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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 20 décembre 1861

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page 346) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Boe, secrétaire, lit le procès-verbal de la séance d’hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone, secrétaire, présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Des patrons, contre-maîtres, artisans et ouvriers appartenant à diverses branches d'industrie, demandent que l'enseignement du dessin industriel soit organisé en Belgique sur de plus larges bases. »

M. Goblet. - Je demande le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.

- Adopté.


« Des facteurs de postes à Bruxelles demandent une augmentation de traitement. »

« Même demande de facteurs de postes à Dour et Courtrai. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.


« Le sieur Lantener demande la réforme de la loi sur la milice et la conscription. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Par deux pétitions, des habitants de Liège demandent la division de la garde civique en deux bans et l'armement convenable de cette milice. »

M. Mouton. - Je demande le dépôt de ces pétitions sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.

- Cette proposition est adoptée.


«Le sieur Mertens adresse à la Chambre 100 exemplaires de sa pétition sur les servitudes militaires. »

- Distribution aux membres de la Chambre.

Rapport sur une pétition

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, en manifestant hier devant la Chambre le désir que la question de droit qui nous divise pût être décidée par la justice, j'ai déclaré que je n'hésiterais pas à poursuivre M. le lieutenant-colonel Hayez devant la cour militaire, s'il commettait des actes ou posait des faits qui me permissent de le traduire devant cette cour.

Je n'ai pas cru devoir le poursuivre pour les faits antérieurs, parce que ces actes avant été réprimés et punis par l'autorité militaire, je ne pouvais réclamer de nouvelles pénalités. Je pensais qu'on aurait pu m'opposer avec raison le principe non bis in idem.

J'ai également déclaré que j'étais prêt à me rallier à l'amendement de l'honorable M. Orts, s’il voulait introduire les mots « s’il y a lieu » dans le deuxième paragraphe.

J'ai encore déclaré que je me rallierais au premier amendement de l’honorable M Dolez, c’est-à-dire à l’amendement où ne se trouve pas le mot « immédiatement ».

L'amendement de l'honorable M. Orts est ainsi conçu :

« La Chambre :

« Considérant que la pétition du sieur Hayez soulève une question de droit dont la solution appartient an pouvoir judiciaire ;

« Emet le vœu que le gouvernement défère le sieur Hayez a la haute cour militaire, et passe à l'ordre du jour. »

J'ai demandé que l'on dît : « défère, s’il y a lieu, le sieur Hayez. »

Le premier amendement de l'honorable M. Dolez était ainsi conçu :

« La Chambre :

« Considérant que la pétition soulève une question dc droit dont la décision appartient au pouvoir judiciaire ;

« Après avoir entendu M. le ministre de la guerre dans ses explications, prenant acte de sa déclaration de son intention de déférer le sieur Hayez à la haute cour militaire, passe à l'ordre du jour. »

Le mot « immédiatement » a été introduit dans le second amendement, et c'est ce mot dont j'ai demandé la suppression.

Eh bien, messieurs, après la séance, puisqu'on n'avait pas pu s'entendre, j'ai examiné de nouveau l'affaire. J'ai eu une conférence avec M. Houyet, auditeur général, et ce magistrat a été d'avis que le dernier acte posé par M. le lieutenant-colonel Hayez c'est-à-dire la déclaration formelle qu'il a faite de persister à quitter sa résidence dès qu'il n'y sera plus retenu par la force, permettait de le traduire devant la cour militaire, eu égard à tous les antécédents posés par lui.

J'ai, en conséquence, déféré immédiatement M. Hayez à la cour militaire, pensant que c'est le seul moyen de sauvegarder la dignité de chacun et de ne pas porter atteinte à la discipline militaire.

J'ai tenu à faire cette déclaration à la Chambre avant la reprise de la discussion.

M. le président. - Voici un amendement qui vient d'être déposé sur le bureau :

« La Chambre, prenant acte de l’engagement de M. le ministre dc la guerre, de déférer immédiatement le sieur Hayez à la haute cour militaire, passe à l'ordre du jour.

« (Signé) Louis Goblet, Em. de Gottal. »

M. de Gottal. - Voici, messieurs, pour quelles raisons je ne pouvais pas me rallier à la proposition de l’honorable M. Orts, ni encore mois à celle de l’honorable M. Dolez. D’abord, ces propositions renferment toutes deux la même phrase, qui est celle-ci : « Considérant que la pétition du sieur Hayez soulève une question de droit dont la solution appartient au pouvoir judiciaire. »

Cette phrase, je ne puis point l'admettre pour ce simple motif qu'elle implique l'idée dc l'incompétence de la Chambre dans la question qui nous est soumise, et que cette incompétence je ne la reconnais en aucune manière.

Il ne s'agit pas ici de discuter une question de droit ; il s'agit d'une simple question de fait, il s'agit de savoir si l'article 2 de l'arrêté royal du 21 mai, article conçu en ces termes :

« Ces officiers cesseront de faire partie de l'armée à la date du 26 juin prochain. »

Si ces termes signifient, oui ou non, ce qui s'y trouve, s'ils signifient que le sieur Hayez a cessé de faire partie de l'armée à la date du 26 juin.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est une question de droit.

M. de Gottal. - Je ne comprends pas qu'il puisse s'agir d'une question de droit, en présence de termes si positifs, pas plus que je ne pourrais voir une question de droit dans celle de savoir si 2 et 2 font 4

Jamais donc, messieurs, je ne pourrais voter un ordre du jour avec un considérant comme celui que je viens de rappeler. Qu'on supprime ce considérant et nous serons bien près de nous entendre.

Je pense, messieurs, qu'il n'est pas dans cette Chambre un seul membre dont l'opinion ne soit formée, qui n'ait sa conviction faite.

Il n'en est pas un qui ne regrette, pour ne pas dire plus, qui ne regrette profondément les mesures qui ont été prises contre le sieur Hayez ; si dans l'amendement que j'ai l'honneur de soumettre à la Chambre, avec l'honorable M. Goblet, si je renonce à formuler ce regret, à ne pas l'inscrire d'une manière formelle, je ne puis pas souscrire non plus à ce qu'on émette, dans un ordre du jour, des idées qui sembleraient impliquer le contraire.

C'est pourquoi je repousse surtout la proposition faite par l'honorable (page 347) M. Dolez. Non seulement je voterai contre cette proposition, mais je dois protester contre l'interprétation qu'il serait possible d'y donner en présence de ces termes : « Après avoir entendu M. le ministre de la guerre dans ses explications. »

On pourrait inférer de la que ces explications nous ont paru suffisantes, qu'elles ont au moins soulevé un doute dans nos esprits. Or, messieurs, si vous avez entendu les explications de M. le ministre de la guerre, vous avez entendu les réponses qui lui ont été faites et votre opinion est aujourd'hui formée définitivement. Je le répète, je veux bien ne pas préjuger la question, je ne veux pas forcer à la Chambre à se prononcer d'une manière formelle ; mais je ne veux pas d'un ordre du jour qui semble dire le contraire de ce que la Chambre a senti réellement. C'est pourquoi avec mon honorable collègue M. Goblet nous avons proposé l'ordre du jour auquel je pense que tout le monde voudra bien se rallier.

M. le président. - Voici la proposition de MM. de Gottal et Goblet.

« La Chambre, prenant acte de l'engagement de M. le ministre de la guerre de déférer immédiatement le sieur Hayez à la cour militaire, passe à l'ordre du jour. »

- Ce sous-amendement est appuyé et fait partie de la discussion.

M. Moncheur. - Messieurs, un officier supérieur de l'armée se plaint à nous d'avoir été victime d'une erreur grave du chef du département de la guerre.

Ce dernier a soutenu ici, à deux reprises différentes, la parfaite légalité des actes qu'il a posés. Nous sommes donc, messieurs, obligés d'examiner froidement, impartialement, la valeur des arguments qu'il a fait valoir et la valeur des griefs exposés par l'officier supérieur qui aujourd'hui se trouve aux arrêts dans la forteresse de Diest.

Messieurs, non seulement nous sommes obligés d'examiner cette question, mais encore nous sommes obligés, à mon avis, d'exprimer notre opinion sur cette question elle-même.

Personne plus que moi, messieurs, je le déclare, n'est convaincu que l'honorable général a agi en parfaite bonne foi dans cette pénible affaire du lieutenant-colonel Hayez. Je dirai même qu'une vieille estime personnelle pour le général Chazal m'a fait examiner cette question avec une bienveillance toute particulière à son égard et avec l'idée préconçue qu'il n'avait point tort.

J'étais d'autant plus porté à faire cet examen dans ces dispositions d'esprit que je suis profondément convaincu de la nécessité d'une discipline sévère dans l'armée ; mais, messieurs, j'ai dû céder à l'évidence, et pour moi, il n'y a plus l'apparence de doute que le lieutenant-colonel Hayez a été victime d'une erreur du chef du département de la guerre.

Le lieutenant-colonel Hayez était-il encore, après le 26 juin 1861, le subordonné de M. le ministre de la guerre ? En d'autres termes, faisait-il encore alors partie de l'armée ?

Telle est la principale question, messieurs, qui existe dans cette affaire.

La négative est évidente.

Avant la production du texte de l'arrêté royal du 21 mai 1861, je conçois cependant jusqu'à un certain point que l'on ait demandé pour la solution de cette question des preuves juridiques.

Mais, après la production de cet arrêté, je vous avoue que je ne conçois plus que l'on puisse avoir le moindre doute. Il n'y a en effet qu'à le lire pour avoir tous ses apaisements, ou bien le français n'est plus une langue claire et intelligible.

En effet l'article 2 de cet arrêté, après avoir nommé les officiers qui sont admis à la pension de retraite et au nombre desquels se trouve le lieutenant-colonel Hayez, ajoute ce qui suit :

« Ces officiers cesseront de faire partie de l'amie à la date du 26 juin prochain, époque à laquelle leurs pensions prendront cours. »

Il est vrai, messieurs, que l'honorable général, pour échapper à la clarté de cette rédaction, dit qu'elle n'est pas l'expression fidèle de sa pensée, qu'il faudrait ajouter à cette formule un petit mot.

Or, messieurs, vous concevez que si l'on pouvait ajouter un petit mot si petit qu'il fût, à une formule quelconque, il serait facile d'en changer complètement le sens.

Ce mot que l'honorable général voudrait ajouter, est le mot « éventuellement », de sorte que l'on dirait : « Ces officiers cesseront éventuellement de faire partie de l'armée, etc. « Mais ce mot « éventuellement » serait un non-sens dans la formule de l'article. 2, car, ainsi qu'on vous l'a dit hier, il n'y a pas d'éventualité dans la collation d'une pension quelconque au profit de l'officier mis à la retraite ; le minimum de la pension est fixé par la loi.

Il est donc certain que l'officier admis à faire valoir ses droits à la pension de retraite, jouira d'une pension à partir de la date fixée dans l'arrêté, et par conséquent, il est bien certain que cet officier cessera, à cette date, de faire partie de l'armée ; ce ne peut être là une éventualité.

Dira-a-t-on, messieurs, que le mot « éventuellement » s'applique au chiffre de la pension, au montant définitif de la pension ? Mais la part de cette éventualité est faite dans l'arrêté du 21 mai 1861, qui porte ceci :

« Le montant de cette pension sera fixé ultérieurement. »

Ainsi, messieurs, en fait, et par la force seule de l'arrêté royal du 21 mai 1861, le lieutenant-colonel Hayez est sorti de l'armée, à dater du 26 juin, époque qui est formellement déterminée dans l'article 2 de cet arrêté.

Mais, messieurs, voulez-vous, en outre, des raisons juridiques, des motifs de droit qui prouvent qu'il ne peut en être autrement ? En voici une, entre autres, qui est péremptoire.

Vous savez tous que la juridiction militaire s'établit par la qualité de militaire. Eh bien, qu'est-ce qui constitue la qualité de militaire ? Celle-ci résulte (et la haute cour militaire l'a souvent déclaré) de l'inscription sur le registre matricule et sur le contrôle de l'armée ; elle résulte en outre du payement de la solde ou du traitement.

Or, M. Hayez, a-t-il ou n'a-t-il pas été rayé de la matricule du corps ? A-t-il ou n'a-t-il pas été rayé du contrôle de l'année ? Oui, messieurs, il a été rayé de l'un et de l'autre. En outre, il n'a plus reçu de traitement : il n'avait donc plus la qualité de militaire.

Et qu'importe que, dans les formules des radiations il y ait eu des variantes, ou même des irrégularités ! Il n'en est pas moins vrai que la radiation a eu lieu au livre matricule et au contrôle. Ces variantes sont sans importance aucune, car il ne s'agit pas de la forme dans laquelle le lieutenant-colonel Hayez a été rayé connue faisant partie de l'armée, mais du fait même de la radiation.

Ainsi, messieurs, vous le voyez, en vertu des principes de droit sur la matière, comme en vertu des termes de l'arrêté du 21 mai, M. Hayez a cessé de faire partie de l'armée à dater du 26 juin dernier.

Voulez-vous d'ailleurs une preuve évidente que c'est bien ainsi que l'a entendu M. le ministre de la guerre lui-même ? Mais cette preuve, c'est l'arrêté royal du 5 novembre 1861, qui a révoqué celui du 21 mai précédent.

En effet, si M. le ministre avait cru que, malgré l'arrêté du 21 mai, M. Hayez faisait encore partie de l'armée, au mois de novembre, il est bien évident que le ministre, qui avait à se plaindre de lui, et qui voulait le punir, aurait pu le faire à son gré, puisque, dans cette hypothèse, M. Hayez aurait encore été alors son subordonné ; il aurait donc pu l'envoyer à Diest sans se donner le luxe d'un nouvel arrêté royal pour le faire rentier dans l'armée.

Mais pensant, sans doute, alors, et à juste titre, que le lieutenant-colonel Hayez ne faisait plus partie de l'armée, il a bien été obligé de l'y remettre en lui donnant la position de non-activité par l'arrêté royal du 5 novembre.

Je dis donc que cet arrêté est la preuve incontestable que M. le ministre considérait le colonel Hayez comme étant à cette époque sorti de l'armée et cela en vertu de l'arrêté du 21 mai.

Il est clair que si M. Hayez avait été dans l'armée, il aurait nécessairement dû se trouver dans l'une ou l'autre des quatre seules positions d'officiers qui sont déterminées par la loi du mois de juin 1856 ; et dès lors il se serait trouvé à la disposition de M. le ministre de la guerre ; mais n'étant dans aucune de ces positions, cela prouvait invinciblement qu'il était devenu étranger à l'armée ; s'il était devenu étranger à l'armée le ministre de la guerre ne pouvait plus lui donner des ordres ; s'il ne pouvait plus lui donner des ordres, la rébellion de M. Hayez était chose impossible, et s'il ne pouvait plus y avoir de rébellion de la part de M. Hayez envers un supérieur qui n'existait plus, toutes les mesures de contrainte exercées sur lui du chef d'insubordination n'ont été que des actes arbitraires d'une grande gravité.

Messieurs, que devait faire M. le ministre, s'il avait à se plaindre d'une offense ou d'un outrage de la part du lieutenant-colonel Hayez, pour des faits relatifs au service antérieur de celui-ci ?

