(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)
(page 19) (Présidence de M. Vervoort.)
M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Florisone, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes.
« Des industriels à Bruxelles demandent que le gouvernement ajourne à deux ans la conclusion d'un traité de commerce avec l'Angleterre, ou du moins que le tarif de douane soit modifié par voie de disposition législative et non par traité. »
« Même demande d'industriels et négociants à Gand. »
M. Kervyn de Volkaersbeke. - Je demande que ces requêtes soient renvoyées à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.
M. Jacquemyns. - Je demanderai également un prompt rapport.
- Le renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport est adopté.
« La dame Lehouque demande que le principe de l’arrêté royal du 6 avril 1859, concernant la pension des veuves, lui soit rendue applicable. »
- Même renvoi.
« Le sieur Pierquin demande qu'on lui avance les frais d'une excursion au Mont-Blanc. »
- Même renvoi.
« Le sieur Blondiau, fabricant de glucose à Alost, prie la Chambre de décider s'il doit être admis, un jour de fête légale, à faire une déclaration de travail au bureau de sa résidence. »
- Même renvoi.
« L'administration communale de Moll appelle l'attention de la Chambre sur l'insuffisance de l'indemnité accordée par le gouvernement pour les logements militaires. »
- Même renvoi.
« L'administration communale de Gand demande que la législation relative aux bourses d'études pour l'enseignement supérieur soit révisée. »
- Même renvoi.
M. Jacquemyns. - Je demande également un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
« Les membres du conseil communal de Wachtebeke demandent que le chemin de fer projeté de Gand à Terneuzen passe par Oostacker, Wachtebeke et Axel. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Melen prie la Chambre d'autoriser la concession du chemin de fer projeté par le plateau de Herve. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Labens, conseiller communal à Lichtervelde, demande si l'article 69 de la loi communale l'autorise à examiner les comptes des institutions de bienfaisance, et si l'article 63 lui donne le droit de faire statuer le conseil sur ce qu'il trouverait de désavantageux pour la commune. »
- Même renvoi.
« Les membres du conseil communal de Bagimont présentent des observations sur le chemin de fer projeté de Bastogne à Sedan, et prient la Chambre d'adopter le tracé par Herbeumont, Beaumont (Bouillon) et la vallée de Givonne. »
- Même renvoi.
« Le sieur Lindemans, brigadier de la gendarmerie, pensionné, demande une augmentation de pension. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Grand-Jamine demande une loi qui fixe le minimum des traitements des secrétaires communaux. »
« Même demande du conseil communal de Villers-le-Bouillet. »
- Même renvoi.
« Les juges de paix des cantons de Boussu, Pâturages, Dour et Chièvres prient la Chambre de porter au budget de la justice l'allocation nécessaire pour augmenter les traitements des juges de paix des cantons ruraux. »
- Renvoi à la section centrale du budget de la justice.
« Des officiers pensionnés, à Malines, prient la Chambre d'améliorer leur position. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les facteurs des postes attachés au bureau de perception de Tirlemont demandent une augmentation de traitement. »
« Même demande des facteurs des postes à Herve, Mettet, Iseghem, Gembloux, Nandrin. »
- Renvoi à la section centrale du budget des travaux publics.
« Les facteurs attachés au bureau de perception des postes à Wavre demandent une augmentation de traitement et qu'on leur accorde, pendant l'année, certains jours de repos. »
« Même demande des facteurs des postes à Perwez. »
- Même renvoi.
« Le sieur Vormessen, dit Woremsen, télégraphiste adjoint à Bruxelles, demande la naturalisation ordinaire avec exemption du droit d'enregistrement. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Des habitants de Bruxelles demandent qu'il soit pris des mesures pour maintenir le travail dans les ateliers, faire abaisser le prix des denrées alimentaires et diminuer les impôts qui pèsent sur la consommation. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Jean-Gustave-Adolphe Klicmann, sergent-major au 3ème régiment de ligne, prie la Chambre de le relever de la déchéance de la naturalisation ordinaire qui lui a été conférée par la loi du 10 mars 1860. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Le sieur Désirée demande une augmentation de solde pour les sous-officiers et soldats d'infanterie, les gendarmes et brigadiers de l'artillerie. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Destrée demande qu'il soit construit une maison d'école pour les hameaux de Bambois et du Haut-Vent, qui dépendent de la commune de Fosses. »
- Même renvoi.
« Le sieur Destrée demande la construction d’un chemin de fer de Fosses à Tamines. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Destrée déclare que son désir est de se rendre utile à la société »
« Des habitants de Fosses, Floreffe, Moignelée, Mornimont appuient cette déclaration. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Floreffe prient la Chambre de revenir sur la décision qu'elle a prise, le 16 mai dernier, au sujet d'une pétition du sieur Destrée.»
- Même renvoi.
« Le sieur Destrée demande qu'il soit célébré annuellement dans chaque commune un service funèbre pour la Reine Louise-Marie. »
- Même renvoi.
« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces- de l'instruction, quatre demandes de grande naturalisation et quinze demandes de naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« M. le ministre des finances transmet une note explicative des modifications qu'il y a lieu d'introduire au budget des voies et moyens pour l'exercice 1862. »
- Cette note sera imprimée et distribuée.
« M. Dechamps, retenu par indisposition, demande un congé. »
- Accordé.
M. le président. - J'ai reçu la lettre suivante :
« Schaerbeek, le 19 novembre 1861.
« Monsieur le président,
« Alité et très souffrant depuis seize jours, je gardais l'espoir d'assister à la discussion de l'adresse ; cet espoir, je ne l'ai perdu qu'aujourd'hui. J'en suis d'autant plus contrarié que je me proposais de prendre part aux débats dans le but principal de soumettre à la Chambre un travail assez complet sur la réforme des lois de milice, réforme que je voudrais voir venir en premier lieu comme étant la plus urgente et la plus impatiemment attendue des quarante mille familles que le tirage au sort inquiète chaque année.
