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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 30 novembre 1861

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page 117) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à une heure et un quart.

M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont, secrétaire., présente l'analyse des pétitions suivantes.

« Des pensionnés civils prient la Chambre d'améliorer leur position. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les sieurs Royer et Mertens demandent l'abolition des droits de barrières, à dater du 1er janvier prochain. »

- Même décision.


« Le conseil communal de Fize-Fontaine demande une loi qui fixe le minimum des traitements des secrétaires communaux. »

- Même décision.


« Des facteurs des postes à Couvin demandent une augmentation de traitement et que chaque année il leur soit accordé au moins huit jours de congé. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget du département des travaux publics.


« Des facteurs des postes à Jodoigne demandent une augmentation de traitement. »

- Même décision.


« Le conseil communal de Mortsel réclame l'intervention de la Chambre pour qu'il soit sursis à l'exécution des jugements prononcés contre les propriétaires de constructions élevées dans un rayon de 585 mètres des forts d'Anvers, jusqu'à ce qu'elle ait statué sur une pétition qui doit lui être adressée pour demander la révision des lois sur les servitudes militaires. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion relative aux pétitions concernant les servitudes militaires.


« M. de Boe fait connaître les motifs qui l'empêchent d'assister à la séance d'aujourd'hui. »

- Pris pour information.

Projet d’adresse

Discussion des paragraphes

Paragraphe 5

M. le président. - Nous nous sommes arrêtés hier au paragraphe 5, ainsi conçu :

« Interprète fidèle des sentiments du pays, la patriotique cité de Liège a chaleureusement acclamé l'heureuse rencontre des princes illustres qui président si noblement aux destinées de nations sœurs et amies ; de nations qu'unissent non seulement des rapports de bon voisinage, désormais affermis, mais encore l'amour commun de l'indépendance nationale et des libertés publiques. »

- Ce paragraphe est mis aux voix et adopté.

Paragraphe 6

« Les barrières fiscales divisent les peuples à l’encontre de leur intérêt véritable. L'abaissement graduel de ces obstacles mène à l'union de jour en jour plus intime de la grande famille européenne. La Chambre des représentants a applaudi aux traités précédents qu'inspirait cette pensée fraternelle. Elle étudiera avec une bienveillante attention les propositions que lui fera le gouvernement pour étendre à d'autres Etats l'heureuse influence de ces conventions. »

M. Kervyn de Volkaersbeke. - Messieurs, en entrant dans cette enceinte, je m'étais fait une loi de ne prendre part à vos débats qu'après avoir acquis, au milieu de vous, l'expérience nécessaire pour accomplir avec fruit la mission qui m'est confiée.

Cependant, messieurs, en présence du discours du Trône annonçant la conclusion prochaine d'un traité de commerce avec l'Angleterre, je crois de mon devoir de rompre le silence pour motiver en peu de mots le vote que j'émettrai sur la question de la rédaction de l'adresse.

On ne peut se dissimuler, messieurs, que le projet d'ouvrir nos frontières aux produits de l'industrie anglaise n'ait répandu l'alarme dans plusieurs centres industriels et notamment à Gand, où l'industrie cotonnière donne depuis un demi-siècle l'existence à une nombreuse population ouvrière.

Ouvrir brusquement nos barrières douanières devant les produits de l'Angleterre, serait livrer nos producteurs nationaux à une concurrence qu'ils ne pourraient soutenir. Ce serait frapper de mort le travail national pour enrichir l'industrie étrangère de ses dépouilles.

Est-ce à dire que notre industrie, pour se maintenir, doive conserver le privilège d'être protégée par une ligne de douanes infranchissable ? Non, messieurs, nos industriels ne sont pas animés de ce sentiment égoïste.

Autant que les partisans du libre échange, ils forment des vœux sincères en faveur de la liberté commerciale la plus étendue, non seulement avec les autres nations de l'Europe, mais même avec l'Angleterre.

Sans doute il serait préférable d'ouvrir d'abord nos frontières aux produits de l'Allemagne avant de livrer le marché intérieur à la redoutable concurrence anglaise ; mais le gouvernement ne partage pas cette manière de voir ; les négociations entamées avec le gouvernement de la Grande-Bretagne ne nous laissent plus d'illusion à cet égard.

Les principes servant de base au traité conclu entre la Belgique et la France seront donc appliqués à l'Angleterre ? C'est-à-dire qu'une lutte industrielle va s'engager sur le sol belge, lutte inégale dans laquelle l'industrie du pays sera livrée sans défense à son redoutable adversaire.

Le moment n'est pas venu, messieurs, de discuter les conditions qui seront faites à la Grande-Bretagne, mais j'ose espérer que vous ne consacrerez pas le principe admis par le gouvernement. Au contraire, vous prendrez en sérieuse considération les requêtes qui viennent de nous être adressées par les fabricants de Bruxelles et de Gand. Ces documents attestent que l'industrie nationale a lutté avec une incroyable énergie pour se placer à la hauteur où elle est arrivée, et que tant d'efforts, tant de sacrifices seraient perdus, s'il fallait ouvrir immédiatement et sans transition, nos ports et nos marchés à l'industrie anglaise.

Jamais, messieurs, je n'appuierai de mon vote une œuvre qui serait la ruine complète du travail national.

La conclusion immédiate d'un traité avec l'Angleterre, sur les bases indiquées dans le discours de la Couronne et dans l'adresse, aurait infailliblement cette conséquence fatale. Le seul moyen de l'éviter, c'est d'opérer une réforme douanière par voie législative comme le proposent les pétitionnaires.

Pourquoi se lier par des traités indissolubles quand un abaissement de tarif en faveur de l'Angleterre peut suffire ?

Un petit Etat neutre comme la Belgique doit se garder de prendre, surtout envers une grande puissance, des engagements dont il ne pourrait se dégager si ses intérêts les plus impérieux le lui commandaient.

Par ces motifs, j'espère obtenir l'appui même du gouvernement. Je crois que sur les bancs du ministère nous trouverons l'appui nécessaire pour arriver à une solution qui satisfasse en même temps le désir de conclure un traité avec les nations étrangères, avec l'Angleterre surtout, et les intérêts si gravement menacés de l'industrie cotonnière.

M. Coppens-Bove. - Messieurs, je me joins à mon honorable collègue, M. Kervyn de Volkaersbeke, pour appuyer les pétitions des industriels cotonniers de Bruxelles et de Gand, demandant l'ajournement du traité dont il est question dans ce paragraphe.

L'ajournement est d'autant plus opportun, messieurs, qu'outre les motifs indiqués par les pétitionnaires, il est avéré que plusieurs établissements, à Gand subissent en ce moment une crise qui a pour résultat non seulement de diminuer les heures de travail, mais encore d'arrêter l'activité d'un nombre considérable de métiers.

Malheureusement cette situation précaire de l'industrie a pour conséquence immédiate de mettre l'ouvrier dans une position telle, que par (page 118) suite de la diminution forcée du travail et des prix excessifs des denrées alimentaires, son existence est devenue extrêmement pénible.

Comme cet état de crise ne présente pas de solution prochaine, que personne ne peut en prévoir la fin, je prie le gouvernement de prendre des mesures tendant à soulager la position fortement compromise des nombreuses populations de travailleurs.

Je borne la mes observations pour le moment.

M. Van de Woestyne. - Je ne pourrais que répéter ce que les honorables préopinants viennent de dire. Je prends donc uniquement la parole pour m'associer à leurs vœux, espérant que ces vœux rencontreront de la sympathie sur tous les bancs de la Chambre et que nous pourrons arriver à faire des choses utiles à nos populations ouvrières. Mais je me réserve de développer plus tard les considérations que j'aurai à soumettre quand un traité de commerce nous sera présenté.

M. Jamar. - Je demande la parole.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je crois devoir faire remarquer à la Chambre que nous sommes en négociation avec un gouvernement voisin. Dans l'état de cette négociation, je ne sais pas ce qu'on peut attendre d'une discussion que je considère ici comme intempestive, comme inopportune. Nous ne pouvons pas discuter les stipulations d'un traité qui est à faire, qui est en négociation.

On ne s'étonnera pas que le gouvernement se tienne dans une grande réserve ; il est impossible, en effet, qu'il donne des explications sur ce qu'il fera ou ne fera pas. Je pense que des débats qu'on ouvrirait, il pourrait résulter des inconvénients ; car si des arguments présentés dans un intérêt sont combattus par des arguments puisés dans un autre intérêt, les uns et les autres perdront toute valeur dans la négociation.

Je ne veux pas dire pour cela que la Chambre n'ait pas le droit de discuter, je lui reconnais entièrement ce droit, je veux seulement appeler son attention sur l'inopportunité de pareils débats en ce moment.

M. Jamar. - Les observations que vient de présenter M. le ministre des affaires étrangères sont trop sérieuses, pour que je ne m'empresse pas de renoncer à la parole ; je comprends qu'on ne ferait qu'énerver l'action de nos négociateurs par une discussion prématurée ; j'attendrai un autre moment pour présenter à la Chambre les observations que je voulais faire.

M. Jacquemyns. - Je ne me proposais pas de prendre la parole au sujet du paragraphe qui nous occupe, précisément par les raisons que vient d'exposer M. le ministre des affaires étrangères ; j'ai pensé que c'était mal saisir le moment que de discuter un traité pendant les négociations, à l'occasion de l'adresse ; il est un autre motif qui me portait à ne pas demander la parole, quelle que soit ma sollicitude pour les intérêts de l'industrie gantoise, à laquelle divers liens m'attachent ; quelle que soit cette sollicitude, je ne pense pas avoir à défendre ces intérêts en ce moment, par la raison que l'adresse laisse complètement intact tout ce qui a rapport au traité avec l'Angleterre.

Bien que le discours du Trône parle de ce traité, l'adresse de la Chambre n'en parle pas, et j'ai la confiance que cette omission n'était pas sans but.

L'adresse dit que la Chambre des représentants étudiera avec une bienveillante attention les propositions que lui fera le gouvernement pour étendre à d'autres Etats l'heureuse influence de ces conventions.

Le discours du Trône avait dit : Les mêmes principes seront appliqués dans nos relations avec la Grande-Bretagne et ils serviront de base aux négociations que nous aurons à ouvrir encore avec d'autres Etats.

Or, si je ne me trompe, une des alternatives que proposent les industriels gantois est précisément d'étendre à toutes les nations et par une loi, l'influence de ces conventions.

Je puis donc sans inconvénient voter le paragraphe en discussion sans engager en rien le vote que j'aurai à donner sur les traités qui nous seront soumis et sur les questions intéressant l'industrie qu'ils pourront soulever.

M. Debaets. - Cela est très clair, mais un vote qui n'est pas motivé n'est pas clair du tout.

Je voterai le paragraphe, parce qu'il correspond à mon principe, à mes vues, parce qu'il me semble qu'avec les réserves qu'il contient, il ne menace nullement l'industrie gantoise de la ruine que craignent beaucoup de personnes. Mais je me réserve d'examiner les traités qui nous seront proposés et surtout la question qui a déjà été traitée par plusieurs honorables membres et entre autres par M. le ministre des finances, celle de savoir s’il ne convient pas d'abaisser les droits par mesure législative, c'est-à-dire en vertu de la volonté nationale, exprimée chaque année, plutôt que par des traités de commerce qui nous lient pour de longues années et sur lesquels on ne peut revenir lorsque la position est changée, des traités que l'on pourrait avoir à regretter dans des circonstances données.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, il va de soi qu'en votant le paragraphe en discussion, personne ne vote d'avance un traité qu'il ne connaît point. C'est une déclaration générale de principe. Or, la déclaration de principe qui est contenue dans le projet d'adresse a déjà reçu la sanction de la Chambre qui, à l'unanimité, a voté le récent traité conclu avec la France.

A cette occasion, l'honorable préopinant vient de faire appel à des opinions que j'aurais exprimées antérieurement ; selon lui, j'aurais dit qu'il était préférable de procéder par voie législative, plutôt que par voie de traités, à la révision de notre régime douanier.

Je ne sais ni quand ni à propos de quoi j'ai exprimé une telle opinion. Je crois que l'honorable membre me l'attribue assez gratuitement, mais je vais dire quelle est, en réalité, ma manière de voir à ce sujet.

Il y a deux natures de traités de commerce : les uns sont les traités différentiels, qui sont la conséquence du système protecteur ; mais il y a aussi des traités qui n'ont d'autre but que d'opérer successivement une reforme douanière. Je suis opposé aux premiers, et je l'ai toujours été ; mais j'admets parfaitement les seconds. J'admets parfaitement que l'on traite successivement avec divers Etats pour rendre d'application générale une réforme douanière, qui, à la vérité, pourrait se faire sans traités, mais qui, sans contredit, doit s'effectuer d'une manière plus utile, plus profitable au pays, à la suite de traités qui nous garantissent certains avantages en échange de ceux que nous concédons.

Je pense donc que cette opinion n'est pas de nature à être critiquée, et il me semble qu'elle justifie parfaitement l'intention exprimée par le gouvernement, de négocier des traités de commerce sur la base de celui qui a été conclu récemment avec-la France.

C'est dans cette vue que des négociations sont ouvertes, et j'espère qu'elles seront couronnées de succès.

M. Debaets. - Messieurs, je n'aurais pas pris la parole dans cette enceinte si les discours de mes honorables collègues de Gand ne m'obligeaient de prendre, vis-à-vis de la Chambre, une position nette et franche.

Je voterai le paragraphe, parce que je suis libre-échangiste, mais il est entendu que le vote de ce paragraphe me laisse juge et souverain appréciateur de tous les traités qui pourront nous être proposés.

- Plusieurs membres. - C'est clair.

M. B. Dumortier. - Loin de penser, messieurs, comme les honorables orateurs qui ont tout à l'heure pris la parole, et comme M. le ministre des affaires étrangères, que la discussion est inopportune, je trouve au contraire qu'elle est excessivement opportune. Je ne crois pas, messieurs, qu'il soit de bonne politique de laisser au gouvernement carte blanche en ce qui concerne la gestion de nos intérêts. Je reconnais que cela est excessivement commode pour le pouvoir. Un blanc-seing est pour lui d'un usage très facile ; il fait ce qu'il veut ; mais la nation n'y trouve pas toujours son compte, et il est infiniment plus sage qu'elle prenne des mesures.

Je crois donc, messieurs, que la discussion actuelle est excessivement utile et qu'il est impossible d'indiquer un intérêt plus grand que celui qui nous occupe.

Il s'agit de savoir si un traité sera fait avec l'Angleterre, oui ou non, et si ce traité contiendra les mêmes stipulations que celles qui se trouvent dans le traité avec la France.

Dans le discours du Trône le ministère se félicite des effets de ce dernier traité et il semble en tirer la conséquence qu'un traité semblable sera fait avec l'Angleterre. Le langage du discours du Trône, sous ce rapport, est complètement différent de celui de l'adresse, et j'approuve complètement la prudence de M. le rédacteur de l'adresse, qui n'a pas voulu se prononcer sur la question que soulève le paragraphe du discours du Trône.

