(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, sesssion 1861-1862)
(page 76) ((Présidence de M. Vervoort.)
M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Boe, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Florisone, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes.
« Des juges de paix dans l'arrondissement judiciaire de Tournai demandent une augmentation de traitement. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Colson, économe-directeur de l'hôpital civil de Mons, réclame l'intervention de la Chambre, pour obtenir sa pension du chef de services militaires, et subsidiairement pour être admis en non-activité même sans solde, ou du moins pour être replacé dans les rangs de l'armée. »
- Même renvoi.
« Les membres du conseil communal de Cosen demandent une loi qui fixe le minimum des traitements des secrétaires communaux. »
- Même renvoi.
« Les membres du conseil communal de Brée demandent le rétablissement à Maeseyck du commissariat de l'arrondissement. »
- Renvoi à la section centrale du budget de l'intérieur.
« Les facteurs ruraux et des faubourgs, à Anvers, demandent une augmentation de traitement. »
« Même demande de facteurs ruraux aux Ecaussines et à Péruwelz. »
- Renvoi à la section centrale du budget des travaux publics.
« Il est fait hommage à la Chambre :
« 1° Par M. Roulez, recteur de l'université de Gand, de 117 exemplaires de son rapport sur la situation de cette université pendant l'année académique 1860-1861 ;
« 2° Par M. Van Esschen, de 120 exemplaires d'un ouvrage intitulé : « Essai sur la liberté d'enseignement et sur les jurys universitaires. »
- Dépôt à la bibliothèque et distribution à MM. les membres de la Chambre.
M. Verwilghen, dont les pouvoirs ont été vérifiés dans une séance précédente, prête serment.
M. de Brouckere. - Messieurs, l'orateur qui a le premier pris la parole dans la séance d'hier se félicitait, au début de son discours, de ce que ses amis avaient soulevé le débat qui a commencé mercredi, qui semble ne pas être très près de son terme et dont il proclamait l'importance et la grandeur. Je ne partage pas la manière de voir de l'honorable M. de Theux. J'aurais préféré que la Chambre eût imité le silence gardé par le discours de la Couronne et par le projet d'adresse en réponse à ce discours, qu'elle eût imité la réserve dont le Sénat a fait preuve relativement à la reconnaissance de l'Italie et à nos relations avec la Péninsule,
Il n'est pas dans nos habitudes, messieurs, de discuter ici la politique des gouvernements étrangers et il serait éminemment regrettable, à mon avis, que nous entrassions dans une voie opposée.
Nous aurions tort de nous immiscer dans les affaires des autres quand notre plus grand intérêt est que l'on ne s'occupe point des nôtres, comme on l'a fait, par exemple, au Congrès de Paris, qu'on nous laisse jouir en paix des bienfaits de notre Constitution, de nos libres institutions qui ne plaisent pas partout au même degré.
Cependant puisque l'on a annoncé un amendement au projet d'adresse, dans lequel la Chambre exprimerait son opinion sur la reconnaissance de l'Italie, sur l'état de nos relations avec ce pays, je me vois entraîné, ayant un vote à émettre, à expliquer le sens et la portée du vote que je me propose d'énoncer.
Mettons-nous d'abord en présence des faits. Le roi de Sardaigne par des moyens divers que chacun a appréciés, a qualifiés d'après ses sentiments personnels, le roi de Sardaigne est parvenu à étendre sa domination sur la plus grande partie du territoire italien.
Les représentants de ses nouveaux Etats, d'accord avec ceux de ses Etats héréditaires lui ont décerné le titre de roi d'Italie, et ce titre a été successivement reconnu par deux grandes puissances et par plusieurs puissances secondaires.
Le gouvernement a suivi leur exemple, en ajoutant à sa reconnaissance des réserves analogues à celles des gouvernements qui l'ont précédé.
On a pris texte de là pour lancer contre le gouvernement les reproches les plus amers, les accusations les plus violentes.
Ces reproches sont-ils fondés ? Ces accusations sont-elles justes ? Je ne le pense pas.
Et cependant, je le déclare tout d'abord : j'eusse préféré qu'on eût ajourné la reconnaissance du royaume d'Italie, si cet ajournement était possible.
Les contradicteurs du cabinet, pour justifier la véhémence de leur langage, ont dû altérer les faits. Comment s'y sont-ils pris ? Ils ont discuté, comme si le gouvernement avait purement et simplement reconnu l'Italie, et approuvé ce qui s'y était passé. Or les réserves qu'il a faites sont telles, qu'il a, au contraire, déclaré formellement qu'en reconnaissant les faits, il entendait ne rien approuver et ne rien désapprouver.
Aussi vous avez pu entendre dans quelles étranges contradictions les orateurs auxquels je fais allusion sont tombés. Ils ont commencé par proclamer que la reconnaissance de l'Italie était contraire à nos devoirs comme puissance neutre ; ils ont ajouté qu'elle compromettait les intérêts les plus sacrés du pays, qu'elle compromettait son existence même, qu'elle était le suicide de la Belgique.
Et après de semblables prémisses, quand le ministère leur a demandés : « Qu'eussiez-vous fait si vous vous étiez trouvés sur nos bancs ? » ils ont répondu : « Nous eussions ajourné. »
Mais, messieurs, un fait coupable, un fait criminel au premier chef, un fait qui compromet les intérêts et l'existence du pays, un semblable fait ne s'ajourne pas !
Si j'avais professé les opinions des honorables orateurs de la droite qui ont parlé dans les quatre premières séances, car les deux honorables membres du même côté qui ont pris la parole hier, ont compris qu'il était plus prudent de défendre leurs opinions par d'autres arguments ; si j'avais, dis-je, partagé les sentiments des premiers, j'aurais dit que, me trouvant au pouvoir, j'aurais répondu à la note du 5 août, par laquelle M. le ministre du roi de Sardaigne faisait connaître au gouvernement que son souverain avait pris le titre de roi d'Italie, et l'engageait à reconnaître ce titre ; que j'aurais répondu : « Jamais ! »
Et j'aurais ajouté que si la Sardaigne avait obtenu de nouvelles adhésions et que, se fondant sur ces nouvelles adhésions, son ministre fût revenu à la charge, j'aurais répondu par cette devise que les honorables membres de la droite connaissent : « Etiam si omnes, ego non. »
Si les honorables membres avaient tenu la conduite que je viens d'indiquer, nous eussions dû au moins reconnaître qu'elle était conséquente, mais logique ; j'ai rappelé qu'elle a été toute différente.
J'ai quelques reproches à faire à leur langage sous un autre rapport. Celui qu'ils ont tenu était-il convenable, était-il prudent ? J'en doute, messieurs, et je ne regarderai jamais comme convenable et comme prudent de déclarer à la tribune belge que si un jour la Belgique était menacée d'être victime du système des annexions, elle n'aurait pas le droit de se plaindre ; ce qui signifie, ou à peu près, qu'elle mériterait un pareil sort.
Non, messieurs, il n'est ni prudent, ni convenable, il n'est pas même patriotique de dire de pareilles choses à la tribune.
Maintenant, messieurs, je vous ai dit que j'eusse préféré que la reconnaissance du royaume d'Italie eût pu être ajournée.
Je me suis expliqué dans ce sens dans mainte conversation. Plus d'un d'entre vous a connu depuis longtemps mon opinion, car je l'ai dite avant que la reconnaissance fût un fait consommé.
Je vais donc m'expliquer sur ce point très nettement et très catégoriquement. Voici mes principales raisons.
D'abord il était facile de comprendre que la reconnaissance du royaume d'Italie devait jeter une grande irritation dans une partie du pays, qu'elle devait heurter certaines consciences.
Ce qui se passe dans cette enceinte, ce que nous lisons tous les matins dans la presse qui représente les opinions de la droite ne prouve que trop que je ne m'étais point trompé.
D'un autre côté, la reconnaissance du royaume d'Italie devait nécessairement froisser des souverains déchus, pour lesquels on peut n'avoir point de sympathie, mais qui ont toujours entretenu avec la Belgique des relations amicales, et des souverains qui sont encore sur leurs trônes et auprès desquels nous accréditons des ministres, qui ont leurs représentants à Bruxelles.
(page 77) A ce double point de vue, j'aurais ajourné la reconnaissance de l'Italie aussi longtemps que la chose était possible.
Je l'aurais ajournée pour un autre motif encore, et ici j'ai besoin de me livrer à quelques développements.
L'état de l'Italie est aujourd'hui tout provisoire, tout précaire. Sans m'arrêter à l'opposition violente et prolongée que le nouveau gouvernement rencontre dans certaines provinces, il y a un fait indubitable : c'est que le royaume d'Italie n'est point fait, qu'il n'existe pas en réalité.
On a proclamé à Turin le royaume d'Italie. On a même proclamé la capitale de ce royaume, mais jusqu'ici il est sans capitale.
Car, remarquez-le bien, jamais les capitales des anciens Etats de l'Italie, Florence, Milan et Naples ne reconnaîtront définitivement Turin comme capitale. Elles n'abdiqueront leur titre et leur qualité que devant Rome seule. Ce n'est qu'à la ville de Rome que les villes que je viens d'indiquer reconnaîtront une suprématie. Rome, et permettez-moi de le dire, c'est un point sur lequel tout le monde est d'accord, Italiens et étrangers, partisans et adversaires de l'unité italienne, Rome est nécessaire à l'unification de l'Italie. Sans Rome, le royaume d'Italie est en quelque sorte un corps sans âme.
Toute la question est de savoir si les Italiens obtiendront que Rome leur soit livrée, s'ils l'obtiendront assez à temps pour empêcher que cc corps sans âme ne tombe en dissolution.
