(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)
(page 791) (Présidence de M. Vervoort.)
M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à une heure et un quart.
M. de Boe, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est adoptée.
M. de Florisone, secrétaire, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur de Sutter, forgeron à Gand, demande la décoration de l'ordre de Léopold ou la croix de Fer pour actes de bravoure dont il aurait fait preuve en 1831. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Lequime, brigadier des douanes, demande la décoration de l'ordre de Léopold en récompense de la conduite qu'il a tenue pendant les événements de 1831 et 1832. »
- Même renvoi.
« Les membres de l'administration communale de Luigne demandent à faire partie du canton de justice de paix dont le chef-lieu serait établi à Mouscron. »
- Même renvoi.
« Le sieur Bayé demande qu'il soit pourvu à la place de notaire vacante à Henri-Chapelle. »
- Même renvoi.
« L'administration communale de Mouscron demande que cette commune soit le chef-lieu d'un canton de justice de paix. »
« Le conseil communal d'Herseaux déclare adhérer à cette demande. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Saint-Josse-ten-Noode prie la Chambre de mettre le gouvernement à même de racheter le droit de péage établi rue des Palais, à Schaerbeek. »
- Même renvoi.
M. le président. - La discussion continue sur le chapitre XVII (Enseignement primaire).
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, dans la séance d'hier, l'honorable M. Dechamps et l'honorable M. Wasseige m'ont interrompu à plusieurs reprises en disant que les textes que je citais n'étaient pas parfaitement collationnés avec les originaux. Depuis lors j'ai fait examiner et vérifier ces textes ; j'en ai vérifié quelques-uns moi-même, et je puis dire à la chambre que si quelqu'un est dans l'erreur, ce n'est pas moi : les textes sont exacts, et ils seront insérés ainsi au Moniteur.
Messieurs, puisque j'ai la parole, je désire répondre à la seconde partie du discours que l'honorable M. Dechamps a prononcé hier, et auquel, à cause de l'heure avancée, il m'a été impossible de répliquer.
Il s'agit, messieurs, des objections que l'honorable membre a tirées de l'article 10 de la loi.
L'honorable M. Dechamps a reproché au gouvernement d'accorder une certaine préférence aux candidats diplômés. Or, messieurs, cette préférence est parfaitement justifiée et parfaitement légitime, et je ne puis pas comprendre qu'on fasse au gouvernement un grief d'exécuter ainsi la loi. Que dit l'article 10 de la loi et le dernier paragraphe de cet article ?
« La nomination des instituteurs communaux a lieu par le conseil communal, conformément à l'article 84, n°6, de la loi du 30 mars 1836.
« ... Après ce délai (de quatre ans), les conseils communaux choisiront leurs instituteurs parmi les candidats qui justifieront d'avoir fréquenté avec fruit, pendant deux ans au moins, les cours de l'une des écoles normales... Toutefois, les conseils communaux pourront, avec l'autorisation du gouvernement, choisir des candidats ne justifiant pas de l'accomplissement de cette condition. »
Il est évident que le mot « toutefois » et la circonstance que ce paragraphe est rejeté à la fin de l'article, indiquent bien que ce paragraphe est une exception, et que la règle générale, le droit commun, c'est de choisir d'une manière absolue parmi les élèves diplômés des écoles normales, le choix parmi les personnes non diplômées ne peut être que l'exception. C'est tellement l'exception, que les instituteurs ainsi nommés ne sont pas agréés par le gouvernement, mais que la commune, pour pouvoir les nommer, doit avoir obtenu l'autorisation préalable du gouvernement. Cela résulte du texte de loi et des circulaires, dont la première a été faite par l'honorable comte de Theux.
Le texte de la loi de 1842 prouve de la manière la plus évidente que telle était l'intention du législateur en ce qui concerne la nomination des instituteurs communaux.
Les débats sur cet article ont été assez longs et assez vifs. Plusieurs membres de la gauche, et à leur tête M. Lebeau, demandaient que les instituteurs fussent nommés librement par les communes, soit parmi les élèves diplômés, soit parmi les personnes n'ayant pas de diplôme. La Chambre, après une longue discussion, n'admit pas ce système, celui des écoles normales prévalut ; dans la discussion on examina les divers systèmes admis dans plusieurs pays de l'Europe centrale et spécialement le système prussien. C'est ce système que l'on admit en Belgique, et voici ce que disait à cette occasion l'honorable rapporteur de la loi de 1842 :
« Le principe qui fait la force de la loi prussienne, c'est que les écoles normales ont une base, et une sanction, c'est de donner aux candidats sortants des écoles normales un droit de préférence. Si vous ne liez pas à ce régime d'écoles normales le système de nomination, vous n'aurez pas créé d'écoles normales. Si les élèves surtout de ces écoles n'ont pas le droit de croire qu'une certaine préférence leur sera accordée, vos écoles n'existeront pas, vous aurez créé une lettre morte dans la loi. »
Voilà quelle était la pensée de l'honorable M. Dechamps lui-même ; d'après lui, le gouvernement a le droit d'accorder une préférence aux élèves diplômés.
C'était, du reste, aussi l'opinion de l'honorable M. Nothomb ; je ne citerai que ces deux autorités. Voici ce que disait l'honorable ministre de l'intérieur dans la séance du 25 août 1842 :
« Je répète que si vous ne faites rien pour les élèves-maîtres formés dans les écoles normales de l'Etat ; si ces élèves, munis des meilleurs certificats, n'ont pas la certitude qu'il y a pour eux une carrière ouverte où ils ne rencontreront pas d'obstacles pour être placés, je dis que les écoles normales de l'Etat courront risque d'être dépeuplées. »
Du reste, messieurs, tous les ministères qui se sont succédé depuis l'honorable comte de Theux, qui a même fait une circulaire pour dire quelles étaient les précautions à prendre lorsqu'il s'agissait de nommer des personnes non diplômées, tous mes honorables prédécesseurs, jusques et y compris l'honorable M. Rogier, ont toujours donné la préférence aux élèves diplômés,
Cette préférence est justifiée par le texte et par l'esprit de la loi ; elle est justifiée aussi par l'intérêt de l'enseignement primaire, qui ne peut que gagner à ce que les fonctions d'instituteurs soient confiées à des personnes qui ont fait des études spéciales, qui ont acquis la science et la pratique de l'enseignement.
Je puis ajouter en terminant, messieurs, que le gouvernement n'a jamais été absolu en pareille matière. Le gouvernement n'exclut pas systématiquement les personnes qui ne sont pas diplômées. Il les exclut quelquefois et il en a le droit, mais il arrive fréquemment que des instituteurs non diplômés sont nommés par les communes avec l'autorisation préalable du gouvernement. Je crois que, sous ce rapport encore, les reproches qu'on adresse au gouvernement ne sont fondés ni en droit ni en fait.
L'honorable M. Dechamps m'a demandé s'il ne serait pas possible de permettre quo les instituteurs non diplômés qui changent de résidence, soient nommés dans la commune où ils vont se fixer, sans une nouvelle autorisation du gouvernement.
Messieurs, je crois qu'il faut résoudre négativement cette question.
La loi dit expressément que les conseils communaux ne pourront nommer une personne non diplômée qu'avec l'autorisation du gouvernement.
Il faut par conséquent une autorisation nouvelle pour chaque nomination. Dans la pratique, messieurs, cela se justifie parfaitement : un instituteur pourrait, jusqu'à un certain point, convenir à une petite section de commune rurale et ne pas convenir du tout à une grande commune.
Messieurs, après avoir donné ces explications, très brèves, à la Chambre, mon intention était de répondre aussi à différents griefs articulés par l'honorable M. Dechamps, à des faits cités par lui ; mais, à une simple audition, il m'a été très difficile de me rendre un compte exact de ces faits qui portent sur des détails.
(page 792) L'honorable 31. Dechamps si, je le comprends parfaitement bien, n'a, pas plus que moi, pu faire imprimer son discours au Moniteur ; dès lors il m'a été impossible d'examiner les faits dont il a parlé.
Si la discussion se prolongeait, je donnerais à la prochaine séance des explications sur ces faits.
M. de Theux. - C'est surtout aux textes de lois que nous devons recourir pour fixer notre opinion avec assurance.
Je conviens que les actes administratifs, posés immédiatement après le vote d'une loi, et par ceux mêmes qui ont défendu la loi, ont une valeur morale qu'on ne peut pas nier.
Quant aux actes administratifs posés postérieurement et longtemps après le vote de la loi, je ne leur attribue pas la même valeur, surtout s'ils sont contraires aux actes primitivement posés, à moins qu'il ne soit démontré que ces derniers actes étaient ou partiaux ou évidemment contraires au texte ou au sens de la loi.
Ce principe posé, j'en viens à la discussion des questions qui ont été soulevées dans la séance d'hier.
On est d'accord sur ce point que la loi de 1842 a été faite pour les écoles mixtes, pour les institutions.
Dans cette loi, non plus que dans le projet de loi de 1834 élaboré par une commission nommée par le gouvernement, il n'avait pas été question d'écoles de fille.
Cette lacune a été comblée en France par la loi de 1850. Dans cette loi, il y a des dispositions spéciales pour les écoles de filles ; ces dispositions sont contenues dans les articles 49 et 50.
Quant à la Belgique, il résulte de la discussion que les écoles de filles sont autorisées par l'assentiment tacite des Chambres. Mais on n'a pas imposé au gouvernement des règles absolues, relativement à ces écoles, cela se comprend : la matière était neuve : on n'avait pas d'idées fixes sur les nécessités de ces institutions.
Voici ce qui se passa au moment même du vote de la loi. Il est important de donner lecture, à la Chambre, de cette partie de la discussion :
« M. Rogier. J'avais appelé l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur une lacune que présente le projet relativement aux écoles des filles. En France, je crois que ce qui concerne les écoles des filles est réglé par arrêté royal. Au moins, j'ai un arrêté de 1836 qui contient plusieurs dispositions relatives à l'organisation de ces écoles.
« M. le ministre de l’intérieur. Messieurs, la loi française et le projet de 1834 ne renferment aucune disposition spéciale relativement aux écoles des filles. Un premier point, c'est la séparation des sexes ; il faut, autant que possible, arriver à avoir des écoles spéciales pour les filles ; telle doit être la tendance du gouvernement, mais il est impossible de rien écrire à cet égard dans la loi. Pour les écoles d'adultes, par exemple, pour les écoles du soir, pour les écoles du dimanche, le gouvernement fera en sorte qu'il y ait des écoles spéciales de filles. Je regrette que dans les villages il ne puisse pas y avoir également des écoles spéciales pour les filles. Dans tous les cas, je crois que la loi doit garder le silence sur ce point, et qu'il faut compter sur la sollicitude du gouvernement, pour avoir un enseignement spécial pour les filles là où les circonstances le permettront.
« M. Dumortier. Je pense, messieurs, qu'il ne faut pas ici équivoquer. Si le gouvernement voulait établir des écoles de filles dans toutes les communes, avec une hiérarchie complète des écoles normales, des écoles primaires et modèles pour les filles, je déclare que je m'y opposerais de toutes mes forces. Restons, messieurs, dans ce qui est possible, et même en restant dans ce qui est possible, nous faisons encore beaucoup. La femme doit être l'ange du foyer domestique, elle doit se dévouer aux soins du ménage, mais elle n'a point de mission dans l'ordre social. L'éducation des filles devra toujours être l'éducation la plus religieuse possible. Elle remplit aujourd'hui cette condition, et dès lors nous ferons bien de ne pas y toucher ; moins nous interviendrons dans l'éducation des filles, mieux ce sera pour la morale publique. La morale publique ne se fait pas par les lois, les lois peuvent prendre des précautions pour la conserver, mais elles ne peuvent pas la faire.
« M. Rogier. - Je ne pense pas, messieurs, qu'il y ait lieu de s'échauffer à ce point relativement à une observation très simple que j'ai faite. Je n'ai pas du tout proposé d'établir tout un système hiérarchique pour les écoles des filles. J'ai simplement fait remarquer qu'il y aurait une lacune dans le projet relativement aux écoles des filles, et je crois qu'il n'est pas du tout indifférent pour le pays que les filles du peuple sachent lire, écrire, calculer et coudre. Je crois que si le législateur prend en considération tous les besoins de l'éducation du pays, il ne doit point perdre de vue l'éducation des filles.