Le discours du Trône dit que les principes du traité avec la France « seront appliqués dans nos relations avec la Grande-Bretagne et serviront de base aux négociations que nous aurons à ouvrir avec d'autres États. »

Voici donc, messieurs, deux ordres d'idées complètement distincts : quant à la Grande-Bretagne, ce sont les mêmes principes qui seront appliqués ; pour d'autres puissances, ces principes ne devront que servir de base aux traités. Si je comprends bien ce que signifie le discours du Trône, (page 119) il signifie purement et simplement que le traité conclu avec la France sera appliqué à l'Angleterre, et remarquez-le bien, c'était ce qui avait été déclaré par MM. les ministres dans la session précédente, lorsqu'ils disaient que nous ne pouvions pas avoir des droits différentiels entre la France et l'Angleterre.

Or, si tel est le but que se propose le discours du Trône, je dis que nous ne pouvons pas garder assez de réserve dans le vote que nous avons à émettre sur l'adresse et nous devons doublement féliciter la commission d'adresse de s'être abstenue.

Autant il est incontestable que l'industrie belge, qui se trouve dans des conditions d'analogie complète avec celle de la France, peut soutenir la lutte avec cette dernière, autant il est incontestable que la plupart de nos industries, pour ne pas dire presque toutes, sont dans l'impossibilité absolue, matérielle (interruption.)...Vous aurez beau dire. Ah ! Oh ! Cela ne prouve rien ; vous feriez beaucoup mieux de me répondre.

Je dis que très peu d'industries en Belgique sont capables de soutenir la lutte contre l'industrie anglaise et les honorables membres qui me répondent par des Ah ! et des Oh ! je les prie de vouloir bien se transporter en Angleterre pour étudier les forces productives de l'industrie anglaise sur le terrain, de voir ce que c'est que la constitution de cette industrie anglaise, non pas dans telles ou telles manufactures, mais dans l'industrie tout entière, depuis les pieds jusqu'à la tête, depuis la mise en œuvre de la matière brute, jusqu'à ce que la valeur soit entrée dans la caisse des industriels ; je les prie d'examiner cette question d'une manière sérieuse, et ils devront reconnaître qu'aucune nation n'est capable de lutter contre l'industrie anglaise, et l'Angleterre le sait fort bien.

Messieurs, permettez-moi de vous rappeler et de rappeler au pays qui nous écoute ce que sir Robert Peel, le fameux créateur du système de libre échange, disait dans la dernière nuit qui a été consacrée à l'examen de ce système. La Chambre avait discuté cet objet pendant 17 nuits, je crois ; sir Robert Peel, se trouvant à la veille de voir son système renversé, s'est écrié alors : « Que craignez-vous de la mesure que je propose ? Que craignez-vous du libre échange ? N'êtes-vous pas la nation la plus industrielle et la plus commerçante du monde ? N'avez-vous pas des flottes qui sillonnent toutes les mers ? N'avez-vous pas des comptoirs sur tous les points du globe ? » Et sir Robert Peel ajoutait, et ceci est des plus significatifs, sir Robert Peel ajoutait : « Nous donnons à l'Europe un grand exemple, afin qu'elle entre dans une voie où elle ne saurait nous suivre ? »

Est-ce clair ? Dans une voie où l'Europe ne saurait suivre l'Angleterre ! et c'est dans cette voie qu'on voudrait engager la Belgique, et l'engager par voie de traités qui doivent la lier avec sa rivale destinée à l'écraser un jour !

Si une pareille mesure doit être prise, il est infiniment préférable qu'elle le soit par une loi que par un traité, et sous ce rapport, j'appuie l'opinion des honorables députés de Gand qui viennent de parler.

« Mais, dit M. le ministre des finances, il y a traité et traité. »

Oh ! je conçois que M. le ministre des finances ait besoin de faire une distinction entre les traités, lui qui, en 1851 et en 1852, était si opposé aux traités de commerce qu'il disait que la Belgique ne devait pas avoir de traités de commerce ; il nous a dit alors plus d'une fois, et dans les discussions et dans des conversations, qu'il ne fallait pas de traité de commerce, qu'il fallait opérer la réforme par la voie des tarifs.

Je comprends qu'il fasse aujourd'hui une distinction quelque peu subtile qui lui permette de justifier la position nouvelle prise par lui ; je conçois admirablement bien le langage que tient aujourd'hui M. le ministre des finances, langage si opposé à celui qu'il tenait il y a dix ans.

Quel est son système ? C'est de substituer son individualité à l'action des deux Chambres du parlement, d'absorber à lui seul le pouvoir législatif : un pareil système est excessivement commode, et je conçois fort bien que M. le ministre des finances consente à tomber dans la plus pyramidale des contradictions, pour avoir l'avantage de monopoliser le pouvoir des deux Chambres du parlement, et c'est précisément ce que nous ne voulons pas.

Vous êtes ministre, restez ministre, mais n'absorbez pas les pouvoirs de la nation. C'est la nation qui doit gérer ses intérêts, elle doit surtout les gérer alors qu'il s'agit de ce qui touche à son existence matérielle, à la grande question du travail national sans lequel votre industrie serait paralysée et vos ouvriers pourraient ne pas avoir de pain.

Voilà des questions dont la gravité n'échappera à personne et sur lesquelles il ne faut pas s'endormir. Je dis que le gouvernement manquerait à son devoir, s'il enlevait aux représentants de la nation le libre examen des tarifs que nous avons à voter.

Je dis que les députés de Gand ont parfaitement raison lorsqu'ils viennent dire au gouvernement, qu'il faut procéder par voie de tarifs et non par voie de traités. C'est une réforme dans laquelle le tarif tout entier est soustrait au parlement ; c'est la suppression tout entière des pouvoirs législatifs,

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La Chambre comprendra que je ne puis prendre au sérieux ce que vient dire l'honorable membre. Je n'ai pas besoin de déclarer que je n'ai point l'intention de supprimer les pouvoirs législatifs. Aussi ne me suis-je pas levé pour rectifier cette singulière assertion de l'honorable membre.

L'honorable M. Dumortier ne se contente pas de faire des discours. Il en fait encore pour ses collègues. Ainsi, il vient d'affirmer avec une assurance qui dépasse tout ce qu'on peut imaginer, qu'à une autre époque je me suis prononcé dans cette Chambre d'une manière absolue contre les traités de commerce, et que je dois avoir eu tout à l'heure une distraction pour soutenir que l'on doit cependant négocier des traités de cette nature.

Ce qu'il a dit de moi à ce propos est tout aussi exact que ce qu'il a dit de Robert Peel. A l'entendre, Robert Peel aurait été un fort grand sot ; car il aurait proclamé qu'il faisait entrer l'Angleterre dans un système nouveau, dans une voie de réformes où les autres nations ne pourraient la suivre...

M. Lesoinne. - C'est précisément le contraire.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - ... que c'était un excellent moyen d'absorber l'industrie du monde entier.

J'affirme que sir Robert Peel n'a jamais dit semblable absurdité.

Ce que j'ai dit des traités de commerce, à toutes les époques, tendait à justifier mon opposition très formelle aux traités différentiels, mais seulement à des traités qui doivent rendre d'application générale les réformes que ces traités supposent.

M. B. Dumortier. - Vous absorbez les pouvoirs législatifs.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Vous votez les traités.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C’est l'absorption des pouvoirs législatifs, dit l'honorable membre ! Mais malheureusement l'honorable membre n'a pas fait partie du congrès, sinon il se serait probablement opposé à la disposition qui est inscrite dans notre pacte fondamental, et qui porte que le Roi fait les traités de commerce, qui sont soumis ensuite à l'approbation des Chambres.

M. B. Dumortier. - Je demande la parole.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ainsi, en supposant que la conclusion de ces traités constitue une absorption des pouvoirs législatifs, bien que les pouvoirs législatifs soient ensuite appelés à les examiner et à les voter, il est évident que c'est à la Constitution qu'il faut s'en prendre ; et quand l'honorable membre critique la voie dans laquelle on est entré et que l'on a toujours suivie en Belgique, il ne fait autre chose qu'attaquer la prérogative royale. C'est donc lui qui veut restreindre cette prérogative, non pas le ministère qui veut absorber les pouvoirs législatifs.

Or, cette prérogative a été exercée et continuera d'être exercée de la même manière.

Le traité qui a été conclu avec la France l'a-t-il été en vue de consacrer désormais en faveur de ce pays une position privilégiée ? Pas le moins du monde. Ce traité a eu précisément pour but et pour effet de faire cesser les conditions privilégiées et tout exceptionnelles faites à la France sur le marché belge, en vertu de traités antérieurs, et il a été déclaré dans la discussion de ce traité, sans contradiction de la part de personne - parce qu'on n'y a songé que plus tard dans un intérêt électoral - que les principes qui avaient présidé à la rédaction du nouveau traité conclu avec cette puissance, seraient ultérieurement rendus d'application générale.

Il n'y a donc eu aucune espèce de méprise, ni de surprise. Tout le monde a été averti à cet égard, et nous persistons à prétendre que la voie dans laquelle le gouvernement s'est engagé est la seule bonne, et qu'il doit y persévérer, comme d'ailleurs il compte le faire.

M. B. Dumortier. - Je ne suis nullement surpris que M. le ministre des finances trouve que la voie dans laquelle le gouvernement s'est engagé est la bonne et qu'il faut y persévérer : c'est, comme je l'ai dit, l'absorption du pouvoir législatif par le pouvoir de M. le ministre des finances.

Je conçois qu'il trouve excessivement commode de se maintenir dans une voie où nous, qui sommes appelés à gérer les affaires du pays, nous n'avons pas à intervenir. (Intervention.)

Que cette voie soit suivie en faveur du système protecteur ou en faveur du système du libre échange, peu m'importe ; c'est toujours (page 120) l'absorption du pouvoir législatif par le pouvoir ministériel ; c'est toujours une chose monstrueuse et que jamais ni le Congrès ni la Constitution n'ont voulu consacrer.

Vous invoquez l'article de la Constitution qui dit que les traités de commerce n'ont d'effet qu'après avoir reçu l'assentiment des Chambres. Cela est vrai, messieurs, mais soyons de bonne foi : peut-on appeler un traité de commerce une révision de tout notre tarif douanier ? Il faut bien le dire, c'est un abus de mots, une véritable jonglerie. (Interruption.) Messieurs, si ce mot choque la Chambre, je suis prêt à le retirer.

M. le président. - Je pense que vous ferez bien, M. Dumortier ; il ne faut pas oublier que le traité a été voté par la législature.

M. B. Dumortier. - Je ne fais aucune difficulté de retirer l'expression. Mais je dis que c'est un abus de mots d'appeler traité de commerce une révision complète de votre tarif de douanes ; et si le Congrès avait pu prévoir qu'on aurait fait un jour un tel abus des mots « traité de commerce », jamais il n'eût inscrit dans la Constitution la disposition qu'on invoque.

Comment ! le Congrès qui a été jusqu'à déclarer que le Roi n'a d'autres pouvoirs que ceux que la Constitution lui confère ; le Congrès qui a été jusqu'à ôter tout pouvoir aux ministres ; le Congrès qui a été jusqu'à inscrire dans la Constitution que les tribunaux peuvent ne pas appliquer les arrêtés royaux ou ministériels qui ne sont pas conformes aux lois ; le Congrès qui a voulu mettre la souveraineté nationale à l'abri de tout abus de pouvoir de la part du gouvernement ; le Congrès national qui a voulu avant tout couvrir d'une puissante protection tous les intérêts qui touchent à la richesse nationale ; le Congrès national aurait laissé à la merci du gouvernement tout ce qui concerne les intérêts matériels de la nation !

Je dis que cela est impossible et que c'est ajouter à la Constitution, c'est lui donner l'explication la plus élastique, uniquement dans l'intérêt des ministres et contre le pouvoir parlementaire.

La nation doit avant tout conserver son libre droit d'examiner tous les articles de son tarif douanier ; et je vous prie de ne point perdre de vue que lorsque le Congrès national a parlé des traités de commerce, il n'était question que de traités modifiant de part et d'autre quatre ou cinq articles du tarif et non point d'une révision intégrale de tout le tarif douanier.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Il faut donc distinguer entre les grands traités et les petits traités.

M. B. Dumortier. - Ce que vous voulez, c'est l'absorption du pouvoir législatif par le pouvoir exécutif, c'est la transmission de tous les droits parlementaires au ministère.

Comment ! quand vous avez à toucher à un article de douane, que faites-vous ?

Vous faites une enquête ; vous appelez toutes les chambres de commerce à donner leur avis ; vous interrogez tous les industriels afin de vous assurer de l'influence des modifications projetées sur les industries intéressées.

Eh bien, toutes ces garanties, toutes ces précautions disparaissent sous prétexte de traité de commerce ! Je le répète, messieurs, c'est un véritable abus de mots ; et cela est tellement vrai, le ministère le sait tellement bien, qu'il approuve la conclusion de traités quand ces traités lui sont favorables et qu'il les condamne dans le cas contraire. Cela prouve combien M. le ministre des finances particulièrement sent combien son argumentation est fausse.

En Angleterre, messieurs, ce n'est point ainsi que procède le gouvernement ; le gouvernement procède par voie de tarif.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et son dernier traité avec la France ?

M. B. Dumortier. - Tout ce qui, dans ce traité, touchait au tarif douanier, a été fait pour tout le monde. La seule exception qui a été consacrée concerne les objets sur lesquels un droit a été prélevé au profit du trésor au point de vue fiscal. Il en a été ainsi des vins de France, des alcools de France, parce qu'il y avait là un contrat.

Mais partout ailleurs, partout où il s'agissait de droits de douanes proprement dits, on a procédé par voie d'abaissement de tarifs. Cela est tellement vrai que nous, Belges, nous jouissons de tous les avantages accordés à la France par l'Angleterre.

Et puis, je le demande, est-ce que l'honorable M. Frère a la faiblesse de se croire la science infuse ; peut-il prétendre avoir la connaissance de toutes les industries du pays ; croit-il savoir jusqu'à quel point il peut aller sans nuire au travail national ?

J'aime à croire que non, messieurs. Quand de si graves questions sont en jeu, chacun de nous apporte ici sa pierre à l'édifice ; chacun arrive avec les matériaux qu'il a recueillis dans son district, dans ses entretiens avec les électeurs, avec les fabricants, avec les contre-maîtres, avec les ouvriers eux-mêmes.

Il arrive donc ici de manière à empêcher le mal, à produire le bien.

Mais quand c'est le gouvernement seul qui agit, il procède d'une autre manière ; pour lui il n'est pas besoin d'enquête. Votre industrie est menacée, votre richesse publique est menacée ; votre travail national est menacé, vous voulez sans enquête procéder à une révision complète de notre tarif.

Vous allez de nouveau bouleverser de fond en comble notre législation douanière et peut être arriverez-vous au plus affreux de tous les désastres : aux ouvriers réduits au pain et à l'eau.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Nous sommes habitués depuis longtemps aux exagérations de l'honorable M. Dumortier.