Il devait faire la chose la plus simple du monde, le traduire devant la haute cour militaire en vertu de l'article 4 du code pénal de l'armée.

Cet article est ainsi conçu :

« Les militaires qui ont reçu 1eur démission du service de l'Etat demeurent encore pendant un an et six semaines assujettis aux dispositions du présent code, pour des offenses faites à leurs supérieurs, relativement à leur service précédent. »

(page 348) Vous voyez que la responsabilité du militaire qui est déchargé (ontslagen, dit le texte hollandais) du service militaire, n'est relative qu'aux offenses qu'ils se permettraient envers leurs anciens supérieurs, mais nullement à l'insubordination, à la désobéissance ou à la rébellion, car il ne peut plus y avoir désobéissance ni rébellion là où il n'v a pas de subordonné.

Si le ministre avait choisi cette voie toute naturelle et toute légale, d'une plainte envoyée au parquet de la haute cour militaire, il n'y aurait pas eu la moindre difficulté.

La cour aurait jugé au fond.

Elle aurait apprécié les faits ; elle y aurait vu ou elle n'y aurait pas vu le délit d'offense, elle aurait condamné ou acquitté le prévenu, qui n'aurait pas eu à se plaindre de mesures extra-légales prises à son égard.

Messieurs, l'arrêté du 5 novembre qui remet M. Hayez malgré lui, dans l'armée, est une de ces mesures dont l'illégalité est flagrante.

En effet, le service des officiers est libre.

IL résulte d'un contrat bilatéral entre l'officier et l'Etat.

Ce contrat cesse de plusieurs manières.

Il cesse par la démission volontairement donnée et acceptée ; il cesse par suite de condamnations judiciaires ou par suite de l'application de la loi sur la perte du grade, et enfin par l'admission à la pension de retraite.

Ce mode de cessation du contrat des officiers s'opère de deux manières : premièrement par la demande spontanée des officiers à l'effet d'être mis à la retraite et secondement par l'admission d'office à la retraite par arrête royal et ce en vertu des pouvoirs que donne au Roi la loi de 1838 sur les pensions militaires.

C'est, messieurs, par ce dernier mode que le contrat qui existait entre M. Hayez et le gouvernement est venu à cesser, et cette cessation, nous l’avons vu, a eu lieu à la date du 26 juin 1861.

Or, une fois M. Hayez libéré du service militaire, personne au monde ne pouvait plus le faire rentrer sans son assentiment. La liberté était pour lui un droit acquis. Ce droit, il pouvait et il peut encore le faire respecter par la justice.

Il y a plus : il pourrait y avoir droit acquis même pour des tiers. Par exemple, si M. Hayez avait, après le 26 juin, aliéné ou engagé pour un certain temps son travail, ses soins, son industrie en faveur d'un tiers, ce tiers aurait le droit de réclamer l'exécution du contrat fait avec lui.

Enfin, messieurs, voici encore une preuve que le système de M. le ministre de la guerre est erroné. Vous savez tous que la loi d'organisation militaire fixe les cadres de l'armée, le nombre d'officiers de chaque grade dans chaque arme. Or, si les officiers admis à la pension de retraite continuaient à faire partie de l'armée jusqu'au second arrêté relatif à la liquidation de leur pension, il arriverait très souvent que la loi d'organisation militaire serait violée. Car presque toujours les officiers pensionnés sont remplacés immédiatement et longtemps avant le second arrêté de la liquidation de la pension ; c'est même ce qui est arrivé, je pense, dans le cas dont nous nous occupons. Le lieutenant-colonel Hayez, dont la pension n'est pas encore liquidée, est depuis longtemps remplacé dans son grade. Eh bien, si le lieutenant-colonel Hayez fait encore partie de l'armée, il doit y avoir un excédant d'officiers sur le nombre déterminé par la loi d'organisation militaire.

Messieurs, l'honorable ministre de la guerre a cité plusieurs précédents à l'appui de sa thèse. Ces précédents ont pu vous paraître d'un caractère précis au premier abord ; mais si l'on en fait un examen scrupuleux, on trouve qu'aucun d'eux ne plaide en faveur de la thèse de M. le ministre de la guerre, qu'ils ne prouvent rien pour cette thèse ou prouvent même le contraire.

Ainsi, M. le ministre de la guerre vous a cité un article de l'arrêté royal de 1838 qui porte que tout militaire qui a des droits à faire valoir à la pension de retraite, du chef de blessures ou d'infirmités, est tenu de les faire valoir par la voie hiérarchique, avant de quitter le service.

Or, ajoute M. le ministre, si vous prétendez que le premier arrêté qui admet un officier à faire valoir ses droits à la pension est l'arrêté qui lui fait quitter son service, il ne peut plus faire valoir ses droits pour lesquels cet arrêté a été pris.

Mais, messieurs, il y a évidemment ici confusion de la part de M. le ministre. Nous ne prétendons nullement que le service militaire finit à la date de l'arrêté royal qui admet à la pension, mais bien à la date où la pension doit commencera à courir en vertu de cet arrêté ; ce qui est tout différent.

Ainsi dans l'espèce qui nous occupe, je suppose que le colonel Hayez ait eu des blessures à faire valoir pour la liquidation de sa pension ; comme l'arrêté royal qui l’admet à faire valoir ses droits à la pension est du 21 mai, qu'il lui a été communiqué, sans doute, le lendemain et que c'est au 26 juin que sa pension commençait à courir et que son service a fini, il est évident que le lieutenant-colonel Hayez avait plus d'un mois pour faire valoir ses blessures ; et par conséquent il n'y a pas du tout impossibilité d'appliquer l'arrêté de 1838, qui porte que l'on doit faire valoir ses blessures étant encore au service. L'argument de l'honorable ministre de la guerre tombe donc à faux...

Il a cité le général Borremans, à l'occasion de la liquidation de cet officier, mais qu'est-il arrivé ? Le lieutenant général Borremans a négligé de faire valoir ses blessures non seulement dans le délai qui s'est écoulé entre l'arrêté de sa mise à la pension et le jour où cette pension a pris cours, niais encore dans le délai qui s'est écoulé depuis le jour où sa pension commençait jusqu'au second arrêté de liquidation de celle-ci, il a attendu que ce second arrêté fût porté avant de faire valoir ses blessures ; la cour des comptes a décidé que sa réclamation était tardive parce qu'il était sorti des rangs de l'armée depuis longtemps, mais comme je l'ai dit à l'instant, il aurait eu tout le temps nécessaire pour faire valoir ses droits s'il y avait pensé avant que son service militaire cessât.

L'honorable M. Chazal a encore cité à l'appui de son système l'exemple du colonel Libotton.

Le colonel Libotton a été admis à faire valoir ses droits à la pension, le 17 mai 1846.

Le terme fixé pour entrer en jouissance de la pension était au 1er juin. Le 5 juin, il était encore à son corps. Il punit le lieutenant-colonel de son régiment.

Ce lieutenant-colonel résiste. Le colonel en réfère au ministre de la guerre et le ministre de la guerre confirme la punition infligée. M. le ministre tire de ce fait la conséquence que son prédécesseur, le général Prisse, entendait comme lui que l'officier admis à la pension reste militaire jusqu'au second arrêté de liquidation.

Mais, messieurs, vous allez voir que la conséquence que tire M. le ministre de cet exemple est tout à fait fausse.

En effet, le ministre delà guerre M. Prisse a agi dans cette circonstance en vertu d'une disposition formelle et exceptionnelle de la loi.

Il suffit, pour en être convaincu, de vous lire le texte de l'article 3 du code pénal militaire qui porte ce qui suit :

« Ce code n'est point applicable à des officiers qui n'ont qu'un rang titulaire, non plus qu'aux officiers, sous-officiers ou soldats pensionnés, à moins qu'ils ne soient employés pour quelque service militaire. »

Vous voyez donc, messieurs, que la position du colonel Libotton rentrait précisément dans les termes de la dernière disposition de l'article 3, c'est-à-dire que quoique pensionné il conservait pourtant, par exception, la qualité de militaire comme étant momentanément chargé d'un service militaire, et vous comprenez, messieurs, que cela doit être, dans l'intérêt de la discipline. Mais il n'y a aucune espèce de conséquence à tirer de cet exemple en faveur de la théorie de M. le ministre de la guerre.

M. de Brouckere. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.

M. Moncheur. - Messieurs, vous avez entendu hier les arguments de M. le ministre en faveur de son opinion ; pour être justes, vous devez entendre la réponse à ces arguments.

Pour vous prouver que lorsqu'un officier est admis à la pension de retraite, il reste dans la position où il était jusqu'au moment où sa pension est liquidée, M. le ministre a cité un fait arrivé sous le ministère du général Anoul. Voici ce fait : un lieutenant-colonel d'une place est admis à faire valoir ses droits à la pension de retraite ; au moment où il reçoit l'avis de cette disposition, il commet un acte d'indiscipline ; le ministre fait rapporter l'arrêté et en provoque un autre qui le place en non activité de service ; vous voyez, messieurs, qu'il n'y a pas d'analogie entre ce cas et celui du lieutenant-colonel Hayez.

C'est en effet au moment où on lui communique l'arrêté qui l'admet à faire valoir ses droits à la pension, que le colonel dont il s'agit commet un acte d'indiscipline, donc avant la date de la jouissance de la pension. On l'a puni et on était en droit de le faire puisqu'il était encore militaire.

En outre, on a rapporté l'arrêté qui l'admettait à faire valoir ses droits à la pension, et on était encore en droit de le faire, puisqu'il n'avait pas cessé d'être officier : M. le lieutenant-colonel Hayez était dans une position tout autre quand il a été remis sans son assentiment, dans les cadres de l'armée.

Messieurs, je crois que c'est l'autorité judiciaire qui doit en définitive prononcer sur le grave conflit qui est porté à notre connaissance, mais je vous avoue, messieurs, qu'il m'est impossible d'accepter aucun des amendements qui ont été proposés dans la séance d'hier, et voici pourquoi ; c'est qu'ils ont tous à mes veux un vice radical, celui de faire (page 349) intervenir dans cette affaire la Chambre des représentants en quelque sorte comme une chambre des mise en accusation, pour inviter le gouvernement à traduire en justice un militaire, un citoyen belge. (Interruption)

M. Dolez. - Il y a un nouvel amendement.

M. Moncheur. - Je ne le connais pas, il n'a pas été proposé ; je ne puis parler que de ceux qui font partie de la discussion.

Je dis donc que je n'accepte pas ces amendements parce que je ne veux point émettre comme membre de cette Chambre, soit directement soit de quelque manière détournée que ce puisse être, le vœu que le gouvernement traduise en justice un de mes concitoyens

Je dis que ce rôle n'est pas digne de la Chambre.

M. Dolez. - Les deux amendements d'hier sont retirés.

M. Moncheur. - Mais il y a encore l'amendement de M. de Gotfal,

M. Dolez. - Il y en a un autre.

- Plusieurs membres. - La lecture de l'amendement.

M. Moncheur. - Si M. le président veut bien lire l'amendement, j'interromprai un instant mon discours.

M. le président. - L'amendement est ainsi conçu :

« La Chambre,

« Considérant que d'après la déclaration de M. le ministre de la guerre le lieutenant-colonel Hayez est déféré à la haute cour militaire, passe à l'ordre du jour. »

Cet amendement est signé par MM. Dolez, Orts et Pirmez.

M. Moncheur. - Je ne retire pas entièrement les observations que j'avais faites sur les premiers amendements ; mes griefs sont un peu moindres, il est vrai, contre celui que je viens d'entendre, puisqu'on n'émet plus positivement le vœu de voir traduire le lieutenant-colonel Hayez en justice ; mais on vise en ayant l'air de l'approuver, le fait des poursuites déjà intentées ; or, c'est déjà trop, selon moi ; c'est dégager en partie du moins la responsabilité d'un acte qui doit peser entièrement sur le ministre.

Que feriez-vous par cet amendement ? Vous viseriez, vous approuveriez d'avance un fait qui est étranger à la question elle-même qui vous occupe et vous n'émettriez aucune espèce d'opinion sur la légalité ou l'illégalité des actes qui vous sont dénoncés. (Interruption.)

Vous dites que vous ne voulez pas émettre d'opinion sur ces actes et cependant vous êtes saisis de la question ; un ancien officier supérieur se plaint d'avoir été victime de mesures arbitraires et vous n'avez pas d'opinion à émettre sur des faits aussi graves !

Mais il nous arrive tous les jours des réclamations infiniment moins importantes, et que faites-vous ? Vous les renvoyez au moins au ministre compétent pour que la question soit examinée par lui, et vous ne passez à l'ordre du jour que quand il est évident que la réclamation ne mérite pas d'occuper la Chambre. C'est tellement vrai, que le mot dédaigneux accompagne ordinairement les mots « ordre du jour ».

Eh bien, messieurs, je vous le demande, serait-il décent d'adopter l'ordre du jour dans la question importante qui nous est actuellement soumise ? Réfléchissez-y.

Quant à moi, je ne le pense pas.

Messieurs, je vous le déclare sans détour ; convaincu de la sincérité et de la bonne foi avec lesquelles l'honorable ministre de la guerre a versé dans l'erreur, j'aurais vu avec plaisir une chose dans cette discussion, c'est que l'honorable général eût franchement, loyalement et je dirai militairement reconnu qu'il avait pu errer dans un acte administratif qui n'affecte en rien l'honneur.

Je dirai en outre que, selon moi, la Chambre ne peut pas se dessaisir complètement de la question et que si elle pense qu'il y a eu de l'irrégularité dans les actes posés par le ministre de la guerre, elle doit l'indiquer par une formule quelconque. Ainsi, l'honorable M. Orts en développant son amendement avait dit ce qui suit :

« Le mot immédiatement a pour moi cette portée de témoigner que la Chambre n'approuve pas l'état de choses actuel ; que personne ici n'a trouvé parfaitement légal tout ce qui a été fait. »

Eh bien, messieurs, quant à moi, je me rallierais volontiers, et je le ferais en conscience, à une formule qui exprimerait l'idée de l'honorable M. Orts.

M. Orts. - Il y a une phrase après qui développe l'idée.

M. Moncheur. - Celle que je viens de lire y est aussi, n'est-ce pas ?

M. Orts. - Oui ! elle y est, mais il y en a une autre.

M. Moncheur. - Je continuerai si vous le voulez : vous ajoutiez ceci :

Je ne demande pas à la Chambre qu'elle condamne, mais je demande que les opinions restent intactes, qu'il n'y ait ni approbation, ni désapprobation.

Voilà, il est vrai, vos parole, dans les Annales parlementaires, mais comment conciliez-vous cette dernière phrase avec la première, où vous dites que le mot « immédiatement » a, selon vous, la portée que la Chambre n'approuve pas l'état de choses actuel et que personne n'a trouvé parfaitement légal tout ce qui a été fait ? Quant à moi, je trouve cela inconciliable.

Et ce que je voudrais, ce serait de pouvoir indiquer, comme le proposait hier l'honorable M. Orts, que je ne trouve pas parfaitement légal tout ce qui a été fait dans la triste affaire dont nous sommes saisis.

