulaire ; nous sommes d'accord.
Mais une école recevant des subsides égaux ou à peu près à ceux que pourrait recevoir une école communale ne peut plus être dans la catégorie des écoles adoptées ; il faut la ranger parmi les écoles communales.
J'ai cité l'exemple de Sivry... (interruption), l'honorable membre a élevé des doutes sur les chiffres que j'ai cités ; je dois cependant les croire exacts. Une commune qui a 60 mille francs de revenu et qui paye 20 francs pour chaque enfant instruit, doit créer une école communale qui coûterait moins et se conformer aux prescriptions de l'article premier de la loi.
Maintenant, messieurs, on nous dit que nous faisons de la loi un abus et de nos principes une application exagérée ; que nous voulons fermer toutes les écoles des institutions religieuses, les écoles adoptées ; que nous faisons une guerre acharnée à ces institutions. Il suffit de jeter les yeux sur les statistiques pour se convaincre du contraire.
L'honorable M. Dechamps a cité des exemples, ils ne sont pas heureux ; je vais rectifier les faits.
La Chambre verra que quand on a retiré l'adoption à certaines écoles, il y avait presque toujours d'autres motifs que celui qui résulte de la situation financière des communes.
On a parlé de Virelles. Voici de quoi il s'agit. En 1859, deux religieuses tenaient une école adoptée ; elles furent rappelées par leur supérieure. Dès lors l'adoption avait cessé de fait ; c'est un principe admis, qui a été consacré par M. de Decker lui-même.
(page 870) .M. Dechamps. - C'est une erreur.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - La commune possédait un bâtiment complètement meuble ; le gouvernement jugea avec raison qu'il devait inviter la commune à nommer une institutrice communale. Il s'agissait d'établir une école communale.
.M. Dechamps. - Ce n'est pas exact ; on a exigé un diplôme.
MiV. - On a recommandé le diplôme.
Il n'y a pas lieu au moindre reproche ; au lieu d'une institutrice adoptée on a une institutrice communale et, comme ses devancières, elle appartient à un ordre religieux.
Parfois on n'a pas voulu autoriser certaines adoptions, quand ces adoptions avaient pour but de faire tomber l'institution communale, quand on savait que depuis longtemps une trame était ourdie contre l'école communale ; le gouvernement n'a pas voulu prêter la main à l'exécution de ces projets. C'est ce qui est arrivé à Enghien, fait dont a parlé l'honorable M. Dechamps.
II y a dans la ville d'Enghien deux écoles communales, l'une pour les filles, l'autre pour les garçons.
En 1854, l'administration communale demanda à adopter une école privée des sœurs de la Sainte-Union de Douai. L'adoption fut autorisée, à la condition que l'on maintiendrait l'école communale de filles, ce qui eut lieu.
Le gouvernement maintint l'école communale sans s'opposer à l'école adoptée.
L'école de garçons était tenue par deux vieillards incapables d'enseigner ; ils ont été admis à la pension. Comme je l'ai dit, ils avaient ensemble 163 ans et vous ne pouvez pas dire que l'âge de l'un compensait celui de l'autre, car l'un avait 81 ans et l'autre 82.
L'administration communale voulait les conserver parce que leur insuffisance favorisait une école privée de frères de la doctrine chrétienne.
Je demande s'il est sérieux de dire qu'il y avait là une concurrence loyale entre l'enseignement privé et l'enseignement communal, lorsque bon gré mal gré on maintient en fonctions deux personnes très respectables sans doute, trop respectables même, qui seraient beaucoup mieux dans un hôtel des invalides qu'à la tête d'une école communale. (Interruption.) Cela vous fait rire ; c'est en effet une chose très risible. Pourquoi agissait-on ainsi ? Pour annihiler l'enseignement de la commune, au bénéfice de l'enseignement des frères.
Est-ce là exécuter honorablement, loyalement la loi ? Ce qui m'étonne, c'est qu'on ose citer de pareils exemples contre nous. Vous dites que nous n'exécutons pas loyalement la loi et vous parlez d'Enghien où se sont passées des choses qui font rire la Chambre. Une école était tenue par deux vieillards ; on les a admis d'office à faire valoir leurs droits à la pension.
Malgré les efforts d'une influence occulte, - le mot est un peu vieux, mais il est exact - c'est le gouverneur qui leur a retiré leur mandat parce qu'il fallait les remplacer pour ne pas laisser tomber l'école communale.
Voilà le fait dans toute s'a vérité. Y a-t-il quelque chose à redire ?
J'ajoute que l'inspection avait constaté qu'il n'était pas suffisamment pourvu par les écoles privées à l'enseignement primaire de la commune.
Troisième fait, la Bouverie : il n'est pas plus concluant que les autres, il ne prouve pas que le gouvernement abuse de la loi, applique à outrance sa jurisprudence.
A la Bouverie, le conseil communal demanda l'autorisation d'adopter une école privée dirigée par des frères des écoles chrétiennes. L'inspection civile constata que le frère directeur ne possédait pas toutes les connaissances requises pour donner l'enseignement prescrit par la loi et que, d'ailleurs, cette adoption n'était pas nécessaire, attendu qu'il y avait à l'école communale laïque une salle disponible, ce qui permettait d'y recevoir tous les enfants pauvres ayant droit à l'instruction gratuite.
Où est le mal ? Peut-on faire de ce chef un reproche à l'administration ?
Mon honorable collègue M. Wasseige a parlé de la commune de Walcourt. Je vais encore rectifier les faits.
il y avait à Walcourt une école communale de garçons. L'instituteur ayant donné sa démission, le conseil, au lieu de pourvoir à son remplacement, fit venir les frères et les installa comme instituteurs adoptés, dans le local de l'école communale.
Au bout de quelque temps, le conseil n'ayant pas eu à se louer de l'enseignement donné par les frères, demanda et obtint le retrait de l'adoption.
C'est quelque chose dans le genre de l'école de Soumagne dont on vous a parlé hier Le gouvernement ne prit pas même de mesure d'office. Mais l’administration provinciale, les inspecteurs et surtout la commune, n'ayant pas à se louer de l'enseignement donné par les frères, demandèrent le retrait de l'adoption et l'obtinrent. Qu’est-ce que cela prouve ? La commune avait appelé les frères, contrairement à la loi ; elle n'est pas satisfaite de ses instituteurs ; elle demande que l’adoption soit retirée ; le gouvernement accède à cette demande. Quel reproche peut-on lui faire ?
Un autre honorable adversaire, M. B. Dumortier, nous a parlé de ce qui s'est passé à Péruwelz et à Tournai.
Voici ce qui s'est passé à Péruwelz :
L'autorisation d'adopter l'école des frères de la doctrine chrétienne dirigée par le sieur Vanwersch pour tenir lieu d'école communale à Péruwelz a été accordée par la députation permanente du Hainaut à l'administration de cette ville en 1857.
En 1858, le gouvernement, appelé à statuer sur l'adoption, l'a maintenue, selon les propositions des autorités provinciales, à la condition que les frères se soumettraient aux prescriptions légales.
Il résulte d'une déclaration du collège des bourgmestre et échevins en date du 19 août 1859, que les frères ont refusé de souscrire aux obligations imposées par la loi, pour le motif que ces obligations sont incompatibles avec leurs statuts et prospectus.
Le conseil communal, dans sa délibération du même jour, a pris la résolution d'établir une école communale et de demander le retrait de l'adoption de l'école privée. Le 8 septembre suivant, un arrêté royal a prononcé le retrait, sur la proposition des autorités provinciales, en se fondant sur ce que l'administration de Péruwelz avait décidé la création d'une école communale, conformément à l'article premier de la loi et avait renoncé au bénéfice de l'article 3, en vertu duquel l'autorisation d'adopter l'école des frères lui avait été accordée.
Il n'y a donc pas eu la moindre pression du gouvernement dans toute cette affaire.
M. B. Dumortier. - Qu'est-ce que c'est que les prescriptions légales ?
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je pourrais vous les lire.
M. B. Dumortier. - Dites-les en deux mots, je voudrais savoir ce que vous entendez par là.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Se soumettre à l'inspection, suivre les programmes, adopter les livres et les méthodes, faire preuve de capacité, assister aux conférences...
Mais ce qu'on entend par obligation légale a été parfaitement exposé dans le cinquième rapport triennal sous le ministère de M. de Decker. J'engage l'honorable M. Dumortier à le lire et à me permettre, pour abréger la discussion, de l'y renvoyer.
M. B. Dumortier. - J'ai seulement demandé votre opinion.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je viens de vous la dire.
Voilà, messieurs, les faits. La commune a demandé le retrait, parce que les frères ne voulaient pas se soumettre aux conditions posées par la loi et qui, je le répète, sont indiquées tout au long dans le cinquième rapport triennal.
Enfin, un dernier exemple a été cité dans cette discussion : c'est encore par mon honorable collègue de la Flandre occidentale, M. B. Dumortier ; il s'agit de sa ville natale, de la ville de Tournai. J'en ai déjà dit un mot ; mais voici toute la question.
Il existait à Tournai une école libre tenue par les frères de la doctrine chrétienne. En 1844, ainsi l'affaire n'est pas nouvelle, l'honorable ministre de l'intérieur, auteur de la loi, M. Nothomb déclara que cette école qui était subventionnée, ne pouvait plus l'être, à moins qu'elle ne fût adoptée, et voici ce qu'il écrivait :
« Bruxelles, le 17 février 1844.
« Monsieur le gouverneur,
« J'ai l'honneur de vous communiquer une requête de la commission de l'école libre dirigée, à Tournai, par des frères de la doctrine chrétienne, tendante à obtenir un nouveau subside sur le trésor public. Pour que cette école puisse encore jouir d'une subvention quelconque, elle doit être adoptée en conformité de la loi du 23 septembre 1842, et je vous prie, M. le gouverneur, d'engager le conseil communal de Tournai à examiner la question de savoir s'il ne conviendrait pas d'en faire un établissement public pour l'instruction des enfants pauvres ; je vous prie aussi de veiller, le cas échéant, à ce qu'il intervienne un acte d'adoption, stipulant les obligations des parties l'une vis-à-vis de l'autre. Le montant du subside que l'on s'engagerait à fournir à ladite école serait payé par la ville, aidée, au besoin, de la province et de l'Etat.
« Le ministre de l'intérieur, Nothomb. »
(page 871) Voilà ce que disait l'honorable M. Nothomb. Lui-même reconnaissait déjà que l'école dite désignée ne pourrait recevoir des subsides, à moins qu'elle ne passât dans la catégorie des écoles adoptées.
Cependant, aucune suite ne fut donnée à ces prescriptions de l'honorable M. Nothomb, et le statu quo se prolongea jusqu'en 1859. La ville de Tournai continua à donner un assez mince subside.
Mais, en 1859, l'attention du gouvernement fut appelée sur ce point par l'inspection, et l'honorable M. Rogier prit une résolution, comme tous ses prédécesseurs en avaient pris. Ensuite d'un rapport du gouverneur, il écrivit :
« Bruxelles, le 22 juin 1839.
« A M. le gouverneur du Hainaut,
« M. le gouverneur,
« Il résulte des pièces jointes à votre lettre du 4 juin courant, première division, n°12,672, que les frères des écoles chrétiennes, établis à Tournai, ne croient pas devoir se soumettre à toutes celles des prescriptions de la loi de 1842 qui leur sont applicables aussi bien qu'aux instituteurs laïques.
« Dès lors, l'école qu'ils dirigent ne peut être adoptée aux tenues des articles 3 et 4 de cette même loi, et la subvention dont elle jouit doit être retirée.
« Me référant à ma dépêche du 25 octobre 1858, je vous prie de nouveau, M. le gouverneur, d'inviter l'administration communale de ladite ville à compléter l'organisation de l'enseignement primaire. »
Ainsi, messieurs, j'ai examiné les exemples que l'on a cités ; j'ai rectifié les faits que, sans connaître les circonstances qui les ont entourés, on ne pouvait comprendre, dont on ne pouvait pas bien saisir la portée.
Non seulement, messieurs, nos honorables adversaires et spécialement l'honorable M. Dechamps nous reprochent les principes que nous avons admis, mais on nous accuse de vouloir supprimer toutes les écoles adoptées. Il suffit à cet égard, comme je l'ai dit tantôt, de jeter un coup d'œil sur les statistiques.
Le nombre des écoles adoptées diminue-t-il ? C'est un point important à établir et que des chiffres démontrent beaucoup mieux que tous les raisonnements que je pourrais faire à la Chambre.
En 1844, sous le ministère de l'honorable M. Nothomb, le nombre des écoles adoptées était de 670. En 1846, il était de 725 et l'honorable M. de Theux était ministre. De 1848 à 1851, l'honorable M. Rogier étant ministre, le nombre de ces écoles fut de 888.
Sous le ministère de l'honorable M. de Decker, en 1855, ce nombre était de 735. En 1857, il était de 749 et il est encore aujourd'hui de 749.
Vous voyez donc que le nombre des adoptions varie extrêmement peu, il ne varie que suivant les besoins des localités, et il est même plus considérable aujourd'hui qu'il ne l'était en 1844, peu de temps après le vote de la loi, sous l'honorable M. J.-B. Nothomb
Il faut reconnaître cependant que si le gouvernement se montrait extrêmement sévère, s'il n'autorisait plus d'adoptions, le nombre devrait diminuer ; car chaque année des établissements tombent et il en est d'autres auxquels l'autorisation est retirée.
Ainsi, l'honorable M. Nothomb, pendant la première année de son ministère, a retiré 61 autorisations, et l'honorable M. de Theux, en 1840, en a retiré 78. Sous le ministère de MM. de Theux et Rogier, en 1847, il en a été retiré 89. Sous le ministère de M. Rogier, de 1849 à 1851, il en a été retiré 85. Sous M. de Decker, de 1855 à 1537, il en a été retiré 51.
Enfin M. Rogier, en 1838, a retiré 6 autorisations ; il en a retiré 18 en 1859 et 14 en 1860.
Vous voyez, messieurs, que le nombre de ces retraits n'est pas considérable et que vous prenez des exceptions très rares pour la règle générale.
Je dois faire remarquer aussi que, parmi les écoles pour lesquelles l'autorisation a été retirée, il en est qui sont tenues non par des corporations religieuses, mais par des vieillards de 80 ans, par exemple, et à qui on a retiré l'autorisation parce qu'ils n'étaient plus capables de diriger convenablement leur école.
J'arrive, messieurs, au dernier point qui a été traité par l'honorable M. Dechamps et je crois que sur cette question nous sommes beaucoup plus près de nous rencontrer que sur le terrain de l'adoption.
En effet, messieurs, de quoi s'agit-il à première vue ? Et d'après moi il ne peut pas y avoir de doute sur cette question ; l'article 10 de la loi sur l’enseignement primaire est tellement clair que je ne comprends pas qu'il puisse s'élever une discussion sur ce point. Après avoir parlé de la période transitoire de quatre années, l'article 10 consacre le principe et il dit :
Les conseils communaux choisiront leurs instituteurs parmi les candidats qui justifieront d'avoir fréquenté avec fruit, pendant deux ans au moins, les cours de l'une des écoles normales de l'Etat, les cours normaux adjoints par le gouvernement à l'une des écoles primaires supérieures, ou les cours d'une école normale privée ayant, depuis deux ans au moins, accepté le régime d'inspection établi par la présente loi.
Mais à cette règle générale la loi met une exception ; c'est la nomination de personnes non diplômées. Puisque le droit n'est concédé qu'à la condition de nommer des candidats diplômés, il faut bien qu'il y ait une exception pour le cas où il y a des motifs de nommer des candidats non diplômés.
D'après moi, messieurs, le dissentiment ne. porte ici que sur une exagération de l'honorable député de Charleroi. Dans la discussion, l'honorable député de Charleroi a reconnu comme M. Nothomb, et il reconnaît encore que l'on doit accorder certains droits aux élèves des écoles normales.
Eh bien, messieurs' nous ne disons pas autre chose ; nous ne proclamons pas que du moment que l'on n'a pas de diplôme, on ne peut pas être instituteur ou institutrice.
Il arrive que des personnes diplômées et d'autres qui ne le sont point, se mettent ensemble sur les rangs ; le conseil communal demande l'autorisation de choisir le candidat non diplômé, et tous les jours ou voit le gouvernement accorder de semblables autorisations.
Il les accorde chaque fois qu'il reconnaît que les candidats possèdent réellement les qualités nécessaires pour bien enseigner.
Mais, messieurs, il ne s'agit pas ici d'une sorte d'agréation, il s'agit d'une autorisation préalable.
Les communes ne peuvent pas nommer instituteur ou institutrice une personne non diplômée avant d'en avoir obtenu l'autorisation, et dès lors, je le demande encore une fois, si les communes ont besoin de cette autorisation préalable, peut-on dire qu'elles ont le droit absolu de nommer en dehors des candidats diplômés ?
Maintenant, messieurs, faisons-nous abus de cette faculté ? Oui, dit l'honorable M. Dechamps, et moi je dis non.
Je ne reviendrai pas sur l'affaire de Soumagne ; l'honorable M. Muller en a parlé hier, il en a parlé longuement et il a fait voir combien la loi avait été violée. Mais on a cité l'affaire de Cuesmes. Eh bien, messieurs, voici ce qui s'est passé à Cuesmes :
La commune fut invitée à nommer une institutrice munie d'un diplôme, lorsque la place devint vacante par suite de la démission de l'ancienne titulaire. Le conseil communal présenta d'abord une personne non diplômée. Le gouverneur insista pour que le conseil communal fit choix d'une des postulantes diplômées qui sollicitaient la place vacante. Le conseil communal obtempéra à cette invitation, et nomma une religieuse diplômée appartenant à la congrégation des Sœurs de Champion.
Eli bien, messieurs, je le demande, le gouverneur n'avait-il pas le droit de faire des observations et de manifester le désir de voir nommer une personne diplômée ?
Vous reconnaissez vous-mêmes que le droit de préférence existe. Eh bien, le conseil communal obtempéra au désir de M. le gouverneur, mais ce fut dans des conditions toutes spéciales ; il nomma une religieuse diplômée appartenant à une congrégation et cette nomination fut reconnue valable.
Voici maintenant, messieurs, ce qui a eu lieu à Antoing. La place d'institutrice communale à Antoing devint vacante en 1861.
Quatre normalistes diplômées et une religieuse non diplômée, la demoiselle Lorent, demandaient cette place.
L'administration communale qui, jusqu'à ce jour, n'a pas satisfait à ses obligations en ce qui concerne la prestation d'un local pour la tenue de l'école des filles, demanda l'autorisation de nommer la demoiselle Lorent, laquelle dispose d'un local qu'une personne de la ville venait de lui fournir.
Des réclamations, fondées sur ce que les normalistes diplômées ont droit pour les places d'institutrice à une préférence sur les postulantes non diplômées, furent adressées par les intéressées au gouvernement, qui crut devoir engager le conseil communal à revenir sur sa demande, à choisir une institutrice diplômée et à lui procurer un local, le tout conformément au vœu de la loi. Le conseil ayant insisté pour être autorisé à nommer la demoiselle Lorent, l'autorisation fut accordée après que celle-ci eu subi un examen devant l'inspecteur.
(page 872) Le gouvernement passa outre en présence du désir manifesté et de la circonstance du local. Il autorisa purement et simplement la commune à nommer la demoiselle Lorent.
Le gouvernement a-t-il fait preuve d'une rigueur extrême et peut-on lui adresser le moindre reproche ?
Nos honorables contradicteurs ont recherché les faits en très grand nombre posés pendant les dernières années. Ils en ont trouvé deux ou trois qu'ils ont crus de nature à pouvoir être critiqués.
Eh bien, je suppose qu'il y ait eu 10, 12, 20 de ces faits depuis dix ans, pourriez-vous en conclure que le gouvernement viole la loi ? Evidemment non.
Messieurs, les faits existants prouvent que le gouvernement a mis extrêmement peu de rigueur à exécuter l'article 10, c'est-à-dire à autoriser des instituteurs ou des institutrices non diplômés à exercer les fonctions d'instituteur ou d'institutrice.
Il y a en ce moment dans le pays 1,650 instituteurs communaux diplômés ; il y en a 1,829 qui ne le sont pas.
Or, si le gouvernement exécutait avec rigueur les principes de la loi, obtiendriez-vous de pareils résultats ?
En fait d'institutrices, c'est encore plus significatif. Il y a en Belgique 257 institutrices communales diplômées, et 450 qui ne le sont pas. Il y a donc 179 instituteurs et 193 institutrices non diplômées de plus qu'il n'y a respectivement d'instituteurs et d'institutrices diplômés. (Interruption.)
Il est possible, comme on le dit à mes côtés, que cette proportion soit renversée plus tard. Si les communes veulent avoir des instituteurs communaux diplômés, le gouvernement devra-t-il y mettre obstacle ? Nullement ; les instituteurs diplômés valent mieux que ceux qui ne le sont pas ; et l'honorable M. Dechamps le comprendra. Oui, l'honorable membre le comprendra. Quand il a un procès, il s'adresse à un avocat, qui a un diplôme, il ne s'adresse pas à une personne qui n'en a pas.
On dira peut-être : « C'est de l'histoire ancienne ; la politique nouvelle va plus loin ; on se montre plus rigoureux ; on n'autorise plus. »
Or, j'ai pris par hasard le Moniteur du 19 de ce mois. Vous savez qu'on insère au Moniteur les noms des instituteurs admis au serment et qu'on indique si ce sont des instituteurs diplômés ou non diplômés.
Eh bien, le Moniteur du 19 février 1862 fait mention de 37 instituteurs.
