(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)
(page 569) (Présidence de M. Vervoort.)
M. de Moor, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Boe, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Des habitants de Liège demandent la division de la garde civique en deux bans. »
M. Van Humbeeck. - Cette pétition, si j'en ai bien compris l'analyse, est relative à une question de réorganisation de la garde civique. Cette question étant examinée dans le rapport de la section centrale qui a examiné le budget de l'intérieur, je crois qu'il y a lieu d'ordonner le dépôt de la pétition sur le bureau pendant la discussion de ce budget.
- Cette proposition est adoptée.
« Le sieur De Smet prie la Chambre de s'occuper de sa pétition ayant pour objet l'ouverture d'un chemin vicinal supprimé dans la commune de Moen. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Liège demandent qu'il soit alloué des fonds pour améliorer l'armement de la garde civique. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.
« Le sieur Michel Kieffer, fabricant de tabac, à Etalle, né à Eich (Grand-Duché de Luxembourg), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Le sieur Le Lorain réclame l'intervention de la Chambre pour que le juge d'instruction ne fasse plus subir à son fils des interrogatoires sur des faits étrangers au délit qui a motivé sa comparution devant ce magistrat et demande qu'il lui soit fait remise d'une amende prononcée contre lui pour refus de donner son témoignage. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des élèves de rhétorique latine présentent des observations sur l'application qui a été faite, aux mois d'août et de septembre, de la loi concernant les examens de gradué en lettres. »
- Même renvoi.
M. Van Humbeeck. - J'ai l'honneur de présenter le rapport de la section centrale qui a examiné le budget des travaux publics pour l'exercice 1862.
- Ce rapport sera imprimé et distribué et le budget porté à l'ordre du jour.
M. Rodenbach (pour une motion d’ordre). - Messieurs, la Chambre a ordonné hier le renvoi à la commission des pétitions d'une requête d'artistes belges, demandant que les œuvres d'art destinés à figurer à l'exposition de Londres, soient soumises à un jury nommé entièrement par les artistes, en dehors de toute influence gouvernementale.
Si l'honorable M. Dumortier n'avait été retenu hier chez lui par une indisposition, il aurait demandé que la commission des pétitions fût invitée à faire un prompt rapport sur cette pétition. J'ai l'honneur, messieurs, d'en faire aujourd'hui la demande en son nom.
M. le président. - Cette demande sera communiquée à la commission des pétitions.
M. Moncheur. - J'avais demandé la parole hier, à la fin de la séance, pour répondre quelques mots à MM. les ministres de l'intérieur et des affaires étrangères. Peu d'instants m'auraient suffi à cet effet ; c'est vous dire, messieurs, que je serai très bref aujourd'hui.
Je ne puis laisser passer sans réponse la théorie qui a été préconisée hier par M. le ministre de l'intérieur, concernant la nomination des membres des collèges échevinaux.
J'avais fait, messieurs, un grief au prédécesseur de M. le ministre de l'intérieur actuel de n'avoir tenu aucun compte du vœu électoral dans la nomination des trois échevins de Namur. Je lui avais reproché de n'avoir obéi, dans cette circonstance, qu'à l'idée politique et d'avoir ainsi placé les intérêts de parti au-dessus des intérêts administratifs. Que m'a répondu M. le ministre de l'intérieur ? Il m'a dit ceci : « Les anciens titulaires ont été renommés et ils appartiennent à la majorité du conseil communal, donc, les exigences administratives et les exigences politiques sont satisfaites. »
Je fis, à l'instant, à M. le ministre l'observation : qu'il y a dans le conseil communal, une forte minorité qui n'est pas représentée dans le collège échevinal. A quoi M. le ministre répliqua : « Je demanderai à l'honorable membre si, dans son opinion, la minorité devrait être représentée dans le cabinet. »
Eh bien, messieurs, il est évident que cette réponse confirme mes griefs et prouve qu'ils étaient réellement fondés.
En effet, ils prouvent que le ministère entend mettre de la politique partout, même dans les collèges échevinaux de tout le pays. Il en résulterait que tous les conseils communaux deviendraient autant de petits corps politiques dans lesquels il n'y aurait que des vainqueurs et des vaincus.
Or, ce serait là la ruine de la paix publique, du repos et de la bonne entente des citoyens entre eux. Ce serait en outre la ruine de toute bonne administration.
Il est inutile de faire remarquer qu'il n'y a aucune espèce de comparaison à faire entre les collèges échevinaux et le cabinet. Les travaux beaucoup plus modestes des collèges échevinaux consistent à administrer les affaires de la commune sous la tutelle de la députation et du gouvernement. Y a-t-il la moindre analogie entre cette besogne et la mission du cabinet qui dirige les affaires de l'Etat ?
Dira-t-on qu'il faut de l'homogénéité dans les collèges échevinaux comme dans le ministère ? Ce serait là, qu'on me permette de le dire, une chose très ridicule. Est-ce que le collège échevinal a des professions de foi homogènes à faire, des programmes à présenter, des discours du trône au petit pied à rédiger et à prononcer ?
Non, leur travail est un simple travail d'administration, et, certes, une petite divergence d'opinion n'est pas sans utilité dans le sein d'un collège échevinal.
Est-ce que le vote qui peut toujours avoir lieu après chaque délibération n'établit pas l'unité de décision ? Est-ce que le bourgmestre n'a pas toute la police dans ses attributions ?
Je dis donc que ce qui doit présider au choix des magistrats de la commune, ce n'est pas une idée politique, une idée d'exclusion quant aux membres ayant une opinion autre que celle de la majorité, mais une idée de conciliation et surtout de satisfaction à donner au vœu des électeurs.
D'ailleurs, n'arrive-t-il pas souvent que les hommes qui vivent éloignés les uns des autres, n'éprouvent aucune sympathie mutuelle, tandis qu'ils finissent par s'entendre, lorsqu'ils ont travaillé quelque temps ensemble et qu'ils ont cherché à atteindre le même but par des efforts communs ?
Je ne puis donc que protester contre l'idée de constituer à priori de petits corps politiques et soi-disant homogènes en guise de collèges échevinaux sur la surface du pays tout entier.
M. le ministre de l’intérieur, auteur de la nomination des échevins de -Namur, disait, en m'interrompant, à peu près ceci : « De quoi vous plaignez-vous ? Ai-je commis des éliminations à Namur ? J'ai renommé pour échevins ceux qui l'avaient été auparavant. Et il m'a suffi de les retrouver dans le conseil communal après les élections pour me croire obligé de leur conserver les fonctions dont ils étaient investis avant les élections. »
Mais, messieurs, si c'est là la règle, le principe qu'a suivi M. le ministre à l'égard des anciens échevins de Namur, s'il a suffi à ses yeux que ces derniers eussent été réélus du conseil communal pour qu'ils dussent équitablement et pour ainsi dire, nécessairement être renommés membres du collège échevinal, je demanderai à M. le ministre ce qu'il a fait de cette règle et de ce principe dans une infinité d'autres cas où il a retrouvé également d'anciens échevins et d'anciens bourgmestres dans le conseil communal, mais où il les a très lestement éliminés ? Or, ces cas sont nombreux.
(page 570) L'honorable M. Dechamps nous a notamment cité l'arrondissement de Charleroi, où sur quinze bourgmestres dix ont été éliminés pour cause politique et quoiqu'ils réunissait toutes les conditions nécessaires pour continuer à remplir dignement le mandat qui leur avait été conféré antérieurement.
Cette règle, messieurs, le gouvernement ne l'a suivie que lorsque les personnes lui plaisaient ; mais, dès que les personnes ne lui plaisaient plus, la règle devenait nulle et le principe était abandonné ; on avait donc deux poids et deux mesures.
Il ne suffisait plus alors au gouvernement de retrouver les anciens titulaires pour les renommer...
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - On préfère ses amis. Vous comme nous ; vous le prouvez bien.
M. Moncheur. - A entendre l'honorable ministre des affaires étrangères, il n'y aurait réellement en Belgique que des amis et des ennemis, que des amis du ministère et des ennemis du ministère. Cette persistance à diviser le pays en deux camps est déplorable. Eh ! mon Dieu, vous avez dans le pays, et notamment dans les conseils communaux, un grand nombre de citoyens qui ne sont ni vos amis ni vos ennemis, mais qui veulent sincèrement, énergiquement le bien-être, l'ordre et la prospérité de leurs concitoyens.
Or, lorsque le vœu de la commune s'est manifesté d'une manière évidente et par la voie toute légale, toute pacifique des élections, l'intérêt de la concorde dans une commune, l'intérêt de sa bonne administration exigent que vous fassiez la part de cette manifestation.
J'ai cité un fait qui prouve que l'oubli de cette règle amène des résultats déplorables. J'ai dit que l'état violent qui existe aujourd'hui dans le conseil communal de Namur provient sans doute de ce que le gouvernement a blessé le sentiment de la majorité des électeurs en ne tenant aucun compte de la signification de leur vote. On n'a rien répondu à cela.
Messieurs, je conçois que la nomination périodique de tous les bourgmestres et de tous les échevins du pays soit pour le gouvernement une tâche excessivement difficile ; mais cette tâche le gouvernement la rend bien plus difficile encore et bien plus périlleuse qu'elle ne devrait l'être, en se rendant accessible à toutes les obsessions qui d'ordinaire l'assiègent à cette occasion.
Il me semble, messieurs, qu'il y aurait un moyen très simple, très sage et très prudent d'alléger cette tâche et de diminuer beaucoup le nombre des fautes lourdes que le gouvernement commet dans la nomination des bourgmestres et échevins, ce serait de s'en rapporter davantage qu'il ne le fait aux avis de ses agents locaux, et surtout de son agent principal dans chaque province. Evidemment les gouverneurs connaissent beaucoup mieux les nécessités et les convenances locales, que ne peut les connaître le chef du département de l'intérieur au point de vue des administrateurs communaux.
Quant à moi, messieurs, je me suis souvent demandé comment il se fait que l'on ait cru devoir attribuer au Roi la nomination non seulement des bourgmestres, mais encore des échevins. Je trouve que la désignation des échevins, à faire parmi les membres du conseil communal, aurait fort bien pu être déférée, par délégation, au gouverneur de la province.
En France la nomination des maires appartient aux préfets.
J'irai plus loin et je dirai qu'excepté pour les villes, la nomination du bourgmestre lui-même, faite, bien entendu, dans le sein du conseil, serait peut-être plus convenablement déférée aux gouverneurs qu'au Roi.
- Plusieurs membres. - Du tout ! Du tout !
M. Muller. - On ferait des potentats.
M. Moncheur. - Je trouve que nos gouverneurs de province méritent bien autant de confiance que les préfets en France.
M. Crombez, M. Goblet et M. Guillery. - Nous ne voulons pas de préfets.
M. Moncheur. - Vous avez des gouverneurs.
- Plusieurs membres. - Ce ne sont pas des préfets.
M. Moncheur. - J'exprime une opinion ; vous pouvez ne pas la partager, mais je suis tellement frappé des inconvénients que le système actuel offre, surtout comme il est pratiqué, que de deux maux je prèfererais celui que vous redoutez, mais qui, à mon avis, est exagéré.
En effet, je pense que l'esprit de parti ne se ferait pas jour avec autant de force dans ce système que dans ce qui existe ; la responsabilité des choix pèserait beaucoup plus fortement sur l'agent local qui les ferait qu'elle ne pèse sur le ministre de l'intérieur qui est dans une sphère beaucoup plus élevée, quoique très accessible aux intrigues.
