(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)
(page 681) (Présidence de M. Vervoort.)
M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.
M. de Boe, secrétaire, lit le procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est adoptée.
M. Thienpont, secrétaire., présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Les membres des conseils communaux de Perrière, Wcrbomont, Ernonheid, demandent l'achèvement de la route de Huy à Stavelot. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics.
« Le sieur J.-M. Germain Van Ophuysen, employé, à Liège, né à Amsterdam (Pays-Bas), demande la naturalisation. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Des habitants de Neufville demandent qu'il soit apporté des modifications aux conditions du mariage des employés de la douane et des commis des accises. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur De Blieck, cultivateur et aubergiste à Stekene, demande le remboursement de l'amende et des frais qu'il a dû payer par suite d'un procès-verbal rédigé à sa charge par l'administration des contributions directes, et réclame l'intervention de la Chambre pour que les bureaux du receveur des contributions ne soient point tenus dans un cabaret. »
- Même renvoi.
« Le sieur Kops, ancien capitaine, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir la révision de sa pension. »
- Même renvoi.
« Le sieur Flechet, président de l'arrondissement de Verviers pour favoriser le projet de construction d'un chemin de fer de Liège à Luxembourg par Pepinster et Spa, adresse à la Chambre 120 exemplaires d'une carte industrielle du grand-duché de Luxembourg et des pays voisins figurant le tracé de ce chemin de fer. »
- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.
Personne ne demandant plus la parole sur l'article 38 (traitement des commissaires d'arrondissement, 174,915 fr.), cet article est mis aux voix et adopté.
La Chambre adopte ensuite la proposition faite par la section centrale, dans son rapport, de renvoyer à M. le ministre de l'intérieur les diverses pétitions mentionnées dans ce document.
« Art. 39. Emoluments pour frais de bureau : fr. 88,850. »
- Adopté.
« Art. 40. Frais de route et de tournées : fr. 26,000. »
- Adopté.
« Art. 41. Frais d'exploits relatifs aux appels interjetés d'office, en vertu de l'article 7 de la loi du 1er avril 1843 : fr. 500. »
- Adopté.
« Art. 42. Indemnités des membres des conseils de milice (qu'ils résident ou non au lieu où siège le conseil) et des secrétaires de ces conseils. Frais d'impression et de voyage pour la levée de la milice. Vacations des officiers de santé en matière de milice : fr. 63,000. »
M. Coomans. - Messieurs, comme le gouvernement s'occupe de la réforme des lois de milice, et qu'il a promis de déposer un projet de loi assez à temps pour qu'il puisse être examiné et voté dans la présente session, je crois utile de prier la commission des pétitions de présenter un prompt rapport sur les pétitions qu'elle a reçues et sur celles qu'elle pourra encore recevoir à ce sujet.
- Cette proposition est mise aux voix et adoptée.
M. Coomans. - Pour être juste, messieurs, je dois, à propos du chapitre VI, remercier le gouvernement d'avoir enfin effacé du libellé la prime pour les arrestations des miliciens réfractaires. Plusieurs fois j'avais prouvé qu'il était unique et absurde d'accorder des primes pour l'arrestation des miliciens, tandis qu'on en alloue pas pour l'arrestation des voleurs et des assassins.
Ces observations ont enfin obtenu gain de cause, et je le constate pour en remercier le gouvernement.
- Personne ne demandant plus la parole, l'article 42 est mis aux voix et adopté.
« Art. 43. Frais d'impression des listes alphabétiques et des registres d'inscription ; frais de recours en cassation en matière de milice (loi du 18 juin 1849) : fr. 2,100. »
- Adopté.
« Art. 44. Inspections générales, frais de tournées des commandants supérieurs : fr. 2,100. »
- Adopté.
« Art. 45. Achat, entretien et réparation des armes et objets d’équipement, magasin central. Frais d'impression des états de signalement et des brevets d'officiers : fr. 10,000.
« (Une somme de 4,185 francs pourra être transférée de l'article 44 à l'article 46). »
M. Mouton. - Lors de la discussion de l'adresse, dans la séance du 3 décembre dernier, l'honorable ministre de l'intérieur a présenté à la Chambre, à propos de l'armement de la garde civique, quelques considérations sur lesquelles il semble opportun de revenir aujourd'hui.
La conclusion de son discours consistait à ajourner toute solution jusqu'au moment où l'armée, y compris les bataillons de réserve, serait pourvue de fusils rayés.
La section centrale qui a examiné le budget de l'intérieur n'a pas trouvé ces explications suffisantes ; elle est revenue à la charge, et elle a posé catégoriquement au gouvernement la question de savoir s'il compte réclamer un crédit pour l'armement de la garde civique.
Le gouvernement, dans sa réponse, tout en reconnaissant que cet armement laisse à désirer, persiste néanmoins dans son système, et se borne à indiquer quelques améliorations dont les fusils actuels sont susceptibles.
Quant à ce dernier point, la commission directrice du concours institué en 1861 en avait déjà fait justice en déclarant dans son rapport que « la transformation des armes de la garde civique, difficile sinon impossible, constituerait des dépenses superflues. »
Pour ma part, je ne puis que m'associer aux considérations si nettes et si décisives formulées par la section centrale.
En effet, si le pays était menacé et si l’on compte avec raison sur un concours efficace de la part de la garde civique, si une partie de cette garde devait être mobilisée, il faut qu'elle ait pu se familiariser longtemps à l'avance avec les armes dont elle doit se servir ; il faut surtout qu'elle ait confiance dans ces armes, et cette confiance, elle ne peut la puiser que dans la conviction, acquise par l'expérience qu'elle aura faite, de la bonté des armes mises à sa disposition.
C'est donc une erreur de croire que l'on puisse du jour au lendemain mettre entre les mains des gardes des armes perfectionnées dont ils feraient ensuite un excellent usage. Pour que ce résultat soit atteint, il est indispensable qu'ils soient habitués au maniement et surtout exercés au tir.
Je ne puis admettre davantage, comme le disait l'honorable ministre de l'intérieur, que confier des armes de cette espèce aux gardes civiques ce serait créer pour eux une lourde charge en les obligeant aux soins minutieux que nécessite leur conservation en bon étal.
En fait ce n'est pas là une difficulté réelle ; déjà un certain nombre de compagnies spéciales possèdent des carabines et je ne pense pas que jusqu'à présent on ait constaté, après les inspections annuelles, que ces armes se soient détériorées par défaut d'entretien.
Ce n'est pas la première fois, messieurs, que l'on insiste auprès du gouvernement pour obtenir un armement convenable : de nombreuses pétitions ont signalé le mal, et celles qui demandent la division de la garde civique en deux bans ont principalement pour objet de lui faciliter les (page 682) moyens d'atteindre ce but en restreignant cette obligation dans des limites raisonnables.
Je crois qu'il serait d'autant plus facile au gouvernement de satisfaire à ces justes réclamations que, dans la séance du 15 mai 1861, l'honorable ministre de la guerre déclarait à la Chambre « qu'il avait 83,000 à 84,000 fusils rayés, c'est-à-dire de quoi fournir des armes à toute l'armée y compris les classes de réserve qu'on pourrait rappeler. » Et il ajoutait : « Nous en avons 30,000 qui sont susceptibles d'être rayés et un certain nombre qui ne sont pas susceptibles de l'être. »
J'en conclus que le moment est venu de songer à armer convenablement la garde civique si le gouvernement veut qu'elle puisse remplir le rôle important qui lui est assigné pour la défense nationale.
Il ne doit pas se contenter de proclamer l'imperfection des armes actuelles et ajourner les moyens d'y remédier. Cela ne serait ni sage, ni conforme au vœu du pays qui réclame vivement l'amélioration de l'armement.
Je me rallierai donc à tout amendement qui aurait pour objet de consacrer le principe de cette amélioration par une allocation portée au budget de l'intérieur.
M. Jamar. - Messieurs, chaque fois que l'organisation de la garde civique a été soumise aux délibérations de la Chambre, les rapports auxquels cette question a donné lieu, les discussions qu'elle a provoquées, témoignent la ferme volonté des Chambres de donner à cette institution l'importance qu'elle doit avoir dans un pays comme le nôtre.
Dans l'exposé des motifs du projet d'organisation présenté au Congrès, l'honorable M. Charles de Brouckere faisait ressortir l'impérieuse nécessité d'armer pour la défense du territoire et de nos libertés publiques ceux qui les avaient conquises.
Quand, en 1848, la Chambre fut appelée à examiner le projet de loi sur l'organisation de la garde civique, le rapport de la section centrale se terminait ainsi :
« L'institution de la garde civique, dont le pays a retiré une si grande utilité dans les temps les plus difficiles de notre régénération politique, contient tous les caractères d'un besoin social, sur l'importance duquel il n'est plus permis de se méprendre, soit que l'on considère cette institution comme un moyen de conserver l'ordre, soit qu'on l'envisage comme propre au maintien des principes inscrits dans notre pacte fondamental et à servir d'auxiliaire à l'armée pour la défense du territoire.
« Mettons, ajoutait la section centrale, les villes de Belgique en mesure de ne pas regretter, dans des circonstances graves, l'absence d'une garde civique bien organisée. »
Je pourrais, messieurs, multiplier ces citations, et toujours, à toutes les époques, vous verriez se reproduire l'expression des mêmes sentiments.
Ce sont, messieurs, ces sentiments qui ont inspiré votre section centrale quand elle a insisté auprès de M. le ministre de l'intérieur, pour que la question de l'armement de la garde civique reçoive une solution plus complète que celle que faisaient présager les explications données par M. le ministre de l'intérieur dans la discussion de l'adresse et la réponse du gouvernement à la section centrale.
Messieurs, dans la discussion du paragraphe de l'adresse relatif à l'armement de la garde civique M. le ministre de l'intérieur a tenté ce que j'espère pouvoir appeler un dernier effort pour prouver que les armes de la garde civique ne sont pas aussi défectueuses qu'on le prétendait, et la plupart de ces arguments ont été reproduits dans la réponse du gouvernement à la section centrale.
Tous ces efforts, messieurs, ne peuvent affaiblir les résultats des expériences et les conclusions du rapport de la commission instituée à la suite du vote de la Chambre lors de la discussion du budget de l'intérieur pour l'exercice 1861.
Ces conclusions sont formelles. La transformation des armes de la garde civique difficile, sinon impossible, constituerait des dépenses superflues.
Quant à la nécessité d'appliquer d'abord toutes les ressources du trésor à l'armement de l'armée, l'honorable préopinant a démontré combien est formelle la déclaration de l'honorable général Chazal qui vous disait, dans la séance du 15 mai 1861, que les magasins contenaient des fusils rayés en nombre suffisant, non seulement pour l'armée, mais pour toutes les classes de réserve qu'on pourrait appeler sous les armes.
L'armement actuel de l'armée doit donc permettre de s'occuper de l'armement de la garde civique.