« Au reste, je le répète, je n'ai nullement demandé une administration particulière pour les écoles des filles. Je me suis borné à signaler une lacune. Du reste, je crois que le gouvernement fera administrativement tout le bien qu'il pourra faire, et qu'à cet égard la loi lui laisse toute latitude.
« M. le ministre de l’intérieur. Il n’y a pas de lacune dans la loi ; il s’y trouve beaucoup de dispositions qui pourront être appliquées aux écoles des filles et aux institutrices. Ainsi, par exemple, la disposition relative aux bourses (et je réponds ici à l’honorable M. Dumortier), la disposition relative aux bourses doit s’appliquer aux institutrices qui suivent, par exemple, les cours données dans des établissements dirigés par des congrégations religieuses. C’est ce qui se fait en France, et j’ai sous les yeux un rapport de M. Villemain, qui dispose ainsi de certaines bourses. »
Vous voyez, messieurs, que la discussion se termine là. La citation est donc complète.
Que résulte-t-il de cette discussion ? C'est que les Chambres ont placé leur confiance dans le gouvernement, pour améliorer autant que possible l'éducation des filles, pour amener autant que possible la séparation des sexes.
Ici, cependant, je dois dire que, dans le rapport triennal, l'honorable M. Rogier a parfaitement établi que la loi ne donnait pas au gouvernement le droit d'imposer aux communes des écoles spéciales pour les garçons et pour les filles ; il doit se borner à encourager cette séparation, et en cela il est d'accord avec tous ceux qui se sont occupés de l'enseignement.
Tout le monde désire que cette séparation existe, mais la loi ne la prescrit pas.
Voici, messieurs, les deux articles de la loi française de 1850, dont je parlais tout à l'heure :
« Chapitre 5. Des écoles de filles.
« Art. 48. L'enseignement primaire dans les écoles de filles comprend, outre les matières de l'enseignement primaire énoncées dans l'article 25, les travaux à l'aiguille.
« L'examen des institutrices n'aura pas lieu publiquement. »
Ce dernier paragraphe est relatif aux institutrices laïques.
« Art. 50. Tout ce qui se rapporte à l'examen des institutrices, à l'examen : et à l'inspection des écoles de filles sera l'objet de règlements délibérés eu conseil supérieur.
« Les autres dispositions de la présente loi et relatives aux écoles et aux instituteurs sont applicables aux écoles de filles et aux institutrices, à l'exception des articles 38, 39, 40 et 41. »
Vous voyez donc, messieurs, que la loi française elle-même n'admet pas l'application complète des dispositions générales aux écoles spéciales de filles. Aussi, je soutiens, et je crois que cela n'est pas contestable, qu'en Belgique le gouvernement peut déterminer par des règlements ce qui concerne l'admission des institutrices, l'inspection des écoles de filles, les conférences et autres mesures qui exigent des dispositions différentes de celles relatives aux écoles de garçons.
Pour le gouvernement, messieurs, il y a une seule obligation qui résulte de l'ensemble de la loi, de son esprit, c'est de veiller à ce que l'école soit suffisante et à ce qu'elle soit morale. Pour le reste, le gouvernement peut et doit consulter les convenances de l'enseignement et le vécu des communes,
Je pense que, sur ce point, nous serons d'accord. A ce point de vue, les faits cités hier par l'honorable M. Dechamps méritent une juste critique. Obliger une commune à donner la préférence d'une manière absolue aux institutrices laïques diplômées, lorsque la commune préfère avoir une école adoptée, c'est aller beaucoup trop loin.
Non seulement, la loi ne le prescrit pas, mais la raison ne le prescrit pas, et l'utilité no le demande pas.
En effet, les communes peuvent certainement obtenir plus de services d'une école tenue par 2 ou 3 institutrices appartenant à une congrégation enseignante : ces institutrices peuvent exercer une surveillance plus active, plus utile et plus complète, et elles peuvent s'occuper de travaux accessoires à l'école, tels, par exemple, que la direction des écoles gardiennes, la confection d'ouvrages de mains et autres choses qui appartiennent plus spécialement à l'école des filles.
- M. E. Vandenpeereboom remplace M. Vervoort au fauteuil de la présidence.
M. de Theux. - On fait à cela une objection, ou dit que les mutations sont plus fréquentes dans le personnel des écoles tenues par des corporations que dans le personnel des institutrices laïques, Messieurs, c'est une assertion. que, je ne puis pas admettre.
(page 793) D'abord, il est évident que l'institutrice laïque n'a pas toujours le bonheur de vivre dans sa famille, là où l'école existe et qu'elle peut aspirer au mariage.
Dès lors, il survient dans sa position des changements qui peuvent exiger un déplacement, soit volontaire, soit par ordre de l'autorité supérieure.
On objecté aussi l'importance des dépenses des écoles adoptées tenues par des corporations enseignantes.
On cité des chiffres de dépenses assez élevés ; je le dirai sans détour, généralement ces dépenses sont trop élevées pour les petites communes.
A point de vue des finances, l'adoption de semblables établissements à frais élevés, ne serait pas un acte de bonne administration, mais on doit tenir compte des circonstances particulières qui peuvent se présenter.
Si un concours efficace est offert par des particuliers à la commune pour aider à l'établissement d'une école adoptée par une congrégation religieuse, le budget peut n'avoir pas plus de dépense à faire que pour une école communale avec un instituteur ou une institutrice laïque ; il peut se faire que les frais soient même moins élevés et que la commune ait à supporter moins de dépense.
Le tout doit dépendre des circonstances qu'une administration sage doit apprécier avec impartialité, au point de vue du plus grand bien-être de la société communale.
Il arrive que dans les villes, dans de grandes communes, dans des communes industrielles, l'établissement de ces écoles soit d'une utilité évidente pour amener un changement plus radical dans les mœurs, pour que les instituteurs et les institutrices exercent une influence plus radicale ; ce qui le prouve c'est le vœu exprimé par certaines communes qui ne sont pas soumises à l'influence du clergé, mais sont guidées par l'intérêt des populations.
On a vu des personnes appartenant à l'industrie et à d'autres conditions de la société, parmi lesquelles se trouvaient même des protestants, désirer et soutenir vivement ces institutions.
Il y avait là une preuve évidente de leur utilité. Dans ces cas, l'administration ne doit pas contrarier l'établissement de ces écoles.
Je ne viens pas critiquer les écoles normales ni la nomination d'un grand nombre d'institutrices qui en sortent ; ce fait a reçu l'approbation non seulement des inspecteurs civils et ecclésiastiques, mais aussi des chefs diocésains.
Loin de les critiquer, je reconnais avec plaisir que ces écoles publiques, tenues par des institutrices laïques, rendent d'éminents services. Mais il ne faut pas être exclusif ; de ce que ces écoles sont bonnes, il ne faut pas en conclure que les autres n'ont pas un mérite égal et même un mérite supérieur dans des circonstances données. C'est pour cela que je regrette que le gouvernement semble, sans que la loi l'y contraigne, sans aucune nécessité, avoir écarté systématiquement les écoles tenues par les congrégations de femmes.
Il est à remarquer que l'article 3 de la loi de 1842 désire que l'instruction primaire reçoive une grande extension dans les communes ; elle va jusqu'à permettre d'adopter une ou plusieurs écoles dans une même commune, comme la loi permet également d'en fonder une ou plusieurs qui aient le caractère exclusivement communal.
Qu'arrive-t-il, s'il y a dans une commune une école communale et une école adoptée ? Il arrive que la population est plus complètement satisfaite, qu'il y a émulation dans l'enseignement, dans la tenue de l'école, dans la surveillance, et que cela tourne au profit de la commune.
Il faut le répéter, il n'y a dans le texte de la loi ni dans l'utilité publique aucune espèce de raison qui puisse empêcher le gouvernement de suivre la ligne que j'ai exposée.
En ce qui concerne les écoles de garçons, nous sommes en présence de divers textes de loi sur le sens desquels on ne paraît pas complètement d'accord. Je crois que l'administration a en général de la tendance à exagérer l'étendue des dispositions de la loi.
Prenons d'abord la première question. La commune peut-elle être obligée à avoir plusieurs écoles communales ? Elle est soulevée par une pétition de la commune d'Hoogstraeten, dont la discussion a été jointe à celle du budget de l'intérieur. Elle avait été soulevée précédemment par une pétition de la commune de Cappelen. La Chambre avait nommé une commission pour lui faire un rapport sur cette dernière pétition ; mais la Chambre ayant été dissoute, cette commission s'est trouvée dissoute et le rapport n'a pas été fait.
Eh bien, de la même manière que l'honorable M. Rogier a dit que tout désirable qu'est la séparation des sexes dans l'enseignement public, je dirai que tout désirable qu'il est que les communes et même les villes aient un nombre suffisant d'écoles pour pourvoir à tout le service, je ne trouve pas dans le texte de la loi une autorisation suffisante au gouvernement de les imposer d'office en tout état de cause.
Il y a, messieurs, une distinction à faire et que je fonde sur l'article 5 de la loi.
L'article 5 de la loi dit que la commune doit absolument pourvoir à l’enseignement des enfants pauvres. Eh bien, du moment qu'il est démontré que, dans une commune, l'école mixte ne suffît pas pour pourvoir à l’enseignement complet des pauvres, je pense que l'autorité supérieure est en droit d'exiger que la commune y pourvoie d'une manière plus complète, soit en agrandissant ses locaux, soit en adoptant une école, soit qu'il y ait d'autre part une école privée réunissant toutes les conditions exigées par la loi.
Mais en pratique, alors même que le droit du gouvernement existe rigoureusement, je pense qu'il est dans les convenances et même dans l'utilité publique bien entendue, de ne pas recourir trop tôt aux mesures de rigueur, d'épuiser avec patience, je dirai même avec lenteur, la voie des conseils et des encouragements à satisfaire d'une manière complète aux devoirs de la commune.
Les cas où l'on doit arriver à imposer d'office une seconde ou une troisième école sont assez rares. Et en effet, je ne vois pas qu'il y ait beaucoup d'exemples de contrainte exercée à l'égard de communes. Je dois ajouter qu'il est à ma connaissance que des communes d'une population de 1,500 à 2,000 âmes ont jusqu'à 2 et 3 écoles, une école de garçons et une école de filles au centre, celle-ci, il est vrai, établie avec le concours de la liberté, et de plus une école communale dans un hameau éloigné. Je dirai que le zèle pour l'enseignement est très grand, que les habitants en général le désirent et que les administrations communales secondent en général ce vœu des habitants et de la loi.
Je pense donc, après toute réflexion, que le gouvernement ne doit user qu'avec la plus extrême réserve du droit strict qu'il pourrait puiser dans la disposition de l'article 5 relatif à l'enseignement obligatoire des pauvres.
Je n'ai pas examiné la pétition d'Hoogstraeten. Je dois même dire que je n'ai pas eu le temps d'en faire une simple lecture, que je ne puis donc me prononcer sur la valeur de cette pétition. Mais pour la pétition de Cappellen je sais qu'il y avait dans le sein de la commission des divergences d'opinion, et qu'après un premier examen, la commission s'était ajournée pour se livrer à un examen plus approfondi, tellement elle avait trouvé de difficultés dans la question de droit.
J'aborde les articles 1, 2, 3 et 4 de la loi, relatifs aux écoles subsidiées ou adoptées.
On a contesté cette distinction et au fait, dans la pratique, je n'en vois pas. Car, que l’école soit désignée, du moment qu'elle reçoit des subsides, ou qu'elle soit adoptée, il faut que l'autorité supérieure consente à ces subsides ou à cette adoption, et subsidiée ou adoptée, l'école doit toujours être soumise à l'inspection conformément aux dispositions de l'article 26.
En pratique donc, je ne vois guère de difficulté, surtout si la Chambre partage l'opinion que j'émettrai sur le droit, sur la faculté qui appartient à la commune d'user du mode des subsides, ainsi que je l'expliquerai plus loin.
L'honorable ministre de l'intérieur disait dans la séance d'hier que bien certainement il n'avait contrevenu à aucune des dispositions de la loi ; car on n'avait cité aucune disposition qui obligeait à admettre l'adoption ou la nomination en dehors des dispositions précises de l'article 10.
Cela est vrai, messieurs, si nous nous occupions d'une matière de tribunaux, je dirais qu'il peut y avoir mal jugé, mais qu'il n'y a pas recours en cassation.