La députation permanente et le conseil provincial seraient certainement une garantie très efficace contre les allures de potentats.
Dans tous les cas, voilà ce qu'engendrent les griefs réels qui se produisent à la suite d'un système, c'est que l'on en cherche un autre quelconque qui n'offre pas les mêmes inconvénients.
On a parlé hier d'un autre système plus radical ; ce serait de déférer la désignation du bourgmestre au conseil communal lui-même, comme cela a déjà eu lieu. C'est là un système à examiner, et que je ne récuse pas.
Au surplus, pour tirer un parti convenable de la loi actuelle, il faudrait du moins, comme je le disais tout à l'heure, que le gouvernement ne déviât qu'excessivement rarement des présentations faites par les gouverneurs ; cet usage diminuerait de beaucoup les recommandations, les obsessions et les intrigues qui assaillent le ministre et qui l'exposent à mille dangers, et pour que mes paroles aient quelque chose de pratique, je me permets de lui conseiller cet usage d'une manière aussi sincère que désintéressée.
- M. E. Vandenpeereboom remplace M. Vervoort au fauteuil.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, hier l'honorable député de Malines reprochait à l'ancien ministre de l'intérieur d'apporter un esprit exclusif dans la nomination des magistrats municipaux. Il lui reprochait d'éliminer des magistrats qui avaient obtenu la majorité des votes dans le scrutin électoral.
Ne connaissant pas à quelles communes l'honorable orateur faisait allusion, je ne lui ai pas répondu. Mais, d'un autre côté, son honorable ami, permettez-moi de me servir de cette expression, son honorable collègue, député de Namur, vient reprocher au gouvernement de n'avoir pas éliminé des magistrats municipaux qui avaient obtenu les suffrages des électeurs.
M. Vanden Branden de Reeth. - J'ai dit trois fois le contraire.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Vous avez reproché au gouvernement d'avoir éliminé les magistrats communaux qui avaient été réélus ; d'un autre côté, l'honorable député de Namur reproche au gouvernement d'avoir maintenu des magistrats communaux qui avaient été réélus. l'honorable M. Vanden Branden de Reeth est donc en contradiction flagrante avec l'honorable M. Moncheur, et il serait très difficile de plaire à l'un sans déplaire à l'autre.
Messieurs, quand les échevins de Namur ont été réélus à la suite d'une lutte assez vive, je n'ai pas hésité à proposer leur maintien à la signature du Roi, parce que ces échevins, au point de vue administratif, avaient bien rempli leurs fonctions, parce qu'au point de vue politique, ils convenaient au cabinet.
Nous ne devons pousser le sentimentalisme de la modération jusqu'à la dissimulation, et je n'étonnerai personne en disant avec franchise que lorsque, dans le choix des magistrats communaux, nous nous trouvons en face de nos amis politiques, en face d'hommes qui soutiennent la politique du gouvernement, nous leur donnons la préférence sur nos adversaires.
Je n'entends pas que le pays doive nécessairement être divisé en amis et en ennemis ; je suis très porté à la conciliation, mais vous ne pouvez nier que sur le terrain politique, il n'y ait des amis et des ennemis, et vous le prouvez assez tous les jours.
Eh bien, quand le gouvernement a le choix entre ses partisans et ses adversaires, il serait peu sérieux s'il venait vous dire qu'il ne leur donne pas la préférence sur ses adversaires.
Si, dans quelques circonstances et dans quelques arrondissements, le gouvernement s'est montré plus rigide que dans d'autres circonstances et dans d'autres arrondissements, c'est parce que, dans les premiers arrondissements, nos prédécesseurs, ceux que nous appelions nos adversaires sans attacher à cette expression aucun caractère odieux, avaient eu soin de nommer au sein des administrations communales un très grand nombre de leurs partisans, que, par le jeu naturel de nos institutions, à la suite de nouvelles élections, il y a eu réaction dans ces communes, et que le nouveau ministère qui représente de nouvelles opinions au pouvoirs donne nécessairement la préférence aux élus qui appartiennent à ces opinions.
On m'a reproché assez souvent de ne pas aller aussi loin sous ce rapport que nos adversaires, d'avoir beaucoup plus ménagé l'opinion adverse que notre opinion n'avait été ménagée par elle. Je ne sais jusqu'à quel point j'ai mérité ce reproche ; mais ce que je sais, c'est que dans beaucoup de communes, où les élections n'ont pas un caractère politique, j'ai maintenu en fonctions un très grand nombre de bons administrateurs qui n'appartenaient pas à la nuance politique du gouvernement.
Messieurs, on nous a dit que la manière dont le gouvernement usait de sa prérogative en nommant les magistrats municipaux donnait lieu à de si grands abus qu'il ne serait pas impossible qu'on nous proposât une réforme.
l'honorable M. Dechamps nous a parlé de la nécessite de désarmer le pouvoir de la nomination des bourgmestres et échevins.
(page 571) L'honorable député de Namur nous a proposé de remettre la nomination des bourgmestres et échevins aux gouverneurs.
Messieurs, ce n'est point par un désir immodéré de faire des nominations que le gouvernement croit devoir défendre et maintenu le système actuel.
Sans doute si l'on pouvait débarrasser le ministère de l'intérieur du soin de faire les nominations des échevins et même des bourgmestres pour un grand nombre de communes, on lui rendrait, je crois, un service signalé. Je ne sache pas qu'il y ait dans l'administration un genre d'affaires qui impose au ministre plus de préoccupations et plus de tracas.
A ce point de vue il n'y aurait pas de difficulté ; mais à un autre point de vue je demanderai à l'honorable M. Moncheur, si dans le cas où son système viendrait à prévaloir, dans le cas où l'on remettrait la nomination des bourgmestres et des échevins, aux gouverneurs...
M. Moncheur. - Ou au conseil communal.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - ... si dans ce cas, il consentirait à admettre ce principe que les gouverneurs représentassent fidèlement la pensée du gouvernement.
M. Moncheur. - Je le veux bien.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Il est évident que s'il ne l'admettait pas, le gouvernement pourrait dans plusieurs circonstances voir effectuer par les gouverneurs des choix entièrement contraires à ses vues et à sa politique.
Si vous admettez que le gouverneur soit la représentation fidèle du gouvernement, je conçois jusqu'à un certain point que vous lui attribuiez les mêmes pouvoirs qu'au ministre pour l'accomplissement de certains actes.
L'honorable M. Dechamps veut autre chose. Il voudrait que le conseil communal lui-même fît la nomination de cette partie du pouvoir exécutif dans la commune qui s'appelle le collège échevinal.
On disait hier que l'esprit politique pénétrait partout, que certains conseils communaux éliminaient sans pitié dans les nominations tout ce qui avait un caractère politique contraire à l'esprit de la majorité du conseil communal, et notamment pour les bureaux de bienfaisance.
Le procédé de l'honorable M. Deschamps exclura-t-il tout esprit de parti de la nomination des bourgmestres et échevins, lorsqu'il aura remis ces nominations à ces mêmes conseils communaux auxquels on reproche aujourd'hui d'abuser de leur majorité pour exclure des bureaux de bienfaisance des administrateurs qui n'ont aux yeux du conseil communal d'autre défaut que celui de ne pas représenter ses opinions ? Lorsqu'il aura fait cela, aura-t-il fait cesser l'abus dont on se plaint ?
Je crois que beaucoup de ces questions perdraient de leur gravité et exciteraient bien moins de passions si un état de choses que j'appelle de tous mes vœux venait à se réaliser.
Il y a des partis dans le pays et ces partis étendent aujourd'hui leurs ramifications jusqu'au fond de nos plus humbles communes.
C'est un état de choses fâcheux, a-t-on dit hier.
Un honorable membre, député de Malines, ayant rencontré un habitant de la campagne...
- Une voix. - Plusieurs habitants...
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). -... lui demanda ce que c'était qu'un libéral et ce que c'était qu'un catholique.
L'habitant de la campagne lui répondit : «Le libéral c'est l'ennemi du curé, et le catholique c'est l'ami du curé. »
Eh bien, messieurs, en fait, la définition est exacte : dans les campagnes, le libéral est l'adversaire du curé et le catholique est l'ami du curé. Mais, du curé, à quel point de vue ? J'ai, moi aussi, rencontré bien souvent, dans mes tournées administratives, des gens de la campagne ; j'ai causé avec beaucoup de paysans ; j'ai visité beaucoup de communes, et, d'ordinaire, la première question que je posais en arrivant dans une commune, était celle-ci :
« Comment marchent les affaires dans cette commune, comment s'entend-on ? - Parfaitement bien, monsieur, me répondait-on parfois ; nous sommes tous d'accord ; nous vivons dans la meilleure entente avec M. le curé. - Mais, dans les élections ? - Ah ! le curé ne s'en mêle pas : de manière que chez nous tout marche pour le mieux ; il y a le plus parfait accord sous tous les rapports et tous nous aimons notre curé. »
Là, messieurs, je n'ai dont pas rencontré ces ennemis du curé dont a parlé l'honorable représentant de Malines.
M. Vanden Branden de Reeth. - Je faisais surtout allusion aux populations des communes flamandes ; et celles-là je ne crois pas que vous les ayez interrogées.
M. le président. - Pas d'interruption, s'il vous plaîit.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - J'ai posé le mêmes questions dans des communes flamandes aussi bien que dans des communes wallonnes, et je sais que, de part et d'autre, on est arrivé dans plusieurs localités à cet état de choses très favorable où le curé n'intervient plus dans les élections et où le plus parfait accord règne dans la commune, ou tout le monde est l'ami du curé, où le curé n'a pas d'ennemis.
Il serait extrêmement à désirer qu'il en fût de même dans tout le pays. Quant à moi, je déplore ces luttes qui se propagent, qui s'accroissent au sein de beaucoup de nos communes. Ce que tous nous devrions désirer, c'est que, dans les communes, chacun fît ses affaires ; que le bourgmestre administrât la commune et que le curé remplît ses devoirs de prêtre dans son église. Mais aussi longtemps que vous aurez dans les communes deux partis dirigés, l'un par le bourgmestre, l'autre par le curé, vous aurez inévitablement les amis et les adversaires du bourgmestre, les amis et les adversaires du curé. Et il y a là, messieurs, un danger pour le clergé belge au point de vue de son influence. Le clergé, dans beaucoup de communes, n'a plus affaire à une paroisse unie, mais à une paroisse divisée. On est et on se proclame l'adversaire du curé, cela est très grave ; car aujourd'hui on est adversaire du curé sur le terrain politique, et demain on peut devenir son adversaire sur le terrain religieux. Alors, ces luttes prennent un tout autre caractère, un caractère qui présente le plus grand danger.
Evidemment, messieurs, si ces luttes n'existaient plus au sein de nos communes rurales entre le curé et le bourgmestre, entre l'influence de la sacristie et l'influence de la maison commune, eh bien, toutes ces récriminations qui se succèdent en même temps que se suivent les divers ministères, toutes ces récriminations perdraient beaucoup de leur intensité et se reproduiraient bien moins fréquemment.
Quand l'opinion catholique arrive au pouvoir, elle fait (et, selon moi, dans une bien plus large mesure) ce que fait l'opinion libérale ; elle nomme dans les communes des hommes qu'elle considère comme représentant plus fidèlement la politique du cabinet qui est aux affaires. Si elle ne le fait pas, elle se voit assiégée par tous ceux qui la soutiennent au sein des Chambres et ailleurs.