M. le président. - La parole est à M. de Brouckere.

M. de Brouckere. - J'avais demandé la parole pour une motion d'ordre, mais M. le ministre de la guerre désirant répondre quelques mots à l'honorable M. Moncheur, je ne m'y oppose pas.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je n'ai que quelques mots à dire. Il faut qu'hier j'aie été bien malheureux dans mes explications pour que l'honorable M. Moncheur ne les ait pas comprises, et qu'il me fasse dire le contraire de ce que j'ai voulu dire.

D'après l'honorable M. Moncheur, j'aurais soutenu qu'il faut interpréter l'article 2 de l'arrêté royal qui admet un officier à faire valoir ses droits à la pension comme s'il y avait un petit mot de plus, le mot : « éventuellement ».

J'ai été mal compris. J'ai dit que puisque l'interprétation de cet article donnait lieu à équivoque, on pourrait en modifier la rédaction.

L'arrêté par lequel on admet un officier à faire valoir ses droits à la pension, ne rappelle aucun texte de loi et n'a, par lui-même, pas de force légale !

C'est un arrêté d'exécution pris pour la facilité de l'administration et dont la teneur peut être modifiée sans altérer aucun principe.

Partant de là, je disais que peut-être en introduisant le mot « éventuellement » dans l'article 2, on « préviendrai » désormais toute équivoque.

L'honorable M. Moncheur vous a dit, messieurs : Vous voyez bien que le ministre de la guerre a considéré. M. Hayez comme ne faisant plus partie des cadres de l'armée, puisqu'il est rayé des contrôles et des matricules qui font autorité.

J'ai expliqué, messieurs, qu'il y avait une erreur d'inscription dans les matricules du 2ème régiment d'artillerie, une de ces erreurs, excessivement rares, presque sans précédents dans l'armée ; que dans ce même régiment il y avait eu d'autres officiers admis comme M. le lieutenant-colonel Hayez à faire valoir leurs droits à la pension, qui avaient été parfaitement inscrits selon les ordonnances et le formulaire comme « admis à faire valoir leurs droits à la pension » et non pas comme « pensionnés ».

Je répète que l'inscription relative à M. le lieutenant-colonel Hayez est fautive et que les extraits de contrôle et de matricule de tous les officiers mis dans la même position que M. le lieutenant-colonel Hayez sont parfaitement réguliers.

L'honorable M. Moncheur prétend que cette inscription est une petite variante. C'est une variante qui a une importance extrême et qui change totalement l'état de l'officier.

Si je mets sur les contrôles : « admis à faire valoir ses droits à la pension », ou bien : « admis à la pension », c'est une différence du tout au tout, une différence complète.

L'honorable Moncheur dit encore ceci.

Mais la preuve que M. le ministre de la guerre considérait M. Hayez comme pensionné, c'est qu'il a provoqué un arrêté royal pour le mettre en non-activité.

Eh bien, messieurs, cette observation m'étonne d'autant plus de la part de l'honorable M. Moncheur que, si je ne me trompe, il est un ancien auditeur militaire et qu'il devrait savoir qu'un officier ne peut être mis en non-activité par mesure d'ordre, ou pour tout autre motif, qu'en vertu d'un arrêté royal.

L'honorable M. Moncheur dit encore : Le ministre de la guerre pouvait appliquer au pétitionnaire l'article 4 du code pénal militaire ainsi conçu :

« Les militaires cependant qui ont reçu leur démission du service de l'Etat, demeurent encore pendant un an et six semaines assujettis aux dispositions du présent code, pour les offenses faites à leurs supérieurs, relativement à leur service précédent. »

Effectivement, j'aurais pu appliquer cet article à M. Hayez ; mais pourquoi ne l'ai-je pas fait ?

Je vais vous le dire : j'ai déjà exposé à la Chambre toute la bienveillance que j'avais eue jusqu'alors pour M. le lieutenant-colonel Hayez. Il demandait comme une faveur d'être mis en non-activité après l'acte répréhensible qu'il venait de poser, acte d'autant plus grave qu'il s'adressait au ministre de la guerre par la voie hiérarchique ; au lieu (page 350) d'entacher la fin de sa carrière par un jugement, j'ai préféré lui accorder la position qu'en définitive il avait réclamée. (Interruption.)

M. Guillery. - Je demande la parole.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - En mettant M. Hayez en non-activité, j'ai agi comme l'a fait un de mes prédécesseurs à l'égard d'un officier qui avait également manqué à la discipline, après avoir été admis à faire valoir ses droits à la retraite.

La seule différence entre ces deux cas, c'est que l'officier puni par mon prédécesseur avait été mis en non-activité immédiatement après l'arrêté d'admission à faire valoir ses droits à la retraite et avant la date déterminée pour l'entrée en jouissance de la pension.

Mais alors pour rester dans la légalité, on aurait dû, d'après les idée de l'honorable M. Moncheur, faire cesser la position de non-activité de cet officier à l'époque fixée pour l'entrée en jouissance de sa pension puisque c'est prétendument l'époque à laquelle cessent les services militaires.

Or, il est arrivé que ce même officier a été maintenu en non-activité encore pendant trois mois.

Eh bien, j'ai voulu mettre pour trois mois M. Hayez au traitement d non-activité et lui assigner la résidence de Diest. Mes motifs ont été très légitimes, très naturels et parfaitement conformes à tous les précédent du département de la guerre.

M. Guillery. - Je demande la parole.

M. Moncheur. - Je la demande aussi.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - L'honorable M. Moncheur nous dit encore : Quand un officier a été admis à faire valoir ses droits à une pension de retraite et quand l'époque fixée pour l'entrée en jouissance de sa pension est arrivée, il n'y a plus aucune puissance au monde qui puisse le réintégrer dans l'armée. J'ai cité divers exemples dans lesquels des officiers avaient été rappelés à l'activité à l'époque fixée pour l'entrée en jouissance de leur pension.

Il est arrivé maintes fois, en effet, que des officiers ayant été admis à faire valoir leurs droits à la retraite, et ayant transmis leur acte de naissance au département de la guerre, il a été reconnu qu'une erreur avait été commise, quant à leur âge, dans l'inscription à la matricule et qu'ils n'avaient pas l'âge requis pour être admissibles à la retraite. D'après la doctrine de l'honorable M. Moncheur, nulle puissance au monde n'aurait donc pu réintégrer ces officiers dans l'armée jusqu'à ce qu'ils eussent l'âge voulu pour pouvoir être légalement admis à la retraite. Quatre fois messieurs, ce cas s'est présenté et chaque fois, ces officiers ont été rappelés à l'activité bien qu'ils eussent été l'objet d'un arrêté qui les admettait à faire valoir leurs droits à la retraite.

L'honorable M. Moncheur nous dit encore : Mais, messieurs, la preuve que M. Hayez ne faisait plus partie de l'armée, qu'il n'était plus militaire, c'est qu'il a été remplacé, c'est qu'il est maintenant au-dessus du complet des cadres. C'est encore une erreur, et il n'y a qu'à ouvrir le budget de la guerre pour comprendre cette question. Il y a, au budget de la guerre, tout un chapitre consacré aux officiers en non activité, à la reforme ou en disponibilité.

Ainsi, un officier peut commettre un acte répréhensible et mériter, de ce chef, d'être mis en non-activité ; un autre officier peut avoir une maladie grave de nature à se prolonger et qui ne lui permet plus d'exercer son commandement ; dans ce cas, on le place en non-activité jusqu'à ce que, après sa guérison, il puisse, à la première vacance, être réintégré dans les cadres.

Eh bien, le budget contient les allocations nécessaires pour payer les traitements de ces officiers.

Voilà comment les choses se sont toujours passées.

On a prétendu encore que les faits que j'avais cités pour prouver que le département de la guerre avait toujours interprété la loi comme je le fais, que ces faits n'étaient plus applicables au cas actuel.

J'ai dit qu'il était arrivé que, postérieurement à la date fixée pour l'entrée en jouissance de la pension, on avait admis des infirmités que l'intéressé avait invoquées pour faire augmenter le taux de sa pension. Or, j'ai demandé à l'honorable M. Moncheur comment cette satisfaction aurait pu être accordée à l'ayant droit si, comme le suppose l'honorable membre, l'officier n'est plus au service dès le jour fixé pour l'entrée en jouissance de la pension ; et si aucune puissance au monde ne pouvait le réintégrer dans l'armée. Cependant plusieurs cas de ce genre se sont présentés, et la cour des comptes a ratifié la décision du département de la guerre ; et, s'il en a été autrement à l'égard de M. le général Borremans, c'est que cet officier supérieur avait fait valoir, postérieurement à la prise de possession de sa pension, le motif qui, invoqué plus tôt, eût pu faire augmenter le taux de sa pension. Messieurs, si j'étais convaincu ou plutôt si j’avais seulement le moindre doute sur la légalité de la mesure que j'ai prise, je n'hésiterais par une minute à venir déclarer à la Chambre que je puis m'être trompé ! Ce serait mon devoir de faire cette déclaration et j'ajoute que je m'en ferais gloire.

Mais j'ai la conviction profonde d'avoir rempli mon devoir envers la discipline et envers mon pays. Voilà pourquoi je maintiens ceitte position.

Du reste, la question étant maintenant déférée à la justice, ce sera à la justice de se prononcer, et si elle déclare que je me suis trompé, je reconnaîtrai de grand cœur qu'il y a nécessité de modifier l'arrêté royal et je le ferai immédiatement.

M. de Brouckere (pour une motion d'ordre). - Messieurs, après la déclaration que M. le ministre de la guerre a faite au début de cette séance, je crois qu'il ne serait pas convenable que la Chambre continuât la discussion sur le fond de l'affaire de M. le lieutenant-colonel Hayez.

Je vais plus loin : je crois qu'il serait inconvenant...

M. Goblet. - Je demande la parole.

M. de Brouckere. -... que la Chambre continuât cette discussion.

Hier, nous nous trouvions en présence d'une question de droit, celle de savoir si, à partir de la date du 26 juin, le lieutenant colonel Hayez a, oui ou non, cessé de faire partie de l'armée. De toutes parts, on exprimait le vœu que cette question fût déférée à la haute cour militaire. M. le ministre a déclaré que, déférant à ce vœu, le lieutenant-colonel Hayez était traduit devant cette cour.

Les discours qui seraient encore prononcés sur la question qui a occupé toute la séance d'hier ne pourraient donc avoir qu'un but et qu'un résultat, celui de peser sur la décision que la haute cour militaire aura à prendre. Or, messieurs, il faut lui laisser son libre arbitre ; il ne faut plus, du moment qu'une question est déférée à la justice, que les membres de la Chambre viennent en quelque sorte officiellement exprimer une opinion qui soit de nature à exercer de l'influence sur la décision de la justice. J'estime donc qu'il faut mettre fin au débat sur le fond de la question. Il ne reste plus que deux points à examiner : le premier, celui de savoir dans quels termes doit être formulé l'ordre du jour à intervenir ; le second point, c'est celui de savoir si les mesures disciplinaires prises contre le lieutenant-colonel Hayez...

- Un membre. - C'est le fond cela.

M. de Brouckere. - Ce n'est pas du tout le fond ; c'est une question secondaire ; je ne rentrerai pas dans la discussion principale, puisque je demande qu'on y mette fin. Je dis que le second point à examiner, c'est de savoir s'il est convenable que les mesures disciplinaires prises contre M. Hayez soient ou ne soient pas maintenues jusqu'au moment où il comparaîtra devant la haute cour militaire.

Et je vais m'expliquer à cet égard. Quelle est la question ? C'est de savoir si le lieutenant-colonel Hayez est ou n'est pas militaire. C'est là, messieurs, la question qui sera déférée immédiatement à la haute cour. La Chambre a assez montré que, dans son opinion, il y a doute sur la question.

M. Guillery. - Il n'y a aucun doute pour moi.

M. de Brouckere. - Il n'y a point de doute dans l'esprit de l'honorable M. Guillery, et je n'ai pas dit que moi-même j'éprouvasse le moindre doute. Mais je dis qu'il appert suffisamment de la discussion que la Chambre, prise dans son ensemble, considère la question comme douteuse.

M. Guillery. - C'est clair comme le jour. (Interruption.)

M. Dolez. - Mais pour moi cela n'est pas clair du tout.

M. de Brouckere. - L'honorable M. Guillery répète : Pour moi, c'est clair !

M. de Gottal. - La question est également claire à mes yeux ; mais j'admets qu'elle soit douteuse pour d'autres.

M. de Brouckere. - L'honorable M. de Gottal me dit que la question est claire à ses yeux ; mais il admet qu'elle soit douteuse aux yeux de la Chambre.

J'accepte parfaitement la distinction ; ainsi donc, j'ai raison de dire qu'aux yeux de la Chambre, prise dans son ensemble, la question est douteuse.

Eh bien, messieurs, je soumets à M. le ministre de la guerre lui-même la justice de M. le ministre de la guerre, cette simple question : S'il y a véritablement doute aux yeux de la Chambre sur la question de savoir si le lieutenant-colonel Hayez est ou n'est plus militaire, est-il convenable, est-il juste que ce doute soit interprété contre lui, jusqu'au moment où le département de la guerre le livrera au parquet de la haute cour militaire ? Je soumets la question à M. le ministre de la guerre. J'ai assez de (page 351) confiance dans sa justice pour être convaincu qu'après m'avoir entendu, il la résoudra dans mon sens. Je demande s'il est juste que le doute soit interprété contre le sieur Hayez et que les mesures disciplinaires prises contre lui soient maintenues, comme s'il n'y avait pas de doute.

Dans quelques jours le procès sera porté devant la haute cour, qui prononcera entre le département de la guerre et le colonel Hayez ; il faut que les deux parties se présentent dans une égalité de position, sans que rien soit préjugé pour ou contre l'une des parties. Cette égalité n'existerait pas, car l'on aurait maintenu contre l'autre une décision prise à son préjudice ; cela ne doit pas être.

En bien, j'engage M. le ministre de la guerre à suspendre toute espèce de décision.

S'il croit qu'il y a dans le cas quelque mesure à prendre, il la prendra plus tard s'il gagne son procès ; s'il le perdait, si la cour déclarait que le lieutenant-colonel Hayez n'était plus militaire, il regretterait, j'en suis convaincu, d'avoir maintenu des mesures qui plus tard seraient déclarées injustes et illégales. Si M. le ministre de la guerre veut spontanément déclarer qu'il fera cesser toute mesure disciplinaire, toute discussion finit, l'ordre du jour sera voté, et la haute cour pourra prendre la décision qu'elle croira juste.

- Un membre : Quelle est votre conclusion ?

M. de Brouckere. - Ma conclusion, c'est que je demande la clôture de la discussion sur le fond de l'affaire du lieutenant-colonel Hayez.

M. Moncheur. - J'ai demandé la parole.

M. Goblet. - J'ai demandé la parole sur la motion.

M. Pirmez ; - Je dois avoir la parole pour développer mon amendement ; la proposition de M. de Brouckere n'est pas une motion d'ordre, cela touche au fond.

M. le président. - La motion laisse entier le droit de présenter les développements des amendements.

M. Goblet. - J'ai demandé la parole le premier sur l'incident.

M. Dolez. - Quand un amendement est déposé, aux termes du règlement il doit être développé immédiatement si son auteur demande à le faire.