M. B. Dumortier. - Quand donc renoncerez-vous à ce mot ?

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Vous désirez que je retire ce mot ? Soit ; j'irai, si vous le voulez, jusqu'à déclarer que l'honorable M. Dumortier est excessivement modéré dans ses discours. (Interruption.)

L'honorable membre vient de soutenir cette thèse que la Constitution, en attribuant au pouvoir royal le droit de faire des traités de commerce, a entendu que ce pouvoir ne pourrait s'exercer qu'à la condition de ne faire que des traités de commerce insignifiants, de petits traités de commerce, que du jour où ces traités de commerce seraient établis sur des bases un peu larges, le pouvoir royal ne pourrait plus exercer sa prérogative, sans être accusé, dans la personne de ses ministres, de vouloir absorber le pouvoir parlementaire.

Je demande à l'honorable membre quelle mesure il donne ici à la prérogative royale et de combien d'articles au maximum un traité devra se composer pour ne pas consacrer une absorption de la prérogative parlementaire.

L'honorable membre nous dit : Le gouvernement agit dans l'ombre ; il sacrifie toutes les industries ; il réduit nos ouvriers au pain et à l'eau. (L'honorable membre est, sans doute, bien indulgent en consentant à accorder encore du pain à l'ouvrier). Et le gouvernement fait tout cela sans consulter personne, sans lumière, sans enquête.

L'honorable préopinant, qu'il me permette de le lui dire, est à côté de l'exactitude des faits.

Le gouvernement, lorsqu'il aborde une négociation avec un pays quelconque, a soin de s'entourer de toutes les lumières, de consulter tous les intérêts, de recourir non seulement aux avis des chambres de commerce, mais à toutes les industries qui peuvent être engagées dans les négociations qu'il entame.

La preuve matérielle de ce que je dis ici se trouve aux départements des finances, de l'intérieur et des affaires étrangères ; voilà de quelle manière le gouvernement procède et a toujours procédé,

Maintenant, messieurs, l'honorable membre voudrait que le gouvernement renonçât à la prérogative constitutionnelle dont il est investi et ne procédât aux réformes douanières que par des lois ; je demande à l'honorable M. Dumortier s'il voterait une réforme douanière par voie législative, quand le gouvernement viendrait proposer cette réforme dans un sens libéral et demander l'abaissement égal de tous les droits pour tous les pays.

M. B. Dumortier. - Je préférerais ce régime à celui des réductions de droit consenties par traité, avec une puissance.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Le gouvernement viendrait donc proposer par la loi une réforme douanière abaissant les tarifs et acceptant les produits de tous les pays sans demander en retour à ces pays aucune espèce de compensation.

Est-ce que par ce système l'industrie nationale serait mieux garantie que par le système que nous suivons ?

Nous admettons par traité les produits étrangers, mais nous tâchons d'obtenir des compensations, nous ne livrons pas gratis l'entrée du pays ; voilà l'avantage que peuvent présenter les traités de commerce. Sous ce rapport, les amis de la protection doivent préférer le système des traités de commerce au système législatif, alors surtout que le système législatif aurait pour effet d'introduire, dans notre régime douanier des abaissements de tarifs sans compensation. (Interruption.)

Je le demande à l'honorable membre, connait-il des hommes de valeur qui consentiraient à se mettre à la tête d'une proposition qui aurait pour but d'aggraver notre régime douanier ?

(page 121) Que pourrait-il dès lors se promettre de réformes introduites par voie législative ?

Maintenant, je demanderai où peuvent aboutir ces discussions et quelle est la conclusion de M. Dumortier ?

Veut-il, dans l'adresse, interdire au gouvernement de continuer les négociations entamées avec l'Angleterre ? Je le prie de vouloir bien me répondre. (Interruption.)

M. Muller. - Vous allez le faire parler.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Il parle déjà.

En attendant, nous demandons que la Chambre veuille bien voter le paragraphe sans exiger de nous d'autres explications.

M. E. Vandenpeereboom. - Je crois qu'il est entendu, par tout le monde, que ce n'est pas le moment de discuter le traité futur avec l'Angleterre.

Mais deux points sont acquis, dans ce débat ; c'est, d'abord, que ceux qui demandaient que l'époque de la conclusion du traité anglais fût remise à deux ans, renoncent aujourd'hui à cette demande ; c'est ensuite, que ceux qui sollicitent la réforme douanière, par voie législative, n'ont pas réussi jusqu'à présent et semblent ne pas devoir réussir.

Donc, pour servir les intérêts que je suis obligé de défendre, en tant qu'ils m'apparaissent justes et fondés, je crois ne pouvoir mieux faire que de prendre acte d'une déclaration qui a été faite par un membre du cabinet, M. le ministre des travaux publics.

Je ne sais pas trop si M. le ministre des affaires étrangères n'a pas fait la même déclaration, à savoir que si, dans le traité français, des erreurs avaient été commises, si quelques stipulations étaient menaçantes pour certaines industries, le gouvernement a conservé sa liberté et pourra faire ce qui est utile, pour parer au danger.

Je prends acte de cette déclaration. Je compte que le gouvernement pour les traités qui sortiront des négociations à ouvrir, tâchera d'avoir l'unanimité de cette Chambre, comme il l'a eue pour le traité conclu avec la France.

Or, il a obtenu cette adhésion complète, parce que, dans ce dernier traité il s'était entendu avec les intéressés et était tombé d'accord avec un grand nombre d'entre eux.

Je prends acte de cette déclaration et je vote le paragraphe en conservant, comme tout le monde, mon entière liberté, sur les traités à intervenir.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je ne me rappelle pas avoir fait de déclaration.

M. E. Vandenpeereboom. - Je ne parle que de souvenir, quant à la déclaration de M. le ministre des affaires étrangères, et il est possible que ma mémoire soit infidèle ; mais celle de M. le ministre des travaux publics, elle est très claire, je l'ai sous la main ; elle se trouve à la fin du discours prononcé par l'honorable ministre, à la séance du 15 novembre courant. Elle est conçue en ces termes :

« Mais, est-ce à dire, messieurs, que s'il y avait danger pour l'une ou l'autre de nos industries importantes, comme l'est l'industrie cotonnière, à étendre à l'Angleterre les concessions qui ont été faites, par exemple, à la France, est-ce à dire qu'en vertu de cette déclaration générale la Belgique ne se fût pas crue en droit de réclamer une exception en faveur de cette industrie menacée ?

« Evidemment non, messieurs... Le cabinet (j'en appelle au souvenir de mes honorables collègues) ne s'est pas cru un seul instant engagé par cette déclaration, de telle manière qu'il se fût en quelque sorte paralysé.

« Il s'est dit, au contraire, que s'il y avait des motifs d'exception pour quelque industrie, il était parfaitement admis à les faire valoir auprès du gouvernement anglais ; et les instructions qu'il a formulées lui ont été dictées uniquement par des considérations puisées dans l'intérêt de l'industrie belge elle-même. Voilà l'esprit dans lequel il a délibéré et dont il ne s'est pas départi. »

C'est-à-dire que le gouvernement a conservé la liberté de faire des exceptions, de réparer des erreurs commises, de garantir des intérêts menacés.

Il suffit, me semble-t-il, pour apaiser les intérêts alarmés, de prendre acte de ces rassurantes déclarations du gouvernement. Le cabinet tiendra sans doute à honneur de faire pour le traité anglais comme il a fait pour la convention avec la France ; c'est-à-dire, d'obtenir l'adhésion, sinon de tous les industriels, du moins de la très grande majorité d'entre eux.

Pour ce qui me concerne, je crois que, moyennant certains ménagements, cet heureux résultat pourra être obtenu ; et je fais des vœux pour que le gouvernement y consacre toute sa sollicitude.

Quant à présent, je ne veux faire que les réserves que tout le monde a faites, et je répète que j'espère que les traités à intervenir réuniront l'unanimité des votes de cette Chambre, comme l'a obtenue le traité avec la France ; et ils l'obtiendront, s'il est fait droit aux justes réclamations qui pourraient être faites.

M. Tack. - Messieurs, de même que l'honorable M. E. Vandenpeereboom, je viens prendre acte de certaines déclarations de l'honorable ministre des affaires étrangères ; il nous a dit que toutes les mesures auxquelles le gouvernement adhérerait seraient des mesures libérales, qu'aucune d'elles n'aurait le caractère d'une aggravation douanière ; je recueille avec soin cette promesse et j'en félicite M. le ministre des affaires étrangères, d'autant plus que j'ai pu voir, par une brochure récemment publiée, que les filateurs de lin songent sérieusement à peser sur le gouvernement pour obtenir la suppression de l'article 40 de la loi sur les entrepôts, en ce qui concerne le fil de lin. Je tiens à protester d'avance de toutes mes forces contre cette suppression, qui serait l'acte le plus désastreux, le plus illibéral que le gouvernement pourrait prendre à rencontre de l'industrie du tissage, ce serait un fâcheux recul ; qu'on le sache, l'article 40, qui admet la tolérance de l'importation en franchise des droits sur les fils de lin, à charge de réexportation, a été l'une des mesures qui ont le plus contribué à relever la Flandre, à la faire sortir de la triste situation dans laquelle elle se trouvait, à faire cesser la crise si intense, l'état de marasme si profond dans lequel elle a pendant si longtemps végété. Je ne comprendrais pas que le gouvernement pût consentir à renoncer à une mesure dont les bienfaits sont incontestables, et j’espère bien qu’il ne se laissera pas circonvenir sur ce point.

M. Jacquemyns. - Je dois déclarer que je n'étais pas préparé à une discussion complète du futur traité avec l'Angleterre, et si j'en juge par la confusion qui règne dans cette discussion, je crois que d'autres membres sont dans le même cas.

L'honorable ministre des finances ne veut d'aucun traité différentiel et, adoptant son système, on voudrait des exceptions au régime général douanier ; on voudrait engager le cabinet à prendre dès à présent l'engagement de maintenir une exception.

Il me semble que, quand on adopte un système, il convient de l'adopter en entier. Lorsqu'il s'agit d'un système douanier parfaitement uniforme, je comprends mal que l'on pose en même temps le principe que l'on exemptera de tout droit telle marchandise dans un cas déterminé. Je pense que le cabinet ne peut prendre en ce moment d'engagement à cet égard.

D'un autre côté, messieurs, je reconnais que la libre entrée des fils de lin à charge de réexportation a fait du bien au tissage, mais elle a fait beaucoup plus de bien à un très petit nombre d'importateurs et généralement les tisserands en ont retiré très peu d'avantage ; ils ont été obligés de partager avec des capitalistes qui ont pris la grosse part du bénéfice. Quand on réduit d'une manière très notable le droit d'entrée sur les fils, l'exception devient sans objet.

M. H. Dumortier. - Les observations de M. Jacquemyns nécessitent de ma part une adhésion à ce qu'a dit mon honorable collègue M. Tack. Je n'ai du reste qu'un mot à dire.

Les fabricants gantois, auxquels je porte, d'ailleurs, un grand intérêt, veuillent prendre dans le pays une position tout à fait exceptionnelle ; toutes les mesures qui peuvent leur être utiles, la libre entrée des charbons, l'abaissement des tarifs des chemins de fer, et autres mesures du même genre, il faut que tout cela leur soit accordé. Mais quand vous touchez le moins du monde à leur monopole, ils jettent les haute cris, ils voudraient à tout jamais faire payer par 5 millions de consommateurs belges, les faveurs exceptionnelles dont ils jouissent. Dès qu'on veut ébrécher quelque peu cette espèce de monopole, immédiatement un membre du banc gantois se lève pour protester. L'industrie gantoise veut rester privilégiée, elle veut conserver pour elle seule toutes les faveurs. Nous ne pouvons accepter ce régime.

Le moment n'est pas venu pour discuter ces grandes questions, mais je crois que les fabricants gantois se trompent considérablement s'ils pensent que même sur les bancs où j'ai l'honneur de siéger ils rencontreront beaucoup d'adhésion à leur système.

Il est évident, il est reconnu par tout le monde, que la disposition qui a permis d'importer des fils en Belgique, à charge de réexportation, est une mesure des plus favorables, c'est là une vérité qui est proclamée partout. Eh bien, messieurs, pour nous, en thèse générale, nous devons désirer que le fil, cette matière première d'une industrie importante, le tissage, nous arrive au meilleur marché possible.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je viens demander à la Chambre, et je m'adresse au côté droit comme au côté gauche, je viens demander à la Chambre de mettre fin à cette discussion, dans l'intérêt même du pays. Des négociations sont ouvertes, elles se poursuivent en ce moment : croyez-vous qu'il soit utile que nous mettions ici en discussion les divers intérêts qui s'agitent ailleurs ? Croyez-vous qu'il y ait quelque avantage pou»rla Belgique à ce que nous fournissions des armes à ceux avec lesquels nous négocions en ce moment ? Cette manière d'agir n'aurait-elle pas (page 122) précisément pour effet de nuire aux intérêts que l’on veut défendre ? D'un autre côté, il est impossible que le gouvernement accepte cette discussion ; dans l'état actuel des choses, il ne peut pas s'expliquer, il ne peut répondre à personne.

Je demande donc formellement que l'on mette fin à un débat qui peut présenter de graves inconvénients, et qui est absolument dénué d'intérêt dans ce moment.

M. Debaets. - J'ai demandé la parole pour répondre à une allégation toute gratuite et qui doit avoir échappé à l'honorable M. Dumortier dans un moment de vivacité. Je n’admets ni pour moi ni pour mes amis de Gand, que nous ayons la prétention de jouir d'un monopole, de jouir de faveurs exceptionnelles. Nous sommes bien décidés à défendre dans cette enceinte et en toute occasion les droits de la ville de Gand, mais je suis tout aussi déposé à voter contre les prétentions des Gantois le jour où ces prétentions seraient mal fondées, et sous ce rapport les Gantois n'ont pas de leçon à recevoir de la députation de Courtrai. Il suffit de signaler l'époque où toute la Flandre orientale avait à se plaindre de la corruption des eaux de la Lys, produite par le rouissage ; la députation de Contrai trouvait alors que les eaux de la Lys nous amenaient tous les parfums de l'Orient.

M. H. Dumortier. - Je ne puis pas laisser passer l'accusation que vient de lancer contre moi mon honorable ami M. Debaets de vouloir donner des leçons à qui que ce soit.

Messieurs, dans les Chambres d'un pays libre et où chaque membre défend librement les intérêts qu'il représente plus spécialement, personne ne donne des leçons et personne n'a à en recevoir. Nous émettons tous ici notre avis. C'est un avis et non une leçon.

Je n'ai pas accusé le banc gantois d'élever des clameurs sans rime ni raison. J'ai dit, et je prouverai lorsque le moment sera venu, que presque toujours, lorsqu'il s'agit d'une protection, l'industrie gantoise réclame des faveurs exceptionnelles, faveurs qu'elle dénie à d'autres, qui ont des intérêts semblables.