Mais comme nous sommes en matière administrative, je dirai que puisque la loi a chargé le députation permanente de statuer en premier ressort, la députation doit statuer d'après son opinion, sans tenir compte des circulaires, qui, en définitive, ne peuvent pas limiter ses attributions. J'ajouterai que si la décision de la députation déplaît, soit au gouvernement, soit aux communes, il y a recours auprès du Roi.
Et que résulte-t-il de ce recours ? C'est que la question, en dernier ressort, aboutit au ministère, et que les actes du ministère tombent évidemment, quant à la critique, sous la juridiction des Chambres ; que nous avons donc parfaitement le droit d'exposer notre opinion et de critiquer les actes qui y seraient contraires.
Eh bien, messieurs, je pense que l'on a donné une interprétation trop rigide à l'article 3 relatif à l'adoption.
Ce que j'ai dit de l'utilité spéciale d'écoles de filles dans les villes, dans les grandes communes, dans les communes industrielles, s'applique (page 794) également à l'utilité spéciale d'écoles tenues par des corporations religieuses d'hommes.
Je dis que ces écoles, dans certaines localités, rendent souvent les plus grands services et ici je ne crains d'être démenti ni par ceux qui connaissent les faits, ni par ceux qui veulent bien accorder quelque autorité aux actes posés par un gouvernement voisin qui certes ne fait pas abus de l'application des principes de liberté. Eh bien, en France ces établissements sont encouragés par le gouvernement et par les communes. Et ces encouragements ne sont pas donnés à la légère, ils sont fondés sur la plus longue expérience. Le gouvernement et les plus grandes villes de France ont reconnu l'utilité de ces institutions, et je dois dire qu'elles existent là en très grand nombre.
II y a plus, messieurs, nous voyons par les articles 31 et 51 de la loi française, que le gouvernement accorde même certaines facilités aux membres de ces institutions.
Ainsi l'article 31 porte :
« Les instituteurs communaux sont nommés par le conseil municipal de chaque commune, et choisis soit sur une liste d'admissibilité et d'avancement dressée par le conseil académique du département, soit sur la présentation qui est faite par les supérieurs pour les membres des associations religieuses vouées à l'enseignement et autorisées par la loi ou reconnues comme établissements d'utilité publique.
« Les consistoires jouissent du droit de présentation pour les instituteurs appartenant aux cultes non catholiques. »
Eh bien, messieurs, j'ai lu tantôt les dispositions de l'article 51 relatives aux sœurs appelées à diriger des écoles de filles, et vous voyez que loin d'être restrictif l'esprit de la loi est, au contraire favorable et extensif.
Quant à la question financière, je répète ici l'observation que j'ai présentée relativement aux écoles tenues par des congrégations de femmes. Tout cela dépend absolument des subventions.
On m'objecte que l'article 5 de la loi ne permet d'attribuer aux écoles adoptées que les frais d'écolage à charge du budget de la commune. Eh bien, je dis que c'est une erreur ; les frais d'écolage sont dus, c'est une prescription de la loi, la députation peut les fixer à défaut de la commune, elle peut contraindre la commune à les subir.
Il en est de même des bureaux de bienfaisance s'ils ont les ressources nécessaires ; mais de ce que l'article 5 prescrit le payement des frais d'écolage, il ne s'ensuit pas que la commune ne peut pas accorder une subvention globale : pourvu que l'instruction soit donnée gratuitement aux enfants pauvres, la commune peut y pourvoir de différentes manières. C'est ainsi que les choses se sont pratiquées dans les premières années qui ont suivi l’adoption de la loi de 1842.
D'ailleurs la commune peut faire des dépenses facultatives avec l'approbation de l'autorité supérieure, et il serait vraiment extraordinaire que les seules dépenses facultatives interdites aux communes fussent précisément celles qui s'appliquent à l'enseignement primaire, dont chacun proclame la haute utilité.
Je dis donc, messieurs, que d'après les principes généraux de la loi communale et d'après les principes spéciaux de la loi sur l'instruction primaire, il n'y a pas de difficulté à ce que la commune traite d'une manière quelconque et de la manière qu'elle juge la plus convenable avec une école adoptée.
La commune peut fournir le local si elle le juge utile, mais il est bien entendu que le local ne sera jamais aliéné, qu'il restera toujours destiné à l'enseignement ; elle pourra allouer un subside, elle pourra allouer l'écolage des enfants pauvres, mais tout cela ne peut jamais compromettre ni l'intérêt de la commune, ni l'intérêt de l'enseignement ; pourquoi ? Parce que les autorités qui ont autorisé l'adoption doivent, tous les ans, examiner s'il y a lieu de la continuer et peuvent en tout temps la faire cesser.
L'article 26 de la loi de 1842 est d'ailleurs très précis. Le premier paragraphe porte :
« Aucune école ne pourra obtenir ou conserver un subside ou une allocation quelconque de la commune, de la province ou de l'Etat si l’autorite qui la dirige ne consent à la soumettre au régime d'inspection établi par la présente loi. »
Vous voyez donc, messieurs, qu'indépendamment de l'école communale, l'article 26 suppose que la commune peut accorder un subside ou d'autres allocations à une école libre sauf l'inspection, à laquelle elle doit se soumettre.
On m'objectera les dispositions des articles 20 et 22, relatifs aux obligations des communes.
Mais, messieurs, ces articles ne sont pas restrictifs des dépenses facultatives ; seulement ils exigent qu'au préalable les communes satisfassent aux dépenses obligatoires ; une fois les dépenses obligatoires faites, la commune est libre, avec l'approbation de l'autorité supérieure, de faire des dépenses facultatives, de telle manière qu'elle le juge convenable, pourvu que ces dépenses soient fondées en raison et en harmonie avec sa situation financière.
Remarquez encore, messieurs, que l'article 26 dit : « Aucune école. » Qu'est-ce que la loi sur l'instruction primaire entend par ces mots ? Evidemment une école remplissant les conditions exigées par la loi quant aux matières d'enseignement, quant à la moralité, quant à l'inspection qui en devient la garantie.
M. le ministre de l'intérieur a exprimé son opinion sur l'article 10 ; je ne suis pas en désaccord avec lui en ce point ; je crois qu'il est bien que les instituteurs diplômés soient l'objet d'une certaine préférence. En général, les instituteurs diplômés sont des personnes qui ont non seulement le savoir mais aussi la discipline de l'école.
Cependant, messieurs, cette préférence ne doit pas être exclusive si les instituteurs ne sortent point d'une école normale, mais s'ils sortent d'autres établissements où l'on acquière le même savoir et la même discipline, où l'on soit également formé à la pratique de l'instruction primaire ; s'il est constaté par les informations que le gouvernement prend de la manière qu'il juge la plus convenable, que ces instituteurs pavent remplir également le but de la loi, il n'y a aucun obstacle à ce qu'ils soient choisis.
La faculté de dispenser inscrite dans la loi ne signifie pas que le gouvernement doive déclarer par une circulaire générale qu'il n'accordera pas de dispense, ou par une circulaire contraire, qu'il accordera des dispenses.
C'est le cas de dire : « ni jamais ni toujours. » La loi n'ayant pu prévoir tous les cas, s'en est remise à ceux qui seraient chargés de l'exécution de la loi, s'en est remise à leur sagesse, à leur prudence, à leur impartialité, pour faire application de la disposition, en vue du bien-être de l'enseignement et de la commune.
Quant à l'adoption, l'existence d'une école communale n'est en aucune manière exclusive de l'adoption d'une autre école, du moment que deux écoles peuvent être utiles dans la commune ; car l'article 3 dit positivement qu'une commune peut être autorisée à adopter une ou plusieurs écoles.
Ainsi, une commune pourrait avoir plusieurs écoles communales et plusieurs écoles adoptées, et elle serait même parfaitement dans les termes de la loi ; et les autorités supérieures, loin d'y mettre obstacle, devraient encourager ces actes.
On dit que la surveillance des écoles adoptées est plus difficile. Je ferai remarquer que la surveillance est la même que pour les écoles communales ; mais que de plus il y a une surveillance spéciale de la part du chef même de l'école adoptée ; dans ces écoles le personnel enseignant s'observe mutuellement et se soutient dans la discipline et dans l'émulation.
En Angleterre, on ne s'est pas servi du mot « adopté » ; on y a simplement établi cette règle : tout établissement d'enseignement peut demander et obtenir un subside du gouvernement, pourvu qu'il remplisse les conditions d'une bonne école et qu'on puisse l'inspecter pour voir si ces conditions existent et se maintiennent. Il n'y a pas d'autre règle en Angleterre.
En Belgique, l'adoption a lieu sous le contrôle de la députation permanente. Ce contrôle ne présente pas de difficulté. Il est très aisé aux inspecteurs de renseigner la députation sur la valeur de l'école qu'il s'agit d'adopter.
Je ne vois pas pourquoi nous serions moins libéraux qu'on ne l'est en Angleterre, puisque notre Constitution est un type de tolérance, et qu'elle a pour base le gouvernement du pays par le pays lui-même, par le développement de toutes ses facultés intellectuelles et matérielles, par le concours de tous ceux qui peuvent y contribuer efficacement.
Je termine ici mes observations sur la loi de 1842. J'engage le gouvernement à vouloir bien encore, abstraction faite de tout esprit de parti, méditer les dispositions de la loi de 1842 qui a pour but un objet éminemment social, et dont tout esprit de parti, de droite et de gauche, devrait être complètement écarté.
M. Rodenbach. - Messieurs, je n'ai demandé la parole que pour citer quelques chiffres que j'ai puisés dans la statistique officielle pour l'instruction primaire.
Or, un fait m'a singulièrement étonné : c'est que dans l'arrondissement de Bruxelles il n'y a qu'un milicien sur 3 qui sache lire et écrire ; à Bruxelles même, il n'y en a qu'un seul sur 5.
Ainsi, malgré toutes les écoles officielles que je respecte, je ne vois point qu'on fasse d'immenses progrès.
(page 795) Un autre fait que j'ai constaté ailleurs et qui m'a frappé : c'est que la même ignorance existe dans la banlieue de Paris.
Et cependant à Bruxelles, dans la capitale, l'instruction devrait être beaucoup plus avancée, eu égard aux nombreuses écoles qu'elle possède. (Interruption.) Allez au ministère de l'intérieur, prenez-y des informations et vous verrez que mes chiffres sont exacts.
J'ai voulu savoir quels résultats présentent sous ce rapport l'arrondissement de Roulers et celui de Thielt, où il y a beaucoup d'écoles primaires adoptées.
Dans l'arrondissement de Roulers, sur 6 miliciens, il n'y en a qu'un qui ne sait ni lire ni écrire, tandis que dans la ville de Bruxelles, ainsi que je l'ai fait observer, il y en a un sur 5. J'attribue cette différence, flatteuse pour l'arrondissement de Roulers et Thielt, à cette circonstance, que nous y avons, outre les écoles primaires communales, des écoles adoptées ; nous en avons de ce genre à Moorslede, à Ardoye, à Rumbeke, à Lichtervelde, à Ingelmunster, à Iseghem et dans beaucoup d'autres localités.
Je ne suis pas l'adversaire des écoles primaires communales ; il en faut, puisque la loi le veut ; mais je dis qu'avec les écoles primaires communales seules, vous n'arriveriez pas au but ; le pays serait couvert des ténèbres de l'ignorance ; vous n'auriez peut-être pas un milicien lettré sur vingt.
Dans ces nombreuses écoles adoptées, se presse une population de 200, de 300 enfants et même plus.
Ne portez donc pas une main imprudente sur ces écoles, puisque, grâce à elles, vous obtenez de pareils résultats.
M. le ministre de l'intérieur nous a dit que depuis 17 ans le nombre des établissements religieux qui s'adonnent à l'instruction est augmenté dans la proportion de 40 p. c.
Eh bien, tant mieux. Si on n'avait pas ces établissements protégés par les ecclésiastiques, ces écoles libres, nous aurions infiniment moins d'instruction dans le pays : vous en avez beaucoup moins qu'en Prusse, en Hollande et ailleurs.
Ainsi, avec votre système officiel et avec votre loi, vous êtes parmi les arriérés.
Il y a à peu près 7,000 à 8,000 écoles dans le royaume ; je serais charmé que la concurrence des écoles libres fût encore plus forte qu'elle ne l'est aujourd'hui ; je voudrais voir 10,000 à 12,000 écoles libres dans le royaume, celles-là ne coûteraient rien à l'Etat.
