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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 21 février 1862

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page 776) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Moor, secrétaire, procède à l'appel nominal à une heure et un quart.

M. de Florisone donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Oscar Bilharr, ingénieur des mines, directeur de la société de la Vieille-Montagne, à Mouscron, né à Sigmaringen (Prusse), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur Thabert, ancien maître d'hôtel à bord du bateau à vapeur de l'Etat Diamant, se plaint des punitions dont il a été l'objet, et demande la restitution du cautionnement qui lui a été confisqué.»

M. Coppens-Bove. - Messieurs, cette pétition pouvant donner lieu à une discussion assez grave, je proposerai le renvoi à la commission avec demande d'un prompt rapport.

- Adopté.


« Des habitants de la Panne demandent qu'il soit pris des mesures pour arrêter la destruction du frai et du fretin du poisson de mer.

M. de Smedt. - Je demande le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion du budget des affaires étrangères.

- Adopté.


« Le sieur de Blende présente des observations relatives au rapport qui a été fait sur sa pétition ayant pour objet la libre entrée des farines. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport de la commission.


« Un grand nombre d'habitants d'Anvers prient la Chambre de s'occuper le plus tôt possible des pétitions relatives aux servitudes militaires. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur ces pétitions.


« M. Alfred du Graty fait hommage à la Chambre d'un exemplaire de son ouvrage intitulé : La République du Paraguay. »

- Dépôt à la bibliothèque.

Proposition de loi relative aux servitudes militaires à Anvers

Lecture

M. le président. - Hier, M. de Boe a déposé une proposition sur le bureau. Elle a été envoyée aux sections, qui toutes en ont autorisé la lecture.

Cette proposition est ainsi conçue :

« Les terrains qui se trouvent autour de la nouvelle enceinte et du camp retranché d’Anvers ne seront grevés de servitudes militaires qu’à partir de l’époque et dans les limites que déterminera une loi spéciale. »

Quand M. de Boe désire-t-il développer sa proposition ?

M. de Boe. - Je demanderai à présenter mes développements lorsque la Chambre discutera la pétition du conseil provincial d'Anvers, qui est relative aux servitudes militaires.

M. Orts. - Je crois que la marche indiquée par l'honorable M. de Boe nous conduirait à avoir deux discussions sur la même question : une discussion sur la prise en considération de la proposition de M. de Boe et une deuxième discussion sur les pétitions relatives aux servitudes militaires. On agirait plus logiquement, on abrégerait les travaux de la Chambre en renvoyant les pétitions à la section centrale qui, après la prise en considération, sera chargée d'examiner le projet de loi présenté par M. de Boe. De cette manière nous n'aurions évidemment qu'une seule discussion sur les servitudes militaires.

M. de Gottal. - Messieurs, le rapport sur les pétitions relatives aux servitudes militaires a été déposé ; la proposition de M. de Boe se rapporte indirectement aux réclamations des pétitionnaires ; les développements de cette proposition trouvent donc leur place toute naturelle dans l discussion du rapport sur les pétition ?.

M. le président. - La proposition de M. Orts préjuge la prise en considération.

M. Orts. -. Messieurs, la marche proposée par M. de Gottal nous ramène toujours à l'inconvénient d'avoir deux discussions au lien d'une.

Dans l'ordre logique, ce qu'il faut discuter d'abord, c'est la proposition de M. de Boe. Je suis parfaitement d'accord à cet égard, avec M. de Gottal ; mais je crois qu'il est inutile, après avoir ou repoussé, ou admis la prise en considération, de passer immédiatement à une deuxième discussion sur le même objet, à propos de pétitions.

Si la majorité croit, en effet, qu'il n'y a rien à faire, quant aux servitudes militaires, la Chambre le dira en refusant la prise en considération de la proposition de M. de Boe, et alors il devient inutile de discuter le rapport sur les pétitions.

Si, au contraire, la Chambre pense qu'il y a quelque chose à faire, elle prendra en considération la proposition de M. de Boe.

La question sera ensuite examinée d'une manière générale lors de la discussion du projet, et nous pourrons aboutir à une solution.

M. de Gottal. - Je crois que l'honorable M. Orts ne m'a pas compris : il me fait dire que la proposition de M. de Boe devrait être discutée la première ; j'ai dit au contraire. Quand nous examinerons le rapport sur les pétitions, il est très probable que d'autres propositions seront faites par ceux qui soutiendront les pétitions.

Ces différentes propositions pourront donc être développées en même temps.

Il me semble que ce serait simplifier le débat, et surtout l'abréger.

Je pense donc, ainsi que je l'ai fait observer pour la première fois, que les développements de la proposition de l'honorable M. de Boe pourraient avoir leur place naturelle dans la discussion du rapport sur la demande générale doe pétitionnaires ; et j'insiste pour que le rapport de la commission des pétitions soit discuté immédiatement après le budget de l'intérieur.

M. Van Humbeeck. - Messieurs, la Chambre a décidé, dès le commencement de la session, que la pétition du conseil provincial d'Anvers ferait l'objet d'un prompt rapport ; la commission chargée d'examiner la pétition a hâté son travail et l'a déposé ; cette affaire est donc prête pour la discussion publique ; or, la proposition de l'honorable M. Orts tend à soumettre de nouveau la pétition à l'examen d'une section centrale, alors qu'elle a déjà été examinée par une commission. Il y aurait donc, relativement à cette pétition, une double instruction.

Les difficultés proviennent du désir que nous avons d'accélérer la discussion.

Si ce désir ne nous dominait pas, la marche la plus naturelle à suivre, ce serait de fixer un jour spécial pour les développements de la proposition de l'honorable M. de Boe et pour la discussion sur la prise en considération.

Une fois la proposition prise en considération, elle ferait, dans les sections et en section centrale, l'objet d'un travail nouveau et spécial.

Si ce travail était achevé assez tôt pour que la discussion en pût être jointe à celle du rapport sur la pétition du conseil provincial d'Anvers, la Chambre pourrait joindre alors les deux discussions. Si le travail n'est pas fait, rien n'empêchera cependant que la Chambre n'aborde la discussion du rapport de la commission sur la pétition du conseil provincial d'Anvers, immédiatement après la discussion du budget de l'intérieur, ainsi que cela a été décidé.

Je propose à la Chambre de fixer un jour pour les développements de la proposition de l'honorable M. de Boe.

M. Orts. - Je me rallie à cette proposition.

M. de Boe. - Je suis complètement aux ordres de la Chambre. Seulement je ferai remarquer que ma proposition peut être considérée comme une conclusion du débat qui doit avoir lieu sur la pétition du conseil provincial d'Anvers ; de manière que je pourrais la développer pendant la discussion du rapport de M. Van Humbeeck ; si d'autres propositions surgissent alors, j'examinerai ce que j'aurai à faire.

M. Van Humbeeck. - Messieurs, en suivant la marche indiquée par l'honorable M. de Boe, nous tombons dans la difficulté qu'a signalée, l'honorable M. Orts.

En effet, la discussion à laquelle donnera lieu la proposition de l'honorable membre ne peut être jusqu'ici qu'une discussion sommaire : elle ne peut aboutir qu'à une prise en considération ; plus tard, une discussion pourra s'ouvrir sur le fond ; ainsi nécessairement nous aurions un double débat.

Donc cette marche ne peut pas être suivie, si l'on veut n'avoir qu'une discussion sur le fond.

(page 777) Je persiste à croire qu'il y a lieu de fixer un jour spécial pour entendre les développements de la proposition de loi de l'honorable M. de Boe et statuer sur la prise en considération préalablement à toute discussion sur le fond.

Je maintiens donc ma proposition.

M. Pirmez. - Messieurs, la proposition que vous fait M. Van Humbeeck doit nécessairement être adoptée, si la Chambre veut simplifier l'examen de la question que soulèvent les servitudes militaires.

Il est très vraisemblable que la Chambre n'aura pas à discuter la prise en considération de cette proposition ; elle n'aura qu'à entendre les développements de cette proposition, et, sans rien préjuger elle la renverra aux sections, comme il arrive toujours.

Quelque temps s'écoulera encore avant que les pétitions soient discutées. D'ici là, nous aurons probablement un rapport de section centrale, en sorte que l'on pourra, si cette éventualité probable se réalise, délibérer en même temps et sur les pétitions et sur la proposition de loi.

La Chambre remarquera, d'ailleurs, que les pétitions ne peuvent aboutir qu'à un renvoi au gouvernement, assez stérile, et que la proposition de M. de Boe, peut, au contraire, conduire à un résultat positif. Il est incontestablement avantageux que la Chambre aborde plutôt une discussion, qui paraît devoir être longue, avec la possibilité de voter une mesure législative qu'avec la certitude de ne pas modifier la législature existante.

M. de Boe. - Si la Chambre veut fixer un jour pour le développement de ma proposition, je me mets à sa disposition.

M. de Naeyer. - Faites-le aujourd'hui.

- Plusieurs membres. - Demain !

M. Muller. - On suspend continuellement la discussion du budget de l'intérieur.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - La discussion sur la prise en considération peut être très longue ; je demande donc qu'on n'interrompe pas la discussion du budget de l'intérieur.

M. Muller. - Oui ! après le budget.

M. le président. - On propose de fixer la discussion de la proposition de l'honorable M. de Boe immédiatement après le budget.

M. Van Humbeeck. - Messieurs, remettre la discussion sur la prise en considération après le budget, c'est ajourner la discussion du rapport sur les pétitions qui figurent à notre ordre du jour.

Si c'est là ce qu'on veut, qu'on le dise ; mais ne recourons pas à un ajournement indirect après avoir ordonné antérieurement de prompts rapports.

Je suis très désintéressé dans la question. Mon rapport est déposé ; je suis prêt à en soutenir les conclusions quand la Chambre le jugera convenable, mais je crois qu'après nos décisions antérieures nous devons éviter tout ajournement.

Je sais que le budget ne doit pas être retardé ; mais sans doute il entre dans les intentions de l'auteur de la proposition et dans les intentions de la Chambre que les développements, destinés à précéder la prise en considération, soient sommaires.

De cette manière il n'y aura pas de retard réel.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, je ne veux nullement faire ajourner la discussion sur la question des servitudes militaires. Mon observation n'avait qu'un but, c'était d'en finir avec la discussion du budget de l'intérieur.

La Chambre comprendra mon désir, mais du moment qu'il est entendu qu'il n'y aura que des développements sommaires, je me rallie entièrement à la proposition de l'honorable M. Van Humbeeck,

M. Hymans. - Messieurs, je crois que la Chambre ne doit pas modifier à chaque instant son ordre du jour.

Vous avez mis à l'ordre du jour immédiatement après la discussion du budget de l'intérieur, le rapport de l'honorable M. Van Humbeeck sur les pétitions relatives aux servitudes militaires.

Si la Chambre passait à l'ordre du jour sur ces pétitions, je vous le demande, quelle raison d'être aurait encore la proposition de loi de l'honorable M. de Boe ?

C'est de la décision que prendra la Chambre sur les pétitions venues d'Anvers que dépendra le sort de cette proposition de loi.

Dès lors les développements de cette proposition doivent être renvoyés immédiatement après les pétitions sur les servitudes militaires. Nous n'avons, pour le moment, rien de mieux à faire que de reprendre purement et simplement la discussion du budget de l'intérieur et de maintenir l'ordre du jour tel que nous l'avons fixé.

M. Muller. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour faire comprendre à la Chambre la nécessité de terminer la discussion du budget de l'intérieur. C'est l'objet le plus urgent qui se trouve à l'ordre du jour.

On dit que la discussion sur la prise en considération ne donnera pas lieu à de longs débats. Mais c'est préjuger la question et l'on ne doit pas préjuger à cet égard ce que fera la Chambre.

Il est impossible de savoir si cette discussion sera longue ou courte. Je demande donc que le budget de l'intérieur soit discuté sans discontinuation et que la discussion pour la prise en considération vienne immédiatement avant ou après la discussion des pétitions relatives aux servitudes militaires.

Je n'ai pas, à cet égard, d'opinion arrêtée, mais la Chambre comprendra que l'examen du budget de l'intérieur qui a une haute importance ne doit pas être continuellement interrompue par des discussions incidentes.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le gouvernement désire tout naturellement que la question dont on s'occupe en ce moment soit, sans trop de retard, soumise à la Chambre. Si l'intérêt public ne nous commandait pas de voter tout au moins le budget de l'intérieur dont la discussion est entamée, nous demanderions nous-mêmes qu'on fixât un jour pour statuer sur le rapport présenté par l'honorable M. Van Humbeeck.

Mais enfin cela ne me paraît pas possible quant à présent : il faut bien que l'on maintienne la décision qui a été prise de s'occuper des servitudes militaires immédiatement après le budget de l'intérieur.

L'ordre logique me paraît indiquer que les développements de la proposition de l'honorable M. de Boe viennent après la discussion de la question des servitudes militaires, puisque, selon la résolution que la Chambre prendra sur les pétitions relatives à cet objet, la proposition de loi peut devenir inutile.

La Chambre se serait donc occupée sans profit de cette proposition de loi si elle statuait dans un certain sens sur les pétitions qui lui sont soumises.

Je demande donc que cette discussion cesse et qu'on s'en tienne à ce qui a été décidé.

- La Chambre, consultée, décide que M. de Boe sera admis à développer sa proposition de loi après la discussion des pétitions relatives aux servitudes militaires.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1862

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XVII. Enseignement primaire

Discussion générale

.M. Dechamps. - Messieurs, je ne viens pas défendre la loi de 1842 sur l'instruction primaire, contre les adversaires de cette loi, contre ceux qui en demandent la réforme. Je ne veux pas soulever un débat non provoqué et qui serait, dès lors, prématuré.

Cette loi, messieurs, vous le savez, a été adoptée à l'unanimité, en quelque sorte, par les deux Chambres, à une époque cependant où les passions politiques étaient bien vives. Ce n'est donc pas une œuvre de parti ; c'est l'œuvre commune des deux opinions qui divisent le pays et qui, toutes deux, l'ont acceptée. Dans cette transaction, chacun a apporté des concessions sérieuses et que je dois croire sincères ; et nous les avons mises sous la garde de la bonne foi politique.

Le jour, messieurs, où un projet de révision sera présenté, s'il l'est jamais, il ne nous sera pas difficile de défendre la loi dans ses principes, qui sont ceux de presque toutes les législations connues, et de la défendre dans ses résultats, résultats qui sont écrits dans les rapports des députations permanentes des conseils provinciaux ; résultats écrits surtout dans les rapports triennaux publiés par les divers ministres de l'intérieur qui ont passé au pouvoir depuis cette époque.

Tous ces rapports sont unanimes à proclamer les heureux résultats de la loi de 1842.

Tous constatent les progrès notables et constants qui ont été obtenus, sous le rapport du nombre et de la population des écoles, sous celui du perfectionnement des méthodes, de la capacité des maîtres, de l'instruction des élèves et de la situation morale et religieuse de l'enseignement primaire en Belgique. Mais je ne viens pas défendre la loi contre ceux qui en demandent la réforme légale ; je viens la défendre contre ceux qui, selon moi, l'altèrent dans l'exécution.

La loi de 1842 a deux genres d'adversaires : les uns, à visage découvert, demandent la révision du principe fondamental et religieux de cette loi ; ceux-là, nous les connaissons depuis longtemps, nous les avons combattus, je ne les regarde pas comme dangereux. Les autres le sont plus parce qu'on les aperçoit moins ; dans l'impossibilité de trouver une majorité favorable à la réforme légale, ils tentent de la ruiner administrativement.

(page 778) Cette œuvre, commencée en 1849, est très avancée et bien près d'être complète ; elle s'est faite lentement et sans bruit, à l'insu, pour ainsi dire de l'opinion. On a élevé pierre à pierre une jurisprudence nouvelle, par des mesures successives, isolées, circonscrites à deux ou trois provinces, posées par des commissaires d'arrondissement ou des inspecteurs faisant du zèle, par des députations permanentes, le plus souvent inspirées par la bureaucratie qui, en Belgique comme ailleurs, vit d'empiétements et de centralisation, et qui a poursuivi, à travers les diverses administrations, sa pensée persévérante.

Je disais que le système nouveau avait été établi peu à peu par des mesures successives prises dans quelques-unes de nos provinces ; ces mesures, ce cinquième rapport triennal les a rassemblées, les a érigées en système ; le rapport est l'exposé des motifs de la réforme administrative que je combats, de ce que je pourrais appeler la loi nouvelle substituée à la loi ancienne.

