(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)
(page 131) (Présidence de M. Vervoort.)
M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvé.
M. Thienpont, secrétaire., présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Des facteurs attachés au bureau des postes de Jemmapes-Saint-Ghislain demandent une augmentation de traitement. »
M. Lange. - Je demande le renvoi de cette pétition à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.
- Adopté.
« Par trois pétitions, des ouvriers à Leuze demandant qu'il soit pris des mesures pour maintenir le travail dans les ateliers, diminuer la cherté des vivres et réduire les impôts qui pèsent le plus lourdement sur la consommation. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Gillis, ancien facteur rural à Eecloo, demande une augmentation de pension. »
- Même renvoi.
« Des commerçants, cultivateurs et industriels, à Saint-Genois, demandent l'abolition des droits de barrières. »
- Même renvoi.
« Les membres du conseil communal de Ciney demandent l'établissement dans cette commune d'une école moyenne de l'Etat. »
- Même renvoi.
« Des ouvriers de la poste à Turnhout, Herenthals, Westerloo, Gheel et Hoogstraeten, demandent une augmentation de traitement et leur participation à la caisse de pensions de l'Etat. »
- Même renvoi.
« L'administration communale d'Evergem prie la Chambre de décréter la construction d'un chemin de fer de Gand à Terneuzen par Wondolgem, Evergem, Cluyzen, Ertvelde, Selzaete et Assenede. »
- Même renvoi.
« Le sieur Simens réclame l'intervention de la Chambre pour que son frère puisse rentrer en classe à l'école moyenne de Visé ou qu'une enquête soit ordonnée sur le fait qui le tient éloigné de cet établissement. »
- Même renvoi.
« Le sieur Dineur réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir la restitution d'une amende dont la remise lui a été faite par un arrêté royal. »
- Même renvoi.
M. le président. - Messieurs, je viens vous donner lecture d'une lettre de notre collègue, M. J. Jouret. Il exprime d'abord ses regrets de ne pouvoir assister aux séances de la Chambre.
Puis il ajoute :
« Cependant, M. le président, je ne puis manquer de faire connaître à la Chambre et à mes commettants le vote que j'aurais émis si cette fâcheuse conjoncturelle m'en avait empêché.
« Libéral inébranlable, mais catholique sincère, je viens, hélas ! d'en donner des preuves évidentes, j'aurais voté, en parfaite tranquillité de conscience, le paragraphe du projet d'adresse qui approuve l'article de reconnaissance du royaume d'Italie. Je l'aurais fait avec bonheur, parce que personne ne peut contester à l'Italie le droit de fonder son indépendance et sa liberté.
« De plus, j'aurais été bien heureux de donner à cette noble et généreuse nation sarde et à son roi magnanime la preuve des sentiments d'admiration que je leur ai portés durant ces longues années pendant lesquelles leurs efforts héroïques sont parvenus à créer et à fonder d'une manière dorénavant inébranlable l'indépendance et la liberté de cette noble nation italienne. »
- Pris pour information.
Il est procédé au tirage au sort des sections du mois de décembre.
M. de Brouckere. - Messieurs, depuis plusieurs années le Roi n'a pas fait en personne l'ouverture des Chambres.
Depuis plusieurs années donc nous n'avons pas eu à discuter d'adresse en réponse au discours du Trône. Je crois, messieurs, que nous avons un peu perdu de vue ce qu'est, ce que doit être une pareille adresse.
En règle générale, elle ne sort point du cadre dans lequel s'est renfermé le discours auquel elle sert de réponse.
Ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles ou pour des événements particulièrement intéressants qu'on insère dans l'adresse un paragraphe nouveau.
Cependant, messieurs, nous voyons cette année surgir une grande quantité d'amendements.
Nous en avons déjà rejeté deux et nous sommes en présence de deux amendements nouveaux, dont un relatif au traitement des fonctionnaires que l'on engage le Gouvernement à augmenter, un autre relatif à la langue flamande.
Il en pourra encore surgir d'autres.
Je crois, messieurs, que si nous nous mettons en peine d'exprimer dans une adresse tous nos sentiments, nos opinions sur toute chose, si nous voulons y indiquer toutes les améliorations que l'on peut introduire dans l'administration, non seulement nous aurons une discussion extrêmement longue, mais encore une œuvre toute nouvelle et qui ne ressemblera plus aux anciennes adresses.
Des objets comme ceux sur lesquels on a appelé notre attention dans la dernière séance doivent trouver place dans la discussion des budgets et non, je pense, dans une discussion comme celle qui nous occupe depuis quinze jours.
Je me borne à soumettre ces observations aux honorables auteurs des amendements qui ont été présentés dans la dernière séance, et je suis persuadé qu'eux-mêmes ne les trouveront pas sans fondement.
M. le président. - Nous sommes arrivés au paragraphe 9. Il est ainsi conçu :
«Les lois importantes déjà présentées et celles que Votre Majesté nous annonce, feront l'objet de nos délibérations actives. »
- Adopté.
«La réforme des lois de milice surtout rencontrera un accueil favorable, si, corrigeant, comme nous n'en doutons pas, les vices du système actuel, elle assure, d'une part, une équitable compensation à ceux qui consacrent leurs plus belles années au noble métier des armes pour le service de l'Etat, et fortifie, d'autre part, la bonne constitution de l'armée, digne, à tous égards, de notre sérieuse sollicitude. »
- Adopté.
« Le succès obtenu dans les rangs de la garde civique par l'institution du tir national, atteste chez elle le désir d'élever son instruction à la hauteur de son patriotisme et de son zèle. Le tir national attend néanmoins un complément légitime et urgent : l'armement convenable de notre milice citoyenne. »
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je désirerais donner, à l'occasion de ce paragraphe, quelques explications concernant l'armement de la garde civique.
Messieurs, la question de l'armement de notre garde civique préoccupe vivement la milice citoyenne de la capitale et des provinces. Cette question, en effet, est fort importante, car il est hors de doute que, dans un pays libre comme le nôtre, la question de l'armement des citoyens est une question qui mérite l'examen sérieux de tous les hommes qui ont à cœur les intérêts du pays.
Aussi, loin de me plaindre du mouvement, du bruit qui s'est fait autour de cette question, je remercie les hommes patriotiques qui ont bien voulu s'en occuper et nous aideront à la conduire à bonne fin dans un temps qui, je l'espère, ne sera pas trop éloigné.
Cependant, messieurs, je dois faire remarquer à la Chambre que, lorsqu'on veut obtenir l'amélioration de ce qui existe, on exagère assez souvent les inconvénients du statu quo : ce qui est passable, ce qui est bon même est alors traité de mauvais, de détestable ; et c'est un peu, je pense, ce qui a lieu au sujet de la question des armes mises à la disposition de la milice citoyenne.
A force d'entendre répéter qu'une chose est mauvaise, on finit par le croire et il s'établit, sous ce rapport, certains préjugés qu'il importe de détruire.
En ce qui concerne la question qui nous occupe surtout, c'est-à-dire l'armement de la garde civique, ces exagérations pourraient avoir des conséquences assez graves. Chacun de nous doit comprendre, en effet, qu'il (page 132) importe que le soldat citoyen ait une confiance absolue en son arme, et que, s'il pouvait avoir la conviction ou simplement l’idée que cette arme est nuisible, comme on l'a prétendu, pour celui qui s’en sert, il est évident que, dans ce cas, il n’aurait plus dans son arme la confiance qu’elle doit nécessairement lui inspirer.
Je crois donc que l'on a quelque peu calomnié les fusils dont se sert actuellement la garde civique. Ces fusils ne sont pas, en réalité, aussi mauvais qu'on semble le croire, et à l'appui de cette opinion je crois pouvoir citer deux faits qui seront de nature à démontrer à la Chambre que ce que j’allègue est exact.
Ainsi, messieurs, lors du dernier tir national, il a été tiré 156,000cartouches, et pendant ce tir, qui a duré plusieurs jours, pas une seule arme, je me trompe, une seule arme a éclaté ; mais je me hâte d'ajouter que ce n'était pas un fusil de garde civique ; c'était une carabine qui avait un vice de confection.
Pour démontrer encore que les fusils de la garde civique ne sont pas aussi mauvais qu'on le dit, je rappellerai qu'en 1859 et 1860, onze pour cent des balles tirées ont porté dans la cible.
Or, autrefois, on calculait que sur 10,000 coups de fusil un seul portait... (Interruption.) Je sais, messieurs, qu'il y a une grande différence, entre le tir à la cible et le tir sur une armée ennemie ; mais il est évident que l'écart constaté est dû à d'autres causes.
M. Goblet. - C’était un sur mille et non pas sur 10,000.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Soit. J'ai lu quelque part, dans un ouvrage militaire, que l'on dépensait à peu près une masse de plomb égale au poids d'un homme pour atteindre un ennemi.
Mais, messieurs, ce qui constate encore que ces fusils ne sont pas aussi mauvais qu'on le dit, ce sont les résultats obtenus au tir. Ceux qui ont remporté les premiers prix ont fait 60 points en 5 balles ; ceux qui ont obtenu les prix de 45 à 71 en ont fait la moitié ; je sais que ces résultats sont dus en grande partie à ce que la garde civique s'exerce, niais aussi à ce que les fusils ont été améliorés et ne peuvent plus être comparés aux fusils anciens, c'est-à-dire aux fusils à silex.
Résulte-t-il de là qu'il n'y ait plus rien à faire ? Je ne le prétends pas. Je voulais seulement démontrer que les fusils de la garde civique, sans être parfaits, ne sont pas aussi défectueux qu'on l'a prétendu. Le gouvernement a si bien compris qu'il y avait quelque chose à faire pour l'armement général du pays, qu'il est entré franchement dans cette voie.
Cependant il a cru que, dans la position où il se trouvait, il fallait d'abord pourvoir à l'armement de la force armée destinée à entrer en campagne, qu'il fallait d'abord avoir des fusils perfectionnés pour l'armée proprement dite et pour le premier ban de la garde civique qui pourrait cesser d'être sédentaire.
Dans ce moment, tous nos bataillons ne sont pas encore armés de fusils rayés, il est encore quelques bataillons de réserve qui ont des fusils de l'ancien modèle ; quand tous nos bataillons seront pourvus de fusils rayés, tout ne sera pas fait, car pour des armées bien organisées, il ne suffit pas d'avoir une arme pour les hommes destinés à entrer en campagne ; il faut aussi avoir une certaine réserve, qu'on estime devoir être de trois fusils par homme ; nous admettons un chiffre inférieur.
Le gouvernement pense que c'est de cette manière qu'il devait procéder à l'armement du pays ; et si le premier ban de la garde civique était mobilisé, il recevrait des armes semblables à celles de l'armée régulière, car il faut que toute l'armée ait des fusils de même modèle et de même calibre afin que les mêmes munitions puissent servir pour toutes les armes.
N'oublions pas qu'actuellement la garde civique est essentiellement sédentaire et que dans le cas où une fraction devrait quitter ses foyers, on lui donnerait des armes comme celles de l'armée.
Il est à remarquer que les fusils mis entre les mains de la garde civique sont d'un entretien plus facile que ceux de l'armée ; ceux-ci exigent des soins tels, que non seulement à chaque compagnie mais à chaque escouade est attaché un armurier, et chaque fois qu'un tir ou un exercice a eu lieu, qu'on s'est servi de ces armes, on est obligé de leur faire subir un certain nettoyage que les armuriers seuls peuvent faire convenablement.
Si ces armes étaient mises entre les mains de la garde civique, elle les entretiendrait très convenablement, j'en suis certain, mais cela lui imposerait des charges très lourdes. Je le répète, les armes perfectionnées qui ne sont pas entretenues avec les soins que je viens d'indiquer, cessent d'être bonnes et au lieu d'être préférables aux armes actuelles de la garde civique, elles sont plus mauvaises que les, fusils à canon lisse.
Messieurs, il y a quelques années, on a voté à la Chambre un crédit destiné à faire rayer les fusils à canon lisse. Ce crédit n’a pas été dépensé. Des renseignements ont été pris auprès de personnes et d'autorités compétentes et il est résulté de ces informations que les fusils actuels de la garde civique sont peut-être trop usés pour pouvoir être rayés. On a cru que si on les faisait rayer, il y aurait peut-être quelque danger à s'en servir encore.
Mais, en attendant que l'on puisse donner à notre garde civique sédentaire des armes conformes à celles de l'armée, le département de l'intérieur examine s'il ne serait pas possible d'apporter quelques améliorations aux fusils aujourd'hui en usage.
On a pensé qu'on pourrait rayer les carabines de l'artillerie qui sont neuves, et qu'en faisant quelques changements aux fusils d'infanterie, on pourrait améliorer beaucoup la régularité du tir. On fait en ce moment des expériences et lorsqu'elles seront complètes, l'on demandera un transfert à la Chambre, de manière à employer le crédit déjà voté aux améliorations des armes qui sont en magasin.