C'est évidemment de la France qu'il dépend que les portes de Rome soient ouvertes aux troupes italiennes. Le gouvernement italien peut-il, espérer, a-t-il des raisons sérieuses d'espérer que ces portes lui soient, en effet, bientôt ouvertes ? Messieurs, c'est une grande question sur laquelle le doute est, à coup à sûr, permis. D'abord, la France occupe à Rome une position qui lui est des plus avantageuses : à l'aide de quelques régiments et d'une dépense annuelle de quelques millions, elle détient le cœur et la tête de l'Italie ; elle est maîtresse de l'Italie ; elle exerce sur l'Italie une influence qui est plus que prépondérante, qui est absolue. Cette position, si belle, la France pourra la défendre, quels que soient les événements, grâce à sa puissante marine.
Peut-on penser que, dans les circonstances comme celles où nous nous trouvons, la France abandonne spontanément et facilement une position comme celle que je viens de dépeindre ? Si la France était dans de pareilles dispositions, pourquoi donc aurait-elle élevé autour de Civita-Vecchia de formidables fortifications, pourquoi la France ne céderait-elle pas dès aujourd'hui aux instances, aux prières, je dirai presque aux menaces de l'Italie ?
Mais, messieurs, l'unification de l'Italie rentre-t-elle bien dans la politique de la France ? La France a fait connaître sa politique au moment du traité de paix de Villafranca. Si ce traité de paix n'a pas été mis à exécution, ce n'est pas par son fait à elle, c'est par suite d'événements qui se sont accomplis sans elle, malgré elle et contre son gré, et en dépit de tous les efforts qu'elle a faits pour les prévenir.
Personne n'ignore que la France s'est montrée contrariée de ces événements à ce point qu'elle rappela son ministre à Turin. Sa politique a-t-elle changé depuis lors ? Je ne connais aucun fait d'où l'on puisse tirer cette induction.
Vous n'ignorez pas plus que moi, au surplus, qu'il y a en France, qu'il y a dans tous les pays, même dans les pays protestants, bon nombre d'esprits sages et prévoyants, bon nombre d'hommes d'Etat influents qui, tout en reconnaissant que Rome est nécessaire à l'Italie, croient que Rome est également nécessaire au catholicisme, non pas à l'existence du catholicisme, mais à son éclat, à sa splendeur, à la juste influence, à la légitime autorité de l'Eglise catholique, qu'on appelle aussi depuis des siècles l'Eglise romaine.
Ils reculent devant la dépossession du pape comme devant un danger, non pas seulement pour l'Eglise catholique, mais encore pour l'ordre européen. A leurs yeux, c'est au moins l'inconnu ; et l'inconnu les effraye dans un temps où tant de choses sont provisoires, précaires, incertaines, menaçantes.
J'ai dit que beaucoup d'esprits éclairés et sages redoutaient d'enlever Rome au catholicisme ; je pourrais citer des hommes dont le libéralisme est au-dessus de toute atteinte, au-dessus de tout soupçon qui professent ce sentiment ; je n'en citerai qu'un seul, celui qui, pendant le règne de Louis-Philippe, a constamment été à la tête de l'opinion libérale, M. O. Barrot.
En 1849, c'était, je crois, à la séance du 20 octobre, voici à peu près ce qu'il disait : Il est nécessaire que le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel soient réunis à Rome, précisément pour que ces deux pouvoirs puissent être séparés dans le reste du monde.
Cette sentence, qui pourrait paraître jusqu'à certain point paradoxale, d'autres ont pris soin de démontrer qu'elle n'était pas aussi paradoxale que des hommes superficiels seraient tentés de le croire.
Voilà une des considérations qu'on a fait valoir et que je livre à vos méditations.
Le pape aujourd'hui, comme souverain temporel, est l'égal de tous les souverains ; il traite avec eux sur le pied de l'égalité ; il reçoit leurs ambassadeurs ; il accrédite les siens auprès d'eux.
Cette position élevée lui donne l'influence, l'autorité nécessaire pour défendre l'Eglise contre les empiétements qui seraient injustes. Otez au pape sa qualité de prince temporel, faites de lui le sujet d'un souverain quelconque, car quand on n'est pas souverain, il faut que l'on soit sujet, faites du pape le sujet d'un Etat quelconque, ravalez-le à la position de simple patriarche, n'est-il pas à craindre que l'influence, l'autorité nécessaire lui manque, que l'Eglise dans certains pays, soit absorbée par l'Etat, ce qui serait un danger tout aussi grand que si l'Etat était absorbé par l'Eglise.
II est donc très incertain que le gouvernement italien obtienne, dans un délai plus ou moins rapproché, la possession de Rome ; et quoi que l'on en ait dit, je maintiens, pour les raisons que j'ai expliquées tout à l'heure, que, jusqu'à ce que Rome soit non pas la capitale nominale, mais la capitale effective du royaume d'Italie, tout dans la Péninsule sera provisoire et précaire.
Voilà, messieurs, les raisons pour lesquelles j'ai toujours pensé, j'ai toujours dit que l'on devait tâcher d'ajourner la reconnaissance de l'Italie autant que possible.
Maintenant, cette reconnaissance pouvait-elle encore être ajournée ? Cette question est délicate, je le reconnais. Je dirai encore ma pensée tout entière, mais tout en ne niant point que je puis me tromper.
Je crois, messieurs, qu'on eût pu ajourner la reconnaissance de l'Italie. Mais il fallait pour cela prendre une résolution énergique. Depuis le moment où apparut le décret proclamant le roi d'Italie, il fallait faire connaître cette résolution énergique et au ministre de Sardaigne, à Bruxelles, et au gouvernement sarde, par l'intermédiaire de notre ministre à Turin.
Si l'on avait agi ainsi, je pense que la notification du 5 août n'aurait pas eu lieu. Car le gouvernement sarde n'a notifié le décret du mois de mars qu'aux gouvernements qui semblaient disposés à reconnaître au roi de Sardaigne le titre de roi d'Italie. Il n'a notifié ce décret ni à la Russie, ni à l'Espagne, ni à la Prusse, ni aux autres gouvernements allemands.
Je sais qu'un événement est survenu qui nous a mis dans une position particulière, la mort de notre ministre à Turin.
Mais l'on aurait pu, je pense, ne pas nommer un remplaçant à ce ministre.
Quant à lui donner un remplaçant et à l'accréditer auprès du gouvernement de Sardaigne, comme l'a dit un orateur qui a parlé la semaine dernière, cela était évidemment impraticable, et jamais le gouvernement d'Italie n'aurait admis un nouveau ministre que nous aurions envoyé en l'accréditant auprès du roi de Sardaigne.
Mais l'on pouvait continuer à l'intérimaire les fonctions dont il était revêtu.
Je pense que sa présence à Turin aurait suffi pour quelque temps à défendre les intérêts de nos nationaux qui résident en Italie ou qui y voyagent, et même pour protéger notre commerce qui se trouve déjà protégé, jusqu'à un certain point, par les traités qui lient la Sardaigne à la Belgique.
Maintenant que j'ai dit nettement mon opinion sur la question soulevée, irai-je, parce que le gouvernement n'a pas apprécié les choses au même point de vue que moi, condamner, censurer, blâmer sa conduite ? Je n'en ai pas eu un seul moment la pensée. Le fait que le gouvernement a posé, il avait le droit de le poser ; il a agi dans la plénitude de ses attributions. C'était à lui qu'il appartenait de décider s'il convenait à la Belgique de reconnaître le gouvernement d'Italie. C'était à lui de décider de l'opportunité de cette reconnaissance.
Je lui laisse complètement la responsabilité du fait posé par lui et j'entends ne le blâmer, ne le censurer et ne le condamner en aucune manière pour ce qu'il a fait. D'ailleurs, comme je l'ai dit, il a accompagné la reconnaissance de réserves qui sauvegardent les grands intérêts de la Belgique, et qui empêcheront que jamais et quoi qu'il arrive, on puisse lui représenter qu'il s'est déclaré le partisan du système des annexions plus ou moins volontaires, des plébiscites plus ou moins libres. Le gouvernement a en outre réservé pour l'avenir son libre arbitre, son entière liberté d'action.
Je suppose que demain les Napolitains regrettent de n'être plus qu'une province piémontaise ou plutôt une province italienne et qu'ils parviennent à se reconstituer en nation indépendante. Nous sommes parfaitement libres de reconnaître le nouveau royaume de Naples, tout en laissant au (page 78) roi de Sardaigne le titre de roi d'Italie qu’il a pris et que d'autres souverains, avant lui, ont porté sans que leur domination s'étendit dans le Midi de l'Italie.
Messieurs, je termine. J'ai dit franchement mon opinion. Je ne me dissimule point de quelles critiques elle sera l'objet. Je ne me suis jamais arrêté devant les critiques.
N'ayant aucune ambition personnelle, je n'obéis qu'à mes convictions et à ma conscience. Tout mon désir est de continuer à prêter au ministère l'appui sympathique qu'il a toujours reçu de ma part. Il pourrait s'élever entre lui et moi quelques divergences d'opinion, je m'en expliquerai, comme je le fais aujourd'hui, et je n'en resterai pas moins ce que j'ai été toute ma vie, libéral de cœur et d'âme.
Je termine, messieurs, par où j'ai commencé. J'aurais préféré que ce débat n'eût pas été soulevé.
