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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 18 février 1862

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page 741) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre :

« L'administration communale de. Zele prie la Chambre d'accorder à lu compagnie Vande Perre et de Richter la concession d'un chemin de fer de Lokeren à Terneuzen. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Lokeren demande que la concession d'un chemin de fer de Lokeren à Zelzaete par le prolongement du Dendre-et-Waes soit accordée au sieur Gendebien, si la Chambre préfère le tracé de Gand à celui de Lokeren sur Terneuzen. »

« Même demande du conseil communal de Termonde. »

M. de Terbecq. - Je demande que cette pétition soit renvoyée à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.

- Adopté.


« Le sieur Lagnan, ancien gendarme, demande qu'il lui soit fait application de la loi du 4 juillet 1860, relative à la pension des gendarmes. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres du conseil communal de Thieulain demandent une loi qui fixe le minimum du traitement des secrétaires communaux. »

« Même demande des secrétaires communaux dans l'arrondissement de Termonde. »

M. de Terbecq. - Je demande le renvoi de ces requêtes à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.

- Adopté.


« Le sieur Dupré demande qu'on supprime les dispositions concernant le mariage des employés de la douane. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Hamotte, volontaire de 1830, demande une distinction honorifique ou la pension dont jouissent les décorés de la croix de Fer. »

- Même renvoi.


« Le sieur Crabbe, ancien militaire, demande une pension comme récompense de services rendus en 1830. »

- Même renvoi.


« Le sieur Murth se plaint de changements qui ont eu lieu dans l'administration de la douane. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Haulchin prie la Chambre d'accorder à la compagnie Delval la concession d'un chemin de fer de Momignies à Manage par Beaumont et Thuin et de cette dernière ville à Mons. »

- Même renvoi.


« L'administration communale de Malines présente des observations contre les assertions émises dans la Chambre au sujet du marché au bétail de cette ville. »

M. Vanden Branden de Reeth. - Messieurs, la pétition qui vient d'être analysée se rapporte à une question qui a été traitée dans une de nos dernières séances quand nous nous sommes occupés de l'apiculture. L'administration communale de Malines, justement alarmée du discrédit que pourraient jeter sur nos marchés importants les allégations qui se sont produites dans cette enceinte, et voulant, d'un autre côté, se disculper du reproche qui lui a été adressé du défaut de surveillance sur son marché, s'adresse à vous, messieurs, pour réfuter par des faits ce qui a été dit à cette occasion.

J'ai lu la pétition et je puis dire que la réfutation est aussi complète et aussi péremptoire qu'on puisse le désirer.

Si nous avions encore à nous occuper de cette question, je demanderais le dépôt de cette pièce sur le bureau pendant la discussion actuelle, mais ce dépôt serait maintenant sans objet ; ce serait en quelque sorte envoyer la pétition aux oubliettes. Il y aurait donc lieu de la renvoyer à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport. Lorsque les membres de cette commission auront examiné cette pétition, ils jugeront peut-être à propos d'en ordonner la lecture ou d'en communiquer une analyse à la Chambre. De cette façon, il en restera du moins quelque chose, et les faits allégués ne resteront pas debout. La Chambre ne refusera certainement pas cette satisfaction au conseil communal de Malines, justement froissé des critiques dont le marché de cette ville a été l'objet et qu'on a représenté comme une sorte de loyer d'infection pour le bétail, tandis que les faits condamnent de la manière la plus absolue cette allégation.

- La proposition est adoptée.


« Des habitants de Saint-Josse-ten-Noode appellent l'attention de la Chambre sur un abus que l'on voudrait faire, dans cette commune, de la loi du 1er juillet 1858 sur l'assainissement des quartiers insalubres, et demande qu'il soit pris des dispositions pour mieux préciser les cas et la nature des propriétés auxquelles cette loi peut être appliquée. »

M. Guillery. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.

- Adopté.


M. le président. - Je reçois une lettre de M. de Baillet-Latour, qui, obligé de s'absenter pour affaires urgentes, demande un congé de quelques jours.

- Le congé est accordé.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1862

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XII. Voirie vicinale et hygiène publique

Discussion générale

M. le président. - Nous sommes restés au chapitre XII, « Voirie vicinale. » La parole est à M. Magherman.

M. Magherman. - Messieurs, déjà en 1855, à l'occasion de la discussion du budget des travaux publics, j'ai signalé à l'attention de la Chambre l'inconvénient d'avoir deux allocations parallèles pour la voirie vicinale, l'une au budget de l'intérieur, l'autre au budget des travaux publics.

En effet, messieurs, ces deux allocations font en quelque sorte double emploi.

Je crois l'avoir démontré en 1855, car alors les voies de grande communication étaient terminées, la circulation était absorbée par les chemins de fer existant à cette époque. Depuis, les chemins de fer se sont multipliés ; ce qu'il importe maintenant, c'est d'établir des voies perpendiculaires au chemin de fer pour mettre les communes qui ne sont pas traversées par ces grandes communications en état d'y arriver facilement.

De voies d'utilité générale, il n'y aura plus à établir, quand on prend les voies de grande communication dans leur véritable acception.

Comment faire pour amener l'unité que je désire, pour réunir les deux allocations en une seule ?

Nous ne discutons pas les deux budgets en même temps, nous ne pouvons pas demander quand nous discutons le budget des travaux publics, la suppression de l'allocation qui se trouve dans ce budget pour la reporter au budget de l'intérieur ; de même quand nous discutons le budget de l'intérieur, nous ne pouvons pas demander la suppression de l'allocation pour la voirie vicinale, afin de la reporter au budget des travaux publies.

Il faut que l'initiative vienne du gouvernement, car il pourrait arriver que si la Chambre votait la suppression de l'allocation au budget de l'intérieur ou au budget des travaux publics, elle ne fut pas reportée à l'autre budget ; et cependant son intention ne peut pas être de diminuer les allocations destinées à augmenter les communications.

J'engage donc M. le ministre de l'intérieur à se concerter avec son collègue des travaux publics, pour amener cette (erratum, page 762) unité si désirable. D'après ma manière de voir, c'est au budget de l'intérieur que le transfert devrait s'opérer, car ce sont des communications de commune à commune, pour les relier au chemin de fer qu'il s'agit d'établir, et non des voies de grande communication. J'espère que M. le ministre voudra prendre note de mes observations, et que dans un avenir prochain, nous pourrons voir disparaître du budget des travaux publics l'allocation pour voies de grande communication.

M. Muller. - Messieurs, dans la dernière séance l'honorable M. Barthélémy Dumortier et aujourd'hui l’honorable représentant d'Audenarde ont émis l'avis qu'il conviendrait de faire disparaître du budget des travaux publics le crédit qui y a toujours été inscrit pour routes, par le motif qu'aujourd'hui les chemins de fer, qui se multiplieront de plus en plus, les rendent en quelque sorte inutiles, et que sur eux doit se concentrer exclusivement l'action directe du gouvernement. Mais il ne faut pas perdre de vue qu'il y a des localités qui, n'ayant ni chemins de fer ni (page 742) routes, n'ont pas l'espoir d’ici à longtemps d'être tirées de leur isolement, et celles-là sont généralement les moins riches, les plus malheureuses et partant les plus dignes d'intérêt.

Je ne puis donc pas engager le gouvernement à supprimer le crédit qui est alloué annuellement au budget des travaux publics pour les routes à construire par l'Etat.

Nous avons voté naguère une somme extraordinaire de 500,000 francs pour répondre aux propositions des communes qui réclament, en offrant des subsides, le bienfait de nouvelles routes destinées à servir d'affluents aux chemins de fer.

Cette somme, messieurs, vous l'avez accordée avec satisfaction.

On ne peut donc pas, d'une manière générale et absolue, dire avec quelque raison, qu'il ne faut plus aujourd'hui de crédit pour routes de l'Etat ; qu'on doit se borner désormais à améliorer la voirie vicinale et à encourager la création de voies ferrées.

Il faut encore l'un et l'autre mode de développement, de moyens faciles de locomotion et de transport : c'est au gouvernement à apporter de l'intelligence dans l'application, lui qui a les éléments indispensables à cet effet.

Puisque j'ai la parole, messieurs, j'en profiterai pour répondre à l'honorable M. Dumortier, qui a très mal compris le caractère et la portée d'une décision du conseil provincial de Liège, qui prouve la sollicitude de ce corps en faveur de la voirie vicinale.

On lui demandait son intervention et celle de l'Etat, au nom d'un assez grand nombre de communes qui se plaignent du fardeau trop lourd de l'entretien des chemins de grande communication, chemins qui n'ont pas un intérêt purement local, puisque leur parcours s'étend à plusieurs communes, même parfois à plusieurs cantons.

Qu'a fait l'assemblée provinciale ? Jugeant la réclamation fondée sur des motifs d'équité parce que sur ces chemins très fréquentés l'entretien est trop onéreux, elle (à qui la loi n'impose pas à cet égard plus d'obligation qu'à l'Etat) a répondu à cette requête :

« Je consens à voter un nouveau centime et demi additionnel pour vous venir en aide, mais à la condition que l'Etat, aussi intéressé que chacune de nos provinces, fasse le même sacrifice. »

L'honorable M. Dumortier a découvert là une sorte d'intimation, d'ordre, adressé à la législature, et il a dénoncé le fait comme étant prétendument exorbitant !

Si l'honorable membre connaissait un peu mieux la marche des affaires administratives, il saurait que tout conseil provincial, que tout conseil communal, quand il s'agit d'actes de libéralité, de toute autre chose que de ses obligations légales, agit de même sans provoquer l'ombre d'une récrimination, parce qu'il reste dans la liberté d'appréciation, comme le gouvernement, comme la législature, agissent également dans la plénitude de leurs pouvoirs, en adhérant aux propositions qui leur sont faites, ou en les écartant.

Il n'y a donc, messieurs, rien à reprendre dans la décision du conseil provincial de Liège, qui connaît parfaitement le respect qu'il doit à la législature, mais qui n'ignore pas non plus la prérogative dont il est investi lorsqu'il s'agit de dépenser les fonds de son budget.

Quant au fond de la question soulevée par une décision qui avait droit à un examen bienveillant, je ferai remarquer que pas plus que le conseil provincial de Liège, je n'ai entendu qu'il pût s'agir de reporter sur l'Etat exclusivement la charge de l'entretien des chemins vicinaux ; j'ai dit précisément tout le contraire.

Mais ce qu'on contestera vainement, ce qu'on est arrivé à cette situation, chez nous et ailleurs, qu'il y a des chemins vicinaux de grande communication dont l'entretien ne peut pas se faire d'une manière convenable aux frais seuls des communes qu'ils traversent, alors même que les communes épuisent le maximum d'impositions fixé par la loi sans devoir recourir à une autorisation royale spéciale.

J'ajoute que je n'ai sollicité aucune faveur particulière pour la province de Liège : j'ai même eu soin de dire que M. le ministre de l'intérieur ne pouvait pas, de son propre chef, accepter la proposition qui lui était faite, parce qu'avant que les autres provinces fussent mises dans le cas de délibérer à leur tour sur ce point, il devait être nécessairement arrêté par la crainte de manquer aux principes d'une bonne justice distributive.

L'honorable ministre de l'intérieur s'est effrayé du chiffre que son intervention pourrait coûter à l'Etat : mais je crois qu'il a beaucoup exagéré, et lui-même l'a réduit à 480,000 fr. dans le Moniteur.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - J'avais dit un demi-million.

M. Muller. - J'avais compris un million, et, m'étant livré à la récapitulation d'un centime et demi additionnel par province, j'étais resté bien en arrière de ce chiffre.

Maintenant, on n'atteindrait le chiffre de 480,000 francs que pour autant que la proposition du conseil provincial de Liège fût acceptée par le à gouvernement d'une manière absolue, ce que je n'ai pas demandé, ce dont s'était, au surplus, départie en dernier lieu la députation permanente.