Quant à la question du rouissage, ce n'est pas le moment de la discuter. Je ne vois pas quel rapport elle peut avoir avec l'objet dont nous nous occupons.

M. Tack. - Je compte obtempérer à l'invitation que vient de nous faire l'honorable ministre des finances, et je ne prolongerai pas outre mesure le débat ; je veux bien qu'il peut y avoir danger à mettre le gouvernement en demeure de s'expliquer sur l'état des négociations entamées avec l'Angleterre. Mais il doit nous être permis d'avertir le gouvernement et d'exprimer ici nos inquiétudes sur certaines mesures éventuelles que nous condamnons et qu'on s'efforce, par des démarches actives que l'on tente auprès du gouvernement et de la Chambre, de faire triompher.

C'est à quoi je me suis borné.

Je ne m'explique point les interruptions qui partent en ce moment de certains bancs.

Comment ! il ne me sera pas permis, à propos du paragraphe que nous discutons, de stipuler en faveur du plus grand intérêt de l'arrondissement que je représente et que l'on attaque ; cela ne se serait jamais vu.

Au reste, je vais être bref et je me lève uniquement pour répondre quelques mots à l'honorable M. Jacquemyns.

Que vous dit l'honorable membre ? que l'application de l'article 40 n'a profité qu'à quelques rares capitalistes, à quelques grands industriels ; je ne puis admettre cette allégation ; l'article 40 a profité avant tout à la grande industrie du lissage, autrement importante, pour le dire en passant, que l'industrie de la filature.

Au surplus, si ce que prétend l'honorable député de Gand était vrai, la conclusion qu'il faudrait en tirer, c'est qu'il importe de simplifier l'application de l'article 40 de manière que le petit industriel comme le grand puisse en tirer son profit.

J'ajoute que l'industrie de la filature ne peut en rien être lésée par le maintien du droit de travailler le fil de lin en entrepôt. Est-ce que donc l'application de l'article 40 a fait tort dans le passé à la filature ? Mais non ; car depuis l'époque de sa promulgation elle n'a fait que se développer et grandir. Oserait-on le contester ?

En supprimant l’article 40, on ferait de gaieté de cœur et gratuitement un tort immense à l'une des industries les plus vitales du pays, sans profit réel pour aucune autre.

Et veuillez remarquer que les idées de M. Jacquemyns mèneraient loin et préjudicieraient non seulement à l'industrie du tissage, mais à bien d'autres, telles que la métallurgie, et la verrerie, si je ne me trompe.

Je considère l'abolition de l'article 40 comme une chose tellement grave, que si elle devait résulter de la conclusion du traité projeté avec l'Angleterre, je devrais peut-être me prononcer contre cet acte qui entraînerait une aussi fâcheuse conséquence.

M. H. Dumortier. - Et moi aussi.

M. de Theux. - Je n'ai qu'une observation à présenter. M. le ministre des finances et M. le ministre des affaires étrangères ont dit que le gouvernement prenait les négociations sous sa responsabilité, qu'il y avait danger à discuter dès maintenant les stipulations éventuelles d'un traité, parce que l'on fournissait à l'autre partie contractante des moyens dont elle pourrait faire usage. J'entre dans cette idée. Mais en même temps il en résulte que le gouvernement, avant de conclure un traité avec l'Angleterre, ou avec aucune autre puissance, doit approfondir autant qu'il est en son pouvoir tous les intérêts du pays.

D'autre part, les intéressés ont. aussi le droit défaire parvenir dès maintenant au gouvernement les observations qu'ils croient utiles. Dès lors je crois que c'est la seule position que nous devons prendre, il faut une enquête contradictoire, car lorsqu'un traité est conclu, il faut l'accepter ou le refuser dans son entier et il est souvent trop tard, s'il y a des intérêts lésés.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - L'honorable comte de Theux a trop d'expérience pour supposer que le gouvernement ne se livre pas à ces sortes d'enquêtes avant de conclure des traités.

- Plusieurs membres. - La clôture !

- La clôture est demandée par plus de dix membres.

M. de Haerne (contre la clôture). -Je désire exprimer une seule idée qui, je crois, concilie les opinions.

- La clôture est mise aux voix, elle n'est pas prononcée.

M. de Haerne. - Messieurs, je n'aurais pas, pour mon compte, soulevé ce débat, pour plus d'une raison ; entre autres, parce que je crois qu'en présence des négociations entamées, il peut y avoir quelque danger à donner de trop grandes proportions à cette discussion.

Je pense aussi que le moment n'est pas très favorable pour discuter la question parce que je m'aperçois que depuis quelque temps la division qui a éclaté à cet égard entre certains intérêts, entre l'intérêt des filateurs et le grand intérêt du lissage, s'envenime dans le pays et tend à prendre des proportions assez grandes, également nuisibles aux deux industries.

Remarquez, messieurs, que dans toutes ces questions douanières et de libre échange, on a procédé par division. On a établi la division d'abord entre l'agriculture et l'industrie en général, puis entre la navigation et les industries agricole et manufacturière ; après cela entre l'intérêt des houillères et l'intérêt des manufactures.

Maintenant ce sont les manufactures que l'on divise entre elles. On élève une division entre le tissage et la filature.

C'est là un grave inconvénient pour tous les intérêts, et vous-mêmes, Gantois, vous êtes menacés par ces divisions autant que nous.

Mon honorable ami M. Tack vous a dit que si l'article 40 était supprimé pour le tissage, il devrait voter contre le traité à conclure avec l'Angleterre.

.le ne vais pas jusque-là. Je m'abstiens à cet égard, je devrais voir si le droit, que l'on proposerait sur les fils anglais ne serait pas tellement bas que nous aurions intérêt à préférer le traité, bien entendu sans l'article 40.

La question me paraît grave. Je suis d'accord à cet égard avec mou honorable collègue.

Mais je dois examiner le traité avant de dire si je voterai pour ou contre. MM. les filateurs me comprendront, j'espère.

Messieurs, on a parlé tout à l'heure du danger qu'il y a à soulever ces questions au moment de la négociation avec l'Angleterre. Je le comprends. Mais je dois dire un mot sur un point qui n'est pas sans importance dans ces négociations.

Depuis assez longtemps, nos filatures se développent, et j'espère que le moment n'est pas éloigné où nous pourrons nous passer des fils anglais, ou plutôt irlandais.

Eh bien, c'est pour cette raison que je dois me déclarer en faveur du système qui a été préconisé tout à l'heure par d'honorables amis, système qui consiste à procéder par voie législative et non par voie de traités ; car si vous avez un traité avec l'Angleterre, vous vous liez pour longtemps sur cette question, comme sur les autres ; tandis que si vous procédez par la voie législative, vous restez libres ; et il pourra se faire que dans un moment donné, peut-être dans un an ou dans deux ans, nous n'ayons plus besoin de prendre nos fils de lin en Angleterre.

Les filatures du pays sont tellement florissantes, elles progressent à tel point, que l'on peut espérer que, dans peu de temps elles pourront nous fournir les numéros des fils dont nous avons besoin, aussi avantageusement que l'Angleterre.

Un dernier mot, messieurs. Il s'agit dans cette question de mettre en rapport l'intérêt du tissage d'un côté et celui des filatures de l'autre. Il ne peut s'agir ici des chefs des filatures ni des chefs du tissage ; mais il s'agit des ouvriers employés de part et d'autre. Or, mettez en balance le (page 123) nombre des ouvriers employés au tissage et celui des ouvriers employés aux filatures, et pesez ces deux intérêts. Vous comprendrez, messieurs, que l'immense supériorité est du côté des ouvriers tisserands.

- Personne ne demandant plus la parole, le paragraphe est mis aux voix et adopté.

Paragraphe 7

« L'accord des pouvoirs publics n'a jamais cessé d'être assuré aux mesures propres à développer sur notre sol le commerce, l'agriculture et l'industrie. Dès lors, et de concert avec Votre Majesté, nous continuerons à favoriser le travail national par le complément de nos voies de communication et de transport. »

- Adopté.

Paragraphe 8

« La Chambre s'associe à l'espérance que le déficit laissé par l'état de nos récoltes sera facilement comblé, grâce au régime libéral adopté par notre législation sur les céréales. Les conditions normales du régime alimentaire de nos braves populations ouvrières ne seront pas troublées. Nous en exprimons la douce confiance. »

M. B. Dumortier. - Messieurs, le paragraphe dont il s'agit soulève une question excessivement délicate : c'est celle de savoir quelle sera la condition du prix des denrées alimentaires.

Messieurs, vous n'ignorez pas que cette question préoccupe considérablement le pays dans les circonstances actuelles, et déjà diverses pétitions ont été adressées à la Chambre à ce sujet.

Je n'entends pas anticiper sur la discussion, mais je ferai remarquer l'immense danger dans lequel nous conduit le système du gouvernement, en voulant établir en Belgique le libre échange des matières alimentaires et celui des produits manufacturés et des produits de l'industrie.

En établissant le libre échange des produits de notre industrie et de nos manufactures, il est évident que le gouvernement a pour but d'amener un abaissement des prix dans ceux de ces produits qui se fabriquent à meilleur marché en Angleterre qu'on Belgique.

En présence de cet abaissement des prix, quelle sera la condition du travailleur ? Evidemment, il cherchera à produire à aussi bon compte que les produits importés, et par conséquent à abaisser son prix de revient. Or, le jour où il voudra abaisser son prix de revient, il ne lui restera qu'une chose à faire, c'est de réduire le prix de la journée de l'ouvrier. Voilà le résultat fatal, infaillible d'un traité avec l'Angleterre sur des bases semblables à celles du traité qui a été conclu avec la France.

Mais, d'un autre côté, en vertu du même système appliqué aux produits du sol, en ce qui concerne la nourriture des habitants, l'exportation de ces produits vers l'Angleterre amène ce résultat, d'en voir constamment augmenter le prix, de manière que, d'une part, vous provoquez cette conséquence, de réduire le prix de la journée de travail, et d'autre part, d'élever le prix des denrées alimentaires.

Et bien, il y a là un danger immense pour l'avenir du pays, un danger considérable pour les classes ouvrières qui sont bien dignes de notre sollicitude.

Il y a, messieurs, dans les pays deux situations, au point de vue de leur alimentation ; il y a des pays qui produisent plus qu'ils ne consomment ; il est des pays qui consomment plus qu'ils ne produisent. La Belgique était autrefois et serait encore aujourd'hui un pays qui produit plus qu'il ne consomme.

Mais par le système du libre échange, vous amenez ce résultat, que la Belgique consomme plus qu'elle ne produit, en ce sens que l'exportation... (Interruption.)

Je demande à la Chambre s'il est permis de rire dans la tribune des journalistes. C'est bien assez d'être maltraité par ces messieurs dans leurs journaux ; la Chambre ne souffrira pas que nous le soyons dans cette enceinte. Si ces rires indécents se renouvelaient, je présenterais à la Chambre une motion pour attribuer au bureau le droit d'interdire la tribune des journalistes, pendant un certain nombre de séances, à ceux d'entre eux qui se permettraient de semblables manifestations. Nous voyons ce scandale à chaque session.

M. Vander Donckt. - C'est vrai.

M. le président. - J'invite la tribune des journalistes au plus sévère silence. En gardant cette altitude convenable, MM. les journalistes atteindront un résultat doublement utile : le maintien du respect dû au Parlement, et la concentration de toute leur attention sur leur travail.

M. B. Dumortier. - Il existe donc deux situations complètement distinctes parmi les peuples, au point de vue de leur alimentation, que certains peuples produisent plus qu'ils ne consomment, tandis que d'autres pays consomment plus qu'ils ne produisent. Par exemple, l'Angleterre consomme plus qu'elle ne produit.

Eh bien, par ce fait du libre échange, vous placez la Belgique dans la situation de l'Angleterre, c'est-à-dire dans la catégorie des pays qui produisent plus qu'ils ne consomment, en ce sens que tout ce que vous laissez exporter, forme un manquant à l'alimentation. C'est là la cause incessante du haut prix des denrées- alimentaires.

Pour mon compte, je vois volontiers que le prix des denrées alimentaires atteigne un chiffre qui soit rémunérateur pour l'agriculture ; mais je ne veux pas qu'il soit tellement élevé que l'ouvrier ne puisse pas trouver de quoi vivre. C'est là une question d'une importance extrême.

Je rappellerai qu'en 1851 M. le ministre des finances, et je ne sais pas s'il me démentira encore, car il est dans l'habitude de me démentir, quand je lui remets sous les yeux ses anciens systèmes avec lesquels il est en contradiction ; je lui rappellerai qu'en 1851 M. le ministre des finances déclarait nettement et hautement que la question des denrées alimentaires nécessitait un tout autre régime que les produits manufacturés, qu'on devait admettre le libre échange pour les denrées alimentaires, sans l'admettre pour cela à l'égard des produits manufacturés.

Voilà ce que disait à cette époque M. le ministre des finances ; selon lui, il y avait là deux ordres de choses différents qui nécessitaient un traitement différent.

Maintenant, veut-on faire subir le même traitement aux produits manufacturés et aux denrées alimentaires ? Le résultat serait nécessairement celui-ci : de diminuer le taux de la journée de l'ouvrier et en même temps d'augmenter le prix des denrées alimentaires qui doivent servir à sa subsistance.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !

- Le paragraphe 8 est mis aux voix et adopté.

Paragraphe 9 (nouveau)

M. le président. - Je viens de recevoir un amendement proposé par l'honorable M. Dumortier et qui formerait le paragraphe 9. Il est ainsi conçu :

« Le pays s'applaudit chaque jour des bons résultats qu'a produits la loi sur le cours légal de la monnaie d'or. »

Cet amendement est signé par MM. B, Dumortier, Rodenbach, de Snoy et Wasseige.

M. B. Dumortier a la parole pour développer son amendement.

M. B. Dumortier. - Je crois que cet amendement est assez développé et que nous en comprenons tous la portée.

Le gouvernement dans l'adresse se réjouit des résultats du traité qu'il a fait l'an dernier avec la France, et nous, qui sommes les auteurs du projet de loi sur l'or, nous faisons comme le gouvernement, nous nous réjouissons des résultats de la loi sur le cours légal de l'or.

Il est de fait que ces résultats ont été excessivement utiles au pays et que toutes les prédictions malheureuses qu'on avait faites à cet égard, relativement à la triste situation que celle loi préparait à la Belgique, non seulement ne se sont pas réalisées, mais c'est le contraire qui a eu lieu.

La Belgique peut donc se féliciter à bon droit de la loi qu'elle doit à l'initiative de cette Chambre, et je crois, pour mon compte, qu'il est bon qu'il en soit fait mention dans le discours du Trône comme du traité avec la France.

- L'amendement est appuyé.