Les représentants viennent trouver le ministre en lui disant qu'il importe que dans telle commune l'opinion catholique soit représentée. Ce qui se passe sous les ministères catholiques, se passe également sous les ministères libéraux. Je n'invente rien ; chacun de vous, messieurs, doit reconnaître qu'il en est ainsi.
Eh bien, si ces luttes entre curé et bourgmestre n'existaient pas, nous n'aurions pas ces compétitions ardentes que nous constatons aujourd'hui.
Vous auriez dans les communes la paix, la tranquillité, la bonne administration, et vous n'auriez pas ces immixtions, parfois fâcheuses, de la politique dans l'administration de la commune.
Ce que je dis ici est de nature, je pense, à faire impression sur tous les esprits impartiaux. Cette division de la paroisse en ennemis et en amis du clergé est regrettable et ne peut produire que de mauvais fruits.
En ce qui touche au mode de nomination des bourgmestres et des échevins, je crois qu'avant de proposer des modifications, on fera bien d'y réfléchir. Pour le moment, le gouvernement considère la loi communale comme ne devant pas subir de modification sur ce point.
M. Ch. Lebeau. - Je ne m'attendais pas à prendre la parole dans le débat soulevé à l'occasion de la nomination des bourgmestres et échevins. Mais, mon honorable collègue, M. Dechamps, a cru devoir se livrer à ce sujet à des récriminations auxquelles je dois nécessairement répondre. Il s'est plaint, messieurs, de ce que, en 1857, dans l'arrondissement de Charleroi auquel nous appartenons l'un et l'autre, on a éliminé une foule de bourgmestres,
Il vous a dit que sur 15 bourgmestres dix n'avaient pas vu leur mandat renouvelé.
J'ignore, messieurs, si cette proportion est exacte ; mais ce que je sais, c'est que si la plupart des bourgmestres n'ont pas été renommés, c'est sur la proposition même, soit du commissaire d'arrondissement, soit du gouverneur. Trois ou quatre seulement ont été éliminés ou plutôt n'ont pas vu leur mandat renouvelé pour cause politique ; et je dois dire, messieurs, que le ministère qui a précédé le cabinet actuel avait déjà, en quelque sorte, donné l'exemple de cette conduite, car, dans une des communes les plus importantes de notre arrondissement, un bourgmestre a été nommé alors que son mandat ne devait durer que 4 à 5 semaines.
Il a été nommé, je pense, en septembre ou en octobre et son mandat devait expirer à la fin de décembre.
Messieurs, voici, du reste, comment les choses ont été amenées. Lors de l'avènement du cabinet actuel au pouvoir, des élections communales (page 572) avaient eu lieu pour le renouvellement de la moitié des conseils communaux. Ces élections avaient eu lieu sous l'impression qu'avait produite dans le pays la discussion de la loi sur la charité.
Cette impression a été vive et profonde et les élections communales qui ont eu lieu, je crois pouvoir l'affirmer, se sont prononcées dans le sens libéral.
C'était la condamnation morale du projet de loi sur la charité. C'est ainsi que cela a été interprété par le cabinet précédent et je crois que c'est ainsi que le résultat de ces élections a été généralement apprécié dans le pays.
En arrivant au pouvoir, qu'a fait le ministère actuel ?
Il a adressé une circulaire renfermant ses principes politiques à toutes les administrations communales ; il s'est agi ensuite, messieurs, de procéder aux élections pour la Chambre ; l'honorable M. Dechamps se mit naturellement sur les rangs avec ses deux honorables collègues.
Une réunion composée d'amis de l'honorable membre a eu lieu à Charleroi, mais on a entraîné dans cette réunion quelques bourgmestres dont le mandat allait expirer ; on a rédigé une circulaire qui était en quelque sorte une réponse à la circulaire ministérielle, cette circulaire a été signée non seulement par les amis politiques de l'honorable membre, mais par des bourgmestres dont le mandat allait expirer ; circulaire qu'ils signèrent, non comme particuliers, mais en leur qualité de bourgmestre. II y avait de la part de ces bourgmestres une espèce de courage à signer cette pièce, je le reconnait, à vouloir lutter contre l'avènement du ministère libéral, et ils le faisaient en qualité de bourgmestre ; ils le mentionnaient dans la circulaire, puisque leur qualification se trouvait à côté de leur signature.
Mais quand il s'est agi de renommer les bourgmestres qui avaient signé cette circulaire, le gouvernement s'est refusé à renouveler leur mandat. Or, je ne comprends pas comment on voudrait imposer au ministère la nomination de bourgmestres qui avaient protesté contre son avènement. C'était vouloir le mettre en contradiction avec son existence.
Du reste, cela s'est borné à quelques bourgmestres qui n'ont plus été renommés sur la proposition soit du gouverneur ou du commissaire d'arrondissement.
L'honorable M. Dechamps nous a dit que parmi ces bourgmestres il y en aurait qui m'auraient évité un naufrage électoral en 1861.
Ce sont là, je pense, les expressions de l'honorable membre. Il perd le souvenir de ce qui s'est passé lors des élections ; des propositions ont été faites pour maintenir le st
Ce n'est donc pas pour m'éviter un naufrage électoral que des propositions étaient faites, mais plutôt dans l'intérêt de l'honorable M. Dechamps et pour maintenir le statu quo. Je reconnais qu'en 1861, l'honorable M. Dechamps a eu un succès, il a été porté par tous les catholiques, d'abord ; ensuite par un grand nombre de libéraux, qui ne voyaient pas de lutte sérieuse dans l'élection.
Mais l'honorable membre sait que je ne dois mon élection qu'au parti libéral et que je n'ai pas eu une seule voix catholique.
.M. Dechamps. - Vous vous trompez ; vous avez eu la mienne.
M. Ch. Lebeau. - Je vous crois sur parole ; votre voix est probablement la seule voix catholique qui m'ait été donnée.
La circulaire qu'avaient signée les bourgmestres en 1857 était une circulaire qui n'était pas violente, a dit l'honorable M. Dechamps, elle était très modérée elle proposait le renouvellement du mandat de trois hommes modérés.
La circulaire était en effet modérée quant au style ; car je pense qu'elle avait été rédigée par l'honorable membre, elle était modérée dans les termes. Mais quant à reconnaître qu'elle proposait le renouvellement du mandat de trois hommes modérés, je ne puis l'admettre ; je puis reconnaître que l'honorable membre soit modéré dans la forme, mais quant aux principes, je ne vois personne de plus radical que lui dans son parti.
Avant les élections, M. Dechamps est toujours modéré ; mais après, c'est différent.
En 1847, quand l'honorable membre s'est présenté pour la première fois au corps électoral de Charleroi pour être élu, il ne s'est pas présenté comme homme politique, il a mis soigneusement son drapeau politique en poche. Dans la circulaire qui a été publiée à cette époque, il se présentait non « parce que catholique, mais quoique catholique. »
Voilà de quelle manière il s'est présenté pour la première fois au corps électoral de Charleroi. Il était sur les rangs avec des membres appartenant au parti libéral et qui ont été élus en même temps que lui. Il reconnaissait donc qu'il ne pouvait se présenter comme homme politique et surtout comme catholique.
En 1848 et pendant plusieurs années après, l'honorable M. Dechamps ne s'occupa guère de politique ; mais en 1857, lors de la discussion du projet de loi sur la charité, l'honorable membre reprend son rôle d'homme politique ; il défend le projet avec l'énergie de ses convictions, mais lorsqu'il se représente devant le corps électoral, il succombe avec ses honorables collègues, à une grande majorité ; preuve évidente que l'opinion qu'ils défendaient n'était pas celle de leurs commettants.
Je regrette que le discours de l'honorable M. Dechamps m'ait amené à entrer dans ces détails, qui nous sont plus ou moins personnels à l'un et à l'autre. Mais j'y ai été forcé.
Pour en revenir à la question de nomination des bourgmestres de l'arrondissement de Charleroi, on a dit que plusieurs n'avaient pas vu leur mandat renouvelé, parce qu'ils avaient une opinion qui n'était pas celle du ministère. J'en ai donné les motifs je dois ajouter que les cabinets précédents appartenant à l'opinion de l'honorable M. Dechamps, avaient agi de la même manière.
Ils avaient eu soin déplacer à la tête de toutes les administrations communales de l'arrondissement des hommes politiques qui partageaient leurs convictions et appartenaient à leur opinion.
Il y a plus : un honorable membre de cette assemblée qui fait partie de la gauche et qui était bourgmestre de sa commune depuis un grand nombre d'années, qui presque toujours avait été réélu à l'unanimité, n'a pas été renommé bourgmestre à cause de ses opinions politiques.
Voilà ce qui s'est passé sous le ministère catholique ; comme on le voit, l'exemple avait été donné par lui au ministère libéral.
Messieurs, ce n'est pas seulement dans les fonctions de bourgmestres et d'échevins, mais c'est encore dans la plupart des emplois que les ministères catholiques en ont agi ainsi.
Chaque fois qu'un ministère catholique a été au pouvoir, il a eu soin de nommer ses partisans à tous les emplois, dans les finances, dans les travaux publics, même dans la magistrature et dans les offices ministériels ; et si le ministère libéral voulait réparer ces injustices, il ne devrait faire que des nominations libérales pour rétablir l'équilibre.
Et vous voulez lui faire un grief de ce que, usant de la faculté que lui donne la loi, quand il y a un mandat de bourgmestre ou d'échevin à renouveler, il choisit de préférence un homme qui appartient à sa nuance politique.
Eh bien, je dis que le gouvernement manquerait à son opinion et à ses principes s'il agissait autrement.
Et il ne peut agir d'une autre façon alors surtout que les bourgmestres qui étaient en fonctions lui avaient fait une opposition publique, une opposition patente, qu'ils avaient signé une circulaire en leur qualité de bourgmestres pour détruire en quelque sorte l'effet moral qu'avait produit la circulaire ministérielle en 1857.
Je dis donc qu'en principe le gouvernement était évidemment dans son droit.
Du reste, messieurs, je pense que c'est ainsi que cela devrait se pratiquer en principe lorsqu'il s'agit d'une fonction qui touche à la politique comme celle de bourgmestre.
On vous dit qu'il n'y a rien de politique dans les fonctions de bourgmestre. Je vous demanderai alors pourquoi vous vous récriez tant lorsqu'on choisit de préférence un libéral. Si vous croyez que le bourgmestre n'a rien à voir dans la politique, ne peut exercer aucune influence, pourquoi vous récriez-vous lorsque le gouvernement choisit de préférence un libéral au lieu d'un catholique ?
Messieurs, l'on se plaint que, dans les campagnes, la politique s'introduise au sein des conseils communaux ; que l'on distingue, comme l'a rappelé M. le ministre de l'intérieur tout à l'heure, en catholiques et libéraux ceux qui sont les partisans du curé et ceux qui sont ses adversaires.
Eh bien, à qui la faute s'il en est ainsi ? Mais c'est à ceux qui font agir le clergé dans les élections, dans nos affaires politiques, dans nos affaires civiles. Si le clergé n'intervenait en rien dans les affaires politiques, dans les affaires civiles, dans les affaires administratives, on laisserait toujours la religion et le prêtre en dehors ; on pourrait bien se classer en libéraux et en politiques, mais on ne parlerait pas des ministres du culte.
