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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 10 décembre 1861

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862>)

(page 194) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Boe, secrétaire, lit le procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone, secrétaire, présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Le sieur Caling, gendarme pensionné, demande une augmentation de pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Nonnon, secrétaire communal à Herbeumont, demande un secours. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Houtain-Saint-Siméon demande une loi qui fixe le minimum des traitements des secrétaires communaux. »

« Même demande de l'administration communale de Maldeghem. »

- Même renvoi.


« L'administration communale de Selzaete prie la Chambre d'autoriser la concession d'un chemin de fer de Gand à Selzaete et de donner la préférence au tracé par la rive gauche du canal de Terneuzen. »

M. Kervyn de Volkaersbeke. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport. »

- Cette proposition est adoptée.


« Des bateliers à Antoing, patentés pour l'année entière, se plaignent d'avoir dû prendre des patentes supplémentaires pour exportation de minerais de fer et demandent le remboursement des frais auxquels ces patentes supplémentaires ont donné lieu. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Vanheers demande que, dans tous les locaux où les corps constitués tiennent séances publiques, il y ait des places réservées aux journalistes. »

- Même décision.


« Des décorés de l'ordre militaire de Léopold prient la Chambre d'apporter à la loi du 11 juillet 1853, une modification ayant pour but d'augmenter le taux de la pension dont jouissent quelques décorés de cet ordre. »

- Même décision.


« Les commis greffiers du tribunal de première instance de Gand demandent une augmentation de traitement. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la justice.


« Le sieur Pierre-Joseph Vandenbogaert, négociant à Exaerde, né à Weert (partie cédée du Limbourg), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« L'administration communale de Bertrix demande la construction d'un chemin de fer de Bastogne à Sedan par Longlier, Orgeo, Bertrix, Mortehan et Rouillon. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil de Ferrières demande la construction d'une route d'Orthenville au point d'arrêt de Ferrières. »

« Même demande du conseil communal d'Ortho. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du budget des travaux publics.


« Les employés du commissariat de l'arrondissement de Philippeville prient la Chambre de voter au budget de l'intérieur la somme nécessaire pour améliorer leur position. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.


« Un grand nombre de propriétaires à Anvers et dans les environs demandent la réforme de la législation sur les servitudes militaires. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion relative aux pétitions concernant les servitudes militaires.


« M. le ministre de l'intérieur fait hommage à lu Chambre d'un exemplaire du premier volume de la deuxième série des Annales des Universités de Belgique. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« Le collège des bourgmestre et échevins de la ville de Mons fait hommage à la Chambre de deux exemplaires du rapport fait au conseil communal de cette ville en exécution de l'article 70 de la loi du 30 mars 1836. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des facteurs de postes à Waremme demandent une augmentation de traitement. »

« Même demande de facteurs de postes à Thielt. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du budget des travaux publics.


« MM. Nélis, Vanden Branden de Reeth et Van Leempoel demandent un congé de quelques jours. »

- Accordé.


« M. le ministre de l'intérieur informe la Chambre qu'un Te Deum sera célébré le 16 décembre prochain, à midi, en l'église des Saints Michel et Gudule, à l'occasion de l'anniversaire de la naissance du Roi. »

M. le président. - La Chambre entend-elle y assister en corps ?

- De toutes parts. - Oui ! oui !

M. le président. - Il est donc décidé que la Chambre assistera en corps à ce Te Deum.

Rapport sur des demandes en naturalisation

M. de Paul. - J'ai l'honneur de présenter divers rapports sur des demandes de naturalisation ordinaire.

- Ces rapports seront imprimés et distribués.

Ordre des travaux de la chambre

M. de Renesse. - Par suite de la longue discussion de l'adresse en réponse au discours du Trône, il se trouve que l'ordre du jour de la Chambre est très chargé ; il y a des projets de loi qui doivent être nécessairement votés avant le congé que la Chambre a l'habitude de prendre vers la fête de Noël, surtout les budgets des voies et moyens, de la dette publique, des dotations et autres.

J'ai donc l'honneur de proposer à la Chambre do se réunir, à dater de demain, à une heure[de l'après-diner, pour pouvoir terminer les travaux à l'ordre du jour.

- La proposition de M. de Renesse est adoptée.

Projet d’adresse

Discussion des paragraphes

Paragraphe 18

M. le président. - La parole est continuée à M. De Fré.

M. De Fré. - Messieurs, en soutenant devant vous la réforme du décret sur les fabriques d'église, nous demandons, pour le clergé, le droit commun.

Dans la séance de samedi, j'ai eu l'honneur de vous démontrer que, vis-à-vis de l'autorité civile, le clergé jouit d'un véritable privilège. Je vous ai fait voir que ce privilège donne lieu à des abus, que ces abus avaient été signalés de toute part, non seulement au gouvernement, mais encore au parlement belge.

Ce qu'il y a d'étonnant dans ce débat, messieurs, c'est que l'on n'admette pas que tous les citoyens belges soient dans le droit commun. En s'opposant à la réforme du décret de 1809, on veut maintenir au profit des fabriques d'église, au profit du clergé, un véritable privilège : le droit de demander de l'argent aux communes sans l'obligation de leur rendre compte de l'emploi qui en est fait.

Le parti libéral, dans ce débat, soutient le droit commun. La gauche parlementaire soutient le droit commun. Ce que la droite soutient sous prétexte que les biens du clergé sont menacés, ce que la droite soutient c'est le privilège du clergé ; de sorte que dans ce débat la question est bien indiquée et les deux partis sont bien tranchés : d'un côté les défenseurs du droit commun, de l'autre côté les défenseurs du privilège.

Quand je consulte l'ancien droit belgique, quand je vois les placards de nos souverains, je trouve que ce que nous voulons ici, les anciens souverains l'ont exigé des fabriques d'église ; sous l'ancien régime, on exigeait ce qu'en 1861 nous exigeons.

On lit dans les placards des Flandres une ordonnance du conseil des Flandres du 23 juin 1646 dont voici le texte :

« Comme il est venu à la connaissance du conseil que, dans les diocèses de Gand, grand nombre d'abus ont été découverts dans l'administration et la récolte des biens d'église, tables du Saint-Esprit, biens des pauvres... la cour a ordonné que... et que le rendant compte fera de plus serment dans les mains du bailli, écoutète ou autre principal officier... et de produire leur compte.,, chaque année. »

(page 195) Ce qui s'est passé en 1646 se reproduit par un autre placard en 1654, et plus tard en 1699, par un décret de Charles II, du 3 juin de cette année. Quelle était l'autorité qui parlait ainsi ?

C'était cette autorité souveraine, pour laquelle vous avez tant de sympathie, la maison d'Espagne et la maison d'Autriche. Cette autorité exigeait ce que les libéraux belges de 1861 demandent, dans l'intérêt de la justice, dans l'intérêt d'une bonne administration publique.

Vous êtes donc mal venus en venant parler ici de « mainmise » nationale, en ayant l'air de dire que les biens du clergé sont menacés, que les prêtres eux-mêmes sont menacés dans leur liberté, le jour où nous voulons ce que l'Etat catholique d'avant 89 avait formellement décrété.

Ce que nous demandons est donc conforme aux traditions de notre pays.

Maintenant, quand je me demande pourquoi la droite et pourquoi la presse catholique soutiennent, dans ce débat un privilège que l'administration antérieure à 1789 trouvait exorbitant, j'en trouve l'explication dans la conduite du clergé à l'égard de la droite. Le clergé est un grand levier dans les élections politiques, le clergé vous aide à triompher contre les libéraux et c'est par un sentiment de reconnaissance que vous soutenez, ici, ses privilèges. Voilà l'explication de votre conduite.

Serait-il possible que vous fussiez plus catholiques que tous les souverains catholiques qui gouvernaient la Belgique ?

Vous êtes liés envers le clergé par un sentiment de reconnaissance.

Il vous tient parce qu'il sait les services qu'il vous rend et il vous en demande la récompense. Voilà comment j'explique, à l'occasion de la réforme dont s'agit, ces craintes exagérées, cette opposition si peu réfléchie.

Messieurs, permettez-moi de vous le dire, la vérité n'est pas toujours agréable à entendre ; mais il faut bien que je vous la dise.

Oui, j'ai trop bonne opinion de votre intelligence, j'ai trop bonne opinion de vos connaissances juridiques et historiques pour admettre que, sans cette cause vous viendriez soutenir ici les hérésies politiques et historiques que vous y soutenez. Vous avez l'air de croire, lorsqu'on demande une gestion intelligente, une gestion équitable dans l'intérêt de la société tout entière, que nous voulons porter atteinte, soit à la liberté du clergé, soit à la liberté des cultes. Je vous le répète, votre intelligence est une preuve pour moi que vous ne tiendriez pas un pareil langage si vous n'étiez pas liés par ce sentiment de reconnaissance dont je viens de vous parler, si l'on n'exigeait pas ici de vous cette dette de reconnaissance pour les services signalés que le clergé vous rend dans les élections politiques. Et vous lui devez quelque chose ; vous lui devez cette reconnaissance.

L'honorable M. Wasseige fait un signe affirmatif, et je suis parfaitement d'accord avec lui.

M. Wasseige. - Ce n'était pas à votre discours que je faisais un signe affirmatif, mais à une réflexion de l'un de mes amis. Je suis enchanté de fixer si attentivement votre vue, j'en suis très flatté.

M. De Fré. - Messieurs, le décret de 1809 a donné lieu à des abus déplorables. Il a servi de prétexte pour créer des fondations, pour permettre à des fabriques d'église d'acquérir des cimetières. Il y a eu, sous la pression du clergé, des ministres qui ont porté des arrêtés royaux en violation de tous les principes qui font la sécurité et la gloire de la société moderne.

Sous l'empire de notre législation, après les conquêtes faites dans l'ordre politique, les fabriques d'église ne peuvent plus acquérir des cimetières. Il y avait un temps où les fabriques d'église, à côté de l'administration du culte qui leur est laissée aujourd'hui, avaient la police des cimetières ; où, à côté de la police des cimetières, les fabriques d'église avaient le soulagement des pauvres ; où à côté du soulagement des pauvres, les fabriques d'église avaient l'éducation publique.

La société moderne ne peut pas vivre deux jours, si l'on arrivait subrepticement, avec de mauvaises interprétations, et à l'aide d'arrêtés royaux, à rendre à l'Eglise, à rendre aux fabriques d'église ce qui aujourd'hui appartient à l'Etat, ce qui aujourd'hui appartient aux grands établissements publics et qui a été enlevé aux fabriques d'église pour un motif bien simple.