Ceci n'est pas, messieurs, une discussion de principes entre les partisans et les adversaires de la loi de 1842, il s'agit d'interprétation, c'est-à-dire d'une question de bonne foi.

Si jamais un projet de révision de la loi est proposé, nos principes seront en présence, nous les discuterons, comme nous l'avons fait en 1842, franchement et honnêtement.

Mais nous devrions tous être d'accord sur ceci : c'est qu'en attendant cette révision, si jamais elle arrive, nous devons vouloir que la loi soit pratiquée suivant son texte, conformément à l'esprit qui l'a dictée, qu'elle reçoive une exécution fidèle et sincère.

Messieurs, il me semble que dans cette question relative à l'interprétation de la loi de 1842, ce n'est pas avoir trop d'exigence que d'élever la prétention d'être écouté avec une certaine confiance.

Vous savez que la loi de 1842 est née de l'initiative de la section centrale dont j'étais rapporteur.

J'ai donc pris une large part à sa rédaction et à la discussion d'où elle est sortie.

Je puis donc espérer, sans trop de prétention, que mon opinion dans ce débat aura quelque poids et quelque autorité à vos yeux.

Messieurs, j'espère que cette discussion portera ses fruits. Dans une question de bonne foi et d'interprétation, il faut se confier à l'impartialité de la chambre et de M. le ministre de l'intérieur qui, est dans cette bonne position d'être libre d'antécédents et de pouvoir nous écouter sans parti pris.

Messieurs, j'aurais voulu éviter ce débat dont je comprends les inconvénients. Mais en présence du rapport triennal qui est, comme je le disais tout à l'heure, l'exposé des motifs d'un système tout nouveau qui va désormais être appliqué au royaume entier, il m'est impossible de garder le silence ; car ce silence eût été une adhésion que nous ne pouvons pas évidemment donner.

Messieurs, il y a quelques jours, un débat analogue s'ouvrait dans le parlement anglais. En Angleterre, on a présenté ce qu'on appelle le code nouveau de l'instruction primaire. Lord Grenvillc à la chambre des lords, et M. Law, vice-président du conseil privé, dans la chambre des communes, ont exposé le système du code nouveau.

Permettez-moi de vous faire remarquer, par parenthèse et en passant, que les trois buts qu'en Angleterre on veut atteindre par le code nouveau d'instruction primaire sont : le premier, de maintenir d'une manière invariable les principes de la législation anglaise relative à l'instruction religieuse qui est si largement et si libéralement appliquée ; le second but, c'est de décentraliser plus encore qu'elle ne l'est, l'action du gouvernement central dans l'instruction primaire, et vous savez qu'en Angleterre il n'y a pas d'écoles publiques proprement dites ; l'Etat se borne à subventionner les écoles libres érigées par les associations, par les particuliers et par les cultes, il donne de très larges subsides, à la vérité, mais il les donne à la liberté. Eh bien, malgré cela, le but du code nouveau, c'est de décentraliser plus encore l'action du pouvoir central.

Le troisième but que l'on cherche à atteindre, c'est de répartir les subsides d'une manière plus intelligente et de réduire dans des proportions notables la part de l'Etat dans la dotation de l'instruction primaire. D'après les appréciations qu'a faites M. Law à la chambre des communes il y a quelques jours, la dotation pour l'enseignement primaire en Angleterre, qui était sur le point d'atteindre le chiffre de 20 millions de francs, sera réduite à environ 12,500,000 fr.

Messieurs, je ferme cette parenthèse. Je voulais indiquer en passant quel est, dans cette libérale Angleterre, l'esprit qui domine et qui est si opposé à celui qu'on veut faire prévaloir en Belgique. Mais je voulais citer les paroles prononcées, à cette occasion, par lord Derby, qui, après avoir entendu l'exposé de lord Grenville, disait :

« Je suis sûr que nous tous nous désirons que cette question soit discutée en dehors de tout sentiment empreint de l'esprit de parti, et que nous serons tous guidés par le seul désir d'encourager l'amélioration des classes ouvrières et déshéritées du pays. Ce conseil, je tâcherai, pour ma part, de le suivre, et j'éviterai de m'écarter du calme qui doit présider à un pareil débat.

Messieurs, mon honorable ami, M. Wasseige, dans la séance précédente vous a indiqué quelques-unes des dispositions de la loi de 1842, qui ont été, selon nous, altérées et même, on peut dire, détruites par la réforme administrative que je vais tâcher de définir.

Avant d'entrer dans les détails qu'une telle discussion comporte naturellement, et j'en suis fâché, car je crains bien ne pouvoir tenir suffisamment en éveil l'attention fatiguée de la Chambre ; avant d'entrer dans ces détails, permettez-moi d'assigner à la réforme administrative que je combats son caractère général et sa portée d'ensemble.

La nouvelle jurisprudence porte principalement sur les articles 1, 2, 3 et 4 de la loi, c'est-à-dire sur les trois catégories d'écoles : écoles communales, écoles adoptées et écoles libres valant la dispense mentionnée à l'article 2.

La réforme porte sur un autre point dont n'a pas parlé mon honorable ami M. Wasseige et qui est très important, je veux parler de l'article 10 qui donne à la commune le droit de nommer l'instituteur communal.

Elle touche aussi aux articles 5 et 26 qui concernent les écoles subsidiées. Cette question a été longuement traitée par mon honorable ami dans la séance d'hier.

Le législateur, par l'article premier de la loi, a voulu assurer dans chaque commune du royaume l'existence d'une bonne école primaire.

Mais la commune peut remplir son obligation de trois manières différentes, soit en fondant une école communale proprement dite, soit en adoptant une école privée, tenant lieu d'école communale, soit en obtenant la dispense de fonder ou d'adopter une école quand il est suffisamment pourvu aux besoins de l’enseignement primaire dans la localité par les écoles libres.

Voilà la loi. Il est évident que l'école communale, en fait, sera toujours dominante. Ainsi sur plus de 3,000 écoles communales, il n'y a, en Belgique, qu'environ 800 écoles adoptées et trente écoles libres tombant sous l'application de l'article 2.

L'école communale est donc et restera l'école dominante en fait ; cela n'a jamais été mis en doute, mais résulte-t-il de ce fait que la commune n'a pas le droit de choisir entre l'école communale et l'école adoptée, sous les conditions d'autorisation déterminées par la loi ? Parce que les communes, en général, préfèrent fonder une école communale, cela enlève-t-il le moins du monde la liberté dont veulent user un certain nombre de communes, en préférant, les unes par des raisons d'économie, les autres par des motifs d'un intérêt supérieur et religieux, le mode de l'adoption que la loi a consacré ?

Le rapport triennal renverse cette triple base de la loi, pour y substituer celui de l'école communale obligatoire en principe. L'école adoptée, comme l'école privée valant la dispense dont parle l'article 2, ne seraient qu'une exception et même une transition. Cette exception ne peut, selon le rapport triennal, être appliquée qu'aux communes pauvres qui n'ont pas les ressources nécessaires pour ériger une école communale. Or, cette insuffisance de ressources ne peut être que temporaire ; quand une commune pauvre a épuisé ses deux centimes additionnels que la loi lui impose, elle peut et doit provoquer le concours financier de la province et de l'Etat.

D'un autre côté, à l'aide des millions votés pour la construction des bâtiments d'écoles, les communes pauvres qui en sont dépourvues, en seront bientôt dotées.

Cette insuffisance est donc destinée à disparaître dans un avenir prochain.

Ce jour-là, les articles 2 et 3 de la loi ne recevront plus aucune application possible, toutes les communes possédant un local d'école ou les ressources nécessaires à la création d'une école communale, toutes seront tenues, d'après la nouvelle jurisprudence, d'avoir leur école communale, et l'adoption et la dispense, devenues des mesures transitoires, seront absolument rayées de la loi.

Est-il possible, je vous le demande, messieurs, de donner à la loi de 1842 une pareille interprétation ? et cependant tel est bien le système du rapport triennal qui enlève à la commune la liberté de choix qu'elle avait, en vertu des articles 1, 2, 3 et 4 de la loi, entre les diverses catégories d'écoles légales.

Voyons, dans ce système, ce que devient le régime de l'école communale.

(page 779) La première prérogative de la commune, celle dont dépend le degré de liberté dont elle jouit, c'est, en matière d'école communale, le droit de nommer son instituteur.

D'après la loi communale, ce droit de nomination était absolu.

D'après le projet de 1834, il était absolu aussi, lorsque la commune faisait les frais de son école communale.

Par la loi de 1842, on a apporté une restriction à ce droit de nommer l'instituteur communal.

Quelle est cette restriction ?

D'après l'article 10, la commune, lorsqu'elle nomme un candidat qui ne sort pas d'une école normale et qui n'est pas porteur d'un diplôme, doit soumettre cette nomination à l'agréation du gouvernement ; lorsqu'elle choisit parmi les candidats sortant d'une école normale et munis d'un diplôme, le choix n'est pas soumis à l'agréation du gouvernement.

Il y a, messieurs, pour les élèves normalistes et diplômés, un droit, une préférence, en quelque sorte un privilège, c'est, comme le disait M, Nothomb, en 1842, « le privilège de la non-agréation », mais il n'en existe pas d'autre. La commune reste libre dans son choix.

D'après le rapport triennal, ce principe est aussi complètement renversé.

L'auteur du rapport admet que l'article 10 autorise les communes à nommer des candidats non-diplômés, mais il affirme qu'il a toujours été entendu que ces autorisations ne peuvent former qu'une exception.

Je prouverai tout à l'heure, par les faits, qu'en pratique on va plus loin et qu'on accorde aux candidats diplômés une préférence absolue sur les candidats non diplômés. Dès lors, messieurs, le choix libre de la commune disparaît ; elle doit subir le candidat diplômé que l'administration lui impose ; l’école n'est plus communale, c'est une école de l'Etat.

Je viens de vous dire, messieurs, ce que devient l'école communale, d'après le régime nouveau, et de quelle manière la première prérogative de la commune, le choix des instituteurs, a été en grande partie supprimée.

Voyons ce que deviennent les écoles adoptées. J'ai démontré tout à l'heure qu'on en nie l'existence en principe, et que les écoles adoptées n'étant plus qu'une exception en faveur des communes sans ressources suffisantes, ces écoles sont condamnées à disparaître dans un prochain avenir.

Examinons ce que l'on fait des écoles adoptées dans le présent.

On les entoure de difficultés telles, qu'on aboutit à une véritable impossibilité, du moins pour les corporations enseignantes.

D'abord, messieurs, de 1849 à 1856, on avait placé, au seuil de l'école adoptée, un examen préalable dont il n'était question, ni dans la loi, ni dans les débats qui avaient eu lieu sur cette loi.

Après de longues contestations que rappelle le rapport triennal, on est arrivé, sous l'administration de mon honorable ami, M. de Decker, à une plus saine interprétation de la loi ; on a reconnu que l'examen préalable ne devait pas en général avoir lieu, et l'on y a substitué l'inspection. Sous ce rapport, une transaction a été acceptée ; je n'ai donc pas à revenir sur cette difficulté, quoique l'auteur du rapport triennal semble vouloir la ressusciter.

Voici les autres conditions dont on entoure l'adoption, d'après le système que je combats.

La commune n'a pas le droit d'accorder à une école adoptée ni un local, ni un mobilier, ni même du chauffage ; on ne lui permet que d'allouer à cette école une subvention pour l'instruction des enfants pauvres, subvention exactement proportionnée au nombre des enfants indigents inscrits.

Après avoir posé, en principe, l'impossibilité légale, vous voyez qu'on aboutit à l'impossibilité financière. On confond, comme l'a dit l'honorable M. Wasseige, on confond l'école adoptée de l'article 3 avec l'école subsidiée de l'article 26. D'après l'article 26, les communes peuvent accorder à une école privée une subvention pour les élèves pauvres qui fréquentaient l'école. Dans le système du rapport triennal, on supprime cet article 26, et l'école adoptée ne devient plus qu'une école désignée et subsidiée.

Vous comprenez, messieurs, que dans ces conditions l'adoption, pour les corporations enseignantes, devient impossible. Ces écoles sont de grandes écoles tenues par 3 ou 4 frères ou 3 ou 4 sœurs institutrices. Ces écoles comprenant plusieurs classes, supposent en général une forte population, et, en effet, c'est dans les villes et dans les grandes et riches communes des bassins industriels de Mons, de Charleroi, de Namur et de Liège, que la plupart de ces écoles sont établies.

Or, dans le système du rapport triennal, l'exception relative à l'adoption n'est admise que pour les communes où en général ces grandes écoles sont impossibles, et on l'interdit pour les communes riches et populeuses où précisément ces écoles sont fondées. En principe les associations enseignantes sont donc exclues du régime de l'adoption.

Messieurs, je n'indique qu'en passant la nouvelle manière d'interpréter l'article 2 de la loi, relativement à la dispense que la commune peut obtenir lorsque les écoles privées satisfont aux besoins de l'instruction dans la commune.

Le fait en lui-même a moins d'importance ; ainsi que je l'ai rappelés il n'y a que 35 écoles qui tombent sous l'application de l'article 2 ; mais c'est un principe, c'est un hommage rendu à la liberté d'enseignement et qu'il eût fallu respecter.

Je vais vous indiquer par un fait comment le gouvernement entend l'application de cet article de la loi.

Dans la commune d'Enghien, il y a deux écoles libres, l'une pour les garçons, l'autre pour les filles, et comprenant chacune plusieurs classes. Presque tous les enfants en âge d'école fréquentent ces deux écoles, le autres sont pour ainsi dire abandonnées.

La commune d'Enghien a demandé au gouvernement la dispense d'établir de nouvelles écoles communales, prétendant qu'il était suffisamment pourvu aux besoins de l'enseignement par les écoles privées. Elle a demandé qu'une enquête vînt constater le fait.

Le gouvernement a refusé l'enquête en principe et à priori, parce que la commune avait des ressources suffisantes pour ériger des écoles communales, ces écoles dussent-elles devenir désertes et inutiles. Vous le voyez, c'est la radiation de l'article 2, cet hommage qu'on avait voulu rendre à la liberté d'enseignement.

Je pourrais discuter plusieurs autres innovations introduites dans la jurisprudence depuis quelques années, en ce qui concerne la fréquentation des conférences d'instituteurs par les instituteurs adoptés, le régime des écoles normales adoptées et inspectées par l'Etat, et surtout en ce qui concerne l'application exagérée de la loi de 1842, dans toutes ses dispositions, aux écoles des filles.

Mais je dois me borner ; j'aime mieux concentrer mes observations sur les points essentiels, en faisant toutes mes réserves sur tous les autres.

Je viens donc, messieurs, de vous faire apprécier, dans son ensemble et dans ses conséquences générales, la réforme administrative destructive, à mes yeux, des principes de la loi de 1842 en matière de liberté communale.

La loi autorise-t-elle une pareille interprétation ? Sur quoi se fonde-t-on pour l'établir et pour substituer une jurisprudence nouvelle toute opposée à celle qui a été admise jusqu'en 1849 ?

C'est ce que je vais examiner. Je serai obligé d'être long ; j'ai à citer des textes et des discours, je demanderai à la Chambre beaucoup de bienveillante attention.

Le premier point de départ, pour bien interpréter la loi de 1842, était la loi communale. Une chose qu'on oublie constamment dans le rapport triennal, c'est que la commune, en matière d'enseignement, est régie par deux lois : sa première, la loi constitutive, c'est la loi communale ; la seconde, qui a dérogé par certaines dispositions à la première, c'est la loi de 1842.

D'après la loi communale, la commune avait la liberté de fonder, d'adopter une école, de faire des conventions à sa convenance avec des écoles privées ; elle nommait l'instituteur, elle le suspendait et le révoquait ; elle avait l'administration complètement indépendante de ses écoles.

La loi de 1842 a apporté des restrictions à cette liberté de la commune, j'en conviens ; c'est même un grief qu'on lui a souvent adressé ; mais quand il n'est pas expressément dérogé par la loi de 1842 à la loi communale, la loi communale doit être la règle.

L'honorable M. Rogier, dans le deuxième rapport triennal, a déclaré que lorsqu'il s'agit des communes en matière d'enseignement primaire, les dispositions restrictives sont de stricte interprétation.