Quant à moi, je suis persuadé que si la plupart des membres du clergé inférieur étaient libres d'agir comme ils voudraient, ils ne se mêleraient pas des affaires politiques. Malheureusement on les y force. Ils le font la plupart avec répugnance ; ils le font parce que leurs supérieurs leur enjoignent d'agir ainsi, parce qu'ils reçoivent des lettres pastorales qu'on les oblige à lire en chaire ; mais si les ministres des cultes dans les communes (page 573) étaient inamovibles, s'ils étaient libres d'agir comme ils l'entendent, je suis convaincu que beaucoup partagent nos convictions et seraient libéraux comme nous.
M. Wasseige. - Lorsque l'honorable ministre de l'intérieur s'adressait hier à moi, avant que j'eusse pris part au débat et lorsqu'il me promettait si gracieusement de me répondre si je demandais la parole, il m'a donné envie de profiter de cette invitation, et j'espère qu'il me saura gré de mon empressement.
Messieurs, la discussion du budget de l'intérieur est l'occasion toute naturelle pour l'opposition de discuter la marche du gouvernement dans ses actes et dans ses nominations. Lorsque l'opposition profite de cette occasion, elle remplit son devoir, elle accomplit le mandat électoral qui lui a été donné : celui de surveiller la marche du gouvernement et de la critiquer, s'il y a lieu.
C'est pour cela, messieurs, que si l'honorable M. Van Bock et est l'auteur ou l'instigateur de la pièce que l'honorable ministre a assez malicieusement exhibée hier, exhibition dont il espérait, je crois, un plus grand succès que celui qu'il a obtenu, l'honorable M. Van Bockel n'a fait que remplir son devoir. Seulement, l'honorable M. Van Bockel, avant de se lancer dans la critique et d'attaquer le cabinet, a fait acte de prudence en cherchant les renseignements là où il pouvait les trouver, à la différence d'une autre opposition qui souvent attaquait sans savoir s'il y avait lieu d'attaquer.
D'ailleurs, messieurs, dans l'arrondissement de Louvain tout n'a pas été parfait ; dans plusieurs communes, dans plusieurs administrations communales, on a vu systématiquement éliminer le bourgmestre et les échevins, quoique ayant été réélus par les électeurs et quoique ayant encore, dans le conseil communal dont ils font partie, la majorité. Je pourrais citer les communes de Bael, de Tremeloo, de Winghe-Saint-Georges et autres. Et si ce fait n'a pas été plus général, savez-vous à quoi cela tient ? C'est que les électeurs désirent de conserver ceux en qui ils avaient placé toute leur confiance, et craignant que la manifestation électorale qu'ils avaient déjà faite ne parût pas suffisante au gouvernement, se sont adressés à lui par voie de pétition. Il est arrivé, je crois être certain du fait, de nombreuses pétitions de ce genre au gouvernement pour demander le maintien des anciens bourgmestres. C'est à ces pétitions que le gouvernement a cédé dans quelques cas et c'est ainsi que l'élimination n'a pas été plus complète.
Dans tous les cas, les nominations douteuses, celles qui avaient été laissées quelque temps en suspens, ont toutes été faites au point de vue libéral, et j'en trouve la preuve dans un petit articulet du Progrès de Louvain, journal libéral de Louvain. (Interruption.)
Eh bien ! quoi ! c'est un journal libéral. (Nouvelle interruption.)
- Un membre. - Sans doute, puisque c'est le Progrès.
M. Wasseige. - Est-ce que le progrès et le libéralisme vous paraîtraient incompatibles ?
Dans le numéro du 17 mars 1861, le Progrès dit :
« Dans notre numéro de dimanche dernier, nous nous sommes fait l'écho des plaintes soulevées par le retard qu'apportait le gouvernement à pourvoir aux places de bourgmestres et d'échevins vacantes dans une dizaine de communes de notre arrondissement.
« Le surlendemain, nous avons eu la satisfaction de trouver au Moniteur officiel les nominations suivantes dont plusieurs étaient vivement désirées par l'opinion libérale.
« (Suivent les nominations.) »
Maintenant, messieurs, ce qui s'est passé dans l'arrondissement de Louvain, qui est un arrondissement appartenant en majorité à l'opinion conservatrice, s'est passé dans beaucoup d'autres arrondissements encore. Il est possible que le gouvernement n'a pas été assez radical dans l'arrondissement de Louvain. Nous avons entendu des membres lui faire des reproches de sa modération. L'honorable M. Hymans vous a dit entre autres qu'il aurait dû faire beaucoup plus. Peut-être sera-t-il plus satisfait du gouvernement dans l'arrondissement de Waremme.
En effet, à propos de l'arrondissement de Waremme, voici ce que disait la Vedette du Limbourg, journal libéral et radical :
« On cite comme preuve du progrès du libéralisme dans les campagnes et comme résultat attribué à l'administration éclairée qui dirige le gouvernement, que dans l'arrondissement de Waremme, composé de plus de 85 communes, on ne trouve plus que six bourgmestres cléricaux et autant de douteux. »
Encore une nomination à faire par le cabinet actuel, la razzia sera complète. Cet arrondissement pourra servir d'arrondissement modèle, et M. Hymans sera satisfait.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ce sont les électeurs qui ont fait cela.
M. Wasseige. - Puisque je parle du discours de l'honorable M. Hymans, il est une autre phrase qu'il m'est impossible de laisser passer sans protestation.
L'honorable M. Hymans a dit qu'il serait le premier à blâmer le gouvernement s'il faisait de l'opinion politique la condition de la nomination des magistrats, ce sont ses propres paroles, et l'honorable M. Hymans ajoutait qu'il rendait au gouvernement cette justice qu'il n'en avait rien fait.
Eh bien, messieurs, moi je lui rends la justice contraire, et je ne crains pas d'en appeler au jugement de l'opinion publique sur nos deux appréciations.
J'affirme donc qu'il est de notoriété publique que pour le plus grand nombre des nominations faites par M. Tesch, qui, depuis sa rentrée au ministère, a eu la chance de pouvoir renouveler presque entièrement la magistrature, l'opinion politique des candidats a été la raison déterminante.
On me dira peut-être : « Citez les noms. Niez-vous l'honorabilité des magistrats nommés ? »
Non, messieurs, je ne nie pas l'honorabilité des magistrats nommés, mais j'affirme que leurs concurrents étaient d'une honorabilité au moins aussi grande et qu'ils avaient en outre, sous le rapport de l'ancienneté et sous le rapport des capacités, des titres bien souvent supérieurs à ceux des heureux préférés, titres affirmés par les corps chargés défaire les présentations c't par les magistrats consultés
Quant à citer des noms, je ne le ferai pas plus aujourd'hui que je ne l'ai fait en 1859 lorsque j'y étais également provoqué.
Je citerai cependant deux faits : la nomination d'un procureur général à Gand, et la destitution d'un procureur du roi dans la même ville. Je ne nie ni la capacité, ni l'honorabilité du magistral dont je parle, mais il est exorbitant de voir nommer aux éminentes fonctions de procureur général un magistrat qui, peu de temps auparavant, n'était que simple procureur du roi dans un tribunal de deuxième ordre et qui n'a fait que passer à la cour d'appel de Liège, dont il était le plus jeune conseiller, et cela alors qu'il y a des avocats généraux qui attendent depuis longtemps une promotion justement méritée et qui, sous tous les rapports, valaient au moins celui qui leur a été préféré.
Eh bien, c'est là du népotisme, de la camaraderie ; d'autre part, c'est un acte odieux, inqualifiable de déplacer un procureur du roi, à qui l'on n'a rien à reprocher dans l'exercice de ses fonctions et de l'envoyer végéter loin de son pays, dans un emploi secondaire. Je dis que dans un cas on a agi dans un but de récompense, et que, dans l'autre cas, on a agi dans un esprit de vengeance, et que ce sont là des sentiments indignes d'un ministre belge.
Maintenant, messieurs, je rentre dans mon sujet.
Croyez-le bien, messieurs, le pays ne veut pas de politique à outrance, il n'en veut pas surtout dans les administrations communales.
On me dira peut-être que je me tiens encore dans des généralités. Eh bien, messieurs, je citerai aussi deux faits : l'un s'est passé dans la commune de Sombreffe, l'autre s'est passé dans la commune de Vencimont.
Messieurs, le canton de Gembloux est un canton éminemment libéral ; quelques communes seulement faisaient plus ou moins tache, la commune de Sombreffe, la plus importante du canton, était du nombre.
L'honorable citoyen qui était bourgmestre de cette commune depuis quarante années avait vu son mandat renouvelé à chaque élection et par les électeurs et par le gouvernement.
Il venait encore d'être élu conseiller communal à une forte majorité et il avait été représenté au choix du gouvernement et par le gouverneur de la province et par le commissaire d'arrondissement.
Et ici, on ne viendra pas dire, comme hier, à propos de l'arrondissement de Charleroi :
« Je le crois bien, le commissaire d'arrondissement est un catholique. »
Celui donc je parle est l'honorable M. Joly, et je ne crois pas qu'il serait flatté de se voir ranger parmi les conservateurs. L'ancien bourgmestre était d'ailleurs d'une honorabilité parfaite et incontestée. Cette nomination si simple, si naturelle était donc attendue par tout le monde, on ne s'imaginait pas qu'elle pût soulever la moindre objection. Mais il y avait dans la commune de Sombreffe un libéral très prononcé, très bien avec le cabinet et qui avait la prétention de devenir bourgmestre, et l'on avait compté sans son hôte.
Des démarches furent faites directement à Bruxelles ; on représenta l'ancien bourgmestre comme incapable, comme ne pouvant plus agir, comme un homme en qui l'on ne pouvait plus avoir confiance.
- Un membre. - Quel âge avait-il ?
M. Wasseige. - 65 ans.
(page 574) Bref, il fut décidé que l'ancien bourgmestre ne serait pas renommé. Mais le gouvernement, qui sentait l'injustice de la mesure qu'il était décidé à prendre, chercha à obtenir son désistement et lui fit écrire pour l’engager à déclarer lui-même qu'il se sentait incapable et qu'il renonçait à sa candidature. Voici, messieurs, la lettre adressée au bourgmestre par le commissaire d'arrondissement.
« Namur, 29 janvier 1861.
« Monsieur le bourgmestre,
« En vous représentant au choix du gouvernement pour les fonctions de bourgmestre, je n'ai pas pu dissimuler combien votre état physique devait vous rendre pénible et difficile l'accomplissement régulier des devoirs qui incombent au chef d'une administration communale et l'impossibité où vous deviez être de remplir d'une manière assidue,1a mission de polic 'que la loi vous attribue et qui est cependant essentielle dans une commune aussi importante que Sombreffe.
« M. le ministre de l'intérieur croit qu'il convient de vous décharger, pour l'avenir, des fonctions que vous remplissez depuis fort longtemps.
« En me transmettant cette décision ministérielle, M. le gouverneur me charge, M. le bourgmestre, de vous engager à transmettre volontairement l'avis que vous renoncez à la continuation de votre mandat.
« En m'acquittant de cette mission délicate qui est un hommage rendu à d'anciens et honorables services, je vous prie, M. le bourgmestre, de croire que je les apprécie comme ils le méritent, et d'agréer l'expression de mes sentiments distingués.
« Le commissaire de l'arrondissement, J. B. Joly. »
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Quel est le nom du bourgmestre ?
M. Wasseige. - De Becqucvort. Il faut convenir, messieurs, que la pilule était parfaitement dorée, mais quelque bien dorée qu'elle fut, l'ancien bourgmestre ne voulut pas l'avaler. Il répondit dans les termes suivants :
« Monsieur le Commissaire,
« Je suis en possession de la lettre officieuse, en date du 29 janvier, que vous avez bien voulu m'écrire.