J'ai seulement attiré l'attention, sans faire de propositions formelles, sur la convenance que, selon moi, il y aurait prochainement, non pas à détourner une partie du fonds actuel destiné à créer de nouvelles voies de communication, mais à augmenter ce crédit pour en consacrer une partie à subsidier des chemins de grande vicinalité, afin de ne pas perdre le fruit des longs travaux qui ont coûté des sommes énormes aux communes, aux provinces et à l'Etat, et qui, par suite de la pénurie des premières, se dégradent de plus en plus,

Je n'en dirai pas davantage. La question n'est pas en état d'être mise avec succès à l'ordre du jour ; mais je pense que l'expérience me donnera raison trop tôt, et qu'on reconnaîtra combien étaient fondées les appréhensions que j'ai exprimées au sein de la Chambre, dans l'intérêt du maintien d'une bonne voirie de grande vicinalité.

M. B. Dumortier. - Messieurs, l'honorable préopinant a répondu à deux points que j'avais indiqués dans la dernière séance.

J'avais demandé, et tout à l'heure mon honorable collègue et ami M. Magherman a reproduit la même idée, j'avais demandé la réunion en un seul crédit de la somme affectée au département des travaux publics et pour les chemins de grande communication et du crédit affecté au département de l'intérieur pour chemins vicinaux. La Chambre a souvent réclamé la réunion de ces deux crédits. (Interruption.)

M. Muller. - Quand a-t-elle demandé cela ?

M. de Renesse. - Jamais la Chambre ne l'a demandé. Je demande la parole.

M. B. Dumortier. - Au sein de la Chambre, beaucoup de membres l'ont réclamé.

Du reste, puisque vous le demandez, je vais vous dire quels sont ceux qui le réclament et quels sont ceux qui ne le réclament pas. Dans le sein de la Chambre, cette demande a donc été très souvent faite, et rien au monde n'est plus rationnel qu'une pareille demande.

En 1830, à l'époque de la révolution, nous avons créé un fonds spécial pour la construction de grandes routes, fonds provenant de l'excédant du produit des barrières. Mais alors la création de ce fonds était toute naturelle.

La Belgique avait besoin de grandes routes. Il n'y avait pas et il n'était pas question d'avoir des chemins de fer. Dès lors il fallait créer de grandes routes dans tout le pays. Mais plus tard les chemins de fer sont venus remplacer les grandes routes, et il se trouve qu'on ne fait plus en réalité qu'une seule espèce de route qu'on appelle ici chemins de grande communication et là chemins communaux. Mais il y a cette différence que ceux qui obtiennent une route de grande communication ne payent pas un denier, tandis que ceux qui obtiennent une route communale payent un tiers de la route, la province paye un tiers et l'Etat l'autre tiers. II y a donc ici privilège pour les uns, injustice pour les autres.

M. de Theux. - Je demande la parole.

M. B. Dumortier. - Eh bien, dans la Chambre, on s'est élevé à plusieurs reprises sur ce point. Je disais que c'était l'opinion de la Chambre. Je m'étais trompé. Un honorable membre vient de rectifier ma pensée et cela me donnera l'occasion de dévoiler la chose à la Chambre.

Il y a effectivement en Belgique trois ou quatre provinces qui se sont toujours opposées à cette réunion ; ce sont les parties prenantes, ce sont les satisfaits qui vivent du budget.

Les provinces absorbant le crédit qui sont opposées à cette réunion, c'est la province de Liège...

M. Muller. - Non !

M. B. Dumortier. - ... c'est le Luxembourg, c'est Namur et c'est le Limbourg.

Les députés de ces provinces trouvent parfait que le crédit pour les routes de grande communication soit exclusivement employé à leur profit, sauf à recevoir ensuite une bonne part de l'allocation affectée à la voirie vicinale, pour l'entretien de leurs routes ; mais il est très naturel aussi que nous venions réclamer la réunion de ces deux fonds, pour que les provinces dont nous sommes les mandataires, puissent en toucher quelque chose, et cessent enfin d'être hors du droit commun. Est-il juste, je le demande, que certaines provinces aient eu quelque (page 743) sorte le monopole de ces allocations et que toutes les provinces de la Belgique ne touchent pas une obole ?

Est-il juste qu'il y ait en Belgique des enfants privilégiés et des parias ? Or quelles sont ces provinces qui jouissent d'un véritable privilège sous ce rapport ?

Ce sont précisément celles qui ont les plus grands revenus, qui ont de vastes domaines, qui ont des forêts. Je tiens en main le tableau des revenus des communes par province. Voici ce que j'y trouve :

Les communes de la province d'Anvers n'ont que 51,800 fr. de revenus, valeur mobilière et immobilière ; celles de la province de Flandre orientale n'ont que 80,000 fr., ; et la Flandre occidentale seulement 20,000 fr. ; dans le Hainaut, elles n'ont que 87,000 fr. ; tandis que dans la province de Namur, elles ont 741,000 fr. ; dans la province de Liège, 110,000 fr. ; dans la province de Limbourg, 110,000 fr. ; dans la province de Luxembourg, 1,899,000 fr... (Interruption.)

Je conçois les clameurs que mon discours excite de la part des députés des provinces prenantes ; mais vous, MM. les députés de la province d'Anvers, du Brabant, des deux Flandres et du Hainaut, voyez si vous voulez continuer à être frustrés des subsides du trésor au profit des communes les plus riches du pays, voyez si vous voulez continuer à donner aux provinces privilégiées les revenus des routes que vous avez faites avec votre argent ; voulez-vous que cette grande injustice continue à peser sur la plupart des provinces de la Belgique ?

Ce n'est pas tout ; on ne se borne pas là ; on veut encore dans les provinces privilégiées, dans ces communes si riches, que ce soit l'Etat qui paye l'entretien de leurs routes.

On emploie l'excédant du produit des barrières perçues dans les provinces d'Anvers, de Brabant, de Hainaut et des deux Flandres ; on l'emploie à créer et entretenir les routes dans les provinces dont les communes sont énormément riches, comparativement aux autres provinces. On a absorbé tous les revenus de nos routes pour les donner à ces provinces ; il faudra encore que nous payions l'entretien des routes qu'on y a faites.

Convenez qu'il y a en Belgique des vainqueurs et des vaincus, des enfants privilégiés et des enfants bâtards. C'est là, en vérité, qu'on veut en arriver.

On me dit : Vous êtes contre Liège. Vous êtes l'ennemi de Liège. Je proteste contre cette accusation ; que Liège soit moins vorace et je serai tout à fait pour Liège. Mais, quand nous venons réclamer pour la Flandre occidentale un petit canal qui doit coûter 1,200,000 à 1,500,000 francs, on nous le refuse, et quand il s'agit de voter des millions et des millions pour la province de Liège, le trésor est toujours ouvert.

Je dis, messieurs, que quand on se montre si injuste, on nous force à dévoiler ce qui se passe ailleurs.

L'honorable membre nous disait : Vous êtes injuste envers Liège, vous êtes l'ennemi de Liège. Oui, on est ennemi de Liège, messieurs, quand on ne veut pas se dépouiller à son profit.

J'ai dit que nous avons beau demander un crédit, nous n'obtenons rien. On veut encore aujourd'hui l'excédant du produit des barrières sur des routes que nous avons payées de nos deniers pour faire des routes dans les provinces de Luxembourg, de Liège et de Namur, où les communes qui ont des revenus si élevés n'interviendront pas pour un centime, tandis que dans le Brabant, dans les Flandres, dans le Hainaut et dans la province d'Anvers, il faut que les fermiers et les cultivateurs interviennent dans la construction des routes.

Je vous le demande, cela est-il juste ?

Le seul moyen d'en finir, c'est de réunir les deux chiffres, soit au budget des travaux publics, soit au budget de l'intérieur, de manière qu'il n'y ait plus deux crédits, l'un dans lequel les communes n'interviennent pas, l'autre dans lequel elles sont obligées de contribuer, et de mettre toutes les communes sur le même pied sans donner à celles qui possèdent de riches revenus tout en faisant payer celles qui n'ont que l'impôt pour toute ressource.

M. de Renesse. - Messieurs, je ne puis partager l'opinion émise par deux de nos honorables collègues qui voudraient que le crédit d'environ 800,000 fr. pour routes nouvelles, porté chaque année au budget des travaux publics, fût transféré au chapitre de la voirie vicinale, au département de l'intérieur.

Il y a encore, dans notre pays, plusieurs parties de provinces privées de grandes routes et qui, jusqu'ici, ne sont pas traversées même par des voies ferrées ; elles ont bien le droit d'obtenir aussi, à leur tour, une juste part dans des travaux de route ; elles ont largement contribué à toutes les charges extraordinaires pour la construction des chemins de fer, routes et canaux exécutés dans d'autres provinces, actuellement satisfaites, et dont quelques honorables représentants voudraient empêcher que d'autres localités puissent aussi obtenir des routes nécessaires pour les tirer de leur isolement.

L'on a prétendu que ces routes étaient exécutées aux frais seuls de l'Etat, cela est tout à fait inexact, puisque la province de Limbourg, que j'ai l'honneur de représenter, intervient pour le quart dans les dépenses de routes, outre les souscriptions particulières des communes et propriétaires intéressés à la construction de ces moyens de grande communication. Ce serait une injustice de ne pas accorder les fonds nécessaires pour pouvoir continuer notre système général de routes, exécutées en partie aux frais du trésor public ; je dois donc protester contre le transfert demandé. Il y a toute équité de ne pas priver ces diverses parties de nos provinces de l'exécution de routes nouvelles réclamées depuis longtemps.

M. de Theux. - Je suis obligé de combattre l'opinion de l'honorable M. B. Dumortier.

Il pense que les localités qui aujourd'hui obtiennent tardivement des routes, sont des localités privilégiées, qu'elles sont dans une position meilleure que celles qui obtiennent des chemins vicinaux, à la construction desquels elles doivent contribuer.

La chose ainsi exposée, messieurs, est claire comme le jour, mais l'honorable membre a oublié les précédents.

Je dis au contraire que les localités privilégiées sont celles qui ont obtenu la priorité et que ces communes ont joui depuis 10 ans des avantages de cette priorité, et ce sont celles-là qui veulent s'opposer aujourd'hui à ce que les localités longtemps déshéritées obtiennent quelque chose.

Je pense que le gouvernement et la Chambre doivent persévérer dans la voie qu'ils ont suivie jusqu'à présent et ne pas en dévier, surtout au moment de rendra justice à des localités si longtemps déshéritées. Je pense du reste que le nombre des routes à construire sur les fonds de l'Etat n'est pas tellement considérable, que le gouvernement ait un bien grand intérêt à s'écarter ici des principes de la justice distributive. Je crois que dans un pays comme la Belgique surtout, il faut que chaque localité arrive à jouir de tous les avantages que procurent les voies de communication.

M. d’Hoffschmidt. - J’ai bien peu d’observations à présenter après les discours des honorables MM. de Renesse et de Theux. Je crois, d’ailleurs, qu’aucune proposition formelle n’a été présentée : les honorables MM. Dumortier et Magherman se sont bornés à soumettre à la Chambre leurs opinions personnelles. Dès lors, nous n’avons nullement à craindre de voir modifier pour le moment ce qui existe depuis 1830 et depuis 1840, quand aux crédits votés annuellement aux budgets de l’intérieur et des travaux publics pour les grandes routes et pour les chemins vicinaux. Mais, messieurs, c’est une profonde injustice de la part d’un honorable membre...

M. B. Dumortier. - Je demande la parole.

M. d'Hoffschmidt. - ... de prétendre que certaines provinces ont tout accaparé au détriment des autres. Je ne pense pas que, en matière de travaux publics, il y ait aucune province qui ait le droit de se plaindre.

Heureusement pour notre pays, il y a maintenant des voies de communication qui relient presque toutes les communes de nos provinces. Il y a des chemins de fer, des canaux, des routes qui sillonnent toute la Belgique, et nous nous occupons constamment d'améliorer encore cet état de choses ; de manière qu'on peut affirmer que dans un avenir peu éloigné tout ce qui concerne les voies de communication laissera peu de chose à désirer dans notre pays.