Est-il sage, est-il prudent au reste d'ajourner encore la question, non seulement de l'armement de la garde civique, mais des modifications que son organisation pourrait recevoir ?
Je crois qu'il n'est personne dans cette enceinte qui se méprenne sur la gravité de la situation actuelle de l'Europe. Au contraire, de tous les bancs de cette Chambre se sont élevés de graves, de sérieux avertissements.
Il y a un intérêt belge, disait, dans la discussion de l'adresse, un des membres le plus justement considérés de la droite, il y a un intérêt belge dans toutes les questions qui s'agitent actuellement en Europe et toutes, à un moment donné, peuvent devenir redoutables pour la Belgique.
Il y a, disait de son côté M. le ministre des finances, il y a, dans les événements que l'avenir nous réserve, des mystères et des incertitudes que l'œil le plus clairvoyant ne pourrait pénétrer.
Les périls que cette situation renferme ont été depuis longtemps instinctivement compris par toutes classes de la population en Belgique et toutes ont saisi avec empressement l'occasion de manifester leurs sentiments.
Pendant que sur divers points du pays de nouvelles sociétés de tir se fondent, les anciennes sociétés d'arbalétriers et d'arquebusiers se transforment, substituant la carabine de guerre à des armes qui ne sont pas en harmonie avec le rôle qu'elles aspirent à jouer, avec la part qu'elles veulent prendre dans la défense du pays.
Les concours du tir national révèlent ces patriotiques efforts.
Chaque année amène une pléiade de nouveaux tireurs, mais chaque année aussi les réclamations au sujet de l'armement actuel deviennent plus nombreuses et plus vives.
En présence des résultats du tir, les gardes se demandent à quoi servirait leur courage à la défense du pays s'ils n'avaient à opposer aux armes perfectionnées des armées modernes que les armes imparfaites dont ils sont armés.
Le rapport de la commission est venu rendre tout nouvel ajournement impossible.
Quel sera le système d'armement, quelles seront les modifications qu'on apportera à l'organisation de la gardé civique ?
La divisera-t-on en deux bans, comme le demandent certaines pétitions, en armant le premier ban de fusils rayés, organisera-t-on au contraire, comme le demandent d'autres pétitions, organisera-t-on dans chaque bataillon une ou deux compagnies de volontaires armées de carabines, l'arme la plus propre au rôle de tirailleurs que ces compagnies pourraient remplir en campagne ?
C'est au gouvernement seul qu'il appartient de résoudre ces questions ; mais ce qui importe, ce que la section centrale désire vivement, c'est que cette solution ne soit plus différée et que le gouvernement demande, dans le cours de la session actuelle, le crédit que cette solution rendrait nécessaire.
M. Goblet. - Je n'ai pas l'intention d'entrer en ce moment dans le fond du débat. La nécessité d'organiser efficacement la garde civique est démontrée, l'imperfection de son armement actuel est surabondamment prouvée. Je désire, avant de discuter les mesures que compte prendre le gouvernement, connaître quelles sont ces mesures, quelles sont ses intentions.
Jusqu'à présent M. le ministre n'a cessé de nous donner les assurances les plus positives de son désir d'améliorer l'état des choses. J'ai pleine confiance en lui, mais les bonnes intentions ne suffisent pas, ce sont des preuves matérielles qu'il nous faut. Avant d'entrer dans la discussion des moyens à prendre, discussion qui serait beaucoup plus longue, si nous devions les indiquer, je désirerais donc que M. le ministre voulût bien s'expliquer sur ce qu'il compte faire.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). -Messieurs, dans la discussion du projet d'adresse en réponse au discours de la Couronne, j'ai eu l'honneur de dire à la Chambre que le gouvernement se préoccupait sérieusement de la garde civique, et d'une manière toute spéciale de l'armement de notre milice citoyenne.
L'honorable M. Goblet et l'honorable M. Jamar ont demandé quelles étaient les intentions du gouvernement à cet égard ; je suis heureux de pouvoir donner des renseignements qui, je l'espère, seront de nature à satisfaire la Chambre.
Toutefois, qu'il me soit permis de rappeler préalablement à la Chambre et au pays quelle est la situation de l'effectif de la milice citoyenne, quelle est l'importance de cette force et le parti qu'on en pourrait tirer, si la patrie avait besoin du concours de ces soldats citoyens.
Au 31 décembre 1860, la garde civique active était organisée dans 45 localités du pays ; elle compte 76 bataillons d'infanterie formant un effectif de 26,597 hommes, cinq compagnies de chasseurs-éclaireurs, comptant 719 hommes, 13 batteries ou demi-batteries d'artillerie composées de 1,210 hommes, 9 corps de cavalerie, comptant 341 chevaux et 7 corps de sapeurs-pompiers dont l'effectif s'élève à 407 hommes, soit en totalité 29,274 citoyens armés.
(page 683) En 1861, messieurs, ce chiffre s'est accru, l'effectif de plusieurs compagnies spéciales s'est augmenté : à Liège, à Louvain, à Bruxelles, à Gand, des compagnies spéciales de chasseurs-carabiniers ou d'artillerie ont été formées ; de sorte que la Belgique peut compter aujourd'hui sur plus de 30,000 hommes pour le cas où elle aurait besoin de faire un appel au dévouement de ses enfants.
Indépendamment de cette garde civique active il existe encore dans le pays 668 bataillons de garde civique non active présentant un effectif de 200,400 hommes et qui ajoutés à l'effectif de la garde civique active, forment un total de 229,674 hommes.
Les bataillons non-actifs n'existent encore que sur le papier ; cependant ils ont leurs commandants et leur état-major, et s'il était nécessaire de les organiser, je crois qu'il serait assez facile de le faire en peu de temps.
Messieurs, la question qui semble avant tout préoccuper la Chambre est celle concernant l'armement de la garde civique. Je suis heureux, comme je l'ai dit en commençant, de pouvoir donner quelques explications catégoriques sur ce point.
Lors de la discussion de l'adresse, j'ai émis l'opinion que, avant de renouveler l'armement de la garde civique sédentaire, il était nécessaire, pour ne pas dire indispensable, de pourvoir à l'armement complet de l'armée. Le gouvernement s'est occupé de cette question et voici où elle en est. Il n'y a aucune indiscrétion à faire connaître quel est le nombre des armes que la Belgique possède.
Pour l'armée active au complet, il faut 68,891 fusils, il faut de plus une réserve de 103,337 fusils, soit un fusil 1/2 par homme, en tout 172,228 fusils, il existe dans les magasins 93,418 fusils rayés neufs et 10,500 fusils anciens que l'on a rayés.
De sorte que le total des armes dont le département de la guerre peut disposer est de 103,918.... Ce chiffre est inférieur de 68,310 à ce que l'on pourrait exiger, si on calculait ce qui est nécessaire en comptant la réserve.
Mais il est à observer qu'il sera possible d'ici à très peu de temps de rayer encore 58,000 fusils anciens et qu'on pourra en 1862 et 1863 fabriquer 21,129 armes neuves, ce résultat pourrait être obtenu sans faire supporter de ce chef aucun sacrifice réel au trésor.
On aurait donc alors 183,047 excellentes armes, or comme il n'en faut que 172,228 pour l'armée, il resterait disponible 10,819 fusils rayés. Ces armes pourraient servir à armer la garde civique mobilisée ou le premier ban.
Ces 10,819 fusils suffiraient pour armer 13 ou 14 bataillons.
J'ai dit qu'on pourra faire faire 21,129 fusils sans dépense réelle pour l'Etat. Cette fabrication se ferait, en effet, au moyen des fonds provenant de la vente des anciens fusils qui sont mis hors d'usage.
Il reste en magasin 29,789 fusils lisses, qui, au prix de 30 francs, produiraient 893,670 francs. On a vendu déjà 11,297 fusils à 30 francs, soit pour 338,910 francs, et 1,955 à 18 francs. On pourrait donc disposer de 1,267,770 francs, dans le cas où la Chambre autoriserait la vente des fusils lisses qui ne peuvent être rayés.
C'est dans de pareilles conditions que se trouve aujourd'hui l'armement du pays.
Ainsi, l'année prochaine, l'on aura, outre les fusils pour l'armée et la réserve, un excédant de 10,819 fusils rayés, et au besoin, si la garde civique était mobilisée, il serait facile de prendre dans la réserve les armes nécessaires pour son complet armement.
On me dira peut-être que je ne m'occupe ici que de l'armement de la garde civique mobilisée ; on me demandera ce qu'on fera de la garde civique sédentaire, en attendant qu'on puisse également lui donner des fusils de nouveau modèle.
Messieurs, une circonstance heureuse s'est produite, il y a quelque temps, et permettra, je pense, à la garde civique de faire bon usage de ses armes actuelles en attendant, qu'on lui donne des armes pareilles à celles de l'armée.
Un arquebusier de Bruxelles, M. Janssens, a inventé un projectile qui, d'après des expériences officieuses, permet de tirer avec ces fusils lisses aussi bien qu'avec les armes de guerre perfectionnées.
Si la Chambre me le permet, je vais lui donner connaissance de quelques extraits d'un rapport sur ces expériences.
Je dois déclarer d'abord que la cible dont on s'est servi pour ces expériences présentait une surface d'un mètre carré.
Je fais cette observation parce que les cibles au tir national n'ont que 50 centimètres de côté. Voici comment s'exprime la note que j'ai sous les yeux :
« On a employé, pour l'expérience, des armes prises au hasard et fournies par l'armurier de la garde civique.
« On a tiré d'abord 50 balles sphériques de l'ancien modèle en appuyant l'arme sur un chevalet, 3 balles ont atteint la cible, 47 ont manqué le but, le recul de l'arme était intolérable.
« On a employé ensuite de nouveaux projectiles ; sans faire usage du chevalet, 25 balles ont été tirées et ont donné 285 points et 24 balles avaient atteint la cible.
« Une série de 10 balles a été tirée et a donné le résultat inouï de 185 points.
« Ce résultat atteint les plus belles moyennes obtenues, il y a trois ans, pour la carabine.
« Enfin le 11 janvier par un vent violent, une nouvelle expérience a été faite au moyen de douze fusils pris au hasard et tirés par trois personnes différentes ; sur 119 balles tirées 100 ont atteint la cible.
« Le calibre des fusils employés variait de 10 à 18 millimètres. »
Il me semble, messieurs, que de pareils résultats sont de nature à nous satisfaire sous tous les rapports.
Je puis ajouter que l'arme, ainsi chargée, est exempte de tout recul, et d'un autre côté, qu'en cas de danger cette arme rendrait, à la distance de 150 et même de 200 mètres, des services réels, car le tir en est plus rasant que celui des carabines.
Messieurs, des expériences ont également été faites avec les mousquetons d'artillerie, les résultats ont encore été des plus heureux. Voici comment s'exprime le rapport :
« La balle Janssens a été essayée sur le mousqueton d'artillerie, le tir a été porté à cent mètres au lieu de soixante, distance ordinaire du tir de ces armes.