Quant aux armes dont se servent les sociétés de tir et les compagnies de carabiniers, vous n'ignorez pas qu'il a été nommé il y a quelque temps une commission qui examine la question avec le plus grand soin. Dans cette commission se trouvent plusieurs de nos honorables collègues qui manient aussi bien le mousquet au tir national que la parole à cette tribune, ils pourront vous dire que jusqu'ici cette commission n'a pu aboutir d'une manière complète, mais désire continuer ses études. Le gouvernement est tout disposé à faciliter la continuation de ces études, afin qu'on puisse arriver à quelque chose de définitif et de stable.
En résumé, nous pensons qu'il est difficile de s'occuper de l'armement de la garde civique sédentaire avant qu'on ait en magasin le nombre d'armes de guerre nécessaires pour les fractions de la milice destinée à entrer en campagne.
Je ferai observer encore en terminant, qu'il serait difficile en ce moment d'obtenir des établissements de l'Etat et peut-être même de l'industrie privée, des fournitures considérables de fusils rayés.
Tels sont les motifs pour lesquels le gouvernement croit devoir persévérer dans la voie où il est entré.
M. Goblet. - Je commencerai par remercier l'honorable ministre de l'intérieur des bonnes intentions qu'il témoigne pour l'armement de la garde civique. Cependant je regrette qu'il se laisse un peu trop aller au système de persuader au pays que la garde civique a en mains de bonnes armes.
Lorsqu'il s'est agi, à différentes reprises, d'armement militaire, l'on a déclaré de la manière la plus formelle qu'il était impossible de rayer les fusils de la garde civique, ou d'apporter des modifications quelconques à cette arme défectueuse.
Ce n'est pas ici le moment de discuter cette question à fond. J'espère que l'honorable ministre ne s'opposera pas à un amendement que nous présenterons dans la discussion du budget de l'intérieur. Le débat actuel peut donc se terminer ici, pour être renouvelé ultérieurement.
M. le président. - Le paragraphe 12 est ainsi conçu :
« L'enseignement public à tous les degrés, les lettres, les sciences et les beaux-arts ont droit à l'appui sympathique et persévérant du gouvernement et de la législature. Ils peuvent compter sur cet appui dans l'avenir comme par le passé. Les hommes de talent qui ont concouru, par leurs œuvres, à embellir l'exposition d'Anvers, ont répondu à la sollicitude du gouvernement. Le pays, dans ces solennités périodiques, aime à montrer brillante et sans cesse rajeunie l'antique renommée de l'école flamande. »
M. Debaets a présenté l'amendement suivant :
« Intercaler entre les mots : comme par le passé, les mots : les hommes de talent, la phrase :
« Nous espérons que le gouvernement fera disparaître les griefs si souvent signalés par les défenseurs de la langue et de la littérature flamande. »
M. Debaets. - Messieurs, quel que soit mon respect pour les membres de cette Chambre qui se sont illustrés par une longue carrière parlementaire, et notamment par l'honorable M. de Brouckere, je me permettrai, dans cette occasion, de ne pas être de son avis.
Je crois que la discussion de l'adresse doit permettre à chacun de nous d'exprimer un vœu sur un sujet qu'il considère comme étant d'une grande importance, comme étant d'intérêt général.
Je comprends qu'on ne vienne pas mêler des détails administratifs à une discussion de principe, à la critique générale des actes posés par le gouvernement ; mais il me semble qu'il est de notre droit, qu'il est du droit de la minorité et du droit de chacun de nous individuellement d'exprimer un vœu sur un objet déterminé que l'auteur ou les auteurs de ce vœu considèrent comme suffisamment important. Si la majorité compose une commission d'adresse qui se borne à paraphraser le discours du trône, (page 133) il appartient à la minorité et à chaque membre de la Chambre d’entretenir l’assemblée des objets qui lui semblent avoir une importance majeure.
Pour nous, messieurs, députés des Flandres, la question de la langue flamande est de la plus haute importance. Il est un fait incontestable, c’est qu'il se produit dans nos populations des Flandres un mouvement de jour en jour plus énergique.
Ce mouvement est une protestation contre un état de choses qu'il serait de l'intérêt du gouvernement de faire disparaître alors même qu'il ne s'agirait pas d'un acte de stricte justice.
Messieurs, je comprends que dans la discussion de cette question chacun de nous doit apporter la modération la plus grande ; nous ne voulons pas jeter de l'huile sur le feu ; nous vous signalons un danger et nous vous conjurons d'y mettre un terme.
Ne vous faites pas illusion ; un mouvement dont, en 1834, on ne supposait pas encore l'existence, a pris naissance il y a 15 ou 20 ans et va se grossissant tous les jours ; les protestations deviennent tous les jours de plus en plus énergiques.
Eh bien, je dis qu'il faut bien qu'il y ait quelque chose de réel dans cette situation dont on se plaint, car on ne comprendrait pas que la moitié de la nation belge s'élevât comme un seul homme contre un état de choses dont, en définitive, on n'aurait pas à se plaindre.
Nier le mal, ce n'est pas le détruire. Il ne serait pas adroit de nier des faits qui sont patents.
En effet, quelle en serait la première conséquence ? Ce serait de provoquer des exagérations,
Un grief réel dont on nie l'existence appelle très souvent des griefs imaginaires.
Messieurs, je ne vous donnerai pas l’énumération des divers points qui réclament des réformes. Je me bornerai à appeler votre attention sur quelques-uns de ces points dans deux ordres d'idées différents, et vous en aurez vu assez pour comprendre que nous demandions à la Chambre d'engager le gouvernement à intervenir d'une manière plus active dans la protection de la langue flamande.
Les deux ordres d'idées auxquels je fais allusion se rapportent, l'un à l'administration, l'autre à l'enseignement.
Messieurs, je vous prie de m'écouter sans prévention ; j'en appelle au jugement, à la justice de la Chambre et vous résoudrez ces faits comme nous les résolvons.
Nous avons en Belgique une population flamande de 2 millions à 2,500,000 âmes. Vous entrez de la Zélande ou du Brabant septentrional dans une province flamande, de la Zélande dans la Flandre orientale, du Brabant septentrional dans le Brabant belge.
A votre frontière vous trouverez «Rijksregten c'est la douane hollandaise ; en face, « Droits de l'Etat », c'est la douane belge.
Vous en tirez immédiatement la conclusion qu'en Belgique, si le flamand n'est pas prohibé, tout au moins le français y jouit de droits tellement protecteurs que le flamand n'exige plus qu'à l'état de contrebande.
Le douanier, c'est le représentant du M. le ministre des finances. Vous vous adressez ensuite au représentant de M. le ministre des travaux publics, à la poste, au télégraphe, au chemin de fer, aux ponts et chaussées ; tout le monde, ou parle français ou administre en français.
Ceci n'est pas aussi important que ce que je vais vous signaler.
Dans l'administration de la justice, il se produit des faits graves, et ces faits ajoutés à ceux qui se produisent dans l'administration du département de l'intérieur, dans ses diverses manifestations (gouverneurs, commissaires d'arrondissement, etc.), me donnent le droit de dire que si des faits pareils se produisaient dans les provinces wallonnes, ils y soulèveraient des protestations cent fois plus énergiques que celles qui se sont fait jour en 1823, c'est-à-dire que les provinces wallonnes ne supporteraient pas pendant 24 heures ce que nous supportons.
Je laisse de côté la justice civile ; je prends la justice criminelle.
Eh bien, messieurs, je suppose qu'à Mons, à Liège ou dans toute autre ville des provinces wallonnes, en pleine cour d'assises, l'organe du ministère public prenne la parole en flamand, que le jury lui déclare qu'il ne comprend pas la langue flamande ; je suppose encore que ce magistrat dise : « J'use du droit que me confère la constitution, » vous lui répondriez que les magistrats et les fonctionnaires sont faits pour les administrés et pour les justiciables et que les justiciables et les administrés ne sont pas faits pour les fonctionnaires et les magistrats.
Ce ne sont pas ici des hypothèses, ce sont des faits.
A la cour d'assises de Bruges, l’organe du ministère public portait la parole en français. Ce magistrat n’existe plus. Un membre du jury lui fait l’observation qu’il ne comprend pas, lui qui est appelé à statuer sur l'honneur, sur la vie de son semblable, et le ministère public lui répond qu'il use d'un droit constitutionnel en parlant au jury, c’est-à-dire à des juges appelés à décider, une langue qu'ils ne comprennent pas.
J'ai vu comparaître devant les tribunaux do la Flandre un homme qui avait été acquitté en première instance. Il se présentait devant la cour sans avocat.
Il avait eu une première fois l'occasion de s'expliquer sur l'accusation qui pesait sur lui, mais devant le deuxième degré de juridiction, il a vu réformer le premier jugement sans savoir sur quoi le ministère public s'était fondé pour obtenir contre lui une condamnation.
Ce fait se produit tous les jours.
Il en est de même de l'administration, en ce qui concerne les correspondances officielles.
Nous avons vu - la source n'est pas suspecte, c'est dans la Revue trimestrielle - que dans une province flamande une administration communale s'est adressée au commissaire d'arrondissement, pour qu'il voulût bien lui envoyer en flamand des documents qu'elle ne comprenait pas en français, et que le commissaire d'arrondissement lui a répondu qu'en vertu de son droit constitutionnel il continuerait dorénavant à correspondre en français comme auparavant.
Si ce fait se produisait dans les provinces wallonnes, si les commissaires d'arrondissement de Liège et de Verviers se permettaient d'écrire aux administrations communales des provinces wallonnes qu'ils n'entendent pas correspondre avec elles en français, mais bien en flamand, vous ne le supporteriez pas pendant vingt-quatre heures et vous auriez raison. (Interruption.)
Messieurs, je comprends qu'on recule devant des demandes qui peuvent être exagérées.
Je livre ces faits à votre appréciation et je n'entrerai pas dans quelques détails secondaires. Mais voilà l'esprit qui persiste malgré le désir sincère que l'administration supérieure peut avoir de transformer cet état de choses et nous savons quelle en est la cause.
Un ministre avec la meilleure intention ne fait pas de la bureaucratie ce qu'il veut.
On rencontre cet obstacle dans toutes les administrations, même au département de la guerre. (Interruption.)
Ne vous effrayez pas, je ne parlerai pas des régiments flamands, mais à tout instant, dans nos communes des Flandres on se trouve en face de gendarmes ne sachant pas un mot de flamand. Pour ma part, j'en ai vu plus de douze. Ces messieurs sont chargés de rechercher les auteurs des crimes et délits, et ils se trouvent au milieu d'une population qu'ils ne comprennent pas et dont ils ne sont pas compris.
On dira peut-être que des administrations communales des provinces flamandes manifestent elles-mêmes quelquefois le désir de continuer à correspondre en langue française avec l'autorité supérieure.
Savez-vous à quoi cela tient ? Je vais vous le dire. C'est parce que la loi communale pour une grande partie de nos Flandres est une lettre morte. Les administrations communales sont absorbées, complètement absorbées par les secrétaires communaux.
Je connais un grand nombre d'administrations communales, et je puis faire à cet égard un appel à nos collègues qui appartiennent aux provinces flamandes, où aucun membre ne sait un mot de français. Toute la correspondance avec le commissaire d'arrondissement, avec l'administration des ponts et chaussées qui a souvent des relations avec les communes, toute la correspondance pour l'administration en général se fait en français.
Messieurs, et ceci servira de transition, cela provient d'un vice radical dans notre système d'enseignement.
Le flamand dans l'enseignement ne jouit pas des droits auxquels il peut aspirer.
Je vais vous le prouver par des arguments très concluants, par des chiffres.
Nous n'avons pas ici, nous représentants, à nous occuper de ce que fait l'enseignement privé. Nous avons à nous occuper de l'enseignement officiel de l'Etat.
Voyons ce qui se passe dans les deux universités de l'Etat, à Liège et à Gand.
A Liége, en fait d'enseignement flamand, rien.
A Gand, du provisoire.
Croiriez-vous, messieurs, que les fonds qui ont été votés, il y a huit ans, si je ne me trompe, pour rétribuer le professeur de flamand à l'université de Gand n'ont pas encore reçu leur destination ? En 1856, pour la première fois, sur une interpellation de l'honorable M. Manilius, on promettait la création d'un cours définitif, et cependant nous avons encore toujours du provisoire.
(page 164) M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Il y a deux professeurs.
M. Debaets. - J'entends l'honorable ministre des affaires, étrangères me dire qu'il y a deux professeurs flamands, mais ils sont tous les deux provisoires.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Si les cours sont bons ! S'ils sont suivis !