« Je ne vous cacherai pas, M. le commissaire, que cette lettre, toute bienveillante qu'elle soit, m'a beaucoup étonné. En effet, vous m'engagez à vous transmettre l'avis que je renonce volontairement à la continuation de mon mandat ; si vous entendez par là celui de bourgmestre, il n'existe plus depuis la nouvelle année, et le mandat que je tiens des électeurs, je désire le conserver.
« Si M. le ministre de l'intérieur pense que quarante années de loyaux services et de dévouement à la commune que j'administre comme bourgmestre depuis l'âge de 25 ans, ne constituent pas des titres suffisants pour être renommé, je ne saurais qu'y faire ; mais je me permettrai de vous faire observer que les motifs que vous invoquez pour m'engager à une renonciation volontaire, ne me paraissent pas fondés. Mon état physique est exactement le même depuis le renouvellement de mes deux derniers mandats et ne m'empêche nullement de remplir les devoirs qu'impose la place de bourgmestre.
« Je vous remercie bien sincèrement, M. le commissaire, des hommages que Vous rendez à mes anciens services et je vous prie d'accepter mes sentiments respectueux.
« Signé : A. de Becquevort. »
Nonobstant cette réponse, l'ancien bourgmestre ne fut pas renommé et son heureux concurrent est maintenant bourgmestre de Sombreffe.
Mais, messieurs, que la roche Tarpéienne est proche du Capitole !
Combien cette satisfaction d'amour-propre eut un triste lendemain ! Peu de temps après cette nomination, se déroulait devant la cour d'assises de Mons le fameux procès de la bande noire.
Vous savez probablement, messieurs, que la plupart des accusés appartenaient à la commune de Sombreffe. Or, il se trouve qu'ils étaient presque tous porteurs d'un certificat de moralité délivré par le nouveau bourgmestre.
Voici comment ces certificats ont été appréciés par M. le procureur général de Bavay :
« Mais, dit le ministère public, le défenseur de Gobert Lefèvre a fait valoir, en faveur de son client, un certificat de moralité qui lui a été délivré par le bourgmestre de Sombreffe. Je regrette qu'il l'ait invoqué, car j'aurai à dire à ce sujet des choses peu édifiantes. Le bourgmestre de Sombreffe a délivré des certificats de moralité aux trois Leclercq, à toute la famille Hubinon ! J'ai fait un dossier spécial de ces certificats que je communiquerai à qui de droit. Il y en a pour tous les accusés de la commune, ce qui me fait croire qu'elle a un bien mauvais bourgmestre. »
Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur si le dossier de M. de Bavay lui est parvenu ; et s'il lui est parvenu, je le prie de vouloir bien nous dire ce qu'il compte faire.
En tout cas, j'espère qu'il informera le nouveau bourgmestre de Sombreffe que donner des certificats de moralité à tous les vauriens de sa commune, ce n'est pas faire la police communale, mieux que ne la faisait son prédécesseur.
Messieurs, j'arrive au second fait qui est beaucoup plus grave.
Il existe dans l'arrondissement de Dinant une commune qui s'appelle Vencimont. Un individu est venu s'installer dans cette commune, il y a deux ans à peine ; il y était complètement étranger ; il n'y est pas propriétaire, il loue une maison à Vencimont.
Cet individu se nomme Jacquet ; immédiatement après son arrivée dans la commune, il s'associe avec l'ancien bourgmestre, le sieur Massot, l'ancien instituteur communal, révoqué par M. le ministre de l'intérieur lui-même, et ils déclarèrent ensemble une haine implacable au curé et à l'institutrice communale.
Quand je me sers de ces mots haine implacable, on verra tout à l'heure que ces mots ne sont pas de moi.
Eh bien, pour satisfaire cette haine implacable, on suscite au curé des tracasseries de toute espèce : comparution devant le tribunal de simple police, d'où, malgré les efforts faits par ces individus, le curé sortit triomphant.
Enfin, leur animosité ne connut plus de bornes et publiquement ils accusèrent l'institutrice et le curé d'entretenir ensemble des relations coupables.
Ces propos furent répétés avec une telle persistance, qu'ils donnèrent lieu à une dénonciation en calomnie de la part du curé et de l'institutrice contre les sieurs Jacquet et Massot, dénonciation qu'il ne leur était plus possible de différer.
Cette affaire s'instruisit devant le tribunal de Dinant. Pendant que l'instruction de cette affaire se poursuivait activement, malgré la gravité du délit dont était prévenu le sieur Jacquet, malgré les peines qu'il pouvait enquérir en vertu de l'article... du Code pénal, malgré la déchéance qui pouvait être prononcée contre lui en vertu de l'article 42 du Code pénal, et qui l'a été, en effet, par le tribunal de Dinant ; pendant l'instruction de cette affaire, dis-je, et sans en attendre l'issue, le sieur Jacquet fut nommé bourgmestre vers le mois de mars et, remarquez, messieurs, que s'il a été nommé bourgmestre, ce n'est pas par suite de présentation soit du gouverneur, soit du commissaire d'arrondissement, mais bien malgré les protestations de toutes les autorités consultées. Cette nomination remonte au mois de mars, et le 10 avril, le tribunal de Dinant prononçait contre le sieur Jacquet un jugement dont je vais avoir l'honneur de vous donner connaissance :
« Considérant qu'il a été établi par l'instruction qui a eu lieu aux audiences des 13 et 20 mars dernier que les prévenus Massot, bourgmestre de Vencimont et Jacquet, conseiller communal, ont en 1860 et 1861 à Vencimont, Beauraing, Vonêche et Gedinne, publié dans des lieux et réunions publics que le sieur Art, curé à Vencimont, entretenait des relations coupables avec la demoiselle Brandelet, institutrice communale ; qu'il ne lui accordait son appui qu'en échange de faveurs qu'il en recevait ; qu'elle lui tenait lieu de femme ; qu'elle sortait à toute heure du presbytère, etc., etc.
« Considérant que ces imputations revêtent tous les caractères de la calomnie, et exposeraient, si elles étaient vraies, le sieur Art et la demoiselle Brandelet au mépris et à la haine de leurs concitoyens.
« Considérant que ces calomnies, graves par elles-mêmes, empruntent un nouveau degré de gravité à la qualité de ceux qui les ont publiées et à la position des personnes qui en ont été les victimes, à la persistance avec laquelle elles ont été répandues, aux circonstances dont on les a entourées pour mieux les accréditer.
« Considérant, sur la demande de dommages-intérêts, que si la pureté des mœurs et la régularité dans sa conduite forment pour l'institutrice comme pour le prêtre le premier titre à l'estime et à la confiance des familles qui doivent lui abandonner leurs enfants, on ne peut la flétrir dans ses mœurs, dans sa conduite sans anéantir cette confiance, sans porter l'atteinte la plus grave à ses moyens d'existence, sans compromettre son avenir ; que les prévenus ont, du reste, prouvé qu'ils en voulaient à son existence, en adressant, le premier à l'autorité ecclésiastique, le second à M. le ministre de l'intérieur, une dénonciation dans laquelle les calomnies ci-dessus relatées sont reproduites ; qu'ainsi elles peuvent servir de fondement à une demande de dommages-intérêts.
« Attendu que le prévenu Jacquet ne comparaît pas.
« Par ces motifs le tribunal condamne Isambert Massot et Oscar Jacquet, (page 575) le premier contradictoirement, le second par défaut, à un mois d'emprisonnement et cinquante francs d'amende chacun ; leur interdit l'exercice des droits mentionnés au n°3 de l'article 42 du code pénal pendant cinq ans. »
Appel fut interjeté devant la cour de Liège, mais dans l'intervalle qui devait s'écouler entre le prononcé du jugement et l'arrêt, il fallait à tout prix chercher à blanchir le sieur Jacquet. Qu'imagine-t-on ? Une enquête administrative est ordonnée, fait exorbitant, car je vous le demande, messieurs, que pouvait faire une enquête au sujet de faits dont la connaissance était déférée à la justice et sur lesquels elle avait déjà statué en première instance ? Quelles garanties pouvait-elle offrir aux parties pour suivantes ? Elle n'était pas contradictoire. Il n'y avait là ni la garantie de la publicité, ni la garantie du serment, ni rien de ce qui pouvait donner confiance à la partie contre laquelle elle était dirigée.
L'enquête eut donc lieu. Elle fut confiée à M. l'inspecteur provincial de l'enseignement primaire à Namur ; ce fonctionnaire était nouveau dans la province ; il y était complètement inexpérimenté, il n'y connaissait ni les hommes ni les choses, et j'aime à croire que c'est uniquement à cette inexpérience que doit être attribuée la manière dont l'enquête a été dirigée.
Ce fonctionnaire arrive donc à Vencimont pour faire une enquête sur les faits reprochés à l'institutrice par MM. Jacquet et Massot.
Or, savez-vous comment il arrive dans la commune ? Il y arrive escorté de Massot et de Jacquet ; il n'entend que les personnes qui lui sont indiquées par Jacquet et Massot et il refuse à plusieurs reprises d'entendre d'autres personnes, quoiqu'il s'en présentât un grand nombre, qui voulaient démentir les accusations dont le curé et l'institutrice étaient l'objet. Cependant pressé par les protestations énergiques de ces personnes, le fonctionnaire mentionna à la fin de son procès-verbal, qu'une cinquantaine de personnes s'étaient présentées pour protester contre les faits allégués à la charge du curé et de l'institutrice.
Et cette mention fut faite, sans que ces personnes eussent été entendues avec quelque détail, sans qu'elles eussent été confrontées avec les accusateurs, sans qu'on leur eut donné connaissance des dispositions des adversaires du curé et de l'institutrice. (Interruption.)
C'est après le jugement de Dinant que l'enquête a eu lieu.
C'était, je le répète, une enquête dirigée contre des faits dont la connaissance avait été déférée à la justice. et sur lesquels un premier jugement avait été prononcé. C'est un fait exorbitant, et qui n'a peut-être pas de précédent.
Eh bien, malgré tout cela, l'enquête ne réalisa pas les espérances que l'on fondait sur elle ; elle ne produisit rien de grave à la charge du curé ni de l'institutrice.
Cependant, telle qu'elle était, on voulut en faire usage et lorsque l'affaire arriva en cour d'appel, l'enquête fut envoyée au ministère public pour qu'il pût s'en servir s'il le jugeait convenable. (Interruption.)
Mais je le dis à l'honneur du magistrat chargé des fonctions du ministère public, il refusa de se servir d'une pièce extra-judiciaire, et il ne voulut prendre des renseignements que là où il devait les prendre, au parquet de Dinant.
M. B. Dumortier. - Comment ! lorsqu'il y a un jugement, le gouvernement vient au moyen d'une enquête s'élever entre la justice et le condamné. Cela est trop fort !
M. Wasseige. - Savez-vous quels furent les renseignements qu'il reçut de son collègue de Dinant ?
Les voici, messieurs :
« L'institutrice est une jeune personne qui entretient sa vieille mère et dont la conduite est bonne.
« L'une et l'autre (le curé) ont avec eux la grande majorité de la commune.
« Dans le camp opposé se placent Massot, Jacquet et un nommé Burette qui, pour perdre le curé et l'institutrice à qui ils ont voué une haine implacable, ont inventé l'infâme calomnie qui a motivé la condamnation prononcée en première instance, calomnie qui a été colportée dans toutes les communes du canton avec une persistance inouïe.
« Massot est un homme ignorant et illettré qui se trouve dans un état presque continuel d'ivresse.