Quant aux routes, notamment, je crois que le réseau de nos voies de communication de ce genre n'est pas loin d'être tout à fait achevé. Mais aussi longtemps que ce résultat ne sera pas complètement atteint, ce serait un mal, selon moi, de changer la destination du crédit qui figure au budget des travaux publics et au moyen duquel nous avons obtenu de si heureux résultats.

Il est peu de pays qui possèdent un ensemble aussi complet de routes aussi belles que celles dont nous jouissons.

Maintenant, si l'on veut discuter ici ce que telle province a obtenu comparativement à telle autre province ; si l'on veut, sous ce rapport, opposer le Limbourg et le Luxembourg au Hainaut et aux Flandres ; si l'on veut porter le débat sur ce terrain, je prierai l'honorable M. Dumortier de tenir compte aussi des dépenses qui ont été faites pour l'établissement de chemins de fer et de canaux dans certaines provinces qui, selon lui, seraient autorisées à envier le sort des autres. Il pourra se convaincre ainsi que l'on a dépensé plus de 200 millions pour les chemins de fer et à peu près 100 millions pour les canaux ; et il acquerra, (page 744) en même temps, la preuve que le Luxembourg n'a absolument rien obtenu dans le partage de consommes considérables.

Si l'honorable M. Dumortier veut porter la discussion sur ce terrain, je lui rappellerai, comme j'ai eu l'occasion de le constater à propos d'une discussion du budget des travaux publics, que, dans l'ensemble des dépenses faites en Belgique pour l'établissement de nos voies de communication, chemins de fer, canaux et routes, le Luxembourg n'a obtenu que deux pour cent.

Je suis à même de produire des chiffres qui établissent ce fait de la manière la plus évidente. Dès lors, je ne crois pas que l'on ait bonne grâce à prétendre que nous ayons été avantagés le moins du monde. Nous avons un chemin de fer, cela est vrai ; mais il n'a pour ainsi dire rien coûté à l'Etat. Quant à des canaux, nous n'en avons pas la plus petite section, et si nous possédons des routes, je crois qu'il s'en faut de beaucoup que, même sous ce rapport, nous ayons été mieux partagés que beaucoup d'autres provinces.

Cependant, messieurs, je trouve qu'une semblable discussion serait tout au moins parfaitement inutile. Le gouvernement et les Chambres s'appliquent sérieusement à satisfaire à tous les besoins réels qui se révèlent, soit dans cette enceinte, soit dans l'administration même. Le gouvernement nous a récemment encore annoncé qu'il allait présenter un projet de loi pour l'exécution d'un nouveau chemin de fer. Attendons-le ; et si telle ou telle province a été sacrifiée, ce que je ne crois pas, on pourra lui accorder la réparation qui lui sera due.

M. Muller. - Messieurs, à l'occasion de la discussion d'une question de principe soulevée par les honorables MM. Magherman et Dumortier, principe eu vertu duquel on supprimerait l'allocation portée au budget des travaux publies pour les routes, j'ai exprimé ici une opinion très consciencieuse, opposée à celle des représentants d'Audenarde et de Roulers.

Je l'ai fait pour que l'honorable M. Dumortier ne vienne pas dire, dans une prochaine session : la Chambre a reconnu... ; la Chambre a décidé... qu'il n'y aurait plus de routes de l'Etat, personne ne m'a contredit quand j'ai demandé qu'il en fût ainsi.

Mais l'honorable M. Dumortier a imaginé que l'intérêt de la province de Liège devait être ici principalement en jeu ; il s'est donné carrière contre elle en s'écriant : « La province de Liège est vorace ! »

Je ne répondrai pas, messieurs, à cette gracieuse épithète par un qualificatif de même désinence, et qui est assez connu.

En lutte avec l'honorable M. Dumortier, il a tort de nous traiter de voraces ; nous sommes simplement, comme il veut l'être envers nous, l'antre adjectif.

Quoi qu'il en soit, je vais quelque peu surprendre l'honorable M. Dumortier, en lui apprenant que l'arrondissement de Liège que j'ai l'honneur de représenter est assez désintéressé dans ce débat qu'il a soulevé bien gratuitement. Je ne sache pas, en effet, que l'arrondissement de Liège sollicite quelque grande route de l'Etat.

L'opinion que j'ai exprimée ne doit donc pas paraître suspecte à la Chambre, et elle appréciera ainsi la valeur de l'argumentation de mon honorable contradicteur.

Mais poursuivons : que vous a-t-il encore dit ? que les provinces de Liège, de Limbourg et de Luxembourg ont seules absorbé les subsides successivement alloués pour les routes. Je constate, en passant, que cette fois il a englobé dans son accusation deux provinces autres que la nôtre, qui ont trouvé des défenseurs, l'une dans l'honorable collègue qui siège à mes côtés, l'autre dans l'honorable M. d'Hoffschmidt.

Qu'il me permette de lui en faire l'observation, M. Dumortier devrait bien, avant de se livrer à des allégations hasardées et complètement inexactes, se donner la peine d'aller jusqu'au département des travaux publics et de s'y faire rendre compte de la répartition annuelle du crédit porté au budget pour les routes ; il y verrait que ce crédit se distribue d'une manière égale et proportionnelle entre toutes les provinces, eu égard à leur importance, et que la nôtre n'a pas une part plus grande que celle à laquelle elle a droit.

II ne faut donc pas crier à la partialité, au privilège, quand les faits officiels démontrent le contraire. Sur le terrain des faits, j'accepterai tout débat sérieux, et l'on jugera quels doivent être les satisfaits.

En résumé, je ne songeais nullement à l'esprit de clocher quand j'ai combattu l'idée de supprimer les allocations destinées à la construction de routes ; mais je ne pouvais et je ne puis pas méconnaître qu'il est encore des localités nombreuses qui n'ont ni routes, ni chemins de fer, ni canaux, et qu'il ne serait pas équitable que ceux qui sont mieux partagés, grâce, aux libéralités du trésor, disent à ces localités : « Volez de vos propres ailes ; faites vous-mêmes de petits chemins vicinaux ; contentez-vous des subsides du département de l'intérieur, mais ne comptez pas sur le concours de l'Etat, pour vous faire des routes importantes : le temps est passé. »

Voilà ce que j'ai trouvé injuste, et en m'élevant contre une pareille idée, j'ai la conscience de ne pas avoir fait la moindre réclame intéressée, de m'être tenu dans les limites d'une parfaite impartialité.

M. B. Dumortier. - Je désire répondre deux mots aux honorables membres qui m'ont précédé.

Ces honorables membres prétendent que la proposition que j'ai faite consacrerait une injustice. Je repousse, messieurs, avec toute l'énergie dont je suis capable, la pensée de vouloir conseiller à la Chambre un acte qui serait injuste.

On me dit : Mais la preuve que c'est une injustice, c'est que si l'on fait aujourd'hui encore des routes dans certaines provinces, tandis que d'autres provinces ne touchent plus rien du crédit affecté aux routes, c'est que celles-ci ont été favorisées les premières, tandis que les autres ont dû attendre jusqu'à présent.

A cela, messieurs, la réponse est facile ; c'est qu'il a tenu aux provinces qui aujourd'hui se plaignent de ne pas avoir de routes, d'en avoir comme celles qui en possèdent : elles n'avaient qu'à les faire elles-mêmes ; c'est ainsi que les deux Flandres, le Hainaut et le Brabant ont agi ; elles n'avaient qu'à s'imposer des sacrifices et elles auraient eu des routes comme ces provinces. Toutes les routes du Hainaut, des Flandres et du Brabant ont été faites par ces provinces.

M. Muller. - C'est une erreur.

M. B. Dumortier - Je vous demande bien pardon. Et si les provinces de Liège, de Luxembourg, et de Limbourg n'ont pas autant de routes que les autres provinces, elles n'ont qu'à s'en prendre à elles-mêmes.

Ils n'avaient qu'à faire comme nous, ils n'avaient qu'à s'imposer. Depuis 30 ans qu'a-t-on fait ? On a créé dans la Flandre, le Hainaut et le Brabant quelques routes ; que s'est-il passé ? Pour parler de ce que ce je connais, dans le Hainaut l'Etat n'est jamais intervenu qu'en accordant des subsides quand les villes, les communes et les provinces intéressées sont intervenues pour des sommes plus considérables.

La commune intervenait pour un tiers et la province pour un tiers, alors l'Etat intervenait pour un tiers. Aujourd'hui au contraire on fait dans les provinces de Liège et de Limbourg, de Luxembourg et de Namur, des routes aux frais de l'Etat. On dit qu'il n'y a pas de justice à vouloir les interrompre en disant vous avez des communes riches ; cela vous est bien facile.

Dans nos communes qui possèdent des revenus, on prenait sur ces revenus pour construire les routes ; quant aux communes pauvres, on les forçait à s'imposer pour payer leur tiers de la dépense, comprenant l'importance pour elles d'avoir des routes pavées.

Je ne trouve pas mauvais qu'on fasse des routes dans les provinces que je viens de citer, mais ce que je trouve mauvais, c'est qu'on ait deux poids et deux mesures, c'est que de certaines communes on exige une contribution, et que des autres on n'exige rien ; on leur fait des routes sans les obliger à rien payer.

On dit que nous, qui nous opposons à cela, nous voguons dans les voies de l'injustice. C'est le contraire de la vérité. La justice exige qu'on agisse de même dans toutes les parties du pays. Je suis loin, je le répète, de désapprouver les routes qu'on fait dans le Limbourg et le Luxembourg si elles sont utiles, mais on ne peut pas y trouver d'entrepreneurs de barrière ; pourquoi ? Parce que personne n'y passe. Tandis que dans les Flandres et dans le Brabant, où il y a un grand besoin de communication, les barrières suffiraient pour en couvrir les frais, dans le Luxembourg les routes que l'on fait sont tellement inutiles qu'on ne trouve pas d'entrepreneur pour être adjudicataire du péage des barrières. Doit-on faire des routes là où elles ne peuvent pas fournir assez pour payer l'homme chargé de percevoir le péage ?

Il est évident que ce n'est pas à cela qu'il faut employer les fonds de l'Etat. Si la barrière ne fournit pas de quoi payer l'homme qui la garde, c'est que l'affaire est mauvaise.

Dans nos Flandres populeuses, les besoins de communications sont immenses ; il n'est pas de commune qui ne soit disposée à faire des sacrifices pour faire paver ses routes ; là vous obtiendrez un résultat. Les fonds ne peuvent pas suffire pour donner des subsides à toutes les communes qui veulent construire des chemins. Réunissez les allocations portées aux deux budgets ; ce n'est que quand on opérera cette réunion, qu'on appliquera la même mesure à toutes les communes du royaume, que vous ne verrez construite que les routes qui auront un véritable caractère d'utilité.

M. Magherman - En présentant les observations que je viens (page 745) de soumettre la Chambre, je n’ai pas entendu soulever une question de (erratum, page 762) rivalité entre les diverses provinces. La question dont il s’agit est simple. Y a-t-il encore des routes d’intérêt général à créer ? Je ne pense pas que l’opposition qui se fait soit dirigée contre les routes provinciales ; les routes provinciales sont celles qui ont un intérêt de province à province. Elles sont toutes construites ; en considérant la chose de bonne foi, on reconnaîtra qu'il n’y en a plus à construire et que celles qu'on voudrait construire sous ce nom ne sont que des voies vicinales de commune à commune. Dans la distribution des faveurs accordées pour ces constructions, il y a injustice non de la part du gouvernement qui serait disposé à favoriser une province plus qu'une autre, mais parce que les administrations se placent à divers points de vue. Dans telle province on admet une voie de communication comme étant d'intérêt général que dans une autre province on repousse comme n'ayant pas ce caractère.

Je crois que si on établissait l'unité en cette matière ce serait au département de l'intérieur qu'il faudrait concentrer l'action du gouvernement, parce que les routes s'y construisent à moins de frais, avec plus d'économie. Ce serait de plus un moyen de faire cesser les injustices.

