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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 13 mai 1861

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)

(page 1589) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Moor, secrétaire, procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. de Florisone donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

. « Des sous-officiers pensionnés demandent une augmentation de pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur A. Lefebvre, vétérinaire, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir du gouvernement un subside de 1,000 fr. qui lui permette de traiter les maladies épizootiques qui sévissent parmi les bestiaux. »

- Même décision.


« Le sieur Jacques Dehaye, facteur de bois et cabaretier à Cerfontaine, né à Froidchapelle (Hainaut), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Le sieur Decorte demande la construction d'une route pavée directe de Wavre à Braine-l'Alleud. »

M. Mercier. - La route dont la construction est demandée par le pétitionnaire doit traverser de nombreuses populations qui manquent aujourd'hui de moyens de communication ; elle a par son importance un caractère d'utilité générale ; je demande un prompt rapport sur cette pétition.

- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.


« M. Van Iseghem informe qu'il doit présider, le 13, le conseil communal d'Ostende et qu'il ne pourra par conséquent assister à la séance de la Chambre. »

- Pris pour notification.


« M. Tack, retenu par des affaires urgentes, demande un congé de deux jours. »

- Accordé.


« M. Van Leempoel, par suite de la mort d'une de ses parentes, demande un congé. »

- Accordé.


« M. Beeckman, retenu par des affaires de famille, demande un congé. »

- Accordé.

Rapport sur une demande en naturalisation

M. Savart. - J'ai l'honneur de déposer le rapport sur la demande en naturalisation du sieur Colson.

Projet de loi approuvant les statuts d’une association pour l’amélioration des habitations ouvrières

Rapport de la section centrale

M. Van Humbeeck. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi portant autorisation pour le gouvernement d'approuver les statuts de l'association fondée à Verviers pour l'amélioration des habitations d'ouvrière,

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

M. David. - L'association qui s'est fondée à Verviers pour l'amélioration des habitations d'ouvriers ne pourra mettre la main à l'œuvre que quand ses statuts auront été approuvés.

Dans la crainte que le temps nous fasse défaut pour nous en occuper avant la fin de cette session, je demande à la Chambre de mettre ce projet à l'ordre du jour de jeudi prochain.

Le rapport sera distribué demain soir, nous pourrons donc le discuter jeudi.

- Cette proposition est provisoirement adoptée.

Projet de loi prorogeant le traité de commerce conclu entre la Belgique et la France

Rapport de la section centrale

M. d’Hoffschmidt. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi présenté par le gouvernement et ayant pour objet la prorogation du traité de commerce conclu entre la Belgique et la France le 27 février 1854.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à l'ordre du jour de demain.

M. Goblet (pour une motion d’ordre). - Je demanderai si on ne pourrait pas dès à présent fixer à vendredi la discussion de la partie du traité conclu avec la France, de la partie commerciale, sur laquelle il n'y a pas de rapport fait. Si ce rapport n'est pas déposé demain ou après-demain, la discussion ne pourra avoir lieu cette semaine, à moins qu’on ne la mettre à l’ordre du jour de vendredi par exemple, qu’il y ait ou qu’il n’y ait pas de rapport fait.

M. le président. - Il est impossible de fixer la mise à l'ordre du jour d'un projet sur lequel il n'y a pas de rapport ; le rapport sur le traité de navigation sera déposé demain, et mercredi très probablement sera déposé le rapport sur le traité de commerce.

M. de Boe. - La convention conclue avec la France relativement à la propriété artistique et littéraire a été examinée et ce rapport a été déposé depuis plusieurs jours. On pourrait s'occuper demain de cet objet.

- Adopté.

M. le président. - Ainsi l'ordre du jour sera fixé comme suit : 1° Continuation, s'il y a lieu, de la discussion du projet de loi dont nous nous occupons en ce moment ; 2° Projet de loi portant prorogation du traité actuel avec la France ; 3° Révision de la loi du 6 avril sur les patentes ; 4° Convention relative à la propriété artistique et littéraire.

Projets de loi accordant des crédits supplémentaires au budget des ministères de l’intérieur et des travaux publics

Dépôt

Projet de loi concédant à la ville de Bruxelles le bois de la Cambre

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre :

1° Un projet de loi, qui ouvre au département de l'intérieur un crédit de 225,000 fr. applicable aux dépenses à résulter de la participation des producteurs belges à l'exposition universelle qui doit avoir lieu à Londres en 1802 ;

2° Un projet de loi qui alloue au département des travaux publics un crédit spécial de fr, 1,510-32 pour payer une créance arriérée ;

3° Un projet de loi qui autorise le gouvernement sous certaines conditions, à concéder à la ville de Bruxelles la partie de la forêt de Soigne, connue sous le nom de bois de la Cambre, d'une contenance de 110 hectares, pour la transformer en promenades publiques.

Si la Chambre n'y voyait pas d'inconvénient, ce dernier projet de loi pourrait être renvoyé à une commission spéciale, afin d'avoir un rapport plus prompt.

J'indique cette voie parce que si l'affaire dont il s'agit n'était pas terminée dans le cours de la présente session, il deviendrait presque impossible de se livrer aux travaux nécessaires avant une époque assez éloignée puisqu'il faut qu'on puisse couper à l'automne prochain.

M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre des finances de la présentation de ces projets de loi.

- La Chambre ordonne le renvoi du troisième projet de loi à une commission spéciale, à nommer par le bureau. Les deux autres projets seront renvoyés aux sections.

- La Chambre décide qu'elle se réunira demain à midi.

Projet de loi relatif à l’exécution de certains travaux d’utilité publique

Discussion des articles et des amendements

Article 5

M. le président. - La discussion continue sur l'article 5. Nous sommes arrivés au paragraphe 3 :

(page 1590) « Art. 5. Paragraphe 3. Pour travaux d'amélioration du port de Nieuport : fr. 200,000. »

M. Rodenbach. - Je regrette que le chiffre pour travaux au port de Nieuport ne soit pas plus élevé. Depuis 1830, on n'a rien fait pour améliorer ce port. Chaque année des plaintes se sont élevées à cet égard. Mais j'espère que le chiffre que nous allons voter n'est qu'un premier crédit et que l'on finira par rendre justice à ce port. Je n'en dirai pas davantage.

-Le chiffre de 200,000 fr. est adopté.


« Art. 5. Paragraphe 4. Pour la canalisation de la Meuse, depuis l'embouchure de la Sambre, à Namur, jusqu'à la limite supérieure du bassin houiller de Chokier : fr. 1,600,000. »

M. le président. - L'amendement suivant a été déposé :

« Remplacer le paragraphe 4 de l'article 5 par la disposition suivante :

« Pour la canalisation de la Meuse :

« A. Depuis l'embouchure de la Sambre, à Namur, jusqu'à la limite supérieure du bassin houiller de Chokier : fr. 1,600,000.

« B. Depuis la frontière française jusqu'à Namur : fr. 400,000.

« Total : fr. 2,000,000. »

M. J. Lebeau. - Messieurs, je croyais que le débat sur la canalisation de la Meuse avait assez occupé la Chambre, pendant la discussion générale, pour qu'on pût espérer qu'une seconde discussion ne serait pas ouverte, à propos des articles. J'espérais surtout que les honorables MM. B. Dumortier et Ch. Lebeau ne reviendraient pas à la charge, qu'ils ne viendraient plus s'opposer à un acte de souveraine et bien tardive justice.

L'honorable M. Dumortier, fidèle à ses antécédents, est aussi opposant qu'il l'a été dans tous les temps, à l'amélioration, à la canalisation de notre second fleuve.

Je regrette que l'honorable M. Dumortier ne soit pas à son banc, mais je n'ai nul dessein de lui manquer d'égards, et son absence serait une raison de plus pour que je fusse circonspect à son égard, si j'avais besoin de me faire cette recommandation.

L'honorable M. Dumortier, dis-je, qui n'est pas un adversaire à dédaigner, est venu renouveler son opposition, son opposition très énergique à tout ce qui concerne les travaux à faire à la Meuse. On doit cette justice à l'honorable M. Dumortier que sa conviction est tellement forte, tellement tenace sous ce rapport, qu'elle s'exerce avec la même énergie contre ses amis comme contre ses adversaires. La canalisation de la Meuse a été et reste encore pour l'honorable M. Dumortier une sorte de cauchemar ; il a fait contre cette canalisation le serment d'Annibal.

J'avais cru d'abord que l'origine de la canalisation de la Meuse, sa couleur quelque peu libérale, n'avait pas été étrangère, sans peut-être qu'il se l'avouât, à l'opposition de l'honorable M. Dumortier.

Aujourd'hui, messieurs, il est démontré que l'honorable M. Dumortier, quelles que soient les transformations que subissent les discussions à l'égard des travaux de la Meuse ; que ces travaux soient favorables à ses amis ou à ses adversaires, il reste inébranlable dans son opposition.

Je vois même que toutes les transformations politiques du fleuve n'y font rien.

L'origine libérale que pouvait avoir la canalisation de la Meuse s'efface complètement aujourd'hui, quoiqu'elle devienne quelque peu unioniste à Huy et conservatrice à Namur et à Dinant, où se trouvent les amis politiques de M. Dumortier.

Je dois, je le répète, rendre hommage à une pareille persévérance.

On a pensé qu'en désespoir de cause, M. Dumortier serait prêt à proposer une mesure qui prouverait, plus que toute autre, la force de son antipathie contre la Meuse.

En désespoir de cause, et voyant combien l'acte de justice proposé par le gouvernement à l'égard des riverains de notre second fleuve, a reçu d'adhésions, M. Dumortier a trouvé une nouvelle arme de guerre ; il aurait, dit-on, à grand renfort de propagande, obtenu une nouvelle arme de guerre contre la Meuse, l'honorable membre, se faisant violence, ne dédaignerait pas de donner la main à ces abominables économistes, que jusqu'ici il avait si malmenés.

Les économistes, messieurs, vous le savez, quand l'honorable membre voulait être doux avec eux, étaient tout simplement des rêveurs.

Eh bien, messieurs, on m'assure qu'aujourd'hui l'honorable M. Dumortier, donnant la main aux économistes, vient proposer ni plus ni moins que la concession de toute la partie de la Meuse qui n'est pas encore canalisée.

Cette canalisation serait livrée à l'industrie privée dont elle deviendrait la propriété.

Cela seul, messieurs, suffit pour prouver que je n'ai pas été trop loin en disant qu'à l'égard de la Meuse l'honorable M. Dumortier a fait le serment d'Annibal.

Si ce projet de concession, messieurs, est déposé sur le bureau, nous aurons à faire plus d'une observation.

D'abord nous demanderons s'il est possible de songer, sans s'embarrasser des traités internationaux, à mettre en concession la canalisation de la Meuse à livrer ce fleuve à l'industrie privée.

C'est donc là, messieurs, un rêve. Cela n'est pas sérieux.

L'honorable M. Charles Lebeau a paru d'abord être plus accommodant que l'honorable M. Dumortier ; mais, le dirai-je, c'est dans la forme seule que l'opposition de l'honorable M. Ch. Lebeau diffère de celle de M. Dumortier. Au fond, il veut la même chose. Si des rivalités des intérêts du Hainaut ne venaient se dresser en face des intérêts de la canalisation de la Meuse, l'honorable M. Ch. Lebeau nous ferait probablement cette proposition-ci : Donnez-nous de l'espace, nous donnerons de l'eau. Vous manquez d'eau, nous manquons d'espace ; laissez-nous l'un, nous vous passerons l'autre.

Vous connaissez, messieurs, le proverbe, que je vous épargne : « Passez-moi l'espace, je vous donnerai de l'eau. » Nous répondons : « Vous avez de l'espace ; pas assez peut-être. »

« Vous avez un très bon canal, vous êtes riches ; vous prospérez ; vous pouvez prospérer encore davantage ; je le reconnais ; et si je puis, j'y aiderai. »

Mais la situation où se trouve la Meuse non canalisée est loin d'être la situation de la Sambre. La Sambre a le nécessaire ; elle peut avoir mieux ; mais la Meuse canalisée n'a pas le nécessaire ; elle est parfois complètement improductive, sauf dans des cas tout à fait exceptionnels.

Dans les années normales, et spécialement dans les années de sécheresse, il n'y a plus de Meuse proprement dite, il n'y a plus de Meuse commerciale.

Il y a donc une très grande distinction entre le canal de Charleroi qui réclame à bon droit des améliorations, et la Meuse, qui demande à devenir un fleuve commercial, de fleuve de décoration et d'embellissement qu'il est encore principalement aujourd'hui.

Dans une discussion de ce genre, l'honorable M. Dumortier devait être assez naturellement amené à qualifier d'ultra-liégeois tout projet déposé par l'honorable M. Frère. Or, bien récemment encore, qu'a fait M. le ministre des finances ? Qu'a-t-il fait en 1859 ? Dans la loi du 8 septembre de cette année, qui, sur sa présentation, a été votée par les Chambres, l'honorable M. Frère n'a presque rien demandé pour la province de Liège, rien surtout pour l'amélioration de la Meuse en amont de Chokier ; et dans cette même grande loi de travaux publics, il a proposé et fait voter un million pour l'amélioration de la navigation de la Sambre vers la frontière française, amélioration qui sera exécutée, aux trois quarts, sur le territoire du Hainaut.

