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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 13 décembre 1861

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page 254) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Moor, secrétaire, procède à l’appel nominal à 1 heure et à quart.

M. de Boe, secrétaire, lit le procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Boe, secrétaire, présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Le sieur Sanctin-Benoit Barella, ouvrier imprimeur, à Louvain, né à Sandellate (Suisse), demande la naturalisation ordinaire avec exemption du droit d'enregistrement. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le conseil communal de Deppen demanda une loi qui fixe le minimum fies traitements des secrétaires communaux. »

« Même demande du conseil communal de Noville. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Lerouge, ancien volontaire liégeois, demande une pension. »

- Même renvoi.


« Le sieur Verniers, gendarme pensionné, demande une augmentation de pension. »

- Même renvoi.


« Le sieur Colson soumet à la Chambre un travail ayant pour but d'améliorer la condition du soldat et de réduire les charges à supporter par le trésor pour l'entretien

- Même renvoi.


« Des armateurs et intéressés à la pèche de Nieuport présentent des considérations en faveur du crédit demandé au budget des affaires étrangères, pour encouragement à la pêche nationale. »

M. Van Iseghem. - Je demande le renvoi de cette requête à la section centrale chargée d'examiner le budget des affaires étrangères.

M. Rodenbach. - Appuyé !

- La proposition de M. Van Iseghem est adoptée.


« Des facteurs des postes à Spa demandent une augmentation de traitement. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.

Projet de loi portant le budget de la dette publique de l’exercice 1862

Rapport de la section centrale

M. Vander Donckt dépose le rapport de la section centrale qui a examiné le budget de la dette publique.

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

Ordre des travaux de la chambre

M. de Renesse. - J'ai l'honneur de proposer à la Chambre de mettre à son ordre du jour, après la discussion de l'adresse, le budget des voies et moyens, qui doit être examiné assez à temps pour que le Sénat, qui est ordinairement convoqué du 13 au 20 de ce mois, puisse ainsi s’en occuper avant la fin de l'année.

Après le vote du budget des voies et moyens, il faudrait mettre à l’ordre du jour de la Chambre le budget de la dette publique et de dotations qui nécessairement doivent être adoptés avant la séparation de la Chambre, vers a fête de Noël.

M. de Gottal. - Quelque désir que nous puissions avoir de voter le plus de budgets possible avant les vacances de Noël, je crois cependant devoir insister auprès de la Chambre pour le maintien à l’ordre du jour des prompts rapports qui y figurent aujourd’hui en première ligne. Ces rapports ont trait à des questions très importantes ; deux pétitions réclament un examen sérieux de la Chambre. La première est relative aux mesures prises par le département de la guerre contre un officier pensionné, mesures qui ont vivement ému le pays et sur lesquelles il est de l’intérêt même du gouvernement que des explications soient données.

Cet examen est devenu d’autant plus nécessaire que de nouvelles mesures de rigueur viennent d’être prises contre le pétitionnaire qui, au moment où je parle, est de nouveau sur la route de Diest en compagnie de MM. de la gendarmerie.

Le second objet concerne la législation sur les servitudes militaires. Quelque soit mon désir de voir discuter cette question le plus tôt possible, je me borne à demander à la Chambre de vouloir bien entendre la lecture du rapport sur la pétition. Il est assez volumineux et il est probable que la Chambre en ordonnera l’impression ; on pourra alors fixer le jour de la discussion.

M. de Renesse. - Je me rallie à la première partie de la proposition de l'honorable M. de Gottal, de laisser à l'ordre du jour, en premier lieu, le prompt rapport sur la pétition de M. le lieutenant-colonel Hayez ; mais je dois insister pour que la discussion du budget des voies et moyens vienne immédiatement après.

M. de Gottal. - Je me rallie à la proposition de M. de Renesse, telle qu'il vient de la modifier.

M. de Moor. - Je désirerais savoir si la Chambre entendre les autres prompts rapports à la suite de l'ordre du jour ou si elle entend les discuter immédiatement après le budget des voies et moyens.

M. le président. - La Chambre pourra statuer sur ce point lors de la discussion du budget des voies et moyens.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il me semble qu'il ne faudrait pas prendre de résolution sur cette motion aujourd'hui. Si la discussion de l'adresse se terminait demain, il n'y aurait pas de difficulté à l'adoption de la motion ; mais si la discussion de l'adresse devait se prolonger encore, il serait possible qu'on dût l’interrompre pour voter le budget des voies et moyens ; car, enfin, il faut bien que ce budget soit voté cette année.

M. de Theux. - Nous aurons terminé demain.

M. le président. - Il est dans les vœux de tous que la discussion ne se prolonge pas au-delà de la séance de demain.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - S’il en est ainsi, il n’y a pas de difficulté.

M. le président. - Ainsi, la proposition de M. de Renesse ne soulève point d'objection ; elle est adoptée.

M. Devaux. - Il serait désirable, je pense, que la Chambre décidât dès aujourd'hui qu'elle tiendra séance lundi prochain.

- Voix nombreuses. - Oui ! oui î

M. le président. - Cette proposition a d'autant plus lieu d'être adoptée, que la Chambre a décidé qu'elle assisterait en corps lundi prochain au Te Deum. La séance pourrait être fixée à 2 heures.

- Cette proposition est adoptée.

Projet d’adresse

Discussion des paragraphes

Paragraphes 22 et 23

M. le président. - La parole est continuée à M. Dechamps.

.M. Dechamps. - Avant de continuer le discours que j'ai commencé hier et auquel vous avez bien voulu prêter une bienveillante attention, dont je vous remercie, il est nécessaire que je résume les idées qu'hier je vous ai développées, afin que ma pensée ne soit pas divisée et puisse être mieux comprise.

J'ai examiné d'abord la situation du ministère. J'ai tâché d'établir que cette situation n'était pas parlementaire, que sa reconstitution avait été faite, que son programme avait été rédigé en opposition manifeste avec le mouvement de l'opinion exprimée par les dernières élections générales.

J'ai prétendu que cette situation n'était point parlementaire à un autre point de vue, à cause des cléments contradictoires dont se compose la majorité ministérielle et dans la chambre et dans le sénat.

J'ai étudié la raison de cette situation et j'ai démontré que le ministère n'était pas dans la logique parlementaire parce que les partis eux-mêmes n'étaient pas dans la logique de la constitution.

Sans doute, ai-je dit, il est de l'essence des gouvernements représentatifs qu'il y ait des partis politiques qui ne lui manqueront jamais ; mais il n'est pas nécessaire du tout que les partis politiques soient toujours et invariablement constitués sur le terrain des questions religieuses.

J'ai soutenu que la constitution avait voulu précisément le contraire, qu’en accordant la liberté en tout et à tous, qu'on créant réellement et sans mensonge une Eglise libre dans l'Etat libre, le Congrès national avait voulu précisément débarrasser le terrain parlementaire et politique des questions religieuses ; qu'il avait voulu rendre, non seulement possible, mais nécessaire la transaction entre les partis et les gouvernements de transaction.

J'ai fait voir que, dans la situation actuelle des partis, ayant toujours (page 255) besoin des questions religieuses, des questions cléricales, comme on les appelle, pour les alimenter, il y avait au bout de cette voie nécessairement et fatalement la ruine des libertés religieuses et constitutionnelles.

Messieurs, appuyé sur les faits, j'ai refait l'histoire des partis que M. le ministre des finances avait présentée avant moi.

J'ai refait cette histoire à deux point ; de vue, au point de vue des questions de liberté et au point de vue des questions de pouvoir.

Dans les questions de liberté, je pense avoir démontré d'une manière évidente que le parti doctrinaire libéral avait défendu toujours, dans toutes les questions, non pas la liberté, mais le pouvoir, les droits de l'Etat, la centralisation.

Dans les questions d’enseignement, dans la question des jurys universitaires, dans la question des fondations charitables, dans la question du temporel du culte, ce que vous avez défendu, c'est toujours invariablement la concurrence de l'Etat, l'action centralisatrice de l'Etat, la main, la saisine de l'Etat sur les fondations charitables et sur le temporel du culte.

C'est l'idée du doctrinarisme français qui lui a si mal réussi, ce n'est pas la doctrine libérale soutenue aujourd'hui par les plus éminents défenseurs de la démocratie moderne, comme M. de Tocqueville, et qui considèrent cette centralisation politique et administrative comme le plus grand danger que courent les pays libres.

Il est certain que, sous le rapport de l'enseignement, nous jouissons en Belgique d'une liberté beaucoup moins étendue qu'en Angleterre et en Amérique, et que sous le rapport de la charité la liberté est beaucoup plus restreinte chez nous qu'en Angleterre et en Hollande.

Or, je n'admettrai jamais que ce soit là la pensée du congrès national, qui avait bien cru placer la Belgique à la tête des pays libres.

Messieurs, je ne veux pas être injuste ; je suis loin de prétendre que le parti libéral tout entier soit hostile à nos libertés religieuses ; je n'ai pas oublié les sages transactions, acceptées par les deux partis et qui conciliaient, autant qu'il est possible de le faire dans ces transactions, la liberté et l'action de l'Etat, mais dans ces transactions mêmes, nous penchions vers la liberté, et le parti doctrinaire vers le gouvernement, et depuis la rupture entre les partis, c'est la ruine de ces transactions mêmes qui se trouve écrite en tête du programme libéral.

Messieurs, j'ai fait aussi l'histoire des partis, au point de vue du pouvoir ; j'ai rappelé que toujours l'opinion libérale avait eu besoin, pour arriver au pouvoir et pour s'y maintenir, de la passion politique excitée ou des dissolutions parlementaires.

J'ai dit que le parti conservateur, au contraire n'en avait jamais en besoin, et qu'il était arrivé au pouvoir par le calme du pays, par le jeu naturel de nos institutions, par le mouvement régulier, pacifique de l'opinion.

C'est à ce point de mou discours que je m'étais hier arrêté. Il me restait à vous demander quelle était la cause de ce double fait ; d'où venait que l'imitation politique vous était nécessaire et que le calme du pays était une condition de notre succès.

Je pourrais dire, messieurs, que cela tient aux principes que vous avez fait prévaloir, aux principes des gouvernements de parti. Quand un parti est au pouvoir pour gouverner, pour et par un parti, il est évident que la condition de son existence, c'est la passion politique.

Mais il est une autre raison, selon moi, plus fondamentale que celle-là, et qui explique mieux encore cette situation dont je parle.

Celte cause réside surtout dans nos alliances.

Messieurs, il fut une époque, la grande époque qui date du congrès national, et qui finit au congrès de l'hôtel de ville de 1846.

Les alliances alors c'était l'union entre les deux partis monarchiques et constitutionnels, tes deux partis s'unirent pour fonder ensemble la constitution, la dynastie, pour faire nos lois organiques, pour élever cet édifice constitutionnel de la Belgique, auquel, selon le témoignage de M. Delfosse en 1848, aucune main jusqu'alors n'avait encore touché.

Mais, messieurs, je ne veux pas faire ici l'oraison funèbre d'un passé que nous pouvons regretter, mais que nous n'avons pas le pouvoir de ressusciter.

Nous ne pouvons pas tendre toujours une main à ceux qui refusent de la serrer, même aux jours où l'on avait dit que le rapprochement devrait nécessairement se faire, aux jours des périls extérieurs.

Je ne veux pas donner à mes adversaires l’occasion de refaire leurs discours de 1845.

Depuis la rupture de l’union des deux partis monarchiques et constitutionnels, les alliances ont dû se modifier.

Je vais dire une chose qui pourra blesser peut-être au premier moment autant mes amis de la droite que mes adversaires de la gauche. Ma conviction est que le parti doctrinaire libéral, quand il est isolé et privé de l’appui de ses alliés de la gauche avancée, est une minorité dans le pays ; ma conviction est que lorsque le parti conservateur, dont les racines pourtant son plus profondes dans le sol national, que lorsqu’il est seul et sans ses alliés naturels dont je parlerai tout à l’heure, il est aussi une minorité dans le pays.

Il faut à chacun des auxiliaires pour devenir majorité. Quels soûl ces auxiliaires ?

L'allié du parti ministériel, je l'ai indiqué, hier, c'est dans la chambre l'extrême gauche. Cette fraction de la Chambre est composée d'hommes capables, qui défendent de chaudes convictions que je respecte ; je serais désolé de leur adresser un mot qui pût les blesser.

Dans la Chambre, voilà donc l'allié nécessaire du parti ministériel, et cependant le parti ministériel est en désaccord formel avec l’extrême gauche sur plus de la moitié de leurs programmes politiques, non seulement sur les questions militaires, mais sur celles relatives à l'enseignement supérieur, à la réforme de la loi de 1842 sur l'instruction primaire, à l’enseignement obligatoire.

Voilà votre homogénéité.

En dehors de la Chambre, vous avez pour alliés, dans les luttes électorales, la partie remuante, radicale et, selon le mot de mon ami M. Royer de Behr, la partie révolutionnaire du pays, qui n'est pas dans vos rangs, mais derrière vos rangs et qui fait souvent pencher les victoires de votre côté.