M. Sabatier. - Messieurs, il m'est impossible de me rallier à l'amendement que l'honorable M. Dumortier vient de présenter et de développer, bien que je sois, je pense, le seul membre de la gauche qui ait défendu le cours légal de l'or, et voici pourquoi : c'est que, selon moi, la traduction littérale de la proposition de l'honorable membre n'est autre chose que celle-ci : Nous nous félicitons de ce que la guerre ait éclaté entre les Etats du Nord et du Sud de l'Amérique, nous nous réjouissons do ce que les mines de l'Australie et de la Californie donnent moins de produits ; nous nous réjouissons de ce que le manque de récolte en France oblige ce pays à explorer beaucoup d'or, enfin de ce que le commerce avec l'Orient ait diminué d'importance depuis quelque temps.

Effectivement, messieurs, ce sont là les motifs qui ont produit la hausse de l'or et qui ont conséquemment ramené entre l'or et l'argent les valeurs relatives de 1 à 15 1/2 établies dès 1833.

Ces motifs sont calamiteux pour la plupart et en conscience la Chambre ne peut pas s'en réjouir ; c'est pourtant ce qu'elle ferait si elle adoptait l'amendement qui lui est présenté.

Est-ce-à-dire, messieurs, que les opinions que j'ai émises et que la thèse que j'ai défendue lors de la discussion de la loi sur l'or se soient modifiées ? Pas le moins du monde. L'erreur dans laquelle mes honorables contradicteurs étaient tombés provient précisément de ce qu'ils se sont tenus à la théorie pure et qu'ils n'ont pas laissé de place aux événements. (page 124) Ceux-ci nous donnent raison ; mais, je le répète, ils ne sont pas de nature à exciter notre allégresse.

Sans vouloir rentrer dans le débat sur la question monétaire, ce qui serait sans doute contraire aux intentions de la Chambre, je dirai que les points principaux qui nous étaient opposés en février dernier ont été résolus en notre faveur par l'expérience ; la loi que nous avons votée ne saurait donc avoir de conséquences fâcheuses, et jusqu'à présent je n'y vois que le côté utile. Je n'en persiste pas moins à repousser l'amendement qui vous est soumis.

M. B. Dumortier. - Je suis fort surpris du discours que vous venez d'entendre. L'honorable préopinant nous dit quels sont les événements qui, d'après ses idées, ont amené la situation actuelle. Mais je lui demanderai volontiers, si, lorsqu'il défendait la question de l'or avec nous, il prévoyait les événements qui se sont accomplis, et s'il ne les a pas prévus, comment il a si fortement soutenu le système qui a prévalu ?

Ou bien vous n'avez pas le don de prophétie, ou bien vous avez soutenu sciemment le mauvais système.

Nous avons soutenu le système du cours légal de l'or, parce que nous avons reconnu que les théories opposées à ce système étaient de simples chimères ne reposant sur rien.

J'entends rire M. le ministre des finances, je crois qu'il ferait bien mieux de répondre.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Attendez.

M. B. Dumortier. - Je sais fort bien que les économistes auriphobes nous traitent d'une manière excessivement superbe. Voici ce que je lisais dans un journal : (L'orateur donne lecture de cet article).

Vous voyez que la science est fort modeste dans ses expressions et dans ses idées ; car ceux qui écrivent cela croient avoir pour eux la science.

Voilà ce qu'on dit à propos de la loi que nous avons votée. On la flétrit, on la condamne, on la déclare détestable.

Eh bien, la Chambre qui a voté cette loi doit nécessairement combattre un pareil système en déclarant au Roi l'effet que cette loi a produit sur le pays. Or, cet effet est diamétralement opposé à toutes les prédictions qui ont été faites.

On vous disait que l'argent allait disparaître, et l'argent, qui était dans les caisses, est revenu à la surface.

On disait que la petite monnaie allait disparaître. Elle est aussi abondante qu'elle a jamais été.

On disait que le taux de l'escompte allait augmenter, et le taux de l'escompte ne s'est point accru en Belgique bien qu'il se soit élevé dans beaucoup d'autres pays par suite d'événements politiques.

On vous prédisait que la libre circulation de l'or allait avoir pour résultat de consacrer le vol au créancier ; que c'était une catastrophe épouvantable ; que c'était en quelque sorte un déshonneur pour le pouvoir qui aurait voté cette mesure, que c'était une honte pour le pays en face de l'Europe.

Eh bien, le pays n'a jamais été dans des conditions plus satisfaisantes que maintenant ; et aucune de ces prophéties ne s'est réalisée.

Je pense donc que, sous ce rapport, nous avons le droit et le devoir de nous réjouir devant le Roi de la loi qui a été votée. Que le gouvernement se réjouisse dans l'adresse du traité qu'il a fait l'an passé avec la France, traité qui est dû à son initiative ; la Chambre peut aussi se réjouir d'une mesure due à sa propre initiative et qui était si vivement réclamée du pays.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La Chambre doit certainement des consolations à l'honorable M. Dumortier.

M. B. Dumortier. - Je n'en ai pas besoin du tout.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je crois qu'elle lui en doit et que l'honorable membre en a besoin.

L'honorable membre a soulevé, à la fin de la dernière session, la question de l'or, et sur cette question il a obtenu un succès que je n'entends nullement lui contester. Il s'est endormi aux doux bruits de son triomphe, ayant la conviction profonde que, dès ce moment, le cabinet libéral, l'opinion libérale, étaient profondément ébranlés. Mais il s'est réveillé tout surpris, en retrouvant devant lui le cabinet libéral et l'opinion libérale plus unis et plus forts qu'ils ne l'avaient été jusque-là. On doit donc bien certainement des consolations à l'honorable M. Dumortier.

Nous venons de terminer une discussion dans laquelle l'honorable membre n'a pas eu le même succès qu'en ce qui concerne la question de l'or. La reconnaissance du royaume d'Italie lui a causé un profond chagrin ; que l'on console l'honorable M. Dumortier.

D'autres questions sont encore réservées dans l'adresse, qui causeront, je le crois, de bien vives peines à l'honorable membre. Raison de plus pour ne lui point refuser des consolations.

M. H. Dumortier. - Pas de personnalités.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Quelle personnalité y a-t-il dans ce que je dis ?

M. H. Dumortier. - Il n'y a que de cela.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je laisse à la Chambre le soin de juger votre appréciation.

Je ne voudrais donc pas pousser la cruauté jusqu'à combattre la proposition de l'honorable membre. Cependant, je crois devoir l'avertir qu'il me paraît vouloir triompher beaucoup trop vite.

Lorsque la question de l'or a été soulevée, elle a donné naissance à une discussion qui portait sur deux points : l'un de fait, l'autre de doctrine.

Le fait, quel était-il ? On affirmait que l'or était tellement abondant en Belgique, que, par suite de cette abondance, les transactions commerciales étaient entravées et que partant la loi était nécessaire, inévitable. J’ai contesté ce fait ; j'ai admis, puisque l'or était alors en baisse, qu'il y avait un grand effort tenté pour introduire l'or dans la circulation ; mais j'ai affirmé qu'il y avait beaucoup plus d'apparence que de réalité quant à cette prétendue abondance de l'or.

Qui avait tort, qui avait raison sur ce point ? Qu'est-il arrivé aussitôt la promulgation de la loi ? C'est que l'on a vu incontinent que l'or n'était pas aussi abondant en Belgique qu'on l'avait proclamé. Le jour même où la loi a été mise en vigueur et où les payements auraient pu dès lors être faits en monnaies d'or, tant dans les caisses de l'Etat que dans celles de la Banque nationale, et cela sans perte aucune, on a vu les payements continuer d'être opérés en monnaies d'argent ; l'or ne s'est trouvé ni dans les caisses de l'Etat, ni dans celles de la Banque, si ce n'est dans des proportions extrêmement minimes.

Ainsi, le fait fondamental sur lequel on s'était appuyé pour obtenir le vote de la loi, ce fait dont j'avais contesté l'importance, ce fait n'avait pas le caractère qui lui avait été attribué.

Depuis lors, messieurs, la situation s'est bien modifiée ; des faits nouveaux sont survenus : nous avons vu, comme le rappelait tout à l'heure l'honorable M. Sabatier, éclater la guerre d'Amérique et une crise alimentaire. Pendant un certain temps, l'or a été recherché au lieu d'être déprécié, quoique l'argent valût toujours plus que l'or ; il a été recherché, et partant vous n'avez plus eu d'or. L'or, de nouveau, était devenu rare en Belgique.

Voilà quelle a été la situation.

Maintenant, quelle était la doctrine ?

La doctrine était celle que depuis dix ans je n'ai point cessé de soutenir dans cette Chambre. Vous ne pouvez pas avoir deux métaux précieux pour étalons de la valeur ; vous ne pouvez en avoir qu'un seul ; que ce soit l'or ou que ce soit de l'argent, peu importe, mais vous ne pouvez en avoir qu'un.

Vainement décréteriez-vous que vous aurez deux métaux précieux pour étalons, en fait vous n'en aurez qu'un, parce que les métaux, bien que monnayés, sont en réalité des marchandises, et que ces métaux, dans ces conditions, sont soumises à toute la variabilité de prix des marchandises, qui subissent la hausse et la baisse, suivant la loi immuable de l'offre et de la demande ; ainsi, par la force même des choses, vous vous exposez inévitablement à n'avoir dans la circulation que le plus défectueux des deux métaux. Voilà quelle était la doctrine.

En quoi a-t-elle été contrariée par les faits qui se sont révélés ? Mais les faits sont précisément venus la confirmer. En fait, l'or a enchéri et par suite il a disparu. Vous vouliez avoir une loi pour obtenir de l'or, et l'or vous a manqué ! Dès qu'il y a eu un intérêt à ne pas vous donner de l'or, on ne vous en a plus apporté, et on vous a même enlevé celui que vous aviez. De même, quand on aura, au contraire, intérêt à vous en rapporter, c'est-à-dire quand l'or sera déprécié, vous aurez de l'or en abondance, mais pas ou peu d'argent.

Avons-nous dit, par hasard (pour rappeler ce que nous indiquions comme devant résulter inévitablement d'une pareille mesure), avons-nous dit qui si l'or venait à enchérir ou s'il n'y en avait plus en Belgique, vous verriez l'argent disparaître ? Avons-nous dit que le créancier serait lésé si on ne le payait pas en or ? Assurément non. Nous avons raisonné dans l'hypothèse où l'or venant à se déprécier, il devait nécessairement se substituer à l'argent et, cette éventualité se réalisant, les inconvénients que nous avons signalés ne peuvent évidemment par» manquer de se produire.

(page 125) Ainsi, ni sur les faits tels qu'ils existaient à l'époque de la mise en vigueur de la loi, ni sur les doctrines que j'ai défendues, je n'ai rien à rétracter de ce que j'ai dit. Quels seront les faits ultérieurs ? L'avenir en décidera.

Ne vous hâtez donc pas trop, je vous y convie ; nous avons vu les changes se maintenir à un taux très élevé jusque dans ces derniers temps ; ils viennent de fléchir ; le change sur Londres, qui était resté longtemps à 25-40, 25-42, est tombé à 25-27, 25-23, et l'or commence à revenir. Vous vous en apercevrez si l'état actuel des choses continue à se maintenir. Vous ne pouvez donc avoir de l'or que quand ce métal est à bas prix, et partant vous ne pouvez l'avoir qu'à votre détriment. J'ai donc eu raison de dire que la loi était inutile ou dangereuse. Si l'or se maintient à un prix élevé, la mesure est inutile ; elle est dangereuse si l'or se déprécie, parce qu'alors on substituera à votre argent de l'or qui aura une valeur moindre.

M. Sabatier. - J'aurais voulu me borner à répondre encore quelques mots à l'honorable M. Dumortier, mais je me vois obligé, par l'exemple que vient de nous donner M. le ministre des finances, d'entrer dans quelques explications.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je devais m'expliquer.

M. Sabatier. - Aussi ne vous en fais-je pas un reproche. En tous cas, ne m'attendant nullement à voir surgir l'amendement qui nous est proposé, je ne suis pas disposé à traiter incidemment toute la question de l'or et je me renfermerai dans un cadre très restreint.

L'honorable M. Dumortier croit pouvoir prétendre, à propos de ce que j'ai dit tout à l'heure, que je me mets en contradiction avec moi-même et qu'il est étonné de mon langage, moi qui ai pris une position nette dans la question de l'or.

Je prie l'honorable membre de revoir, si bon lui semble, ce que j'ai dit dans la discussion de la loi qu'il a présentée, il verra que mon langage d'aujourd'hui n'est certes pas en désaccord avec ce que je disais alors. Il voudrait que je me réjouisse avec lui du succès qu'il a obtenu. Là je ne puis le suivre, j'ai dit tout à l'heure pourquoi.

Messieurs, je me trouve entre deux feux. Je ne suis pas d'accord avec l'honorable ministre des finances sur les conséquences de la loi de juin dernier, je ne suis pas non plus d'accord avec l’honorable M. Dumortier sur la question de principe. Ce qui est hors de doute pour moi, c'est que les événements que nos adversaires ne voulaient pas prévoir sont venus donner raison â nos prévisions.

Tous les points de la question de l'or expérimentés m'ont confirmé dans la pensée que nous avions bien fait de voter la loi sur le cours de l’or et que cette loi d'ici à longtemps, sans doute, ne saurait avoir de conséquences fâcheuses.

On a dit qu'il s'établissait entre les places principales qui adoptaient le même métal pour monnaie une sorte de solidarité dont l'effet devait être de ramener aux mêmes cours à peu près l'escompte dans ces places.

On a dit aussi que dans les places où l'argent était seul reconnu comme monnaie de droit, l'escompte était presque toujours moins élevé que dans celles où l'or était considéré comme monnaie.

Enfin, que de fois ne nous a-t-on pas prédit que la valeur de l'or irait toujours en diminuant ?

Ces considérations étaient certes de nature à donner à réfléchir, mais il faut bien le reconnaître l'expérience est acquise en notre faveur.

Sur le premier point je rappellerai qu'à Paris l'escompte était encore il y a 8 jours à 6 p. c., tandis qu'à Londres il n'est que de 5 p. c. et cependant dans les deux places c'est l'or qui sert de signe d'échange. Sur le second point je dirai que tandis que l'escompte était à Londres de 5 1/2 seulement, il était à Bruxelles, place argent, de 4 1/2. Enfin l'écart dans les valeurs relatives de l'or et de l'argent a disparu ; ces valeurs sont aujourd'hui comme en 1803, dans la proportion de 1 à 15 1/2.

La loi est inutile et dangereuse, dit l'honorable ministre des finances.

Inutile en ce moment, c'est possible, mais elle ne le sera pas toujours et n'aura pas de conséquences fâcheuses, d'ici à longtemps, du moins, puisque l'expérience nous a appris que les variations dans le rapport des deux métaux n'ont aucun caractère de permanence.

Nous en sommes revenus aux termes de la loi de 1803 qui ne reconnaissait qu'un étalon : l'argent et une monnaie auxiliaire : l'or.

Je laisse de côté les articles des journaux auxquels l'honorable M. Dumortier a fait allusion. Je ne veux pas rechercher dans quel esprit des attaques ont été dirigées contre les partisans du cours légal de l'or. Je dirai seulement que, pendant la dernière discussion, personne n'a mis sérieusement en avant l'idée de deux étalons. C'est une absurdité contre laquelle je proteste.