Voilà ce qu'a fait l'honorable M. Frère dans la dernière loi de travaux publics : rien pour la canalisation de la Meuse, et beaucoup pour le Hainaut. Depuis lors, nous avons voté des mesures en faveur du canal de Charleroi ; une notable réduction sur ses péages ; nous en voterons encore ; nous n'avons jamais refusé ce qui est juste pour les intérêts qui se rattachent à cette voie navigable.

Ce n'est pas tout : Le projet de loi en discussion rend applicables les fonds votés dans la loi de 1859 pour l'amélioration de la Sambre ; il les rend applicables de Mornimont à Namur.

J'insiste sur cette circonstance parce qu'elle établit, en faveur du Hainaut, une concurrence très sérieuse sur la Meuse avec les charbonnages de Liège.

Vous voyez comment les habitants du Hainaut sont de véritables parias.

On s'est beaucoup occupé de la circonstance que le canal de Charleroi était éminemment productif et que la Meuse ne rapportait absolument rien. Mais nous demanderons ce qui serait arrivé du canal de (page 1591) Charleroi si le gouvernement, au lieu de le racheter - très vraisemblablement à l'instigation du commerce de Charleroi à cette époque - avait laissé les consommateurs en face d'une compagnie concessionnaire ; croyez-vous que le canal de Charleroi aurait pu être aussi aisément soumis aux réformes que le gouvernement a introduites ?

Vous parlez de concurrence pour modérer les concessionnaires ? C'est encore une question de savoir si elle eût suffi pour amener une société à réduire notablement les péages.

La loi du 10 février 1860 a réduit de 40 p. c. les péages. Je dis que si le canal était resté la propriété d'une compagnie concessionnaire, les péages eussent pu être réduits dans une moins large proportion.

Messieurs, un nouvel avantage est demandé pour le canal de Charleroi.

Ce nouvel avantage, c'est son élargissement surtout pour les écluses.

Etes-vous bien sûrs que vous obtiendriez facilement cet élargissement d'une compagnie ?

Ce travail n'est cependant plus douteux. M. le ministre des travaux publics a prononcé dans une de nos dernières séances des paroles qui sorties de la bouche d'un organe du gouvernement, doivent être, à tous les yeux, un engagement formel.

Je m'en félicite et je concourrai avec grand plaisir à la réalisation des vues qui ont été exposées par le ministre.

Voici, messieurs, quelques lignes qui me semblent équivaloir, dans la bouche d'un ministre, à un véritable engagement.

« Cherche-t-on autre chose ? Ne pense-t-on pas au crédit qu'il faudrait solliciter à l'avenir, mais veut-on une simple déclaration de sympathie ? Encore alors l'amendement est inutile, attendu que cette sympathie est acquise !

« Je m'en suis déjà expliqué. Non seulement je n'ai pas contesté l'utilité de ce travail, mais j'ai prouvé même que j'avais de mon propre mouvement mis l'affaire à l'étude... Ainsi, de la part du gouvernement, on ne peut rien désirer de plus que ce qu'il a fait.

« De la part de la Chambre, dès l'instant que ce travail se présent comme équitable, dès l'instant qu'il n'y a aucune espèce de protestation contre son exécution dans l'avenir, ce silence équivaut à une pleine adhésion. Il est donc constant que les sympathies de la Chambre et du gouvernement lui sont assurés. »

Je demande s'il est possible à un ministre de prendre, en face d'une législature, un engagement plus formel.

Eh bien, je suis très disposé à m'associer aux intentions du gouvernement sur ce point ; c'est quelques mois d'attente. Quand ce serait une année tout entière, quand vous ne pourriez obtenir ce que vous demandez que dans le courant de l'année prochaine, auriez-vous beaucoup à vous plaindre ?

Et nous donc, qui attendons depuis près de 15 ans que l'on continue la canalisation de la Meuse, laquelle, dans l'état où elle est en amont de Chokier, n'est véritablement, comme je l'ai dit, qu'une décoration de nos villes et non pas un fleuve commercial !

Voilà la situation où nous nous trouvons depuis 14 ans.

Seriez-vous bien malheureux vous autres, messieurs de Charleroi, d'attendre jusqu'à la session prochaine pour qu'on s'occupât de l'élargissement du canal de Charleroi ?

Il y a d'ailleurs, messieurs, des raisons internationales d'une grande puissance pour qu'on ne proroge pas indéfiniment les travaux à faire à la canalisation de la Meuse. C'est l'activité avec laquelle, comptant sur ses voisins, le gouvernement français a fait projeter la canalisation de la haute Meuse.

Le gouvernement français, en voyant que nous procédions à l'amélioration de la Meuse, a mis la main à l'œuvre ; et, si je suis bien informé, des travaux magnifiques sont faits en amont de Dinant et constitueront une magnifique canalisation de la Meuse française. Eh bien, voilà des travaux qui resteraient complètement ou en très grande partie improductifs et pour nos voisins du Midi et pour nous-mêmes, pour tous les riverains de la Meuse en amont de Chokier, si l'on ne met pas immédiatement la main à l'œuvre en Belgique.

Il y a, messieurs, une nouvelle cause d'urgence pour continuer la canalisation de la Meuse, c'est la concurrence que fait depuis quelque temps à ce fleuve le chemin de fer du Nord ; cette exploitation neutralise aujourd'hui une grande partie des avantages du fleuve, parce que les conditions faites à la navigation ne lui permettent pas de soutenir la concurrence de ce rival, à cause surtout de la régularité de ses transports, qui sont si souvent interrompus sur le fleuve.

Vous n'ignorez pas qu'en général la Meuse, au contraire, est absolument impraticable pendant la moitié de l'année à cause du manque d'eau ; et nous avons vu certaines années où la Meuse a été frappée pour ainsi dire d'impuissance absolue pendant toute la bonne saison.

Je ne voudrais pas abuser des moments de la Chambre et je suis même étonné qu'elle m'écoute avec tant de bienveillance dans la situation d'esprit et de fatigue où elle se trouve en ce moment.

Je finirai et me permettrai de rappeler à son attention avant de finir, un mot applicable aux pères de famille comme aux gouvernements ; ce mot est « achever. »

En achevant, vous faites fructifier le passé et assurez l'avenir, vous arrivez seulement ainsi à satisfaire les intérêts négligés et laissés en souffrance, qui réagissent à leur tour de la manière la plus salutaire. Achever, doit être la devise du gouvernement comme du père de famille. Vous achèverez donc ce grand travail de la canalisation de la Meuse. Nous ne sommes pas très pressés puisqu'il y a près de quinze années que l'on a commencé les travaux.

Aussi, avons-nous le droit de dire que nous serions victimes d'un véritable déni de justice si l'on ne procédait pas sans délai à l'achèvement de ce grand travail national.

M. Thibaut. - Messieurs, le projet de continuer la canalisation da la Meuse depuis Chokier jusqu'à Namur a été favorablement accueilli par toutes les sections, et la section centrale l'a également voté à l'unanimité. Dans la Chambre, il n'a pas, jusqu'ici, rencontré d'opposition sérieuse.

Je ne m'occuperai donc pas de cette partie de la loi ; d'ailleurs, elle a des défenseurs naturels que vous avez entendus dans des séances précédentes, et parmi eux l'honorable M. Lebeau vient encore de la soutenir avec son habileté habituelle.

Messieurs, la section centrale, après avoir adopté le paragraphe en discussion reconnaît et tient pour vrai que le principe de la canalisation de la Meuse dans tout son parcours jusqu'à la frontière de France est implicitement inscrit dans la loi. Cette déclaration, dont je remercie la section centrale et qui a sa valeur, ne peut cependant satisfaire les signataires de l'amendement que M. le président a lu au début de la séance.

Elle ne peut nous satisfaire, messieurs, parce qu'elle ne constitue pas un progrès vers la solution que nous réclamons depuis longtemps. Il faut enfin, messieurs, que cette question d'amélioration du cours de la Meuse finisse par être résolue. C'est une vieille question. L'honorable M. Moncheur nous a rappelé, il y a peu de jours, que le gouvernement des Pays-Bas s'en était sérieusement occupé et l'avait décidée ; les travaux allaient commencer lorsque survinrent les événements de 1830.

Messieurs, le gouvernement belge, le gouvernement national aurait dû montrer pour notre beau fleuve une sollicitude au moins égale à celle du gouvernement des Pays-Bas.

Eh bien, depuis 1830, rien de complet n'a été proposé pour donner à la Meuse le rang qu'elle mérite parmi les voies navigables.

De 1845 à 1851, je le sais, des crédits importants, s'élevant à environ quinze millions de francs ont été votés pour la canalisation de la Meuse ; mais ils étaient affectés exclusivement pour la partie du fleuve sur laquelle se fait la navigation en descente, c'est-à-dire celle qui est comprise entre le bassin houiller de Liège et la frontière de Hollande. Rien, absolument rien, ainsi que l'honorable M. Lebeau vient encore de le rappeler, rien n'a été fait pour la navigation en remonte vers la France.

Ce n'est, messieurs, qu'en 1858 que cette question de la canalisation, de la Meuse, depuis Chokier jusqu'à la frontière de France, a attiré spécialement l'attention d'une section centrale. Cette section centrale, examinant le projet de loi du 26 mai 1858, a pris enfin la canalisation de la Meuse sous son patronage, et elle adressa au gouvernement une question ainsi conçue :

« N'y a-t-il pas lieu de comprendre dans la loi projetée la prolongation d'un système de canalisation par barrages à fermettes mobiles de Chokier jusqu'à la frontière de France ? Quelles sont les intentions du gouvernement relativement à l'améioration des eaux de la Meuse depuis Chokier jusqu'à la frontière de France ? »

Voici ce que le gouvernement répondait :

« L'opinion publique, éclairée par l'expérience, a reconnu les bons effets des travaux exécutés à la Meuse dans la ville de Liège et dans ses environs. La section centrale montre implicitement qu'elle partage l'opinion générale. »

Remarquez ce qui suit :

« Le gouvernement, fort de cette approbation, fera tous ses efforts pour étendre au reste de la rivière les bienfaits d'un système appliqué seulement jusqu'ici à quelques-unes de ses parties. Voici à ce sujet où en sont les choses aujourd'hui. »

(page 1592) M. le ministre annonce qu'une commission a été instituée pour étudier la question entre Namur et Chokier, et il ajoute :

« Si le gouvernement ne peut pas se prononcer sur ses intentions quant à la partie de la Meuse située à l'aval de l'embouchure de la Sambre, à plus forte raison ne peut-il le faire quant à la partie s'étendant de cette embouchure à la frontière de France, partie sur laquelle aucune étude n'a été faite jusqu'à ce jour. »

Malgré l'apparente contradiction que semble contenir cette réponse, il est clair que l'intention du gouvernement à cette époque était de continuer les travaux de canalisation qui avaient si bien réussi dans les environs de Liège et de les continuer, dis-je, jusqu'à la frontière française.

Le projet de 1858 a été retiré par suite de circonstances qu'il est inutile de rappeler.

En 1859, le gouvernement présenta un nouveau projet de travaux d'utilité publique, et la section centrale, après avoir écarté quelques-uns de ces travaux, proposa d'en exécuter d'autres dont elle reconnaissait la grande utilité, ou pour mieux dire la grande nécessité. Parmi ces travaux ligure en première ligne la canalisation de la Meuse de Chokier à la frontière française ; la section centrale proposa d'allouer pour cela un premier crédit de deux millions de francs. Voilà, messieurs, les précédents de la question en Belgique.

Ils prouvent ce que j'ai avancé, à savoir que la section centrale de cette année imprime à la question un mouvement de recul plutôt qu'un mouvement de progrès.

Que se passait-il en France, messieurs, pendant cette période que je viens d'esquisser ? En France, la canalisation de la Meuse fut décrétée dès 1837, par la loi du 17 mai. Il y a 24 ans de cela. Savez-vous ce qui a été fait en France ? Depuis le canal des Ardennes jusqu'à la frontière belge sur un parcours de 112 kilomètres, on a construit 20 chenaux artificiels, mesurant ensemble 11,057 mètres, on a creusé 11 dérivations avec ou sans barrage, mesurant 12,750 mètres, on a élevé 12 écluses et percé 2 tunnels.

Enfin on a construit et amélioré les chemins de halage, sur 108 kilomètres. La dépense pour ces travaux que je viens d'énumérer en bloc a été de sept millions de francs.

Il reste à faire six dérivations mesurant 4,493 mètres, huit chenaux artificiels mesurant 4,171 mètres, six écluses et quatre kilomètres de chenaux de halage qu'on doit transporter d'une rive sur l'autre ; ces travaux qui compléteront la canalisation de la Meuse en France sont estimés à 3,500,000 fr. La dépense totale sera de 10,500,000 fr.