Ces auxiliaires sont très puissants dans les batailles électorales, j'en conviens, mais ils deviennent des alliés très embarrassants, quand on est au pouvoir.

Ils exigent que le programme de la lutte soit le programme du gouvernement.

On leur donne des satisfactions de personnes, des nominations politiques, des destitutions politiques ; mais ces nominations et ces destitutions ont des limites, on leur accorde alors des concessions politiques. Mais quand ou est gouvernement, il faut s'arrêter, et le jour où l'on s'arrête, arrive la rupture, et lorsque la rupture se produit, le parti ministériel tombe isolé et impuissant à l'état de minorité politique.

Voilà la raison, messieurs, pour laquelle le parti doctrinaire libéral est si puissant, lorsqu'il est opposition, et qu'il s'use si vite lorsqu'il est au pouvoir.

Messieurs, voilà vos alliances : Voici les nôtres.

Je viens de dire que lorsque nous sommes isolés, nous sommes comme vous, moins que vous cependant, minorité dans le pays. Nous avons besoin d'alliances.

Quels sont nos alliés ?

Messieurs, nos alliés, c'est la partie flottante et modelée de l'opinion, qui n'aime pas l'esprit de parti, l'exagération des partis, et les gouvernements de partis. Ils sont attachés à nous par les liens de nos croyances religieuses et par les instincts conservateurs.

Nous sommes d'accord avec cette fraction du pays sur la plus grande partie des questions.

Mais lorsque l'air est troublé, lorsque les passions politiques sont excitées, lorsque les préjugés s'éveillent, lorsqu'on parvient à faire croire que nous sommes un parti théologique, que ce que nous voulons en arrivant au pouvoir, c'est assurer la domination du clergé, cette partie de l'opinion nous abandonne, et nous tombons dans l'isolement et nous devenons minorité.

Mais lorsque les faits parlent, lorsque les préjugés tombent, lorsque le calme renaît, alors ce parti qui, au fond, est le nôtre, revient naturellement à nous ; il rentre dans les rangs qui sont les siens.

Vous êtes, vous, séparés de vos alliés politiques par les questions les plus fondamentales, et comme je le disais tout à l'heure, par presque tout votre passé et par presque tout votre avenir, et nous sommes d'accord avec nos alliés sur toutes ou presque toutes les questions.

Eh bien, voilà ce que M. le ministre des finances appelle l'immoralité politique. Quand cette partie modérée de l'opinion, qui est naturellement dans nos rangs et que la passion ou les préjugés d'un jour éloignent quelquefois de nous ; quand ils nous reviennent, oh ! ce sont des transfuges, et il faut les flétrir du nom d'immoralité politique !

Mais lorsque le parti ministériel veut faire la conquête de ses alliés nouveaux avec e lesquels il est en dissentiment sur toutes les questions ou à peu près sur toutes...

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Lesquelles ?

(page 256) .M. Dechamps. - Comment ! Mais vous avez été en dissentiment sur la question d'enseignement supérieur. N'êtes-vous pas en dissentiment sur toutes les questions militaires et ne sont-ce pas là des questions politique» ? Voulez-vous, connue eux, la réforme de la loi de 1842 sur l’instruction primaire ? Voulez-vous de l’enseignement obligatoire ? Si vous le voulez, comment ne le proposez-vous pas, et si vous ne le proposez pas, comment dites-vous que vous n'êtes pas en désaccord formel avec le programma de vos alliés politiques ?

Je reprends et je dis que, d'après vous, conquérir ou plutôt ramener à nous nos alliés naturels, la partie modelée de l'opinion à laquelle nous rattachent nos croyances, nos instincts et nos principes, c'est faire preuve d'absence de force morale, et que vous, lorsque vous ralliez à vous vos auxiliaires de l'extrême gauche avec lesquels vous n'êtes d'accord sur presque rien, c'est de la haute moralité que vous pratiquez ! Voilà la logique des partis.

Messieurs, je finis par une observation. Le gouvernement représentatif est très difficile à pratiquer ; il ne faut pas ajouter aux difficultés réelles des difficultés factices ; il ne faut pas constituer les partis, surtout sur le terrain religieux, il ne faut pas arriver à la situation où nous sommes d'avoir à inventer à chaque session parlementaire des questions irritantes pour alimenter l'esprit de parti.

Messieurs, je le disais tout à l'heure, les partis sont de l'essence de tout gouvernement parlementaire ; ne vous inquiétez pas, jamais nous n'en manquerons ; mais la question est de savoir si les partis doivent être des partis prenant leurs noms dans les opinions philosophiques et dans les croyances religieuses.

Le gouvernement parlementaire a échoué dans un grand pays voisin, où cependant il avait semblé jeter de profondes racines dans le sol ; il n'est qu'à l'état d'essai dans le reste de l'Europe, en Espagne, un Portugal, en Italie, en Autriche, en Allemagne ; ailleurs on le repousse. Il a réussi en Angleterre, en Belgique.

Messieurs, ces essais qui rencontrent tant de difficultés à vaincre réussiront-ils ? Il faut le désirer et le croire ; pour moi j'y crois, mais à une condition, c'est que le gouvernement représentatif reposera sur l'alliance de la religion et de la liberté.

En Angleterre, et ce n'est pas moi qui vous le dis, ce sont des écrivains célèbres qui ont écrit l'histoire d'Angleterre, c'est Macaulay et Guizot.

En Angleterre, la cause du succès du régime parlementaire, c'est que malgré le bouleversement religieux du XVIème siècle, le christianisme et la liberté politique sont restés le ciment traditionnel des vieilles et solides institutions de ce pays.

Le défenseur le plus éminent à coup sûr de la démocratie moderne, M. de Tocqueville, n'a-t-il pas assigné la même cause au succès de la démocratie américaine ?

En Belgique, messieurs, cette alliance entre l'esprit chrétien et l'esprit libéral, entre la religion est la liberté, est traditionnelle.

La Belgique était libérale et catholique sous le Taciturne, libérale contre Philippe II, catholique contre le Taciturne. Elle était catholique et libérale sous Joseph II et sous Guillaume Ier, et la base de la constitution de 1830 n'est-ce pas cette union catholico-libérale sur laquelle la constitution repose ?

Messieurs, s'il était vrai que cette alliance dût être brisée, s'il était vrai, comme on le prétend, que la rupture entre l'élément catholique et l'élément libéral dût être définitive, si les partis en Belgique devaient être constitués désormais sur le seul terrain religieux agitant sans cesse. les questions de liberté religieuse, si cela était vrai, je devrais dire mes alarmes patriotiques à mon pays que j'aime, et lui prédire que, dans ces conditions, ni nos institutions, ni notre régime représentatif tout entier ne résisteront pas plus qu'ailleurs à une pareille épreuve.

Mais, comme je crois à l'avenir de mon pays, je dois croire et espérer que cette politique, que je regarde comme fatale, ne triomphera pas. Je compte pour cela sur la sagesse des hommes, mais surtout sur la puissance des événements.

M. Orts, rapporteur. - Messieurs, c'est pour moi un devoir de position de justifier, au point de vue politique, le concours complet, loyal et sympathique que nous demandons pour le cabinet au nom de la majorité parlementaire.

En accomplissement de ce devoir, je suis appelé à répondre au discours de l'honorable préopinant qui vient de se rasseoir ; je le ferai brièvement, pour deux motifs, auxquels je puis joindre la légitime impatience de la Chambre de clore ces longs débats.

Mon premier motif c'est que l'honorable ministre des finances, dans la séance, d'hier avait d'avance répondu à cet immense acte d'accusation qu'il a plu à l'honorable membre de dresser contre l'opinion libérale, ses actes, ses hommes, depuis 1830 jusqu'à l’heure actuelle.

Mon deuxième motif, c'est qu'en réalité le discours que vous venez d'entendre est la reproduction, non pas de ces discours de 1845 que l'honorable M. Dechamps semblait craindre tout tà l'heure de voir réapparaître dans cette enceinte, mais d'un discours que périodiquement, à deux année» d'intervalle, l'honorable M. Dechamps ne cesse de soumettre à votre appréciation.

L'honorable M. Dechamps, en 1857 dans la discussion de l'adresse, a fait tout aussi bien, tout aussi éloquemment sous le rapport de la forme, mais avec aussi peu de vérité au fond, le beau discours que vous venez d'entendre ; j'y ai répondu en 1857.

En 1859 lois de la discussion sur les conclusions de la commission d'enquête de Louvain, l'honorable M. Dechamps a refait son discours de 1857 ; j'y ai encore répondu. Je l'entends pour la troisième fois, à son retour périodique biennal en 1861, et j'y répondrai encore.

Toutefois mon embarras est grand. Je n'ai pas, comme l'honorable M. Dechamps, le talent nécessaire pour faire goûter une troisième fois à la Chambre, ce que je lui ai déjà servi deux fois. Force m'est de dire au moins autrement, sinon autre chose.

Maïs avant d'aborder son examen périodique du passé libéral, l'honorable M. Dechamps a posé une question neuve, j'y dois une réponse.

La situation du ministère est, selon lui, contraire à la logique de la constitution, à la logique des principes parlementaires, elle est contraire, eu un mot, à ce que commandait le respect de la volonté électorale manifestée dans deux élections successives.

Je ne parlerai pas, messieurs, pour résoudre cette question, de l'objection qu'on a indiquée sans la creuser bien fort, objection tirée, contre la formation du cabinet, de l'accueil que pourrait lui faire le sénat et de la situation des opinions politiques dans cette assemblée.

Je n'aime pas à discuter, dans la chambre des représentants, la situation de l'autre chambre ; il me paraît que le respect do sa prérogative et de son indépendance me commande, sous ce rapport, beaucoup de réserve. Je me bornerai à répondre à l'honorable M. Dechamps que la situation actuelle du cabinet vis-à-vis du sénat ne me paraît pas si grandement compromise en présence de l'adresse qui vient d'y être votée à la presque unanimité.

Si l'honorable M. Dechamps voit, au sénat, le cabinet entouré d'un moins grand nombre d'amis que dans la chambre, l'honorable membre n'a pas vu que les attaques sont plus violentes dans cette assemblée qu'elles ne l'ont été dans le sénat. En somme, je crois que le cabinet peut être très tranquille sur sa situation parlementaire dans le sénat, et je reviens à la chambre.

Je m'occupe donc de nos affaires, et je me demande s'il est bien vrai que le cabinet vis-à-vis de la chambre se trouve dans une situation extra-parlementaire, dans une situation contraire au vœu du pays.

Au lieu de répondre moi-même, je pourrais demander à l'honorable M. Dechamps et à ses amis un mot de réponse à une simple question, et ce mot de réponse trancherait immédiatement et victorieusement les difficultés.

L'honorable membre croit-il qu'en présence de la situation faite à la chambre, par les élections les plus récentes, lui ou ses amis pourraient occuper dignement ou convenablement le pouvoir ?

M. Kervyn de Lettenhove. - Je demande la parole.

M. Orts. - Pourraient-ils gouverner aujourd'hui avec l'appui d'une majorité sérieuse, et d'une majorité surtout qui trouve son propre appui clans le sentiment de la majorité du pays ?

L'honorable membre, qui recule devant les idées de dissolution, doit accepter cette situation, ou il doit reconnaître que c'est à l'opinion libérale qu'appartient le pouvoir et le devoir de gouverner le pays.

Ce mouvement électoral, messieurs, qui condamnerait la reconstitution du cabinet libéral, vous le voyez, prétend-on, dans la marche des élections depuis une dizaine d'années.

Messieurs, lorsqu'on tient compte des événements qui ont influencé quelques-uns des mouvements électoraux de cette époque, je ne vois pas que les questions de politique intérieure, que les questions de partis, que les questions belges même y soient pour grand-chose.

Ces élections ont été influencées, notamment à certaine époque, par l'intervention très intime de la presse étrangère menaçant notre pays, et ce n'était pas au profit de l'opinion libérale, menaçant la Belgique au point de vue des intérêts matériels, dans le cas où le résultat des élections ne serait pas celui que cette presse désirait.

Je le répète, ce n'est pas au profit de notre opinion que cette action de la presse étrangère s'exerçait. Ce n'étaient pas nos journaux libéraux (page 257) qui, au moment des élections, prenaient le soin de répéter aux électeurs belges ce que la presse étrangère conseillait.

Je me souviens qu'ensuite, fort adroitement, et en vertu d'une tactique sur laquelle je m'expliquerai plus tard et plus largement, à chaque élection, des questions d'intérêt matériel dont la solution avait froissé quelque personnes n'ont cessé d'être exploitées habilement contre la majorité libérale et contre le ministère libéral qui avaient été contraints de résoudre ces questions par la force même des événements.

Je sais, messieurs, que l'insuccès de quelques membres de la majorité libérale, aux époques citées par M. Dechamps, a été dû à des questions de sucre et de coton bien plus qu'à des querelles de principe.