« Ainsi, dit-il, les communes conservent leurs droits anciens, sauf ceux qui sont expressément réservés par le gouvernement. »

C'est principalement le principe contraire qu'on veut faire prévaloir dans le cinquième rapport triennal.

On oublie que tout ce que la loi de 1842 n'a pas interdit expressément et que tout ce que permet la loi communale, les communes peuvent le faire. Ce principe est en dehors de toute contestation.

Le deuxième point de départ, messieurs, pour bien interpréter la loi. c'est le projet de loi de 1834.

(page 780) Il ne faut jamais oublier une chose, c'est que ce projet était le projet primitif. C'est celui qui a été soumis à la section centrale.

La loi de 1842 ne forme que des amendements au projet primitif de 1831, elle en a maintenu les dispositions essentielles. Or, chaque fois qu'un article du projet de 1834 est conservé dans la loi de 1842, nous devons avoir recours, s'il y a doute, à l'exposé des motifs du projet de 1834 pour en connaître la véritable interprétation.

Or, messieurs, le principe fondamental commun au projet de loi de 1842 et à la loi de 1842 est celui-ci : Il y aura dans chaque commune au moins une école primaire établie dans un local convenable.

Mais la commune, pour satisfaire à cette obligation, peut fonder une école communale ou adopter une école privée qui tient lieu d'école communale.

Voilà le principe commun au projet de 1834 et à la loi de 1842. La loi de 1842, plus restrictive, en général, au point de vue de la liberté communale que le projet de 1834, a cependant été plus large dans cette voie par son article 2.

Nous avons voulu que les écoles fondées par la liberté fussent à la base de la loi, et que lorsque l'enseignement est suffisamment donné dans la commune par les écoles privées, la commune puisse obtenir la dispense mentionnée à cet article de la loi.

Pour l'article premier du projet de loi de 1834 et de la loi de 1842 on a voulu assurer l'existence d'une bonne école primaire, en général, dans la commune.

M. Muller. - Une école primaire communale.

.M. Dechamps. - Non, une école primaire ; ne changez pas la loi. La commune a la faculté, sous les conditions d'autorisation déterminées, de choisir entre les trois catégories d'écoles légales désignées aux articles 1, 2 et 3 de la loi. Voilà le principe qui, d'après moi, est écrit dans la loi.

Je vous ai dit tout à l'heure que le rapport triennal substitue à cette obligation générale, pour la commune, d'avoir une école primaire réunissant les conditions légales, l'obligation spéciale, l'obligation d'ériger une école communale, lorsqu'elle a les ressources suffisantes pour le faire, n'admettant l'adoption et la dispense que comme une exception, et même une transition.

C'est précisément le principe qu'avait voulu faire prévaloir dans la discussion l'honorable M. Verhaegen, l'un des trois adversaires de la loi.

L'honorable M. Verhaegen combattait les articles 2 et 3 de la loi avec une grande persistance. Il voulait, lui, que l'Etat eût dans chaque commune son école à lui, une école communale proprement dite. Il proposait de supprimer les écoles adoptées et les écoles libres valant dispense ; c'est-à-dire qu'il voulait faire immédiatement par la loi, ce que l'on veut faire aujourd'hui par la jurisprudence. (Interruption.)

Le rapport triennal traduit l'article premier de cette manière, au lieu de lire : Il y aura dans chaque commune une école primaire, il dit : Il y aura dans chaque commune une école primaire communale.

Après avoir lu le texte, écoutons les commentaires de l'exposé des motifs, du rapport de la section centrale et de la discussion.

,

« Le législateur, disait M. Rogier dans l'exposé des motifs, n'intervient que pour suppléer à l'action de la liberté, et assurer, en tout cas, le bienfait de l'institution générale...

« Chaque commune est tenue d'avoir une école primaire établie dans un local convenable... Une école privée qui remplit les conditions légales, peut, si la commune le désire, tenir lieu d'école communale... H ne serait pas utile, ni même possible, d'établir dans toutes les communes des écoles aux frais de l'Etat. Il suffit que la loi ait assuré les moyens d'existence de ces écoles.

« ... Lorsqu'une commune, dit le rapport au Roi, possède une école dans un local convenablement disposé, où on enseigne ce qui est prescrit par la loi, où on instruit gratuitement les enfants des familles indigentes, elle a satisfait à ses devoirs. »

Vous le voyez, messieurs, voilà bien le principe que je défends et qui forme l'antithèse de celui soutenu par le rapport triennal. L'article premier assure l'existence d'une bonne école primaire dans la commune ; mais celle-ci peut adopter une école privée, si elle le désire ; il ne s'agit pas d'exception pour les communes dépourvues de ressources suffisantes ; il s'agit de la liberté même de la commune.

En quoi diffèrent, relativement à l'article premier, le projet de loi de 1834 et la loi de 1842 ? Voilà la question.

Le texte, messieurs, est le même, Il n'y a qu'une seule différence et veuillez y faire bien attention, cette différence confirme l'opinion que je défends.

L'article premier du projet de 1834 autorisait plusieurs communes voisines à se réunir pour fonder une école.

La section centrale dont j'ai été le rapporteur, craignant que par ces mots « fonder une école » on ait pu comprendre qu'il s'agissait exclusivement d'une école communale, a modifié le projet primitif de la manière suivante : Plusieurs communes pourront se réunir pour fonder ou pour entretenir une école ; « ou » et non pas « et » ; fonder une école, c'est bien l'école communale ; entretenir une école, c'est bien l'école adoptée.

Le texte du projet de loi de 1834 était déjà clair, mais celui de la loi de 42 l'est plus encore.

Ecoutons le rapport de la section centrale et la discussion.

« L'Etat, disais-je dans le rapport de la section centrale, ne doit pas, en fondant partout des écoles, établir une concurrence organisée avec les écoles existantes ; il ne doit pas détruire mais féconder ; son action n'est que supplétive et protectrice. »

C'est précisément la pensée de M. Rogier développée dans l'exposé des motifs du projet de 1834 que je rappelais tout à l'heure.

Le ministre, l'honorable M. Nothomb, déclarait dans la discussion qu'il maintenait les dispositions essentielles du projet de 1834 parmi lesquelles il citait l'article premier.

« Le premier principe, dit-il, l'obligation pour chaque commune d'avoir au moins une école, devait soulever les questions suivantes :

« Cette obligation subsiste-t-elle lorsqu'il est constaté qu'il est suffisamment pourvu à l'instruction dans les écoles privées ? La commune ne peut-elle pas être autorisée à remplir son obligation, en adoptant une école privée ?

« Le principe fondamental de la loi, ajoute le ministre, est celui-ci : « Il y a dans chaque commune une ou plusieurs écoles primaires. Nous n'admettons qu'une seule exception à ce principe, c'est la dispense relative à l'article 2. »

Ainsi d'après M. Nothomb, la commune pouvait remplir l'obligation écrite dans l'article premier en adoptant une école privée, et il ne reconnaissait qu'une seule exception à la règle dans laquelle rentrait ainsi l'école adoptée, c'est l'exception relative à l'article 2.

Peut-on être plus clair et plus formel ?

Mais voici ce qui me semble plus formel encore :

« Veuillez remarquer, disais-je dans le débat, que le principe n'est pas nouveau, qu'il existait dans le projet de 1834. Je lis, en effet, dans l'exposé des motifs la phrase suivante :

« Une école privée peut, si la commune le désire, tenir lieu d'école communale. »

J'ajoutais : « Nous n'avons fait que traduire cette pensée de l'exposé des motifs dans la loi. »

L'évidence est-elle plus claire ? La loi de 1842 n'a fait que traduire la pensée du projet de 1834, et d'après ce projet et cette loi, la commune peut remplir l'obligation que lui impose l'article premier, soit en érigeant une école communale, soit en adoptant, pour en tenir lieu, une école privée réunissant les conditions légales.

Je pourrais, messieurs, multiplier ces citations ; je pourrais citer les discours de MM. de Theux, Devaux et Rogier, qui, tous trois, auteurs du projet de loi de 1834, ont toujours compris comme je le fais le régime d'adoption.

Mais, messieurs, j'ai un témoignage plus irrécusable encore à fournir.

Je viens de citer ceux des auteurs de la loi, du ministre, du rapporteur de la section centrale ; je vais citer celui du principal adversaire de la loi de 1842, l'honorable M. Verhaegen, qui en a combattu les dispositions avec une extrême persistance.

L'honorable M. Verhaegen, je l'ai rappelé déjà, voulait l'école communale comme principe obligatoire dans toutes les communes. A l'appui du rapport triennal, il prétendait que si l'on maintenait les articles 2 et 3 de la loi, ces articles deviendraient la règle et l'article premier l'exception.

II prétendait que les écoles communales disparaîtraient et qu'il n'y aurait plus que les écoles adoptées et les écoles libres en Belgique.

Ainsi, l'honorable M. Verhaegen, adversaire énergique de la loi, demandait la suppression des articles 2 et 3, il voulait la prédominance exclusive de l'école communale, comme le veut aussi le rapport triennal.

Or, l'honorable M. Verhaegen a été presque seul, dans la Chambre, pour élever cette prétention ; la Chambre, en admettant les articles 2 et 3 dont il demandait la suppression, a consacré le principe que je défends et condamné celui qu'avait voulu faire triompher M. Verhaegen et qui n'était autre que le projet présenté par MM. Seron et de Robaulx, (page 781) en 1833, et qui a été rejeté aussi par la Chambre, à une grande majorité.

Messieurs, après avoir nié en principe et pour l'avenir l'école adoptée, je vous ai dit de quelles conditions impossibles on l'entourait dans le présent : examen préalable auquel on ne renonce pas en principe ; défense de fournir un local, le mobilier, le chauffage à l'école adoptée, et interdiction de lui accorder autre chose que la subvention proportionnée au nombre des enfants pauvres.

Eh bien, messieurs, voyons si la loi de 1842 autorise une pareille interprétation. M. Wasseige, mon honorable ami, me dispense d'entrer ici dans de longs détails ; il vous a lu un extrait de la séance du 19 avril 1842 dans laquelle on a précisément discuté d'une manière spéciale la question que j’examine.

Le rapport triennal affirme que nulle part dans le cours de la discussion il ne s'est agi de fournir les locaux aux instituteurs adoptés. Il affirme aussi que nulle part il ne s'est agi d'une autre allocation à leur fournir que celle relative aux enfants pauvres.

J'avoue que ces affirmations m'ont étonné, et je me suis demandé si je ne savais plus lire, car le contraire est formellement écrit partout dans la discussion.

Mais je suppose un moment que nulle part il ne se soit agi de fournir les locaux aux instituteurs adoptés, il faudrait encore prouver que, dans la loi de 1842, il y aurait interdiction de le faire ; car évidemment la loi communale l'autorisait.

Mais vous allez voir ce qu'il faut penser de ce silence prétendu de la discussion,

Dans cette séance du 19 avril 1842, M. Dubus aîné interrogeait M. le ministre pour savoir quelles étaient les conditions des écoles adoptées. Il citait la ville de Bouillon.

Dans cette ville, il y avait une école des frères de la doctrine chrétienne à laquelle la ville accordait un local et une subvention de 600 fr. par instituteur.

M. Dubus demanda si un tel établissement pouvait être considéré comme un établissement subventionné et adopté. Que répond le ministre à cette question si nettement posée ?

« J'admets ce cas, dit-il, je suppose un arrangement de ce genre. »

La loi, selon le ministre, peut lui être applicable.

M. de Smedt insiste et il cite, lui, l'exemple de la ville d'Alost. La ville d'Alost avait l'intention (l'école n'existait pas encore) d'appeler les frères de la doctrine chrétienne pour leur confier l'école communale ; et il demande si la ville d'Alost pourra faire les dépenses nécessaires pour cette installation et comment la loi lui sera appliquée.

M. Nothomb lui répond comme à M. Dubus :

« Mais pourquoi voulez-vous considérer les établissements des frères comme des établissements communaux ? Un établissement des frères ne peut être qu'un établissement subventionné, adopté par la commune. »

Il est donc évident, par ces deux seuls exemples, et par cette déclaration interprétative de la loi, faite par le ministre, que l'école libre ne doit pas être préexistante, comme on le soutient par une véritable subtilité ; qu'on peut lui fournir un local, le mobilier et des subsides, comme on l'avait fait à Bouillon et comme on voulait le faire à Alost. Nous sommes à cent lieues de la prétention d'interdire à l'école adoptée toute autre subvention que celle relative aux enfants pauvres et proportionnée au nombre de ces enfants.

Messieurs, je vais citer deux autres faits qui compléteront la démonstration.

M. Pirson, qui a pris une large part aux débats des articles 2 et 3, cite, lui, la ville de Dinant. A Dinant il y avait une école communale ; à côté de cette école, la ville avait adopté une école de frères de la doctrine chrétienne qui recevait non seulement un subside communal, mais encore un subside de l'Etat.

M. Pirson, défendant l'article 3, disait : « L'article 3 suffit à tout ; cet article donne à l'administration communale le moyen de faire toutes les conventions nécessaires avec l'école privée. »

L'honorable M. Devaux, dans la séance du 12 août, disait : Dans beaucoup de communes on accorde à une école, par exemple, à une école des frères de la doctrine chrétienne un subside à la condition de recevoir les enfants pauvres du quartier.

Le gouvernement n'entend « pas substituer à ce mode une rétribution par élève. Je citerai la ville de Bruges où il y a une école que la ville subsidie, qui reçoit les enfants pauvres, sans que le nombre de ces enfants influe sur le montant du subside. »

Ceci est formel : d'après M. Pirson, la commune peut faire avec l'école privée à adopter toutes les conventions nécessaires à l'existence de celle-ci et d'après M. Devaux le nombre des enfants pauvres ne doit pas influer sur le montant du subside. Je continue les citations ;

M. Nothomb au sénat disait : « Une commune peut être autorisée à adopter um école privée ; l'instituteur peut recevoir un traitement inférieur à celui dont il est parlé à l'article 21, s'il reçoit d'autres avantages. »

Ainsi d'après le ministre, l'école adoptée pouvait recevoir d'autres avantages que le traitement ou la subvention, c'est-à-dire le mobilier ou le local.

M. le baron de Stassart, répondant au ministre, ajoutait : « Quant au traitement que pourraient réclamer des instituteurs d'écoles privées adoptées comme les écoles communales, il n'est pas à craindre que ce soit une charge pour les petites communes. »

M. Dellafaille, rapporteur, se rallie aux observations de M. de Stassart et de M. le ministre.

Je pourrais multiplier les citations, mais je me borne à indiquer encore la circulaire de M. Nothomb du 20 février 1844 :

« La prestation, dit-il, d'un bâtiment communal peut être assimilée à une subvention. Il faut en tenir compte dans la fixation de l'indemnité à payer pour l'instruction des enfants pauvres. »

Je comprends très bien qu'on en tienne compte, et c'est précisément ce que l'on a fait à Sivry et ailleurs encore. Ce qui m'étonne, c'est que le rapport triennal cite cette circulaire qui condamne précisément la prétention que ce rapport élève.

L'auteur du rapport triennal n'a rien lu de tout cela ; en présence de ces déclarations nombreuses et si explicites, il affirme que, dans le cours de la discussion, il ne s'est pas agi de fournir des locaux aux instituteurs adoptés et que la seule subvention à leur accorder, c'est celle qui représente la rétribution par élève ! La seule phrase sérieuse qu'il ait trouvée à l'appui de son système, est une phrase de M. Dellafaille qui avait dit au sénat « que l'article 3 était fait pour les communes qui n'ont pas de locaux. »

Évidemment, c'est là un des cas d'application de l'article 3, mais ce n'est pas le seul à coup sûr, et M. Dellafaille, dont on invoque à tort le témoignage, s'est rallié, comme je l'ai rappelé tout à l'heure, aux déclarations de M. Nothomb et de M. le baron de Stassart qui admettaient pour l'instituteur adopté d'autres avantages encore que la subvention.

Messieurs, il y a encore dans les Flandres, si je ne me trompe, plus de cent communes qui allouent un local à des écoles privées adoptées ou subsidiées.

Si le principe du rapport triennal est appliqué, voilà cent écoles légales qui vont être supprimées comme telles ; c'est un bouleversement qui excitera dans nos communes une vive et légitime répulsion.

