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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 14 décembre 1861

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page 269) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Moor, secrétaire, procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. de Florisone, secrétaire, lit le procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Des ouvriers à Ingelmunster demandent qu'il soit pris des mesures pour maintenir le travail dans les ateliers, diminuer la cherté des vivres et réduire les impôts qui pèsent le plus lourdement sur la consommation. »

« Même demande d'ouvriers à Haeltert. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion concernant des pétitions relatives au même objet.


« Des industriels et négociants à Zele demandent que le gouvernement ajourne à deux ans la conclusion d'un traité de commerce avec l'Angleterre, ou du moins, que le tarif de douane soit modifié par voie de disposition législative et non par traité. »

M. Kervyn de Volkaersbeke. - Je demande que la même suite soit donnée à cette pétition qu'à celles qui nous ont été adressées par les industriels de Gand, de Bruxelles et de Braine-le-Comte.

M. le président. - Cette pétition sera déposée sur le bureau pendant la discussion concernant une pétition d'industriels de Bruxelles relative au même objet.


« Les membres du conseil communal de Sivry présentent des observations contre l'interprétation donnée parle gouvernementaux art. 1,3 et k de la loi sur l'enseignement primaire et réclament l'intervention de la Chambre pour que le département de l'intérieur ne force pas les communes à transformer en écoles communales ses écoles adoptées. «

— Renvoi à la commission des pétitions.

« L'administration communale de Wacken demande l'adjudication publique, aux frais de l'Etat, d'un service de malle-poste, entre Thielt, Wacken et Waereghem en correspondance avec le premier convoi pour Courtrai, Lille, Tournai et qu'il soit fait à Wacken deux distributions de lettres par jour. »

- Sur la proposition de M. H. Dumortier, renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.


«Il est fait hommage à la Chambre par M. le Paisible, de 120 exemplaires d'une brochure intitulée : « Trois lettres sur la guerre à la justice dans la fonderie de canons à Liège et sur l'état militaire en Belgique. »

- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.

Projet d’adresse

Réponse de Sa Majesté

M. le président. - Messieurs, la commission chargée de présenter à Sa Majesté l'adresse de la Chambre en réponse au discours du Trône a été reçue aujourd'hui à midi au palais avec le cérémonial habituel. L'adresse a été présentée.

Voici la réponse de Sa Majesté :

« Messieurs, j'attache le plus grand prix aux témoignages d'affection et de confiance que m'a toujours donnés la Représentation nationale. C'est avec une vive satisfaction que j'en reçois aujourd'hui la nouvelle assurance.

« Continuez, messieurs, de vous occuper avec le même zèle et le même patriotisme des grands intérêts qui vous sont confiés. Vous mériterez bien du pays et vous acquerrez de nouveaux titres à ma gratitude. »

- Cette réponse sera imprimée à la suite de l'adresse et distribuée aux membres de la Chambre.

Rapports de pétitions

M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée d'Anvers, le 25 novembre 1861, le sieur Hayez, ancien lieutenant-colonel, se plaint des mesures prises à son égard par le département de la guerre, après qu'un arrêté royal l'avait admis à faire valoir ses droits à la pension.

(page 289) Messieurs, votre commission ne s'est pas dissimulé toute l'importance, et la gravité d'une affaire qui intéresse à un haut degré la hiérarchie et la discipline militaires, et, d'autre part, l'intérêt d'un officier de mérite qui, dans une longue et honorable carrière, a rendu des services signalés au pays et à l'armée ; elle a examiné cette pétition avec la plus sérieuse attention et la plus grande impartialité.

Le lieutenant -colonel Hayez a été informé, par dépêche du 24 mai 1861, qu'un arrêté royal, du 21 mai, l'admettait à faire valoir ses droits à la pension de retraite, et que le 26 juin était la date fixée pour son entrée en jouissance de sa pension.

Une correspondance entre le département de la guerre et le pétitionnaire s'ensuivit, mais sans résultat ; lorsque, le 22 octobre dernier, le lieutenant-colonel fut informé par M. le ministre que sa pension serait réglée avant la fin du mois, d'après le relevé provisoire qu'il avait reçu avec la notification de l'arrêté du 21 mai, s'il ne justifiait pas ses prétentions par des pièces probantes à l'appui. Il répondit au ministre qu'il se soumettait au droit du plus fort ; mais il lui reprochait, en termes un peu aigres, le peu de bienveillance qu'il lui avait témoigné depuis deux ans.

Un deuxième arrêté royal, en date du 2 novembre, rapportant celui du 21 mai, fut notifié au pétitionnaire. Cet arrêté le plaçait en non-activité par mesure d'ordre, avec résidence à Diest. Il fut répondu au ministre que, sauf les dispositions de l'article 4 du Code pénal militaire, il se trouvait en dehors de sa juridiction, parce que, à partir du 26 juin ,il avait cessé de faire partie de l'armée et avait été rayé du contrôle de son régiment, et qu'il ne se soumettrait pas à des ordres qu'il n'avait plus le droit de lui donner.

Le 25 novembre, un troisième arrêté royal, en date du 21 du même mois, informe le lieutenant-colonel Hayez qu'il est mis au traitement de réforme, pour désobéissance grave, avec résidence à Diest, et que l'arrêté du 2 novembre est rapporté.

Il a répondu au ministre que, le 21 novembre, pas plus que le 2, il ne se croyait sous ses ordres ; qu'il ne quitterait pas la résidence désignée pour y toucher sa pension, tant qu'il n'y serait pas contraint par force.

Le pétitionnaire prétend que les deux derniers arrêtés qui le concernent sont illégaux, et prie la Chambre de sauvegarder ses droits de citoyen belge, et de le soustraire aux conséquences des mesures sévères, qu'il qualifie de despotiques, que le ministre pourrait exercer contre lui.

Votre commission, avant de présenter son rapport, a chargé son rapporteur d'en référer au département de la guerre, pour renseignements et avis.

La commission a reçu de M. le ministre de la guerre les explications suivantes :

« Bruxelles, le 29 novembre 1861.

« Monsieur le président,

« J'ai l'honneur de vous faire parvenir des renseignements relatifs à la pétition adressée à la Chambre des représentants par M. le lieutenant-colonel Hayez.

« Cet officier supérieur a été admis à faire valoir ses droits à la pension de retraite par un arrêté royal qui détermine l'époque à laquelle il entrera en jouissance de cette rémunération de ses services. Cet arrêté, qui n'est qu'une mesure préliminaire, devait être suivi d'un autre arrêté royal accordant à M. Hayez une pension proportionnée à ses droits reconnus.

« On s'est borné à notifier à M. Hayez la résolution de le pensionner, en l’invitant à faire connaître les droits dont il entendait se prévaloir. Les prétentions élevées par cet officier ont empêché de liquider sa pension pour l'époque qui avait été éventuellement fixée par l'arrêté royal susdit, et lorsque, après un long examen, on lui a fait savoir que quelques-unes de ces prétentions n'étaient pas admissibles, M. Hayez s'est permis de m'écrire une lettre offensante, qui a motivé sa mise en non-activité par mesure d'ordre. La place de Diest lui a été assignée pour résidence ; il a refusé de s'y rendre; dès lors, la lutte était entre l'autorité et la rébellion. Il fallait, ou que l'autorité succombât, ou que le lieutenant-colonel Hayez fût frappé de la mise au traitement de réforme, qui est la punition indiquée par la loi pour désobéissance grave.

« Voilà les faits, tels qu'ils se sont passés.

« M. le lieutenant-colonel Hayez se plaint des trois arrpetés qui le concernent ; il conteste l'opportunité du premier, il dit que les deux autres sont triplement illégaux.

« L'opportunité du premier ne peut être contestée : cet officier supérieur était depuis longtemps en congé sous prétexte de maladie ; lui-même demandait sa mise en non-activité parce que sa santé, disait-il, ne lui permettait plus désormais de rentrer au service ; comme d'ailleurs il avait l'âge fixé par la loi pour être pensionné, le département de la guerre, sur l'avis conforme de l'inspecteur général de l'artillerie, jugea devoir l'admettre à faire valoir ses droits à la pension.

« Cette décision contraria les projets du lieutenant-colonel Hayez, parce que la pension à laquelle ses services lui donnent droit est inférieure d'un tiers au traitement de non-activité qu'il aurait voulu obtenir ; en outre, les trois années qu'il désirait passer dans cette position devaient lui compter plus tard comme service actif et augmenter proportionnellement sa pension.

« Le département de la guerre ne crut pas devoir prêter les mains à cette spéculation.

« Le lieutenant-colonel Hayez dit, dans sa pétition, que les deux autres arrêtés (celui qui le met en non-activité et celui qui le met à la réforme) sont triplement illégaux.

« 1° Parce qu'ils disposent d'un homme qui n'appartient plus à l'armée.

« M. Hayez n'a point cessé de faire partie de l'armée. L'arrêté royal qui admet cet officier à faire valoir ses droits à la pension n'est, comme je l'ai dit déjà, qu'une mesure préliminaire qui devait être suivie d'un autre arrêté royal fixant définitivement la pension de retraite. C'est pourquoi l'on ne publie pas le premier arrêté, tandis que l'arrêté définitif doit être publié textuellement au Moniteur. Si la pension de M. Hayez n'a pas été définitivement fixée pour l'époque où le premier arrêté royal annonçait éventuellement qu'elle prendrait cours, c'est par le fait même de M. Hayez, et à cause de toutes ses réclamations; mais, à défaut de l'arrêté royal qui devait ultérieurement intervenir, M. Hayez n'a pas été pensionné, et par conséquent, il n'a pas cessé d'être soumis aux lois qui régissent la discipline dans l'armée.

« En effet, l'article 5 du Code pénal militaire dit positivement que l'officier ne cesse d'être soumis aux lois de la discipline que lorsqu'il est pensionné ; or, il est évident que, par suite de l'arrêté qui a admis le lieutenant-colonel Hayez à faire valoir ses droits à la pension, cet officier supérieur s'est trouvé dans une position d'attente qui ne l'affranchissait nullement des devoirs que la discipline impose.

« 2° Parce que les prescriptions de l'arrêté du 13 octobre 1838 donnent aux officiers des garanties que M. le ministre croit pouvoir supprimer par l'effet seul de sa volonté, mais qui n'en existe pas moins.

« L'arrêté royal précité règle le mode d'exécution de la loi sur la perte du grade et n'a aucun rapport avec la position du lieutenant-colonel Hayez, qui a été mis en non-activité, puis au traitement de réforme en vertu de la loi du 16 juin 1836 sur l'état et la position des officiers. L'article 7 de cette loi porte :

« Les officiers peuvent être mis au traitement de réforme pour les causes suivantes :

« 1°...

« 2° Pour désobéissance grave.

« L'article 8 de la même loi porte :

« La mise au traitement de réforme pour les causes ci-dessus prévues sera prononcée par arrêté royal motivé, sur le rapport du ministre de la guerre.

« C'est donc à tort que le lieutenant-colonel Hayez insinue que l'arrêté royal du 13,'octobre 1853 a été violé à son égard; cet arrêté détermine les formalités à suivre pour priver de son grade un officier, mais il n'a aucun rapport avec la loi sur la position des officiers, la seule qui ait été appliquée.

« 3° Parce qu'ils sont en opposition avec les prescriptions de l'article 27 de la loi du 24 mai 1838, qui détermine les cas dans lesquels la jouissance d'une pension peut être suspendue.

« Ainsi que je l'ai dit précédemment, M. le lieutenant-colonel Hayez a été admis à faire valoir ses droits à la pension, mais n'a pas été (page 290) pensionné ; sa pension n'a pas été liquidée, il n'en a pas joui, et par conséquent il a tort de dire que le ministre en a suspendu le cours.

« Les explications que je viens d’avoir l'honneur de donner à la commission des pétitions démontrent à l'évidence le peu de fondement de la réclamation de lieutenant-colonel Hayez, et je ne puis, en terminant, qu'exprimer mon profond regret de voir un officier supérieur, qui s'est oublié de la manière la plus grave dans sa correspondance officielle avec le chef du département de la guerre, venir encore aggraver ses torts en donnant le plus déplorable exemple d'indiscipline.

« Veuillez agréez, M. le président, l'assurance de ma haute considération.

« Le ministre de la guerre,

« Par ordre : Le colonel directeur de la deuxième division (personnel), Guillaume. »

Vous avez déjà compris, messieurs, que toute cette affaire se réduit à une question de droit. La Chambre aura à décider si, à la date du 20 juin 1861, le lieutenant-colonel Hayez a cessé de faire partie de l'armée, époque à laquelle éventuellement il devait entrer en jouissance de sa pension de retraite.

Le pétitionnaire soutient l'affirmative; le gouvernement soutient la négative.

La solution de cette question doit avoir pour conséquence ou que l'honorable ministre s'est trompé, ou que le lieutenant-colonel s'est rendu coupable d'une désobéissance grave, et, dans ce cas, c'est l'ordre du jour qu'il faut adopter.

Votre commission n'a pas cru pouvoir trancher cette question ; elle a l'honneur de vous proposer le dépôt de la pétition au bureau des renseignements, et, dans son opinion, ce dépôt ne doit pas avoir la signification d'un renvoi aux oubliettes, mais bien que la Chambre se réserve d'examiner cette affaire à fond, et de statuer ultérieurement s'il y a lieu.

(page 269) M. H. Dumortier. - Cette affaire est d'une haute gravité. La simple lecture que nous venons d'entendre en est une preuve manifeste. Il s'agit d'un côté du sort fait à un officier qui paraît avoir rendu des services au pays, chose sans doute très digne d'intérêt ; mais il s'agit, d'un autre côté, d'une chose non moins importante, la discipline militaire, le respect dû à l'autorité.

Cette affaire soulève beaucoup de questions de fait et de droit. Les circonstances de fait sont très compliquées, et les questions de droit qui se rattachent à ces faits sont plus compliquées encore.

Dans cette situation, il me semble qu'il est fort difficile pour nous, sans une lecture préalable des pièces, d'apprécier en justice et en équité qui a eu raison et qui a eu tort.

Je veux, pour ma part, examiner cette contestation en dehors de toutes autres préoccupations que le désir de faire bonne justice. J'espère surtout que tout esprit de parti restera étranger à de pareilles discussions.

Si une affaire de ce genre était déférée à une cour de justice, ce ne serait pas en une séance, sans avoir été éclairée par une minutieuse instruction préalable, ce ne serait pas sans de longues plaidoiries qu'elle serait tranchée.

Il est indispensable que nous ayons une connaissance exacte et complète de toutes les circonstances et de toutes les questions qui se rattachent à cette affaire.

Je demande donc qu'avant de prendre une décision, la Chambre veuille ordonner l'impression des principales pièces et documents qui ont été communiqués à la section centrale.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, je crois que si la Chambre entendait, au préalable, mes explications, elle pourrait se former une opinion en connaissance de cause. Si ces explications ne paraissent pas satisfaisantes, la Chambre pourra prendre telle mesure qu'elle jugera convenable.

M. de Gottal. - Je désirerais savoir si M. Dumortier maintient sa proposition après ce que vient de dire l'honorable ministre de la guerre.

M. H. Dumortier. - Je consens très volontiers à déférer au désir exprimé par M. le ministre de la guerre.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, la question à examiner est de savoir si le lieutenant-colonel Hayez, en présence de l'arrêté royal qui l'admet à faire valoir ses droits à la retraite, était encore soumis aux lois de la discipline militaire. Je crois que c'est là la question.

En effet, l'article 3 du Code pénal militaire dit que, pour être affranchi des lois de la discipline militaire, il faut être pensionné. Or, il est évident que M. Hayez n'a jamais été pensionné. Il était dans une position d'attente qui ne l'affranchissait pas des lois de la discipline militaire puisqu'il ne cessait pas d'appartenir à l'armée.