M. de Vrière. - Je ne demande la parole que pour soumettre une observation à M. le ministre de l’intérieur au sujet du drainage.

Le drainage n'a pas pris un développement aussi rapide dans une partie des Flandres que dans d'autres provinces du pays. Cette infériorité provient de ce que les pentes y étant peu sensibles en général sur de grandes étendues, il est difficile de drainer à une profondeur suffisante pour que l'opération soit efficace.

Dans ces terrains plats, où les cours d'eau naturels sont rares, où les voies d'évacuation sont presque toutes artificielles, chacun se trouve, plus ou moins à la merci de son voisin, parce que chacun ignore à quelle hauteur il se trouve relativement aux grandes artères qui portent à la mer les eaux surabondantes.

Autrefois, l'incurie des cultivateurs aggravait cette situation. Nous n'avons plus ou presque plus aujourd'hui des terrains entièrement submergés en hiver, mais nous en avons beaucoup encore qui ne sont pas suffisamment assainis et où la production est languissante par suite d'un excès d'humidité.

Pour remédier à cet inconvénient, il faudrait une carte de nivellement du pays ; sur celle carte devraient être portés des points de repère assez nombreux pour que l'on pût déterminer avec certitude à quelle profondeur chaque cultivateur pourrait et devrait creuser pour livrer passage à ses eaux et aux eaux supérieures.

Je me proposais de soumettre ces observations à M. le ministre de l'intérieur, quand j'ai appris que la carte dont s'occupe depuis plusieurs années l'état-major de l'armée était en partie terminée, et que quelques parties même avaient paru.

Je ne sais s'il se trouve sur cette carte des indications suffisantes pour déterminer les hauteurs sur plusieurs points dans chacune des communes du pays ; s'il en est ainsi, je prierai M. le ministre de l'intérieur de vouloir bien se mettre en rapport avec son collègue de la guerre, afin d'obtenir que le travail de cette carte soit autant que possible accéléré.

Il y a beaucoup d'années qu'on y travaille, et il serait très désirable qu'elle fût achevée.

Si, au contraire, ce travail ne répondait pas au but que je désire voir atteindre, je prierai M. le ministre de l'intérieur de vouloir bien faire examiner s'il ne serait pas possible de confectionner une carte spéciale de nivellement du pays ; ce ne serait pas là un ouvrage aussi considérable qu'on pourrait le croire au premier abord, parce qu'il n'y a que les parties basses du pays, et par conséquent quelques-unes de nos provinces seulement qui ont un intérêt pratique à un pareil travail.

Quoiqu'il en soit, messieurs, je crois que cet objet est digne de l'attention du gouvernement. L'agriculture y est vivement intéressée, car la production augmenterait considérablement dans certaines parties du pays si le drainage pouvait s'y généraliser, et. ces contrées y gagneraient en salubrité.

Projets de loi approuvant les traités d’amitié de commerce et de navigation contre avec la Bolivie, le Mexique et le Maroc

Dépôt

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Le Roi m'a chargé de soumettre à la Chambre trois traités d'amitié, de commerce et de navigation, l'un entre la Belgique et la Bolivie, conclu le 17 août dernier ; le second, entre la Belgique et le Mexique, conclu le 20 juillet dernier ; le troisième, entre la Belgique et le Maroc, conclu le 4 janvier 1862.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ces projets de loi, qui seront imprimés et distribués. Ils sont, sur la proposition de M. le ministre, renvoyés à la section centrale qui a examiné le budget des affaires étrangères.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1862

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XII. Voirie vicinale et hygiène publique

Discussion générale

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - L'honorable M. de Vrière vient de signaler une des causes qui, d'après lui, s'opposent à ce que le drainage prenne, en Flandre, le développement qu'il a pris dans d'autres provinces du pays. L'honorable membre pense que les mesures insuffisantes sur les différences des niveaux sont les causes principales des difficultés qui existent aujourd'hui.

Je ne nie pas le fait : il est possible que les ingénieurs ou plutôt les praticiens du drainage soient quelquefois arrêtés, parce qu'ils ne savent pas de quelle manière ils doivent conduire les eaux, où ils peuvent les déverser.

L'honorable M. de Vrière demande que le gouvernement, pour faire cesser cet inconvénient, fasse faire un plan général de nivellement du pays.

Ce plan serait incontestablement d'une grande utilité, mais je ferai remarquer que si on voulait l'exécuter, même d'après les plans cadastraux, il en résulterait pour l'Etat une charge considérable.

Le gouvernement recule devant la dépense, même en ce qui concerne la révision des plans du cadastre. S'il fallait faire un plan général de nivellement, les frais s'élèveraient à un chiffre bien plus important. D'ailleurs, lorsqu'il existe quelques doutes sur les niveaux, comme le drainage, se fait dans l'intérêt de la propriété privée, n'est-ce pas aux ingénieurs draineurs à étudier la situation ? Et quand on veut recourir à des ingénieurs spéciaux, on est certain de ne pas avoir de mécompte sur ce point. Il y a des ingénieurs très au courant de ces opérations.

Du reste, comme l'a supposé l'honorable membre, je crois que, dans un temps très rapproche, cette carte deviendrait parfaitement inutile.

Les magnifiques travaux qu'exécute en ce moment la brigade topographique attachée au département de la guerre, seront de nature à satisfaire à toutes les exigences.

Ces plans, exécutés par les officiers d'état-major, sont une œuvre des plus remarquables. J'ai encore eu occasion de le constater hier d'une manière spéciale.

Ces plans portent non seulement le nivellement du sol, mais ils indiquent même les plis du terrain, la nature de chaque espèce de parcelle de terre, en un mot ils donnent toutes les indications qu'il est possible de désirer sous le rapport topographique.

M. H. Dumortier. - Quand les aurons-nous ?

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - C'est une question qu'il faudrait adresser à M. le ministre de la guerre. J'ai lieu de croire du reste que les travaux avancent rapidement. L'année dernière, si je ne me trompe, on a augmenté le personnel de la brigade topographique, et si la Chambre consentait à voter un crédit pour la gravure de ces cartes, peut être pourrait-on obtenir de prompts et excellents résultats.

En résumé, je pense que ces plans répondront à toutes les exigences. Je me mettrai en rapport avec l'honorable chef du département de la guerre pour accélérer, autant que possible, l'exécution de ce travail, qui, je le répète, sera des plus remarquables et fera honneur à ceux qui l'ont exécuté et au pays.

- La discussion sur le chapitre est close.

Articles 65 et 66

« Art. 65. Encouragements pour l'amélioration de la voirie vicinale ; indemnités aux commissaires voyers et encouragements pour les améliorations qui intéressent l’hygiène publique : fr. 1,150,000. »

- Adopté.


« Art. 66. Inspection des chemins vicinaux, des cours d’eau et de l'agriculture ; service du drainage : fr. 13,000.

« Charge extraordinaire : fr. 9,700. »

- Adopté.

Chapitre XIII. Industrie

Discussion générale

M. Hymans. - Messieurs, je désire appeler l'attention de la Chambre sur un sujet de la plus haute importance, qui intéresse à la lois l'industrie, les beaux-arts et l'instruction publique.

(page 746) Si je parle à propos de ce chapitre, c'est que mes observations se rattachent aux intérêts les plus sérieux de l'industrie nationale. Je prie la Chambre de vouloir m'écouter avec indulgence. Je serai très bref. Je ne viens pas demander d'argent ; je sollicite du gouvernement un immense service, qu'il peut rendre au pays sans aucune charge nouvelle pour le trésor.

Messieurs, vous avez ordonné le dépôt sur le bureau, pendant la discussion du budget de l'intérieur, d'une pétition signée de 160 industriels de la capitale, des 160 principaux industriels, pourrais-je dire, qui demandent que le gouvernement s'occupe d'organiser d'une manière sérieuse l'enseignement des arts industriels en Belgique.

Vous avez ordonné également le dépôt sur le bureau d'une pétition d'un artiste des plus distingués, M. Hendrickx, dont j'aurai à examiner la pétition tout à l'heure, sous un autre point de vue, mais qui présente des observations très judicieuses, sur la décadence du goût, sur la décadence de l'art industriel, dans notre pays.

Déjà, l'année dernière, le conseil provincial du Brabant, sur la proposition de M. Piron-Vanderton, qui a fait de cette matière l'objet d'une étude approfondie, a exprimé le vœu de voir organiser d'une manière sérieuse l'enseignement des arts industriels. Il a demandé que l'on organisât des cours de dessin et de modelage spécialement appliqués à l'industrie.

Messieurs, les nécessités qui ont motivé ces vœux et ces pétitions, ont été reconnues depuis longtemps par les hommes les plus compétents, par les autorités les plus haut placées dans notre pays et à l'étranger ; elles ont été reconnues dans des circonstances solennelles, dans des rapports officiels, par tous les ministres qui se sont succédé au pouvoir depuis dix ans.

Elles ont été reconnues par l'honorable M. Rogier en 1851, dans un rapport au Roi ; par l'honorable M. de Decker dans le discours qu'il prononça au mois de décembre 1855 à l'occasion de la distribution des récompenses aux exposants belges à l'exposition universelle de Paris.

Elles ont été reconnues et constatées dans les rapports des différentes chambres de commerce et entre autres dans un remarquable rapport de la chambre de commerce de Bruxelles en date du mois de juillet 1861. La chambre de commerce de Bruxelles s'est plainte très vivement de l'absence de bons dessinateurs, même pour l'industrie des dentelles qui est, comme vous le savez, une de nos industries les plus importantes, une de celles qui contribuent le plus à la richesse de la capitale.

Artistes, industriels, administrateurs, tout le monde est d'accord sur ce point, et je dois le dire, je n'ai pas vu sans une pénible surprise, qui sera partagée par la Chambre, combien, sur ce point, les plaintes sont restées les mêmes à dix années d'intervalle.

Il y a dix ans, une commission chargée de s'occuper de la réorganisation de l'enseignement des arts industriels en Belgique, fut nommée par l'honorable M. Rogier.

Nous devons à cette commission un rapport de M. Visschers, membre du conseil des mines, qui n'hésite pas à proclamer un des travaux les plus remarquables publiés sur la matière, non seulement en Belgique, mais en Europe. M. Visschers n'a pas craint, à cette époque, de déclarer hautement que nos académies et nos écoles de dessin ne rendaient pas à l'industrie les services qu'elle était en droit d'en attendre.

Un éminent industriel, M. François Pauwels, faisait partie, de cette commission de 1851 ; il parla de l'enseignement professionnel, au point de vue du dessin, dans les mêmes termes dans lesquels M. Visschers parlait des académies et des écoles de dessin proprement dites.

Permettez-moi de vous citer ses paroles :

« L'absence complète de l'instruction professionnelle élémentaire m'a vivement frappé du moment que je fus appelé à diriger de grands travaux. Les hommes chargés de les exécuter manquaient généralement de notions suffisantes pour y coopérer avec intelligence. Ceux que nous appelons communément des dessinateurs, ayant acquis presque tous la connaissance du dessin dans nos académies, ignoraient complètement l'art de s'en servir, et se montraient de la plus grande nullité dans l'application ; les ouvriers sortant des mêmes académies y avaient également puisé une instruction qui ne leur était d'aucune utilité. Il leur manquait, enfin, ce qui est le plus essentiel dans les travaux ; les moyens de comprendre les plans plus ou moins complets des ingénieurs ou architectes, et par suite, la facilité de les exécuter. »

M. Pauwels, pour avoir des dessinateurs dans ses ateliers, fut obligé d'ouvrir une école et d'enseigner le dessin lui-même.

Ceci, messieurs, date de 1851. Vous croyez peut-être que depuis, grâce aux travaux de ces commissions, grâce à plusieurs rapports officiels, on s'est occupé d'introduire une réforme radicale dans l'enseignement du dessin ?

Point du tout, la situation est aujourd'hui, à bien peu de chose près, ce qu'elle était en 1851.