Le catholique doit avoir le droit de professer ses croyances religieuses ; il a ses dogmes ; la société politique, quelque avancée et quelque progressive qu'elle soit, doit respecter, sans l'approuver, le dogme catholique.

Mais lorsque à l'aide de ce dogme catholique et à l'aide de l'intolérance catholique, on arrive à empêcher qu'un homme soit enterré parce que, de très bonne foi, le clergé croit qu'il ne peut pas admettre dans son cimetière le corps d'un homme qui n'est pas mort d'après les principes que le clergé professe, qu'arrive-t-il alors ? Une lutte entre le dogme intolérant du clergé et la liberté politique du citoyen. Eh bien, messieurs, pour faire cesser cette lutte, la société moderne, la société politique moderne, sortie victorieuse d'un travail de trois siècles, la société moderne enlève au clergé la police et l'administration des cimetières.

Pour ce qui concerne, messieurs, les écoles, les écoles modernes devant être imprégnées du progrès de la civilisation, si vous laissez l'enseignement entre les mains du clergé dont le dogme intolérant n'admet d'autre doctrine que celle qu'il professe, vous vous trouvez nécessairement encore en présence d'un conflit.

Il fallait donc, encore une fois, enlever au clergé l'enseignement et le mettre à la charge des institutions publiques afin que l'enseignement fût libre dans toutes ses manifestations.

Et pour ce qui concerne, messieurs, le soulagement des pauvres, voici encore ce qui se présentait : sous l'ancien régime le clergé ne pouvait soulager un pauvre appartenant à une autre église. Il devait y avoir pour lui, malgré toute la bonne volonté possible, une différence, au moins pour l'hérétique qui avait faim.

Qu'a fait la société moderne ? La société moderne a dit : La charité est laïque. Le clergé est libre de faire la charité, mais l'administration de la charité désormais appartiendra aux administrations publiques parce que les administrations publiques sont tolérantes, parce que dans un pays constitutionnel, qui admet la liberté des opinions, la liberté des cultes, l'administration publique ne peut rechercher ni l'opinion ni le culte du malheureux qui lui tend la main.

Voilà pourquoi, messieurs, dans la société dans laquelle nous vivons, en vertu de ces principes, organisés par plusieurs lois, les fabriques d'église n'ont plus ni l'administration ni la police des cimetières ; voilà pourquoi les fabriques d'église n'ont plus le soulagement des pauvres, pourquoi elles n'ont plus l'instruction : trois choses qu'elles avaient autrefois.

Le décret de 1809 n'a eu d'autre but que d'organiser le temporel des cultes, en ce qui concerne la gestion et l'administration des biens dont le produit est affecté au culte.

J'avais besoin, messieurs, de vous rappeler ces grands principes qui dominent toute la législation moderne.

Je vais maintenant vous faire voir comment ces grands principes ont été méconnus par une fausse application du décret de 1809 ; et dans le projet de loi que le gouvernement présentera aux Chambres, il y aura lieu à prévenir, par un texte précis, de pareils abus. Il faudra interpréter la législation de 1809 comme vous avez interprété l'article 84 de la loi communale et empêcher qu'on n'autorise des cimetières au profit des fabriques, des écoles au profit des fabriques.

Messieurs, je vais vous indiquer maintenant les abus qui ont été commis en vertu du décret de 1809.

En 1851, les fabriques d'église de la ville d'Ypres s'adressent au ministre de la justice, à l'effet d'acquérir un terrain pour constituer un cimetière.

D'après les principes que j'ai eu l'honneur d'indiquer à la Chambre, il n'était pas possible qu'un gouvernement, appliquant sagement les lois, permît à une fabrique d'acheter un terrain pour en faire un cimetière.

Je vais donner connaissance à la Chambre de la réponse de l'honorable ministre de la justice de cette époque ; la dépêche de ce haut fonctionnaire exposant à la députation permanente de la Flandre occidentale les vrais principes en cette matière.

Ces principes ont été plus tard méconnus et nous examinerons à l'aide de quels articles du décret de 1809 !

Voici la circulaire de M. le ministre de la justice de ce temps-là. Je demande à la Chambre la permission de la lire, parce qu'elle expose les véritables principes sur la matière ; mon discours en sera d'autant plus abrégé. Je passerai ensuite à l'arrêté du 31 août 1855 qui a méconnu ces principes.

Voici la circulaire :

« A la députation permanente du conseil provincial de la Flandre occidentale.

« Bruxelles, le 25 octobre 1851.

« Messieurs,

« J'ai pris connaissance de votre rapport du 4 août dernier, relatif à l'agrandissement du cimetière d'Ypres, par les fabriques des églises de cette ville.

« Je ne puis, messieurs, donner suite à la demande de ces fabriques, (page 196) car en présence du décret du 23 prairial an XII, articles 2 et 7, la commune seule est habile à établir des cimetières et à agrandir ceux qui existent ; l'adjonction de terrain à un cimetière trop peu étendu est en effet la création d'un nouveau cimetière.

« Dans l'état actuel de la législation, l'inhumation des morts, et par suite l'établissement des lieux de sépulture, sont considérés comme des mesures de police et de salubrité qui rentrent dans les attributions des autorités locales. Par conséquent la dépense qui en résulte doit être supportée par la caisse communale ; or, comme les obligations légales ne peuvent être déplacées, l'établissement public qui est préposé à un service spécial, ne peut affecter sa dotation qu'à l'objet dont il a la régie : l'oubli de ce principe amènerait bientôt le désordre dans les services publics.

« A la vérité, le décret du 25 prairial an XII ne porte pas expressément que les fabriques d'église ne peuvent établir des cimetières ; mais il eût été inutile d'y introduire une disposition de ce genre. L'article 7 de ce décret impose aux communes l'obligation d'en créer ; l'article 16 leur confère l'autorité, la police et la surveillance des lieux de sépulture, l'ensemble du décret en donne la propriété à la commune ; ainsi elle doit pourvoir à ce besoin et en supporter la dépense.

« Aucun texte n'accorde aux fabriques la faculté d'y pourvoir, à la décharge des communes ; si elles doivent veiller à l'entretien des cimetières, cette obligation n'est que la conséquence du bénéfice que leur donne le produit spontané de ces terrains (décret du 30 décembre 1809, article 36-4° et 37). Là se bornent les droits et les charges des fabriques quant aux cimetières et si le gouvernement autorisait des fabriques à en établir, il ferait retomber sur ces établissements une dépense que la loi ne leur impose pas. D'ailleurs le roi n'ayant d'autres pouvoirs que ceux qui lui sont formellement accordés (Constitution belge, article 78) et aucune loi ne permettant au Roi d'autoriser une fabrique à ériger un cimetière, l'arrêté royal qui interviendrait serait entaché d'illégalité.

« Enfin, nous remarquons, messieurs, que chaque établissement public ne doit répondre qu'au but de son institution ; or, les fabriques d'église administrent les intérêts temporels du culte catholique, aussi elles doivent rester étrangères à la création des cimetières, qui est un objet de police locale.

« Le ministre de la justice, « (Signé) Victor Tesch. »

Messieurs, un avis du conseil d'Etat de France du 29 janvier 1845 rejette, dans les mêmes conditions, la demande faite par la fabrique d'église de Pierrecourt.

« Considérant que les lieux de sépulture publique doivent servir à tous les habitants d'une commune, sans distinction de culte, qu'ils sont soumis exclusivement à l'autorité, police et surveillance de l'administration municipale et qu'il convient dès lors qu'ils appartiennent aux communes et non aux fabriques.

« Est d'avis qu'il n'y a pas lieu d'autoriser la fabrique de l'église de Pierrecourt à accepter le terrain qui lui est donné pour servir de cimetière. »

Messieurs, il devrait y avoir parmi les hommes éminents du parti catholique de puissantes individualités pour faire comprendre au clergé, quand il vient demander quelque chose de contraire au droit commun, qu'il est dans son tort et qu'en voulant s'établir dans une position privilégiée il se rend lui-même victime, il se rend lui-même le. provocateur à de vives attaques contre lui.

Mais chose étonnante, messieurs, et qui rentre tout à fait dans la pensée que j'avais annoncée au commencement de mon discours, vous ne savez pas résister à des demandes illégales !

Les fabriques d'Ypres éconduites en 1851 par l'honorable M. Tesch lorsqu'elles sont venues frapper à la porte de l'hôtel de M. le ministre de la justice qui était habité alors par l'honorable M. Nothomb, ont reçu un plein accueil et ce qui avait été déclaré illégal en 1851 a été déclaré parfaitement légal en 1855.

Ce qui avait été refusé en 1851 est accordé par arrêté royal le 21 août 1855.

L'honorable M. Nothomb le concède en vertu du décret de 1809. Voici, messieurs, cet arrêté qui accorde aux quatre fabriques de la ville d'Ypres l'autorisation d'agrandir à leurs frais leur cimetière commun.

« Léopold, Roi des Belges,

« A tous présents et à venir, Salut,

« Vu les délibérations, en date du 5 janvier 1851, par lesquelles les conseils des fabriques des églises de Saint-Jacques, de Saint-Martin, de Saint-Pierre et de Saint-Nicolas, à Ypres, demandent l'autorisation d'acheter de gré à gré, moyennant la somme de 3,246 francs 21 centimes, de la commission administrative des hospices civils de la même localité, deux parcelles de terrain, figurant au plan cadastral sous la section B, n"9 et 11, la première d'une contenance de 20 ares 93 centiares, et l'autre de 20 ares 40 centiares, pour servir à l'agrandissement, reconnu urgent, du cimetière de ladite ville, qui appartient aux fabriques précitées, ladite acquisition se faisant, par lesdites fabriques, dans les proportions indiquées dans leurs délibérations ;

« Vu celle de l'administration desdits hospices du 21 février 1851 relative à l'aliénation desdites parcelles ;

« Vu les avis du conseil communal d'Ypres, du 13 mars, de M. l'évêque de Bruges, du 3 juillet, et de la députation permanente du conseil provincial de la Flandre occidentale, du 4 août 1831, et le rapport du gouverneur de la même province du 8 août 1851 ;

« Vu le plan des lieux et le procès-verbal d'expertise des biens dont il s'agit ;

« Vu les articles 62 du décret du 30 décembre 1809 et 70, n°4, de la loi communale, et l'arrêté royal du 1er juillet 1816 ;

« Sur la proposition de Notre ministre de la justice,

« Nous avons arrêté et arrêtons :

« Article unique. Les fabriques des églises d'Ypres, prémentionnées, sont autorisées à acquérir de gré à gré les terrains dont il s'agit que la commission administrative des hospices civils de la même localité est autorisée à aliéner aux conditions sus-énoncées. Notre ministre de la justice est chargé de l'exécution du présent arrêté.