L'arrêté royal qui admet un officier à faire valoir ses droits à la retraite, en déterminant l'époque éventuelle à laquelle la pension prendra cours, ne peut pas être confondu avec l'arrêté qui met l'officier à la pension. Ce premier arrêté n'est que préliminaire ; il doit être suivi d'un nouvel arrêté qui accorde à l'officier une pension proportionnée aux services qu'il a fait reconnaître et dûment constater. La fixation de la date d'entrée en jouissance d'une pension est une mesure administrative qui a pour objet de limiter les services afin de pouvoir en faire le compte.

Cette date doit être inévitablement fixée d'avance, puisqu'il faut faire le calcul de la pension, d'après le temps qui s'est écoulé depuis le commencement des services de l'officier, jusqu'à l'époque de leur cessation,, dans la prévision du cas où ses droits à la pension seraient reconnus fondés.

C'est ainsi, messieurs, que les choses se passent toujours dans l'armée ; de là vient que le premier arrêté royal, celui qui admet l'officier à faire valoir ses droits, n'est jamais publié au Moniteur. C'est en général un arrêté collectif qui ne spécifie ni les services de l'officier, ni le chiffre de sa pension, ni tous les motifs pour lesquels il est admis à la retraite.

Or, l'article 26 de la loi de 1838 sur les pensions militaires dit que les pensions sont accordées par des arrêtés royaux précisant les motifs pour lesquels elles ont été accordées et que ces arrêtés doivent être textuellement insérés au Bulletin officiel.

Eh bien, messieurs, l'arrêté qui admet l'officier à faire valoir ses droits n'est jamais inséré au Moniteur, parce que ce n'est pas l'arrêté de mise à la pension proprement dit.

Si la pension du lieutenant-colonel Hayez n'a pas été définitivement fixée à l'époque où le premier arrêté royal annonçait qu'elle prendrait éventuellement cours, c'est par le fait même de cet officier, qui a élevé au dernier moment plusieurs réclamations sur le chiffre de sa pension.

Cette pension n'ayant pu être réglée à l'époque déterminée, par suite de ces réclamations, M. Hayez n'a pas été pensionné, et par conséquent n'a pas cessé d'être soumis aux lois qui régissent la discipline.

(page 270) La manière d'agir du département de la guerre dans cette circonstance est-elle nouvelle, présente-t-elle un caractère exceptionnel ?

C'est celle qui a toujours été eu usage, celle que suit toujours le département de la guerre.

Lorsqu'un officier demande à être pensionné, ou lorsque le gouvernement juge opportun de pensionner un officier, un arrêté royal préliminaire autorise cet officier à faire valoir ses droits à la rémunération des services qu'il a rendus jusqu'à une date qu'on détermine, afin, je le répète, de pouvoir établir le calcul de la pension.

Si, après examen, les droits de cet officier à la retraite sont reconnus, un nouvel arrêté royal le met à la pension, en précisant tous les motifs pour lesquels il est pensionné, ainsi que l'exige la loi du 21 mai 1838.

C'est ce dernier arrêté qui, seul, libère l'officier du service militaire.

Cela est si vrai qu'il est fréquemment arrivé que des officiers comptables, par exemple, des officiers chargés de la direction d'un arsenal, d'un dépôt ou de magasins, admis à faire valoir leurs droits à la pension et pour lesquels la date de l'entrée en jouissance avait été fixée, ont été retenus par leurs devoirs et leur service bien au-delà de ce délai. Ils sont retenus sous les armes jusqu'à ce que la reprise de leur service ait eu lieu.

Ils restent en conséquence dans la position d'activité jusqu'à la fin de leur liquidation, et c'est alors seulement qu'intervient l'arrêté royal qui les met définitivement à la retraite.

Il arrive encore que des officiers, croyant avoir des droits à la pension de retraite, la demandent.

Un arrêté royal les admet à faire valoir leurs prétentions et détermine toujours l'époque à laquelle ils entreront en jouissance de cette pension ; mais si l'on vient à reconnaître qu'ils peuvent encore servir, cet arrêté est rapporté et ils continuent à faire partie de l'armée.

Le fait s'est présenté il n'y a pas longtemps pour un lieutenant-colonel qui avait demandé sa pension pour cause d'infirmités qu'il croyait incurables.

Un arrêté royal l'avait admis à faire valoir ses droits, et avait fixé la date à laquelle la pension éventuelle prendrait cours.

Cet arrêté n'a nullement mis obstacle à ce que la situation de l'officier fût examinée.

En vertu des prescriptions légales et réglementaires, il dut subir des visites et des contre-visites, et comme les médecins déclarèrent que son infirmité n'était pas incurable, l'arrêté royal fut rapporté et l'officier fut maintenu dans l'armée et mis en non-activité.

Il s'est présenté plusieurs exemples semblables.

Vous voyez donc, messieurs, qu'en droit, le département de la guerre a agi comme il le devait, et comme il a agi dans toutes les circonstances. Maintenant, permettez-moi d'examiner une autre question.

Dans sa pétition, M. Hayez me reproche d'avoir usé à son égard, pendant deux ans, de rigueurs exceptionnelles.

Cela a été répété sur tous les tons, dans les journaux et partout. Il est donc de mon devoir de faire connaître à la Chambre ce qui s'est passé entre M. Hayez et le département de la guerre.

En 1859, M. Hayez était major attaché à l'arsenal de construction d'Anvers. Sur ma proposition, il a été nommé le 21 mai 1859, lieutenant-colonel, et il a été désigné pour prendre le commandement supérieur de l'artillerie de Termonde. Je ne sache pas que ce soit là un acte de malveillance, à son égard. Rappelez-vous, messieurs, que c'était l'époque où l'on croyait à la guerre dans toute l'Europe.

Les hostilités venaient d'éclater en Italie, et nous mettions notre armée sur le pied de guerre. C'était un poste d'honneur que je confiais à M. le lieutenant-colonel Hayez. Eh bien, il a fait toute espèce de difficultés pour se rendre à son poste.

Il a demandé d'abord un congé de deux mois ; je le lui ai accordé ; à l'expiration de ce congé, il a demandé une prolongation d'un mois : je la lui ai accordée ; après ce deuxième congé, il en a demandé un de trois mois.

Je consultai M. l'inspecteur général de l'artillerie. Cet officier général me fit savoir que le lieutenant-colonel Hayez n'avait pas besoin de congé et que ses démarches provenaient de la contrariété qu'il éprouvait de quitter Anvers, où il espérait finir sa carrière et où il désirait rester.

M. Hayez invoquait, à l'appui de sa demande de congé, une surexcitation nerveuse qui exigeait des distractions.

Sur ces entrefaites M. Hayez m'écrit une lettre particulière pour me dire que sa requête n'est pas seulement motivée par le désir de rester à Anvers, où sont ses intérêt matériels, mais aussi par la répugnance qu'il éprouve pour aller à Termonde. Voici ce que je répondis à M. Hayez :

« Bruxelles, le 2 décembre 1830.

« M. le lieutenant-colonel,

« Je ne puis vous cacher la pénible impression que me cause la lettre que vous venez de m'adresser.

« Lorsque au mois de mai dernier, je vous ai fait obtenir le grade de lieutenant-colonel, et que vous avez été désigné pour prendre le commandement supérieur de l'artillerie d'une de nos principales places fortes, j'ai pensé que l'honneur qui vous était fait vous aurait inspiré d'autres sentiments que ceux que vous exprimez.

« Vous avez été investi des hautes fonctions que je vous ai confiées à une époque où votre commandement pouvait devenir un des plus importants de l'artillerie, et au lieu de les accepter avec reconnaissance, vous cherchez à vous soustraire aux obligations qu'elles vous imposent en demandant des congés dont vous n'avez nullement besoin.

« Cette conduite, M. le lieutenant-colonel, n'est pas celle d'un militaire dévoué à ses devoirs, et je ne puis que vous exprimer tout le mécontentement qu'elle m'inspire.

« En conséquence, je ne vous accorderai plus de nouveaux congés, et je vous invite itérativement à reprendre vos fonctions et à vous en acquitter avec tout le zèle et tout le dévouement que je suis en droit d'attendre de vous.

«, Le ministre de la guerre,

« Baron Chazal. »

Cette réponse n'avait certainement aucun caractère malveillant, et on s'étonnera peut-être qu'elle n'ait pas été plus sévère si l'on considère que la lettre de M. Hayez était datée d'Anvers, où il n'aurait pas dû être puisque Termonde était sa garnison.

Eh bien, j'ai poussé l'indulgence, quoique je l'eusse prévenu qu'il n'aurait plus obtenu de faveur, jusqu'à lui accorder, quelque temps après, un nouveau congé de deux mois.

M. Hayez ne tarda pas à faire, après l'expiration de ce congé, une. nouvelle demande de trois mois de congé ; mais cette fois, appuyée d'un certificat médical constatant la surexcitation de son système nerveux.

J'écrivis à M. l'inspecteur général de l'artillerie pour lui demander son avis sur cette nouvelle demande. L'inspecteur général répondit que si, à l'expiration de ce nouveau congé, rien n'était changé à l'état du lieutenant-colonel Hayez, cet officier considérerait comme une faveur sa mise en non activité, jusqu'à l'époque où il aurait droit au maximum de sa pension.

J'accordai encore ce congé et j'y ajoutai la jouissance de la solde entière. Ce n'est pas là non plus, je pense, une preuve de malveillance de ma part ?

A l'expiration de son congé, M. Hayez demanda encore une prolongation d'un mois et sa mise en non-activité, après ce congé, jusqu'à l'époque où il aurait droit au maximum de la pension, c'est-à-dire pendant trois ans. Je m'adressai encore à l'inspecteur général de l'artillerie pour savoir si, selon lui, M. Hayez ne rentrait pas dans la catégorie des officiers qui doivent être pensionnés parce qu'ils ne font plus de service.

M. l'inspecteur général d'artillerie me répondit affirmativement et me proposa de pensionner M. Hayez après son dernier congé. C'est alors que j'ai soumis au Roi un arrêté qui admettait M. Hayez à faire valoir les droits qu'il pouvait avoir à une pension de retraite. Cet arrêté est du 21 mai, et la date éventuelle à laquelle sa pension devait prendre cours, était fixée au 26 juin.

M. Hayez attend jusqu'au 18 juin pour répondre à cette communication, et m'adresse plusieurs réclamations pour faire augmenter sa pension. Voici ces réclamations :

M. Hayez demandait d'abord qu'on lui comptât une campagne à laquelle, après examen, il fut reconnu qu'il n'avait pas droit. Il demandait, en second lieu, qu'on lui comptât trois années de services pour trois années passées, avant la révolution, à l'athénée royal d'Alost comme professeur civil.

Le département de la guerre lui répondit qu'il était tout disposé à accorder ces trois années, pourvu qu'il en fournît la justification, attendu que la cour des comptes n'admet le chiffre des pensions que pour autant que tous les services soient parfaitement justifiés.

En troisième lieu, M. Hayez demandait que le département de la guerre lui comptât quatre années de service, pour les quatre années d'études qu'il avait faites à l'université de Louvain. Il prétendait avoir les mêmes droits que les élèves de l'école militaire auxquels la loi de 1838 sur les pensions militaires, accorde quatre années de service pour le temps passé à l'école.

(page 271) Vous voyez que M. Hayez a une manière à lui d'interpréter les lois.

A cette prétention il fut répondu qu'aucune disposition législative ne permettait de lui attribuer les quatre années d'études préliminaires que la loi accorde aux élèves de l'école militaire.

Enfin, quatrième réclamation, M. Hayez demandait le bénéfice de la loi de 1856, qui accorde dix années de service aux volontaires qui ont pris part à l'un des combats de la révolution de 1830. M. Hayez disait qu'il avait fait partie, avant d'entrer dans l'armée, des corps de citoyens armés, organisés à Bruxelles, en 1830, pour maintenir l'ordre.

Comme M. Hayez n'avait pas été volontaire, comme il n'avait pris part à aucun des combats de 1830, cette prétention dut être encore repoussée par le déparrement de la guerre ; inde irae; de là la colère de M. Hayez contre le ministre de la guerre.

C'est le 19 août dernier que le département de la guerre écrivit à M. Hayez, dans le sens que je viens d'indiquer.

Il ne répondit pas à cette communication.

Le 22 octobre, le département de la guerre lui rappela à quelles conditions ses services de professeur civil au collège d'Alost pourraient être supputés à son bénéfice, et il lui demanda d'envoyer les pièces nécessaires, en le prévenant que sa pension, qui ne pouvait plus longtemps rester en litige, serait réglée à la fin du mois.

Le département de la guerre aurait-il écrit, le 22 octobre, à M. Hayez que sa pension serait réglée à la fin du mois, s'il l'avait considéré, ainsi qu'on le prétend, comme étant pensionné depuis le 20 juin ?

C'est à la suite de cette communication que le lieutenant-colonel Hayez m'a adressé la lettre suivante que je livre à votre appréciation :

« M. le ministre,

« La bienveillance particulière que vous n'avez cessé de me témoigner, depuis plus de deux ans, ne me laissant aucun doute sur l'accueil que vous réservez à toute nouvelle réclamation que je pourrais vous adresser, il ne me reste, quelque dure que soit cette nécessité dans un pays où l'on chante la liberté dans tous les tons, qu'à me soumettre à la loi du plus fort et à accepter la position que vous me faites, position que vous avez rendue et continuez à rendre la moins favorable possible.

« Lorsque, au mépris de toute justice, vous m'avez mis à la pension, après m'avoir attribué des fonctions faites pour jeter du ridicule sur celui qui persistait à les maintenir, bien plus encore que sur celui qui devait les exercer, vous n'avez guère été arrêté par la loi ; mais vous vous montrez plein de respect pour d'autres lois ou pour leur interprétation ou leur silence, lorsqu'il s'agit d'admettre les moyens que je fais valoir pour porter au maximum l'espèce d'aumône jetée aux Belges qui ont eu la simplicité de mettre leur confiance dans leurs institutions militaires.

« Le certificat qui atteste mes services civils ne pouvant être appuyé d'autres pièces, pour les motifs que je vous ai énoncés dans ma lettre du 18 juin dernier, je crois inutile de vous l'adresser de nouveau.

* Quant au certificat joint à ma lettre du 28 du même mois, je vous prie de me le renvoyer puisqu'il vous paraît sans valeur.

« Recevez, monsieur le ministre, l'assurance de mon respect.

« E. Hayez. »

Vous avez vu tout ce que j'avais fait pour M. Hayez. Je l'ai nommé lieutenant-colonel, je lui ai accordé dix mois de congé en deux ans, dont quatre mois et demi à solde entière, et il appelle cela de la malveillance.

Lui confier le commandement supérieur de l'artillerie de Termonde, au moment où l'on croyait à une guerre européenne, c'était lui confier des fonctions ridicules !

Dans un moment semblable, il n'est pas un officier général qui ne se fût tenu pour honoré d'avoir un commandement de cette importance.

Ainsi parce que je n'avais pas accueilli des réclamations illégales que la cour des comptes aurait repoussées en s'étonnant que le département de la guerre les lui eût transmises, parce que je n'avais pas accueilli une demande de mise en non-activité qui aurait donné à M. Hayez un traitement plus élevé de 800 fr. que le montant de la pension de retraite à laquelle il avait droit, cet officier s'est cru autorisé à écrire au ministre la lettre que vous venez d'entendre.

Pouvais-je prêter la main à ces calculs ? n'ai-je pas poussé la bienveillance et l'indulgence envers M. Rayez, jusqu'à ses dernières limites ?

Pouvais-je tolérer un manquement aussi grave à toutes les lois de la discipline ? Que me restait-il à faire en pareille occurrence ?

Ce qui avait été fait par un de mes prédécesseurs dans une circonstance analogue.