Un professeur de l'académie de Bruxelles qui est, en même temps un artiste éminent, M. Bossuet, dans une brochure qu'il a publiée à la fin de l'année dernière, il y a quelques mois à peine, nous apprend qu'à la suite de l'exposition des arts industriels, de 1857, qui avait produit sur le public connaisseur la plus fâcheuse impression, le gouvernement s'émut, que les principaux exposants furent appelés au ministère de l'intérieur et qu'on leur demanda à quoi ils attribuaient un résultat si déplorable. La réponse fut unanime : « Nous n'avons pas de dessinateurs. »

Plusieurs industriels déclarèrent qu'ils s'étaient adressés aux meilleurs élèves de l'académie, aux lauréats, et que pas un n'était capable d'inventer et de dessiner convenablement un meuble ou tout autre objet de ce genre.

Si cela ne vous suffit pas, si ces déclarations vous paraissent n'avoir pas une autorité suffisante, eh bien, lisez le rapport tout récent adressé au ministre de l'intérieur au nom du conseil de perfectionnement de l'art du dessin et vous verrez que le rapporteur déclare, en toutes lettres que la situation des arts du dessin est aujourd'hui en Belgique ce qu'y était il y a 20 ans l'enseignement primaire ; en un mot, que tout est à réorganiser.

Aussi, messieurs, grâce à notre longue apathie, grâce à notre amour immodéré de la routine, nous avons reçu d'un des hommes spéciaux les plus considérés de l'Europe, de M. le comte Léon de Laborde, membre de l'Institut, dans son rapport sur l'exposition universelle de 1855, le compliment flatteur que je vais vous lire :

« L'industrie en Belgique a pris une autre voie que les arts ; ses progrès se sont faits uniquement dans la direction du bon marché, et sous cette tendance tyrannique, elle a abdiqué sa puissance artiste et se présente, en ce sens, dans le grand concours des nations, avec humilité et en contradiction avec les progrès faits dans les arts. Sans cela, nous aurions pris l'industrie belge pour type de ce que la France a à redouter de ses concurrents. »

Je vous cite des opinions, messieurs, et vous pouvez ne pas les admettre : voyons les faits. Est-il vrai que chaque fois qu'il s'agit en Belgique d'un grand travail de décoration ou d'ornementation, gouvernement, villes, particuliers s'adressent à Paris ?

On a dû faire venir de Paris des ouvriers pour l'ornementation de la colonne du Congrès. Au théâtre royal de la Monnaie à Bruxelles tout a été fait par des ouvriers français, plafond, toile, bronzes, ornementation du balcon et galerie.

Au théâtre des galeries Saint-Hubert la même chose. Tout récemment, si je suis bien informé, ayant un salon à meubler dans un de nos hôtels ministériels, on a fait venir de Paris pour 18,000 fr. de bronzes ; les candélabres, pendules, lustres, tout vient de Paris, de la maison Marchand, boulevard du Temple.

Les particuliers suivent naturellement cet exemple.

Je pourrais citer plusieurs grands hôtels, pour ne pas dire un grand nombre d'hôtels de la capitale, la plupart d'entre vous les connaissent, qui sont décorés par des artistes français, meublés par des artistes français, dont les salons sont également ornés de bronzes français, tandis qu'autrefois, à une époque où nous avions beaucoup moins de prétentions qu'aujourd'hui, l'étranger venait chercher chez nous les modèles de goût pour les industries de luxe.

Comme M. Hendrickx vous le rappelle dans sa pétition, les tapisseries de Tournai, d'Audenarde et d'Arras étaient réputées les plus belles du monde ; Raphaël confiait à la haute-lisse belge le tissage des tableaux dont il orna la chapelle Sixtine ; les cuirs dorés et argentés de Malines étaient célèbres dans le luxe européen. Nos verriers et nos sculpteurs en bois créaient des chefs-d'œuvre pour les palais des plus grands souverains et pour les cathédrales les plus fameuses de la chrétienté. Nos contsructeurs bâtirent l'ancienne bourse de Londres ; les pierres et les boiseries du château du fameux comte d'Essex, favori de la reine Elisabeth, venaient taillées et sculptées de Malines.

Je sais bien que d'autres mérites ont remplacé celui-là. Nous fournissons à l'étranger la matière première d'un grand nombre de ces produits qui nous reviennent sous une forme élégante et gracieuse. Mais cela ne suffit pas et je ne sais pourquoi nous ne pourrions reconquérir une supériorité que nous possédions autrefois.

J'ai entendu dire et j'ai lu qu'il ne fallait point porter si haut nos espérances. Chaque pays a sa vocation. Aspirer à l'universalité, c'est un (page 747) rêve irréalisable, C'est une réflexion que j'ai faite moi-même à propos de bien des choses : quand, à force d'examens, on veut faire de nous un pays aussi savant que l'Allemagne ; quand, à l'aide d'une marine militaire, on veut faire de nous une puissance maritime et colonisatrice, que nous n'avons jamais été ; quand on veut nous lancer, après l'Angleterre, dans les voies du sport et des solennités hippiques. Mais ici il s'agit d'un pouvoir que nous avons eu et perdu ; il s'agit de le ressaisir et de ne pas le laisser périr sous le souffle du l'indifférence, du découragement et de la résignation.

En Angleterre on n'a pas raisonné de la sorte, et pourtant s'il était un pays au monde auquel s'appliquait ce raisonnement, c'était bien celui-là.

Dans un rapport adressé au ministre de l'intérieur sur l'enseignement industriel en Angleterre, un jeune économiste anversois, M. de Cocquiel, disait :

« La masse de la population en Angleterre n'a pas le génie artistique et le goût exquis qui distinguent certaines nations du continent. De bonnes écoles de dessin pourront faire beaucoup, j'en conviens ; elles pourront former quelques bons dessinateurs, fort utiles à l'industrie nationale ; mais quant à faire de l'Angleterre la rivale de la France pour les objets d'art et les travaux dans lesquels le goût domine, on y parviendra difficilement. »

Cette opinion, que l'auteur exprimait en 1851, était alors généralement répandue, et est encore accréditée. On croit que ce vieux mot de lord Chesterfield à son fils : « Payez les arts, mais ne les cultivez pas, » est encore la devise du peuple britannique. Mais on fait bien des choses en dix ans dans un pays d'action et d'initiative. Depuis l'exposition universelle, des sommes énormes ont été votées par la législature pour l'enseignement du dessin. Trois cents écoles se sont ouvertes autour de l'école normale et de l'école mère de South-Kensington. L'art industriel a fait des progrès immenses. Après avoir dans ses révolutions, sous le souffle stérilisant du puritanisme, perdu sa vieille renommée artistique, car l'Angleterre, au moyen âge, avait, comme la Flandre, ses magnifiques cathédrales, ses riches vitraux, ses peintures, ses sculptures, son admirable mobilier ecclésiastique, après avoir mérité le sanglant reproche de manquer de goût, l'Angleterre s'arrêta pour se recueillir, pour sonder ses plaies. Elle comprit sa faiblesse et résolut de lutter et de vaincre. Elle fit venir de France des maîtres, des ouvriers, des dessinateurs, des modeleurs ; aujourd'hui la France entrevoit chez elle des rivaux redoutables. Dans la céramique, l'orfèvrerie, la bijouterie, la joaillerie, les Anglais ont battu l'industrie française : c'est un Français, M. de Laborde, qui l'affirme. Pour la reliure, les impressions typographiques, la gravure, les imitations en stuc, en carton-pierre, ils sont déjà passés maîtres.

La France le sait bien, et pour maintenir sa vieille et légitime réputation, elle multiplie ses efforts, elle renforce tous les jours cet élément précieux, unique, du progrès de l'art industriel, le dessin.

J'ai à peine besoin de le dire à des hommes instruits et intelligents, le dessin c'est tout l'art. Le peintre dessine avec le pinceau, le sculpteur avec l'ébauchoir. Le dessin est la source du goût. Les Athéniens enseignaient le dessin à leurs enfants avec la lecture ; ils formèrent ainsi ce goût délicat, ce sentiment du beau dont nous sommes tous émerveillés.

Vous avouerez avec moi, qu'il n'y a pas de faculté plus facile à cultiver que le goût du dessin. Il est inné à tout homme, tout enfant a l'esprit d'imitation. Mettez un crayon entre les mains d'un enfant, il imitera ce qu'il voit. Pourquoi ne pas mettre à profit cette précieuse faculté qui produit les bons ouvriers comme les grands artistes ?

C'est triste à dire, mais l'enseignement du dessin chez nous est tout à fait dans l'enfance. Eh ! je le sais bien, nous avons des écoles industrielles où l'on enseigne plus ou moins le dessin ; nous avons près de 50 académies. Mais prenez les rapports officiels et voyez ce que c'est que ces écoles.

D'après les développements du budget de l'intérieur pour l'exercice 1861, l'enseignement du dessin industriel, dans les écoles de l'Etat, est tout à fait secondaire. Dans une ville comme Gand, dans cet immense foyer industriel, l'école de dessin industriel compte 28 élèves ; à Verviers, il y en a 80.

M. Jacquemyns. - Je demande la parole.

M. Hymans. - Ce sont des chiffres officiels. A Bruxelles, il n'y a pas d'école industrielle.

M. Orts. - Il y en aura une.

M. Hymans. - Je le sais. Il y a en tout onze écoles industrielles en Belgique.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Il y a des écoles spéciales où l'on enseigne le dessin industriel. Il y en a à Gand, à Bruges, à Soignies, à Verviers.

M. Hymans. - Je le sais.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Alors dites-le.

M. Hymans. - A l'école industrielle de Gand, fondée avant 1830, ce sont les notes explicatives du budget de l'intérieur qui le disent, les cours comprennent la physique, la chimie, la mécanique, l'algèbre, la géométrie, le dessin linéaire, le dessin des machines à vapeur. Je n'y vois aucun cours de dessin.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Mais il y a une école spéciale.

M. Hymans. - Laissez-moi donc achever, je vous prie. Il y a une école spéciale, en effet, une école de lissage. Le nombre des élèves, qui était d'abord de 15, est aujourd'hui de 28.

Ainsi, dans une ville comme Gand, il y a 28 élèves qui suivent les cours de l'école de dessin industriel.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - N'est-ce pas beaucoup que 28 dessinateurs ? N'y en eût-il qu'un, ce serait déjà un bienfait.

M. Hymans. - Avec un pareil raisonnement, si nous avions un Rubens, nous pourrions supprimer toute l'école belge et nous déclarer satisfaits.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je demande la parole.

M. Hymans. - Je la demande pour vous répondre. Je n'ai rien affirmé qui ne soit exact. J'ai dit qu'à l'école spéciale de Gand, il y a 28 élèves et à celle de Verviers, 80. Du reste le dessin qu'on enseigne à Gand est le dessin de tissage qui n'a absolument rien d'artistique.

Je reparlerai tout à l'heure des écoles industrielles au point de vue de l'industrie proprement dite, je ne parle pour le moment que du dessin. Le dessin est enseigné en Belgique dans 44 académies et écoles spéciales. Nous allons voir ce que sont ces écoles. J'ai extrait mes renseignements du dernier rapport des conseils de perfectionnement.

Académie de Turnhout. (Un seul professeur pour 200 élèves.) Cet établissement laisse beaucoup à désirer : absence de bons modèles et de bons ouvrages pour toutes les branches de l'enseignement. C'est la même chose pour Eecloo.

L'honorable M. Kervyn de Lettenhove nous faisait valoir l'autre jour l'académie d'Eecloo comme un titre à la nomination d’un commissaire d'arrondissement dans cette ville ; j'engage beaucoup ce commissaire, s'il est nommé, à s'occuper de l'académie du chef-lieu de son district.

Renaix. Tous les modèles gravés sont hors de service par suite de leur long usage.

Académie de Diest. (Deux professeurs enseignent à 115 élèves.) La collection de modèles est incomplète et en mauvais état. Les plâtres font absolument défaut. On n'y trouve qu'un pied, une main, un bras d'après Michel-Ange.