M. le président. - Les amendements seront développés. (Interruption.)

M. Pirmez. - Il faut que la Chambre sache sur quoi se fonde votre proposition.

M. de Brouckere.— J'ai exprimé la pensée qu'il était convenable de clore le débat. Je ne demande pas qu'on ferme la bouche à tout le monde, il est naturel que ceux qui ne sont pas de mon avis me répondent.

M. le président. - M. de Brouckere a fait une proposition de clore la discussion.

M. de Brouckere. - Oui, mais chacun peut parler sur ma proposition.

M. le président. - La question est de savoir si les amendements doivent être développés avant qu'il ait été statué sur la motion d'ordre (interruption), qui ne les exclut pas.

M. de Brouckere. - Mon opinion est qu'il faut donner la parole à ceux qui la demandent.

M. Goblet. - Je rappelle que j'avais demandé la parole au moment où M. de Brouckere a fait sa motion, je ne sais pas pourquoi on ne m'a pas donné la parole quand je l'ai demandée.

M. le président. - Un des auteurs de l'amendement réclamait son droit de le développer, il en est résulté un débat de priorité. (Interruption.)

M. Goblet. - Avec ce système personne ne pourrait plus parler sur une motion d'ordre, car on présentera des amendements et l'on demandera à les développer, de telle sorte que l'on n'arrivera pas à pouvoir s'expliquer sur la motion elle-même.

M. le président. - J'avais indiqué la motion comme devant être débattue. La parole est à M. Goblet.

M. Goblet. - Quand l'honorable M. de Brouckere a pris la parole pour développer sa motion, je ne partageais pas son avis ; je croyais que la discussion pouvait et devait continuer.

Elle devait continuer, selon moi, parce que, encore une fois, la réfutation des arguments de l'honorable général Chazal n'avait pas été faite ; que sur le fond on n'avait pas rencontré tous les arguments qu'il avait présentés, que moi-même, qui étais inscrit depuis deux jours, je n'avais pas eu l'occasion de parler.

Mais en présence des développements donnés par l'honorable M. de Brouckere à sa proposition, des sentiments qui nous animent tous, du désir de trouver un moyen honorable pour tout le monde de sortir de cette misérable affaire, je me sens disposé à me rallier aux paroles de mon honorable collègue, d'autant plus qu'il a posé la question sur son véritable terrain.

Il ne faut pas s'y méprendre, tous les ordres du jour, bien ou mal rédigés, ne termineront pas l'affaire. Il s'agit d'une question de liberté individuelle, qui doit sortir de ce débat intacte et entière, et l'ou aura beau faire, cette question restera vivace dans le pays : on saura qu'en Belgique, contrairement à la loi, un citoyen est en prison sans pouvoir avoir de recours à personne, et nul ne pourra vous défendre. (Marques d'approbation dans les tribunes.)

M. le président. - Au premier signe d'approbation ou d'improbation qui partira des tribunes, je les ferai évacuer immédiatement. La première preuve de respect que l'on doit au parlement quand on a l'honneur d'assister à ses délibérations, c'est le silence le plus absolu.

La parole est à M. Moncheur.

- Plusieurs membres. - Aux voix !

M. Moncheur. - Il me serait très facile de répliquer à M. le ministre de la guerre, mais puisque la Chambre désire clore ce débat sur le fond, je renonce à la parole.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je désire dire deux mots que je voulais dire tout à l'heure et qui auraient, je crois, terminé le débat : c'est que lorsqu'un officier est envoyé devant la cour militaire, à l'instant même cet officier est soumis à la juridiction de cette cour et se trouve en dehors de celle du ministre de la guerre.

Aujourd'hui, messieurs, avant d'arriver à la séance, j'ai envoyé l'ordre de mettre immédiatement M. le lieutenant-colonel Hayez à la disposition de M. l'auditeur général.

Ce magistrat prendra les mesures qu'il jugera convenables, et, selon toute probabilité, il mandera le lieutenant-colonel à Bruxelles pour conférer avec lui.

M. Goblet. - Messieurs, ce que je craignais arrive. Le pouvoir, la force maintient ses droits. Il faut que M. Hayez comparaisse en accusé, comparaisse en condamné devant la haute cour. Ce n'est plus le citoyen dont on discute l'état civil, c'est le militaire, et prenez garde à ce que vous allez voter, vous allez trancher la question, c'est le militaire que vous envoyez devant une cour spéciale.

Voilà la question.

Prenons les paroles de l'honorable général Chazal dès le début de cette discussion ; qu'a-t-il dit ? Il a dit : J'ai consulté mes jurisconsultes ; j'ai consulté l'auditeur général et il a trouvé que M. le lieutenant-colonel Hayez avait commis un nouveau délit ; c'est-à-dire que le lieutenant-colonel Hayez n'est pas traduit devant la haute cour pour le fait qui fait le fond du débat. Le lieutenant-colonel Hayez est puni de quinze jours d'arrêt ; s'il reste au service, ces quinze jours d'arrêt resteront inscrits à son état de service comme première punition ; puis, comme seconde punition, viendrait l'arrêt de la cour. Il était pourtant bien facile, si l'on voulait y mettre de la conciliation, de la loyauté comme on doit le faire dans une question où l'individualité représente un principe, où l'individu, fût-il même coupable, a été induit en erreur, a été attiré dans un piège par l'autorité elle-même ; il ne faut pas vous retrancher dans vos règlements ; vous pouvez, dans un cas spécial, prendre une mesure spéciale.

Je ne puis traduire M. Hayez devant la haute cour, nous a dit M. le ministre, pour un fait pour lequel je l'ai puni.

Mais ce n'est pas vous qui l'avez puni. Vous avez dit vous-même que vous ne pouviez lever les arrêts, parce que c'était une punition qui lui était infligée par votre inférieur. Mais qui ne sait que l'autorité supérieure, surtout dans le service militaire, peut aggraver une peine disciplinaire infligée par un inférieur ; et si le commandant de la division avait infligé à M. Hayez quinze jours d'arrêt pour un méfait quelconque, vous pouviez, pour ce méfait, le traduire devant la haute cour. Une faut donc pas chercher à constater un nouveau méfait.

Vous aviez assez dans ce qui précède pour traduire M. Hayez devant la justice militaire. Et venir dire aujourd'hui : J'ai traduit M. Hayez devant la haute cour ; je me rends au désir de la Chambre, parce qu'il s'est rendu coupable d'un nouveau délit, c'est encore une fois chercher des fins de non-recevoir, c'est chercher une échappatoire. Ce n'est pas pour savoir si M. Hayez méritait dix ou quinze jours d'arrêt que nous avons soulevé la question dans cette Chambre. La question est de savoir si un citoyen peut être privé de sa liberté par une autorité quelconque sans que ce citoyen ait aucun recours contre cette autorité.

Aussi longtemps que cette question de liberté individuelle ne sera pas sauvegardée pure, entière, je vous combattrai. Au-dessus de toutes les questions, il y a la liberté individuelle qui est sacrée dans un pays comme le nôtre.

Nous ne pouvons admettre qu'on la viole ; et je dis que votre système, c'est la violation de la liberté individuelle en ce sens que vous commencez (page 352) par punir un homme, et puis vous cherchez un nouveau délit pour le punir encore, alors que vous préjugez arbitrairement de votre droit.

Eh bien, M. Hayez ne doit être traité comme militaire, ni par vous, ni par nous. (Interruption.)

- Un membre. - Il y a doute.

M. Goblet. - Il suffirait que le doute existât, pour qu'on ménageât le pétitionnaire, mais ce doute n'exise pas ; je suis convaincu que si l'on consultait la Chambre, il n'y aurait pas assez de voix pour dire que vous n'avez pas le droit d'emprisonner un citoyen.

Je dis que la question est celle-ci : pour nous, le lieutenant-colonel Hayez n'est pas un militaire.

M. Dolez. - Vous avez demandé vous-même qu'on le déférât à la haute cour militaire,

M. Goblet. - Parce que j'ai voulu trouver un moyen de conciliation.

Cela est tellement vrai que dans l'amendement j'avais introduit une phrase incidente que j'avais rédigée ; je l'ai retirée parce que mes amis m'y ont engagé, pour que cette discussion se terminât le plus tôt possible et qu'on ne vînt pas nous jeter encore ce reproche, qu'on nous fait à chaque instant, de chercher à embarrasser le pouvoir. J'avais donc introduit cette phrase : « La haute cour militaire, laquelle seule, dans l'opinion du gouvernement, serait compétente. »

Je voulais laisser au gouvernement la responsabilité entière de son action, je voulais lui laisser la responsabilité entière des conséquences de l'acte posé. Je ne voulais pas que le jour où l'on viendra vous demander de poursuivre l'honorable ministre de la guerre comme ayant emprisonné arbitrairement un citoyen, on vînt dire que nous avions pris une décision quelconque qui nous liait. Si j'avais eu plus tôt la parole, j'aurais développé mon amendement et j'aurais dit pourquoi, par mesure de conciliation, j'avais fait disparaître cette phrase. Mais du moment que l'on interprète mal la concession que j'ai faite, je retire mon amendement et je réserve ma liberté entière.

M. de Gottal. - Je demande la parole sur l’incident.

M. Dolez. - Ce n'est pas là un incident. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Le règlement est positif ; il veut que quand un amendement est déposé il soit immédiatement développé par un de ses auteurs. Il n'est pas de motion d'ordre qui puisse empêcher ce droit de l'auteur d'un amendement. La raison en est simple. La Chambre étant saisie d'un amendement sans en connaître la portée, ne peut comprendre si la motion a un intérêt sérieux en présence de cet amendement.

Il faut donc que quand une proposition est faite qui tend à modifier l'état du débat, et tel est l'amendement qui nous est proposé, il faut que la Chambre connaisse ce que signifie cet amendement. Dès lors l'honorable M. Pirmez étant, avec mon honorable ami M. Orts, l'auteur d'un amendement nouveau déféré à l'examen de la Chambre, a le droit de le développer. Je demande donc que la parole lui soit maintenue, nonobstant toute espèce d'incident.

M. le président. - La proposition de M. de Brouckere tendait à circonscrire le débat, en excluant toute discussion au fond.

M. de Brouckere. - J'ai formellement déclaré que, selon moi, la discussion devait continuer sur les termes de l'ordre du jour. M. Pirmez demande à développer la rédaction qu'il a proposée avec deux de ses honorables collègues, il est donc tout naturel que la parole lui soit accordée.

M. le président. - La motion d'ordre n'a plus aucune utilité pratique ; il n'y a plus lieu de s'y arrêter.

M. de Brouckere. - Je retire toute espèce de motion d'ordre quelconque.

M. le président. - C'est la portée que j'ai donnée à votre observation.

Il y a donc lieu de développer l'amendement. Il est ainsi conçu :

« La Chambre considérant que, d'après la déclaration de M. le ministre de la guerre, le lieutenant-colonel Hayez est déféré à la cour militaire, passe à l'ordre du jour. »

M. Pirmez. - Messieurs, je ne viens pas prolonger le débat, mais chercher à le terminer.

MM. Orts et Dolez ont modifié l'amendement qu'ils avaient déposé hier ; j'étais inscrit ; ils m'ont demandé d'en profiter pour développer cet amendement ; mon tour de parole, qui ne valait pas grand-chose, m'a procuré ainsi l'honneur de signer cet amendement avec eux.

La Chambre n'était plus saisie, au commencement de cette séance, que de l'amendement de M. de Gottal. Cet amendement dans ses termes est fort inoffensif, mais l'honorable membre l'a accompagné de commentaires qui lui donnent la portée d'une décision de la question soulevée, et il devient ainsi, à mon sens, complètement inadmissible.

Il n'y a aucune difficulté à ce que des membres de cette Chambre émettent leur opinion sur ce débat, et, pour ma part, je ne cache pas la mienne, je partage le sentiment de M. de Gottal sur la position de M. Hayez, mais je considère comme absolument impossible que la Chambre elle-même statue par un vote sur cette question.

Il n'est pas de principe qu'il faille plus soigneusement respecter que celui de la séparation des pouvoirs.

Quelle est la mission naturelle du pouvoir législatif ? De faire des lois, c'est-à-dire de régler les droits et les intérêts par des dispositions prises à l'avance, et obligeant pour l'avenir la généralité des citoyens.

Quelle est la tâche du pouvoir judiciaire ? De faire des jugements, c'est à-dire de régler les droits et les intérêts qui sont contestés, par des sentences rendues d'après les lois et les actes existants ; sentences portant sur des faits passés et sur des droits individuels.

Mais si telles sont les attributions du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire, est-il douteux que la question d'état soulevée par M. Hayez, soit naturellement de la compétence du pouvoir judiciaire ? Ne s'agit-il pas en effet d'interpréter une loi et des actes déjà faits ; ne s'agit-il pas de les appliquer à un droit tout à fait individuel ?

Je sais bien qu'il est des cas où par la force même des choses la Chambre est entraînée à apprécier la valeur de certains actes et à agir en conséquence ; ce sont les cas où, la responsabilité ministérielle étant engagée, il n'y a pas d'autre moyen de vider la contestation qui s'élève qu'une décision du pouvoir législatif.

Mais cette position exceptionnelle où la Chambre, au lieu de voter des dispositions générales, apprécie des cas particuliers, doit être restreinte dans les limites de la plus stricte nécessité ; dès qu'il s'offre une autre issue, dès qu'il y a moyen de saisir le pouvoir judiciaire, la Chambre doit s'abstenir de sortir de son rôle législatif.

Tels sont, messieurs, les véritables principes constitutionnels, et ils ont une importance assez grande pour que nous prenions garde d'y porter atteinte.

Certainement s'il ne s'était présenté aucun moyen de faire apprécier par la justice la position de M. Hayez, la Chambre eût dû se prononcer, elle eût dû apprécier si réellement un citoyen qui n'est pas militaire a été incorporé illégalement dans l'armée, et dans l'affirmative le faire rendre à la vie civile.

Mais, je le répète, c'est là une intervention que la nécessité seule autorise, et nous devons désirer que cette question soit décidée par le pouvoir à qui la Constitution confie la sauvegarde des droits ; aussi l'idée de saisir la haute cour militaire a-t-elle été accueillie avec satisfaction sur tous les bancs, et, sans un incident fâcheux, eût-elle dès hier terminé le débat.

Aujourd'hui nous savons que la haute cour militaire est saisie de la question. Qu'avons-nous à faire en présence de ce fait ? Evidemment à nous dessaisir.

Il est absolument impossible que deux pouvoirs différents aient à se prononcer sur la même question et sur le même fait. Les conflits sont toujours regrettables, ils sont fort souvent difficiles à éviter. Or, ici nous nous jetterions dans un conflit de notre plein gré, nous le rechercherions, nous préférerions le voir surgir, plutôt que de laisser les choses suivre un cours qui écarte toute difficulté.

Messieurs, voyez la position où vous vous trouvez.

Je suppose que la Chambre adopte l'amendement de M. de Gottal avec la portée qu'il y donne. Eh bien, alors de deux choses l'une : Si le pouvoir judiciaire décide dans le même sens que nous, nous paraîtrons l'avoir influencé.