Soumettre au Roi un arrêté mettant M. Hayez au traitement de non-activité, c'était le moins que je pouvais faire ; ce n'était en définitive que le placer dans la position qu'il n'avait cessé de demander, seulement il était mis en non-activité par mesure d'ordre au lieu de l'être pour motif de santé.

M. Hayez a répondu qu'il ne se soumettrait pas à cet arrêté royal. C'était là une désobéissance grave, une rébellion contre l'autorité ! La loi me faisait un devoir de la réprimer et me prescrivait la ligne de conduite à tenir, puisqu'elle punit de la mise au traitement de réforme, l'officier qui commet une désobéissance grave.

Tels sont les faits, vous les apprécierez, messieurs. Quant à moi, j'ai la conviction que j'aurais manqué à mes devoirs si j'avais agi autrement.

M. le président. - M. Dumortier persiste-t-il dans sa proposition ?

M. H. Dumortier. - Je voudrais entendre un membre parlant dans un sens autre que M. le ministre de la guerre.

M. de Gottal. - Messieurs, l'honorable ministre de la guerre est allé au-devant de la proposition que je voulais faire, en n'adoptant pas les conclusions de la commission des pétitions et en nous donnant des explications que j'allais lui demander. Je lui en sais gré, et si, en entendant la lecture de la réponse qu'il avait faite à la commission des pétitions, j'avais éprouvé un certain regret, en voyant dans la dernière partie de ses explications que l'on cherchait à déplacer le débat, à le placer sur un terrain qui n'est pas le terrain véritable, en cherchant à déverser un blâme sur le pétitionnaire et en présentant à la Chambre sous un jour peu favorable ; ce regret avait cessé lorsque M. le ministre de la guerre a commencé son discours, lorsqu'il nous a dit que la seule question à examiner était celle de savoir si le pétitionnaire était, oui ou non, au service lorsque les arrêtés royaux, du 2 et du 21 novembre, ont été signés. Voilà la question véritable ; c'est le terrain sur lequel nous devons la placer, et c'est le terrain qui a été indiqué par M. le ministre de la guerre lui-même.

Mais si j'étais rassuré sur ce point, il n'en était plus de même lorsque M. le ministre est arrivé à la seconde partie de son discours et où, par une tactique très habile, il est venu continuer le système qu'il avait professé dans sa réponse à la commission des pétitions. Il ne s'est plus agi de la position, il s'est beaucoup agi du pétitionnaire.

Eh bien, je ne m'attendais pas du tout à voir le débat prendre cette tournure. Je croyais que la Chambre n'avait pas à s'occuper de questions personnelles, de discussions irritantes que je désapprouve, car je n'hésite pas à dire que je ne donne nullement mon approbation à la lettre que le lieutenant-colonel Hayez a adressée le 25 octobre au ministre de la guerre. Mais ce n'est pas là le point à examiner ; la Chambre n'a pas à s'occuper de ces questions.

Je crois qu'il est de notre dignité de. nous occuper fort peu de la personne qui signale des abus vrais ou faux à la Chambre. Pour moi, la question importante dans ce débat, c'est la question de légalité. Peu importe la personne dont il s'agit, fût-elle indigne de toute considération, ce qui est bien loin d'être. Il ne s'agit pas moins d'un citoyen belge et, à ce titre, il a droit à la protection de la loi, il est placé sous la sauvegarde de la Constitution.

Voilà la question réelle, la question véritable.

Aussi je ne répondrai guère à tous les détails que M. le ministre de la guerre vous a donnés sur ce qui s'est passé entre lui et M. le colonel Hayez. Je relèverai seulement deux faits.

Le ministre a surtout insisté sur l'honneur insigne qu'il a fait à M. Hayez en l'envoyant à Termonde. C'était un poste d'honneur qu'aucun officier général n'eût refusé. Soit ; le poste de Termonde, au moment où M. Hayez y a été envoyé, pouvait être un poste d'honneur, mais cette place, qui devait défendre la nationalité belge, savez-vous comment elle était défendue, M. Hayez a été pendant fort longtemps à Termonde et savez-vous le corps immense d'artillerie qu'il avait sous ses ordres ? un sous-officier, un caporal et huit hommes.

Vous comprenez que si l'on peut défendre une place avec un pareil corps d'année, la défense d'Anvers ne nous coûtera pas très cher.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Le fait est inexact.

M. de Gottal. - M. le ministre de la guerre me répond que ce fait est inexact ; c'est à vérifier.

Mais il en est un que je dirai également inexact et que M. le ministre de la guerre a cependant avancé. Il est inexact, non pas dans ses termes peut-être, mais dans la portée qui lui a été donnée.

Le 24 mai, dit M. le ministre de la guerre, le département de la guerre informe le colonel Hayez qu'il est admis à faire valoir ses droits à la pension et fixe la date à laquelle il entre en jouissance, et M. Hayez ne répond que le 18 juin. Quel crime ! Si M. Hayez n'a répondu que le 18 juin, ce n'est pas sa faute, c'est que la lettre du département de la (page 272) guerre ne lui a été communiquée que le 18 juin. Il lui était donc impossible de répondre plus tôt. Ce fait, je crois, ne sera pas contesté.

Voici la pièce qua j'ai sous les yeux :.

« Transmis à M. le colonel Hayez, du 2ème régiment d'artillerie, les pièces ci-jointes, la lettre de notification de l'arrêté du 21 mai et celles qui m'ont été adressées par M. le colonel commandant du 2 régiment d'artillerie.

« Anvers, le 18 juin 1861,

< Le lieutenant-colonel commandant la place, « (Signé) : Guillaume. »

Messieurs, j'ai répondu suffisamment, d'une manière générale, à ce qui concerne le débat, les discussions entre le pétitionnaire et M. le ministre de la guerre.

J'en viens à la question véritable, la seule à examiner, la seule à résoudre.

M. le ministre de la guerre a dit : En présence de ces faits si graves et que personne, je crois, n'approuve, qu'avais-je à faire ? Je ne pouvais faire autrement et surtout moins que ce que j'ai fait. »

Eh bien, je réponds à M. le ministre de la guerre : Si c'était votre droit, vous avez bien fait ; mais si vous êtes sorti de la légalité, vous avez assumé une responsabilité bien grave, et vous avez à rendre compte de actes à la Chambre et au pays.

Pour restreindre le débat et ne pas le prolonger inutilement, je me permettrai de poser une question à M. le ministre de la guerre. Je crois que je suis parfaitement d'accord avec lui sur ce point, que si, au 20 juin, le pétitionnaire était pensionné, ne faisait plus partie de l'armée, la mesure prise par le département de la guerre est illégale. Je crois que nous sommes d'accord sur ce point.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Toute la question est de savoir s'il était pensionné ou s'il ne l'était pas.

M. de Gottal. - C'est la véritable question, la seule à débattre. Pour soutenir, messieurs, que le pétitionnaire n'était pas pensionné à la date du 20 juin, M. le ministre de la guerre argumente des termes de l'arrêté ; il en conclut que c'est un arrêté purement préliminaire, que l'arrêté ne devient définitif que par l'insertion au Moniteur, conformément à l'article 20 de la loi sur les pensions militaires.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Par un arrêté subséquent.

M. de Gottal. - Eh bien, permettez-moi de vous donner lecture de la notification qui a été faite au lieutenant-colonel Hayez de son admission à faire valoir ses droits à la pension :

« J'ai l'honneur de. vous faire connaître que Sa Majesté, prenant en considération votre âge avancé, a daigné vous admettre, par arrêté du 21 de ce mois, n°12199, à faire valoir vos droits à la retraite et a fixé au 20 juin prochain l'époque à laquelle vous entrerez en jouissance de cette récompense. »

Tout le soutènement de M. le ministre de la guerre me semble reposer sur une confusion d'idées que voici :

M. le ministre de la guerre confond entre la mise à la pension de l'officier, la position de pensionné et la pension, deux choses entre lesquelles je fais une énorme différence. Que cette différence existe, c'est ce qui résulte encore de la lettre même envoyée au pétitionnaire. « Un arrêté subséquent, est-il dit, devant déterminer le chiffre de la pension à laquelle vos droits auront été définitivement reconnus, je vous prie de me renvoyer sans retard, revêtu de votre adhésion ou accompagné des observations que vous croiriez devoir y faire, le relevé ci-joint portant fixation provisoire de la rémunération de vos services. »

Ainsi les termes mêmes de cet arrêté justifient la distinction que je fais.

Le premier arrêté décide la mise à la pension, fixe la pension, le second arrêté ne fait que régler le montant de la pension.

Messieurs, voyons les conséquences où l'on arriverait dans le système de M. le ministre de la guerre.

Je suppose qu'un officier qui se trouve dans le cas du pétitionnaire, vienne à décéder avant le règlement de sa pension, quels seront les droits de ses héritiers ?

Seront-ils admis à venir prétendre que, parce que la pension n'était pas réglée, l'officier n'était pas pensionné et que, par conséquent, ils ont droit à la solde entière du jour fixé pour l'entrée en jouissance de la pension jusqu'au jour du décès. La cour des comptes, et je crois qu'elle serait dans le vrai, n'accepterait pas cette prétention et elle dirait : Non, la pension de l'officier était définitivement acquise à partir de cette époque et vous ne pouvez plus prétendre qu'au droit qu'avait le pensionné, c'est-à-dire au règlement de sa pension,

Autre conséquence. A plusieurs reprises on a regretté, dans cette enceinte, de ne pas y rencontrer des hommes spéciaux, capables d'éclairer la Chambre de leur expérience dans les questions militaires. Eh bien, je suppose un officier se trouvant dans la même position que le pétitionnaire, qui manifeste l'intention de se mettre sur les rangs pour arriver à la Chambre ; le ministre de la guerre pourra avoir en lui un adversaire de ses idées ; eh bien, il dépendra de lui de l'exclure de la Chambre eu arrêtant le règlement de sa pension. Voilà où vous arrivez nécessairement, si vous acceptez le système du ministre de la guerre.

Messieurs, pour vous expliquer cette confusion qui, j'aime à le croire, n'est pas volontaire chez M. le ministre, mais que cependant l'on ne peut laisser prévaloir, je dois faire l'historique do ce qui s'est passé quant au mode de mettre à la pension.

Avant 1850 la mise à la pension se faisait par deux arrêtés ; le premier arrêté admettait l'officier à faire valoir ses droits à la pension ; il ne disait rien de plus. On l'insérait même au Moniteur. Je comprends que sous ce système l'honorable ministre de la guerre soit venu prétendre que le pétitionnaire n'était pas à la pension, que sa pension n'était pas définitivement acquise, et certainement je ne serais pas venu combattre cette prétention.

Sous ce régime, messieurs, voici comment les deux mesures, celle qui admettait l'officier à faire valoir ses droits et celle qui accordait la pension, voici comment ces deux mesures se traduisaient en style administratif. On insérait à la matricule :

« Admis à faire valoir ses droits à la pension par arrêté royal du.... »

« Pensionné par arrêté royal du.... »

Ce mode de procéder avait certains inconvénients, et il a été modifié en ce sens que la date de l'entrée en jouissance a été fixée depuis, par l'arrêté qui admet l'officier à faire valoir ses droits à la pension. M. le ministre de la guerre pense que cette date n'est fixée qu'éventuellement, et dans le seul but de permettre la fixation du chiffre de la pension.

Eh bien, messieurs, ce point n'est pas exact, car je ne pense pas que l'honorable ministre puisse me citer un seul exemple où l'arrêté royal subséquent qui a fixé le chiffre de la pension n'ait pas reproduit dans sa teneur celle même date pour l'entrée en jouissance ; ce n'est donc pas éventuellement qu'elle est fixée, mais bien définitivement.

L'honorable ministre de la guerre a présenté encore un autre argument, qui ne se rapporte pas au cas dont nous nous occupons.

Un officier demande sa retraite ; un arrêté royal l'admet à faire valoir ses droits ; plus tard il est reconnu que l'officier n'a pas droit à la pension, et il reste dans l'armée. Je dirai d'abord y messieurs, qu'il y a au moins une grande négligence à permettre qu'un arrêté royal admette un officier à faire valoir ses droits à la pension, lorsque ces droits n'existent pas. Mais, messieurs, il s'agit ici de tout autre chose : c'est d'office que l'arrêté royal a été rendu en vertu de la loi sur les pensions.

M. le ministre de la guerre, dans les explications données à la commission des pétitions, s'est servi d'un mot que je dois relever, c'est le mot de « spéculation ». Il a dit qu'une spéculation pourrait déterminer un officier à ne pas fournir les pièces ou à ne les fournir que très tard. Si j'insiste sur ce mot de « spéculation », c'est qu'il est peu agréable pour la personne à laquelle il s'adresse, et que, de plus, je le trouve fort peu juste ; on s'en est servi en lui donnant une portée plus ou moins injurieuse ; et c'est à tort, car je pense qu'il n'est pas dans toute l'armée un seul officier qui ne cherche à être mis à la pension le plus tôt possible et je le trouve fort naturel.

En 1850, messieurs, ce mode a été changé, et depuis lors la mise à la pension est fixée par un arrêté royal, conçu à peu près dans les mêmes termes que celui dont j'ai eu l'honneur de donner lecture. En style administratif, la mesure se traduit ainsi sur la matricule :

« Pensionné par arrêté royal du... »

On ne dit plus : « Admis à faire valoir ses droits à la pension. » Mais on dit : « Pensionné. »

Dans le cas spécial dont il s'agit, l'inscription à la matricule du régiment porte que l'officier a été pensionné par arrêté royal du 21 mai et c'est effectivement l'arrêté du 21 mai qui pensionne, mais la pension ne doit courir qu'à dater du 26 juin.

Je disais donc qu'après 1850 un autre mode fut adopte par le département de la guerre. Il y a une circulaire du 15 janvier 1850 en vertu de laquelle l'inscription à la matricule a été changée, et je crois même que cette circulaire émane de M. le ministre de la guerre actuel. Or, voici comment était conçue la notification :

« J'ai l'honneur de vous informer que le Roi par arrêté du.... vous a admis à faire valoir vos droits à la retraite en fixant l'époque à laquelle vous aurez cessé d'appartenir à l'armée. »

Vous le voyez, messieurs, cela est bien explicite et je demande si l'arrêté actuel était conçu dans les mêmes termes.

(page 273) Il me semble qu'il ne peut rester le moindre doute qu'à dater du 20 juin le pétitionnaire a cessé de faire partie de l'année. Il ne pouvait donc plus être soumis à la juridiction militaire que dans le seul cas qui est prévu, par l’article 4 du Code pénal.

Aujourd'hui, messieurs, le fond de la rédaction n'est pas changé, il n'y a de changements que dans la forme et dans le style administratif, les arrêtés de 1860 sont inscrits delà même manière que les arrêtés de 1850. C'est toujours la même circulaire qui fait loi.

Je crois avoir fait suffisamment comprendre à la Chambre que mon interprétation, qui n'en est pas une, mais qui est la simple constatation d'un fait, que cette interprétation est la seule vraie.

Mais je vais plus, loin, et je dis que le département de la guerre s'est hâté d'admettre cette interprétation. Depuis le 26 juin il a considéré le pétitionnaire comme ne faisant plus partie de l'armée, et je demande à M. le ministre de la guerre de vouloir bien nous dire dans quelle position se trouvait depuis le 26 juin le pétitionnaire ?

La loi de 1836 fixe la position des officiers dans l'armée, elle indique quatre positions : l'activité, la disponibilité, la non-activité et le traitement de réforme. Si le pétitionnaire s'était trouvé dans l'une de ces positions, il devrait toucher une solde, et je demanderai à M. le ministre de la guerre, si, à partir du 26 juin, le pétitionnaire a touché la solde attachée à son grade. Je demanderai ensuite si le pétitionnaire n'a pas été remplacé dans son grade par un arrêté royal du 21 juillet. Aussi, messieurs, l'administration a si bien considéré la pension du pétitionnaire comme définitivement acquise, qu'il a dû être rayé du contrôle des cadres, et je n'hésite pas à affirmer devant la Chambre que des pièces doivent avoir été transmises au département de la guerre.