Sur ces 37 instituteurs, il y en a 10 qui ne sont pas diplômés.
Bien rarement une demande d'autorisation arrive jusqu'au gouvernement, parce qu'il n'y a pas de réclamation.
Maintenant, si les communes veulent nommer des instituteurs diplômés, laissons-leur en la liberté et ne les contrarions pas ; en d'autres termes, ne faisons pas de l'exception la règle. D'ailleurs, quoi que vous fassiez, un temps viendra où des instituteurs diplômés seront demandés partout, parce qu'ils valent mieux ; cela doit être.
L'instituteur diplômé a appris à enseigner ; celui qui ne l'est pas, peut être un homme très savant et n'être qu'un très mauvais instituteur ; l'instituteur normaliste diplômé peut donc être choisi de préférence.
On me fera peut-être cette objection : « Vous faites des exceptions pour les corporations religieuses ; vous vous montrez facile lorsqu'on demande l'admission d'un instituteur ou d'une institutrice laïque non diplômée ; mais lorsqu'il s'agit d'un instituteur ou d'une institutrice appartenant à une corporation religieuse, le gouvernement a peur, il recule, il se montre plus difficile. »
Il n'en est rien, messieurs. Bien souvent on autorise des frères et des sœurs non diplômés à remplir les fonctions d'instituteur ou d'institutrice communal.
On ne fait aucune distinction entre les positions sociales des instituteurs et des institutrices pour lesquels on réclame le bénéfice du paragraphe final de l'article 10 de la loi.
Donc vos craintes, messieurs, ou plutôt vos accusations sont souverainement injustes, elles tombent à faux ; nos honorables prédécesseurs ont appliqué la loi avec une très grande modération qui, loin de mériter les reproches de la droite, mériterait bien plutôt son approbation.
Messieurs, nous avons indiqué le moyen qu'ont les frères et les sœurs de se mettre dans le droit commun. Que les uns et les autres subissent un examen et prennent un diplôme, il faudra bien alors les admettre.
Mais que nous répondez-vous ? Que les statuts des corporations religieuses s'opposent à ce qu'elles se soumettent aux prescriptions de la loi de 1842. C'est une très singulière prétention. Comment ! nous avons le bonheur d'être un pays indépendant, de nous appartenir ; nous avons une excellente Constitution ; nous faisons, les lois qui nous conviennent ; et parce que des corporations religieuses viendraient déclarer que leurs statuts rendent notre législation incompatible avec leurs règles, c'est nous qui devrions modifier nos lois ! Mais c'est une prétention exorbitante, et je suis étonné de la voir se produire dans un parlement belge, en 1862.
M. B. Dumortier. - Personne n'a soutenu cette prétention, et je proteste au nom de tous mes honorables amis.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si vous n'avez pas cette prétention, tant mieux. J'en prends acte pour l'avenir.
Je dis que si les corporations religieuses voulaient y mettre de la bonne volonté, elles devraient modifier leurs statuts. Je ne pense pas que ces statuts soient descendus d'en haut et que personne ne puisse y porter la main sans commettre un sacrilège ; il me semble que les supérieurs des corporations religieuses pourraient modifier leurs statuts de manière à les mettre en harmonie avec nos lois, et faciliter ainsi l'exécution de la loi de 1842. Cela nous épargnerait les graves discussions comme celles que nous avons en ce moment.
Je vais vous dire pourquoi on ne modifie pas les statuts ; parce qu'en ne les modifiant pas, on a un grief. Puis, en général, les membres des corporations religieuses ne consentent pas à être instituteurs communaux ; ils veulent rester exclusivement soumis à l'action de leurs supérieurs, sous tous les rapports ; en un mot, ils veulent jouir de tous les avantages, sans se soumettre aux charges que la loi peut leur imposer.
Messieurs, permettez-moi de vous le dire, cette liberté qu'on leur laisse n'est pas toujours sans danger. Cette liberté c'est l'irresponsabilité, et de l'irresponsabilité à l'impunité il n'y a souvent qu'un pas. Tel instituteur, placé dans telle commune et y remplissant ses fonctions à la satisfaction générale de la commune, est déplacé, on ne sait pourquoi, et la commune n'a rien à y dire.
Si cet instituteur était soupçonné d'une indélicatesse quelconque, il serait soustrait à l'action publique, on ne sait pas où il est, ce qu'il est devenu et souvent même, vous le savez, en quittant l'institution il quitte son nom.
Messieurs, j'ai pour ainsi dire fini ; il me reste seulement à répondre quelques mots à des questions posées par l'honorable M. Dechamps.
L'honorable M. Dechamps m'a prié de lui dire ce que je pensais de la loi de 1850 qui autorise les communes à patronner des collèges communaux. Il m'a demandé pourquoi, sous le régime de la loi de 1842, on n'autoriserait pas la commune à adopter des écoles dans les mêmes conditions.
Mais, messieurs, il n'y a pas de comparaison à faire entre les deux catégories d'établissements.
Je réponds à la question par la question même. Les communes peuvent patronner des collèges communaux parce que la loi de 1850 le leur permet, et les communes ne peuvent pas, dans les mêmes conditions, adopter des écoles parce que la loi de 1842 ne leur donne pas cette faculté.
Il y a, pour l'enseignement moyen, une autorisation formelle inscrite dans la loi de 1850, et il y a, pour l'enseignement primaire, une défense formelle inscrite dans la loi de 1842.
D'ailleurs, la loi de 1842 porte clairement que toutes les communes doivent avoir une école communale, mais aucune disposition de la loi de 1850 ne porte qu'elles doivent avoir un collège.
On dit, dans la loi de 1842 : Vous pouvez moyennant telle ou telle convention adopter des écoles, comme on dit dans la loi de 1850 :Vous pouvez patronner un collège, lui donner le local et lui donner des subsides même sur les fonds du budget.
La loi de 1850, l'honorable M. Dechamps l'a reconnu lui-même, est sous ce rapport beaucoup plus large que la loi de 1842. L'honorable membre et ceux qui l'ont précédé à cette tribune, ont affirmé que les écoles adoptées et leur personnel présentent administrativement, sous le rapport de l'instruction, autant de garanties que les écoles communales.
Cela est possible ; j'admets que beaucoup d'instituteurs adoptés sont aussi honorables que les instituteurs communaux ; j'admets qu'ils sont instruits, mais je dis qu'au point de vue de la légalité, les garanties ne sont pas les mêmes. L'autorité civile n'a pas la nomination ; elle ne peut sévir par voie de suspension, elle n'a pas le droit de révocation.
Vous préférez avoir des écoles adoptées. Mais vous pouvez avoir de mauvais instituteurs.
.M. Dechamps. - Vous avez le retrait.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Mais s'il faut retirer alors l'autorisation, où est la stabilité ? L'école adoptée ne présente plus de garanties sous ce rapport.
Sous le rapport de l'enseignement, je le reconnais, les écoles adoptées se soumettent aujourd'hui au programme ; mais autrefois on faisait les plus grandes difficultés. Il y a eu, les dossiers le constatent, des luttes fort longues en ce qui concerne les livres.
(page 873) Des corporations religieuses, qui n'ont pas leur siège en Belgique, prétendaient substituer, en Belgique, à l’enseignement de l'histoire du pays, l'enseignement de l'histoire de France.
Elles prétendaient se servir exclusivement de livres approuvés par leurs supérieurs.
.M. Dechamps. - Cela n'existe plus.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je dis que cela a existé. Je dis que les institutions adoptées ne présentent pas les mêmes garanties, et j'en ai donné des preuves. Il est possible que l'on se corrige aujourd'hui.
Au point de vue du personnel même, les garanties sont-elles identiques ?
Mais parmi les corporations qui viennent enseigner en Belgique, il en est un grand nombre qui n'ont pas leur siège principal dans le pays, dont les supérieurs et les maisons-mères sont établies à l'étranger.
Un grand nombre des religieux qu'on envoie dans le pays ne sont pas Belges.
Ce sont souvent des personnes sur lesquelles on ne possède aucun renseignement, qui voyagent d'une école à l'autre.
Ne peut-on pas dire que, sous ce rapport, il y a plus de garanties dans l'école instituée par la commune et par le gouvernement, qui est dirigée par des gens nés dans le pays, pénétrés des sentiments nationaux, que par des personnes étrangères, quelque honorables qu'elles soient ?
En terminant cette discussion déjà fort longue, je vous dirai : Soyons francs. Dites-nous franchement, et loyalement ce que vous voulez.
Nous pouvons, messieurs, différer sur l'appréciation, sur l'interprétation de telle ou telle question, mais entre adversaires loyaux, qui s'estiment, je crois que les explications doivent être franches.
Pourquoi avez-vous ouvert ce grand débat, qui a prouvé, je le crois du moins, que le gouvernement ne proscrit pas l'enseignement religieux, ni les religieux eux-mêmes ?
Pourquoi donc des discussions si longues, si animées ?
Mais, messieurs, déjà l'honorable M. Orts a en partie soulevé le voile qui couvre vos intentions.
Je vous demanderai : Est-ce pour l'école de la Bouverie, est-ce pour l'école de Sivry, est-ce pour l'école de Cuesmes, que vous faites toutes ces grandes discussions ? Evidemment non !
Il y a d'autres motifs ; et ces motifs, les voici :
Vous avez fait prudemment, sagement, d'après vous, une loi, et vous croyiez pouvoir l'appliquer pieusement.
Vous avez pensé qu'à l'abri de cette loi, vous pourriez accomplir l'œuvre commencée, et que vous avez continuée de 1842 à 1847 ; mais aujourd'hui, à votre grand désappointement, vous reconnaissez que le pays ne veut pas de vos interprétations.
.M. Dechamps. - Les communes en veulent.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Vous vous plaignez parce que vous reconnaissez qu'un grand nombre de communes préfèrent l'école communale à l'école des frères. Voilà pourquoi vous vous plaignez.
M. de Moor. - Ce n'est pas autre chose.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Vous dites à tort que le gouvernement n'autorise pas les personnes non diplômées à enseigner ; mais au fond, vous vous plaignez parce que vous voyez préférer les élèves de nos écoles normales à ceux qui n'ont pas reçu de diplôme.
Voilà le motif secret, et que vous n'oseriez pas avouer, de cette grande discussion.
Que voulez-vous, et que voulons-nous ? Nous voulons appliquer sainement la loi, franchement, loyalement, je dirai même avec modération. Vous savez que nous faisons ainsi. Mais vous, vous voulez établir en faveur de quelques-uns un privilège, parce que les personnes à qui vous voulez donner un privilège sont dans une position particulière ; vous voulez, parce que l'on porte une certaine robe, parce qu'on a un certain caractère, qu'on puisse jouir des mêmes avantages sans être soumis aux mêmes charges que les autres citoyens ; vous voulez que les religieux sans diplôme puissent venir s'établir partout comme le laïque qui a son diplôme ; vous voulez qu'on donne la même subvention à celui qui n'a pas les charges légales et à celui qui se soumet à toutes celles imposées par la loi.
Vous voulez que les écoles des corporations restent libres et que ceux qui les dirigent ne deviennent pas même des instituteurs communaux, parce qu'alors ils seraient soumis à l'action de l'autorité. Voilà ce que vous voulez et voilà ce que nous ne voulons pas, ce que, pour ma part, je ne voudrai jamais.
Maintenant, je comprends vos efforts et vos désirs, je partagerais peut-être vos craintes si l'enseignement religieux n'était pas convenablement donné dans les écoles publiques. Mais, tous les jours, vous l'avez constaté vous-mêmes, nous recevons de la part des autorités ecclésiastiques les témoignages les plus flatteurs et qui attestent que l'instruction religieuse est donnée par des instituteurs laïques avec soin et régularité.
Depuis dix ans il n'y a guère eu annuellement qu'un ou deux conflits, vous l'avez reconnu aussi. Eh bien, que craignez-vous donc ? Si la loi était mauvaise à votre point de vue, vous pourriez en demander la révision ; mais puisqu'elle est bonne, de votre propre aveu, puisqu'elle fonctionne régulièrement, puisque les chefs du clergé ne se plaignent pas, au nom du ciel, de quoi vous plaignez-vous ? (Interruption.)
Enfin, messieurs, cette discussion je la regrette, mais non point pour nous ; je la regrette pour vous.
M. B. Dumortier. - Vous êtes bien bon !
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Oui, je suis bien bon ; mais c'est comme cela. Encore une fois, je regrette pour vous cette discussion. Vous vous croyez déjà en possession du pouvoir, et dès aujourd'hui vous présentez votre programme. Vous venez dire au pays : « Si, quelque jour, nous revenons au pouvoir, voilà les principes que nous appliquerons. ». Ce sont des jalons que vous posez en ce moment.
Eh bien, je le regrette pour vous parce que, en présence de la proclamation de pareils principes, le pays comprendra le danger qu'il y aurait à inaugurer une telle politique. Je le regrette encore pour vous, parce que la loi de 1842 est votre œuvre et que ce que vous faites depuis deux ou trois joins, tend à détruire autant que possible la loi de 1842. Vous fournissez, par vos paroles, par vos discussions, plus d'armes à ceux qui veulent la révision de la loi de 1842, que n'ont pu leur en fournir toutes écrivains politiques ou autres qui ont traité cette question, en Belgique, depuis un certain nombre d'années.
(page 867) M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, je regrette, comme tout le monde, la longueur de ces débats. La Chambre a commencé l'examen du budget de l'intérieur le 29 du mois de janvier dernier : voilà donc près d'un mois que nous consacrons à cette discussion ; c'est la première fois, je pense, que l'examen du budget prend à la Chambre un temps aussi long.
Le pays, d'ailleurs, je le sais, est. fatigué de cette longue discussion ; et je n(y serais pas rentré si je n'y avais été directement provoqué, dans la séance de samedi dernier et hier encore, tant par l'honorable M. Dechamps que par d'autres honorables collègues.
Mais mon silence pourrait être taxé d'impuissance, et l'on pourrait croire que je me trouve dans l'impossibilité de répondre aux divers arguments qui ont été produits par mes honorables adversaires.
L'honorable M. Dechamps a prétendu, modestie à part, qu'il avait fourni des preuves complètes à l'appui de sa thèse ; il a assuré que je n'ai rien réfuté, par cet excellent motif que les arguments qu'il a fait valoir étaient irréfutables.
Messieurs, il est toujours facile de s'adjuger à soi-même la couronne du vainqueur, de se décerner les honneurs du triomphe et de dire : Bénissons les dieux et montons au Capitole !
Mais à côté du jugement que l'on porte sur son propre ouvrage, vient se placer l'appréciation de l'opinion publique, et je crois que, dans cette circonstance, ni l'opinion publique, ni la majorité de cette Chambre, ni même une fraction des amis de. l'honorable M. Dechamps, ne pensent, comme lui, qu'il a fourni, à l'appui de sa thèse, des arguments complètement victorieux, et qu'il n'a rien laissé debout de ce que j'ai eu l'honneur de dire à la Chambre.
Prenant en main la discussion et le texte de la loi de 1842, citant de nombreux faits administratifs, j'ai cherché à prouver que la jurisprudence admise par le gouvernement, depuis une dizaine d'années surtout, est en tous points conforme, à la loi et aux intentions du législateur.
On a dit, messieurs, que mon siège était fait, que je devais nécessairement faire valoir ces arguments. Et, en effet, messieurs, en arrivant au département de l'intérieur, je me suis attaché, comme c'était mon devoir, à me mettre au courant des questions les plus importantes qui ressortissent à ce département.
J'ai donc dû étudier tous les précédents afin de pouvoir établir consciencieusement mon opinion.
Je savais, d'ailleurs, que j'avais affaire à forte partie, à un orateur qui a fait de la loi une longue étude, et c'était pour moi une raison de plus pour m'approvisionner également de munitions, afin de pouvoir résister au siège dont était menacée la jurisprudence du gouvernement.
Je sais, messieurs, que cela peut contrarier quelque peu mes honorables adversaires ; j'aurais pu prendre une position plus facile et dire : Nouveau venu, je n'ai pas eu le temps d'examiner à fond la question, remettons la discussion. En ce qui concerne les faits qu'on aurait articulés, j'aurais pu ajouter : Ils ne sont pas mon ouvrage, c'est l'ouvrage de M. Rogier, de M. de Decker, de M. Piercot. Cette position commode ne me convenait pas ; elle n'eût été ni courageuse ni loyale, et je n'ai pas voulu la prendre.
Messieurs, l'honorable M. Dechamps m'a fait une espèce de reproche d'une double digression que j'ai cru pouvoir me permettre pour répondre à deux objections laites par M. Wasseige et que l'honorable M. Dechamps a cru prudent de ne pas reproduire. Ces objections étaient fort sérieuses, elles étaient capitales. L'honorable M. Wasseige avait prétendu qu'il existait, en dehors des écoles adoptées, d'autres établissements qui pouvaient être subventionnés ou désignés, comme l'a dit l'honorable membre, aux termes de l’article 26, et qui pouvaient recevoir une rémunération ou des subsides par application de ce même article. Il prétendait, en outre, que les communes pouvaient accorder des traitements aux instituteurs adoptés.
J'ai combattu les affirmations de cet honorable membre : je crois avoir démontré qu'elles ne sont pas fondées. Je ne recommencerai pas cette démonstration, par le motif que M. Dechamps lui-même a passé condamnation sur ce point. Mais ma réponse à M. Wasseige se justifiait parfaitement. L'honorable M. Dechamps n'a pas, sans doute, la prétention d'avoir le monopole des bons discours !
Dans cette discussion on a parlé de la législation en matière d’enseignement mise en pratique à l'étranger : on a parlé de l'Angleterre, de la France, de la Suisse, de la Hollande et d'autres pays.
Je vous avoue que je ne comprends pas comment ce qui se passe loin de nous peut servira interpréter une loi belge, la loi de 1842.
Lorsqu'on prend ses arguments à l'étranger, on s'expose à mal apprécier ce qui s'y passe. Pour ne citer qu'un exemple, celui de la France, on a dit que, dans ce pays, il suffisait, pour certains instituteurs, de produire certains documents délivrés par les chefs des associations religieuses.
Cela peut être vrai, mais il faut considérer la législation française sur l’enseignement dans son ensemble et même la législation générale de ce pays.
On a oublié de dire que toutes les corporations n'étaient pas autorisées à enseigner ; il faut qu'elle soient reconnues par le gouvernement, ce qui n'existe, pas en Belgique ; on n'a pas dit qu'un établissement doit être reconnu comme établissement d'utilité publique pour être admis à enseigner.
C'est là une différence entre notre pays et nos voisins ; toutes les associations en Belgique sont libres : toutes peuvent enseigner, toutes jouissent à cet égard d'une liberté illimitée, ce qui n'existe pas dans le pays dont je viens de parler.
Non seulement des autorisations peuvent être données à certaines corporations, mais ces autorisations peuvent être retirées. Une corporation, celle de la Sainte-Union, s'est vu retirer l'autorisation qu'elle avait reçue autrefois pour enseigner en France ; et cette autorisation a été retirée à la suite d'un procès qui a fait quelque bruit, à la suite du procès du chanoine Mallet.
Vous le voyez donc, en France on peut retirer les autorisations et ce régime n'est pas comparable au nôtre.
Je crois que personne en Belgique ne demandera la liberté d'enseignement comme en France. J'ajouterai que le personnel de ces corporations, lorsqu'il ne peut plus enseigner en France, passe la frontière et vient fonder des établissements chez nous.
Il y a en Belgique un assez grand nombre d'écoles tenues par des membres de corporations auxquelles il a été défendu, en France, d'enseigner.
Messieurs, l'honorable M. Dechamps vous a fait hier un discours en trois points. Je suivrai l'ordre de ses idées, en cherchant à rencontrer, je ne dirai pas tous les arguments, tous les faits cités par lui, mais au moins les arguments qui forment la base de son raisonnement.
Je n'en fais pas un grief à l'honorable membre ; mais il me serait impossible de le suivre pas à pas, son discours n'ayant pu paraître aux Annales parlementaires. Si je cite ce fait, c'est uniquement pour m'excuser de ne pouvoir le suivre dans tous les détails.
Je comprends, dis-je, qu'après avoir parlé pendant plusieurs heures, il n'est guère possible de faire paraître son discours le soir. J'ai été moi-même dans ce cas, et peut-être y serai-je encore aujourd'hui.
Le premier argument, l'argument capital qu'a fait valoir l'honorable M. Dechamps, est tiré de la combinaison de la loi communale de 1836 et de. la loi sur l’enseignement primaire de 1842.
L'honorable M. Dechamps a posé magistralement le principe suivant. Il a dit : Tout ce que la loi de 1842 n'a pas interdit et tout ce que la loi de 1836 permet, les communes peuvent le faire. Tirant la conséquence de ce principe ainsi posé, l'honorable M. Dechamps dit : Donc les communes peuvent fonder des écoles ; donc elles peuvent adopter des écoles ; donc elles peuvent arrêter les programmes ; en un mot, elles peuvent faire tout ce qui n'est pas strictement interdit par la loi de 184-2.
Messieurs, j'ai reconnu moi-même que, sous l'empire de la loi de 1836, les communes jouissaient de plus de liberté que depuis 1842. Mais je n'ai pas dit, et l'honorable M. Dechamps ne l'a pas dit lui-même, que les communes avaient plus de droits sous l'empire de la loi de 1836 que sous l’empire de la loi de 1842.
Entre la tolérance qu'on laisse et le droit qu'on accorde, il y a une grande différence.
Les communes, comme plusieurs membres l'ont proclamé cent fois, les communes et toutes les personnes morales n'ont d'autres droits que ceux qui leur sont conférés par la loi de leur institution ou par des lois subséquentes, C'est un principe que personne ne peut contester ; il est généralement admis.