« Donné à Laeken, le 31 août 1855, (Signé) Léopold.

« Par le Roi : Le Ministre de la justice, (Signé) Alph. Nothomb. »

Ainsi, on invoque un décret qui n'a eu d'autre but que de régler le temporel du culte, on invoque ce décret pour donner aux fabriques le droit de posséder un cimetière !

Le décret de 1809 que l'on invoque ne s'occupe pas des cimetières, c'est le décret de l'an XII qui s'occupe des cimetières et le décret de l'an XII fait obstacle à ce qu'une pareille autorisation soit accordée.

Ainsi, messieurs, je dis que dans la position gênée où les hommes honorables, les hommes distingués, les hommes éminents de la droite se trouvent en présence du clergé, ils ne peuvent pas, ils n'osent pas lui dire : Mais vous nous demandez quelque chose qui est contraire à la loi ; vous nous demandez quelque chose qui est contraire aux principes fondamentaux de la société moderne, de cette société qui vous laisse toute liberté. La liberté doit vous suffire ; contentez-vous de la liberté. Ne demandez pas de privilège.

Cela est tellement évident, messieurs, que je suis intimement convaincu que, parmi les honorables membres de la droite, il en est plusieurs qui déplorent cet état de choses, et qui seraient heureux de voir surgir un homme assez énergique et assez influent pour arrêter les exigences illégales du clergé et pour le contenir dans les limites du droit.

Mais ces exigences persistent et elles pèsent sur les honorables membres de la droite, elles s'imposent à eux à cause des services que le clergé rend au parti catholique.

Ainsi, l'honorable M. Nothomb n'a pas pu résister. Je ne lui en fais pas un crime ; mais il y a une chose constante et qui caractérise le parti libéral et le parti catholique, c'est que nous sommes toujours sur le terrain de la légalité ; c'est que chaque fois que nous luttons, soit ici, à cette tribune, soit dans la presse, soit au sein d'autres corps constitués, nous luttons toujours pour le triomphe du droit, comme je viens de le démontrer ; tandis que vous, vous luttez pour le privilège, vous luttez pour donner des positions privilégiées à des gens que vous devez servir et que vous servez en compromettant votre position d'hommes politiques, d'hommes sérieux. (Interruption.)

M. de Naeyer. - Allons donc !

M. De Fré. - Mais ce n'est pas tout, messieurs ; ce qui s'est passé pour les cimetières, s'est également passé pour les fondations.

En Belgique depuis 1830, on a, en vertu du décret de 1809, créé des fondations par arrêté royal. La vieille société tout entière s'est élevée contre les fondations. Savez-vous ce que c'était que les fondations ? Les fondations prenaient l'air et le soleil, elles prenaient la terre, elles arrêtaient toute la génération dans sa marche, dans son développement progressif. Il a fallu un jour que cette société se levât et qu'elle fît ce que vous savez, sous peine de périr.

(page 197) Une chose constante aujourd'hui, un principe de droit public qu'on apprend sur les bancs de l'école, que le premier élève en droit connaît, c'est qu'on ne fonde plus aujourd'hui. Un particulier peut faire un legs, une donation ; mais il ne peut pas fonder ; un homme ne peut pas créer quelque chose de rien : il ne peut pas dire : Je crée un être moral, je crée un être qui se perpétue, qui s'administre par lui-même, qui acquerra. Les particuliers ne peuvent plus faire cela.

Et cependant, messieurs, cela s'est fait en Belgique ; cela s'est fait en 1835 et en 1838, en vertu de ce même décret de 1809, dont nous demandons la réforme.

En 1835, la fabrique de l'église de Saint-Sauveur, à Gand, s'adressait à l'honorable M. de Theux, à l'honorable chef de la droite, pour demander la faculté d'accepter une fondation ; et l'honorable M. de Theux a été obligé, sous la pression du clergé, d'autoriser une fondation. Je plains, mon Dieu, les hommes d'Etat qui doivent subir de pareilles influences, et accorder ce qui est manifestement contraire à la loi. (Interruption.)

- Voix à droite. - A l'ordre !

M. De Fré. - L'arrêté est là.

M. le président. - Laissez parler ; vous répondrez.

M. De Fré. - Messieurs, ceci vous touche et j'en suis charmé. (Interruption.)

M. le président. - Pas d'interruption, s'il vous plaît.

M. de Naeyer. - On nous injurie.

M. De Fré. - Comment ! je vous injurie ! Mais-vous avez reçu des bénédictions épiscopales pour cet acte. (Interruption.) Mais c'a été un grand titre de gloire pour vous autres, messieurs de la droite, que cet acte illégal.

M. de Naeyer. - Allons donc !

M. De Fré. - Je dis que l'arrêté de 1835, el je prierai l'honorable M. de Naeyer de me répondre, a été porté en violation du décret de 1809 ; cet arrêté a été une violation manifeste du droit.

Voici son texte :

« Léopold, Roi des Belges.

« A tous présents et à venir, Salut.

« Vu la demande du conseil de fabrique de l’église de Saint-Sauveur, à Gand, tendante à obtenir l'autorisation d'accepter la donation, entre-vifs, d'une maison avec terrain, évaluée à 5,079 francs 36 centimes, située en ladite ville, faite à cette église par le sieur L. De Creunaere, son desservant, par acte passé devant le notaire Van Ghendt, à Gand, le 27 juin 1835, à la condition entre autres, que l'église donataire payera une somme de 1,269 francs 84 centimes, pour solde du prix d'achat de ladite maison ; que cette dernière et le terrain y adjacent resteront à perpétuité destinés à une école dominicale, sous la direction du desservant de l'église précitée, et qu'aucun changement ne pourra être fait à ladite maison, sans l'autorisation de ce desservant ;

« Vu l'expédition authentique de l'acte précité ;

« Vu le décret du 30 décembre 1809 et les articles 910 et 937 du code civil ;

« Sur le rapport de notre ministre de l'intérieur,

« Nous avons arrêté et arrêtons : « Art. 1er. Le conseil de fabrique de l'église de Saint-Sauveur, à Gand, est autorisé à accepter la donation précitée aux clauses et conditions y apposées.

« Art. 2. Notre ministre de l'intérieur est chargé de l'exécution du présent arrêté.

« Donné à Bruxelles, le 22 juillet 1835. Léopold.

« Par le Roi : Le ministre de l'intérieur, De Theux. »

Voici donc une école créée depuis 1835, et la fabrique de l'église de Saint-Sauveur à Gand n'a jamais rendu compte de cette administration ; cette école fonctionne, c'est une mainmorte qui a été créée par arrêté royal.

Je demande si quelqu'un voudrait soutenir qu'on peut établir une mainmorte par arrêté royal, que celui-là se lève et me contredise.

Cet arrêté est contraire à la loi, c'est le décret, de 1809 qui a servi de prétexte à cet arrêté.

Il faut donc que dans le projet de loi que le gouvernement présentera à la Chambre le texte soit tellement formel, tellement précis, que dorénavant de pareils abus ne se représentent plus dans un pays comme la Belgique régi par des lois.

Un autre arrêté de 1838 porte :

« Léopold, Roi des Belges,

« A tous présents et avenir, Salut :

« Vu la demande de la fabrique de l'église de Saint-Jacques, à Gand, tendante à obtenir l'autorisation d'accepter la donation, entre-vifs, qui lui est faite par la demoiselle Vindevogel, d'une maison située en ladite ville, rue Crommewal, n°6, servant actuellement d'école pour les pauvres de cette paroisse, et ce, sous condition que cette maison conservera à perpétuité sa destination actuelle, et que les enfants pauvres, qui fréquenteront l'école diront, chaque jour, quelques prières pour le repos de son âme et de celles de sa famille ;

« Vu l'avis de monseigneur l'évêque du diocèse et celui de la députation du conseil provincial ;

« Vu l'article 59 du décret du 30 décembre 1809 et l'article 76 de la loi communale du 30 mars 1836 ;

« Sur le rapport de notre ministre de l'intérieur et des affaires étrangères ;

« Nous avons arrêté et arrêtons :

« Art. 1er. La fabrique de l'église de St-Jacques, à Gand, est autorisée à accepter la donation prémentionnée, à la condition de remplir les conditions prescrites par la donatrice.

« Art. 2. Notre ministre de l'intérieur et des affaires étrangères es chargé de l'exécution du présent arrêté.

« Donné à Bruxelles, le 28 mai 1858.. (Signé) Léopold.

Par le Roi : Le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères. (Signé) de Theux. »

Voilà deux arrêtés. Je pourrais en citer d'autres. Ne sont-ce pas là de déplorables abus ?

Messieurs, il semble, à entendre les membres de la droite, que la situation qu'on fait au clergé en Belgique est intolérable. Messieurs, voici l'opinion d'un homme, un des vôtres, un homme éminent ; voici ce que disait M. de Montalembert, dont l'autorité n'est pas suspecte, que la droite a suivi avec enthousiasme, à l'occasion des dernières luttes qu'il a soutenues contre M. de Cavour, surtout dans deux brochures publiées en faveur de l'autorité temporelle du pape. Voici ce qu'il dit :

« La Belgique avait conservé plus fidèlement qu'aucun autre peuple les mœurs et les institutions du vieux monde catholique : le moyen âge n'y avait jamais été travesti par l'esprit de cour. Aussi a-t-elle été appelée la première à appliquer les conditions et à recueillir les fruits de l'action catholique dans le monde moderne.

« Sa nationalité, noblement reconquise, repose sur une constitution que ses enfants catholiques ont eu la gloire de lui donner et de défendre fidèlement jusqu'à ce jour. Elle a consacré tous les vœux et toutes les conquêtes du catholicisme, dans les temps modernes : l'indépendance absolue de l'Eglise, le libre choix des évêques par le vicaire du Christ, la liberté complète de l'enseignement et des associations religieuses. Son territoire s'est graduellement couvert de monastères, de collèges, de fondations pieuses. Seule en Europe elle a vu renaître une de ces universités, comme on en voyait tant aux siècles de foi, uniquement consacrée à l'enseignement et à la défense de la vérité. »

Voilà les libertés du clergé, jugées par M. de Montalembert dans son ouvrage, Des intérêts catholiques au XIXème siècle.