Je ne puis pas comprendre ce qu'il pourra produire d'utile pour la Belgique et à coup sûr, il n'exercera aucune influence ni sur les destinées de l'Italie ni sur les résolutions des cabinets de l'Europe ; il ne produira que ce double et assez triste résultat de jeter un peu plus d'irritation dans le pays et d'exciter du mécontentement au-dehors.
(page 81) - M. Ernest Vandenpeereboom remplace M. Vervoort au fauteuil.
M. de Haerne. - Messieurs, je ne me proposais pas de prendre part à ce débat, je comptais me renfermer dans la réserve qui vient de nous être recommandée par l'honorable ancien ministre des affaires étrangères, M. de Brouckere. Mais, messieurs, comme on persiste, comme on a surtout continué, dans la séance d'hier, à faire une assimilation entre la révolution italienne et la nôtre, entre les révolutions en général et la révolution belge, l'honorable député de Mons comprendra que, patriote de 1830 comme lui, ancien membre du Congrès comme lui, j'ai dû considérer comme un devoir de rompre le silence.
Messieurs, je demanderai à ceux qui tiennent ce langage auquel je viens d'avoir l'honneur de faire allusion, s'ils approuvent toutes les révolutions, s'ils approuvent les révolutions faites en tous sens, soit dans les temps anciens, soit dans les temps modernes, et, par exemple, la révolution en faveur de l'esclavage qui se fait au midi de l'Amérique, comme les révolutions faites en faveur de la liberté. Approuvent-ils toutes les révolutions ? Ils diront : Non. Alors il faut tracer une limite et dès que vous tracez une limite, nous nous plaçons sur le terrain pratique et nous pouvons discuter.
Il y a, messieurs, dans les révolutions comme dans les guerres des distinctions à faire : il y a des guerres qui sont justes comme il y a des guerres injustes ; il y a des révolutions injustes, et la plupart le sont, je dois le dire, et il y a des révolutions justes ; mais de toutes les révolutions légitimes, il n'en est pas de plus pure que celle de 1830, faite en Belgique.
Messieurs, plus d'une fois on a fait appel à notre raison dans ce débat, pour nous faire comprendre que dans les discussions nous devons un respect inviolable à la majesté royale et une déférence parlementaire aux gouvernements étrangers. Personne n'est plus pénétré que moi de ce sentiment, et si je m'écartais plus ou moins de cette ligne de prudence, je rétracterais d'avance mes paroles.
Mais, messieurs, comprend-on, après cela, qu'au milieu du silence pour ainsi dire général de la Chambre, on soit venu traîner ici dans la boue la tiare et conspuer, comme on l'a fait hier, la majesté royale dans la personne d'un souverain ami ?
Oui, messieurs, on est allé jusqu'à citer Machiavel comme ayant reproché à la papauté d'avoir suivi ses propres leçons. Je m'étonne que cette assertion ait trouvé de l'écho dans cette enceinte.
Messieurs, nous n'admettons pas que les souverains en général et les papes comme souverains temporels, soient infaillibles et n'aient jamais commis de fautes et même des fautes graves. Quel est donc le pouvoir qui soit à l'abri de tout reproche ? Mais accumuler les fautes et les crimes des temps passés pour autoriser une révolution dans le présent, c'est là un principe subversif de toute société. Vouloir surtout faire remonter à la papauté tous les abus commis en Italie, c'est la plus criante des injustices.
Voici, messieurs, ce que disait un patriote italien, que nous avons connu à Bruxelles, et avec lequel j'ai eu des entretiens en matière de science et de liberté. Voici ce que disait Gioberti dans un ouvrage imprimé à Bruxelles, sous le titre de Primato :
« Les hommes les plus libres, les plus indépendants, les plus doux envers les faibles et les plus sévères envers les despotes, ceux qui ont le mieux mérité de l'Italie, de l'Europe et de l'espèce humaine, en tout temps ce furent les papes ; il n'a manqué à leurs intentions héroïques que d'être les chefs civils de la nation italienne, comme ils sont les princes de Rome et les chefs religieux du monde (i capi religiosi del mondo). Que le pape soit naturellement et doive être effectivement le chef civil de l'Italie, c'est là une vérité prouvée par la nature des choses, confirmée par l'histoire d'un grand nombre de siècles, reconnue dans plusieurs circonstances par nos peuples et nos princes, et qui n'a été mise en doute que par ceux qui sont allés puiser à des sources étrangères le venin qu'ils ont répandu dans leur patrie... II est impossible de dire quel bien l'Italie recevrait d'une confédération politique sous l'autorité du pontife. Cette union accroîtrait la force des princes divers, sans nuire à leur indépendance et contribuerait au bien-être de chacun en particulier. »
Messieurs, puisqu'on s'est tant appesanti sur cette partie du débat, permettez-moi de vous citer encore l'autorité de quelques autres patriotes italiens.
Je vous citerai d'abord Cesare Balbo, qui s'est énoncé dans le même sens. Voici ce que disait cet Italien très patriote :
« Que deviendrait le pape dans un royaume unique d'Italie ? Serait-il roi ? Mais cela est impossible et personne n'y songe ; sujet ?... Mais cela ne serait pas toléré ni par les nations catholiques, ni par les autres... Cela serait contraire à tous les intérêts de la chrétienté.
« Cela ne serait admis même dans aucune partie de l'Italie, qui ne l'a pas toléré au moyen âge. »
Voici un autre passage du même écrivain :
« Au nom de la vérité qu'on ne dise pas que cela serait possible (l'unification). Si vous n'appartenez pas à ces insensés (quelli matti), princes ou peuples qui rêvent un tel état de choses, et si vous voulez conserver quelque chose de patriotique et d'ancien, conservez le pape indépendant et comme souverain. Vous aurez au Vatican un bien plus solide appui pour Rome et l'Italie que ne le fut Minerve à Athènes ou la louve au Capitole. (Mollo meglio che Minerva in Atene o la Lupa di Campidoglio.) »
Il conclut ensuite à la confédération italienne.
Messieurs, on a beaucoup parlé hier de Manin, et je tiens à rétablir le sens d'une citation faite à ce sujet par mon honorable collègue de Termonde dans le discours qu'il a prononcé dans une séance précédente, avec une éloquence que nous avons tous admirée.
L'honorable M. De Fré a prétendu qu'on avait cité Manin à tort, que Manin s'était énoncé dans le sens de l'unité de l'Italie, et cela dans son testament politique...
M. De Fré. - Je n'ai pas parlé du testament de Manin.
M. de Haerne. - Si j'ai bien compris hier l'honorable M. De Fré, il s'agit d'une lettre de Manin, insérée dans le journal la Presse de Paris. Sommes-nous d'accord ?
M. De Fré. - Oui.
M. de Haerne. - Je dis d'abord que Manin a varié ; il a varié comme Gioberti ; ils ont été tous les deux débordés par le mouvement révolutionnaire ; mais il n'en est pas moins vrai que Manin s'est énoncé dans le sens qu'a indiqué l'honorable M. de Decker, qu'il s'est prononcé contre les annexions. J'ai pour garant l'autorité de M. Guizot.
Voici comment s'exprime à cet égard cet homme éminent dans le remarquable ouvrage qu'il a publié dernièrement sous le titre de : l'Eglise et la Société chrétienne
« Je trouve, dit M. Guizot, dans un recueil intitulé : documents et pièces authentiques laissées par Daniel Manin, président de la république de Venise, traduits sur les originaux et annotés par F. Planât de la Faye (t. I, p. 26-1), ce paragraphe d'une lettre adressée le 7 juin 1848, par M. Manin, à M. de Cormenin.
« Dans les conditions actuelles, dit Manin, l’unité de l'Italie n'est pas possible ; mais il est nécessaire qu'elle soit du moins unifiée, c'est-à-dire qu'il y ait une confédération d'Etats italiens, et pour cela qu'aucun des Etats confédérés ne soit de beaucoup plus fort que les autres ; car une association ne peut exister avec sécurité là où il existe une trop grande disparité de forces.
« Il faut encore que les divers Etats, dans leur composition et leur extension, se fondent sur des traditions historiques, qu'on ne joigne pas ensemble des peuples différents de mœurs et d'origine, car autrement à la guerre de l'indépendance on verrait succéder la guerre civile. (Vous avouerez, messieurs, que ces paroles sont comme une prophétie.) Il faut enfin qu'on n'interdise pas la forme républicaine à tel Etat qui se sentirait mûr pour la prendre, et qui trouverait inutile de passer par la forme transitoire de la monarchie constitutionnelle. »
Messieurs, permettez-moi d'appeler votre attention sur cette dernière phrase.
Je comprends qu'on exalte Manin au point de vue militaire, car on ne peut s'empêcher d'admirer la bravoure dont il a fait preuve en défendant Venise ; mais il était républicain avant tout ; il penchait vers l'opinion de Mazzini. Lorsque, en 1848, Charles-Albert est entré en Lombardie, quand Venise s'est soulevée et que ce roi a fait appel à la Vénétie comme à la Lombardie, pour que ces pays s'annexassent au royaume de Piémont, il y eut une révolution de cabinet d'abord et un mouvement populaire ensuite à Venise. Sur un discours de Palcocapa, on décréta dans l'assemblée nationale de Venise l'annexion de la Vénétie au Piémont. Alors Manin se retira, et protesta par ses actes contre le système d'annexion au Piémont.
Messieurs, à toutes les autorités qui ont été citées par mes honorables amis MM. de Decker, Nothomb et d'autres, on vient opposer ce qu'on appelle les abus d'un autre âge et l'on invoque avec éclat le martyrologe des patriotes italiens.