Messieurs, voici le principe vrai : il n'y a pas obligation pour les communes de donner un local, un subside ou un mobilier à une école adoptée, comme obligation pour elle de le faire pour l'école communale, mais elle a la liberté de le faire.

Sans doute, les frais de l'école adoptée seront en général moindres que ceux de l'école communale, mais il faut permettre aux communes qui le désirent de faire les dépenses nécessaires pour rendre l'école adoptée possible.

Pour faire mieux apprécier la portée du nouveau système adopté, je vais citer trois exemples qui en feront mieux comprendre le caractère et les conséquences.

Vous connaissez la pétition de la commune de Sivry, déposée sur le bureau de la Chambre.

Il y a dans la commune de Sivry deux écoles adoptées, l'une pour les garçons, l'autre pour les filles.

Ces écoles, l'une du moins, sont adoptées depuis de longues années ; elles ont obtenu l'autorisation de la députation permanente. Ces écoles sont prospères, elles ont obtenu toute la confiance des familles.

J'ai entre les mains le tableau des rapports des inspecteurs sur ces écoles, pendant les années 1859, 1860 et 1861, c'est-à-dire depuis l'époque où le conflit entre la commune et l'administration existe, ce qui ne les rend nullement suspects.

Ces rapports sont favorables. Au dernier concours cantonal, sur huit prix décernés aux écoles de la circonscription, l'école des frères de Sivry, en a emporté quatre, parmi lesquels figure le prix d'excellence.

Voilà donc de bonnes écoles ayant la confiance des familles et du conseil communal, autorisées régulièrement et depuis longtemps, recevant les éloges des inspecteurs, et obtenant de beaux succès au concours officiel ; et cependant on les condamne et on veut retirer l'adoption. Pourquoi ?

(page 782) M. le commissaire d'arrondissement en 1859, déclare à la commune que l'école des frères doit cesser d'être adoptée, parce que l'école communale est la règle et que pour maintenir l'exception « il faut, dit la dépêche, qu'il y ait impossibilité d'appliquer la règle. » Il interdit à la commune de fournir à cette école un local, le mobilier et même le chauffage. Or, remarquez qu'à Sivry, pour l'école des frères, le local n'est fourni qu'à titre de location en vertu d'un bail. M. le commissaire élève même contre l'école de Sivry le singulier grief que la gratuité a été étendue à tous les enfants.

Donc en 1859 injonction du commissaire d'arrondissement de transformer l'école adoptée en école communale ; cette injonction s'étend plus tard à l'école des filles.

Je trouve dans une lettre du 7 juillet 1861, de M. le commissaire d'arrondissement, cette phrase significative : « Les avantages dont cette personne est en possession, suffisent pour rémunérer une institutrice communale. Cela étant, rien ne peut dispenser la commune de se conformer à la disposition de l'article premier de la loi dont l'article 3 n'est que l'exception en faveur des localités qui ne peuvent subvenir aux frais d'une école communale. »

Vous le voyez, messieurs, il est interdit à la commune de Sivry d'avoir les écoles qu'elle veut et qui lui conviennent, parce qu'elle est assez riche pour en avoir d'autres dont elle ne veut pas et qui lui sont imposées.

M. le ministre de l'intérieur voudra bien remarquer, qu'à Sivry, on veut imposer, comme à Capellen, l'obligation de créer deux écoles communales, principe que l'honorable M. Vandenpeereboom a combattu comme contraire à l'article premier de la loi de 1842.

Ce que l'on veut faire à Sivry, est en violation manifeste de la loi. Je vais citer un deuxième fait relatif à la commune de Virelles près de Chimay.

A Virelles, il y avait une école adoptée depuis 1843 ; c'était une école de filles, tenue par une congrégation religieuse.

A cause de la maladie de l'institutrice supérieure, un changement dans le personnel eut lieu.

Jusqu'alors on n'avait jamais été inquiété lorsqu'il y avait eu de pareilles mutations.

Le gouvernement prétendit que par le déplacement de la supérieure, l'école avait cessé d'être adoptée et qu'il fallait y substituer une école communale, parce que le local appartenait à la commune. Ceci est même contraire à la jurisprudence du rapport triennal, qui admet qu'en cas de mutation dans le personnel enseignant, l'adoption continue, sauf à constater que l'institutrice nouvelle remplit les mêmes conditions de capacité.

.Mais à Virelles, à priori sans s'enquérir si la nouvelle institutrice était capable ou non, si l'école continuait à remplir les conditions légales, on dit : L'adoption a cessé ; il faut dans les cinq jours, annoncer la vacance de l'école, en faisant connaître la préférence accordée à une postulante diplômée.

La commune dut céder, mais elle trouva une religieuse diplômée et l'école adoptée fut transformée en école communale.

A la Bouverie, dans l'arrondissement de Mons, il y avait une école communale laïque. La population étant très grande, cette école ne suffisait plus aux besoins de cette population. L'administration communale de la Bouverie demande à pouvoir adopter une école religieuse. Ce fait est relaté dans le rapport triennal.

On refuse l'autorisation, et d'après le rapport triennal, savez-vous pourquoi ? Est-ce parce que l'instituteur était peu capable, parce que l'école était mal établie, parce qu'il y avait une raison quelconque qui devait empêcher qu'on ne l'adoptât ? Du tout. Voici les motifs consignés dans le rapport triennal : « Depuis quelque temps, le conseil communal manifestait une certaine tendance à favoriser l'école des frères au détriment de l'école communale. »

Ainsi voilà une commune qui a une école communale laïque ; elle demande à pouvoir adopter une seconde école de garçons. On lui refuse l'autorisation sans s'enquérir si l'école est bonne ou mauvaise et seulement parce que l'administration communale est soupçonnée d'une tendance trop favorable à l'école des frères !

Je vous demande si c'est là la loi de 1842, et si vous connaissez au monde une loi qui suppose quelque chose de pareil. C'est la plus manifeste protestation contre la liberté communale, contre la loi de 1842 et contre le bon sens.

J'arrive maintenant à l'article 10.

L'article 10 est relatif à la nomination des instituteurs dans les écoles communales.

Je vous ai dit tout à l'heure quel est le principe de la loi. La commune a le libre choix entre le candidat porteur d'un diplôme et entre le candidat qui n'en possède pas ; seulement la nomination de celui-ci est soumise à l'agréation du gouvernement.

M. Muller. - C'est l'exception.

M. B. Dumortier. - Il n'y a pas d'exception ; c'est la constitution.

.M. Dechamps. - « Les communes, dit le rapport triennal, peuvent être autorisées à nommer aux fonctions d'instituteur ou d'institutrice, les personnes non diplômées, mais il a été entendu à différentes reprises (je ne sais pas où), que les autorisations de l'espèce ne doivent former qu'une sorte d'exception. »

M. Muller. - Lisez la loi, cela y est dit.

.M. Dechamps. - Nous allons voir ! Je continue la citation. A propos d'une école du Hainaut, le rapport dit : « Les normalistes diplômés doivent toujours être choisis de préférence. »

Messieurs, évidemment les instituteurs ou les institutrices diplômés ont un droit de préférence et même une sorte de privilège ; mais cette préférence et ce privilège n'est autre que celui de la non-agréation. Vis-à-vis de la commune qui conserve son libre choix, il y a égalité entre les concurrents.

Vous allez voir, messieurs, que dans l'application, on va même au-delà du système du rapport triennal et qu'une préférence absolue en faveur du candidat diplômé, c'est-à-dire l'exclusion des autres, est la règle admise.

Je vais citer quelques faits qui feront connaître à la Chambre la manière dont la loi a été exécutée sous ce rapport,

Je nomme la commune de Cuesmes dans le Hainaut.

A Cuesmes, il y avait une institutrice communale. Cette institutrice allait donner sa démission en 1859, son intention était connue.

Le conseil communal avait manifesté l'intention d'appeler, pour la remplacer, des sœurs de la Providence de Champion.

L'administration insista pour qu'on nommât de suite une sous-institutrice. On crut dans la commune que le but de l'administration était d'empêcher ainsi la constitution de l'école religieuse.

Le conseil communal, à l'unanimité ou à peu près, nomma comme sous-institutrice une sœur de la Providence qui avait été institutrice communale dans la province de Namur, qui avait donc passé un examen, qui en France aurait été pourvue d'un brevet de capacité. (Interruption.) Cette institutrice n'était pas diplômée ; mais elle avait été institutrice communale.

Elle avait pour concurrente pour cette place de sous-insttlutrice une élève diplômée de l'école normale de Mons.

On refusa l'agréation, et voici les motifs apportés par le commissaire d'arrondissement, dans sa lettre du 6 juin 1859 adressée à l'administration communale :

« J'ai l'honneur de vous faire connaître que M. le gouverneur ne peut accorder l'autorisation de nommer la personne que vous proposez, par la raison qu'elle ne possède pas, comme la demoiselle, la qualité d'aspirante diplômée.

« Vous voudrez bien inviter votre conseil à délibérer de nouveau dans les dix jours, et le prévenir qu'à défaut par lui de porter son choix sur une personne réunissant les conditions requises, il sera procédé d'office à la nomination. »

Messieurs, il est évident qu'il ne s'agit pas ici de préférence, mais qu'il s'agit d'exclusion.

La qualité requise pour être sur les rangs, c'est d'être diplômée ; toute postulante qui en est dépourvue est donc exclue ; c'est manifestement en opposition avec l'article 10 de la loi.

Que fait la commune de Cuesmes ? Dans son désir d'avoir l'école religieuse, elle trouve parmi les sœurs de la Providence une institutrice diplômée ; elle est nommée sous-institutrice, et lorsque l'institutrice communale se retira, l'école des sœurs fut fondée.

Messieurs,, je vais citer un autre fait analogue qui s'est passé récemment dans la commune d'Antoing. Au commencement de cette année il y avait à Antoing une place d'institutrice vacante.

Le conseil communal prit une délibération par laquelle il nommait une institutrice de l’Association de la Providence.

On opposa la concurrence d'une postulante diplômée.

Voici un passage de la lettre du commissaire d'arrondissement qui refuse encore une fois l'autorisation de nommer l'institutrice qui n'avait pas de diplôme.

Remarquez, messieurs, que les religieuses de Champion tiennent une école normale adoptée par l'Etat.

« Cette décision, disait-elle, est basée notamment sur cette considération : que le troisième paragraphe de l'article 10 de la loi sur (page 781) l'enseignement primaire, a un caractère exceptionnel, et que l'on ne doit en user que lorsque les élèves normalistes font défaut. »

Ainsi, vous le voyez, messieurs, voilà bien l'exclusion en principe ; il faut que les élèves normalistes fassent défaut !

Le jour où les écoles normales des filles, il y en a 13 ou 14, je pense, suffiront au recrutement des écoles, le dernier paragraphe de l'article 10 sera supprimé.

Le conseil communal persista. Il déclara qu'une école des filles dirigée par les religieuses était celle que le vœu des habitants désignait à l'agréation du gouvernement ; il refusa de nommer l'institutrice diplômée. Après beaucoup d'hésitation, l'administration recula devant la courageuse résistance de la commune, et après neuf mois de lutte, on constata la capacité par un examen et l'agréation fut accordée.

Voici, messieurs, un fait beaucoup plus caractéristique. Il s'agit d'une commune de la province de Liège, la commune de Soumagne.

Dans cette commune l'institutrice communale meurt en 1860. La commune, pour ne pas laisser de vacance, appelé 3 sœurs de la Providence et les installe dans l'école aux mêmes conditions que l'institutrice décédée.

M. Muller. - Sans autorisation.

.M. Dechamps. - Sans autorisation, j'allais le dire, et vous allez voir que la commune la sollicita. Dès l'ouverture des classes, le 1er août 1860, il y avait 106 élèves dans la nouvelle école et la confiance des familles ne faisait pas défaut.

M. le gouverneur de Liège, par ses dépêches du 23 septembre et du 10 octobre 1860, invita le conseil communal à procéder au remplacement de l'institutrice décédée.

Le conseil communal répondit par ses lettres du 30 septembre et du 15 octobre ; il dit que l'école est prospère, qu'elle avait été érigée à la demande des parents qui n'ont qu'à se louer du zèle et du dévouement que les maîtresses apportent dans l'accomplissement de leurs fonctions. Elle annonce l'avis de nommer sœur X. X., institutrice communale, demande au gouverneur de faire constater la capacité de cette institutrice par l'inspection et sollicite l'autorisation nécessaire pour cette nomination.

Messieurs, à cette lettre du 30 septembre, aucune réponse ne fut donnée.

M. le gouverneur, par sa lettre du 10 octobre suivant, insista de nouveau pour que la commune se mît en règle, comme s'il eût ignoré la demande d'autorisation que la commune lui avait adressée.

Le conseil communal, par sa lettre du 15 octobre 1860, adressée au commissaire d'arrondissement, insiste et rappelle sa première demande à laquelle on n'a pas répondu ; il sollicite itérativement l'examen par l'inspection et l'autorisation de nommer l'institutrice, lorsque sa capacité aura été reconnue.

On ne répond pas plus à la deuxième lettre qu'à la première ; on garde un silence complet ; et par un arrêté du 19 octobre 1860, le gouverneur nomme d'office une institutrice communale diplômée dans la commune de Soumagne, sans avoir répondu aux lettres de l'administration communale, sans avoir voulu examiner l'institutrice proposée et sans avoir voulu, accorder l'autorisation légale.

Je remarque dans l'arrêté le considérant suivant :

« Considérant que le conseil communal, mis en demeure de pourvoir au remplacement de cette institutrice, n'a pris aucune mesure à cette fin. »

Comment comprenez-vous qu'un pareil arrêté soit intervenu en présence des lettres de l'administration communale, de la désignation faite de son choix et de la demande d'autorisation ?

M. Muller. - En présence d'une violation flagrante de la loi...

.M. Dechamps. - La violation flagrante de la loi, c'est bien celle que l'administration provinciale a commise. Que s'est-il passé ensuite ?

L'institutrice diplômée de l'école normale de Liège est nommée d'office par cet arrêté ; elle s'installe dans la commune de Soumagne avec une seule élève ; l'année scolaire de 1861 se passe ainsi, l'école restant à peu près déserte, en présence de l'école privée qui regorgeait d'élèves. L'institutrice communale découragée donne sa démission. En présence du vœu bien formel de l'administration communale, ne fallait-il pas, dans ces circonstances, céder de bonne grâce, accorder l'autorisation tant désirée, ou permettre à la commune d'adopter l'école des sœurs de la Providence que le vœu des familles voulait maintenir ?

C'eût été trop de tolérance ; on écrivit au bourgmestre, pour que la commune remplaçât immédiatement l'institutrice démissionnaire par une autre institutrice diplômée, en écartant ainsi les religieuses qui ne l'étaient pas.

L'administration communale, en présence de la première nomination d'office, crut devoir céder à cette véritable violence illégale, et elle nomma, le 16 octobre 1861, une nouvelle élève diplômée de l'école normale de Liège ; la nouvelle institutrice entra en fonctions à la date du 19 octobre 1861, et à la fin de décembre, date des renseignements qu'on m'a fournis, il y avait dans la nouvelle école communale de Soumagne une seule élève ; il y en avait plus de cent dans l'école privée. Je vous le demande, messieurs, à tous, est-ce là exécuter loyalement la loi de 1842 ? Voilà une commune qui demande de bonne foi à régulariser sa position, à se placer sous le régime de la loi, qui sollicite l'autorisation requise pour ériger une école de filles, à laquelle on n'applique la loi de 1842 que par analogie et comme essai.

On résiste à la volonté de la commune entière, on la force de créer une école déserte, de payer un traitement à une institutrice imposée et dont elle ne veut pas, et c’est là l'exécution sincère de la loi de 1842, c'est là respecter le texte et l'esprit qui l'a dictée !

Messieurs, je vous le demande pour la seconde fois : est-ce que la loi autorise une pareille interprétation ? Lorsqu'on a discuté l'article 10 de la loi, trois systèmes étaient défendus, le premier par l'honorable prédécesseur de M. Muller, par l'honorable M. Delfosse et par M. d'Huart. Les honorables MM. d'Huart et Delfosse voulaient conserver intacte la loi communale ; ils voulaient que le droit absolu de nommer les instituteurs fût maintenue, sans avoir besoin d'aucune autorisation.

Le second système était défendu par les honorables MM. Devaux et Lebeau. Ces honorables membres ne voulaient pas de privilèges pour les élèves des écoles normales ; ils disaient qu'on devait placer tous les instituteurs sur la même ligne ; leur principe absolu était l'agréation du gouvernement.