En fait d'enseignement primaire et moyenne, il ne faut pas avoir des idées étroites, il faut se montrer large ; il faut admettre loyalement la concurrence des établissements ecclésiastiques ; plus on'adoptera des écoles et des établissements libres, plus on s'éclairera.
Je me bornerai à ces observations, elles sont conformes aux sentiments du Congrès national de 1830.
J'ai seulement voulu dire ce qui est constaté par des chiffres, que c'est dans la banlieue, dans les environs de Bruxelles, de même que dans la banlieue de Paris, que l'ignorance et l'ineptie sont les plus grandes.
M. de Haerne. - Messieurs, je demande à présenter quelques courtes observations à la Chambre relativement à l’objet qui est en discussion. Je tâcherai d’éviter les redites en ce qui concerne la loi de 1842.
Il y a un point, messieurs, sur lequel nous sommes d'accord non seulement dans cette enceinte, mais, j'ose le dire, dans le pays tout entier, n'importe l'opinion à laquelle on appartient : c'est que nous désirons tous le plus large développement de l'instruction publique, que nous formons tous des vœux dans ce sens, que nous réunissons tous nos efforts pour extirper l'ignorance des classes populaires et pour qu'il n'y ait pas un seul enfant en Belgique qui ne soit convenablement instruit.
Malheureusement ce but est très difficile à atteindre et, sous ce rapport, nous ne sommes pas les seuls qui ayons à nous plaindre, car des plaintes très vives éclatent à cet égard dans tous les pays, sans en excepter un seul, même en Allemagne, où l'on est arrivé à l'apogée du système d'instruction populaire. En Suisse, les plaintes sont également très grandes, et même, d'après des rapports récents que j'ai lus relativement à l'instruction dans le canton de Vaud, il y a une diminution dans la fréquentation des écoles primaires, quoique l'enseignement y soit obligatoire.
C'est donc une calamité générale. C'est le fléau de l'ignorance qui tient, comme vous le savez, à des causes multiples, causes qu'il n'est pas au pouvoir de l'homme d'extirper complètement.
S'il est vrai de dire qu'il y aura toujours des pauvres dans le monde, on peut dire qu'il y aura toujours des ignorants, ou plutôt l'une de ces calamités rentre dans l'autre, parce que l'ignorance est une misère intellectuelle, est comprise dans l'oracle évangélique que je viens de citer et qui s'applique aussi bien à la misère intellectuelle et morale qu'à la misère matérielle.
Ainsi donc, lorsque nous apprécions l'état de l'instruction primaire en Belgique, gardons-nous d'exagérer l'insuffisance que l'on nous signale dans les statistiques, puisqu'un pareil état de choses se fait remarquer presque partout et, j'ose dire ceci : c'est que si l'on fait attention au développement progressif qu'a pris l'instruction primaire dans la plupart des Etats, on demeure convaincu que les progrès se sont réalisés à mesure de l'extension matérielle donnée aux moyens d'instruction, particulièrement à la construction des écoles et au nombre des instituteurs.
Sous ce rapport, messieurs, il y a un fait qui doit frapper tout le monde, c'est que notre loi est très récente, relativement à la plupart des lois qui existent sur le continent sur cette matière. On a eu à l'étranger beaucoup plus de temps que chez nous pour créer les ressources matérielles que réclame l'instruction élémentaire.
Les lois qui fonctionnent en Suisse et en Allemagne datent de la fin du siècle dernier.
La loi hollandaise, qui a subi plusieurs modifications, date de 1806. La nôtre ne date que de 1842 ! J'ose le dire, lorsqu'on établit un parallèle entre l'instruction primaire telle qu'elle existe en Belgique et l'instruction primaire telle qu'elle existe dans les Etats dont je viens de vous parler, et qu'on a égard aux dates des diverses législations, nous sommes en progrès relativement aux autres nations.
Il faut donc peser toutes choses avant de prononcer un jugement et avant de condamner le système de la loi de 1842.
Messieurs, quand je vois ce qui se passe en Belgique et quand je remarque surtout jusqu'à quel point la question de l'instruction, prise en général et depuis quelque temps celle de l'instruction primaire en particulier, donnent lieu à des débats vifs et passionnés dans cette chambre et à des disputes de partis en dehors de cette chambre, je me félicite de la position que j'ai prise dans cette grave question, depuis que j'ai l'honneur de faire partie de cette assemblée.
Quel est le principe que j'ai toujours adopté ? C'est que, conformément à l'esprit de la constitution, je me suis prononcé ici dès le congrès, particulièrement en 1833, lorsque la question de l'instruction primaire a été débattue à la chambre, dans ce sens que l'esprit et la lettre même de la constitution placent en tête la liberté, puisque l'article 17 proclame que l'enseignement est libre et qu'au second paragraphe de ce même article il est dit :
« L'instruction publique donnée aux frais de l'Etat est réglée par la loi. »
L'esprit de la Constitution et la lettre consistent à donner d'abord à la liberté tout le développement possible, et ensuite à faire appel à la loi pour qu'elle vienne combler les lacunes qu'a laissées la liberté, pour qu'elle vienne au secours de la liberté, mais non pas pour qu'elle vienne l'étouffer directement ou indirectement.
Point de centralisation, mais secours, appui moral et matériel à la liberté pour extirper l'ignorance.
Tel est le sens de la constitution. C'est ainsi que je l'ai toujours entendu. C'est ainsi que cela a été clairement exposé dans cette chambre et confirmé par les votes de la grande majorité de l'assemblée en 1833.
J'ai toujours fait la distinction entre les expressions de la constitution qui consistent à dire : « L'instruction donnée aux frais de l'Etat est réglée par la loi, » et celles qui consisteraient à dire : « l'instruction de l’Etat. »
Ce n'est pas sans intention qu'on a formulé ce paragraphe dans ce sens. C'était, non pour empêcher l'intervention du gouvernement, mais pour la diriger conformément aux grands principes de la liberté que nous avons consacrés en toutes choses de la même manière, en matière de presse, d'association, d'enseignement et de culte.
Nous voulions de la même manière, avec la même extension, toutes ces grandes libertés.
On a l'air d'envisager la liberté de l'instruction comme une chose dangereuse. On met un voile sur cette liberté, on la représente comme aveugle, ne sachant ni ce qu'elle fait ni où elle marche. Mais la liberté est clairvoyante, elle est active, elle est agissante, elle donne l'impulsion à toutes les forces vives de la nation.
Le gouvernement doit aider la liberté, mais il ne doit pas la comprimer par un système de centralisation, ni la rendre suspecte, en lui refusant son appui et ses subsides.
J'ose donc dire, messieurs, que je me felicite d'avoir pris cette position dès que j'eus l'honneur d'entrer dans cette enceinte.
Je m'en suis expliqué nettement, catégoriquement, surtout en 1833. J'ai dit :La liberté avant tout, l'intervention du gouvernement quand elle est nécessaire pour l'érection des écoles que la liberté n'a pas pu fonder, et pour l'établissement de certaines écoles modèles.
(page 796) Et, messieurs, je m'en applaudis surtout quand je remarque le vide qui se présente sous ce rapport en Belgique et partout ailleurs ; je ne crains pas de dire qu'il y aurait pour le gouvernement et pour la majorité parlementaire une très grave responsabilité de ce chef, s'ils voulaient entraver la liberté d'enseignement. La responsabilité serait grande aussi pour les partisans de la liberté s'ils voulaient agir seuls. C'est le motif pour lequel je n'ai jamais exclu le gouvernement en cette matière ; car je ne voudrais, ni pour moi ni pour l'opinion à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir, de la responsabilité immense d'avoir à répondre exclusivement des résultats de l'instruction populaire ; et cela, messieurs, parce que, comme je l'ai dit, l'ignorance est un vice bien difficile à extirper et qu'on n'extirpera même jamais complètement.
Ceux qui veulent assumer une pareille responsabilité ne songent certainement pas aux conséquences qu'ils ont à redouter ; ils ne songent pas qu'un jour le pays et l'histoire pourront leur en faire un grave reproche.
M. Guillery et M. Muller. - Personne ne veut cela.
M. de Haerne. - J'attaque des tendances manifestes dans le pays, je blâme le système qui renferme le principe contraire à la liberté, et je me félicite encore une fois de n'avoir jamais été exclusif en cette matière ; et, en admettant l'action du gouvernement, de n'avoir pas laissé à la liberté seule cette grave responsabilité de l'instruction populaire,
M. Guillery. - Mais personne ne demande cela.
M. de Haerne. - Non certes dans cette enceinte ; mais telles sont les tendances qui existent dans le pays.
On proclame la liberté ; mais on cherche à la comprimer, à la neutraliser, par un système de subsides au profit exclusif des établissements officiels.
On ne veut pas même ici que les écoles libres ou adoptées soient subventionnées ; je crois, dès lors, pouvoir exprimer mon opinion sur ces tendances, sur ces principes. Du reste, si ces idées ne sont pas telles partout, elles se manifestent de temps en temps dans certaines localités, dans certains organes de l'opinion publique ; et l'on peut dire que c'est une question à l'ordre du jour. Il y a des personnes exclusives sous ce rapport ; on peut donc combattre ce qu'il y a d'exclusif dans cette opinion.
Messieurs, je m'étonne d'autant plus de la persistance qu'on met à faire prédominer les écoles gouvernementales proprement dites, au détriment des écoles libres, que la statistique des écoles ne nous y autorise aucunement.
Je comprendrais jusqu'à un certain point ce système de la part de ceux qui préfèrent dans cette matière l'action du gouvernement à celle de la liberté, si l'on pouvait dire que les écoles du gouvernement, à elles seules, répondent au vœu de la loi et aux besoins du peuple en matière d'instruction.
Mais il n'en est rien, messieurs ; permettez-moi de faire quelques comparaisons de chiffres entre les pays étrangers et le nôtre. Je regrette de n'avoir pas apporté toutes mes notes, mais j'espère que je ne me tromperai pas de beaucoup en me fiant à ma mémoire.
En Angleterre, d'après le tableau officiel de 1860, il y a, si l'on compare le nombre des élevés à celui des instituteurs, sous-instituteurs et élèves-instituteurs, il y a, dis-je, quarante-cinq élèves pour un instituteur.
En Hollande, la statistique constate qu'il y a 46 élèves pour un instituteur public ou particulier, comme on les appelle dans ce pays, openbare en byzondere onderwyzers, c'est-à-dire à peu près la même proportion qu'en Angleterre.
En ce qui concerne la Suisse, j'ai fait également des recherches pour établir la même comparaison ; mais je n'ai pas pu trouver les éléments de la proportion entre le nombre d'élèves et le nombre d'instituteurs. Toutefois j'en ai trouvé d'autres qui me fournissent une base d'appréciation suffisante pour mettre ces données en regard des chiffres que je viens de citer.
C'est une proportion entre le nombre des habitants et le nombre des écoles, Ainsi, je trouve les chiffres suivants (suit le tableau, par cantons du nombre d’école par habitants, non repris dans la présente version numérisée.) Donc dans ces neuf cantons, il y a une école sur 537 habitants.
En Belgique, d'après le dernier rapport triennal, il n'y a que 1 23/100 école sur 1,000 habitants. Nous avons donc environ 30,000 écoles de moins qu'il n'y en a en Suisse. La proportion entre les élèves et les instituteurs doit être à peu près la même.
En partant de ces données, j'établis, pour la Belgique, une proportion entre les élèves et les instituteurs, afin de comparer le résultat à ceux que j'ai signalés pour la Hollande, l'Angleterre et la Suisse. Je trouve (d'après le dernier rapport triennal) qu'il y a 9,104 instituteurs pour 511,090 élèves, sur 699,751 enfants en âge d'école. Il y a donc un instituteur pour 56 élèves. Vous le voyez, messieurs, la différence est de 20 pour cent à peu près en notre défaveur, relativement à l'Angleterre et à la Hollande ; et l'on peut supposer que la même différence existe relativement à la Suisse.
Il est donc vrai de dire, messieurs, qu'il y a des lacunes dans notre enseignement populaire ; et cela pourquoi ? Parce que les moyens matériels nous ont fait défaut, car, enfin, si vous n'avez pas assez d'écoles et d'instituteurs, comment voulez-vous que les résultats de l'instruction répondent à vos vœux, à vos désirs les plus légitimes ? Ce sont les moyens matériels qui nous manquent,, parce que, comme je l'ai dit déjà, notre législation est trop récente, et qu'elle n'a pas encore eu le temps de porter ses fruits.