« Jacquet a un peu d'instruction, mais il manque de jugement et n'est capable que de faire des sottises.
« Enfin Burette, qui n'est pas en cause, est le plus mauvais drôle du canton de Gedinne ; il a été récemment révoqué de ses fonctions d'instituteur à Vencimont et a déjà été poursuivi du chef d'incendie. Il a échappé par suite d'un arrêt de la chambre des mises en accusation et grâce à un moyen de droit.
« Ce sont ces trois personne» qui s'unissent pour molester le curé et l’institutrice et j'ai la conviction la plus profonde de l'insigne fausseté des propos débités par ces personnes. »
En présence de cette lettre accablante mais qui est officielle, l'arrêt de la cour d'appel ne pouvait pas être douteux ; et en effet voici dans quel termes il a été porté :
« Attendu que les délits de calomnie, prévus par l'article 367 du Code pénal, imputés aux prévenus du chef des faits énoncés au premier considérant du jugement dont est appel sont restés établis devant la cour à l'égard des deux prévenus ;
« Attendu que ces délits ont causé aux parties civiles un préjudice don il est dû réparation ;
« Attendu néanmoins qu'il y a en faveur de Jacquet des circonstances atténuantes ;
« Attendu que, s'agissant dans l'espèce de délits distincts et personnels, il ne peut y avoir lieu à prononcer la solidarité des dommages-intérêts et frais ;
« Par ces motifs,
« La cour rapporte la condamnation pénale infligée à Jacquet, l'application qui lui a été faite de l'article 42, n°3 du Code pénal, et à l'égard des deux prévenus la disposition du jugement à qui, relative à la solidarité des dommages-intérêts et des frais ;
« Emendant, condamne Jacquet à 200 fr. d'amende, subsidiairement à un mois d'emprisonnement en cas de non-paiement de cette amende, et à 300 fr. de dommages-intérêts envers la demoiselle Brandelet. »
Il résulte donc de cet arrêt que Jacquet est définitivement condamné comme calomniateur en vertu des articles 367 et 371 du code pénal à 200 fr. d'amende, subsidiairement à un mois de prison et à 500 fr. de dommages-intérêts envers le plaignant.
Eh bien, le croiriez-vous, messieurs ? malgré cet arrêt de la cour d'appel, Jacquet est encore bourgmestre à Vencimont. (Interruption.)
Je ne fais pas de reproches à l'honorable ministre de l'intérieur actuel ; ces faits sont étrangers à son administration.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je demande la parole.
M. Wasseige. - ... et je le supplie de ne pas en prendre la responsabilité posthume.
Jacquet n'a pas été jusqu'ici admis à la prestation de serment, et je demande que l'arrêté qui l'a nommé bourgmestre soit rapporté, et que M. le ministre de l'intérieur ne s'obstine pas à laisser subsister une nomination qui serait un outrageant défi à la moralité publique.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, l'honorable orateur qui vient de s'asseoir m'a convié avec trop de courtoisie à lui répondre, pour que je ne m'empresse pas de me rendre à son désir.
Je ne monterai pas avec lui au Capitole, je ne visiterai pas avec lui la roche Tarpéienne ; je me contenterai simplement de rectifier quelques faits cités par mon honorable adversaire, bien que la plupart de ces faits soient complètement étrangers à mon administration, comme, du reste, il a bien voulu le reconnaître.
Messieurs, en donnant lecture hier du programme de l'enquête de Louvain (l'enquête officieuse, non pas celle qui avait dans le temps été produite dans cette Chambre), je n'ai rien critiqué ; j'ai seulement voulu constater que souvent, lorsqu'on examine les faits consciencieusement, on arrive à constater que les incidents, qui de loin semblent être quelque chose, de près ne sont rien.
L'honorable M. Wasseige, répondant au lieu et place de l'honorable M. Van Bockel, auteur ou patron de l'enquête, a parlé, si je ne me trompe, de deux communes de l'arrondissement de Louvain, et des retards que des nominations avaient subis dans cet arrondissement.
Cinq ou six places d'échevins y sont en effet restées vacantes assez longtemps, par suite d'une erreur. On avait pensé, que des échevins dont le mandat de conseiller avaient été renouvelés aux élections de 1837, mais dont le mandat d'échevin n'était pas expiré, ne devaient pas recevoir une nomination nouvelle comme échevins ; c'était une erreur. On avait perdu de vue la jurisprudence admise depuis quelque temps. Cette erreur est donc parfaitement excusable, et elle est réparée ; aujourd'hui dans l'arrondissement de Louvain deux ou trois places de bourgmestre ou d'échevins seulement sont vacantes, et des arrêtés qui pourvoiront à quelques-unes de ces places seront demain ou après-demain au Moniteur.
L'honorable M. Wasseige a cité la commune de Winghe-Saint-Georges, je ne sais pourquoi, tout s'est passé régulièrement dans cette commune et je ne comprends pas à quoi s'appliquent les critiques de l'honorable membre.
A Winghe-Saint-Georges le bourgmestre, qui s'appelait, je crois, Willems, a été éliminé aux élections communales. Le commissaire (page 576) d'arrondissement et le gouverneur ont proposé un autre candidat, M. Wouters, et mon honorable prédécesseur l'a nommé.
Je ne sais pas ce qu'il peut y avoir eu d'anomal ou d'illégal dans cette circonstance.
Quant au fait de Sombreffe, je ne le connais pas ; mais l'honorable M. Wasseige peut bien être certain que je n'aurai pas besoin de recommander au nouveau bourgmestre de ne pas donner de certificats de l'espèce de ceux qu'il a critiqués.
Il est évident que des erreurs de ce genre sont possibles. (Interruption.)
Mais, messieurs, vous le savez et on l'a dit bien souvent, rien ne ressemble plus à un honnête homme qu'un coquin ; je le répète, les erreurs de ce genre sont possibles, elles sont donc excusables. Je suis évidemment très loin d'approuver la délivrance de pareils certificats ; mais, je le répète, si les erreurs commises dans leur délivrance sont regrettables, on ne peut pas raisonnablement en faire un grief à leurs auteurs. (Interruption.)
M. le président. - M. Dumortier, je vous prie de ne pas interrompre.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Maintenant, messieurs, j'arrive à l'affaire de Vencimont, à l'affaire Jacquet.
Je regrette que cette affaire ait été soulevée dans cette enceinte, comme je regrette, je dois le dire, qu'on agite ici de petites questions de personnes, de mesquines questions de détails.
L'opposition s'en fait une arme pour attaquer le ministère et celui-ci est obligé, bien malgré lui, de citer d'autres faits pour se défendre.
M. Wasseige. - Ce n'est pas moi qui ai provoqué ce débat.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Pardon, c'est bien vous ; vous nous appelez sur ce terrain, il faut bien que je vous y suive quoique à mon très grand regret. Voici ce qui s'est passé à Vencimont :
Comme l'a dit l'honorable M. Wasseige, le sieur Massot exerçait dans cette commune les fonctions de bourgmestre.
A la suite des élections, mon prédécesseur a cru ne pas devoir renommer M. Massot, pour les motifs que l'honorable M. Wasseige lui-même vient de nous indiquer ; et il a proposé la nomination de M. Jacquet.
Peu de jours après cette nomination, des poursuites ont été dirigées...
M. Wasseige. - Avant : les poursuites ont commencé en février et la nomination est du mois de mars.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je parle des propositions qui ont nécessairement précédé la nomination ; toutes les pièces que j'ai au dossier sont antérieures aux poursuites que l'on ne connaissait pas encore ; dès que mon prédécesseur a eu connaissance que des poursuites étaient intentées, alors que la nomination était faite, il a donné l'ordre de ne pas admettre ce bourgmestre au serment, afin qu'il ne pût pas exercer ses fonctions.
L'affaire a donc été tenue en suspens ; comme l'a dit mon honorable contradicteur ; un jugement prononcé par le tribunal de Dinant, a été réformé par un arrêt de la cour d'appel de Liège ; cet arrêt a notablement atténué la pénalité appliquée à M. Jacquet. (Interruption.)
L'honorable M. Wasseige m'apprend (je l'ignorais complètement) qu'une enquête a été ordonnée, mais je dois lui faire remarquer que cette enquête n'était pas ouverte pour éclaircir des faits à charge de l'ex-bourgmestre ou du sieur Jacquet ; elle était ordonnée pour s'assurer, en fait, si l'institutrice accusée était ou n'était pas coupable... (Interruption.) Je ne comprends pas ces interruptions. Je vous le demande : Si, étant au pouvoir, vous veniez à apprendre qu'un instituteur ou une institutrice se conduit mal, ne vous feriez-vous pas un devoir de vous éclairer sur les faits afin de vous assurer s'il n'y a pas nécessité de destituer cet instituteur ou cette institutrice ?
Voilà, messieurs, le motif, l'unique motif pour lequel une enquête a été ordonnée, et quoi qu'en dise mon honorable contradicteur, je suis convaincu que cette enquête a été faite régulièrement, parce que j'ai une entière confiance dans le fonctionnaire qui en a été chargé.
M. Devaux. - Qu'est-ce que le jugement constate ? Prouve-t-il la réalité des faits incriminés ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Certainement non ; il ne le pouvait pas.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Sans doute. M. Jacquet a donc été, comme on l'a dit, poursuivi comme prévenu de calomnie contre le desservant et l'institutrice de Vencimont qui étaient accusés de faits que je ne rappellerai pas ici, et que l'honorable M. Wasseige a énoncés.
Fallait-il ou ne fallait-il pas, pour agir, attendre l'issue des poursuites ? Evidemment, il fallait attendre, et c'est ce que l'on a fait. Depuis que l'arrêt de la cour de Liège a été prononcé, on m'a prié d'autoriser le sieur Jacquet à prêter serment, je m'y suis absolument refusé.
M. Wasseige. - Je vous en félicite bien sincèrement.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - M. Jacquet n'est pas bourgmestre de Vencimont ; il vient de déclarer qu'il n'accepte pas ces fonctions.
Voilà, dans toute sa vérité, l'histoire du grand scandale de Vencimont.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Le discours de l'honorable M. Wasseige était une accusation en règle contre l'ancien ministre de l'intérieur. De cette accusation, il ressortait que, de propos délibéré, le ministre de l'intérieur, sachant qu'un habitant de la commune de Vencimont (qui en contient bien, je crois, un millier) avait calomnié l'institutrice et le curé, s'était empressé de proposer cet habitant comme bourgmestre de cette commune ; que non content de cette première récompense attribuée à cet individu, le ministre de l'intérieur avait continué à l'appuyer, à le favoriser pendant le procès qui lui était intenté, et qu'enfin, après le procès, l'ancien ministre de l'intérieur avait maintenu cet habitant dans les fonctions de bourgmestre. Rien de tout cela, messieurs, n'est exact.
Tout cela repose sur de fausses suppositions et si j'ai un regret à exprimer ici, c'est que l'honorable M. Wasseige ait eu l'imprudence d'introduire cette affaire au sein du parlement, et d'entretenir le public d'un incident qui, au fond, renferme des scandales. La Chambre ne devrait pas être occupée de pareilles questions ; on devrait les laisser se débattre dans les bas-fonds où on les rencontre.
Messieurs, je n'ai pas besoin de dire que je ne connais, ni de près ni de loin, aucun des personnages qu'on a mis en scène ici en les appelant par leurs noms propres.