« Veuillez, M. le président, transmettre à la Chambre l'expression de mes vifs regrets et agréer personnellement celle de mes sentiments les plus distingués.
« (Signé) Coomans. »
(page 20) Les sections se sont constituées comme suit :
Première section
Président : M. B. Dumortier
Vice-président : M. Crombez
Secrétaire : M. H. Dumortier
Rapporteurs de pétitions : M. Beeckman
Deuxième section
Président : M. Sabatier
Vice-président : M. Loos
Secrétaire : M. de Smedt
Rapporteurs de pétitions : M. Janssens
Troisième section
Président : M. de Breyne
Vice-président : M. Savart
Secrétaire : M. Jamar
Rapporteurs de pétitions : M. Van Volxem
Quatrième section
Président : M. de Ruddere de Te Lokeren
Vice-président : M. Ansiau
Secrétaire : M. de Baets
Rapporteurs de pétitions : M. Vander Donckt
Cinquième section
Président : M. le Bailly de Tilleghem
Vice-président : M. de Renesse
Secrétaire : M. Van Humbeeck
Rapporteurs de pétitions : M. de Paul
Sixième section
Président : M. Van Leempoel
Vice-président : M. de Gottal
Secrétaire : M. Van Overloop
Rapporteurs de pétitions : M. Van Renynghe
MM. Tack, Braconier, Van Iseghem, Nothomb, Rodenbach et de Naeyer.
- MM. Faignart et Julliot, dont les pouvoirs ont été vérifiés, prêtent serment.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - J'ai l'honneur de déposer un projet de loi approuvant un traité de commerce entre la Belgique et la Sublime Porte.
- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi ; la Chambre en ordonne l'impression et la distribution et le renvoie à l'examen des sections.
M. de Gottal. - Messieurs, dans la session dernière, le conseil provincial d'Anvers a adressé à la Chambre une pétition tendante à obtenir la révision des lois qui régissent les servitudes militaires. Aucun rapport n'a été présenté sur cette pétition.
En présence de la décision que vient de prendre le département de la guerre de mettre immédiatement et dans toute leur rigueur à exécution les dispositions de ces lois, je crois qu'il est urgent que la Chambre et le gouvernement examinent sérieusement cette question. Il me semble qu'il est plus que temps de réviser une législation qui, bien que les cours et tribunaux croient devoir encore l'appliquer, ne m'en paraît pas moins renfermer des dispositions iniques qui sont entièrement incompatibles avec les principes d'équité et d'égalité inscrits dans notre Constitution.
Je prierai donc la Chambre de vouloir bien décider qu'un prompt rapport lui sera présenté sur la pétition du conseil provincial d'Anvers.
- Cette proposition est adoptée.
M. le président. - La discussion générale est ouverte.
M. B. Dumortier. - Messieurs, la discussion qui s'engage en ce moment est une des plus graves et une des plus importantes qui aient pu avoir lieu depuis notre existence politique.
Il s'agit d'un discours du Trône qui, comme vous le savez tous, est l'œuvre des ministres et qui présente un caractère tel, qu'il est à la fois un événement nouveau et un bouleversement complet de nos institutions. C'est ce que nous verrons, lorsque nous arriverons aux articles de l'adresse.
Mais quand un fait aussi grave se présente, il importe à la Chambre des représentants, il importe au pays entier de connaître les motifs qui amènent dans la politique des événements de cette importance, des événements aussi inattendus pour le pays.
Chaque fois, messieurs, qu'un ministère se forme ou se reforme, il doit au pays des explications, et ce sont ces explications que je viens demander.
Je demanderai donc que le ministère veuille bien dire pourquoi M. de Vrière a quitté le cabinet, pourquoi M. Frère y est rentré, pourquoi M. Vanderstichelen y est resté, pourquoi M. Rogier a changé de ministère.
J'attendrai les explications du cabinet.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs nous accueillerons toujours avec satisfaction les demandes d'explications qui nous seront faites, et que nous avons passé plusieurs années à provoquer de la part de la droite sur la politique du cabinet. Nous sommes heureux que sous ce rapport un changement semble s'être opéré dans l'attitude de l'opposition, et nous espérons que l'occasion nous sera enfin offerte de donner sur notre politique des explications complètes.
On vient de nous poser quatre questions que j'appellerai préalables, relatives à quatre membres du cabinet. On nous demande pourquoi notre honorable collègue et ami M. de Vrière est sorti du cabinet et pourquoi j'occupe sa place. Je répondrai en deux mots qu'il en est sorti parce que cela lui a paru convenable, que sa retraite est toute volontaire et que si je suis entré au département des affaires étrangères, c'est parce que l'honorable M. de Vrière en est sorti.
Etant entré au ministère des affaires étrangères sans avoir la prétention de suivre un exemple qui nous avait été donné en d'autres temps, sentant d'ailleurs mon insuffisance pour remplir un pareil rôle, je n'ai pas cru devoir diriger à la fois, comme on l'a vu à une autre époque, le département de l'intérieur et le département des affaires étrangères.
Nous avons en conséquence appelé à nous, pour prendre la place de ministre de l'intérieur, notre honorable collègue et ami M. Vandenpeereboom qui, indépendamment de toutes les qualités qui le recommandaient au Roi et aux Chambres, avait aussi l'avantage de compter sur les bancs de la gauche un grand nombre d'amis.