C'est donc quelque chose d'étrange que d'entendre parler, en présence de la réforme projetée, d'une nouvelle édition d'une mainmise nationale comme l'a dit l'honorable M. Nothomb, d'une deuxième édition incolore de 1789, et l'honorable M. Notelteirs, ému par ces paroles de M. Nothomb, demande avec effroi si on va vendre les biens du clergé.

Messieurs, je dois dire d'abord aux honorables membres, que lorsque la révolution française a pris les biens du clergé, elle les a remplacés par une rente.

Le clergé jouit au budget d'une rente annuelle ; le culte est un objet d'utilité publique (interruption), oui, un objet d'utilité publique, et le gouvernement belge avec la législation qui nous régit ne pourrait pas ne pas s'occuper du culte, non seulement pour le faire respecter, mais pour lui donner les ressources nécessaires pour subsister convenablement à ses besoins.

Il a toujours été admis que quand les biens de l’Eglise sont insuffisants pour le culte, l'autorité doit intervenir.

Avant la révolution, l'Etat n'intervenait pas au point de vue des subsides parce qu'alors les biens du clergé étaient suffisants ; de sorte que si aujourd'hui le pays voyait, pour répondre à M. Nothomb et à M. Notelteirs, que le gouvernement a l'intention de prendre au clergé ses (page 198) biens, le pays trouverait que le gouvernement fait une chose insensée, car il faudrait les lui rendre d'une façon ou d'une autre ; plus l'Etat prendrait au clergé, plus les secours qu'il lui doit seraient considérables. Ce serait absurde.

Oui, une chose qui est établie (qui pourra changer plus tard), mais qui est établie, c'est que, en vertu de notre législation, l'Etat, et par l'Etat je n'entends pas seulement le gouvernement, j'entends aussi la province et la commune, l'Etat doit venir au secours du culte.

C'est donc une exagération, c'est une proposition à laquelle on n'a pas réfléchi et qu'on n'a produite que pour jeter de l'odieux sur ceux qui soutiennent la réforme du décret de 1809, en venant soutenir qu'on allait vendre les biens du culte.

Messieurs, je me rappelle qu'en 1857, lorsque l'honorable M. de Decker et l'honorable M. Vilain XIIII s'étaient retirés du pouvoir, lorsque les membres actuels du cabinet avaient pris les rênes du gouvernement, lorsqu'une dissolution avait en lieu ; je me rappelle que dans la presse catholique, on disait : Les temples vont être fermés ; le parti libéral vient au pouvoir, le clergé va être persécuté. Il y a quatre ans que la majorité libérale gouverne les affaires du pays, et je porte aux honorables membres de la droite le défi de dire dans quelle circonstance on a négligé le temporel du culte, dans quelle circonstance une demande faite pour venir au secours du culte, a été refusée.

Ce qui est vrai, c'est que des demandes qui n'étaient pas pleinement justifiées, par suite de l'absence de preuves, ont été agréées par des administrations publiques. Ce qui est vrai, c'est que des subsides accordés par le gouvernement ont été volés au détriment des églises ; ce qui est vrai, c'est que dans une foule de circonstances il y a eu le plus grand mauvais vouloir de la part des fabriques d'église, vis-à-vis du gouvernement toujours tolérant et toujours bienveillant.

Messieurs, on dirait que, pour faire du tort à l'opinion libérale, on ne demande qu'une chose, c'est un peu de persécution ; on voudrait trouver des prétextes pour soulever le pays contre l'opinion qui gouverne. On a l'air de le demander à cor et à cri.

Mais, messieurs, cette satisfaction ne vous sera pas donnée. Vous ne serez pas persécutés, je vous le garantis. Vos temples ne seront pas fermés ; vos prêtres ne seront pas persécutés ; les biens qu'ils possèdent ne seront pas mis sous la main nationale.

On continuera à être tolérant pour tout le monde, à laisser tout le monde dans sa liberté.

Mais il y a une chose que vous devez accepter et qui est pour la société une condition de sécurité et de progrès : c'est le droit commun pour le prêtre comme pour Je citoyen.

Messieurs, autrefois la noblesse formait une classe privilégiée dans l'Etat de même que le clergé. La noblesse avait des immunités et des privilèges, La société moderne a mis la noblesse dans le droit commun. La noblesse ne possède plus le moindre privilège. Eh bien, jamais, en Belgique aucune famille noble, aucune catégorie de citoyens nobles, aucune association noble n'est venue réclamer en vertu de ces privilèges abolis ; mais le clergé...

Le clergé, sous la législation actuelle, jouit de plusieurs privilèges. Je puis les énumérer, il y en a huit : Le premier que je rencontre et que nous discutons, c'est le privilège de ne pas rendre compte aux termes du décret de 1809.

J'ai soutenu ici, à la satisfaction de la droite, le droit commun pour le prêtre.

M. Allard. - On vous a embrassé.

M. De Fré. - J'ai demandé que le prêtre fût libre, libre comme tout citoyen, mais comme tout citoyen, il faut qu'il soit responsable. Il ne faut pas qu'il reste dans la législation belge une seule disposition qui donne au prêtre un privilège. Toute la liberté possible, toute la tolérance possible, mais pas de privilège. Les privilèges tuent les sociétés, et nous devons vivre, nous devons marcher et nous marcherons malgré tous les obstacles.

J'ai dit.

M. B. Dumortier. - Messieurs, j'ai lieu vraiment de m'étonner, à propos de la question si grave que nous discutons en ce moment, d'entendre l'honorable préopinant avoir l'air de nous dire, à nous qui siégeons sur ces bancs, qu'en prenant la défense du clergé en matière de temporel du culte, nous obéissons à un mandat impératif.

Le clergé, dit l'honorable membre, vous soutient dans les élections ; vous avez contracté envers lui, par suite de l'appui qu'il vous donne, l'obligation de lui être ici dévoué, de venir faire acte en quelque sorte de servilisme à son égard.

J'ai lieu, messieurs, d'être étonné d'un pareil langage, car jamais, l'honorable membre doit le reconnaître, il n'est parti de ces bancs, en faveur du clergé, qu'une seule et unique parole, qu'un seul cri, et ce cri nous le répétons toujours ; c'est que nous demandons pour le clergé une seule chose : la liberté.

Mais ce qui m'étonne surtout, c'est de voir lancer de pareilles accusations contre nous, alors que l'honorable membre qui vient de se rasseoir, n'est, lui, que l'écho de cette parole d'intolérance et de violence que prononçait un de ses amis : « A vous, maçons, la liberté de la charité ; à vous, maçons, tout ce qui concerne l'instruction ; à vous, maçons, le temporel du culte. » (Interruption.)

M. Allard. - Qui a dit cela ?

M. Goblet. - Je demande la parole.

M. B. Dumortier. - Et ce sont, messieurs, ces paroles, ces paroles fanatiques et intolérantes, ce sont ces paroles qui sont la contre-révolution en Belgique, que l'on voit transformer en maxime pour changer tout l'état social que nous avons eu depuis trente ans, qui a fait l'honneur et la gloire de la Belgique et le transformer un cet état de persécution pour tout ce qui croit, pour tout ce qui approche du culte de nos pères.

Eh bien, je dis que s'il existe des ennemis du pays, ce sont ceux qui professent de telles maximes ; que s'il existe des gens qui sèment la division dans le pays, ce sont ceux qui professent ce système d'établir une lutte permanente, constante, incessante entre le clergé et l'administration civile, en voulant établir ce qu'on appelle un contrôle, alors que ce contrôle existe.

Mais pour l'honorable membre il faut que le clergé entre dans le droit commun. Eh bien, je voudrais bien savoir en quoi le clergé, en Belgique, est maintenant en dehors du droit commun ? Est-ce que, par hasard, quelqu'un, dans cette assemblée, peut venir prétendre qu'il existe encore des privilèges pour le clergé ? Avez-vous encore des évêques qui siègent dans les Chambres ? Est-ce qu'on est encore quelque chose en vertu du mandat ecclésiastique ? Oui, on est quelque chose : on est conspué. De privilèges, je n'en connais pas.

Mais, dit l'honorable membre, on a le privilège de ne pas rendre ses comptes.

Où donc l'honorable membre a-t-il trouvé que les fabriques d'église ont le privilège de ne pas rendre leurs comptes ? Les fabriques d'église rendent leurs comptes, elles les rendent à l'autorité qui, en vertu des décrets, a seule le droit de les examiner, ces comptes sont apurés. Il n'y a donc pas de privilège.

Ce que vous voulez, je vais vous le dire. Vous voulez mettre la main à l'encensoir, vous voulez constituer un gouvernement de sacristains, vous voulez devenir un parti de sacristains.

Eh bien, la Belgique ne consentira jamais à un pareil état de choses. Le pays ne consentira jamais à voir l'honorable M. De Fré grand prêtre de la religion catholique, apostolique et romaine.

Le culte, messieurs, le culte de nos pères n'est pas, comme le dit l'honorable membre, un objet d'utilité publique à l'égal d'un chemin vicinal ou d'un égout à grande section ; s'exprimer ainsi, c'est singulièrement rapetisser l'idée que le législateur doit se faire du culte. Le culte est le résumé des croyances de la Belgique entière. La Belqique, ne vous y trompez pas, a un culte ; il n'y a pas de culte d'Etat, mais le culte fait l'honneur et la gloire de la Belgique, c'est le culte qui a aidé à faire la révolution de 1830 et c'est parce que le gouvernement précédent avait voulu faire ce que vous voulez faire à votre tour, ressusciter le régime de Joseph II, c'est pour cela que le pays s'est soulevé.

Et c'est là ce que vous voulez recommencer : vous voulez recommencer 1827, recommencer 1786, recommencer, en un mot, toutes les époques où l'on est venu mettre l'autorité civile aux prises avec l'autorité ecclésiastique, et vous vous prétendez enfants du pays, amis de la nationalité ! Je dis que vous en êtes les plus mortels ennemis.

Que vous propose-t-on, messieurs, de dire dans l'adresse ? On vous propose de dire que « les biens affectés aux bourses d'étude et au temporel du culte sont laïques. »

Eh bien, messieurs, mon honorable ami M. Nothomb vous a dit ce que signifient ces expressions. Elles ne signifient évidemment qu'une seule chose, c'est que ce sont là des biens nationaux. Vous voulez donc nationaliser de nouveau des biens qui ne vous appartiennent pas, des biens qui ont été rendus au culte par les décrets impériaux ! Mais, faites-y bien attention, c'est une révolution, ce n'est pas seulement une révolution, c'est la violation la plus flagrante de la Constitution.