M. Nothomb, M. le comte de Theux et moi avons soutenu le système de la loi, qui était un moyen terme entre les deux exigences.

Je vais vous rappeler dans quels termes ce système a été défendu, et s'il pouvait y avoir quelques doutes sur le sens de l'article 10 de la loi, ces doutes vont disparaître complètement.

M. Nothomb disait : « Les communes peuvent encore choisir en dehors de ces écoles (normales), mais dans ce cas, il faut l'autorisation du gouvernement. »

Plus loin : « Il leur faut un privilège (aux élèves diplômés), et ce privilège est la non-agréation. »

Le 30 août, lors du vote définitif, il ajoutait :

« Il n'est pas exact de dire que les quatre années écoulées, les conseils communaux seraient obligés de choisir nécessairement dans les écoles normales de l'Etat ou inspectées par l'Etat. Les conseils communaux seront toujours libres de choisir ou ils voudront. La règle générale est celle-ci : les conseils communaux choisiront les instituteurs. Ce choix sera soumis soit à une autorisation préalable, soit à une approbation subséquente du gouvernement. »

Le ministre indique les deux cas d'exemption de l'autorisation et de l'approbation, en faveur des candidats sortant des écoles normales, puis il ajoute :

« Voilà les deux cas d'exemption. Mais les conseils communaux seront toujours libres de choisir l'instituteur où ils le jugeront convenable. »

Enfin, il disait au sénat, le 21 septembre : « Il faut d'abord nous entendre sur le sens de la loi. Les conseils communaux peuvent choisir les instituteurs là où ils le désirent. Mais quand ils les choisiront dans les écoles normales dirigées par l'Etat, ou dans les écoles normales privées, inspectées par l'Etat, ces nominations sont alors dispensées de l'agréation du gouvernement. »

Ainsi pour le ministre la règle c'est l'agréation. L'exception à cette règle c'est la dispense en faveur des candidats diplômés.

Comme rapporteur de la section centrale défendant l'article 10, j'ai dit à plusieurs reprises qu'il fallait établir un lien entre l'école normale et l'école primaire, qu'il fallait une préférence, une sorte de privilège pour les candidats diplômés Je combattais les idées de M. Devaux, et j'ajoutais : La commune, comme l'a dit M. le ministre, peut choisir ; elle est complètement libre dans son choix. Elle peut prendre son instituteur parmi les élèves des écoles normales ou en dehors ; seulement dans ce dernier cas, il est soumis à l'agréation du gouvernement. »

Je vous le demande, messieurs, y a-t-il place pour le moindre doute et la moindre équivoque ? L'honorable comte de Theux disait à son tour : « On aurait constitué un privilège, si on ne pouvait pas nommer d'autres instituteurs (que les normalistes), réunissant les conditions de (page 784) capacité et de moralité nécessaires à l'accomplissement de leurs devoirs. Ceux-ci ne sont pas exclus de la nomination par les conseils communaux ? seulement le ministre demande que ces instituteurs soient agréés par le gouvernement qui s'assurera s'ils réunissent les conditions désirables pour exercer leur emploi suivant le vœu de la loi. Ce sera pour lui une obligation d'agir avec impartialité. Quand la commune voudra nommer un instituteur capable, le gouvernement devra laisser à l'autorité communale la libre faculté du choix. » (25 août.)

Ainsi, messieurs, le texte est clair et la discussion est plus claire encore.

Je n'ai pas trouvé dans la discussion un mot pour justifier le principe préconisé par le rapport triennal ; je dirai, comme je l'ai dit à propos de l'école communale et de l'école adoptée : En fait je crois que dans l'avenir, et cela peut être désirable jusqu'à un certain point, une libre préférence pourra être accordée aux élèves sortant des écoles normales. Cependant pour les écoles des filles, je crois que la supériorité restera acquise aux écoles tenues par des associations religieuses. Mais en quoi cette préférence touche-t-elle à la liberté de la commune ?

Lorsque la commune, par des raisons qui constituent sa liberté, préfère une école tenue par une association religieuse, désire choisir un candidat qui n'est pas diplômé mais qui remplit cependant toutes les conditions légales, faut-il interdire ce choix à la commune ?

Evidemment dans le système qu'on cherche à établir ce n'est pas d'une préférence qu'il s'agit, c'est d'une exclusion. La prérogative communale disparaît et son droit de nomination est annulé.

Messieurs, en France, où je regrette de devoir prendre des exemples en matière de liberté, en France pour les écoles tenues par les associations religieuses, d'après la loi de 1850, je pense que la production de la lettre d'obédience des supérieurs suffit pour autoriser la nomination dans une école communale.

M. Crombez. - C'est une erreur.

.M. Dechamps. - Permettez. Cette disposition était écrite, je pense, dans la loi de 1850.

Je ne sais comment on l'applique, car il est difficile de savoir comment on applique les lois dans ce pays voisin.

Pour les corporations religieuses, l'honorable M. Crombez ne le niera pas, je pense, on n'exige le brevet d'instituteur que du chef de l'établissement, on ne l'exige jamais des sous-instituteurs. Il suffit que le directeur de l'école ait passé un examen, ait obtenu un brevet pour que l'école soit admise comme école légale.

M. Crombez. - C'est encore comme cela.

.M. Dechamps. - Bien. Veuillez remarquer que l'examen exigé en France pour être instituteur en chef est bien moins difficile que l'examen exigé chez nous pour les sous-instituteurs.

Je lis dans les derniers mémoires de M. Guizot, dans le volume relatif à l'enseignement primaire, qu'en 1835, il avait voulu introduire dans le projet de loi cette clause qu'il suffit pour les congrégations enseignantes reconnues par l'Etat, de la production de la lettre d'obédience délivrée par le supérieur pour que l'école fût admise comme école légale.

M. Guizot déclare que c'était son désir et son intention, qu'il voulait par-là donner une marque de respect et de confiance à ces congrégations enseignantes qui rendent de si éminents services aux classes ignorantes, mais il recula, dit-il, devant la résistance que lui opposait l'esprit de la chambre française à cette époque.

En Belgique, pays de liberté et de croyance religieuse, nous sommes loin de la France sous ce rapport.

Quand un instituteur ou une institutrice, appartenant à une congrégation religieuse, change de résidence, après avoir enseigné pendant plusieurs années et avoir acquis plus d'expérience dans l'enseignement, croyez-vous qu'on le dispense d'un nouvel examen ? Non, on le lui fait subir.

C'est là une exigence insoutenable, et j'attire sur ce point l'attention impartiale du ministre. Ne trouve-t-il pas que lorsqu'un instituteur ou une institutrice a passé un examen avec succès, cet examen doit lui valoir un brevet de capacité qui le dispense d'un nouvel examen en cas de mutation ou de nomination dans une autre commune ? Ce serait une véritable amélioration.

Messieurs, l'honorable M. Wasseige a examiné hier la question des écoles subsidiées mises en relation avec les écoles désignées. Il me dispense d'y revenir. Du reste, cette question a moins d'importance en fait que les autres, et puis je me sens trop fatigué pour prolonger ce débat.

Permettez-moi, messieurs, en me résumant, d'assigner le caractère général, la signification d'ensemble de la réforme admise contre laquelle je m'élève.

Le premier résultat, c'est de supprimer, d'une manière presque complète, la somme de liberté communale conservée par la loi de 1842.

La loi de 1842 avait déjà restreint (et on lui en a fait souvent un grief) la liberté communale si l'on se reporte à la loi communale de 1836 ; mais la loi de 1842 l'avait conservée dans de justes mesures, dont on s'éloigne aujourd'hui.

D'après cette loi, la commune pouvait fonder ou adopter des écoles ; cette liberté, on l'enlève ; elle pouvait nommer l'instituteur, cette faculté on l'annule ; elle pouvait accorder des subsides ou un local à une école privée qu'elle adoptait, ce pouvoir on le supprime.

Messieurs, dans toutes les législations en matière d'instruction primaire, cette instruction conserve avant tout son caractère communal. Sans doute, et nous l'avons répété bien souvent, cette instruction est aussi d'intérêt général et social ; mais parce qu'il est d'intérêt social, doit-il pour cela perdre son caractère communal ?

Le premier intérêt social, c'est celui des familles ; faut-il en conclure que l'Etat devrait absorber l'intérêt de la famille ?

Evidemment non ; il faut que l'instruction primaire, tout en restant sociale, conserve toujours son caractère communal.

Par la loi de 1842, nous avons conservé à la commune une grande partie de ses prérogatives essentielles. La commune fonde ou adopte, paye, nomme, suspend, dirige et surveille au premier degré.

L'action de haute tutelle accordée à l'Etat, est surtout une action de contrôle et de surveillance. Or, on intervertit aujourd'hui les rôles et le choix de l'école, la nomination et la direction passent presque complètement aux mains de l'Etat.

M. B. Dumortier. - C'est le renversement de la loi.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Mieux vaut sans doute avoir des communes qui abdiquent.

.M. Dechamps. - Non, mais des communes conservant quelque vestige de leur liberté.

Le second résultat de la jurisprudence nouvelle, c'est d'exclure en principe les associations enseignantes du régime légal.

Mon Dieu ! messieurs, on peut avoir sur ces associations les idées que l'on voudra, ce n'est pas la question.

La question est de savoir si elles ont le droit de vivre sous la loi. Eh bien, on les chasse successivement de toutes les positions légales ; de l'école communale, évidemment, elles sont exclues. (Interruption.)

L'école communale était déjà d'un bien difficile accès pour elles, à cause des conditions relatives à la nomination des instituteurs ; mais à l'aide du système de la préférence absolue accordée aux candidats diplômés, l'exclusion devient à peu près complète.

Les membres appartenant aux congrégations enseignantes, ne peuvent sortir du noviciat de leur institut, pour aller fréquenter les cours d'une école normale légale ; c'est la négation de tout institut religieux. Le diplôme est donc une exception de jour en jour plus rare pour les membres des instituts religieux auxquels la position d'instituteur ou d'institutrice dans les écoles communales est dès lors interdite.

Restait l'adoption ; et vous le savez, vous qui avez lu la loi, dans la discussion l'adoption a été considérée comme la porte qu'on a voulu ouvrir aux associations enseignantes.

Eh bien, cette porte, je l'ai démontré, on la ferme de jour en jour plus hermétiquement.

On admet provisoirement les associations enseignantes dans les petites communes dépourvues de ressources où elles ne peuvent exister ; on leur interdit les grandes communes où elles sont établies et peuvent l'être ; on leur ôte le local communal, le mobilier ; on ne leur accorde que la rétribution proportionnée aux élèves pauvres qui fréquentent l'école. N'est-ce pas encore de l'exclusion en principe et en fait ? C'est, comme je l'ai dit, l'impossibilité financière ajoutée à l'impossibilité légale.

Messieurs, à la fin des longs débats de la loi de 1842, deux hommes, deux collègues que nous considérons comme les chefs, les mentors des deux opinions qui divisent les Chambre, les honorables MM. Devaux et de Theux, appréciaient ainsi la loi de 1842. L'honorable M. Devaux, se faisant l'organe des craintes qui avaient été manifestées dans le cours de la discussion relativement à la manière dont le clergé userait de l'influence que le loi lui accorde, disait que le succès de la loi dépendrait de la prudence, de la modération que le clergé apporterait dans le concours qui lui était demandé. L'honorable M. de Theux, se faisant l'organe d'autres craintes, disait que le succès de la loi dépendrait de la manière impartiale, de la bonne foi que le gouvernement mettrait à l'exécuter. Eh bien, je le demande franchement, il y a 20 ans que la loi a été votée (page 785) et qu'elle existe, dites-nous laquelle de ces deux craintes s'est réalisée.

Ouvrez les rapports triennaux écrits par tous les ministres qui ont passé au pouvoir ; tous sont unanimes à donner des éloges à l'inspection ecclésiastique, à reconnaître l'heureuse influence exercée par le clergé.

Peu de conflits ont été soulevés, et la conciliation les a tous aplanis.

En 1852, après 20 ans d'exercice de la loi, il restait cinq conflits à aplanir.

Pendant la quatrième période triennale il y a eu un seul conflit soulevé, et pendant la cinquième période il y en a eu deux. La prudence et la modération conseillées au clergé, en 1842, ont été pratiquées par lui, et de ce côté le succès de la loi a été assuré.

Je viens de vous démontrer, messieurs, que les craintes de l'honorable M. de Theux se sont beaucoup plus complètement réalisées. Je ne veux rien exagérer ; je sais parfaitement bien que la plupart des faits que j'ai signalés ont été accomplis, à l'insu même des ministres, qui n'ont pu y prêter une attention, distraite par tant de préoccupations diverses. Mais aujourd'hui on les érige en système, et c'est le mal que je combats.

Messieurs, le but politique de la loi de la loi de 1842, c'a été, vous le savez, de faire cesser l'antagonisme qui existait dans l'enseignement primaire entre les écoles fondées par la liberté, par le clergé, par les communes et les écoles subsidiées par l'Etat.

M. Nothomb disait : Ce n'est pas trop de tous les efforts combinés de la liberté, de la religion, de la bienfaisance, de la commune, de la province et de l'Etat, pour livrer cette grande bataille à l'ignorance qu'il faut vaincre.

Dans le système que je déplore de voir adopter, cet antagonisme qu'on avait fait cesser, on le réveille ; ces efforts qu'on était parvenu à allier et à réunir on va les diviser.

On veut faire de l'Etat, non plus l'Etat protecteur, l'Etat encourageant le travail civilisateur de la liberté et de la religion, des communes et des provinces, mais l'Etat rival, l'Etat hostile, l'Etat concurrent de la liberté et de tout ce que la liberté fait naître, écrasant la liberté sous le poids du trésor public, comme le disait M. Dumortier, et sous une organisation centralisée qui s'empare de toutes les places et n'en laisse aucune pour personne.

Si c'est là ce qu'on appelle le libéralisme, ce n'est pas, à coup sûr, la liberté.

Projet de loi accordant un crédit au budget du ministère des travaux publics

Rapport de la section centrale

M. Sabatier. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi portant allocation au département des travaux publics d'un crédit de 8,898,000 francs.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1862

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XVII. Enseignement primaire

Discussion générale

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, la question soulevée devant la Chambre est évidemment une des questions les plus graves et les plus importantes qui puissent être débattues dans cette enceinte.

Il s'agit de savoir si le gouvernement, par la jurisprudence qu'il applique, confisque, oui ou non, la liberté d'enseignement. Il s'agit d'examiner également si l'on peut adopter certaines mesures qui auraient pour résultat de favoriser l'enseignement libre en le subsidiant, et si la loi lui donne ainsi la prépondérance sur l'enseignement organisé en vertu de l'article 17 de la Constitution, en d'autres termes, si l'enseignement libre, pour se maintenir et faire concurrence à l'enseignement communal, a le droit de réclamer le concours pécuniaire de l'Etat.

Dans cette discussion, on nous a adressé les reproches les plus graves,

D'après l'honorable membre qui vient de s'asseoir, nous sommes impuissants à réviser la loi législativement et, dans notre impuissance, nous voulons la réformer par voie administrative. A l'appui de cette thèse, on dit que la bureaucratie qui ne dort jamais, vient sournoisement appliquer en Belgique des principes qui ne peuvent pas y être admis ; d'autres prétendent que nous écrasons la liberté d'enseignement sous le poids du trésor public ; selon quelques-uns, nous anéantissons la liberté communale, la liberté d'association, et comme l'a dit M. B. Dumortier, chaque jour, à chaque heure, nous violons la Constitution !

M. B. Dumortier. - Je n'ai pas dit cela, mais c'est la vérité.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Vous l'avez dit et vous le répétez.

Du reste, la question, comme je viens de le dire, est importante ! Je succède à un honorable orateur qui a fait de cette question une étude approfondie, et j'avoue que j'éprouve une certaine émotion. Je prie mes honorables collègues de ne pas m'interrompre, pour que je ne perde pas le fil de mes idées. La gauche a religieusement écouté nos honorables adversaires.