Est-elle digne, je le demande, est-elle intelligente la conduite du gouvernement belge, comparée à celle du gouvernement français qui décrétait la canalisation de la Meuse dès 1837, qui depuis 15 ans, a exécuté les trois quarts des travaux ?

Le gouvernement belge a-t-il montré pour les intérêts que la Meuse doit servir, autant de sollicitude que le gouvernement du royaume des Pays-Bas qui avait décrété la canalisation de la Meuse sur tout son parcours ?

Je le demande encore, la position que le gouvernement et les Chambres ont prise dans cette question, est-elle honorable, est-elle digne ? Je n'hésite pas à répondre que non.

Maintenant, faut-il encore ajourner ? Faut-il attendre pour prendre une résolution, qu'une industrie très importante, très ancienne dans le pays, celle du batelage soit entièrement ruinée ? C'est cependant ce qui arriverait si dès cette année on ne décrétait la canalisation complète de la Meuse, si l'on ne votait les premiers fonds pour mettre ce projet à exécution.

Dans une précédente séance, j'ai indiqué le prix du fret de Liège à Sedan par la Meuse. Il est de 11 fr. 95 c. lorsque les eaux sont bonnes ; mais quand elles sont très basses, le fret monte à 16 et quelquefois à 17 fr. ; si j'en crois un document qui a été distribué à tous les membres de cette Chambre, et qui émane d'un comité siégeant à Huy, le fret serait même plus élevé ; on l'indique comme s'élevant de 7 à 8 centimes par tonne kilomètre à la remonte, tandis que le prix que j'ai donné est en moyenne de 5 centimes et une fraction.

Voilà la situation actuelle, en ce qui concerne la navigation de Liége vers la France.

De Charleroi à Sedan, pour les bateaux qui descendent la Sambre et remontent la Meuse, le fret était autrefois à peu près le même que pour les bateaux partant de Liège, c'est-à-dire qu'il était seulement inférieur de un à deux francs.

Il y avait donc, sous le rapport du fret, un certain équilibre entre les deux bassins, mais cet équilibre a été rompu dès la création du chemin de fer d'entre Sambre-et-Meuse qui aboutit à la Meuse à Vireux ; les charbons de Charleroi prennent maintenant la voie ferrée jusqu'à Vireux d'où un service régulier de bateaux les transporte vers Charleville et Sedan.

Voici maintenant les prix de ces transports de Charleroi à Vireux ; la distance est de 63 kilomètres, au prix de 0,06 centimes, soit 3 francs 78 centimes ; de Vireux à Sedan le prix fixé par la compagnie pour le commerce, est régulièrement de six francs ; en tout 9 francs 78 centimes, ce qui fait une différence de plus de 2 francs au-dessous du fret pour les transports venant de Liège.

Le chemin de fer a de plus les avantages résultant de transports réguliers accélérés. Vous voyez que le batelage de la Meuse a reçu une première atteinte par la création du chemin de fer d'entre Sambre-et-Meuse ; il en recevra une seconde par la concession du chemin de fer de Châtelineau à Givet qui prendra les charbons aux fosses et les conduira directement à Givet.

Ce n'est rien encore.

Je vous ai dit, messieurs, dans une précédente séance, que la concurrence la plus redoutable pour le batelage viendrait du chemin de fer de la vallée de la Meuse. Ainsi de Liège à Sedan, la distance par chemin de fer sera de 192 kilomètres.

Supposez qu'il transporte les houilles au prix de 6 centimes par tonne kilomètre, prix élevé pour le chemin de fer, nous trouvons une somme de 11,52.

Pour les houilles de Charleroi, le prix à 6 centimes par tonne sera d'abord par la ligne de l'Entre Sambre-et-Meuse, jusqu'à Vireux, de 3 fr. et de Vireux à Sedan, pour 97 kilomètres et demi, de 5 fr. 85 c.

Il en résulte que les charbons de Charleroi, empruntant le chemin de fer de Sambre et Meuse et ensuite le chemin de la vallée de la Meuse, arriveraient à Sedan au prix de 9 fr. 63 c.

Vous voyez que contre des prix pareils, il est impossible que la Meuse lutte et que le batelage continue à subsister.

Mais si la Meuse était canalisée, si, comme la chose est extrêmement probable, et j'ose dire assurée, puisqu'on en a l'expérience sur la Meuse française canalisée ; si sur la Meuse, dans tout son parcours, le fret descend à 3 centimes par tonne, la lutte devient possible. En effet, de Liège à Sedan, il y a 225 kilomètres par eau. A 3 centimes la tonne-kilomètre la houille serait rendue à Sedan au prix de 6 fr. 75 c.

De Charleroi à Namur par la Sambre et de Namur à Sedan par la Meuse, en supposant le prix du fret également à 3 centimes par tonne, la houille de Charleroi, par voie fluviale, coûterait 5 fr. 73 c. II y aurait toujours pour Charleroi un avantage de 93 centimes et pour la voie fluviale sur le chemin de fer, un avantage de 2 à 3 francs.

Messieurs, j'ai relu, dans l'exposé des motifs du projet de loi de 1858 ce qui était relatif à la demande de crédit pour l'approfondissement de la Sambre dont l'honorable M. Lebeau vous en a parlé tantôt. Eh bien ! tous les motifs que l'on a fait valoir pour obtenir un crédit en faveur de ce grand travail, militent également pour une demande de crédit en faveur de la canalisation de la Meuse. Dans l'exposé des motifs du projet de loi de 1858, on se réfère, pour justifier l'approfondissement de la Sambre, à une requête des bateliers de l'arrondissement de Charleroi, qui le demandaient, afin de pouvoir réduire le prix du fret et soutenir avec avantage la concurrence du chemin de fer du Nord. « Il y a urgence de prendre des mesures, disaient-ils, afin de ne pas laisser le mouvement des transports se déployer, et c'est évidemment ce qui arrivera, si l'on ne s'empresse d'armer la navigation de tous les moyens de concurrence en faisant exécuter les travaux nécessaires. »

« Cette réclamation, ajoutait le ministre qui a présenté le projet, est parfaitement fondée. »

Le crédit pétitionné fut voté par la Chambre sans observation.

J'espère que la demande de crédit que nous faisons pour la canalisation de la Meuse obtiendra les mêmes résultats.

On fait, messieurs, deux objections.

La première repose sur l'élévation de la dépense. On s'imagine généralement que, pour canaliser la Meuse depuis Namur jusqu'à la frontière, il faudrait une grande quantité de millions. Eh bien, sans préjuger le système qui sera adopté, j'affirme que l'on exagère le chiffre qui sera nécessaire pour ce grand travail d'utilité publique.

Je suppose que l'on adopte le système français, qui doit coûter 15,500,000 fr. pour 112 kilomètres, et que la dépense sur notre territoire soit proportionnellement la même ; nous arriverions, pour les 47 kilomètres qui séparent Namur de la frontière, à une dépense de 4,400,000 fr.

C'est beaucoup, sans doute, mais je fais observer que cette dépense (page 1593) de 4,400,000 fr. doit certainement être réduite de moitié, et voici pourquoi. Une forte partie de la dépense dans les travaux de France a été occasionné pour les dérivations. Or, sur notre territoire, de la frontière jusqu'à Namur, je ne pense pas qu'il y ait une seule dérivation à faire. Il n'y aurait pas non plus de tunnel. Il y aurait simplement cinq ou six écluses à construire. Je suis convaincu que la canalisation complète pourrait s'effectuer au moyen de 2 millions de francs.

Si on adopte le système qui a été suivi aux environs de Liège, je crois que la dépense sera un peu plus forte. Mais, dans tous les cas, en supposant cinq barrages ou écluses à fermettes mobiles, comme celles des environs de Liège, qui coûtent environ 800,000 fr., nous n'atteindrions qu'une somme de 4 millions.

Je le répète, je crois que l'amélioration que nous réclamons pourrait s'obtenir au moyen d'une somme de 2 millions. Or, cette somme ne représente pas, à beaucoup près, le capital engagé dans le batelage, capital que vous laisserez perdre si vous ne canalisez pas la Meuse ; car le batelage sera tué.

La seconde objection, c'est le peu de produits que donne la Meuse.

L'honorable M. Lebeau a déjà répondu à cette objection. Les péages sur la Meuse ne sont pas élevés, mais ils ont été fixés par les traités. Ensuite la Meuse est dans une telle situation, que la navigation ne peut se développer.

La Meuse n'est navigable que pendant sept à huit mois de l'année, et en outre il arrive souvent que les bateaux doivent monter avec une demi-charge.

Du reste, en ce qui concerne les produits de la Meuse, il y a une observation importante à faire.

La Meuse n'est pas la seule des voies navigables dont les produits ne couvrent pas les frais d'entretien.

Il y en a beaucoup d'autres dans le pays, qui ont coûté de fortes sommes pour leur création ou pour leur amélioration et dont les produits sont aussi très bas. Je puis citer les canaux de Gand à Ostende, le canal de Zelzaete à la Dendre, la Dyle, le Demer, la Grande-Nèthe, l'Yser, qui ne couvrent pas leurs frais d'entretien.

Pour le canal de Zelzaete, il y a même cette particularité : c'est que les frais d'entretien devraient être à la charge de la province et qu'ils sont cependant supportés par le trésor public.

Messieurs, je vous ai dit avec vérité et sincérité les motifs qui militent en faveur de l'amendement que d'honorables amis et moi nous avons présenté. Il s'agit, je le sais, jusqu'à un certain point dans cette affaire, des intérêts dinantais, Le siège du batelage sur la Meuse est, en effet, en grande partie à Dinant. Aussi, je regrette vivement que mon honorable collègue de Dinant, que des circonstances malheureuses de famille ont souvent empêché de prendre part cette année à nos délibérations, ne puisse venir appuyer de sa parole éloquente l'amendement qu'il a signé avec nous.

Cependant j'ai confiance dans le vote que vous émettrez. Ce n'est pas en vain que dans une Chambre belge, une voix, quelque faible qu'elle soit, fait appel aux sentiments de dignité, d'honneur national et de justice. Ce n'est pas en vain que l'on signale les mesures à prendre pour développer dans une partie du pays les germes de prospérité que la nature y a déposés.

D'autres, messieurs, étalent leurs richesses, leur force, leur opulence. Nous qui sommes au nombre de ces besogneux dont parlait l'autre jour l'honorable ministre de l'intérieur, nous qui sommes faibles, qui sommes pauvres, nous n'envions pas la prospérité des autres ; mais nous avons l'espoir que leurs sentiments élevés les engageront à venir en aide à ceux de leurs compatriotes qui sont moins favorisés de la fortune.

(page 1609) M. Braconier. - Messieurs, l'honorable M. d'Hoffschmidt, il y a quelques jours, nous disait qu'un projet de loi ayant pour but l'exécution de travaux d'utilité publique n'était généralement attaqué que pour les travaux qu'il ne contenait pas et nullement pour ceux qui y étaient inscrits. Il n'en a pas été complètement ainsi, dans la discussion du projet actuel ; deux honorables représentants de Charleroi, en sollicitant des crédits pour des travaux publics à exécuter dans leur arrondissement, ont essayé de contester le haut degré d'utilité que présente la canalisation de la Meuse.

Les honorables membres sont grands partisans des transports à bon marché pour leur centre industriel.

C'est ainsi qu'ils ont réclamé et obtenu dans ce but : la réduction des péages du canal de Charleroi et l'approfondissement de la Sambre; ils demandent actuellement l'élargissement du canal de Charleroi et ils s'efforcent en outre d'obtenir sur les canaux français un abaissement ou une suppression de péages qui leur permette d'arriver avec leurs produits plus avantageusement sur le marché français.

Je suis aussi, comme mes honorables collègues de Charleroi, grand partisan des transports à bon marché, mais il ne faut pas qu'une seule localité en ait le monopole, il convient que les autres parties du pays qui ont des industries similaires puissent aussi arriver à concourir sur les marchés étrangers et principalement en France, et pour le bassin industriel de Liége le moyen d'y arriver, c'est la canalisation de la Meuse.

L'honorable M. Dechamps, dans le discours qu'il a prononcé il y a quelques jours, a cité des chiffres que je ne puis laisser passer sans réfutation. Il vous a dit que la Meuse a coûté et coûtera pour être canalisée une somme de 40 millions. L'honorable membre a groupé très habilement ses chiffres, il a porté au débit du compte de la Meuse, ce qu'on coûté le canal de la Campine, celui de Hasselt la Pierre-Bleue, le prolongement du canal de la Campine jusqu'à Anvers et je crois même qu'il a compris dans le total ce que coûtera le canal de Saint-Job in t' Goor que nous allons voter tantôt.

En somme, ces différents canaux, qui n'ont absolument rien de commun avec la Meuse, si ce n'est que c'est elle qui les alimente de ses eaux, ont coûté une somme de 16 millions environ. Ajoutez à cela que dans la somme de 40 millions sont compris les crédits ordinaires qui ont figuré au budget depuis nombre d'années pour l'entretien de cette rivière, de telle sorte que le compte de la canalisation de la Meuse a été indûment grevé d'une somme de 25 millions.