Enfin, l'on nous demande, messieurs, et cette question nous étonne, on nous demande pourquoi M. Frère est rentré. Lorsque notre honorable ami a quitté le ministère sur une question spéciale, nous avons toujours conservé l'espoir que sa retraite ne serait que momentanée ; nous avons toujours agi et parlé comme si notre honorable ami continuait à siéger dans les conseils de la couronne, bien convaincus que le jour où nous ferions un appel à son patriotisme et à son dévouement, il vaincrait de justes répugnances pour venir, par sa présence, fortifier l'opinion libérale et au sein du cabinet et au sein de la Chambre.
Voilà pourquoi l'honorable M. Frère est rentré, et je suis persuadé que sa présence dans le cabinet doit faire un grand plaisir à l'honorable M. Dumortier.
M. B. Dumortier. - Cela m'est bien indifférent.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Voilà ce que j'avais à répondre, quant à présent, à M. B. Dumortier.
Je crois avoir rencontré les diverses questions qui nous ont été posées par l'honorable membre, et j'aime à croire que le débat prendra de plus larges proportions.
M. B. Dumortier. - Oui, il est bien nécessaire que le débat prenne de plus larges proportions ; car ce n'est pas sérieux de venir déclarer, en réponse à une interpellation, que si on est sorti d'un ministère, que si on est entré dans un autre ministère, c'est parce que cela a fait plaisir.
Est-ce ainsi que se pratique le régime représentatif ? Dans un gouvernement constitutionnel, si les ministres ne doivent pas rendre compte de leur conduite privée au parlement, ils lui doivent compte au moins de leur conduite politique.
Que l'honorable membre se rappelle ses précédents.
Chaque fois qu'il siégeait dans l'opposition et qu'il y avait au pouvoir un nouveau ministère ou un ministère modifié, il demandait au nouveau ministère les motifs de son arrivée aux affaires, ou au ministère modifié pourquoi les changements avaient eu lieu dans son sein.
Or, aujourd'hui, les modifications que vient de subir le cabinet paraissent en avoir apporté de considérables dans la politique du pays. Le discours du Trône contient une foule de promesses et d'engagements, parle d'une foule d'abus dont il n'avait jamais été question autrefois.
Que s'est-il donc passé pour que le discours du Trône s'exprime d'une manière si inattendue ?
L'honorable membre dit qu'il est charmé de voir que la droite sort de son système de mutisme et qu'elle veut engager un débat.
Messieurs, la droite n'est jamais resté dans un système de mutisme ; l'honorable membre sait parfaitement bien pour quels motifs patriotiques le grand parti conservateur a consenti à sacrifier ses justes répugnances ; il a fait le sacrifice de ses griefs, afin d'éviter que dans un moment critique il n'y eût dans le pays des germes de division dont l'étranger pût profiter.
Notre conduite a donc été dictée par le patriotisme ; elle n'a été le résultat ni de la faiblesse, ni de la lâcheté. La droite conservatrice ne (page 21) connaît pas ces sentiments-là ; elle ne connaît qu'un sentiment, celui de son devoir.
Si la droite remplit son devoir, je crois que le gouvernement doit aussi remplir le sien ; il doit nous expliquer pourquoi ces changements dans la politique intérieure du pays ont eu lieu ; pourquoi surtout l'honorable M. de Vrière est sorti du ministère, lui qui paraissait fort bien assis dans son fauteuil ministériel.
Cela est d'autant plus désirable qu'un grand événement politique s’est passé, je veux parler de la reconnaissance du royaume d'Italie.
Eh bien, je ne demande pas seulement que M. le ministre des affaires étrangères veuille bien répondre catégoriquement aux questions que j'ai posées, en sortant des banalités et en entrant dans le domaine de la vie publique ; mais je demande encore que le gouvernement dépose sur le bureau toutes les pièces relatives à l'envoi d'un nouvel ambassadeur en Italie ; qu'il dépose notamment la correspondance qui, au dire des journaux ministériels, a été échangée entre le département des affaires étrangères et l'envoyé du roi de Naples ; car il s'agit de faire disparaître un incident qui peut-être n'a pas de gravité, mais qui peut-être aussi a une portée immense pour le pays.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, du moment que l'honorable membre précise les questions, je ne demande pas mieux que de lui répondre ; je lui promets que, sous ce rapport, il aura toute satisfaction.
L'honorable membre attribue la retraite de M. le baron de Vrière à des causes qui ont surgi dans les derniers temps.
Il est de fait qu'à un moment donné l'honorable M. de Vrière ne s'est pas trouvé d'accord sur un point avec ses collègues.
Les opinions qu'il avait émises relativement à l'opportunité de la reconnaissance plus ou moins prochaine du royaume d'Italie ne lui ont point paru compatibles avec un acte qui, ayant pour objet cette reconnaissance immédiate, devrait être pose par lui.
Nous avons pensé, nous, que le moment était venu de poser cet acte. Notre honorable collègue a déclaré que le ministère avait de sérieuses raisons d'agir ainsi, qu'il ne le blâmait pas, qu'il reconnaissait que les circonstances rendaient cet acte en quelque sorte nécessaire.
Mais, du reste, la retraite de l'honorable membre a été toute volontaire ; il s'est retiré dans les meilleurs termes avec ses collègues et je suis convaincu que cette divergence de vues, partielle et momentanée, n'empêchera pas notre honorable collègue de prêter son concours entier au cabinet.
A cette occasion, messieurs, on a demandé que le gouvernement déposât sur le bureau la correspondance qui a été échangée avec le ministre d'une puissance qui, aujourd'hui, a cessé de gouverner en Italie.
On a demandé aussi qu'on déposât toute la correspondance relative à la reconnaissance du royaume d'Italie.
On a été jusqu'à demander le dépôt des lettres de créance délivrées au nouveau ministre belge à Turin.