« Deux séries, de 10 balles chacune, ont été successivement tirées. La première série a donné 200 points dont deux blancs, la deuxième série a donné le beau résultat de 220 points dont 4 blancs.
« Les 20 balles ont donc donné 420 points, chiffre que l'on n'a obtenu jusqu'à ce jour qu'au moyen de la carabine chargée dans toutes les règles. »
Vous voyez donc, messieurs, que ces essais semblent être de nature à satisfaire complètement à toutes les exigences du service. Cependant avant d'adopter définitivement le système, il sera utile, nécessaire même de faire des essais officiels. Ce sont des faits à constater ; cela pourra être exécuté très facilement et très promptement.
Le gouvernement examinera ensuite s'il faut présenter l'armement actuel de la garde civique, pour l'adapter au nouveau système.
En même temps, on demanderait, le cas échéant, un crédit pour couvrir cette dépense. On devrait y comprendre une certaine somme pour compléter l'armement des compagnies spéciales, on y comprendrait d'abord un crédit de 4,840 fr. pour rayer les mousquetons de l'artillerie et un crédit de 13,700 fr. environ pour acheter 200 mousquetons nouveaux destinés à armer les batteries de gardes civiques nouvellement formées.
Un autre crédit de 22,000 à 25,000 francs sera encore nécessaire pour faire confectionner 300 carabines au prix de 75 francs pour les compagnies de chasseurs-éclaireurs et les compagnies de chasseurs-carabiniers qui ne tarderont pas à être créées.
Je pense donc que l'armement de la garde civique serait complètement assuré, en ce qui concerne le premier ban, en attendant qu'on puisse distribuer à toute la garde civique sédentaire des fusils rayés, on pourrait se servir parfaitement des armes actuelles modifiées d'après le système Janssens.
Messieurs, un autre ordre d'idées a été soulevé par l'honorable M. Jamar : il a demandé si le gouvernement avait l'intention de modifier la loi sur la garde civique, et s'il comptait la diviser en deux bans, ou bien autoriser l'organisation de compagnies spéciales dans chaque bataillon.
Messieurs, plusieurs villes ont demandé au gouvernement l'autorisation de placer, à la tête de leur bataillon de garde civique, une compagnie spéciale. Dans une seule ville cet essai a été réalisé, et si je ne me trompe, c'est à Tournai.
Lorsque les communes le demandent, le gouvernement accorde cette autorisation.
Cependant, d'après des renseignements qui me sont parvenus, les communes en général ne désirent pas que la garde civique soit ainsi scindée. Elles ne le désirent pas pour une partie des motifs qui font encore hésiter le gouvernement à demander que la garde civique soit divisée en deux bans.
J'arrive à cette question de la division de la garde civique en deux bans.
Comme je viens de le dire, le gouvernement pense que le moment n’est (page 684) pas venu pour faire cette organisation. Cette question soulève des difficultés très grandes.
Si l'on organise un premier ban de la garde civique, qui fera-t-on entrer dans ce premier ban ? Y fera-t-on entrer les hommes âgés de 21 à 30 ans et faisant aujourd'hui dans les villes partie de la carde civique active sédentaire, ou prendra-t-on tous les hommes âgés de 21 à 30 ans même dans les campagnes ? Il est évident qu'avant d'imposer un pareil service, il faut tenir compte d'un principe constitutionnel : c'est que tous les Belges sont égaux devant la loi et il serait peu équitable, me semble-t-il, de forcer les jeunes gens de 20 à 30 ans, habitant les villes, à faire partie du premier ban de la garde civique et d'exempter toutes les personnes habitant la campagne ; c'est-à-dire d'astreindre les personnes habitant les villes à faire de nombreux et fréquents exercices, à se soumettre à une espèce de discipline militaire, tandis qu'il suffirait d'aller habiter la campagne pour en être exempt. C'est là une difficulté réelle.
Quoi qu'il en soit, si l'on organise un premier ban, on devra lui imposer des devoirs tout spéciaux.
Si l'on n'organise le premier ban que dans les villes, prendra-t-on seulement les hommes qui peuvent s'habiller à leurs frais ou prendra-t-on tous les jeunes gens de vingt à trente ans qui habitent ces villes ? C'est encore une question très difficile, et si elle était résolue affirmativement, ce serait imposer à de petits bourgeois et peut-être à des ouvriers, une charge fort lourde. Cette organisation entraînerait à des dépenses considérables et pour les villes et pour le gouvernement ; car le gouvernement devrait procurer les armes, l'équipement et tous les objets qui sont à sa charge pour les fournir à ce premier ban. D'autre part, les villes devraient habiller à leurs frais, comme cela se faisait autrefois pour la garde communale, les petits bourgeois et les personnes qui ne sont pas en état de pourvoir elles-mêmes à leur habillement.
Voilà les principales difficultés qui arrêtent le gouvernement dans l'organisation de la garde civique. Il croit que les circonstances ne sont pas tellement graves, que le danger n'est pas tellement imminent, qu'il faille immédiatement imposer d'aussi lourdes charges à une partie de la population.
Il est enfin une autre question d'un ordre plus général et dont on a parlé plusieurs fois dans cette Chambre.
On a dit qu'il serait dangereux peut être de séparer la garde civique en jeunes et en vieux. On a dit que la force de la garde civique consistait surtout en ceci : c'est que les jeunes gens entraînent un peu les hommes d'un âge plus mûr, et que les hommes d'un âge mûr modèrent un peu l'ardeur des jeunes. Je ne développe pas cette idée ; je me contente de l'indiquer. Cependant je demanderai à la Chambre la permission de lui rappeler quelques passages d'un discours prononcé par un homme dont l'expérience était grande. En 1853, le regretté M. Charles de Brouckere se prononça énergiquement contre un amendement proposé à l'effet de limiter, à l'âge de 40 ans, le service de la garde civique.
Il disait alors :
« L'adoption de l'amendement c'est la désorganisation de la garde civique. L'amendement a pour effet de dénaturer l'institution. S'il s'agissait d'appeler sous les armes une force matérielle, je comprendrais qu'on fît pour la garde civique ce qu'on fait pour l'armée, qu'on prît des jeunes gens dans toute la force de l'âge ; mais ici il s'agit d'instituer une force uniquement morale dans les temps d'agitation ; en temps de troubles la force de la garde civique n'est autre qu'une force morale et vous ne pouvez avoir de force morale et de force conservatrice qu'avec l'élément conservateur...
« Voulez-vous que l’élément, jeune, bouillant, fasse l’élément principal de la garde civique, destinée à maintenir la tranquillité, l'ordre public ? Croyez-vous qu'en temps d'agitation, ce soit là un élément de conservation ?
« Non sans doute. Mais laissez tous les éléments réunis ; que la jeunesse, en contact avec les hommes mûrs, apprenne à se tempérer, et l'amalgame, sous ce rapport-là, est un grand avantage pour les jeunes gens. Mais, je le répète encore une fois, l'élément conservateur, l'élément de puissance de la garde civique, ce sont les pères de famille, ce sont les hommes qui ont pignon sur rue, qui ont une propriété à sauvegarder.
« Il faut qu'il y ait dans l'homme cet esprit de conservation, d'égoïsme si vous voulez me permettre l'expression, pour que, dans les moments de trouble et d'agitation, il puisse vous être utile. »
Voilà, messieurs, comment s'exprimait M. Ch. de Brouckere.
Sans m'approprier entièrement ses paroles, je crois qu'il y a du vrai dans ce que disait alors cet homme d'une si grande expérience.
J'ai donné, messieurs, sur l'organisation et l'armement de la garde civique tous les renseignements qui étaient en ma possession.
Je crois que l'organisation actuelle est bonne. Nous avons un peu l'habitude, dans notre pays, de dénigrer ce qui est. La garde civique fonctionne, depuis quelque temps surtout, d'une manière très régulière. Elle pourra marcher mieux encore par l'organisation de compagnies spéciales et peut-être qu'en voulant l'améliorer, nous exposerions-nous à lui nuire, car, vous le savez, le mieux est souvent l'ennemi du bien.
En ce qui concerne l'armement, je ferai faire dans à un très bref délai des expériences avec le nouveau projectile. Si ces expériences donnent des résultats favorables, le gouvernement avisera, et une prompte résolution sera soumise aux décisions de la Chambre.
M. Goblet. - Messieurs, je regrette beaucoup que dans tout le discours de M. le ministre de l'intérieur il n'y ait eu en quelque sorte qu'une seule pensée, celle de démontrer que le gouvernement ne peut rien.
L'honorable ministre a cherché les uns après les autres tous les arguments qu'il a pu rencontrer pour les opposer à ceux qui demandent un armement et une organisation convenables, et sa conclusion a été que pour le moment il n'y avait rien à faire et que tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.
Je crois, messieurs, qu'on déplace toujours la question lorsqu'il s'agit de la garde civique.
Si l'on demande une organisation et un armement pour la garde civique au point de vue de la défense nationale, on nous parle des nécessités du maintien de l'ordre à l'intérieur et l'on dit qu'il ne faut pas donner une trop grande énergie à cette force armée, parce que cette énergie pourrait amener des désordres.
J'ai la conviction que la garde civique ne sera dans aucun cas en Belgique un élément de désordre. Cela n'est pas à craindre et il ne faut pas s'effrayer de fantômes qu'on crée à plaisir pour s'abstenir de créer une force puissante qui soit à même de défendre efficacement le sol de la patrie contre les agressions de l'étranger.
Il serait très difficile, messieurs, de suivre M. le ministre de l'intérieur dans les détails des chiffres qu'il nous a cités ; mais il ressort de là encore une chose bien évidente pour nous.
C'est que dans l'ordre matériel aussi bien que dans l'ordre moral, on déplace la question, afin d'en arriver à de continuelles fins de non-recevoir.
On vient nous dire : Le département de la guerre n'a pas pu encore se procurer tous les fusils nécessaires pour compléter l'armement de l'armée ; nous ne pouvons donc songer à armer la garde civique avant que la réserve de l'armée soit munie complètement d'une manière absolue.
Pourquoi toujours mettre la garde civique en opposition à l'armée ? Pourquoi toujours admettre qu'il faille absolument pour qu'elle s'arme et s'organise, aller arracher au département de la guerre quelques miettes de ce qu'on lui accorde tous les ans ?
Nous savons bien, messieurs, que le département de la guerre ne rend jamais rien et que ce serait le moyen de ne rien obtenir du tout que de persister dans cette voie.
Il s'agit, pour prouver de bonnes intentions, d'amener un résultat quelconque et ce résultat c'est d'inscrire au budget de l'intérieur une somme pour l'armement de la garde civique, abstraction faite des besoins de l'armée.
S'il est évident que ces deux forces ont une grande connexité alors qu'il s'agit de s'en servir contre l'ennemi, il n'en est pas moins vrai qu'elles peuvent marcher de pair et s'organiser simultanément sans se nuire.