M. B. Dumortier. - Je reconnais que j'ai besoin de consolation, l'honorable M. Frère n'en a pas besoin ; j'ai, en effet, besoin de consolation à cause du vote que la Chambre a émis hier ; il m'a profondément ému, peiné ; j'en ai besoin encore pour plusieurs articles du discours de la Couronne, car il s'agit de revenir sur les principes de 1830, de créer une Belgique nouvelle ; on veut sacrifier ces principes à l'union du parti libéral, comme, à une autre époque, on voulait sacrifier l'armée à l'union du parti libéral.

J'ai besoin de consolations parce qu'on défait mon pays pour satisfaire à l'esprit de parti, à une ambition ministérielle.

Les consolations, M. le ministre des finances les a eues ; vaincu par le Chambre sur une question à laquelle il avait attaché son existence, après avoir dit toutes les choses que vous savez, il a reçu le double titre de ministre d'Etat et de grand-croix de Léopold, sans jamais avoir été chevalier. Il a reçu sa consolation !

Voilà comme je réponds au persiflage de l'honorable membre.

J'entre maintenant dans la question.

De fait, l'honorable ministre a un privilège que personne ne conteste, l'infaillibilité ; il ne s'est jamais trompé, il ne se trompera jamais. Toutes ses prédictions ont reçu leur démenti, pas une n'a été confirmée, n'importe, il vient dire, satisfait de lui-même, qu'il n'a rien à rétracter de ce qu'il a dit, tout ce qu'il a dit s'est réalisé, le fait fondamental de la discussion n'existait pas ; on affirmait que l'or était tellement abondant que le commerce en éprouvait une perte.

J'ai toujours soutenu, dit-il, que l'or n'était pas abondant. Comment, le prouve-t-il ? La proclamation de la loi a eu lieu et incontinent nous avons vu que l'or n'était pas abondant puisqu'il a disparu.

Ainsi toutes les pétitions qui ont accablé cette Chambre pendant 10 ans sont fausses ; les embarras du commerce faux, la perte que le commerce éprouvait sur l'or, faux ; l'or n'existait pas, l'argent abondait partout ; après que le cours légal a été donné à l'or, l'or a disparu.

Et voilà, messieurs, comment un homme qui s'intitule un homme d'Etat par excellence, vient traiter de pareilles questions. Or je vous le demande, n'est-il pas facile de comprendre qu'aussi longtemps que l'or était démonétisé, il n'avait pas de valeur ; il devait se trouver à la surface précisément parce qu'il n'avait pas de valeur ; que l'argent seul, qui avait une valeur, devait se trouver dans les coffres ; mais que le jour où l'or aurait une valeur égale â l'argent, comme il est plus précieux, plus agréable à conserver, l'or a pris dans les caisses la place qu'occupait l'argent et que l'argent a pris dans la circulation la place qu'occupait l'or ?

Voilà comment les faits se sont passés et ils sont incontestables. Venir prétendre que le fait de l'abondance de l'or et de la gêne du commerce n'existait pas, c'est nier l'existence de la lumière.

C'est ne pas vouloir avoir eu tort ; c'est soutenir que l'on a eu raison envers et contre tous.

L'or, vous dit-on, a, depuis le vote de la loi, été recherché et est devenu plus rare.

L'or a été recherché ; mais il l'était avant la loi. Lorsque nous faisions la loi que vous combattiez si fort, que vous regardiez comme une honte pour votre pays, qui allait consacrer le vol au créancier, l'or était à prime comme il l'est aujourd'hui ; et malgré que l'or fût à prime, vous n'en persistiez pas moins dans votre système théorique que c'était un vol que l'on commettait envers les créanciers.

Les créances allaient être réduites dans une proportion effrayante. Les créanciers, qu'on aurait payés en or, auraient eu une réduction considérable apportée à leurs créances.

Eh bien, rien de semblable s'cst-il réalisé ? Aucunement. Comme vient de le dire avec infiniment de raison l'honorable M. Sabatier, on est rentré dans le système primitif, l'étalon d'argent avec l'or pour auxiliaire, et par suite de cela une commodité extrême dans les transactions, personne n'ayant plus rien à perdre sur la monnaie, personne ne se plaignant plus, ne réclamant plus, sauf les économistes battus qui jamais ne consentiront à reconnaître qu'ils l'ont été.

Mais, dit M. le ministre, notre doctrine est restée la même ; nous ne voulons pas deux étalons.

Vous ne voulez pas deux étalons, et vous avez introduit l'étalon de nickel !

Oh celui-là est véritablement beau, véritablement magnifique ! Vous ne voulez pas deux étalons, mais vous en voulez trois, vous en voulez quatre.

El quelle est donc la valeur de ce fameux étalon de nickel, qui réjouit si fort les habitants que personne ne veut le recevoir sur le marché ? Comment l'introduction de cet étalon se trouve-t-elle en harmonie avec les principes que M. le ministre n'a cessé d'émettre ? Vous voulez que la monnaie représente sa valeur intégrale, sans quoi c'est un vol aux créanciers, (page 126 et vous nous donnez une monnaie faite avec un métal tel, que celui qui voudrait le vendre, ne pourrait en retirer un centime. Car enfin, quand vous avez du cuivre en main, de ce cuivre vous retirez quelque chose, parce qu'il est employé dans l'industrie. Mais de votre nickel, qu'en ferait-on ? On n'en retirerait rien, parce qu'il ne peut servir à rien dans l'industrie de ce pays.

Peut-on donc venir critiquer le système du double étalon, lorsque soi-même on en crée un troisième ? Je me trompe, on ne veut pas de l'étalon d'or et de l'étalon d'argent, mais on veut bien de l'étalon d'argent et de l'étalon de nickel.

Ce ne sont pas là deux étalons, et cependant l'ouvrier qui a reçu sa semaine en monnaie de nickel, a son capital dans sa poche tout comme ceux qui ont de l'or dans leur gousset.

Il est donc constant que ce qui est arrivé, est ce qui devait arriver, non pas ce qui est arrivé par suite d'événements extraordinaires, mais ce qui devait arriver par la force des choses.

Ainsi qu'on vous le disait dans la discussion, la dépréciation de l'or ou, pour mieux dire, la grande valeur de l'argent vis-à-vis de l'or n'était pas un fait nouveau.

De 1818 à 1823, l'argent, vis-à-vis de l'or, a eu une valeur beaucoup plus grande encore que celle qu'il avait il y a un an ou deux, et jamais le gouvernement français n'a songé à changer la loi monétaire. Il a eu la sagesse de la conserver, parce qu'un gouvernement sage, entendu en pareille matière, ne livre pas tout un pays aux chances des théories, qu'il préfère les faits à ce qu'on appelle une doctrine, qui en définitive n'est que l'opinion de tel ou tel individu qui écrit.

Je pense donc que toutes les prévisions de M. le ministre des finances sont restées complètement en défaut, complètement inexactes, qu'aucune de ses prophéties ne s'est réalisée, et c'est en ce sens que le pays doit se réjouir de voir qu'enfin nous sommes rentrés dans l'état normal, état qui favorise singulièrement les nombreuses relations que nous avons avec un pays voisin.

M. Pirmez. - Messieurs, s'il est un usage ancien et qui a chance de durée, c'est celui par lequel un général qui a remporté une grande victoire, rend des actions de grâce au ciel pour les bienfaits de son triomphe.

On ne doit guère penser à voir cesser un usage aussi en harmonie avec les sentiments du cœur de l'homme, et rien ne m'étonne moins que de voir l'honorable M. Dumortier chercher à l'imiter et proposer de monter au Capitole, ou si l'on veut, proposer de chanter un Te Deum constitutionnel.

Mais ce qui me paraît moins naturel, c'est d'abord de ne point épargner les sarcasmes aux combattants moins heureux, et dans l'occurrence, la conduite de M. le ministre des finances avait été assez digne après sa défaite pour se faire une loi de s'en abstenir.

Ce que je trouve aussi peu naturel, c'est de vouloir que les vaincus entonnent le chant de triomphe de leur vainqueur. Pour ma part j'ai bien l'intention de ne pas changer mon refrain ; je l'ai fait peut-être entendre trop souvent à la Chambre autrefois ; mais elle ne trouvera pas mauvais qu'aujourd'hui je le fasse entendre une fois de plus.

il n'y a pas dans la question que des personnes, il y a surtout des principes et surtout la science économique, cette vieille ennemie de M. Dumortier.

C'est elle surtout que je veux défendre, parce que je tiens beaucoup à ce qu'on ne croie pas qu'elle a été battue, que ses enseignements sont des erreurs, qu'elle a eu tort, non seulement dans la discussion qui s'est élevée, mais par les faits qui ont suivi la promulgation de la loi.

C'est là le motif qui me fait surtout prendre la parole.

Messieurs, il y a eu dans le débat deux ordres de propositions bien distinctes : les principes et les prévisions.

Que soutenons-nous, messieurs, comme principe, comme chose certaine, toujours vraie, comme vérité fondamentale et infaillible ? Que la monnaie est une marchandise, que l'or et l'argent monnayés suivent toujours la loi de l'offre et do la demande.

A côté de cela, il y avait des prévisions, des prévisions fondées sur l'état des faits, prévisions qui, comme toutes les prévisions possibles, avaient plus ou moins de probabilité, plus ou moins de chances en leur faveur, mais dont la réalisation ou la non réalisation ne pouvait en aucun cas porter atteinte au principe.

Ce qui s'est passé a-t-il démontré que la monnaie n'est pas une marchandise, que les métaux à l'état de monnaie ne suivent pas la loi ordinaire qui règle le prix des valeurs ?

Un honorable ami M. Sabatier a signalé des faits qui ont rendu la demande de l'or plus considérable.

Qu'est-il arrivé en suite de ces faits ? L'or a été moins offert, en d’autres termes a été moins abondant dans la circulation ; l'argent, au contraire, moins recherché s'est montré davantage,

Voilà ce qui s'est passé ; plus autre chose.

Mais ce fait, loin d'être opposé à la théorie, n'en est-il pas la plus éclatante démonstration ?

Lorsqu’on annonçait l'extraction de l'or, comme très considérable, la production de l'argent n'augmentant pas, il y avait lieu de prévoir que l'or deviendrait de plus en plus commun, parce qu'il diminuerait de valeur, cette prévision reposait sur les plus simples notions du bon sens.

L'honorable M. Dumortier, pourrait-il nier, par exemple, que lorsqu'il y a une récolte abondante de grains, le prix du pain doit baisser ? L'abondance de l'or devai tamener la baisse du prix de ce métal, si des circonstances particulières ne venaient pas compenser l'excédant de la production ; la production, qui a été très considérable, s'est ralentie, et en outre des faits très graves, la guerre d'Amérique surtout, sont venus faire que ce métal a été demandé davantage. Il en est résulté, ce que la science économique enseigne : une hausse dans le prix de ce métal et partant une rareté relative.

Qu'arrivera-t-il maintenant, la valeur de l'or reprendra-t-ellc sa marche descendante, ou demeurera-t-elle quelque temps stationnaire, ne montera-t-elle pas ? La réponse est dans les éventualités de l'avenir, mais dans le futur comme dans le passé, nous verrons la confirmation du principe, que l'honorable M. Dumortier méconnaît. Pour savoir si la loi proposée par l'honorable membre a produit de si grands bienfaits, il me paraît qu'il serait sage de comparer les faits qui se sont produits depuis cette loi avec ce qui serait arrivé si le système opposé à celui de l'honorable membre avait « té accueilli.

Vous vous rappelez, messieurs, que la lutte existait entre la proposition de l'honorable M. Dumortier, donnant cours légal à la monnaie d'or, et la proposition que mes honorables collègues MM. Jamar et De Boe et moi avions déposée et qui consistait à faire admettre l'or dans les caisses de l'Etat à un taux variant d'après la situation du marché.

Je suppose que la proposition de loi n'ait point passé, et eût été remplacée par la nôtre, quelle différence eût-on vue entre ce qui serait arrivé dans ce cas et ce qui se passe aujourd'hui ?

Nous avons, nous dit M. Dumortier, aujourd'hui l'or et l'argent pour faire des payements, la gêne n'est nulle part et chacun peut choisir entre les deux métaux.

Mais n'en eût-il pas été de même si notre proposition eût été adoptée ? Si l'or et l'argent sont au pair sur le marché, nous les eussions eus au pair dans la tarification légale. Rien ne nous empêchait en effet d'admettre cette égalité de cours.

Que l'un des métaux vienne à hausser relativement à l'autre, que l'or soit par exemple à prime, comme l'annonce M. Dumortier, l'or dans son système disparaîtra et il perdra la situation actuelle dont il se loue si hautement. Notre système eût au contraire permis le maintien des deux métaux dans la circulation.

Egalement favorable au présent, notre proposition nous garantissait l'avenir.

Messieurs, je suis surpris d'avoir entendu M. Dumortier dire que ses assertions se sont en tous points réalisées et que toutes les nôtres sont démenties.

Il y a six mois, l'honorable membre signalait la grande abondance de l'or. Aussi tous les pétitionnaires nous signalaient l'impossibilité de faire des payements, faute de monnaie d'argent. La proposition de loi avait avant tout pour but de parer à la disette de cette monnaie.

Comment se fait-il que l'or ait disparu ? Comment cette disparition sera-t-elle expliquée par M. Dumortier, d'après qui les monnaies sont soustraites à l'influence de l'offre et de la demande ?

Messieurs, je n'ai garde de rentrer dans tout le long débat qu'a soulevé cette question de l'or, mais l'honorable membre me permettra de dire qu'il est bien étonnant qu'après avoir tant parlé sur cette question et avoir pu tant écouter, il en soit encore à des idées aussi erronées en ce qui concerne l'étalon monétaire.

Comment peut-il venir sérieusement soutenir que le nickel est un étalon monétaire ? Il n'est personne qui, se donnant la peine de réfléchir quelques instants, ne s'aperçoive que l'étalon monétaire consiste uniquement dans les monnaies principales dont la valeur intrinsèque est la mesure de la valeur des choses.

M. Dumortier semble ignorer que le cuivre n'a guère en valeur intrinsèque que la moitié de sa valeur nominale ; il semble ignorer que la valeur intrinsèque du bronze français, qu'il nous proposait d'adopter, ne représente que le tiers de la valeur nominale. Comment sans cela proclamerait-il le cuivre et le bronze des étalons monétaires ?

Ce sont là, messieurs, des erreurs évidentes, mais cela a été si souvent démontré que je n'espère rien changer aux convictions de l'honorable M, Dumortier.

(page 127) Messieurs, la proposition de l'honorable M. Dumortier ne peut être accueillie, je viens de le dire, pour une première raison :

C'est que les bienfaits prétendus de cette loi ne lui sont pas propres et que tout ce qui s'est passé depuis six mois se fût réalisé, si le système exactement contraire à celui de M. Dumortier eût été adopté.