M. Debaets. - S'ils sont suivis ! J'affirme que pour le cours donné par M. Heremans, je n'ai pas de renseignements aussi précis quant à l'autre), qu'il est un des cours les plus fréquentés de l'université de Gand.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - De quoi vous plaignez-vous, si le cours est suivi, tout provisoire qu'il est ?
M. Debaets. - Tout provisoire qu'il est ! Mais si un cours d'histoire ou tout autre était suivi avec tant d'assiduité, aucun ministre ne le laisserait à l'état provisoire, et c'est cependant ce qui arrive quand il s'agit surtout d'une langue nationale.
Vous n'avez pas le droit de laisser durer ce provisoire pendant des années.
Je ne m'occuperai pas de ce qui se passe dans les athénées des provinces wallonnes, mais je vais vous dire ce qui se passe dans les athénées des provinces flamandes.
La loi ordonne l'étude approfondie du flamand.
Vous allez voir comment se fait cette étude approfondie.
A l'athénée d'Anvers on enseigne dans la section professionnelle la langue française et la langue flamande.
On consacre dans la classe préparatoire 11 heures par semaine au français et 5 heures seulement au flamand.
Dans la cinquième, on consacre 8 heures par semaine au français et 2 heures au flamand.
Dans la quatrième, il y a 6 heures pour le français et 2 heures pour le flamand.
Dans la troisième, six heures sont consacrées au français et deux heures au flamand.
Dans la deuxième, il y a cinq heures pour le français et deux heures pour le flamand.
Dans la première, 6 heures sont consacrées au français et deux heures au flamand.
Ce qui fait un total de quarante-deux heures d'enseignement pour le français et treize heures pour le flamand.
Dans la section des humanités, on affecte dans les classes préparatoires douze heures par semaine au flamand et trois heures au français.
En 6ème on enseigne le français pendant 5 heures par semaine, et le flamand pendant 2 heures.
En 5ème on donne 5 heures au français et 2 heures au flamand.
En 4ème le cours de français dure 3 heures par semaine, le cours de flamand 1 heure.
En 3ème il y a 3 heures pour le français et une heure, pour le flamand.
En seconde, 3 heures sont consacrées au français, une heure seulement est consacrée au flamand.
En rhétorique, le cours de français doit durer trois heures ; le cours de flamand n'est pas même indiqué.
Et, messieurs, ce n'est pas seulement quant à la durée de l'enseignement que la différence est grande ; elle ne l'est pas moins quant à l'importance relative qui est officiellement donnée à l'enseignement de l'une et de l'autre langue ; sous ce rapport encore, la langue flamande se trouve à un degré d'infériorité non moins manifeste.
Ainsi, dans la section professionnelle le français compte pour 610 points, le flamand pour 240 points seulement. Dans la section des humanités, le français compte pour 460 points, le flamand seulement pour 180 points.
En résumé donc, nous trouvons que le français est au flamand, quant à la durée de l'enseignement, comme 3 est à 1 ; et quant aux points comme 5 est à 2.
A Bruxelles, c'est la même chose : dans la section professionnelle, 38 heures sont consacrées au français ; 13 seulement au flamand.
Dans la section des humanités, le cours de français doit durer 34 heures ; le flamand, 11 heures seulement - soit 72 heures pour le français : 24 heures pour le flamand.
A Gand, situation identique.
Dans cette dernière ville, on a jugé convenable de prendre deux professeurs de dessin linéaire, deux professeurs pour l'allemand, et un seul professeur pour le flamand, et cet unique professeur doit desservir les sept cours de la section professionnelle et les six cours de la section des humanités.
Si maintenant, messieurs, nous passons des athénées dans d'autres établissements d'instruction, nous remarquons non seulement qu'on n'a pas réservé à l’enseignement du flamand la part qui lui est due, mais encore qu'il n'y a pour l'enseignement du flamand aucune espèce de stimulant, aucune contrainte ; à telles enseignes que la loi, sous ce rapport, est dépourvue de sanction : l'élève apprend le flamand ou ne l'apprend pas ; cela est parfaitement indifférent quant au résultat de ses autres études.
Pour les écoles moyennes, il existe un état de choses que je dois également signaler à la Chambre. A Gand et à Anvers, les enfants, en général et sauf de rares exceptions, sont élevés en flamand et ils parlent exclusivement la langue flamande.
Tout le monde le sait, les écoles moyennes ne sont en réalité que des écoles primaires, avec cette seule différence qu'on y donne des cours supérieurs. Mais en entrant à l'école moyenne, les enfants font absolument comme s'ils entraient à l'école primaire. Or, qu'arrive-t-il ? Je comprends que pour les élèves parlant le français on commence par l'enseignement approfondi du français ; mais si l'on commençait à enseigner à nos enfants la langue française au moyen d'une langue étrangère dont l'étude serait obligatoire, vous seriez probablement. d'avis que c'est renverser les principes, que c'est, comme on dit vulgairement, mettre la charrue devant les chevaux.
C'est cependant ce qui se pratique dans les écoles moyennes du deuxième degré : on y enseigne avant tout le français et, c'est au moyen du français qu'on enseigne ensuite le flamand.
Si l'on vous disait que de telles choses se passent dans d'autres pays, vous auriez sans doute beaucoup de peine à y croire.
Eh bien, voilà cependant ce qui se passe chez vous, sous les yeux de tout le monde, et de telles choses ne sont vraiment possibles qu'en Belgique où l'on ne s'étonne de rien.
Ce n'est ni en Hongrie, ni en Danemark, par exemple, qu'on trouverait de telles anomalies.
Vous avez même pu remarquer récemment que l'empereur d'Autriche a expressément recommandé aux fonctionnaires publics de correspondre, en croate ou en langue magyare selon la nationalité des populations.
- Un membre. - Les Croates ne savent pas même lire.
M. Debaets. - En Flandre, nous savons lire et c'est pour cela que nous venons dire à cette Chambre ce que nous en pensons.
Il me reste encore quelques points à signaler ; mais j'abrégerai autant que possible.
Nous avons à Lierre une école normale destinée à former des instituteurs pour les écoles primaires des Flandres ; nous en avons une à Nivelles, où l'on forme des instituteurs pour les écoles primaires des provinces wallonnes. Les instituteurs primaires qui sortent de l'école de Lierre auront donc à accomplir leur mission dans les provinces flamandes ; ils ne devront enseigner qu'en flamand. Eh bien, à l'école de Lierre tous les cours indistinctement, sauf les cours de langue flamande, sont donnés en français, exclusivement en français. L'on n'a pas même jugé convenable d'ajouter à l'école normale de Lierre une section pour former des professeurs pour l'enseignement moyen du deuxième degré, ce qu'on a fait à l'école de Nivelles.
Il me reste un dernier point à signaler. Nous avons en Belgique des marins et ceux-là sont exclusivement flamands. Les ports d'Ostende, d'Anvers, de Bruges et de Gand, nous fournissent des capitaines, des matelots, des pilotes exclusivement flamands. On a établi un institut commercial et des écoles de navigation.
L'institut commercial doit servir à former de bons négociants et des élèves consuls. Ces élèves consuls, quand ils seront promus au grade de consul, seront mis en relations directes avec nos capitaines et nos matelots, qui, pour la plupart, ne comprennent que le flamand. Eh bien, le croirait-on ? les élèves consuls ne sont pas tenus de connaître cette langue.
La même chose existe à l'école militaire.
Vous y formez des officiers qui devront commander des soldats flamands, et, si je ne me trompe (car sur ce point mes renseignements ne sont pas aussi précis), ils ne sont pas obligés d'apprendre le flamand, tandis qu'ils doivent apprendre l'anglais et l'allemand.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - C'est une erreur : il y a un cours de flamand à l'école militaire.
M. Debaets. - Oui, niais je ne sache pas que ce cours soit obligatoire.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Pardon ; ce cours est obligatoire.
M. Debaets. - J'en remercie sincèrement M. le ministre de la guerre et je désire que les chefs des autres départements ministériels (page 135) mettent autant de complaisance que lui à redresser les griefs que nous signalons.
Il est encore une considération générale que je désire présenter. Il est manifeste, messieurs, que l’enseignement de la langue flamande dans les provinces wallonnes laisse énormément à désirer ; et voici pourquoi : c'est que la plupart de nos magistrats, de nos avocats, de nos juges, de nos notaires, et permettez-moi de le dire, un grand nombre d'entre nous, représentants, ne savent ni lire ni écrire convenablement le flamand.
Nous sommes, messieurs, dans un pays essentiellement démocratique, nous sommes ici en vertu d'un pouvoir qui émane de la nation ; et il ne nous serait pas permis de créer ici des castes, pas même des castes intelligentes au détriment de celles qui ne le sont pas. En vertu de nos principes démocratiques, nous devons, et c'est pour nous un devoir sacré, nous devons, non seulement nous instruire dans notre langue maternelle pour les rapports que nous pouvons avoir avec les populations flamandes ; mais vous devez aussi ouvrir à ces populations la voie du développement intellectuel.
Je termine en disant que la Chambre peut être convaincue que dans ma proposition il n'y a pas le moindre blâme indirect même contre telle ou telle administration particulière. Je ne veux qu'engager la Chambre et l'honorable ministre de l'intérieur à suivre l'exemple donné par l'honorable M. de Decker avec un dévouement dont les populations flamandes sont encore reconnaissantes.
M. Vander Donckt. - Je viens appuyer l'insertion du paragraphe proposé par l'honorable préopinant dans l'adresse en réponse au discours du Trône. Aujourd'hui que nous avons à la tête du département de l'intérieur un ministre né Flamand, qui connaît la langue flamande et la parle, sans vouloir en rien amoindrir les droits de l'honorable M. Rogier, en ce qu'il a fait pour la langue flamande, je crois qu'il y a encore beaucoup à faire, et c'est avec une entière confiance que nous venons nous adresser aujourd'hui à l'honorable ministre de l'intérieur.
Je ne suivrai pas l'honorable préopinant dans tous les développements dans lesquels il est entré pour justifier sa motion. J'ajouterai cependant quelques considérations sous le rapport de l'enseignement.
Dans les athénées et les écoles moyennes, on ne se borne pas à ne pas enseigner le flamand ou à l'enseigner sans y attacher d'importance, mais dans les écoles on défend à nos enfants de parler leur langue maternelle, on les punit quand ils parlent leur langue ; au lieu de les perfectionner, on leur en défend l'usage.
L'enseignement est en quelque sorte exclusivement français dans les provinces flamandes.
Aujourd'hui que le mouvement flamand a pris une extension considérable, que ses griefs sont mis au grand jour, le temps est venu d'y faire droit.
Ils consistent, entre autres, pour l'enseignement, à ce qu'on n'enseigne pas les autres langues par le flamand.
C'est du flamand au latin, à l'allemand, à l'anglais que nous demandons que l'instruction de notre jeunesse flamande soit organisée. Passe pour les provinces wallonnes, celles qui ne comprennent pas le flamand. Mais dans les provinces flamandes il faut que le flamand serve de fondement et de base à l'enseignement, il faut qu'on soit à même d'étudier le latin par le flamand ; c'est ce que nous avons fait nous-mêmes.
Nous avons ici beaucoup de nos collègues qui sont d'un certain âge et qui ont fait leurs études de cette manière. C'est le rétablissement de cette méthode que nous demandons ; c'est le premier redressement de nos griefs quant à l'enseignement.
Il est en outre une considération que je dois faire remarquer. Lors des dernières élections, une catégorie considérable d'électeurs se sont adressés aux candidats et des deux côtés, je vous prie de croire que je n'ai pas l'intention de faire la moindre allusion à l'esprit de parti ; j'espère qu'on ne placera pas cette question flamande sur le terrain politique ; on s'est, dis-je, adressé aux candidats, on leur a demandé leur concours loyal en faveur de la langue flamande.
A Gand, où les candidats se trouvaient en présence pour occuper sept places, tous dans les deux camps ont promis de défendre la langue flamande quand il en serait question.
De sorte que nous comptons que tous les honorables membres de cette Chambre qui appartiennent aux localités flamandes nous prêteront leur concours pour faire adopter les propositions que nous aurons l'honneur de faire quand la Chambre s'occupera des budgets de l’intérieur et de la justice, car cet honorable ministre sera aussi interpellé pour connaître son opinion sur la question de savoir si nos Annales parlementaires seront traduites en flamand, si nos concitoyens pourront connaître comment sont traités leurs intérêts les plus chers, dans cette enceinte. C'est une charge devant laquelle on a reculé parce qu'on a pensé que cela coûterait trop cher.
Aujourd'hui qu'un sacrifie des millions pour l'enseignement primaire, pour l’enseignement moyen et pour l’enseignement supérieur, ce ne sera pas devant une dépense de quelques milliers de francs pour une bonne traduction des Annales qu'il faudrait s'arrêter.