En groupant ainsi de grands noms sans entrer dans aucune explication historique, on produit un certain effet momentané sur l'assemblée et sur le public, je le conçois.
Si l'on veut se plaindre de la sévérité de la jurisprudence qui a existé dans les temps anciens, il faudrait, pour être juste, généraliser la thèse et dire que cela a existé partout et dans des temps postérieurs à ceux auxquels on a fait allusion.
(page 82) Ainsi, par exemple, on aurait pu dire que sous Elisabeth, en Angleterre, on vit un régime bien plus rigoureux et qu'il y eut bien des condamnations à mort non seulement parmi les catholiques, mais aussi parmi les protestants dissidents. C'était la jurisprudence de tous les pays où une religion quelconque était proclamée comme religion d'Etat, et l'on considérait comme crime d'Etat l'opposition à cette religion.
Par conséquent, si l'on se place à un point de vue général, il n'y a pas à se scandaliser de ces faits historiques qui ont été jetés dans la discussion, fussent-ils exacts, comme on le suppose dans ce qu'on appelle le martyrologe des patriotes italiens.
Sur cette liste, on voit figurer les noms d'une foule de patriotes anciens et modernes. On y voit entre autres un Pallavicini, à l'exemple duquel on mêle, comme pamphlétaire, permettez-moi de le dire, le certain et l'incertain, le vrai et le faux, l'on défigure l'histoire et l'on en fait un roman satirique.
J'abuserais des moments de la Chambre si je voulais réfuter (car remarquez que la réfutation demande plus de temps que l'assertion) tous les faits allégués par l'honorable membre, sans preuve aucune.
Je ne réfuterai donc pas toutes les erreurs de ce panégyrique démocratique.
Je devrais faire pour cela la biographie de tous les héros chantés par l'honorable M. De Fré depuis Dante jusqu'à Machiavel, depuis Machiavel jusqu'à Pallavicini.
Je ne m'étonne pas de l'amour de l'honorable M. De Fré pour Pallavicini. C'était le Boniface de l'époque ; aussi j'admets qu'on aurait mieux fait de rire de ses épigrammes, que de vouloir les faire mourir avec lui.
Quant à Savonarole qui mérite la couronne du martyre dans le calendrier révolutionnaire, il s'appuya, lui, sur le roi de France Charles VIII, qui était venu annexer le royaume de Naples. Savonarole s'empara ainsi du pouvoir à Florence et fit mourir à la manière des Pinelli plusieurs citoyens pour les punir de leur fidélité aux Médicis.
Il eut encore un autre mérite aux yeux de la démocratie florentine ; il fit brûler les œuvres de Boccace et de Pétrarque, que les papes avaient tolérées tout en condamnant leurs erreurs dogmatiques et morales. Savonarole, imitant cet autre révolutionnaire qui a nom Mahomet, fit brûler même le poème immortel de Dante qui figure aussi dans le martyrologe de M. De Fré.
C'est un martyr qui faisait brûler les œuvres de l'autre, mais enfin ils sont martyrs tous deux.
J'admets, messieurs, que Dante mériterait, de la part de l'honorable membre, la palme du martyre, s'il n'avait pas obtenu, par son génie incomparable, celle de l'immortalité.
Je comprends donc tous ces martyrs, au point de vue de l'honorable M. De Fré ; mais il a trouvé place dans son martyrologe, pour un autre grand homme, qui certes n'a jamais pensé qu'il pût y être inscrit. C'est le Tasse.
J'avoue, messieurs, que le Tasse fut maltraité par le duc de Ferrare qui aurait dû avoir égard à l'état de faiblesse mentale où était tombé le poète.
Mais, si un homme excentrique, fût-il le plus grand génie, fût-il l'auteur de la Jérusalem délivrée, venait abuser de l'hospitalité et troubler le foyer domestique de l'honorable M. De Fré - ce que le Tasse fit à la cour de Ferrare - je crois vraiment qu'il lui ferait subir un petit martyre.
Quoi qu'il en soit le Tasse ne mourut pas martyr. Il fut délivré de la prison par l'intervention du pape, et Clément VIII allait le couronner solennellement comme le Virgile chrétien, lorsque la mort le ravit à l'Italie et à la chrétienté reconnaissante.
Messieurs, je pourrais entrer plus avant dans cette discussion historique, mais je ne veux pas abuser de votre patience. Je crains de m'en être déjà trop occupé.
Messieurs, l'honorable membre qui vient de se rassoir a dit un mot auquel j'ai été très sensible. Il a dit : « Vous eussiez mieux fait, vous membres de la droite, de vous abstenir. » Je ne sais pas où est le mal de notre intervention dans ce débat ; mais pour ce qui me regarde, je le répète, c'est bien malgré moi que je suis amené à y prendre part.
Il a ajouté qu'on avait soutenu sur nos bancs que si, tôt ou tard, une main perfide venait faire une annexion partielle ou totale de la Belgique, nous n'aurions rien à répondre à ceux qui nous objecteraient la reconnaissance de l'Italie pour justifier cette tentative. Ce n'est pas du tout dans ce sens, messieurs, que j'ai compris l'argument soutenu par mes honorables amis.
M. de Decker. - Pour ma part je proteste contre cette interprétation.
M. de Haerne. - Voici comment j'ai compris l'argument : dans la pensée de mes honorables amis, et c'est aussi mon sentiment, vous donnez en ce moment des armes à l'étranger. Est-ce à dire que si l'éventualité que l'on a entrevue venait à se produire, nous ne protesterions pas avec une patriotique énergie contre une tentative d'envahissement de notre territoire ?
J'ai à peine besoin de répondre à une telle question. Evidemment, messieurs. comme patriotes, nous protesterions quand même et en tout cas contre cette application des principes invoqués ici ; mais il n'est pas moins vrai qu'on s'emparerait de vos paroles et de vos actes pour vous les opposer. Voilà l'argumentation telle qu'elle a été produite par nos honorables amis.
- Voix à gauche. - C'est cela.
M. de Haerne. - Ainsi que l’a parfaitement démontrée hier, avec la supériorité de ses connaissances historiques, l’honorable M. Kervyn de Lettenhove, il est incontestable qu’il y a des partis belligérants en Italie ; et, dans cette situation, nous devions, comme nation neutre, nous abstenir ; comme jeune nation, nous devions être plus prudents que les autres peuples.
La France, dit-on, a reconnu l'Italie ; mais le motif qu'on invoque pour suivre son exemple n'est pas admissible : la France, d'abord, n'est pas un pays neutre ; puis, la France tient l'Italie sous la main ; elle la tient par le traité de Zurich qu'elle peut interpréter comme elle le veut ; tandis que nous n'avons pas mot à dire à cet égard ; et l'on fera voir que ce traité milite contre nous si nous ne faisons pas de réserve d'avance et si nous reconnaissons, comme on l'a dit dans la lettre à M. Carolus, l’état de possession.
Ce mot est imprudent, messieurs, et il suffit pour condamner votre système.
Le traité de Zurich n'est pas du tout déchiré, il a été juré par le Piémont lui-même, et si le Piémont l'a violé, les autres puissances ne l'ont pas oublié.
La France peut tous les jours, au moyen de ce traité, réduire à zéro la reconnaissance du royaume d'Italie.
On prétend, messieurs, et c'est une allégation qui a été répétée bien souvent dans cette discussion, que nous ne défendons notre thèse qu'eu égard à la position du souverain pontife. Vous parlez comme catholiques, nous dit-on, et si la personne du pape n'était pas en jeu, vous reconnaîtriez l'Italie.
Messieurs, je n'admets nullement cette opinion, et ici permettez-moi d'entrer franchement au cœur de la question pour répondre à des attaques, à des insinuations qui se sont produites plusieurs fois dans le cours de ce débat.
Je dirai donc que, pour, ce qui regarde le pouvoir temporel du pape, nous plaçons le souverain pontife sur la même ligne que tous les autres souverains.
Le pape est chef de l'Eglise de droit divin ; son pouvoir vient immédiatement de Dieu ; c'est le principe catholique : mais sous le rapport temporel, ses Etats ont la même origine que tous les autres Etats légitimement établis, y compris les républiques.
Le pouvoir souverain, pris en général pour les républiques comme pour les monarchies, peut-on prétendre qu'il est de droit divin ? Voilà la question qui a été posée déjà plusieurs fois dans cette discussion, et je dois y répondre, car je ne sache pas que depuis le Congrès cette question ait été traitée dans cette enceinte.
Messieurs, sous ce rapport, il faut distinguer entre le droit divin immédiat ou direct et le droit divin médiat ou indirect.
Il y en a qui ont soutenu que le pouvoir des rois est de droit divin immédiat ou direct ; c'est-à-dire que ce pouvoir leur est conféré directement par Dieu.
Savez-vous qui est le premier qui ait avancé cette thèse dans les temps modernes ?
C'est un roi protestant d'Angleterre ; c'est Jacques Ier qui l'a soutenue contre les plus grands théologiens italiens, contre Bellarmin notamment.
Il s'est élevé contre cette prétention de l'école protestante d'Angleterre un autre grand écrivain, Suarès ; et savez-vous comment Suarès fut réfuté en Angleterre ? On l'a réfuté d'une manière qui parut péremptoire, mais qui ressemble quelque peu à celle dont furent traités les martyrs qu'on nous a cités hier : on a fait brûler ses œuvres par la main du bourreau.
Elles furent brûlées plus tard de la même manière à Paris.
Pourquoi ? Parce que, à la suite de l'impulsion donnée par les Stuarts à cet imprudent principe du droit divin direct, les Gallicans, comme les Jansénistes, sont entrés dans la même voie.