Laissez faire le temps, continuez vos efforts, vos subsides, et vous arriverez, à coup sûr, aux mêmes résultats, et même, je ne crains pas de le dire, à des résultats plus brillants. Pourquoi donc, messieurs, faire la guerre aux écoles libres, aux écoles adoptées ?
M. Allard et M. Muller. - Qui donc leur fait la guerre ?
M. de Haerne. - Messieurs, je retire le mot.
M. Muller. - C'est vous qui faites la guerre aux écoles du gouvernement.
M. de Haerne. - Pas du tout, je demande, au contraire, que le nombre en augmente selon les besoins ; mais je demande aussi la coexistence des deux sortes d'écoles sur le même pied.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Qui a touché à la liberté ?
M. de Haerne. - On ne l'attaque pas directement, je l'avoue ; mais en refusant aux écoles libres ou adoptées les locaux et les subsides nécessaires, on rend souvent leur existence impossible et l'on oblige ainsi les communes à prendre des instituteurs diplômés, qui sont réclamés ailleurs, vu que leur nombre est trop restreint, et qu'on compte 188,000 enfants en âge d'école privés d'instruction en Belgique. Mais j'ai à citer d'autres chiffres, que j'avais oubliés et que l'interruption me remet en mémoire.
J'ai signalé tout à l'heure, messieurs, la proportion existante en Belgique entre le nombre des élèves et celui des instituteurs ; j'ai trouvé qu'il y a 56 élèves par instituteur. Maintenant, si je distingue entre les écoles publiques et les écoles privées, je trouve, quant aux écoles publiques, un instituteur pour 77 élèves.
On compte en Belgique, d'après le cinquième rapport triennal, 3,956 instituteurs communaux ; 1,825 adoptés et 3,173 non soumis à l'inspection. Il résulte de l'ensemble de ces chiffres et des observations, que je viens d'avoir l'honneur de vous présenter, messieurs, que les instituteurs, et surtout les institutions communaux, ne sont pas en assez grand nombre pour que l'instruction soit convenablement donnée. Il faut donc bien, dès lors, encourager les institutions privées, pour suppléer à l'insuffisance des institutions communales. Lorsque le gouvernement fait défaut, il faut bien, quand on veut l'instruction, que l'action privée se substitue à la sienne, et ceux mêmes qui préfèrent l'action du gouvernement eo peuvent pas persister dans leur préférence, au point d'exclure l'action de la liberté ou du moins de l'entraver de telle manière, que l'instruction populaire pourrait en souffrir.
Messieurs, pour ce qui regarde les institutions religieuses, l'honorable M. Dechamps hier et l'honorable M. de Theux aujourd'hui, nous ont fait comprendre que ces institutions sont très populaires en France. Cela résulte non seulement des documents français que j'ai lus, mais encore des rapports qui ont été présentés au gouvernement anglais par les commissaires chargés de faire, en matière d'instruction, une exploration dans toute l'Europe.
Ils ont constaté, les rapports officiels en font foi, que les écoles de frères surtout ont la préférence, non seulement près du gouvernement, mais dans l'opinion publique. Elles sont généralement préférées. Il est vrai que le rapport anglais mentionne que, dans quelques localités, on objecte qu'il faut trois frères pour faire marcher une école, que de ce chef, pour les communes pauvres, on doit faire une trop grande dépense ; mais il (page 797) constate que là où la chose est possible on donne généralement la préférence à ces institutions.
Les rapports ajoutent qu'il y a d'autres frères que ceux de la doctrine chrétienne ; il y a un ordre qui n'en exige que deux par école, et même un autre celui de Franç. de Lammenais, qui admet un seul frère. Cela dépend des règles de ces ordres ; on ne peut pas les gêner, à cet égard, leurs statuts sont obligatoires pour eux. En France, on a été frappé de ces inconvénients et l'on a cherché à y obvier.
Lorsqu'il y a plusieurs religieux réunis, il y a un avantage pour l'instruction, pour la discipline et en cas de maladie de l'un d'eux, ce qui est, comme on le conçoit, de la plus haute importance.
Un instituteur communal malade, infirme ou trop âgé reste souvent en place, tandis qu'une communauté religieuse peut beaucoup mieux pourvoir au remplacement des instituteurs qui ne suffisent plus à leur tâche.
Pour ce qui regarde les écoles des sœurs, on vous en a parlé aussi. J'ajouterai qu'il y a en France des asiles-ouvroirs dirigés par des sœurs et qui sont combinés avec l'instruction primaire ; c'est à peu près le système des Flandres ; ces institutions sont encouragées par les communes, par les villes, par celle de Paris, entre autres, et par le gouvernement.
Permettez-moi, messieurs, de vous citer encore une statistique, qui est relative à la Hollande et qui se rapporte à la distinction à faire entre les institutions religieuses et les autres écoles, de même qu'entre les écoles fréquentées par les garçons et celles qui sont fréquentées par les filles.
En Hollande, chose étonnante, on ne croit pas nécessaire de séparer les sexes dans les institutions primaires. Dans la plupart des écoles il y a mélange des deux sexes. Je dois dire que ce n'est pas le système belge. (Interruption.)
En Hollande plusieurs inspecteurs, dont j'ai vu les rapports publiés par ordre des états généraux, déclarent qu'ils ne trouvent pas d'inconvénient dans les écoles mixtes pour les deux sexes. Cependant il doit y en avoir de grands aux yeux des parents puisque, d'après les dernières statistiques hollandaises qui sont de 1858, le nombre des filles, renseigné comme fréquentant les écoles en hiver, est beaucoup moins grand que le nombre des garçons ; il y a une différence de près de 25 p. c. ; c'est-à-dire que dans l'ensemble des écoles de Hollande, il y a 25 p. c. plus de garçons que de filles.
En Belgique la différence est de 5 p. c. seulement et si nous avions la séparation complète des sexes partout, je crois qu'il n'y aurait pas de différence.
Vous voyez quelles sont les conséquences qui résultent de ces statistiques. En Hollande, il est plus difficile qu'en Belgique de se procurer le nombre d'institutrices nécessaires. Le gouvernement est forcé en quelque sorte d'admettre le mélange des deux sexes. On le comprend ; il n'a pas à sa disposition les congrégations religieuses, comme on les a en Belgique, d'autant plus que les congrégations religieuses basent leur enseignement sur la religion, contrairement à la loi néerlandaise.
Dans le Brabant le Limbourg hollandais, et ailleurs, il y aurait des congrégations pour les écoles publiques, si leur système ne tendait pas à exclure de l'enseignement primaire l'instruction religieuse. Toutefois, il y a des congrégations religieuses, mais le nombre ne peut pas être considérable ; car elles ne peuvent pas être adoptées, mais quelques-unes sont soutenues par les communes ou les provinces, bien que le gouvernement déclare que cela est contraire à l'esprit de la loi.
Les écoles privées peuvent être subsidiées par les communes et les provinces pourvu qu'elle se conforment à la loi. Ceci rentre, messieurs, dans l'ordre d'idées que mes amis et moi nous développons ici. Des subsides sont accordés en Hollande par les provinces et par les communes non seulement aux écoles publiques, mais aux écoles privées, de même qu'en Angleterre, les écoles, qui toutes sont privées, peuvent être et sont largement subsidiées par le gouvernement.
M. Muller. - Du moment que les instituteurs sont diplômés quant à la Hollande.
M. de Haerne. - Cela n'est pas tout à fait exact. Les instituteurs comme les institutrices, tant publics que privés, subissent un examen ; mais comme il y a, notez bien ceci, comme il y a le système des kweekelingen, c'est-à-dire des élèves instituteurs ou institutrices, il en résulte que ces aides-instituteurs se trouvent dans beaucoup d'endroits sans diplômes et sans même avoir subi d'examen, et l'on se décharge du soin général de l'instruction sur ces aides, soumis toutefois à l'inspection. Voîià le système hollandais.
Ainsi on subsidie les écoles privées ; j'ai lu un arrêté du ministre chargé de l'instruction publique, où l’on résout une question qui avait été soulevée par les israélites. Ceux-ci ne jugeaient pas à propos d'établir des écoles conformément à la loi, avec exclusion plus ou moins complète de la religion du système d'enseignement ; ils voulaient que l'instruction fût confessionnelle, comme les catholiques le veulent aussi dans les écoles privées de Hollande.
Ces israélites ont donc demandé à être subsidiés pour leurs écoles ; la question a été soumise au gouvernement, qui a décidé que c'est contraire à l'esprit de la loi ; mais il ne prétend pas toutefois empêcher d'une manière formelle les communes et les provinces d'intervenir ; il leur déconseille de le faire, parce que cela est contraire à l'esprit de la loi.
Ainsi vous voyez quelle est la liberté, quelle est la latitude qu'accorde le gouvernement hollandais dans l'intérêt de l'instruction. Le gouvernement anglais va beaucoup plus loin encore. Aux yeux de ces gouvernements, qui ont le plus de rapport avec le nôtre, la liberté est envisagée comme un des principaux ressorts en matière d'instruction publique. Je dois le dire, messieurs, je m'étonne qu'en Belgique on s'oppose au moins par les tendances, au développement de ces institutions qui ont produit chez nous d'heureux fruits aussi bien que partout ailleurs, et qui certes, si elles étaient encouragées par le gouvernement comme elles méritent de l'être, en produiraient encore davantage, et contribueraient puissamment à combler les grandes lacunes qui existent dans notre enseignement populaire et dont on se plaint avec raison.
M. le président. - Quelqu'un demande-l-il encore la parole ?
M. B. Dumortier. - Messieurs, je ne m'attendais pas à parler aujourd'hui et j'aurais préféré prendre la parole dans une séance prochaine, d'autant plus que j'attendais des pièces qui m'étaient indispensables pour cette discussion.
Mais, puisque le débat est sur le point de se terminer et que je vois que M. le ministre ne juge pas à propos de répondre à mon honorable collègue et ami M. de Theux, qui a fait un discours si remarquable et dans lequel sont si bien expliqués les principes de la loi de 1842, je répondrai quelques mots au discours prononcé par l'honorable ministre de l’intérieur.
Lorsque M. le ministre de l'intérieur a prononcé son discours, un cri est parti de ma poitrine : Sommes-nous en Turquie ? Eh bien, je vous le déclare, cette réflexion qui a échappé à ma conscience, est le cri de la vérité !! Sommes-nous eu Turquie dans ce moment ? C'est-à-dire la loi gouverne-t-elle la Belgique ou bien est-ce la volonté absolue des ministres, la volonté des bureaux qui sont sous leurs ordres ? Voilà toute la question qui s'agite devant vous.
Si la loi ne vous convient pas, ayez le courage et l'énergie de présenter à la chambre un projet de loi pour modifier la législation dans le sens de vos idées. Du moins vous aurez la franchise de votre opinion. Mais si vous n'avez pas le courage de présenter un projet de loi, vous n'avez pas la franchise de votre opinion, quand vous venez refaire la loi par des circulaires.
Lorsque vous venez violer la loi, lorsque vous venez la torturer, lorsque vous venez lui donner une application contraire à son texte, contraire à son principe, contraire à la discussion, et ce parce que vous n'avez pas le courage de présenter un projet, je dis que vous n'avez pas la franchise de votre opinion.
Je le répète, ayez le courage de présenter une loi dans le sens de vos principes, et nous l'examinerons. Mais c'est ce que vous ne faites pas, ce que vous vous gardez bien de faire ; vous aimez mieux torturer le texte de la loi, lui faire dire tout le contraire de ce qu'il dit, refaire la loi par des circulaires et arriver à une solution qui n'a pas pour elle le premier de tous les mérites d'un gouvernement, le mérite de la loyauté. Une telle conduite, je la flétris, comme indigne d'un gouvernement, comme une odieuse violation du serment que vous avez fait de respecter la constitution et les lois du royaume.
Tout, au reste, coïncide dans cette manière de faire. N'avez-vous pas entendu hier le ministre de l'intérieur venir dire dans cette enceinte au sujet de sa conduite relative aux écoles adoptées : Le gouvernement peut vous dire : J'use de mon droit et quand j'use de mon droit, je n'en dois compte à personne.
Comment ! Vous usez de ce que vous appelez votre droit et vous ne devez pas compte des actes que vous posez ? Mais que devient donc la constitution ? Que devient la responsabilité ministérielle ? Ainsi vous abdiquez toute responsabilité ; vous n'êtes plus responsable devant le Parlement ; vous usez de votre droit et vous ne devez compte à personne ! C'est-à-dire que vous ne devez plus compte au parlement de vos actes.