- Un membre. - Il faut de l'argent.
M. Goblet. - Il faut de l'argent, c'est vrai, mais quand nous demandons quelques centaines de mille francs pour la garde civique, pourquoi dire qu'il n'y a pas d'argent, alors qu'on nous arrache tous les jours des millions et des millions pour le département de la guerre ?
Les dépenses militaires qu'on fait en Belgique sont tellement considérables, tellement énormes, tellement gigantesques, que les citoyens ne trouveront pas mauvais que vous dépensiez quelques centaines de mille francs de plus pour armer la garde civique. Ils n'y verront pas de différence.
(page 685) Ce n'est pas lorsqu'on dépense 15 millions pour une nouvelle artillerie, 50 millions et plus pour des fortifications, qu'on ne peut mettre à un budget 200,000 ou 300,000 fr. pour des fusils neufs.
D'après ce que j'ai pu retenir des chiffres donnés par M. le ministre de l'intérieur, nous avons 30,000 gardes civiques à armer ; mais pour grandir la difficulté et pour grossir les chiffres, M. le ministre de l'intérieur est venu y joindre 200,000 gardes civiques, 200,000 soldats à qui il ne manque rien, si ce n'est des armes.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - J'ai dit qu'ils existaient sur le papier.
M. Goblet. - Eh bien, lorsqu'il s'agit de commencer par donner des armes à ceux qui en ont de mauvaises, je crois que pour le moment nous pouvons laisser de côté ceux qui n'ont pas d'armes du tout. Il s'agit de donner 30,000 fusils à la garde civique armée imparfaitement aujourd'hui.
Dans ce que nous a dit M. le ministre de l'intérieur, j'ai cru comprendre que d'ici à quelque temps l'armée pourrait abandonner 10,000 fusils à la garde civique.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - J'ai dit au-delà des besoins de l'armée.
M. Goblet. - Ces 10,000 fusils au-delà des besoins de l'armée sont-ils destinés à armer la garde civique ou à rester en magasin ?
D'après ce que vient de dire M. le ministre de l'intérieur, cette question ne serait pas encore résolue ; de sorte que ces 10,000 fusils que l'on semble promettre à la garde civique, pourraient bien n'être qu'un mirage qu'on fait miroiter à nos yeux pour nous encourager à la patience.
Maintenant, on nous a parlé d'une invention nouvelle qui permettrait à la garde civique sédentaire de se servir utilement des fusils actuels. Messieurs, je m'occupe un peu d'armes et je dois dire qu'ayant assisté aux expériences qui ont été faites avec le nouveau projectile, j'ai pu constater aussi les excellents résultats qu'on en a obtenus.
Mais ces expériences ne sont pas définitives et nous n'avons aucune certitude quant aux résultats officiels. J'admets que le nouveau procédé soit réellement bon ; j'admets que la garde civique sédentaire puisse, au moyen du nouveau projectile, se servir avec avantage de ses armes actuelles ; mais M. le ministre de l'intérieur ne nous donne aucune garantie sous ce rapport. Il nous dit : Si cette invention répond à ce qu'elle promet, je demanderai le crédit nécessaire pour l'appliquer.
De sorte que si cette invention ne répond pas à ce qu'elle promet, M. le ministre de l'intérieur ne nous demandera rien et ne nous donnera pas d'armes du tout.
Ainsi, messieurs, on ne nous offre que des espérances, et vous voyez sur quelle éventualité est fondée la réalisation de ces espérances qu'on nous présente depuis si longtemps et qui jusqu'à présent n'ont abouti qu'à de décourageantes déceptions.
Je ne suivrai pas M. le ministre de l'intérieur dans la discussion de la question d'organisation de la garde civique en deux bans. Le gouvernement ne veut rien faire parce que, dit-il, il est très difficile de faire quelque chose.
Mais, messieurs, à ce compte-là il ne faudrait jamais rien faire, car il n'est rien de grand, de beau, de réellement utile qu'on ne puisse repousser sous prétexte que cela est plus ou moins difficile à réaliser.
Il me semble que le gouvernement devrait s'occuper sérieusement de la question sans reculer devant les difficultés qui pourraient en entourer la solution.
Si, d'ailleurs, l'argument principal que M. le ministre de l'intérieur a fait valoir contre la séparation de la garde civique en deux bans était fondé, il en résulterait que rien ne serait plus mauvais que l'institution de compagnies spéciales ; car il est évident que les citoyens qui font partie des compagnies spéciales ont une position toute particulière dans la garde civique, ils sont même soumis à des règlements qui n'existent pas pour le reste de la garde civique et ils sont presque en totalité composés de jeunes gens.
En résumé, messieurs, j'espérais que le gouvernement nous aurait du moins donné, cette fois, une preuve réelle, efficace de son bon vouloir, en inscrivant à son budget un crédit avec la pensée bien arrêtée de l'employer à l'armement de la garde civique.
Il est évident que subordonner la demande et l'emploi d'un crédit au résultat éventuel d'expériences qui se poursuivent encore maintenant, c'est tenir indéfiniment en suspens une question qui réclame impérieusement une solution.
J'ai assez de confiance dans le gouvernement pour lui laisser la libre disposition des fonds qui lui seraient alloués, mais je demande instamment qu'il sollicite ces fonds et qu'il les applique immédiatement à l'amélioration de l'armement de la garde civique.
M. de Renesse. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour faire quelques courtes observations à l'égard de celles que vient de présenter l'honorable comte Goblet. Je crois, contrairement à cet honorable collègue, qu'il faut, avant tout, armer complètement l'armée régulière du pays ; sous ce rapport, cet armement est loin d'être entièrement terminé, puisque dans d'autres pays, où les armées sont parfaitement organisées et armées, il doit y avoir pour chaque soldat trois fusils ; ce nombre, nous ne l'avons pas encore actuellement.
Si l'on désire armer en même temps la garde civique et l'armée, il faudrait nécessairement accorder un subside extraordinaire.
L'honorable M. Goblet a semblé critiquer les compagnies spéciales de. la garde civique ; je crois, au contraire, que ce sont ces compagnies qui peuvent rendre un service réel à la défense nationale ; l’on n'a qu'à voir les revues des gardes civiques, pour juger que ces compagnies sont exercées, et marchent comme les soldats de l'armée.
M. Van Humbeeck. - Il m'est impossible d'admettre que la question de l'armement de la garde civique doive être entièrement subordonnée au complément préalable de l'armement de l'armée. Les deux choses peuvent fort bien et doivent marcher de pair ; si nous étions menacés d'une manière sérieuse, la partie de la garde civique susceptible d'être mise en campagne devrait immédiatement concourir avec l'armée à la défense du pays. Il ne s'agirait pas alors de savoir quelle des deux doit être armée la première ; elles devraient l'être toutes deux. Il m'est donc impossible d'admettre la théorie de l'honorable préopinant, qui voudrait ajourner entièrement l'armement de la garde civique, pour ne s'en occuper qu'après avoir complété celui de l'armée.
Je m'associe, au contraire, aux considérations présentées par l'honorable M. Goblet, pour engager M. le ministre de l'intérieur à donner à la question de l'armement de la garde civique une prompte solution et pour l'engager à inscrire à son budget un crédit qui permette de pourvoir à l’armement.
La question de l'organisation de la garde civique a donné lieu à différentes observations sur lesquelles je demanderai à la Chambre la permission de revenir un moment.
L'honorable M. de Renesse a, je crois, très mal compris mon honorable ami M. Goblet, s'il a supposé que ce dernier avait critiqué l'institution des compagnies spéciales. L'année dernière, on a demandé au gouvernement, parmi d'autres moyens d'améliorer l'organisation de la garde civique, l'augmentation de l'effectif des compagnies spéciales. Cette mesure a été prise, c'est même la seule mesure réellement efficace qui ait été adoptée depuis un an. Eh bien, je félicite le gouvernement de l'avoir prise ; je suis donc loin de la blâmer, et je crois que l'honorable M. Goblet n'a pas eu plus que moi l'intention de la critiquer.
L'honorable M. Jamar est revenu sur une idée qui a été également mise en avant l'année dernière ; il s'agirait de placer, à la tête de chaque bataillon de la garde civique une compagnie d'élite.
Ce système peut avoir ses avantages, mais il aurait aussi de graves inconvénients. L'effectif de ces compagnies serait formé de l'élément le plus actif et le plus instruit.
Vous auriez ainsi, dans la garde civique, deux éléments ; l'élément calme et paisible dont on parlait tout à l'heure, et l'élément actif et instruit. Ces deux éléments seraient complètement séparés. Vaut-il mieux qu'ils soient isolés l'un de l'autre ? Vaut-il mieux qu'ils soient réunis ? La question est difficile à résoudre.
Cependant, avec l'organisation actuelle, l'influence de l'élément actif et instruit, au milieu de la masse, est excessivement restreinte.
Si cet élément était mis à part, il fournirait incontestablement des compagnies aussi bonnes que les compagnies spéciales, et bien meilleures que les autres fractions de la garde civique.
Mais la généralité par contre deviendrait moins bonne encore. M. le ministre des affaires étrangères, alors ministre de l'intérieur, avait évidemment émis une idée sur laquelle je crois qu'il n'est pas inutile d'appeler l'attention de son successeur ; pour parer aux inconvénients de l'organisation de compagnies d'élite permanentes, il proposait de faire des compagnies dans lesquelles seraient entrés les jeunes gens à l'époque de leur admission dans la garde civique ; après y avoir passé un certain temps ils entreraient dans les bataillons ordinaires, ils y apporteraient le contingent de zèle et d'instruction qu'ils auraient puisé à cette école.
Cette idée est sérieuse ; peut-être pourrait-elle nous faire trouver une formule conciliant les défenseurs de la division de la garde civique en (page 686) deux bans et les défenseurs du système des compagnies d'élite à établir dans les bataillons ; seulement, il faudrait se préoccuper des obligations spéciales à imposer à ces compagnies dans lesquelles se trouverait un élément précieux pour former, en cas de guerre, les cadres du premier ban.
Il faudrait imposer à ces compagnies des obligations bien plus sévères et plus étendues qu'au reste de la garde civique.
L'argument d'égalité devant la loi, ne doit pas arrêter M. le ministre ; s'il était sérieux, nous aurions aujourd'hui, en matière de garde civique l'inégalité la plus complète ; les habitants de 43 communes sont en effet, soumis aux obligations créées par la loi de 1855, tandis que les autres ne sont assujettis à aucune de ces obligations.
L'argument n'est pas sérieux ; M. le ministre de l'intérieur ne l'a produit, sans doute, que pour colorer un peu l'hésitation qu'il montre devant la Chambre.