Mais, quoi qu'il en soit de cette revue rétrospective, nous avons la majorité, nous la tenons et nous la tiendrons.

Et si vous étiez à la place des ministres qui aujourd'hui dirigent cette majorité et que cette majorité inspire, vous ne tiendriez pas une minute, vous n'auriez pas de majorité.

La situation parlementaire du cabinet est donc parfaitement régulière.

Mais, continue-t-on, à quel prix la majorité actuelle s'est-elle constituée ? Vous avez conclu des alliances dangereuses, vous avez tendu la main à ceux que vos adversaires séparent du reste de la majorité en les qualifiant de gauche avancée.

La gauche est compacte pour soutenir le cabinet, c'est vrai ; mais pourquoi ? Pour une raison bien simple, encore une fois. Depuis que l'opinion libérale a repris le pouvoir en 1857, cette opinion a été, comme toujours quand elle est au pouvoir, l'objet d'attaques incessantes. Les dangers de ces attaques n'ont pas toujours, et immédiatement surtout, été compris par tous les membres de l'opinion libérale.

Mais grâce à votre insistance, grâce à la fréquence de vos attaques, à leur violence, il arrive un moment où tout le monde comprend que le drapeau libéral est menacé. A ce moment on voit l'ennemi, et la gauche entière court au drapeau, parce qu'avancée ou non, elle est la gauche après tout.

Voilà ce qui s'est produit. Voilà le secret de notre union. Ne nous parlez plus d'alliances, si ce n'est à une condition. Dites-nous donc sur quel terrain elles se sont conclues, quels principes la gauche avancée a abdiqués, quels principes a sacrifiés l'autre fraction du grand parti libéral ?

Montrez-nous ces traités de paix et vous serez autorisés à parler d'alliances. Montrez-nous nos abdications et vous serez autorisés à parler de moralité politique, lorsque vous vous occuperez de nous.

Si je voulais rechercher qui donc ici fait des avances aux fractions de la gauche, que des questions non de principe mais de détail ont momentanément détachées du ministère, si je voulais rechercher d'où sont parties les avances, ce n'est pas chez nous qu'on les trouverait.

Vous nous reprochez de flatter pour réunir ? Les flatteries pour détacher sont venues de vos bancs.

Je ne veux pas chercher bien loin mes preuves. Je prendrai la discussion de l'adresse et je vous demanderai à vous tout le premier, mon honorable collègue M. Dechamps, ce qu'est votre discours d'aujourd'hui et d'hier si ce n'est une main tendue à la fraction que vous nommez avancée de la gauche pour la détacher de nous ! (Interruption.)

Je vous demanderais, prenant mes exemples dans la seule discussion de l'adresse, qu'était-ce que cet amendement insolite et puéril venant jeter au milieu de nos grands débats politiques une question de pur intérêt matériel, la question du cours légal de l'or français ?

Qu'était-ce, sinon encore un brandon de discorde jeté par vous au milieu de nos rangs, avec l'espoir que nos amis se tromperaient sur votre pensée intime, et que vous obtiendriez sur une question d'intérêt matériel un vote facile à exploiter le lendemain comme un vote politique.

Qu'est-ce encore que cette proposition, si anodine dans la forme, où l'on parlait d'un coup de patte à la gauche avancée, coup de patte qu'elle n'avait pas senti ? Et je vous prie de croire que cette gauche a assez le sentiment de sa dignité pour ne pas devoir attendre que vos avertissements le lui rappellent.

Il y a, messieurs de la droite, sur le terrain de la politique et lorsque nous vous aurons pour adversaires, ni gauche avancée, ni gauche doctrinaire ; il y a le parti libéral, comme vous êtes le parti catholique. Ce grand parti sera toujours uni lorsqu'il s'agira, pour lui, de défendre son drapeau contre l'ennemi ; et l'ennemi, c'est vous !

Maintenant, messieurs, pourquoi une fraction de la gauche se séparerait-elle de ce que vous appelez aujourd'hui, vous servant d'une qualification nouvelle que vous vouiez, je ne sais pourquoi, introduire dans nos débats, de ce que vous appelez, le libéralisme doctrinaire, singulière prétention cachée sous ce mot, que je ne discute pas, mais dont je puis au moins constater l'étrangeté !

Vous nous jetez l'épithète de doctrinaire en guise, sinon d'injure, au moins de qualification désagréable ; car enfin ce n'est pas pour nous adresser un compliment que vous nous appliquez cette dénomination. Et je vous entends invoquer à chaque instant dans vos discours l'autorité de M. Guizot, le chef de la grande école politique appelée doctrinaire en France.

.M. Dechamps. - Ce n'est pas une injure.

M. Orts. - Si ce n'est pas une injure, ce n'est pas non plus un compliment.

.M. Dechamps. - Pardonnez-moi, c'est un très beau titre.

M. Orts. - Permettez-moi de ne pas l'accepter ; car j'ai le droit de me défier d'un pareil compliment, alors surtout qu'à côté de ce compliment, se trouve l'intention évidente de nous séparer de nos amis.

Vous nous reprochez d'avoir toujours combattu la liberté au profit du pouvoir.

Voilà le grand grief, je pourrais dire le vieux grief. Nous avons défendu le pouvoir contre la liberté ! Je vous demanderai quand ? En quelles circonstances ? Il ne suffit pas de jeter ainsi de grandes phrases dans ces débats, sans apporter à l'appui une démonstration, un fait quelconque.

Accuser sans preuve, cela peut produire quelque effet, sur des gens qui ne réfléchissent pas et ne sont pas appelés à juger ; mais devant la Chambre qui doit juger ; il faut quelque chose de plus qu'une simple affirmation pour être cru.

Permettez-moi de renverser un peu l'accusation et de demander ceci : Dans quelles circonstances vous et vos amis avez-vous défendu la liberté contre le pouvoir ?

Je ne referai pas, comme vous, l'histoire des partis en Belgique ; je ne remonterai pas jusqu'à 1830 ; je m'arrêterai à mi-chemin, à une époque où je crois, après une étude sérieuse de notre histoire parlementaire, retrouver l'origine de cette situation que vous déplorez tant aujourd'hui, de la division de l'opinion publique, en Belgique, en deux grands partis.

En 1840, pour la première fois, l'opinion libérale se trouve appelée à diriger les affaires du pays. Elle était représentée au ministère par les hommes les plus modérés, les mieux connus par leur attachement à la constitution de 1830 et aux grands principes qu'elle consacre ; par des hommes qui, pour la plupart, avaient défendu ces principes avec un grand nombre de nos amis, qui avaient concouru à les inscrire dans notre pacte fondamental.

Ce ministère plein de modération, d'honnêteté politique, ce ministère né, non pas d'une surprise comme on l'a dit hier, niais d'une situation vraie que les événements avaient créée, ce ministère comment a-t-il été reçu par la droite ? Comme on a accueilli depuis 1840, le parti libéral chaque fois qu'il est arrivé aux affaires. On lui a fait sur nos bancs un accueil qui explique comment nous n'aurons jamais besoin, comme vous le craignez, pour maintenir l'union dans nos rangs, de recourir à l'invention de querelles religieuses jusqu'alors imprévues.

Vous avez toujours assez soin de prendre l'initiative de l'introduction de querelles religieuses dans vos débats pour que nous puissions nous abstenir de nous préoccuper de votre crainte ; grâce à vous, nous n'en manquerons jamais.

C'est ce que vous avez fait en 1840 ; c'est ce que vous avez fait sans cesse depuis lors, c'est ce que vous faites encore aujourd'hui, ce que vous ferez toujours.

En 1840, par où débutez-vous ? Vous débutez, vis-à-vis du premier ministère libéral, par une opposition violente et systématique. On l'attaque sur les questions d'intérêt matériel les plus vulgaires, uniquement parce qu'il est ministère. Ce n'est qu'après une guerre aussi mesquine, continuée pendant plusieurs mois que, pour la première fois, on parle politique en l'attaquant.

Ce ministère libéral était marqué du péché originel. Il avait en se formant annoncé l'intention de procéder à l'organisation de l’enseignement public, retardée volontairement et systématiquement depuis six ans, un peu par la faute de l'honorable membre auquel je réponds. De plus, on était à la veille d'élections parlementaires partielles, il fallait qu'il tombât avant ces élections.

Vous attaquez ce ministère, et vous arrivez avec une question religieuse, mais aussi avec la pensée réactionnaire, avec cette pensée de reconstitution de l'ancien régime, antipathique aux idées modernes, aux idées de liberté, avec la proposition Brabant-Dubus, première tentative de votre parti pour reconstitution de la mainmorte, votre préoccupation incessante depuis 1830.

Le ministère, devant la Chambre, triomphe, non sans peine ! Reste le sénat. Là, et un peu sur les conseils, je pense, de l'honorable ministre auquel je réponds (car le discours qu'il a prononcé à cette époque, devant la Chambre, je le retrouve plus tard, pour le fond et presque pour la (page 258) forme, dans le document dont je m'occupe en ce moment), là votre parti pose un nouvel acte inconstitutionnel, l’adresse du sénat. Le ministère libéral succombe.

Vient l'ère de ces ministères neutres entre les partis, qui ont les sympathies de l'honorable M. Dechamps, des ministères mixtes ; vous continuez votre œuvre d'agression armée de questions religieuses ou illibérales.

Vous qui défendez sans cesse, à vous croire, la liberté contre le pouvoir, que faites-vous sous le régime des ministères mixtes ? Vous procédez audacieusement à la reforme de nos institutions les plus chères, des institutions les plus essentielle, au maintien de nos libertés. Vous attaquez la liberté électorale, vous attaquez la liberté communale, vous accordez au pouvoir le choix arbitraire des bourgmestres en dehors du conseil. El il ne s'en est fallu que d'une voix que le choix des bourgmestres dans le conseil devînt l'exception et le choix en dehors la règle ; vos amis l'ont proposé, et s'ils n'ont pas triomphé, c'est que, par parité de voix, par 45 voix contre 45, la proposition a succombé dans la Chambre.

La loi du fractionnement, est-ce donc aussi au profit de la liberté que vous l'avez faite ? Est-ce pour obtenir une manifestation plus libre du vœu des électeurs ? Jamais vous n'oseriez le soutenir ; et si vous vous avisiez de le soutenir, mais vous seriez immédiatement contredit par l'un de vos amis qui la soutenait le plus énergiquement en 1842. Vous vouliez de ces deux lois réactionnaires faire une arme de parti.

Toutes ces graves modifications ont été certainement apportées dans un intérêt antre que celui de la liberté ; il y a aveu de votre part.

L'honorable M. Malou disait, à la séance du 15 mai 1842. Les modifications proposées à la loi communale par la majorité d'alors qui n'était pas une majorité libérale, sont inspirées par la crainte existant chez un certain nombre de membres de la chambre sur les résultats éventuels des élections du mois d'octobre suivant, si elles se faisaient sans que la loi fût modifiée.

Ainsi, messieurs, la crainte que le libre suffrage dos électeurs ne s'exerçât contrairement à l'intérêt d'un parti, voilà le motif pour lequel vous modifiiez une de nos lois organiques. Nous, messieurs, qui n'avons sur la conscience que quelques dissolutions, quelques appels réguliers aux électeurs, appels d'ailleurs toujours entendus, nous n'avons pas au moins commis ce gros péché d'avoir pris d'avance nos précautions pour que l'appel aux électeurs répondît parfaitement à nos vœux..

En 1843, vous continuez votre œuvre de réaction, et vous passez de la loi communale à la loi électorale.

Des fraudes avaient été signalées par l'opposition libérale. Vous ne pouviez nier la faute de vos amis. Vous faites une loi pour y remédier un peu, mais beaucoup pour modifier le système électoral dans un sens tel, que sollicitée par l'opinion libérale, votre loi est repoussée immédiatement, repoussée par toute l'opposition libérale de la chambre. Quant à l'enseignement, nous avons encore une fois, d'après vous, sacrifié la liberté au pouvoir ? Rentrez donc, avant d'accuser, rentrez dans votre conscience. La loi de 1842, comment, par exemple, l'avez-vous proposée ? Je ne parlerai pas de l’enseignement supérieur ni des jurys d'examen, sur lesquels on est revenu ; je ne veux pas répéter la réponse si éloquemment faite par M. le ministre des finances ; le procès est instruit sur cette question depuis hier, il est jugé.

Je prends la loi d'enseignement primaire. Dans quel sens vos amis voulaient-ils la modifier ? Dans le sens de la liberté ? Evidemment non. Ce n'était pas non plus, j'en conviens, dans le sens du pouvoir civil que nous défendons contre vos attaques parce que c'est un pouvoir constitutionnel et que partant nous avons le droit et le devoir de le défendre ; vous la vouliez modifier dans l'intérêt d'un autre pouvoir que le pouvoir civil, d'un pouvoir en dehors de la constitution et qui a toutes vos sympathies.