Eh bien, je dis que c'est là la maxime du despotisme et du pouvoir absolu, que c'est la négation du premier principe d'un gouvernement constitutionnel, du principe de la responsabilité des ministres, et je suis indigné, je suis scandalisé d'entendre de pareilles paroles prononcées dans cette chambre et sortir de la bouche d'un ministre qui se dit libéral. (Interruption.)
(page 798) Ah ! voilà bien le libéralisme ! le voilà dépourvu du masque dont il se couvre ! J'use de mon droit et je ne dois compte à personne ; je suis l'absolutisme et je vous dénie, à vous chambre des représentants, le droit de m'interroger, de me rendre responsable de mes actes. (Nouvelle interruption.)
Oui ! vous l'avez dit : « J'use de mon droit et je n'en dois compte à personne. »
Ces paroles inconstitutionnelles, programme de l'absolutisme, resteront comme une flétrissure sur le ministère qui les prononce et sur le parti qui les tolère et les soutient.
Voilà, messieurs, comment on exécute la loi ! Avais-je tort, après cela, de dire que dans toute cette discussion le premier mérite qui faisait défaut c'était le mérite de la franchise, le mérite de la loyauté. Avais-je le droit de demander si nous sommes en Belgique ou si nous sommes en. Turquie ?
Un pacha, un ministre du Sultan peut dire : « J'use de mon droit je ne dois rendre compte à personne. » Mais en Belgique de pareilles paroles sont un blasphème.
M. Dolez. - On n'est donc pas si mal en Belgique.
M. B. Dumortier. - Oui, parce qu'il y a en Belgique une opposition qui empêche l'application de pareils principes, mais vous savez fort bien qu'on y serait fort mal si ces principes étaient admis et vous, qui m'interrompez, vous seriez le premier à ne pas les admettre.
C'est encore, messieurs, en torturant le texte de la loi, en torturant le texte de la discussion, qu'on est venu dire que c'est nous, et spécialement l'orateur qui vous parle, que nous nous étions portés en adversaires de la liberté communale en matière d'enseignement primaire. (Interruption.)
Vous avez dit que j'avais voulu annuler la liberté communale dans la loi d'enseignement primaire.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). -J'ai dit que vous aviez restreint la liberté communale et j'ai cité les votes que vous avez émis dans ce sens.
M. B. Dumortier. - Vous avez donc dit que j'avais voulu restreindre la liberté communale ;
Eh bien, je nie le fait et vous défie de prouver une telle accusation.
Ceux qui restreignent la liberté communale, ce sont ceux qui agissent comme le ministère.
Oui, il est une proposition que j'ai combattue où l'on invoquait la liberté communale, et qui a été repoussée par l'unanimité de cette Chambre, sauf deux voix ; cette proposition était celle-ci :
Le pouvoir législatif peut-il, sans violer la liberté communale, ordonner que l'instruction religieuse fera partie de l'enseignement primaire ? J'ai soutenu que la chambre avait parfaitement le droit de faire figurer l'instruction religieuse dans le programme de l'enseignement primaire, comme elle a le droit d'y faire figurer la lecture, l'écriture, l'arithmétique et la gymnastique.
Si c'est là restreindre la liberté communale, ayez la franchise de le dire. Ayez la franchise de dire que vous voulez exclure la religion de l'enseignement primaire ; du moins votre position sera nette.
Est-ce que vous vous imaginez par hasard que la liberté communale consiste en ceci : que 16 membres d'un conseil communal, composé de 30 personnes, pourront priver une population de 200,000 âmes de tout enseignement religieux ? Est-ce là ce que vous voulez ?
Je vous le demande et je vous somme de répondre. J'en ai le droit, puisque vous m'avez accusé de restreindre la liberté- communale. Est-ce ce que vous voulez ?
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Non.
M. B. Dumortier. - Alors vous pensez comme moi, mais alors aussi je vous défie de citer un mot prononcé par moi et qui tende à restreindre la liberté communale.
Savez-vous, messieurs, quels sont ceux qui restreignent la liberté communale ? Ce sont ceux qui interprètent la loi sur l'instruction primaire comme le gouvernement l'a interprétée et qui la refont par des circulaires pour enlever à la commune les libertés et les facultés qu'elle consacre ; ceux qui, d'une instruction essentiellement communale, prétendent faire une instruction primaire gouvernementale.
La loi sur l'enseignement primaire repose sur deux choses : la faculté laissée à la commune de créer ou d'adopter une école et la soumission de toute école au régime d'inspection pour obtenir des subsides.
La première est donc la liberté laissée à la commune de fonder une école si elle le désire ou d'adopter une école si elle le préfère, ou de ne rien faire si l'enseignement libre suffit aux besoins de la population.
Voilà la liberté communale, c'est le droit pour la commune de créer ou d'adopter une école ou bien de ne pas en créer, s'il est pourvu à l’instruction des enfants pauvres, par les établissements libres.
Voilà la première base de la loi sur l’enseignement primaire. Eh bien, qui vient dénier ce droit à la commune ? Est-ce nous, est-ce le parti conservateur ? Non ! c'est vous, gouvernement ; c'est vous qui supprimant de la loi l'école adoptée qui en est l'une des bases essentielles, venez déclarer que la commune n'a pas le droit de choisir ses écoles comme elle l'entend ; c'est vous qui venez déclarer que l'école fondée est la règle, et celle adoptée l'exception dans la loi et que vous avez le droit de forcer les communes d'adopter tel système plutôt que tel autre.
C'est vous qui, supprimant la liberté communale, venez mettre votre opinion dans la balance contre le vœu d'un conseil communal. C'est vous qui venez imposer votre volonté à la commune. Et vous ne rougissez pas lorsque vous osez venir dire que c'est nous qui voulons restreindre la liberté communale. Votre rôle, c'est celui du larron criant : Au voleur ! pour détourner l'attention.
Je le répète, ceux qui restreignent la liberté communale, ce sont ceux qui veulent empêcher la commune d'user librement de la faculté que la loi lui accorde de créer ou d'adopter une école et d'user des deniers des contribuables dans l'intérêt des habitants ; ceux qui veulent forcer la commune à employer ses ressources dans le sens de leurs opinions et non dans celui des habitants ; ceux qui veulent imposer aux mandataires de la commune des mesures qui répugnent à leur conscience. D'après M. le ministre de l'intérieur, il y a dans la loi deux genres d'écoles : l'école communale et l'école libre ; l'école communale est la règle, l'école libre est l'exception.
Telle est la base de son système.
Eh bien, messieurs, tout cela est un roman, tout cela est contraire au texte même de la loi, et je porte au ministère le défi de montrer dans la loi la distinction d'école règle et école exception qui est la base de son système.
Il y a dans la loi, sans distinction, sans préférence, sans école règle et école exception, trois genres d'écoles, égales en droit, égales en titre : l'école de l'article premier, l'école de l'article 2 et l'école de l'article 3. C'est-à-dire, il y a l'école fondée par la commune, l'école libre qui ne tient rien de la commune, qui ne reçoit aucun subside de la commune, et l'école adoptée ; et la commune a le choix plein et entier parmi ces divers systèmes : telle est la loi.
Si donc je voulais retourner la manière de présenter la loi adoptée par M. le ministre, je dirais : Oui, il y a dans la loi deux genres d'écoles ; il y a l'école qui reçoit quelque chose des deniers publics et l'école qui ne reçoit rien.
Je dis, messieurs, que la commune est parfaitement libre de fonder une école ou de n'en pas fonder, d'adopter une école ou de n'en pas adopter ; elle est libre dans son choix et pourvu qu'il soit satisfait aux besoins de l'enseignement, ni le gouvernement ni la députation permanente n'a rien à y voir, si ce n'est dans le cas où l'école ne remplirait pas les conditions de capacité et de moralité.
Hors de là l'autorité supérieure n'a qu'une seule chose à exiger, c'est qu'il soit pourvu à l'instruction des enfants pauvres ; et la commune est libre, entièrement libre d'adopter le mode qui a sa préférence. Voilà la liberté communale, et ce que le gouvernement prétend réformer, et ce qu'il dénie à la commune.
J'ajouterai, messieurs, que si la loi avait été rédigée dans le sens des idées émises hier par M. le ministre de l'intérieur avec ce principe menteur professé par lui que l'école fondée par la commune doit être la règle et l'école adoptée l'exception ; avec ce principe menteur que la commune n'est pas libre de fonder ou d'adopter à son choix une école, qu'elle ne peut l'adopter dans certaines circonstances, et avec cet autre principe non moins menteur que l'enseignement libre ne peut pas être subsidié pour les services qu'il rend à la commune, je dis que si la loi avait été rédigée dans ces idées, il ne se serait pas trouvé en 1842 dix membres de cette Chambre pour voter une telle loi, une loi aussi hostile à toutes les libertés constitutionnelles.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - M. Nothomb, M. de Theux, M. de Decker, tout le monde l'a interprétée ainsi.
M. B. Dumortier. - Quand, il y a dix ans, on nous sommait, M. le ministre qui m'interrompez, de changer la loi de 1842 et d'exclure le prêtre de l'école, vous avez dit : « Mon parti ne voudrait pas me suivre », que faites-vous aujourd'hui ? Vous réalisez cette pensée par une série de mesures administratives ; vous refaites la loi par des circulaires. Vous n'oseriez pas présenter une loi dans ce sens parce que : « votre parti ne voudrait pas vous suivre », et c'est par la violation de la loi que vous voulez arriver au même but.
La commune a donc le droit de satisfaire aux besoins de l'enseignement (page 799) en créant une école, soit en adoptant une école, suit en subsidiant une école. Elle peut faire ce qu'elle veut pourvu qu'elle soit dans les limites de la loi. (Interruption.)
Vous avez dit hier le contraire, vous avez dit que la commune ne pouvait pas subsidier une école libre, qu'elle ne pouvait payer à une école libre que l'écolage des enfants pauvres. Vous avez dit que la commune ne peut user du droit d'adoption envers une école qui lui convient, qui remplit le vœu des pères de famille, si on peut en fonder une à meilleur marché.
Ici encore, vous refaites la loi, car rien de tout cela ne s'y trouve. La loi respecte autrement la liberté. D'après elle, la commune est libre de pourvoir aux besoins de l'instruction par le moyen qu'elle juge le plus convenable.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Dans les termes de la loi.
M. B. Dumortier. - Dans les termes de la loi, elle peut adopter une école, c'est son droit, sa liberté.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Si elle y est autorisée.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Et l'autorisation peut être retirée tous les ans.
M. B. Dumortier. - Je connais ces articles aussi bien que le gouvernement, j'ai contribué à les faire quand l'honorable M. Frère ne siégeait pas encore dans cette enceinte.
Il faut que la commune soit autorisée, mais dans un intérêt d'ordre public et non pour tuer à la fois, et la liberté de la commune, et la liberté d'enseignement, et la liberté d'association.
Que s'est-il passé, messieurs, par suite des nouvelles interprétations de la loi sur l'enseignement primaire ? Voici ce qui existait dans un grand nombre de communes.
A Tournai, par exemple, les frères des écoles chrétiennes recevaient un subside pour l'instruction des enfants pauvres. Ils avaient, si ma mémoire n'est pas infidèle, environ 500 enfants pauvres à qui ils donnaient l'enseignement gratuit à la décharge de la ville.
La commune reconnaissant les services rendus par cette école lui avait accordé un subside. Et chose remarquable ; de même qu'à Dinant, c'était M. Pirson qui avait appelé l'école des frères, de même à Tournai, c'étaient les libéraux de la commune, parmi lesquels on comptait d'anciens membres de cette chambre siégeant sur vos bancs, qui avaient proposé d'accorder un subside à l'établissement des frères.
Le même fait s'est passé dans une autre localité du Hainaut, à Péruwelz. Le conseil communal de cette petite ville est exclusivement composé de libéraux ; il y a peut-être 300 électeurs ; or, dans les élections, le parti catholique ne compte que 3 ou 4 voix, et le parti libéral en compte 296 à 297.
La commune avait voulu avoir une école des frères de la doctrine chrétienne et lui avait alloué un subside ; je répète que le conseil communal est exclusivement composé de libéraux qui ne comprennent pas qu'on puisse être libéral sans jouir de la liberté. Eh bien, qu'a fait le gouvernement ? Il a fait ordonner à la commune de supprimer le subside alloué à cette institution. Comme la ville de Tournai, Péruwelz a dû supprimer le subside et créer une école communale dont cette commune n'avait pas besoin.