M. le président. - Voici l'amendement :
« Nous proposons d'inscrire au budget de l'intérieur à l'article 45 une somme de cent mille francs pour améliorer l'armement de la garde civique (charge extraordinaire). »
Cet amendement est signé de MM. Goblet, Guillery, Jamar, Mouton, Orts et Van Humbeeck.
M. Coomans. - Si les honorables signataires de l'amendement n'y avaient pas donné une suite pratique, je me serais abstenu de prendre la parole, car je considère ce débat comme intempestif et inopportun ; il me semble qu'on devrait l'ajourner jusqu'à l'époque où nous aurons voté un nouveau système de recrutement de l'armée ; il est évident que l'organisation, le nombre et l'armement de la garde civique ont des rapports intimes avec l'organisation de l'armée ; il peut surgir de nos débats un système qui exigerait un remaniement de notre loi sur la garde civique.
J'aurai l'honneur de proposer un système de recrutement dans lequel la garde civique jouera un grand rôle, un rôle plus sérieux qu'aujourd'hui.
Dans ce cas-là, je ne marchanderai pas la dépense.
Aujourd'hui, avant que nous ne connaissions le résultat que doivent avoir nos débats sur le recrutement de l'armée, je crois qu'il est sage de s'abstenir ; c'est ce que je ferai ; je ne pourrais pas voter cet amendement, qui, dans certaines hypothèses peut entraîner des dépenses inutiles, quelles que soient mes sympathies pour une organisation sérieuse de la garde civique.
M. Orts. - Jusqu'à présent, à qui demandait l'amélioration de l'armement de la garde civique, on répondait : « Attendez les expériences, les études que l'on fait pour connaître la meilleure balle et le meilleur fusil ; nous avons nommé des commissions ; elles vont faire des rapports. » C'était le langage de ceux qui voulaient ajourner la solution. Aujourd'hui les partisans de ces procédés dilatoires nous renvoient à de nouveaux travaux ; il ne s'agit pas moins que d'attendre, pour décider a question, que le gouvernement et les Chambres soient fixés sur un nouveau système de recrutement de l'armée. C'est là nous renvoyer indéfiniment.
Heureusement, cette objection nouvelle prouve beaucoup trop, pour que nous puissions la considérer comme sérieuse.
Avec la meilleure volonté du monde, je ne vois pas de connexité entre le recrutement de l'armée et l'armement de la garde civique.
Je concevrais une connexité entre le recrutement de l'armée et l'organisation de la garde civique. Les idées défendues par M Coomans doivent, je suppose, alléger le service que les citoyens ont à faire dans l'armée. Si cette idée triomphe dans la nouvelle législation qu'on nous annonce, je comprends que l'importance de la garde civique au point de vue de la défense du pays deviendra plus considérable.
Le jour où l'armée sera amoindrie par ce nouveau système de recrutement, ceux qui sortiront de l'armée passeront dans la garde civique.
Mais je vois là une raison de plus pour améliorer l'armement de la garde.
La garde civique aura d'autant plus d'importance, sera d'autant plus nécessaire à la défense du pays, que l'armée active sera moins considérable, moins en position de pouvoir parer seule aux nécessités de cette défense.
Si nous devons voir un plus grand nombre de citoyens dans les rangs de la garde civique, préparons donc le meilleur armement possible ; au lieu de faire à peu et à l’aise les dépenses nécessaires n’attendons pas le jour où nous serons forcés par les événements de réaliser une grosse dépenses brusquement, sans pouvoir marchander, sans pouvoir nous défendre contre les exigences des fournisseurs, toujours intraitables vis-à-vis d'un gouvernement qui ne peut pas attendre.
Je demande donc qu'en face de notre amendement on ne se préoccupe pas de la question de recrutement, qu'on envisage les seuls besoins de la garde civique, parfaitement indépendants du mode de recrutement de l'armée.
Et à ce propos puisque j'ai la parole, je dois dire un mot des craintes qu'a manifestées tout à l'heure l'honorable M. Van Humbeeck quant au système d'amélioration indiqué par M. le ministre de l'intérieur et qui consiste à favoriser, dans chaque bataillon de garde civique, la formation d'une compagnie spéciale d'infanterie. Cette compagnie resterait faire partie du bataillon, à la différence des compagnies spéciales actuelles qui sont en dehors des bataillons.
Je crois très possible de faire à cet égard chose fort utile sans désorganiser, en quoi que ce soit, la garde civique. C'est en exagérant la portée des paroles de notre ancien collègue, M. Ch. de Brouckere, que M. le ministre de l'intérieur a pu trouver dans les discours qu'il a prononcés en 1857, un argument contre l'organisation que je défends.
Voici un exemple : il vous montrera comment il est possible, sans désorganiser la garde civique, d'arriver à la formation d'une compagnie spéciale d'infanterie, et rien de plus, dans chaque bataillon.
Chaque année, à Bruxelles, 200 à 250 jeunes gens échappent au service de la milice et entrent dans la garde civique, capables de s'équiper à leurs frais.
Eh bien, avec ces 200 à 250 jeunes gens, vous pourriez former graduellement une ou deux compagnies de volontaires se soumettant au régime des compagnies spéciales et n'amoindrissant pas la force des bataillons.
D'ailleurs toute cette population n'entrerait pas nécessairement dans l'infanterie spéciale dont je parle. Elle formerait chaque année une compagnie par bataillon ; mais il resterait encore un tiers ou une moitié de ces jeunes gens dans les rangs de la garde civique ordinaire.
D'un autre côté, ne croyez pas que les compagnies spéciales actuelles comme les compagnies spéciales futures se recrutent uniquement parmi les jeunes gens de 21 ans.
Beaucoup d'hommes âgés de plus de vingt et un ans ont assez de temps disponible pour le consacrer à l'accomplissement consciencieux de ce devoir civique ; ils acceptent de faire partie des compagnies spéciales et se soumettent au règlement de ces compagnies.
On se fait une chimère de cette idée de désorganisation, et on la réduirait à sa valeur, si l'on voulait consulter les chefs de la garde civique ; et j'appelle chefs de la garde civique les commandants des légions, des bataillons et les bureaux du ministère de l'intérieur.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, je suis assez étonné et de la tournure qu'a prise la discussion et de l'amendement qu'on vient de présenter. Je m'étais flatté qu'après les explications données, la Chambre se déclarerait satisfaite, que les membres même les plus exigeants seraient satisfaits.
Qu'ai-je dit ?
Je n'ai pas parlé de l'armée pour l'opposer à la garde civique, mais j'ai dit que le gouvernement aurait bientôt un nombre de fusils s'élevant à 183,047 et qu'en tenant compte des exigences les plus grandes, il ne fallait que 172,228 fusils, réserve comprise. Je croyais qu'on en conclurait nécessairement qu'en cas de danger, on trouverait dans les arsenaux de l'Etat les armes nécessaires, et d'excellentes armes, pour armer tous les citoyens désireux concourir à la défense du pays.
Je croyais que, sur ce premier point, nous serions d'accord.
En second lieu, j'ai fait connaître, et l'honorable M. Goblet est de mon avis, que l'on croyait avoir trouvé un moyen qui permettrait à la garde civique de faire bon usage de ses armes, pour le tir à la cible, et même, en cas de besoin, si elle se trouvait dans la triste nécessité d'y recourir dans des circonstances graves.
Je demande ce que le gouvernement peut faire de plus. Il a fait remarquer que, comme les expériences officielles de la nouvelle invention n'étaient pas complètes, le moment n'était pas opportun pour demander un crédit ; il s'est empressé d'ajouter qu'après les expériences, on aviserait et que dans un très bref délai une solution définitive de la question serait proposée à la Chambre.
Il a dit que, dans le crédit à demander éventuellement, serait comprise une somme pour compléter l'armement des compagnies d'artillerie, celui des chasseurs-éclaireurs et même des compagnies de carabiniers qui pourraient se former.
J'ai encore dit ceci : Le gouvernement peut-il faire que l'on ait dans (page 687) les magasins de l'Etat, pour les mettre à la disposition de l'armée ou de la garde civique, un nombre de fusils plus considérable que celui que j'ai indiqué ? Evidemment non. Je suppose qu'on mette à notre disposition des millions pour faire avancer plus rapidement l'armement du pays, nous ne pourrions en disposer. Il est évident que l’on ne peut obtenir en Belgique plus de 10 à 11 mille bons fusils par année. Il est certain encore qu'en ce moment tous les armuriers de Liège ont des engagements qui leur permettraient difficilement de fabriquer des fusils pour le compte de l'Etat.
On propose de porter au budget une somme de 100,000 fr. La position qu'on nous fait est fort singulière. Le gouvernement a assez mauvaise grâce de refuser l'argent qu'on lui offre.
Hier je m'opposais à la création de fonctionnaires nouveaux qu'on voulait nous donner. Aujourd'hui je suis en quelque sorte forcé, non de m'opposer à l'amendement, car si la Chambre veut nous donner 100,000 francs, nous n'avons pas de raison de les refuser, mais de vous dire que je ne pourrais me prononcer aujourd'hui sur l'usage que j'en ferais.
Il faut d'abord que je sache quel est le résultat des expériences qui, je le répète, seront promptement faites.
J'espère que, dans cette circonstance, je ne devrai pas recourir à une commission. Je pense pouvoir assister moi-même à ces expériences. J'y invite l'honorable M. Jamar, l'honorable M. Goblet et l'honorable M. Van Humbeeck qui sont très capables de se prononcer dans la question. Nous constaterons ensemble les résultats de l'invention nouvelle et immédiatement après je prendrai une décision. Il est probable d'ailleurs que le crédit que j'aurai à demander ne sera pas de 100,000 fr., mais qu'il sera plus élevé. Je dirai alors quel est le crédit rigoureusement nécessaire et comment il sera dépensé.
Je crois qu'en présence de ces explications, les honorables membres, s'ils ont quelque confiance dans ce que je leur dis, pourraient retirer leur amendement.
M. Coomans. - Un mot de réponse à M. Orts.
J'ai gardé le souvenir, je ne suis pas le seul, je pense, du premier discours prononcé dans cette Chambre par l'honorable M. Orts, discours aussi remarquable que tous ceux qui ont suivi. Or, ce discours exprimait la pensée que je vous ai soumise et que M. Orts attaque aujourd'hui par oubli sans doute, à savoir qu'il y a entre l'organisation et le chiffre de l'armée d'une part, et l'organisation et le chiffre de la garde civique d'autre part, des relations intimes.
L'honorable membre alla jusqu'à dire que le peu de garde civique que nous avions à cette époque était un argument suffisant en faveur d'économies à opérer sur le budget de la guerre, lequel, remarquez-le, n'était alors que de 26 millions et demi.
Je suis bien persuadé que si l'honorable M. Orts s'était trouvé devant un ensemble de dépenses militaires s'élevant à 45 millions et demi par an, il aurait proposé de supprimer la garde civique ou tout au moins de n'en conserver pas plus qu'il n'en fallait pour avoir l'air de respecter la Constitution.