Vous appelez la loi d'instruction primaire la grande transaction de 1842. Après l'avoir votée, comment l'avez-vous exécutée ? Il y avait dans cette loi une disposition que, pour ma part, j'approuve et désire voir maintenir, c'est la disposition réglant les conditions d'accord entre l'autorité religieuse et le pouvoir civil.

Qu'est-il arrivé sur le terrain de cet accord ? Faut-il vous rappeler fout ce que votre opinion a tramé pour anéantir les bons effets de la loi de 1842 quant à l'intervention du pouvoir civil à tous les degrés contre la commune plus que contre l'Etat. Tout a été tramé dans l'ombre pendant de longues années pour faire profiter un seul parti, le vôtre, une seule autorité, une autorité extraconstitutionnelle, des bénéfices de la loi.

Parlons du choix si important des maîtres.

Des écoles normales existaient, instituées par les communes et par les provinces, vous les avez tuées au profit des écoles normales des évêques : vous vous en vantiez auprès de ces derniers.

Vous conservez les écoles normales du clergé et quand vous en établissez pour l'Etat qui devrait lutter à armes égales, c'est dans la proportion de 2 pour l'Etat et 7 pour les évêques.

Rappelez-vous encore cette correspondance fameuse entre le gouvernement et les évêques, produite et discutée dans cette enceinte en 1847 ; qu'y a-t-elle révélé ? Le ministre chargé par vous, sa majorité, d'exécuter la loi de 1842 reprochait confidentiellement à l'évêque un défaut de gratitude lorsque lui, le ministre, avait, pour complaire au prélat, tué l'école normale communale de Liège, malgré les embarras qu'on avait suscités, et que l'évêque connaissait si bien.

Le même ministre écrivait à l'évêque de Bruges qu'aucun instituteur n'avait été nommé dans la Flandre occidentale si ce n'est sur la proposition de l'évêque. Le mol « proposition » est dans la lettre : il n'est certes pas dans la loi.

Le même ministre encore reprochait à l'évêque de Gand d'avoir exigé le sacrifice à Renaix d'un instituteur, père de famille, instruit et respectable, que. l'honorable. M. de Decker - il ne vous sera pas suspect - avait recommandé, et cela uniquement parce que l'évêque en voulait un autre.

Et vous vous étonnez, après de pareils méfaits, que sur nos bancs on songe à défendre l'indépendance du pouvoir civil, vous nous reprochez de ne pas vouloir transiger ! Vous qui n'avez jamais pris au sérieux, qui n'avez jamais exécuté avec bonne foi la transaction de 1842 ! Nous, au contraire, nous avons tenu parole, nous n'y avons jamais porté la moindre atteinte.

Je désire que ceux qui nous attaquent puissent en dire autant de leur conduite.

En 1850 survient une autre transaction sur le terrain de l'enseignement moyen. Qu'est-elle devenue ? Je ne la discute pas. Beaucoup d'entre vous l'ont blâmée. Mais ceux qui la blâmaient dans nos rangs, rendez-leur cette justice, n'ont jamais porté d'entrave à son exécution, là où vous l'avez fait.

Cette transaction est répudiée aujourd'hui par qui ? Par vous et par vos amis ; et comment la répudient-ils ? par principe ? au nom d'un intérêt moral ? Oh non ! Ils la répudient, quand un simple intérêt matériel, un intérêt d'argent on de concurrence est en jeu. On déchire chez vous la convention d'Anvers, quand l'intervention du clergé, aux termes de la convention d'Anvers, pourrait, comme à Termonde, porter atteinte aux bénéfices d'argent d'un collège ecclésiastique établi dans la même localité.

Ce n'est pas, du reste, dans le domaine de l’enseignement moyen la première fois que les transactions signées ont été déchirées par vos amis. Souvenez-vous du langage tenu par le ministre père de cette grande loi de 1842, à ses yeux, son plus beau titre de gloire ! N'a-t-il pas été obligé de déclarer, en quittant le portefeuille ministériel, que la transaction n'était plus exécutée par les évêques ? N'a-t-il pas condamné la conduite sans cesse envahissante de l'épiscopat, n'a-t-il pas dit que la convention constituait une double abdication du pouvoir civil.

Reprochez-vous, après cela, de songer à assurer l'indépendance du pouvoir civil ! cette indépendance est indispensable au maintien de nos institutions, indispensable au maintien des grands principes que vous invoquez sans cesse, au principe suprême de la séparation de l'Eglise et de l'Etat.

Je ne veux pas examiner le traitement que vous avez fait subir à toutes les libertés, je ne veux pas étendre encore ce débat, mais, permettez-moi de vous demander dans quelle circonstance, quel jour, à quelle heure, en quel lieu, par quelle mesure nous avons empêché l'exercice de ces libertés, que vous avez appelés les premiers par une distinction malheureuse, des libertés de choix.

Je repousse ce mot fâcheux, nous, nous acceptons toutes les libertés constitutionnelles comme sœurs, comme solidaires, comme chères à nos yeux au même degré. (Interruption.)

L'expression de libertés de choix a été prononcée hier par M. de Theux qui semblait en attribuer la paternité à la gauche.

Elle appartient à M. Dechamps, elle remonte au discours de 1857, dont je parlais à mon début. (Interruption.)

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Elle est de M. de Gerlache.

M. Orts. - Je ne sais ce qui peut se dire au-dehors de cette enceinte et je ne m'y arrête pas, je constate que le mot a été prononcé pour la première fois dans cette enceinte en 1857 et par M. Dechamps. J'ai protesté alors au nom de la gauche, comme je proteste aujourd'hui. (Interruption.)

.M. Dechamps. - J'ai expliqué le mot.

M. Orts. - Avez-vous entendu ma réponse ? Il est une liberté seulement dont je toucherai un mot, car, à propos d'elle, on a mis en cause un absent, et j'entends répondre pour lui.

(page 259) Comment, nous dites-vous, avez-vous traité la liberté de la presse ?

Depuis 1830, sa législation n'a reçu qu'une atteinte et la loi qui consacre cette atteinte porte un nom qui est des vôtres ; on n'a jamais répondu à cette accusation, ajoute superbement M. Dechamps.

L'honorable membre a oublié que j'ai répondu la première fois qu'elle s'est produite dans cette enceinte.

Je répète ma réponse.

Avons-nous jamais, en aucune circonstance, au nom de l'opinion libérale, tenu un langage qui appelât sur la presse les sévérités d'une loi nouvelle ? Comme hommes exprimant une opinion personnelle, plusieurs d'entre nous ont condamné certains abus que la presse a faits çà et là de sa liberté. Mais jamais de nos bancs n'est parti ce cri que la presse en Belgique vivait à l'état sauvage. Ce cri est parti de chez vous.

De vos bancs est partie encore la proposition d'imposer aux journaux la signature des articles, évidemment la censure préventive ; l'un des vôtres l'a demandée. Effrayé de la réprobation qu'elle soulevait, il voulait la retirer.

J'ai dû relever cette proposition, la faire mienne dans cette Chambre, moi, son adversaire énergique, pour en obtenir l'éclatante condamnation.

La loi à laquelle vous avez fait allusion est signée, par un nom libéral, oui ! mais vous l'avez votée, vous y avez applaudi et je dirai même que vous l'avez provoquée, exigée.

Ne vous occupez plus de sacrifier la liberté au pouvoir. Une erreur vous trompe dans vos accusations ; vous confondez perpétuellement, en parlant de la liberté, la liberté et le privilège.

Bien des choses vous ont été refusées, cela est vrai ; non pas sans profit du pouvoir, contre la liberté, mais pour sauvegarder son indépendance ; condition vitale de la liberté.

Prenons des exemples.

Vous nous avez parlé de liberté de la charité, nous vous avons dit : Donnez à tout le monde, nous n'irons jamais surveiller la main qui répand l'aumône ; donnez comme vous l'entendez, à qui bon vous semble, soulagez le plus de misères possible, c'est notre vœu. Mais lorsque vous êtes venu demander, non plus le droit de faire l'aumône selon votre bon plaisir, selon vos sympathies, lorsque vous êtes venu demander sous prétexte de charité, de restaurer des institutions incompatibles avec notre âge et nos principes communs, nous avons répondu non ! parce que la reconstitution de cet ordre de choses est un danger pour le pouvoir civil et son indépendance, partant un danger pour le pays.

Lorsque, en matière d'enseignement, vous avez usé de la liberté sans réclamer un privilège quelconque, lorsque vous avez créé des écoles à tous les degrés, lorsque vous avez créé une université, nous ne vous avons rien contesté. Nous vous avons fait de l'opposition un jour, c'est lorsque vous nous avez demandé, pour l’enseignement, ce que vous vouliez pour la charité, lorsque vous avez réclamé la transformation de vos établissements d'instruction en établissements de mainmorte. Et alors le pays s'est trouvé avec nous ! tellement avec nous que vous avez reculé, quoique majorité, quoique pouvoir devant l'impopularité de la mesure.

.La liberté d'association ! jamais nous n'avons fait obstacle au développement d'associations religieuses sur notre sol. Un fait capital répond à toutes les accusations sous ce rapport ! nous comptons aujourd'hui une population de religieux et un nombre de couvents plus considérables en Belgique qu'ils n'étaient sous le règne de Marie-Thérèse.

Mais lorsque vous voulez transformer des associations religieuses comme vous avez voulu transformer votre université et vos associations de bienfaisance, lorsque vous voulez créer des corps moraux, des corps privilégiés et quasi politiques dans l'Etat, nous nous opposons encore à cet abus de la liberté, qui n'est pas la liberté elle-même, qui nous conduirait, si nous le laissions commettre, droit à l'anarchie, c'est-à-dire à la perte de a liberté.

Ici nous sommes conservateurs ; nous sommes libéraux en même temps. En définitive, il n'y a de conservation possible dans notre pays et à notre époque, que la conservation par la liberté et le progrès.

Vous ne vivez, nous dit-on, que par l'agitation et par les dissolutions parlementaires.

S'il n'y avait pas d'agitation politique dans le pays, on n'a pas osé dire, s'il n'y avait plus de partis, vous seriez condamnés et le pouvoir arriverait entre nos mains.

On nous a accusés, de plus, messieurs, et ce n'est pas l'honorable M. Dechamps, c'est l'honorable comte de Theux, d'arborer pour devise une célèbre maxime politique empruntée à Machiavel ; on nous a dit : Vous ne pouvez régner qu'à condition de diviser.

Vous ne vivez que par l'agitation !

M'en défendrai-je ? Je suis bien près d'accepter comme vrai ce reproche et de m'en faire honneur. Et voici pourquoi. Lorsque je consulte notre passé politique, je vois que, quand le libéralisme est au pouvoir, lorsque la majorité est solide, lorsqu'il gouverne sagement, modérément, sans exiler de réclamations, le pays est calme, il s'endort un peu.

Puis, pendant ce sommeil, s'opère le petit travail que voici. Les adversaires du libéralisme sont à l'affût du moindre élément de discorde, si petit qu'il puisse être, lorsqu'il se manifeste au sein de la majorité libérale. Dans les jours de repos, ces germes dissolvants se manifestent, on le sait, au sein de toutes les majorités fortes, dans quelque pays et à quelque époque que ce soit.

Si l'ennemi voit quelques amours-propres froissés dans les rangs de ses adversaires, il exploite habilement ces froissements, il les envenime. Si l'on voit quelques rancunes, qu'elles naissent de l'intérêt matériel froissé ou d'une ambition politique mal satisfaite, on leur tend la main sous prétexte d'indépendance politique ; on la tend si bien, cette main perfide, que les esprits faibles, les esprits oublieux des dangers que leur défaillance peut faire courir à leur propre parti, cèdent à d'habiles caresses et vont grossir des rangs où ils ne devraient jamais figurer. Et ce travail est accompli durant le sommeil du pays, lorsque, grâce à cette morale opération, on peut lui enlever, pendant son sommeil, le bien qu'on n'oserait pas lui prendre éveillé ; oh ! alors le pays se réveille et s'agite. Il ouvre l'œil et voit le danger ; il se lève, il recommence l'œuvre que vous avez détruite pendant qu'il était endormi et nous triomphons.

Voilà l'histoire des changements de majorité dont vous avez parlé. Voilà comment il s'est fait, ainsi que je le disais dans une autre circonstance, que depuis 1847, époque où, par le vœu légitime du pays, le parti libéral est arrivé au pouvoir, il ne l'a jamais perdu par la défection des électeurs, mais il l'a perdu quelquefois par la défection des élus.

Nous vivons d'agitation, soit ; mais grâce à vous. C'est parce qu'au moment où notre vie est menacée, vous avez soin d'agiter le pays pour qu'il comprenne le danger.

Nous vivons de dissolutions ! mais encore une fois c'est un compliment. Quand donc les dissolutions sont-elles nécessaires et quand se produisent-elles ? Légitimement elles sont nécessaires lorsque, dans les hautes régions politiques, se manifeste la conviction qu'une majorité née à la suite d'accidents du genre de ceux que je viens de rappeler, ne représente pas exactement les sentiments du pays.