Voici encore d'autres calculs auxquels s'est livré l'honorable M. Dechamps. Il nous a dit qu'annuellement, en moyenne, on importait en Hollande par la Meuse, 60,000 tonnes, en France 100,000, et il s'est écrié : C'est donc pour des transports d'une importance si minime que l'on vous propose de décréter un travail qui entraîne à des dépenses aussi considérables, tandis que l'on ajourne l'élargissement du canal de Charleroi, voie navigable importante qui transporte un million de tonnes annuellement pour l'intérieur du pays !

Mais, messieurs, pour les besoins de la comparaison probablement, l'honorable membre a passé sous silence une grande partie des transports qui se font par la Meuse.

Quand il s'est agi du canal de Charleroi il a parlé des transports à l'intérieur, mais quand il s'agit de la Meuse il n'y en a pas, il n'y a que des transports pour l'exportation, 160,000 tonnes et puis c'est tout.

D'après les relevés officiels, pendant l'année 1859 les transports par la Meuse se sont élevés à 978,000 tonnes et c'était une année de sécheresse, une année pendant les trois quarts de laquelle la Meuse n'a pas, pour ainsi dire, été navigable.

Nous voilà donc, messieurs, bien près de ce million de tonnes qu'on nous a cité avec tant d'emphase, c'est-à-dire qu'avec notre rivière qui est tout à fait dans l'état primitif nous avons un mouvement de transport à peu près aussi considérable que celui qui existe sur le canal de Charleroi.

Je reviens maintenant, messieurs, à l'exportation.

Pourquoi cette exportation cst-elle si faible ? Parce que la navigation est trop difficile, parce que le fret de Liège à Givet est trop élevé et qu'on ne peut arriver à concourir sur le marché français qu'avec des charbons de qualité supérieure que ne possède pas Charleroi.

On peut prendre un point de comparaison pour se rendre compte de la cherté des transports. De Charleroi à Anvers, je crois que la distance est à peu près la même que de Liège à Givet ; le fret de Charleroi à Anvers est de 4 fr. par tonne, le fret de Liége à Givet est de 11 à 12 fr., comme l'a dit tantôt l'honorable M. Thibaut.

La navigation de la Meuse est tellement difficile qu'une grande partie des charbons qui vont dans les Ardennes françaises suivent une autre voie.

Voici ce qui se passe déjà depuis plusieurs années : une bonne partie des charbons destinés aux Ardennes françaises sont chargés sur des waggons à Liège, et transportés par chemin de fer, de Liège à Namur, de Namur à Charleroi et de Charleroi à Vireux, où ils sont embarqués sur la Meuse française canalisée pour Sedan et Charleville. Ces charbons, ainsi transportés, arrivent à meilleur marché ou au même prix que ceux qui sont transportés directement par la Meuse.

C'est bien là, messieurs, une preuve convaincante de l'état pitoyable où se trouve la Meuse.

Voici la différence qu'il y a entre la Meuse et le canal de Charleroi ; il s'agit pour le canal de Charleroi d'améliorer une navigation possible ; il s'agit pour la Meuse de rendre possible la navigation.

L'honorable M. Dechamps n'a pas toujours professé la même opinion à l'égard de la Meuse, sans quoi je doute qu'il eût reçu à Liège l'ovation qu'il y a reçue dans le temps. C’est à lui, je dois le dire, que nous devons les premières études de la canalisation de la Meuse. C'est lui qui a proposé de décréter le canal de Liège à Maestricht, aussi je dois dire que c'est a\ce peine que je l'ai entendu, dans cette discussion, venir contester l'utilité du travail qui est proposé. (Interruption.)

Vous avez dit que l'élargissement du canal de Charleroi est beaucoup plus utile. Or, c'est ce que je conteste, attendu que sur le canal de Charleroi la navigation est possible, tandis que sur la Meuse, elle est impossible.

Je regrette extrêmement que, avec les meilleures intentions du monde, lorsque l'honorable M. Dechamps était ministre des travaux publics, au lieu d'entrer directement dans le système complet de canalisation au moyen de barrages mobiles, il se soit lancé dans l'essai des passes artificielles. Ces passes artificielles ont produit quelque bien, mais pas assez.

L'honorable M. Dechamps a été probablement induit en erreur, car d'après ce qui avait été dit de cet ouvrage il devait procurer à la Meuse un tirant d'eau d'un mètre à 1 mètre 10, tandis qu'on n'est jamais arrivé à plus de 60 ou 75 centimètres.

Messieurs, il n'existe pas en Belgique de centre industriel de l'importance de Liège qui soit placé dans des conditions plus défavorables au point de vue des voies de communication. Que n'avons-nous le canal de Charleroi non élargi de Liège à Givet ! Nous serions déjà très satisfaits.

Je termine, messieurs, et je dis que l'importance de la canalisation de la Meuse ne peut être contestée au point de vue de l'intérêt général. Ce travail intéresse trois provinces, c'est une voie de navigation internationale qu'il s'agit de décréter, et je suis persuadé que la Chambre adoptera la proposition du gouvernement.

(page 1593) M. B. Dumortier. - Je ne sais, messieurs, si je pourrai me faire entendre, mais il faut que ce soit un sentiment bien profond qui me porte à prendre la parole, pour que je fasse l'effort que je fais en ce moment.

D'abord, messieurs, je dois répondre au discours prononcé par un honorable collègue dont j'ai toujours estimé et admiré le talent, l'honorable M. Lebeau. Suivant lui, j'aurais fait, quant à la Meuse, le serment d'Annibal. Eh bien, j'ai fait dans ma vie un serment d'Annibal et ce serment je ne le violerai jamais, c'est de vouloir en toutes choses la justice.

Maintenant, messieurs, dans la question qui nous occupe, je me demande : Est-ce le système de justice qu'il s'agit d'établir ici ? Eh bien, messieurs, quand j'examine la position que l'on veut faire à une partie privilégiée du pays et la position que l'on fait au reste du pays entier, je dis que ce n'est pas un système de justice et accusez-moi tant que vous le voulez d'attaquer la Meuse, je dirai que quand la Meuse réclame l'injustice, je ne voterai pas pour elle.

Messieurs, en matière de canaux, veuillez, je vous prie, faire attention à ce qui se passe. Il a été créé en Belgique, depuis le commencement de ce siècle, un nombre considérable de canaux, comment ces canaux se sont-ils exécutés quant à telle et telle province, comment se sont-ils exécutés quant à Liège ? C'est ce que je veux examiner.

On a créé d'abord un canal de Mons à Condé ; ce canal a été créé par voie de concession de péages, et les péages rapt orient encore aujourd'hui une somme considérable au trésor public.

On a créé un canal de Pommoroeul à Antoing ; ce canal a encore été créé par voie de concession de péages, et le trésor public prélève des sommes considérables du chef de ce revenu.

En quatrième lieu, on a créé le canal de Bruxelles à Charleroi. Ici encore ce canal a été fait par voie de concession de péages, et il rapporte par an une somme nette de 1,400,000 fr. au trésor public, c'est-à-dire que les consommateurs de Bruxelles payent 1,400,000 fr. par an pour ce canal.

On a canalisé la Sambre. Comment a-t-on opéré pour sa canalisation ? Ici encore on a admis le système de concession et de péages.

On vient de créer dans la Flandre le canal de Bossuyt, comment a-t-on opéré ? Encore par voie de concession et de péages.

Ainsi vous le voyez, tous les travaux de ce genre, excepté quand il s'agit d'une localité, sont entrepris par voie de concession et de péages.

Pour la Meuse, c'est un système diamétralement opposé ; là plus de voie de concession et de péages. Tout ce qui est destiné à améliorer la situation de Liège que je respecte, à laquelle je porte le plus vif intérêt, tout cela se fait aux dépens du trésor public ; là, je le répète, plus de voie de concession, plus de voie de péages ; c'est dans notre poche qu'on vient puiser l'argent nécessaire pour exécuter les travaux.

Ces travaux, au lieu de rapporter, comme les autres travaux de cette nature, deux à trois millions au trésor, coûtent, chaque année, indépendamment des services des emprunts levés pour les exécuter, une somme d'un demi-million de francs, pour frais d'entretien, au-delà des recettes.

Eh bien, messieurs, quand je suis en présence de pareils faits, je vous le déclare : le sentiment de la justice se révolte en moi. Je ne puis comprendre pourquoi, lorsqu'il s'agit de voies navigables, il y a deux poids et deux mesures ; pourquoi, d'un côté, on veut faire peser sur les industries du Hainaut, de la Flandre et du Brabant, les frais de construction des canaux ; et pourquoi, d'un autre côté, l'industrie de Liège ne fait rien et que l'Etat se charge de tout pour elle.

Je me demande si en Belgique nous vivons sous un régime où il y a des enfants légitimes et des bâtards ; je me demande si nous vivons sous l'ancien régime féodal où il y avait des suzerains et des vassaux taillables et corvéables à miséricorde et merci.

Eh bien, voilà la situation bien nette ; tandis qu'on refuse au Hainaut, aux Flandres, au Brabant l'exécution de voies navigables aux frais de l'Etat, tandis que ces voies navigables s'y font par voie de concession et de péages, la ville de Liège que j'honore, que je respecte, mais qui ne doit pas être plus privilégiée que les autres villes du pays ; la ville de Liège jouit de l'avantage de voir ces travaux-là exécutés pour elle aux frais de l'Etat, sans voie de concession et de péages.

Il résulte d'un travail statistique qui nous a été distribué, que de tous les travaux entrepris en faveur de l'industrie liégeoise, un seul rapporte quelque chose ; il a coûté 10 millions et il rapporte 10,000 francs, c'est-à-dire 1 pour mille, tandis que les canaux du Hainaut rapportent annuellement deux millions à deux millions et demi au trésor ; qu'ils ont à plusieurs reprises amorti les capitaux qui ont servi à les créer.

Et l'on viendra vous parler des avantages dont jouit l'industrie du Hainaut vis-à-vis de celle de la province de Liége ! et l'on viendra prétendre que cette province est malheureuse comparée à celle du Hainaut.

Mais Liège n'avait qu'à faire comme nous avons tous fait, nous avons créé des routes pavées, des canaux ; vous n'avez rien fait ; c'est aujourd'hui la Belgique entière qui doit vous doter de routes pavées et de canaux.

Je viens de vous dire, messieurs, que le district que j'ai l'honneur de représenter ici réclame depuis 25 ans un malheureux petit canal qu'on pourrait faire avec une bagatelle de 432,000 francs, et qui est destiné à desservir deux districts.

(page 1594) Eh bien, ce canal, on nous le refuse, tandis qu'on vient proposer ici une dépense si énorme pour la ville de Liège !

Oh ! bienheureux sont les districts qui ont des ministres pour représentants ! Quand cette loi a été déposée sur le bureau, j'ai d'abord été surpris de voir que ce ne fût pas le ministre des travaux publics qui l'avait déposé ; que ce fût M. le ministre des finances ; mais je me suis très bien expliqué ce fait, après avoir lu le projet.

Qu'est-ce donc que la loi que vous discutez ? C'est une loi faite dans l'intérêt de trois arrondissements qui envoient ici des ministres ; c'est une loi faite pour Liège qui envoie un ministre ; c'est une loi faite pour Anvers qui envoie un ministre, c'est une loi faite pour Bruges qui envoie un ministre ; et vous tous, vous payez !

Et vous, honorables collègues, qui êtes, suivant l'expression pittoresque de l'honorable M. Rogier, attelés au char ministériel, vous n'êtes pas mieux traités que nous ; nous sommes de l'opposition et nous sommes traités comme vous ; il n'y a que cette différence, vous donnez sans doute un vote approbatif à la loi, mais nous avons le bonheur de pouvoir voter contre.

Eh bien, ce qui me révolte, c'est de voir qu'en matière de répartition de deniers publics, la justice n'est plus comptée pour rien ; qu'il y a en Belgique des districts qui obtiennent toujours, et d'autres districts auxquels on refuse toujours ; voilà ce qui révolte en moi le sentiment du juste et de l'injuste, et c'est contre un pareil système que j'ai fait le serment d'Annibal.

Vous croyez que je suis opposé à la canalisation de la Meuse. Oh messieurs, j'en suis un très grand partisan ; mais faites-la comme on a fait les autres voies navigables. Je veux bien voter immédiatement une loi portant que la Meuse sera canalisée par voie de concession et de péages ; mais vouloir nous faire subir à nous des péages et vouloir pour vous des canaux sans voie de concession et de péages, vouloir pour vous des voies navigables faites exclusivement aux frais du trésor, c'est une injustice impossible à réaliser !

Messieurs, ne vous étonnez pas du sentiment que j'éprouve. Voilà trop longtemps qu'on est injuste envers nous, on force notre parole de sortir de nos lèvres, par une série d'injustices qu'on a accumulées. Comment ! de pauvres petits districts aussi honorables, aussi intéressants que les autres, ne peuvent rien obtenir. Comment ! aujourd'hui même quand vous proposez un canal de la Lys à Ypres, vous demandez à le faire par voie de concession et de péages ; et lorsqu'il s'agit de la Meuse, lorsqu'il s'agit de tous les affluents de Liège, lorsqu'il s'agit de transporter les produits pondéreux de Liège vers Anvers, tout se fait aux frais du trésor public ; c'est une injustice scandaleuse, c'est une véritable iniquité.