Les communes ne pouvaient donc, sous l'empire de la loi de 1836, avoir d'autres droits que ceux qui leur étaient confères par cette loi.
Or, que permet la loi de 1836, en matière d’enseignement primaire ? Eh bien, je ne trouve dans cette loi que deux dispositions : l'une consacre un droit, l'autre impose un devoir.
(page 868) Le droit, c'est de nommer les instituteurs et professeurs des établissements communaux d'instruction ; le devoir, c'est de contribuer aux dépenses de l'instruction primaire.
Ces frais ont été déclarés obligatoires.
Mais, veuillez bien le remarquer, l'art.icle131 de la loi communale qui impose ces obligations, dit clairement que ces frais sont ceux que la loi sur l'instruction publique met à la charge des communes.
La loi de 1836 n'a rien réglé en matière d'enseignement primaire ; mais elle a prévu la loi spéciale à faire sur l'organisation de cet enseignement.
Et, messieurs, s'il en avait été autrement, comprendrions-nous le silence de la loi de 1836 ? Pourrait-on supposer que, dans une matière de cette importance, cette loi n'eût donné à la commune qu'une chose, le droit strict de nommer les instituteurs communaux ?
Evidemment non. Il suffit de jeter les yeux sur les différentes dispositions de cette loi pour voir qu'elle a réglé des questions beaucoup moins importantes, par exemple les questions d'aliénation, d'acquisition, d'emprunts, les questions de l'organisation des monts-de-piété et des caisses d'épargne ; je crois donc que si la loi de 1836 avait dû être réellement appliquée aux établissements d'instruction publique, elle aurait réglé les différentes questions relatives à cette matière.
Elle n'en a rien fait, et pourquoi ? Parce qu'elle prévoyait la loi à faire et qu'elle entendait tenir en réserve les droits qu'on pouvait conférer aux communes et les devoirs qu'on devait leur imposer.
Cette vérité, messieurs, est tellement évidente que les personnes mêmes qui partagent l'opinion de l'honorable M. Dechamps, ont appliqué ce principe ; on en a cité un cas hier.
La loi de 1836 ne défendait pas aux communes de fonder des écoles normales.
Il en existait ; mais quand la loi de 1842 est venue régler spécialement l'enseignement primaire, bien qu'elle n'eût pas interdit formellement aux communes de fonder des écoles normales, on a cru devoir supprimer ces écoles normales communales.
Cependant, la loi disait tout simplement qu'il y aurait deux écoles normales de l'Etat, et que l'Etat pourrait adopter des écoles privées.
Ainsi, messieurs, je crois que les arguments tirés, par l'honorable M. Dechamps, du principe que je viens de rappeler, ne sont pas fondés, bien qu'ils soient décorés de nombreuses fleurs de rhétorique.
Messieurs, un deuxième argument capital que l'honorable M. Dechamps a fait valoir est celui tiré des dispositions et des développements du projet de loi de 1834 sur l'enseignement primaire. Mais, messieurs, les arguments empruntés à ce projet de loi par assimilation, ne sont pas fondés. On a entièrement dénaturé le système du projet de loi de 1834. Ce projet, les membres de la Chambre qui siégeaient déjà dans cette enceinte en 1842 se le rappelleront, ce projet était tout autre : il donnait à la commune la liberté la plus large, il assimilait la commune au particulier ; il disait que les communes qui ne demanderaient pas de subsides conserveraient la liberté d'enseigner exactement comme les particuliers. Ce principe n'a pas été admis dans la loi de 1842.
On a emprunté un article du projet de 1834, mais on y a ajouté des dispositions nouvelles qui en modifient la portée.
Ainsi, l'on a introduit dans la loi de 1842 l'article premier du projet de loi de 1834 ; et l'on y a ajouté - ce qui fait précisément l'objet de nos discussions - l'article 3 concernant les écoles adoptées.
Dans le projet de loi de 1834, rien n'était réglé en ce qui concerne les écoles adoptées : on laissait aux communes la liberté de faire ce qu'elles voulaient, lorsqu'elles ne recevaient pas de subside.
Vous comprendrez donc que les arguments puisés dans le texte du projet de loi de 1834, et dans les développements auxquels ce projet a pu donner lieu, et même dans les discours des membres de l'opposition, pour défendre les principes de la loi du 23 septembre ne peuvent avoir aucune valeur, lorsqu'il s'agit de l'interprétation de cette loi.
La loi de 1842 a été faite dans un sens tout à fait différent de l'esprit qui a présidé à la rédaction du projet de loi de 1834.
L'honorable M. Dechamps est venu vous lire des passages d'un discours de M. Verhaegen, ancien président de cette Chambre.
Eh bien, l'honorable M. Verhaegen a dit que l'article 3 détruisait l'article premier, que l'on pourrait substituer des écoles adoptées aux écoles communales, et anéantir ainsi l'action du gouvernement. C'était une crainte qu'il exprimait ; ce qui se passe aujourd'hui et ce qui s'est passé dans les premières années qui ont suivi la mise à exécution de la loi prouve que l'honorable M. Verhaegen était perspicace ; c'est là, en effet, ce qu'on tente de faire aujourd'hui, et c'est ce que nous combattons.
Je suis donc fondé à soutenir que l'argument tiré des discours des membres de l'opposition n'est pas plus concluant que celui que l'honorable M. Dechamps a produit en combinant la loi de 1842 et la discussion, avec le projet de loi de 1834.
A l'appui de sa thèse, l'honorable M. Dechamps a-t-il invoqué des faits administratifs ? N'a-t-il pas dû reconnaître pour ainsi dire avec nous que les auteurs de la loi ne l'ont pas appliquée comme ils l'avaient expliquée ? Nous avons prouvé par des circulaires de M. le ministre Nothomb et de ses successeurs, que les faits administratifs posés par eux étaient en opposition directe avec les prétentions de l'honorable M. Dechamps.
Il est vrai que, de son côté, l'honorable M. Dechamps a fait des citations, mais j'ai expliqué cela dans un premier discours ; j'ai dit comment il s'est fait que dans cette discussion, il y a eu un peu de tout, un peu de blanc, un peu de noir, et qu'on a cherché à concilier les opinions.
C'était une position très difficile : il ne fallait pas effrayer les uns, il fallait tâcher encore de rassurer les autres ; on devait, comme je l'ai dit, être un diplomate habile pour se tirer du pas difficile dans lequel on s'était engagé. Les discussions de la loi présentent donc quelque chose d'obscur, et nous sommes depuis plusieurs jours occupés à discuter pour en chercher le véritable sens.
Je viens de rencontrer les principaux arguments de l'honorable M. Dechamps ; ces arguments résument tout son système.
Mais, dit l'honorable M. Dechamps, vous n'avez rien prouvé. J'ai exposé, je pense, aussi complètement que possible le système du gouvernement et les motifs qui l'ont fait admettre.
Cette jurisprudence n'est pas due à l'initiative d'un cabinet libéral qui en veut aux piètres et à la religion, qui veut faire fermer les églises et les écoles chrétiennes, qui veut chasser les religieux.
Ce n'est pas une interprétation inventée par le cabinet actuel, c'est la jurisprudence admise longtemps avant son arrivée au pouvoir et maintenue par l'honorable M. de Decker avec un grand courage ; je me plais à lui rendre hommage, puisque l'occasion s'en présente.
J'ai donc fourni la preuve que l'école communale est la règle et qu'à cette règle il y a deux exceptions consacrées par les articles 2 et 3.
Je l'ai prouvé d'abord par le texte ; je ne veux pas reproduire tous les arguments, cela fatiguerait la Chambre, mais cela est clairement prouvé par le texte, qu'il suffit de lire pour dissiper tout doute.
En effet, l'article premier est une disposition générale qui impose une obligation. Il y aura, dit cet article, au moins une école primaire. Or, je vous le demande, comment l'article premier aurait-il pu dire à la commune, il y aura une école, si cette prescription pouvait s'entendre aussi d'une école adoptée ?
Il ne dépend pas des communes seules d'avoir des écoles adoptées ; il faut qu'elles y soient autorisées.
L'article 3 porte : La commune pourra être autorisée. Eh bien, en présence de termes aussi formels, est-il possible de soutenir que la commune a satisfait à l'obligation résultant de l'article premier en adoptant une école ?
C'est une faculté et non un droit, et quelqu'un peut-il prétendre que l'on est libre quand, pour user de sa liberté, on doit demander une permission à autrui ? Mais ce n'est plus là une liberté sérieuse, réelle.
J'ai cité de nombreux extraits de la discussion ; j'ai fait allusion aux déclarations de l'honorable M. Dechamps lui-même. Je ne les avais pas citées, je n'ai pas voulu les insérer au Moniteur. M. Dechamps en a lu la première partie hier, mais il n'a pas lu la fin. Dans le paragraphe final il remarquera que lui-même reconnaît pour ainsi dire que l'école communale sera la règle. Je vais le lire.
« Il ne faut pas, disiez-vous, jeter la perturbation dans des provinces entières.
« Dans les Flandres, par exemple, si vous déclariez qu'il y a obligation absolue pour la commune d'avoir dès le principe une école communale, vous jetteriez une véritable perturbation dans ces deux provinces. »
L'école communale vous préoccupait donc, cher collègue, puisque vous ne parlez là que de l'école communale proprement dite. C'est du reste une simple rectification. A l'appui de ma thèse, messieurs, ou plutôt pour revenir à la jurisprudence établie par le gouvernement, j'ai cité de nombreux documents ; je ne les rappellerai pas.
Je ne recommencerai pas cette longue et peut-être fastidieuse lecture, mais je dois constater encore une fois que l'honorable M. Dechamps, au sortir de cette discussion, a, par sa circulaire adressée aux administrations communales du Luxembourg, admis le principe que je soutiens. Il désavoue cette circulaire. C'est une erreur, dit-il. Je le veux bien, mais cela n'empêche qu'il m'est difficile de croire que dans une matière aussi (page 869) 869
importante, on puisse avoir proclamé un principe qui serait le renversement de toute la loi. D'ailleurs, cette circulaire a eu des conséquences très graves, car elle a été envoyée à toutes les communes de la province de Luxembourg et a été exécutée.
L'honorable M. Dechamps disait que dans cette province, il n'y avait pas d'écoles adoptées. C'est une erreur. Il n'y en pas beaucoup ; cependant durant la première période, sous l'administration de l'honorable M. Dechamps, il y en avait 79 ; et ces écoles adoptées recevaient une simple subvention, comme nous soutenons qu'elles peuvent en recevoir. Cette subvention moyenne était de 167 francs par école adoptée, conformément à la circulaire de l'honorable M. Dechamps, conformément à la loi qui autorise la subvention dans ces conditions.
Du reste, messieurs, je ferai remarquer que si l'honorable M. Dechamps n'avait pas partagé, quant à ce point, l'opinion de la députation, - car la circulaire de 1842 que j'ai citée émanait de la députation elle-même, - il aurait dû, en vertu de l'article 125 de la loi provinciale, faire annuler cette circulaire comme consacrant un principe faux et pouvant conduire à la violation de la loi.
Si je cite ces exemples, messieurs, c'est pour vous prouver que, dans l'examen de cette question, j'ai agi avec une entière bonne foi, que je me suis inspiré surtout des faits posés et des opinions émises par l'honorable auteur de la loi et par l'honorable rapporteur de la section centrale.
Le second point qu'a traité l'honorable M. Dechamps est celui-ci : « Votre jurisprudence, dit-il, sur l'intervention financière des communes en faveur des écoles adoptées, viole la loi de 1836. » Voilà le principe posé par l'honorable membre.
Eh bien, je regrette de ne pas pouvoir relire le discours si concluant qu'a prononcé sur cette question l'honorable M. Brabant. Ce discours est relatif à l'article 3. « Mais, dit-on, qu'est-ce que cet article ? L'article 3 a été introduit dans la loi sans discussion aucune. »
Je réponds qu'il a été introduit uniquement pour rendre possible l'exécution de l'article 5.
Dans une commune où l'on n'aurait pas établi d'école communale, où l'on aurait décidé qu'il est suffisamment pourvu à l'instruction publique par une école privée, comment aurait-on, en l'absence de l'article 3, assuré l'instruction des enfants pauvres, si cette école privée n'avait pas voulu les recevoir ?
Il a donc fallu inventer un moyen pour rendre possible l'exécution de l'article 5 de la loi, c'est-à-dire pour assurer aux enfants pauvres les bienfaits de l'instruction.
Ce moyen, messieurs, a été l'adoption de l'article 3 ; on a dit : Quant aux communes où il n'y aura que des écoles privées, ces écoles pourront recevoir une subvention, à la charge de donner gratuitement l'instruction aux enfants pauvres. Ces écoles, de privées qu'elles étaient, sont devenues des écoles adoptées, et l'on a attaché à la subvention qu'elles reçoivent certaines conditions légales.
C'est ainsi que moi j'ai toujours compris la loi et l'organisation des écoles adoptées ; c'est une chose tellement simple, quand on se place à ce point de vue, qu'elle n'a donné lieu par elle-même à aucune discussion, et que la discussion de l'article 3 a été confondue dans celle de l'article 2 comme en faisant en quelque sorte partie intégrante, comme n'en étant qu'une conséquence nécessaire.
A l'appui, messieurs, de mon soutènement, j'ai invoqué l'opinion de l'honorable M. de Decker, de l'honorable M. Van de Weyer, et, dans une mesure plus limitée, celle de l'honorable M. Rogier. Si j'ai été sobre de citations en ce qui concerne l'honorable M. Rogier, c'est parce qu'il ne peut y avoir aucun doute sur son opinion.
Et c'est en présence de ces citations nombreuses, de ces preuves que j'ai pour ainsi dire accumulées, que l'honorable M. Dechamps vient dire que je n'ai rien prouvé. Je crois qu'il y a, de la part de mon honorable contradicteur, quelque exagération, pour ne pas dire plus, dans une pareille allégation.
Tout, messieurs, tout dans la discussion, et tout dans les actes administratifs qui ont été posés, tout démontre que les écoles adoptées ne peuvent recevoir qu'une subvention pour l'instruction des enfants pauvres ; cette subvention est, en quelque sorte, une conséquence même de l'adoption, puisque c'est pour instruire les enfants pauvres que le principe de l'adoption des écoles privées a été inscrit dans la loi.
Si vous avez eu d'autres motifs, des arrière-pensées, je l'ignore ; mais la loi ne les révèle nullement.
L'honorable député de Charleroi a cité quelques extraits de la discussion ; mais je lui ai répliqué déjà et je dois répliquer de nouveau que l'auteur des allégations dont on s’est prévalu les a démenties par des faits, par des actes : et que si l'honorable M. Nothomb lui-même a dit dans la discussion que les instituteurs adoptés pouvaient à la rigueur recevoir un traitement, il n'a nullement traduit en fait cette pensée erronée.
On nous a cité un fait qui a paru faire quelque la Chambre ; on a cité l'exemple de Bouillon. L'honorable M. Nothomb, dans la discussion, s'est prononcé très catégoriquement en ce qui concerne l'école de Bouillon. Eh bien, cela ne pouvait pas faire question : l'école de Bouillon était une école communale dirigée par des frères de la doctrine chrétienne. (Interruption.)
L'école de Bouillon était une école communale dirigée par les frères de la doctrine chrétienne, et elle a été maintenue, si je ne me trompe, jusqu'en 1848. A cette époque, comme ces frères ne remplissaient pas leurs devoirs d'instituteurs communaux au gré de l'administration, on le leur a fait remarquer et ils ont répondu que leurs statuts ne leur permettaient pas de se soumettre aux obligations qu'on voulait leur imposer.
.M. Dechamps. - La question n'est pas là. M. Nothomb répondait à M. Dubus qui lui demandait si cette école de Bouillon ou toute autre de ce genre, pouvait être considérée comme école adoptée, et sa réponse catégorique était affirmative.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Il importerait de savoir si cela a été dit dans la discussion, si l'honorable M. Nothomb a formulé la pensée qu'exprime aujourd'hui l'honorable M. Dechamps.
Or, messieurs, la discussion est complètement muette sur ce point, et dès lors les prescriptions de la loi devaient évidemment être appliquées à l'école de Bouillon.
Si les écoles communales étaient tenues par des congrégations religieuses, il n'y aurait pas de difficulté, et je répondrais moi-même en 1862 comme l'honorable M. Nothomb l'a fait en 1842. La robe, je l'ai déjà déclaré, ne fait pas l'instituteur. Que l'instituteur porte l'habit religieux ou l'habit laïque, qu'importe ! pourvu qu'il se soumette aux prescriptions de la loi.
L'honorable membre a discuté longuement une question qui, je pense, n'en valait pas la peine. L'honorable M. Dechamps a cherché à prouver que la subvention à payer pour l'instruction des enfants pauvres ne devait pas nécessairement être fixée par tête, comme une rétribution ordinaire, comme une sorte de minerval que l'on paye dans les collèges communaux et dans les écoles moyennes.
Mais, messieurs, je reconnais qu'on peut donner une subvention globale ; jamais je ne l'ai contesté et je ne le conteste pas encore aujourd'hui.
Je reconnais que l'honorable M. J.-B. Nothomb a répondu à l'honorable M. Devaux, en ce qui concerne l'école de Bruges, qu'on pourrait continuer à accorder des subsides aux écoles privées adoptées, à la condition qu'elles se chargeraient de l'instruction des enfants pauvres ; et je comprends que cela puisse se faire encore.
Je n'ai jamais exigé qu'on donnât six francs par enfant instruit gratuitement ; je pense qu'on peut donner une somme globale, une espèce d'abonnement.
Je soutiens qu'on ne peut pas, au moyen de grands sacrifices, transformer une école adoptée en école communale.
L'honorable membre fait un signe affirmatif ; il l'avait déjà dit dans son discours comme dans sa circulaire ; nous sommes d'accord.
Mais une école recevant des subsides égaux ou à peu près à ceux que pourrait recevoir une école communale ne peut plus être dans la catégorie des écoles adoptées ; il faut la ranger parmi les écoles communales.
J'ai cité l'exemple de Sivry... (interruption), l'honorable membre a élevé des doutes sur les chiffres que j'ai cités ; je dois cependant les croire exacts. Une commune qui a 60 mille francs de revenu et qui paye 20 francs pour chaque enfant instruit, doit créer une école communale qui coûterait moins et se conformer aux prescriptions de l'article premier de la loi.
Maintenant, messieurs, on nous dit que nous faisons de la loi un abus et de nos principes une application exagérée ; que nous voulons fermer toutes les écoles des institutions religieuses, les écoles adoptées ; que nous faisons une guerre acharnée à ces institutions. Il suffit de jeter les yeux sur les statistiques pour se convaincre du contraire.
L'honorable M. Dechamps a cité des exemples, ils ne sont pas heureux ; je vais rectifier les faits.
La Chambre verra que quand on a retiré l'adoption à certaines écoles, il y avait presque toujours d'autres motifs que celui qui résulte de la situation financière des communes.
On a parlé de Virelles. Voici de quoi il s'agit. En 1859, deux religieuses tenaient une école adoptée ; elles furent rappelées par leur supérieure. Dès lors l'adoption avait cessé de fait ; c'est un principe admis, qui a été consacré par M. de Decker lui-même.
(page 870) .M. Dechamps. - C'est une erreur.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - La commune possédait un bâtiment complètement meuble ; le gouvernement jugea avec raison qu'il devait inviter la commune à nommer une institutrice communale. Il s'agissait d'établir une école communale.
.M. Dechamps. - Ce n'est pas exact ; on a exigé un diplôme.
MiV. - On a recommandé le diplôme.
Il n'y a pas lieu au moindre reproche ; au lieu d'une institutrice adoptée on a une institutrice communale et, comme ses devancières, elle appartient à un ordre religieux.
Parfois on n'a pas voulu autoriser certaines adoptions, quand ces adoptions avaient pour but de faire tomber l'institution communale, quand on savait que depuis longtemps une trame était ourdie contre l'école communale ; le gouvernement n'a pas voulu prêter la main à l'exécution de ces projets. C'est ce qui est arrivé à Enghien, fait dont a parlé l'honorable M. Dechamps.
II y a dans la ville d'Enghien deux écoles communales, l'une pour les filles, l'autre pour les garçons.
En 1854, l'administration communale demanda à adopter une école privée des sœurs de la Sainte-Union de Douai. L'adoption fut autorisée, à la condition que l'on maintiendrait l'école communale de filles, ce qui eut lieu.
Le gouvernement maintint l'école communale sans s'opposer à l'école adoptée.
L'école de garçons était tenue par deux vieillards incapables d'enseigner ; ils ont été admis à la pension. Comme je l'ai dit, ils avaient ensemble 163 ans et vous ne pouvez pas dire que l'âge de l'un compensait celui de l'autre, car l'un avait 81 ans et l'autre 82.
L'administration communale voulait les conserver parce que leur insuffisance favorisait une école privée de frères de la doctrine chrétienne.
Je demande s'il est sérieux de dire qu'il y avait là une concurrence loyale entre l'enseignement privé et l'enseignement communal, lorsque bon gré mal gré on maintient en fonctions deux personnes très respectables sans doute, trop respectables même, qui seraient beaucoup mieux dans un hôtel des invalides qu'à la tête d'une école communale. (Interruption.) Cela vous fait rire ; c'est en effet une chose très risible. Pourquoi agissait-on ainsi ? Pour annihiler l'enseignement de la commune, au bénéfice de l'enseignement des frères.