Mais, à part les protestants que je viens de citer, l'école janséniste et l'école gallicane, tous les grands théologiens à commencer par (page 83) saint Jean Chrysostome jusqu'au grand saint Thomas, tous jusqu'à saint Ligori, qui est, pour ainsi dire, classique en Belgique, tous ont repoussé ce dangereux principe du droit divin direct, qui devait, selon Cabassut, produire tôt ou tard une révolution.
Pour ce qui regarde le droit divin indirect, il se confond avec ce que vous appelez le droit naturel. A moins d'être panthéiste, je n'admets pas qu'on puisse croire que la société n'est pas établie par Dieu ; et comme il n'y a pas de société possible sans pouvoir, il faut bien que le pouvoir, de quelque source directe qu'il émane, vienne de Dieu lui-même, qui le confère, au moyen de formes sociales régulièrement ou irrégulièrement établies, d'une manière permanente par le consentement explicite ou implicite de la nation, d'une manière temporaire ou à vie, pour une personne ou un corps, soit par des assemblées politiques constituées, soit par un appel à la volonté nationale.
Voilà comment nous comprenons le pouvoir en général et le pouvoir temporel du pape en particulier.
Il faut cependant reconnaître qu'à côté de ce principe il y a quelque chose de tout à fait spécial dans le pouvoir temporel du souverain pontife, quelque chose qui repose encore sur le droit naturel, sur le droit des gens. Le voici : C'est que ce pouvoir est établi avec l'appui des peuples catholiques, avec leur consentement tacite en général, mais souvent exprimé par des actes et des faits historiques.
C'est un pacte religieux et social entre le saint-siège et 200 millions de catholiques, ce qui est surtout démontré aujourd'hui, depuis que les diverses parties du monde, l'Amérique comme l'Europe, la Chine comme l'Australie, ont porté leur tribut moral et matériel aux pieds du saint-père.
Si vous admettez la légitimité des colonies que possèdent certains pays, il y a ici une espèce de colonie religieuse établie par les enfants de l'Eglise, qui sont répandus dans le monde entier ; et porter atteinte aux Etats du saint-siège, c'est rompre avec le monde catholique, avec la république religieuse universelle, c'est s'exposer dans l'avenir à un grand danger, quand on viendra peser vos destinées futures, après les guerres, les commotions dont on est menacé aujourd'hui.
On a dit dans une séance précédente :
Vous pensez pouvoir échapper aux annexions en refusant de reconnaître le royaume d'Italie ; mais vos protestations n'arrêteraient pas les armées envahissantes ; la non reconnaissance du royaume d'Italie ne vous préserverait pas d'une invasion.
Soit. Mais, je le répète, après les révolutions et les guerres viennent les traités ; c'est alors, comme je disais tout à l'heure en interprétant les opinions de mes collègues qu'on avait mal comprises, c'est alors qu'on vous opposera les assertions que vous aurez énoncées ici, et qu'on vous représentera comme ayant propagé les idées d'annexion.
On vous reprochera d'avoir favorisé par votre exemple le principe annexionniste, particulièrement en Allemagne.
C'est alors qu'on demandera si, après une pareille conduite, vous donnez assez de garanties de stabilité, de sagesse pour compter encore parmi les nations indépendantes.
On a dit que, si après tout la Belgique était démembrée, on pourrait soutenir, pour revendiquer l'existence nationale, que nous avons constitué dans le passé un seul peuple, que nous ne ferions que reprendre ce qui nous avait appartenu, et qu'en tout cela il n'y aurait pas d'ombre d'annexion ; nous reconstituerions l'ancienne nation belge.
J'applaudis à ces patriotiques paroles ; mais je demanderai à quelle époque l'orateur à qui je réponds veut remonter pour reconstituer l'ancienne nation belge. Est-ce au règne d'Albert et d'Isabelle ? (Interruption.)
Mais alors la circonscription géographique du pays n'était pas celle d'aujourd'hui, et il s'agit de carte géographique. Veut-on remonter au temps de César ? Il faut alors faire des annexions vous-mêmes et vous adjuger la ville de Trêves par exemple.
Je comprends qu'on fasse ici abstraction des langues et qu'on s'en tienne aux races, mais dans cet amalgame qu'on appelle annexions, on confond ces deux ordres d'idées.
II y a au reste, en ceci, comme dans la politique en général, toujours un peu de confusion ; on consulte l'intérêt du moment. On confond donc ici, à dessein, les langues avec les races ; on prend arbitrairement, tantôt les races, tantôt les langues. Si l'on voulait vous annexer, vous auriez beau dire : Nous sommes tous Belges, on vous partagerait par langues, sous prétexte que les Belges primitifs mêmes sont issus de races différentes, comme l'indique la différence du langage.
On vous dirait : Mais vous avez des populations d'origine gauloise, des populations qui parlent français, qui doivent se séparer de vous pour s'annexer à une autre nation de même langue et de même origine ; vous avez, dirait-on, des populations germaniques par la langue et l'origine et qui doivent s'annexer en tout ou en partie à d'autres pays qui les réclament de ce double chef, à la Hollande, à l'Allemagne, à l'Angleterre. Tout cela ne serait pas nouveau, messieurs ; ces idées ont été mises en avant quand il s'est agi de nous constituer ; les anciens projets peuvent se reproduire.
Je dirai donc, si vous prétendez pouvoir remonter aux premières origines des peuples, faire abstraction de la langue pour vous attacher au seul nom de Belges, je le veux bien.
Mais alors cette belle langue italienne, commune à tant de nations qui tendent à s'unir dans une grande confédération, ce que tout le monde respecte, ne doit plus être prise en considération. Je dirai qu'alors, pour être conséquent, vous devez faire abstraction de la langue, en Italie comme chez vous, et vous en tenir à la race ou plutôt aux races seules ; car il est évident qu'on en rencontre beaucoup en Italie, et qui s'y sont fixées postérieurement à l'époque la plus ancienne de la Belgique, des races tout aussi bien connues que la race belge. Ainsi, vous trouverez entre autres les Gaulois cisalpins, les Lombards, les Venètes, les Toscans ou Etrusques, les Romains, les Calabrais, les Grecs, les Sicules.
Vous avez là le germe des nationalités entre lesquelles se débat la grande question de l'autonomie. J'admets pour le moment l'argumentation, bien que je la trouve dangereuse pour nous ; mais je la tourne contre vous, contre l'unité de l'Italie, à laquelle je vois un obstacle dans les races dont vous invoquez le principe ; ces races ne sont pas plus que la race belge circonscrites dans des limites ethnographiques, répondant à la configuration géographique de divers Etats politiques, mais forment, comme en Belgique, le principal noyau de ces Etats. Elles se sont historiquement développées et diversifiées pour constituer le droit historique sur lequel reposent les autonomies italiennes, dont le germe se trouve dans les races.
L'on a fait bien des objections auxquelles je n'ai pas besoin de répondre ; en général, on y a déjà répondu ; il en est cependant quelques-unes sur lesquelles je veux ajouter quelques mots.
Lorsqu'on parle du danger d'annexion, dont est menacée la Belgique, on le voit surtout sur la frontière du Midi. Il n'y a rien à craindre, a-t-on dit, de ce côté, sous l'empereur Napoléon III ; d'accord, mais l'empereur n'est pas immortel et qui oserait dire qu'après lui l'idée des frontières naturelles ne trouverait pas assez de partisans en France pour triompher à l'aide des circonstances ?
Autre objection : D'autres puissances, dit-on, ont reconnu le royaume d'Italie et le saint-père a conservé ses nonces chez elles, comme à Lisbonne, à la Haye et ailleurs ; il ne faut pas être plus difficile que le souverain pontife.
L'honorable M. de Theux a déjà répondu à cette objection. Je me permettrai d'ajouter une observation. Le saint-père est dans une position particulière, unique ; avant de retirer un nonce, il doit avoir égard avant tout au principe religieux.
Il n'est souverain temporel que parce qu'il est pape. Sa position est donc toute différente de la nôtre et de celle de tous les autres pays. Je dirai de plus que maintenir ses ambassadeurs auprès de puissances qui ont commis une faute politique, tout en protestant contre cette faille, comme le fait le saint-siège par ses actes et ses déclarations, ce n'est pas du tout la même chose que de commettre soi-même cette faute. Dans le premier cas on s'abstient, on tolère un mal qu'on ne peut empêcher, tout en protestant contre ce mal ; dans le second cas, on pose un acte positif et direct.
Messieurs, comme j'ai eu l'honneur de le dire tout à l'heure, j'ai pris principalement la parole pour protester contre la comparaison qu'on a faite plus d'une fois entre la révolution italienne et la révolution belge. Comme patriote de 1830 et comme ancien membre du Congrès, je dois m’élever de toutes mes forces contre cette assimilation. Mais permettez-moi de faire le parallèle vrai entre la révolution belge et la révolution de l'Italie, pour faire ressortir l'énorme distance qui les sépare.
Chez nous, messieurs, la Constitution a été imposée en 1815 par la Hollande. La constitution hollandaise devait être modifiée conformément aux besoins nouveaux, en vertu de la déclaration des puissances qu1 avaient constitué le royaume des Pays-Bas. Elle fut soumise à l'assemblée des notables qui étaient appelés pour en juger ; elle fut rejetée par la majorité des notables, et imposée malgré ce rejet. J'admets cependant qu'elle fut légitimée par le temps.