En effet, messieurs, la Constitution porte de la manière la plus formelle que tout ce qui concerne la propriété est exclusivement du ressort des tribunaux ; que nul ne peut être privé de sa propriété si ce n'est pour cause d'utilité publique et moyennant juste et préalable indemnité.

Et c'est en présence de textes constitutionnels aussi clairs, aussi (page 199) positifs, c'est en présence de telles vérités proclamées par l'acte que vous avez juré de maintenir, c’est en présence de ces textes, de ces vérités, que vous viendrez dire dans l’adresse que les propriétés qui appartiennent au culte cessent de lui appartenir. Car si votre déclaration n’a pas cette portée, elle ne signifie absolument rien.

Ne vous y trompez pas, messieurs, ce que vous faites c'est la réaction la plus violente contre les principes de 1830.

Quel est le grand principe qui domine toute notre Constitution ?

Notre Constitution tout entière repose sur le principe de l'émancipation des cultes, de l'indépendance des cultes vis-à-vis de l'Etat, de l'accord complet entre l'Eglise et l'Etat pour empêcher que l'un n'asservisse l'autre et réciproquement. Notre Constitution a voulu donner au culte sa pleine et entière liberté afin qu'il contribuât efficacement au bonheur des populations. Ce que vous faites, au contraire, c'est mettre l'Eglise sous la dépendance de l'Etat.

La Constitution dit en termes formels : « La liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toute matière, sont garanties sauf la répression des délits commis à l'occasion de l'usage de ces libertés. »

Ainsi, la Constitution garantit la liberté des cultes, et vous imaginez-vous que la liberté des cultes consiste uniquement à prêcher et à prêcher avec votre permission, comme vous l'entendez dans votre Code pénal, à prêcher, à administrer les sacrements et à enseigner le catéchisme ?

Mais un culte ne se borne pas à la parole ; il a aussi son temporel, sans lequel il ne peut pas exister, et quand la Constitution a proclamé la liberté des cultes, elle n'a pas voulu que les ministres des cultes fussent soumis à l'Etat pour tout ce qui tient au temporel. Comment ! quand le curé ira dire la messe, ce sera l'autorité civile qui déterminera combien il faut de cierges, combien de grains d'encens il faut mettre dans l'encensoir, combien de vin le curé peut avoir pour dire la messe ! N'est-ce pas une véritable persécution ?

Et de quel droit, après tout, dans un pays libre, dans un pays où tout le monde a le droit de croire ou de ne pas croire, d'être catholique ou de ne pas l'être, d'aller ou de ne pas aller à la messe, de quel droit voulez-vous que des gens qui ne croient pas, qui ne vont pas à la messe ; qui ne sont catholiques que de nom, viennent imposer leur volonté à ceux qui pratiquent leur religion ? Mais c'est une persécution épouvantable !

Ne vous faites point illusion, vous entrez dans un système fatal pour vous. Vous faites magnifiquement nos affaires. La Belgique est un pays qui n'a jamais toléré l'oppression et vous aurez beau faire pour soutenir que c'est nous qui sommes les persécuteurs, la Belgique verra parfaitement où sont les persécuteurs et où sont les persécutés, et comme l'intérêt s'attache toujours aux victimes, cet intérêt s'attachera à nous contre vous.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, la Chambre n'attend sans doute pas de moi que je monte au diapason de l'honorable orateur qui vient de se rasseoir. Je chercherai à mettre dans mon langage autant de modération et de calme qu'il met d'ordinaire d'exagération et de violence dans le sien...

M. B. Dumortier. - Pas d'incivilité, s'il vous plaît, monsieur !

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je répète, qu'il met d'ordinaire d'exagération et de violence dans le sien, et je démontrerai qu'on peu, parfaitement proposer de modifier la législation sur les bourses d'études et les fabriques d'église, sans être un ennemi du culte, un ennemi du pays, comme vient de le dire l'honorable M. Dumortier, qui prétend n'être ni violent, ni exagéré.

M. B. Dumortier. - C'est la vérité.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - J'ai écouté très silencieusement l'honorable M. Dumortier, malgré ses accusations peu mesurées ; je lui demande d'avoir, à son tour, la bonté de ne pas m'interrompre.

Messieurs, parmi nos adversaires il en est qui ont témoigné de grandes alarmes au sujet d'un mot qui se trouve dans l'adresse en réponse au discours du Trône.

Ils ont feint de croire que ce mot était gros de dangers pour l'avenir, qu'il était nécessairement le présage, l'avant-coureur de confiscations, de spoliations, de mainmise nationale.

Je dois le dire : je ne prends pas ces terreurs au sérieux. Si elles étaient vraiment ressenties, elles auraient disparu devant la déclaration que nous avons faite dans la dernière séance ; nous nous en sommes expliqué très clairement.

Nous avons dit qu'il ne s'agissait pas de toucher le moins du monde à la propriété des biens des fabriques, qu'il s'agissait seulement de déterminer les règles de l'administration de ces biens, de mettre ces règles en rapport avec les institutions du pays. (Interruption.)

M. le président. - Qu'on n'interrompe pas.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je vous ai dit, dans la dernière séance, de la manière la plus claire, que les biens des fabriques étaient destinés à un besoin social ; que, si ces biens n'existaient pas, l'Etat lui-même devrait subvenir à ce besoin ; que par conséquent il était uniquement question d'établir des règles d'administration de ces biens, ainsi qu'un contrôle qui en assure la bonne gestion. Voilà textuellement les paroles que j'ai prononcées dans la dernière séance. (Interruption.)

Réellement c'est un jeu de mots ! Comment ! quand je déclare qu'il ne s'agit que d'établir des règles d'administration, d'organiser un contrôle pour assurer la bonne gestion des biens, vous venez prétendre que ce n'est pas déclarer clairement qu'il ne s'agit pas de porter atteinte à la propriété.

Il est évident que ce n'est pas sérieusement que l'on peut soutenir qu'il pouvait rester le moindre doute sur la nature des dispositions qu'il s'agit de soumettre à la Chambre. (Interruption.)

Les observations et les déclarations faites par l'honorable M. Orts, ne sont venues contredire en rien celles que j'ai faites.

Du reste, vous savez parfaitement bien que c'est en définitive le gouvernement qui proposera le projet de loi et qu'il n'est certes pas entré dans les intentions de la commission d'adresse d'imposer au gouvernement un ordre d'idées qui ne paraissent pas les siennes.

Je ne prends donc pas au sérieux, je le répète, ces craintes, ces terreurs, ces alarmes. Ce que l'on veut, c'est agiter, c'est intimider.

C'est avec ces leviers qu'on veut soulever les flots qui doivent submerger l'opinion libérale. J'ai trop de confiance dans le bon sens du pays pour croire qu'il se laisse tromper par des semblables moyens.

Il n'y a personne qui, au moment où le gouvernement propose au budget de nouveaux sacrifices pour le culte, admette que l'idée puisse venir au gouvernement de toucher à la propriété des biens des fabriques d'église, propriétés insuffisantes, puisque tous les jours Etat, provinces et communes s'imposent de nouveaux sacrifices au profit du culte catholique.

Je ne crois pas devoir m'arrêter plus longtemps à ces accusations, et j'aborde les autres objections qui nous ont été faites.

L'on nous a dit que c'était sans nécessité, sans utilité, que le gouvernement proposait de réviser la législation sur les fondations de bourses d'études et le décret de 1809 sur les fabriques. Examinons.

La législation sur les bourses d'études date, comme vous le savez, du régime précédent ; elle consiste presque exclusivement dans des arrêtés royaux dont la légalité a été contestée à différentes reprises, dont la constitutionnalité a été discutée devant les tribunaux. Je sais que, quant aux mesures administratives que contiennent ces arrêtés, on a admis que ceux-ci étaient constitutionnels ; mais il est resté une question indécise, mais qui pour moi n'en est pas une : c'est celle de savoir si, dans l'état actuel de la législation, le gouvernement a encore le droit d'autoriser de nouvelles fondations de bourses d'études.

Après mûr examen, j'ai pensé, et je persiste à croire, que le gouvernement n'a plus aujourd'hui ce droit. Or, n'y eût-il même que cette question, qu'il serait indispensable de saisir la législature d'un projet de loi, de l'appeler à décider et à établir les conditions dans lesquelles le gouvernement aura le droit d'autoriser de nouvelles fondations. Contester sous ce rapport la nécessité et l'opportunité de l'intervention de la législature serait méconnaître l'évidence.

Je dis au reste que, quant à l'administration proprement dite des fondations de bourses d'études, elle laisse énormément à désirer. Nous avons réparties sur la surface du pays 200 à 300 petites administrations qui par leur multiplicité, même, rendent impossible un contrôle sérieux.

Il m'arrive très souvent, comme ministre, de voir par les dossiers, que les affaires sont loin d'être bien gérées ; il m'arrive très souvent, et c'est ce qui a eu lieu récemment encore, de remarquer que les placements de capitaux se font sans garanties suffisantes, que les comptes laissent à désirer et de constater ainsi par moi-même l'indispensable nécessité de réviser toute cette partie de notre législation.

D'un autre côté, il ne faut pas perdre de vue que la législation sur les fondations de bourses d'études a été portée à une époque où la liberté de l'enseignement n'existait pas ; que le droit de collation a, par conséquent, aujourd'hui une importance qu'il n'avait pas alors.

Avant 1830, les boursiers devaient, dans tous les cas, fréquenter une université de l'Etat : la liberté de l’enseignement n'existait pas. Ce principe était donc tout à fait désintéressé dans la question, et la collation se réduisait à une simple affaire personnelle.

Aujourd'hui que la liberté de l’enseignement existe, il en est autrement ; ce n'est plus au point de vue des personnes, des intérêts particuliers que la question doit être examinée, c'est au point de vue de nos institutions.

(page 200) Vous avez prétendu contre nous dans cette enceinte que par cela même que la constitution a introduit la liberté de l’enseignement, les arrêtés de Guillaume qui défendaient de faire aux boursiers aucun payement sans qu'ils fournissent un certificat constatant qu'ils fréquentent un établissement d'instruction publique du royaume, reconnu par le gouvernement, se trouvaient virtuellement abrogés ; si cette opinion est vraie, l'on ne peut pas admettre un régime qui, en fait, aboutit aux mêmes conséquences que les arrêtés de Guillaume, qui est tout aussi contraire à la liberté d'enseignement que les dispositions des arrêtés de 1810 et de 1823.

Vous ne pouvez avoir d'un côté les bénéfices de la liberté et en même temps les avantages du monopole.