Est-ce là exécuter honorablement, loyalement la loi ? Ce qui m'étonne, c'est qu'on ose citer de pareils exemples contre nous. Vous dites que nous n'exécutons pas loyalement la loi et vous parlez d'Enghien où se sont passées des choses qui font rire la Chambre. Une école était tenue par deux vieillards ; on les a admis d'office à faire valoir leurs droits à la pension.
Malgré les efforts d'une influence occulte, - le mot est un peu vieux, mais il est exact - c'est le gouverneur qui leur a retiré leur mandat parce qu'il fallait les remplacer pour ne pas laisser tomber l'école communale.
Voilà le fait dans toute s'a vérité. Y a-t-il quelque chose à redire ?
J'ajoute que l'inspection avait constaté qu'il n'était pas suffisamment pourvu par les écoles privées à l'enseignement primaire de la commune.
Troisième fait, la Bouverie : il n'est pas plus concluant que les autres, il ne prouve pas que le gouvernement abuse de la loi, applique à outrance sa jurisprudence.
A la Bouverie, le conseil communal demanda l'autorisation d'adopter une école privée dirigée par des frères des écoles chrétiennes. L'inspection civile constata que le frère directeur ne possédait pas toutes les connaissances requises pour donner l'enseignement prescrit par la loi et que, d'ailleurs, cette adoption n'était pas nécessaire, attendu qu'il y avait à l'école communale laïque une salle disponible, ce qui permettait d'y recevoir tous les enfants pauvres ayant droit à l'instruction gratuite.
Où est le mal ? Peut-on faire de ce chef un reproche à l'administration ?
Mon honorable collègue M. Wasseige a parlé de la commune de Walcourt. Je vais encore rectifier les faits.
il y avait à Walcourt une école communale de garçons. L'instituteur ayant donné sa démission, le conseil, au lieu de pourvoir à son remplacement, fit venir les frères et les installa comme instituteurs adoptés, dans le local de l'école communale.
Au bout de quelque temps, le conseil n'ayant pas eu à se louer de l'enseignement donné par les frères, demanda et obtint le retrait de l'adoption.
C'est quelque chose dans le genre de l'école de Soumagne dont on vous a parlé hier Le gouvernement ne prit pas même de mesure d'office. Mais l’administration provinciale, les inspecteurs et surtout la commune, n'ayant pas à se louer de l'enseignement donné par les frères, demandèrent le retrait de l'adoption et l'obtinrent. Qu’est-ce que cela prouve ? La commune avait appelé les frères, contrairement à la loi ; elle n'est pas satisfaite de ses instituteurs ; elle demande que l’adoption soit retirée ; le gouvernement accède à cette demande. Quel reproche peut-on lui faire ?
Un autre honorable adversaire, M. B. Dumortier, nous a parlé de ce qui s'est passé à Péruwelz et à Tournai.
Voici ce qui s'est passé à Péruwelz :
L'autorisation d'adopter l'école des frères de la doctrine chrétienne dirigée par le sieur Vanwersch pour tenir lieu d'école communale à Péruwelz a été accordée par la députation permanente du Hainaut à l'administration de cette ville en 1857.
En 1858, le gouvernement, appelé à statuer sur l'adoption, l'a maintenue, selon les propositions des autorités provinciales, à la condition que les frères se soumettraient aux prescriptions légales.
Il résulte d'une déclaration du collège des bourgmestre et échevins en date du 19 août 1859, que les frères ont refusé de souscrire aux obligations imposées par la loi, pour le motif que ces obligations sont incompatibles avec leurs statuts et prospectus.
Le conseil communal, dans sa délibération du même jour, a pris la résolution d'établir une école communale et de demander le retrait de l'adoption de l'école privée. Le 8 septembre suivant, un arrêté royal a prononcé le retrait, sur la proposition des autorités provinciales, en se fondant sur ce que l'administration de Péruwelz avait décidé la création d'une école communale, conformément à l'article premier de la loi et avait renoncé au bénéfice de l'article 3, en vertu duquel l'autorisation d'adopter l'école des frères lui avait été accordée.
Il n'y a donc pas eu la moindre pression du gouvernement dans toute cette affaire.
M. B. Dumortier. - Qu'est-ce que c'est que les prescriptions légales ?
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je pourrais vous les lire.
M. B. Dumortier. - Dites-les en deux mots, je voudrais savoir ce que vous entendez par là.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Se soumettre à l'inspection, suivre les programmes, adopter les livres et les méthodes, faire preuve de capacité, assister aux conférences...
Mais ce qu'on entend par obligation légale a été parfaitement exposé dans le cinquième rapport triennal sous le ministère de M. de Decker. J'engage l'honorable M. Dumortier à le lire et à me permettre, pour abréger la discussion, de l'y renvoyer.
M. B. Dumortier. - J'ai seulement demandé votre opinion.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je viens de vous la dire.
Voilà, messieurs, les faits. La commune a demandé le retrait, parce que les frères ne voulaient pas se soumettre aux conditions posées par la loi et qui, je le répète, sont indiquées tout au long dans le cinquième rapport triennal.
Enfin, un dernier exemple a été cité dans cette discussion : c'est encore par mon honorable collègue de la Flandre occidentale, M. B. Dumortier ; il s'agit de sa ville natale, de la ville de Tournai. J'en ai déjà dit un mot ; mais voici toute la question.
Il existait à Tournai une école libre tenue par les frères de la doctrine chrétienne. En 1844, ainsi l'affaire n'est pas nouvelle, l'honorable ministre de l'intérieur, auteur de la loi, M. Nothomb déclara que cette école qui était subventionnée, ne pouvait plus l'être, à moins qu'elle ne fût adoptée, et voici ce qu'il écrivait :
« Bruxelles, le 17 février 1844.
« Monsieur le gouverneur,
« J'ai l'honneur de vous communiquer une requête de la commission de l'école libre dirigée, à Tournai, par des frères de la doctrine chrétienne, tendante à obtenir un nouveau subside sur le trésor public. Pour que cette école puisse encore jouir d'une subvention quelconque, elle doit être adoptée en conformité de la loi du 23 septembre 1842, et je vous prie, M. le gouverneur, d'engager le conseil communal de Tournai à examiner la question de savoir s'il ne conviendrait pas d'en faire un établissement public pour l'instruction des enfants pauvres ; je vous prie aussi de veiller, le cas échéant, à ce qu'il intervienne un acte d'adoption, stipulant les obligations des parties l'une vis-à-vis de l'autre. Le montant du subside que l'on s'engagerait à fournir à ladite école serait payé par la ville, aidée, au besoin, de la province et de l'Etat.
« Le ministre de l'intérieur, Nothomb. »
(page 871) Voilà ce que disait l'honorable M. Nothomb. Lui-même reconnaissait déjà que l'école dite désignée ne pourrait recevoir des subsides, à moins qu'elle ne passât dans la catégorie des écoles adoptées.
Cependant, aucune suite ne fut donnée à ces prescriptions de l'honorable M. Nothomb, et le statu quo se prolongea jusqu'en 1859. La ville de Tournai continua à donner un assez mince subside.
Mais, en 1859, l'attention du gouvernement fut appelée sur ce point par l'inspection, et l'honorable M. Rogier prit une résolution, comme tous ses prédécesseurs en avaient pris. Ensuite d'un rapport du gouverneur, il écrivit :
« Bruxelles, le 22 juin 1839.
« A M. le gouverneur du Hainaut,
« M. le gouverneur,
« Il résulte des pièces jointes à votre lettre du 4 juin courant, première division, n°12,672, que les frères des écoles chrétiennes, établis à Tournai, ne croient pas devoir se soumettre à toutes celles des prescriptions de la loi de 1842 qui leur sont applicables aussi bien qu'aux instituteurs laïques.
« Dès lors, l'école qu'ils dirigent ne peut être adoptée aux tenues des articles 3 et 4 de cette même loi, et la subvention dont elle jouit doit être retirée.
« Me référant à ma dépêche du 25 octobre 1858, je vous prie de nouveau, M. le gouverneur, d'inviter l'administration communale de ladite ville à compléter l'organisation de l'enseignement primaire. »
Ainsi, messieurs, j'ai examiné les exemples que l'on a cités ; j'ai rectifié les faits que, sans connaître les circonstances qui les ont entourés, on ne pouvait comprendre, dont on ne pouvait pas bien saisir la portée.
Non seulement, messieurs, nos honorables adversaires et spécialement l'honorable M. Dechamps nous reprochent les principes que nous avons admis, mais on nous accuse de vouloir supprimer toutes les écoles adoptées. Il suffit à cet égard, comme je l'ai dit tantôt, de jeter un coup d'œil sur les statistiques.
Le nombre des écoles adoptées diminue-t-il ? C'est un point important à établir et que des chiffres démontrent beaucoup mieux que tous les raisonnements que je pourrais faire à la Chambre.
En 1844, sous le ministère de l'honorable M. Nothomb, le nombre des écoles adoptées était de 670. En 1846, il était de 725 et l'honorable M. de Theux était ministre. De 1848 à 1851, l'honorable M. Rogier étant ministre, le nombre de ces écoles fut de 888.
Sous le ministère de l'honorable M. de Decker, en 1855, ce nombre était de 735. En 1857, il était de 749 et il est encore aujourd'hui de 749.
Vous voyez donc que le nombre des adoptions varie extrêmement peu, il ne varie que suivant les besoins des localités, et il est même plus considérable aujourd'hui qu'il ne l'était en 1844, peu de temps après le vote de la loi, sous l'honorable M. J.-B. Nothomb
Il faut reconnaître cependant que si le gouvernement se montrait extrêmement sévère, s'il n'autorisait plus d'adoptions, le nombre devrait diminuer ; car chaque année des établissements tombent et il en est d'autres auxquels l'autorisation est retirée.
Ainsi, l'honorable M. Nothomb, pendant la première année de son ministère, a retiré 61 autorisations, et l'honorable M. de Theux, en 1840, en a retiré 78. Sous le ministère de MM. de Theux et Rogier, en 1847, il en a été retiré 89. Sous le ministère de M. Rogier, de 1849 à 1851, il en a été retiré 85. Sous M. de Decker, de 1855 à 1537, il en a été retiré 51.
Enfin M. Rogier, en 1838, a retiré 6 autorisations ; il en a retiré 18 en 1859 et 14 en 1860.
Vous voyez, messieurs, que le nombre de ces retraits n'est pas considérable et que vous prenez des exceptions très rares pour la règle générale.
Je dois faire remarquer aussi que, parmi les écoles pour lesquelles l'autorisation a été retirée, il en est qui sont tenues non par des corporations religieuses, mais par des vieillards de 80 ans, par exemple, et à qui on a retiré l'autorisation parce qu'ils n'étaient plus capables de diriger convenablement leur école.
J'arrive, messieurs, au dernier point qui a été traité par l'honorable M. Dechamps et je crois que sur cette question nous sommes beaucoup plus près de nous rencontrer que sur le terrain de l'adoption.
En effet, messieurs, de quoi s'agit-il à première vue ? Et d'après moi il ne peut pas y avoir de doute sur cette question ; l'article 10 de la loi sur l’enseignement primaire est tellement clair que je ne comprends pas qu'il puisse s'élever une discussion sur ce point. Après avoir parlé de la période transitoire de quatre années, l'article 10 consacre le principe et il dit :
Les conseils communaux choisiront leurs instituteurs parmi les candidats qui justifieront d'avoir fréquenté avec fruit, pendant deux ans au moins, les cours de l'une des écoles normales de l'Etat, les cours normaux adjoints par le gouvernement à l'une des écoles primaires supérieures, ou les cours d'une école normale privée ayant, depuis deux ans au moins, accepté le régime d'inspection établi par la présente loi.
Mais à cette règle générale la loi met une exception ; c'est la nomination de personnes non diplômées. Puisque le droit n'est concédé qu'à la condition de nommer des candidats diplômés, il faut bien qu'il y ait une exception pour le cas où il y a des motifs de nommer des candidats non diplômés.
D'après moi, messieurs, le dissentiment ne. porte ici que sur une exagération de l'honorable député de Charleroi. Dans la discussion, l'honorable député de Charleroi a reconnu comme M. Nothomb, et il reconnaît encore que l'on doit accorder certains droits aux élèves des écoles normales.
Eh bien, messieurs' nous ne disons pas autre chose ; nous ne proclamons pas que du moment que l'on n'a pas de diplôme, on ne peut pas être instituteur ou institutrice.
Il arrive que des personnes diplômées et d'autres qui ne le sont point, se mettent ensemble sur les rangs ; le conseil communal demande l'autorisation de choisir le candidat non diplômé, et tous les jours ou voit le gouvernement accorder de semblables autorisations.
Il les accorde chaque fois qu'il reconnaît que les candidats possèdent réellement les qualités nécessaires pour bien enseigner.
Mais, messieurs, il ne s'agit pas ici d'une sorte d'agréation, il s'agit d'une autorisation préalable.
Les communes ne peuvent pas nommer instituteur ou institutrice une personne non diplômée avant d'en avoir obtenu l'autorisation, et dès lors, je le demande encore une fois, si les communes ont besoin de cette autorisation préalable, peut-on dire qu'elles ont le droit absolu de nommer en dehors des candidats diplômés ?
Maintenant, messieurs, faisons-nous abus de cette faculté ? Oui, dit l'honorable M. Dechamps, et moi je dis non.
Je ne reviendrai pas sur l'affaire de Soumagne ; l'honorable M. Muller en a parlé hier, il en a parlé longuement et il a fait voir combien la loi avait été violée. Mais on a cité l'affaire de Cuesmes. Eh bien, messieurs, voici ce qui s'est passé à Cuesmes :
La commune fut invitée à nommer une institutrice munie d'un diplôme, lorsque la place devint vacante par suite de la démission de l'ancienne titulaire. Le conseil communal présenta d'abord une personne non diplômée. Le gouverneur insista pour que le conseil communal fit choix d'une des postulantes diplômées qui sollicitaient la place vacante. Le conseil communal obtempéra à cette invitation, et nomma une religieuse diplômée appartenant à la congrégation des Sœurs de Champion.
Eli bien, messieurs, je le demande, le gouverneur n'avait-il pas le droit de faire des observations et de manifester le désir de voir nommer une personne diplômée ?
Vous reconnaissez vous-mêmes que le droit de préférence existe. Eh bien, le conseil communal obtempéra au désir de M. le gouverneur, mais ce fut dans des conditions toutes spéciales ; il nomma une religieuse diplômée appartenant à une congrégation et cette nomination fut reconnue valable.
Voici maintenant, messieurs, ce qui a eu lieu à Antoing. La place d'institutrice communale à Antoing devint vacante en 1861.
Quatre normalistes diplômées et une religieuse non diplômée, la demoiselle Lorent, demandaient cette place.
L'administration communale qui, jusqu'à ce jour, n'a pas satisfait à ses obligations en ce qui concerne la prestation d'un local pour la tenue de l'école des filles, demanda l'autorisation de nommer la demoiselle Lorent, laquelle dispose d'un local qu'une personne de la ville venait de lui fournir.
Des réclamations, fondées sur ce que les normalistes diplômées ont droit pour les places d'institutrice à une préférence sur les postulantes non diplômées, furent adressées par les intéressées au gouvernement, qui crut devoir engager le conseil communal à revenir sur sa demande, à choisir une institutrice diplômée et à lui procurer un local, le tout conformément au vœu de la loi. Le conseil ayant insisté pour être autorisé à nommer la demoiselle Lorent, l'autorisation fut accordée après que celle-ci eu subi un examen devant l'inspecteur.
(page 872) Le gouvernement passa outre en présence du désir manifesté et de la circonstance du local. Il autorisa purement et simplement la commune à nommer la demoiselle Lorent.
Le gouvernement a-t-il fait preuve d'une rigueur extrême et peut-on lui adresser le moindre reproche ?
Nos honorables contradicteurs ont recherché les faits en très grand nombre posés pendant les dernières années. Ils en ont trouvé deux ou trois qu'ils ont crus de nature à pouvoir être critiqués.
Eh bien, je suppose qu'il y ait eu 10, 12, 20 de ces faits depuis dix ans, pourriez-vous en conclure que le gouvernement viole la loi ? Evidemment non.
Messieurs, les faits existants prouvent que le gouvernement a mis extrêmement peu de rigueur à exécuter l'article 10, c'est-à-dire à autoriser des instituteurs ou des institutrices non diplômés à exercer les fonctions d'instituteur ou d'institutrice.
Il y a en ce moment dans le pays 1,650 instituteurs communaux diplômés ; il y en a 1,829 qui ne le sont pas.
Or, si le gouvernement exécutait avec rigueur les principes de la loi, obtiendriez-vous de pareils résultats ?
En fait d'institutrices, c'est encore plus significatif. Il y a en Belgique 257 institutrices communales diplômées, et 450 qui ne le sont pas. Il y a donc 179 instituteurs et 193 institutrices non diplômées de plus qu'il n'y a respectivement d'instituteurs et d'institutrices diplômés. (Interruption.)
Il est possible, comme on le dit à mes côtés, que cette proportion soit renversée plus tard. Si les communes veulent avoir des instituteurs communaux diplômés, le gouvernement devra-t-il y mettre obstacle ? Nullement ; les instituteurs diplômés valent mieux que ceux qui ne le sont pas ; et l'honorable M. Dechamps le comprendra. Oui, l'honorable membre le comprendra. Quand il a un procès, il s'adresse à un avocat, qui a un diplôme, il ne s'adresse pas à une personne qui n'en a pas.
On dira peut-être : « C'est de l'histoire ancienne ; la politique nouvelle va plus loin ; on se montre plus rigoureux ; on n'autorise plus. »
Or, j'ai pris par hasard le Moniteur du 19 de ce mois. Vous savez qu'on insère au Moniteur les noms des instituteurs admis au serment et qu'on indique si ce sont des instituteurs diplômés ou non diplômés.
Eh bien, le Moniteur du 19 février 1862 fait mention de 37 instituteurs.
Sur ces 37 instituteurs, il y en a 10 qui ne sont pas diplômés.
Bien rarement une demande d'autorisation arrive jusqu'au gouvernement, parce qu'il n'y a pas de réclamation.
Maintenant, si les communes veulent nommer des instituteurs diplômés, laissons-leur en la liberté et ne les contrarions pas ; en d'autres termes, ne faisons pas de l'exception la règle. D'ailleurs, quoi que vous fassiez, un temps viendra où des instituteurs diplômés seront demandés partout, parce qu'ils valent mieux ; cela doit être.
L'instituteur diplômé a appris à enseigner ; celui qui ne l'est pas, peut être un homme très savant et n'être qu'un très mauvais instituteur ; l'instituteur normaliste diplômé peut donc être choisi de préférence.
On me fera peut-être cette objection : « Vous faites des exceptions pour les corporations religieuses ; vous vous montrez facile lorsqu'on demande l'admission d'un instituteur ou d'une institutrice laïque non diplômée ; mais lorsqu'il s'agit d'un instituteur ou d'une institutrice appartenant à une corporation religieuse, le gouvernement a peur, il recule, il se montre plus difficile. »
Il n'en est rien, messieurs. Bien souvent on autorise des frères et des sœurs non diplômés à remplir les fonctions d'instituteur ou d'institutrice communal.
On ne fait aucune distinction entre les positions sociales des instituteurs et des institutrices pour lesquels on réclame le bénéfice du paragraphe final de l'article 10 de la loi.
Donc vos craintes, messieurs, ou plutôt vos accusations sont souverainement injustes, elles tombent à faux ; nos honorables prédécesseurs ont appliqué la loi avec une très grande modération qui, loin de mériter les reproches de la droite, mériterait bien plutôt son approbation.
Messieurs, nous avons indiqué le moyen qu'ont les frères et les sœurs de se mettre dans le droit commun. Que les uns et les autres subissent un examen et prennent un diplôme, il faudra bien alors les admettre.
Mais que nous répondez-vous ? Que les statuts des corporations religieuses s'opposent à ce qu'elles se soumettent aux prescriptions de la loi de 1842. C'est une très singulière prétention. Comment ! nous avons le bonheur d'être un pays indépendant, de nous appartenir ; nous avons une excellente Constitution ; nous faisons, les lois qui nous conviennent ; et parce que des corporations religieuses viendraient déclarer que leurs statuts rendent notre législation incompatible avec leurs règles, c'est nous qui devrions modifier nos lois ! Mais c'est une prétention exorbitante, et je suis étonné de la voir se produire dans un parlement belge, en 1862.
M. B. Dumortier. - Personne n'a soutenu cette prétention, et je proteste au nom de tous mes honorables amis.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si vous n'avez pas cette prétention, tant mieux. J'en prends acte pour l'avenir.
Je dis que si les corporations religieuses voulaient y mettre de la bonne volonté, elles devraient modifier leurs statuts. Je ne pense pas que ces statuts soient descendus d'en haut et que personne ne puisse y porter la main sans commettre un sacrilège ; il me semble que les supérieurs des corporations religieuses pourraient modifier leurs statuts de manière à les mettre en harmonie avec nos lois, et faciliter ainsi l'exécution de la loi de 1842. Cela nous épargnerait les graves discussions comme celles que nous avons en ce moment.
Je vais vous dire pourquoi on ne modifie pas les statuts ; parce qu'en ne les modifiant pas, on a un grief. Puis, en général, les membres des corporations religieuses ne consentent pas à être instituteurs communaux ; ils veulent rester exclusivement soumis à l'action de leurs supérieurs, sous tous les rapports ; en un mot, ils veulent jouir de tous les avantages, sans se soumettre aux charges que la loi peut leur imposer.