Ainsi donc nous sommes de grands coupables, nous violons chaque jour, à chaque heure la Constitution ; eh bien, messieurs, de toutes ces accusations, pas une n'est fondée, j'espère le démontrer à la Chambre. Nous ne violons ni la Constitution ni la loi de 1842 ; loin d'anéantir la liberté communale, la liberté d'enseignement et la liberté d'association, nous nous bornons à appliquer la loi sincèrement, telle qu'elle doit être appliquée dans l'intérêt de la société et conformément à la pensée de ses auteurs.

Deux questions ont été soulevées : d'abord qu'est-ce qu'une école adoptée ? Aux termes de l'article 10 de la loi de 1842, le gouvernement pour la nomination des instituteurs, doit-il, peut-il même préférer les élèves diplômés sortant de l'école normale aux personnes qui ne peuvent produire un diplôme ?

La première question peut se résumer en ces termes :

L'article premier de la loi de 1842 s'applique-t-il aux écoles privées adoptées, comme aux écoles communales, ou, pour me servir d'une formule de M. Wasseige, les écoles privées adoptées sont-elles sur le même rang que les écoles communales, et, comme conséquence, les communes peuvent-elles satisfaire à l'article premier de la loi, soit en fondant une école communale, soit en adoptant une école privée, et sont-elles toujours libres de choisir à leur gré l'une ou l'autre de ces institutions ? Voilà la question. Pour la résoudre il faut recourir à la discussion de la loi de 1842 et aux actes administratifs nombreux qui ont été posés depuis cette époque.

J'avoue qu'il n'est pas toujours facile de saisir clairement la pensée du législateur ; chacun de vous se souviendra que la discussion de la loi de 1842 fut assez confuse, les opinions étaient très diverses ; et il fallut que le ministre qui l'avait présentée fût non seulement un homme d'Etat, mais aussi un diplomate habile. En effet, pour éviter d'effrayer les uns, pour donner satisfaction aux autres et réunir une majorité, il fallait une grande habileté de langage et une prudence extrême.

Il n'y a cependant pas impossibilité, je pense, de se retrouver au milieu de ce dédale et de démontrer que la jurisprudence adoptée par le gouvernement est conforme au texte comme à l'esprit de la foi.

Toute l'organisation de l'enseignement primaire en Belgique repose sur les quatre premiers articles de la loi..

L'article premier porte :

« Il y aura dans chaque commune du royaume au moins une école primaire. »

L'article 2 dit :

« Lorsque dans une localité il est suffisamment pourvu aux besoins de l'enseignement primaire par les écoles privées, la commune peut être dispensée de l'obligation d'établir elle-même une école. »

C'est, comme on l'a dit, un hommage rendu à la liberté d'enseignement.

L'article 3 porte :

« La commune pourra être autorisée à adopter, dans la localité même, une ou plusieurs écoles privées, réunissant les conditions légales pour tenir lieu d'école communale. »

Enfin, d'après l'article 4, c'est à la députation permanente du conseil provincial qu'il appartient de statuer, sauf recours au Roi, sur les demandes de dispense ou d'autorisation faites par la commune.

Voilà tout le système de la loi.

Ainsi la loi s'occupe en Belgique de deux espèces d'écoles distinctes, savoir les écoles communales et les écoles libres ou privées.

Ces dernières se subdivisent elles-mêmes en deux catégories : il y a d'abord les écoles privées, pourvoyant à tous les besoins de l'enseignement sans l'intervention d'aucune caisse publique et valant à la commune la dispense d'établir des écoles communales. Il y a ensuite les écoles privées adoptées pour tenir lieu d'écoles communales et donnant, moyennant indemnité, l'instruction aux enfants pauvres.

On a parlé hier d'une autre espèce d'école ; ce serait, d'après l'honorable M. Wasseige, ce qu'on appelait l’ « école désignée ». Mais l'école désignée n'existe pas dans la loi de 1842.

M. Wasseige. - Voyez l'article 5.

MiV. - J'y arrive.

Pour nous démontrer qu'il existait en Belgique ce que M. Wasseige appelait des écoles désignées, l'honorable membre a donné lecture de l'article 5 ainsi conçu :

« Les enfants pauvres recevront l'instruction gratuitement. La commune est tenue de la procurer à tous les enfants pauvres (page 786) dont les parents en font la demande, soit dans son école communale, soit dans celle qui en tient lieu ou dans toute autre école spécialement désignée... » Mais l'honorable membre s'est arrêté là, et a supposé un point. Cependant l'article 5 ne finit pas là, car il porte après le mot « désignée », les mots : « à cet effet, par elle, en conformité des articles 3 et 4.é (Interruption.)

Grâce à un point transposé, l'article 5 change, vous le voyez, entièrement de sens. Ainsi, pour trouver une nouvelle catégorie d'écoles et doter la Belgique de cette institution d'un nouveau genre, l'honorable M. Wasseige a été obligé de supprimer la dernière partie de l'article 5 qui est cependant indispensable pour expliquer le sens de cet article, base de l'argumentation de l'honorable membre.

M. Wasseige. - Cela ne change absolument rien à sa signification.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Permettez. Ainsi l'école doit être désignée par la commune en conformité des article 3 et 4 de la loi, si donc l'école désignée était autre chose qu'une école adoptée, pourquoi dirait-on : en conformité des article 3 et 4, qui sont relatifs à cette espèce d'école ? Ce texte serait incompréhensible.

Mais, messieurs, pourquoi cet article a-t-il été introduit dans la loi ?

Je vais vous le dire.

La commune peut être autorisée à adopter dans la localité même une ou plusieurs écoles privées, l'article 5 permet simplement à l'administration communale de désigner celle des écoles établies conformément à l'article 3, que les enfants doivent suivre. Dans une grande ville, par exemple, les enfants de tel quartier devront fréquenter l'école de ce quartier, les enfants habitant un autre quartier de la ville seront admis à fréquenter telle autre école.

Ces expressions n'ont pas d'autre sens ; la commune dit aux enfants auxquels elle donne gratuitement l'instruction : Vous, vous irez à l'école n°1, et vous, vous irez à l'école n° 2. Voilà le sens réel de l'article 5.

Si l'honorable M. Wasseige avait lu l'article jusqu'au bout, je crois qu'il l'aurait ainsi compris.

Mais la discussion explique pourquoi le mot « désignée » a été introduit dans la loi.

Lors de cette discussion, un amendement fut présenté par la section centrale et défendu par l'honorable M. Dechamps. Cet amendement portait, en substance que les pères de famille seraient libres d'envoyer leurs enfants à telle école qu'ils jugeraient convenable, soit à une école communale, soit à une école adoptée, soit à une école parfaitement libre ; en tous cas la commune eût été tenue de payer la subvention, et de la payer même à l'école libre. Cet amendement ne fut pas admis.

M. B. Dumortier. - C'était un système tout entier.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je ne juge pas le système ; mais je dis que cet amendement a été rejeté et je crois que vous avez voté contre.

M. B. Dumortier. - Oui ; cela remplaçait la loi.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je dis donc que cet amendement lut rejeté, et pour ne laisser aucun doute, on reconnut expressément aux communes le droit de désigner l'école que les enfants pauvres devaient suivre. C'est ce qui est stipulé à l'article 5.

- Un membre. - Non.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Vous dites non, moi je dis oui. Je sais à quoi l'on fait allusion. Pendant les premières années de la mise à exécution de la loi de 1842, une tentative fut faite. Il se présentait alors certaines difficultés et l'on chercha à les tourner. Il existait quelques écoles tenues par des corporations religieuses. Les communes ne voulaient pas les adopter ; l'auteur de la loi, l'honorable M. Nothomb, voyant là une très grande difficulté, crut un instant qu'il pourrait y échapper, en subsidiant ces établissements directement sur le budget de l'Etat, et en dehors de l'action des communes. Mais ce système ne put être appliqué sérieusement.

Le budget intervînt au maximum dans les frais de ces écoles que vous appelez désignées, pour une somme de 10,000 à 12,000 francs, et cette intervention ne dura pas longtemps. Ou comprit que les écoles désignées n'existant pas dans la loi, il était impossible, aux termes de l'article 26, de leur accorder des subsides.

Messieurs, après cette digression dans le domaine de l'école désignée qui n'existe pas légalement, je rentre dans la discussion et je dis : Nous avons deux espèces d'écoles en Belgique pour l'enseignement primaire, l'école communale et l'école libre qui peut être adoptée.

En règle générale chaque commune doit avoir son école communale, par exception une commune peut être autorisée à adopter une école privée, mais il ne faut admettre l'exception que lorsqu'on ne peut pas appliquer la règle.

Je ne crains pas d'affirmer ce principe parce que je le crois le seul vrai, le seul dicté par les intérêts de l'instruction primaire, et le seul conforme à la loi.

On semble contester ce principe. Ou n'admet pas que l'école communale soit la règle : les communes, dit-on, peuvent aussi bien adopter une école privée que créer une école communale, et ce parce que dans l'article premier où l'on parle d'une école primaire en général, le mot « communal » ne se trouve pas.

Messieurs, cet argument n'en est pas un.

Je vous le demande, que veut dire l'article premier, lorsqu'on le rapproche des articles 2 et 3 ? Si sous le nom d'école primaire était comprise aussi l'école adoptée, que signifierait l'article 3 ? Pourrait-on dire que la commune, qui doit avoir une école soit communale soit adoptée, a besoin d'une autorisation pour adopter une école privée ?

Il est évident que les communes n'auraient pas besoin de cette autorisation si l'article premier avait le sens que vous lui attribuez à tort.

Je puis d'ailleurs invoquer à l'appui de ma manière de voir, l'opinion de l'auteur de la loi.

L'honorable M. Nothomb, dans le discours qu'il prononça à la séance du 11 août 1842, constate que le principe fondamental de la loi, c'est l'obligation pour chaque commune d'avoir une ou plusieurs écoles communales et que les articles relatifs à la dispense ou à l'adoption ne font que consacrer une exception à ce principe.

.M. Dechamps. - Vous ne citez pas exactement. J'ai donné textuellement le passage que vous invoquez.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je n'ai pas le texte sous les yeux ; mais je crois être exact.

Voici les propres paroles de M. Nothomb :

« Le principe fondamental de la loi est celui-ci : Il y aura dans chaque commune du royaume une ou plusieurs écoles. Nous admettons une exception à ce principe ; mais une exception qu'exige, je dirai, le bon sens. (Exclamations.) Je n'hésite pas à le dire, le bon sens ; j'ai posé le cas où dans une commune il est pourvu à tous les besoins de l'enseignement par l'existence d'écoles privées directement payées par les pères de famille ; je demande de nouveau : A quoi bon établir ici une école communale proprement dite ? Pourquoi créer une concurrence ? Il y a non seulement inutilité, mais il y a même danger à créer cette concurrence. » (Interruption.)

Voici du reste ce que disait encore textuellement l'honorable M. Nothomb dans la séance du 12 août 1842 ;

« Il est évident que s'il est constaté par le gouvernement qu'il n'y a pas lieu de maintenir la dispense ou l'autorisation, dans ce cas la dispense ou l'autorisation vient à tomber et que la commune rentre sous l'application du principe général de la loi, principe qui est consacré par l'article premier. »

Donc l'article premier est la règle ; l'école adoptée, l'exception.

Ce principe est affirmé catégoriquement dans une circulaire que l'honorable gouverneur du Luxembourg adressait aux communes de cette province peu de temps après la promulgation de la loi du 23 septembre 1842. L'honorable M. Dechamps nous a dit lui-même qu'ayant été rapporteur de la loi il devait en connaître parfaitement le sens et la portée ; eh bien, voici ce que l'honorable M. Dechamps, alors gouverneur du Luxembourg, écrivait aux communes de cette province : « Le principe de la loi organique est que chaque commune ait au moins une école primaire communale ; les articles 2 et 3 établissent les exceptions apportées à cette règle ; mais, dans une province qui compte deux cents communes et mille sections environ, une seule école communale suffira-t-elle toujours ? »

Me voilà donc aussi d'accord avec l'honorable M. Dechamps, et je m'en félicite.

Mais l'honorable membre a argumenté des discours prononcés par l'honorable M. Verhaegen dans la discussion de la loi.

Si ma mémoire est fidèle, cet ancien collègue a manifesté des craintes que l'honorable M. Dechamps et ses amis semblent vouloir justifier aujourd'hui. _

M. Verhaegen manifestait la crainte de voir les écoles adoptées absorber les écoles communales ; beaucoup d'autres orateurs ont eu et témoigné les mêmes appréhensions. Mais il est à remarquer d'ailleurs que ni l'honorable M. Verhaegen ni ses amis n'ont fait la proposition formelle d'interdire aux communes d'adopter des écoles privées (1).

Qu'il me soit permis de vous rappeler maintenant, messieurs, sur quels (page 787) motifs on s'appuyait pour autoriser par exception des communes à adopter des écoles privées ou à solliciter la dispense mentionnée à l'article 2 de la loi.

L'un de ces motifs était basé sur les faits existant en 1842 : il y avait alors un très grand nombre d'écoles libres, surtout dans les Flandres. L'honorable M. Dechamps disait dans son rapport du 11 juin 1842 : « Le rapport décennal constate qu'il existe des provinces, comme la Flandre orientale par exemple, où le nombre des écoles privées excède de beaucoup celui des écoles communales ; ne pas tenir compte de ce fait en créant pour la commune une obligation trop absolue de créer elle-même une école, c'eût été procéder par bouleversement et non par réformes prudentes et modérées. »

Ainsi, messieurs, l'un des motifs invoqués pour justifier l'exception était le fait existant ; on voulait le maintenir au moins momentanément, et si ma mémoire est fidèle, dans un de ses discours, l'honorable M. Dechamps exprime l'opinion que cet état de choses se modifierait et que le nombre des écoles privées adoptées irait en diminuant (En note de base de page des Annales parlementaires : Voir le discours prononcé par M. Dechamps dans la même séance (pp. 302-305 du volume de la discussion).)

.M. Dechamps. - C'est une erreur.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, un autre motif a encore amené la Chambre à voter les articles 2 et 3 de la loi, on désirait mettre les communes pauvres à même d'avoir une école à peu de frais. M. Lebeau disait dans la séance du 19 août :

« Je ferai remarquer en outre que la loi permet à une commune d'adapter une école privée qui aurait déjà pas elle-même des ressources. Cette école serait soumise à des dépenses moindres qu'une école communale spéciale. »

L'honorable M. Dellafaillc, rapporteur de la commission du sénat, fit une déclaration à peu près semblable dans la séance du 19 septembre.

« Aux termes de l'article 3, disait l'honorable sénateur, il peut être permis à la commune d'adopter une ou plusieurs écoles privées, réunissant les conditions légales pour tenir lieu de l'école communale. Cette disposition tend ainsi à ménager les fonds communaux. »

Messieurs, si j'insiste sur ce point, c'est parce que d'après les motifs qui ont dicté l'article 3 de la loi, il est permis de conclure dans quels cas le gouvernement, restant fidèle à la pensée du législateur, peut accorder ou refuser l'autorisation d'adopter des écoles privées.

Cet examen permet de reconnaître aussi dans quelles circonstances les autorisations d'adopter des écoles doivent être retirées, car vous ne l'ignorez, pas, messieurs, l'article 4 est ainsi conçu : « Il sera annuellement constaté par les soins du gouvernement s'il y a lieu de maintenir la dispense ou l'autorisation. En cas de négative la dispense ou l'autorisation sera retirée par arrêté royal. »

Le gouvernement pourrait donc, à la rigueur, dire : L'article 4 me donne le droit d'accorder ou de ne pas accorder l'autorisation d'adopter des écoles et celui de retirer ces autorisations par arrêté royal.

En accordant ces autorisations ou en les refusant, j'use d'un droit, et quand j'use d'un droit, je ne dois compte à personne de l'usage de mon droit...

M. B. Dumortier. - Pas même aux Chambres ? Mais vous êtes responsable de vos actes ! Vous ne pouvez pas mettre en question les principes de la Constitution.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je dis que le pouvoir exécutif a des attributions et des droits. S'il n'applique pas la loi comme la Chambre croit qu'elle doit être appliquée, la Chambre a le droit de renverser le ministère, et je suis convaincu que l'honorable M. Dumortier n'y faillirait pas, si cela était en son pouvoir.

M. B. Dumortier. - Vous avez parfaitement raison.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Vous le voyez, nous sommes d'accord sur ce point. Cependant, messieurs, si le gouvernement peut user librement du droit que l'article 4 de la loi de 1842 lui donne, il ne doit pas faire de ce droit un usage arbitraire ; il doit se tracer certaines règles, et c'est ce qu'il a fait.