Quant à ce dernier objet, quant aux lettres de créance, il nous serait d'autant plus difficile de les déposer que notre ministre n'est pas encore à Turin, qu'il n'est pas encore en possession de ses lettres de créance, mais j'ajoute que très incessamment l'honorable ministre dont il s'agit partira de Bruxelles pour se rendre à la cour de Turin, où il sera accrédité.
Jusqu'à ce que cet acte soit posé, jusqu'à ce que notre ministre soit accrédité auprès du roi d'Italie, il pourrait paraître prématuré de déposer la correspondance qui a été échangée à cette occasion.
Mais aussitôt que notre ministre sera accrédité près du roi d'Italie, rien ne fera obstacle à ce que cette correspondance soit déposée.
Maintenant, messieurs, passant aux choses de l'intérieur, l'on a cru voir dans le discours du Trône un changement complet de politique de la part des hommes qui siègent au pouvoir ; on y a vu un événement tout à fait extraordinaire, un bouleversement de tous les antécédents, de toutes nos institutions.
Le projet d'adresse, messieurs, annonce un grand nombre de lois qui ne doivent avoir aux yeux de personne un caractère politique.
Il en est trois qui peuvent revêtir ce caractère. C'est le projet de loi relatif à la répression des fraudes électorales : nous pensons que toutes les opinions ont un égal intérêt à assurer aux élections la loyauté, la sincérité, la liberté dont elles doivent être entourées.
Un second projet de loi est relatif à l'administration des biens destinés aux études.
Enfin un troisième projet de loi concerne l'administration des biens destinés aux cultes.
Voilà trois projets de loi qui paraissent émouvoir vivement l'honorable M, Dumortier.
Hors de là, messieurs, le programme renfermé dans le discours du Trône n’a rien révélé qui paraisse alarmer ou irriter l'opposition. Ces projets seront présentés, ils seront discutés ; c'est alors qu'on pourra apprécier leur portée ; c'est alors qu'on pourra juger s'ils ont pour but de bouleverser nos institution, ou s'ils ne tendent pas, au contraire, à les fortifier et à les améliorer.
Enfin, messieurs, pour ne rien omettre, il y a, dit-on, un vice dans le discours du Trône : c'est l'absence de la mention d'un fait considérable qui a été posé par le cabinet : le discours du Trône se tait sur le fait de la reconnaissance du roi d'Italie.
Ce fait était accompli lorsque le discours du Trône a été communiqué aux Chambres ; nous l'avons considéré comme nécessaire et commandé par les intérêts du pays, commandé par les devoirs de notre neutralité ; mais nous ne nous dissimulons pas que ce fait peut produire sur l'esprit de certains membres de l'opposition une impression plus ou moins pénible.
Nous n'avons pas voulu directement provoquer un grand débat sur ce point. Nous sommes prêts cependant à le soutenir ; nous sommes prêts à défendre cet acte comme tous les autres, mais nous avons cru devoir faire ici preuve de modération en ne faisant pas grand état ni grand éclat de ce fait dans le discours du Trône. Du reste, le fait n'en n'existe pas moins et il est libre à l'opposition d'en tirer contre le ministère tel parti qu'elle voudra.
Je crois maintenant que l'honorable M. Dumortier sera satisfait de ma réponse.
J'ajouterai que lorsque j'ai constaté qu'à diverses reprises nous avions vainement provoqué, de la part de la droite des débats sérieux sur la politique du cabinet, je n'ai nullement incriminé ni accusé la droite de faire preuve de faiblesse ou de peur.
Je me suis borné à constater cette absence de discussion, en dépit des appels qui venaient des bancs ministériels. Mais je prie l'honorable membre, comme ses amis, de croire que, je n'ai entendu me livrer envers eux à aucune insinuation de nature à porter atteinte à leur caractère. Voilà, messieurs, tout ce que j'avais à répondre aux questions qui m'ont été posées.
M. B. Dumortier. - Et les renseignements que j'ai demandés.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Sur quoi ?
M. B. Dumortier. - Sur l'affaire d'Italie.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je crois avoir répondu également sur ce point.
M. Vilain XIIII. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Ces renseignements, je crois les avoir donnés aussi complets que possible.
Quant au dépôt des pièces, la Chambre reconnaîtra que ce dépôt serait plus opportun lorsque notre ministre sera accrédité définitivement près S. M. le roi d'Italie. Du reste, je ne me refuse pas à faire connaître dès maintenant ce que ces pièces peuvent contenir.
M. le président. - La parole est à M. Nothomb.
M. Vilain XIIII. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.
Je voudrais préciser la nature des pièces qu'il nous serait intéressant de connaître avant l'ouverture du débat qui doit avoir lieu relativement à la reconnaissance du roi d'Italie.
Je ne demanderai pas communication des lettres de créance de notre envoyé à Turin ; ces lettres ne sont probablement pas encore rédigées ; du reste la formule des lettres de créance est la même pour tout le monde ; le dépôt de cette pièce serait donc de nul intérêt. Je demanderai le dépôt de la circulaire de M. le baron Ricasoli demandant pour son souverain la reconnaissance du titre de roi d'Italie.
Je demande communication du texte de cette circulaire, je ne pense pas que ce soit un secret qui doive rester renfermé dans les archives du ministère des affaires étrangères.
Je demanderai, en second lieu, le texte des réserves que M. le ministre des affaires étrangères n'aura sans doute pas manqué de faire, en accordant à Victor-Emmanuel le titre de roi d'Italie, réserves que la France, les Pays-Bas, le Portugal ont faites et que le gouvernement belge a dû faire aussi.