Messieurs, permettez-moi de vous le dire, cette liberté qu'on leur laisse n'est pas toujours sans danger. Cette liberté c'est l'irresponsabilité, et de l'irresponsabilité à l'impunité il n'y a souvent qu'un pas. Tel instituteur, placé dans telle commune et y remplissant ses fonctions à la satisfaction générale de la commune, est déplacé, on ne sait pourquoi, et la commune n'a rien à y dire.
Si cet instituteur était soupçonné d'une indélicatesse quelconque, il serait soustrait à l'action publique, on ne sait pas où il est, ce qu'il est devenu et souvent même, vous le savez, en quittant l'institution il quitte son nom.
Messieurs, j'ai pour ainsi dire fini ; il me reste seulement à répondre quelques mots à des questions posées par l'honorable M. Dechamps.
L'honorable M. Dechamps m'a prié de lui dire ce que je pensais de la loi de 1850 qui autorise les communes à patronner des collèges communaux. Il m'a demandé pourquoi, sous le régime de la loi de 1842, on n'autoriserait pas la commune à adopter des écoles dans les mêmes conditions.
Mais, messieurs, il n'y a pas de comparaison à faire entre les deux catégories d'établissements.
Je réponds à la question par la question même. Les communes peuvent patronner des collèges communaux parce que la loi de 1850 le leur permet, et les communes ne peuvent pas, dans les mêmes conditions, adopter des écoles parce que la loi de 1842 ne leur donne pas cette faculté.
Il y a, pour l'enseignement moyen, une autorisation formelle inscrite dans la loi de 1850, et il y a, pour l'enseignement primaire, une défense formelle inscrite dans la loi de 1842.
D'ailleurs, la loi de 1842 porte clairement que toutes les communes doivent avoir une école communale, mais aucune disposition de la loi de 1850 ne porte qu'elles doivent avoir un collège.
On dit, dans la loi de 1842 : Vous pouvez moyennant telle ou telle convention adopter des écoles, comme on dit dans la loi de 1850 :Vous pouvez patronner un collège, lui donner le local et lui donner des subsides même sur les fonds du budget.
La loi de 1850, l'honorable M. Dechamps l'a reconnu lui-même, est sous ce rapport beaucoup plus large que la loi de 1842. L'honorable membre et ceux qui l'ont précédé à cette tribune, ont affirmé que les écoles adoptées et leur personnel présentent administrativement, sous le rapport de l'instruction, autant de garanties que les écoles communales.
Cela est possible ; j'admets que beaucoup d'instituteurs adoptés sont aussi honorables que les instituteurs communaux ; j'admets qu'ils sont instruits, mais je dis qu'au point de vue de la légalité, les garanties ne sont pas les mêmes. L'autorité civile n'a pas la nomination ; elle ne peut sévir par voie de suspension, elle n'a pas le droit de révocation.
Vous préférez avoir des écoles adoptées. Mais vous pouvez avoir de mauvais instituteurs.
.M. Dechamps. - Vous avez le retrait.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Mais s'il faut retirer alors l'autorisation, où est la stabilité ? L'école adoptée ne présente plus de garanties sous ce rapport.
Sous le rapport de l'enseignement, je le reconnais, les écoles adoptées se soumettent aujourd'hui au programme ; mais autrefois on faisait les plus grandes difficultés. Il y a eu, les dossiers le constatent, des luttes fort longues en ce qui concerne les livres.
(page 873) Des corporations religieuses, qui n'ont pas leur siège en Belgique, prétendaient substituer, en Belgique, à l’enseignement de l'histoire du pays, l'enseignement de l'histoire de France.
Elles prétendaient se servir exclusivement de livres approuvés par leurs supérieurs.
.M. Dechamps. - Cela n'existe plus.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je dis que cela a existé. Je dis que les institutions adoptées ne présentent pas les mêmes garanties, et j'en ai donné des preuves. Il est possible que l'on se corrige aujourd'hui.
Au point de vue du personnel même, les garanties sont-elles identiques ?
Mais parmi les corporations qui viennent enseigner en Belgique, il en est un grand nombre qui n'ont pas leur siège principal dans le pays, dont les supérieurs et les maisons-mères sont établies à l'étranger.
Un grand nombre des religieux qu'on envoie dans le pays ne sont pas Belges.
Ce sont souvent des personnes sur lesquelles on ne possède aucun renseignement, qui voyagent d'une école à l'autre.
Ne peut-on pas dire que, sous ce rapport, il y a plus de garanties dans l'école instituée par la commune et par le gouvernement, qui est dirigée par des gens nés dans le pays, pénétrés des sentiments nationaux, que par des personnes étrangères, quelque honorables qu'elles soient ?
En terminant cette discussion déjà fort longue, je vous dirai : Soyons francs. Dites-nous franchement, et loyalement ce que vous voulez.
Nous pouvons, messieurs, différer sur l'appréciation, sur l'interprétation de telle ou telle question, mais entre adversaires loyaux, qui s'estiment, je crois que les explications doivent être franches.
Pourquoi avez-vous ouvert ce grand débat, qui a prouvé, je le crois du moins, que le gouvernement ne proscrit pas l'enseignement religieux, ni les religieux eux-mêmes ?
Pourquoi donc des discussions si longues, si animées ?
Mais, messieurs, déjà l'honorable M. Orts a en partie soulevé le voile qui couvre vos intentions.
Je vous demanderai : Est-ce pour l'école de la Bouverie, est-ce pour l'école de Sivry, est-ce pour l'école de Cuesmes, que vous faites toutes ces grandes discussions ? Evidemment non !
Il y a d'autres motifs ; et ces motifs, les voici :
Vous avez fait prudemment, sagement, d'après vous, une loi, et vous croyiez pouvoir l'appliquer pieusement.
Vous avez pensé qu'à l'abri de cette loi, vous pourriez accomplir l'œuvre commencée, et que vous avez continuée de 1842 à 1847 ; mais aujourd'hui, à votre grand désappointement, vous reconnaissez que le pays ne veut pas de vos interprétations.
.M. Dechamps. - Les communes en veulent.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Vous vous plaignez parce que vous reconnaissez qu'un grand nombre de communes préfèrent l'école communale à l'école des frères. Voilà pourquoi vous vous plaignez.
M. de Moor. - Ce n'est pas autre chose.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Vous dites à tort que le gouvernement n'autorise pas les personnes non diplômées à enseigner ; mais au fond, vous vous plaignez parce que vous voyez préférer les élèves de nos écoles normales à ceux qui n'ont pas reçu de diplôme.
Voilà le motif secret, et que vous n'oseriez pas avouer, de cette grande discussion.
Que voulez-vous, et que voulons-nous ? Nous voulons appliquer sainement la loi, franchement, loyalement, je dirai même avec modération. Vous savez que nous faisons ainsi. Mais vous, vous voulez établir en faveur de quelques-uns un privilège, parce que les personnes à qui vous voulez donner un privilège sont dans une position particulière ; vous voulez, parce que l'on porte une certaine robe, parce qu'on a un certain caractère, qu'on puisse jouir des mêmes avantages sans être soumis aux mêmes charges que les autres citoyens ; vous voulez que les religieux sans diplôme puissent venir s'établir partout comme le laïque qui a son diplôme ; vous voulez qu'on donne la même subvention à celui qui n'a pas les charges légales et à celui qui se soumet à toutes celles imposées par la loi.
Vous voulez que les écoles des corporations restent libres et que ceux qui les dirigent ne deviennent pas même des instituteurs communaux, parce qu'alors ils seraient soumis à l'action de l'autorité. Voilà ce que vous voulez et voilà ce que nous ne voulons pas, ce que, pour ma part, je ne voudrai jamais.
Maintenant, je comprends vos efforts et vos désirs, je partagerais peut-être vos craintes si l'enseignement religieux n'était pas convenablement donné dans les écoles publiques. Mais, tous les jours, vous l'avez constaté vous-mêmes, nous recevons de la part des autorités ecclésiastiques les témoignages les plus flatteurs et qui attestent que l'instruction religieuse est donnée par des instituteurs laïques avec soin et régularité.
Depuis dix ans il n'y a guère eu annuellement qu'un ou deux conflits, vous l'avez reconnu aussi. Eh bien, que craignez-vous donc ? Si la loi était mauvaise à votre point de vue, vous pourriez en demander la révision ; mais puisqu'elle est bonne, de votre propre aveu, puisqu'elle fonctionne régulièrement, puisque les chefs du clergé ne se plaignent pas, au nom du ciel, de quoi vous plaignez-vous ? (Interruption.)
Enfin, messieurs, cette discussion je la regrette, mais non point pour nous ; je la regrette pour vous.
M. B. Dumortier. - Vous êtes bien bon !
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Oui, je suis bien bon ; mais c'est comme cela. Encore une fois, je regrette pour vous cette discussion. Vous vous croyez déjà en possession du pouvoir, et dès aujourd'hui vous présentez votre programme. Vous venez dire au pays : « Si, quelque jour, nous revenons au pouvoir, voilà les principes que nous appliquerons. ». Ce sont des jalons que vous posez en ce moment.
Eh bien, je le regrette pour vous parce que, en présence de la proclamation de pareils principes, le pays comprendra le danger qu'il y aurait à inaugurer une telle politique. Je le regrette encore pour vous, parce que la loi de 1842 est votre œuvre et que ce que vous faites depuis deux ou trois joins, tend à détruire autant que possible la loi de 1842. Vous fournissez, par vos paroles, par vos discussions, plus d'armes à ceux qui veulent la révision de la loi de 1842, que n'ont pu leur en fournir toutes écrivains politiques ou autres qui ont traité cette question, en Belgique, depuis un certain nombre d'années.
(page 822) M. B. Dumortier. - Oui, messieurs, un monde nous sépare du ministère et de sa politique, dans la question qui nous occupe. Un monde nous sépare, car nous, parti conservateur, nous voulons la liberté ; vous, messieurs, vous voulez l'anéantissement de la liberté. (Interruption.) Nous voulons la liberté communale, l'instruction primaire communale ; vous voulez, vous, créer un vaste système gouvernemental qui annihile et qui réduise à rien l'action communale. Nous voulons l'exécution de la loi d'instruction primaire conformément à son texte et aux discussions qui en ont accompagné le vote ; vous voulez, vous, violer ce texte, lui faire dire ce qu'il ne dit pas, refaire la loi par des circulaires. Voilà la différence qu'il y a entre nous. La distance qui nous sépare est énorme et, certes, le pays peut aisément la comprendre. Le pays saura alors de quel côté sont les véritables défenseurs de ses intérêts, les défenseurs de la liberté.
Aussi, voyez dans quelle contradiction est tombé M. le ministre de l'intérieur qui vient de parler. Il commence par prétendre que les communes n'ont de droits que ceux que leur accorde la loi ; il commence par prétendre que le gouvernement a le droit d'empêcher les communes de prendre les mesures que l'intérêt des habitants réclame, de forcer les communes à prendre des mesures dont elles ne veulent pas, qui sont contraires à leurs intérêts, à la conscience de leurs habitants ; et après une pareille déclaration, il n'hésite pas à ajouter que le pays ne veut pas de notre interprétation ; qu'il condamne notre système, alors que c'est ce système que les communes réclament de toute part, parce que, seul, il respecte leur liberté.
Voyez les faits, voyez les réclamations qui nous arrivent tous les jours ; j'irai plus loin : voyez ce que disait l'honorable M. A. Vandenpeereboom lui-même dans la discussion du rapport sur l'affaire de la commune de Cappellen avant qu'il fût ministre de l'intérieur :
Le système qu'il défendait alors est exactement celui que nous soutenons aujourd'hui et qu'il soutiendrait encore avec nous s'il n'était pas au ministère, tandis qu'aujourd'hui il vient combattre, comme ministre, la thèse qu'il soutenait alors qu'il siégeait sur nos bancs. 0 palinodie pour arriver au pouvoir !
Combinez tout cela et vous verrez que ce qui nous sépare, c'est que nous voulons, nous, la liberté, vous le despotisme pour vous et l'asservissement des communes.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je n'ai fait aucun rapport sur l'affaire de Cappellen.
M. B. Dumortier. - Ce détail est sans signification, mais ce que je sais et ce que j'affirme, c'est que, dans la discussion du rapport sur la pétition de la commune de Cappellen, vous avez défendu avec énergie les droits de cette commune méconnus par le gouvernement, et qu'aujourd'hui que vous êtes ministre, vous venez soutenir, en matière de liberté communale, le système diamétralement opposé à celui que vous souteniez comme député. (Interruption.)
Avez-vous, oui ou non, soutenu la liberté de la commune dans cette affaire ? Vous avez soutenu que la commune était libre, et aujourd'hui vous soutenez la thèse inverse.
Votre discours aujourd'hui est le démenti le plus flagrant, le plus accablant des nobles paroles que vous avez prononcées alors que vous siégiez sur ces bancs comme simple député.
La différence qu'il y a entre nous consiste donc en ce que nous sommes restés fidèles au principe que professait il y a quelques années M. le ministre de l'intérieur actuel ; tandis qu'aujourd'hui, devenu ministre, il ne craint pas de professer des principes diamétralement opposés à ceux qu'il professait comme député.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - C'est une erreur complète.
M. B. Dumortier. - Toute la question qui s'agite dans ces débats se réduit, messieurs, à des termes bien simples. Par des mesures qui ne datent que de deux à trois ans, qui ne remontent guère qu'à 1859, le gouvernement tend à supprimer l'école adoptée ; il ne veut considérer cette école que comme un auxiliaire qui ne peut pas être employé si l'on peut le remplacer au moyen d'une dépense moindre.
En second lieu, il dénie à la commune le droit d'accorder des subsides sur la caisse communale à une école quelconque qui n'est point adoptée ; c'est-à-dire qu'il dénie le droit qu'a la commune de disposer des deniers communaux dans l'intérêt de la commune.
En troisième lieu, il crée un vaste système d'interprétation qui tend à rendre impossible, veuillez bien le remarquer, l’éducation des filles par des congrégations ou communautés religieuses, comme on en voit s'établir, à la demande des autorités communales, dans la plupart des communes du pays.
Messieurs, je le dirai sans détour, c'est surtout ce dernier point qui nous préoccupe, parce que là est le mal et que ce n'est pas d'aujourd'hui qu'il se manifeste clairement.
Avec votre système, je vous le démontrerai, la création de toutes les petites écoles de filles par des religieuses, création que chaque commune considère comme un grand bienfait, que chaque commune réclame, cette création deviendrait désormais impossible, parce qu'il n'en est pas une seule qui pourrait tenir avec votre système, s'il était admis.
Je veux m'exprimer ici avec une entière franchise et je dirai nettement au gouvernement que là est notre crainte, parce que nous voyons que ce sont ces écolos de filles que le gouvernement veut supprimer partout et que tout son système d'interprétation de la loi d'instruction primaire a principalement pour but de créer des impossibilités à l'existence de ces institutions subsidiées par la commune.
On nous dit : Mais comment se fait-il que ces craintes ne se soient pas manifestées plus tôt ? Mais, messieurs, la raison en est simple : c'est que le système nouveau est de date récente et que ce n'est que depuis peu de temps que nous connaissons le but que vous voulez attendre par votre interprétation, interprétation qui est diamétralement opposée à celle qui a été suivie depuis la loi de 1842.
Votre système, messieurs, tend à supprimer partout l'école privée pour la remplacer par l'école communale ; il tend, en second lieu, à supprimer les subsides que la loi autorise la commune à accorder aux institutions d'enseignement qui rendent des services aux habitants et à dire que la collation de semblables subsides est un acte illégal de la part de la commune ; enfin ce système aurait pour résultat infaillible, inévitable, de rendre impossible la création des écoles religieuses de filles, établies à la demande de la plupart des administrations communales, et dont la suppression occasionnerait un grand préjudice à nos communes du plat pays.
Voilà ce qui nous sépare : nous voulons que l'école adoptée reste une vérité, qu'elle soit aujourd'hui ce qu'elle était en 1842 ; nous voulons que la commune soit libre de fonder elle-même une école ou d'adopter une école privée.
Nous voulons, comme cela a eu lieu jusqu'en 1859, nous voulons que la commune ait le droit d'accorder des subsides à une institution qui rend des services à ses habitants ; et nous voulons que le système du gouvernement, en ce qui concerne l'éducation des filles, ne vienne pas entraver, rendre impossible la création de ces petites communautés religieuses qui, dans nos communes, sont si nécessaires aux personnes du sexe.
Nous voulons, en un mot, et c'est là surtout ce qui nous sépare du gouvernement, que le vœu du père de famille compte pour quelque chose dans l'organisation de l'instruction publique, que le vœu des pères de famille soit aujourd'hui comme en 1842 le point de départ, le mobile et le but de l'action communale, tandis que vous voulez faire violence au vœu du père de famille, n'en tenir aucun compte.
La différence entre vous et nous, c'est le vœu du père de famille que nous voulons voir respecter, c'est le vœu du père de famille que vous voulez fouler aux pieds et soumettre à votre gouvernement despotique. Ce qui, avant tout, doit exister en Belgique, ce qui doit sortir de la loi c'est le respect du vœu du père de famille dans l'éducation des enfants de (page 823) la commune, le respect de la volonté communale, quand elle représente la volonté du père de famille.
Co qui existe dans le gouvernement, c’est la résolution où vous êtes de broyer la volonté du père de famille, de n'en tenir aucun compte. Un pareil système se comprendrait eu Turquie, il serait très bien en Egypte, mais dans la libre Belgique il ne peut pas être accepté par les populations ; aussi, loin de déplorer cette discussion, je m'en félicite ; le système du gouvernement sera bien connu et ceux qui n'en veulent pas verront ce qu'il ont à faire pour que l'exécution de la loi de 1842 ait lieu dans l'esprit dans lequel elle a été faite.
M. le ministre a commencé par poser un principe que je ne puis assez combattre. Suivant lui, les communes n'ont d'autres droits que ceux qui leur tout conférés par la loi.
Je proteste contre un pareil principe qui est éminemment inconstitutionnel en Belgique. (Interruption.)
Il me paraît qu'il y a sur ces bancs des personnes qui n'ont jamais lu la Constitution.
M. le ministre de l'intérieur, a demandé de citer un texte de loi qui autorise la commune à faire autre chose que ce que les lois l'autorisent de faire ; je vais lui répondre.
L'article 31 de la constitution porte que les intérêts communaux sont réglés par les conseils communaux, et l'article 73 de la loi communale porte que le conseil règle tous ce qui est d'intérêt communal. Ainsi, tout ce qui est d'intérêt communal appartient au conseil communal.
Ce n'est pas tout ; l’article 108 de la Constitution porte ; Les institutions provinciales et communales sont réglées par des lois ; ces lois consacrent l'application des principes suivants :
2° L'attribution aux conseils provinciaux et communaux de tout ce qui est d'intérêt provincial et communal sans préjudice de l'approbation de leurs actes dans les cas et suivant le mode que la loi détermine. (Interruption.)
Je suis révolté d'entendre contester, par des gens qui s'intitulent libéraux, et la constitution, et la première de nos libertés, la liberté communale. C'est la liberté de la commune qui excite vos rires inconvenants ; je suis indigné de voir rire quand je lis un article de la Constitution, qui consacre cette liberté si chère au peuple belge.
M. Devaux. - Vous défigurez la constitution !
M. B. Dumortier. - Je n'ai fait que la lire, et sa simple lecture irrite vos passions. Vous le voyez, quand on lit la constitution, vous trouvez qu'on la défigure, parce qu'elle n'est pas en harmonie avec vos passions despotiques et que vous n'en voulez plus. Voilà bien le libéralisme et son prétendu amour de nos institutions !
Que porte la constitution ? Je répète : L'attribution aux conseils provinciaux et communaux de tout ce qui est d'intérêt provincial et communal sans préjudice de l'application de leurs actes dans les cas et suivant le mode que la loi détermine.
. Ainsi tout ce qui est d'intérêt communal appartient à la commune, les articles 108 et 31 le disent de la manière la plus formelle.
Ce n'est pas tout ; la loi communale porte que tout ce qui est d'intérêt communal est réglé par le conseil communal. La loi communale et la constitution attribuent à la commune tout ce qui est d'intérêt communal.
C'est le principe fondamental de la liberté de la commune et ce droit vous ne pouvez pas le lui enlever par une loi. Nierez-vous que l'instruction donnée aux pauvres est un intérêt communal ? Vous n'oseriez le soutenir, car la loi communale et celle d'instruction primaire portent que c'est là un intérêt communal.
Par conséquent quand l'intérêt de la commune l'exige, elle peut faire ce qu'elle veut, bien entendu après avoir suivi, quant aux obligations, les prescriptions de la loi.
Tout à l'heure nous allons voir quelles sont ces prescriptions de la loi, nous verrons si elles sont ce que vous dites.
M, le ministre est venu parler de la loi communale, il a cité l'article relatif aux dépenses obligatoires ; s'il avait voulu voir l'esprit de la loi, il aurait été voir ce qu'elle dit au sujet des instituteurs primaires, il aurait lu le passage du rapport sur la loi communale qui est relatif aux nominations d'instituteurs faites par le conseil ; l'article 84 de la loi communale stipule que le conseil nomme les instituteurs attachés aux établissements communaux d'instruction publique.
En examinant l'exposé des motifs, vous verrez dans quel esprit de liberté et de décentralisation était conçu le projet de loi communale d'après la section centrale, C'est que nous tenions alors non seulement aux libertés communales, mais aussi aux libertés des citoyens et à leur indépendance. Les développements portent ce qui suit ;
« Au moyen de la rédaction, le conseil aurait la nomination des instituteurs qu'il salarie. Nous avons pensé, avec la sixième section, que ce paragraphe ne devait s'entendre que de ceux attachés aux établissements communaux d'instruction publique, mais que la collation d'un simple subside ne devait pas entraîner le droit de nomination et de révocation qui en est la suite. »
C'est bien là la consécration du principe de liberté à la commune par l'emploi de ses subsides et en même temps de liberté de ceux à qui ils sont alloués.