On a reproché à mon honorable ami M. Dechamps de l'exagération dansses chiffres. Eh bien, ce reproche est complètement sans fondement.

Il a été dépensé 8 millions pour le canal latéral à la Meuse, 300,000 francs pour l'aqueduc latéral à Liège, 8 millions pour la dérivation et la canalisation jusqu'à Chokier, 7 millions pour passes artificielles et améliorations à la Meuse, 9 millions dans le projet de loi actuel, 8 millions pour la canalisation de Namur à la frontière de France. Cela fait bien, je pense, 40 millions, non compris les canaux à travers le pays. Remarquez-le bien, quand nous avons voté il y a 25 ans cette magnifique entreprise des canaux de la Campine, qu'avons-nous voté ?

Nous avons voté un système de canaux agricoles destinés à améliorer le sol de la Campine.

Nous avions voté ces canaux à petite section.

Ils n'avaient qu'une seule destination, c'était l'agriculture.

Ces canaux à petite section ne devaient coûter que le quart de ce qu'ont coûté ceux qu'on a exécutés plus tard.

On les a transformés en canaux à grande section le jour où l’on a voulu avoir non pas un seul canal de Liège à Anvers, mais deux canaux de Liège à Anvers.

Ces travaux-là, messieurs, ne sont pas faits dans l'intérêt général du pays, mais dans l'intérêt des enfants favorisés.

Ennemi de toute espèce de favoritisme, de toute espèce de privilège, je ne puis assez repousser un système qui tend à parquer les habitant de la Belgique en gens qui reçoivent et en gens qui payent.

Le gouvernement nous refuse les demandes les plus légitimes, les plus sacrées, les plus anciennes, et je dois protester contre l'emploi que l'on fait des deniers publics.

M. Wasseige. - Messieurs, il me semble que le serment d'Annibal, dont a parlé l'honorable M. Dumortier, a été prononcé bien plus contre la ville de Liège que, contre la Meuse elle-même, et je m'en félicite, car je sais que l'honorable M. Dumortier est un rude jouteur, et je craindrai toujours de le rencontrer comme adversaire de tout projet dont je désirerai l'adoption.

Mais je n'ai entendu l'honorable M. Dumortier formuler des griefs que contre l'appétit par trop budgétaire de la ville de Liège, et il a fort peu attaqué la Meuse elle-même.

En effet, messieurs, les dépenses qu'il entend blâmer ont toutes été faites pour Liège et pour l'arrondissement de Liège. Quant à la Meuse, quant à la Meuse namuroise surtout, elle a jusqu'à présent reçu bien peu de chose du gouvernement.

Dans les millions qu'ont fait miroiter à vos yeux l'honorable M. Dechamps d'abord, les honorables MM. Lebeau et Dumortier ensuite, bien peu ont été dépensés en faveur de la province de Namur.

Quant à l'importance du fleuve, comme grande voie de communication internationale, elle n'a été niée, ni par l'honorable M. Dumortier, ni par l'honorable M. Dechamps, ni par l'honorable M. Lebeau. Si ces honorables membres ont fait opposition au crédit demandé, c'est bien plutôt par nécessité de position pour les uns, par habitude pour les autres, que par amour pour la justice et la vérité. Mais ils ont tous fini par reconnaître que la Meuse méritait les crédits qu’on demandait pour elle. Ils l'ont proclamé et reconnu à l'envi.

L'honorable M. Dechamps a déclaré même qu'il était très favorable à la Meuse, qu'il l'aimait (d'un amour un peu platonique, il est vrai), mais enfin qu'il l'aimait, qu'il l'avait prouvé étant ministre, puisque le premier il avait sollicité des fonds pour sa canalisation, en construisant le canal de Liège à Maestricht ; l'honorable M. Dumortier vous a affirmé aussi que s'il était question de voter la canalisation de la Meuse, par voie de péage, depuis Liège jusqu'à Givet, il serait le premier à appuyer ce projet et à le voter.

J'avais donc raison de dire que l'utilité de la chose en elle-même n'est pas contestée, et, en effet, elle n'est pas contestable. Les discours de mes honorables amis l'ont établi à l'évidence et ils n'ont pas été réfutés ; seulement on prétend que cela doit coûter trop cher et on prétend que d'autres parties du pays sont déshéritées des faveurs du gouvernement et ont droit à passer avant la Meuse.

Eh bien, messieurs, construire ou améliorer un fleuve ou un canal par voie de concession de péages, cela me paraît quelque peu rétrograde, j'en demande pardon à l'honorable M. Dumortier, alors que de tous côtés on cherche à changer ce système, alors que la France rachète les canaux sur lesquels existent des péages, alors qu'en Belgique on réclame de tous côtés des réductions de péages et, qui plus est, au moment où on les obtient, comme cela est arrivé l'an dernier, et pour la seconde fois, sur le canal de Charleroi à Bruxelles.

Cela ne me paraît ni très logique ni très juste.

Ne dirait-on pas d'ailleurs qu'il n'y a pas d'autres canaux qui ont été faits aux frais de l'Etat sans rien lui rapporter ?

On a fait, aux frais de l'Etat, le canal de Zelzaete ; l'approfondissement du canal d'Ostende à Gand et pour qui ? grand Dieu !

Le canal de Schipdonck et celui de Gand à Terneuzen et bien d'autres !

Voilà bien des canaux faits avec l'argent des contribuables et où il n'a pas été question de concession ni surtout de péages.

On vous a parlé, messieurs, de péages pour la Meuse ; mais on oublie que la Meuse est un fleuve international, que nous sommes liés par les traités et que nous ne pourrions sans entrer en négociations à cet égard avec la France et la Hollande, changer le système actuel. Et d'ailleurs l'Etat doit-il être entrepreneur de travaux publics ordinaires, ne doit-il faire que des entreprises lucratives au point de vue du trésor public, ou bien doit-il voir surtout l'intérêt du commerce et de l'industrie ? Evidemment voilà surtout le véritable caractère de tous les travaux publics ; la richesse publique accroît d'ailleurs indirectement bien certainement les finances de l'Etat ; sans cette considération qui est la plus vraie la plupart des dépenses de l'Etat pourraient être attaquées et ne pourraient guère être défendues.

Mais on parle de péages à établir sur nos grands fleuves.

Il y a, il est vrai, des péages sur l'Escaut, mais nous les remboursons et ils nous coûtent au lieu de nous rapporter. Vous le savez, nous remboursons tous les ans de fortes sommes pour les péages de l'Escaut, et nous faisons bien, si cela est utile à notre commerce.

On nous a parlé, messieurs, d'enfants légitimes et de bâtards, en présence des faveurs du budget ; mais, à ce point de vue, qu'avait jamais obtenu la province de Namur jusqu'à présent ? Il est vrai que, pour rentrer dans les idées de l'honorable M. Dumortier elle n'a jamais eu l'honneur d'être représentée dans le cabinet ; et je crois qu'au point de (page 1595) vue politique elle n'a rien fait pour s'attirer les faveurs ministérielles.

Mais la province de Namur doit rendre justice au gouvernement et surtout à l'honorable ministre des travaux publics. Dans le projet de loi qui nous est soumis, l'on rend enfin à cette province une justice qui, pour être tardive, n'en a pas moins de droits à notre reconnaissance et je l'en remercie, car, loin de moi d'attribuer les faveurs qu'elle obtient aujourd'hui à sa position géographique, loin de moi la pensée que si elle ne s'était pas trouvée entre Liège et la France, elle aurait pu encore être oubliée pendant longtemps. Je connais trop l'esprit d'impartialité du ministère actuel, pour pouvoir m'arrêter un instant à cette mauvaise pensée. Oui, messieurs, l'on nous rend justice parce que nous y avons droit, exclusivement pour cela.

Mais pour que cette justice soit complète, il faut que le gouvernement fasse encore un pas de plus. J'arrive ici à l'amendement de mon honorable ami, M. Thibaut. Pour la province de Namur, l'importance de la navigation de la Meuse est plutôt en amont qu'en aval de Namur. Les relations de Namur sont beaucoup plus considérables vers la France que vers la Hollande. Eh bien, pour cette partie du fleuve, il n'y a encore que des promesses. C'est beaucoup, mais il me paraît que ce n'est pas encore assez. L'on propose un crédit de 1,600,000 francs pour la canalisation de la Meuse de Namur vers Chokier, c'est bien., Mais, si j'ai bien compris M. le ministre des travaux publics, on ne s'occupera de la canalisation en amont que quand elle sera terminée en aval. Eh bien, en supposant même que l'on emploie chaque année la même somme aux travaux vers Chokier, c'est remettre bien loin l'espoir de la canalisation entré Namur et Givet, c'est compromettre l'existence d'une industrie digne de tout l'intérêt de la législature, l'industrie batelière.

Le chemin de fer de Namur à Givet va être livré prochaine tient à la circulation. Il va faire une concurrence très forte au batelage, une concurrence écrasante dans l'état actuel du fleuve.

Cependant, messieurs, le batelage, je l'ai fait remarquer déjà, est une industrie qui emploie de grands capitaux et qui est digne du plus grand intérêt. Le batelage, entre Namur et Givet, possède un matériel de 1,800,000 à 1,900,000 fr. Ce batelage se livre, à ses risques et périls, à des transactions entre la Belgique et la France, qui se sont élevées pour les onze premiers mois de 1859 à la somme de sept millions de francs.

Vous le voyez, c'est une industrie assez importante pour mériter qu'on prenne quelque soin de ses intérêts. Eh bien, si par des travaux d'amélioration entrepris dès maintenant dans la Meuse supérieure, elle n'entrevoit l'espoir de pouvoir lutter bientôt contre le chemin de fer, elle désespérera de son avenir, son matériel devra être vendu ; elle mourra et elle ne ressuscitera pas, alors même que vous aurez fait la canalisation que nous sollicitons aujourd'hui.

Pour elle la question d'opportunité est tout.

On vous a parlé, messieurs, pour effrayer la Chambre, des sommes énormes que coûteraient les travaux de canalisation de Namur à Givet.

Eh bien, sur ce point on a entassé exagérations sur exagérations. On vous a dit que les travaux à faire pour canaliser la Meuse depuis Namur jusqu'à la frontière de France, coûteraient huit millions. Or, mon honorable ami, M, Thibaut, vous a déclaré que cela ne coûterait pas la moitié, peut-être même pas le quart de cette somme.

Il a produit diverses raisons à l'appui de cette assertion, permettez-moi, messieurs, d'en ajouter quelques-unes qui, je l'espère, vous paraîtront concluantes.

Chaque barrage écluse construit sur la Meuse française en amont de Givet n'a coûté (je le tiens de source officielle) que 450,000 fr.

Il est reconnu, cela est même avoué par les ingénieurs de l'Etat, que les barrages vers Givet sur la Meuse supérieure ne coûteront guère plus, c'est-à-dire à peu près la moitié des barrages construits dans les environs de Liège.

Et cela se comprend facilement. D'abord, il n'est pas question de donner à la Meuse supérieure le même tirant d'eau qu'à la Meuse inférieure.

La Meuse inférieure, qui doit être mise en rapport avec la Sambre el les eaux de la Hollande, doit avoir le même tirant d'eau, et le projet du gouvernement est, je pense, de lui donner 2 mètres 10 centimètres de profondeur. Quant à 1a Meuse snpérieure, il suffit qu'elle soit mise en rapport avec le tirant d'eau de la Meuse française, qui est de 1 m 10. Voilà donc une différence d'approfondissement de 30 centimètres qui doit avoir pour effet de diminuer notablement le prix des barrages en amont de Namur.

D'un autre côté, plus vous remontez vers 1a frontière française plus le lit de la Meuse se rétrécit ; par conséquent aussi, moins les barrages doivent coûter.

En troisième lieu, la plupart des matériaux qui doivent servir à la construction des barrages, se trouvent sur les rives mêmes de la Meuse supérieure. De ce chef donc, encore une fois, vous réaliserez une notable économie.

Mettez, d'ailleurs, s'il le faut, un peu moins de luxe dans vos constructions ; ce n'est pas cela qui donne de l'eau aux bateliers. Voilà, messieurs, diverses raisons qui vous prouvent que la canalisation de la Meuse coûtera nécessairement moins que l'on n'a cherché à vous le faire croire pour la partie supérieure de ce fleuve.

En supposant qu'il faille 5 ou 6 écluses, comme le disait mon honorable ami, M. Thibaut, et en évaluant ces écluses à 50,000 fr. de plus que chaque écluse sur la partie française, cela ne ferait encore que trois millions au lieu de huit millions qu'on a dû faire apparaître à vos yeux pour les besoins de la cause.

J'espère, messieurs, que vous apprécierez l'importance des raisons que je viens d'exposer.