Des discussions excessivement vives sont intervenues ; mais en fin de compte, la pression et les menaces du gouvernement ont été telles, que le conseil communal a été forcé de supprimer le crédit.
Eh bien, je vous le demande, messieurs, est-ce là de la liberté communale quand, la menace à la bouche, vous venez dire à une administration qui est de votre couleur : « Vous supprimerez tout subside alloué à une école libre ; sinon, je le supprimerai d'office. » (Interruption.)
Mais de quel droit, vous qui parlez de liberté communale, venez-vous dire à telle commune, à telle ville :
« Si vous ne retranchez pas le subside que dans l'action de votre liberté vous avez porté à votre budget pour telle école adoptée, je le retrancherai d'office. »
Voilà sans doute de la violence, et vous appelez cela de la liberté ! (Interruption.)
Ce n'est pas la loi qui prescrit cela ; c'est vous qui vous mettez à la place de la loi, qui lui substituez votre volonté absolue et tyrannique.
Comment ! c'est la loi. Mais la loi n'a-t-elle pas donné à la commune l'option entre les trois catégories d'écoles ? A-t-elle établi aucune distinction entre ces catégories.
Les circulaires dont on nous parle n'ont aucune valeur contre la loi et contre la discussion à laquelle elle a donné lieu. (Interruption.) Je le répète, la loi n'établit aucune différence entre les diverses écoles. La distinction, c'est vous qui la créez, et en la créant, vous violez la loi.
En effet, quelle était la situation quand on a fait la loi de 1842 ? Dans le plus grand nombre de communes de la Belgique, il existait des écoles fondées par le clergé. (Interruption.)
Peut-on contester un pareil fait ? Dans les deux Flandres, il n'y avait pas un seul village qui n'eût une école fondée par l'action religieuse, par la liberté ?
Il en était de même des communes rurales des autres provinces. (Interruption à gauche.) Je fais un appel à la loyauté de l'honorable M. de Renesse qui m'interrompt si tel n'était pas l'état des choses en 1842...
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. de Renesse dit le contraire.
M. B. Dumortier. - C'est que sa mémoire lui fait défaut ; n'y avait-il pas dans chaque village une école ayant le clerc pour maître ?
Il est inconcevable que l'on conteste le fait ; c'est vouloir nier la lumière en plein jour. Je le répète, oui, messieurs, avant la loi, il n'y avait pas un seul village où il n'y eût une école libre et indépendante, fondée par le clergé.
Qu'est-il arrivé ? Le gouvernement reconnaissait qu'il lui était impossible de fonder partout des écoles, en présence des écoles libres qui s'étaient ouvertes sur tous les points du pays pendant le cours de douze années ; le gouvernement a fait alors une loi de transaction, et cette transaction a eu pour résultat de transformer toutes les écoles existantes par le clergé, en écoles communales.
Voilà comment les choses s'y sont passées ; voilà la base de toute la loi.
Quel est le système qui a prévalu alors ? On a voulu maintenir à la commune le droit de fonder, d'adopter ou de subsidier, dont elle était en possession ; on a voulu qu'elle pût fonder une école, adopter ou subsidier une école privée, ou qu'il fût pourvu à l'instruction par la liberté, en lui laissant, dans son intégrité, le droit dont elle jouissait.
Voilà tout le système de la loi, et c'est cette base de la loi que le ministre veut refaire par des circulaires, en établissant des écoles préférées et des écoles de circonstances.
Vous ne sauriez trouver dans la loi un seul mot qui indique une préférence quelconque pour telles ou telles catégories d'écoles.
Tout ce que vous dites à cet égard est une violation du principe d'adoption laissée aux communes et rien de plus.
La preuve de l'égalité de toutes ces écoles devant la loi, je la puise dans l'article 26 de la loi. Est-ce que par hasard l'article 26, qui règle les subsides et est la sanction de toute la loi, oblige la commune à avoir une école de tel ou tel genre ? En aucune manière.
L'article 26 se borne à déclarer qu'aucune école ne pourra obtenir ou conserver un subside ou une allocation quelconque de la commune, de la province ou de l'Etat, si l'autorité qui la dirige ne consent à la soumettre au régime d'inspection établi par la présente loi.
Eh bien, fait-on une distinction, quand il s'agit de l'allocation des subsides ? Y a-t-il là toutes les distinctions dont on a parlé hier ? est-il dit là qu'on ne peut accorder un subside à une école adoptée par une commune ?
Est-il dit là qu'on ne doit accorder qu'un minerval et non une subvention pour les enfants qui fréquentent l'école adoptée ? Rien de tout cela ne se trouve dans la loi. L'unique condition que la loi impose, c'est l'obligation de se soumettre à l'inspection.
L'inspection est la seconde base fondamentale de la loi. La loi consiste en deux choses.
Le premier point, c'est l'organisation de l'instruction primaire dans la commune, organisation qui est laissée à la commune, laquelle est libre de fonder ou d'agréer une école ou de ne pas fonder et d'agréer une école, s'il est pourvu suffisamment aux besoins de l'instruction par la liberté. Le second point, c'est la double inspection, l'inspection civile et l'inspection ecclésiastique. Voilà les deux grands principes déposés dans la loi ; l'un est en faveur de la commune, l'autre en faveur des mœurs publiques et de la bonne organisation de l'enseignement primaire en Belgique. Lorsqu'il est satisfait à ces deux obligations, la commune est libre de faire ce qu'elle veut ; le gouvernement et la province n'ont rien à lui prescrire.
Voilà la seule base de la loi de 1842, ainsi que de la loi communale dont la loi de 1842 n'est que le développement.
Je vous demande dès lors, messieurs, ce que signifie le principe invoqué par M. le ministre de l'intérieur, quand, refaisant la loi au gré de ses passions, il vient nous dire que les communes ne peuvent pas adopter des écoles privées qui eussent la confiance des parents, le vœu de l'unanimité des habitants, quand les charges qui doivent en résulter sont supérieures ou égales à celles que doit entraîner la création d'une école (page 800) communale, et que dans ce cas il faut retirer l'autorisation ; sinon, dit le ministre, la loi est violée.
Comment ! c'est la commune qui viole la loi, quand elle ne fait qu'user du droit qu'elle lui accorde ! La parole vous est donc donnée pour dissimuler la vérité. La violation de la loi, savez-vous où elle est ? Dans votre système qui n'est que la persécution de la pensée religieuse sous toute les formes possibles : vous soutenez qu'il y a violation de la loi ; il ne suffit pas de dire que la loi est violée ; il faudrait d'abord le prouver. Nous vous prouvons que la loi est violée, torturée dans le système que vous vous êtes créé, parce que vous n'avez pas, encore une fois, le courage de présenter une loi qui entre dans votre système, dans vos idées.
Ce n'est donc pas, messieurs, comme l'a dit M. le ministre de l'intérieur, dans certaines circonstances que la loi permet l'adoption de l'école.
L'adoption de l'école n'est pas un fait de certaines circonstances, un fait d'exception, c'est un droit légal entièrement égal à la création, un droit qui n'est limité par rien si ce n'est par l'agréation de l'adoption par l'autorité supérieure et en second lieu par la soumission de l'école à l'inspection.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et le retrait quand on veut.
M. B. Dumortier. - Et le retrait quand on veut, bien entendu dans l'intérêt de l'ordre public et de la liberté et non en vertu des pouvoirs des ministres. Et c'est en vertu de ce retrait que le ministère actuel viole aujourd'hui de plus en plus de la façon la plus audacieuse la loi dans toutes les communes.
C'est en vertu de ce retrait qui a été donné au gouvernement pour retirer l'adhésion si une école tournait mal, n'atteignait pas son but, si l'instituteur devenait mauvais, s'il y avait danger pour la commune à le conserver, qu'on fait violence à la commune et qu'on l'opprime ; qu'on fait d'une disposition portée pour sauvegarder la bonté de l'institution, une disposition violente, oppressive et tyrannique, détruisant à la fois et la loi d'instruction et la loi communale, la liberté d'enseignement, la liberté d'association et la liberté des cultes.
Voilà comment un mauvais gouvernement torture les lois et fait de la perversité au lieu de faire le bien.
C'est ce système que je combats au nom de la liberté et que je signale à l'indignation du pays.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Avant de répondre, et je le ferai avec beaucoup de calme, au discours éloquent de l'honorable M. B. Dumortier, je désire dire quelques mots du discours que vient de prononcer l'honorable M. de Theux.
Je connaissais, messieurs, les citations faites par l'honorable membre, et je sais comme lui que la loi de 1842 ne renfermé pas de dispositions spéciales relatives aux écoles des filles. Mais je pense, comme l'honorable orateur, du reste, que le gouvernement doit faire administrativement tout ce qui est en son pouvoir pour organiser aussi bien que possible cet enseignement, qu'il faut en cette matière agir avec une grande prudence et accorder une grande confiance aux administrations communales, si bien à même d'apprécier les circonstances et les nécessités locales.
M. de Man d’Attenrode. - Sans faire violence aux communes.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - En ce qui concerne le droit accordé au gouvernement d'exiger la séparation des sexes, c'est, d'après l'honorable M. de Theux, une question extrêmement grave ; je pense cependant avec lui que, dans certains cas rares, le gouvernement a le droit d'ordonner d'office la création d'écoles communales pour les filles.
J'ajouterai que les recommandations faites par l'honorable M. de Theux ont toujours été suivies, et il n'existe, à ma connaissance que cinq ou six cas depuis 1842, où des écoles ont été créées d'office ; et parmi ces précédents il en est un qui a été posé par l'honorable M. de Theux lui-même. (Interruption.)
Une école adoptée semblait insuffisante.
L'honorable M. de Theux a créé d'office une école communale ; il a nommé une sœur, institutrice communale.
Mais je ne puis partager l'opinion de l'honorable membre en ce qui concerne l'article 26.
L'article 26 est un article sanctionnel. C'est la sanction de toute la loi ; les écoles soumises à l'inspection peuvent seules recevoir des subsides ou des émoluments quelconques.
Il est évident, aux termes de cet article et d'après la discussion qui a eu lieu, qu'une école qui n'est pas soumise à l'inspection, qui ne remplit pas les conditions légales prescrites par la loi de 1842, ne peut être subsidiée ni conserver de subside.
M. de Decker. - Il faut comparer cet article avec les articles 15 et 16.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Soit.
L'honorable M. Rodenbach a constaté que le nombre des miliciens illettrés est encore fort considérable en Belgique et que c'était surtout dans la banlieue et dans les environs de Bruxelles, de même que dans la banlieue de Paris que les ténèbres sont le plus épaisses.
M. Rodenbach. - A Bruxelles plus que dans les campagnes.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je ne sais à quoi il faut attribuer ce fait. Souvent à côté de la lumière, les ténèbres paraissent plus épaisses.
Le fait cité par l'honorable M. Rodenbach m'a frappé. J'espérais que le nombre des miliciens sachant lire et écrire aurait augmenté d'une manière générale et cependant il n'en est rien ; il y a plutôt diminution, excepté cependant pour quelques localités.
Je crois que la faute en est un peu aux administrations communales qui ne se donnent quelquefois pas assez de peine pour engager les enfants à fréquenter les écoles communales.
J'ai eu l'honneur de faire partie d'une administration communale qui s'occupait de cette question avec une grande sollicitude et qui a obtenu d'excellents résultats ; pour la ville d'Ypres la moyenne des miliciens illettrés est, depuis quelques années, de 8 à 10 p. c., et sur ces 8 ou 10 miliciens, la moitié ou ne sont pas nés à Ypres ou y sont arrivés à l'âge de 11 ou 12 ans, ou sont enfin dans un état de santé qui ne leur a pas permis de fréquenter les écoles.
De pareils résultats auraient pu être obtenus ailleurs, messieurs, si les administrateurs des communes se donnaient la peine de pousser les enfants vers les écoles.
L'honorable M. de Haerne a constaté une véritable lacune. II manque encore des instituteurs et des institutrices en Belgique, et c'est un mal réel.
Le gouvernement l'a reconnu et l'honorable membre aura pu remarquer que dans le budget de cette année on demande une augmentation de crédit assez considérable afin d'accroître le nombre des élèves normalistes. J'espère que la Chambre voudra bien nous accorder la somme que nous demandons.