Dans nos élections à Audenarde, on nous a opposé trois candidats ; ils ont fait une déclaration ; cette question de la langue, flamande est si populaire qu'ils s'en sont emparés ; quand ils ont dit dans leur adresse aux électeurs. Nous aussi nous sommes partisans de la langue flamande, non seulement parce que nous l'avons sucée avec le lait de notre mère, en faisant allusion à mes paroles prononcées dans une séance précédente, mais parce que nous sommes convaincus que c'est le meilleur et le plus puissant moyen de civilisation et de progrès.
Vous le voyez, messieurs, le gouvernement ne peut pas convenablement s'opposer au redressement des griefs des populations flamandes, à moins de renoncer à son programme de ministère libéral et de progrès, car s'il l'est, il doit faire tout son possible pour contribuer à la civilisation, à l’émancipation intellectuelle, au progrès des populations des provinces flamandes comme des provinces françaises.
Je voterai pour l'amendement proposé.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - L'honorable préopinant a commencé son discours en félicitant le ministère de compter un ministre flamand de plus. Je l'en remercie d'autant plus que je crains bien que les félicitations ne m'arrivent que rarement de ce côté de la Chambre. (Interruption.)
Je désire qu'il en soit autrement.
La position que l'honorable membre a bien voulu m'assigner comme ministre flamand m'impose des devoirs ; c'est avec une franchise toute flamande que je vais avoir l'honneur de répondre au discours qu'il a prononcé. Je ne pense pas qu'il soit possible d'accepter, tel qu'il est conçu, l'amendement qui a été présenté par l'honorable M. Debatls.
Je dirai franchement que dans mon opinion, cet amendement implique d'une part un blâme contre mes honorables prédécesseurs, contre l'honorable M. Rogier, et, quoi qu'on en ait dit, contre l'honorable M. de Decker, l'un des premiers qui aient entamé dans cette enceinte d'une manière sérieuse la question flamande. Or, je ne puis accepter ce reproche ni pour l'un ni pour l'autre de mes honorables prédécesseurs. L'examen que j'ai fait du dossier au ministère de l'intérieur m'a prouvé, à la dernière évidence, que ces reproches sont injustes.
L'amendement implique aussi une insinuation de défiance contre le nouveau ministre de l'intérieur, et je pense que cette défiance n'est pas justifiée.
Je viens de prendre le portefeuille de ce département et comme j'aurai l'honneur de le démontrer, je me suis occupé déjà très sérieusemenl de l'affaire flamande, de ce que nous appelons de vlaemsche zaek.
Messieurs, quels sont les griefs des défenseurs de la langue flamande ?
Dans mon opinion, ces griefs sont de deux espèces. Les uns manquent complètement de fondement, et il serait impossible, sans diviser le pays en deux grandes fractions, sans nuire à l'unité nationale, d'y faire droit.
D'autres réclamations me paraissent acceptables. Mais j'ajouterai qu'une grande partie de ce qui peut être fait a déjà été fait par mes honorables prédécesseurs.
Ainsi, dans la première catégorie de griefs dont je viens de parler, c'est-à-dire ceux auxquels il serait difficile d'accorder satisfaction, je place la demande faite par l'honorable M. Vander Donckt. L'honorable membre propose à la Chambre de publier une édition flamande du Moniteur et des Annales parlementaires.
Je ferai remarquer d'abord que cette affaire concerne plutôt la Chambre que le gouvernement et que la Chambre peut, si elle juge utile, faire paraître nos débats en flamand. Elle n'a qu'à voter les fonds et sa décision sera exécutée.
Je dois cependantf'aire une observation. Si l'on veut qu'on respecte nos droits de Flamands, il faut aussi qu'on respecte les droits des autres. Je demanderai s'il serait agréable à ceux de nos honorables collègues qui ne comprennent pas le flamand de voir leurs discours traduits sans pouvoir exercer aucun contrôle sur cette traduction, alors qu'un mtl souvent change le sens et la portée d'une phrase.
Tous ceux qui connaissent le langage flamand savent que c'est un langage extrêmement franc, extrêmement ouvert et surtout énergique, et qu'on peut très bien se servir de certaines expressions flamandes sans blesser personne, tandis qu'une traduction littérale de tel mot flamand dans la langue française, beaucoup plus délicate, serait peu courtois.
Je crois donc qu'il serait difficile d'avoir une traduction officielle sérieuse des Annales parlementaires.
(page 136) Quoi qu'il en soif, comme je viens de le dire, c'est à la Chambre à statuer sur la proposition que l'honorable M. Vander Donckt fera peut-être.
D'autres griefs, qui ne sont pas plus sérieux, ont encore été articulés. Mais ces griefs n'étant pas reproduits dans cette enceinte, je crois inutile de m'en occuper. Toutefois, je dirai un seul mot en ce qui concerne la division de l'armée en régiments flamands et en régiments wallons.
M. Debaets. - Je n'ai pas parlé de cela.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne dis pas que l'honorable M. Debaets en ait parlé ; mais la commission en a parlé et elle a développé cette idée. L'honorable M. Debaets n'est pas l'unique représentant du mouvement flamand. Des députations flamandes, depuis que je suis au ministère, sont venues me faire cette demande. Je tiens à dire ici pourquoi il me semble que le gouvernement ne peut accueillir de pareilles demandes ; je parle ici à tout le monde ; je ne réponds pas seulement à l'honorable M. Debaets.
Je crois qu'il serait complètement impossible d'admettre la formation des régiments flamands et des régiments wallons. Sinon et pour être juste jusqu'au bout, il faudrait diviser les régiments wallons en bataillons liégeois et en bataillons tournaisiens ; car les idiomes qu'on parle à Liège et à Tournai diffèrent essentiellement. Du reste, je n'insiste pas sur ce point. Tout le monde est d'accord que c'est là une idée irréalisable.
Je ne parlerai donc plus des griefs que j'appelle exagérés, et je répondrai un mot à l'honorable M. Debaets : il nous a parlé d'abord d'un fait qui se présente à l'entrée du pays lorsqu'on arrive de la Hollande : il y existe un poteau sur lequel se trouve écrit : « droits de l'Etat », au lieu d'une inscription flamande.
C'est pour l'honorable M. Debaets un très grand grief, si en cela grief il y a, et si c'était là tout ce dont on a à se plaindre, nous enlèverions le poteau et avec ce poteau tous les griefs disparaîtraient.
Quant aux fonctionnaires du chemin de fer qui y parlent français, je ferai remarquer que l'exemple a été mal choisi par notre honorable collègue, parce qu'à l'entrée de la frontière belge, du côté de la Hollande, c'est une compagnie qui exploite le chemin de fer et qu'il lui est libre de prendre tels employés qu'elle juge convenable.
M. Debaets. - J'ai parlé des employés de la douane.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Quant à la douane, je n'ai pas mission de répondre ; mais si les renseignements que j'ai reçus sont exacts, le nombre des douaniers wallons de la province d'Anvers est extrêmement réduit depuis quelques années.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il n'y en a pas.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Mon honorable collègue me dit qu'il n'y en a plus.
D'après un état que j'ai vu, il y a deux ou trois ans, il en restait alors quatorze. L'honorable ministre des finances vient de nous dire qu'il n'en reste plus.
Donc ce grief disparait.
L'honorable membre a parlé encore d'un commissaire de district qui, correspondant avec des bourgmestres de communes flamandes, aurait refusé de leur écrire en flamand. Si cela est, c'est un abus.
Je ne sais à quel commissaire de district on fait allusion, mais il a tort, et d'autant plus tort que, dans nos Flandres, tous les commissaires de district sont Flamands et peuvent écrire en flamand.
Quant à la gendarmerie nationale, voici ce que j'aurai simplement à répondre ensuite d'une explication que j'ai demandée tantôt à M. le ministre de la guerre.
On emploie tous les gendarmes flamands dans les provinces flamandes et les gendarmes wallons, autant que possible, dans les provinces wallonnes ; mais les gendarmes ne sont pas des miliciens, ce sont des volontaires, et à qui peut-on s'en prendre si nos populations flamandes ont une vocation peu prononcée pour cette carrière ; si elles préfèrent d'autres carrières, à qui la faute. M. le ministre de la guerre m'a dit que tout ce qu'il y a de Flamands dans la gendarmerie nationale est placé dans les Flandres. Peut-on demander davantage ?
Les administrations communales, dit encore l'honorable membre, négligent en Flandre de traiter les affaires en flamand. Il me semble, messieurs, que c'est là l'affaire des administrations communales ; le gouvernement doit respecter la liberté des communes et, s'il convient à un conseil communal de délibérer en français, il en est parfaitement libre, comme un conseil communal qui veut délibérer en flamand est également libre de le faire.
Je connais des conseils communaux de villes d'une certaine importance qui délibèrent en flamand ; je connais des administrations qui emploient la langue flamande, je connais aussi des fonctionnaires qui ne manquent jamais de se servir de cette langue dans leurs rapports avec les populations flamandes ; mais si des administrations communales jugent convenable d'agir autrement, le gouvernement n’a aucune action pour le contraindre à parler ou à écrire en flamand.
Ce sont, dit-on, les secrétaires communaux qui font l’administration et ce sont eux qui refusent décrire en flamand ; mais, messieurs, encore une fois, c’est là l’affaire du conseil communal : si un secrétaire communal refuse d’obtempérer aux injonctions qui lui sont données, on n’a qu’à le destituer ou à lui adjoindre un employé capable de rédiger en flamand.
On a parlé aussi de l’enseignement et on a fait un grief au gouvernement de ce qu'il n'encourage pas suffisamment l’enseignement de la langue flamande. Une objection m'a frappé : l'honorable orateur, à qui je réponds, nous a dit que l'on consacre beaucoup moins d'heures à l'enseignement de la langue flamande qu'à l'enseignement c'e la langue française.
Je le comprends, messieurs, niais je demanderai à l'honorable membre lui-même s'il n'est pas nécessaire d'employer plus de temps pour enseigner aux enfants une langue qu'ils ne comprennent pas que pour leur enseigner leur langue maternelle ?
Si l'honorable membre voulait bien consulter les tableaux du travail général, il verrait que le nombre d'heures que l'on consacre à l'enseignement du latin est plus considérable encore que celui que l'on consacre à l'enseignement du français.
Il est, en effet, plus difficile d'apprendre aux jeunes gens le latin que de leur apprendre le français.
Du reste, messieurs, ces questions sont soumises au conseil de perfectionnement, qui compte dans son sein plusieurs membres connus comme défenseurs de la langue flamande.
On dit que l'enseignement du flamand est donné en français.
J'ignore où cela se passe, mais dans toutes les écoles moyennes flamandes que j'ai visitées, j'ai vu donner l'enseignement du flamand pai des professeurs flamands et en flamand.
L'honorable M. Vander Donckt pense que nous devrions, pour l'enseignement du latin, en revenir à une époque déjà un peu éloignée de nous, époque où lui-même a fait ses études.
Je sais qu'alors on avait des livres classiques flamands et je sais qu'à cette époque on a fait d'excellentes études, puisque ces études ont produit des hommes de beaucoup de talent ; mais je pense, et tout le monde sera de mon avis, qu'il serait difficile de reprendre aujourd'hui, dans quelques provinces flamandes, des méthodes d'enseignement depuis longtemps abandonnées. Si nous avions des grammaires latines et d'autres ouvrages classiques en flamand, ce ne serait pas un progrès et je pense qu'on n'insistera pas pour obtenir le redressement de ce grief.
Je crois avoir répondu, messieurs, aux reproches qui ont été formulés ; qu'il me soit permis de dire aussi quelques mots de ce qui a été fait depuis quelque temps par le gouvernement.
L'honorable M. de Decker a institué une grande commission dans laquelle il a fait entrer des partisans dévoués de la langue flamande ; le rapport fait au nom de cette commission, le successeur de l'honorable M. de Decker l'a fait imprimer bien qu'il renfermât des attaques un peu vives.
Voici maintenant diverses mesures qui ont été prises à la demande des partisans de la langue flamande.
On a institué un cours de déclamation flamande à l'école d'Anvers. C'est l'Etat qui paye ce cours. Ou a institué des cours flamands de littérature et d'histoire à l'université de Gand. Ces cours sont donnés par des professeurs provisoires, mais ils n'en produisent pas moins d'excellents résultats, puisque l'honorable préopinant vient de déclarer qu'ils sont très fréquentés.
On a reproché à l'Académie de médecine de ne pas admettre les mémoires flamands. L'Académie de médecine a pris une décision, en vertu de laquelle les mémoires flamands seront admis.