Et ces dissolutions, quand sont-elles blâmables ? Mais lorsque le pouvoir qui dissout se trompe sur le véritable sentiment du pays. Or, vous qui avez si bien fait hier et aujourd'hui l'histoire de toutes les dissolutions parlementaires depuis 1847, chaque fois qu'il s'est agi de faire prononcer le pays entre l'opinion catholique et l'opinion libérale, dites-moi s'il est vrai, oui ou non, que le pays n'a jamais infligé le moindre démenti à ceux qui avaient opéré la dissolution. Et si le pays leur a donné raison, la dissolution était juste, elle était la pratique sincère et véritable des institutions parlementaires.

Ne nous blâmez donc pas lorsque la dissolution donne raison à la minorité parlementaire contre la majorité.

La dissolution, dans cette circonstance, ne prouve qu'une chose, c'est qu'on l'a faite trop tard ; qu'il eût été peut-être plus loyal et plus digne pour ceux qui tenaient le pouvoir au nom de la majorité condamnée par le pays, de faire la dissolution eux-mêmes, de se présenter courageusement au jugement du pays.

Je suis convaincu que si l'honorable M. Dechamps était ministre aujourd'hui, il sentirait l'impossibilité de gouverner, et de deux choses l'une, ou il dissoudrait la Chambre, ou il ferait place à un ministère libéral.

N'attribuez donc pas à autre chose qu'à la communauté de sentiments entre la grande majorité du pays et la majorité parlementaire la force de l'opinion libérale aujourd'hui et la force du cabinet. Ne cherchez pas la raison d'être du cabinet ailleurs que là où je vous la montre.

Nous n'avons jamais, nous, pour reconstituer le pays tout entier, comme on le disait hier, opéré de ces réformes qui devaient assurer la prépondérance d'un parti.

On a parlé de la réforme électorale de 1848, et ici un mot d'explication est encore nécessaire ; car réellement il semble que pour nos adversaires politiques le passé n'existe pas.

D'après l'honorable comte de Theux, la réforme électorale de 1848, c'est quelque chose que l'on a subi sous la pression d'événements extérieurs, que l'on n'a pas considéré comme chose bonne en soi, un accident qu'on n'avait pas la puissance do provenir ou de détourner. J'ai pris soin de ranimer mes souvenirs en consultant les Annales parlementaires, et je crois qu'il n'y a pas eu d'applaudissements plus enthousiastes en présence de la réforme électorale de 1848, que ceux qui se tout produits (page 260) sur les bancs de la droite. On trouvait la chose magnifique ; on trouvait que ce procédé avait l'immense avantage de donner à la Belgique d'un coup toute la liberté enviable par les peuples voisins, et sans passer par les redoutables épreuves que ces peuples subissaient. Il n'y eut pas de discours prononcés à gauche en faveur de la réforme. Il y eut plusieurs discours à droite, entre autres celui de M. Dechamps, si souvent cité et dont je ne citerai que deux mots : « sans réticence ». Or, qu'est-il survenu de cet accueil fait sans réticence au projet par la droite ? Je vais vous le dire.

A peine le calme rétabli dans les esprits, lorsque les événements extérieurs se furent modifiés, lorsqu'on eut cessé de craindre les progrès des idées libérales, les réticences sont arrivées malgré le mot de M. Dechamps.

Nous avons vu nos adversaires fidèles à leur éternelle tactique, exagérer leurs prétentions, afin de pouvoir accuser le parti libéral de résistance injuste ou d'agression.

On s'est pris à nous menacer à toute occasion, à toute heure, d'une réforme électorale qu'on est venu nous dire avoir été sous-entendue dans le vote, alors que ce vote avait été une adhésion sans réticence. On n us a accablés de pétitions, on a proclamé la nécessité d'ajouter cette réforme à la réforme de 1848. On nous a parlé de promesses qui n'existaient pas. On a parlé de réserves, pourquoi ? Toujours pour accuser l'opinion libérale de refuser ce qui était juste et légitime, ce qui avait été promis.

El qu'on ne vienne pas dire, comme on paraissait l'insinuer dans le discours de l'honorable M. de Theux, qu'en 1848 lors de la réforme électorale la question n'aurait pas été posée, car, encore une fois, il y a eu des commentaires qui la posaient et ces commentaires sont une explication formelle.

On avait en 1848 fort bien compris qu'on ne pouvait, en fait de réforme électorale, songer à autre chose qu'à l'abaissement du cens, et on a pris ses précautions dans le rapport de la section centrale dû à l'honorable M. H. de Brouckere ; il pourra me démentir si je me trompe.

On avait soigneusement expliqué que selon la pensée de ceux qui allaient voter la loi, on ne pourrait trouver dans l'abaissement du cens aucune espèce de titre à réclamer plus tard un déplacement du siège électoral.

M. de Brouckere. - C'est en termes formels dans le rapport.

M. Orts, rapporteur. - Il ne pouvait y avoir de doute pour personne.

M. de Theux. Le rapport n'est pas la loi.

M. de Brouckere. - Tout le monde était d'accord.

M. de Theux. - Vous n'avez pas discuté la question.

M. Orts, rapporteur. - Puisqu'on affirmait voter la loi sans réticences, il eût été loyal au moins de faire des réserves tout haut.

M. de Theux. - Ce n'était pas nécessaire.

M. Orts, rapporteur. - Ce n'était pas nécessaire !

Vous croyez donc que l'on pourrait honnêtement dire : Nous votons la loi sans réticences, et venir ensuite invoquer des réserves ! Je ne sais à quelle école on ira trouver des principes qui justifient cette manière de procéder.

M. B. Dumortier. - Sous l'empire de quels faits a-t-on voté cette loi ?

M. Orts, rapporteur. - Je le demande volontiers à l'honorable M. Dumortier. Est-ce qu'en 1848 ce n'eût pas été une idée populaire dans certaines parties de la Belgique que de rapprocher le siège électoral du domicile de l'électeur ?

Je voudrais bien savoir qui aurait trouvé là une pensée réactionnaire ou impopulaire, en se plaçant au point de vue où l'on était en 1848.

M. B. Dumortier. - Vous imputez à vos adversaires comme un acte de faiblesse ce qu'ils ont fait pour sauver le pays dans des circonstances exceptionnelles.

M. Orts, rapporteur. - Je n'impute pas à mes adversaires comme un acte de faiblesse ce qu'ils ont jugé à propos de faire en 1848, mais je ne les autorise pas à dire qu'ils ont à cette époque sauvé le pays. Ceux qui ont sauvé le pays à cette époque, ce sont ceux qui ont pris l'initiative et la responsabilité des mesures, ce ne sont pas ceux qui ont adhéré. Ceux qui ont adhéré ont fait acte de bons citoyens, mais ils ne peuvent pas réclamer une gloire qui appartient à l'opinion libérale et aux hommes qu'elle est fière, après treize ans, de retrouver à sa tête.

On ne me fait observer que le texte de la loi porte :

« Les électeurs continueront à se réunir au chef-lieu de l'arrondissement » ; l'observation est exacte.

Vous voyez donc, messieurs, que la situation du cabinet pour lequel nous demandons un concours complet et sympathique, est une situation parfaitement normale au point de vue parlementaire.

Le cabinet représente les idées d'une majorité unie et compacte, majorité que vous désireriez probablement voir moins unie, moins compacte, mais enfin de la majorité telle qu'elle est. Cette majorité vous n'avez aucun espoir de la briser ; une dissolution dont vous prendriez l'initiative, vous en avez la conviction, n'amènerait pas son changement.

Je crois, au contraire, que si une épreuve aussi solennelle était tentée par nous, elle amoindrirait encore le chiffre de vos adhérents. En face d'une dissolution pratiquée par vos mains, vous verriez les petites questions que vous avez si souvent exploitées s'effacer devant la grande question de parti.

Le mot « parti », messieurs, me ramène à l'idée par laquelle l'honorable membre a cru devoir terminer son discours. L'honorable membre a paru craindre que la division tranchée, nette, dans le pays entre les hommes d'opinions politiques différentes ne compromette l'avenir de la Belgique.

L'honorable membre nous a rappelé que le régime parlementaire était tombé par les causes qu'il a indiquées, dans certains pays voisins. Il nous a montré dans un autre grand pays sympathique à la nation belge et pour lequel la Belgique éprouve également une sincère sympathie, il vous a montré ce régime debout et vivace.

L'honorable membre a attribué cette différence de sort à la circonstance que dans ce dernier pays l'alliance de la liberté et de la foi religieuse s'était maintenue.

Nous croyons que l'alliance de la liberté et de la foi religieuse peut parfaitement se maintenir en Belgique, alors que chacun de nous garde complètes, fermes, et indépendantes ses opinions politiques.

Pourquoi ? Parce que, plus heureux qu'aucun autre pays du monde, nous n'avons pas à mêler la religion à nos débats politiques ; nous avons séparé complètement le domaine politique du domaine religieux ; nous avons donné à l'Eglise une indépendance complète en dehors de l'Etat. Cela suffit pour que la foi et la religion n'aient jamais à craindre pour leur indépendance du pouvoir civil, cela suffit à sauvegarder l'indépendance du pouvoir civil contre les empiétements de l'Eglise.

Restons fidèles à nos principes, et aucun conflit sérieux n'est possible.

La grandeur, la fermeté des institutions parlementaires en Angleterre, tient à autre chose, à une chose que je vous demande de conserver, de respecter chez nous au nom des principes communs à toutes les opinions, à la fermeté des caractères. Dans ce noble pays où les partis sont considérés, à bon droit, comme nécessaires, ils s'affirment hautement. On n'y songe pas à attirer dans ses rangs par des concessions lâches ou peu morales des adversaires flottants, on n'exploite pas les amours-propres froissés, les ambitions déçues pour engager certains hommes à déserter leur drapeau et à passer dans un autre camp.

Suivons cet exemple plein d'enseignements.

N'attirons personne des rangs de nos adversaires dans les nôtres, restons ce que nous sommes et nous maintiendrons la sincérité et la durée du régime parlementaire en Belgique comme en Angleterre.

N'acceptons chez nous aucun transfuge, restons fermes et convaincus chacun dans nos rangs.

Et ne craignez pas que cette division nous empêche de résoudre quoique séparés, au profit commun de la foi et de la liberté, toutes les questions où l'on pourrait croire que la foi et la liberté se heurtent. Et pourquoi ? Parce que la vigueur, la fermeté des caractères nous fera forts, et lorsque nous serons forts, nous pourrons être justes. La justice suffit à un gouvernement de parti pour administrer de façon à satisfaire tous les intérêts de la patrie.

M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, l'élément nouveau que les dernières élections ont introduit dans la chambre a été, ces jours derniers, plusieurs fois mêlé à nos débats : il me semble juste et convenable qu'il y soit représenté et c'est à ce titre que je prends la parole.

L'honorable M. Dechamps a légitimement invoqué l'autorité du mouvement électoral, mais son appréciation a été combattue par l'honorable M. Orts, et déjà dans une séance précédente, M. le ministre des finances avait devancé le langage de l'honorable rapporteur de la commission d'adresse en reconnaissant, il est vrai, le sens et le caractère des dernières élections, mais en contestant en même temps toute valeur morale, toute force morale aux résultats de ces élections.

Voici en quels termes, M. le ministre des finances, répondant à l'honorable M. de Theux qui s'était applaudi de la régularité des dernières opérations électorales, s'exprimait dans la séance du 6 décembre :

« Vous avez obtenu certaines élections en votre faveur ; mais quelle a été l'attitude de ces élus avant leur élection ? Ils ont commencé par déclarer qu'ils n'étaient point de votre parti ; qu'ils ne relevaient de personne ; qu'ils étaient des candidats indépendants. »

(page 261) M. le ministre ajoutait : « Je constate simplement des faits, et la conséquence à tirer de ces faits, est la même que celle que je tirais contre la majorité de 1855, c'est-à-dire que si vous deveniez majorité dans de pareilles conditions, la force morale vous ferait complètement défaut vis-à-vis du pays. »

J'examinerai, messieurs, comment cet élément nouveau s'est présenté devant les électeurs ; je rechercherai quelle est la mission qu'il a reçue et qu'il a à remplir dans cette assemblée.

A coup sûr, nous n'avons pas songé à nous poser en candidats ministériels. Mais bien que l'on nous ait accusés sans détour de représenter ici la réaction, il n'est pas moins vrai que nous ne nous sommes pas proclamés candidats réactionnaires. Pour moi, je crois avoir donné assez de gages de respect et de dévouement pour les bases sur lesquelles reposent les libertés séculaires de mon pays, pour que cette accusation ne puisse m'atteindre.

Nous n'avons pas caché que nous étions conservateurs et je m'étonnerais volontiers qu'on pût nous en faire un reproche, puisque l'honorable M. Orts s'est vanté tout à l'heure d'être lui-même conservateur, et puisque la commission d'adresse a proclamé que la politique ministérielle était aussi conservatrice.