Pour pouvoir être exempté de l'obligation imposée à toutes les communes de créer une école communale, il faut, d'après nous, réunir des conditions de deux espèces : d'abord la commune doit se trouver dans une position déterminée ; il faut ensuite que l'école qu'on veut faire adopter remplisse certaines conditions qu'on a appelées légales ; la commune doit être pauvre, c'est-à-dire elle doit se trouver dans une position telle, qu'il lui soit impossible ou du moins très difficile de créer, à l'aide de ses ressources, une école communale ; car, sans cela, elle tombe. sous l'application de la règle générale de l'art. premier, qui exige qu'il y ait dans chaque commune une école communale. Ainsi, lorsque la commune est suffisamment riche pour faire face à toutes les dépenses d'une école communale, alors il est de son devoir de renoncer à l'adoption et d'établir une école.

On a cité l'exemple de la commune de Sivry. Eh bien, cette commune est en état d'avoir d'excellentes écoles communales à des conditions beaucoup moins onéreuses pour elle que celles résultant de l'état de choses actuel.

Voici ce qui se passe à Sivry :

Dans cette commune, il y a une école de garçons tenue par des frères de la doctrine chrétienne ; la commune leur donne 3,675 francs ; une école de filles est tenue par des sœurs, et la commune leur paye 2,310 francs.

On leur accorde de plus la jouissance gratuite d'un local d'école et d'une habitation meublée.

Or, messieurs, le nombre des élèves de l'école des frères est de 184, de sorte qu'ils reçoivent par élève une somme de 19 fr. 98 c. ; pour Ici filles, les sœurs reçoivent une subvention de 8 fr. 88 c. par élève.

Ces faits prouvent que la commune de Sivry est dans une situation financière qui lui permet parfaitement d'avoir des écoles communales ; cette commune se montre beaucoup moins large pour son instituteur communal ; elle rétribue avec générosité des écoles adoptées, et se montre parcimonieuse pour une école laïque qu'elle possède dans un hameau.

L'instituteur qui tient l'école communale du hameau de Sautin, ne reçoit qu'une somme de 800 fr. ; le nombre de ses élèves pauvres est de 85, il touche 4 fr. 75 c. par élève, tandis que la commune donne 19 fr. 98 c. aux frères ! Est-ce là de l'impartialité et de la justice distributive ? Quoi qu'il en soit, ces faits prouvent de la manière la plus évidente que la commune de Sivry pourrait parfaitement rentrer dans la règle générale, et créer des écoles communales.

On a cité encore l'école de Jambes ; cette commune se trouve à peu près dans le même cas que celle de Sivry. L'école adoptée des frères à Jambes coûte 1,500 fr. à la commune, et celle des sœurs, 700 ; pour chaque enfant pauvre, on paye 20 fr. aux frères, somme beaucoup plus élevée que celle généralement payée par enfant instruit gratuitement.

Si j'ai cité ces faits, c'est pour prouver que souvent les communes violent la loi en ce sens qu'elles adoptent des écoles, au lieu de créer par elles-mêmes, et quand elles le peuvent, des écoles communales.

J'ai dit qu'une école, pour pouvoir être adoptée, doit, de son côté, remplir certaines conditions. Ainsi, cette école doit d'abord exister par elle-même. En effet, le mot « adoption » l'indique. Peut-on adopter un enfant qui n'est pas né ? Pourrait-on adopter une école qui n'existait pas ? L'école, pour exister, doit avoir un local, un mobilier, en un mot, avoir tout ce qui est nécessaire à l'existence d'une école. Mais quand une commune fournit un matériel d'école, quand elle accorde des traitements aux instituteurs, il ne s'agit plus d'école adoptée ; une pareille école ne peut être qu'une école communale proprement dite.

L'école, pour pouvoir être adoptée, doit donc avoir une existence réelle, son local et son mobilier, un personnel enseignant.

Ce personnel doit, en outre, donner toutes les garanties désirables de moralité et de capacité. On s'assure de la capacité soit par l'inspection, soit au moyen de l'examen.

L'honorable M. de Decker a pris à cet égard des mesures pour constater la capacité des instituteurs et des institutrices adoptes sans froisser leurs sentiments.

Les écoles adoptées doivent encore se soumettre à l'inspection ; elles doivent suivre le programme légal, employer les livres autorisés, leur personnel doit assister aux conférences. Les écoles qui ne remplissent pas toutes ces conditions ne peuvent pas être adoptées, et l'autorisation doit être retirée à celles qui cesseraient de remplir toutes les conditions que je viens d'énumérer.

Les instituteurs adoptés doivent s'engager à instruire les enfants pauvres, et c'est à ces conditions seulement que l'adoption peut être autorisée.

Lorsqu'on a discuté la loi de 1842, on s'est demandé comment on pourrait assurer l'exécution de l'article 5. En effet, d'après l'article 5, les enfants pauvres reçoivent l'instruction gratuitement.

A défaut d'école communale et lorsqu'il existe une école libre pouvant en tenir lieu, on est bien obligé de l'adopter avec subvention pour l'instruction des enfants pauvres.

Celle subvention est le seul encouragement matériel que l'on peut, en règle générale, accorder aux écoles adoptées.

L'honorable M. Dechamps ne partage pas cette manière de voir ; d'après lui, la discussion de la loi n'autorise pas cette interprétation. Il me sera (page 788) facile, j'espère, de démontrer à l'honorable membre que pareille interprétation, a été admise par mes prédécesseurs.

Mais qu'il me soit permis d'abord de répondre un mot à l'honorable M. Wasseige.

L'honorable membre, prenant le texte de l'article 24 de la loi, nous a dit : Les fonds votés par les provinces, en faveur de l'instruction primaire, sont destinés aux objets suivants : traitements ou suppléments de traitement aux instituteurs communaux « et à ceux qui en tiennent lieu ». Quels sont donc, nous demande-t-il, ces instituteurs « qui en tiennent lieu » ? Il répond, ce sont les instituteurs adoptés ! Donc vous pouvez accorder des traitements à l’instituteur adopté.

L'honorable M. Wasseige se trompe, messieurs. Ce n'est pas moi qui vais avoir l'honneur de lui répondre.

Je laisse ce soin à l'honorable M. Nothomb lui-même.

Voici comment s'exprimait l'auteur de la loi :

« L'article 24, paragraphe premier, n°1 de la loi du 23 septembre 1842 est ainsi conçu :

« Les fonds votés par la province en faveur de l'instruction primaire sont destinés aux objets suivants :

« 1° Traitement ou supplément de traitement aux instituteurs communaux ou à ceux qui en tiennent lieu.

« Par ces mots : Ceux qui en tiennent lieu, il faut entendre les instituteurs qui remplacent provisoirement les instituteurs communaux et nullement les instituteurs adoptés... » (Interruption.)

C'est l'auteur de la loi qui parle.

M. B. Dumortier. - Ce n'est pas la loi.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - L'auteur de la loi et le rapporteur sont les plus compétents pour l'interpréter, et c'est pour ce motif que j'ai, autant que possible, recours à leurs lumières.

M. Wasseige. - J'ai cité une opinion contraire de l'honorable M. Nothomb dans cinq ou six textes.

.M. Dechamps. - Je ne pense pas que cette circulaire soit de M. Nothomb ; il y a probablement erreur. Quelle en est la date ?

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Le 31 août 1845. Je continue donc :

« En effet M. l'inspecteur, ajoute le ministre, les fonds dont il s'agit sont destinés à venir au secours des communes. Or, d'après les article 21 et 22 de la loi précitée, les communes ne doivent accorder de traitement qu'aux instituteurs communaux proprement dits.

« D'où il suit que les traitements ou suppléments de traitements qui seraient imputés sur les budgets provinciaux ne peuvent être affectés qu'à des places d'instituteur communal et qu'il ne peut être question de les allouer à des instituteurs adoptés.

« (Signé) Nothomb. »

M. Wasseige. - Je demande que M. le ministre veuille bien faire vérifier le fait, mais je ne crois pas que cette circulaire émane de l'honorable M. Nothomb, car il serait en contradiction avec ce qu'il a dit dans plusieurs circonstances.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Est-ce ma faute ? Je puis citer d'autres documents encore. Voici une circulaire du 19 janvier 1844. Le ministre de l'intérieur qui était encore l'honorable M. Nothomb disait en ce qui concerne les écoles adoptées (article 3 et 4 de la loi) : « Vous remarquerez, M. le gouverneur, que les budgets ne doivent indiquer que la subvention accordée aux instituteurs et les moyens que la commune ou le bureau de bienfaisance possède pour y faire face. »

Il s'agit donc d'une subvention et non plus d'un traitement. (Interruption.)

L'honorable M. Wasseige a prétendu que je me trompais. Je lui prouve que lui seul est dans l'erreur.

M. d'Huart, gouverneur de la province de Namur, émettait la même opinion dans une circulaire du 1er février 1844.

« Effectivement, les instituteurs privés dont les écoles ont été adoptées, n'ont droit qu'à la rétribution des élèves solvables, à la subvention pour l'instruction gratuite des enfants pauvres, à la part à payer pour ces enfants dans le prix du chauffage et au remboursement des frais qu'ils feraient pour leur procurer des livres, du papier, etc. »

Ainsi donc il est toujours question d'une subvention, mais jamais d'un traitement.

Voici un nouvel extrait d'une circulaire de M. Dechamps : « La commune, en vertu des articles 2 et 3 de la loi du 23 septembre 1842, peut être dispensée de toute espèce de charges à l'égard de l'instruction primaire, lorsqu'il est suffisamment pourvu aux besoins de cette instruction par les écoles privées et lorsque l'enseignement gratuit est assuré aux enfants indigents,

« La commune peut aussi adopter une école privée réunissant les conditions légales pour tenir lieu d'une école communale, et dans ce cas, elle peut subventionner cette école, de manière à ne pas élever les subsides au niveau des dépenses rendues obligatoires pour une école communale proprement dite. »

Il faudrait donc qu'à Sivry la commune dépensât moins pour une école adoptée que pour une école communale. Le contraire y a lieu.

Je le répète, le document que je viens de citer émane encore de l'honorable M. Dechamps. (Interruption.)

Je suis donc d'accord avec lui sur ce point, et je dis, avec M. Dechamps de 1842, la commune peut subventionner une école adoptée de manière à ne pas élever le subside au niveau des dépenses rendues obligatoires pour une école communale. J'ajoute : si la commune n'obéit pas à ces prescriptions, le gouvernement doit rappeler la commune à l'exécution de la loi, retirer l'adoption et créer d'office une école communale.

Voulez-vous connaître l'opinion de M. Van de Weyer, elle est consignée dans sa circulaire du 9 février 1846 conçue comme suit :

« Monsieur le gouverneur,

« Je ne puis que maintenir l'interprétation que, dans ma circulaire du 23 janvier dernier (5e div., n° 27458 L.), j'ai donnée à la question de savoir si un instituteur adopté peut jouir d'un traitement fixe.

« Indépendamment des raisons que j'ai données et qui m'ont déterminé à résoudre cette question négativement, je vous ferai observer, M. le gouverneur, que l'on adopte les écoles privées uniquement pour l'instruction des enfants pauvres et que, du chef de l'instruction des enfants pauvres, la loi (article 5) n'accorde qu'une subvention ou une rétribution par tête. D'ailleurs, si l'on admettait que les instituteurs adoptés ont droit à un traitement minimum de deux cents francs, il faudrait reconnaître également qu'ils peuvent prétendre à une maison d'école ainsi qu'à une habitation ou indemnité de logement, et alors il n'y aurait plus, sous le rapport des avantages, la moindre différence entre eux et les instituteurs communaux proprement dits.

« Le ministre de l'intérieur, « (Signé) Sylvain Van de Weyer. »

Maintenant, messieurs, dans la discussion même, il fut entendu que les instituteurs des écoles adoptées ne recevraient point de traitement et que les écoles n'étaient adoptées que pour ne pas grever les finances communales.

Voici ce que disait un représentant dont la droite ne contestera pas le mérite ; c'était l'honorable M. Brabant.

Il s'agissait d'un amendement portant que pour chaque enfant pauvre il serait payé une subvention de 6 francs. Cet amendement rencontrait une certaine opposition, toujours par la crainte d'obérer les communes.

L'honorable M. Brabant répondait :

« On trouve exorbitante la somme de 6 francs. » (En supposant qu'il y ait 80 enfants) : « L'instituteur aura 480 francs. Cet instituteur avec ses 480 francs n'aura pas seulement un traitement, ce ne sera pas à titre d'honoraires qu'il les recevra, ce sera pour tous frais ; il devra se procurer un local, le meubler, le chauffer et vivre ; ainsi vous le voyez la dépense n'est pas bien grande. »

.M. Dechamps. - Il s'agit de l'article 5 et non de l'article 3 ; vous confondez.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Cela prouve que, dans l'opinion de l'honorable M. Brabant, les écoles adoptées n'avaient pas droit à autre chose qu'à une simple subvention pour l'instruction des enfants pauvres.

Je pourrais vous lire beaucoup de pièces encore, mais je craindrais d'abuser des moments de la Chambre.

Cependant je demanderai la permission de lui donner communication d'un dernier document ; c'est une note du 20 mars 1857 qui fut adressée à M. Dechamps, ancien rapporteur de la section centrale, par le ministre de cette époque, par l'honorable M. de Decker.

La question est parfaitement traitée dans cette note.

La question de savoir si une commune peut accorder à une école privée adoptée autre chose qu'une indemnité pour l'instruction gratuite des enfants indigents, est d'abord posée. On y répond :

« Cette question me paraît devoir être résolue négativement.

« L'article premier de la loi du 23 septembre 1842 porte que chaque commune du pays devra ériger et entretenir au moins une école primaire ; mais aux termes de l'article 3, les communes peuvent être dispensées de cette obligation en adoptant des écoles privées.

« Il résulte de la combinaison de ces deux articles que l'école communale constitue la règle et que l'école adoptée ne peut être que l'exception ; pourquoi cette exception ?

(page 789) « Evidemment c'est, comme l'a fort bien dit M. de Theux (premier rapport triennal, texte, page 132) pour épargner les deniers des contribuables ;

« On a voulu mettre à la disposition des communes pauvres un moyen peu dispendieux de remplir leurs obligations en matière d'instruction primaire.

« Les écoles privées adoptées ont droit à une rémunération convenable du chef de l'instruction gratuite des indigents et elles n'ont pas droit à autre chose.

« En leur allouant de plus grands avantages, on agirait contrairement à l'esprit de la loi, puisque l'on augmenterait sans utilité des dépenses que le législateur a entendu réduire au strict nécessaire.

« Les communes qui possèdent des ressources suffisantes pour ériger et entretenir des écoles tombent sous l'application de l'article premier ; elles sont tenues d'organiser l'enseignement primaire à leurs frais, plutôt que des écoles privées adoptées. »

Et plus loin :

« On ne voit pas pourquoi l'on payerait aux écoles privées adoptées plus qu'une subvention pour l'instruction des indigents : ces écoles qui dans le système de la loi ont une existence propre et indépendante de l'adoption, conservent tous leurs avantages lorsqu'elles sont adoptées, et, loin d'aggraver leur position, l'adoption ne fait que l'améliorer, puisque en échange du service qu'elles rendent, on leur alloue une indemnité, et que d'un autre côté on les affranchit de la concurrence que leur ferait l'institution d'une école communale.

« Lors de la discussion de la loi du 23 septembre 1842, M. Nothomb, ministre de l'intérieur, disait ;

«Là où il (l'instituteur communal) n'est pas chargé de l'instruction des pauvres, la commune donnera une subvention pour cet objet à l'établissement, par exemple, desservi par les frères de la doctrine chrétienne, lesquels se contenteront d'un subside pour les enfants pauvres. » (Voir le volume de la discussion, page 628.)

« La déclaration du ministre s'applique à toutes les écoles adoptées ; d'où il suit que ces sortes d'écoles doivent toutes se contenter d'une indemnité ou d'un subside pour l'instruction des enfants pauvres.

« La loi a toujours été entendue et exécutée dans ce sens ; c'est ce qui est prouvé par un grand nombre d'actes émanés de l'administration depuis 1843 jusqu'aujourd'hui. »

Voilà, messieurs, quelle était l'opinion du chef du département de l'intérieur, et je dois le déclarer, cette opinion, que je trouve très sage, est complètement la mienne.