Quant à la séparation des sexes, je pense que le gouvernement doit y pousser autant que possible, mais qu'il doit user de moyens de persuasion et n'employer la rigueur qu'à la dernière extrémité.
Nous ne pouvons pas admettre le système prussien ni le système hollandais, car dans ces pays on ne cherche pas à séparer les sexes ; on prétend même que les écoles mixtes sont préférables et que la réunion des enfants des deux sexes adoucit les mœurs.
Quant à moi, je ne partage pas cette manière de voir et je pense qu'il' est préférable de séparer autant que possible les sexes.
C'est du reste, aussi l'opinion de l'épiscopat ; sous ce rapport, le gouvernement est parfaitement d'accord avec le clergé. Chaque fois qu'on pourra séparer les sexes, on fera bien de ne point les confondre.
M. de Renesse. - J'ai signalé le fait à l'honneur de la Belgique.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Il me reste à répondre à l'honorable B. Dumortier ; je le ferai avec le plus grand calme, bien qu'il prétende qu'à voir ce qui se passe dans notre pays, on se croirait en Turquie, et que je me donne des airs de pacha.
Répondre à l'honorable membre n'est pas chose très facile ; l'honorable collègue nous lance de grosses accusations, qui sont éternellement les mêmes.
Nous violons la constitution ; nous torturons la loi, nous la violons, nous n'avons pas le courage de la changer ! Que signifie tout cela, messieurs ? Où sont les preuves à l'appui de ces accusations violentes ? Je crois avoir déclaré dans la séance d'hier, et c'est ma conviction profonde, qu'en appliquant la loi comme nous le faisons, nous en respectons et le texte et le sens, et que nous nous conformons d'ailleurs à la jurisprudence des ministres qui se sont succédé au département de l'intérieur.
Il peut y avoir des conflits, des difficultés sur quelques points de détail ; mais, dans son ensemble, la loi est appliquée sagement.
L'honorable M. Dumortier nous dit encore que nous manquons de loyauté.
D'abord, messieurs, je ferai remarquer que l'expression n'est pas très polie ; mais je le demande, eût-il été plus loyal d'agir comme on l'a fait quelquefois, c'est-à-dire de garder ici le silence, ou de chercher à déguiser la pensée du gouvernement, sauf à exécuter sans bruit la loi comme nous l'entendons ?
Je crois qu'il y a plus de loyauté de ma part de dire, dès mon entrée au ministère, quelle est l'interprétation que j'entends donner à la loi, et comment je veux l’exécuter au lieu de m'accuser de déloyauté, l'honorable membre aurait dû me tenir compte de ma franchise.
(page 801) On peut dire que je me trompe, que j'interprète mal la loi, mais on a tort de me faire un crime de ce que je dis loyalement et franchement ma pensée.
Il est bien d'autres griefs encore que l'honorable député de Roulers a articulés contre moi.
L'honorable membre prétend que nous violons la constitution, que nous nous donnons des airs de pacha, parce que j'ai dit que le pouvoir exécutif a des droits particuliers qu'il exerce comme gouvernement et qu'il peut user de ses droits.
Mais est-ce à dire qu'il n'est pas responsable de ses actes devant les Chambres ?
Evidemment non, messieurs.
L'honorable membre a le droit de nous interpeller quand il le juge convenable, et il use, je pense, assez fréquemment de ce droit ; mais, d'un autre côté, le gouvernement aussi a des droits, et s'il croit, par des motifs quelconques, ne pas devoir répondre à l'honorable membre ou à tout autre qui l'interpellerait, il a évidemment le droit de garder le silence.
Il ne faut sans doute pas que le pouvoir exécutif absorbe les chambres, mais il ne faut pas non plus que celles-ci absorbent le pouvoir exécutif. Si la chambre n'est pas satisfaite de l'attitude que prend le ministère ou des réponses qu'il fait, elle a un moyen extrêmement simple de le manifester : elle émet un vote de défiance et le cabinet sait alors ce qui lui reste à faire : il remet à d'autres les portefeuilles ministériels. Il n'y a rien de plus simple, et jusque-là chacun est dans son droit.
M. B. Dumortier. - Vous n'avez pas le droit de dire que vous ne devez de compte à personne de ce que vous faites.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je dois rendre compte à la chambre de ce que j'ai fait ; mais j'ai certainement le droit de rester juge de l'opportunité des réponses qu'on provoque de ma part ; je puis choisir mon jour et mon heure ; et si cela ne convient pas à la chambré, elle a toujours le droit d'émettre le vote que je viens d'indiquer.
J'ai dit hier que l'honorable M. Dumortier et plusieurs de ses collègues avaient, en votant la loi de 1842, restreint les libertés communales. (Interruption). J'ai positivement dit cela.
M. B. Dumortier. - Non ! non !
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - C'a été parfaitement ma pensée et je suis bien certain que mes paroles ne l'ont pas trahie. J'ai dit cela et je le maintiens.
J’ai dit, et il pouvait difficilement en être autrement, que la loi spéciale de 1842 a restreint dans des proportions assez notables les libertés de la commune.
Et, en effet, après 1830, les communes faisaient absolument ce qu'elles voulaient ; elles créaient des écoles ou elles n'en créaient pas ; elles adoptaient des écoles privés ou elles fondaient des écoles communales ; elles donnaient ou elles refusaient des subsides quand elles le jugeaient convenable ; enfin elles n'avaient pas de programme d'enseignement.
M. B. Dumortier. - C'est ce que nous avons maintenu par la loi.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Vous n'avez pas du tout maintenu cela par la loi.
Il y avait donc, sous ce rapport, la liberté la plus complète ; c'était, permettez-moi de le dire, une liberté un peu sauvage, une liberté sans règle aucune. En 1836, la loi communale avait déjà quelque peu déterminé les attributions de la commune en matière d'instruction primaire ; et la loi de 1842 est venue indiquer ses attributions et limiter ses droits.
Ainsi, les communes adoptaient des programmes si elles le jugeaient convenable ; la loi de 1842 leur a imposé un programme.
Les communes nommaient qui bon leur semblait ; la loi est venue dire : Vous ne nommerez plus que des élèves instituteurs diplômés, ou, s'ils ne le sont pas, il faudra une autorisation ministérielle pour les admettre. Les communes accordaient des subsides sans condition ; la loi de 1842 apporte encore des restrictions à cette liberté.
Vous le voyez, messieurs, la nouvelle loi de 1842 est plus restrictive de la liberté des communes que ne l'était la législation antérieure.
Maintenant l'honorable membre nous dit : Vous retirez arbitrairement les autorisations accordées ; et il cite ce qui a eu lieu à Tournai. Eh bien, messieurs, voici ce qui s'est passé dans cette ville, si je suis bien renseigné. L'établissement dont a parlé l'honorable M. Dumortier aurait refusé de se soumettre à l'inspection, les professeurs adoptés auraient refusé d'assister aux conférences ; en d'autres termes, ils auraient refusé d’accomplir les conditions légales prescrites par la loi, S'il en est ainsi...
M. Allard. - C'est parfaitement exact.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Eh bien, le retrait de l'adoption et du subside était obligatoire. Par conséquent, je ne vois pas en quoi la mesure dont s'est plaint l'honorable M. Dumortier méritait les critiques dont elle a été l'objet de sa part.
M. H. Dumortier. - Et l'affaire de Péruwelz ?
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je ne la connais pas.
Vous le voyez, messieurs, nous ne restreignons en rien les droits de la commune. Je pourrais discuter pendant longtemps avec l'honorable M. Dumortier sans espérer de nous mettre d'accord. L'honorable membre prétend, mais il oublie de prouver que la commune peut indifféremment créer des écoles communales ou adopter des écoles privées. C'est son opinion et je la respecte.
M. B. Dumortier. - C'est la loi.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - C'est la question.
M. B. Dumortier. - Vous faites une question d'un texte clair et formel.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Il faut bien croire cependant que ce texte n'a pas la même signification pour tout le monde, puisque nous l'interprétons autrement que vous.
M. B. Dumortier. - Je n'interprète pas ; je lis.
M. Muller. - Vous lisez très mal.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - D'autres membres que l'honorable M. Dumortier et tous les ministres qui ont passé au ministère de l'intérieur depuis que la loi est en vigueur, l'ont lue eux aussi et tous ont été du même avis.
Maintenant, je ne conteste pas les qualités immenses de l'honorable M. Dumortier. Je sais qu'il a un jugement droit et sain ; je lui demanderai cependant s'il a la prétention de croire que lui seul comprend mieux la loi que tous les ministres qui ont été appelés à l'exécuter,
M. B. Dumortier. - Je n'ai pas du tout cette prétention.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Vous devez comprendre que si d'autres ne sont pas de votre opinion, ils peuvent être de bonne foi ; vous ne devez donc pas les accuser.
L'honorable membre a dit, en terminant, qu'on voulait persécuter la religion, exclure les frères et les sœurs de l'enseignement, les empêcher de le donner ; il n'en est rien. Nous voulons exécuter la loi comme nous pensons qu'elle doit l'être ; si M. Dumortier devenait ministre il l'exécuterait comme il l'entend ; nous nous mettrions alors à sa place actuelle et nous dirions : Vous appliquez mal la loi, nous chercherions à le renverser comme il cherche à nous renverser, et ce serait justice.
Le nombre des instituteurs et des institutrices appartenant à des corporations a augmenté...
M. B. Dumortier. - Des instituteurs et des institutrices libres !
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Libres, soit, mais enfin le nombre a augmenté de 35 à 40 p. c. : où sont donc les persécutions contre la liberté de l'enseignement ?
M. B. Dumortier. - Vous venez de dire que 119 écoles libres ont été supprimées depuis 1857.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - D'abord on ne peut pas supprimer des écoles libres ; elles existent en vertu de la liberté d'enseignement, on ne peut pas les supprimer.
J'ai dit qu'il y avait en 1860, 119 écoles de moins qu'en 1857 ; mais est-ce le gouvernement qui les a supprimées ?
Elles sont tombées d'elles-mêmes ; il y a une légère diminution sur le nombre des écoles adoptées ; j'ai fait connaître que l'autorisation n'avait été retirée qu'à 38 de ces écoles, et que 10 ou 12, je, pense, étaient dirigées par des corporations religieuses.
Vous le voyez, messieurs, il y a ici beaucoup d'exagération dans les plaintes de l'honorable membre, nous ne voulons pas détruire la liberté d'enseignement pas plus que la liberté d'association, et les accusations qu'on nous adresse sont injustes et manquent de fondement.
.M. Dechamps. - M. le ministre de l'intérieur a témoigné le regret de n'avoir pas pu examiner mon discours dans tous ses détails, parce que les Annales parlementaires n'avaient pas publié la séance d'hier. L’honorable ministre a eu la prétention de répondre à ce discours, mais je déclare qu'il ne l'a fait en aucune manière.
J'aurais bien voulu, après avoir relu à tête reposée le discours de M. le ministre, répondre aux détails qu'il renferme comme, je voudrais qu'il répondît à ceux dans lesquels je suis entré hier.
Je pense qu'il faudrait attendre ; nous sommes à la fin de la séance. (Interruption.) Est-ce que la question ne vaut pas la peine qu'on s'en occupe.
M. Muller. - Il y a dix ans qu'on l'a discutée.
.M. Dechamps. - Il y a dix an qu'on viole la loi.
(page 802) M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Alors vous l’avez violée par votre circulaire de 1842.
.M. Dechamps. - Je veux bien continuer le débat, mais je n'ai pas les pièces entre les mains ; les Annales ne nous ayant pas donné la séance d'hier, il nous est impossible de le faire avec fruit. Je demande, pour que cette question soit mûrie et vidée après une discussion approfondie, que la discussion soit continuée à mardi. C'est une tolérance que je demande dans l’intérêt d'une grave question.
M. B. Dumortier. - Je viens appuyer la proposition de mon honorable ami M. Dechamps. La chambre doit l'admettre de bonne grâce, car si elle prononçait la clôture du débat aujourd'hui, on ne pourrait pas nous empêcher de le rouvrir sur l'article premier. Mieux vaut la laisser continuer à mardi, d'autant plus qu'il est d'usage de lever la séance vers quatre heures le samedi et qu'il est quatre heures.
Je demande que la discussion soit continuée à mardi.
-La Chambre consultée renvoie la discussion à mardi et fixe la séance à 2 heures.
La séance est levée à 4 heures.