Or le langage que l'honorable membre tenait à cette époque, je le répète aujourd'hui ; nous sommes en présence de la réforme de nos lois de recrutement, réforme qui s'opérera, je l'espère, d'ici à 6 mois, selon la promesse du gouvernent et non d'ici à 6 ans, comme semble le croire l'honorable M. Orts.
L'honorable membre me dit : Mais dans votre système vous devriez nous appuyer et voter les 100,000 francs, puisqu'il s'agira d'armer la garde civique pour l'envoyer à la frontière avec la troupe contre l'ennemi.
L'honorable M. Orts suppose que mon système d'une armée de volontaires sera adopté ; il est clair que dans ce cas je voterai vos 100,000 fr. et des millions même pour la garde civique, mais l'honorable M. Orts ose-t-il me garantir l'adoption de mon système ?
M. Orts. - Il est bien entendu que je voterai contre.
M. Coomans. - Dès lors je suis obligé de voter contre vos 100,000 fr. Je le dois pour être logique, car si mon système est adopté, il restera 80,000 fusils pour la garde civique.
Il faut, messieurs, attendre la réorganisation promise et quand elle sera accomplie nous verrons ce que l'armée pourra céder de fusils à la garde civique.
M. Goblet. - Messieurs, en présence des déclarations formelles, positives de M. le ministre de l'intérieur, nous sommes disposés, mes honorables collègues et moi, à retirer notre amendement. Seulement qu'il me soit permis de constater une chose, c'est que si nous retirons notre amendement, c'est parce que ce n'est pas seulement dans le cas où les expériences réussiraient, que l'honorable ministre prend l'engagement de nous demander un crédit, c'est parce qu'il le fera dans toutes les hypothèses.
Eu un mot, je comprends que M. le ministre prend l'engagement d'inscrire au prochain budget un crédit pour l'armement de la garde civique, quelle que soit la solution pratique qu'il compte donner à cette question.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Nous sommes parfaitement d'accord, l'honorable membre et moi, sur la bonté probable du système nouveau ; je ne demande qu'une chose, c'est de pouvoir constater officiellement que ce système est bon. Néanmoins, si, par impossible, il était reconnu mauvais, il y aurait encore lieu de demander un crédit pour l'armement de la garde civique, spécialement pour compléter celui des compagnies de chasseurs-éclaireurs et de l'artillerie.
M. Orts. - Je déclare à l'honorable ministre de l'intérieur que je retire l'amendement parce que j'ai confiance dans la promptitude de la résolution qu'il annonce ; mais je maintiens mon droit de revenir sur la question à l'occasion du budget de 1863, qui doit être présenté dans un mois.
- L'article est mis aux voix et adopté.
« Art. 47. Frais de célébration des fêtes nationales : fr. 40,000. »
M. le président. - M. Coomans a proposé la suppression de cet article.
M. Coomans. - Messieurs, mes développements seront très courts. Ce n'est pas la première fois que j'exprime ici la pensée de l'amendement que je vous ai soumis.
Dès 1852 j'ai cru pouvoir engager le gouvernement et les Chambres à supprimer des fêtes qui, déjà tombées en désuétude dans nos villes de province, avaient dégénéré en réjouissances locales et ne s'accordaient plus avec la politique extérieure de la Belgique.
Mes premières tentatives ont échoué, je les renouvelle aujourd'hui avec l'espérance de les voir réussir à une époque où le besoin des économies est généralement senti et où tous les bons citoyens souhaitent voir s'achever le rapprochement intime et sincère de la Belgique et de la Néerlande.
L'entrevue des deux souverains à Liège est un nouvel et considérable argument en faveur de la mesure que je propose.
Messieurs, sont-ce bien des fêtes nationales que le budget paye ? Je ne le crois pas, malgré l'intitulé du chapitre VIII. Ce sont des fêtes bruxelloises, provoquant des manifestations plutôt bachiques que patriotiques.
Ces fêtes sont si peu nationales que le Roi et son auguste famille ont cessé depuis longtemps d'y assister.
- Plusieurs membres. - C'est une erreur.
- D'autres membres. - C'est vrai.
M. Coomans. - Je crois être sûr de ce que j'avance. Du reste vous me répondrez,
A tort ou à raison la dynastie des Nassau et le peuple hollandais considèrent ces fêtes comme un souvenir hostile et suranné d'une guerre presque civile. Leurs représentants officiels auprès de nous s'éloignent de Bruxelles, chaque année, à l'approche de ces fêtes.
J'ai la conviction profonde qu'aussi longtemps que nous les célébrerons, nous ne rétablirons pas avec nos anciens frères ces relations d'étroite amitié qu'il nous importe d'avoir avec eux.
- Un membre. - Le congrès a institué ces fêles.
M. Coomans. - Nous pouvons les supprimer tout aussi bien que nous avons supprimé le serment qui consacrait l'exclusion à perpétuité des Nassau de tout pouvoir en Belgique. Cet acte-là était plus grave que celui que je veux poser.
Je l'avoue franchement, ce sont des motifs politiques autant que des raisons d'économie qui me font désirer la suppression des fêtes de septembre.
Messieurs, nous pouvons très honorablement accorder cette marque de déférence à une nation de notre taille qui paraîtra l'avoir obtenue de notre estime plutôt que de notre faiblesse.
Des concessions de ce génie peuvent offrir des difficultés envers des puissances supérieures, mais entre égaux, elles sont toujours honorables.
Je n'en dirai pas davantage, si mon amendement n'est pas combattu.
M. Jamar. - Messieurs je ne m'étonne pas que la proposition de l'honorable M. Coomans n'ait pas été accueillie jusqu'ici par la Chambre ; j'ajoute que je suis convaincu que je n'aurai pas grande peine à défendre (page 688) le crédit, dont l'honorable M, Coomans nous propose aujourd'hui la suppression.
Supprimer les fêtes par lesquelles une nation célèbre chaque année l'anniversaire de son indépendance, est un acte que des raisons d'une gravité exceptionnelle peuvent seules légitimer.
Cependant si ces fêtes étaient un obstacle à ce que nos rapports avec «os voisins de Hollande devinssent plus intimes encore, à ce qu'une alliance plus étroite vînt réunir deux peuples qui, au premier rang de leurs plus glorieux souvenirs, placent cette lutte héroïque, qu'ils soutinrent ensemble au XVIème siècle sous le même drapeau, celui de la liberté, je n'hésiterais pas un instant à joindre ma voix à celle de l'honorable M. Coomans et à appuyer son amendement.
Mais, messieurs, il n'en est rien, et l'honorable membre s'abuse étrangement en attribuant à ces fêtes un caractère qu'elles ont cessé d'avoir depuis bien longtemps, si jamais elles l'ont eu.
La Hollande ne songe pas plus à voir une manifestation injurieuse à son égard, dans ces fêtes, que les Anglais n'en ont vu jusqu'à ce jour dans les fêtes par lesquelles les Américains célèbrent religieusement l'anniversaire de leur indépendance.
Américains et Belges, nous obéissons à un sentiment, que ne peuvent point apprécier ceux qui n'ont point courbé impatiemment la tête sous un joug étranger ; mais les Hollandais ont souffert avec nous de la tyrannie espagnole et ils ne sauraient se méprendre sur les sentiments qui nous animent.
Ils savent que pendant les trois siècles de servitude et de domination qui ont pesé sur nous, certes la moins impatiemment supportée était celle de la Hollande, dont la réunion nous offrait des avantages matériels immenses, qui cependant ne pouvaient nous faire oublier la perte de notre indépendance.
Mais que de misères, que de souffrances ne nous avait pas fait endurer la domination espagnole, autrichienne et française !
Nos pères se souviennent des crimes et des exactions sans nombre des commissaires républicains, confisquant la Belgique au mépris de leurs engagements solennels ; ils se souviennent mieux encore de l'empire français condamnant la Belgique, par le droit de la force, à sacrifier ses enfants et ses trésors à l'ambition insatiable d'un conquérant, dont le prodigieux génie n'a pu faire absoudre la mémoire par l'humanité outragée !
Et quand après tant de maux, tant d'humiliations, tant de ruines, le jour de la réparation arrive, quand la nationalité belge surgit de ce germe de liberté déposé dans le vieux et noble sol de nos anciennes communes belges, germe que trois siècles de servitude n'ont pu détruire, parce que de siècle en siècle, ou plutôt de jour en jour, le sang de nos pères le vivifie et le féconde, ne comprenez-vous pas la pensée qui inspire le Congrès national, quand il institue à l'unanimité les fêtes qui éterniseront la date de notre régénération politique ?
Le congrès national a voulu que la nation, comparant le passé sombre et le présent radieux, voyant chaque année ses institutions s'affermir, sa prospérité s'accroître, pût chaque année aussi témoigner sa reconnaissance à ceux dont le courage et la sagesse lui avaient donné ces biens si précieux : une patrie et la liberté.
Le congrès national a voulu surtout que, dans ces fêtes solennelles, le pays tout entier, dont le cœur alors bat à l'unisson, manifestât par tous les moyens dont il dispose son inébranlable volonté de conserver ces biens si longtemps attendus, si longtemps désirés.
Ah ! vous avez eu tort d'appeler ces fêtes des fêtes bachiques, et la réprobation de la Chambre ne s'est pas fait attendre.
Appelez-vous donc fêtes bachiques les fêtes de 1848 et celles de 1860 dans lesquelles tout un peuple, se pressant autour de son Roi, jure de mourir pour la liberté ?
Gardons-nous, messieurs, de supprimer ces fêtes, car elles sont une source féconde de grands et nobles sentiments, pleines d'émotions salutaires, qui élèvent l'âme du citoyen et qui impriment à la vie politique d'un peuple une grandeur et une force morale qui suppléent à l'exiguïté du territoire.
Quant à la Hollande, je le répète, elle ne se méprend pas sur les sentiments qui nous animent.
Quand l'inondation dévastait ses provinces, ne suivions-nous pas la marche du fléau avec autant d'anxiété que s'il s'agissait de nos propres concitoyens ?
N'applaudissions-nous pas à la conduite chevaleresque de son Roi exposant sa vie pour sauver celle de ses sujets ?
Ai-je besoin de rappeler combien dans cette enceinte, combien dans le pays tout entier, il y eut de spontanéité quand il s'agit de secourir les victimes de ce désastre ?
Et aujourd'hui même n'avons-nous pas appris que la Hollande, et son roi, inspirés par la même pensée, viennent à leur tour de témoigner la pitié sympathique qu'ils éprouvent en faveur des victimes de l'incendie de l'entrepôt d'Anvers
Comment s'appellent des peuples entre lesquels s'établissent de pareils rapports ?
Ils s'appellent frères, et rien ne pourrait arriver dans l'avenir à l'un qui laissât l'autre indifférent.
M. Rodenbach. - Messieurs, je regrette infiniment de devoir combattre mon honorable collègue qui a fait la proposition de supprimer nos fêtes nationales.