On a donné de nombreux subsides aux hommes de lettres flamands, et je dois déclarer qu'il est rare qu'un littérateur flamand demande un subside au département de l'intérieur sans que le subside soit accordé, pour peu qu'il s'agisse d'un travail de quelque mérite.
Les sociétés dramatiques sont encouragées et des ouvrages flamands ont été achetés. Enfin, le gouvernement a donné un témoignage non équivoque de sympathie aux populations flamandes en faisant ériger la statue du poète Van Maerlant sur la place de la ville natale.
Je pourrais citer un grand nombre d'autres mesures, qui ont été prises, mais je craindrais d'abuser des moments de la Chambre.
Messieurs, moi-même, depuis quelques semaines que je suis entré an département, j'ai pris une menue qui pourra, je pense, produire d'utiles résultats. Il m’a semblé qu’au point de vie de l’administration, il restait quelque chose à faire.
Mes honorables prédécesseurs avaient envoyé des circulaires aux (page 137) gouverneurs afin de demander que toutes les pièces administratives qui devraient être portées à la connaissance des populations flamandes furent traduites en flamand ; j’ai par une nouvelle circulaire demandé un rapport détaillé sur ce qui avait été fait à ce point de vue et je suis très décidé à prescrire aux gouverneurs d'exécuter loyalement les circulaires de mes honorables prédécesseurs, de faire faire encore plus si cela est nécessaire.
Enfin, messieurs, on a beaucoup parlé de l’instruction. Je crois que sous ce rapport il reste encore quelque chose à faire. J'ai remarqué que nous avons trop peu d'institutions flamandes ; j'ai remarqué surtout que nous avons trop peu d'instituteurs flamands qui puissent arriver au grade de régent et enseigner dans les écoles moyennes des provinces flamandes.
Des mesures sont prises pour augmenter le nombre des élèves normalistes dans l'école normale primaire de Lierre ; j'espère que la Chambre me secondera en m'accordant les fonds nécessaires au budget de 1862 ; déjà mon honorable prédécesseur avait donné une plus grande extension aux sections normales qui existent tant à Gand qu'à Bruges ; de cette manière, nous pourrons avoir des instituteurs flamands en nombre suffisant pour les provinces flamandes.
Messieurs, je me résume en vous disant que, pour ma part, d'accord avec mes honorables collègues, je serai toujours disposé à faire pour la langue flamande, dans la limite du possible, tout ce qu'on peut exiger.
Mais, messieurs, il faut y prendre garde ; dans un pays comme le nôtre, dans un pays qui est divisé en Wallons et en Flamands, il y a, selon nous, un grand écueil à éviter ; cet écueil, c'est le partage de la nation en deux parties hostiles l'une à l'autre, (Interruption.) Personne, je le sais, ne le désire ; mais on peut, en surexcitant ces divisions de race, arriver involontairement à des résultats auxquels on serait bien loin de s'attendre.
Messieurs, vous vous rappellerez tous qu'immédiatement après 1830, une réaction violente s'est faite contre les griefs qu'on avait reprochés au gouvernement hollandais : un de ces griefs, c'était d'avoir imposé en Belgique la langue flamande à tout le monde.
Après 1830 la réaction contre le flamand a été trop violente, depuis lors on est revenu de cette erreur et si l'on n'a pas fait droit à toutes les réclamations, s'ensuit-il que l'on n'ait rien fait ? Evidemment non ; je viens de le démontrer.
Qu'il y ait, dans le pays et au sein de cette Chambre, des partis politiques, cela est inévitable ! Qu'il y ait des libéraux et des catholiques, soit ! mais je vous en conjure, gardons-nous de créer des divisions de races, un parti flamand, un parti wallon ! Ceux qui pousseraient, involontairement même, à pareil résultat, commettraient une faute grave dont ils seraient sans doute les premiers à se repentir trop tard, mais qu'ils ne pourront plus réparer après l'avoir commise.
M. Rodenbach. - Messieurs, l'honorable ministre de l'intérieur, au début de son discours, a dit qu'il recevrait rarement des félicitations de ce côté de la Chambre.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - J'ai dit que je le craignais.
M. Rodenbach. - Eh bien, je viens lui adresser aujourd'hui mes félicitations de ses bonnes intentions à l'égard de la langue flamande. Il nous a annoncé que déjà, quoique à peine depuis un mois aux affaires, il avait envoyé des circulaires aux gouverneurs pour recommander l'emploi de mesures favorables à cette langue. M. le ministre de l'intérieur a donc reconnu qu'il y avait des abus à redresser.
Et, en effet, il existe des griefs réels. Par exemple, je sais de science certaine que dans les athénées et les collèges situés dans les provinces flamandes, on n'enseigne pas sérieusement la langue flamande. Je crois que l'honorable député d'Audenarde a avancé un fait exact, quand il a dit que dans ces établissements on ne peut pas même parler le flamand.
Il y a donc là un grief réel ; j'affirme à M. le ministre de l'intérieur que je ne suis nullement exagéré dans ce que je demande pour la langue flamande ; je veux seulement que les deux langues soient l'objet d'une protection égale, puisque la Constitution les met sur la même ligne.
Comment, d'ailleurs, serait-il possible de négliger un idiome qui est parlé par 2,500,000 Belges ? Il existe encore des abus dans d'autres ordres d'idées. Ainsi, il est à ma connaissance que des personnes qui ne savent que le flamand, sont citées pour comparaître, comme témoins devant des tribunaux d'arrondissement situés dans des provinces flamandes ; et que ces personnes reçoivent, à cet effet, une citation rédigée en langue française.
J'ai eu quelquefois la visite de certains de ces témoins qui venaient me demander ce que c'était que le papier qu'ils avaient reçu. Il me semble que lorsqu'on cite devant la justice, pour être témoins, des personnes ne sachant que le flamand, on devrait rédiger la citation en langue flamande.
Il y a là un abus à redresser, et je prie M. le ministre de la justice de tenir bonne note de l'observation qui» je viens de présenter.
En terminant, je félicite de nouveau M. le ministre de l'intérieur de ses bonnes intentions pour la langue flamande. Je suis persuadé que les circulaire, qu'il a adressées aux gouverneurs et les mesures administratives, qu'il vient de prendre, produiront des résultats favorables à cette langue.
M. de Haerne. - Messieurs, je suis tout à fait d'accord avec l'honorable ministre de l'intérieur : nous devons, en traitant cette matière, prendre garde de ne pas semer, dans le pays, des germes de division ; nous devons rester unis et éviter tout ce qui pourrait exister des dissentiments au point de vue patriotique.
Mais, messieurs, pour atteindre ce but, il faut s'entendre. Il est bien certain que, s'il y a des griefs réels, ce n'est qu'en les faisant disparaître, que nous pourrons atteindre le but qui est dans le vœu de tout le monde.
Du reste, je dois le dire, les déclarations qui viennent d'être faites par M. le ministre de l'intérieur m'inspirent à cet égard la plus grande confiance ; j'ai appris avec la plus vive satisfaction qu'il poursuit le redressement des griefs contre lesquels nous avons tant de fois réclamé dans cette enceinte.
Messieurs, chaque fois qu'il s'est agi, dans cette Chambre, de la langue flamande, j'ai joint ma voix et mon vote à la voix et au vote de mes honorables collègues qui sont venus prendre la défense de cette langue nationale.
Cependant il faut être juste, avant tout.
Il faut reconnaître qu'il y a quelquefois des prétentions outrées ; il y a quelquefois exagération de la part de ceux qui avec la meilleure volonté du monde, avec les intentions les plus louables, les plus patriotiques, défendent ce qu'on appelle le mouvement flamand.
Ainsi, messieurs, je crois qu'il serait pour ainsi dire impossible de faire faire une traduction officielle des débats de la Chambre.
Ce serait d'abord une grande corvée pour nous. Evidemment nous Flamands nous ne voudrions laisser faire une traduction que sous nos yeux. Nous voudrions du moins la contrôler, et si elle se faisait sans notre contrôle, souvent nous nous en plaindrions, car aujourd'hui même nous nous plaignons du travail que nous donne la révision de la sténographie ; que serait-ce donc si à ce travail se joignait encore, pour nous Flamands, la corvée de revoir la traduction flamande, qui devrait se faire sans retard pour avoir quelque effet dans le pays ?
De plus, il n'y aurait pas d'égalité entre les membres wallons et les membres Flamands de la Chambre.
Il y a, il est vrai, parmi les membres wallons quelques-uns qui connaissent le flamand et qui pourraient contrôler la traduction de leurs discours ; mais ils constituent l'exception.
Il n'y aurait donc pas d'égalité pour tous les membres de la Chambre, et pour ce motif, bien des membres wallons s'opposeraient à ce qu'on traduisît leurs discours, ce qui donnerait des séances incomplètes dans la version flamande.
Or, pour ma part, je ne pourrais admettre un système qui produirait une inégalité entre les deux fractions de cette assemblée et qui pourrait donner à la population flamande une idée incomplète et par conséquent inexacte de nos débats.
D'ailleurs, messieurs, nos discours sont traduits pour leur partie substantielle dans les journaux flamands, et pour ma part je n'ai jamais eu, à me plaindre de ces traductions.
Il faut reconnaître aussi que tous les torts ne sont pas au gouvernement, je m'empresse de le dire et j'ai fait cette déclaration sous l'administration de l'honorable M. de Decker ; il y a souvent de la faute des parents.
L'honorable ministre de l'intérieur disait tout à l'heure qu'à partir de 1830, il y avait eu une grande réaction en Belgique et que le pays s'était trop francisé, cela est parfaitement vrai, mais si le gouvernement a eu des torts, et je déclare qu'il en a eu, il n'a pas fait assez, les populations de leur côté se sont laissé entraîner dans le sens du mouvement français précisément par réaction.
Mais hâtons-nous de le dire, la langue flamande progresse, et j'ose le déclarer, nous avons plus de littérateurs distinguées parmi nos Flamands que nous n'en avons jamais eu pendant notre réunion à la Hollande. Alors on voulait vous imposer une langue, et le Belge ne veut pas qu'on lui impose ni langue ni autre chose ; et depuis que la langue flamande a été déclarée libre, je le dis, nous avons beaucoup plus de productions littéraires en vers et en prose.
Nous avons plus de 70 journaux flamands, parmi lesquels il y en a de très remarquables ; le progrès, sous ce rapport, est immense.
Nous avons des littérateurs distingués qui travaillent dans les journaux flamands, nous en avons dans cette Chambre, et l'honorable auteur de la proposition est du nombre.
Je dois le dire, si d'un côté, il y a un mouvement excessif vers la (page 138) langue française, dans une partie de la population, d'un autre coté il y a progrès pour la langue flamande ; ce progrès réagit sur le patriotisme, sur l'esprit national dont il émane.
Je fais cette observation parce que, selon moi, si l'administration peut faire beaucoup, elle ne peut pas tout faire. Le temps, l'application progressive de nos libres institutions doivent contribuer puissamment au progrès de la langue et de la littérature flamande. Je demande que le gouvernement persévère dans les bonnes intentions qu'il vient d'énoncer par l'organe de M. le ministre de l'intérieur, parce qu'il faut des mesures administratives pour le redressement des griefs, mais il faut aussi la coopération de l'opinion publique ; mais il faut que cela se fasse par la liberté.
Il faut que les parents surtout comprennent à cet égard leurs devoirs patriotiques.
Il y a sans doute beaucoup de choses à reprendre dans l'enseignement, et j'ose le dire avec l'honorable M. Debaets, dans l'enseignement à tous les degrés de la langue flamande ; il n'a pas été assez encouragé par l'autorité supérieure, mais je le répète, il y a aussi de la faute des populations.
Ainsi par exemple, pour l'enseignement primaire il est certain que dans certaines villes où la population est plus ou moins mixte comme à Bruxelles, la langue flamande est négligée dans beaucoup d'écoles élémentaires. La langue française a le dessus, et il en résulte un très grand inconvénient non seulement au point de vue de la langue flamande, mais aussi au point de vue de l'instruction en général ; car les ouvriers et les pauvres ne peuvent envoyer souvent leurs enfants à l'école que pendant deux ou trois ans.
Or, vous comprenez que des enfants qui appartiennent à des familles flamandes et ne parlent que le flamand, ne peuvent pas apprendre le français, le flamand et les autres branches de l'enseignement primaire en trois ans ou quatre ans.
Qu'est-ce qui en résulte ? C'est qu'en sortant d'une école, où le français domine, ils ne. savent ni français ni flamand, ni rien pour ainsi dire ; tandis que si l'on prenait le flamand pour base de l'enseignement, ces élèves se formeraient au moins dans leur langue maternelle et apprendraient dans cette langue les parties principales de l'enseignement primaire.
Mais on agit souvent tout autrement et voilà comment l'instruction reste négligée dans plusieurs endroits, dans la capitale même, où l'ignorance est très grande parmi les enfants de la classe pauvre.