M. Wasseige. - Ni moi non plus.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Ici, du moins, on ne pourra pas m'accuser d'avoir agi par esprit de parti contre le bourgmestre en remplaçant le sieur Massot par le sieur Jacquet ; car il paraît que ces deux messieurs sont des amis.
L'honorable préopinant les a même représentés comme des amis unis dans un sentiment de haine implacable contre le curé.
Il n'y avait donc pas ici d'esprit de parti, pas d'intérêt politique à substituer Jacquet à Massot.
Vous voudrez bien, je pense, me faire cette concession. (Interruption.) Ai-je besoin de dire aux deux côtés de cette Chambre que le fait d'un procès intenté au sieur Jacquet du chef de calomnie, m'était complètement inconnu, quand j'ai fait la proposition de le nommer bourgmestre ?
Doutera-t-on de cette déclaration de ma part ; croira-t-on que j'aurais compromis la signature du Roi en proposant la nomination d'un individu poursuivi du chef de calomnie ? (Interruption.) Accordez-moi au moins le sentiment des convenances. Voilà les faits : j'ignorais ce procès ; la nomination était faite ; le gouverneur m'a averti que cet individu nommé bourgmestre ayant été traduit devant le tribunal correctionnel et condamné pour calomnie ; il croyait bien faire en ne lui communiquant pas sa nomination.
Je lui ai répondu qu'il avait bien fait, qu'il ne fallait pas communiquer la nomination à ce bourgmestre.
Maintenant l'individu condamné en première instance a été en appel devant la cour de Liège. Que s'est-il passé à la cour de Liège ? Toujours dans la pensée de me présenter comme complice officieux de Jacquet, on a dit ; le ministre a communiqué l'enquête administrative qu'il avait fait faire à Vencimont.
Les défenseurs de Jacquet m'ont écrit, ont insisté pour connaître les faits qui avaient été notifiés officiellement à l'administration.
Ils savaient qu'une enquête administrative avait été ordonnée, ils en demandaient communication ; je n'ai pas voulu faire cette communication à mon honorable ami M. Forgeur.
J'ai écrit au procureur général qu’il existait une enquête administrative, que je la lui envoyais, le laissant juge de l'usage qu'il croirait convenable d'en faire, de l'apprécier et de la communiquer ou de ne pas la communiquer aux parties.
Je m'en suis référé à la prudence et à la discrétion de M. Raikem, procureur général à Liège, dont vous ne vous défierez pas, je pense ?
M. Vilain XIIII. - Personne.
(page 577) M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Moi non plus. J’étais bien certain qu'il n'en ferait pas un usage indiscret.
On me reproche d'avoir ordonné cette enquête et on vient mettre en cause l’honorable fonctionnaire chargé de cette délicate mission.
On lui a reproché son inexpérience, pour ne pas dire sa partialité, nous savons ce que cela veut dire ; eh bien, je commence par rendre un hommage public à ce fonctionnaire, et la province de Namur s'associera, j'en suis certain, à la justice que je rends aux connaissances et au caractère de l'inspecteur provincial de Namur.
Il y avait, dit-on, un trio composé de l'ancien et du nouveau bourgmestre et d'un instituteur acharnés contre le curé et l'institutrice.
L'institutrice était accusée de faits graves, on provoquait la destitution de l'institutrice : si j'avais été un homme de parti en ces matières, si j'avais voulu faire du scandale politique à propos d'instruction primaire, les faits signalés auraient pu provoquer la révocation de l'institutrice.
Au contraire, un des trois amis, l'instituteur a été destitué pendant le procès, au risque de nuire à la cause du sieur Jacquet. (Interruption.)
M. Wasseige. - Je l'ai dit.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Restait l'institutrice ; si j'avais rempli rigoureusement mon devoir, si je n'avais pas eu certains égards parce que c'était une femme, j'aurais su provoquer du même coup la destitution de l'institutrice. (Interruption.)
Nous nous défendons, et c'est malgré nous que nous descendons à ces détails.
M. B. Dumortier. - Et le jugement ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Eh ! on n'a pas fait la preuve des faits.
M. B. Dumortier. - Le jugement a condamné le prévenu pour calomnie.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Les faits peuvent être vrais et les prévenus condamnés.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - J'ai chargé un fonctionnaire impartial d'aller s'enquérir des faits sur les lieux ; à la suite de l'enquête administrative, je n'ai pas frappé de destitution l'institutrice, mais elle-même a dû reconnaître que sa présence dans la commune où elle exerçait n'était plus possible ; je l'ai fait engager à demander son déplacement.
Je désire détruire l'effet qu'a pu produire cette étrange accusation de M. Wasseige qui consisterait à présenter l'ancien ministre de l'intérieur comme ayant été le complaisant sinon le complice d'une dénonciation calomnieuse à l'égard d'un curé et d'une pauvre institutrice, alors que si j'avais pris parti pour quelqu'un dans cette affaire, c'eût été plutôt pour une femme, pour une institutrice incapable de se défendre elle-même.
Je ne comprends pas qu'on vienne m'accuser de pareils actes que je répudie, qui répugnent à mon caractère.
Maintenant je répète ce que j'ai dit en commençant, je regrette que de pareils faits soient livrés à la publicité parlementaire : cela est regrettable pour tout le monde. Du même droit que vous attaquez en les désignant par leurs noms des citoyens qui s'appellent Massot et Jacquet, vous devez vous attendre à rencontrer des contradicteurs qui auront à vous opposer des faits et d'autres noms qu'il eût été beaucoup plus prudent de ne pas exposer la publicité.
Messieurs, je serai toujours prêt à accepter très complétement les conséquences des actes que je pose. Je crois qu'il est très bien aussi que les actes des ministres soient sévèrement contrôlés par l'opposition.
Mais qu'y a-t-il à répondre quand on vient lui faire un grave reproche de ce que, dans une commune dont il connaît à peine le nom et la situation, tel individu aura été nommé bourgmestre ou échevin. Il n'en sait rien la plupart du temps.
Dans une quantité de petites communes dont, je le répète, il connaît à peine le nom et la situation, il lui arrivera de nommer ou Pierre, ou Paul, ou Jean, et voilà que de pareils fails viennent à la tribune s'introduire comme de grands griefs rapetisser les débats du parlement aux proportions d'une mesquine dispute de paroisse.
Eh bien, ce n'est pas là le rôle du parlement. Par de telles pratiques, vous vous exposez vous-mêmes, vous nous exposez tous à compromettre ce que ce régime doit conserver de digne et d'élevé aux yeux du pays.
M. de Moor. - Messieurs, je n’entends pas défendre ici le sieur Jacquet, quoique ce ne soit que par imprudence qu’il s’est attiré la condamnation du tribunal de Dinant et de la cour d’appel de Liége.
Messieurs, l'honorable M. Wasseige vous a beaucoup parlé des antécédents, des relations intimes de M. Jacquet avec M. Massot et je ne sais qui encore, et il vous a très peu parlé des antécédents du curé de Vencimont.
II me permettra de compléter son discours et de vous parler de M. Hart, curé de cette commune, et je commence par vous donner son état de service. Ces renseignements, l'honorable M. Wasseige serait fort étonné si je lui disais de quelles personnes je les tiens.
Je vous prie de bien faire attention aux dates et au temps que le curé Hart a passé dans les différentes cures où il a été nommé. Vous aurez ainsi la preuve de cet esprit conciliant qu'il a toujours apporté dans les différentes communes oh il a été successivement envoyé.
M. Hart a été nommé curé à Goronne, doyenné dc Vielsalm, en 1860.
En 1848 déjà, on le voit quitter cette cure et il est envoyé à Devantave doyenné dc Laroche.
Vous croyez peut-être qu'il y reste longtemps, qu'il est corrigé ? Nullement. En 1849 déjà, l'évêque le déplace et l'envoie à Baclain, doyenné de Houffalize.
De 1849 à 1858 où le retrouvé-je ? A Palange, non plus comme curé, mais comme vicaire en quelque sorte destitué par l'évêque.
En savez-vous par qui il était destitué moralement ? Par vos amis politiques, M. Wasseige, et quand vous le voudrez, puisque vous n'aimez pas à citer ici des noms propres, je vous en citerai en particulier si vous voulez, qui sont ceux dc vos amis politiques et qui ont obtenu le déplacement de ce brouillon, qui a continué à se montrer tel dans toutes les communes où il a été envoyé.
Ainsi de 1849 à 1858, il a été en terme militaire, ou en terme de douane, mis à pied ; vous ne pouvez nier cela.
En 1859, il est appelé à Vencimont. J'habite dans les environs de cette commune et je puis parler des faits en connaissance de cause.
M. B. Dumortier. - Ah ! c'est vous qui avez fait nommer M. Jacquet.
M. de Moor. - Je ne sais si vous n'avez pas fait nommer d'autres candidats dans d'autres communes, je pourrai parler de cela dans une autre occasion.
M. B. Dumortier. - Je n'ai pas fait nommer des personnes à qui on pouvait reprocher de pareils faits.
M. de Moor. - En 1859, M. le curé Hart est nommé à Vencimont. Jusque-là cette commune avait vécu dans la paix la plus complète sans désaccord aucun.
Et savez-vous ce qui a amené le désaccord ? C'est que M. le curé a voulu être bourgmestre et conseil communal à lui tout seul. Il entrait au sein de la chambre du conseil communal et il avait la prétention de présider.
Eh bien, il s'est trouvé un homme jeune, ardent, vigoureux, libéral, il a dit : je lutterai contre le curé, et il s'est mis sur les rangs lors des élections.
Vous lui faites un reproche de ce qu'il n'était dans la commune que depuis 2 ans.
C'est à mes yeux un grand mérite. Car au bout de deux ans, il avait obtenu tant de sympathie que les électeurs l'élisaient conseiller communal.
Eh bien, M. Jacquet s'est mis ouvertement en opposition avec le curé. Il ne le cachait pas et il avait raison.
Messieurs, le curé Hart avait de singuliers moyens pour se concilier les sympathies des pères et des mères de famille. Je vais vous indiquer un petit moyen qu'il employait et qui devait le rendre très populaire aux yeux de ses paroissiens (interruption), de ses administrés, comme le dit avec raison l'honorable M. Goblet.
M. le curé Hart avait imaginé que les enfants des familles libérales de la commune devaient être punis tout différemment que les enfants appartenant aux familles catholiques, et il avait dit à l'institutrice : Quand vous aurez des punitions à infliger aux enfants de cette catégorie, vous les mettrez à genoux au milieu de votre école et vous leur ferez faire la croix avec la langue sur des carreaux en pierre.
Vous accusez M. Jacquet et vous n'avez pas un mot de blâme pour un curé qui a osé poser de pareils actes.
On a parlé de la nomination de Jacquet et de l'instruction que ses propos imprudents avaient soulevée. Messieurs, je vous prie de bien faire attention au rapprochement que je vais faire.
(page 578) Il y a une réclamation de Jacquet qui signale confidentiellement des faits regrettables et qui constituaient, dans la commune, un véritable tort au point de vue de la morale. Que fait M. le ministre de l'intérieur ? La réclamation de Jacquet lui était arrivée à la fin de février. Il la communique à M. le commissaire d'arrondissement de Dînant, et vous ne nierez pas, je pense, que ce commissaire d'arrondissement est de vos plus intimes amis. Que fait ce commissaire d'arrondissement, ce fonctionnaire, supérieur. La première chose qu'il fait, c'est de communiquer cette réclamation, cette dénonciation si vous le voulez, à l'intéressée, laquelle, prévenue ainsi des accusations qui pesaient sur elle, dans une dépêche confidentielle, s'adresse au procureur du roi et demande que. cette pièce soit produite.