Je vois là deux choses : d'abord que la collation d'un subside n'emporte pas le droit de nomination, en second lieu que l'allocation d'un subside est autorisée par la loi. Voilà comment en 1834 nous entendions la liberté. En vertu de ces principes de liberté communale, quand la loi de 1842 a été faite, un grand nombre de communes de la Belgique avaient des établissements qu'elles subsidiaient. Ne croyez pas que la Belgique était sans instruction primaire quand la loi de 1842 a été portée ; des institutions avaient été fondées par les soins de la liberté ; dans chaque commune il existait une école fondée par la liberté (interruption) dans toutes les communes, peut-être sans en excepter une seule.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous êtes dans l'erreur.
M. B. Dumortier. - Est-ce que vous dormiez alors ou bien n'étiez-vous pas né ? Ignorez-vous que dans toutes les communes les clercs tenaient des écoles qui sont pour la plupart vos écoles actuelles ?
Dans chaque commune il y avait une institution fondée par la liberté, et la commune intervenait presque toujours, pour l'instruction de vos enfants pauvres, par des subsides. En 1842, parce qu'on vivait sous le régime de la liberté entière, des écoles normales avaient été fondées par les évêques dans chaque diocèse, et ceci vient répondre à une objection présentée hier par l'honorable M. Orts, lorsqu'il vous énumérait ses prétendus griefs contre l'opinion conservatrice au sujet de la manière dont la loi avait été exécutée.
L'honorable M. Orts vous disait : On a organisé les écoles normales épiscopales longtemps avant les écoles du gouvernement. Je le crois bien ; elles étaient organisées avant la loi. Comment auriez-vous voulu que le gouvernement organisât ses écoles, normales avant celles de l'épiscopat, lorsque celles-ci préexistaient à la loi ?
il y avait donc une organisation complète ; au moyen de cette organisation complète l’enseignement se donnait dans toute la Belgique comme jamais il n'avait été donné sous le gouvernement précédent, sous le gouvernement hollandais. Cet enseignement dû à la liberté faisait l'admiration de l'étranger.
On a souvent parlé de la transaction qui a été faite. Quel a été l'objet de la grande transaction de 1842 ? C'est que le clergé a abandonné au gouvernement toutes les écoles libres qu'il avait créées, qu'il avait fondées dans chaque village du pays, et ces écoles sont devenues des écoles communales, des écoles gouvernementales.
Là a été la grande transaction. Le clergé était libre de ne pas l'accepter ; et s'il ne l'avait pas acceptée, auriez-vous été fonder dans chacune des 2,500 communes de la Belgique une école en concurrence avec celle qui y était ? Je dis que vous ne l’eussiez pas fait, et si vous l'aviez tenté, vous auriez misérablement échoué dans presque toutes les communes de la Belgique.
Mais, nous dit l'honorable M. Muller, vous parlez de liberté communale, et l'honorable M. Nothomb a supprimé l'école normale de Liège.
Eh bien, M. le ministre a déjà répondu qu'il croyait que c'était dans les droits du gouvernement, et la raison en est extrêmement simple. Que l'honorable M. Millier veuille ouvrir la constitution et il verra qu'en vertu de la Constitution, le conseil communal a le droit de gérer les intérêts de la commune, mais qu'il n'a pas le droit d'établir des institutions gouvernementales.
Si l'école normale de Liège avait été établie uniquement pour les besoins de la ville de Liège, celle-ci pouvait la maintenir. Mais si elle entendait imposer ses instituteurs normaux à toute la Belgique, Je conseil communal sortait de ses attributions en posant un acte qui n'est pas d'intérêt communal, il devenait un parlement au petit pied qui voulait faire la loi et se poser en législateur.
M. Muller. - Le conseil communal de Liège et la province avaient fondé cette école, le premier pour avoir des instituteurs à lui, et la province pour avoir des instituteurs à elle, et l'on a dénié ce droit à la province et à la commune,
M. B. Dumortier. - Je dis qu'aucune commune ne peut établir des institutions du gouvernement en donnant à ses instituteurs toutes les facultés, toutes les qualités que le gouvernement doit exiger. S'il en était ainsi, ce serait la suppression du gouvernement parlementaire, et (page 824) alors ce serait l'anarchie, parce que ce serait la commune qui ferait la loi. Je suis plus partisan qu'aucun autre de la liberté communale ; j'en ai, Dieu merci, fourni assez de preuves ; mais j'entends la liberté communale en ce sens que chacun doit rester dans le cercle de ses attributions, et la commune la première.
Messieurs, je ne comprends pas le système que le gouvernement met toujours en avant, d'écoles primaires principales et d'écoles primaires accessoires. J'ai déjà combattu cette idée en répondant au ministre de l'intérieur et j'en ai démontré l'inanité. Vous trouvez que cela est dans la loi, vous le soutenez.
Mais il n'y a pas un mot de cela dans la loi, c'est une pure invention de votre cerveau.
Cependant, je veux bien vous faire pour un instant cette concession. Eh bien, oui, les écoles fondées sont des écoles principales et les écoles adoptées sont des écoles secondaires, des écoles accessoires.
Je le veux bien. Mais répondez, la loi a-t-elle autorisé la commune à prendre à son choix l'une ou l'autre ? Là est toute la question.
Que toutes les écoles annexées soient à votre gré des écoles accessoires, peu importe. La loi autorise la commune à choisir ses écoles, et dans l'autorisation qu'elle donne à la commune, elle place l'école adoptée précisément sur le même pied que l'école créée. C'est là un fait que vous ne pouvez contester. Dès lors, à quoi sert cette distinction subtile entre les écoles principales et les écoles accessoires, lorsque la loi autorise la commune à faire son choix comme elle l'entend ? Or, cette autorisation d'adopter une école est la première chose que vous contestez. Vous voulez forcer les communes à prendre des mesures qui n'ont pas été votées et que vous créez vous-mêmes, en supprimant en fait l'adoption. Pour cela vous interprétez les articles de la loi contrairement à leur sens propre, vous en rendez l'exécution impossible.
Je citerai un seul exemple. Vous voulez appliquer la loi à l'instruction des filles.
C'est un premier acte très grave. J'ajouterai que c'est un acte qui n'est pas constitutionnel. La Constitution est formelle ; elle porte que tout ce qui concerne l'instruction publique donnée aux frais de l'Etat, doit être réglé par la loi.
Or, dans la loi de 1842, il n'y a pas un mot qui vous autorise à organiser par des arrêtés royaux l'instruction des filles. La loi de 1842 est faite uniquement pour l'instruction des garçons et pour les instituteurs. Les mots d'institutrice, d'écoles de filles, ne s'y trouve même pas et dans les matières d'enseignement, on ne parle pas, par exemple, des travaux d'aiguille qui sont, pour l'instruction des filles, une des matières essentielles. Il n'est pas parlé de couture et choses semblables dont la loi aurait parlé dans les matières d'enseignement, s'il avait été question de l'éducation des filles. La loi ne vous donne donc pas le droit de créer une hiérarchie d'enseignement des filles comme vous le faites. Je sais que vos prédécesseurs ont posé quelques actes dans ce genre, je ne mets ici personne en accusation, mais je dis que la constitution est violée, qu'elle est formelle et qu'elle ne permet pas la création d'une hiérarchie d'enseignement sans une loi.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Tout le monde l'a fait, l'honorable M. Nothomb lui-même et l'honorable M. de Theux.
M. B. Dumortier. - A titre d'essai et rien de plus. Lorsque la question a été soulevée, en 1842, par l'honorable M. Rogier, je me suis énergiquement élevé contre cette disposition, et la chambre n'a rien résolu sur ce point. Je sais que les ministères qui se sont succédé ont pris quelques mesures d'essai. Mais vous ne pouvez contester que la constitution exige que toute mesure relative à l'instruction donnée aux frais de l'Etat, soit réglée par une loi, et qu'en créant une hiérarchie d'instruction des filles, il y a flagrante violation de la constitution, puisque le ministre fait par circulaire ce qu'il ne peut faire que par une loi. Soutiendrez-vous que la loi de 1842 a réglé ce qui concerne l'instruction des filles ? Evidemment, non.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est la question.
M. B. Dumortier. - Cela est insoutenable ; pas un article de la loi ne se rapporte à l'instruction des filles. Ainsi, vos prédécesseurs ont pu prendre des mesures à titre d'essai, des mesures provisoires ; mais jamais, à aucune époque, un ministre a prétendu que la loi fût applicable à l'instruction des filles. Et voulez-vous que je vous prouve que cela est impossible ? Vous faites, contrairement à la loi, une mesure sacramentelle des conférences, et vous voulez appliquer cela à l'instruction des filles. Ainsi quand vous avez des jeunes personnes établies dans les communes d'un canton qui compte 25 ou 30 villages, vous les ferez venir quatre fois par an, pendant quelques jours, au cabaret, au chef-lieu du canton pour ces conférences ; s'il y a des religieuses, vous les ferez quitter leur couvent tous les trois mois, venir au chef-lieu de canton au cabaret pour assister à des conférences. Cela est impossible, et cela vous démontre que votre loi ne peut s'appliquer aux filles. Ce serait évidemment dénaturer le caractère de la femme, méconnaître ce que l'on doit à sa dignité, à sa pudeur.
Quant à l'école adoptée, M. le ministre confond toujours ici deux choses distinctes pour entraver la liberté communale dans la faculté que lui donne la loi de satisfaire aux obligations qu'elle lui impose. Il confond la subvention avec les minervals qui sont tout autre chose ; les minervals sont une rémunération accordée au professeur par chaque élève ou à raison de chaque élève et par-là variable, la subvention est une somme fixe et vous venez de voir que déjà en 1836, c'est-à-dire bien avant la loi de 1842, il y avait des subventions accordées à un grand nombre d'écoles. Aujourd'hui on dénie à la commune le droit d'accorder des subventions à des instituteurs qui rendent des services signalés à la société. Je considère cela comme une atteinte des plus graves et à la loi sur l'instruction et à la liberté communale.
On a parlé des institutions religieuses, et notamment des frères des écoles chrétiennes. Eh bien, messieurs, la loi se borne à régler l'enseignement des enfants pauvres. Mais à côté des pauvres à qui vous devez l'instruction, il est dans les villes une classe de la société qui réclame, à juste titre, les services de l'autorité communale, c'est la petite bourgeoisie, qui vit souvent de privations et de misère, et n'a pas le moyen de donner l'instruction à ses enfants, mais qui a l'âme trop grande pour envoyer ses enfants à l'école des pauvres. C'est principalement pour cette classe que les frères des écoles chrétiennes sont établis, et quand la commune accorde à ces écoles un subside en vue de la petite bourgeoisie, afin de donner à celle-ci une instruction gratuite qu'elle accepte, elle pose un acte éminemment paternel, un acte qui est tout en faveur de la petite bourgeoisie.
Je dis que quand la commune peut subsidier les théâtres, créés pour le plaisir des grands, elle a bien le droit de faire quelque chose pour la classe intéressante dont je viens de parler et dans laquelle la société tout entière vient se recruter.
Si vous supprimez les subsides accordés à l'institution des frères des écoles chrétiennes, il devient impossible que la commune vienne en aide à la petite bourgeoisie, dont les souffrances et les douleurs méritent tant d'intérêt. Il n'y a rien au monde de plus triste que la position de cette petite bourgeoisie de nos villes, qui n'a pas le moyen de payer largement l'instruction de ses enfants et qui a trop de fierté dans le caractère, trop de noblesse, dans le cœur pour les mettre à côté des enfants de mendiants.
Voilà, messieurs, une considération très grave que nous avions en vue lorsque nous avons fait la loi de 1842. Nous avons voulu laisser à la commune le droit de subsidier les écoles privées, et c'est pour cela que nous avons introduit dans la loi des conditions tout à fait différentes de celles que l'on veut poser aujourd'hui.
Ces subsides accordés par la commune dans l'intérêt des habitants, c'est là ce que le ministère attaque, ce qu'il menace, dans son action despotique, de supprimer d'office des budgets communaux, déniant à la commune le droit de régler un des intérêts communaux les plus importants que la constitution lui confie. Ainsi, par esprit de parti, on trouvera que la commune de Bruxelles a le droit de porter à son budget un subside annuel de quarante mille francs pour l'université libérale, de lui fournir un local et un mobilier, mais on déniera ce droit s'il s'agit des frères des écoles chrétiennes ou des petites sœurs de village.
M. le ministre de l'intérieur est venu nous parler tout à l'heure des conditions de l'adoption.
Pour lui ces conditions sont très nombreuses ; il a indiqué le diplôme, l'examen, les conférences, l'inspection, etc. Eh bien, messieurs, la loi est formelle, et n'exige qu'une seule condition, une seule, c'est l'inspection.
L'article 26 est formel, l'inspection est la seule et unique condition de l'allocation d'un subside.
En voulez-vous la preuve ? Ecoutez ce que disait l'auteur de la loi !
« Si, disait M. Nothomb, si les écoles libres reçoivent des subsides, soit de l'Etat, soit de la province, soit de la commune, dès lors elles tombent sous l'application de la loi.
« Je saisis cette occasion, disait-il encore, démontrer un côté de notre fameux article 21 (article 26 de la loi)... Cet article ne s'applique pas seulement aux écoles communales proprement dites ; il s'applique à toutes les écoles communales ou privées, laïques ou religieuses, recevant une subvention ; de sorte qu'il sera appliqué aux frères qui reçoivent un subside de l'Etat. »
Tout ce que le ministère demandait donc des frères était ce que veut l'article 26, l'inspection.
(page 825) Vous voyez, messieurs, combien ce principe est large dans le sens des libertés communales : une subvention peut être accordée par la commune ou le bureau de bienfaisance à tout établissement d'instruction primaire, mais par-là celui-ci se soumet à l'inspection.
Répondant à M. Verhaegen qui combattait l'article 2, M. Nothomb s'exprime ainsi :
« Si un de ces établissements (privés) accepte la subvention de 6 francs pour les enfants pauvres, il cesse d'être établissement privé, et devient établissement subventionné ; telle est la force de l'article 21 (article 26 de la loi).
Il ne dit pas un établissement « agréé », il dit : Un établissement « à subvention. »
Ce qui prouve bien qu'à côté des trois catégories auxquelles M. le ministre voudrait restreindre la loi, il y avait encore les établissements à subvention en vertu de la liberté communale.
L'article 26 admet donc pour la commune la faculté la plus étendue d'accorder des subventions, faculté qui existait avant la loi de 1842, et que cette loi n'a fait que sanctionner de nouveau.
M. Devaux ayant interpellé le ministre sur la portée de l'article 2, M. Nothomb lui répond :
« J'entends parler d'une subvention payée soit par la commune, soit au nom de la commune (bureau de bienfaisance), il y a dès lors établissement subventionné et l'article 21 (article 26 de la loi) lui est applicable. »
Remarquez, messieurs, la différence qui existe entre le système ministériel actuel et le nôtre : Nous discutons, nous, la loi en mains, les débats en mains, et que fait M. le ministre ? Il interprète la loi au moyen des circulaires des ministres qui se sont succédé au pouvoir, c'est-à -dire d'actes posés par des bureaucrates. C'est la première fois depuis 1830 qu'on cherche à interpréter une loi par l'interprétation qui y a été donnée dans les bureaux du ministère qui deviendraient ainsi un pouvoir dans l'Etat. Une loi ne peut s'interpréter que par son texte et par les débats auxquels elle a donné lieu dans le parlement lors de sa confection, et il est souverainement ridicule de vouloir comme le fait le ministre, mettre l'opinion des bureaux, les circulaires, au-dessus du législateur.
Lorsque le gouvernement a voulu faire retirer le subside que la ville de Tournai accordait aux frères de la doctrine chrétienne, la ville a fait remarquer qu'en vertu de la constitution elle avait le droit de faire sous ce rapport ce qu'elle croyait utile aux habitants, et il a fallu la menace de retrait du crédit au budget communal et la haute pression du gouvernement déniant à la ville de Tournai le droit de faire en faveur des frères ce que Bruxelles fait en faveur de l'université libérale, pour que la commune arrivât à retirer elle-même le subside.
Ainsi, messieurs, l'article 26 est formel et dans son texte et dans les débats qui s'y rattachent : l'inspection est la seule et unique condition exigée par la loi pour que des subsides puissent être accordés ; toutes les autres conditions peuvent avoir un caractère d'utilité plus ou moins réel mais ce ne sont pas des conditions sacramentelles. Ainsi, par exemple, ou viendra nous dire que le diplôme, c'est-à-dire le certificat de capacité, est une condition sacramentelle, que les congrégations enseignantes doivent être diplômées, même les religieuses.
Mais cela signifie que par ce système absolu de diplômes, la constitution va être encore violée.
La constitution porte, article 18 : « L'enseignement est libre ; toute mesure préventive est interdite. » Que signifient ces mots : mesure préventive ?
Vous savez, messieurs, que sous le gouvernement hollandais la grosse question en matière d'instruction primaire était précisément la question des certificats de capacité, et un membre des Etats généraux s'étant fait l'avocat de ce système était appelé dans la correspondance entre MM. de Potter et Tielemans : « l'homme aux certificats » ou « M. Certifio. « Eh bien, messieurs, c'est contre l'obligation d'être porteur de certificats de capacité que la disposition qui interdit les mesures préventives a été insérée dans la constitution.
Et maintenant on voudrait arriver à rendre le certificat obligatoire pour tout instituteur qui reçoit un subside de la commune.
Je dis que ce serait là une flagrante inconstitutionnalité. Je conçois l'alternative que la loi a sagement créée ; elle dit : « Si l'instituteur a un certificat, la commune a le droit de le nommer, et le gouvernement n'a rien à y voir ; mais si l'instituteur n'a pas de certificat, la commune devra avoir l'agréation du gouvernement. »
Voilà un système très simple, qui rentre complètement dans la constitution, puisque le certificat de capacité n'est pas obligatoire et n'est qu'une faculté.
La commune est libre de nommer un instituteur qui n'a pas de diplôme ; et, dans ces, cas le gouvernement doit agréer. Mais rendre le certificat de capacité obligatoire pour tous les instituteurs, vous ne le pouvez pas sans violer la constitution.
Et ici, je rencontrerai encore une observation de l'honorable M. Orts, lorsqu'il appelait privilège cette position de l'instituteur non diplômé.
Je dis, moi, qu'au fond le privilège est pour l'instituteur qui a un certificat. Il est indépendant du gouvernement, tandis que celui qui n'a pas de certificat est sous sa dépendance ; singulier privilège qui consiste à avoir l'épée de Damoclès suspendue pendant toute sa vie sur sa tête.
Il suit de ce qui précède que, quand on laisse, comme dans la loi, l'alternative entre deux système, la constitution me paraît respectée, puisque la mesure n'est pas obligatoire ; mais si vous voulez, comme vous le dites, établir le certificat comme mesure absolue, comme mesure préventive, obligatoire en matière d'instruction, vous violez la Constitution.
Vous n'avez pas le droit d'établir de semblables mesures en matière d'instruction ; vous avez tellement peu ce droit, que vous ne le trouverez pas inscrit dans la loi sur l'enseignement moyen et que vous vous êtes bien gardé de l'inscrire dans la loi sur l'enseignement supérieur. En Belgique, on peut devenir professeur dans un collège ou dans une université, sans avoir un diplôme. (Interruption.)
Je voudrais bien savoir si M. Kékulé, que le gouvernement a nommé professeur à l'université de Gand, avait son certificat.
M. Devaux. - Le gouvernement lui a accordé une dispense en vertu d'une disposition de la loi sur l'enseignement supérieur. Il a une autorisation préalable.
M. B. Dumortier. - C'est précisément la même chose pour la commune ; seulement, l'autorisation, au lieu d'être préalable, est postérieure. Lorsque vous avez mis dans la loi de 1842 que pour l'instituteur non diplômé, il faudrait l'agréation du gouvernement, vous avez bien fait.
Messieurs, on a parlé des écoles qui seraient subsidiées par la commune, et le gouvernement donne à la commune le droit d'accorder des subsides aux établissements libres qui rendent des services à l'instruction primaire des habitants.
A mes yeux le point le plus important du débat auquel nous nous livrons est la question de savoir si une commune a, oui ou non, le droit d'accorder un subside à une école non adoptée qui a ses sympathies, si les pères de famille ont le droit d'allouer une subvention à cette institution.
L'honorable ministre de l'intérieur a cité une circulaire qui a été adressée par M. Nothomb à la ville de Tournai en 1844 au sujet de l'établissement des frères de la doctrine chrétienne. Mais il a ajouté que cette circulaire n'avait pas eu de suite.
Il était donc très superflu de citer une circulaire qui n'avait pas eu de suite ; car il est évident que par là même son auteur avait renoncé aux idées qu'il y avait exprimées.
Mais M. le ministre de l'intérieur s'est bien gardé de citer une circulaire de M. Nothomb, en date du 9 avril 1843, relative aux écoles privées qui reçoivent des subsides de la commune.
J'appelle l'attention de la Chambre sur cette circulaire. Voici ce qu'elle porte :
« En assurant à l'instruction primaire une dotation sur les fonds communaux, provinciaux ou de l'Etat, le législateur n'a pas voulu faire tarir les sources de tant d'autres revenus qui n'ont cessé jusqu'ici de les alimenter.