Pour ce qui regarde l'enseignement moyen, je crois, avec l'honorable M. Debaets, que le flamand n'est pas assez cultivé dans les collèges et dans les athénées ; mais il y a encore en cela de la faute d'un certain nombre d'élèves et de quelques parents, car cela se rencontre dans les établissements privés aussi bien que dans ceux de l'Etat.
Il y a cependant quelque chose à faire sous ce rapport.
Je suis d'accord avec l'honorable M. Debaets qu'on doit enseigner plus sérieusement le flamand dans les athénées et dans les écoles moyennes, qu'on doit y consacrer plus de temps, qu'on doit encourager l'étude de la langue flamande par les points, par les récompenses, par les prix, par les distinctions, en procédant de la même manière et dans la même proportion que pour la langue française.
Voici, entre autres, un grief que je voudrais voir disparaître.
Il s'agit d'un abus que j'ai déjà eu l'honneur de signaler à l'attention de la Chambre.
Il se présente dans les collèges de provinces flamandes une irrégularité pour ne pas dire une injustice sous le rapport des encouragements dus à la langue flamande.
Dans le concours du gouvernement, depuis la 6ème jusqu'à la rhétorique, on désigne un âge au-dessus duquel l'élève ne peut être admis à concourir.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Ce n'est plus la discussion de l'adresse, cela.
M. de Haerne. - C'est la discussion de la question soulevée, à laquelle il doit être permis à un Flamand de prendre part.
Dans les collèges où l'on s'occupe sérieusement du flamand, l'élève doit apprendre deux langues, tandis que dans les collèges wallons on n'apprend qu'une seule langue.
L'élève flamand doit donc mettre plus de temps à une même classe.
Par conséquent, dans chaque classe des collèges flamands, les élèves sont dans un état d'infériorité devant leurs concurrents des collèges wallons, lorsqu'on exige le même âge pour le concours dans les uns et les autres. Il en résulte que l'on néglige le flamand.
Je voudrais donc, pour donner à la langue flamande l'importance qu'elle doit avoir et pour faire disparaître cette injustice, qu'on donnât une certaine latitude aux élèves des collèges flamands.
Dans un grand nombre de collèges, le quart, le tiers des élèves est souvent mis hors de concours pour cause d'âge, et il en résulte une infériorité pour la classe, parce que parmi les élèves écartés pour ce motif sont souvent les meilleurs sujets.
C'est donc discréditer des classes, c'est discréditer des collèges et surtout c'est amoindrir les études flamandes.
Si vous donniez une année de plus aux élèves flamands dans chaque classe, vous répareriez en grande partie cette injustice.
Pour ce qui regarde l'amendement, messieurs, je vous assure que je n'y attache pas le sens que semble y attacher M. le ministre de l'intérieur.
Certainement, après la déclaration qu'il vient de faire, cet amendement ne pourra être interprété comme provenant d'un sentiment de défiance à son égard.
Pour ce qui me regarde, je déclare que telle n'est pas mon intention. Je n'ai pas non plus l'intention de déverser, par cet amendement, un blâme sur aucune des administrations passées. Cet amendement tend uniquement à faire comprendre qu'il existe encore des griefs sans que nous voulions les imputer à tel ou tel ministère. C'est l'injustice elle-même qu'on veut faire redresser, en unissant les efforts privés à ceux du gouvernement, sans faire peser sur personne en particulier la responsabilité d'un état de choses qui provient avant tout des circonstances. C'est dans ce sens que j'ai compris l'amendement ; et je l'appuie, sans y attacher aucune signification politique.
M. le président. - Je viens de recevoir un sous-amendement proposé par M. E. Vandenpeereboom.
Il est ainsi conçu :
« Nous espérons que le gouvernement prendra dos mesures pour faire droit aux réclamations articulées par les populations flamandes, en tant qu'elles seraient reconnues fondées. »
La parole est à M. E. Vandenpeereboom pour développer ce sous-amendement.
M. E. Vandenpeereboom. - Avant de faire connaître les motifs de mon sous-amendement, je dois un mot de réponse à une partie du discours de l'honorable M. Vander Donckt.
L'honorable représentant d'Audenarde jugeant, sans doute, ce qui s'est passé à Gand par ce qui s'est passé à Audenarde, à l'occasion des dernières élections, a commis une erreur, que je tiens à rectifier. Il vous a dit, messieurs, que dans les deux camps politiques en présence, on avait pris des engagements, quant à la langue flamande.
J'ignore ce qui s'est passé ailleurs que chez nous ; mais je puis affirmer que, pour ma part, je n'ai pris aucune espèce d'engagement. J'avoue que des propositions ont été faites ; mais ce que je puis déclarer, tant en mon nom qu'au nom de nos amis, c'est que les tentatives que l'on a faites pour nous décider à prendre des engagements sont restées complètement stériles. Ce que je puis déclarer, c'est que tous nous avons énergiquement repoussé toute espèce de mandat impératif.
M. de Decker. - Moi aussi.
M. E. Vandenpeereboom. - Nous avons dit que nous ferions pour les populations flamandes ce que nous avons toujours fait ; c'est-à-dire que nous, Flamands de cœur et d'âme, nous continuerions de défendre la cause flamande, toutes les fois que des griefs fondés seraient articulés ; mais que nous nous refusions formellement à prendre aucune espèce d'engagement.
J'espère que l'honorable M. Vander Donckt acceptera cette rectification. (Interruption.) Vous avez parlé des candidats appartenant aux deux opinions.
Eh bien, je puis donner à l'honorable membre l'assurance la plus formelle que, quant à nous, nous avons catégoriquement refusé de prendre aucune espèce d'engagement sur telle ou telle réclamation. Nous avons déclaré que tous nos vœux étaient pour les Flamands ; nous avons rappelé que nous n'avions pas attendu le jour des élections, pour témoigner de nos sympathies en faveur des populations flamandes ; et que nous n'avions, des lors, aucun engagement à prendre. (Interruption.) Mais, M. Vander Donckt, je ne vous offense pas en m'exprimant ainsi ; je rectifie seulement ce qu'on a pu vous dire, parce qu'on vous a induit en erreur.
Il suffirait, je pense, de la déclaration publique que je fais ici pour être cru sur parole ; mais...
M. Debaets. - Nous n'avons pas non plus accepté de maudit impératif.
M. E. Vandenpeereboom. - Je n'ai nullement dit cela.
M. Debaets. - On pourrait le supposer.
M. E. Vandenpeereboom. - D'après le dire de M. Vander Donckt, oui ; d'après le mien, non ! Je n'ai fait aucune allusion, ni aucune supposition.
(page 139) Je n'écoute pas aux portes, et j'ignore, par conséquent, ce qui a pu se passer chez vous.
Je me borne à dire que nous, nous sommes entrés ici libres de tout engagement.
M. Kervyn de Volkaersbeke. - Nous le sommes également.
M. E. Vandenpeereboom. - L'ai-je nié ? J'ai contesté seulement, en ce qui me concerne, l'allégation de l'honorable M. Vander Donckt. J'arrive à mon sous-amendement. J'ai assez affaire à me défendre moi-même et mes amis.
Il a été assez bien établi, je pense, que parmi les griefs articulés par ceux qui se disent les défenseurs de la langue flamande, il en est de fondés, d'autres qui ne le sont pas. Or, je propose un sous-amendement qui a précisément pour objet d'écarter les griefs non fondés. Ainsi, les soi-disant défenseurs de la langue flamande étaient bien ceux qui formaient certaine commission et qui sont venus nous demander la formation de régiments flamands et de régiments wallons.
Il n'est plus question de cela aujourd'hui ; cette prétention a disparu, par conséquent elle ne doit pas être comprise parmi les vœux légitimes des populations flamandes.
Le bon sens public nous a délivrés de cette dangereuse utopie.
Je reconnais donc qu'il y a des griefs fondés ; le gouvernement le reconnaît également.
Il en est auxquels il est très facile de donner satisfaction : ainsi quoi de plus simple et de plus légitime que de prescrire aux administrations provinciales et communales de correspondre en flamand, ou en français, selon les cas ; quoi de plus juste que de faire traduire dans ces deux langues les pièces officielles, rendues publiques ; quoi de mieux que de mettre des fonctionnaires, comprenant le flamand, là où l'on ne parle que cette langue ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Cela se fera.
M. E. Vandenpeereboom. - Cela demanderait peut-être à être plus généralisé, et je sais que M. la ministre de l'intérieur fera, à l'exemple de ses prédécesseurs, tout ce qui sera possible sous ce rapport. Soyons justes ; tous les ministères ont déjà beaucoup fait en faveur de la langue flamande, que le ministère actuel aille encore plus loin dans la voie pratique, rien de mieux !
Un point très délicat, messieurs, c'est l'enseignement.
Il ne faut pas se faire illusion : des défenseurs de la langue flamande ont exagéré leurs griefs, au point de vue de l'enseignement ; ils ont été jusqu'à demander que tous les cours fussent doublés, même à l'université.
Eh bien, je suppose que, par impossible, il soit satisfait à ce vœu ; je suppose que partout les cours soient donnés tout à la fois en français et en flamand, savez-vous ce qui arrivera ?
C'est que les cours qui seront donnés en français seront seuls fréquentés. Et cela par deux raisons fort simples ; d'abord, pour l'enseignement supérieur, il n'existe guère de livres spéciaux en flamand ; de là, nécessité pour les élèves de faire leurs études en français. D'un autre côté, ceux qui désirent parvenir aux positions élevées de la magistrature et du barreau, savent fort bien qu'il auront bien plus souvent à faire usage du français que du flamand ; et, par conséquent, ils se livrent plus particulièrement à l'étude du français. Cela est tout naturel : et tous les procédés artificiels ne pourront rien contre ce courant pratique.
Quant à l'enseignement moyen, il ne faut pas perdre de vue qu'il y a, dans notre pays, l'enseignement donné aux frais de l'Etat et l'enseignement libre. On a essayé, dans les établissements privés, de l'enseignement dans les deux langues simultanément et l'on a bientôt dû y renoncer, à la demande même des parents des élèves, Qu'est-ce qui empêche les établissements privés d'accéder à toutes vos prétentions ? Le succès. Voilà la vérité !
Certes, messieurs, on peut, on doit même savoir sa langue maternelle. Quant à moi, j'aime beaucoup la langue flamande ; elle occupe une grande partie de mes loisirs. Mais, n'est-il pas vrai, je le demande, que dans la bourgeoisie flamande, c'est un triomphe, pour la mère de famille, de pouvoir dire que son fils sait parler, lire et écrire le français ; et cela ne prouve-t-il pas combien sont profondes les racines que cette langue a implantées dans notre sol ? Vous ne pouvez rien, quoi que vous fassiez, contre l'intérêt qu'ont les familles de donner à leurs enfants un double instrument de succès, dans les carrières qu'ils auront à poursuivre.
Comme on le dit vulgairement, il vaut mieux avoir deux cordes à son arc, qu'une seule.
Il faut être juste, messieurs ; sans doute, il existe des griefs fondés, mais il en est beaucoup aussi qui ne le sont pas.
Voilà qui est vrai, et il importe de le proclamer bien haut.
Il est des gens qui se sont servis de ce qu'on est convenu d'appeler le mouvement flamand, soit pour s'élever au moyen de la langue qu'ils connaissaient le mieux, soit pour s'en faire une arme politique.
Aussi, j'ai toujours recommandé à mes amis de s'abstenir de tout engagement, précisément parce qu'il y a là le germe de dissensions politiques, que je ne veux nullement encourager.
La division du pays en deux camps - Wallons et Flamands - serait funeste à la patrie.
L'honorable M. de Haerne a paru considérer l'amendement comme peu nécessaire à la suite des explications de M. le ministre de l'intérieur ; si l'auteur de l'amendement partageait cette opinion et retirait sa proposition, mon sous-amendement disparaîtrait naturellement. Je ne le maintiens que pour autant que l'amendement principal ne soit pas abandonné.
La discussion me paraît suffire.
En deux mots, mon amendement veut dire sans ambages, que tous les encouragements sérieux doivent être donnés à la langue flamande, à notre langue maternelle ; il veut dire et j'entends qu'il dise que toutes les plaintes peu fondées, que toutes les prétentions peu pratiques doivent être écartées.
Je défie les vrais amis de la langue flamande de vouloir autre chose. On dit que le Flamand est franc de sa nature, j'ai tâché de l'être.
Je dis que tout ce qui est utile et pratique, en faveur de la langue flamande, doit être accordé ; je dis que toute proposition dangereuse ou inutile doit être écartée,
- Le sous-amendement de M. E. Vandenpeereboom est appuyé.