Le pétitionnaire doit figurer partout comme pensionné, comme rayé des cadres et non pas comme admis à faire valoir ses droits à la pension.

Mais qu'aurait donc dit M. le ministre de la guerre si le pétitionnaire, après la notification qui lui a été faite, était venu dire : Mais enfin cet arrêté est une pure plaisanterie, je n'entends pas faire valoir mes droits à la pension, je me présente après le 26 juin dans mon régiment ; j'entends exercer mes fonctions et toucher ma solde ; votre arrêté est une mesure préliminaire ; je ne suis pas rayé des cadres, et je n'entends rien faire valoir pour le moment.

Je ne doute point que le département de la guerre n'eût dit à M. Hayez : Votre position est définitivement fixée. Il aurait pu alors prendre l'une ou l'autre mesure, mais jamais il n'aurait admis une prétention se ce genre.

Tous les mois la situation est transmise au département de la guerre. Un état de présence des officiers est également transmis, je crois, par trimestre.

La balance des gains et pertes est également transmise par le régiment ou par division au département de la guerre. Il en est de même des feuillets matriculaires.

Eh bien, je demande à M. le ministre de la guerre si dans toutes ces pièces le pétitionnaire ne figure pas comme pensionné et comme rayé du contrôle des cadres.

S'il en est ainsi, ces pièces que le département de la guerre a eues sous les yeux n'ont pu être considérées comme le fait d'une erreur, mais bien comme définitives.

Et voulez-vous une preuve de plus qu'aux yeux du département de la guerre la position de M. Hayez était considérée comme définitive ? M. le ministre vous a parlé tantôt d'une lettre de rappel adressée le 22 octobre au pétitionnaire.

Voici ce qui se trouve dans celle lettre :

« N'ayant pas eu de réponse à l'information que je vous ai donnée, j'ai l'honneur de vous prévenir que comme votre pension ne peut être plus longtemps en litige, elle sera définitivement réglée à la fin de ce mois, conformément au relevé provisoire qui vous a été communiqué. »

Or il ne peut s'agir ici de position en litige, mais simplement du chiffre de la pension.

Ainsi donc, au 22 octobre, M. le ministre persiste dans son idée de considérer M. Hayez comme pensionné ; il le menaçait de régler sa pension en tout état de cause et sans la production de nouvelles pièces, l'empêchant ainsi d'en produire ultérieurement.

C'est alors qu'est venue la malheureuse lettre du 23 octobre, lettre, je le répète, que je suis loin d'approuver, et c'est alors que M. le ministre de la guerre, dans un moment d'oubli, d'irritation sans doute, prit la mesure qu'il a cru devoir prendre.

J'ai dit qu'à la date du 26 juin je ne pensais pas que le pétitionnaire avait touché une solde quelconque. Je crois pouvoir l'affirmer ; du reste si le fait était contesté, la Chambre pourrait demander la communication des pièces que je viens d'énumérer.

Si la cessation de payement a eu lieu, il faut qu'un certificat de cette cessation ait été adressé au département de la guerre, et quelle est la signification de cet envoi ?

Ici je citerai un passage d'un auteur que probablement M. le ministre de la guerre ne récusera pas et qui porte ceci :

« Chaque fois qu'un officier est pensionné, le corps auquel il appartient ou l'intendant militaire, lorsqu'il s'agit d'un officier sans troupe, doit envoyer au département de la guerre un certificat constatant la date à laquelle il a cessé de recevoir son traitement. Cette pièce sert à opérer la liquidation du premier terme de sa pension. »

C'est là un extrait du règlement d'administration des corps et troupes par de Bassompierre, intendant de deuxième classe. Ainsi donc d'après cet auteur même, lorsque l'officier est pensionné, le certificat de cessation doit être adressé au département de la guerre.

J'ai demandé à la bibliothèque cet ouvrage, qui ne s'y trouve pas malheureusement, pour répondre à une autre partie du discours de M. le ministre de la guerre, où il est dit qu'il s'était présenté des cas où, postérieurement à un arrêté de la nature de celui dont nous avons à nous occuper, des officiers commandant, des arsenaux ou d'autres sont restés en activité.

Ce cas s'est effectivement présenté, mais pour cela il a fallu une disposition exceptionnelle du département de la guerre, mais ce n'étaient pas des cas identiques à celui-ci. C'était, lorsque les nécessités du service exigeaient la présence des officiers.

Or, cette nécessité a disparu depuis le 26 juin pour M. Hayez, parce qu'il n'a jamais reparu, ni à son régiment ni à l'armée.

Messieurs, l'argument qu'on cherche à tirer de l'article 26 de la loi sur les pensions me semble encore complètement erroné.

Il me semble résulter de cette confusion que j'ai déjà eu l'honneur de signaler.

En effet, que dit cet article ?

Les pensions de toute nature sont accordées par un arrêté royal précisant les motifs pour lesquels elles ont été données. Ces arrêtés sont insérés textuellement au Bulletin officiel (article 26, loi du 24 mai 1838), sur les pensions militaires.

Mais, messieurs, la pension, ce n'est pas la mise à la pension.

C'est la pension qui est accordée par arrêté royal qui est insérée au Bulletin officiel. El pour se convaincre que c'est bien là la signification de cet article, que l'on jette un coup d'œil sur les dispositions précédentes.

Vous verrez qu'il ne s'agit nullement de la position de pensionné, mais de la pension, du montant de la rémunération, des services.

En effet, l'article 24 porte : Les pensions et les secours annuels seront inscrits comme dette de l'Etat, au livre des pensions du trésor-publie et payés par trimestre, etc.

Et l'article 25 : Les pensions militaires sont personnelles et viagères, elles sont incessibles et insaisissables, etc.

Or, il est positif que le mot « pension » n'a, dans tous ces articles, d'autre signification que celle de rémunération et nullement de position.

Enfin un dernier argument qui prouve pour moi à l'évidence qu'aux yeux du département de la guerre, la pension a été définitivement réglée, c'est le titre d'une pièce que j'ai sous les yeux. En vertu d'un arrêté royal du 20 juin 1846, les officiers pensionnés sont admis à jouir gratuitement des soins du service de santé de l'armée sous certaines conditions dont la première est qu'ils doivent déclarer par certificats spéciaux s'ils entendent profiter de cette faveur. C'est à cela que se rapporte entre autres la dernière partie de la notification de l'arrêté royal, où l'on demande à M. Hayez, de signer les pièces jointes à cette notification.

Cette déclaration a été faite par le pétitionnaire ; elle a été acceptée par le département de la guerre.

Voici comment est conçue la pièce émanée du ministère de la guerre.

« Le ministre de la guerre certifie que le lieutenant-colonel pensionné Hayez s'est soumis aux conditions stipulées par l'arrêté royal du 20 décembre 1846, n° 6062, pour obtenir gratuitement les soins du service de santé de l'armée et les médicaments et qu'il subit de ce chef une retenue de 1/2 p. c. sur sa pension. »

Et plus loin : « L'officier pensionné qui veut renoncer au bénéfice de cet arrêté royal du 20 décembre 1846 précité, devra renvoyer au département de la guerre la présente déclaration, etc. »

El qu'on ne vienne pas prétendre que ce n'est pas à une reconnaissance par le département de la guerre que l'officier est pensionné.

Qu'on ne vienne pas prétendre que cette pièce est aussi préliminaire, (page 274) provisoire, car en définitive si du 20 juin au 2 décembre le pétitionnaire n'était pas pensionné, la pièce qu'on lui remettait était parfaitement inutile, car comme officier au service actif, on lui devait déjà les soins gratuits du service sanitaire.

Je crois donc avoir justifié qu'en droit, comme en raison et en fait, le lieutenant-colonel Hayez était définitivement bien pensionné depuis le 26 juin 1861 et qu'en conséquence à partir de cette date il ne faisait plus partie de l'armée.

La conséquence, vous la déduirez facilement, c'est que les arrêtés du 2 et du 21 novembre sont illégaux et que l'arrestation qui s'en est suivie le 29 novembre ainsi que la nouvelle arrestation dont M. Hayez a été l'objet hier, constituent des violations manifestes de la liberté individuelle des citoyens ; et, par conséquent, des violations évidentes de l'article 7 de la Constitution, qui garantit cette liberté.

Je ne veux pas, messieurs, tirer argument du code pénal ou des lois militaire. ; M. le ministre de la guerre n'en ayant point parlé, je n'ai pas à rencontrer les arguments qu'on aurait pu en tirer.

Vous pèserez, messieurs, les observations, que j'ai eu l'honneur de vous présenter, vous les apprécierez avec votre impartialité habituelle. Quant à moi, ma conviction est faite et je crois être d'une modération extrême en me bornant, pour le moment, à dire qu'il est plus que regrettable de voir, en Belgique, un ministre oublier, à ce point, dans un moment d'irritation, même légitime, de lui voir oublier le respect qu'il est le premier à devoir à nos lois et à notre Constitution.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - L'honorable M. de Gottal m'a reproché d'avoir déplacé la question. Je ne m'attendais certes pas à un pareil reproche, car j'ai précisément commencé par vous faire connaître comment la question de droit a toujours été résolue au département de la guerre.

Si j'ai été amené à faire un exposé des faits, c'est parce que M. Hayez m'attribue dans sa pétition des sentiments de malveillance, et qu'il m'importait de faire justice de cet étrange reproche.

Quoi qu'il en soit, messieurs, dans tout ce que vient de dire l'honorable M. de Gottal, je ne vois pas un seul argument d'où il résulterait que M. Hayez était pensionné, alors qu'il n'existait qu'un premier arrêté qui l'admettait à faire valoir ses droits à la pension.

Mais, messieurs, si M. Hayez était pensionné, un arrêté royal fixant le taux de sa pension, ses années de services, tous les motifs enfin de sa mise à la retraite aurait dû être inséré textuellement au Moniteur, comme le prescrit la loi. La cour des comptes aurait dû admettre le chiffre de sa pension, laquelle lui serait payée à l'heure qu'il est. Or, rien de tout cela n'a été fait : il n'existe qu'un simple arrêté qui admet M. Hayez à faire valoir ses droits à la retraite. On vous dit qu'avant 1850, on ne déterminait pas une époque à partir de laquelle la pension prendrait cours. Si on ne le faisait pas avant 1850, ce que j'ignore, et si on le fait depuis, c'est que probablement depuis 1850 on a trouvé qu'il pourrait se glisser des abus ou tout au moins des difficultés dans le calcul du taux de la pension et dans la justification, par les intéressés, de leurs droits acquis. En effet, pour déterminer la pension à laquelle un officier a droit, on compte le nombre d'années, de mois et même de jours qu'il a passés au service.

C'est pour pouvoir établir ce calcul que le premier arrêté fixe l'époque à partir de laquelle la pension prendra cours. Puis, un second arrêté intervient qui détermine la durée et la nature des services rendus, et fixe le taux de la pension.

J'ai cité des antécédents qui n'ont donné lieu à aucune difficulté ; j'ai cité l'exemple d'officiers comptables qui n'ont pas été pensionnés à l'époque fixée dans ce premier arrêté, parce que, à cette époque, ils n'ont pas pu rendre leurs comptes. Ils ont été maintenus dans l'armée ; et n'ont pas été considérés comme pensionnaires.

J'ai cité encore l'exemple d'officiers qui, croyant avoir droit à la pension, demandent à être admis à la retraite. Un arrêté intervient qui les admet à faire valoir leurs droits et fixe l'époque ultérieure à laquelle la pension prendra cours ; mais lorsqu'on examine les titres de ces officiers, si l'on constate qu'ils n'ont pas droit à la pension, on les replace dans leur position.

Eh bien, si ces officiers étaient considérés comme pensionnés en vertu du premier arrêté, cela donnerait lieu à une confusion évidente. Ils n'auraient pas droit à la pension, et ils ne seraient plus militaires.

Dans quelle position se trouveraient-ils donc ? Il est incontestable que, n'étant pas pensionnés, ils continuent à faire partie de l'armée. Et c'est ainsi que l'a toujours compris le département de la guerre.

J'ai cité un lieutenant-colonel qui, atteint de cécité et supposant cette infirmité incurable, avait demandé à être admis à la retraite. Un arrêté est intervenu conformément à sa demande. Mais postérieurement les médecins ont reconnu que l'infirmité de cet officier n'était pas incurable et qu'il était possible de le guérir au moyen de l'opération de la cataracte.

Eh bien, un autre arrêté royal est intervenu qui a placé cet officier en non-activité jusqu'à ce qu'il pût reprendre son service ou jusqu'à ce que son infirmité pût être constatée de manière à lui donner droit à la pension.

On me demande dans quelle position s’est trouvé M. Hayez après le 20 juin. Mais, messieurs, cet officier était en congé puisqu'il avait invoqué des motifs de santé, et il y est resté jusqu'à l'époque où un nouvel arrêté est intervenu, qui l'a placé dans la position de non-activité.

Quant à ses mandats de payement, ils lui ont été envoyés à Diest, où ils sont restés, M. Hayez ayant jugé à propos de ne pas aller les y retirer.

Cette position est très régulière, et c'est ainsi, je le répète, que les choses se sont toujours passées au département de la guerre.

L'honorable M. de Gottal dit que c'est probablement dans un moment d'irritation à la suite de la lettre de M. Hayez, que j'ai pris un arrêté illégal. Mais, d'abord, si l'honorable M. de Gottal savait comment les choses se passent au département de la guerre, il reconnaîtrait que les affaires ne s'y traitent pas ab irato : chaque affaire est instruite dans une ou deux divisions, selon sa nature, et c'est sur l'avis des chefs de ces divisions que le département de la guerre prend une détermination.

Aussi, messieurs, la mesure dont M. Hayez a été l'objet a-t-elle été prise sur des rapports circonstanciés établissant les faits, et interprétant la loi à appliquer.

Il y a au département de la guerre un jurisconsulte qui examine aussi la loi et c'est après avoir pris l'avis de ce jurisconsulte, quand il y a doute, que les mesures sont prises. Dans le cas qui nous occupe, je l'ai déjà dit, la décision à prendre par le département de la guerre était toute tracée, puisqu'il avait pour se guider les précédents que j'ai fait connaître.

Je crois donc qu'on a fait beaucoup de bruit à propos d'une question fort simple. Le département de la guerre n'a jamais compris qu'un officier admis à faire valoir ses droits à la retraite, fût pensionné de fait ; il a toujours pensé qu'il fallait pour cela un second arrêté puisque ce n'est qu'alors qu'il peut y avoir collation de la pension, jouissance de la pension et insertion au bulletin des lois.

Jusque-là les officiers sont dans une position d'attente.

M. Goblet. - Je laisserai de côté toute question personnelle ; elle est absolument étrangère à la seule question qui puisse nous occuper utilement.

Il s'agit de savoir si un citoyen qui n'est plus militaire peut être réintégré dans l'armée, après avoir, en vertu même de l'arrêté qui l'a admis à la retraite, été libéré de toutes ses obligations, sauf les réserves prévues par les lois. Toute la question est de savoir, comme l'a fort bien indiqué l'honorable M. de Gottal, si M. Hayez est actuellement bourgeois ou s'il est encore militaire.

M. le ministre de la guerre prétend qu'à partir du 20 juin M. Hayez appartenait encore à l'armée. Cette prétention de l'honorable général Chazal me paraît diamétralement contraire au texte et à l'esprit de la loi.