J'ajouterai une seconde raison :

C'est que le temps depuis lequel la loi en question fonctionne est trop court pour la juger, il me semble que six mois sont un temps trop court pour permettre d'apprécier la valeur d'une législation monétaire dont les inconvénients ne se révèlent souvent que par une épreuve assez longue. On peut donc attendre encore avant de voter des remerciements à l'honorable membre.

M. Orts. - Messieurs, je n'ai pas le droit de parler, comme rapporteur, sur une question imprévue, et je ne puis donner sur cette question que mon opinion personnelle.

L'amendement de l'honorable M. Dumortier, je ne viens pas le combattre parce que je suis un des vaincus dans cette grande bataille dont on nous propose de chanter le Te Deum. Je n'ai pas de rancunes ; j'ai été battu plusieurs fois et je m'en suis toujours parfaitement consolé.

Mais je repousse l'amendement de l'honorable M. Dumortier parce que dans cet amendement il y tout autre chose que la glorification de la victoire remportée par l'honorable membre, tout autre chose qu'un hommage rendu au triomphe de ses doctrines scientifiques et économiques. Il y a un côté politique à cet amendement, et c'est ce côté politique qui m'engage à le repousser et à demander à mes amis, quelle qu'ait été leur opinion sur la question de l'or, de vouloir bien se joindre à moi pour le repousser.

On veut absolument constater une chose qu'on n'ose pas demander à la Chambre de constater nettement, une chose qui est la préoccupation de l'opposition depuis le début de nos débats sur l'adresse, une chose qu'a insinuée l'honorable chef de la droite dans un de ses derniers discours, à savoir que la reconstitution du cabinet sur les bases sur lesquelles nous avons été heureux de le voir se reformer, constitue pour le ministre des finances un amoindrissement d'influence parlementaire.

Messieurs, on a essayé une attaque générale contre le cabinet ; on n'y a pas réussi ; la majorité s'est prononcée par un vote solennel ; le ministère entier a la confiance de la majorité. C'est une chose jugée aujourd'hui.

L'attaque générale, n'ayant pas réussi, il faut chercher si, en divisant ses adversaires, on n'en aurait pas facilement raison. On profite de la première occasion pour séparer M. le ministre des finances de ses collègues du ministère, pour le séparer d'une partie de ses amis politiques ; on veut replacer le ministère et la majorité dans la situation, défavorable pour l'opinion libérale, où nous nous trouvions, au moment de la sortie de M. Frère-Orban du cabinet ; dans cette situation que nous avons vu avec bonheur disparaître et faire place à la situation forte et honorable du cabinet tout entier.

Je demande donc à ceux de mes honorables amis qui accordent à ce ministère ainsi reconstitué leur sympathie et leur appui, de vouloir bien en donner une éclatante preuve. Je les engage à ne point séparer M. le ministre des finances de ses collègues, à donner ainsi une approbation nouvelle, complète à la reconstitution du cabinet.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, je tiens à prendre acte des paroles de l'honorable M. Orts. Je ne suppose pas qu'aucun de nos amis politiques ait pu croire un seul instant que l'intention d'aucun des membres du cabinet fût de se séparer de leur honorable collègue, M. le ministre des finances, (Non, non.)

Messieurs, la proposition de l'honorable M. Dumortier est claire pour tout le monde : c'est une proposition qui renferme une double personnalité, la sienne et celle de M. le ministre des finances. Ainsi qu'on le lui a dit, qu'il suffise à l'honorable M. Dumortier d'avoir triomphé, qu'il ne cherche pas l'humiliation des vaincus ; qu'il soit modeste et grand à la fois.

Pendant cette longue discussion, une réflexion m'était venue, que j'ai communiquée à quelques-uns de mes amis politiques : je me disais :

« Comment se fait-il que la question de l'or ne se soit pas encore produite ? » Je rendais cet hommage intime à la modestie et au bon goût de l'honorable M. Dumortier, et tout à l'heure encore, pendant son discours je me demandais de nouveau comment il se faisait que la question de l'or ne fût pas encore venue. J'avoue que je ne savais pas que l'honorable M. Dumortier la réservât pour une meilleure occasion et voulût l'encadrer dans un amendement à l'adresse de notre honorable ami, M. le ministre des finances. Le tour n'est pas mauvais ; il a du bon ; il a quelque chose d'assez inattendu et de spirituel. J'en félicite l'honorable M. Dumortier ; mais ce serait une grande erreur de croire que les honorables amis de M. Frère-Orban donneraient dans un pareil piège et se mettraient à la suite du char triomphant de l'honorable M. Dumortier.

Il pourra, à la vérité, se divertir un moment avec ses honorables amis du bon tour qu'il croyait jouer à M. le ministre des finances, mais là doit se borner toute sa jubilation, et je ne pense pas que la gauche soit disposée â lui donner d'autres motifs de se réjouir.

Maintenant un mot des consolations qu'on dit avoir été données à mon honorable ami, M. Frère-Orban.

Il paraît qu'aux yeux de l'honorable M. Dumortier, c'est une chose énorme d'obtenir une distinction honorifique...

M. B. Dumortier. - Pas du tout.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Vous avez présenté ce fait d'une manière désobligeante pour mon honorable ami ; vous y avez attaché une signification spéciale.

A la vérité, messieurs, notre honorable ami n'avait pas besoin de cette décoration toute extérieure, pour que son mérite éminent fût constaté aux yeux du pays entier ; mais ses collègues ont été heureux d'obtenir pour lui de la confiance de S. M. ce témoignage de bienveillance spéciale au moment où il se séparait de nous.

Quant au titre de ministre d'Etat, nous avons désiré d'autant plus que l'honorable ministre des finances en fût investi que, ainsi que je l'ai déclaré au début de cette discussion, nous avons, après la retraite de l'honorable M. Frère-Orban, continué à le considérer comme notre collègue. J'ajouterai que, dès 1852, j'avais tenu à honneur de proposer au Roi d'investir de ce titre l'honorable M. Frère-Orban.

A cette époque, notre honorable ami crut devoir le refuser par modestie, et on ne l'accusera certes pas de s'être montré pressé d'accepter, en 1861, un titre qu'il avait mérité et obtenu dès 1852 !

M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, l'honorable M. Orts a fait un appel à ceux de ses collègues de la majorité qui ont voté, au mois de mars dernier, la proposition de l'honorable M. Dumortier. J'ai fait partie de cette majorité, et j'ai voté pour la proposition avec une profonde conviction.

Cette conviction devait être bien forte, puisque j'ai cru devoir y persister après les discours si éloquents de l'honorable ministre des finances et de quelques-uns de nos honorables amis.

Mais il n'a jamais été dans mon intention, ni, j'en suis persuadé, dans celle des honorables collègues de la majorité qui ont voté la proposition ,d'attacher à ce vote un caractère politique, en ce qui concerne M. le ministre des finances.

Nous avons tous regretté profondément la détermination qu'il avait cru devoir prendre, selon moi, un peu trop facilement, de priver le département des finances et le pays du concours de ses lumières, en donnant sa démission.

Nous avons été heureux de voir qu'il a changé cette résolution et qu'il est rentré aux affaires.

Messieurs, quoique mes convictions n'aient pas changé sur le cours légal de l'or, je ne veux pas pour cela m'associer à la proposition que vient de vous soumettre l'honorable M. Dumortier.

En adoptant cette proposition, non seulement nous nous exalterions nous-mêmes, non seulement, nous conduirions en quelque sorte au Capitole l'auteur de la proposition ; mais nous déverserions encore un blâme sur le cabinet qui n'a pas partagé nos convictions.

D'un autre côté, je rappellerai à l'honorable M. Dumortier, que la roche Tarpéenne est assez près du Capitole.

Il peut arriver que dans quelques années, voire même l'année prochaine, la situation ne soit plus la même, en ce qui concerne le cours de l'or, et que les effets de la mesure dont nous avons à nous féliciter jusqu'à présent, n'aient plus le même caractère.

Quant à moi, quoique j'aie voté la proposition, je n'ai jamais cru qu'elle n'aurait aucun inconvénient dans l’avenir.

Je pense même qu'elle pourra en entraîner, niais je suis convaincu aussi que dans tous les cas le cours légal de l'or présente beaucoup plus d'avantages que d'inconvénients.

Il pourrait se présenter que, contrairement à nos prévisions, la situation changeât. Serions-nous obligés alors d'insérer dans l'adresse en réponse au discours du la Couronne l'expression de nos regrets sur la mesure qui a été votée l'an dernier ? Nous nous exposerions donc à une véritable contradiction.

(page 128) Pour ces motifs je ne puis en aucune manière voter pour la proposition de l'honorable M. Dumortier, bien que je conserve mes convictions sur l'utilité de la loi votée par son initiative.

- Plusieurs membres. - Aux voix !

- D'autres membres. - La clôture !

M. B. Dumortier. - Je demande la parole pour un fait personnel.

M. le président. - M. Guillery a la parole sur la clôture.

M. Guillery. - Je désire que la discussion ne soit pas close, parce que je voudrais expliquer mon vote et éviter tout malentendu.

Suivant moi, je le dis en conscience, la manière dont la question a été posée doit mettre certains membres de la gauche dans l'impossibilité d'émettre un vote dont la portée soit parfaitement claire.

C'est pour expliquer mon vote que je m'oppose à la clôture.

- Plusieurs voix. - A mardi !

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Finissons.

M. B. Dumortier (pour un fait personnel). - Je dois deux mots de réponse à ce qu'a dit tout à l'heure l'honorable ministre des affaires étrangères. (Interruption.)

Il se passe au banc des ministres quelque chose de très édifiant. Ces ce système d'attaquer toujours personnellement des députés de l’opposition, de chercher non seulement à attaquer personnellement mais à persifler toujours.

Si c'est là le système qu'on veut introduire dans cette assemblée, eh ! mon Dieu qu'on le dise ; nous ne resterons pas en arrière dans le persiflage ; nous pourrons tout aussi bien persifler les ministres qu'ils nous persiflent, mais qu'on nous dise une bonne fois quelle sera à l'avenir la langue du parlement.

Je réponds que je ne serai pas en arrière, quel que soit le système qu'on adopte et je prouverai, s'il est nécessaire, que je sais persifler tout aussi bien que n'importe qui.

Maintenant, quant à ce qu'a dit tout à l'heure M. le ministre des affaires étrangères, messieurs, c'étaient des consolations pour l'honorable M. Frère, c'étaient des réflexions très sages sur l'immodestie de M. Dumortier.

M. Dumortier a manqué de modestie, puisqu'il a présenté un amendement.

(L'orateur donne lecture d'une citation de M. Cottin.)

Voilà la doctrine ministérielle, et l'honorable ministre me représente, suivant ses expressions, comme voulant attacher à mon char les membres de la gauche pour me conduire au Capitole.

Je n'ai la prétention d'attacher personne à mon char ; ce sont les chiens qu'on attache à un char.

Tout cela ce sont des phrases et rien que des phrases. Je maintiens, pour mon compte, que mon amendement est sérieux et d'autant plus sérieux qu'on ne vous a pas expliqué comment il s'est fait que l'honorable M. Frère soit sorti du cabinet et qu'il y soit rentré.

Si vous placez la question sur ce terrain, je vous dirai que vous avez d'une manière détourné, dérogé à la loi sur les décorations, parce qu'en définitive vous avez nommé M. Frère grand-croix de l'ordre de Léopold lorsqu'il continuait à faire partie du ministère, malgré la loi qui exige une réélection.

- Un membre. - Elle a eu lieu.

M. B. Dumortier. - Elle a eu lieu comme élection générale, mais elle n'a pas eu lieu autrement.

M. Orts. - L'amendement est donc dirigé contre M. Frère ?

M. B. Dumortier. - L'on a considéré M. Frère comme membre du cabinet, je demanderai puisqu'on parle de modestie, si c'est de la modestie que de se donner une décoration à soi-même.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !

M. B. Dumortier. - Cela vous contrarie qu'on cite de pareils faits, vous avez raison, mais vous devriez être contrariés aussi quand un ministre agit de la sorte.

- Plusieurs membres. - Aux voix !

M. de Haerne. - Comme l'honorable M. Guillery je voudrais expliquer mon vote.

Je crois qu'il faudra tôt ou tard revenir à un seul étalon qui sera celui de l'or et sous ce rapport je désire entrer dans quelques développements.

- Des voix. - La clôture !

M. Guillery. - Je m'oppose à la clôture.

- Plusieurs membres. - A mardi !

M. le président. - Je vais mettre la clôture aux voix.

- Il est procédé au vote par assis et levé.

M. le président. - L'épreuve étant douteuse, la discussion continue.

M. Van Humbeeck. - Messieurs, j'ai voté contre la clôture par la raison qu'indiquait tout à l’heure l'honorable M. Guillery lorsqu'il parlait contre cette mesure.

Il me paraît impossible qu'on se fasse en ce moment une idée exacte de la portée du vote ; lorsque l'amendement de l'honorable M. Dumortier a été produit, ma première impression y était très peu favorable. Je ne prenais pas l'amendement au sérieux, je ne dis pas cela pour froisser l'honorable membre ; je prenais sa proposition pour une mesquine tracasserie ; je n'y voyais rien de plus.

Mais, M. le ministre des finances se lève ; il dit qu'il ne veut pas refuser à l'honorable M. Dumortier la consolation qu'il demande.

En présence de cette déclaration, il me semblait que le vote sur l'amendement devenait d'une importance excessivement secondaire.

Cependant des membres de la gauche, l'honorable M. Orts, entre autres, se lèvent à leur tour ; ils viennent donner à l'amendement une toute autre interprétation, en y attachant une portée politique.

Je voudrais savoir d'une manière certaine, avant d'émettre un vote, quelle est, parmi ces appréciations, la véritable.

Il importe de préciser : faut-il regarder le vote comme un vote politique, ainsi que l’entend l'honorable M. Orts ? Dans ce cas, il est évident que les membres de la gauche ne peuvent pas s'associer à l'amendement.

Faut-il, au contraire, le considérer comme un vote dépourvu de toute signification politique, comme un vote secondaire, comme une appréciation sans importance, ainsi que semblait autoriser à le croire la déclaration de M. le ministre des finances ? Alors chacun garde son appréciation personnelle, et ce vote n'a plus grande signification.

Faut-il, enfin, pour d'autres raisons, persister dans la première impression que j'ai subie et qui me ferait voir dans l'amendement une personnalité, une tracasserie ? Dans ce cas encore, il nous est impossible de l'adopter.

Or, messieurs, d'après les explications qui ont été échangées, il est absolument impossible de savoir à quel sens il faut s'arrêter, et, je le répète, il faut cependant que ce sens soit déterminé.

- Plusieurs voix. - A mardi !

- D'autres voix. - La clôture !

M. B. Dumortier. - Je demande la parole pour une motion d'ordre : il est déjà quatre heures un quart et plusieurs de nos collègues doivent partir par le convoi de cinq heures. Il est donc impossible de continuer.