Vous reconnaîtrez que si une partie de la Meuse a été quelque peu favorisée jusqu'à présent, une autre a été complètement déshéritée et qu'il serait bien dur, bien injuste de faire pâtir cette partie, qui n'a rien reçu jusqu'à présent, du mécontentement plus ou moins légitime qu'ont pu provoquer les faveurs accordées à une autre partie ; vous ne vous laisserez pas entraîner à ce sentiment, et vous réparerez envers la Meuse namuroise l'injustice dont elle a été jusqu'à présent la victime.

En terminant, et comme je n'aurai probablement plus l'occasion pendant cette session de faire à M. le ministre des travaux publics une interpellation qui, quoique sortant du débat actuel, concerne cependant les travaux publics, je demanderai la permission de la formuler immédiatement ; je ne serai pas long.

J'ai vu que, plus heureuse que d'autres vainement attendues depuis longtemps, la loi allouant un crédit de 15 millions au ministère de la guerre a été promulguée.

Il n'y a donc plus de raison pour ajourner la démolition des forteresses qui doivent disparaître. Je demanderai si les fortifications de Namur, qui se trouvent dans ce cas, seront bientôt démolies et si par suite l'on commencera bientôt les travaux d'agrandissement de la station de cette ville, l'une des plus importantes du pays, et à coup sûr, l'une des plus insuffisantes et des plus défectueuses que nous possédions en Belgique ?

M. le président. - Voici la composition de la commission qui aura à examiner le projet de loi déposé par M. le ministre des finances au commencement de la séance, et relatif à une cession de terrain à la ville de Bruxelles : MM. Orts, Devaux, Vilain XUII, Guillery, Van Overloop, Dechamps et de Gottal.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je me bornerai, messieurs, à répondre deux mots au discours un peu chaud que vient de prononcer l'honorable M. Dumortier.

Il y a quelques jours, l'honorable membre a prétendu que la loi de travaux publics que nous discutons en ce moment était faite pour deux provinces seulement. Je lui ai fait remarquer que le projet actuel n'est que le complément de la loi de 1859 et que, pour juger la conduite du gouvernement, il fallait prendre cette loi et le projet actuel dans leur ensemble.

Pour lui prouver qu'aucune province n'avait été oubliée, il m'a suffi, l'autre jour, de lui donner purement et simplement lecture de la loi de 1859. Aujourd'hui, l'honorable membre prétend que le gouvernement a deux systèmes, selon qu'il s'agit des canaux de la province de Liège ou des canaux établis dans les autres parties du pays.

Ma réponse, sur ce second point, sur ce second grief, sera aussi courte, aussi péremptoire que l'a été celle que j'ai faite la première fois.

Je reprends encore, et je me borne à cela, la loi de 1859. Or, voici ce que j'y lis : en fait de travaux hydrauliques, le premier travail qui y figure, c'est l'achèvement du canal de Deynze à la mer du Nord. Sur ce canal, messieurs, il n'est point question d'établir un péage. L'honorable M. Wasseige vient de le rappeler, et il a cité le canal de Zelzaete.

Pour apprécier la conduite du gouvernement relativement aux voies navigables, et quant à la question de savoir s'il établit des péages ici et point là, l'exemple tiré du canal de Zelzaete est mal choisi ; il en serait de même du canal de Schipdonck, parce que l'un et l'autre sont des (page 1596) canaux de dérivation, destinés à l'évacuation des eaux d'inondation ; ce ne sont pas des canaux de navigation proprement dits ; et, par conséquent, il n'aurait pu être question d'y établir des péages.

J'écarte donc l'exemple cité par l'honorable député de Namur. Mais voici des canaux auxquels, dans la loi de 1859, le gouvernement a consacré des sommes importantes et où il ne s'agit pas d'établir de péages, bien que ce soient de véritables voies de navigation.

Je prends d'abord l'approfondissement du canal de Gand à Bruges ; pour ce travail, le gouvernement a dépensé jusqu'aujourd'hui ou a obtenu des fonds à concurrence de 4 millions ; et lorsqu'il sera terminé, il aura coûté de 5 à 6 millions.

M. Moncheur. - Sans utilité.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - C'est une autre question que je ne discute pas. Toujours est-il qu'il ne s'est jamais agi d'établir des péages sur ce canal, et cependant, vous le voyez, c'est un travail auquel des sommes considérables ont été consacrées.

Dans cette même loi de 1859, je rencontre encore un premier crédit de 2 millions et demi pour l'amélioration de la Dendre. Vous savez comment cette question se présente. Tous ceux qui connaissent quelque peu le travail projeté ont estimé la dépense totale à une somme qui varie de 5 à 8 millions. Cependant, là, encore une fois, il ne s'agit pas d'établissement de péages.

La loi de 1859 a prévu, pour la Dendre, l'établissement d'un péage dans le cas où il se présenterait un concessionnaire pour faire le double travail d'amélioration de la Dendre et de construction d'un canal de Blaton à Ath. Mais il n'y aura pas le moindre péage si les travaux prévus doivent se borner à l'amélioration de la Dendre, s'il ne s'agit que des ouvrages à faire directement par le gouvernement.

Dans cette même loi de 1859, je rencontre, en troisième lieu, comme travaux hydrauliques importants, ceux qu'exige l'amélioration de l'Escaut, ci pour lesquels le gouvernement dispose d'une somme de deux millions ; cette somme va être employée ; mais, dans ma pensée, elle ne doit être qu'un premier crédit pour un travail beaucoup plus considérable.

A mon avis, on doit canaliser l'Escaut jusqu'à Gand, comme on canalise la Meuse jusqu'à Namur ; c'est un travail de plusieurs millions, et s’agit-il d'établir des péages sur l'Escaut ? Nullement ; vous voyez donc que le gouvernement n'a pas deux poids et deux mesures.

Je répète que des travaux hydrauliques considérables doivent être exécutés dans plusieurs parties du pays, sans qu'il soit question d'établir des péages sur les cours d'eau que ces travaux doivent créer ou améliorer. Je puise mes arguments dans la loi de 1859 ; je ne veux, d'ailleurs, pas multiplier les exemples.

Ce qui achève de rendre le discours de l'honorable M. Dumortier très malheureux, c'est qu'en ce qui concerne la canalisation de la Mandel, je puis lui opposer la réponse que j'ai faite à la section centrale qui m'a interpellé sur ce travail. La question qui m'a été adressée était celle-ci :

« Le gouvernement serait-il disposé à décréter le canal de la Lys à Roulers moyennant une garantie d'intérêt ? » Et voici comment j'ai répondu :

Après avoir constaté que le gouvernement n'a reçu aucune demande pour la concession du canal, qu'il n'a pu, par conséquent, étudier la question sous ses différentes faces et qu'il ne saurait se prononcer ni sur le principe de la concession ni sur celui de la garantie, j'ajoutais :

« Le gouvernement fera toutefois remarquer que la construction d'un canal de la Lys à Roulers ou la canalisation de la Mandel par voie de concession, ne présenterait que peu d'avantages pour l'industrie de cette ville. En effet, l'établissement d'un péage serait la suite inévitable de l'octroi d'une concession, et l'existence de ce même péage serait obstative à toute réduction quelque peu sensible des prix de transport. Pour être, à ce point de vue, le seul qui intéresse véritablement la ville de Roulers, complètement efficace, la canalisation devrait se faire par l'Etat, avec des droits de navigation nuls ou insignifiants... »

En vérité, messieurs, ces derniers mots ne sont-ils pas la réponse la plus victorieuse que je puisse faire en ce moment à l'honorable M. Dumortier ? Et comme si cette réponse, faite en quelque sorte d'avance, n'avait point été assez concluante, je poursuivais en ces termes :

« L'industrie de Roulers mérite un sacrifice ; elle est assez florissante et renferme assez d'éléments de prospérité pour attirer l'attention bienveillance du gouvernement. Mais les études ne sont pas faites ; le gouvernement ne peut donc, pour le moment, que s'engager à les entreprendre, en exprimant l'espoir d'arriver à un résultat qui permettrait de réaliser cette amélioration sur les ressources ordinaires du budget. »

Quoi de plus précis ? N'est-ce pas dire : Vous voulez la canalisation de la Mandel par concession et avec péages ; attendez que le gouvernement puisse entreprendre le travail, et vous aurez votre canal sans péages.

M. B. Dumortier. - Je ne demande pas mieux, mais laissez du moins inscrire le principes dans la loi.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je vous dis : Au lieu d'agir en opposition avec le gouvernement, agissez de concert avec lui ; et vous n'aurez pas de péages ! est-ce clair ?

Mais, dit l'honorable membre, laissez inscrire le principe dans la loi. Pourquoi donner la préférence à la Meuse ?

C'est très simple. Il est constaté que la canalisation de la Mandel ne doit profiter qu'à une seule localité, à deux si vous le voulez, à Roulers et à Ypres ; tandis que la canalisation de la Meuse est un travail important, qui doit créer une voie de navigation internationale et profiter directement, immédiatement à trois provinces.

Voilà pourquoi le gouvernement pense qu'il faut donner la préférence à la Meuse sur la Mandel.

Je crois que ces courtes observations font complètement justice dos critiques mal fondées, dirigées contre le projet, par l'honorable membre.

Je n'ai que peu de mots à dire quant à la proposition de décréter la canalisation de la Meuse jusqu'à la frontière française, en portant un crédit de 400,000 fr. dans la loti

Je ne puis me rallier à cet amendement. Il est évident qu'il s'agit là d'un projet très utile....

- Un membre. - Et urgent.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Des plus urgents, si vous le voulez, c'est l'achèvement de celui que le gouvernement propose aujourd'hui, en vous demandant de décréter la canalisation de la Meuse entre Namur et Chokier ; ce travail ne peut pas rester inachevé.

Il faut le compléter avant de songer à autre chose ; or, il comporte une dépense de sept millions ; la question est de savoir si, à la suite de ces sept millions, on va ajouter en principe une nouvelle dépense de sept à huit autres millions.

M. Thibaut. - Pas tant !

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Vous n'en savez rien ; il est vrai que la distance de Namur à la frontière française est moindre que celle de Chokier à Namur, mais la chute est plus forte ; le nombre de barrages et d'écluses devra donc être plus grand.

Ainsi, quand j'estime que la dépense à faire entre Namur et la frontière sera égale à celle qui est prévue pour les travaux qui doivent s'effectuer entre Chokier et Namur, je ne suis pas loin de la vérité. Quoi qu'il en soit, les études ne sont pas faites ; et le gouvernement croirait manquer d'équité s'il consacrait une somme aussi importante à la Meuse. Nous prions donc la Chambre de s'en tenir au projet déposé et de laisser en suspens la question dont il s'agit.

En ce qui concerne la démolition des fortifications de Namur, les crédits votés récemment permettront sans doute au département de la guerre de réaliser ses bonnes intentions à cet égard ; de mon côté, je ne resterai pas en retard pour faire commencer les travaux à la station.

M. Wasseige. - M. le ministre peut-il, au moins, me donner l'espoir que ces travaux seront commencés cette année ?

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je le suppose, mais vous comprendrez que je ne puis prendre aucun engagement pour mon honorable collègue de la guerre.

.M. Dechamps. - L'honorable député de Huy, M. Lebeau, vient de dire qu'il avait espéré ne pas voir se renouveler la discussion générale, à propos de la Meuse et du canal de Charleroi, discussion déjà épuisée.

J'avais eu le même espoir, et l'honorable M. Lebeau qui, le premier, a cru devoir rouvrir cette discussion générale, aurait dû prêcher d'exemple ; je ne m'en plains pas, car nous aurions été prives du plaisir d'écouter une voix qui se fait trop rarement entendre à cette tribune. M. Lebeau, et après lui l'honorable M. Braconier, sont donc rentrés à pleines voiles dans la Meuse où il faut bien que je les suive un moment ; je serai court, pour ne pas lutter contre la lassitude bien légitime de la Chambre.

L'honorable M. Braconier a affecté de mettre en opposition les opinions que j'ai émises dans ce débat et mes actes comme ministre des travaux publics. J'invoque précisément ces actes que je rappelle avec une certaine fierté, pour me défendre contre l'accusation d'être hostile à la Meuse et aux travaux qu'on y projette. J'ai déclaré que j'étais favorable, (page 1597) au contraire, au système qui doit établir, sur toutes nos voies navigables, une navigation uniforme à fort tonnage.

J'ai demandé pour le canal de Charleroi ce que l'on travaille à faire depuis seize ans pour la Meuse et que cette déplorable solution de continuité dans nos voies navigables disparaisse bientôt. M. le ministre est du même avis ; il croit que ce grand travail d'utilité publique devra être réalisé dans un avenir prochain ; M. Joseph Lebeau est d'avis que ce projet doit être le premier en rang, parmi tous ceux dont se préoccupe le gouvernement.

J'aime à croire que M. le ministre et M. Lebeau se joindront à nous, pour faire adopter notre amendement qui n'est que la sanction de ces promesses.

Si j'ai parlé de la province de Liège et du bassin de la Meuse, ce n'était pas pour me plaindre de ce qu'on y a fait, pour contester l'utilité des travaux qu'on veut y entreprendre, mais j'ai pris ces travaux comme point de comparaison, afin de légitimer nos plaintes, afin de démontrer, par ce qu'on a fait ailleurs, ce qu'on n'a pas fait chez nous et ce que l'on devrait y faire.