Nous avons tous pu lire au Moniteur français, en même temps que la reconnaissance d du roi d'Italie, la réserve de M. Thouvenel, dont le résumé est ceci : que, en reconnaissant le titre de roi d'Italie, le gouvernement français n'entendait ni approuver le passé, ni préjuger l'avenir.
Je pense que M. le ministre n'aura pas fait moins, Je demande donc que (page 22) le cabinet dépose, avec la circulaire du baron Ricasoli, le texte des réserves qu'il aura faites. Il pourrait aussi nous communiquer le texte de la dépêche (il s'agit d'un fait accompli) par laquelle il a notifié à l'ancien envoyé du roi des Deux-Siciles accrédité près de notre gouvernement, que les relations officielles étaient rompues entre le gouvernement belge et le royaume des Deux-Siciles.
Je borne donc ma demande de communication à ces trois choses ; la circulaire de M. Ricasoli, la réserve faite à la reconnaissance du roi d'Italie et la notification officielle faite au ministre de roi des Deux-Siciles.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Est-ce immédiatement ?
M. Vilain XIIII. - Demain. On ne peut pas discuter la question relative à la reconnaissance du roi d'Italie avant de connaître le texte des réserves que vous avez apportées à cette reconnaissance.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je ne voudrais pas que la Chambre pût voir, dans l'espèce de résistance que j'oppose au dépôt immédiat des pièces, la crainte qu'on ne trouvât dans ces pièces matière à accusation contre le ministère.
Ces pièces, je les déposerai en toute confiance. Mais, comme je viens de le dire, la reconnaissance ne sera un fait entièrement consommé, que lorsque notre ministre aura remis à S. M. le roi d'Italie les lettres qui l'accréditent auprès de la cour de Turin.
M. de Theux. - Je demande la parole.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Si les pièces ne sont pas déposées sur le bureau, je ne vois pas cependant grand inconvénient à en donner lecture à la Chambre. De cette façon, je ferai cesser immédiatement cette espèce d'impatience et le débat ne sera pas suspendu.
- Plusieurs membres. - Lisez !
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Elles sont très simples et très claires.
Le 5 août 1861, M. le comte de Montalto adressa la lettre qui suit à M. le baron de Vrière :
« Bruxelles, le 5 août 1861.
« A Son Excellence M. le baron de Vrière, ministre des affaires étrangères, à Bruxelles.
« Monsieur le baron,
« D'après les ordres de mon gouvernement, j'ai l'honneur de notifier à Votre Excellence que le Roi mon auguste souverain a sanctionné le 17 mars dernier la loi votée à l'unanimité par les Chambres législatives du royaume en vertu de laquelle Sa Majesté a pris pour lui et pour ses successeurs le titre de Roi d'Italie. Si le gouvernement du Roi n'avait pris conseil que de sa sympathie pour la Belgique, elle aurait sans doute été une des premières puissances auxquelles cette notification eût été faite, mais différentes circonstances l'ont engagé à différer. Maintenant que ces circonstances ont cessé d'exister, le gouvernement du Roi ne doute pas que cette notification ne reçoive du gouvernement belge une réponse aussi conforme à ses principes qu'aux sentiments d'amitié qu'il lui a toujours témoignés.
« Veuillez agréer, etc.
« (Signé) Comte de Montalto. »
A cette dépêche il n'a pas été donné de suite officielle jusqu'à la date du 6 novembre 1861. Je lirai tout à l'heure la réponse qui a été faite à cette notification. Mais je dois la faire précéder de la lecture de la dépêche que nous avons adressée à M. Carolus, notre envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire près du saint-siège. Je tiens, messieurs, à constater ceci : c'est que le gouvernement belge n'a pas deux conduites, il n'a pas deux langages : le langage qu'il tient à Rome il le tiendra à Turin, le langage qu'il tient à Turin, il le tiendra à Rome. Voici la lettre adressée à M. Carolus.
- Plusieurs membres. - La date ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier) - Le 3 novembre 1861.
« Bruxelles, le 3 novembre 1861.
« A M. Carolus, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de S. M. le Roi des Belges à Rome.
« Monsieur le Ministre,
« Après des communications verbales, renouvelées à diverses reprises, le comte de Montalto a notifié au gouvernement du Roi, par une dépêche officielle du 3 août, le nouveau titre pris par sou souverain, à la suite du vote unanime des chambres du royaume.
« Le cabinet s’est trouvé ainsi mis en demeure de se prononcer sur la reconnaissance du roi d'Italie.
« La mort de M. Lannoy a laissé vacant le poste de ministre du Roi à Turin, et depuis deux mois environ la gestion de la légation a dû être confiée à un secrétaire faisant fonctions de chargé d'affaires ad intérim.
« Cet incident survenu dans nos relations diplomatiques avec la cour de Turin devait avoir pour conséquence d'amener le cabinet à examiner avec une attention nouvelle ce qu'il avait à faire, et cet examen lui a laissé la conviction que le moment était venu pour lui de sortir de la position expectante qu'il avait gardée jusque-là. Agir autrement en laissant le poste vacant, c'eût été modifier gravement cette altitude et lui imprimer une signification peu compatible avec les devoirs de la neutralité et avec les intérêts du pays.
« C'est une règle de droit public généralement admise « que de la part d'une puissance étrangère, reconnaître un autre gouvernement n'est que reconnaître un fait, savoir qu'il est généralement obéi, malgré la libre manifestation qu'un nombre plus ou moins considérable se soit permise d'une opinion contraire. Les puissances étrangères suivent ici la possession si le bien de leurs affaires l'exige. »
« Faut-il le faire remarquer, M. le ministre, en dehors des convenances politiques, de graves intérêts se rattachent à la prompte solution de la question et le gouvernement est obligé d'en tenir un compte sérieux.