M. Hayez a reçu sa solde, nous dit M. le ministre de la guerre, tous les mandats lui ont été envoyés à Diest.

Mais c'est là résoudre la question par la question. Comment ! vous laissez depuis la fin de juin jusqu'à la fin d'octobre le colonel Hayez sans solde, et quand vous le condamnez à servir de nouveau vous lui soumettez la feuille d'émargement. Vous dites : M. Hayez était encore dans l'armée, puisqu'il devait être soldé, puisque j'ai envoyé un mandat à Diest.

Cela prouve précisément qu'il n'a pas eu de solde, car si vous avez envoyé des mandats à Diest, c'est après avoir préjugé la question, et cela après six mois.

A quel titre le pétitionnaire appartient-il à l'armée. Si je prends la loi de 1836, j'y fois les caractères parfaitement distinctifs des positions que peut occuper l'officier qui fait partie de l'armée.

L'officier faisant partie de l'armée, peut occuper une des quatre positions suivantes : l'activité, la disponibilité, la non-activité et la réforme. Ces quatre positions avec leurs caractères sont formellement indiquées par la loi ; on peut très bien voir que l'officier en congé ou en mission peut se trouver dans une de ces quatre catégories.

Mais le lieutenant-colonel Hayez n'était ni en congé ni en mission à partir du 26 juin. Le 21 mai il est rayé de la matricule du régiment, et le 26 juin il a disparu du contrôle de l'armée ; un officier, dans une des quatre positions que je viens d'indiquer, conserve les caractères nécessaires pour occuper une de ces quatre positions par son inscription aux (page 275) contrôles de l'armée, sur les états de payement ; ce qui n'existe plus pour le lieutenant-colonel Hayez, car à partir du 26 juin jusqu'à la fin d'octobre, il n'avait plus figuré à la matricule de son corps, ni aux contrôles de l'armée, ni sur les états de payement, il n'y avait pas de motif pour envoyer des mandats de payement à Diest.

Ces caractères distinctifs de la position de l'officier, pour établir qu'il appartient à l'état militaire, sont de toute nécessité ; et toutes les applications des lois militaires, comme les lois militaires elles-mêmes prouvent que chez nous, quelle que soit l'autorité qui l'applique, la loi d'exception est appliquée d'une manière restreinte, contrairement à ce qu'a fait l'honorable ministre de la guerre.

Dans l'article 4 du Code pénal militaire qui semble pour beaucoup une espèce d'épec de Damoclès suspendue sur la tête des militaires hors de service, que voyons-nous ?

C'est que, pour punir un officier qui a cessé de faire partie de l'armée, il faut que ce soit à raison de faits ayant trait à ses services ou antérieurs à la démission ou à la mise à la pension ; et quand il s'agit de l'application de cet article, les tribunaux tiennent d'une manière constante à ce que les caractères nécessaires pour appartenir à l'armée soient parfaitement indiqués.

A l'appui de ce que j'avance, je citerai deux jugements que je trouve dans les volumes des commentaires sur le Code pénal militaire, page 41, de l'auditeur militaire Gérard, à propos de l'article 4. Ces deux jugements sont frappants dans l'espèce ; ils sont contraires, de tout point, à l'interprétation du ministre de la guerre. On ne peut traduire devant un tribunal militaire, un individu ne faisant plus partie de l'armée que pour une offense faite à un supérieur à raison des services antérieurs, alors qu'il était encore au service.

Dans le cas cité, un officier a été mis à la pension par démission ; la démission était datée du 11 août, elle ne lui a été notifiée que le 13, l'officier, sachant qu'il était démissionné, écrit une lettre d'impertinences à son supérieur le 12.

Il est traduit devant la haute cour pour avoir écrit une lettre d'impertinences, alors qu'il était encore sous l'application des lois militaires.

Le jugement porte :

« Attendu que, le 12 février dernier, date de la publication de la lettre qui seule fait l'objet de la plainte en question, le prévenu avait encore la qualité de militaire, puisque l'arrêté qui lui accorde sa démission et qui est daté du 11 février, ne lui a été notifié que le 13, et que ledit prévenu a figuré sur les contrôles de l'école militaire, où il était détaché, et a touché son traitement jusqu'à cette dernière date, ce dont il est convenu à l'audience de la cour ;

« Attendu, par conséquent, que, jusqu'à cette même date, le sieur P... D... reste justiciable des tribunaux militaires pour tout délit commis à cette époque, sans aucune distinction, etc. »

« Arrêt du 10 mai 1810. »

Ainsi vous voyez combien, dans l'application des lois d'exception, les tribunaux militaires eux-mêmes sont pleins de précautions et veulent que les caractères distinctifs de la position militaire soient attachés à l'homme qu'ils condamnent ou absolvent.

Un autre jugement de la haute cour, cité à la suite dans le même ouvrage et au même article, donne les motifs pour lesquels une décision d'un tribunal militaire a été cassé. C'était un officier soumis à l'article 4 du Code pénal militaire. Mais la question était de savoir si l'injure avait eu lieu à cause de services antérieurs, ou dans une discussion postérieure au service ; le tribunal, qui voit du doute sur ce point, trouve que cette loi d'exception, faite pour maintenir la discipline militaire, ne doit être appliquée que quand il y a toute évidence, et termine son jugement de la manière suivante :

« Attendu enfin que, dans le doute, les juges exceptionnels doivent se déclarer incompétents envers des citoyens non militaires ; de tout quoi il résulte qu'en prononçant sur la plainte délivrée contre G....., le conseil de guerre a violé l'article 4 précité.

« Par ces motifs, etc. »

Messieurs, cela vous prouve combien les tribunaux militaires eux-mêmes sont disposés à interpréter les lois en faveur de ceux auxquels un doute quelconque peut s'appliquer.

La manière de voir de M. le ministre de la guerre, si elle était admise, consacrerait un système tout à fait nouveau, un système qui n'a jamais été reconnu possible dans l'application de la loi et qui même n'est jamais entré, avant aujourd'hui, dans la pensée des chefs du département de la guerre ; je le prouverai par des documents émanés du ministre lui-même.

L'honorable baron Chazal invoque l'article 26 de la loi de 1838, qui dit qu'aucune pension ne peut être accordée sans être insérée au Bulletin officiel, et il invoque cette disposition pour arriver à conclure que le pétitionnaire dont il s'agit n'est pas pensionné parce qu'il n'y a pas au Bulletin officiel d'arrêté fixant le quantum de sa pension.

Ici, messieurs, on fait confusion, on fait une confusion entre une question de principe et une question de tien et de mien. L'article 26 n'a rien à voir quant au droit de mise à la pension. C'est un article qui a été introduit dans la loi pour défendre, tout au contraire, et pour protéger l'officier contre le département de la guerre ; pour empêcher que faisant application d'une faculté à lui laissée exceptionnellement par la loi, il n'en abuse et ne fasse, en ne publiant pas les arrêtés, des actes qui pourraient léser et les personnes et le trésor, contrairement à toute espèce de droit ; c'est, en un mot, uniquement un moyen de contrôle pour les administrés.

Prenons en effet les commentaires, que voyons-nous ? Nous voyons que la loi sur les pensions militaires ne prévoyait pas l'article 26 et était faite entièrement sans l'article 26, sans cette publicité au Moniteur, sans qu'on eût prévu qu'il fallait restreindre le droit que réclamait le gouvernement. Le gouvernement pour pouvoir mettre à la pension tous ceux qu'il lui plaisait et qui avaient trente années de service et 55 ans d'âge, demandait un droit sans limite. Tout homme âgé de 55 ans, quelque valide qu'il fût, était mis à la pension comme il l'est du reste maintenant, si cela plaisait à M. le ministre de la guerre, du moment qu'il avait trente années de services.

La section centrale de la Chambre voyait, dans cette disposition, une ouverture à des abus criants. Elle a dit au gouvernement : C'est là un droit exorbitant que vous nous demandez, c'est le droit de frapper des hommes selon votre bon plaisir. Il faut cependant que vous ayez une responsabilité quelconque, et pour cela nous réclamons l'insertion au Moniteur des arrêtés qui déterminent non pas la mise à la pension, mais la quotité ou le montant de la pension, parce que nous voulons que le public puisse connaître au moins vos actes et vous contrôler, puisse connaître les motifs qui vous ont décidé à frapper des hommes dans la plénitude de leurs facultés, et voici les termes du rapport :

« La section centrale, en acquiesçant à la demande du projet ministériel d'accorder au Roi la faculté de mettre à la pension de retraite les militaires ayant 30 années de service effectif, ne s'est pas dissimulé que cela pouvait donner lieu quelquefois à des abus. C'est pour cela qu'elle a proposé le nouvel article 26, où il est dit : « Les pensions de toute nature sont accordées par un arrêté royal précisant les motifs pour lesquels elles ont été données. Ces arrêtés sont insérés textuellement au Bulletin officiel. » La section centrale a pensé que cette disposition présentait toute garantie quant aux abus qui pouvaient résulter de la faculté accordée au gouvernement de mettre à la pension de retraite les officiers qui comptent 30 années de service effectif et qui sont reconnus hors d'état de continuer à servir. »

Le gouvernement a donc le droit de mettre à la pension, la loi le lui accorde absolu ; mais une fois la question de principe décidée, il ne s'agit plus que d'une question toute de régularisation, une question du tien et du mien, qui doit être tranchée publiquement, pour que chacun puisse apprécier librement les motifs de la mise à la pension ; le second arrêté est donc uniquement un moyen de contrôle en fixant le quantum de la somme à recevoir.

Jamais, messieurs, il n'en a été autrement. Jamais on n'a fait dépendre la pension, pour la date où elle a couru et pour la date où elle a été fixée, de l'arrêté ultérieur, attendu que ces arrêtés ultérieurs sont toujours venus irrégulièrement et toujours à des dates postérieures à l'arrêté royal, paru en premier lieu.

II n'y a pas ici de la faute du colonel Hayez, si l'arrêté royal a été retardé pour la réglementation de sa pension. Elle n'aurait dans aucun cas été régularisée pour le 26 juin.. Elle l'aurait été si peu, que les coassociés du colonel Hayez à la mise à la pension, si je puis m'exprimer ainsi, dont la pension devait courir aussi à dater du 26 juin, ont vu régler leur pension par un arrêté du 23 août, et cet arrêté, avec force rétroactive, leur accorde l'émargement de leur pension à partir du 26 juin, de même que si M. le lieutenant général Chazal avait exécuté la menace de sa lettre du 22 octobre de mettre M. le lieutenant-colonel Hayez à la pension, cette pension aurait couru à partir du 26 juin.

Nous avons vu des discussions de pension durer deux ans, et il est évident qu'il ne peut dépendre d'un homme quelconque, qu'il soit ministre ou non, de laisser, selon le bon vouloir de ses bureaux ou le sien, un citoyen sans état civil.

C'est là, messieurs, une très grave question. Vous êtes à la pension. Votre pension court du 26 juin, mais nous pouvons vous retenir dans l'armée, tandis que vous, vous ne pouvez faire aucun bénéfice de l'aléatoire que nous attachons à votre mise à la pension. Tout serait ici contraire à l'officier.

On lui dit : Vous pouvez avoir votre pension à partir de telle date. (page 276) Mais s'il nous plaît de révoquer cet arrêté, nous en sommes les maîtres, nous vous empêcherons de faire acte de citoyen, selon notre bon plaisir, Vous êtes liés, nous ne le sommes pas.

Messieurs, si l'arrêté du 26 juin, comme tout arrêté de mise à la pension, n'est pas inséré au Moniteur, c'est que c'est là uniquement une question d'intérêt privé, question qui n'exige pas la publicité. Cette mise à la pension est une affaire qui concerne deux individus, le gouvernement et le pensionné, tandis que le contrôle du règlement de la pension, la fixation de la quotité de la pension est réglementé par le dernier arrêté.

L'exemple qu'a cité l'honorable général Chazal, d'un lieutenant-colonel mis à la pension, sans en avoir le droit, ne me paraît nullement concluant ; car il s'agit là d'une convention, d'un contrat auquel les deux parties adhèrent. Ce n'est pas un contrat qu'on vous oblige d'accepter, comme dans l'affaire du colonel Hayez. Le colonel Hayez ne peut se soustraire à la pension ; c'est vous qui lui déclarez qu'il est à l'avenir incapable de rendre des services à l'Etat, et qui, après avoir déclaré que, grâce à son âge, il est incapable de servir, déclarez aujourd'hui qu'il est capable de subir vos rigueurs. Vous seul ici agissez ; lui n'y est pour rien.

Messieurs, cette insertion au Moniteur d'arrêtés qui règlent des intérêts privés ne se fait pas toujours.

Quand on confère des titres de noblesse, l'arrêté qui confère le titre n'est pas inséré au Moniteur, et par arrêté royal paraît annuellement une liste indiquant les noms de ceux qui ont été anoblis, pour que les officiers publics puissent tenir compte de ces indications dans les actes qu'ils sont appelés à rédiger. Eh bien, qu'un notaire, sur la présentation de lettres patentes conférant un titre de noblesse, rédige un acte pour un individu dont le nom ne se trouve pas sur la liste annuelle dont je viens de parler, pouvez-vous soutenir que cet acte se trouve infirmé, ou que l'officier instrumentant soit passible d'une peine, parce qu'avec ou sans intention, par oubli ou par toute autre cause, on n'aura pas inséré sur la liste le nom de celui qui a obtenu des lettres patentes ?

Vous voyez donc, messieurs, que l'article 26 ne peut pas être invoqué au nom du gouvernement contre l'officier ; c'est une précaution prise par la loi pour empêcher un emploi abusif du pouvoir conféré par la loi au gouvernement dans les mises à la pension.

L'insertion au Moniteur ne signifie rien non plus. C'est un contrôle et pas autre chose. Cela a été tellement bien entendu de tout temps que j'ai ici des pièces qui le disent.

Nous avons d'abord une correspondance très curieuse entre la cour des comptes et le département de la guerre, correspondance qui démontre à toute évidence que, ni de la part de la cour des comptes ni de la part du ministère de la guerre on n'a jamais admis l'arrêté définitif que comme un arrêté réglant un quantum, un chiffre et non pas un principe.

Le ministère de la guerre en faisant sortir le deuxième arrêté avant la régularisation par la cour des comptes, faisait quelquefois fausse route. Il arrivait que la cour des comptes n'était pas du même avis que le ministère de la guerre ; elle n'admettait pas, quant à la quotité de la pension, les mêmes bases. Il fallait dans ce cas un nouvel arrêté, qui infirmait l'arrêté précédent, publié au Bulletin officiel.

Si le système défendu actuellement parle général Chazal eût été alors admis, ce n'eût plus été évidemment que le troisième arrêté qui eût décidé de la mise à la pension ; et l'on fût nécessairement arrivé à la conséquence absurde que l'état civil du militaire redevenant bourgeois, dépendait du plus ou moins de bonne volonté, quant au temps, d'une cour régulatrice.

Voici les extraits les plus concluants de la correspondance :

« M. le ministre de la guerre propose à la cour de lui communiquer, aux fins d'examen préalable, les arrêtés royaux qui accordent des pensions définitives à des militaires, avec les pièces qui ont servi à la fixation de ces pensions, la priant, en lui renvoyant ces documents, de l'avertir des cas dans lesquels elle prévoirait que la mise à exécution de l'arrêté royal pourrait donner lieu à des observations de sa part, sans préjudice à sa décision définitive. »

Vous le voyez, le département de la guerre reconnaît lui-même qu'il s'agit de la mise à exécution d'une œuvre de réglementation.

La cour des comptes répond : » Pour faciliter à l'armée les inscriptions de pensions et en accélérer la liquidation, la cour adhère à la proposition que vous lui avez faite, d'examiner, préalablement à leur envoi au département des finances pour en suivre l'exécution, les arrêtés royaux et pièces justificatives qui ont servi de base à la fixation des pensions conférées.