Pourquoi ? Parce que la nation s'y était soumise pour éviter le danger d'une opposition permanente. C'est ce qui arrive souvent ; on recule devant des désordres nouveaux et l'on se demande toujours si, en se soulevant contre un état mauvais, l'on ne tombera pas dans un état plus mauvais encore. C'est ainsi qu'un état de choses politique devient légitime par le temps. C'est un principe qui a été perdu de vue dans cette discussion par plusieurs orateurs.
(page 84) On a donc admis la loi fondamentale, malgré les injustices qu'elle consacrait à l'égard de la Belgique. Par suite de cette tolérance pratiquée par les états généraux et par la presse, pendant notre réunion à la Hollande, j'admets que la constitution était devenue légitime, à condition qu'elle fût fidèlement observée.
Mais qu'est-il arrivé ensuite ? Le roi Guillaume, par ses malheureuses préventions contre la nation belge qu'il voyait toujours prête à se jeter dans les bras de la France et qu'il trouvait, soit dit en passant, trop catholique, a lui-même déchiré la constitution qu'il avait imposée, par le message du 11 décembre ; il l'a foulée aux pieds par l'interdiction de nos droits les plus précieux et notamment de ce droit de pétition auquel on recourait dans tout le pays, tant en Hollande qu'en Belgique, en vertu des articles 151 et 161 de la loi fondamentale, pour réclamer en faveur de nos autres droits violés et protester contre les griefs. Et comment le roi traitait-il les pétitionnaires ? Il les traitait d'infâmes. C'est le nom qu'il leur donna publiquement à Liège. Le pacte tacite par lequel la constitution avait été tolérée, admise et légitimée, fut rompu de cette manière : le fait fut substitué au droit.
Eh bien, a-t-on fait la révolution à la suite de cette conduite odieuse du gouvernement ? Non. Que demandait-on ? On demandait le redressement des griefs. Plus tard, par le contre-coup des événements de juillet, il y eut des mouvements en Belgique. Etait-ce la révolution ? Pas encore. On demandait le redressement des griefs et le renvoi du ministre Van Maanen. Je me rappelle qu'après les événements de France, je me trouvais dans une réunion de patriotes, tant libéraux que catholiques, composée d'une trentaine de personnes, et avisant aux moyens à prendre dans l'intérêt de la liberté commune. Car alors, libéraux et catholiques nous étions unis dans l'intérêt commun. Dans cette réunion, une seule personne osa articuler le mot de « révolution ». Cette idée fut énergiquement repoussée par la désapprobation générale. On ne songeait pas à la révolution ; on demandait le redressement des griefs et l'on ajoutait le renvoi de Van Maanen, parce qu'on lui attribuait tous les torts.
Ensuite, lorsque la révolution eut éclaté, vous savez que le prince d'Orange fut bien accueilli à Bruxelles, et que demandait-on alors ? On demandait la séparation administrative sous la même couronne.
Mais tout fut refusé, et le redressement des griefs, et le renvoi de Van Maanen, et l'administration séparée. Alors le mouvement éclata spontané, irrésistible. Il ne fut plus possible d'arrêter le torrent. Le lendemain, les patriotes qui voulaient s'y opposer, furent traités d'orangistes. L'honorable M. Rogier doit le savoir ; il voulut arrêter le mouvement lorsqu'on pillait et que l'on brûlait, et il fut traité d'orangiste.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Comme en Italie.
M. de Haerne. - Je vais y venir. Je n'ai pas achevé le parallèle. Permettez-moi, messieurs, de l'exposer complètement, puisqu'on m'y provoque.
Je demanderai s'il est vrai, oui ou non, que tous les droits que nous réclamions en vertu de la Constitution, nous ont été refusés, s'il est vrai que pour avoir invoqué, entre autres, les articles 151 et 161 de la loi fondamentale qui nous accordaient le droit de pétitionnement, et pour avoir exercé ce droit constitutionnel, on nous a traités d'infâmes ?
Mais qu'ont fait les souverains d'Italie ? Voilà la question.
Que fit le pape en 1847 ? Permettez-moi d'abord de rappeler, sans m'y arrêter, une circonstance qui m'est personnelle et dont j'ai parlé à la Chambre en 1856. C'est que, dans une audience que j'ai eu l'honneur d'avoir de Pie IX en 1846, Sa Sainteté approuva franchement nos institutions comme parfaitement appropriées aux besoins de la Belgique, et ajouta qu'elle avait bien des réformes à introduire dans ses Etats. Je n'insisterai pas sur cet incident qui m'est personnel, quoiqu'il ait sa signification pour le pays.
J'invoque des pièces authentiques, officielles.
En 1847, c'est-à-dire une année après son élection, le pape prit l'initiative des réformes, des améliorations demandées, il est vrai, depuis longtemps, mais non promises, ni surtout inscrites dans les lois ou dans une constitution antérieure, comme celle qui avait été octroyée à la Belgique par les puissances.
Que demanda le pape en premier lieu, en s'adressant aux autres souverains d'Italie ? Il demanda une confédération et même une union douanière, et en cela il répondait exactement aux vœux des anciens patriotes, des Silvio Pellico, des Cesare Balbo, des Gioberti et autres.
On pourrait peut-être révoquer en doute l'assertion que je viens d'émettre ; mais je vais donner les pièces à l'appui ; voici ce que je lis dans le Giornale di Roma du 6 août 1848 :
« Sa Sainteté, observant depuis le commencement de son pontifiât la condition de ses Etats et celle des autres Etats d'Italie, comme père commun des princes et des peuples, étranger aux guerres extérieures autant qu'aux discordes civiles, avait, pour procurer la vraie félicité à l'Italie, conçu et entamé des négociations, afin d'amener une confédération (una lega) entre les princes de la Péninsule, comme seul moyen de satisfaire les ardents désirs (le brame) des populations italiennes, sans blesser en rien les droits des princes ni contrarier les tendances des peuples vers une liberté bien entendue. »
Voilà, messieurs, comment le saint-père s'énonça dans le Journal officiel de Rome, le 6 août 1848.
Quant à l'union douanière, voici, messieurs, ce que je lis dans la Gazette officielle du Piémont, 1847, n° 265 :
« Le souverain pontife, le roi de Sardaigne et le grand-duc de Toscane, constamment animés du désir de contribuer, par leur union réciproque, à l'accroissement de la dignité et de la prospérité de l'Italie, persuadés que la base véritable et substantielle d'une union italienne serait la fusion des intérêts matériels des populations de leurs Etats, convaincus d'autre part que la même union sera des plus efficaces pour développer avec le temps le progrès des industries et du commerce ; raffermis dans ces sentiments par l'adhésion des autres souverains de l'Italie, s'étaient entendus pour former entre leurs domaines respectifs une union douanière. »
Ces citations répondent victorieusement aux accusations qu'on a osé adresser hier au saint-siège, relativement au non possumus, qu'on invoquait pour soutenir que Pic IX s'était opposé à tout progrès. Ce qui s'est dit ici à cet égard est évidemment une calomnie.
Ainsi donc, messieurs, vous voyez d'après les actes officiels que je viens de citer et qui ont une origine en partie romaine, en partie piémontaise, que le souverain pontife et la plupart des autres souverains d'Italie voulaient entrer franchement dans la voie des améliorations et du progrès.
Mais, messieurs, puisqu'on a parlé du non possumus, savez-vous quand le pape l'a prononcé ?
C'est lorsqu'on a fait appel à une ambition qui n'était ni dans sa pensée ni dans son cœur, et qu'on voulait lui offrir la présidence des républiques italiennes ou d'une république unitaire. Alors seulement il a dit : Non possumus.
La confédération politique fut donc admise, en principe, par tous les Etats italiens, sauf le Piémont, qui n'avait accepté, remarquez-le bien, que l'union douanière. Et, quant à la confédération politique, savez-vous, messieurs, ce que répondit Charles-Albert, lorsqu'elle lui fut proposée par Pie IX et les autres souverains ? Il répondit qu'il n'avait pas le temps d'y songer, qu'il avait à s'occuper de la guerre.
Mais, après Magenta et Solferino, alors il y eut un changement de politique.
La confédération fut admise par le traité de Zurich, que le Piémont signa et jura, au nom de la très Sainte Trinité, d'exécuter, mais qu'il viola le lendemain. Comme je l'ai dit tout à l'heure, le traité de Zurich reste debout.
Vous voyez donc, messieurs, d'après les détails dans lesquels je viens d'entrer qu'il n'y a aucune assimilation possible entre la révolution belge et la révolution italienne.
En Italie, le Pape et la plupart des autres souverains vont au-devant des vœux du peuple et ne s'arrêtent, dans les améliorations, que devant d'impérieuses nécessités.
En Belgique, on refusait les droits consacrés par la Constitution et l'on marchait en avant dans la voie de l'arbitraire.
Je regretterais d'abuser de l'attention de la Chambre, mais j'ai encore un mot à dire sur un point auquel j'attache beaucoup d'importance en ma qualité de représentant de la Flandre.
Je vous ai parlé à plusieurs reprises des intérêts matériels du pays. M. le ministre des affaires étrangères et M. le ministre des finances nous ont dit : Si vous ne reconnaissez pas le roi d'Italie, vous tarirez la source du commerce avec ce pays, et par conséquent vous ferez tort à l'industrie nationale dans ses rapports avec l'Italie.
Je serais sensible à ce reproche s'il était fondé ; mais je dirai d'abord avec d'honorables membres qui m'ont précédé et même avec ceux qui nous ont fait cette objection : Il y a un principe qui domine la question matérielle, c'est le principe de l'honneur, le principe de la nationalité.