Lessines. Trente élèves y dessinent le dimanche et le jeudi l'hiver ; l'été le dimanche seulement, de 10 heures à midi. Le budget de l'école est de 362 fr. Le professeur est un pauvre vieillard qui se fait aider par son fils. La collection de modèles est tout à fait insuffisante.

Soignies. D'après le rapport du gouverneur de la province, l'Etat donne à cette institution un subside de 1,200 fr., et le conseil communal un subside de 600 fr. Le rapport ajoute que l'école compte quatre professeurs.

Or, d'après le rapporteur du conseil de perfectionnement, il y a un seul professeur, qui est un maître-ouvrier aux carrières ; les modèles sont à remplacer complètement et tout à réorganiser.

Saint-Trond. La collection de modèles absolument nulle. Aucun enseignement des arts du dessin.

Voilà, messieurs, comment nous avons 44 académies et écoles de dessin. Cela fait beaucoup d'effet sur le papier, mais en réalité, cela ne signifie pas grand-chose.

M. Orts. - C'est l'histoire des bâtons flottants.

M. Muller. - En effet,

De loin c'est quelque chose, et de près ce n'est rien. Je parle ici de l'art appliqué à l'industrie. Il ne s'agit pas de ce que l'on fait pour former des artistes, mais de ce que l'on fait pour former des ouvriers, de l'enseignement du dessin dans les grandes villes.

Vous savez tous parfaitement que l'enseignement de l'art industriel y est tout à fait secondaire, à quelques exceptions près.

L'honorable M. Orts disait tout à l'heure qu'on allait organiser cet enseignement à Bruxelles.

C'est parfaitement vrai, mais cela prouve aussi que jusqu'ici il n'existait pas.

Je rends très volontiers hommage à ce que l'on fait dans quelques grands centres.

(page 748) Ainsi, à Liège, on a beaucoup fait grâce à l’initiative d’un homme très intelligent qui a été faire des études à Paris ; on a institué à Lige des cours de modelage et de dessin industriel qui ont produit d’excellents résultats pour la ciselure et l’industrie des armes de luxe ; les élèves de ces cours ont produit des pièces, couronnées à la dernière exposition des arts industriels de Bruxelles.

A Bruxelles, nous n'avons rien, et le cours de dessin d'ornement est donné depuis une éternité dans les trois degrés, primaire, moyen et supérieur, par le même professeur, d'après des modèles surannés. En un mot c'est toujours ce que disait M. Visschers en 1851 : « Le dessin d'après l'académie, d'après des bas-reliefs antiques, quelques ornements d'architecture. Vous enseignez, dites-vous, le dessin d'ornement, nous ne voyons nulle part le modèle d'une fleur ! »

En revanche, est c'est là ce qui doit vous frappez le plus, un manque absolu de méthode ; des professeurs-pleins de zèle, des élèves quelquefois intelligents, quelquefois pas, mais généralement zélés, mais point de base à l’enseignement. Je vais vous le faire comprendre, car je veux être clair et prouver que je n'exagère rien.

Qu'est-ce qu'une école de dessin ? C'est une grande salle dans laquelle se trouvent des modèles, des élèves et des professeurs.

Les élèves copient successivement des traits et des ombres pendant que le professeur se promène au milieu de la classe les bras croisés. (Interruption.)

Oh ! je sais bien, M. Loos, qu'il n'en est pas ainsi à Anvers.

Du reste, le professeur se promène ou ne se promène pas ; cela ne fait absolument rien à la chose.

Ce qui est parfaitement certain, c'est que l'élève copie successivement des traits et des ombres ; on exerce chez lui l'instinct de l'imitation et rien de plus.

Quelle est la part, de l'intelligence dans un pareil enseignement ? Prenez l'élève le plus fort d'une classe supérieure de dessin ; prenez l'élève qui a obtenu le premier prix pour la tête ombré, et demandez-lui de vous projeter, de mémoire, l'ombre d'un cube, de vous dessiner originalement un pavé, je l'en délie : il ne le saura pas et cela par l'excellente raison qu'il ne l'a pas appris.

Messieurs, que font les jeunes gens qui veulent devenir des artistes ? Ils complètent leurs études en dessinant d'après nature. Je vous demande où ce dessin d'après nature s'enseigne pour l'ornementation ! et cependant il est indispensable. Ne peut-on pas dessiner d'après nature des plantes, des feuilles, des fleurs vivantes ; ne peut-on pas dessiner des animaux vivants, absolument comme on dessine la figure vivante ?

La nature n'est-elle pas le plus parfait de tous les modèles ? A ce propos même il est une réflexion qui doit venir à l'esprit de tout le monde : on imite depuis des siècles des feuilles d'acanthe d'après l'antique ; ces feuilles d'acanthe n'existent-elles pas dans tous les jardins ?

C'est un principe élémentaire en foule chose qu'on n'arrive à l'originalité que par l'étude de la nature ; et c'est bien ainsi qu'ont fait tous les grands maîtres.

Tel est le principe que professaient Albert Durer, Léonard de Vinci, Rubens, tous les grands peintres, en un mot.

Aujourd'hui que fait-on ? On copie servilement des formes mortes tandis que ces maîtres voulaient qu'on recourût à l'analyse des formes, à la comparaison du style, que l'on remontât à la source féconde de la nature où tout homme va puiser la raison de son individualité.

Or, pour prouver que je ne prêche rien d'impossible, je citerai ce qu'on a fait à Paris, où l'on dit que le goût court les rues comme l'esprit et où il semble qu'il n'y ait plus de progrès à réaliser.

A Paris, depuis que l'exposition de Londres a stimulé les arts industriels, on a créé des écoles en très grand nombre. A côté de l'école des beaux-arts, on a créé une école impériale des arts de dessin et de mathématiques pour l'application des arts à l'industrie ; la ville de Paris elle-même, a créé quatorze écoles municipales, rayonnant autour de ce grand centre, et dans lesquelles on enseigne exclusivement les applications de l'art à l'industrie.

Voulez-vous connaître quelques articles du programme de ces écoles ? On y enseigne le dessin d'après les animaux (il n'y a pas une seule école en Belgique où l'on apprenne à copier des animaux) ; le dessin d'après les plantes ; le dessin de mémoire ; le dessin d'après le modèle vivant, et chose utile à constater, l'un des professeurs les plus distingués, M. Pannemaker, est un Belge.

A Bruxelles, à l'académie de la capitale, nous aurons peut-être, mais nous n'avons pas encore, un cours de dessin d'après les animaux ; pas un cours de modelage d'après quoi que ce soit ; pas un cours d'histoire de d'ornement ; pas moyen, dès lors, de comparer les styles ; et, pour tout enseignement de mathématiques, un cours du géométrie élémentaire.

A Bruxelles, le cours d'ornements est donné par un même professeur à tous les degrés ; à Paris, pour cette seule branche, il y a un personnel enseignant de 15 professeurs dans une seule école.

Pour ceux d’entre vous, messieurs, que le luxe intéresse, et je crois qu’il en est un bon nombre dans cette enceinte, il est sans doute curieux de connaître le programme des concours qui ont lieu tous les mois dans ce grand établissement de Paris

« 1er mensuel. - Rosace de plafond, destinée à décorer le salon d'un amateur de chasse. Le milieu saillant, donnera naissance à un anneau destiné à supporter le lustre. Style renaissance.

« 2ème mensuel. - Couronnement de la porte d'une caserne de cavalerie. Forme du fronton, point d'encadrement. On demande une tête ou un cheval de face.

« 3ème mensuel. Un calorifère d'appartement. Exécution en fonte de fer. Le calorifère se composera d'une base carrée avec cendrier, la partie milieu cylindrique, avec bouche de chaleur au milieu, donnant naissance dans sa partie supérieure à un tuyau. Le couronnement sphérique. Cette esquisse doit être de profil. Ce calorifère, richement décoré, supérieurement, est destiné à brûler du coke.

« 4ème mensuel. - Un vase pouvant contenir des fleurs et devant servir de fontaine. La panse sera ornée, et à sa partie inférieure se trouveront des têtes d'animaux laissant échapper de l'eau. On doit supposer qu'une vasque se trouve sous le vase pour recevoir l'eau, et fait partie d'une fontaine.

« 5ème mensuel. - Un cornet drageoir. Ce cornet, destiné à orner une table, s'offre le jour d'une fête. Supérieurement, un cornet en cristal ; la colonne en bronze doré ou argenté.

« 6ème mensuel. - Couronnement d’une porte d’intérieur d’une salle de musée d’armes antiques, formant trophée et bas-relief. Ce couronnement se détache sur le fond sans aucun encadrement.

« Faire entrer dans la composition, casques, cuirasses, boucliers, sabres, haches, béliers. Il est interdit d'introduire clans la composition des ornements étrangers aux armes. Style Louis XIV.

« 7ème mensuel. - Fontaine destinée à être exécutée en fonte de fer. Le couronnement, forme circulaire, sera soutenu aux angles par deux têtes d'animaux disposées pour jeter de l'eau. Au centre du couronnement se trouvera une rosace destinée à l'ouverture d'un tuyau en cas d'incendie. La cuvette formera double bassin.

« 8ème mensuel. - Un vase avec anses. Du vase sortira un bouquet d'iris, forme ovoïde ; le pied peut s'arranger avec dauphins, etc.

« 9ème mensuel. - Fronton destiné à décorer la façade d'un musée agricole. Ce fronton sera orné, au milieu, par un bœuf vu de face ; attributs instruments aratoires.

« 10ème mensuel. - Chapiteau, pilastre ayant rapport à l'agriculture. Le milieu du chapiteau peut se composer de gerbes de blé devant donner place dans son milieu à une inscription. Un bouquet de maïs pourra former le fleuron du talloir. Des angles, deux têtes de bélier, pourront former volutes. Le dessus de l'astragale, au-dessous des têtes, sera orné de feuilles de betteraves.

« Concours en loges (en dix-sept jours) : Grands concours annuels : Exécution : bas-relief ; Triomphe de Galalée.

« Jeux d'enfants, une frise représentant le Triomphe de Galalée. Deux tritons embouchent une trompe, d'où s'échappent des rinceaux. Ailes, trône. Pas plus de trois enfants ; le tout d'un caractère aquatique... » (Interruption.)

Je ne. vois pas ce qu'il y a de risible dans ce mot ; il me semble, au contraire, que cela est très sérieux et je suis désolé de voir que tout le monde ici ne comprenne pas l'importance d'une question dont la solution implique l'avenir de l'industrie nationale.

Je ne comprends pas surtout les rires de l'honorable M. B. Dumortier, car j'allais lui citer un fait qui lui fera certainement grand plaisir : c'est que la plupart des prix décernés à la suite des grands concours à l'école impériale de mathématiques et de dessin de Paris ont été remportés par un Belge, et qui plus est, par un Tournaisien, M. Victor Lefebvre.

M. B. Dumortier. - Il est boursier du gouvernement.

M. Hymans. - En effet, mais il serait préférable qu'il pût trouver dans son propre pays l’enseignement qu'il doit chercher ailleurs.

M. B. Dumortier. - Il a commencé à l'Académie île Tournai.

M. Hymans. - Oui, il y a reçu les premiers principes.

M. Allard. - Comment ! les premiers principes !

M. Hymans. - Je ne comprends pas l'interruption.

M. Allard. - Je dis que pour former des artistes tels que Gallait et le jeune homme dont vous parlez on doit leur avoir enseigné quelque chose de plus que les premiers principes.

(page 749) M. Hymans. - Vous ne viendrez pas prétendre que M. Gallais soit formé à Tournai. Au surplus qu'est-ce que cela prouve / Ce sont les jésuites qui ont formé Voltaire, et je suis persuadé que la droite ne le revendiquera pas.

Eh bien, messieurs, en présence de cet immense contraste qu'on remarque entre l'enseignement des arts industriels eu Belgique, en France et en Angleterre, car je pourrais donner des renseignements fort intéressants sur ce que l'on a fait en Angleterre, en présence de ce contraste, je désire savoir si le gouvernement s'occupe d'une manière sérieuse de ce grave intérêt.