Sous ce rapport encore, il est indispensable que la législation sur les bourses d'études soit soumise, et le plus tôt possible, aux délibérations des Chambres.

Je passe, messieurs, à la question de la révision de la législation sur les fabriques.

Messieurs, ce n'est pas d'aujourd'hui, quoi que paraisse croire l'honorable M. Dumortier, quoi qu'en aient dit d'autres honorables membres de cette Chambre, que datent les réclamations contre le décret de 1809 et la nécessité de combler les lacunes qu'il présente.

Cette nécessité, messieurs, s'est fait sentir sous l'ancien gouvernement, et peu de temps après notre séparation de la France, parut déjà un arrêté qui est venu combler quelques lacunes qui existaient dans les dispositions relatives aux élections.

Quant aux comptes, on a tellement bien senti qu'il y avait là absence de contrôle suffisant, que dans le règlement sur l'administration des villes et du plat pays, l'on a inséré tout au long l'obligation, pour le conseil de fabrique, de soumettre les comptes aux autorités communales.

Voici, messieurs, ce que portait l'article 73 du règlement du 19 janvier 1824 pour les villes :

« Art. 73. La formation et l'envoi du budget des recettes et des dépenses de la ville aux états, ainsi que l'examen et l'envoi des comptes du receveur, entrent dans les attributions du conseil municipal, qui se conformera à cet égard aux dispositions générales prescrites ou à prescrire à ce sujet.

« Le conseil ne pourra proposer aux budgets annuels de la ville aucune somme destinée à accorder des subsides aux administrations des pauvres, aux établissements de charité, ou autres institutions qui peuvent avoir droit à obtenir des subsides, sans que la nécessité en soit prouvée par la production, à l'appui de la demande, du compte de ces administrations, établissements ou autres institutions, pour l'année précédente, et de leur budget de recettes et de dépenses pour l'exercice suivant.

« N. B. La vérification et approbation des comptes de ces administrations, établissements et institutions, entrent également dans les attributions du conseil. »

Telles étaient les dispositions du règlement pour l'administration des villes et les articles 33, 34 et 35 du règlement du 25 juillet 1825 pour le plat pays en contenaient de semblables pour les communes rurales. Voici ces articles :

« Art. 33. Le conseil ne peut proposer au budget annuel aucune somme destinée à accorder des subsides aux administrations des pauvres, aux établissements de charité, ou autres institutions qui peuvent avoir droit à obtenir des subsides, sans que la nécessité en soit prouvée par la production, à l'appui de la demande, du compte de ces administrations, établissements ou autres institutions, pour l'année précédente, et de leur budget de recettes et dépenses pour l'exercice suivant.

« Art. 34. Dans le cas de circonstances imprévues, qui exigent une disposition instantanée, et telle que l'on ne pourrait sans un grand préjudice perdre le temps nécessaire pour demander l'approbation préalable des états, on peut disposer, sur l'autorisation spéciale du conseil communal et sous sa responsabilité, des fonds communaux pour des dépenses locales non portées au budget, ou d'un montant plus élevé que celui qui est alloué au budget, en prenant, à ce sujet, une résolution motivée, que le conseil doit sans délai adresser aux états.

« Art. 35. La vérification des comptes des administrations des pauvres, des établissements de charité et institutions, mentionnés à l'article 33, l'approbation de leurs budgets, ainsi que la vérification du compte du receveur communal, et d'autres comptables de la commune, entrent également dans les attributions du conseil communal, qui se règle, quant à ce qui concerne l'approbation ultérieure des états, et sous tous les autres rapports à cet égard, d'après les dispositions générales déjà émanées silices objets, ou à émaner encore, en prenant soigneusement en considération les époques prescrites par les états. »

J'ignore, messieurs, si ces dispositions ont été observées dans toutes les parties du pays, mais assurément il y a certaines provinces où elles l'ont été.

Dans le Limbourg entre autres, on allait même plus loin.

Les comptes étaient soumis au visa du gouverneur.

Cet état de choses a tout au moins subsisté jusqu'en 1830.

Depuis 1830, cet état de choses a soulevé des difficultés, et une correspondance assez vive s'en est même suivie entre le gouverneur de la province et l’évêque de Liège.

J'ai parcouru toute cette correspondance et j'y ai trouvé entre autres quelques passages dont je crois devoir donner lecture à la Chambre.

Voici ce que je lis dans une lettre du 15 novembre 1834.

« En principe, nous considérons encore les fabriques des églises comme des établissements publics reconnus comme tels devant la loi ; nous croyons que les obligations des communes et de la province, à l'égard du culte, subsistent toujours ; les deux chambres et le ministère nous paraissent avoir reconnu ces obligations comme existant encore, et du moment que nous les admettons avec le gouvernement et la législation, il en dérive, à nos yeux, pour la province et la commune, un droit de surveillance très rationnel et tout à fait dans le sens du décret du 30 décembre 1809.

« Nous appelons, il est vrai, de tous nos vœux, une réforme et un complément des dispositions du décret ; mais il nous paraît prudent et dans l'intérêt du public de conserver ce qui existe et d'en poursuivre l'exécution jusqu'à ce qu'il survienne une nouvelle disposition législative à cet égard, laquelle va trouver tout naturellement sa place dans les lois provinciale et communale soumises aux Chambres en ce moment. »

Comme vous le voyez, l'auteur de cette lettre reconnaissait d'une part, au gouvernement, à la province, à la commune, le droit de contrôle et de l'autre il appuyait déjà à cette époque et de tous ses vœux la révision du décret de 1809.

Or, messieurs, savez-vous qui écrivait ainsi ? C'était monseigneur l'évêque de Liège.

Dans une autre lettre du même prélat, écrite au gouverneur du Limbourg, le 10 décembre 1834, je remarque le passage suivant dont je crois également devoir donner lecture à la Chambre.

J'ajoute qu'il est vrai qu'en 1846, c'était le même évêque qui rappelait les paroles de Frédéric II, à l'égard de l'empereur d'Autriche Joseph, paroles qui ont fait les frais des discours de l'honorable M. Dumortier, de samedi et d'aujourd'hui.

« Convenons encore que la loi portant, que les comptes sont vérifiés, approuvés et arrêtés par les conseils, sans plus, l'on ne peut attribuer ni à la province ni à l'évêché un droit direct d'y apposer son visa ; mais n'est-il pas vrai que de prime abord il se présente ici une question : serait-il vrai, serait-il possible que celle foule d'administrations comptables soient demeurées devant lui sans contrôle quelconque ? Si c'étaient des sociétés de particuliers administrant, pour leur propre compte, leurs propres deniers, on le concevrait sans peine.

« Mais les biens des fabriques ne sont point des biens de particuliers ; ils appartiennent à la communauté des fidèles, et les intérêts de cette communauté sont liés avec les intérêts de l'Etat, parce que l'Etat étant constitutionnellement obligé de subvenir aux besoins du culte, si les fabriques gèrent mal les biens qu'elles possèdent, ou les laissent périr, c'est le trésor de l'Etat qui, en dernière analyse, devra y suppléer.

« D'après cela, s'il faut une haute surveillance sur les fabriques et la reddition de leurs comptes, à qui pensez-vous que l'esprit de nos lois en accordera le droit ? Est-ce à l'évêque ?

« Mais l'évêque n'y a aucun intérêt direct ; ce n'est pas l'évêque qui devra prendre sur son traitement celui d'un vicaire, au cas que la mauvaise administration d'une fabrique aura laissé périr les revenus desquels ce vicaire était payé.

« Ce sera donc à l'administration provinciale ? Oui, à ce qu'il nous semble, et à elle seule, aussi longtemps que les lois existantes demeureront, par la raison, déjà indiquée, que d'après ces lois, c'est graduellement à la commune, à la province et à l'Etat à subvenir au déficit de la fabrique, et que la commune est placée trop près, trop au niveau de la fabrique, et l'Etat ou le ministère trop loin. »

Voilà, messieurs, l'opinion de Mgr l'évêque de Liège. L'honorable M. Dumortier y trouvera peut-être la preuve qu'on peut toucher au décret de 1809 sans être un ennemi du pays et sans mériter l'accusation de vouloir y introduire la guerre civile.

M. B. Dumortier. - Avons-nous inscrit cela dans la loi communale et dans la loi provinciale ?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Un instant, s'il vous plaît ; il me reste à citer encore quelques autres affreux révolutionnaires, d'autres ennemis du pays, qui partageaient l'opinion du gouvernement, mais (page 201) je veux bien répondre immédiatement à l'interruption. Non, il est vrai de dire, comme le fait l'honorable M. Dumortier, que ces mesures n'ont été introduites ni dans la loi communale, ni dans la loi provinciale.

M. B. Dumortier. - Ah ! ah ! voilà.la question.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Oui, nous allons voir cela dans un instant ; et quand j'aurai fini, je doute que l'honorable M. Dumorticr répète son cri de triomphe.

Je dis de nouveau que la loi communale ne consacre pas ces mesures. Cependant, il s'est trouvé à la Chambre un homme qui a été de l'avis de monseigneur l'évêque de Liège.

Je dois dire que ce n'était pas l'honorable M. de Theux, ministre à cette époque ; c'était l'honorable M. Gendebien. L'honorable M. Gendebien a proposé d'introduire dans la loi communale un amendement qui eût, en grande partie, paré aux lacunes et aux inconvénients du décret de 1809.

Voici, messieurs, quel était cet amendement ?

M. Gendebien présente l'amendement suivant.

« Néanmoins, et par dérogation aux articles 47, 90 et 97 du décret impérial du 30 décembre 1809, le budget des fabriques sera soumis à l'approbation du conseil communal.

« S'il s'élève une contestation, elle sera soumise à la députation du conseil provincial, sauf recours au roi, pour être statué en conseil des ministres. »

Je constate, en passant, que l'honorable M. Dumortier assistait à cette séance ; le Moniteur l'indique ; il a donc eu tort de dire dernièrement qu'il n'avait jamais entendu parler à la Chambre d'une révision du décret de 1809.

Parmi les motifs que faisait valoir M. Gendebien, je lis ceci :

« Il y a telle paroisse qui, dans des moments de prospérité, se laisse entraîner à des dépenses qu'elle pourrait éviter, et qu'on lui ferait éviter si elle n'entreprenait rien sans l'avis du conseil communal : eh bien, elle fait des dépenses exagérées et sans utilité, et quand le moment des faibles recettes arrive, c'est-à-dire, le moment des besoins, elle s'adresse à la commune, qui est obligée de fournir à ces besoins, qui ne se seraient pas fait sentir si on avait procédé avec ménagement et avec cette sage prévoyance que n'ont pas toujours ceux qui disposent de la bourse d'autrui quand ils ont épuisé leurs propres ressources.