On ne croit pas pouvoir le lui refuser. Eh bien, je dis, messieurs, que M. le commissaire d'arrondissement de Dinant a manqué à tous ses devoirs. Il pouvait faire venir l'institutrice et lui dire : « Voici certains faits qu'en vous reproche, » mais il ne devait pas citer la personne qui avait signalé ces faits au gouvernement.
Je me permettrai à ce propos, messieurs, de vous donner lecture d'une circulaire adressée dans le temps aux gouverneurs des provinces ; elle est ainsi conçue ;
« Bruxelles, le 8 septembre 1834.
« Circulaire à MM. les gouverneurs (Brabant excepté).
« M. le gouverneur,
« Il est arrivé, dans une occasion toute récente, qu'un bourgmestre avant reçu communication officielle d'une dénonciation faite à sa charge par l'un de ses administrés qui croyait avoir à se plaindre de sa conduite administrative, a intenté à ce dernier une action en calomnie. Le tribunal, saisi de cette affaire, a ordonné la production, en original, de la plainte ; et l'autorité administrative, pour ne pas entraver l'application de l'article 375 du Code pénal, s'est vue forcée de respecter l'ordonnance du juge.
« Cependant de semblables communications présentent les plus graves inconvénients. Si elles devenaient fréquentes, la crainte de s'exposer, même en faisant connaître la vérité, à un procès en calomnie, empêcherait désormais les administrés qui auraient à se plaindre, de signaler leurs griefs à l'autorité supérieure, et le droit de pétition serait paralysé.
« Pour prévenir ce résultat, je vous recommande, M. le gouverneur, de veiller attentivement à ce que les plaintes qui vous seraient adressées ou qui l'auraient été au gouvernement, ne soient pas communiquées aux fonctionnaires contre lesquels elles sont dirigées. Ce n'est pas qu'il faille laisser ces affaires sans suite, mais il vous sera facile de faire porter l'instruction sur les faits, sans indiquer la source d'où ils émanent.
« Le ministre de l'intérieur, (Signé) de Theux. »
Cette circulaire, comme vous venez de le voir, est du 8 septembre 1834 ; elle porte la signature de l'honorable comte de Theux.
Messieurs, cette circulaire n'avait pour but que de protéger les citoyens dans l'exercice du droit de pétition, et il me semble que M. le commissaire d'arrondissement aurait dû s'y conformer d'autant plus scrupuleusement qu'il doit surtout protéger ceux qui, dans l'exercice de leurs fonctions sont obligés de prévenir le gouvernement des faits qu'ils croient de nature à devoir être réprimés.
Il s'agit ici, messieurs, d'un devoir rempli par un fonctionnaire et M. le commissaire d'arrondissement, au lieu de se conformer à la circulaire de l'honorable comte de Theux, dévoile à l'institutrice la plainte portée contre elle. De là le procès intenté à MM. Jacquet et Massot.
Messieurs, en ce qui concerne l'affaire de Vencimont, je crois que l'honorable M. Wasseige l'a bien malencontreusement soulevée et qu'en fin de compte, les rieurs ne seront pas tout à fait de son côté. Je crois même que s'il avait à se présenter devant M. le curé de Vencimont, celui-ci ne lui donnerait pas l'absolution.
L'honorable M. Wasseige produit une pièce émanant du procureur du roi de Dinant, il dit que cette pièce avait été envoyée à M. le substitut du procureur général de Liège. C'est ainsi, je pense, qu'il se l'est procurée.
M. Wasseige. - Je n'ai pas à vous rendre compte de la manière dont je me suis procuré la pièce.
M. de Moor. - Je vais vous le dire ; moi, je le sais parfaitement, mais j'aurais voulu vous le faire dire.
M. le commissaire d'arrondissement communique à l'intéressé cette dénonciation, et il y a à Dinant des gens tellement complaisants, tellement obligeants lorsqu'il s'agit d'amis politiques, qu'on trouve bien quelqu'un au tribunal pour donner communication du rapport. (Interruption.)
Je vous défie de le nier. Le rapport a été « volé » au tribunal de Dinant.
M. Wasseige. - C'est une pièce officielle.
M. de Moor. - C'est une pièce confidentielle. Eh bien, messieurs, elle a été copiée par l'intéressée elle-même.
M. Wasseige a lu les jugements ; je demande, dans l'intérêt de tous et dans l'intérêt de la vérité, que le procès-verbal d'enquête administrative soit déposé sur le bureau pendant la discussion du budget de l’intérieur.
M. B. Dumortier. - Est-il vrai, oui ou non, qu'on a refusé de l'entendre ?
M. de Moor. - Vous le verrez dans le procès-verbal. Je ne le connais pas ; je demande à le connaître. Je demande le dépôt sur le bureau du procès-verbal d'enquête.
M. le président. - La Chambre statuera quand vous aurez fini.
M. de Moor. - Maintenant, messieurs, l'honorable M. Dechamps a donné hier lecture à la Chambre d'une circulaire du comité catholique de l'arrondissement de Charleroi, et il a dit que les signataires de cette circulaire avaient été renversés des sièges qu'ils occupaient dans leurs communes.
Eh bien, messieurs, je me suis rappelé qu'il y avait aussi une petite circulaire anodine qui avait paru en 1859, à l'époque des élections dans un arrondissement voisin du mien, dans l'arrondissement de Dinant. L'honorable M. Dehamps a donné lecture de la circulaire du comité catholique de Charleroi, j'agirai de même et je garderai la même réserve que l'honorable membre ; je ne citerai pas les noms propres qui se trouvent au bas de cette circulaire.
Voici, messieurs, ce qu'une société dite : « Union constitutionnelle de Dinant » écrivait aux électeurs en 1859 :
« A MM. les électeurs de l'arrondissement de Dinant.
« Messieurs,
« Vous serez appelés dans quelques jours à choisir un sénateur et deux représentants.
« Les circonstances graves au milieu desquelles nous nous trouvons donnent une importance extrême à l'accomplissement de ce devoir : l'horizon s'assombrit autour de nous, il faut des mains prudentes, expérimentées et fermes pour maintenir et défendre au besoin la neutralité belge.
« La situation intérieure du pays n'offre pas moins de gravité : depuis bientôt deux ans les hommes du pouvoir soumis aux exigences de partis hostiles à nos institutions leur sacrifient nos libertés, réveillent de fatales querelles, multiplient les dépenses, laissent les sessions se consumer dans de stériles débats et n'ont pas présenté un seul projet de loi d'intérêt. D'autre part, fidèles à leurs rancunes, ils ont puni l'indépendance des opinions par des destitutions arbitraires que flétrit la conscience publique. »
Je demanderai en passant quelles étaient ces destitutions ?... Je continue :
« Il est temps, messieurs, de penser à la défense de notre constitution, de faire succéder le soin des vrais intérêts du pays à nos tristes débats et d'appeler à la direction des affaires des hommes modérés, et d'un dévouement reconnu.
« Ces hommes, vous les avez désignés et élus vous-mêmes depuis plusieurs années. C'est là une manifestation spontanée et libre de tout l'arrondissement que l'Union constitutionnelle ne fait que confirmer. Vous les avez honorés de vos suffrages presque unanimes, ils ont honoré l'arrondissement par la distinction de leurs talents, par la pureté, l'élévation et la fermeté de leurs principes et par un zèle éprouvé à remplir leur mandat.
« Depuis plus de deux ans, il est vrai, l'un d'eux est éloigné des affaires, mais vous savez que son absence n'est due qu'à un hasard ou plutôt à une injustice que vous allez réparer.
« Que chacun de nous remplisse donc son devoir de citoyen avec le dévouement d'un patriotisme sincère et éclairé et vienne le 14 juin déposer dans l'urne électorale les noms de MM. d'Omalius d'Halloy, vice-président du Sénat, le comte de Liedekerke-Beaufort, représentant, Xavier Thibaut, bourgmestre de Dorinnes, ancien représentant. »
Je ne cite pas de noms. Le document est signé de noms très respectables. Mais hier l'honorable M. Dechamps accusait le gouvernement d'avoir fait une espèce de razzia de tous les signataires d'un comité politique de l'arrondissement de Charleroi.
Eh bien, une chose étrange, car pour la province de Namur, il faut que le gouvernement soit bien mal renseigné, une chose étrange, c'est que (page 579) jusqu'ici je n'ai pas trouvé un seul des bourgmestres et des échevins, signataires de cette fameuse circulaire, qui ait été destitué. Il en est qui ne sont plus ni bourgmestres ni échevins, mais ceux-là ou sont morts ou n'ont pas vu renouveler leur mandat par le corps électoral.
Ainsi, nos honorables adversaires ne sont pas fondés à venir prétendre que le gouvernement est d'une intolérance inqualifiable. Je dis, moi, que le gouvernement a beaucoup trop de longanimité dans la province de Namur où, à chaque instant, il est trompé, lorsqu'il s'agit de nomination. Et puisque l'honorable M. Wasseige a fait un petit voyage, de Namur dans les arrondissements de Louvain et de Waremme, il sera bien permis à un député de Neufchâteau de faire un petit voyage dans l'arrondissement de Dinant. Je citerai un seul fait qui s'y est passé, parmi une foule d'autres faits du même genre qui sont de notoriété publique, dans les cantons de Dinant, Ciney, Beauraing, Rochefort et Gedinne.
Les élections communales de Dinant ont lieu ; un revirement complet se produit dans cette ville ; les électeurs font table rase de tous les conseillers cléricaux ; l'honorable M. Wala passe en tête de la liste. Eh bien, il n'y a pas de démarches qu'on n'ait faites pour empêcher M. Wala d'être nommé bourgmestre.
Pour ma part, je félicite de tout mon cœur le gouvernement d'avoir posé un acte de justice à l'égard de notre ancien collègue.
Ce que je dis de l'honorable M. Wala, je pourrais le dire d'autres communes où l'on ne cachait pas le moins du monde ses antipathies, où l'on disait ouvertement qu'un tel ne serait pas nommé...
M. de Liedekerke. - Citez des noms propres.
M. de Moor. - Je vous ai cité le commissaire d'arrondissement.
M. de Liedekerke. - Vous avez eu tort.
M. de Moor. - « J'ai eu tort, » dites-vous ; c'est votre opinion, mais ce n'est pas la mienne.
Messieurs, je finis et je demande de nouveau le dépôt sur le bureau, pendant la discussion du budget de l'intérieur, du procès-verbal de l'enquête administrative que le département de l'intérieur a ordonnée au sujet de l'affaire de Vencimont.
- La proposition de M. de Moor est mise aux voix et adoptée.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre :
1° Un projet de loi qui ouvre au département des travaux publics un crédit spécial de 5,899,000 francs, destiné à l'extension et à l'amélioration du matériel d'exploitation du chemin de fer de l'Etat, et à la construction de trois ponts en fer sur la Sambre entre Charleroi et Namur ;
2° Projet de loi qui autorise une dérogation temporaire à l'article 20 de la loi sur la comptabilité de l'Etat, afin que le gouvernement puisse faire des payements à compte à la compagnie qui exécute les travaux d'Anvers.
- Il est donné acte à M. le ministre des finances de la présentation de ces projets de loi qui seront imprimés et distribués.
La Chambre en ordonne le renvoi aux sections.
La Chambre décide qu'elle se réunira demain vendredi, en séance publique, pour s'occuper de prompts rapports et de feuilletons de naturalisation.
- La séance est levée à 4 heures trois quarts.