Nous disions également que nous étions partisans des progrès, et si la qualification de conservateurs pouvait provoquer quelque protestation, certes il n'en serait pas ainsi de ce titre d'amis du progrès que nous pouvons invoquer sans hésitation, puisque, pour emprunter encore le langage de la commission d'adresse, le progrès n'est qu'une marche continue et persévérante vers le bien.

Nous avons dit surtout que, libres de tout engagement, ne relevant que de notre conscience, nous étions des candidats indépendants, et c'est là le véritable caractère de l'élection de 1861.

L'honorable M. Dechamps parlait aujourd'hui d'un élément flottant qui forme la majorité dans les luttes électorales.

Cet élément, je voudrais le désigner autrement. Ce n'est pas un élément flottant, c'est un élément libre, peu accessible aux passions et aux entraînements, qui ne s'inspire pas des discussions de la Chambre, qui s'inspire encore moins des discussions de la presse, mais qui représente dans le pays cette masse honnête, probe et laborieuse qui se préoccupe avant tout des intérêts matériels, de l'économie dans la gestion des finances, des progrès de toute nature qui peuvent développer la prospérité publique, et qui oublie vite les discussions irritantes du passé, pour fixer toute son attention sur ce qui peut augmenter le bien du pays dans l'avenir.

Pour ma part, toutes les fois qu'en dehors des électeurs qui par leurs lumières sont appelés à prendre une part active au mouvement de la politique je me suis trouvé en présence de ces hommes dont je parlais tout à l'heure, simples, laborieux, actifs, bons citoyens, d'ailleurs, j'ai retrouvé dans leur langage le même appel à ce sentiment de patriotisme, de dévouement, d'abnégation personnelle, qui constitue l'indépendance parlementaire.

Et c'est ce sentiment qui entraînerait, selon M. le ministre des finances, l'abdication de toute force morale !

Pour moi, messieurs, j'y vois vis-à-vis des électeurs la première de toutes les garanties que l’on puisse apporter à l'exécution de leur mandat, et je ne puis en séparer cette force morale qui s'attachera toujours à un devoir consciencieusement rempli.

Ce sentiment d'indépendance, c'est l'intention bien nettement tracée, bien hautement proclamée, de juger le gouvernement sans aucune préoccupation de personnes, uniquement d'après ses actes, le soutenant dans tout ce qui est utile, le combattant ouvertement, mais loyalement, lorsque nous croyons qu'il s'égare.

Pour bien apprécier les situations parlementaires, il y a, messieurs, une grande distinction à faire.

La Chambre compte dans son sein des hommes qui ont siégé au congrès et qui depuis trente ans se sont trouvés constamment mêlés au mouvement des affaires publiques, qui ont eu à examiner plusieurs fois les mêmes questions et qui toujours ont cru devoir les résoudre de la même manière. Ces hommes liés, je ne dirai pas par leurs antécédents, mais par leur expérience, forment ici ce qu'on appelle quelquefois les partis, mais ce que je voudrais appeler plutôt les grandes opinions parlementaires. Le mot « parti » me répugne, il est trop petit, trop vulgaire : il vaut mieux élever les partis à la dignité des opinions.

Mais à côté de cet élément persistant, qui a sa place dans le parlement, et qui y tient une place légitime parce qu'il est le lien entre le passé et l'avenir, il y a au-dehors, dans le pays, un plus large horizon : c'est le mouvement de l'esprit public, c'est la libre appréciation portée par des hommes qui ne sont liés, ni par leurs antécédents, ni par des opinions déjà exprimées.

Eh bien, messieurs, c'est là un élément important dont il faut tenir compte.

Qu'a voulu la constitution lorsque, dans un de ses articles, elle a fixé à un terme de deux années le renouvellement partiel du parlement ? Ce qu'elle a voulu, messieurs, c'est que les majorités ne s'endormissent pas, ne s'égarassent pas dans les longues perspectives de leur durée.

Toutes les fois que les majorités ont régné longtemps, elles ont fini par devenir absolues et dominatrices. Elles se sont séparées peu à peu du pays, et c'est pour éviter ce péril que la constitution a sagement exigé que tous les deux ans le parlement se retrempât dans l'opinion publique.

Tout à l'heure, l'honorable M. Orts se plaisait à exposer la théorie des dissolutions. Je veux bien les admettre comme mesures extrêmes : elles ne sont légitimes, que lorsqu'elles sont rigoureusement nécessaires.

Mais à côté de ces situations exceptionnelles, il y en a d'autres qui sont régulières et normales : ce sont celles où le pays, dans le calme et dans ta modération, pèse les questions soulevées, les tendances du gouvernement, le caractère des majorités parlementaires, et se prononce par les voies constitutionnelles.

C'est ce qui est arrivé, et il faut préciser ce que le pays a voulu dans ces circonstances solennelles.

Ce n'est pas la réaction, à laquelle personne ne songe ; ce n'est pas l'obligation pour le ministère, qui conserve encore la majorité parlementaire, d'abdiquer une ligne de conduite déjà tracée. Mais ce qu'on a le droit de lui demander pour qu'il reste fidèle à sa mission constitutionnelle, c'est qu'il apprécie ce besoin de paix et d'ordre, de modération et de calme, et qu'il ne lui réponde pas en provoquant le trouble et l'irritation.

Le gouvernement n'est ici que la représentation du pays dans la direction de ses intérêts. Lorsque le pays parle par la voie constitutionnelle, il y a là un symptôme qu'il faut prendre en considération. J'espère que le gouvernement, plus impartial, plus modéré, s'inspirera de cette situation des esprits dans la marche qu'il a à suivre, et qu'après cette longue discussion où tant de points du projet d'adresse nous ont successivement alarmés, il se souviendra surtout des déclarations et des réserves par lesquelles il a cherché à détourner et à conjurer nos légitimes inquiétudes.

M. le président. - La parole est à M. de Theux.

M. de Theux. - Je désirerais qu'un orateur de la gauche la prît avant moi.

M. le président. - Il y a deux orateurs inscrits : MM. de Theux et Dumortier.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !

M. le président. - M. Dumortier, désirez-vous prendre la parole ?

M. B. Dumortier. - M. Guillery n'est-il pas inscrit ?

M. le président. - Il a renoncé à la parole.

- Plusieurs membres. - La clôture.

M. le président. - M. Dumortier, renoncez-vous à la parole ?

M. B. Dumortier. - Du tout ! du tout ! (Interruption.)

M. le président. - Vous avez la parole.

M. B. Dumortier. -Messieurs, ce n'est pas sans une étrange surprise que j'ai entendu, depuis deux jours, faire un exposé prétendument historique des partis en Belgique depuis 1830, exposé qui, à mon avis présente la contre-vérité historique la plus flagrante, la plus grave qu'il soit possible d'imaginer.

Ce n'est pas sans un étonnement profond que j'ai entendu M. le ministre des finances, par exemple, représenter le congrès comme il l'a fait, représenter le parti catholique ou conservateur, comme il l'a fait, c'est-à-dire d'une manière diamétralement opposée aux faits qui se sont passés depuis 1830.

Etranger aux luttes de pouvoir, indifférent à de pareilles questions, vous me permettrez, messieurs, à moi qui ne suis ici qu'un zouave de la liberté (longue interruption), vous me permettrez de vous dire ma pensée tout entière sur les faits dont on s'est occupé et de partir d'une époque quelque peu antérieure à notre glorieuse émancipation.

Par votre adhésion à l'expression dont je viens de me servir, il me semble que vous m'avez autorisé à vous présenter cette revue rétrospective.

Messieurs, pour bien comprendre la marche des événements depuis 1830, il faut voir quelle était la situation du pays immédiatement auparavant.

Le pays se composait de trois partis : le parti libéral patriotique, le parti libéral orangiste ou anticatholique et le parti catholique.

(page 262) A l'époque de la révolution, une fusion eut lieu : le parti libéral patriotique se réunit au parti catholique et forma ainsi l'Union qui donna au pays ses institutions.

Où était alors, messieurs, ce qu'on a appelé le parti libéral ; où était, du temps du congres, dont on a beaucoup parlé, où était le parti libéral qui aujourd'hui veut gouverner le pays ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il était dans le congrès.

M. B. Dumortier. - Il n'était pas dans congrès, vous le savez aussi bien que moi ; il était hors du congrès ; il conspirait contre le congrès.

C'était le parti orangiste anticatholique qui voulait jeter le congrès par les fenêtres ; c'était ce parti qui voulait ramener le régime du despotisme, le régime de persécution de toutes pensées religieuses quelles qu’elles fussent.

Dans les rangs du parti libéral, au sein du congrès, se trouvait une fraction excessivement minime, une fraction infinitésimale d'hommes qui voulaient la continuation du régime de lutte entre l'Eglise et l'Etat.

Sous le gouvernement de la maison d'Orange, cette fraction était représentée par un de vos amis, M. de Facqz, qui, un jour, dans cette même enceinte, vint poser au congrès national cette maxime qui, selon lui, devait être la base de la Constitution au point de vue des rapports de l'Eglise et de l'Etat : Il faut, disait-il, que l'Etat prime et absorbe l'élément religieux ! Voilà, messieurs, la maxime présentée alors par un des vôtres, par un des membres de l'opinion libérale dans le congrès national.

Eh bien, je dois rendre cet hommage à tous les libéraux patriotes de cette époque que cette maxime fut hautement répudiée par tous, et qu'elle ne trouva qu'un nombre infiniment petit d'adhérents au sein du congrès.

El pourtant, messieurs, c'est cette maxime répudiée alors qui sert aujourd'hui de base à tout notre édifice. Elle n'est pas ailleurs, je le démontrerai tout à l'heure.

Depuis 1830 jusqu'après la reconnaissance du pays par la Hollande, il n'y a pas eu de luttes de partis en Belgique ; ce n'est qu'alors que les luttes de partis recommencèrent.

Un des hommes qui crurent à la nécessité de ces luttes de partis, c'est l'honorable M. Devaux ; on se rappelle les beaux articles qu'il a publiés sur ce sujet dans la Revue Nationale, dans lesquels il déclarait itérativement que c'était la majorité catholique qui avait fait la Constitution et constitué le pays.

M. Devaux. - Jamais.

- un membre. - Le congrès était libéral.

M. B. Dumortier. - Est-ce que les catholiques ne sont point libéraux, n'aiment pas la liberté ? L'honorable M. Rogier était avec les catholiques entièrement.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Vous étiez avec M. Rogier.

M. B. Dumortier. - Il y a cette différence entre nous, que je suis resté dans les mêmes rangs, que je ne me suis pas joint aux ennemis de la Belgique. C'est alors que le parti qui avait sans cesse conspiré contre la Belgique se reconstituant comme parti intérieur, on vit des hommes qui avaient été dans nos rangs, nous quitter pour se placer dans les rangs du parti orangiste.

Votre politique est celle du roi Guillaume, l'oppression de la pensée religieuse. Vous n'êtes plus amateurs de la liberté, mais du despotisme, vous ne pourriez pas citer un seul vote de notre part contraire à la liberté, tandis que nous pourrions en citer plusieurs de la vôtre. (Interruption.)

Quand j'ai proposé de rendre aux conseils communaux la nomination des bourgmestres et échevins, mesure libérale incontestablement, vous l'avez répudiée ; vous n'avez pas pris ma proposition en considération.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Qui la leur avait enlevée ?

M. B. Dumortier. - C'est votre projet de loi. Vous le savez tous, la droite avait voté avec moi en 1851, et vous tous, libéraux, vous avez repoussé ce grand principe de liberté, principe qu'un de vos amis, M. Fontaine proclamait le plus salutaire qu'on puisse présenter dans un pays ; ce principe de liberté, vous l'avez tous repoussé.

Qu'a-t-on donc fait, que fait-on encore depuis huit jours des libertés religieuses ? Faites-vous autre chose que d'exprimer le désir de les réduire pour les remplacer par l'action du pouvoir ? N'êtes-vous pas venus déclarer malgré nous, que les biens de fabrique d'église sont des biens laïques ? Est-ce que personne ne comprend la portée de ces mots pour vos orateurs ? Il n'y a plus de liberté des cultes que pour ce qui concerne la parole, le dogme ! Vous voulez absorber les biens des fabriques, les cimetières, les temples, la maison de Dieu ! (Interruption.)

Vous l'avez voté en disant que les biens affectes au temporel des cultes sont laïques.

M. Orts. - Les églises appartiennent aux communes !

M. B. Dumortier. - Les églises n'appartiennent pas aux communes, elles sont la même propriété que tous les biens des fabriques d'église.

M. Orts. - Les églises appartiennent aux communes.

M. Nothomb. - Pas si vile ; la question est très controversée. On décide même généralement en faveur des fabriques.

M. Orts. - Vous vous trompez, vous confondez avec les cimetières.

M. Nothomb. -Du tout. C'est vous qui êtes dans l'erreur, consultez les auteurs.

M. B. Dumortier. - Vous avez beau vouloir vous en défendre ; vous avez déclaré que tous les temples étaient des biens laïques.