« Les citoyens, les administrations publiques, doivent se persuader que les efforts de la bienfaisance n'ont pas cessé d'être indispensables. Quelle que soit la dépense dont se charge l'Etat, jamais il ne suffira par lui seul à tous les soins de l'enseignement que demande le peuple.
« Vous aiderez donc autant qu'il sera en vous, M. le gouverneur, à la formation et au maintien des charitables institutions qui prêtent un concours si efficace à la mission civilisatrice du gouvernement. »
Ainsi, six mois à peine après la promulgation de la loi, l'auteur de cette loi, dans une circulaire aux gouverneurs, les engageait à prêter la main au maintien des institutions charitables qui se dévouent à renseignement primaire.
Or, dans quel sens la commune pouvait-elle seconder ces institutions ?
Evidemment, c'était par l'allocation des subsides qui existaient avant la loi, qui ont été continués après la loi et dont le ministère dénie aujourd'hui la faculté à la commune.
L'article 20de la loi de 1842 ne laisse aucune espèce de doute à cet égard. Que porte cet article ?
(page 826) Aucune école ne pourra obtenir ou conserver un subside ou une allocation quelconque de la commune, de la province ou de l’Etat, si l’autorité qui la dirige ne consent à la soumettre au régime d'inspection établi par la présente loi.
Ainsi, d'après le texte formel de la loi ; toute école qui se soumet au régime d'inspection peut obtenir un subside de la commune, de la province ou de l'Etat ; l'inspection est la seule mesure sacramentelle exigée par la loi, à cette fin ; les autres mesures peinent être plus ou moins utiles ; mais elles ne sont pas essentielles pour l'obtention d'un subside, et les introduire aujourd'hui comme conditions obligatoires, c'est ajouter à l'article 26, c'est refaire cet article, qui est la base de toute la loi en matière d'institutions libres.
Que disait en effet l'honorable M. Rogier lors du second vote de la loi de 1842 ? L'honorable membre croyait s'être aperçu au second vote qu'il y avait une lacune à l'article 13. Voici que disait à cette occasion l'honorable M. Rogier :
« Les écoles communales, et celles dont il est question à l'article 3 ne sont pas les seules qui soient soumises à l'inspection. Les écoles normales et toutes celles qui reçoivent un subside, y sont soumises. «
Le sens que le législateur attribuait à la loi ne peut donc faire question ; au besoin, c'est M. Rogier lui-même qui le détermine. A côté de l'école communale et de l'école adoptée, vient l'école normale et celle qui reçoit un subside, c'est-à-dire l'école subsidiée par la commune.
Voilà, messieurs, une déclaration bien claire, et c'est l'honorable M. Rogier qui l'a faite dans la loi. Vous voyez comment elle était comprise quand on discutait. Rien au monde n'est plus évident que ceci :
« Les écoles communales et celles dont il est question à l'article 3 ne sont pas les seules qui soient soumises à l'inspection ; les écoles normales et toutes celle à qui reçoivent un subside y sont soumises. »
Ainsi, dans le système de la loi, constaté par l'honorable M. Rogier lui-même, il y a des écoles recevant des subsides qui ne sont pas celles des articles 2 et 3. C'est de toute évidence. Cela résulte des paroles de l'honorable M. Rogier et de l'article 13.
Quand donc le gouvernement vient dire à la commune qu'elle n'a pas le droit d'accorder un subside à son budget, il refait la loi par circulaire, il refait la loi par ordonnance, il la viole. Mais, messieurs, et cela a surtout une gravité excessive, le jour où l'on appliquera aux écoles des filles cette loi ainsi refaite par circulaire, veuillez, je vous prie, ne pas le perdre de vue, il n'est plus possible, avec le système défendu par M. le ministre de l'intérieur, de créer une seule institution religieuse pour l'éducation des pauvres filles dans un village, car telle disposition qui peut être bonne pour les hommes ne peut être bonne pour les femmes et beaucoup moins encore pour des religieuses.
Dans les petits villages où des religieuses, appelées par les habitants, avaient fondé une école pour donner l'éducation aux enfants de la localité elles recevaient un simple subside de la commune. Elles étaient soumises à l'inspection, mais elles n'étaient pas soumises à autre chose.
Voyez combien la discussion d'aujourd'hui a une portée excessive ; si le système du ministre est admis, il est évident, que toutes ces écoles sont anéanties, que plus une seule ne peut exister, et alors vous arriverez à cette conséquence que si votre système est celui que vous considérez comme l'expression sincère de la loi, en maintenant ces écoles vous violerez de plus en plus la loi interprétée dans votre sens. D'abord il faudra des diplômes de capacité, comme si cette disposition était obligatoire, comme si des religieuses pouvaient y être astreintes. Il en est de même, messieurs, de la mesure relative aux conférences, la conférence en vertu de la loi est une mesure d'intérêt public, une meure de convenance, mais ce n'est point une mesure sacramentelle.
L'article 26 déclare dans les termes les plus formels qu’elle n'est point sacramentelle, et il est impossible de retirer un subside à une école pour le motif qu’elle n’accepte pas la conférence.
Agir de la sorte, c'est encore refaire la loi et la violer.
Comment voulez-vous exiger que les religieuses, que les jeunes institutrices d'un village, d'un canton aillent tous les trois mois pendant plusieurs jours en conférence dans un cabaret au chef-lieu de canton ? La seule pensée d'une telle mesure soulève le cœur. Et quand vous prétendez que la loi doit s'appliquer aux femmes comme aux hommes, vous-même reconnaissez que la conférence n'est pas une disposition sacramentelle de la loi. Mais ce n'est pas tout, je prends à profit la distinction établie par M. le ministre de l'intérieur. Il vous dit : Il y a deux espèces d'écoles ; il y a l'école fondée par le gouvernement et l'école libre, soit indépendante, soit autorisée.
Eh bien, messieurs, appliquez ce principe à l'inspection, et où arriverez-vous ?
L’article 14 vous dit :
« L'inspecteur cantonal réunira en conférence, sous sa direction au moins une fois par trimestre les instituteurs de son ressort ou de chaque, canton.
Et il ajoute :
« Les instituteurs libres peuvent aussi être admis à ces conférences si l'inspecteur le juge convenir. »
Donc d'après la définition que donne M. le ministre de l'intérieur lui-même, les instituteurs libres ne sont pas obligés de se rendre aux conférences. Il n'y a point d'obligation, et par conséquent les instituteurs adoptés n'y sont pas obligés. (Interruption.)
Soyez, messieurs, conséquents avec vous-mêmes.
Vous avez commencé par poser le principe, c'est le point de départ de votre système, à savoir qu'il n'y a que deux espèces d'écoles, l'école communale, et l'école subsidiée ou adoptée.
La loi porte que l'instituteur libre peut à son gré assister ou ne pas assister aux conférences, et en effet les conférences ne sont pas imposées par une disposition sacramentelle de la loi, car n'y a qu'une seule disposition sacramentelle, c'est l'inspection, dont parle l'article 26.
En tout cela, messieurs, que fait le gouvernement ? Le gouvernement avec son système est occupé à supprimer d'office les écoles adoptées.
A Tournai, oïl a retranché une école adoptée. C'est un retranchement d'office.
On va plus loin, on force les communes de créer une école payante ou des écoles des filles, alors que la loi ne les oblige ni à l'une ni à l'autre.
A Thielt, dans ce moment, le gouvernement prétend forcer la ville à établir une école payante, ce qui est contraire à la loi.
La ville refuse ; elle déclare qu'elle ne portera pas la somme au budget, et l'on refuse de sanctionner d'autres dépenses, jusqu'à ce que la ville ait porté à son budget la somme exigée. Voilà donc le gouverneur qui se substitue à la commune.
Et l'on prétend qu'on respecte la liberté communale quand on vient forcer la commune à faire une chose que la loi ne l'oblige pas de faire et dont elle ne veut pas.
Vous connaissez la pétition de Cappellen qui a donné lieu à des débats mémorables dans cette Chambre ; c'est la même chose à Hoogstraeten. Là, après que la commune a satisfait à la loi, on veut la forcer à établir une école de filles. La commune déclare qu'elle n'en a pas besoin, elle s'y refuse ; et là comme à Cappellen, on crée d'office une école de filles, alors que cette commune a rempli les obligations imposées par la loi en créant une école communale, et qu'il n'y a pas de disposition de loi qui ordonne la séparation des sexes.
Le gouvernement sort complètement de son droit en agissant ainsi. Là encore, il y a violation de la loi et de la liberté communale.
Messieurs, l'honorable M. Orts, en finissant hier, a présenté ce débat comme une espèce de lactique politique de notre part en vue des élections de 1863 ; à ses yeux, c'est une affaire de parti ; nous voulons diviser le parti libéral parce que nous savons parfaitement bien que ce parti n'est pas unanime sur cet ordre de questions. Mais, dit l'honorable membre, nous nous réunirons en conseil de guerre et alors nous serons unanimes dans le rôle que nous adopterons.
Nous savons parfaitement que l'opinion libérale a sa marche, et si elle veut devenir unanime pour approuver les mesures du gouvernement elle peut le faire.
Elle peut accepter le mandat impératif et se rendre servile, ministérielle.
Perindi sint ac cadaver
Mais l'honorable membre se trompe quand il pense que nous faisons ici une discussion politique dans un but électoral.
J'ai eu l'honneur de le dire, les motifs qui nous ont fait prendre la parole dans ce débat, sont puisés dans un ordre d'idées plus élevé ; ce sont les mesures extraordinaires qui ont été prises depuis deux ans contre des établissements du clergé ; c'est que non-, voyons une pensée permanente qui tend à faire disparaître les écoles adoptées, base fondamentale de la loi, à amoindrir l'action religieuse dans les écoles pauvres qui sont subsidiées par l'Etat.
D'un autre côté, ce qui, surtout, nous a fait prendre la parole, c'est la création inconstitutionnelle d'un enseignement complet pour les filles et la conviction que si la loi est appliquée à ces écoles, toutes celles où les communes et la volonté du père de famille ont appelé ces religieuses enseignantes qui rendent de si grands services dans nos communes rurales seront supprimées et que le vœu du père de famille sera foulé aux pieds dans te qu'il a de plus sacré, l'éducation de ses enfants.
Vous croyez, messieurs, que c'est dans un but politique que nous (page 827) agissons. Eh bien, permettez-moi de vous donner un conseil : continuez votre système, poussez-le jusqu'au bout ; chassez le prêtre de l'école primaire (Interruption)... Oui, chassez le prêtre de l'école primaire comme le veut votre congrès libéral ; supprimez, par vos mesures, par vos mesures inconstitutionnelles, par vos circulaires illégales où vous refaites la loi dans ce but, supprimez les petites écoles de religieuses auxquelles les mères de famille attachent si grand prix et qui sont réclamées de toutes parts, allez dans vos mesures liberticides aussi loin que le veulent les hommes les plus avancés de votre opinion, ceux qui vous conduisent et vous traînent misérablement à leur remorque ; démasquez vos visages trompeurs, paraissez devant le pays sans le masque qui le couvre, et alors le pays jugera entre le grand parti conservateur et vous. Croyez-le bien, son jugement sera vite prononcé ; je vous assure que ce n'est pas vous qui serez absous, et pour vous le Capitole sera la roche Tarpéienne.
- Voix nombreuses. - La clôture !
- La discussion générale sur le chapitre XVII est close.
« Art. 96. Inspection civile de l'enseignement primaire et des établissements qui s'y rattachent. Personnel : fr. 34,000. »
- Adopté.
« Art. 97. Ecoles normales primaires de l'Etat, à Lierre et à Nivelles. Personnel : fr. 56,620.
« Charge extraordinaire : fr. 1,100. »
- Adopté.
« Art. 98. Traitements de disponibilité pour des professeurs des écoles normales de l'Etat ; charge extraordinaire : fr. 5,970. »
- Adopté.
« Art. 99. Dépenses variables de l'inspection et frais d'administration. Commission centrale. Matériel et dépenses diverses des écoles normales primaires de l'Etat. Ecoles normales primaires adoptées. Cours normaux et subsides aux écoles qui pourraient être établies, avec le concours des administrations provinciales et communales, à l'effet d'augmenter le nombre des instituteurs et des institutrices. Service annuel ordinaire de l'instruction primaire communale ; subsides aux communes ; constructions, réparations et ameublement de maisons d'école ; encouragements (subsides et achats de livres pour les bibliothèques des conférences d'instituteurs) ; récompenses en argent ou en livres aux instituteurs primaires qui font preuve d'un zèle extraordinaire et d'une grande aptitude dans l'exercice de leurs fonctions ; subsides aux caisses provinciales de prévoyance ; encouragements aux recueils périodiques concernant l'instruction primaire ; subsides pour la publication d'ouvrages destinés à répandre l'instruction primaire ; secours à d'anciens instituteurs (article 54 du règlement du 10 décembre 1852) ; frais des conférences agricoles des instituteurs primaires ; subsides à des établissements spéciaux ; salles d'asile et écoles d'adultes, etc. ; frais de rédaction du sixième rapport triennal sur l'état de l'enseignement primaire et fourniture d'exemplaires de ce rapport pour le service de l'administration centrale (article 38 de la loi du 25 septembre 1842) ; subsides aux communes pour les aider à subvenir aux dépenses de l'enseignement primaire dans les ateliers d'apprentissage (arrêté royal du 10 février 1861) : fr. 1,857,409 49.
« Charge extraordinaire : fr. 83,000.
M. le président. - Ici vient l’amendement de M. Guillery, ainsi conçu :
« Porter à deux millions le crédit de 1,332,189 francs 49 c, figurant aux développements du budget sous la désignation suivante : « Littera c. Service annuel ordinaire de l'instruction primaire communale ; subsides aux communes ; 1, 332,189 francs 49 c. ; ce qui porte le chiffre total de l'article 99 (charges ordinaires de 1,857,409 francs 49 c., à 2,523,220 francs, »
M. Guillery. - L'amendement que j'ai l'honneur de soumettre à l'approbation de la Chambre ne soulève aucune espèce de question politique et j'espère qu'il ne soulèvera aucune objection, Il est ainsi conçu :
(L'orateur donne lecture de son amendement.)
Le but, messieurs, de cet amendement, c'est d'améliorer la situation des instituteurs primaires, et, par conséquent, de l'instruction primaire elle-même.
Aux termes de l'article 23 de la loi de 1842, le gouvernement intervient dans les dépenses de l’instruction primaire, et, d'après la pratique qui a été constamment suivie depuis la mise en vigueur de cette loi, il donne des subsides aux communes dont les ressources sont insuffisantes pour faire face aux exigences de cet enseignement.
Successivement, messieurs, vous avez montré quel intérêt vous inspirer l'instruction primaire et vous avez manifesté votre ferme volonté que l'Etat intervînt pour une large part dans les dépenses qu'elle exige. C'est ainsi que le chiffre actuel de 1,332,189 fr. 49 c. que je propose d« porter à 2 millions n'était, au budget de 1843 que de 250,000 francs, et le chiffre total alloué pour l'instruction primaire était alors de 425,000 fr.
Successivement, la Chambre, sur les propositions du gouvernement, a compris la nécessité, d'abord, de créer l'enseignement primaire communal ; ensuite, d'améliorer la position des instituteurs communaux.
La loi de 1842 fixait aux traitements de ces fonctionnaires un minimum de 200 francs ; le gouvernement, par une circulaire du 5 octobre 1855, a porté ce minimum à 500 francs et la Chambre, par le vote du budget de 1856 a ratifié le principe posé par M. le ministre de l'intérieur.
Plus tard, nous trouvons, dans les développements du budget de 1861, développements auxquels renvoie le projet de budget actuel, qu'en général le traitement des instituteurs est de 700 francs et celui des sous-instituteurs de 500 francs.
C'est, autant que possible, à ce chiffre que le gouvernement fait porter le traitement de ces fonctionnaires.
C'est là, messieurs, un but ; mais ce but n'a pas encore été atteint,. D'après les chiffres que je trouve dans le rapport triennal sur les années 1855, 1856 et 1857, il y avait encore des instituteurs qui, émoluments compris, ne touchaient que 400 francs et il y avait des sous-instituteurs dans la Flandre occidentale, ne touchant que 200 francs et dans la Flandre orientale n'ayant que fr. 182-15, toujours émoluments compris.
Certains instituteurs, un tiers environ, joignent à leurs fonctions d'autres fonctions rétribuées et l'on a calculé, dans le rapport triennal, qu'ils touchent de ce chef, en moyenne, une somme de 245 francs ; ce qui porte, pour une notable fraction des instituteurs, leurs émoluments à une moyenne de 950 francs au lieu de 710 francs.
Voilà, messieurs, quelle est la position actuelle des instituteurs. Autant que possible, le gouvernement fait porter la rétribution en combinant ces subsides avec les fonds alloués par les communes, à 700. francs pour les instituteurs et à 500 francs pour les sous-instituteurs.
Mais à l'heure qu'il est cette mesure n'est pas encore appliquées pour toutes les communes. Néanmoins, le chiffre de l'article 99. est arrivé successivement de la somme de 250 mille fr. dont je parlais tout à l'heure à celle d'un million jusqu'au budget de 1858 et porté en 1859 à la somme qui figure actuellement au projet de budget.
En 1857 il a été dépensé pour l'enseignement primaire en y comprenant, les subsides de l'Etat, le budget des communes et des provinces une somme ronde de 5 millions de francs ; les communes intervenaient à peu près pour 2 millions, chiffres ronds, les provinces pour 600 mille francs et l'Etat pour le reste de la somme 1,500 mille fr. environ.
Voilà les dépenses de 1857 pour l'enseignement primaire, dépenses qui ne se sont augmentées que d'un chiffre peu élevé depuis lors jusqu'à ce jour, c'est-à-dire que la Belgique entière, en 1857, ne dépensait pas autant, pour son enseignement primaire, que la ville de New-York en 1855. Cette ville, (qui compte 600,000 âmes) dépensait, pour son enseignement primaire, indépendamment du subside de l'Etat, car aux Etats-Unis, où, l'Etat n'intervient dans rien par de .subsides, il y a une exception formelle pour l'enseignement primaire, la ville de New-York avait dépensé un million de dollars, à raison de 3 fr. 25 c. par dollar, ce qui fait donc cinq millions deux cent cinquante mille francs ; et ce chiffre a été augmenté depuis, si j'en crois les documents les plus respectables.
Je crois que les instituteurs ont droit à une rétribution plus large que celle qu'ils obtiennent aujourd'hui.
Je n'ai pas besoin d’entrer dans de grands développements pour démontrer l’importance des fonctions, la dignité des personnes et l’impossibilité pour un fonctionnaire de vivre convenablement avec un traitement de 500 ou de 700 fr.
L'augmentation que je propose aurait pour effet de permettre au gouvernement d'augmenter de 200 fr. les traitements des instituteurs ; ce serait encore faire à ces fonctionnaires les moins rétribués de l'Etat, une justice incomplète et une position indique des fonctions qu'ils remplissent ; mais on peut espérer que peu à peu on arrivera à leur rendre justice et qu'on offrira à leurs services un traitement convenable, (Interruption.)
(page 828) Je crois avoir entendu : Et l’argent ! Je ne m'étendrai pas sur ce point ; je dis que le premier budget à voter dans un Etat civilisé, c'est celui de l'enseignement primaire. Quand on a satisfait largement à tout ce qu'exige l'enseignement primaire, on prend le reste des ressources pour les autres services.
La question sous ce rapport sera simple. Je ne pense pas que nous soyons dans une situation financière qui ne nous permette pas de rétribuer convenablement le plus important service de l'Etat, celui d'où dépend l'avenir du pays.
II s'en faut que l'enseignement primaire depuis 1842 ait fait les progrès que nous avions le droit d'attendre.
En 1842, le nombre des miliciens illettrés était de 18,474 ; en 1859 if était encore de 13,933 autant dire 14 mille ; soit sur 45 mille miliciens à peu près le tiers entièrement illettré.
Si je consulte des statistiques plus récentes sur la situation du Brabant en 1861 je trouve que sur 7,090 miliciens, 2,362 sont dépourvus de toute instruction.
Dans la Flandre orientale sur 7,455, j'en trouve 3,152 dépourvus de toute instruction. Les statistiques sont ainsi faites que quand un milicien sait un peu lire, il est renseigné, comme sachant lire mais non écrire.
Par « dépourvu d'instruction » on entend ceux qui ne savent rien du tout.
Dans la Flandre orientale sur 7,455 miliciens, 3,152 sont entièrement dépourvus d'instruction.
Dans le Hainaut, 42 p. c. sont entièrement dépourvus d'instruction.
Je ne veux pas pousser plus loin ces détails. Il est avéré qu'en Belgique malgré des efforts incessants et généreux, malgré les efforts des ministres de l'intérieur qui se sont succédés, malgré les efforts des communes, bien que nous ayons gagné, puisque de 18 mille ignorants nous sommes descendus à 14 mille ; bien, dis-je, que nous ayons gagné, nous ne marchons pas assez vite.
La guerre à l'ignorance est la moins contestable, celle dont la déclaration est faite depuis longtemps à l'égard d'un ennemi contre les attaques duquel il est le plus urgent de se préserver.
Le sacrifice que mon amendement propose pour la rendre plus efficace n'est pas considérable ; je crois que la société ne doit pas hésiter à le faire, je crois que les personnes qui sont le plus portées vers les idées conservatrices seront les premières à appuyer une proposition qui a pour but de la préserver, de la débarrasser de son plus grand ennemi, l'ignorance et les préjugés.
M. de Florisone. - Messieurs, je profite de la discussion de l'article 99, pour présenter quelques observations qui se rattachent à ce paragraphe, bien que d'une manière indirecte.