D'abord, messieurs, je ne pense pas que la Hollande trouve mauvais que nous fêtions l'anniversaire de notre glorieuse révolution.
Je n'en veux pour preuve que la rencontre affectueuse des souverains des deux pays à Liège dans une occasion récente.
L'honorable préopinant vient de rappeler que lors des inondations qui ont désolé dernièrement la Hollande, la Belgique a montré un généreux empressement à témoigner sa sympathie par des souscriptions.
Eh bien, messieurs, la Belgique a envoyé pour sa part 73,000 florins, alors que toute l'Europe n'a envoyé que 310,000 florins. C'est donc à peu près le quart pour la Belgique. Peut-on croire que la Hollande ne sache pas reconnaître les sentiments qui nous ont guidés dans ces circonstances ?
Je suis, messieurs, tout à fait contraire à cette opinion de l'honorable M, Coomans.
L'intention formelle du Congrès a été de fêter l'anniversaire de notre émancipation.
J'ai fait partie du Congrès comme quelques autres membres de cette assemblée, mais le nombre n'en est malheureusement plus considérable.
Il y a des fêtes nationales patriotiques en Angleterre, il y en a Amérique, il y en a également en Hollande et en Prusse, et nous qui avons reconquis la liberté en 1830, nous irions supprimer l'anniversaire de cette mémorable révolution qui nous a rendu une nationalité dont nous étions privés depuis plusieurs siècles !
Il y a aujourd'hui parmi nous des hommes jeunes ; il y en a aussi beaucoup d'un âge avancé. Eh bien, je suis sûr qu'il n'y aurait pas en tout 15 membres de la Chambre qui voteraient la suppression de nos fêtes.
Je pense cependant qu'on pourrait faire une meilleure répartition du crédit et accorder sur les 40,000 fr. quelque chose aux chefs-lieux des provinces. (Interruption.)
Je ne décide pas la question. Du reste, comme la révolution a commencé à Bruxelles, je pense que c'est la capitale qui doit en conserver la meilleure part.
- Plusieurs membres. - Aux voix !
M. le président. - Je mets aux voix le crédit de 40,000 francs.
- Plusieurs voix. - L'appel nominal.
Il est procédé à l'appel nominal.
85 membres y prennent part.
71 adoptent.
12 rejettent.
2 s'abstiennent.
En conséquence, le crédit de 40,000 francs est adopté.
Ont voté pour : MM. Orts, Pierre, Rodenbach, Rogier, Royer de Behr, Sabatier, Tack, Tesch, Thienpont, Van Bockel, Vanden Branden de Reeth, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Overloop, Van Renynghe, Van Volxem, Verwilghen, Crombez, Cumont, Dautrebande, de Baillet-Latour, de Boe, de Breyne, de Bronckart, de Brouckere, Dechentinnes, de Decker, de Florisone, de Gottal, de Lexhy, de Montpellier, de Moor, de Paul, de Pitteurs-Hiegaerts, de Ridder, de Rongé, de Terbecq, de Theux, Devaux, de Vrière, d'Hoffschmidt, Dolez, B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Guillery, Jamar, Landeloos, le Bailly de Tilleghem, Ch. Lebeau, J. Lebeau, Loos, Magherman, Moncheur, Moreau, Mouton, Millier, Nélis, Notelteirs, Nothomb, Orban et Vervoort.
Ont voté contre : MM. Snoy, Vander Donckt, Van de Woestyne, Wasseige, Coomans, Coppens, Debaets, de Man d'Attenrode, de Naeyer, de Ruddere de Te Lokeren, Kervyn de Lettenhove et Kervyn de Volkaersbeke.
Se sont abstenus : MM. de Liedekerke et de Mérode-Westerloo.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont priés de faire connaître les motifs de leur abstention.
(page 689) M. de Liedekerke. - Dès l'instant où l'on mettait la question sur le terrain politique, il devenait très difficile de pouvoir voter contre l'allocation qui était portée au budget. D'autre part, je crois que des questions politiques les plus sérieuses, les plus graves et les plus réfléchies militaient en faveur de la suppression du crédit alloué au budget. Par ces motifs je n'ai voté ni pour ni contre.
M. de Mérode-Westerloo. - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs que mon honorable collègue M. de Liedekerke.
« Art. 48. Tir national : fr. 25.000. »
M. le président. - Voici, messieurs, comment cet article serait libellé par suite des nouvelles propositions du gouvernement qui ont été soumises à l'examen de la section centrale :
« Art. 48 ? Tir national. § 1er. Subside pour la construction de cibles et l'encouragement des tirs en province ; subside pour frais d'établissement et de mise en train du tir de Bruxelles.
« Charge ordinaire : fr. 45,000.
« Charge extraordinaire : fr. 5,000.
« § 2. Frais de concours et d'expériences pour arrêter un type d'arme de guerre uniforme à indiquer aux sociétés de tir et aux compagnies spéciales de la garde civique, avec faculté de transfert au paragraphe premier, si ce crédit n'est pas absorbé par les frais de concours et d'expériences. Charge ordinaire : fr. 10,000. »
- L'article 48, ainsi libellé, est adopté.
« Art. 49. Médailles ou récompenses pécuniaires pour actes de dévouement, de courage et d'humanité ; impression et calligraphie des diplômes, frais de distribution, etc. : fr. 10,000. »
- Adopté.
« Art. 50. Pensions de 250 francs en faveur des légionnaires, des décorés de la croix de Fer et des blessés de septembre peu favorisés de la fortune ; subsides à leurs veuves ou orphelins ; charge extraordinaire.. 200,000.
« La somme qui, par suite des décès survenant parmi les pensionnés, deviendra, pour chaque exercice, sans emploi, sur le crédit de 200,000 francs, sera affectée :
« 1° A desservir de nouvelles pensions ;
« 2° A porter à 125 francs les pensions des veuves ;
« 3° A augmenter les pensions des décorés de la croix de Fer et des blessés de septembre non décorés, jusqu'à ce qu'elles atteignent le chiffre maximum de 1,200 francs ;
« 4° A augmenter les pensions des veuves de décorés de la croix de Fer et de blessés de septembre proportionnellement à l'augmentation qui sera accordée aux décorés et blessés, jusqu'au chiffre maximum de 400 fr. »
- Adopté.
« Art. 51. Subside au fonds spécial des blessés de septembre et à leurs familles ; charge extraordinaire : fr. 22,000. »
- Adopté.
(page 700) M. H. Dumortier. - Messieurs, le gouvernement et la Chambre sont vivement préoccupés de beaucoup de questions qui touchent aux intérêts de l'industrie. Ces questions sont constamment à l'ordre du jour dans cette Chambre, et je m'associe de grand cœur à cette constante sollicitude pour de grands intérêts.
Mais il ne faut pas que nos préoccupations pour certaines industries nous fassent perdre de vue les intérêts d'une autre source de la richesse publique, industrie plus importante que toutes les autres réunies ; je veux parler des intérêts de l'agriculture. Depuis que j'ai l'honneur de siéger dans cette enceinte, je regrette d'avoir entendu trop rarement parler de ces précieux intérêts. Je me permettrai de signaler à l'attention du gouvernement et de la Chambre quelques mesures qui les concernent.
D'abord, messieurs, j'exprimerai le désir de savoir s'il entre dans les intentions de M. le ministre de l'intérieur de s'occuper de la réforme du code rural et de soumettre à la Chambre un projet de loi sur cette matière. Les vols et les actes de déprédation qui se commettent dans les campagnes se multiplient de jour en jour.
Il est évident que cet état de choses est dû à l'inefficacité de la législation qui a pour objet la répression de ce genre de délits. Cette législation, vous le savez, messieurs, remonte à 1790, et depuis longtemps elle a cessé d'être encore en harmonie avec les besoins sociaux des temps modernes.
Les délits que notre Code pénal punit très sévèrement lorsqu'ils sont accompagnés de certaines circonstances aggravantes, telles, par exemple, que le concert arrêté entre ceux qui les commettent, n'entraînent que des peines insignifiantes lorsqu'ils tombent sous l'application du Code rural. Cette situation est d'autant plus grave, que le maraudage, comme le braconnage, est souvent la première école des voleurs.
Depuis 1830, et même depuis plus longtemps, en France comme en Belgique, on a maintes fois réclamé la réforme du Code rural. Je me souviens que M. le ministre de la justice ayant été interpellé en 1858 sur cette question a répondu en ces termes : « Je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir pour amener le plus tôt possible une réforme qui, je le reconnais, est demandée par tout le monde. »
Jusqu'à présent cependant nous avons vainement attendu un projet de loi sur la matière ; j'espère bien que la prochaine session ne se passera pas sans qu'un projet, nous soit enfin présenté.
En France, la révision du code rural est opérée en partie depuis longtemps. Du moins, lors de la discussion dans laquelle M. le ministre de la justice s'exprimait comme je viens de le rappeler, M. Lelièvre affirmait qu'en 1852, on était déjà occupé en France de la réforme de cette législation.
MjT. - La question est encore soumise au conseil d'Etat, et le rapport n'est même pas fait.
M. H. Dumortier. - Si M. le ministre de la justice est bien informé, il aura d'autant plus de mérite à prendre, en Belgique, l'initiative de la réforme que je sollicite.
La question, je le reconnais, n'est pas facile à résoudre ; mais je constate que le gouvernement et la législature ne s'occupent pas assez de ces matières.
Une loi sur la police sanitaire du bétail a été proposée en 1855 ; votée d'abord par la Chambre, elle a été amendée par le Sénat ; revenue à la Chambre, elle y a échoué à deux ou trois voix de majorité. Depuis lors il n'en a plus été question.
Cependant, messieurs, c'est une loi extrêmement importante pour l'agriculture, et il serait fort désirable qu'elle nous fût présentée de nouveau en attendant la révision du code rural.
Dans le même ordre d'idées, permettez-moi de signaler encore un autre point ; je veux parler des réformes à introduire dans la police rurale, et particulièrement dans le corps des. gardes champêtres. Tout le monde et particulièrement les conseils provinciaux ont constaté l'urgence des réformes à introduire en cette matière. Les gardes champêtres, dans la plupart des communes, ne reçoivent pas une rémunération suffisante pour les services qu'ils sont appelés à rendre.
Leurs traitements sont tout à fait secondaires ; ces modestes fonctionnaires n'ont pas de promotion à espérer. Leur situation est tellement précaire, qu'ils sont souvent obligés de travailler pour se mettre à l'abri des besoins les plus indispensables de la vie.
Il en résulte un grand dommage non seulement pour les récoltes, mais encore pour la police en général ; aussi voyons-nous que les grands coupables en France comme en Belgique ne vont pas se cacher dans les grandes villes, ils se réfugient dans les villages, où ils parviennent à se soustraire aux recherches de l'autorité,
Si la police était mieux faite dans les villages, on ne verrait pas les grands coupables rester si longtemps impunis.