En conséquence de votre décision, l'Etat doit s'emparer de toutes les églises. Votre liberté c'est du despotisme, c'est l'oppression de la conscience des autres. (Interruption.)

Vous l'avez entendu, la définition est claire ; pour vous il n'y a de liberté des cultes que pour tout ce qui est parole, pensée, prêche, administration des sacrements, c'est-à-dire, ce que vous ne pouvez atteindre ; voilà le domaine de la liberté des cultes.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Prenez le dictionnaire de l’Académie.

M. B. Dumortier. - Pas du tout.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est très exact.

M. B. Dumortier. - Eh bien, M. Tesch, si vous interprétez ainsi d'une manière aussi judaïque la liberté des cultes, que diriez-vous si j'en faisais autant pour la liberté de la presse ? En quoi consistera alors la liberté de la presse ? Dans la liberté de faire aller un instrument. Voilà où vous arrivez avec votre manière d'expliquer la liberté des cultes, vous sacrifiez tontes les libertés avec votre système d'asticotage et d'épluchage de texte. La liberté des cultes, c'est la liberté de croire en Dieu, et la liberté de la presse, c'est la liberté de faire aller une presse. Vous le voyez, vos définitions deviennent ridicules. Il faut prendre la constitution comme elle a été faite avec largeur, avec grandeur, non avec des vues étroites d'oppression, de persécution.

Voilà pourquoi il nous est impossible de prêter notre concours à un gouvernement qui arrive avec de telles maximes.

Quelle est aujourd'hui votre situation ? Vous êtes appauvris par deux élections successives, vous êtes faibles, et parce que vous êtes devenus faibles, vous êtes violents. Ce que vous avez perdu en nombre, vous voulez le reconquérir en force et en violence, voilà la position où vous êtes ; vous n'en sortirez pas ; vous abandonnez votre programme, vous prenez celui des adversaires que vous combattiez hier. En effet, le parti libéral n'est pas si homogène que vous le pensez, les pérégrinations de M. Orts, quand il a quitté l'Alliance pour aller chez M. Dolez, et quitte M. Dolez pour retourner à l'Association libérale, ont bien prouvé qu'on n'est pas inféodé à une pensée, que votre parti n'est pas inféodé à une direction au point de la suivre éternellement comme vous le pensez. Mais en vous jetant dans les extrêmes, savez-vous le résultat que vous allez nécessairement amener ? Vous allez reconstituer un centre gauche ; les gens modérés refuseront de vous suivre sur ce terrain violent et persécuteur que vous considérez comme votre planche de salut.

Arrivez avec vos lois anticatholiques, vous verrez se reproduire la scission que vous avez provoquée quand vous avez fait de la réaction, des hommes modérés de votre parti se sont séparés de vous, et vous avez eu l'indignité de les appeler transfuges, quand ils ne faisaient que suivie le cri de leur conscience. Les membres du parlement doivent être libres, c'est à eux d'indiquer la route aux passants, et quand ils trouvent que vous allez trop loin, que vous faites fausse route, ils ont non seulement le droit, mais le devoir de vous dire que vous allez trop loin et de vous quitter.

Ils l'ont fait, ils le font encore.

Mais j'entends qu'on qualifie l'opinion conservatrice de réactionnaire ; l'opinion conservatrice n'a fait que des actes de réaction.

Messieurs, il y a deux espèces de réaction : il y a la réaction qui nous ramène vers 1789, mais il y a aussi la réaction qui voudrait nous ramener vers 1828. La réaction vers 1789, nous n'avons pas à la craindre ; personne au monde ne la voudrait. Mais la réaction vers 1828, celle-là est à craindre, parce qu'elle a pour elle tous les hommes animés de mauvaises passions.

Vous parlez d'esprit de réaction de la part du parti conservateur ! Mais comment ? Je me rappelle encore ce fameux programme du (page 263) congrès libéral, dans. lequel il nous disait qu'il aurait supprimé les lois réactionnaires. Eh bien, vous êtes arrivés au pouvoir : quelles sont les lois réactionnaires qui ont été supprimées ?

La plupart des lois auxquelles vous faites allusion, je les ai moi-même combattues, non parce qu'elles tuaient la liberté, mais parce qu'elles ne donnaient pas assez d'essor à la liberté. Mais vous qui arriviez au nom de la suppression des lois réactionnaires, quelle loi avez-vous supprimée ? Votre grand grief des lois réactionnaires, qu’est-il devenu ? Vous avez apporté une modification à la loi relative à la nomination des bourgmestres en dehors du conseil. Vous avez dit que ces nominations se feraient sur l'avis conforme de la députation permanente au lieu de dire : sur l'avis de la députation permanente. Voilà toutes les lois réactionnaires que vous avez supprimées.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et la loi du fractionnement ?

M. B. Dumortier. - La loi du fractionnement, mais il n'est pas de loi au monde plus favorable à la liberté. Mais, sans la loi du fractionnement, vous savez fort bien que plusieurs de vos amis, comme M. Barthels et autres, ne seraient jamais entrés au sein du conseil communal.

Mais si le fractionnement est une mauvaise chose, pourquoi donc ne faites-vous pas un seul corps électoral de toute la Belgique ? Est-ce que vos élections ne sont pas du fractionnement ? En Angleterre, il n'y a pas un conseil communal qui ne soit élu par le fractionnement. Il n'est pas de corps électoral où le fractionnement soit poussé plus loin qu'en Angleterre ; et cela se conçoit ; car sans le fractionnement, il n'y a pas de liberté pour l'électeur. Le fractionnement, c'est une mesure de liberté par excellence.

Quand le gouvernement anglais est venu présenter la loi sur les communes, il y a vingt-cinq ans, ce sont les radicaux de la Chambre, et mon honorable ami M. Hume, dont nous déplorons la perte, qui sont venus demander l'extension beaucoup plus forte du fractionnement, parce que, sans un fractionnement poussé très loin, il n'y a pas de liberté électorale. En effet, quelle influence peut avoir votre vote, s'il est noyé dans 5 ou 10 mille autres ?

Qu'on ne parle donc pas de la loi du fractionnement, car c'était une loi de liberté. Vous avez pu la faire retirer en la présentant sous un autre caractère, mais bien certainement c'était une loi de liberté.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Pourquoi ne l’avez-vous pas défendue ?

M. B. Dumortier. - Je n'étais pas ici, sans cela je l’aurais défendue.

Mais vous n'avez pas trouvé à défaire une seule loi prétendument réactionnaire de la droite ; je le répète, vous n'avez trouvé qu'à ajouter un mot à la loi qui permet la nomination du bourgmestre en dehors du conseil.

Voilà à quoi vous avez dû borner le retrait de ces prétendues lois réactionnaires du parti catholique.

Mais le jour où notre parti reviendra au pouvoir, j'espère bien qu'alors il aura autrement d'ouvrage en matière de lois réactionnaires. Il aura alors à tailler, rien ne sera plus facile que d'inaugurer un régime de suppression de lois réactionnaires, et il pourra faire une loi magnifique ainsi formulée :

« Voulant supprimer les lois réactionnaires qui pèsent sur le pays, l’article qui a changé la loi communale relativement à la liberté de la charité, est abrogé ; les dispositions du code sur la liberté de la chaire sont abrogées ; les dispositions sur tel et tel point sont abrogées ; les dispositions que vous allez prendre sur les bourses d'études et sur le temporel des cultes, sont abrogées. »

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et les couvents.

M. B. Dumortier. - Les couvents ! je sais que c'est votre lanterne. Vous avez élevé la voix en leur faveur, et, Dieu merci, on sait dans quelles circonstances et en quels termes ! Vous voulez en faire un épouvantail, mais que venez-vous de dire vous-mêmes ? Vous venez de dire que vous permettiez à chacun de vivre sous un régime de liberté. Est-ce qu'en Belgique on n'est pas libre de vivre comme on le veut ?

Qui donc, messieurs, a osé retirer les articles du code pénal, contre la liberté de la presse ? N'est-ce pas votre ministère, ce ministère si libéral qui n'a jamais touché à aucune liberté, qui avait présenté ces articles qu'il a fallu retirer au second vote ? N'est-ce pas de vos mains qu'ils sortent ? Et vous vous dites des hommes de liberté ! Mais si ces articles avaient passé, si par hasard on ne s'en était pas aperçu, c'était encore une de ces mesures que l'on aurait dû rappeler comme loi réactionnaire.

Et dans la question d'enseignement qu'avez-vous fait ? Mais n'est-ce pas une chose constante que vous cherchez à anéantir la libellé d'enseignement par tous les moyens possibles ? (Interruption.)

Ce que vous faites, je vais vous le dire ; vous cherchez à refaire la constitution par des lois organiques et par des arrêtés. Voilà votre système.

Ce système, c'est l'inconstitutionnalité la plus complète qu'on puisse imaginer. Vous voulez refaire la constitution par des lois. C'est à la constitution elle-même que vous déclarez la guerre. La liberté n'est pour vous qu'un moyen dont vous voulez quand elle vous sert et que vous brisez lorsqu'elle ne vous sert plus, parce que votre système, c'est d'avoir la liberté pour vous et l'asservissement pour les autres.

M. Orts. - M. de Montalembert a dit que c'était le vôtre.

M. B. Dumortier. - Oh ! je sais bien que vous me rappelez toujours ces mots de mon honorable ami M. le comte de Montalembert : La liberté comme en Belgique. Il les a effectivement écrits en 1851. Mais les écrirait-il encore aujourd'hui ? Répondez.

M. Orts. - Ce n'est pas là ce que j'ai dit. J'ai rappelé que M. de Montalembert avait dit que c'était vous qui vouliez la liberté pour vous et l'asservissement pour les autres.

M. B. Dumortier. - Jamais.

M. Orts. - Il l'a dit eu toutes lettres à l'adresse de l'Univers.

M. B. Dumortier. - Est-ce là de la bonne foi ? C'est toujours le même système.

On veut rendre le parti conservateur responsable d'articles de journaux et de journaux étrangers au pays. Il s'imprime en France un journal, et nous qui sommes ici, siégeant dans cette Chambre, qui ne le connaissons pas, qui ne le lisons même pas, nous serions rendus responsables de ce que ce journal dirait ! Mais est-ce que nous vous rendons responsables de toutes les injures, de toutes les avanies qui se trouvent dans vos journaux ? Est-ce que, par hasard, lorsque des horreurs, des infamies étaient publiées contre un homme dont je m'honore être l'ami, pour lequel un grand nombre d'entre nous professent une vive sympathie, M. le comte Xavier de Mérode, nous n’avons jamais pensé à vous rendre responsables de semblables indignités ? Respectez donc vos collègues et ne leur imputez pas ce que vous ne voudriez pas que l'on vous imputât à vous-mêmes.

Messieurs, je vous disais tout à l'heure qu'aujourd'hui le ministère devenait violent, parce que la majorité le quittait. Quelles sont alors les conséquences du système actuel ? Ces conséquences, les voici : c'est d'écarter des emplois publics toutes les personnes qui n'ont pas donné des gages électoraux ; c'est de faire des emplois publics un instrument pour les élections. Eh bien, je dis que c'est là la corruption électorale la plus grande qui soit possible d'imaginer.

Qu'est-ce, après tout, que le ministère vis-à-vis du pays ? C'est l'instrument du pays, et il doit être jugé par lui. Or, s'il veut corrompre le corps qui doit le juger, il n'y a plus de jugement possible, et vous n'avez plus de représentation du pays. Ce n'est plus la représentation du pays que vous avez, c'est la représentation du ministère.

Eh bien, vous ne voyez partout que nominations faites exclusivement dans une vue électorale. On fait du pouvoir fort, on fait du pouvoir violent pour se maintenir, pour s'accrocher à son portefeuille.

Et les destitutions ? N'est-ce pas encore le ministère libéral qui a introduit le système destitutionnel ? N'est-ce pas lui qui a commencé par destituer tous les fonctionnaires qui ne lui convenaient pas !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Depuis M. de Stassart jusqu'à M. Tielemans.

M. B. Dumortier. - On a fait avant vous une ou deux destitutions, mais vous avez fait, vous, de véritables razzias et par le fait de ce système ministériel qui n'est que le retour à celui de 1828, la Belgique se trouve aujourd'hui divisée en vainqueurs et vaincus ; les vainqueurs ont toutes les places, tous les honneurs, et toutes les avanies sont réservées aux vaincus.

Voilà la véritable situation dans laquelle vous mettez le pays, et croyez-le bien, un pareil système ne peut pas dîner. Tout ce qui repose sur la violence est éphémère et votre régime ne durera pas.

M. de Theux. - L'honorable ministre des finances a dit que tous les griefs que j'ai articulés ne s'adressaient pas au cabinet, qu'il y en avait une grande partie qui s'adressaient à l'opinion libérale en général. Ce que j'ai surtout reproché au ministère, messieurs, c'est d'être un gouvernement de parti.

L'honorable ministre des finances me dit : Mais il n'y a pas de gouvernement représentatif possible dans gouvernement de parti.