M. le président. - MM. Van Overloop et Janssens proposent un autre sous-amendement ainsi conçu :
« Nous espérons que le gouvernement fera disparaître les griefs signalés par les défenseurs de la langue et de la littérature flamande. »
C'est l'amendement de M. Debaets, moins les mots « si souvent » après le mot « griefs ».
M. Van Overloop a la parole pour développer ce sous-amendement.
M. Van Overloop. - Je crois que la suppression des mots « si souvent » est de nature à satisfaire M. le ministre de l'intérieur, et c'est pour cela que nous proposons notre sous-amendement. M. le ministre de l'intérieur, en effet, a fait une seule objection à la proposition de l'honorable M. Debaets ; il a dit qu'il ne pouvait pas l'accepter, parce qu'elle impliquerait un blâme pour ses prédécesseurs.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et pour lui.
M. Van Overloop. - Eh bien, par la simple suppression des mots « si souvent » cette objection disparaît.
La question pour tout le monde est de savoir si les Flamands ont des griefs, oui ou non ; après le discours de l'honorable M. Debaets, personne ne peut le contester ; or, si les Flamands ont des griefs, ils ont le droit d'en demander le redressement. C'est incontestable.
On promet depuis longtemps de faire droit aux réclamations des Flamands, mais jusqu'ici je ne vois pas qu'on ait tenu parole.
Il est de fait qu'une foule de fonctionnaires, qui ne connaissent pas le flamand, sont employés dans les provinces flamandes. Je me rappelle avoir lu que, dans la province d'Anvers, à Calmpthout, il y avait, en 1860, un bureau de poste desservi par un Parisien, non naturalisé, ne sachant pas le flamand. N'est-ce pas déplorable pour les populations flamandes ?
Un arrêté du 25 mai 1860 impose à tous les élèves de l'école vétérinaire l'obligation de connaître le français ; il ne parle pas de la langue flamande. Pourquoi cette distinction ?
Les Flamands ont le droit le plus naturel de tous les droits, celui de parler leur langue maternelle ; s'ils ont ce droit, le gouvernement doit le respecter ; il ne doit employer dans leurs contrées que des fonctionnaires sachant le flamand. (Interruption.)
Je reculerai d'un demi-siècle en arrière si vous le voulez. Savez-vous ce qui se faisait alors dans nos provinces ? On envoyait ses enfants chez des parents ou des amis, les Flamands dans les provinces wallonnes et les Wallons dans les provinces flamandes.
II en résultant, outre la sympathie qui s'établissait entre les habitants des diverses provinces, que les Flamands et les Wallons rentraient chez eux, ceux-là sachant le français et ceux-ci sachant le flamand. Voilà ce qui arrivait. C'était un usage très répandu et excessivement utile.
Quel inconvénient y a-t-il à ce que les Wallons apprennent le flamand ? Lisez les analogies linguistiques du savant abbé Carton et vous saurez combien la connaissance du flamand facilite l'élude de l'anglais, de l'allemand. De quelle utilité ne serait-il pas dès lors pour les Wallons de connaître le flamand ?
(page 140) Il leur rendrait très facile l'étude de l'allemand et de l'anglais, et il leur permettrait d'occuper une foule de portions avantageuses dans les provinces flamandes.
A ce point de vue des études humanitaires, pourquoi les Flamands qui étudient le latin, ont-ils plus de facilité, en général, que les Français ? Parce qu'il y a beaucoup d'analogie entre la syntaxe latine et la syntaxe flamande, tandis que la syntaxe française est toute différente.
Je voudrais que le gouvernement se conduisît avec autant de sympathie pour les Flamands que l'honorable bourgmestre de Bruxelles.
Voici les paroles prononcées par l'honorable M. Fontainas à la distribution des prix de l'athénée de Bruxelles en 1860 :
« Vous avez compris nos conseils en vous livrant à l'étude d'une langue que l'ignorance seule et le dédain de la nationalité voulaient condamner sans retour. »
Je voudrais que le gouvernement se pénétrât de ces paroles prononcées par l'honorable bourgmestre de Bruxelles.
Si je me sers de pièces flamandes devant un tribunal, je dois payer un traducteur. Si j'arrive avec des témoins wallons devant un tribunal quelconque, on les entend, et si je me présente avec des témoins flamands, je dois payer un interprète.
Est-ce là de l'égalité ?
Je me résume, je crois que faisant disparaître les mots « si souvent » de la proposition de mon honorable ami M. Debaets, la seule objection qu'a faite M. le ministre de l'intérieur contre son objection disparait, et j'espère, messieurs, que, mus par un sentiment de justice, vous adopterez la proposition amendée de notre nouveau collègue de Gand.
M. de Decker. - Messieurs, si je prends la parole dans ce débat, je tiens à déclarer, comme M. Vandenpeereboom que je ne cède en aucune façon à un engagement contracté ; au contraire. On est venu aussi chez moi pour me faire signer, au nom des partisans de la langue flamande, un engagement de défendre les intérêts de cette langue. J'ai repoussé avec énergie cette demande ; d'abord parce que c'eût été un désaveu de mon passé, qu'il eût été un long dévouement à la cause flamande, et, d'un autre côté, que c'eût été accepter un mandat impératif que je ne consentirai jamais à subir, pas plus dans une question politique que dans une question de linguistique.
Messieurs, l'amendement proposé et défendu dans un langage si franc et si modéré par mon honorable ami M. Debaets ne me paraît pas avoir la portée que lui trouve M. le ministre de l'intérieur.
D'après lui, d'une part, il impliquerait un reproche adressé aux administrations précédentes, et, d'autre part, il irait trop loin ; il comprendrait un programme inacceptable.
Je remercie l'honorable membre du soin qu'il a bien voulu prendre de défendre mon administration. Franchement, je ne crois pas avoir besoin de cette défense. J'ai la conscience d'avoir fait, dans la mesure du possible tout ce que j'ai dû faire en faveur de la langue flamande ; bien que beaucoup de promoteurs du mouvement flamand ne se soient pas piqués, je ne dirai pas de beaucoup de reconnaissance, mais de beaucoup de justice à mon égard. Toutefois, je me hâte d'ajouter que ces considérations personnelles ne m'empêcheront jamais de me dévouer à une cause que je continue à considérer comme grande en elle-même et dans ses rapports avec notre nationalité.
Les reproches qu'on m'a adressés ne peuvent pas m'atteindre ; aussi ne m'arrêterai-je pas à faire l’énumération de toutes les mesures que j'ai prises en faveur de la langue flamande, dans l'administration et surtout dans l'enseignement à tous les degrés.
J'ai résolu toutes les questions qui se présentaient ; car, dans les affaires soumises aux décisions des ministères qui se succèdent, l'expérience indique successivement les améliorations et les réformes à introduire.
Un ministre prudent ne crée pas les questions avant le temps ; il les accepte quand le temps les a amenées à maturité et il s'efforce d'y apporter une solution pratique, sans rien précipiter et sans se jeter dans les utopies et les exagérations.
Les griefs qu'on articule peuvent être divisés, d'après M. le ministre de l'intérieur, en deux catégories, ceux qui sont sans fondement et ceux qui disparaissent de jour en jour et doivent finir par disparaître tout à fait.
Messieurs, là, d'après moi, n'est pas la division logique des griefs dont on demande le redressement et la réparation. Je crois que, parmi les griefs articulés par les défenseurs de la langue flamande, il en est très peu qui soient absolument sans fondement ; je n'oserai pas même assurer qu'il y en ait ; mais ces griefs sont puisés dans un ordre de considérations trop absolu, et ces griefs ne sont pas immédiatement réparables. D'après moi, le grand tort de certains défenseurs de la langue flamande, c'est de ne pas compter assez avec le temps. Ils veulent aller trop vite et cette précipitation est d'autant plus maladroite, que le temps a déjà amené bien des triomphes pour la cause flamande. La décadence de la langue flamande date de loin et tient à bien des causes.
On ne peut, dans un pays où de longues habitudes contraires et des tendances hostiles existent par suite de notre soumission aux administrations étrangères, demander immédiatement la reconnaissance de certains droits dont le temps amènera infailliblement le triomphe.
Il y a donc, d'après moi, des griefs qui ne peuvent disparaître qu'à la longue par l'influence des familles, par l'influence des changements à introduire dans l'éducation, lesquels changements ne portent pas immédiatement leurs fruits et ne se font sentir que sur les générations suivantes ; et aussi par des modifications à introduire dans nos lois, nos mœurs et nos traditions.
Il faut compter avec tous ces éléments ; il faut accepter le moule actuel de notre organisation sociale, mais, petit à petit, le temps brisera ce moule.
Il n'y a donc pas de griefs qui soient entièrement non fondés ; au moins je n'oserais pas le dire.
Mais il est des griefs dont on demande prématurément le redressement, dont le redressement immédiat n'est pas possible.
La deuxième catégorie de griefs, selon moi, sont ceux dont le redressement est possible immédiatement.
En général, toutes les améliorations qui ont été signalées et qui étaient immédiatement réalisables, je crois qu'on les a réalisées et qu'on les réalisera dans un prochain avenir. Mais ici je dois revenir sur une observation que j'ai faite dans une circonstance précédente, c'est que quant aux griefs dont le redressement est immédiatement réalisable, ce n'est pas toujours au gouvernement qu'il faut s'en prendre, et souvent l'on a tort de s'adresser à lui.
Presque toujours, là où l'on présente un grief contre le gouvernement, la faute est tantôt aux familles, tantôt aux justiciables, aux avocats, tantôt aux administrations communales et provinciales et enfin aux électeurs. Dans un pays d'élection comme celui où nous avons le bonheur de vivre, ce sont les électeurs qui sont les maîtres de constituer le pouvoir communal et le pouvoir provincial. Moi aussi, je suis souvent scandalisé de voir que dans nos Flandres presque tout se fait encore en français, quoique cette tendance se modifie lentement ; mais ce n'est pas le gouvernement qu'il faut accuser de cette tendance qu'en général il ne provoque pas, qu'il subit.
Ainsi, c'est chose pénible pour moi, de voir que, dans nos grandes villes des Flandres, toutes les discussions des conseils communaux aient lieu en français. Je voudrais que dans les Flandres et dans les autres provinces où le flamand est en usage, ces discussions eussent lieu de manière à être comprises et contrôlées par toutes les populations. Cet exemple serait puissant et serait bientôt suivi jusque dans la dernière de nos communes, et au bout de deux ou trois ans nous aurions un ensemble d'administrations réellement flamandes.
Le gouvernement serait bien obligé de suivre ; il ne s'y oppose pas : mais il faut que cela se fasse par la volonté des populations et non d'une manière imposée. C'est donc dans les familles, c'est dans les communes et dans les provinces que les défenseurs de la langue flamande doivent chercher les premiers éléments de réparation de leurs griefs. Telle est ma conviction, basée sur l'expérience.
Messieurs, je ne veux pas examiner les griefs en détail.
Pour moi, le redressement de ces griefs est, d'une part, une question de temps dont je recommande certainement la solution au gouvernement mais enfin dont je n'exige pas la solution immédiate ; et, d'autre part, il faut bien le dire, une question d'argent. En effet, la réparation de quelques-uns de ces griefs se résume en une dépense. Ainsi si l'on veut faire toutes les publications administratives, gouvernementales et provinciales, dans les deux langues, si l'on veut publier la partie officielle du Moniteur dans les deux langues, comme déjà le Bulletin officiel est publié, la question est une question d'argent. Avec une augmentation relative de dépenses, on peut arriver à faire droit immédiatement à un bon nombre de réclamations.
Mais je maintiens mon dire : dans tous ces griefs il n'y en a pas un seul qui soit réellement sans fondement ; seulement ces griefs sont articulés au point de vue de droits considérés d'une manière trop absolue.
Deux mots à cet égard, pour la justification des réclamants flamands.
Nous avons en Belgique deux langues qu'on peut appeler nationales et qui divisent le pays.
Au point de vue littéraire, ce peut être un bonheur en ce sens que cela nous permet de participer au mouvement des diverses civilisations (page 141) qui nous environnent. La Belgique se trouve, à cet égard, heureusement placée au point de vue littéraire ; mais au point de vue social, politique et administratif, il n'en est plus de même.
En général, c'est un bonheur pour un pays que d'avoir une seule langue et la lutte de deux langues nationales est une source de difficultés.
Personne, je suppose, ne nourrit l'espérance insensée et coupable de détruire l'un de ces deux idiomes. Nous devons donc forcément chercher à vaincre les difficultés inséparables de la coexistence de deux langues nationales.
Il faut bien commencer par reconnaître le droit des populations d'être gouvernées, d'être administrées dans leur langue.
Les peuples ne sont pas faits pour les gouvernements, on l'a dit bien souvent, mais les gouvernements sont faits pour les peuples, et l'un des premiers droits des familles, des communes, c'est de vivre dans une atmosphère nationale ; c'est, je le répète, d'être gouvernées et d'être administrées dans la langue maternelle.