« Ainsi, après cet examen dont la cour fera connaître chaque fois le résultat, il ne s'agira plus que de créer le brevet et l'ordonnance du premier terme »

Vous voyez bien, messieurs, qu’il ne s’agit pas ici du principe de la mise à la pension, mais qu'il s'agit uniquement de régler une question de quantum, une question du tien et du mien, qui est essentiellement du ressort des tribunaux.

Ainsi tout le monde est bien d'accord que la pension est conférée, et qu'il s'agit des pièces qui doivent servir à en fixer le quantum.

Il me paraît également impossible de soutenir d'un autre côté, avec une apparence de raison quelconque, que le lieutenant-colonel Hayez ait reçu sa solde, ou du moins qu'il ait été en mesure de la toucher, parce que le département de la guerre a envoyé des mandats de payement à Diest, comme vient de nous le dire l'honorable ministre.

Mais que signifie donc l'envoi de ces mandats, après que vous avez décidé de la question, que vous avez réintégré dans l'armée le citoyen que vous avez libéré ? Ce ne peut être qu'un piège tendu à l'inexpérience de celui à qui vous voulez faire poser un acte qui le condamnerait. Ces mandats à Diest, qui arrivent si vite après la mesure de rigueur, quand l'honorable M. Hayez est à peine arrivé, pourquoi n'en avez-vous pas envoyé à Anvers où était, jusqu'au 2 novembre, le domicile officiel de ce citoyen ?

Non, de ces mandats il n'en est pas question du 26 juin au 2 novembre et ils ne paraissent là évidemment que pour les besoins de la cause. Le lieutenant-colonel Hayez n'a rien touché et n'aurait rien pu toucher après le 26 juin, que des à-compte sur sa pension, comme il arrive souvent à des fonctionnaires dont la pension n'est pas encore réglée.

Dans les notifications que le département de la guerre fait officiellement aux officiers mis à la pension, il n'a jamais été mis en doute que le premier arrêté ne fût définitif ; le sens, les termes, tout le prouve, et en fixant la date où la pension sera exigible, le département fixe évidemment, pour lui comme pour les intéressés, la date où ils cessent de faire partie de l'armée, abstraction faite de toute difficulté de régularisation du quantum.

Voici un exemple de ces notifications :

« J'ai l'honneur de vous informer que le Roi, par arrêté royal du 24 de ce mois, vous a admis à faire valoir vos droits à la retraite, en fixant au 10 mars prochain, l'époque de l'entrée en jouissance.

« Un arrêté subséquent. devant déterminer le chiffre de la pension à laquelle vos droits auront été définitivement reconnus, je vous invite à me l'envoyer sans retard !... »

C'est bien là un congé définitif, à partir du 10 mars, c'est bien là un contrat rompu où les deux parties sont libérées vis-à-vis l'une de l'autre, quitte, naturellement, à régler une indemnité reconnue acquise en principe.

Il n'y a pas évidemment dans ces pièces la moindre réserve quant à la mise à la pension.

Tout le monde est d'accord que l'officier dans cette position ne fait plus partie de l'armée, qu'il a droit à sa pension et que c'est seulement la quotité de cette pension qui doit être fixée ultérieurement.

Le département de la guerre, quand il vous notifie l'arrêté qui vous met à la pension, se sert indifféremment de deux expressions qui pour lui ont la même portée.

Il vous dit : « A partir de telle date vous toucherez la rémunération due à vos services, ou bien : « A partir de telle date vous cesserez de faire partie de l'armée. »

Ainsi, voilà le département de la guerre qui dit à un officier : « A telle date vous cesserez de faire partie de l'armée. » L'officier agit en conséquence, et six mois après on vient lui dire : « Nous ne sommes pas d'accord, vous n'avez pas droit à la pension et vous continuez à faire partie de l'armée.

Je vous ai cité, messieurs, un arrêté où l'on parle de la rémunération de services ; voici un arrêté où l'on se borne à dire : « Vous ne faites plus partie de l'armée. »

» En date du mois d'avril 1855, concernant entre autres les médecins principaux Vanden Broeck et Midavaine, le département de la guerre prévenait ces officiers que par arrêté du 24 avril ils sont admis à faire valoir leurs droits à la pension et qu'à partir du 26 juin, époque à laquelle ils entreront en jouissance, ils cesseront d'appartenir à l'ar » (Expression textuelle.)

L'arrêté de fixation définitive de la pension est daté du 11 septembre de la même année, c'est donc cinq mois après. (Journal officiel, 1855.)

Cette dépêche est signée par le général Greindl ; l'honorable ministre, de la guerre actuel pourrait dire qu'il ne partage pas l'opinion de l'honorable M. Greindl et que, quant à lui, il n'a jamais employé cette formule.

Eh bien, c'est une erreur.

Voici un arrêté signé « baron Chazal » qui porte :

« Que le médecin principal Delmurre fut averti par dépêche officielle du mois de juin 1859 qu’à partir du 30 juillet, il cessait de faire partie (page 277) de l’armée, le 9 juillet seulement l'arrêté fixant le quantum de sa pension paraît au Bulletin officiel.

Vous voyez bien, messieurs, que le département de la guerre n'a jamais entendu comprendre autrement la fixation de la pension. Le principe est décidé par le premier arrêté, et le second fixe, par effet rétroactif, la quotité de la pension que réclame l'officier.

Messieurs, je suppose pour un instant que le pétitionnaire ait tous les torts possibles ; mais dans quelle position mettez-vous cet homme, si pauvre, dépendant de vous pour vivre au jour le jour, car vous ne lui payez rien, il se trouve lésé par les décisions du ministre de la guerre.

A qui peut-il réclamer pour le règlement d'une pension qu'on lui fait attendre alors qu'il sait, si l'on adopte la théorie du département de la guerre, qu'il peut être réintégré dans l'armée, non pas pour ce qu'il dira, pour ce qu'il fera, mais tout bonnement parce que cela plaira au département de la guerre, attendu que celui-ci ne le considère pas comme libéré.

Pouvez-vous fixer une date exacte à sa libération ? Non, vous ne le pouvez pas, pas plus que vous ne pouvez fixer le quantum de sa pension.

Quand vous prenez un arrêté qui admet un officier à faire valoir ses droits à la pension, vous prenez un arrêté qui fixe le principe, mais vous ne prenez pas, dans cet arrêté, une décision qui règle le quantum de la pension.

Le lieutenant-colonel Hayez n'a plus d'état civil ; à partir du 26 juin il ne sait plus ce qu'il est.

D'après lui, il est pensionné ; d'après la doctrine de l'honorable baron Chazal, il appartient à l'armée. S'il plaît au département de la guerre qu'il ne soit plus militaire, il ne l'est plus ; s'il plaît au contraire à ce département qu'il le soit encore, il l'est ; car la position qui a duré jusqu'à la fin d'octobre peut durer indéfiniment.

Il est à la merci du ministre de la guerre, et cela pour toute sa vie, car il n'y a qu'une action civile en payement de sa pension qui puisse le faire sortir de cette position, et cette action, il n'a pas le droit de l'intenter dans l'espèce.

Il y a un droit acquis, et ce droit est reconnu puisque vous n'admettez pas qu'il puisse être pensionné à une autre date que celle que vous avez fixée dans votre premier arrêté.

Messieurs, cette théorie du département de la guerre ne serait, j'en suis persuadé, sanctionnée par aucun tribunal, et je suis convaincu moi-même que l'honorable baron Chazal partage ma manière de voir.

Il la partage, parce que, s'il en était autrement, il aurait dit dans le cas présent : Un homme qui est dans ma dépendance, un homme qui pendant 30 ans a servi fidèlement l'Etat, que je frappe dans sa carrière, a cru devoir m'adresser une lettre inconvenante ; c'est une affaire personnelle, car il ne s'agit pas de services, mais d'une question d'argent.

Eh bien, je ne veux pas être juge et partie dans ma propre cause ; je ne veux pas frapper cet officier parce qu'il m'a manqué.

Bien que je croie avoir droit, je m'abstiens, et je renvoie l'officier devant la cour militaire. C'est à lui de se défendre, mais je ne trancherai pas la question en ma faveur.

Cela vous était d'autant plus facile que dans votre toute-puissance vous seul vous pouvez décider de la gravité de l'injure.

M. le président. - Voici une proposition signée par l'honorable M. Orts

(page 293) Addition a la séance du samedi 14 décembre 1861. - Proposition de M. Orts : J'ai l'honneur de proposer à la Chambre d'ordonner, avant toute décision sur le rapport de la commission des pétitions :

1° L'impression du rapport et de ses annexes ;

2° Le dépôt sur le bureau de :

A. La correspondance entre le département de la guerre et le pétitionnaire, concernant son admission à faire valoir ses droits à la retraite.

B. La correspondance échangé pour l'exécution de la mesure entre le même département et le chef du corps auquel le pétitionnaire appartenait et spécialement l'état de présence du deuxième trimestre 1861, la balance de gain et perte et les feuillets matriculaires envoyés le 15 juillet au ministère, concernant le 2ème régiment d'artillerie.

(page 277) M. Orts. - Messieurs, la Chambre ne peut se dissimuler que, dans l'état du débat, la question dont il s'agit est grave et qu'elle est difficile.

La question est grave, parce que toujours dans un pays où la liberté individuelle est garantie, comme dans le nôtre, c'est une question qui touche de près aux intérêts de chacun, c'est une question grave de savoir si un citoyen soumis, dans une circonstance donnée, à une juridiction exceptionnelle, à une législation exceptionnelle ; si ce citoyen est au contraire protégé par la loi commune, s'il appartient à la généralité des citoyens pour lesquels cette loi est faite.

Voilà la question. En effet, il s'agit de savoir non pas si le lieutenant-colonel Rayez s'est conduit à l'égard de son supérieur, M. le ministre de la guerre, comme le respect de la discipline, je dirai même comme le respect des convenances lui commandaient peut-être de ne pas se conduire. C'est une question accessoire que nous n'avons pas à apprécier.

Il s'agit de savoir si lorsque le ministre de la guerre, que j'admets avoir statué très légitimement à son point de vue, si lorsque le ministre de la guerr e a infligé une punition qui serait méritée de la part d'un militaire, en activité de service, il pouvait atteindre, dans l'étendue de son autorité militaire, dans sa juridiction spéciale, l'homme qu'il a frappé.

Eh bien, messieurs, cette question grave est évidement aussi difficile.

Elle est difficile en théorie pure ; elle est difficile en présence des complications de fait qu'un échange d'explications entre M. le ministre de la guerre et les orateurs qui viennent de se rasseoir y a ajoutées. S'il est vrai, comme on l’affirme, d’un côté, que l’arrêté admettant le lieutenant-colonel Hayez a faire valoir ses droits à la pension a été exécuté par le ministre de la guerre, dans des termes tels, que cette exécution est inconciliable avec l’idée que l’admission à faire valoir ses droits à la pension n’équivaudrait pas à une libération du service militaire, je ne comprends pas qu’on fasse encore de la théorie.

L'interprétation d'une loi est claire quand l'exécution est là pour indiquer quelle est, dans la pensée du gouvernement, le véritable sens de la loi.

Or, s'il est vrai qu'à dater de son admission à faire valoir ses droits à la pension, le lieutenant-colonel Rayez a été rayé des contrôles de l'armée, qu'il a été porté par le chef du corps auquel il appartient dans la catégorie où on place les individus qui ne sont plus soumis au régime militaire, il devient évident que nous n'avons pas besoin d'autre interprétation pour savoir ce que vaut l'arrêté admettant un militaire à faire valoir ses droits à la pension.

Or, ces faits ont été affirmés. Ils peuvent être démentis ou prouvés d'une manière authentique par la production des pièces auxquelles il a été fait allusion.

Si j'avais à faire de la théorie pure après avoir écouté, je dois le dire, avec la plus grande bienveillance, avec le désir sincère de le voir triompher, les explications de M. le ministre de la guerre, je dois le dire, je serais obligé, en conscience, de me rallier à l'interprétation de ses adversaires.

Je ne comprends pas qu'on puisse considérer un militaire, admis à faire valoir ses droits à la pension, comme faisant encore partie de l'armée.

Je crois cela contraire à tous les principes, non seulement en matière de pensions militaires, mais en fait de pensions civiles., En effet, il y a, dans la mise à la pension d'un fonctionnaire civil ou militaire, deux actes distincts, ayant des caractères différents, émanant d'une autorité qui exerce dans l'une et l'autre circonstance des droits distincts et possède une compétence différente.

L'un de ces arrêtés, que l'administration prend dans la plénitude de sa prérogative, n'est soumis à aucun contrôle de la part d'aucune autorité quelconque. C'est l'acte par lequel on dit au fonctionnaire civil ou au militaire : Vous sortez de l'armée ou des fonctions civiles ; vous n'appartenez plus à l'ordre militaire ou administratif auquel vous étiez attaché ; vous êtes admis à faire valoir vos droits à la retraite.

Si le militaire, si le fonctionnaire civil placé dans cette position conteste la légalité de la mesure, il ne peut s'adresser, pour en obtenir le redressement, qu'au pouvoir militaire ou civil d'où elle émane ; l'administration ici est souveraine ; les tribunaux n'auraient aucun contrôle à exercer.

Mais lorsqu'un homme a été placé en dehors du service public auquel il appartenait, militaire ou civil, peu importe, une liquidation du chiffre de la pension doit s'opérer ; l'administration prend cette seconde mesure. Mais ici je suppose qu'elle se trompe dans la fixation du taux de la pension. Oh ! alors il s'agit de bien autre chose que de la mise à la retraite ; et, tandis que l'administration est seule compétente pour statuer sur les réclamations auxquelles la première mesure, la mise à la retraite, peut donner lieu, les tribunaux seuls deviennent compétents en cas de conflit, pour juger des contestations relatives au chiffre de la pension. Pourquoi ? Parce qu'il ne s'agit plus ici de décider si l'administration a bien ou mal fait d'admettre un fonctionnaire à la retraite ; mais d'examiner si ce fonctionnaire, définitivement admis à la retraite, aura une pension de 2,500 fr., par exemple, ou de 2,600 fr.

Maintenant, messieurs, cette règle générale, ce principe qui domine toute la matière, et bien celui qui inspire les arrêtés du gente de celui qui a été notifié à M. Hayez.

Cette distinction, messieurs, est tout entière dans la lettre de M. le ministre de la guerre, en date du 24 mai 1861. On vous l'a déjà signalée, permettez-moi de la rappeler encore pour nie rattacher plus directement à la grande question qui nous occupe. L'autorité prononce ; elle est souveraine en cette matière ; elle n’a de contrôle à subir de la part de personne.

On ajoute :

« Un arrêté subséquent déterminera... quoi ? Si vous serez (page 278) admis à la retraite ou si vous n’y serez pas admis ? Non, tout est dit, tout est consommé sur ce point. Un arrêté subséquent devant déterminé le chiffre de la pension à laquelle vos droits auront été définitivement reconnus. Ce n’est pas le droit qui doit être reconnu ; c’est le chiffre qui doit être définitivement arrêté après débat contradictoire.

Je vous prie de m'envoyer les pièces nécessaires… » Pourquoi ? Pour examiner s'il faut vous admettre à la retraite ? Non, mais pour fixer le chiffre qui devra définitivement vous être accordé en votre qualité de pensionné.

On vous l'a dit, messieurs, nulle part vous ne trouverez ni dans les lois militaires ni dans le Code pénal qu'a cité M. le ministre de la guerre, une seule disposition qui infirme mon appréciation.

Dans le Code, dans la loi sur la position des officiers il n'est question d'autre situation pour un militaire que de la situation d'activité, de disponibilité, de non-activité et de réforme.