Je conviens que le cabinet, choisi dans la majorité, subit plus ou moins l'impulsion de la majorité, mais le fait du cabinet actuel n'est (page 264) point tel, son fait est d'imposer à la majorité de son opinion une politique extrême qui n'est pas dans le sens vrai du pays libéral.

L'honorable ministre s'est beaucoup étendu sur la question des couvents. Il a rappelé ce qui s'est passé au Congrès. Il a parlé de quelques actes posés par le gouvernement.

Eh bien, messieurs, au congrès l'idée d'accorder la personnification civile à certains couvents destinés à l'instruction des indigents et au soulagement des diverses misères qui assiègent l'humanité, cette idée n'a pas été repoussée.

Lu vérité est qu'on n'a pas pu tomber d'accord dans cette discussion et que pour y mettre une trêve on a abandonné la solution de la question aux lois à intervenir ultérieurement.

Je conviens avec l'honorable ministre qu'on ne pourrait, dans ce moment où il existe beaucoup de préventions, établir pour des corporations religieuses le droit de posséder des biens même dans certaines limites ; mais dans certains pays qui, il faut en convenir, sont bien aussi avancés que le nôtre, de semblables dispositions ne rencontrent pas de difficultés ; ainsi en France les frères de la doctrine chrétienne et d'autres corporations d'hommes ainsi que des corporations de femmes ont obtenu par la loi ou en vertu de la loi la qualité de personnes civiles.

Pour ne citer qu'une corporation de femmes je dirai que les filles de la Sagesse avaient déjà en 1857, 2,500 religieuses, presque toutes employés dans les établissements communaux, et je n'ai pas entendu dire que cet état de choses inspirât tant d'horreur, tant de répulsion ; au contraire, on a apprécié les services que les classes pauvres pourraient obtenir de ces corporations, et les institutions de ce genre sont parfaitement acceptées dans les mœurs publiques de la France.

Mais, messieurs, les actes qu'on nous a reprochés, avaient-ils ce caractère ? Nullement. De quoi s'est-il agi ? D'autoriser par-ci, par-là, comme on l'avait fait sous le gouvernement impérial et surtout sous le gouvernement des Pays-Bas, l'établissement, avec le caractère de personne civile, d'une congrégation de sœurs hospitalières, et nous avons cru que puisque la constitution avait proclamé la liberté d'enseignement, il n'y avait aucun empêchement légal à ce qu'une communauté hospitalière chargée du soin des malades ouvrît aussi une école pour les indigents.

Cette opinion était partagée par les députations permanentes, car aucun arrêté relatif aux sœurs hospitalières n'a été porté que d'après l'avis conforme des députations permanentes des conseils provinciaux.

Il est vrai, messieurs, que la validité de quelques legs faits à de semblables congrégations a été contestée par la famille intéressée et que les biens légués ont été adjugés par les tribunaux à la famille ; mais est-ce la première fois que pareille chose arrive ?

On a cru un moment que, par suite de la constitution et du décret du gouvernement provisoire, les sociétés anonymes n'avaient plus besoin de l'autorisation du gouvernement ; a-t-on considéré comme une monstruosité que, sous l'empire de cette idée, des sociétés anonymes se soient constituées de leur propre chef ?

Autre exemple. La question de savoir si le duel était punissable aux termes du code pénal, résolue si souvent négativement, a fini par être résolue affirmativement.

La cour de cassation de France a fait revenir les tribunaux de leur jurisprudence. Quant à moi je le dis sincèrement, j'étais convaincu de mon droit, et il n'est pas encore démontré que je fusse dans l'erreur. Seulement, en fait, il y a eu des jugements portés, et je les respecte.

Le projet présenté par l'honorable M. Nothomb en 1856 n'avait point, comme l'a dit M. le ministre des finances, quant aux hospitalières, pour objet d'interpréter d'une manière rétroactive la disposition qui autorisait formellement les associations hospitalières à donner aussi l’enseignement aux pauvres, c'était une disposition pour l'avenir.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est une erreur.

M. de Theux. - Je m'en suis informé auprès de l'auteur même du projet de loi, et il m'a dit que la disposition s'appliquait exclusivement à l'avenir.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le texte est là ; il n'y a pas de commentaire possible.

M. de Theux. - L'auteur doit connaître la loi qu'il a présentée.

L'honorable ministre des finances nous a fait hier l'éloge de la générosité dont il a fait preuve lorsque, en 1849, il a changé le mode de nomination du jury d'examen pour les grades universitaires ; il a dit que nous eussions été écrasés si l'opinion libérale l'avait voulu, puisqu'elle était en majorité.

Eh bien, messieurs, s'il fallait opter aujourd'hui même entre l'ancien système de nomination des jurys d'examen, et entre le projet d'attribuer pour toujours au gouvernement le droit de composer à sa fantaisie le jury d'examen, je n'hésiterais pas à donner la préférence à la loi de 1835. La raison en est bien simple. La majorité parlementaire de la Chambre subit l'influence de l'opinion publique. De là des garanties considérables. Mais en pratique, du reste, cette loi de 1835, n'a lésé aucun intérêt, tes hommes les plus considérables par leur position sociale, par leur caractère, ont fait partie du jury d'examen et leur impartialité n'a pas été mise en question.

De tous les établissements, c'était évidemment l'université libre qui était le moins représentée par la nature des cours qui étaient représentés dans le jury, mais cette université avait un avantage immense. C'était d'avoir le siège du jury à Bruxelles même, sous le contrôle des professeurs, sous le contrôle des élèves et sous le contrôle de la presse.

Il y avait donc là une compensation suffisante et qui n'a pas donné lieu à des plaintes légitimes.

L'honorable ministre des finances s'est étonné de ce que nous n'ayons pas partagé ses sympathies pour le gouvernement du Piémont, notamment quant à ses vues d'annexer les Etats romains.

En cela nous devrions vouloir la liberté comme en Belgique.

Quand les Etats romains modifieront leur constitution, nous n'aurons pas à nous en occuper ; mais nous qui tenons à l'indépendance du chef spirituel du culte, nous ne pouvons désirer qu'il devienne le sujet du roi d'Italie, ni y prêter la main d'une manière quelconque.

Voilà toute la question en ce qui concerne l'Italie.

Messieurs, l'ensemble des faits que j'ai cités hier m'a déterminé à déclarer que je n'émettrais pas un vote de confiance.

Je résume ainsi la conduite du gouvernement :

La domination par le pouvoir et non par la liberté.

Je crois, au contraire, que le jeu national de nos institutions, la pensée intime du congrès est le développement du sentiment national, par la liberté et le gouvernement conforme au développement de ce sentiment.

Voilà, messieurs, comment j'ai compris la politique du congrès et je suis convaincu que telle était, dans toutes les dispositions de la Constitution, le fonds de sa pensée.

Le Moniteur me fait dire aujourd'hui que les diverses libertés votées par le congrès ont été les causes de nos divisions ; c'est une erreur. Je n'ai pas revu mon discours avant l'impression ; je tiens à déclarer que j'ai dit le contraire. J'ai dit que ces diverses dispositions de la constitution ont été les causes principales des divisions.

Il y a des divisions dans les gouvernements absolus comme dans les gouvernements représentatifs, mais elles sont bien plus dangereuses dans les gouvernements absolus, parce que ces gouvernements n'étant pas éclairés par les discussions peuvent se tromper sur la nature et l'importance de ces divisions.

Je dis aussi que dans les régimes représentatifs, moins le gouvernement absorbera d'attributions, moins il se mêlera de questions de parti, plus il sera fort, c'est là le résultat de la constitution et de nos libertés.

Au contraire, plus il se mêlera de questions de parti, plus il étendra ses attributions à des objets qui touchent à la liberté des opinions et au résultat des sentiments libres du pays, plus sa responsabilité deviendra grande, et c'est ce que je ne veux pas.

- Plusieurs membres. - Aux voix !

M. le président. - Messieurs, vous avez compris dans une même discussion les deux paragraphes. La Chambre est-elle d'intention de les voter en même temps ?

- Plusieurs voix. - Oui ! oui !

- D'autres voix. - L'appel nominal !

Il est procédé à l'appel nominal.

98 membres y prennent part.

56 membres répondent oui.

42 membres répondent non.

- En conséquence, les paragraphes sont adoptés.

Ont répondu oui : MM. Braconier, Crombez, Cumont, Dautrebande, de Baillet-Latour, de Boe, de Breyne, de Bronckart, de Brouckere, Dechentinnes, de Florisone, De Fré, de Gottal, de Lexhy, de Moor, de Paul, de Renesse, de Ridder, Devaux, de Vrière, Dolez, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, M. Jouret, Lange, Laubry, C. Lebeau, J. Lebeau, Lesoinne, Moreau, Mouton, Muller, Orban, Orts, Pirmez, V. Pirson, Prévinaire, Rogier, Sabatier, Savart, Tesch, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Volxem, Allard et Vervoort.

Ont répondu non : MM. Beeckman, Coppens-Bove, Debaets, Dechamps, de Decker, de Haerne, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Montpellier, de Naeyer, de Pitteurs-Hiegaerts, de Ruddere de Te Lokeren, (page 265) de Smedt, de Terbecq, de Theux, B. Dumortier, H. Dumortier, d’Ursel, Faignart, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, le Bailly de Tilleghem, Magherman, Mercier, Moncheur, Nothomb, Rodenbach, Royer de Behr, Tack, Thibaut, Van Bockel, Vanden Brandon de Reeth, Vander Donckt, Van Overloop, Van Renynghe, Verwilghen, Vilain XIIII et Wasseige.

Second vote des paragraphes

M. le président. - Nous allons, si la Chambre y consent, passer immédiatement au second vote.

- Plusieurs voix : Oui ! oui !

- Les modifications introduites au premier vote aux paragraphes premier et 4 sont définitivement adoptées.


M. le président. - Vient maintenant l'amendement introduit au paragraphe 12 et qui est conçu en ces termes :

« Nous espérons que le gouvernement prendra des mesures pour faire droit aux réclamations relatives à la langue flamande et reconnues fondées. »

M. E. Vandenpeereboom. - Je veux indiquer la rectification que vous venez déjà de faire vous-même, M. le président, en donnant lecture de l'amendement.

Dans la première rédaction on avait dit : « faire droit aux réclamations articulées relativement à la langue flamande, etc. » Or, il faut dire : « aux réclamations relatives à la langue flamande, etc. »

C'est l'amendement que j'avais formulé dans la séance du 4 décembre.

M. le président. - On avait formulé l'amendement en ces termes : «... relativement à la langue flamande... » tandis que le texte est : « les réclamations relatives à la langue flamande. » La phrase est donc conçue comme suit :

« Nous espérons que le gouvernement prendra des mesures pour faire droit aux réclamations relatives à la langue flamande et reconnues fondées. »

- Le paragraphe ainsi rédigé est adopté.


M. le président. - Au paragraphe 22 la Chambre a voté la suppression des mots « mais aux idées de réaction comme » dans cette phrase :

« Une politique progressive mais étrangère aux idées de réaction somme à l'esprit d'aventures, etc. »

- Cette suppression est mise aux voix et définitivement prononcée.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble de l'adresse.

98 membres y prennent part,

56 adoptent.

42 rejettent.

En conséquence, la Chambre adopte.

Ont répondu oui :

MM. Braconier, Crombez, Cumont, Dautrebande, de Baillet-Latour, de Boe, de Breyne, de Bronckart, de Brouckere, Dechentinnes, de Florisone, De Fré, de Gottal, de Lexhy, de Moor, de Paul, de Renesse, de Ridder, Devaux, de Vrière, Dolez, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, M. Jouret, Lange, Laubry, Ch. Lebeau, J. Lebeau, Lesoinne, Moreau, Mouton, Muller, Orban, Orts, Pirmez, V. Pirson, Prévinaire, Rogier, Sabatier, Savart, Tesch, Alphonse Vandenpeereboom, Ernest Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Volxem, Allard et Vervoort.

Ont répondu non : MM. Beeckman, Coppens-Bove, Debaets, Dechamps, de Decker, de Haerne, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Montpellier, de Naeyer, de Pitteurs-Hiegaerts, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel, Faignart, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, le Bailly de Tilleghem, Magherman, Mercier, Moncheur, Nothomb, Rodenbach, Royer de Behr, Tack, Thibaut, Van Bockel, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Overloop, Van Renynghe, Verwilghen, Vilain XIIII et Wasseige.


Il est procédé au tirage au sort d'une députation de onze membres qui, avec M. le président de la Chambre, sera chargée de présenter l'adresse à S. M. le Roi.

Le sort désigne, MM. Goblet, de Baillet-Latour, Mercier, de Ruddere de Te Lokeren, de Theux, de Florisone, Devaux, Allard, de Vrière, Jacquemyns et Orban.

Rapport sur une demande en naturalisation

M. Van Volxem. - J'ai l'honneur de présenter un rapport fur une demande de naturalisation ordinaire.

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

La séance est levée à 4 heures et demie.