Cependant, messieurs, j'entre dans l'objection pour y répondre, comme si nous n'avions qu'à considérer l'intérêt matériel seul, et je dis qu'en suspendant les relations commerciales pour ce motif, le roi d'Italie se brouillerait avec la plus grande partie de l'Europe, avec la Prusse, l'Autriche, toute l'Allemagne, avec la Russie, avec tous les pays qui ne l'ont pas reconnu. D'un autre côté, il y aurait, de la part de ces pays, des représailles qui feraient le plus grand tort au Piémont. L'Italie se frapperait elle-même.
J'avoue, messieurs, que nous exportons assez de marchandises en Italie, que nos exportations vont progressant dans ce pays comme dans toutes (page 85) les directions ; mais le Piémont nous envoie également beaucoup de produits, comme toute l'Italie. Il y a réciprocité.
On dira peut-être que, pour échapper à l'effet des représailles, le Piémont pourrait exporter d'une manière indirecte, en suivant la voie de l'Angleterre ; mais, messieurs, nous aurions la même ressource et nous en usons déjà aujourd'hui.
Ainsi donc, cet argument n'a rien de fondé.
On a dit encore : « Nous avons reconnu la république en 1848 et l'empire un peu plus tard. »
Oui, messieurs, mais nous avons reconnu cet état de choses avec toutes les puissances ; et puis, il n'y avait pas d'ombre de parties belligérantes ; la transformation politique s'est faite d'un seul coup. Aujourd'hui, au contraire, on ne peut nier l'état permanent d'hostilité en Italie, on ne peut nier qu'il n'y ait des parties belligérantes. Oui, il s'agit de reconnaître ce qui n'existe pas réellement ; il s'agit de reconnaître un état de possession, alors qu'il y a encore des parties évidemment belligérantes ; il s'agit de protester contre le traité de Zurich, comme je l'ai déjà établi, traité que le Piémont lui-même a juré d'observer et que la France n'a pas abandonné.
Je ne crains pas de dire que ce qui se fait actuellement en Italie tournera contre nous. D'honorables amis, qui ont parlé avant moi, l'ont dit, la constitution du royaume d'Italie est une arme dirigée contre la Belgique elle-même.
En voulez-vous une nouvelle preuve ? Je la puise dans le toast qui a été porté dernièrement à Paris, dans un dîner politique, en l'honneur de M. Rattazzi.
Là, on n'a pas caché ses sympathies, ses espérances ; on a fait appel à l'union des races ; on n'a pas excepté la Belgique. Or, comment M. Rattazzi qui est désigné par l'opinion publique pour remplacer bientôt M. Ricasoli ; comment M. Rattazzi a-t-il répondu à ce toast ? Dans sa réponse, qui est très significative, je trouve en substance ce qui suit :
« A cette époque, où l'on voit se grouper les nations sœurs, l'union de la race latine n'est pas un vain mot.... Que la crise arrive et la France verra comment l'Italie comprend sa dette de reconnaissance et ses devoirs de solidarité. »
Messieurs, savez-vous comment ces paroles ont été interprétées par la presse anglaise ? Comme une menace contre les nations d'origine germanique, comme une tendance à la fusion de toutes les populations d'origine latine.
Un journal anglais que j'ai lu ce matin même, The Economic, ne craint pas de dire que « c'est une rupture avec l'opinion publique de l'Europe ! »
Ainsi, il est évident, d'après ces tendances, d'après les faits qui se sont accomplis et d'après ce qui se passe encore sous nos yeux, il est évident que l'unification de l'Italie, telle qu'on entend la constituer, est une protestation contre la Belgique indépendante.
En reconnaissant le royaume d'Italie dans les circonstances actuelles, vous violez évidemment les devoirs de la neutralité, vous méconnaissez les intérêts les plus chers du pays, vous préparez à la Belgique le sort des peuples annexés, vous la rendez moralement impuissante à faire valoir un jour ses droits à l'indépendance dans les conseils de l'Europe.
- Des membres. - Très bien !
(page 78) M. De Fré. - Je demande la parole pour un fait personnel.
M. le président. - M. De Fré, je n'ai rien remarqué de personnel à votre égard dans le discours de M. de Haerne.
M. De Fré. - Pardon, M. le président.
M. le président. - Vous avez la parole, mais renfermez-vous dans le fait personnel.
M. De Fré. - Messieurs, j'ai demandé la parole non pour répondre au discours de l'honorable M. de Haerne, mais pour un fait personnel.
Messieurs, dans une discussion où, à entendre l'honorable membre défendre l'avenir et le salut de la papauté, il est venu nous parler des amours du Tasse. (Interruption.)
Je prierai l'honorable M. Nothomb de parler un peu plus haut. S'il veut m'interrompre. Je lui répondrai.
M. Nothomb. - Il n'y a pas de fait personnel dans les amours du Tasse.
M. le président. - Qu'on n'interrompe pas ; la parole est continuée à M. De Fré.
M. De Fré. - Je ne suis pas étonné que les affaires du pape soient en si mauvais état, lorsqu'il a pour lui des défenseurs aussi peu sérieux. (Interruption.)
J'ai le droit de parler.
M. le président. - Répondez au fait personnel.
M. De Fré. - L'honorable membre, à propos du Tasse, a fait des allusions que j'ai été étonné, très étonné de trouver dans sa bouche. Ces allusions me rappellent un peu les mœurs de la régence : mais il y avait, entre les chanoines de ce temps-là et ceux d'aujourd'hui, cette différence, que ceux-là avaient de l'esprit et s'exprimaient toujours dans un langage décent. (Interruption.)
M. le président. - Répondez au fait personnel.
M. de Theux. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. - Vous avez la parole.
M. de Theux. - Messieurs, je crois que l'honorable M. De Fré sort entièrement du fait personnel ; il vient même de prononcer des paroles qui sont de véritables personnalités. Je demandé dès lors que cet incident soit terminé.
- Des membres. - Appuyé !
M. de Haerne. - Si l'incident continue, je demanderai à répondre.
M. De Fré. - Je crois que j'ai été mis personnellement en cause, lorsque l'honorable M. de Haerne a demandé si, le Tasse étant venu troubler mon intérieur, je ne me serais pas conduit comme le duc de Ferrare.
M. de Haerne. - Ce n'est pas tout à fait ainsi.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Vous l'avez dit.
M. de Haerne. - Je répéterai, exactement, ce que j'ai dit. Ces paroles, je les avais écrites.
Messieurs, laissez-moi achever, je vous prie. Encore un mot et j'ai fini.
L'honorable M. de Haerne se permet des allusions qu'aucun autre membre de cette assemblée ne se permettrait, parce qu'il représente ici un double pouvoir, le pouvoir spirituel et le pouvoir laïque. (Interruption.)
M. le président. - M. De Fré, je crois que, s'il y a eu quelque chose de personnel dans ce qu'a dit l'honorable M. de Haerne, vous y avez suffisamment répondu.
M. De Fré. - Veuillez permettre, M. le président, que j'achève ma phrase.... De sorte que si le pouvoir est double on ne peut jamais s'adresser à aucun d'eux, s'il vous a froissé.
M. de Haerne. - S'il y a quelque chose de personnel, c'est à coup sûr dans ce que vient de dire l'honorable membre. Je ne tiens pas à répondre aux allusions qu'il a faites. Cela est, je pense, en dessous de ma réputation et ne saurait me toucher.
M. De Fré. - Il ne fallait pas les provoquer.
M. de Haerne. - J'ai répondu à ce que vous avez dit hier. Commoec'est un fait historique, je l'ai écrit et je l'ai accompagné de la petite phrase que voici :
J'avoue que le duc de Ferrare aurait dû avoir égard à l'état de faiblesse mentale où était tombé le grand poète. J'ai ajouté : « Si un homme excentrique, eût-il le génie de l'auteur de la Jérusalem délivrée, venait abuser de l'hospitalité et troubler le foyer domestique de l'honorable membre, comme fit Torquato Tasso à la cour de Ferrare, je pense qu'il lui ferait subir un petit martyre. »
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - C'est cela.
M. de Haerne. - Si vous prétendez que la plaisanterie est peu parlementaire, je vous le concède volontiers ; mais ce n'était qu'une plaisanterie qui n'avait rien de personnel.
M. le président. - L'incident est clos.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le projet de loi fixant le ressort du conseil de prud'hommes de Renaix.
M. le président. - Il est donné acte de ce dépôt à M. le ministre. A qui la Chambre veut-elle confier l'examen de ce projet de loi ?
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Comme cet examen est assez urgent, je demande que le projet de loi soit renvoyé, selon les usages de la Chambre, à une commission à nommer par le bureau.
- Cette proposition est adoptée.
M. le président. - Le projet de loi sera renvoyé à une commission de cinq membres.
M. le président. - La parole est à M. d'Hoffschmidt, inscrit pour.
- Plusieurs membres. - A demain ! à demain !
M. le président. - Il n'est que 4 heures et demie.
M. d’Hoffschmidt. - Il me semble que la Chambre n'est pas disposée à prolonger la séance.
- Plusieurs voix. - Si ! si ! parlez !
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, au point où en est arrivée cette discussion, je ne me propose pas de me livrer à une dissertation historique sur la grande révolution qui vient de s'accomplir en Italie.
Quel que soit l'intérêt puissant qui s'attache à ce débat rétrospectif, je ne pense pas qu'il soit nécessaire pour apprécier la question qui nous est soumise.
Je me bornerai donc à examiner cette question dans les limites où il me semble qu'ell e doit être renfermée.
J'approuve entièrement, messieurs, l'envoi d'un ministre plénipotentiaire accrédité près de S. M. le roi d'Italie.