Or, messieurs, si tels sont les principes, si les communes n'ont d'autres droits ou attributions que ceux que la loi leur confère, et si la loi ne leur permet que dans certains cas déterminés d'adopter, au lieu de créer, des écoles, il est évident que lorsque les communes ne seront pas dans ces conditions légales, il appartiendra au gouvernement de les rappeler à leurs devoirs.

Ainsi, lorsque des communes accordent à des institutions adoptées des avantages exagérés, l'adoption doit être retirée, et, veuillez-le remarquer, les avantages accordés à certaines corporations ou écoles adoptées sont très considérables. Certaines corporations ont de grandes prétentions et occasionnent aux communes de fortes dépenses, ces charges sont beaucoup plus considérables que s'il s'agissait de créer une école communale.

Permettez-moi de vous donner lecture de quelques extraits du prospectus, pour les établissements des frères des écoles chrétiennes et des conventions faites par les sœurs de la Providence.

Voici des extraits du prospectus :

« Art. 2. Chaque établissement doit être composé au moins de trois frères, dont deux pour diriger les classes, le troisième pour gérer le temporel. Lorsqu'il y aura des classes en ville, outre celle de la maison, le directeur n'en aura point à faire, afin qu'il puisse les surveiller toutes et remplacer un frère en cas de besoin. S'il y avait huit classes ou un plus grand nombre, outre le frère directeur, il y aurait encore un frère suppléant.

« Art. 3. L'habitation des frères doit être appropriée à la vie commune dont ils font profession, et comprendre parloir, cuisine, réfectoire, dortoir, chambre d'exercice, chapelle ou oratoire, infirmerie, cave, bûcher, grenier, cour, jardin, puits avec pompe ; enfin tout ce qui convient à un établissement de ce genre. Les classes doivent être à courants d'air, contiguës, saines, bien éclairées et bien aérées ; elles doivent avoir environ 9 mètres de longueur sur 8 de largeur, et 4 mètres 30 centimètres de hauteur.

« Art. 4. Le traitement des frères sera pris sur les octrois, ou fondé par quelque bienfaiteur, et il ne pourra être moindre de 600 fr. dans les départements et 750 fr. à Paris.

« Art. 5. La maison d'habitation et les classes, ainsi que le matériel de l'école, à l'usage tant des maîtres que des élèves, seront fournis et entretenus à perpétuité par les villes ou par les fondateurs. Le chauffage des classes sera à la charge des villes, des fondateurs, ou des parents des élèves, selon les conventions qui auront été faites avec qui de droit.

« Art. 6. Les villes ou les fondateurs donneront pour chaque frère une somme de 1,200 fr. une fois payée, tant pour les frais de voyage et le trousseau des frères que pour l'ameublement de la maison ; cette somme est réduite à 700 fr. aussi pour chaque frère demandé pour augmenter le personnel d'une maison déjà formée.

« Art. 7. Comme le mobilier est entretenu par les frères, ils acquièrent chaque année le droit à un dixième de la valeur des effets dont il se compose.

« Art. 8. L'institut n'ayant aucun revenu affecté à la formation des jeunes maîtres, il sera payé une indemnité de 600 fr. par chacun des frères envoyés dans un nouvel établissement ou dans une maison déjà formée pour augmenter le personnel.

« ... Art. 12. Les frères doivent avoir l'entière liberté d'observer leurs règles, tant celles qui regardent leur régime intérieur, que celles qui regardent la tenue des classes, le tout afin qu'ils puissent conserver l'uniformité qui est un des principaux soutiens de leur institut.

« Art. 13. Le supérieur général sera libre de changer les frères quand il le jugera nécessaire ou utile. Alors le changement sera au compte de la maison. Mais si la ville ou les bienfaiteurs demandaient le changement d'un frère, alors ils seraient tenus d'en supporter les frais.

« Art. 14. Dans le cas où l'on voudrait fermer un établissement, la suppression ne pourrait avoir lieu qu'après avoir été notifiée six mois d'avance au supérieur général ; et lors du départ des frères la ville et les fondateurs seraient tenus de payer pour chaque frère une somme équivalente à six mois de son traitement annuel, pour indemnité de déménagement, de voyage, etc. »

Le modèle de convention proposé par les sœurs de la Providence est libellé comme suit :

« Convenu avec la chère mère, M., supérieure générale des sœurs de la Providence de l'Immaculée Conception, établies à Champion, de recevoir en 18.., les ... sœurs ... demandées pour l'enseignement des jeunes filles de la commune aux conditions suivantes et signées de part et d'autre :

« 1° Le minimum du traitement annuel pour chaque sœur est de 350 fr., à payer par trimestre et par anticipation ;

« 2° Logement, jardin et ameublement ;

« 3° Réparation du logement, entretien et remplacement du mobilier ;

« 4° Exemption d'impôts quelconques, corvée, contributions, logements militaires, versement à la caisse de prévoyance ;

« 5° Chauffage pour l'établissement ;

« 6° Remboursement des frais de voyage et d'installation.

« N. B. Il est à remarquer que nous ne renonçons nullement à toute augmentation de traitement par suite des subsides accordés par le gouvernement, à l'occasion de la suppression des octrois. »

Vous le voyez, soit dit en passant, les sœurs ne manquent pas de prévoyance.

Evidemment, messieurs, pareilles conditions sont onéreuses ; les charges sont plus considérables que si la commune avait elle-même son école, et dans ces conditions, il est impossible d'adopter l'école ; car la loi n'autorise l'adoption que pour autant qu'il en résulte une dépense moindre.

.M. Dechamps. - C'est le contraire de ce qu'on nous a dit en 1848.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Cela résulte clairement de la loi.

Les conventions que l'on fait sont donc en général onéreuses.

Messieurs, il résulte clairement de tout ceci que les communes ne peuvent pas adopter des écoles privées, qu'elles soient dirigées par des instituteurs laïques ou religieux (je ne fais aucune distinction sous ce rapport), lorsque de ce chef elles doivent s'imposer des charges supérieures ou même égales à celles qu'elles devraient s'imposer pour créer une école communale. Le gouvernement ne pourrait pas les y autoriser, et si on l'a fait, on a violé la loi.

Comme je l'ai dit, si le gouvernement applique ainsi ces principes, ce n'est évidemment pas pour faire la guerre au clergé, pour anéantir les associations religieuses, mais c'est parce qu'en agissant conformément à la loi, il croit servir ainsi les intérêts de l'instruction primaire en Belgique.

On ne peut le contester, l'école communale présente plus de garanties que l'école adoptée, et sous trois rapports surtout ; sous le rapport de la (page 790) stabilité, sous le rapport de la surveillance et sous le rapport de l’instruction.

Evidemment, les écoles adoptées sont des écoles libres, elles n'ont rien de stable ; le lendemain du jour de l'adoption d'une école, le chef de l’établissement adopté peut renoncer à l'adoption et fermer l'école. D'un autre côté, dans, les écoles adoptées, les mutations de personnel sont fréquentes. L'honorable M. de Decker l'a reconnu et a été forcé de prendre des mesures à cet égard ; les chefs des corporations se réservent expressément dans les conventions le droit de changer le personnel enseignant quand cela leur convient, mais lorsque ces mutations se font à la demande des communes, celles-ci doivent payer les frais de voyage.

Sous le rapport du personnel, les écoles adoptées sont loin de présenter les mêmes garanties que les écoles communales, elles ne subissent qu'une surveillance insuffisante ; sans doute ces écoles sont soumises à l'inspection, mais cette inspection n'est pas de tous les jours, de tous les instants, comme pour les écoles communales, le collège des bourgmestre et échevins n'a pas dans ces écoles les droits qu'il aurait dans les écoles communales ; de plus, à cette surveillance il n'y a pas de sanction, il n'y en a pas d'autre du moins que la bonne volonté de l'institution même.

La commune ne peut pas suspendre un instituteur adopté. Elle ne le nomme pas, elle ne peut donc pas le suspendre ; elle ne peut pas le révoquer ; au point de vue des capacités encore, les établissements adoptés ne présentent par les mêmes garanties que les écoles communales.

Ces instituteurs ne sont pas diplômés ; quand on trouve que leur méthode est mauvaise, il est très difficile de la faire modifier ; des plaintes à cet égard sont arrivées souvent au ministre ; les instituteurs auxquels le gouvernement s’adresse ne peuvent modifier leur méthode sans l'autorisation de leur supérieur.

Même inconvénient pour les livres qu'on emploie dans ces écoles, ces livres ne sont pas toujours ceux que le gouvernement prescrit ; ces institutions ont des livres à elles, il est très difficile aussi de les leur faire changer ; ce n'est pas parce que les écoles adoptées sont tenues par des corporations religieuses que nous posons nos principes ; ces écoles peuvent être maintenues dans certaines circonstances. Mais si elles obtenaient les mêmes avantages que les écoles communales, elles devraient être soumises aux mêmes charges et alors elles deviendraient communales.

Au fait, messieurs, si on accordait aux écoles adoptées les mêmes avantages qu'aux écoles communales et si on ne leur imposait aucune des charges incombant à celles-ci, ne serait-ce pas là consacrer un privilège en faveur des corporations religieuses que rien ne justifierait, que rien n'excuserait ?

Un instituteur, père de famille, que la commune peut révoquer doit se rendre aux conférences, suivre toutes les instructions qui lui sont données par l'inspecteur, il ne touche que ses émoluments, tandis que le chef d'une école adoptée qui n'a passé aucun examen, qui n'a d’autre diplôme que sa robe, reçoit une rétribution plus élevée ; c'est là, je le répète, un privilège que rien ne justifie et que, dans un pays d'égalité comme la Belgique, on ne peut pas tolérer.

Il y a privilège, car les instituteurs adoptés ont tous les bénéfices et sont exempts des charges, et ces charges doivent être pour tous en rapport avec les bénéfices qu'on retire.

Si on trouve la situation des instituteurs communaux si enviable, pour quoi les instituteurs privés ne se mettent-ils pas en situation de devenir instituteurs communaux ? Pourquoi ne vont-ils pas à l'école normale, pourquoi ne prennent-ils pas un diplôme et ne se présentent-ils pas aux communes dans cette situation ? La commune pourra nommer des instituteurs ainsi diplômés.

Déjà quelques religieuses sont diplômées, pour celles-là personne n'a rien à dire.

Du reste, dans la pratique, la question n'est pas aussi grave qu'on a bien voulu le dire. Je tiens en main un relevé des établissements adoptés et des écoles communales au 31 décembre 1860 ; il y avait alors dans tout le royaume 3,095 écoles communales et 747 écoles adoptées, dont 57 de garçons, 426 de filles et 266 écoles mixtes.

De 1857 à 1860, 104 écoles ont cessé d'être adoptées, 66 sont tombées parce qu'elles étaient sans objet ; 38 retraits seulement ont eu lieu, et un petit nombre de ces retraits d'autorisation s'appliquent à des corporations religieuses ; les autres s'appliquent à des écoles qui étaient tenues par de vieillards ou par des personnes incapables qui n'étaient plus dignes de donner renseignement.

Mais vous voulez, étouffer la liberté d'association ! nous dit-on. Il suffira de citer quelques chiffres pour prouver qu'il n'en est rien.

Vous nous accusez de vouloir expulser les congrégations enseignantes, de vouloir en diminuer le nombre. Eh bien, en 1845 il y avait 2,341 membres de ces congrégations ; en 1860 ce nombre était de 3,150, augmentation 800 frères et sœurs. Et vous n'êtes pas satisfaits ! Au nom du ciel, de quoi vous plaignez-vous ? Vous êtes bien difficiles !

La liberté d'association existe et prospère donc en Belgique ; c'est une plante qui pousse de profondes racines au soleil de la liberté. Ne vous plaignez donc pas quand vous voyez de pareils résultats et n'accusez pas le gouvernement de vouloir étouffer la liberté d'association.

Autre crime : Nous voulons ruiner la liberté d'enseignement ! Qu'est-ce que la liberté d'enseigner ? A qui a-t-on refusé la liberté d'enseigner ? La liberté d'enseignement n'est pas la liberté de faire concurrence à tout le monde au moyen des fonds de l'Etat.

La liberté d'enseignement n'est pas la liberté rentée ; la liberté ne peut et ne doit pas vivre du budget.

En Belgique la liberté de la presse existe. Subventionnons-nous la presse ? Lui achetons-nous des instruments de travail pour lui permettre de marcher ?

L'industrie est libre. Est-ce au gouvernement à subsidier cette liberté ?

M. Wasseige. - Vous ne la subsidiez pas mal.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - En fait d'industrie cela peut avoir été vrai ; mais tous les jours on cherche à subsidier de moins en moins, à retirer les primes.

Les écoles libres sont d'ailleurs restées à peu près ce qu'elles étaient de 1857 à 1860. En 1857, elles étaient au nombre de 1,875 ; en 1860, il en existait 1,636 ; il y a donc une différence de 119 écoles. Ces 119 écoles sont en général de petites institutions tombées d'elles-mêmes.

Mais on a parlé de concurrence qui tue, l'on a cité des faits, on a parlé d'Enghien. Voici ce qui se passe dans cette ville :

A Enghien, l'enseignement adopté domine. Il a le plus grand nombre d'élèves et pour lui venir en aide, pour empêcher la concurrence de l'enseignement communal, voici ce qu'on a fait :

Il y avait à Enghien une école communale. Les instituteurs de cette école étaient âgés ; ils pouvaient difficilement faire leur service. Malgré tous ses efforts, le gouvernement n'a pu obtenir que ces instituteurs fussent mis à la pension. On a été obligé de prendre une mesure d'office.

Ces deux instituteurs, vous le croiriez à peine, étaient âgés à eux deux de plus de 160 ans. Chacun d'eux avait plus de 80 ans. Et pour empêcher la concurrence, pour ne pas nuire à l'école adoptée, on refusait de mettre ces instituteurs à la pension ; le tout sans doute au nom du principe de la liberté d'enseignement et d'une loyale concurrence !

J'ai une dernière accusation à réfuter : c'est celle qui consiste à dire que nous voulons violer la liberté communale.

L'honorable M. Dechamps l'a proclamé tantôt ; la loi de 1842 est une loi restrictive de la liberté des communes. Mais quand cette loi a été discutée dans cette Chambre, où se sont trouvés les défenseurs de la liberté et où se sont trouvés ses adversaires ? Si je ne me trompe, ce sont d'honorables membres de la gauche qui ont défendu la liberté communale, et c'est le gouvernement avec la droite, sa majorité, qui a déclaré haut et ferme, l'honorable M. Dumortier compris, que, dans cette circonstance, on pouvait mettre certaines restrictions aux libertés communales.

L'honorable M. Savart avait, si ma mémoire est fidèle, proposé un amendement par lequel il voulait que les communes fussent assimilées aux particuliers lorsqu'elles ne recevraient aucun subside sur le budget de l'Etat. Cet amendement fut combattu par le gouvernement, par la majorité et par l'honorable M. Dechamps lui-même. Il me semble donc que vous avez mauvaise grâce de dire que c'est nous, libéraux, qui avons voulu et qui venons encore combattre la liberté communale.

Loin de vouloir restreindre la liberté communale, nous voulons au contraire empêcher que les communes, en adoptant des établissements privés, n'aliènent leur liberté ; nous voulons qu'elles restent entièrement libres dans les termes de la loi, qu'elles puissent nommer leurs instituteurs, les suspendre, les révoquer. Nous ne voulons pas qu'elles aliènent le peu de liberté que la loi leur a laissée en matière d'instruction primaire.

Messieurs, le temps me presse et j'ai déjà dû résumer en quelque sorte la dernière partie de mon discours.

Je finis donc en disant : Je pense que les principes appliqués par le gouvernement sont les vrais principes de la loi de 1842. Ces principes doivent être maintenus dans l'intérêt de l'instruction publique.

Agir autrement, serait créer, en faveur de quelques-uns, des privilèges, et des privilèges injustifiables. Quant à moi, je n'y prêterai pas les mains et je suis bien décidé, en tout état de cause, je le déclare, à suivre la jurisprudence admise par tous mes prédécesseurs, M. Nothomb, M. Van de Wever, M. de Decker et M. Rogier. J'appliquerai donc ces principes avec fermeté, et je croirai ainsi avoir fait consciencieusement mon devoir.

- La séance est levée à quatre heures trois quarts.