S'il décide en sens contraire, si la plus haute cour du royaume appelée à connaître de l'arrêt de la haute cour, juge que la loi et les actes ont une portée contraire à celle que nous leur donnons, n'est-ce pas un échec pour la Chambre qui se sera aventureusement mise, pour ainsi dire, en cause ?

On nous dit : La question est claire ; ou pour être plus exact, il n'y a pas de question. Pourquoi dès lors laisser supposer qu'il y a un doute ?

Mais, messieurs, il arrive toujours, lorsque deux opinions sont en présence, que l'on croit des deux côtés que la décision est sans difficulté.

M. de Gottal croit la chose évidente dans son sens. M. le ministre de la guerre croit son sentiment certain. Mais si mon honorable collègue, M. de Gottal, est si assuré de la vérité de son sentiment, je l'engage à laisser la cour de cassation prononcer sans faire naître des préjugés ; sa gloire d'avoir été dans le vrai ne sera que mieux consacrée.

L'honorable M. de Brouckere a soulevé une autre question, c'est celle de savoir ce que le lieutenant-colonel Hayez deviendra jusqu'à ce que la (page 353) haute cour ait statué. Je crois qu'ici encore le respect de la légalité trace notre ligne de conduite.

Par suite de son renvoi devant la haute cour, M. Hayez n'est plus à la disposition de M. le ministre de la guerre, il est soumis au pouvoir de la haute cour qui peut statuer sur sa position jusqu'au moment de l'arrêt.

Messieurs, puisque nous laissons le jugement de la contestation au pouvoir judiciaire, nous ne pouvons empiéter en rien sur ses attributions ordinaires ; il doit jouir de toutes ses prérogatives.

Laissons-le prononcer à l'égard de M. Hayez, comme à l'égard de toute autre personne, et sur sa position pendant la prévention et sur le mérite des prétentions qu'il élève.

L'honorable M. Goblet nous dit : « Moi je ne reconnais pas que M. Hayez doive être déféré à la haute cour militaire ; votre proposition suppose précisément ce qui est en question, la qualité de militaire chez M. Hayez. »

Mais, messieurs, je ne puis admettre pareille objection. Je ne reconnais pas, pour ma part, le moins du monde, que la haute cour militaire doive juger M. Hayez.

Elle sera tout d'abord saisie d'une question de compétence qu'elle résoudra, et cette question sera précisément celle de savoir si M. Hayez est soumis ou échappe à sa juridiction. En statuant sur ce point de compétence, elle videra sans aucun préjugé la question d'état qui nous a occupé.

Vouloir que la compétence soit d'abord fixée par nous, ce serait décider d'abord toute la contestation, et demander aux tribunaux de répondre à une question que nous aurions résolue.

Nous constatons donc seulement le fait de renvoi qui saisit le pouvoir judiciaire sans rien préjuger.

La question demeure entière, elle subsiste dans toute son intégrité.

Loin de moi, messieurs, l'idée de vouloir amoindrir l'importance de la liberté individuelle des citoyens. Mais en confiant les droits de celui qui se prétend lésé, au jugement de ses pairs d'abord, de la cour suprême ensuite, je crois que nous les sauvegardons pleinement. Le pouvoir judiciaire n'a-t-il pas entre ses mains notre fortune, notre liberté, notre vie même, et ne faudrait-il pas désespérer de tout, si nous n'avions pas la conviction qu'il sait faire respecter la vérité et la justice ?

Le débat me paraît aussi se terminer à la satisfaction de tous, par une fin aussi calme que le commencement a été orageux.

L'honorable M. de Decker, dont nous respectons tous le caractère, nous a engagés à écarter de cette discussion ce qui y est étranger, à éloigner surtout toute préoccupation de parti. Pour ma part, messieurs, j'aime que les préoccupations interviennent le. moins possible dans nos discussions, et j'espère qu'ici la voix de M. de Decker sera écoutée.

M. Debaets. - Ce n'est pas une question de parti ; c'est une question de justice.

M. Pirmez. - Je vois que l'honorable M. Debaets partage l'opinion de l'honorable M. de Decker et la mienne ; nous laissons donc cette question de justice tout entière pour le pouvoir judiciaire, à qui sont confiées les questions de justice ; il la recevra intacte pour la résoudre dans la plénitude de son appréciation.

En agissant ainsi, nous aurons respecté le grand principe de la séparation des pouvoirs. Nous aurons placé sous les plus imposantes garanties, la liberté individuelle du citoyen qui s'adresse à nous, tout en n'ébréchant pas le principe d'autorité dans l'armée, principe sans lequel il n'y a pas d'armée forte.

- Plusieurs membres. - La clôture !

M. le président. - La parole est à M. Goblet.

M. Goblet. - Je cède la parole à M. de Gottal.

M. de Gottal. - Messieurs, l'honorable M. Pirmez, dans l'exposé de l'amendement qu'il vient de présenter à la Chambre, nous a parlé d'un conflit. Je ne vois pas où il pourrait en trouver.

Je ne vois pas de conflit possible ni par l'adoption de l'amendement que j'ai eu l'honneur de proposer avec l'honorable M. Goblet, ni dans l'adoption de celui qui a été retiré depuis, et qui émanait des honorables MM. Orts et Dolez.

Il ne s'agit pas de décider la question, de décider si M. Hayez est ou non pensionné, est ou non militaire. Tous nous avons accepté le renvoi de l'affaire à la haute cour militaire, et nous pouvons l'accepter d'autant mieux que c'est la seule chose que demandait le pétitionnaire.

Si maintenant la cour de cassation est saisie de l'affaire et qu'elle la décide selon ma manière de voir, ce dont je ne doute nullement, comme l'honorable M. Pirmez partage mon opinion, je le convie à partager ma gloire.

S'il n'a pas accepté l'amendement dans ses termes parce que j'y ai joint quelques commentaires qui, selon lui, semblent y donner une autre signification que la signification textuelle, c'est un droit qui appartient à l'honorable M. Pirmez comme j'ai usé d'un droit en soumettant à la Chambre une appréciation toute personnelle.

Puisque aujourd'hui il est avéré que la question est soumise à la cour militaire, je crois que la discussion a perdu beaucoup de son importance.

Mais je ne puis m'empêcher d'exprimer le regret que M. le ministre de la guerre n'ait pas pris une pareille décision dans la séance de samedi dernier, lorsque la proposition en a été faite par l'honorable M. Orts.

Je ne puis comprendre non plus qu'il n'ait pas fait, au sortir de la séance de samedi, ce qu'il a fait au sortir de la séance de jeudi, c'est à-dire de consulter sur cette question l'auditeur général. Il nous eût épargné ainsi de longs et d'irritants débats.

J'aime à constater qu'enfin il est fait droit à la réclamation du pétitionnaire qui, si vous vous le rappelez bien, demande dans sa pétition à la Chambre d'être traduit devant la haute cour militaire. J'aime à constater aussi que de cette manière la Chambre et M. le ministre de la guerre lui-même font droit à la requête de M. Hayez et lui donnent ainsi gain de cause.

C'est pourquoi, me référant aux explications données sur mon amendement, je ne ferai point de difficulté, à moins d'incidents nouveaux, à me rallier à celui de l'honorable M. Orts.

De même que M. le ministre de la guerre a fini en disant qu'il avait cru faire son devoir, je termine en déclarant que, moi aussi, j'ai cru remplir un devoir en appuyant fortement la demande du pétitionnaire.

Je désire savoir maintenant si M. le ministre de la guerre est ou n'est pas décidé à cesser les mesures de rigueur contre le pétitionnaire.

- Une voix. - Cela ne vous regarde plus.

M. de Gottal. - Cela ne me regarde plus, dit-on.

J'ai cependant une objection à présenter à ce sujet.

Dans une séance précédente, M. le ministre de la guerre a dit que les arrêts ayant été infligés par le général commandant la province, il ne pouvait pas suspendre cette punition.

Je n'admets pas ce système. Qu'il ne lève pas complètement la punition, je l'accorde volontiers, mais qu'il ne puisse la suspendre, cela me paraît inadmissible.

La haute cour militaire, dit-on, dispose du pétitionnaire. Acceptant cette supposition, je demanderai à M. le ministre de la guerre, si lorsqu'un militaire qui se trouve aux arrêts sans accès est traduit devant la haute cour militaire, ces arrêts ne sont pas continués.

S'il en était ainsi, la défense du lieutenant-colonel Hayez deviendrait en quelque sorte impossible.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est la cour qui décide.

- L'amendement de MM. Pirmez, Orts et Dolez est appuyé.

M. le président. - Voici un amendement proposé par l'honorable M. Wasseige :

« Attendu que la question soulevée par la pétition du lieutenant-colonel Hayez est déférée par le ministre de la guerre à la haute cour militaire, la Chambre réservant sa décision sur cette pétition et sans rien préjuger, en ordonne le dépôt au greffe. »

La parole est à M. Wasseige pour développer son amendement.

M. Wasseige. - Messieurs, mon amendement a pour but de réserver les droits de la Chambre que je trouve compromis par la demande d'ordre du jour tel qu'il vous est proposé. A mon avis, la Chambre ne doit pas se dessaisir de son droit, elle doit pouvoir intervenir ultérieurement si elle le juge convenable.

Un citoyen belge se plaint d'être victime d'un acte illégal, d'un acte arbitraire commis par M. le ministre de la guerre. Il s'adresse à vous pour obtenir justice.

Si vous croyez que le pétitionnaire a raison, vous ne pouvez la lui refuser. Sans cela, le droit de pétition serait complètement illusoire, et la Chambre manquerait à son plus strict devoir.

Si M. le ministre de la guerre n'avait pas annoncé lui-même qu'il avait déféré l'affaire au jugement des tribunaux militaires, je suis convaincu que vous auriez été obligés de décider vous-mêmes la question, et je crois que vous étiez parfaitement compétents pour le faire, dût la mise en accusation d'un ministre en être la conséquence. Dans ce cas, j'étais résolu, d'accord avec plusieurs de mes honorables amis, à déposer un amendement tendant à déclarer catégoriquement que les actes commis par le ministre de la guerre à l'égard du lieutenant-colonel Hayez étaient illégaux.

Mais le ministre de la guerre ayant spontanément déféré l'affaire au jugement des tribunaux, cette solution paraissant convenir au pétitionnaire et la cour de cassation devant dans tous les cas être appelée en dernier ressort à décider la question de droit, je considère la résolution du ministre comme un sursis, mais pas autrement.

(page 354) Je pense que la Chambre doit conserver le droit de formuler son opinion même après la décision judiciaire ; et elle pourrait être appelée à le faire.

En effet, messieurs, eu supposant que la cour de cassation vienne à décider que les actes dont M. Hayez a été victime sont illégaux, que M. Hayez ne faisait plus partie de l'armée et que par conséquent M. le ministre de la guerre ne pouvait sévir contre lui, tout pourrait ne pas être encore fini. Le lieutenant-colonel qui dans ce cas se trouverait avoir été victime d'une détention arbitraire précédée de mesures d'une sévérité inouïe, pourrait ne pas se contenter de ce que la cour aurait décidé : il pourrait penser que l'on ne peut pas en Belgique, quelque haut que l'on soit placé, se jouer impunément des droits les plus sacrés que la Constitution garantit à chacun et s'en tirer en déclarant, après avoir été condamné par la cour suprême, que l'on s'est trompé et que l'on en est fâché ; et dans ce cas, M. le colonel Hayez croirait peut-être avoir à réclamer, contre qui de droit, des dommages-intérêts pour l'acte dont il aurait été victime.

Or, M. le ministre des finances a dit lui-même que les tribunaux devaient se déclarer incompétents si des poursuites étaient dirigées contre un ministre qui aurait posé un acte illégal dans l'exercice de ses fonctions, si les poursuites n'avaient pas été autorisées par la Chambre. Vous le voyez donc, messieurs, il se pourrait que l'affaire nous revînt et que nous eussions à émettre notre opinion. C'est pourquoi je pense qu'il conviendrait de tenir en réserve la question soulevée par la pétition.

Mon amendement a donc la portée que voici : la haute cour et la cour de cassation auront à décider la question d'état de M. Hayez, et si, pour une raison quelconque, dont le colonel Hayez est seul juge, l'affaire se présente devant nous, nous déciderons. C'est pourquoi je demande à la Chambre de ne point se dessaisir et de renvoyer la pétition au bureau des renseignements pour y être statué ultérieurement, s'il y a lieu.

- L'amendement est appuyé.

M. Guillery. - Messieurs, en présence de tous les amendements qui vous sont présentés, l'hésitation est permise. Je crois cependant que nous devons, en acquit de notre mission, admettre les réserves qui viennent d'être formulées par l'honorable M. Wasseige. Evidemment, la Chambre est saisie non seulement de la question qui va être soumise à la justice, mais encore de l'appréciation d'un acte que je considère, je l'avoue, comme illégal.

Je ne comptais pas prendre la parole dans cette discussion ; mais lorsque j'ai entendu M. le ministre de la guerre nous dire que s'il n'avait pas déféré le pétitionnaire à la haute cour militaire, c'était pour lui donner la position qu'il avait demandée, j'avoue qu'il m'a été impossible de ne pas demander la parole et qu'il a fallu tout le respect que j'ai pour la Chambre pour ne pas protester immédiatement..

Comment ! un citoyen, croyant qu'il n'est plus militaire, refuse d'obéir à des injonctions contraires à la loi, vous le qualifiez de rebelle et vous écrivez à la commission des pétitions qu'il a aggravé ses torts en s'adressant à la Chambre, comme si, pour le militaire comme pour tous les citoyens, la Chambre n'était pas le recours suprême dans toutes les positions où l'on peut se trouver.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Permettez-moi de vous interrompre un instant pour rectifier cette erreur. Je n'ai pas écrit un mot de cela à la Chambre. J'ai dit que le pétitionnaire avait aggravé ses torts par l'acte d'indiscipline qu'il avait commis, et nullement parce qu'il s'était adressé à la Chambre.

M. Guillery. - Sur des questions de texte, il n'y a pas de discussion possible, nous lirons la lettre tout à l'heure. Du reste tous les textes, quelque clairs qu'ils soient, ne sont pas toujours très décisifs, à ce qu'il paraît, puisque M. Hayez, à qui l'on donnait la position qu'il avait demandée (je crois, cette fois avoir bien compris M. le ministre de la guerre), c'est-à-dire la position de non-activité, n'a pas pu se lier à un arrêté royal qui, pour moi, est aussi clair que le jour, et c'est pour cela que j'ai interrompu l'honorable M. de Brouckere, lorsqu'il disait que la question était douteuse pour la Chambre.

L'honorable M. Dolez nous a dit qu'il ne doute pas, lui. J'ai l'habitude de m'incliner devant l'opinion de l'honorable membre dont je reconnais avec plaisir la supériorité, surtout comme jurisconsulte. Mais j'avoue que, dans le cas qui nous occupe, il m'est absolument impossible de trouver dans mon esprit l'ombre de l'apparence d'un doute. L'honorable M. Pirmez me dit : C'est ce qui arrive dans toutes les discussions, chacun croit avoir raison.

Non, messieurs, dans les discussions les plus graves, les plus passionnées, on comprend les adversaires, on comprend leurs doutes, on se rend même compte de leurs erreurs. Mais si quelqu'un me disait que cet encrier que j'ai devant moi est noir et que l'encre qu'il contient est blanche, je ne pourrais accepter cette assertion, je dirais qu'il n'y a pas lien de délibérer.