Je l'approuve surtout depuis les explications si claires, si nettes, si catégoriques qui nous ont été données par MM. les ministres des affaires étrangères et des finances.
Il ne s'agit pas pour nous, quoi qu'on en dise, d'approuver ou d'improuver les événements, les moyens qui ont amené la formation du royaume d'Italie. Il s'agit moins encore de nous immiscer dans les questions graves que soulève la formation de ce royaume.
Oh ! si le gouvernement était venu nous présenter l'envoi de M. Solvyns à Turin comme une approbation, de sa part, de tout ce qui s'était fait, comme une immixtion en quelque sorte dans ces grandes questions de Venise et de Rome, alors j'aurais été un des premiers h blâmer cet acte que j'eusse considéré comme une des plus grandes fautes que puisse commettre le gouvernement d'un pays neutre.
Mais ce serait une étrange aberration que de croire que parce qu'on envoie un agent diplomatique près d'un gouvernement nouveau, on approuve par cela seul tout ce que ce gouvernement a fait, on approuve ses projets pour l'avenir, on prend fait et cause en quelque sorte pour lui.
(page 79) Jamais, messieurs, semblable signification n'a été donnée à l'envoi d'un agent diplomatique près d'un gouvernement étranger.
D'après des usages séculaires, on envoie des ministres plénipotentiaires, des agents diplomatiques près d'un autre gouvernement uniquement dans le but d'entretenir de bons rapports avec lui et de soutenir les intérêts de ses nationaux.
Voilà à quoi se borne la signification de l'envoi d'un agent diplomatique.
Nous donnons au roi Victor-Emmanuel le titre de roi d'Italie parce qu'on le nomme ainsi à Turin, à Milan, à Florence, à Bologne et à Naples ; parce que le parlement italien l'a acclamé sous ce nom ; parce que beaucoup de puissances européennes, parmi lesquelles figurent la France et l'Angleterre, lui ont déjà accordé le titre de roi d'Italie.
Ce n'est pas la première fois, messieurs, que la Belgique reconnaît des gouvernements nouvellement établis.
En 1848, par exemple, nous avons, comme on l’a dit déjà, reconnu la république française. Les événements de 1848 étaient bien autrement graves pour la Belgique que ceux qui se passent en Italie ; ces événements avaient précipité du trône un monarque que nous vénérions, un roi citoyen ; ils avaient substitué la forme républicaine à la forme monarchique. Eh bien, huit jours après les événements du 24 février, le prince de Ligne recevait l'ordre, comme ambassadeur de Belgique à Paris, de remettre ses lettres de créance entre les mains du gouvernement provisoire de la république française.
Plus tard, nous avons été plus loin ; nous avons reconnu même l'empire germanique et admis à Bruxelles, comme représentant du vicaire de l'empire, un ministre plénipotentiaire, le baron de Drachenfels.
Eh bien, est ce que nous approuvions par là tout ce qui s'était fait en France et en Allemagne ? Pas le moins du monde. Est-ce que cela nous a valu le moindre reproche de la part des représentants des nations étrangères ? Loin de là, messieurs, il y a dans les bureaux du département des affaires étrangères un carton rempli de lettres de félicitations de la paît de tous les gouvernements de l'Europe sur l'attitude de la Belgique, sur la sagesse de son gouvernement et de sa diplomatie.
Je ne puis donc pas, pour ma part, attacher cette immense importance que l'opposition veut donner à l'envoi d'un ministre plénipotentiaire à Turin, et à la reconnaissance du royaume d'Italie.
Je ne puis pas croire avec l'opposition que cet acte puisse engendrer des dangers pour la Belgique, dans l'avenir. Ce sont là, messieurs, de véritables exagérations, des craintes que rien ne justifie. Je crois que, n'étaient nos débats actuels et l'éloquence qu'on y déploie, on n'eût plus songé, en Europe, au bout d'un mois, à la reconnaissance par la Belgique roi d'Italie.
Par exemple, la Suisse se trouve dans une position analogue à celle de la Belgique. C'est un pays neutre. La Suisse a reconnu le roi d'Italie. Cela a-t-il impressionné les puissances européennes ? Nullement ; messieurs, on s'en est même si peu occupé qu'un honorable membre de la droite ignorait que la Suisse eût reconnu l'Italie.
Vous le voyez donc bien, messieurs, ce n'est pas là un événement d'une portée immense qui excite une grande sensation en Europe et qui puisse nous susciter des dangers dans l'avenir.
Je suis bien convaincu que mon honorable ami M. le ministre des affaires étrangères en posant l'acte dont nous nous occupons, n'a subi aucune pression ; qu'on ne lui a fait à cet égard aucune représentation sérieuse et qu'il a agi dans toute la plénitude de sa liberté.
On a soutenu aussi que l'acte de la reconnaissance de l'Italie était en désaccord avec nos devoirs de neutralité. Gardons-nous, messieurs, d'étendre les obligations qui nous incombent, comme puissance neutre, car si nous allions trop loin dans cette voie, nous pourrions courir le risque de nuire à notre propre liberté et à nos droits de souveraineté. Les devoirs de la neutralité sont limités, comme on l'a exposé à différentes reprises dans cette discussion, à l'obligation de ne pas intervenir en faveur de belligérants, de ne pas intervenir dans les conflits européens.
Mais en dehors de cette obligation, nous sommes parfaitement libres de poser tous les actes qui conviennent à nos intérêts et à notre dignité. Il n'a jamais été contesté qu'un pays neutre peut envoyer à tout gouvernement, récemment établi, des agents diplomatiques et recevoir des représentants de ces gouvernements quelle que soit leur origine. Il suffit qu'un gouvernement soit constitué, qu'il y ait un souverain, un parlement, une armée, une autorité, un pouvoir reconnu, pourvu que les intérêts du pays réclament qu'on envoie près ce gouvernement un agent quelconque pour protéger nos nationaux et pour établir de bonnes relations avec ce gouvernement.
Je suis d'autant plus surpris de voir l'opposition s'efforcer de donner les plus vastes proportions à cette question, qu'au fond elle diffère très peu avec le ministère : ils ne diffèrent que sur une question d'opportunité.
L'opposition ne nous dit pas : Il ne faut jamais reconnaître le royaume d'Italie parce que c'est un gouvernement établi par la corruption, par la trahison.
Elle se borne à déclarer qu'on s'est trop hâté et que si elle eût été au pouvoir elle eût encore ajourné la reconnaissance de ce nouveau royaume.
En définitive, nous n'avons plus qu'à nous prononcer entre deux systèmes : entre celui du gouvernement et celui qui a été mis en avant par quelques membres de l'opposition.
Le système du gouvernement, c'est l'envoi immédiat d'un ministre plénipotentiaire près le roi d'Italie ; le système de l'honorable M. Vilain XIIII consiste à user d'une espèce d'expédient en envoyant son ministre à Turin, en l'accréditant près du roi Victor-Emmanuel auquel on refuserait le titre de roi d'Italie.
Il y a un autre système, préconisé par l'honorable M. de Theux : le maintien d'un simple chargé d'affaires à Turin.
Eh bien, je dirai avec l'honorable M. Lebeau que je suis convaincu que l'honorable M. Vilain XIIII eût hésité, étant ministre, à adopter le système qu'il préconise aujourd'hui ; et, s'il l'eût mis en pratique, il se fût exposé certainement aux plus graves difficultés, et il lui eût été impossible de le faire prévaloir près de cette Chambre et près du pays.
Quant au maintien d'un simple chargé d'affaires, l'honorable M. de Theux n'a pas fait attention, d'abord, que nous avons à Bruxelles depuis longtemps un ministre plénipotentiaire accrédité par le gouvernement du roi Victor-Emmanuel ; ensuite qu'en diplomatie la réciprocité exige que nous ayons à Turin un agent revêtu du même grade.
Si donc nous avions envoyés à Turin un simple chargé d'affaires, nous nous serions exposés à des représentations auxquelles M. le ministre des affaires étrangères se fût sans doute trouvé fort embarrassé de répondre.
Ensuite nous sommes en présence d'un fait qu'il ne faut pas oublier. Il y a déjà trois mois que le comte Montalto a notifié à notre gouvernement que le roi Victor-Emmanuel a pris le titre de roi d'Italie. Pouvions-nous prolonger cette situation sans nuire aux intérêts de notre pays ?
N'aurait-on pas le droit de dire qu'on l'a déjà prolongée bien longtemps ? Ne s'exposerait-on pas ainsi à compromettre les bons rapports qui existent entre le gouvernement de Turin et le gouvernement belge, et les sympathies qui existent entre la Belgique et l'Italie ?
Nous avons tout intérêt à les fortifier, à conserver la bonne situation que nous avons vis-à-vis de ce beau royaume d'Italie.
De tout temps nous avons toujours attaché une grande importance à maintenir nos relations sur un bon pied avec le Piémont, alors que ce pays ne comprenait que 4 millions d'habitants ; comment n'y attacherions-nous plus la même importance maintenant, que ce royaume comprend 22 millions d'âmes ?
Une pareille politique serait étrange, elle ne serait pas dans l'intérêt du pays.
Je donne donc mon entière approbation à la marche suivie par le gouvernement et j'ai la conviction qu'elle ne peut entraîner aucun danger pour le pays.
- Plusieurs voix. - A demain !
M. le président. - Voici comment le bureau a composé la commission chargée d'examiner le projet de loi déposé par M. le ministre de l'intérieur : MM. Jacquemyns, Magherman, Crombez, Thienpont et Cumont.
- La séance est levée à 4 heures 3/4.