Je passe à un autre point. Le gouvernement a envoyé, il y a quelques années, aux conseils provinciaux un projet de loisir la police des cours d'eau. Je n'ai pas besoin de dire combien cette mesure était utile, indispensable, c'était le complément du projet de loi sur la voirie vicinale. Il n'en a plus été question depuis ; les conseils provinciaux ne lui ont pas donné une adhésion unanime ; je dois dire qu'à mon avis, il n'était pas de nature à pouvoir être admis par la législature. Il tranchait sans nécessité la question de la propriété des cours d'eau.
Le gouvernement aurait voulu faire décider que tous les cours d'eau font partie du domaine public, c'est un principe impossible à admettre ; la jurisprudence des cours comme la doctrine des jurisconsultes qui font autorité en ces matières se sont souvent prononcées en ce sens, que les cours d'eau non navigables ni flottables n'appartiennent pas au domaine public, mais aux riverains. (Interruption.)
Je ne puis pas accorder à M. le ministre que la jurisprudence est fixée dans le sens contraire ; mais alors même qu'elle serait fixée, il devenait parfaitement inutile d'agiter cette question de propriété, puisque la loi n'avait pour but que d'en régler l'usage, la police.
Quand on s'est occupé des chemins vicinaux, a-t-on décidé la question de propriété ? En aucune façon, et l'on a agi sagement.
En décidant que la propriété des cours d'eau n'appartient pas aux riverains, vous souleviez une foule de contestations qui dans la pratique rendraient l'exécution d'une pareille loi souvent très problématique.
Mieux vaudrait, c'est l'avis du conseil d'agriculture qui a rejeté à l'unanimité le projet présenté par le gouvernement, en revenir à un système où l'on ne s'occupât pas de la propriété des cours d'eau.
Je désirerais que le gouvernement voulut bien s'occuper de nouveau de cette question ; elle est très urgente.
Messieurs, le comice agricole de Courtrai a soulevé la question de savoir s'il ne serait pas fort utile d'appliquer aux domestiques et aux ouvriers agricoles les lois et règlements qui astreignent les domestiques des villes et les ouvriers de l'industrie à se munir de livrets.
Cette question a été soumise à un très long examen ; le conseil supérieur d'agriculture a pensé que ce serait là une mesure éminemment utile ; elle est d'autant plus indispensable que, dans les communes limitrophes de la France surtout, les domestiques ruraux se conduisent souvent à l'égard de leur maître, de façon à ne pas mériter la sympathie et le salaire qu'on leur accorde.
Au moment de la moisson, après avoir été bien traités pendant dix mois, quand le fermier a le plus besoin d'eux, ils se coalisent souvent, et quittent leur maître ou ils exigent des salaires exagérés. S'ils étaient soumis aux mêmes obligations que les ouvriers de l'industrie, ces inconvénients ne se présenteraient pas.
Les fermiers qui prendraient ces ouvriers à leur service sauraient à qui ils ont affaire, tandis que la plupart du temps ils emploient des gens qu'ils ne connaissent pas et qui sont parfois même des malfaiteurs.
C'est ce qui n'existe pas en France. Dans ce pays, les ouvriers et les domestiques ruraux comme les ouvriers et les domestiques des villes, sont astreints au livret.
Je crois qu'il serait d'autant plus utile que le gouvernement voulût donner suite à cette demande, qu'il est décourageant pour les comices et les sociétés d'agriculture de se voir demander par le gouvernement des avis et des rapports sur beaucoup d'objets auxquels il n'est souvent donné aucune suite.
J'ai entendu plus d'une fois dire par des membres des comices agricoles, que puisque le gouvernement ne donnait souvent pas de suite aux renseignements et avis fournis par les comices, ils ne comprenaient pas l'utilité de ces institutions.
Je ne m'étendrai pas davantage sur cet objet qui a cependant, eu égard aux intérêts auxquels ils se rapportent une importance incontestable.
Je dois aussi appeler l'attention du gouvernement sur les énormes pertes essuyées par l'agriculture par suite des épizooties. Les maladies contagieuses du bétail ne diminuent guère dans le pays. Le gouvernement qui accorde une indemnité fort insuffisante pour les animaux abattus a cependant payé de ce chef en 1859 une somme qui n'est pas moindre de 200 mille fr. Il arrive que ces épizooties, et particulièrement la (page 701) pleuropneumonie se propagent parce que les fermiers dont les bêtes sont atteintes de ce mal ne font pas à temps leur déclaration.
Le gouvernement a publié une circulaire dans laquelle il a eu le tort de ne pas faire mention de l'article 459 du Code pénal ; beaucoup de cultivateurs pensent que cet article était tombé en désuétude et qu'en négligeant de faire leur déclaration, ils ne s'exposaient pas aux pénalités qu'il commine.
L'article 459 est cependant toujours en vigueur ; il importe que les cultivateurs le sachent.
Je ne m'étendrai pas davantage sur ce point ; je sais que d'autres membres se proposent d'en entretenir la Chambre.
Je dois cependant ajouter un mot. On signale comme une des causes qui continuent à propager les maladies contagieuses parmi le bétail le défaut d'une police convenablement organisée au marché de bétail de Malines.
Il y a à Malines un très grand marché ; le bétail qui y arrive vient en majeure partie de la Hollande ; il a été constaté que c'est surtout par l'introduction de ce bétail hollandais que la pleuropneumonie se propage en Belgique.
Le conseil supérieur d'agriculture et d'autres autorités l'affirment ; je ne veux pas entrer davantage dans ces détails pour ménager les moments de la Chambre.
Je terminerai ces quelques observations en appelant l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur la question de savoir s'il n'y aurait pas moyen de travailler à la création d'institutions qui auraient pour objet de développer le crédit agricole ?
La Chambre et le gouvernement ont beaucoup fait pour le commerce. La création de la Banque Nationale, entre autres, ne cesse de rendre les services les plus signalés au commerce et à l'industrie. L'agriculture ne participe que fort indirectement à ces bienfaits. Je conviens au reste volontiers, qu'en créant la Banque Nationale, il eût été difficile de mettre entièrement sur la même ligne le commerçant, l'industriel et le cultivateur ; les transactions auxquelles donne lieu l'agriculture se produisent dans de circonstances qui diffèrent de celles où se pratiquent les affaires industrielles et commerciales ; cependant, messieurs, que voyons-nous ?
La grande ressource du crédit n'existe souvent pas pour le fermier, alors même qu'il présente autant de conditions d'honnêteté et de solvabilité que le marchand. Tandis que celui-ci trouve facilement et constamment de l'argent disponible, le cultivateur n'est que trop souvent obligé de passer par de dures conditions pour se procurer quelques sommes relativement peu importantes, soit pour payer son fermage ou pour acheter du bétail ; il est alors obligé de vendre ses denrées dans des moments où les prix sont très défavorables et de subir ainsi un grand préjudice.
Le gouvernement devrait rechercher s'il n'existe pas un moyen, au moins dans certaines limites et sous certaines conditions, de faire participer le fermier, comme le commerçant et l'industriel, aux bienfaits du crédit.
Il existe une organisation du crédit agricole en Ecosse, en Amérique et dans certaines contrées de l'Allemagne, particulièrement dans les provinces rhénanes. Dans ces pays on voit fonctionner de petites banques agricoles parfaitement organisées et qui rendent les plus grands services à l'agriculture.
La possibilité d'une organisation du crédit agricole a été reconnue et préconisée dans cette Chambre par des hommes dont les opinions ont une grande autorité en matières financières.
En relisant, il y a quelques jours, la belle discussion à laquelle a donné lieu, dans cette enceinte, la création de la Banque Nationale, j'ai remarqué que l'honorable comte Le Hon s'exprimait en ces termes :
« Un cultivateur exploitera avec soin des terres prises en bail ; il aura un nombreux bétail dans ses étables ; il justifiera d'une gestion intelligente et d'une réputation de probité. Acceptera-t-on sa signature dans les limites les plus restreintes de son crédit ? Consentira-t-on à escompter une de ses valeurs à Bruxelles ?
« Voilà le mal auquel les comptoirs d'escompte ont trouvé un remède en France. L'agriculture a été admise dans les opérations de crédit. Elle doit cet avantage, nouveau pour elle, à l'organisation des comités. »
Eh bien, si déjà à cette époque les comptoirs d'escompte avaient trouvé un remède à cette situation en France, je ne vois pas pourquoi il serait impossible d'en trouver un en Belgique.
Messieurs, je me bornerai, pour le moment, à ces observations en faveur d'intérêts qui nous sont chers à tant de titres. J'espère que M. le ministre de l'intérieur marquera son passage aux affaires en réalisant quelques-unes des mesures que je viens d'indiquer et qui sont de nature à exercer une heureuse influence sur la situation de l'agriculture et la position si digne d'intérêt de nos cultivateurs.
(page 689) M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Comme le gouvernement a été interpellé au sujet de la réforme de la loi rurale et que mon département s'occupe de cet objet, je répondrai quelques mots à l'honorable préopinant.
Des commissions provinciales chargées d'examiner cette partie de notre législation ont été nommées par le ministère précédent ; on a nommé une commission par province, chargée de s'occuper de toutes les modifications à apporter à la loi rurale.
Dès mon entrée au ministère, j'ai cherché à réunir les travaux de ces commissions. J'ai prié les gouverneurs de m'adresser les projets qui avaient été élaborés. Malgré mes instances, il y a encore aujourd'hui trois provinces qui ne m'ont pas envoyé leur travail, et je désespère réellement de l'obtenir.
Messieurs, j'ai chargé mes bureaux d'examiner tout ce qui a été fait par les différentes provinces, de résumer et de coordonner les travaux et de préparer un projet de loi.
Dès que ce projet sera rédigé, il est probable qu'une commission sera nommée pour l'arrêter définitivement, et alors la Chambre pourra en être saisie.
L'honorable membre comprendra, du reste, que quand même un projet serait prêt à être déposé, il serait impossible à la Chambre de s'en occuper en ce moment ; mais c'est un objet qui n'est pas perdu de vue.
Je cherche à m'entourer de tous les renseignements possibles ; et je dirai qu'il n'y a rien d'arrêté à cet égard en France. J'ai lu, comme plusieurs d'entre vous, qu'un projet était définitivement arrêté par le conseil d'Etat en France et qu'il allait être proposé à la Chambre. J'ai prié notre ministre à Paris de me procurer ce document. Il m'a répondu qu'il n'y avait rien d'arrêté, qu'aucun projet n'était encore terminé au point de pouvoir être soumis à la législature.
Il y a quelques jours, j'ai vu qu'un projet de loi était présenté à la chambre prussienne. Je me procurerai ce document.
Cette question, comme on le voit, n'est pas perdue de vue à mon département et j'espère pouvoir déposer un projet de loi, lorsque la Chambre sera en mesure de l'examiner.
- La séance est levée à cinq heures.