Eh bien, messieurs, ce qui vous est soumis aujourd'hui, c'est l'appréciation des actes dont un citoyen belge a été l'objet, et comme l'a très bien dit l’honorable préopinant, lorsque l'autorité judiciaire aura statué, il nous restera, à nous, à apprécier la conduite de M. le ministre de la guerre.

L'arrêté royal envoyé à M. Hayez, probablement pour qu'il en prît lecture, et qui avait été rédigé probablement pour dire ce qu'il dirait et non pas ce qu'on lui ferait dire plus tard quand on aura changé la rédaction, cet arrêté disait :

« Ces officiers cesseront de faire partie de l'armée à la date du 26 juin prochain, époque à laquelle leurs pensions prendront cours. » On déclare donc que M. Hayez a cessé, dès le 26 juin, de faire partie de l'armée et que sa pension a pris cours à cette date.

Et lorsqu'il vient dire : « M. le ministre de la guerre, je ne suis plus militaire parce que j'ai cessé de faire partie de l'armée le 26 juin, parce que depuis le 26 juin je ne touche plus de solde, parce que ma pension prend cours à cette date », on lui répond en lui donnant, dit-on, la position qu'il a demandée, c'est-à-dire en l'envoyant à Diest par la gendarmerie et en le faisant enfermer dans une casemate.

Ce que je demande, messieurs, c'est d'abord que l'on adopte les réserves formulées par l'honorable préopinant, et c'est qu'il soit bien entendu que ce n'est pas à l'état de question douteuse que nous renvoyons l'affaire devant l'autorité judiciaire, car, pour moi, et je suis certain d'avoir dans cette enceinte, un grand nombre de collègues qui partagent cette opinion, la question ne peut pas faire l'objet du moindre doute. Je reste convaincu que le pétitionnaire a été l'objet de mesures illégales et violentes.

M. Devaux. - Tout le monde ne partage pas votre opinion.

M. Guillery. -- Tout le monde non, mais je crois que les quatre-vingt-dix-neuf centièmes du pays la partagent.

M. de Gottal. - Provoquez donc un vote là-dessus ; nous saurons bien vite à quoi nous en tenir.

M. Devaux. - L'opinion contraire est mise dans l'impossibilité de se produire.

M. de Gottal. - Qui vous empêche de parler ?'

M. Devaux. - C'est impossible. Je suis d'un avis diamétralement opposé au vôtre ; mais pouvons-nous aggraver le sort de celui qui est déféré à la justice ?

Je ne puis pas dire un mot...

M. Guillery. - Je vous demande bien pardon ; il était tout aussi permis de défendre l'opinion de M. le ministre de la guerre qu'il était permis à M. le ministre de la guerre de la développer ici. Du reste, M. le ministre de la guerre a déjà trouvé un soutien dans la dernière séance. (Interruption.) Je constate donc qu'il n'a pas été seul à défendre son opinion.

M. Devaux. - Cette opinion est aussi respectable que la vôtre.

M. Guillery. - Ai-je dit qu'elle ne fût pas respectable ? Je prends la Chambre à témoin que je n'ai voulu blesser personne et surtout l'honorable M. Devaux, et j'abandonne à son appréciation les paroles qu'il vient de prononcer et le ton sur lequel il les a dites.

- Quelques voix. - Très bien.

M. Devaux. - Je n'ai rien à rétracter.

M. Guillery. - Soit, mais en les maintenant, vous en aggravez encore la portée.

M. Devaux. - J'ai dit que mon opinion est aussi respectable que la vôtre.

M. Guillery. - Cela n'était nullement nécessaire puisque j'ai commencé par dire que je m'incline devant voire opinion, que je respecte infiniment.

M. Devaux. - Je ne dois donc pas retirer ce que j'ai dit.

M. Guillery. - Il n'y a plus de liberté de la tribune, il n'y a pas de discussion possible pour celui qui est interrompu à chaque mot.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Et hier !

M. Guillery. - Je parlerai quand j'aurai la parole. Je dis, messieurs, que je blâme les actes dont le pétitionnaire est l'objet, car, fût-il encore militaire en présence de l'arrêté royal dont je viens de rappeler les termes si explicites, tel qu'il est interprété par le conseil d'administration du corps, par ceux qui ont rédigé à tort ou à raison la matricule et le contrôle, par ceux qui ont dressé les états d'entrée et de sortie du corps et constaté la cessation de payement, en présence de l'arrêté royal ainsi interprété par ces autorités, ce qu'on ne devait pas ignorer au département de la guerre, en supposant qu'il eût tort, il était excusable de, se tromper,

(page 355) Dans une question aussi grave, on pouvait mettre un peu moins d'empressement à recourir aux mesures de répression, on pouvait mettre un peu plus de calme. En supposant que la question ne fût pas douteuse, il y avait de la cruauté à rappeler un officier à la fin de sa carrière pour une lettre dont les termes sont répréhensibles, mais qui, après tout, acceptait la pension telle qu'elle était fixée, car il disait : Je considère ma carrière comme finie, je cède à la force ; il y avait, dis-je, quelque chose de cruel à rappeler cet officier à l'activité uniquement pour le mettre en non-activité et le replacer sous la discipline militaire, uniquement pour lui infliger une punition.

S'il se fût agi d'un cas grave de rébellion qui appelle une répression sévère, je serais le premier à soutenir l'autorité. Je suppose qu'un officier dans un régiment se rendît coupable d'un refus absolu d'obéissance (il y en a d'illustres exemples), je comprendrais qu'on le traduisît devant la haute cour, qui pourrait le condamner à deux années de brouette, conformément à l'article 75 du code pénal militaire.

Mais il ne s'agissait pas de cela, il s'agissait d'une lettre qu'on pouvait laisser dormir dans les cartons ; personne ne la connaissait ; si le pétitionnaire était mécontent, il aurait été grossir le nombre des mécontents qui, à tort ou à raison, se plaignent d'avoir été mis à la pension, il n'y avait pas là le moindre embarras pour le ministre de la guerre.

La lutte n'était donc pas entre l'autorité et la rébellion, comme on l'a dit, la lutte portait sur une question qu'il fallait faire examiner par des jurisconsultes compétents, sur laquelle on ne pouvait statuer qu'avec une extrême réserve.

Aujourd'hui la position est celle-ci : Le pétitionnaire n'est pas plus militaire que moi ; il a cessé de faire partie de l'armée le 26 juin. Le Roi, qui a la prérogative de décider quand les officiers ont cessé de faire partie de l'armée, a décidé, dans les limites de sa prérogative, que le lieutenant-colonel Hayez ne ferait plus partie de l'armée à partir du 26 juin. Si le Roi avait excédé ses pouvoirs, on pourrait examiner si les dispositions de l'arrêté sont valables. Mais il n'en est rien.

Quand un officier a atteint un certain âge, il dépend du Roi de le maintenir en activité ou de le mettre à la pension.

Quand un arrêté royal a fixé le jour où un officier sera mis à la pension, fût-ce par distraction, il doit être exécuté.

Or, c'est si peu par distraction que le lieutenant-colonel Hayez a été mis à la pension, que c'est le texte employé pour tous les ministres qui se sont succédé depuis 1844.

Je le répète, le lieutenant-colonel Hayez à l'heure qu'il est n'est pas plus militaire que moi, et quand on a parlé de renvoi devant la haute cour, que j'ai été des premiers à suggérer parce que je ne tiens pas à passionner le débat ou à faire une position fausse à M. le ministre de la guerre, mais j'ai toujours compris que quand il s'agissait de renvoi devant l'autorité judiciaire, toutes les mesures de rigueur devaient cesser.

Après avoir lu le texte de l'arrêté royal et les pièces qui nous ont été distribuées, il m'a semblé que c'était la reconnaissance qu'il y avait eu une faute que tout le monde devait regretter et qu'il fallait renoncer à des mesures de rigueur qui ne peuvent s'expliquer que quand il y a absolue nécessité.

Quant à la compétence de l'autorité judiciaire, je. m'en rapporte à ce qu'a dit M. Pirmez ; néanmoins, je conclus à l'adoption de l'amendement de M. Wasseige, qui me permet seul de remplir la mission qui nous est confiée et dont la partie la plus importante est la défense des droits des citoyens. (Aux voix ! Aux voix !)

M. Debaets. - Je crois que dans les circonstances solennelles de ce débat, nous avons le droit de motiver le vote que nous allons émettre. Pour moi la question est claire comme le jour, car quand un ministre vient dire à un individu : Le 26 juin, vous n’êtes plus soldat, le remplace et cesse de le payer, il ne peut pas, le 2 novembre, venir lui dire : Vous êtes encore soldat, quoique je vous ai remplacé, que j’aie cessé de vous payer. Cela ne peut pas faire question. (Interruption).

La Chambre peut ne pas partager ma manière de voir, je respecte toutes les opinions, Je ne puis pas me rallier à l'opinion des honorables collègues que je viens de citer, parce que je pense qu'il faut au moins que la Chambre déclare qu'elle ne veut rien préjuger.

Si l'ordre du jour n'est pas accompagné de réserves formelles, on préjuge la question. Vous dites que vous allez suspendre la discussion parce que vous croyez que le lieutenant-colonel Hayez est renvoyé devant des juges compétents. C'est là préjuger la question. La Chambre doit déclarer formellement qu'elle n'entend pas juger la question de savoir si la haute cour militaire est le juge naturel du lieutenant-colonel Havez. C'est pourquoi je n'admets pas l’ordre u joui proposé, qui suppose qu'il est renvoyé devant des juges compétents.

- Plusieurs voix. - C'est aussi notre avis.

M. Debaets. - Alors il y aura unanimité pour admettre l'amendement de M. Wasseige.

Je demande que la résolution qu'on adoptera contienne des réserves formelles. Car je n'entends pas reconnaître à la haute cour militaire le droit de juger M. Hayez ; abandonner mon droit de représentant en reconnaissant que la haute cour militaire serait compétente dans cette affaire.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, je ne pense pas que qui que ce soit, dans cette Chambre, ait compris l'amendement dans le sens que l'honorable M. Debaets vient de lui donner.

Le pouvoir judiciaire est seul compétent pour juger la question d'état qui vient de surgir, et tout le monde semble d'accord que la seule juridiction qui puisse être saisie en ce moment c'est la haute cour militaire. Tel est le sens de l'amendement proposé par les honorables membres. La haute cour militaire, la cour de cassation décideront de leur compétence, comme, dans toutes les questions portées devant les tribunaux, chaque tribunal décide de sa compétence. Mais, dès maintenant, la Chambre ne déclare pas que la hante cour militaire est le juge compétent. M. le ministre doela guerre soutient que c'est le juge compétent ; M. Hayez prétendra qu'il n'est plus justiciable de la juridiction militaire.

M. de Brouckere. - M. Hayez a demandé lui-même à être traduit devant la haute cour militaire.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - On fait observer avec beaucoup de raison que M. Hayez a demandé lui-même à être traduit devant la haute cour militaire.

Jusqu'à présent, je n'ai pris aucune part à ce débat, et je dois en dire, en quelques mois, la raison à la Chambre.

Dès le début, j'ai été d'avis qu'il se présentait ici une question de droit une question d'état, et que le véritable appréciateur de cette question, le seul qui pût l'apprécier sans passion, sans idée préconçue, en dehors de toute influence, et exclusivement au point de vue de la loi, était le pouvoir judiciaire. Tel a toujours été mon sentiment, et je ne l'ai caché à personne.

Toute la difficulté était de savoir comment on arriverait à saisir le pouvoir judiciaire, et sous ce rapport mes honorables collègues comme moi, nous avons cherché les moyens de porter la question devant lui.

Avec cette conviction, la Chambre comprendra comment je n'ai pas engagé dans cette affaire mon opinion ; car en définitive venir ici traiter la question dans un sens ou dans l'autre, émettre son opinion, c'est une manière indirecte de peser sur le pouvoir judiciaire ; et lorsqu'on vient nous dire : C'est une affaire claire comme le jour, ce sont une autorité que l'on met aux mains des avocats qui auront à plaider devant la juridiction saisie de la question. C'est pour cela que je n'ai rien voulu dire, de crainte d'aggraver la position de M. Hayez.

Mais si je veux pas établir de préjugé contre lui par mon opinion, je dois cependant empêcher qu'on n'établisse des préjugés contre l'opinion soutenue par l'honorable général Chazal. Et, quand j'entends dire que cette opinion est dénuée de toute espèce de fondement, quand j'entends répéter à chaque instant qu'il n'y a pas de doutes, je me demande si ceux qui tiennent ce langage ont sérieusement examiné la question.

M. Guillery. - Ils ont lu l'arrêté royal.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je déclare que je l’ai examinée pendant plusieurs jours au point de vue de la loi, et que quand on vient dire qu’il n’y a pas de doute, on est dans une erreur complète, et je pourrais dire la même chose en sens contraire.

Voilà ce que je soutiens. Je ne veux pas aller plus loin. Mais je dois protester contre ces assertions : que la question est claire comme le jour, et que M. le ministre de la guerre a méconnu les principes et les faits.

M. le président. - La parole est à M. Van Humbeeck.

M. Van Humbeeck. - D'après les idées qui ont été émises de part et d'autre, je crois que les auteurs des deux amendements sont d'accord au fond. Toute la question se réduit donc à savoir quel est celui des deux amendements qui dit le mieux ce qu'on veut dire. Dans ces circonstances, je crois pouvoir renoncer à la parole.

M. B. Dumortier. - Il y a, à mes yeux, messieurs, dans ce débat et dans la manière dont il se termine, une question bien plus importante encore que celle que soulève la pétition de M. le lieutenant-colonel Hayez. Cette dernière est sans doute d'un intérêt immense, puisqu'elle touche à la liberté individuelle, la première de toutes les libertés du citoyen en Belgique.

Mais il en est une d'un ordre bien supérieur, c'est celle qui touche à la (page 356) prérogative du parlement, que vous allez affaiblir ici, si vous votez l'amendement présenté par l'honorable M. Pirmez,

Je ne m'attendais pas à prendre la parole dans ce débat. Mais lorsqu'il s'agit d'affaiblir nos prérogatives, je manquerais au plus sacré de mes devoirs.si je me taisais, lorsque nous pouvons très bien éviter qu'il y soit porté atteinte.

Messieurs, la prérogative du parlement, c'est sa vie, c'est son existence, c'est ce qui doit le suivre dans toute la durée de ses travaux ; et le jour où vous y laissez porter atteinte, vous avez affaibli dans l'avenir votre valeur vis-à-vis du pays, vis-à-vis du gouvernement constitutionnel.

J'ai entendu dire avec une étrange surprise par l'honorable membre auquel je réponds, qu'il s'agit ici de respecter la division des pouvoirs, que le pouvoir judiciaire est ici le pouvoir compétent. Messieurs, si une pareille doctrine pouvait être vraie, ce serait la négation la plus complète de la prérogative du parlement belge.

Je dis que si une pareille doctrine pouvait être admise par vous, l'assemblée abdiquerait ses prérogatives qu'elle ne doit jamais abdiquer, qu'elle doit conserver intacte à ses successeurs.