« N'est-il pas évident que, dans l'intérêt des communes, il conviendrait qu'il y eût examen préalable des dépenses de la fabrique par le conseil communal ? Il est évident, dès lors, qu'aux termes de l'article 31 de la Constitution et des articles 1er et 5 de la loi communale, le conseil communal a le droit et doit intervenir au budget des fabriques. »

Voilà, messieurs, une partie des développements qui étaient présentés à l'appui de cet amendement. Quelques membres appuyèrent la proposition ; d'autres, parmi lesquels l'honorable M. de Theux, la combattirent sous prétexte que c'était une atteinte portée à la liberté des cultes, accusation contre laquelle l'honorable M. Gendebien se défendit énergiquement.

M. de Theux. - Je demande la parole.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il invoquait sa vie entière pour attester que toujours il avait été un des plus grands partisans de la liberté la plus illimitée de conscience et des cultes et il protestait contre un semblable argument.

Quant à moi, j'avoue que je ne vois pas en quoi le contrôle de l'administration du temporel des cultes peut porter atteinte à la liberté des cultes ; en vérité je ne le comprends pas.

L'amendement fut rejeté par la Chambre.

Au Sénat, il ne fut pas reproduit, mais une discussion surgit sur cette question. M. de Haussy présenta les observations suivantes :

« M. de Haussy. - Je regrette, messieurs, que les fabriques d'église n'aient pas été comprises dans les établissements soumis à la surveillance des conseils communaux. Je crains que le silence de la loi à cet égard n'entraîne tôt ou tard la ruine de ces établissements. L'expérience nous a prouvé que les administrations sans contrôle font toujours de mauvaises affaires. Je ne sais quel motif on a eu de soustraire la gestion des fabriques d'église à la surveillance de l'administration communale ou de l'administration provinciale. Je ne sais sur quoi on a pu se fonder ; ce n'est sans doute pas sur la liberté des cultes. La liberté des cultes n'a rien de commun avec la gestion des biens et des revenus des églises.

« C'est dans l'intérêt du culte, au contraire, que les comptes des fabriques devraient être soumis à la surveillance de l'administration communale, car il est important d'assurer le bon emploi des revenus et des ressources que la piété publique a assignés aux églises pour l'entretien du culte, son service ou sa splendeur.

« La commune est intéressée à surveiller la bonne administration des biens des églises, puisque, lorsqu'ils sont insuffisants, elle est obligée de fournir des subsides pour combler le déficit qui se trouverait dans les comptes des fabriques.

« Vainement, dira-t-on que si l'on a besoin de subsides, on présentera les comptes pour les justifier ; il sera trop tard alors.

« Il vaut mieux prévenir que réparer les fautes, et si la négligence des fabriques occasionne des déficits, la commune sera obligée de les combler et sera victime du silence que la loi garde à cet égard, puisqu'elle devra nécessairement pourvoir au service et aux besoins du culte. Si l'on avait eu des motifs pour ne pas attribuer cette surveillance aux conseils communaux, on aurait dû au moins la donner aux conseils provinciaux. »

Cette fois, l'honorable M. de Theux, ministre de l'intérieur, n'invoqua plus la liberté des cultes prétendument menacée ; il se borna à déclarer ce qui suit :

« Si l'on n'a pas compris les fabriques d'église au nombre des établissements soumis à la surveillance des conseils communaux, c'est qu'elles sont sous l'empire du règlement du 30 décembre 1809 qui est en pleine vigueur, nonobstant la loi communale. Voilà pourquoi on a cru ne pas devoir s'occuper des fabriques d'église. »

Messieurs, la réponse ne parut pas satisfaisante, et un autre honorable sénateur, dont le nom ne fera pas frémir et ne rappellera pas, je pense, de grands souvenirs révolutionnaires, l'honorable comte d'Arschot, vint appuyer les observations de l'honorable M. de Haussy. Voici ses paroles :

« M. le comte d'Arschot. - La loi communale doit s'occuper des intérêts communaux et des propriétés de la commune. Les églises sont la propriété de la commune, ainsi que le cimetière et souvent même le presbytère. Si les dotations ne suffisent pas à l'entretien des églises, la commune est obligée d'y pourvoir ; la commune est donc intéressée à surveiller la gestion des revenus des fabriques et surtout la bonne location de leurs biens. J'ai souvent vu que les biens des fabriques étaient donnés à très bas prix de location à des membres mêmes de la fabrique, et qu'on n'en relirait pas tous les avantages qu'on aurait dû en retirer.

« Malgré le silence des règlements à cet égard, pendant les quatre dernières années que j'ai été gouverneur de province, j'ai obtenu, sans réclamation, de toutes les fabriques des villes, la présentation de leurs comptes, et c'est alors que j'ai vu combien il y avait d'inconvénients à les abandonner à elles-mêmes. Je me suis fondé, pour obtenir ces comptes, sur la nécessité où se trouve la commune de pourvoir à l'insuffisance des ressources ; il est trop tard, quand cette insuffisance existe, de prévenir la mauvaise gestion. Je regrette donc que l'on n'ait pas compris les fabriques d'église sous la surveillance des conseils communaux. »

Voilà, messieurs, le langage de l'honorable comte d'Arschot, et il fut appuyé dans ses observations par le comte de Quarré, qui ajouta :

« Cela était d'autant plus essentiel que, si je suis bien informé, il est question de présenter aux Chambres un projet de loi qui mettrait à la charge de l'Etat le traitement des vicaires en cas d'insuffisance des revenus de la fabrique. Il est donc de l'intérêt du gouvernement et de la commune de surveiller l'administration des biens des fabriques d'église, puisque, en supposant que leurs ressources soient insuffisantes, il faut que le gouvernement vienne à leur secours. Je ne puis qu'appuyer à cet égard le» observations de M. de Haussy et de M. d'Arschot. »

M. le ministre de l'intérieur, comte de Theux, prit une seconde fois la parole :

« Aux termes du décret du 30 décembre 1809, dit-il, les budgets des fabriques sont soumis à l'approbation de l'évêque diocésain. Je pense, comme M. Van Muyssen, que nous ne devons pas dévier de la marche suivie jusqu'à présent. L'opinion contraire a été soutenue à la Chambre des représentants, et même on avait présenté un amendement tendant à ce que les budgets des fabriques fussent soumis à l'administration provinciale, et il a été rejeté à la presque unanimité. Quand il sera question de réviser le décret de 1809, on examinera s'il convient de soumettre les comptes à l'administration provinciale. En ce qui concerne les comptes (j'appelle l'attention de la Chambre sur ces mots), je n'y verrais pas, quant à moi, d'inconvénients ; mais, pour les budgets, je ne pense pas qu'ils doivent être soumis à d'autre approbation que celle de l'évêque diocésain. »

Ainsi, comme vous le voyez, dès 1836, l'honorable M. de Theux lui-même prévoyait déjà l'époque de la révision du décret de 1809. Qu'y a-t-il donc d'exorbitant à ce qu'à vingt-cinq ans de distance on vienne réaliser ce qui était en quelque sorte déjà une promesse en 1830 V

Messieurs, la question n'en resta pas là.

Dans sa session de 1837, le conseil provincial de Namur s'adressa au gouvernement afin de l'engager à procéder à cette révision. Voici une (page 202) lettre qu'écrivait un de nos honorables collègues, alors gouverneur de cette province.

Je crois devoir en donner lecture à la Chambre, elle verra sur quelles raisons s'appuyait le conseil provincial de Namur.

« Monsieur le ministre,

« Nous avons l'honneur de porter à votre connaissance que, dans sa séance du 18 de ce mois, le conseil provincial nous a chargés de solliciter une disposition législative qui impose aux fabriques d'église l'obligation de remettre, chaque année, leurs comptes aux administrations communales, qui devront les soumettre à l'approbation de la députation, afin de s'assurer si les dépenses sont appuyées de pièces justificatives et si l'on n'a point outre-passé les allocations du budget, tel qu'il a été soumis au conseil de fabrique et approuvé par l'évêque diocésain.

« Cette mesure, M. le ministre, n'a rien d'hostile pour le culte, et ne tend nullement à en entraver l'exercice ; elle est proposée plus encore dans l'intérêt des fabriques que dans celui de l'administration générale.

« Dans l'état actuel de la législation, les comptes des fabriques ne sont soumis à aucun contrôle ; c'est le conseil qui les arrête définitivement, c'est-à-dire le collège qui a formé le budget ; or, nous connaissons combien peu de soins apportent ces conseils,| quelques exceptions près, dans l'accomplissement de cette partie de leurs obligations.

« Il existe beaucoup de fabriques où les comptes n'ont pas été rendus depuis plusieurs années, le recouvrement des rentes et créances est négligé, les capitaux demeurent sans emploi, il est quelquefois arrivé que les comptables les détournaient de leur destination, et qu'à défaut de caution, ces capitaux ou les autres recettes de la fabrique se trouvaient perdus, les titres ne sont pas renouvelés, les inscriptions hypothécaires sont négligées, les rentes se prescrivent, les hypothèques se perdent, et aucun recours ne peut être exercé contre les trésoriers qui souvent ne possèdent rien.

« Tous ces faits ne sont pas exagérés, et l'on a eu occasion de reconnaître combien malheureusement cet état de choses existe, lors du renouvellement des titres en 1834.

« C'est dans la vue de remédier à ces abus, que l'on demande que les comptes des fabriques soient soumis à l'approbation de la députation provinciale ; depuis longtemps la nécessité de cette mesure est sentie ; et lorsque la députation sera saisie de cette approbation, elle pourra surveiller la dation de caution par les trésoriers, le remploi des capitaux, le renouvellement des titres, les inscriptions hypothécaires, le recouvrement exact des revenus, et l'exécution littérale du budget, alors les revenus seront employés conformément aux autorisations accordées par l'évêque, ce qui n'arrive pas toujours maintenant.

« L'intérêt bien entendu des fabriques réclame donc que la mesure proposée soit promptement adoptée, et nous ne doutons pas, M. le ministre, que, partageant notre opinion et celle du conseil, vous vous empresserez de soumettre à la législature une disposition qui comble la lacune que nous venons de signaler. »

M. le Bailly de Tilleghem. - Qui était gouverneur ?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - M. Lebcau.

Messieurs, par suite de cette demande du conseil provincial de Namur, les évoques furent tous consultés ; ils n'admirent pas le mode de contrôle proposé par le conseil provincial de Namur, mais ils furent bien loin de repousser l'idée d'une révision de la législation de 1809.