Dans laquelle de ces positions (et ce sont les seules qui puissent rendre un officier justiciable du département de la guerre), dans laquelle de ces positions voulez-vous placer M. Hayez ? Dans la position d'activité ? Mais votre arrêté constate qu'à partir du 26 juin, il n'était plus en activité. Où l’avez-vous donc placé ? Il est évidemment en dehors des quatre positions militaires, les seules que la loi connaisse. El non seulement vous l'avez placé, par votre mesure, en dehors de la position d'activité, mais vous l'avez même remplacé dans son commandement par M. le major Rayet.

Eh bien, je suppose que M. le ministre de la guerre puisse, comme il le pense, révoquer un arrêté d'admission à faire valoir les droits à la retraite ; et je pose la question de savoir ce que ferait M. le ministre de la guerre dans le cas que voici : II a remplacé M. Hayez dans son grade par un autre officier qui, par cela même, a obtenu une promotion. Si, par hasard, au moment où cela a été fait, le cadre de l'artillerie, ici qu'il est fixé par la loi, avait été au complet, où auriez-vous placé M. Hayez dans le cas où vous auriez cru devoir rapporter son arrêté d'admission à la retraite ? Auriez-vous destitué son remplaçant et l'auriez-vous renvoyé à son grade de major ? Ce n'est pas probable.

Et puis, qui donc aurait payé M. Hayez ?

.le suppose que vous dépassiez le chiffre des cadres en rappelant à l'activité un officier admis précédemment à faire valoir ses droits à la retraite.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Il y a une allocation au budget pour payer les officiers placés hors des cadres, et qui jouissent d'un traitement de réforme.

M. Orts. - Sans doute, pour ceux-là je le conçois, ils sont dans une des positions prévues par la loi. Mais l'officier dont je parle n'est ni à la réforme, ni en non activité, ni en disponibilité.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - M. Hayez n'était pas hors des cadres, il était en congé pour cause de maladie.

M. Guillery. - Et s'il n'était pas malade.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - L'officier qui n'est pas malade est rappelé à l'activité dès la première vacance d'emploi qui se présente.

M. Orts. - Mais la cour des comptes, en attendant, ne vous accorderait pas l'argent nécessaire au payement de son traitement.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je répète qu'il y a au budget de la guerre tout un chapitre consacré au traitement des officiers qui ne Mint pas en activité de service.

M. Orts. - Nous ne nous comprenons pas. J'admets parfaitement que pour un officier placé dans l'une des positions dont la loi s'occupe, la réforme, par exemple, il n'y ait aucune difficulté. Mais je vous parle d'un officier placé entre l'activité et une autre position non prévue par la loi, et je dis que dans cette position il serait impossible de le payer, attendu que la cour des comptes ne viserait pas ses mandats.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On avait le droit de le mettre en non activité.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Un officier qui ne veut pas faire son service peut être mis en non activité.

M. Orts. - Mais ce n'est point le cas de M. Hayez. Il n'est pas en non activité, il est admis à faire valoir ses droits à la retraite. Maintenant on a demandé à M. le ministre de la guerre ce qu'on aurait fait si, le lendemain du jour de son admission à faite valoir ses droits à la retraite, cet officier était élu membre de la Chambre des représentants ; croit-il qu'on aurait pu soutenir dans cette Chambre, avec quelque apparence de succès, qu'il était frappé d'incapacité ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est toujours la question à résoudre.

M. Orts. - C’est pour cela que je la pose, et si je prends cet exemple, c’est dans l’espoir de me faire mieux comprendre de la généralité de mes collègues qu’en prenant une hypothèse purement militaire.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C’est une pétition de principe.

M. Orts. - Je demanderai maintenant si, après le 26 juin, M. Hayez a continué à figurer sur le tableau des officiers supérieurs, parmi lesquels on tire au sort les membres qui doivent faire partie de la haute cour militaire ? Et s’il était sorti de l’urne désigné pour aller siéger à la cour, après le 26 juin, mettons le 1er juillet, croyez-vous qu’il aurait pu le faire valablement ?

Si vous le croyez, si vous admettez que le lieutenant-colonel Hayez aurait pu siéger à la haute cour militaire, au mois de juillet, vous êtes en opposition avec une autorité plus haute, plus imposante que la mienne, vous êtes en opposition avec la cour de cassation de France.

En France, les magistrats, les fonctionnaires de l'ordre judiciaire sont mis à la retraite de droit à un certain âge, comme le Roi a la faculté de retraiter les militaires en Belgique. Un magistrat, conseiller dans une cour impériale, est informé le 30 août 1861, par lettre du ministre de la justice, qu'il est admis à faire valoir ses droits à la retraite, comme le lieutenant-colonel Hayez a été informé par M. le ministre, parce que le gouvernement a constaté qu'il avait atteint l'âge de 70 ans.

Je le répète : En France, en vertu du décret de 1852, le gouvernement a le devoir d'admettre à faire valoir leurs droits à la retraite les magistrats âgés de 70 ans, comme le ministre de la guerre en Belgique a le droit d'admettre à un certain âge les officiers à faire valoir leurs droits à la retraite. Le ministre français écrit donc le 30 août à ce magistrat : Vous êtes admis à faire valoir vos droits à la retraite, comme le ministre de la guerre a écrit le 21 mai au lieutenant-colonel Hayez : Le Roi, par arrêté royal, vous a admis à faire valoir vos droits à la retraite.

Ce magistrat a pensé qu'il pouvait, après cette simple notification, continuer à remplir ses fonctions, il a siégé dans la compagnie, dont il était membre.

Il a cru avoir le droit de continuer ses fonctions plutôt que le colonel n'aurait eu celui de commander son régiment, car à la différence du lieutenant-colonel Hayez, le magistrat en question n'avait pas été remplacé sur son siège.

On ne lui avait pas donné de successeur, tandis que le ministre de la guerre avait donné un successeur au pétitionnaire.

Qu'est-il arrivé ? Ce magistrat a siégé, et la cour de cassation a cassé d'office l'arrêt rendu avec le concours d'un membre qui n'appartenait plus à l'ordre judiciaire. Il avait été admis pourtant à faire valoir ses droits à la pension, tout simplement et par lettre.

Sa pension n'avait pas été liquidée et il n'avait pas été remplacé.

Devant ces précédents et ces principes, je pense, tout en restant bien convaincu que le ministre s'est cru dans son droit, qu'il y a lieu d'examiner de très près la question.

Je demande donc la communication des pièces qui règlent la position de cet officier.

Je demande, comme acte d'impartialité et de justice, que les explications fournies par M. le ministre de la guerre soient imprimées pour pouvoir être appréciées froidement. Voilà le but, l'objet de ma motion.

Si cette mesure soulève chez M. le ministre quelque répugnance, je lui offre autre chose.

Une pensée a surgi chez moi dès l'origine de ce débat.

Il s'agit d'une question de droit ; le ministre l'a tranchée dans un sens, en âme et conscience ; il croit avoir raison. D'autres donnent d'excellents motifs en faveur d'une opinion contraire. Pour moi, ces motifs me touchent gravement ; si je devais me prononcer aujourd'hui, je serais assez disposé à les admettre. C'est une question de droit délicate. Il y a en Belgique des hommes spéciaux institués pour étudier et résoudre ces questions-là.

Vous avez, M. le ministre, un moyen bien simple d’en finir en recourant à eux. Adressez-vous à une appréciation bien impartiale et bien éclairée. Adressez-vous à la haute cour militaire.

Le lieutenant-colonel Hayez, a désobéi en quittant la résidence que vous lui avez assignée, il a écrit une lettre blessante, offensante de la part d'un inférieur à un supérieur ; tout cela suffit, il y a beaucoup, trop même, pour vous autoriser à déférer le lieutenant-colonel Hayez, à la haute cour militaire.

Prenez l’engagement de le traduire devant cette haute juridiction et je retire ma proposition. Devant la haute cour, juge naturel et impartial, le lieutenant-colonel pourra dire : vous êtes incompétente, je suis bourgeois, je ne suis plus militaire. Si la cour retient l’affaire et prononce une peine contre lui à raison de sa désobéissance après la bienveillance dont (page 279) il avait été l'objet, cette peine sera plus sévère que celle que vous lui avez infligée. La discipline ne perdra rien de ses droits. La cour militaire n’aura pas à venger son injure propre, mais l’injure faite au chef de l’armée, à un chef qui avait montré d'autant plus d’indulgence qu’il était juge et partie dans sa propre cause.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je ne m'oppose pas à la demande de l’honorable Orts, et. je suis prêt à déposer toutes les pièces relatives à cette affaire, car je tiens à ce que la Chambre puisse se prononcer en connaissance de cause ; mais je persiste dans mon opinion et je crois que le département de la guerre a toujours sainement interprété la loi. C'est l'opinion du jurisconsulte attaché au département de la guerre.

J'ai agi comme mes prédécesseurs l'ont fait.

J'ai sous la main l'arrêté collectif comprenant un certain nombre d'officiers admis à faire valoir leurs droits à la pension, en même temps que M. Hayez. Tous ces officiers ont été pensionnés par un second arrêté royal, à l'exception du lieutenant-colonel Hayez.

Si on avait considéré ce dernier comme étant à la retraite, on l'aurait compris dans l'arrêté du 29 août, qui a réglé le sort de tous les officiers admis en même temps que lui et par le même arrêté, à faire valoir ses droits à la pension. Pourquoi ne figure-t-il pas dans le dernier arrêté ?

C'est, je le répète, parce qu'on n'était pas tombé d'accord sur les bases de la liquidation. Ou ne considérait donc pas M. Hayez comme pensionné et par conséquent comme ayant cessé d'appartenir à l'armée.

Quoi qu'il en soit, si la Chambre tient au dépôt de pièces demandé par M. Orts, j'y consens bien volontiers.

M. de Gottal. - Je ne vois pas d’inconvénient à admettre la proposition de M. Orts ; sous quelque réserve, je m’y rallie : je voudrais la voir compléter par les pièces suivantes. Indépendamment de la correspondance qui a motivé la situation qui a été faite au sieur Hayez, je voudrais avoir la correspondance échangée entre le pétitionnaire et le département de la guerre à propos de la position qui lui était faite à Termonde. Vous savez que le ministre a lu une réponse qu’il a faite et n’a pas lu la lettre du pétitionnaire.

Je demande en outre un certificat délivré par le conseil d'administration du 2ème régiment d'artillerie d'après les registres constatant les inscriptions au matricule et au contrôle des cadres depuis le 20 mai.

M. le ministre de la guerre vient de répéter qu'il croit être parfaitement dans la légalité. A son point de vue, je l'admets ; mais il se passe en ce moment desflaits excessivement graves sur lesquels je dois appeler l'attention de la Chambre.

Les mesures de rigueur semblent poussées à l'extrême ; je n'en rends pas M. le ministre responsable, mais je les lui signale pour qu'il prenne les dispositions nécessaire pour les faire cesser.

D'après des renseignements que je viens d'obtenir, le pétitionnaire est renfermé dans la citadelle de Diest et y est traité non pas comme devrait l'être un prisonnier de son rang, mais comme le serait le dernier des militaires. Il se plaint, dans la lettre que j'ai sous les yeux, d'être installé dans une chambre malsaine, pavée, voûtée et manquant de tout. Je demande si c'est là le traitement qu'on doit réserver à un militaire qui pendant trente ans a servi loyalement son pays.

J'appelle l’attention de M. le ministre de la guerre sur ces faits et. j'espère qu'il prendra des dispositions pour qu'ils ne continuent pas. Sous cette réserve, je me rallie à la proposition de l'honorable M. Orts.

Je dots cependant répondre un mot à l'argument qui vient d'être présenté.

M. le ministre de la guerre nous a dit que le lieutenant-colonel Hayez avait été admis avec d'autres officiers à faire valoir ses droits à la pension par arrêté royal du 21 mai, et que la pension de ces officiers a été réglée le 18 août. Si donc le pétitionnaire était réellement pensionné, dit le ministre, sa pension eût été réglée par le même arrêté.

Cet argument tombe devant cette, lettre de M. le ministre de la guerre portant la date du 19 août et où l'on dit que l'on n'est pas d'accord sur les prétentions que le pétitionnaire fait valoir pour augmenter sa pension.

Ce n'était donc pas la mise à la pension qu'il s'agissait de régler, c'était le règlement de la pension.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Il y a un fait dont vient de parler l'honorable M. de Collai et que j'ignore complètement ; c'est la position dans laquelle se trouverait maintenant le lieutenant-colonel Hayez. L'ordre a été donné de le faire diriger vers sa nouvelle résidence de Diest à l'époque où il a été placé au traitement de réforme. Il y a été conduit ; peu après, il a quitté son poste. Probablement que le commandant de la province l'a fait réintégrer à ce poste et l'aura consigné aux arrêts, mais j'ignore si c’est dans une salle voûtée, pavée et malsaine. La chose, si elle est vraie, cetera immédiatement.

M. Orts. - Je demanderai à M. le ministre de la guerre, qui ne s'oppose pas à ma proposition, de bien vouloir opérer le dépôt des pièces que j'ai demandées et qui ne sont pas nombreuses, de façon que la Chambre puisse reprendre l'objet en discussion dans sa séance de mardi. M. Havez est incarcéré, et si nous ne pouvions arriver à une solution rapide, j'attendrais de l'obligeance de M. le ministre de la guerre, de sa bienveillance qu'il voulût bien donner des ordres qui rendissent le sort de M. le lieutenant-colonel Hayez un peu moins rigoureux.

M. Van Overloop. - Je demande à M. le ministre de la justice de bien vouloir, après l'examen des faits, nous donner son opinion sur la question de savoir si le contrat qui liait le lieutenant-colonel Hayez au gouvernement n'a pas cessé à partir du 26 juin 1861 ? C'est là, messieurs, une question importante qui rentre complètement dans le domaine du droit et même dans la compétence pratique du pouvoir judiciaire. Voilà pourquoi je voudrais qu'après l'impression des pièces dont la communication a été demandée par l'honorable M. Orts, on voulût nous dire également quelle est, sur la question de droit en elle-même, l'opinion de M. le ministre de la justice ; il est probable que selon l'usage, son département a dû être consulté sur une affaire qui préoccupe depuis quinze jours l'opinion publique.

Messieurs, permettez-moi de vous citer un fait à l'appui de ce que j'avance.

En 1831, M. Tack était major de cavalerie. Postérieurement à la publication de la constitution, le ministre de la guerre nomma M. Tack capitaine quartier maître. M. Tack accepta cette position, mais ce ne fut pas sans protestation. Les anciens membres de la Chambre doivent se rappeler de combien de pétitions ils furent accablés par M. Tack prenant le titre de major, mais faisant le service de capitaine quartier-maître.

Enfin, le capitaine quartier-maître Tack ayant été mis à la pension, il assigna le gouvernement en payement de la différence entre le traitement de major et celui de capitaine depuis 1831 jusqu'au moment de sa mise à la retraite.

Le tribunal de première instance de Bruxelles donna gain de cause à M. Tack.

Appel fut interjeté par le département de la guerre contre ce jugement, et devant la cour d'appel, le département de la guerre fit soutenir que le major Tack n'était pas recevable à réclamer quoi que ce fût, puisqu'il avait accepté volontairement la position de capitaine quartier-maître. La cour accueillit ce soutènement du département de la guerre, et le major Tack fut débouté de sa prétention.

Ainsi donc, le pouvoir judiciaire a considéré le contrat qui liait le major Tack au gouvernement comme un contrat civil ordinaire, et il a écarté la prétention de cet officier au payement de la différence de traitement entre le grade de major et celui de capitaine, uniquement, par le motif que le major Tack avait accepté la position de capitaine.