Comment ! lorsque d'un délit, d'un acte quelconque commis par un ministre, on arrive à pouvoir faire une question judiciaire, la Chambre cesserait d'être compétente et il faudrait renvoyer devant les tribunaux ! Mais alors ne pariez plus de responsabilité ministérielle ; dites que les ministres sont irresponsables, parce que toujours, en toutes circonstances, on renverra devant les tribunaux les actes mauvais qu'ils auront posés.

Un ministre ne peut poser un acte sans que des droits soient en jeu. Or, chaque fois que des droits sont en jeu, les tribunaux peuvent être appelés à se prononcer.

S'ensuit-il que le Parlement soit incompétent, que la Chambre, qui représente le pays, n'ait rien à dire dans de pareils débats ?

Ah ! messieurs, ne prononcez pas une pareille parole ; car si vous la disiez, vous manqueriez au serment que vous avez fait de maintenir la Constitution aussi longtemps que vous siégeriez dans cette enceinte.

Les Chambres qui vous ont précédés ne l'entendaient pas ainsi ; elles savaient respecter les prérogatives parlementaires et les faire respecter même en présence des décrets du pouvoir judiciaire. Qu'a fait la Chambre, notre devancière, dans la grande question des toelagen ?

Rappelez-vous-le bien, quand le pouvoir judiciaire a condamné la Chambre à payer des sommes qu'elle avait douze fois rejetée, la Chambre a déclaré qu'elle n'exécuterait pas les jugements de l'ordre judiciaire, et en agissant ainsi, elle a consacré ses prérogatives et la division des pouvoirs.

Messieurs, où arriverions-nous, où en serions-nous, grand Dieu ! si chaque fois qu'il se présente une question dans laquelle le pouvoir judiciaire est intéressé, la Chambre devait abdiquer et céder le pas à l'autorité judiciaire ?

Faites-y bien attention, le jour où vous auriez admis un pareil principe, savez-vous ce qui arriverait ? C'est que le pouvoir judiciaire primerait le pouvoir parlementaire, c'est que le pouvoir qui applique la loi primerait le pouvoir qui fait la loi.

Or, un pareil système est inadmissible dans un pays constitutionnel. Jamais en Angleterre, on n'a émis de semblables principes, et le membre du parlement qui viendrait soutenir un pareil système serait à l'instant même hué par toute l'assemblée.

Un autre point me touche plus encore, vous comprenez combien une question de cette importance est grave à mes yeux, aussi je ne puis, en aucun point, donner mon assentiment à la proposition présentée par l'honorable M. Pirmez.

Que porte cet amendement ? «. Considérant que, d'après la déclaration de M. le ministre de la guerre, le lieutenant-colonel Hayez est déféré à la haute cour militaire, la Chambre passe à l'ordre du jour. » C'est là, messieurs, l'abdication claire, nette, formelle, précise de la prérogative parlementaire.

C'est la déclaration formelle que vous êtes impuissants, que vous êtes incompétents, lorsqu'une question est déférée aux tribunaux.

Eh bien, je le répète, si vous faisiez une pareille déclaration, vous abdiqueriez les prérogatives du parlement.

L'amendement de mon honorable ami, M. Wasseige, présente au moins cet avantage qu'il ne tranche pas la question, qu'il réserve les droits de la Chambre, qu'il sauvegarde la prérogative parlementaire.

Un autre point, messieurs, qui me touche considérablement dans cette affaire, c'est de savoir quelle va être la position du lieutenant-colonel Hayez dans l'intervalle qui s'écoulera entre l'ordre du jour que vous allez voter et sa mise en jugement.

Cet intervalle peut durer longtemps, il peut durer six mois si l'affaire va en cassation. Est-ce que vous, membres de la Chambre qui à l'exception d'un petit nombre, avez la conviction profonde que le lieutenant-colonel Hayez est innocent, est-ce que vous allez admettre qu'il soit mis en état d'arrestation ?

Si c'est là le but de l'amendement que vous proposez, oh ! je vous plains grandement, vous vous faites une triste situation devant le pays, car, messieurs, lorsqu'on se trouve en présence d'un devoir, il faut savoir le remplir.

La mise en libellé du lieutenant-colonel Hayez est, à mon avis, la première question à résoudre.

Si vous le maintenez sous les verrous, vous décidez par cela même qu'il est militaire ; or, les neuf dixièmes au moins de cette assemblée sont d'avis qu'il n'est plus militaire ; cela est tellement vrai que vous n'oseriez pas mettre cette question aux voix. Vous n'oseriez pas faire voter par appel nominal sur la question de savoir si le lieutenant-colonel Hayez est encore militaire.

- Un membre. - C'est ce que soutient le ministre.

M. B. Dumortier. - C'est ce que soutient le ministre, mais il est seul à le soutenir et les membres de la Chambre qui veulent absoudre le ministre, ceux qui lui sont le plus favorables se sont bornés à dire qu'il y avait doute. M. le ministre de la justice lui-même ne soutient qu'une seule chose, c'est qu'il y a doute.

Ainsi, messieurs, en présence de 10 ou 15 députés qui ont des doutes, il y a tout le reste de la Chambre qui est convaincu que le lieutenant-colonel Hayez ne fait plus partie de l'armée.

Eh bien, je dis que si dans cet état de choses vous maintenez l'état d'arrestation, vous entravez la liberté de sa défense, et vous jouez un rôle très fâcheux, un rôle que, quant à moi, je déplorerai pour l'honneur du parlement.

M. Orts. - Messieurs, je demande la parole uniquement pour calmer quelques scrupules que j'aurais été le premier à exposer à la Chambre si j'avais trouvé un danger quelconque dans la situation.

Je suis convaincu, messieurs, que le lieutenant-colonel Hayez a raison dans la thèse de droit qu'il soutient et je n'ai pas attendu pour le dire que cette opinion eût acquis la popularité qu'elle rencontre, aujourd'hui dans la Chambre, je n'ai attendu, pour le dire, les applaudissements de personne.

M. Guillery. - Qui est-ce qui a attendu ?

M. Orts. - Je ne dis pas que M. Guillery ait caché en quoi que ce soit son opinion et j'aurais eu grand tort de le faire. L'honorable membre qui m'interrompt dans la conversation, s'est depuis longtemps exprimé vis-à-vis de moi de manière à ne me laisser aucun doute sur son appréciation. Je parle de moi et non pas des autres et je maintiens mon dire. (Interruption)

Je reprends donc, messieurs, et je rappelle que mon opinion sur le fond est connue depuis samedi, alors que peu de gens encore avaient fait connaître la leur à la Chambre. Cela doit donc rassurer quelque peu l'honorable M. Debaets, qui craint de voir, dans l'ordre du jour auquel j'ai attaché ma signature, une renonciation à l'opinion que j'ai exprimée.

L'honorable M. Pirmez a fait comme moi, il a exprimé ouvertement son opinion sur le fond du débat, et cette opinion est également de nature à rassurer la Chambre sur la portée de l'ordre du jour que nous lui soumettons en commun.

Maintenant, messieurs, pourquoi demandons-nous à la Chambre de s'arrêter dans le débat actuel devant la déclaration de M. le ministre que le lieutenant-colonel Hayez est déféré à la cour militaire ?

C’est parce que le vœu du pétitionnaire, et tâchons de ne pas trop oublier le pétitionnaire dans ce débat, parce que le vœu du pétitionnaire était précisément de pouvoir amener l'autorité compétente à prononcer sur la question.

Le pétitionnaire a indiqué lui-même la haute cour militaire comme cette autorité.

Pour lui donner satisfaction j'ai indiqué dès le premier jour cette solution. Aujourd'hui M. le ministre me donne ce qu'il me refusait samedi, ce qu'hier il me refusait encore. Il a examiné, il a reconnu qu'il était en son pouvoir de faire ce que j'avais démandé et il me donne satisfaction.

Je m'arrête donc, en vous proposant de vous arrêter comme moi. Est-ce que par là je compromets les droits de la Chambre, comme le pense l'honorable M, Dumortier ? Nullement. La prérogative.de la Chambre n'est en aucune façon compromise.

La Chambre peut très bien et, toujours quand elle le voudra, résoudre la question.

(page 357) M. B. Dumortier. - Pas par votre rédaction.

M. Orts. - La rédaction que nous proposons est extrêmement simple, elle n’exclut rien.

La prérogative du parlement est sauvegardée dans toute sa plénitude ; vous pouvez résoudre la question contre le ministère de la guerre, si vous le voulez.

Je suppose même que la Chambre aille jusqu'à mettre le ministre de la guerre en accusation. C'est l'extrême de son droit. Eh bien, cela ferait-il rentrer le lieutenant-colonel Hayez en possession de son état civil, de sa liberté ? Nullement. Vous tuerez politiquement le ministre peut-être ; vous ne ferez rien pour le citoyen lésé. Mai ce que vous ne pouvez pas faire par un vote, c'est précisément ce que pourra faire la haute cour militaire, restituer à M. Hayez sa position dans le monde, lui restituer son état civil..

Voilà ce que pourra faire la haute cour militaire et ce que la Chambre ne peut pas faire.

Maintenant la Chambre conserve sa libre appréciation, comme corps politique, de la conduite de l'honorable ministre de la guerre, c'est évident.

Nous déclarons vouloir attendre que l'autorité judiciaire ait prononcé pour agir ensuite, si bon semble.

Si la cour militaire donne tort à M. le ministre de la guerre, si après elle la cour de cassation donne tort encore à M. le ministre de la guerre, l'honorable M. Dumortier pourra invoquer la responsabilité ministérielle, provoquer même la mise en accusation du général Chazal, libre à lui.

La Chambre n'abdique aucun de ses droits, elle se borne à attendre que la justice ait prononcé pour en user ou n'en pas user, selon sa volonté souveraine.

Une chose, messieurs, m'avait touché, en dehors de ces considérations ; l'influence que devaient avoir nos débats sur la position provisoire du lieutenant-colonel Hayez.

Moi aussi j'étais ému de cette idée qu'un homme que je considère comme n'étant pas militaire devait se présenter devant la haute cour sous le poids de peines disciplinaires et j'aurais été heureux que le gouvernement pût rendre cet homme à la liberté.

Je l'aurais réclamé, exigé si la chose avait dépendu du ministre. Mais il n'appartient plus aujourd'hui au ministre de la guerre de disposer de la liberté du lieutenant-colonel Hayez.

Du moment que ce citoyen est déféré à la haute cour, aux termes des lois militaires c'est à la haute cour seule qu'il appartient de décider si M. Hayez sera désormais en liberté, s'il sera incarcéré, s'il ne le sera pas.

Quelle sera la mesure ou la rigueur de cette incarcération ? L'autorité administrative, le pouvoir politique du ministre de la guerre, sa qualité de général, de chef de l'armée est sans puissance devant l'action de la haute cour.

M. Goblet. - Qu'est-ce quels cour décide ?

M. Orts. - La cour décide ce qu'elle veut et elle est souveraine.

Par le fait même que M. Hayez est déféré à la haute cour, il devient l'homme, la chose de cette cour. Il lui appartient exclusivement. La cour mettra M. Hayez en liberté si elle le juge convenable ou elle l'incarcérera ; personne n'a rien à y voir.

M. B. Dumortier. - Est-il en liberté ?

M. Orts. - Que l'honorable M. Dumortier veuille bien avoir un moment de patience ; je vais lui poser un exemple qui lui sera plus familier que la procédure militaire. (Interruption.)

Je ne comprends pas l'hilarité ; l'honorable M. Dumortier peut très légitimement ignorer la procédure militaire. Sauf pour deux ou trois avocats qui ont comme moi l'occasion de plaider devant la haute cour militaire, je crois que la procédure militaire est étrangère même à la généralité des jurisconsultes de cette Chambre. L'honorable M. Dumortier peut très bien ne pas la connaître.

Je dis que M. Hayez appartient à la cour militait et par cela seul qu'il lui est déféré par M. le ministre de la guerre et que ce dernier ne peut plus rien sur Hayez ; de même un prévenu civil se trouve sous la main souveraine du juge d'instruction et appartient à l'autorité judiciaire du moment qu'il est renvoyé devant elle.

M. le ministre de la justice ne pourrait en vertu d'une décision de la Chambre dire efficacement à un juge d'instruction : Lâchez tel prisonnier. Le juge répondrait : Vous excédez vos pouvons, je n'ai de compte à rendre qu'à la chambre du conseil et à la chambre des mises en accusation, je n'en ai aucun à rendre, ni au ministre, ni à la Chambre des représentants. Passez votre chemin.

Que M. Hayez s’adresse donc à la cour militaire, elle lui fera justice.

Si M. Hayez est illégalement détenu au point de vue de la cour, je suis intimement convaincu qu’il ne restera pas 24 heures de plus dans la situation où il se trouve.

Voilà pourquoi, messieurs, je n'ai pas demandé à M. le ministre de la guerre, du moment que M. Hayez était déféré à la cour militaire, de prendre une mesure quelconque.

Il est incompétent et impuissant. Pour nous, il n'y a qu'à s'incliner devant la loi. Si elle est vicieuse, nous pourrons la corriger en révisant le code militaire. Jusque-là, obéissons.

Je demande à dire un mot, en finissant, sur l'amendement de l'honorable M. Wasseige.

L'honorable membre propose à la Chambre de faire des réserves et de rester saisie de la question.

Il est évident que la Chambre conserve sa plénitude d'appréciation pour l'avenir malgré l'ordre du jour que j'ai proposé. Je crois l'amendement de M. Wasseige inutile parce que dans l'état actuel du débat tout est fini pour la Chambre, et si elle a quelque chose à faire plus tard, ce sera en présence d'une situation nouvelle, ayant de nouvelles exigences et qui naîtra des faits nouveaux qui vont se présenter.

Quand la haute cour aura prononcé son jugement, il sera sans nul doute déféré à la cour de cassation, et quand celle dernière aura décidé, vous aurez à vous prononcer sur une situation nouvelle.

Dans de pareilles circonstances, les réserves ne tendent qu'à jeter une équivoque sur la proposition formelle que j'ai faite, et qui consiste à suspendre toute espèce d'examen jusqu'à ce que l'autorité judiciaire ait prononcé. Les réserves vont de soi : elles sont donc inutiles.

- Plusieurs membres. - Aux voix !

- D'autres. - La clôture !

- La discussion est close.


M. de Gottal (sur la position de la question). - Après les explications qui viennent d'être données, l'amendement de M. Wasseige me semblant réserver plus complètement les prérogatives de la Chambre, que celui de l'honorable M. Orts et par conséquent que le mien, je retire mon amendement en me ralliant à celui de M. Wasseige.

M. le président. - M. Goblet ayant déjà fait effacer son nom de l'amendement et M. de Gottal y renonçant à son tour, cette proposition disparaît.

M. B. Dumortier (sur la position de la question). - Je crois, messieurs, qu'il est impossible d'admettre l'amendement qui a été rédigé spontanément par les honorables MM. Orts et Pirmez, car cet amendement passe à l'ordre du jour ; sur quoi ? sur la pétition du lieutenant-colonel Hayez. Mais c'est déclarer que cette pétition n'a aucun fondement. (Interruption.)