J'ai vu, il n'y a pas longtemps, dans le Moniteur, un rapport au Roi suivi d'un arrêté royal relatif à la réorganisation du Musée de l'industrie.

Il est vrai que la réorganisation consiste dans la nomination d'une commission dans laquelle ne figure pas un seul artiste. Je demande au gouvernement, ce que sera cette réorganisation pour lui, au point de vue de l'art industriel.

Si je comprends bien le rapport, il s'agit de créer une espèce de conservatoire des arts et métiers.

Quelle sera la part de l’enseignement du dessin industriel dans cette réorganisation ? Il ne faut pas vous faire illusion ; dans une société organisée comme la nôtre, vous ne ferez jamais de nos ouvriers des savants, des ingénieurs, des mathématiciens, des chimistes, des physiciens. Il n'est personne de nous qui n'ait appris la chimie, le physique, la mécanique, à l'école, à l'université ; je demande ce qui vous en reste. Cependant, nous étions mieux à même de recevoir cet enseignement et d'en profiter que des ouvriers. Vouloir faire de nos ouvriers des savants, c'est un rêve creux. Donnez au peuple l'enseignement primaire, laissez arriver ceux qui le peuvent à l'enseignement moyen, même à l'enseignement supérieur, je ne demande pas mieux ; mais vouloir faire des ouvriers des savants, c'est une chimère.

Cette idée n'est pas de moi, elle a été exprimée par les hommes les plus éminents, par M. le comte de Laborde, qui nous dit que c'est à l'atelier le marteau à la main, et le tablier au ventre que l'ouvrier doit se former ; c'es en forgeant, dit-il, qu'on devient forgeron.

Voulez-vous une autre autorité, l'autorité que j'ai déjà citée, d'un homme qui se fait gloire d'avoir été ouvrier, de M. Pauwels, membre, comme M. Visschers de la commission nommée par M. Rogier, en 1851. Ecoutez-le :

« Ces cours (scientifiques et théoriques, dit-il) excellents pour les élèves qui ont passé une partie de leur jeunesse sur les bancs des écoles, ne peuvent porter aucun fruit pour les ouvriers, pour la plupart illettrés, qui n'ont manié que leurs outils et ne connaissent que la langue de la profession qu'ils exercent. Si par hasard quelques ouvriers ont, de temps en temps, la patience et le courage de suivre de semblables leçons, ils n'en rapportent que cette demi-instruction plus nuisible qu'utile, qui leur donne l'orgueil d'une science qu'ils n'ont pu comprendre que partiellement, ce dont ils raisonnent avec d'autant plus d'irréflexion qu'ils ont pu en retirer moins de profit. »

Allant au cœur de la question, M. Pauwels ajoutait :

« Notre académie des beaux-arts n'a pas, en ce qui concerne les ouvriers, produit tous les fruits désirables. Ne pourrait-on pas, par des cours nouveaux ou en modifiant une partie des cours actuels, donner à l'enseignement du dessin une direction nouvelle dans de sens et la méthode qui m'a procuré d'aussi bons résultats ?

« Voici quelle est cette méthode :

« La connaissance des outils les plus perfectionnés en usage dans chaque métier forme la base de l'enseignement. L'élève les dessine et reçoit ainsi successivement toutes les notions de l'art du dessin, à mesure que l'occasion s'en présente, sur des objets parlants pour lui. La dictée du lendemain se compose du texte explicatif du dessin, et les élèves se forment ainsi un petit traité de leur métier, tout en se perfectionnant dans la connaissance de la langue.

« Si un premier essai de ce genre, continue M. Pauwels, pouvait réussir, notre mission serait grandement simplifiée, parce que toutes nos grandes villes possèdent déjà des établissements de ce genre. La transformation en serait facile et surtout peu coûteuse. Je soumets cette question à votre appréciation. »

Cette question que M. Pauwels soumettait au gouvernement en 1851, je la lui soumets de nouveau en 1862.

Le gouvernement peut, s'il le veut, faire progresser l’enseignement industriel, et former l’esprit du public à peu de frais.

Tout se résume, je le répète, dans la science du dessin, à la condition de l’organiser convenablement. Rien de plus facile que l'enseignement du dessin ; le dessin n'est pas un art. C'est un genre d'écriture. (Interruption.)

Sans doute ; y a-t-ÎI quelqu'un ici qui prétende qu'il est plus difficile de dessiner un nez qu'un quatre ?

M. B. Dumortier. - Cela dépend de la forme du nez.

M. Hymans. - Il y a pour cet enseignement un parti énorme à tirer de l'instinct d'imitation de l'enfant ; en exploitant cette faculté précieuse, eu la dirigeant, vous ne ferez pas des artistes comme Rubens et Vandyck, mais vous ferez de bons ouvriers, des hommes de goût. Aujourd’hui le dessin est enseigné comme un art d'agrément, tandis qu'il devrait être une des bases de l'éducation.

On l'enseigne, comme l'équitation ou la danse ; quand on est resté quelque temps sans monter à cheval et sans danser, on oublie la danse et l'équitation.

Il en est de même du dessin ; et l'on ne se doute pas que le dessin qui serait un amusement à l'école primaire devient plus tard un puissant élément de fortune et de jouissance, un invincible instrument de progrès et d'industrie. Je voudrais voir enseigner le dessin dans toutes les écoles de telles façons que les académies devinssent en quelque sorte des universités, des écoles supérieures dans lesquelles on n'admettrait que des élèves ayant déjà certaines connaissances, des jeunes gens qui seront, un jour, non pas des ouvriers, mais des artistes.

Vous croyez que je vous propose là quelque chose d'impossible, comme j'en ai l'habitude d'après certains honorables membres, que ce que je demande exigerait des dépenses considérables. Je ne demande pas un sou. Je ne vous demande pas de faire ici ce qu'on a fait en France, d'ouvrir, dans tout le pays, des écoles spéciales pour l'enseignement du dessin industriel.

Je ne vous demande pas de faire ce qu'on a fait en Angleterre, d'ouvrir une école normale pour la formation de professeurs de dessin. Nous nous trouvons, et c'est une circonstance heureuse, en présence d'une proposition exceptionnellement avantageuse. Un artiste à la fois habile et instruit, très instruit, s'est adressé à la Chambre, afin de la prier de provoquer la mise à l'épreuve d'une méthode au moyen de laquelle on enseignerait le dessin en même temps que l’écriture. On expérimente en ce moment cette méthode, qui est des plus simples, qui est celle de Rubens, d'Albert Durer, de tous les anciens maîtres, à l'athénée de Bruxelles.

Si le succès couronne les espérances du maître, si par la suite, le gouvernement veut propager cette méthode et l'introduire dans nos écoles, vous aurez bientôt dans le pays, non pas 50 écoles de dessin, mais quatre à cinq mille écoles de dessin, autant que vous avez d'écoles primaires, sans augmenter en rien les frais de l'enseignement. Car la méthode est aussi facile à apprendre pour le maître que pour l'élève.

Messieurs, je conclus et je vous demande pardon d'avoir aussi longtemps occupé votre attention.

Je prie le gouvernement de ne pas laisser tomber cette belle et grande idée. Il s'agit de rendre à l'industrie sa place dans le domaine de l'art, et sous ce rapport il y a énormément à faire.

Il est un point auquel on n'a pas suffisamment réfléchi : c'est que la révolution de 1789 a détruit les corporations ; c'est qu'elle a proclamé partout la liberté. Je ne le regrette certainement pas. Mais, cette liberté si précieuse n'a pas produit, en matière d'art et d'industrie ce qu'elle devait produire, parce qu'elle n'a jamais été convenablement organisée.

Autrefois, grâce au compagnonnage, grâce à un apprentissage sérieux, l'industrie recrutait ses artistes en elle-même ; cet apprentissage sérieux faisait des artistes de la plupart des ouvriers. J'espère qu'il en sera de nouveau ainsi, quand on aura rétabli l'enseignement du dessin dans les écoles de l'enfance.

L'apprenti apportera dans l'atelier les notions qu'il aura reçues à l'école ; il les y développera ; le père les communiquera à son fils, tandis que ce qu'on apprend aujourd'hui à l'atelier, je suis obligé de le répéter, parce que j'en ai la conviction profonde, c'est pour l'enfant une lettre morte.,

Il ne comprend pas ; il a commencé trop tard ; il reçoit des notions superficielles qui ne lui sont d'aucune utilité.

M. Pauwels l'a déclaré en 1851 ; voici 160 industriels notables, je puis dire 160 des principaux chefs d'industrie de la capitale qui le répètent en 1862, et vous aurez beau dire que vous avez 1,300 élèves à l'athénée d'Anvers, que vous en avez 700 à l'athénée de Bruxelles, je prétends, et j'ai derrière moi pour le confirmer, tous ceux qui s'intéressent à l'industrie nationale, tous ceux qui sont obligés de faire venir, à toute occasion, de Paris des ouvriers et des modèles, je prétends que le goût n'existe pas chez l'ouvrier belge, qu'on ne fait rien pour le former et qu'on ne le forme que quand on aura organisé d’une manière sérieuse l’enseignement du dessin, complété plus tard par l’enseignement de l’art industriel dans les académies.

(page 750) Voici ma conclusion qui est très simple et très pratique. Je propose qu'on fasse l'essai de la méthode de M. Hendrickx ; je propose que l'on avise à organiser des cours spéciaux de dessin et surtout de modelage dans la plupart des académies de dessin.

Et puisque j'ai parlé du Musée de l'industrie, cela me fera rentrer tout à fait dans le chapitre dont je me suis un peu écarté en parlant des beaux-arts. Je donnerai un conseil à M. le ministre de l'intérieur. On réorganise le Musée de l'industrie ; d'autre part, l'administration communale de Bruxelles travaille à la réorganisation de son académie.

M. Orts. - Cela ne regarde pas le gouvernement.

M. Hymans. - Vous ne savez pas ce que je vais dire. Le gouvernement, je pense, quoi qu'il n'en dise rien dans le rapport qui précède l'arrêté royal de réorganisation du Musée, a l'intention de créer une section des arts industriels. La ville de Bruxelles veut faire la même chose. Eh bien, je demande qu'on négocie, qu'une entente s'établisse entre la ville et l'Etat, de manière qu'on n'aille pas, dès le début, gâter une œuvre importante. C'est malheureusement une de nos infirmités en Belgique de vouloir trop avoir, de dépenser l'or et l'argent en petite monnaie.,

Vous voulez avoir des professeurs qui puissent enseigner convenablement l'art industriel, l'art de l'ornement, la comparaison des différents styles.

Je suppose que ces professeurs, vous deviez les faire venir de l'étranger, vous vouliez les payer convenablement, il sera beaucoup plus facile d'avoir trois bons professeurs et de les rémunérer convenablement, que d'avoir six professeurs qui donneront, côte à côte, les mêmes cours dans deux établissements l'un situé rue de la Régence, l'autre situé au Musée, Place Royale.

L'Etat est propriétaire du Musée de l'industrie. Il dispose d'un vaste local ; je ne vois pas pourquoi il ne proposerait pas à la ville de lui donner ce local pour son académie, elle n'en a pas. L'académie est logée dans des caves tellement malsaines que, pendant l'été, les cours ne peuvent s'y donner. On ne peut y donner les cours que le soir pendant l'hiver. Si l'académie était bien logée, on pourrait lui donner un développement plus grand.

Je crois que, sous tous les rapports, la combinaison que je propose serait la plus favorable, et l'on ferait ainsi quelque chose de plus utile, à mon avis, que d'établir des cours scientifiques, des cours théoriques.

Que le gouvernement engage ensuite les communes à introduire l'enseignement du dessin dans leurs écoles, qu'il les encourage par des subsides, et que M. le ministre de l'intérieur recherche les moyens de rendre l’enseignement du dessin obligatoire dans les écoles primaires. Voilà mon désir. Il est bien facile à réaliser ; mais, en terminant, je dis que la question est extrêmement grave, qu'elle est très actuelle, qu'elle est palpitante d'actualité.