« La France négocie avec le gouvernement de Turin un traité de commerce dont la conclusion m'a été annoncée comme prochaine. La Belgique, par un acte récent, vient de placer ses relations commerciales avec ce grand Etat sur un pied favorable ; elle traite dans le même but avec l'Angleterre et suit d'un œil attentif, à Berlin, les négociations engagées entre le Zollverein et la France ; elle ne peut laisser échapper l'occasion et négliger le soin d'assurer à son commerce, sur les marchés d'Italie, des conditions égales à celles que pourront obtenir d'autres puissances qui déjà ont pris les devants.
« En outre, au moment où de grands travaux d'utilité publique sont projetés ou en voie d'exécution dans la Péninsule, il1 importe que nos industriels rencontrent dans ce pays un concours et un appui aussi efficaces que leurs rivaux étrangers.
« Enfin, beaucoup de Belges qui entretiennent des relations d'affaires ou de famille avec les Etats italiens, se trouvent fréquemment gênés par l'impossibilité légale de faire valider les actes destinés à recevoir leur exécution dans les limites du nouveau royaume d'Italie.
« C'est vous en dire assez, M. le Ministre, pour que vous compreniez et fassiez comprendre au besoin que le temps était venu pour la Belgique de ramener à une situation moins tendue des rapports que son abstention prolongée aurait pu refroidir, pour ne pas dire compromettre.
« En reconnaissant le nouveau royaume d'Italie, nous reconnaissons, à leur exemple, un état de possession, sans nous constituer juges des événements qui l'ont établi et nous gardons notre liberté d'appréciation vis-à-vis des éventualités qui pourraient modifier cet état de fait.
« Les journaux ont annoncé prématurément la reconnaissance ; mais le fait est prochain, et vous voudrez bien, M. le ministre, conformer votre langage aux directions que je viens d'avoir l'honneur de vous tracer.
« Au reste votre présence à Rome, auprès du saint-siège, montre assez que l'envoi d'un ministre belge auprès du roi d'Italie ne change rien à nos relations avec la cour de Rome.
« Veuillez agréer, etc.
« (Signé) Ch. Rogier. »
Voilà, messieurs, l'instruction qui a été adressée à M. Carolus ; elle renferme, je pense, de la part du gouvernement belge toutes les considérations ou, si l'on veut, toutes les réserves que l'on pouvait attendre de lui. Cette instruction a été envoyée à tous nos agents diplomatiques à l'étranger, afin qu'ils y conformassent leur langage.
Notre envoyé à Turin la recevra également et il sera autorisé à en donner communication. Je me suis appliqué à en reproduire exactement les termes dans mes entretiens avec le représentant actuel du roi d'Italie près la cour de Bruxelles, et c'est à la suite de ces entretiens que je lui ai adressé la lettre suivante, en réponse à la notification du 3 août :
« A Son Excellence M. le comte de Montalto, etc., à Bruxelles.
« Bruxelles, le 6 novembre 1861,
« M. le comte,
« J'ai déjà eu l'occasion de vous faire connaître de vive voix l’intention du gouvernement du Roi d'accréditer un nouveau ministre près la cour de Turin.
(page 23) « Votre Excellence se rappellera les considérations que j'ai eu l'honneur de lui présenter à cette occasion, considérations que notre nouvel envoyé extraordinaire sera, de son côté, chargé de communiquer au gouvernement de Votre Excellence.
« Je viens aujourd'hui vous informer, M. le comte, que le choix du gouvernement du Roi s'est fixé sur M. Solvyns et que les lettres de créance dont ce ministre sera muni pour le Roi Victor-Emmanuel II, attribueront à ce souverain le titre que, conformément à la loi votée le 17 mars dernier, S. M. a pris pour Elle et pour ses Successeurs.
« Je puis ajouter, M. le comte, que dès à présent le cabinet de Bruxelles, dans les relations qu'il entretiendra comme par le passé avec Votre Excellence, lui reconnaîtra la qualité de ministre du roi d'Italie.
« Veuillez agréer, etc.
« Ch. Rogier. »
Enfin, messieurs, reste une dernière lettre dont on a aussi demandé communication, c'est celle qui a été adressée à M. le commandeur Targioni, représentant de S. M. le roi de Naples à Bruxelles. Elle est datée du 6 novembre.
Lorsque je suis arrivé aux affaires étrangères, mon premier soin a été, suivant l'usage, de notifier aux membres du corps diplomatique mon entrée à ce département. Cette notification, je ne l'ai pas adressée à M. le commandeur Targioni.
J'ai fait témoigner à M. le commandeur le regret que j'éprouvais de ne pas avoir à lui faire cette notification. Je lui fis même exprimer mon intention, si cela pouvait lui être agréable, de me mettre en rapport personnel avec lui, à cette occasion.
M. le commandeur Targioni parut désirer que les relations s'établissent sur un autre pied et j'appris que S. E. insistait pour recevoir une notification écrite. C'est pour ce motif que je lui ai adressé la lettre suivante :
« Bruxelles, le 6 novembre 1861.
« A S. E. M. le commandeur Targioni, etc., à Bruxelles.
« M. le commandeur,
« Appelé par le Roi aux fonctions de ministre des affaires étrangères, j'ai l'honneur d'informer Votre Excellence que le gouvernement belge a résolu de ne point s'abstenir plus longtemps de reconnaître le titre de roi d'Italie pris par S. M. Victor-Emmanuel.
« Vous comprendrez, M. le commandeur, que, par suite de cette circonstance, je me trouve, bien à regret, dans l'impossibilité d'entrer en relations officielles avec Votre Excellence ; mais les rapports personnels que j'ai eu l'avantage d'entretenir avec elle me laisseront toujours un précieux souvenir.