Dans un sens absolu, tout citoyen, s'il a réellement une patrie et si la patrie est juste pour lui, doit pouvoir remplir toutes les conditions de son existence publique et privée, à l'aide de sa langue maternelle. Voilà le droit, et c'est ce qui existe dans les pays qui n'ont qu'une langue, comme la France, l'Angleterre et d'autres encore. Il faut que, comme père de famille, tout homme puisse, dans sa langue, pourvoir à l'instruction de ses enfants à tous les degrés.
Comme citoyen, il faut qu'il puisse trouver dans sa langue, le moyen d'exercer tous ses droits naturels, civils et politiques. Il faut, que, comme gouverné, ils puisse, dans ses rapports avec l'administration, se servir toujours de sa langue maternelle ; comme justiciable, il faut qu'il puisse défendre ses intérêts et les voir défendus dans sa langue maternelle.
Il me semble que ce principe est d'une rigoureuse justice. Il est appliqué dans tous les pays civilisés.
Eh bien, chez nous l'application de ce principe, que je reconnais être de droit absolu, est une chose difficile.
Mais nous devons tous unir nos efforts, pour que ce principe, si naturel et si juste, puisse recevoir insensiblement son exécution pour le Flamand comme pour le Wallon.
Il faut que le Flamand, à l'aide de sa langue maternelle, puisse remplir toutes les conditions de son existence publique et privée. Alors tout grief disparaîtra.
Vous voyez que je ne recule pas devant la reconnaissance du droit rigoureux, du droit absolu des populations flamandes. Mais je suis le premier à ajouter que l'on ne doit se mettre à la poursuite de ce droit qu'avec infiniment de prudence, eu égard à la situation qu'une longue série d'événements a faite à notre pays.
Je suis le premier à le proclamer, non seulement parce que j'ai eu l'honneur de passer au pouvoir, mais parce que je suis un véritable ami de mon pays, et que je ne veux pas brusquer ni imposer par la contrainte un état de choses que j'appelle de mes vœux, mais que j'attends du temps et de la justice de nos compatriotes wallons.
Je ne veux ni ne puis oublier que nous sommes en présence d'une division qui pourrait devenir fatale à notre nationalité ; mais je veux aussi dire bien haut que le moyen d'empêcher que cette division ne s'envenime, c'est de faire droit aux plaintes des populations à mesure que la possibilité s'en présente.
Soyez justes pour ces populations, donnez satisfaction à tous leurs vœux légitimes, témoignez un respect sincère pour tous leurs droits et elles ne songeront pas à se plaindre.
C'est le seul moyen de faire fraterniser des populations de races différentes et d'établir une solide union en Belgique.
C'est à ce point de vue, messieurs, que j'ai toujours envisagé la question flamande.
Messieurs, que la peur de ces divisions ne vous fasse pas perdre de vue que la satisfaction à donner aux populations flamandes intéresse vivement notre nationalité. A part tous les autres motifs qui nous attachent tous à notre nationalité, les populations flamandes ont encore ce motif particulier : l'amour de leur langue.
A toutes les époques, dans tous les pays, une langue distincte de celles des nations voisines a été considérée comme un élément puissant de nationalité, comme un boulevard invincible contre l'étranger.
II serait fâcheux de jeter un germe nouveau d'irritation au sein de populations qui doivent nous servir de barrière contre l'étranger. Elles ne sont déjà malheureusement que trop désaffectionnées au point de vue politique ; nous avons le plus grand intérêt à ne pas les laisser se désaffectionner encore au point de vue des réclamations légitimes en faveur de leur idiome national.
(page 143) M. Dolez. - Messieurs, j'hésitais à prendre la parole dans ce débat qui a occupé toute la séance de ce jour ; mon hésitation, les dernières paroles de l'honorable M. de Decker l'ont fait cesser. Je cède au besoin de dire devant la Chambre comme devant le pays combien il me paraît déplorable qu'à propos de tout, à propos de questions politiques comme propos de questions qui par leur nature même doivent se discuter sans passion, comme celle des diverses langues usitées en Belgique, on nous parle sans cesse de désaffection ! Propager un tel langage, au sein de nos populations, c'est une conduite peu prudente, je dirais peu patriotique, si je ne savais l'attachement profond que portent au pays ceux qui prononcent ces paroles contre lesquelles je m'élève.
C'est un sentiment éminemment honorable et digne d'être respecté, que ce sentiment d'affection que toutes les populations portent à leur langue maternelle, et nos collègues qui appartiennent aux Flandres peuvent être convaincus que je n'entends en aucune manière blâmer l'affection profonde qu'ils portent à la langue flamande ; mais je demande à leur justice, je demande à leur raison de ne pas confondre de simples difficultés avec des griefs.
Il n'y a de griefs que là où règnent des sentiments d'injustice, des sentiments d'oppression.
Eh bien, je le demande, qui donc en Belgique songe à opprimer la langue flamande, à nier la liberté à laquelle elle a droit comme la langue française, comme la langue allemande qui se parlent dans d'autres parties du pays ? Personne n'y songe, ni le gouvernement, ni les députés des provinces wallonnes.
Mais il y a des difficultés, des difficultés réelles, que le gouvernement doit s'attacher et s'attache depuis longtemps à diminuer, autant qu'il soit possible de le faire. Mais de grâce, n'érigez pas ces difficultés en griefs, en causes de désaffection, en causes d'affaiblissement du sentiment national.
L'heure est trop avancée pour qu'il me soit permis de passer en revue les causes de plainte que d'autres orateurs ont énumérées, je me borne à leur consacrer quelques mots.
On parle de fonctionnaires publics placés dans la province d'Anvers, bien qu'ils ne connaissent pas le flamand.
Je m'arrête à l'exemple choisi par le principal auteur de cette discussion. Il se plaint qu'à la frontière de la province d'Anvers il y ait des douaniers qui ne parlent que le français.
S'il est vrai, ce qu'on nie, qu'il en soit ainsi, il est certain que d'autres douaniers parlent le flamand. Mais croit-on par hasard qu'il n'entre par cette frontière que des Flamands ?
Ne faut-il pas quand un voyageur qui ne parle que le français entre en Belgique par la province d'Anvers qu'il y trouve un douanier qui puisse le comprendre, auquel il puisse parler et qui puisse lui répondre ?
Il faut donc, messieurs, dans ces fonctions qui s'adressent non pas aux habitants de la localité, mais à tout venant, il faut des employés dont les uns parlent flamand, les autres français, les autres des langues étrangères, si l'on peut parvenir à en rencontrer qui aient ce mérite.
On a parlé de l'enseignement. Voudriez-vous qu'on enseignât les sciences supérieures, qu'on enseignât dans les universités, comme une brochure récente, publiée à Anvers, le demande, qu'on enseignât toutes les sciences en flamand ? Serait-ce l'intérêt des populations flamandes ? Ne serait-ce pas au contraire les entraver dans la marche des études, les rendre étrangères à une foule de causes de progrès ? Voulez-vous qu'on enseigne le latin, voire même le français en flamand, comme le demande, d'après ce qu'on m'assure, la même brochure ? Votre raison recule devant de telles prétentions.
Voulez-vous que dans les provinces flamandes la justice se rende toujours en flamand ? Mais ne voyez-vous pas que ce serait une véritable oppression ? Une seule marche est faite et par cela même est seule possible c'est de laisser aux parties et à leurs conseils le droit de choisir la langue qu'ils préfèrent. Or, je ne sache pas qu'en Flandre on ait interdit de plaider en flamand, pas plus que dans cette enceinte on n'interdit de parler en flamand. Mais, messieurs, nos avocats des Flandres font ce que vous faites vous-mêmes, ils parlent français devant les tribunaux et devant le public des Flandres, parce qu'ils sont certains qu'en parlant français ils s'adressent à un auditoire plus complet, plus étendu, non restreint à une partie limitée de notre territoire.
L'honorable M. Debaets aurait pu, en toute liberté, nous donner une preuve de son amour pour la langue flamande en développant en flamand l'amendement flamand qu'il a soumis à la Chambre. Cependant il l'a développé en français. Pourquoi ? Pour être compris de nous tous. (Interruption.)
Je n'entends nullement faire un reproche à l'honorable M. Debaets de ne pas avoir prononcé son discours en flamand ; je l'en remercie, au contraire, car il m'aurait privé du plaisir de le comprendre ; je constate seulement qu'il a fait ce que font les avocats des Flandres, qui le font comme lui-même, parce qu'ils croient de l'intérêt de leur mission de parler français.
Ils ont un autre motif encore : la langue juridique, dans nos contrées, est évidemment la langue française. Vos répertoires de jurisprudence, vos livres de doctrine, est-ce que vous les avez en flamand ? Ils sont tous écrits en français, à moins de remonter aux auteurs anciens qui sont peut-être trop négligés, mais ceux-là mêmes, vous les trouveriez écrits en latin et non pas en flamand.
Il y a donc des raisons toutes naturelles qui amènent les avocats flamands à plaider en français devant les tribunaux des Flandres et ils le font avec honneur.
Je le répète, messieurs, la seule chose à faire, dans un pays où diverses langues se partagent le territoire et les populations, c'est de laisser chacun parfaitement libre d'employer la langue qu'il préfère, et s'il m'était permis de donner un conseil aux populations flamandes sur cette question, je leur rappellerais, si ma mémoire est fidèle, celui que leur donnait un des députés les plus distingués qu'elles aient envoyés parmi nous, l'honorable M. d'Elhoungne : « Votre intérêt, dirais-je à ces populations» c'est qu'on encourage chez vous l'étude du français. »
Comptez donc, messieurs, les populations qui parlent le flamand, et vous arriverez à une population peu nombreuse, enfermez ces populations dans le cercle restreint de la langue flamande, l'exalter toujours, l'encourager sous toutes les formes, qu'est-ce faire ? C'est encourager l'isolement de Flamands. Voilà la vérité.
Quant à moi, je me permets de donner au gouvernement un autre conseil : je lui demande d'encourager l'étude du flamand dans les provinces wallonnes ; que dans les écoles primaires et même dans les établissements d'instruction moyenne, le cours de flamand soit un des plus importants, un des plus honorés, un des plus récompensés.
Voilà ce que moi, Wallon, n'ayant pas le bonheur de connaître le flamand, ce qui chaque jour est une cause de regret pour moi, voilà ce que je dis aux Wallons.
Mais je voudrais que vous, nos collègues des Flandres, vous tinssiez le même langage ; je voudrais que vous disiez aux Flamands que la première étude dans toutes les écoles des Flandres doit être le français.
Je voudrais, en un mot, que chacun de nous tâchât de diminuer les difficultés qui peuvent naître pour le pays de la diversité des races qui s'y trouvent ; que chacun de nous, sans bruit, sans éclat, apportât sa part d'efforts pour persuader à toutes nos populations que la langue flamande et la langue française sont nos deux langues nationales, et qu'il est désirable que tous les Belges les apprennent l'une et l'autre.
Pour arriver à ce résultat que nous devons tous désirer, ne parlons pas à ces populations de prétendus griefs, ne leur parlons pas de désaffection. Encouragez, au contraire, fortifiez, exaltez chez elles le sentiment national ; dites-leurs à toutes que les Chambres et le gouvernement sont animés à leur égard du même esprit de justice et d'équité ; que tous, Flamands comme Wallons, sont au même titre l'objet de leur sollicitude.
Messieurs, je ne suspecte nullement les intentions des honorables auteurs de l'amendement que je repousse, mais je regrette l'exagération de leurs formules.
(page 141) - On demande la clôture.
M. de Theux (contre la clôture). - Messieurs, je demande la remise de la discussion à demain. On a présenté des amendements ; il est impossible qu'ils soient imprimés, pour que chacun de nous puisse s'en rendre compte. M. le ministre de l'intérieur n'a-t-il pas cru voir dans un des amendements une pensée de défiance à son égard, bien qu'aucun de nous n'eût songé à cela ? Je demande donc qu'on ait le temps d'examiner les amendements d'ici à demain. J'aurai, pour ma part, quelques observations à présenter.
- Voix nombreuses. - À demain !
- La suite de la discussion est remise à demain.
M. le président. - Voici un sous-amendement que M. Joseph Lebeau a fait parvenir à l'amendement de M. Hymans :
« Nous nous réjouissons avec Votre Majesté de pouvoir, malgré la crise, envisager sous un aspect favorable la situation financière, et nous avons l'espoir que cette situation permettra d'améliorer le sort de la plupart des employés de l'Etat a d'une grande partie du clergé, dont les traitements ne sont plus, depuis longtemps, en rapport avec les nécessités de la vie. »
- La séance est levée à 5 heures.