Il ne faut pas perdre de vue que les nouveaux traités que vous avez conclus et ceux que vous conclurez bientôt encore, vont ouvrir le marché belge, presque sans obstacle, à la concurrence de l'industrie étrangère. Il ne faut pas perdre non plus de vue que les conventions diplomatiques avec différents Etats pour la protection de la propriété intellectuelle, interdisent d'une manière formelle la contrefaçon des dessins et modèles étrangers ; que les auteurs de ces dessins et modèles ont les mêmes droits en Belgique que chez eux, et que, par conséquent, il faut à tout prix que l'industrie belge marche, si elle ne veut succomber.

Or, c'est, à mon avis, par le seul enseignement du dessin que l'on peut la sauver, et je ne puis rien dire qui indique d'une manière plus caractéristique, plus frappante, les devoirs sacrés du gouvernement en cette circonstance.

Aussi je recommande très instamment mes observations à M. le ministre de l'intérieur. Il fera tout ce qui sera en son pouvoir, j'en suis sûr, pour organiser chez nous, sur des bases solides et durables, l'enseignement des arts industriels, d'où dépend l'avenir de l'industrie nationale.

M. H. Dumortier. - Messieurs, je n'ai qu'une seule observation à présenter, elle se rattache à une question très importante, et je suis obligé, à regret, de faire descendre la discussion des hauteurs où vient de la placer l'honorable M. Hymans.

Je demanderai à l'honorable ministre de l'intérieur où en sont les négociations entamées entre la Belgique et la France, en ce qui concerne les eaux de l'Espierre, rivière non navigable, qui traverse plusieurs communes de l'arrondissement de Courtrai.

La corruption de ces eaux, occasionnée par l'industrie du département du Nord et particulièrement de Roubaix et de Tourcoing, cause des dommages très considérables et soulève de vives réclamations depuis 5 ou 6 ans.

Je n'insisterai pas sur ces faits, M. le ministre les connaît ; je rappelle seulement cet objet à son attention très sérieuse et j'espère qu'il voudra bien presser les négociations pour que dans un avenir très prochain elles aboutissent à un résultat favorable. Il n'est pas permis à un pays voisin d'empoisonner les eaux de nos rivières et je regrette qu'il ait fallu tant de réclamations depuis 1857 ou 1858 avant d'arriver à une solution.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). -Messieurs, l'objet dont vient de nous entretenir l'honorable M. Dumortier a préoccupé depuis assez longtemps le gouvernement. Il s'agit d'une rivière, de l'Espierre, dont les eaux, corrompues par les déchets des fabriques du département du Nord, causent de très grands dommages dans la Flandre. On comprendra que cette affaire, qui a un caractère international, a dû donner lieu à des négociations.

Ces négociations ont été, dans ces derniers temps, conduites avec une très grande activité, et je crois pouvoir dire à l'honorable M. Dumortier qu'elles sont sur le point d'aboutir. Il paraît aussi qu'on a trouvé en Angleterre le moyen de désinfecter complètement les ruisseaux et même les égouts.

Le comité supérieur d'hygiène publique fait en ce moment des études sur cette question, et j'attends son rapport.

Dans tous les cas, je puis donner à l'honorable membre l'assurance que rien n'est négligé pour amener une très prompte solution de cette affaire ;

M. Jacquemyns. - Messieurs, je partage à certains égards complètement les vues que vient d'énoncer l'honorable M. Hymans. Les produits industriels tirent de la forme une grande partie de leur valeur et il est très facile d'en acquérir la conviction ; quelques centimes de zinc moulé sous forme de candélabre se vendent plusieurs francs, du moment que les formes sont élégantes.

Mais peut-on conclure de là que les produits industriels tirent exclusivement leur valeur de la forme qui leur est donnée ? Je crois que l'honorable M. Hymans a singulièrement confondu les choses lorsqu'il a visité l'école industrielle de Gand.

Il existait à Gand une académie de dessin ; elle avait primitivement pour but de former des peintres, mais on a compris qu'il y avait erreur complète à vouloir destiner plusieurs centaines de jeunes gens à une sorte d'essai pour voir si parmi eux l'on ne découvrirait pas un peintre, et à négliger tous les autres.

Pour ma part, je faisais alors partie de l'administration communale de Gand, et j'ai fortement insisté à différentes époques pour qu'à l'académie les diverses branches de l'art du dessin fussent enseignées de manière à pouvoir trouver leur application dans l'industrie.

Mais on a compris qu'il ne fallait pas se borner à enseigner le dessin aux artisans, qu'il fallait aussi leur donner des notions de diverses sciences, et je regrette beaucoup que l'honorable M. Hymans ait cru devoir condamner ces notions de sciences. A Gand nous avons acquis par plus de 30 années d'expérience la connaissance de tous les avantages que présentent ces notions scientifiques. Je pourrais présenter le tableau des succès remportés par un grand nombre d'élèves de l'école industrielle de Gand dans leur carrière industrielle.

Maintenant, messieurs, lorsqu'il y avait à l'académie de dessin plusieurs centaines d'élèves, fallait-il que l'école industrielle spéciale fît en quelque sorte double emploi avec l'académie ? L'autorité communale ne l'a pas cru, et voilà pourquoi M. Hymans n'a pas trouvé de dessin à l'école industrielle. Il y a trouvé un seul genre de dessin, c'est le dessin du tissage.

Or, depuis que l'école est établie, elle ne compte, à la vérité que 28 élèves, mais, messieurs, ce serait un bien grand mal pour les élèves du dessin appliqué au tissage si ces élèves étaient beaucoup plus nombreux.

Déjà aujourd'hui on a bien du mal à leur procurer des places convenables et à obtenir qu'au sortir de l'école ils ne soient pas condamnés à négliger immédiatement les notions qu'ils ont acquises.

Je crois que le nombre de 28 élèves répond largement aux besoins actuels de l'industrie, car il faut déjà que les industriels augmentent dans une certaine mesure les sacrifices nécessaires à cette branche de service afin d'arriver à rémunérer d'une manière suffisante les dessinateurs qui sortent annuellement de l'école.

Maintenant, messieurs, l'enseignement du dessin industriel ne fait pas double emploi avec les cours de l'académie de dessin, et c'est à tel point que dans un rapport récent, un des membres de l'administration de cette école s'est attaché à démontrer qu'il fallait que les élèves, avant d'être admis au cours de dessin spécial, eussent fréquenté avec un grand succès les cours de l'académie de dessin.

Je parle ici d'un véritable artiste, d'un élève du célèbre David qui est membre de la direction de l'école industrielle de Gand.

(page 751) Eh bien, d'après lui, il importe surtout d'encourager les élèves, pendant leurs études à l'académie de dessin, à acquérir les connaissances préliminaires nécessaires pour suivre avec fruit les cours de dessin industriel.

Mais il est un autre genre de dessin qui est également enseigné à l'école industrielle ; c'est le dessin des machines et le dessin architectural. (Interruption.)

Je croyais, pour ma part, que l'architecture était aussi un peu de l'art ; mais je confesse mon erreur.

Du reste, l'architecture proprement dite est abandonnée à l'institut artistique, à l'académie de dessin, tandis que la partie scientifique est enseignée à l'école industrielle.

Au surplus, ce déclin de l'art industriel se manifeste-t-il ? Je ne le pense pas ; je crois, au contraire, que nous sommes en progrès sous le rapport du dessin appliqué à l'industrie ; j'en trouve la preuve dans les industries du goût qui se développent rapidement à Bruxelles, aujourd'hui, tandis que le gouvernement français reconnaît qu'actuellement les arts du goût déclinent en France ; et c'est précisément parce qu'il s'aperçoit de cette espèce de déclin momentané que le gouvernement français a senti l'impérieuse nécessité de s'attacher davantage à développer l'application du goût à l'industrie.

Mais on se tromperait si l'on croyait que, pour l'application du goût à l'industrie, il faut peu de choses.

L'honorable M. Hymans a indiqué un moyen unique ; je ne m'oppose pas à ce qu'on l'emploie, mais je ne pense pas qu'il faille se borner là.

A Paris, par exemple, c'est par une foule de moyens différents qu'on est parvenu à répandre dans la population ce cachet du goût qui est la source de la prospérité de l'industrie parisienne.

Je ne pense pas qu'on puisse produire en Belgique, par l'emploi d'un moyen unique, les résultats qu'on a obtenus et qu'on obtient à Paris grâce à une foule de moyens dispendieux.

A Paris, vous avez une quantité de musées. (Interruption.) Nous avons en Belgique de beaux musées, cela est vrai ; mais nous sommes loin d'avoir des musées aussi riches que ceux de Paris, par la raison que les musées de Paris se sont formés aux dépens des musées de tous les pays, à la suite des guerres de l'empire.

De plus, à Paris, on voit partout des statues, des monuments, tandis qu'en Belgique nous sommes très pauvres sous ce rapport. Je citerai notamment la ville de Gand, où il n'y a pas une seule statue. Et l'on croit pouvoir développer le goût des beaux-arts, alors que rien ne parle d'art au public, à l'enfance !

Pour multiplier les produits de l'art, il faut d'immenses ressources, et l'on voudrait en vain les multiplier en peu de temps.

Sous ce rapport, nous partageons un désavantage marqué avec l'Angleterre ; et je me rappelle que, quand j'étais dans l'industrie, j'ai eu fréquemment des conversations avec des industriels anglais.

L'industrie anglaise sait, au besoin, faire des sacrifices considérables pour assurer ses succès : eh bien, les grands fabricants de toile peinte de Manchester ont, à certaine époque, fait venir les plus grands dessinateurs de Paris, les ont installés dans leurs établissements, leur ont accordé une rémunération beaucoup plus considérable que celle dont ils jouissaient à Paris ; les industriels anglais s'imaginaient que le sacrifice qu'ils s'imposaient les mettrait à même de lutter avantageusement contre la concurrence française ; mais pas du tout, au bout de peu de temps, l'artiste français, transplanté à Manchester, ne trouvait plus ses inspirations habituelles, déclinait rapidement et devenait un dessinateur tout à fait arriéré.

M. Hymans. - Vous êtes de 15 ans en arrière.

M. Jacquemyns. - Ce qui était vrai, il y a quinze ans, l'est encore aujourd'hui ; ce qui le prouve, c'est que depuis quinze ans on a recours, en Angleterre, à des moyens autres que celui qui consiste à faire venir des dessinateurs de l'étranger,

Je suis parfaitement d'accord avec l'honorable M. Hymans qu'il faut favoriser l'enseignement du dessin ; mais je pense aussi qu'il convient de le diversifier.

Nous avons 40 académies de dessin en Belgique ; je crois que généralement dans ces académies on commence par enseigner la manière de copier une figure, puis un objet solide et une figure géométrique ; et lorsque l'élève sait copier convenablement une figure, et qu'il est en état de dessiner proprement quelque figure géométrique, dès lors son enseignement est complet.

Je ne vois pas quel motif il y aurait à ne pas diversifier davantage le dessin industriel. Dans les familles, on voit très souvent des personnes qui apprennent à dessiner des fleurs, sans pour cela apprendre à dessiner la figure qui, je le répète, est presque la seule chose qu'on enseigne dans nos académies de dessin.

Par le dessin des fleurs qui est négligé, on perfectionne plus le goût que par l'enseignement de la figure.

Je voudrais donc que l'enseignement du dessin fût plus encouragé qu'il ne l'est aujourd'hui et qu'il fût diversifié.

Cela est nécessaire aux progrès de l'industrie. Mais d'un autre côté, je crois que les sciences sont aussi nécessaires aux progrès de l'industrie et qu'il serait parfaitement imprudent de compromettre notre industrie, principalement basée sur la science, en lui retirant cette base.

- La suite de la discussion est remise à demain.

La séance est levée à 4 heures trois quarts.