« Je vous prie d'en être persuadé et d'agréer, etc.
« (Signé) Ch. Rogier. »
Voilà, messieurs, la lettre que, sur le désir de M. le commandeur Targioni, j'ai cru devoir lui adresser sous la date du 6 novembre. A cette lettre j'ai reçu une réponse que je me dispenserai de communiquer à la Chambre. Elle renfermait, comme je m'y attendais et comme tout le monde devait s'y attendre, une protestation de M. le commandeur, protestation assez longue et que je ne crois pas de nature à être lue ici. Elle est conçue à peu près dans les mêmes termes que les protestations que l'on connaît déjà.
Telles sont, messieurs, les seules pièces relatives à la reconnaissance du roi d'Italie.
Tout ce que je dis à la Chambre, je l'ai dit ailleurs : le gouvernement n'a aucun motif pour prendre, dans les circonstances actuelles, une attitude équivoque ; il expose franchement à tout le monde les causes qui l'ont déterminé à sortir de l'attitude expectante qu'il avait gardée pendant plusieurs mois.
En reconnaissant les faits accomplis en Italie, il ne les juge pas, pas plus qu'il ne se déclare solidaire des actes qui ont été posés ou qui pourraient l'être dans l'avenir.
Nous avons reconnu une situation de fait, parce qu'ainsi le voulaient l'intérêt du pays et les devoirs de la neutralité.
N'est-il pas évident, en effet, que surtout après le décès de M. Lannoy, après que la place fût restée vacante pendant plus de deux mois, ne pas lui donner de successeur, c'eût été prendre vis-à-vis de la cour de Turin, non pas une position de neutralité, mais une position d'hostilité ?
Or cette position, nous n'avions aucun motif pour la prendre, nous n'avions aucun motif pour entretenir au sein de l'Italie nouvelle un sentiment qui commençait à s'y répandre, le sentiment qui faisait croire qu'en Belgique, l'Italie nouvelle, telle qu'elle est constituée, rencontre partout des adversaires ; que la Belgique, qui possède des institutions conformes à celles que l'Italie s'est données, que la Belgique voyait avec déplaisir, avec haine, avec colère, les faits qui s'étaient accomplis en Italie, et qu'elle se montrait disposée à rompre en quelque sorte avec un gouvernement avec lequel elle avait toujours entretenu les meilleurs rapports.
Cette situation, nous n'avons pas voulu la continuer, nous n'avons pas pensé qu'elle fût compatible avec les devoirs de la neutralité, compatible avec les intérêts du pays.
La Chambre connaît maintenant les faits ; elle les appréciera ; nous nous en rapportons avec confiance à son jugement impartial.
-M. le ministre des affaires étrangères fait ensuite, sur la demande de M. B. Dumortier, une nouvelle lecture d'un passage de la lettre adressée à M. Carolus, où il est question de la reconnaissance du nouveau royaume d'Italie.
M. Nothomb. - En demandant tout à l'heure la parole, j'avais l'intention de poser à M. le ministre des affaires étrangères les mêmes questions que lui a adressées l'honorable M. Vilain XIIII ; je puis dès lors me borner pour le moment à quelques observations.
M. le ministre des affaires étrangères admet que l'acte concernant l'Italie est un des plus graves qui aient été accomplis depuis 1830 et qu'il mérite toute l'attention de la Chambre. (Interruption.)
M. le ministre, vous avez reconnu que l'acte dont il s'agit a ému profondément l'opinion, ici et ailleurs. J'en conclus, messieurs, que pour discuter à fond cette grande question, il est indispensable de sortir des nuages dans lesquels, même malgré les explications de M. le ministre des affaires étrangères, le point essentiel est resté enveloppé ; il nous faut savoir, pour aborder sérieusement ce débat, quelle est la portée réelle, l'étendue véritable au point de vue international, de l'acte concernant l'Italie.
On vient de nous donner lecture d'une lettre adressée à un agent qui n'est pas accrédité près la cour de Turin ; cette lettre semble entourer la reconnaissance du royaume dit d'Italie de quelque ambiguïté, de quelque réticence. (Interruption.) C'est l'impression qui m'est restée de cette lecture ; oui, il m'a paru que dans le passage que M. le ministre a lu deux fois, il y a de l'obscurité et qu'il est fait certaines réserves ; si, au contraire, je m'en réfère à la lettre que l'honorable ministre des affaires étrangères a adressée ces jours derniers à l'envoyé du roi de Naples, il semble qu'il y a rupture complète, absolue, de toutes relations officielles, c'est-à-dire, reconnaissance absolue, également sans restrictions ni réserves, de l'état de choses accompli en Italie.
Je voudrais donc qu'avant tout le gouvernement nous fit connaître d'une manière complète, loyale et franche, quelle est la portée de l'acte qu'il a posé à l'égard de l'Italie. S'agit-il seulement de la reconnaissance du titre, de la dignité du roi d'Italie ? ou l'acte posé implique-t-il réellement la reconnaissance du royaume d'Italie et du changement de souveraineté territoriale qui en serait la suite ? v Telle est la véritable question, préalable au débat. Et pour préciser mieux ma pensée, pour me faire comprendre d'un mot, je demande au gouvernement de nous dire s'il considère comme valables, comme régulières, comme morales et conformes au droit des gens, les annexions qui se sont accomplies en Italie ?
Ma question est claire et nette ; j'attends du gouvernement une réponse également catégorique, et cette réponse il nous la doit, il la doit au pays, il la doit à lui-même.
Quand nous l'aurons, nous discuterons et nous saurons sur quoi.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, je ne pense pas qu'il soit possible d'être plus explicite, plus net, et plus franc peut-être que je ne l'ai été dans cette circonstance. Je ne sais pas même si je me suis renfermé dans la rigueur des usages diplomatiques en communiquant à la Chambre toutes les pièces dès à présent.