Messieurs, cette comparaison, je l'ai appuyée de faits et de chiffres que l'on n'avait pas jusqu'à présent contestés. L'honorable député de Liège a essayé de le faire. J'avais dit que les travaux entrepris à la Meuse depuis 15 à 16 ans, avaient coûté 24 millions ; 23,500,000 fr., a dit M. le ministre des travaux publics, soit ; que lorsque les travaux, dont nous allons voter aujourd'hui le principe, seront exécutés, et lorsque la canalisation sera faite jusqu'à la frontière, le chiffre qu'aura coûté la Meuse sera d'environ 40 millions.

L'honorable M. Braconier m'a taxé d'exagération. Il a dit qu'on ne devait pas mettre au crédit de la Meuse les millions dépensés pour les passes artificielles, que l'on devait mettre cela sur le compte de mes erreurs, comme ministre des travaux publics.

Je répondrai à l'honorable membre que le système de passes artificielles proposé par M. l'ingénieur Guillery a été adopté par le conseil des ponts et chaussées et pratiqué, pendant seize ans, par tous les ministres qui se sont succédé depuis 1845 ; s'il y a eu erreur, ç’a été l'erreur de tout le monde.

Mais, en définitive, erreur ou non, il n'en est pas moins vrai que depuis quinze ans et plus longtemps encore, on a fait figurer au budget une dotation annuelle de 200,000 à 300,000 fr. pour améliorer la Meuse. Il faut donc faire entrer ce chiffre au débit du compte de la Meuse.

L'honorable M. Braconier m'a dit aussi que j'avais parlé des canaux de la Campine. Effectivement, les canaux, qui devaient être primitivement des canaux de simple irrigation, à peine construits, ont été transformés en canal de grande navigation à grand tirant d'eau, de manière à établir une jonction entre la Meuse et l'Escaut.

A peine le canal de la Campine a-t-il été construit, qu'on l'a élargi, qu'on l'a approfondi et lorsqu'il n'avait rien produit encore pour couvrir les frais d'entretien, lorsqu'il n'avait pas été amorti pour un seul centime, on a récemment réduit les péages du canal de jonction de la Meuse à l'Escaut de 50 p. c.

Le but principal du canal de la Campine est donc aujourd'hui d'établir la jonction de la Meuse à l'Escaut. C'est un beau travail, pour lequel j'ai voté ; mais est-ce dans l'intérêt du bassin de Charleroi, ou du bassin de Mons, que ce travail a été fait ?

Messieurs, si donc on a dépensé pour le bassin de Liège, pour les deux voies navigables qui desservent son intérêt, 45 millions sur les 81 millions dépensés en travaux hydrauliques dans tout le pays depuis 1840, nous ne nous en plaignons pas, nous en félicitons la province de Liège, mais n'avons-nous pas le droit de faire remarquer à la Chambre que depuis cette époque, on n'a dépensé pour améliorer le canal de Charleroi qu'une somme d'un million ?

M. le ministre des travaux publics m'a répondu : Vous oubliez que le gouvernement a racheté le canal de Charleroi pour 13 millions de fr. Mais il a oublié à son tour de vous dire que ce canal avait été remboursé trois fois et que depuis ce remboursement il avait produit un bénéfice de 20 millions à l'Etat.

Ainsi le canal de Charleroi n'a rien coûté au trésor public, il lui a au contraire rapporté d'énormes bénéfices.

Messieurs, l'honorable ministre des travaux publics a dit que la raison pour laquelle il avait donné la priorité à la Meuse et qui justifiait son abstention actuelle à l'égard du canal de Charleroi, c'était que pour la Meuse tout était à créer, que c'était une création, tandis que pour le canal de Charleroi c'était une simple amélioration.

L'honorable député de Liège, M. Braconier, a exprimé la même pensée tout à l'heure. Pour le canal de Charleroi, a-t-il dit, c'est améliorer une navigation possible, tandis que pour la Meuse, c'est rendre possible une navigation qui ne l'était pas.

Messieurs, c'est là une jolie phrase, mais qui ne recouvre pas un argument sérieux. Comment ! lorsqu'il est vrai que depuis quinze ans on a dépensé pour le canal latéral, pour la dérivation, pour la canalisation jusqu'à Chokier, et pour les passes artificielles, une somme de 22 à 24 millions de francs, on prétend que tout est à créer et qu'on n'a rien fait ?

Pour le canal de Charleroi, on a dépensé un million : là rien n'est à créer ; c'est une simple amélioration. C'est là un jeu de mots qui n'a rien de commun avec la réalité et les faits.

La vérité est que la Meuse est la plus défectueuse de toutes nos rivières et que le canal de Charleroi est le plus défectueux de tous nos canaux ; j'ajoute que l'importance des intérêts qui se rattachent au canal de Charleroi est beaucoup plus grande, et qu'après avoir dépensé 40 millions pour la Meuse, le trésor public, assez riche pour couvrir cette dépense, ne peut pas être déclaré trop pauvre pour réserver 10 millions pour l'élargissement du canal de Charleroi.

Nous est-il interdit de faire remarquer que dans les projets de travaux publics de 1851 et de 1859, le Hainaut ne figurait pour rien ou pour presque rien, qu'il ne figure pour rien dans le projet actuel, et que le bassin de la Meuse y figurait et y figure pour presque tout ? Voilà comment nous jouissons d'un monopole, au dire de M. Braconier. Nous ne nous sommes pas opposés à ces dépenses considérables, nous les avons acceptées ; mais sommes-nous trop exigeants de demander à nos frères de Liège, si bien assis au splendide banquet des budgets, de nous réserver quelques miettes qui tombent de leur table ?

Nous ne réclamons pas aujourd'hui autre chose. Nous demandons un simple crédit de 10,000 fr., comme vote sympathique, afin de prouver que la Chambre est du même avis que M. le ministre des travaux publics, que l'honorable M. Lebeau, que l'honorable M. Moncheur et les autres membres qui ont parlé dans cette discussion et qui déclarent tous que leur sympathie est acquise à ce travail dont l'importance n'est niée par personne.

Pour ne pas prendre une seconde fois la parole, lorsque l'amendement que nous avons eu l'honneur de présenter sera en discussion, permettez-moi, de répondre deux mots à l'objection qu'a faite à cet amendement l'honorable ministre des travaux publics, objection à laquelle, j'espère, il voudra bien renoncer.

M. le ministre des travaux publics, l'honorable M. Lebeau vient de le rappeler, a déclaré que l'élargissement du canal de Charleroi est un travail de première importance et qu'il sera réalisé dans un prochain avenir.

Eh bien, nous vous demandons par notre amendement de donner une force et une sanction aux déclarations de M. le ministre et aux paroles sympathiques qu'on nous a adressées de tous les côtés de cette Chambre.

M. le ministre nous fait une objection de procédure, il nous objecte une vice de forme.

Ce n'est pas un amendement, dit-il, parce qu'il ne se rattache pas directement à un des articles du projet de loi, c'est une proposition nouvelle. Mais, messieurs, dans une loi de travaux publics, il n'y a pas d'autre moyen d'user du droit d'amendement.

Amender un projet de loi d'ensemble sur des travaux publics, c'est proposer un travail nouveau ou bien substituer un travail utile à un antre travail qui le paraît moins et qui figure au projet de loi. Si cette faculté nous est enlevée, le droit d'amendement n'existera plus pour les lois d'ensemble sur des travaux publics.

Dans les discussions des projets de lois de 1846, 1855 et 1859, des membres de la Chambre, usant de leur initiative ont fait des propositions analogues que même le gouvernement combattait et les ont fait adopter par la Chambre.

En 1851, les députés de Charleroi ont proposé deux amendements pour faire décréter le chemin de fer de Charleroi à Louvain et le chemin de fer d'Erquelinnes.

Le gouvernement avait d'abord combattu ces amendements, non par des objections de procédure, mais au fond ; il a fini par s'y rallier, lorsqu'il a vu la majorité décidée à les adopter.

L'honorable ministre des travaux publics prétend que notre amendement est inutile ou dangereux. J'ai déclaré, a-t-il dit, que le projet est utile et j'ai ordonné moi-même les études ; que demandez-vous de plus ?

D'un autre côté, ajoute-t-il, aucune objection n'a été faite et vous devez considérer le silence de la Chambre comme une formelle adhésion.

(page 1598) Messieurs, nous remercions l'honorable ministre des travaux publics de sa déclaration dont nous voulons prendre acte par un vote ; les ministres passent et les déclarations des ministres ne sont pas toujours considérées comme un legs par leurs successeurs. Le silence de la Chambre s'oublie et peut être interprété différemment.

Nous demandons un acte, un vote pour donner un corps à la déclaration de M. le ministre des travaux publics et aux déclarations bienveillantes de la plupart des orateurs qui ont pris la parole dans ce débat. Un débat aussi prolongé doit avoir une solution ; or, la seule solution digne de la Chambre, c'est un vote qui formera un point de départ pour l'avenir.

M. Muller. - Messieurs, je viens répondre au langage quelque peu adouci que l'honorable M. Dechamps a tenu aujourd’hui envers la Meuse, et j'y conformerai le mien, qui, sans cela, eût dû revêtir une autre forme.

Il me permettra de lui faire observer que son premier discours était beaucoup trop agressif et qu'il aurait pu défendre les intérêts du bassin de Charleroi et demander l'élargissement du canal qui dirige ses produits vers Bruxelles, sans mettre directement en cause la Meuse, qui n'avait que faire dans un débat résumant les désirs et les plaintes de son arrondissement.

L'honorable M. Dechamps, messieurs, lorsqu'il a fait miroiter devant vous des chiffres de dépenses, accusant une prétendue prodigalité en faveur de la Meuse, s'est livré, je dois le dire, à des exagérations que je n'attendais pas d'un homme d'Etat de sa valeur, et surtout d'un ancien ministre des travaux publics qui aurait pu, avec raison, revendiquer l'honneur d'avoir le premier reconnu que la justice et l'intérêt du pays exigeaient que le gouvernement songeât enfin à l'amélioration de la Meuse, pour laquelle, de temps immémorial, et notamment depuis 1830 jusqu'en 1845, on n'avait rien fait.

Je dis, messieurs, notamment depuis 1830 : en effet, fouillez vos budgets, vous n'y trouverez rien, pendant cette période, pour travaux d'amélioration ; à peine y découvrirez-vous quelques dépenses d'entretien, qui ne se sont pas même portées sur le halage devenu impraticable.

Quant à ces 7 millions que l'honorable M. Dechamps a signalés comme ayant pu être portés en dehors des crédits extraordinaires, je me suis donné la peine de vérifier tous les budgets et les comptes, et il m'a été impossible d'en reconnaître les traces.

A partir de 1845, vous avez inscrit quelque chose comme 200,000 fr. annuellement à titre de crédit extraordinaire aux budgets des 'travaux publics.

.M. Dechamps. - 300,000 francs.

M. Muller. - Pardon, en moyenne 200,000 ; peut-être, une année 300,000. Mais j'ajoute que, dans vos 7 millions, habilement alignés vous avez compté même jusqu'aux frais d'entretien ordinaire, et vous n'avez pas déduit les produits des péages ; vous avez ajouté, pour grossir la somme, tous les frais de réparation et d'entretien des canaux de la Campine, du Limbourg et de Turnhout, et vous les portez au compte de la Meuse.

Si l'on s'avisait de se livrer à ce procédé, de faire de pareils calculs pour tous les canaux, pour toutes les rivières du pays qui sont en communication quelconque avec d'autres voies navigables plus ou moins voisines ou éloignées, ou aboutirait à des résultats réellement fabuleux, et l'on décuplerait par la multiplication les dépenses totales.

Maintenant, messieurs, on a parlé de la destination originelle des canaux du Limbourg ; l'on a dit avec exactitude qu'on leur avait d'abord donné un simple caractère agricole. C'est précisément ce qui prouve que ces canaux n'avaient nullement été construits dans l'intérêt de la navigation de la Meuse, ni surtout dans l'intérêt de la ville de Liège.

Ils ont été si peu conçus dans cet intérêt, qu'ils furent votés par la Chambre, avant qu'on eût le moins du monde songé à creuser un canal latéral.

C'est pour le Limbourg et pour le Limbourg seul que ces canaux ont d'abord été entrepris ; c'est pour cette contrée, qui avait besoin de débouchés, et qu'il importait surtout de fertiliser.

Ce n'est nullement en vue de la Meuse et par prédilection pour elle ; c'est encore moins pour être utile ou agréable à la ville de Liège.

Je tiens à rappeler un fait incontestable, messieurs. Lorsque l'ingénieur distingué qui fut chargé de dresser les plans de ces canaux limbourgeois les soumit au gouvernement, et proposa de faire des écluses à grande section dans la prévision de pouvoir un jour les relier à la Meuse, qui devait leur donner de la vitalité, cela fut refusé par le gouvernement qui n'eut pas assez de prévision des exigences de l'avenir ; toutefois on obtint (et c'est ce qui diminue aujourd'hui le surcroît de dépenses auquel on a dû se condamner) que, du moins, la largeur générale du canal fût établie à grande section.