Si nous appliquons ce principe adopté par le pouvoir judiciaire, au cas dont il s'agit, comment se présente la question ? Un contrat synallagmatique liait le colonel Hayez au gouvernement ? Le Roi, par un arrêté légalement pris, signifie au colonel Hayez la résiliation, la fin de ce contrat. Le colonel Hayez reçoit la notification de cette rupture du contrat et quitte l'armée.

A partir du jour où le lieutenant-colonel Hayez a quitté l'armée, le contrat a-t-il été définitivement résolu ? Voilà la question sur laquelle les tribunaux seuls sont compétents pour décider. Si effectivement le contrat bilatéral qui liait le colonel Hayez au gouvernement, a pris fin à dater du 26 juin 1861, il est évident qu'une des parties contractantes n'a pu, sans le consentement de l'autre, faire revivre le contrat qui les unissait avant le 26 juin ; ce contrat n'existait que par deux volontés, il ne peut revivre que par deux. Cela me paraît élémentaire.

Tel est, selon moi, le vrai terrain du débat, et je pense que la Chambre partage mon opinion qu'il serait nécessaire ou tout au moins éminemment utile, au point de vue de l'examen de la question, que M. le ministre de la justice voulût bien, après avoir examiné les pièces, émettre son avis en droit sur la question. Il est peu probable, je le répète, que dans une circonstance aussi grave, le département de la guerre ne se soit pas enquis, au moins après l'acte posé, de la manière de voir du département de la justice, et il est impossible que son chef n'ait pas eu à se prononcer. C'est cette appréciation qu'il me paraît intéressant de connaître ; et, favorable, M. le ministre la doit à son collègue de la guerre, défavorable il la doit à la Chambre et au pays.

M. Van Humbeeck. - J’avais demandé la parole dans le seul but de faire remarquer que, si la question était grave et ne devait pas être tranchée à la légère, elle était cependant urgente, et qu'il fallait fixer le jour de la continuation de la discussion. La motion de l’honorable M. Orts a prévenu mes observations.

(page 280) Je n'entrerai pas dans des développements sur le fond du débat ; en présence de la décision que la Chambre paraît disposée à prendre, je crois que j'agirais contrairement à ses désirs en entrant dans des considérations étendues.

Cependant, je crois devoir soumettre dès à présent à la Chambre quelques observations de nature à démontrer que la théorie du ministère de la guerre est fort peu acceptable dans ses conséquences.

Toute cette théorie se fait sur une confusion entre la retraite et la pension.

L'officier admis à faire valoir ses droits à la pension est en retraite ; la pension ne peut être donnée qu'à un officier en retraite ; elle est la conséquence de la retraite.

L'officier admis à faire valoir ses droits à la pension, s'il ne parvient pas à s'entendre avec l'administration, peut faire valoir ses droits devant les tribunaux.

Un droit est donc acquis ; il n'y a qu'un chiffre qui reste à fixer.

D'après la théorie du ministère de la guerre, l'officier admis à faire valoir ses droits à la pension, qui aurait recours aux tribunaux, pourrait être considéré, par cela même, comme en état d'offense envers ses supérieurs.

Ainsi son action serait entièrement paralysée, son droit anéanti. Il y a plus ; je suppose qu'un officier admis à faire valoir ses droits à la pension ne veuille pas de la pension et refuse de fournir au département de la guerre les pièces nécessaires pour en déterminer le chiffre.

Cet officier sera-t-il maintenu à tout jamais dans l'armée ? Il lui suffira donc pour cela de ne rien faire, de se renfermer dans une inaction complète !

Au point de vue de l'indépendance de l'officier admis à faire valoir ses droits à la pension, la théorie du ministère de la guerre aurait encore une conséquence excessivement grave et qui probablement n'a pas été prévue.

Je suppose que le lieutenant-colonel Hayez se soit dit : « A partir du 26 juin je rentre dans la vie civile, je veux augmenter mes ressources et dès à présent je veux me créer une position civile ; » je suppose que ses démarches aient un bon résultat, qu'il trouve quelque part une de ces places, où on aime à voir les anciens officiers des armes spéciales, une place de directeur d'un établissement industriel, par exemple ; à partir du 26 juin, jour où sa pension doit commencer à courir, il doit entrer dans cette nouvelle position civile.

Cependant le 25 juin, le 27 ou à toute autre date, qui précédera le règlement du chiffre de la pension, vous prétendez le réintégrer malgré lui dans l'armée et l'empêcher d'entrer dans la position civile qu'il se sera procurée sur la foi de votre arrêté.

C'est là une conséquence à laquelle vous n'avez pas réfléchi ; elle suffit à elle seule pour faire condamner votre théorie.

Messieurs. dans notre cas spécial, le droit acquis à la pension est plus évident que jamais ; dans la dernière lettre écrite par le lieutenant-colonel Hayez à M. le ministre de la guerre, il dit : « Je subis le sort que vous me faites, je cède à la force. »

Je ne loue pas la lettre, mais je constate que ces termes s'y trouvent.

Qu'en résulte-t-il ? Le ministre de la guerre avait signifié au lieutenant-colonel Hayez qu'il était mis à la retraite ; le lieutenant-colonel Hayez s'est plaint du mode suivi pour fixer le chiffre de sa pension, mais enfin il a accepté ce chiffre. Il y avait donc contrat. Et c'est après cela que vous revenez sur votre décision, décision acceptée ! Vous brisez le contrat.

Le lieutenant-colonel Hayez était d'accord avec vous, même sur le chiffre de sa pension lorsque vous avez révoqué le premier arrêté et que vous l'avez placé en non-activité.

L'accord était complet et il ne dépendait que de vous de publier l'arrêté royal au Moniteur, de le publier du consentement de l'intéressé. Cette considération de fait me paraît de nature à exercer une très grande influence sur la solution de la question.

Quoi qu'il en soit, messieurs, je ne veux pas dès à présent provoquer la Chambre à prendre une décision.

Je me rallie bien volontiers à la proposition si sage de notre honorable collègue M. Orts.

Cependant je tiens à déclarer qu'il faudrait des arguments tout à fait inattendus pour que ma conviction pût changer.

J'admets la bonne foi de M. le ministre de la guerre, mais l'illégalité de la mesure prise par lui me paraît flagrante.

M. le président. - Je demanderai si la déclaration faite par M. le ministre à propos de la proposition de M. Orts s'applique aussi à la proposition de M. de Gottal.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - J'ai déclaré que je soumettrais à la Chambre toutes les pièces qu'elle désirera.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il me semble qu'il serait prématuré de continuer cet débat, puisqu'on est d'accord pour demander l'impression des pièces et pour avoir ultérieurement une discussion nouvelle.

- Plusieurs membres. - C’est évident.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cependant, comme on s'est fort engagé dans l'examen de la question, je crois utile de présenter quelques observations : c'est d'abord que le département de la guerre n'admet pas les inductions qu'on veut tirer des pièces et des faits tels qu'ils ont été présentés.

Ces faits, à les supposer vrais, ne sont admis par le département de la guerre que dans la supposition de la mise à la retraite effective par l'arrêté qui liquide la pension. Voilà le système défendu par le département de la guerre, et je tiens à le constater dès aujourd'hui.

- Plusieurs membres. - Sans rien préjuger.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Sans rien préjuger, sans doute ; mais il importe de le constater dès aujourd'hui.

En second lieu, j'appelle l'attention sérieuse de la Chambre sur ce que, dans la discussion à laquelle on vient de se livrer, il n'a pas été donné, selon moi, un seul motif juridique pour l'interprétation de la loi dans le sens de l'opinion qui soutient la thèse du pétitionnaire. (Interruption.) J'appelle l'attention de la Chambre sur ce point, pour la discussion ultérieure, afin qu'on cherche d'autres arguments.

- Quelques voix : Ce sont des réserves !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous en avez fait, pourquoi ne voulez-vous pas que j'en fasse ? D'ailleurs, je me borne à faire remarquer que, jusqu'à présent, tous les raisonnements que l'on a produits pour appuyer la requête, constituent des pétitions de principe... (interruption) ... de véritables pétitions de principe. On présente toujours comme admis, comme jugé, ce qui est précisément en question ; on place une hypothèse, à côté d’un texte, et l’on dit : « Voyez, dans telle hypothèse, telle chose arriverait. » Est-ce admissible ? Ce n'est pas là une solution de la difficulté. (Interruption.)

Nous appelons votre attention sur le caractère de l'argumentation. Vous déclarez tous que la question est grave, difficile, obscure, incertaine. Permettez-nous de signaler les vices de l'argumentation à laquelle ou s'est livré jusqu'à présent, pour trancher cette question au moyen d'hypothèses, de positions supposées. On ne raisonne qu'à l'aide de pétitions de principes. Toujours on décide ce qui est précisément en litige.

A la première vue cependant, la question semblerait assez simple. Un tel est admis à faire valoir ses droits à la pension. Cela signifie qu'il sera pensionné s'il a des droits, si l'on juge qu'il doit être pensionné.

- Une voix. - Oh !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est le sens naturel et littéral des mots.

M. H. Dumortier. - C'est une pétition de principe.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je m'en réfère au texte même de l'arrêté. Un tel est admis à faire valoir ses droits à la pension. A-t-il ou n'a-t-il pas des droits ? Est-il dans les conditions déterminées par la loi ? Voilà ce qui semble devoir être ultérieurement décidé ; et ce système suppose que, conformément à la pratique constante du département de la guerre telle qu'elle a été invariablement suivie par le chef de ce département, l'on ne considère le militaire comme cessant de faire partie de l'armée, qu'en vertu de l'arrêté qui liquide sa pension ; car, remarquez-le bien, c'est le seul qui soit publié.

On a demandé tout à l'heure que le gouvernement fît examiner par le département de la justice la question qui a été tranchée par le département de la guerre.

Messieurs, le gouvernement n'a pas deux opinions sur une même question. Le département de la guerre l'a résolue dans le sens qu'il expose à la Chambre. Il n'a pas à se soumettre au contrôle du département de la justice, qui ne pourrait d'ailleurs émettre une opinion contraire à celle qui a été présentée devant la Chambre. C'est un système qui n'est pas admissible et qui n'est pas constitutionnel.

Nous ne pouvons donc pas déférer à cette partie de la demande de l'honorable membre.

M. Goblet. - Messieurs, je ne veux pas rentrer dans le débat. Je tiens seulement à protester contre les conclusions que vient de poser M. le ministre des finances.

Il prétend que pas un argument juridique n'a été produit.

Je prétends, moi, que les discours des membres qui ont combattu le système de l'honorable baron Chazal en contenaient de très sérieux.

Je fais cette protestation, pavée que l'on pourrait, dans la prochaine discussion, venir prétendre que tout ce que vous avez dit ne constituait que des pétitions de principe, tandis que des arguments juridiques (page 281) nombreux et sérieux ont été mis en avant pour soutenir la thèses contrains et argumenter ainsi contre nous d'une décision de la Chambre.

M. de Gottal. - Je demande que la Chambre veuille bien fixer le jour de la discussion.

- Plusieurs voix. - A mardi !

- D'autres. - A jeudi !

M. H. Dumortier. - J'avais fait une proportion qui a été reprise par l'honorable M. Orts. Je ne tiens nullement à ce que mon nom figure au bas de cette proposition, mais je demanderai si c'est le dépôt sur le bureau ou l'impression qui a été décidée ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le dépôt sur le bureau et l'impression.

M. H. Dumortier. - En second lieu nous devons aussi fixer le jour de la discussion. Il faut que nous ayons le temps de nous livrer à l'examen des pièces qui nous seront distribuées.

M. le président. - Les propositions de MM. Orts et Dumortier se confondent. Seulement M. Orts a spécifié les documents.

M. de Gottal. - D'après ce que vient de dire l'honorable M. Dumortier, il s'agirait du dépôt sur le bureau et de l'impression.

Or, je crois que la proposition de l'honorable M. Orts ne parle que du dépôt sur le bureau.

M. le président. - Le rapport qui vient d'être fait sera imprimé aux Annales parlementaires avec les pièces qui y sont annexées.

Si la motion est votée, les pièces que produira M. le ministre de la guerre seront déposées sur le bureau. Quelqu'un en demande-t-il dès maintenant l'impression ?

M. Orts. - Je ne demande pas l'impression de ces pièces dès à présent, et pour une raison que je crois péremptoire. C'est qu'il n'entre pas dans les usages de 'a Chambre d'ordonner l'impression de pièces qu'elle ne connaît pas. Nous pourrions ainsi ordonner l'impression d'une quantité de documents qui, après examen, seraient reconnus ne présenter aucun intérêt, ne renfermer aucun éclaircissement.

Si, après examen, des membres jugent convenable de demander l'impression, la Chambre appréciera.

M. Thibaut. - Je suppose que M. le ministre de la guerre a compris qu'il était dans les intentions de la Chambre que les mesures de rigueur à l'égard du colonel Hayez cessent jusqu'à ce qu'il y ait une décision.

- Plusieurs membres. - Pas du tout.

M. Thibaut. - Je l'avais compris ainsi.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il a parlé de mesures spéciales dont M. Hayez serait l'objet en ce moment.

- La Chambre décide que le rapport et les annexes seront imprimés et que les pièces fournies par M. le ministre de la guerre seront déposées sur le bureau.

Ordre des travaux de la chambre

M. le président. - Quel jour la Chambre veut-elle continuer cette discussion ?

- Plusieurs membres. - Jeudi.

M. B. Dumortier. - Messieurs, je prierai la Chambre de vouloir bien porter son attention sur la fixation de son ordre du jour. Je viens d'examiner ce qui nous reste à faire. Nous avons neuf budgets et le contingent de l'armée.

Je sais fort bien que tous ces budgets ne pourront être votés avant le 1er janvier, mais il importe d'en terminer le plus possible. Pour plusieurs, tels que celui de la dette publique, il y a nécessité impérieuse. Je proposerai donc de fixer à l'ordre du jour de jeudi la continuation de cette discussion. D'ici là les pièces auront pu être imprimées et examinées.

Je demanderai que la Chambre mette, avant toute autre chose, l'examen des budgets et de la loi sur le contingent de l'armée.

M. le président. - M. Dumortier propose de continuer la discussion à jeudi.

- Cette proposition est adoptée.

M. le président. - En tête de l'ordre du jour de lundi figurera le budget des voies et moyens. Nous pourrons nous occuper ensuite de la loi relative au contingent de l'armée, puis des autres budgets.

- Adopté.

Projet de loi portant le budget des dotations de l’exercice 1862

Rapport de la section centrale

M. De Lexhy dépose le rapport sur le budget des dotations pour l'exercice 1862.

- Le rapport sera imprimé et distribué, et le projet de loi mis à la suite de l'ordre du jour.

Ordre des travaux de la chambre

M. de Renesse. - Il y a à l'ordre du jour plusieurs objets qui doivent être votés avant notre séparation.

Je demande donc que les prompts rapports soient postposés et renvoyés à la rentrée des Chambres.

- Adopté.

M. Van Humbeeck. - Parmi les prompts rapports il en est nu dont je suis chargé et auquel une des grandes villes de la Belgique attache une haute importance ; c'est le rapport sur la pétition du conseil provincial d'Anvers, relative aux servitudes militaires. Ce rapport est assez étendu, la commission des pétitions, vu l'importance de la question a demandé qu'il fût mis entièrement par écrit.

Tout en déférant au désir que la Chambre vient d'exprimer, je demanderai l'autorisation de déposer ce rapport dans la forme adoptée pour le dépôt des rapports des sections centrales ; il pourra alors être imprimé et distribué. De cette façon quand viendra le jour de la discussion, tout le monde dans cette Chambre pourra y être préparé. Nous aurons gagné du temps.

- Cette proposition est adoptée.

M. le président. - Il conviendrait aussi, je pense, de mettre à la suite de l'ordre du jour le traité avec la Turquie.

- Cette proposition est également adoptée.

- La séance est levée à 4 heures et demie.