Les constructions d'écoles, grâce à l'intervention du gouvernement, avancent rapidement, et l'on peut prévoir l'époque où le plus humble village sera doté d'un local pour l'enseignement primaire. Le moment me semble venu d'attirer l'attention du gouvernement sur une amélioration importante à introduire dans nos campagnes. Je veux parler de la création dans les écoles, de locaux pour y établir l'administration.
Vous savez, messieurs, où se tiennent, d'habitude, les séances de ces conseils, dans quelles salles enfumées se discutent les intérêts de la commune.
Messieurs, vous appréciez aussi combien il serait désirable que dans toute commune il y eût une chambre spécialement destinée à la conservation des archives tant de la commune que du bureau de bienfaisance. Le classement soigné des procès-verbaux, des budgets, des registres de l'état civil et des plans du cadastre, tout en rendant les recherches plus faciles, éviterait la perte de documents très importants.
Un autre inconvénient grave, c'est l'absence, dans les campagnes, d'un emplacement où le secrétaire communal, qui habite souvent une localité éloignée, puisse se trouver, à point nommé, à la disposition de ses administrés.
Les ouvriers, les pauvres sont obligés de faire de longues courses à pied, souvent fort inutiles, pour faire signer leurs livrets ou leurs certificats. Quelques communes ont profité de la construction de leur école pour remédier à l'état de choses que je signale ; elles ont réservé une chambre où se gardent les archives classées et mises en ordre, un cabinet où le secrétaire communal se trouve à certaines heures fixées de la semaine.
Elles ont utilisé la salle de l'école pour la tenue des séances du conseil communal, des réunions du collège échevinal et du bureau de bienfaisance et construit un hangar pour y déposer le matériel de secours en cas d'incendie, matériel qui souvent se détériore faute d'un emplacement pour l'abriter.
Je regrette que ces excellentes mesures, prises à peu de frais par quelques localités, ne se soient pas plus généralisées ; je recommande au gouvernement d'engager les communes qui bâtiront à l'avenir des écoles à les imiter.
Quant aux communes plus importantes, par exemple les chefs-lieux de canton, qui se trouvent déjà en possession de tous les locaux nécessaires à l'instruction primaire et qui se montrent disposées à faire des sacrifices pour la construction de maisons communales indépendantes, j'engage M. le ministre de l'intérieur à favoriser leurs efforts par tous les moyens en son pouvoir.
Qu'il veuille bien examiner s'il ne pourrait pas, au prochain budget, porter pour cet objet quelques sommes qui se combineraient avec les subsides que le département de la justice est appelé à donner, à raison des salles d'audience de justice de paix et des prisons de passage que pourraient renfermer ces bâtiments.
Telles sont, messieurs, les courtes observations que je soumets au sérieux examen de M. le ministre de l'intérieur, persuadé que les améliorations que je recommande contribueraient puissamment à rehausser le prestige et la dignité de l'administration dans nos communes rurales.
M. Thibaut. -Je ne compte pas m'occuper de l'amendement de M. Guillery, je me propose de parler sur le littéra B de l'article 99, Pour ne pas mettre de confusion dans la discussion, la Chambre trouvera peut-être convenable d'entendre les orateurs qui seraient disposés à parler sur l'amendement de M. Guillery ; j'attendrais alors pour prendre la parole que cette question fût vidée.
Quant à l'amendement de M. Guillery, je me bornerai à exprimer mon opinion en deux mots.
Je suis disposé à l'adopter, à une condition toutefois, c'est que M. le ministre de l'intérieur se montre disposé, en supposant que l'amendement soit voté, à abandonner l'interprétation qui a été donnée par ses prédécesseurs à l'article 23 de la loi sur l'instruction primaire.
Cet article 23 a été déjà plus d'une fois l'occasion de longs débats dans, cette Chambre.
Je rappellerai, par exemple, pour qu'on ne suppose pas que je demande une interprétation cléricale de cet article, que l'honorable M. Ch. de Brouckere a soutenu, dans cette enceinte, que le gouvernement interprétait mal cet article 23.
Pour mon compte, je crois que l'interprétation que l'honorable M. de Brouckere lui donnait était parfaitement logique ; j'adopte cette interprétation, et je déclare que si le gouvernement acceptait cette interprétation, je serais disposé à augmenter, comme le demande l'honorable M. Guillery, le crédit pour le traitement des instituteurs.
Maintenant je suis à la disposition de la Chambre, soit qu'elle veuille entamer une autre question, soit qu'elle veuille continuer l'examen de celle que l'honorable M. Guillery a posée.
M. le président. - Je proposerai à la Chambre d'avoir une discussion préalable spéciale sur l'amendement de M. Guillery.
M. de Brouckere. - Il me semble qu'il serait convenable de discuter d'abord spécialement l'amendement de l'honorable M. Guillery ; il est assez important pour cela.
M. le président. - S'il n'y a pas d'opposition, il y aura d'abord une discussion spéciale sur l'amendement.
Quelqu'un demande-t-il la parole ?
M. Rodenbach. - Je suis assez de l'opinion de l'honorable M. Thibaut. Mais avant de discuter, j'aimerais de savoir si le ministère se rallie à l'amendement. Il s'agit d'une somme de 700,000 fr. Je suis, quant à moi, partisan de l'instruction primaire ; mais nous devons connaître avant tout l'opinion du gouvernement. Qu'il veuille donc s'expliquer.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, je demande à pouvoir m'expliquer sur l'amendement de l'honorable M. Guillery dans la séance de demain. Je suis un peu fatigué après cette longue discussion, et je désire donner à la Chambre des renseignements assez étendus sur la position des instituteurs communaux et sur la situation de l'instruction primaire en Belgique.
Cependant, je crois pouvoir dire dès à présent que nous ne nous rallions pas à l'amendement de l'honorable M. Guillery ; je dirai demain pourquoi. Nous n'avons pas besoin de cette somme pour le moment.
M. Guillery. - J'ai eu soin de présenter mon amendement très longtemps avant le moment de la discussion, et j'avais même eu l'honneur de prévenir M. le ministre avant sa présentation. Je ne comprends donc pas que le ministre ne soit pas prêt.
- Plusieurs membres. - Il a dit qu'il était fatigué. A demain !
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je suis prêta discuter, et si la Chambre l'exige, je suis à sa disposition, mais nous sommes ici depuis une heure ; il est quatre heures et demie ; je me sens très fatigué.
M. Orts. - Il y a un moyen très simple de concilier les convenanced (page 829) de tout le monde et de ne pas perdre une demi-heure de séance. Car si c'est pour partir une demi-heure plus tôt qu'on a résolu de se réunir à une heure, le bénéfice sera réduit à 50 p. c.
Voici ce qu'il y a à faire : suivons les litteras de l'article. L'honorable M. Thibaut pourra parler sur le littera, dont il veut s'occuper, dans la séance d'aujourd'hui. Peut-être l'objet dont il va nous entretenir n'absorbera pas une demi-heure de discussion.
- La Chambre décide qu'elle s'occupera des divers litteras de l'article.
« Litt. a. Dépenses variables de l'inspection ; frais d'administration ; commission centrale : fr. 95,600. »
- Personne ne demande la parole sur ce littéra.
« Litt. b. Matériel et dépenses diverses des écoles normales primaires de l'Etat ; écoles normales primaires adoptées ; cours normaux et subsides aux écoles qui pourraient être établies avec le concours des administrations provinciales et communales, à l'effet d'augmenter le nombre des instituteurs et des institutrices : fr. 129,800. »
M. Thibaut.—Messieurs, le gouvernement demande au littera B, destiné à couvrir une partie des dépenses des écoles normales, une augmentation du crédit ordinaire et permanent de 72,520 fr. et un crédit extraordinaire de 73,000 fr.
Au budget de 1860, le crédit demandé à l'article correspondant à celui que nous discutons avait déjà été augmenté, par voie d'amendement, d'une charge permanente de 12,000 fr.
Ces 12,000 fr., qu'il paraissait si urgent de mettre à la disposition du gouvernement, n'avaient pas encore été employés, lorsque furent publiées les notes explicatives à l'appui du budget de 1862.
Depuis lors, le gouvernement a pris des mesures pour « améliorer l'organisation de l'enseignement normal et donner à cette organisation tous les développements exigés par les besoins actuels du service. » Ce sont les expressions qui se trouvent dans les notes explicatives à l'appui du budget de 1862.
Ces mesures, tant celles qui sont en voie d'exécution que celles qui sont décidées en principe, entraîneront une dépense nouvelle, non plus de 12,000 fr. seulement, mais de 157,520 fr., dont 84,000 et quelques centaines de francs de charges ordinaires et permanentes.
Il s'agit donc, cette fois, de grosses sommes et aussi de grands principes, sur lesquels il n'est guère probable que nous nous mettions d'accord.
La question des dépenses, quelque fortes qu'elles soient, est du reste ici très secondaire.
Vous avez vu tout à l’heure, par la déclaration que j'ai faite relativement à l'amendement de l’honorable M. Guillery, que je n'étais nullement hostile aux dépenses qui ont pour but l'enseignement primaire.
Quant au crédit demandé par M. le ministre de l'intérieur pour les écoles normales, je le voterais aussi sans répugnance s'il m'était démontré que l'enseignement normal dirigé par l'Etat est établi sur des bases trop étroites et que les bases qui sont aujourd'hui proposées n'ont pas des proportions exagérées.
Mais, messieurs, prenons garde qu'en votant ces crédits, nous n'approuvions un système qui restreindrait la part d'intervention et d'autorité qui a été laissée aux communes par la loi de 1842 en matière d'instruction primaire, un système qui enlèvera peut-être aux étudiants peu favorisés de la fortune la liberté de choisir à l'avenir entre les établissements normaux dirigés par l'Etat et les établissements nés de la liberté.
Prenons garde de consolider financièrement un système qui centralise l'enseignement primaire et qui pourra donner à l'Etat le monopole de l'enseignement normal.
Messieurs, les prétentions du parti libéral se sont singulièrement accrues depuis 1860. En 1860, on se bornait à réclamer pour l'Etat le moyen d'intervenir, par ses écoles normales, dans le recrutement des instituteurs pour une part égale à celle que l'on consentait à laisser aux écoles normales.
C'est pour cela que d'honorables membres avaient présenté un amendement, donnant au ministre de l'intérieur 12,000 fr. de plus qu'il n'avait demandé par son projet de budget.
« Nous ne voulons pas, disait un des auteurs de cet amendement, la suprématie de l'enseignement normal de l'Etat sur l'enseignement créé à la faveur de la liberté d'instruction, mais nous voulons ici, comme partout, l'égalité ; nous voulons une lutte loyale, une concurrence où l'un ne puisse écraser l'autre. »
Le même orateur prétendait, il est vrai, que la loi de 1842, quant à l'enseignement normal laïque, n'était pas exécutée.
Il déclarait que maintenir l'état de choses existant, c'était, de la part du gouvernement, presque une abdication. Vous avez entendu hier, messieurs, les mêmes allégations reproduites à peu près dans les mêmes termes. Cependant, l'honorable M. Orts avait dit aussi en 1859 : « Je suis partisan de la loi de 1842, parce que je la considère comme une transaction, et cette transaction a été loyalement exécutée depuis 1842 jusqu'aujourd'hui.»
C'était un excellent certificat donné par l'honorable M. Orts, à tous les ministres de l'intérieur qui se sont succédé depuis 1842 jusqu'en 1859.
M. Orts. - Je parlais de l'opinion libérale.
M. Thibaut. - Vous ne parliez pas de l'opinion libérale seule. Vous avez dit que la transaction avait été loyalement exécutée depuis 1842 jusqu'en 1859, par les deux contractants.
Mais en janvier 1860, l'honorable M. Orts, effrayé sans doute de l'excommunication dont il était menacé par le jeune libéralisme qu'il bravait en 1859, se chargea de dénoncer un fait grave ; les instituteurs communaux sortis des écoles normales de l'Etat étaient moins nombreux que les instituteurs communaux sortis des écoles normales privées ; sur 1,770 instituteurs, les écoles normales épiscopales en avaient fourni 1,058.
Les écoles normales de Lierre et de Nivelles et des cours normaux de Bruges et de Virton, 644 seulement.
Voilà, messieurs, ce qu'avait découvert l'honorable M. Orts.
Donc la loi de 1842 n'était pas loyalement exécutée, donc les ministres de l'intérieur depuis 1842 jusqu'en 1860 avaient manqué de fermeté et de vigueur, ils avaient presque abdiqué en faveur de l'épiscopat.
Tels étaient les reproches amers que l'honorable M. Orts adressait non seulement à l'honorable M. Nothomb, auteur de la loi, mais à l'honorable M. Rogier lui-même, ministre en 1860.
Cependant sa conclusion était toujours celle-ci : Il faut un partage égal entre les écoles dirigées par l'Etat et les écoles dirigées par l'épiscopat.
L’honorable ministre de l'intérieur acceptait l'amendement proposé par l'honorable M. Orts et se ralliait à son opinion. Il disait :
« Sans multiplier outre mesure les écoles normales dans le pays, on doit vouloir que les écoles normales de l'Etat fournissent au moins la moitié des instituteurs. »
Cependant, messieurs, et j'appelle votre attention sur ce point, après avoir entendu les discours prononcés par les honorables MM. de Theux et de Decker, l'honorable M. Orts atténuait la portée de son amendement ; il disait :
« Si j'avais constaté que les écoles normales des évêques, peuplées d'un plus grand nombre d'élèves... produisaient aussi des instituteurs présentant aux pères de famille plus de garanties (l'honorable M. Orts a sans doute voulu dire « autant de garanties ) que les instituteurs sortant des établissements de l'Etat, je n'aurais pas présenté d'amendement. »
L'honorable orateur ajoutait qu'il y avait deux remèdes à la situation ; l'un consistait à mettre toutes les écoles normales sur un pied d'égalité quant aux conditions d'admission des élèves, au programme des cours et aux examens ; l'autre consistait à mettre plus d'argent à la disposition du gouvernement.
L'honorable membre choisissait le second moyen, parce qu'il ne pouvait, disait-il, obtenir le premier par un vote sur le budget.
Ainsi, messieurs, en 1860 on se contentait de l'égalité d'intervention des écoles normales dirigées par l'Etat et des écoles adoptées, dans le recrutement des instituteurs.
On disait qu'une augmentation de crédit de 12,000 francs procurerait l'Etat le moyen d'arriver à cette égalité.
La situation, disait-on encore, serait suffisamment modifiée si les mêmes règlements étaient appliqués à toutes les écoles normales.
Or, en supposant que la situation dont on se plaignait fût mauvaise, il se trouve que les deux remèdes préconisés par l'honorable M. Orts et suffisants selon lui, l'un comme l'autre, pour réparer le mal, vont être employés simultanément et l'un des deux à une dose beaucoup plus forte que ne le proposait l'honorable membre.
En effet, les dispositions réglementaires prises pour les écoles normales de l'Etat, sont depuis l'année dernière rendues applicables aux écoles normales épiscopales, et la nouvelle somme que l'honorable M. Orts proposait de mettre à la disposition du gouvernement est tout au moins quintuplée.
Vous en conviendrez, messieurs, la seule comparaison entre ce que proposait l'honorable M. Orts en janvier 1860, et ce que le gouvernement propose aujourd'hui, sans doute avec l'assentiment de l'honorable M. Orts, donne lieu de craindre que le but avoué en 1860 ne soit dépassé.
Je crois qu'il le sera, et je dirai comment je pense qu'il le sera.
(page 830) Mais d'abord je dois rappeler brièvement à la Chambre combien depuis quelques années les idées de centralisation appliquées à l'enseignement primaire ont fait de progrès. Car la centralisation explique seule l'extension de l'enseignement normal par l'Etat, qu'on nous propose.
Messieurs, je résumerai les systèmes sur lesquels a roulé la discussion générale, mais je le ferai d'une manière très brève.
La loi du 23 septembre 1842 reconnaît plusieurs catégories d'écoles primaires.
1° Les écoles communales. La commune a toujours le droit d'établir des écoles communales, mais elle n'est tenue de le faire que quand il ne peut être pourvu autrement et à moins de frais, aux besoins de l’enseignement primaire.
2° Les écoles privées adoptées mais non subsidiées. La commune où de semblables écoles suffisent à tous les besoins peut être dispensée de l’obligation d'établir elle-même une ou plusieurs écoles.
3° Les écoles privées, adoptées et subsidiées pour tenir lieu d'écoles communales et par conséquent ouvertes indistinctement aux enfants des familles aisées comme à ceux des familles pauvres.
4° Les écoles privées désignées par l'administration communale et subsidiées pour donner l'instruction aux enfants pauvres seulement.
Voilà, selon nous, comment se classent les écoles primaires dont s'occupa la loi de 1842.
Je sais bien que vous contestez cela et je n'examinerai pas la question après les honorables membres qui l'ont traités, mais permettez-moi de résumer en quelques mots ce qui nous sépare.
Partisans de la centralisation, vous prétendez que la loi ne parle que d'une seule espèce d'écoles privées, adoptées ou désignées pour donner l'instruction aux enfants pauvres. Vous prétendez que la commune ne peut jamais accorder à ces écoles qu'une indemnité ou subvention pour l'instruction gratuite des enfants pauvres. De sorte que l'instituteur dont l’école est « adoptée pour tenir lieu d'école communale, » doit, selon vous, exempter la commune de tous frais quelconques autres que ceux prévus à l'article 5, paragraphe 2 de la loi. Voilà la situation que vous faites à cette école, et vous défendez à la commune de l'améliorer.
Nous, au contraire, nous croyons que la loi a établi une distinction entre l'école adoptée et l'école désignée. L'utilité de cette distinction consiste, selon nous, en ce que dans l'école adoptée pour tenir lieu d'école communale, tout enfant de la commune, qu'il soit ou non porté sur la liste des pauvres, a le droit d'être admis dans l'école communale, tandis que les enfants pauvres portés sur la liste des pauvres, peuvent seuls se présenter et être admis en vertu de la délibération du conseil communal, dans l'école donnée à cet effet par lui, en conformité des articles 3 et 4.
Ici je ferai remarquer à la Chambre, en passant, que M. le ministre a adressé un reproche immérité à l'honorable M. Wasseige, quand il a dit que cet honorable membre avait omis à dessein de donner lecture de ces derniers mots de l'article 3 que je viens de citer. M. le ministre a mal compris ces mots : ils signifient que l'école désignée doit réunir les conditions légales et que la délibération est soumise à l'approbation de la députation.
Nous soutenons que l'intervention pécuniaire de la commune en faveur de l'école adoptée, ne doit pas se borner, comme pour l'école désignée, à une subvention calculée sur le nombre d'enfants pauvres qui fréquentent cette école.
Nous disons que les articles ait. 3 et 26 de la loi permettent à la commune de faire avec l'école privée adoptée les arrangements les plus conformes à leurs intérêts réciproques. C'est dans ce sens que la loi a été appliquée pendant plusieurs années.
Maintenant nous ferions bon marché de cette distinction, si en la rejetant, M. le ministre rangeait toutes les écoles subsidiées sous le régime de l'article 3, au lieu de leur appliquer l'article 5.
Nous reconnaissons, d'ailleurs, qu'une commune peut être autorisée à adopter une école qui, sans rendre plus de services qu'une école communale, coûterait davantage. Sur ce point, je suis, quant à moi, à peu près d'accord avec M. le ministre de l'intérieur.
Ainsi l'opinion que nous défendons est favorable, d'abord à la liberté d'enseignement, ensuite aux finances des communes, et enfin, elle élargir la sphère d'action du pouvoir communal.
L'opinion que nous combattons apporte des entraves à l'expansion de l'enseignement libre ; elle grève inutilement les budgets, elle restreint l'action du pouvoir communal.
Nous acceptons volontiers le concours et l'aide des écoles privées, par respect de la liberté, des mœurs du pays, et afin de répandre le bienfait de l'instruction, en ménageant l'argent des contribuables.
Nos adversaires semblent considérer les écoles privées d'un œil jaloux, d'un œil défiant et hostile ; ils leur font de dures conditions, ils exigent qu'elles procurent aux communes des avantages financiers impossibles. En un mot, ils préfèrent s'en passer.
C'est, messieurs, tout ce que je voulais constater sur ce point.
Voici, messieurs, des renseignements que je puise dans les différents rapports qui ont été distribués et qui permettent de suivre les progrès de a centralisation :
De 1846 à 1849, le gouvernement a retiré 224 autorisations concernant des écoles privées, adoptées pour tenir lieu d'écoles communales. Au 31 octobre 1848, il restait 913 écoles adoptées, 58 écoles donnant lieu à dispense.
Au 31 décembre 1851 : 888 écoles adoptés, 45 donnant lieu à dispense.
Au 31 décembre 1854 : 865 écoles adoptées 37 donnant lieu à dispense.
Au 31 décembre 1857 : 811 écoles adoptées, 34 donnant lieu à dispense.
Dans ces 811 écoles adoptées, il y en a 77 pour les garçons et 304 pour les deux sexes.
Les 34 écoles donnant lieu à dispense ne reçoivent que des filles.
Ainsi le nombre d'écoles adoptées ou donnant lieu à dispense décroît sensiblement à chaque période triennale. Au fur et à mesure que l'enseignement privé perd du terrain, l'enseignement officiel le remplace.
Je devrais maintenant, messieurs, vous montrer quels autres moyens plus expéditifs le gouvernement emploie pour arriver à son but, mais l'heure est avancée, et je demande de pouvoir continuer demain. (Adhésion.)
- La séance est levée à cinq heures.