Mon désir est de mettre la franchise la plus complète dans les relations étrangères ; je ne pense pas que la diplomatie doive vivre de finasserie, de supercheries ; il y eut un temps où toutes ces pratiques avaient lieu ; mais en Belgique, nous avons, dès les premiers jours de notre émancipation politique, fait de la diplomatie en face du pays ; et fidèle à nos antécédents, je déclare dès maintenant que tout ce qui pourra être communiqué aux Chambres, sans compromettre une situation ou une négociation, leur sera communiqué pleinement et sans réserve.
On vient de me reprocher de n'être pas clair ; eh bien, j'ose dire que si j'ai ici un mérite, c'est celui d'une extrême clarté.
On me demande si le gouvernement entend reconnaître la légitimité de tous les actes qui ont été accomplis.
Mais le paragraphe de ma lettre à M. Carolus est des plus explicites. J'ai dit que le gouvernement ne se porte pas juge, et j'ai ajouté qu'il ne se porte pas non plus solidaire des faits qui se sont passés ; il les accepte comme faits accomplis, il les reconnaît comme faits persistants.
Nous n'avons pas ici de thèse à soutenir sur la légitimité de telle ou telle révolution, sur la légalité de tel ou tel acte ; nous reconnaissons une situation de fait, parce que telle est notre politique, parce que tel est (page 24) notre intérêt ; mais nous ne jugeons pas les événements ; nous n'approuvons ni ne blâmons personne ; nous réservons pour l'avenir notre liberté d'appréciation, comme notre liberté d'action.
Nous avons aujourd'hui des représentants à Rome, à Vienne et à Berne. Nous ne reconnaissons pas l'Italie comme possédée par un seul souverain dans toute son étendue ; nous ne reconnaissons pas les aspirations d'une nation nouvelle dans toute leur extension. Ce sont là des questions sur lesquelles nous n'avons pas à nous prononcer.
M. le président. - La parole est à M. de Theux.
M. de Theux. - J'y renonce, pour le moment, sur l'incident.
M. B. Dumortier. - Je ne veux dire qu'un mot. Je désire que l'on sache que si nous nous arrêtons maintenant dans cette discussion, c'est précisément pour avoir sous les yeux les pièces dont il vient d'être donné lecture. Notre intention n'est pas de déserter une question de cette importance, car je ne crois pas que, depuis 1830, il se soit présenté une question si grosse devant le parlement belge.
Il s'agit de savoir si le droit des petites nationalités vis-à-vis d'un roi cupide est ou non un droit sacré ; il s'agit de savoir si le droit, base unique des petites nationalités et leur seule arme pour résister à la force, si ce droit sera respecté ; et lorsque j'entends le gouvernement, dans les dépêches qu'il vient de nous lire, dire qu'il reconnaît le fait accompli sans préjuger l'avenir, sans se préoccuper de ce qui arrivera plus tard, je dis que dans ce langage le gouvernement reconnaît la légitimité du vol et la légitimité de la restitution.
Or, on ne peut mettre deux faits semblables sur la même ligne. Il n'y a pas de droit contre le droit ; il n'y a pas de droit politique contre le droit politique.
Tout le passé de la Belgique est une protestation contre tout ce qui ressemble à une annexion. En 1830, en reconstituant sa nationalité, elle n'a fait que briser une annexion faite par la diplomatie.
Que voit-on aujourd'hui dans ces extensions territoriales qui ont lieu en Italie ? On n'y voit qu'une seule chose : la volonté d'un roi de s'emparer de tous les petits Etats qui l'avoisinent.
Je dis qu'il est impossible de voir se produire une question plus grave pour l'avenir de notre pays. Je dis que si un jour l'un des Etats qui l'environnent, quel qu'il soit, venait à avoir de pareilles idées, s'il voulait nous annexer, la Belgique, par suite des principes que l'on émet aujourd'hui n'aurait même plus le droit de protester contre un pareil système.
- Plusieurs membres. - Très bien ! très bien !
M. le président. - Quelqu'un demande-t-il encore la parole ?
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - On a annoncé, je pense, une discussion spéciale.
M. Devaux. - Je demande que la discussion générale ne soit pas close.
- Plusieurs membres. - A demain.
M. le président. - On demande que la discussion soit remise à demain.
- Plusieurs voix. - Non ! non !
M. Devaux. - Si les honorables membres de la droite ne sont pas prêts à la discussion qu'ils ont déclaré vouloir aborder, je demande qu'on leur laisse le temps jusqu'à demain et qu'on ne ferme pas la discussion générale dans laquelle la question qui vient d'étre agitée doit évidemment être traitée.
Je demande que cette discussion reste ouverte pour laisser à nos adversaires le temps de se préparer à la lutte qu'ils ont annoncée.
M. Goblet. - Je ne m'oppose pas à ce qu'on remette la séance à demain, mais je demanderai alors qu'on la fixe à midi,
M. Allard. - Nous ne perdrons pas de temps en remettant la séance à demain à 2 heures. Les sections centrales examinent en ce moment des budgets. Pendant la discussion de l'adresse, les rapporteurs pourront faire leurs rapports et nous aurons ainsi des travaux prêts lorsque l'adresse sera votée. Je demande en conséquence que la séance soit fixée à 2 heures.
M. le président. - Je dois faire remarquer que le travail des sections est très sérieux. Elles ont été toutes convoquées hier. Les quatre sections centrales ont pu également se réunir. Il n'y aura donc pas de temps perdu.
M. Goblet. - Je n'insiste pas.
- La séance est levée à 3 heures trois quarts.