M. Guillery. - Si le vote que nous allons émettre a une portée politique, il est évidemment de la plus haute importance ; dès lors la question est digne de délibérations dans lesquelles chacun puisse librement exprimer son opinion.

Il est vrai que suivant moi, il ne devrait pas avoir de caractère politique : je crois qu'il n'est pas de notre intérêt, à nous majorité, et qu'il n'est pas de l'intérêt de la Chambre de chercher des complications dans les votes que nous avons à émettre ; de créer en quelque sorte des difficultés qu'il nous est souvent impossible de résoudre.

Que dit la proposition ? Elle demande que la Chambre se félicite de ce que la loi votée par elle et sanctionnée par le Roi, a eu un effet salutaire.

J'ai voté cette loi, j'ai été sur ce point de l'avis de l'honorable M. Dumortier, dont je suis loin, vous le savez, de partager toutes les opinions en matière économique.

Mais il m'est impossible de voir dans cette discussion une question de personne ; il m'est impossible de voir dans le triomphe de la loi votée à la session dernière le triomphe de l'honorable M. Dumortier. J'ai vu là un principe, j'ai vu là un acte législatif très important posé par la Chambre...

M. B. Dumortier. - C'est cela !

M. Guillery. - ... en exécution de son mandat, d'après sa conscience. Je n'y ai pas vu autre chose.

Suivant moi, donc, nous pouvons voter à l'unanimité la proposition de l'honorable M. Dumortier, attendu que les adversaires de cette loi se félicitent certainement qu'elle n'ait pas eu d'effets désastreux et que nous n'ayons pas à regretter la réalisation des prédictions sinistres que nous avons entendues.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je demande la parole.

M. Guillery. - La question ainsi posée, la solution n'offre plus aucune difficulté, si, comme l'a dit l'honorable M. Pirmez, ce n'est pas la loi elle-même qui a produit les effets que l'on constate, chose assez difficile à discerner, car, lorsque, en matière économique, une loi est portée, il est assez difficile de savoir quel est directement l'effet de cette loi sur la situation financière et sur le cours des métaux.

(page 129) Je trouve donc qu'en réalité il n'y a aucune espèce de motif pour combattre la proposition de l'honorable M. Dumortier, bien entendu interprétée comme je le fais.

Je n'y vois qu'un acte tout à fait inoffensif. Il ne s'agit de faire monter personne au Capitole et encore moins d'y chanter un Te Deum, comme le disait l'honorable M. Pirmez ; mais uniquement de constater que la Chambre est satisfaite des heureux effets produits par une loi.

Je ne vois rien là qui puisse blesser en quoi que ce soit la personnalité d'aucun membre du cabinet.

Dire qu'en votant cette proposition ou en la soumettant à vos délibérations, on fait une personnalité, ce serait dire qu'en votant la loi nous avons été guidés par des questions de personne.

Or, la question elle-même est tellement importante et tellement élevée qu'il ne peut s'y attacher aucune espèce de considération personnelle. Laissons les questions pour ce qu'elles sont ; ne les rapetissons pas.

Comme le disait fort bien l'honorable M. Van Humbeeck, la question a été parfaitement expliquée par la déclaration de M. le ministre des finances, qui est venu dire : Je ne veux pas m'opposer à ce qu'on donne cette satisfaction à l'honorable M. Dumortier. Cette déclaration rend impossible toute mauvaise interprétation, et je ne vois pas pourquoi nous n'adopterions pas la proposition qui nous est soumise.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - D'après les paroles que vient de prononcer l'honorable préopinant, il paraît croire que j'aurais acquiescé à la proposition de l'honorable M. Dumortier, que je la considérais comme une chose agréable pour moi et que je ne demandais pas mieux que de la voir adopter à l'unanimité par la Chambre.

Je me trouve dans la nécessité de détromper l'honorable membre. Il m'a fort mal compris, et comme il paraît avoir besoin d'une explication claire et catégorique de ma part, pour comprendre ce que veut dire l'honorable M. Dumortier, je suis obligé de lui dire que je considère la proposition comme étant personnellement dirigée contre moi.....

- Voix à gauche. - C'est évident !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - ... et que c'est avec ce caractère qu'elle est soumise au vote de la Chambre.

- Voix nombreuses. - Aux voix ! aux voix ! La clôture !

M. Van Overloop (contre la clôture). - Mais, messieurs, avec la position que veut nous faire M. le ministre des finances, nous ne pourrions plus émettre de vote sur une question d'intérêt général. (Interruption.)

Je ne veux pas être placé dans cette position qu'un vote favorable à la proposition de l'honorable M. Dumortier, ait nécessairement la signification d'un vote hostile à un autre membre de cette chambre. Une telle position n'est évidemment pas acceptable.

J'accepte l'amendement de l'honorable M. Dumortier, mais je n'entends nullement donner à mon vote la signification qu'y donne M. le ministre des finances.

Je veux, comme représentant, conserver entière ma liberté d'appréciation et je n'entends pas du tout admettre l'appréciation de l'honorable M. Frère-Orban, savoir que je voterai directement contre lui en adoptant la proposition de l'honorable M. Dumortier.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - La situation est parfaitement claire pour ceux qui ne veulent pas volontairement fermer les yeux à la lumière. L'honorable M. Van Humbeeck l'avait parfaitement comprise dans sa première appréciation ; il avait trouvé, dans la proposition qui nous est soumise le caractère d'une personnalité à l'adresse de M. le ministre des finances.

M. B. Dumortier. - Pas du tout ; c'est inexact, il n'y a rien de personnel dans ma proposition. (Interruption.)

M. le président. - Vous n'avez pas la parole.

M. B. Dumortier. - Je la demande pour un rappel au règlement.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - En quoi donc me suis-je écarté du règlement ? (Interruption.)

M. B. Dumortier. - Le règlement dit formellement que toute personnalité est interdite, que toute supposition de mauvaise intention est interdite ; je dis que M. le ministre des affaires étrangères s'est écarté du règlement en qualifiant ma proposition de personnalité, je demande son rappel au règlement.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je n'ai fait que répéter les paroles de M. Van Humbeeck. (Interruption.)

M. le président. - Il s'agit de l'appréciation de la portée politique d'une proposition soumise à la Chambre. Le règlement prévoit les personnalités offensantes. Toutes les personnalités n'ont pas ce caractère.

Le ministre rappelait les paroles de M. Van Humbeeck quand il a été interrompu. (Interruption.)

M. B. Dumortier. - L'imputation de mauvaise intention est interdite par le règlement ; ce n'est pas plus permis à un ministre qu'à un simple député. (Interruption.)

M. le président. - Je le répète, il s'agit de la portée de l'amendement. (Interruption.)

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je constate que je n'ai fait que répéter les paroles de M. Van Humbeeck, que l'on n'a pas interrompu : il n'y a là aucune imputation dont M. B. Dumortier ait pu se prévaloir pour interrompre la discussion et pour interrompre un ministre comme il le fait constamment. (Interruption.)

Tout membre peut faire une proposition à l'adresse d'un ministre, contre un ministre.

M. B. Dumortier. - Vous m'avez supposé une intention que je n'avais pas.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Vous n'avez aucune espèce de droit de faire la police de l'assemblée, à chaque instant vous interrompez ; vous manquez à l'assemblée. (Interruption.)

M. B. Dumortier. - Je ne puis pas souffrir cela. (Interruption.)

M. de Liedekerke. Il ne manque pas à l'assemblée, c'est vous qui manquez à l'assemblée.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Il manque à l'assemblée et il nous manque.

M. de Liedekerke. - Il n'y manque...

M. le président. - M. de Liedekerke, vous n'avez pas la parole.

M. Dolez. - Je demande, par respect pour l'assemblée, que ces interruptions cessent.

M. le président. - Messieurs, je fais un appel au calme et à la dignité qui doit régner dans l'assemblée.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - J'affirme ne m'être en aucune manière écarté du règlement, et au surplus pour ne pas laisser subsister la moindre équivoque, je dirai que nous ne voulons pas renfermer la proposition dans les termes d'une question personnelle ; la considérer comme une attaque dirigée personnellement contre M. Frère ; nous la considérons comme dirigée contre tous les ministres. (Aux voix ! aux voix ! La clôture !)

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

- Plusieurs voix. - L'appel nominal ! l'appel nominal !

La proposition de M. B. Dumortier et de ses collègues est mise aux voix par appel nominal.

Voici le résultat :

74 membres répondent à l'appel.

49 membres répondent non.

16 membres répondent oui.

9 membres s'abstiennent.

En conséquence, la Chambre n'adopte pas.

Ont répondu oui : MM. Magherman, Moncheur, Nothomb, Rodenbach, Tack, Thibaut, Thienpont, Van Bockel, Vander Donckt, Van Overloop, Van Renynghe Vilain XIIII, de Mérode-Westerloo, de Pitteurs-Hiegaerts, B. Dumortier et H. Dumortier.

Ont répondu non : MM. Hymans, Jacquemyns, Jamar, M. Jouret, Ch. Lebeau, J. Lebeau, Lesoinne, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Orts, Pierre, Pirmez, V. Pirson, Prévinaire, Rogier, Sabatier, Tesch, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Volxem, Allard, Ansiau, Crombez, Dautrebande, de Baillet-Latour, de Breyne, de Bronckart, de Brouckere, Dechentinnes, de Florisone, De Fré, de Lexhy, de Moor, de Paul, de Ridder, de Rongé, Devaux, d'Hoffschmidt, Dolez, Frère-Orban, Goblet, Grandgagnage Grosfils et Vervoort.

Se sont abstenus : MM. Janssens, le Bailly de Tilleghem, Dechamps, de Decker, de Haerne, de Naeyer, de Smedt, de Theux et Guillery.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.

M. Janssens. - Je me suis abstenu parce qu'il m'a paru que le vote n'avait pas lieu avec une entière liberté.

A l'époque où fut votée la loi dont nous voulons apprécier aujourd'hui les effets, nous ne lui avons pas donné un caractère politique, on ne pouvait pas donner ce caractère au vote actuel.

J'ai pensé qu'il était contraire à la dignité de la Chambre de poser la (page 130) question de manière à ce qu'un grand nombre de nos collègues ne pussent voter sans se déjuger.

M. le Bailly de Tilleghem. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs.

.M. Dechamps. - Cette discussion qui d'abord avait été paisible, spéciale à la question soulevée, a pris un caractère politique par les déclarations de MM. les ministres ; il a plu alors à la majorité de prononcer la clôture, et d'empêcher ainsi un débat qui devenait complètement nécessaire. Dans cette situation, je n'ai pas voulu émettre un vote.

M. de Decker. - Je n'ai pas voté, parce que je n'ai pas entendu donner à mon vote un caractère politique et personnel.

M. de Haerne. - Je dois me féliciter, avec les auteurs de l'amendement, du résultat de la loi concernant le cours légal de l'or. Mais si j'avais voté pour cette proposition sans avoir pu m'expliquer à cet égard, comme j'en avais demandé la permission, j'aurais paru consacrer par mon vote le système actuel comme définitif. Or, je ne puis l'admettre comme définitif. Je crois, comme je l'ai dit tout à l'heure, que tôt ou tard le système d'un seul étalon prévaudra, et que cet étalon sera l'or.

Ne voulant pas qu'on se méprît sur le caractère de mon vote, j'ai dû m'abstenir.

M. de Naeyer. - Je n'ai pas voulu m'opposer à ce qu'on se réjouisse de ce que la loi sur le cours légal de l'or n'a pas produit jusqu’ici de mauvais résultats : mais je n'en reste pas moins convaincu que le principe sur lequel cette loi repose est faux, et cette considération m'empêche d'émettre un vote affirmatif.

M. de Smedt. - Je me suis abstenu, parce qu'on a enlevé à la discussion son véritable caractère et sa liberté.

M. de Theux. - Je persiste pleinement dans l'opinion que j'ai émise l'an dernier sur le cours légal de l'or. Je persiste également dans mon vote et je me félicite des heureux résultats que la loi a produits.

C'est assez vous dire que j'étais porté à voter pour la proposition de l'honorable M. Dumortier, proposition qu'il était parfaitement dans son droit de nous soumettre et qui tendait à demander à la Chambre de témoigner sa satisfaction des résultats d'une bonne loi dont elle avait pris l'initiative.

Mais je n'ai pas voulu, M. le président, voter pour l'amendement, parce que depuis hier et dans la séance d'aujourd'hui, je le dis à regret, il m'a paru qu'il surgissait une nouvelle doctrine, c'est de tourner toutes les questions en questions ministérielles.

Dès lors je me suis abstenu.

M. Guillery. - Messieurs, je n'ai pas voté contre la proposition de M. Dumortier, parce qu'il me paraissait impossible de ne pas nous féliciter de ce que la loi que nous avons votée a eu des résultats aussi heureux. Elle a eu des résultats heureux, suivant moi, parce que les prévisions économiques de ses adversaires ont été trompées, et que l'événement malheureux dont on nous menaçait est aujourd'hui réparé.

D'un autre côté, je n'ai pas voulu émettre un vote qui, d'après les déclarations qui ont été faites, eût pu passer pour une personnalité, qui eût été au-dessous de moi, ou pour un vote contre le cabinet, ce qui eût été contraire à mes convictions.


M. le président. - Deux amendements ont été déposés sur le bureau :

M. de Baets propose, au paragraphe 12, d'intercaler entre les mots « comme par le passé » et les mots « les hommes de talent », la phrase :

« Nous espérons que le gouvernement fera disparaître les griefs si souvent signalés par les défenseurs de la langue et de la littérature flamande.»

M. Hymans propose de rédiger ainsi le paragraphe 14 :

« Nous nous réjouissons avec Votre Majesté de pouvoir, malgré la crise, envisager sous un aspect favorable la situation financière, et nous espérons qu'elle permettra, dans un avenir prochain, de mettre les traitements des employés de l'Etat en rapport avec les nécessités de la vie. »

- Les amendements seront imprimés et distribués.

Projet de loi portant le budget du ministère des affaires étrangères de l’exercice 1862

Dépôt

présentation de projets de loi.

Projets de loi allouant des crédits au budget du ministère de la justice

Dépôt

Projet de loi exonérant de droits d’entrée certains matériaux destinés à la construction et l’armement des navires

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer :

1° Un projet de loi contenant le budget des affaires étrangères pour l'exercice 1862 ;

2° Un projet de loi qui ouvre, au département de la justice, à titre d'avance, un crédit supplémentaire d'un million de francs, affecté à poursuivre, dans les prisons, le travail pour l'exportation ;

3° Un projet de loi relatif à des créances ducs par la ville de Louvain ;

4° Un projet de loi qui alloue des crédits supplémentaires à concurrence d'une somme de 156,000 francs, au budget du ministère de la justice, pour l'exercice 1861 ;

5° Un projet de loi qui autorise l'importation, en franchise de droits d'entrée, de certains matériaux destinés à la construction et à l'armement des navires.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ces projets de loi, la Chambre en ordonne l'impression et la distribution et les renvoie à l'examen des sections.

La séance est levée à 4 heures et demie.