J'ai sous les yeux la correspondance officielle des membres de l'épiscopat.

Voici ce que je lis dans la réponse de M. l'archevêque de Malines :

« Toutefois il serait à désirer qu'une loi peut être proposée aux Chambres pour remplir diverses lacunes que laisse la législation actuelle sur les fabriques d'église, et l'on pourrait profiter de cette occasion pour obliger d'une manière plus explicite les conseils de fabrique à soumettre leurs comptes à l'approbation de l'évêque.

« Je dis d'une manière plus explicite, parce que, comme je l'ai dit dans ma prédite lettre du 23 février 1835, le droit de vérifier les comptes est inséparable de celui d'approuver les budgets ; et par conséquent la loi, en attribuant aux évêques le contrôle des budgets, leur a donné implicitement celui des comptes. »

L'évêque de Tournai disait :

« Nous désirons bien vivement sans doute, M. le ministre, qu'il soit pris quelque mesure efficace pour corriger les abus introduits dans l'administration des deniers des fabriques par l'insuffisance de la législation actuelle sur la matière, mais nous croyons que celle indiquée par la députation provinciale de Namur, outre qu'elle est peu en harmonie avec l'esprit et la lettre du décret du 30 décembre 1809, ne rencontrerait pas de sympathie à la Chambre des représentants, où elle a déjà échoué lors de la discussion de la loi communale. Nous sommes de plus très persuadés que le clergé et les fabriques en verraient généralement tenter la réalisation avec répugnance.

« Au reste, M. le ministre, convaincus comme vous de l'utilité qu'il y aurait à prendre une mesure quelconque à l'effet de parer aux inconvénients signalés par le conseil provincial de Namur, nous verrions avec plaisir que l'on proposât aux Chambres une loi propre à remplir notre vœu commun et nous pensons que les évêques, administrateurs-nés des biens d'église, étant d'ailleurs déjà investis du pouvoir d'approuver les budgets, il serait tout rationnel qu'ils eussent aussi la vérification et le contrôle des comptes avec qualité pour faire exécuter les dispositions législatives qui y auraient rapport. »

L'évêque de Bruges disait :

« J'avoue cependant, M. le ministre, que la législation actuelle sur les fabriques est loin d'être complète et j'émets le vœu que bientôt on remédiera par une loi aux inconvénients signalés dans la proposition du conseil provincial de Namur et aux autres lacunes du décret impérial du 30 décembre 1809. »

M. Moncheur. - C'est l'objet de l'amendement.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je réponds à ceux qui ont déclaré qu'il n'y a pas utilité de réformer le décret, que c'était pour nous une nécessité de position, que c'était un brandon de discorde que, sans nécessité, nous jetions dans le pays. Voilà ce qu'on a dit pendant trois jours. Aujourd'hui vous n'osez déjà plus le dire ; c'est déjà un résultat acquis.

Voici en quels termes s'exprimait l'évêque de Liège. (Interruption.) Je ne vous ferai pas grâce d'une citation.

« D'autre part, il y a longtemps que tout le monde s'accorde à dire que la législation actuelle sur les fabriques est incomplète, et que la législature doit tâcher de parer aux inconvénients signalés par le conseil provincial de Namur, et qui ne sont que trop réels. J'ai pu m'en convaincre par moi-même dans la visite en détail de plusieurs centaines de paroisses de mon diocèse, et j'ai déjà fait quelques efforts de mon côté pour commencer la réforme d'abus très pernicieux. »

Enfin l'évêque de Namur disait :

« Tout le monde sent qu'il y a lacune dans la législation actuelle sur cet objet, et qu'il importe de la combler. »

Il n'y a, messieurs, que l'évêque de Gand qui disait qu'il n'y avait pas lieu de réviser la législation de 1809.

Mais l'honorable ministre de l'intérieur de l'époque, M. le comte de Theux, ne s'effraya pas si fort de la révision de la législation de 1809. Il était très disposé à la faire ; il en avait le projet, et dans une lettre du 21 juin 1838, il écrivait à M. le gouverneur de Namur :

« Le 28 juillet de l'année dernière, la députation permanente du conseil provincial de Namur m'a prié, au nom de ce corps, de provoquer une disposition législative qui impose aux conseils de fabrique l'obligation de soumettre leurs comptes annuels à la députation provinciale.

« Il se pourrait, M. le gouverneur, que, dans sa prochaine session, le conseil s'informât de la suite qui a été donnée à cette demande et j'ai cru devoir éventuellement vous mettre en mesure de répondre à une interpellation de ce genre.

« J'ai examiné la mesure proposée et je crains qu'elle ne pare aux inconvénients signalés qu'en en créant de nouveaux que je désire éviter. Je reconnais toutefois la justesse des observations du conseil sur le vice que présente le défaut actuel de contrôle sur les comptes des fabriques, et je tiens que l'intérêt de ces établissements et celui des communes, qui doivent, dans certains cas, venir à leur secours exigent que la législation soit modifiée en ce point. Je m'occupe de cet objet et j'espère parvenir dans peu au but que le conseil s'est proposé, quoique par des moyens différents.

« Cette affaire a donné lieu à la lettre de la députation du 28 juillet 1837, B n°114,617. »

Voilà ce que disait l'honorable comte de Theux en 1838. La réforme n'eut pas lieu. Elle était projetée, arrêtée. Pourquoi elle n'eut pas lieu et en quoi elle consistait, je le dirai tantôt.

Messieurs, la réforme, comme je viens de le dire, n'eut donc pas lieu ; mais les réclamations ne cessèrent pas.

Le conseil provincial de Namur revint à la charge en 1839. Voici en quels termes le gouverneur rappela cette affaire :

« Par notre lettre du 28 juillet 1837, B n°114,617, nous avons eu l'honneur de porter à votre connaissance le vœu émis par le conseil provincial, touchant la comptabilité des fabriques d'église ; et par votre dépêche du 21 juin 1838, 2ème direction, n°17,864, vous avez bien voulu nous mander que vous vous occupiez de cet objet et que vous espériez atteindre le but que le conseil s'était proposé, quoique par des moyens différents.

(page 203) « Aucune disposition législative n'étant encore intervenue sur ce point, le même conseil nous a chargé, par résolution du 11 juillet présent mois, de renouveler, près du gouvernement, le vœu qu'il a émis en 1837. »

Le conseil provincial de Liège, de son côté, dans sa séance du 21 juillet 1843, vota une motion pour obtenir la révision du décret de 1809. Voici, messieurs, l'extrait du procès-verbal de la séance qui le constate :

« M. Dereux, organe de la première commission, fait rapport sur la proposition de MM. Heptia, Dereux et Neef, par laquelle ils demandent au conseil de vouloir prier le gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que l'administration des fabriques d'église soit remise sous la surveillance des administrations civiles.

« Il conclut de la manière ci-après. Adoptant les considérations qui précèdent, votre première commission vous propose, messieurs, attendu que la législation existante ne soumet à aucun contrôle, à aucune vérification des autorités administratives les comptes et budgets des fabriques, de signaler cette lacune au gouvernement en le priant de prendre les mesures propres à la combler et à assurer, en tous points, un emploi des revenus des fabriques, qui sans nuire à l'exercice et à la splendeur convenable du culte, soit, en même temps profitable à l'intérêt général.

« L'urgence, mise aux voix, ayant été reconnue, les conclusions sont adoptées. »

Voilà donc, messieurs, un second conseil provincial qui, dès 1843, vient joindre sa voix à celle du conseil provincial de Namur.

Le gouvernement n'ayant pas jugé nécessaire de saisir la législature de ce projet, la province de Liège crut devoir prendre elle-même des mesures pour parer aux lacunes que présente le décret de 1809 et, dans la séance du conseil provincial du 25 juillet 1844, un conseiller provincial, aujourd'hui notre collègue, l'honorable M. Muller, déposa sur le bureau la proposition suivante :

« Je propose au conseil de décider qu'il ne sera accordé de subsides pour grosses réparations aux édifices du culte dans les paroisses, sur l'allocation libellée à l'article 3 du chapitre VI, qu'aux fabriques d'église qui prendront l'engagement de soumettre annuellement leurs budgets et leurs comptes au contrôle des administrations communales et de la députation permanente. »

« M. Demonceau et, après lui, M. le gouverneur furent d'avis que les termes de cette proposition, telle qu'elle est formulée, tendent à imposer aux fabriques en général une obligation qui ne résulte pas de la loi.

« M. Muller répondit : Il ne s'agit pas ici de porter la moindre atteinte aux lois, mais simplement de subordonner les subsides volontaires de la province à des conditions qu'elle a le droit d'imposer et que réclame l'intérêt des fabriques elles-mêmes comme celui des communes. S'il doit rester facultatif aux fabriques de se refuser à soumettre annuellement leurs budgets et leurs comptes au contrôle des administrations communales et de la députation, on ne peut contester à cette dernière le droit de n'accorder les subsides votés par le conseil que sur les garanties d'une bonne gestion.

« MM. Neef, Arnoldy, Robert, Dereux, Dubois, Flechet et Behr soutiennent la proposition de M. Muller, qui est ensuite mise aux voix et adoptée. »

Ainsi, nous voyons les conseils provinciaux prendre l'initiative et, de leur autorité, introduire des mesures pour parer aux inconvénients, aux lacunes que présente le décret, et nous sommes exposés à avoir dans le pays à peu près autant de modes d'administration différents que nous avons de provinces.

Dans la dernière session, vous avez entendu la réclamation se produire dans cette Chambre, et cette année, dans leur session ordinaire, plusieurs conseils provinciaux sont venus se joindre aux conseils provinciaux de Liège et de Namur, pour venir réclamer de la législature des modifications à la législation sur les fabriques d'église.

Il est donc peu sérieux, il est souverainement injuste de venir reprocher au gouvernement de présenter les projets de lois annoncés dans le discours du Trône, par suite d'une nécessité de position, et non pas comme un besoin de l'administration. Il faut, pour se livrer à de semblables accusations, oublier tout ce qui s'est passé depuis vingt-cinq ans et méconnaître tous les faits. Mais après les documents que je viens de produire, il faudra bien renoncer à l'espoir d'égarer l'opinion publique.

Messieurs, il me serait difficile de terminer aujourd'hui. Je demanderai donc à continuer demain.

- La séance est levée à quatre heures et demie.