M. le président. - M. Dumortier, je vous prie de vous renfermer dans la position de la question.

M. B. Dumortier. - C'est précisément pour cela que j'ai demandé la parole.

Il est donc question de passer à l'ordre du jour.

Depuis deux jours nous discutons' ur une pétition dont la Chambra est saisie par le rapport de la commission des pétitions et sur laquelle elle doit prendre une résolution. (Interruption.)

Celte résolution, elle la prend par l'adoption de l'amendement de mon honorable collègue et ami M. Wasseige, mais elle ne la prend pas par l'amendement de MM. Orts et Pirmez, car que ferait-on alors du rapport de la commission des pétitions ?

Si c'est l'ordre du jour que vous proposez, dites-le franchement, mais si ce n'est pas l'ordre du jour, que faites-vous du rapport de la commission des pétitions ?

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !

M. le président. - Voici les deux amendements proposés.

Celui de MM. Orts, Pirmez et Dolez, est ainsi conçu : « Considérant que, d'après la déclaration de M. le ministre de la guerre, le lieutenant-colonel Hayez est déféré à la cour militaire, la Chambre, passe à l'ordre du jour. »

Celui de M. Wasseige porte :

« Attendu que la question soulevée par la pétition du lieutenant-colonel Hayez est déférée par le gouvernement au jugement de la haute cour militaire, la Chambre réserve sa décision sur cette pétition et, sans rien préjuger, en ordonne le dépôt au greffe. »

M. de Naeyer. - Sur le bureau des renseignements.

M. Wasseige. - Messieurs, il me paraît qu'il n'y a pas de doute que la proposition que j'ai faite ne soit un sous-amendement. C'est une réserve apportée à l'amendement des honorables MM. Pirmez et Dolez.

(page 358) Cela est tellement clair que d'après les explications que vient de donner mon honorable collègue M. Orts, il fait les mêmes réserves, et je m'étonne que la conclusion de son discours n'ait pas été, pour être logique, le retrait de son amendement pour se rallier à ma proposition,

M. Dolez. - Messieurs, il est évident que la proposition de l'honorable M. Wasseige n'est pas un amendement à notre proposition. C'est une proposition contraire à la nôtre.

Il ne s'agit pas de modifier ce que nous avons demandé, mais d'y substituer une autre demande.

C'est donc tout autre chose qu'un sous-amendement.

Mais la proposition de l'honorable M. Wasseige n'appartient pas même au règlement, car le dépôt au greffe n'y figure pas.

M. Wasseige. - Je dirai au bureau des renseignements'.

M. Dolez. - Je crois que notre proposition doit être mise aux voix la première, par cela même qu'elle est la plus radicale. C'est l'ordre du jour qui en matière de pétition est inscrit dans le règlement avant toute autre mesure.

M. de Gottal. - Les dernières paroles que vient de prononcer l'honorable M. Dolez indiquent clairement que dans son intention la signification des mots : « Ordre du jour », c'est le rejet de la pétition.

M. Lesoinne. - Pas du tout.

M. Wasseige. - J'ai dit que je consentais à remplacer les mots : « au greffe » par ceux « le bureau de renseignements » ; c'est pour moi la même chose, j'atteins le même but, et je satisfais ainsi et au règlement et aux désirs de l'honorable M. Dolez.

M. Hymans. - Il me semble qu'on oublie que l'on discute sur les conclusions d'un rapport de la commission des pétitions.

L'honorable M. Vander Donckt a proposé de déposer la pétition au bureau des renseignements.

Si je considère les deux propositions qui sont faites comme amendements à la proposition du rapporteur, il est évident que la proposition de MM. Orts et Dolez s'écarte beaucoup plus de la proposition principale, et puisque l'honorable M. Wasseige vient de proposer, comme l'a fait l'honorable M. Vander Donckt, de renvoyer la pétition au bureau des renseignements, elle se confond avec celle de l'honorable rapporteur de la commission des pétitions. (Interruption.)

Mais l'honorable membre vient de le déclarer.

- Plusieurs voix. - C'est évident !

M. Hymans. - Il faut donc voter sur la proposition des honorables MM. Orts et Dolez qui, seule, constitue un amendement aux conclusions de la commission des pétitions.

M. Goblet. - La conclusion que tire l'honorable M. Hymans des prémisses qu'il a posées serait parfaitement exacte si la proposition de l'honorable M. Wasseige tendait simplement au dépôt de la pétition au bureau des renseignements.

Mais cette proposition contient, en outre, une réserve tendante à sauvegarder les droits de la Chambre, réserve qui maintient en quelque sorte la question à l'ordre du jour de la Chambre. (Interruption) Mais, messieurs, toute la discussion a roulé là-dessus ; cela est tellement vrai, que l'honorable M. Orts a déclaré qu'il repoussait l'amendement de l'honorable M. Wasseige, parce que cet amendement réservait la question alors que lui, M. Orts, ne voulait pas la réserver.

Il est donc bien évident que cette proposition contient deux parties et qu'elle n'est pas du tout la même que celle de l'honorable M. Vander Donckt, et dès lors c'est cette proposition qui doit avoir la priorité puisque c'est celle qui s'écarte le plus des conclusions de la commission des pétitions.

M. le président. - Je dois appeler l'attention de la Chambre sur l’article 24 du règlement qui porte :

« Les réclamations d'ordre du jour, de priorité et de rappel au règlement ont la préférence sur la question principale et en suspendent toujours la discussion. »

M. Orts. - Je ne tiens nullement à ce qu'on vote notre proposition la première ; je n'insiste pas le moins du monde.

M. le président. - La parole est à M. de Gottal.

M. de Gottal. - Si l'honorable M. Orts n'insiste pas pour qu'on vote d'abord sur sa proposition, il est inutile que je prenne la parole.

M. le président. - La priorité réclamée par M. Wasseige n'est donc plus contestée.

M. Dolez. - Moi, je maintiens la demande de priorité pour notre proposition : par cela même que c'est une proposition d'ordre du jour, elle doit avoir la priorité ; le règlement est formel. (Interruption.)

M. de Gottal. - L'article 24 du règlement n'a nullement trait aux ordres du jour de la nature de celui dont il est ici question. Il s'agit là d'ordres du jour qui sont immédiatement proposés dans le cours d'une discussion ; tandis que nous sommes appelés ici à voter sur les conclusions d'un rapport de la commission des pétitions et comme je l'ai dit, un vote d'ordre du jour émis sur de telles conclusions implique ou le rejet de la pétition ou sa prise en considération.

M. B. Dumortier. - Dès l'instant que l'honorable M. Dolez caractérise sa proposition comme il vient de le faire, c'est-à-dire si elle tend à faire prononcer l'ordre du jour, il faut mettre d'abord aux voix cette proposition.

M. Devaux. - C'est un ordre du jour motivé.

M. B. Dumortier. - Peu importe ; c'est un ordre du jour modifiant les conclusions du rapport de la commission des pétitions, et dès lors il faut le mettre d'abord aux voix. Mais chacun saura que c'est sur la pétition que l'ordre du jour est prononcé, et ce vote impliquera l'idée que nous ne reconnaissons comme fondé aucun des griefs que le pétitionnaire a fait valoir.

M. Loos. - Je ne conçois vraiment pas que l'on se mette à discuter la valeur d'un ordre du jour en présence de celui qui est formulé. Le pétitionnaire demandait à être renvoyé devant la haute cour militaire ; l'ordre du jour satisfait à cette demande. En d'autres termes, la Chambre en votant cette proposition dirait : A raison de la satisfaction qui est donnée au pétitionnaire, sous ce rapport, la Chambre passe à l'ordre du jour. Et comme la Chambre ne veut pas se constituer juge du fond de la question, elle en défère l'examen à la haute cour militaire. Voilà tout ce que signifie cet ordre du jour.

M. le président. - Je mets aux voix la proposition d'ordre du jour. En voici le texte :

« Considérant que, d'après les déclarations de M. le ministre de la guerre, le lieutenant-colonel Hayez est déféré à la haute cour militaire, la Chambre passe à l'ordre du jour. »

- Plusieurs voix. - Aux voix ! aux voix !

- D’autres membres. - L'appel nominal !

M. Wasseige. - On n'est pas d'accord sur la position de la question. Je prétends que ma proposition est un sous-amendement à celle de MM. Orts, Guillery et Dolez. Or, lors de la discussion de la question d'Italie, vous avez deux fois soumis à la Chambre la question de savoir ce qu'elle pensait du cette divergence d'opinion sur la nature d'une proposition. Eh bien, nous demandons à être traités avec la même impartialité aujourd'hui.

M. le président. - Personne ne peut songer ici à s'éloigner des règles de la justice. Vous ne pouvez douter ni de mon caractère ni de ma ferme volonté de rendre justice à tout le monde. Dans les cas auxquels vous faites allusion, il s'agissait de savoir si l'une des propositions soumises à la Chambre était un amendement ou un sous-amendement.

- Plusieurs voix. - C'est également la question ici.

M. le président. - Après le débat soulevé sur ce point, j'ai soumis à la Chambre une question de fait : celle de savoir si la proposition était un amendement ou un sous-amendement. Cette question ne se présente pas ici, vous ne pouvez donc pas invoquer ces deux précédents. Ici, il y a une proposition formelle d'ordre du jour, et le règlement et les précédents de la Chambre ne laissent pas de doute sur la marche à suivre.

M. Wasseige. - Je demande la parole.

M. le président. - Laissez-moi donc achever. Aux termes du règlement, les propositions d'ordre sont indiquées comme devant obtenir la priorité.

Il a été question un moment de donner la priorité à votre proposition ; c'était une concession. Mais l’opposition que cette demande a rencontrée m'oblige à rentrer dans les termes et l'esprit du règlement. C'est, je pense, la meilleure manière de témoigner de mou respect pour la Chambre, car le règlement est sa loi, c'est la sauvegarde de tous, et si nous mettions en doute la force du règlement, nous mettrions par cela même en doute la force de nos prérogatives parlementaires.

M. Wasseige. - Je tiens à rappeler de nouveau que deux fois dans le cours de la discussion de l'adresse, à propos de la reconnaissance du royaume d'Italie, et dans une autre discussion encore, la Chambre a été appelée à statuer sur des questions de priorité. Or, les deux situations sont identiquement les mêmes ; il s'agit ici, comme il s'agissait dans la circonstance à laquelle je fais allusion, d'un sous-amendement ; ma proposition n'a pas d'autre caractère.

Eh bien, je demande que l'on applique à nous, membres de la droite, la même règle que l'on a appliquée aux membres de la gauche dans des questions identiques.

M. le président. - Je dois protester contre cette dernière observation de l'honorable M. Wasseige ; jamais il n'entre dans ma pensée de faire quand j'aurais l'honneur d'occuper ce fauteuil, une distinction entre la (page 359 droite et la gauche de cette assemblée ; je crois que les votes auxquels a fait allusion M, Wasseige ont été provoqués par des orateurs de la droite. Au surplus, le règlement est fait pour tout le monde, et je l'applique en faisant abstraction complète des opinions, et quelles que puissent être les conséquences de cette application.

Je mets aux voix la proposition d'ordre du jour formulée par MM. Orts, Dolez et Pirmez.

- Plusieurs membres. - L'appel nominal !

M. le président. - L'appel nominal est demandé ; il va y être procédé.

- M. de Florisone. secrétaire, commence l'appel nominal.

M. de Montpellier. - Il y a des membres qui disent que c'est un amendement ; d'autres prétendent que c'est un sous-amendement. C'est une question sur laquelle il faudrait d'abord statuer.

- Plusieurs membres. - Il est trop tard : l'appel nominal est commencé.

- Il est procédé à l'appel nominal. Voici le résultat du scrutin :

93 membres ont répondu à l'appel.

49 ont répondu oui.

41 ont répondu non.

3 se sont abstenus.

Ont répondu oui : MM. de Baillet-Latour, de Breyne, de Bronckart, de Brouckere, Dechentinnes, de Florisone, De Fré, de Lexhy, de Paul, de Renesse, de Ridder, Devaux, de Vrière, d'Hoffschmidt, Dolez, Frère-Orban, Frison, Grandgagnage, Grosfils, Hymans, Jacquemyns, Jamar, M. Jouret, Julliot, Lange, C. Lebeau, J. Lebeau, Lesoinne, Loos, Mouton, Orban, Orts, Pirmez, V. Pirson, Prévinaire, Rogier, Sabatier, Tesch, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Iseghem, Van. Volxem, Allard, Braconier, Crombez, Cumont et Vervoort.

Ont répondu non : MM. Debaets, de Gottal, de Man d'Attenrode, de Mérode- Westerloo, de Montpellier, de Naeyer, de Pitteurs-Hiegaerts, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel, Goblet, Guillery, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Magherman, Mercier, Moncheur, Notelteirs, Nothomb, Rodenbach, Royer de Behr, Snoy, Tack, Thibaut, Van Bockel, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van de Woestyne, Van Humbeeck, Vermeire, Vilain XIIII, Wasseige, Beeckman et Coppens-Bove.

Se sont abstenus : MM. de Decker, de Haerne et Van Overloop.

En conséquence la Chambre adopte.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invité» à faire connaître les motifs de leur abstention.

M. de Decker. - Je n'ai pas voulu voter contre la proposition de MM. Dolez, Orts et Pirmez, parce qu'après les explications données, cet ordre du jour me paraissait avoir à peu près la même signification que la proposition de M. Wasseige ; je n'ai pas voté pour, parce que l'amendement de M. Wasseige expliquait plus clairement ma pensée.

M. de Haerne. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs.

M. Van Overloop. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs.

Projet de loi accordant des crédits provisoires au budget des ministères de l’intérieur, de la justice, des affaires étrangères, de la guerre, des travaux publics et des finances

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Comme il est probable, pour ne pas dire certain, que la Chambre se séparera avant d'avoir voté tous les budgets, demain elle votera le budget des dotations, de sorte qu'il restera à voter les budgets de l'intérieur, de la justice, des affaires étrangères, de la guerre, des travaux publics et des finances ; j'ai l'honneur de déposer des projets de loi ayant pour objet d'ouvrir des crédits provisoires aux divers départements que je viens d'indiquer.

Je prie la Chambre de vouloir bien nommer une commission spéciale pour statuer sur ces demandes de crédits provisoires sans lesquels l'administration serait entravée.

M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre des finances de la présentation des projets de loi qu'il vient de déposer.

Ces projets et les motifs qui les accompagnent seront imprimés et distribués.

Comment la Chambre entend-elle qu'ils soient examinés ?

- La Chambre ordonne le renvoi de ces projets à une commission à nommer par le bureau.

M. Rodenbach. - Il faudra inviter la commission à présenter son rapport demain. J'ai consulté un grand nombre de membres de la Chambre, on a témoigné le désir de ne pas revenir la semaine prochaine ; le lundi on n'a pas de séance, il ne resterait que le mardi où l'on pourrait en avoir une avant la Noël.

Demain nous terminerons nos travaux en votant des crédits provisoires ; je propose pour les fêtes de Noël et du nouvel an de prendre des vacances jusqu'au 14 janvier.

M. le président. - On statuera demain sur la motion de M. Rodenbach. La Chambre n'est plus en nombre.

- La séance est levée à 5 heures et demie.