Peur tous ces canaux, qui traversent le Limbourg, qui vont jusqu'à Turnhout, pour celui qui va se diriger de là vers St-Job in 't Goor, où l'honorable M. Dumortier veut faire promener les bateliers de la Meuse pour aller à Anvers, probablement à titre de promenade salutaire et hygiénique, savez-vous quel est le montant de la dépense, non d'après des calculs de fantaisie, mais résultant des documents officiels ?

De 18 millions, que M. Dechamps inscrit sans gêne au bilan de la Meuse, pour élever ce bilan à 40 ou 45 millions.

Autre grief, messieurs, toujours contre la Meuse. Ces canaux de la Campineet le canal latéral n'ont presque rien rapporté pendant un assez grand nombre d'années !

C'est très vrai ! ils n'ont rien rapporté, tant qu'ils n'étaient pas réellement livrés à la navigation : ceci pour les premiers, et pour le canal latéral tant que ses péages restaient les plus élevés de tout le pays.

Ils ont été abaissés de 50 p. c, et depuis lors la recette du trésor s’est accrue et ira en grandissant.

On y acquitte aujourd'hui, pour le dire en passant, malgré une réduction de 50 p. c., les mêmes droits que sur le canal de Charleroi à Bruxelles, et ce sont, les uns et les autres, les plus élevés que l'on perçoive en Belgique.

Voilà, messieurs, la réponse que j'avais à adresser à l'honorable M. Dechamps. J'accueille, du reste, avec courtoisie, la déclaration qu'il vient de faire, probablement non seulement en son nom personnel, mais aussi au nom de ses honorables collègues de Charleroi, qu'ils ne sont animés ni d'hostilité, ni d'un esprit d'opposition contre les travaux proposés par le projet de loi actuel en faveur de la Meuse, et que leurs votes nous sont acquis.

Un mot maintenant des barrages mobiles de Namur : que la Chambre ne perde pas de vue que si nous les soutenons, ce n'est point dans l’intérêt actuel de l'arrondissement, ni même de la province de Liège. Si ses mandataires ne se plaçaient pas au point de vue de la justice distribuée entre tous les riverains de notre fleuve, ils n'auraient pas lieu d'être satisfaits ; mais il faut savoir considérer l'ensemble des intérêts. Nous reconnaissons que les populations de la Meuse supérieure qui baigne les murs de Namur ont droit à jouir aujourd'hui partiellement des avantages, si clairement démontrés, de la canalisation du fleuve. Seulement, eux et nous, d'accord avec l'arrondissement de Dinant, nous demandons que cette canalisation ne tarde pas à être complétée dans toute son étendue.

Pour vous prouver, messieurs, que notre intérêt, quant au crédit que je défends, est loin d'être immédiat, je dois faire remarquer à la Chambre qu'entre Chokier et Namur, nous aurons encore un parcours de plus de huit lieues sur lequel la Meuse est dans un état pitoyable, difficile ou impossible, durant cinq ou six mois de l'année, pour les transports du commerce.

Je voudrais, messieurs, ne pas fatiguer davantage votre attention ; mais je ne puis me taire sur une proposition qui n'est pas encore formulée en termes précis, mais qui a été annoncée en quelque sorte par M. B. Dumortier.

L'honorable membre n'a pu contenir le cri de sa conscience ; elle s'est soulevée au nom de la justice, vient-il de dire, au nom du principe d'une répartition égale entre les différentes localités du pays ; cette conscience s'est soulevée conttr ce gouffre effroyable, selon lui, de la Meuse.

L'honorable M. J. Lebeau avait cru devoir adresser au représentant de Roulers des félicitations sur la persistance de certaines convictions qu'il a manifestées et qui sont connues depuis longtemps, contre la Meuse ; il le louait de ne pas faire de distinction entre la Meuse cléricale et la Meuse libérale.

L'honorable M. Wasseige, répondant au député de Roulers, a dû désabuser quelque peu son collègue de Huy. Il a fait remarquer que du discours de M. Dumortier il résultait que c'était la ville de Liège particulièrement ou plutôt exclusivement, et non la Meuse, qu'il attaquait ; qu'il y avait erreur à cet égard de la part de son ami politique, et que les travaux qu'on allait faire à Namur intéressaient une province essentiellement bonne, toute différente de celle de Liège sous tous les rapports. L'honorable représentant de Namur aurait pu ajouter que la province de Namur n'a pas de représentants au banc ministériel et qu'elle lui est presque unanimement hostile.

Comment donc se fait-il que l'honorable M. Frère-Orban, député et ministre, qui accapare prétendument tout pour la province et la ville de (page 1599) Liège ; comment se fait-il qu'il ait déversé une grande partie de ses générosités sur l’arrondissement de Namur et sur celui de Dinant, générosités dont, pour le dire en passant, Charleroi, dont vous avez entendu les plaintes, profitera aussi largement.

Il me suffit de poser cette question pouf faire justice de ces insinuations de l'honorable M. Dumortier qui s'adressent au ministre, j'osa le dire, le plus impartial, le plus inattaquable que l'on puisse citer, au point de vue de la dispensation des avantages provenant des deniers publics.

Il est, au surplus, trop haut placé dans l'opinion du pays pour être atteint par de semblables attaques, trop souvent répétées dans cette Chambre par le même orateur.

S'il est un hommage qu'on rend au ministre des finances actuel, c'est, à coup sûr, d'être juste envers tout le monde, c'est de ne pas chercher par des faveurs intéressées à captiver un corps électoral, qui sera toujours fier de le compter à la tête de ses mandataires au parlement !

Cela dit, je passe à l'examen de la conclusion que nous a fait entrevoir le représentant de Roulers :

« Que l'on autorise par voie de concession tous les travaux qui restent à faire à la Meuse pour la canaliser. »

L'honorable membre est prêt à signer une semblable proposition ; il le fera des deux mains, de grand cœur ; il aime tellement la Meuse, et il respecte tellement la ville de Liège qu'il est disposé à leur faire ce grand sacrifice, à leur témoigner ainsi son affection.

En cela, l'honorable membre, dont la mémoire est en défaut, promet plus qu'il ne pourrait donner ! Il perd de vue les négociations diplomatiques qui ont amené l'indépendance du pays.

Sans avoir été du Congrès, il avait, cependant, fait un travail très remarquable sur les intérêts belges qu'il défendait contre la Hollande devant les grandes puissances.

A-t-il oublié aujourd'hui que le traité du 10 avril 1839, signé par le gouvernement belge, placé sous la garantie d'un congrès européen, que ce traité, dis-je, s'oppose formellement à ce que les péages soient augmentés d'une manière quelconque sur la Meuse et sur l'Escaut ?

La Meuse !... j'y reviens encore. Oh ! elle coûte par année 500,000 fr. de plus qu'elle ne rapporte en produits. C'est toujours M. Dumortier qui l'affirme, en vous donnant pour garant sa vive imagination, qui l'a porté à doubler précisément la somme.

En 1859, année de sécheresse, c'est-à-dire de chômage pour nos bateliers, la Meuse a coûté, sur tout son parcours, pour travaux d'entretien en y ajoutant ceux d'amélioration, 260,000 francs de plus qu'elle n'a rapporté en péages ! Voilà la vérité.

Mais voyons un peu : Qu'est-ce que l'Escaut, lui, ce fleuve que chérit M. Dumortier, a produit ? L'honorable membre ne propose pas de le mettre en concession ; il a cependant passablement coûté, et il coûtera dans l'avenir.

L'Escaut, écoutez bien, a rapporté, en péages, en 1859, 93,000 fr et la Meuse, 73,000 ; voilà à quoi se réduit la différence ; voilà en quoi consiste la supériorité de l'un de nos deux fleuves internationaux sur l'autre.

En vérité, messieurs, un tel débat a quelque chose de pénible, et n'est guère dénature à édifier l'opinion publique.

La Belgique a été dotée par le ciel de deux fleuves qui doivent faire fructifier tous les produits de notre sol, qui doivent répandre le bien-être et la prospérité au sein de toutes nos populations, de ces populations dont les intérêts sont liés comme par une chaîne électrique.

On en fait une question de riverains, on sépare, on divise, on méconnaît le bien-être général, et tout ce qu'on fait pour l'un des deux fleuves qui traversent la Belgique du sud au nord, on le reproche à une ville qu'on représente comme devant seule en profiter !

Concéder, par voies de péages, la Meuse, contre les stipulations des traités internationaux, la concéder même en l'absence de traités, c'est une dérision ; cela n'est pas plus sérieux que ne le serait l'idée de concéder l'Escaut, et un vieux parlementaire aurait dû s'abstenir de cette plaisanterie !

Un dernier mot, messieurs. On nous a dit que dans le Hainaut et partout ailleurs il n'y a que des canaux concédés.

Des canaux concédés !... Remarquez, d'abord, qu'il y a une différence du tout au tout entre un canal creusé artificiellement en l'absence d'un grand cours d'eau naturel, et une rivière ou un fleuve.

La rivière, le fleuve, on l'améliore en le canalisant, c'est-à dire en corrigeant ses imperfections, en lui donnant un tirant d’eau plus considérable que celui qu'il a naturellement, en le contenant dans son lit ou en le rectifiant.

Mais, après tout, est-il vrai, en supposant qu'un fleuve puisse être assimilé à un canal, que tous vos canaux soient concédés ?

Vous avez le canal de Selzaete, celui de Schipdonck, celui de Gand à Ostende, celui de Plasschendaele, celui de Furnes à Nieuport, tous ceux du Limbourg, j’en cite ici quelques-uns, et ils n’ont pas été faits par voie de concession.

Et pourquoi ? La raison en est simple, c'est qu'il arrive souvent que dans les contrées qui sont dépourvues d’une grande prospérité, la spéculation privée ne viendrait pas en aide aux populations ; on ne trouverait pas de concessionnaires.

Or, ce sont surtout ces canaux que vous avez créés, qui tendent à développer les éléments de bien-être dans le pays, qui ont besoin du concours direct et des sacrifices du trésor public.

Je m'arrête, messieurs, en m'excusant d'avoir peut-être abusé des moments de la Chambre.

- La discussion est close.


M. le président met aux voix l'amendement de MM. Thibaut et consorts.

- L'amendement n'est pas adopté.


« Article 5. Paragraphe 4. Pour la canalisation de la Meuse, depuis l'embouchure de la Sambre à Namur, jusqu'à la limite supérieure du bassin houiller de Chokier, fr. 1,600,000. »

- Adopté.

Article 5, paragraphe 5 (amendement)

M. le président. - Nous pourrions rattacher ici l'amendement des honorables MM. Dechamps et consorts :

« Un crédit de 10,000 fr. alloué au département des travaux publics pour lui permettre de faire procéder aux études relatives au canal de Charleroi et des embranchements. »

L'honorable M. Dechamps vient de développer cette proposition. Je vais la soumettre à la discussion si la Chambre y consent.

M. Thibaut. - Messieurs, le vote que la Chambre vient d'émettre ajourne une de mes plus chères et de mes plus justes espérances. Je crois que ce résultat est dû surtout aux chiffres que M. le ministre des travaux publics a cités tantôt comme représentant le coût de la canalisation de la Meuse depuis Namur jusqu'à la frontière. Il a évalué cette dépense de 7 à 9 millions, chiffre que je conteste très sérieusement.

Mais il serait bon qu'on parvînt à faire luire la vérité sur ce point.

Je demanderai donc à M. le ministre des travaux publics qu'il veuille bien ordonner le plus tôt possible des études sur cette partie de la canalisation de la Meuse.

M. le président. - Nous reprenons donc la discussion sur la proposition de MM. Dechamps et consorts. Si elle était adoptée, elle formerait le paragraphe 5 de l'article 5.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - J'accepte très volontiers la proposition que vient de faire l'honorable M. Thibaut. Il sera fort intéressant pour le gouvernement d'être renseigné sur la dépense de h canalisation de la Meuse, de Namur à la frontière de France ; il va de soi cependant que je fais toute réserve en ce qui touche l'exécution.

Quant à l'amendement relatif au canal de Charleroi, je demande que la Chambre vote d'abord sur la question préalable que je suis forcé d'y opposer.

M. Guillery. - Messieurs, je ne sais pas sur quoi est basée la question préalable. Si c'est sur la recevabilité de la proposition, si l'on veut prétendre que la Chambre n'a pas le droit d'introduire des amendements, je ne pourrais que répéter ce qu'a dit l'honorable M. Dechamps, c'est que la Chambre a introduit un grand nombre de travaux publics par voie d'amendement. Il y a à cet égard des précédents très nombreux.

Lorsqu'un projet de loi de travaux publics est présenté, la Chambre, à moins de sacrifier complètement son droit d'initiative, à moins de renoncer complètement à toute espèce d'influence sur les lois qui émanent d'elle, doit pouvoir introduire, par voie d'amendement, les travaux qu'elle juge nécessaires ou utiles.

Que demande-t-on ici ? On ne demande pas même l'exécution d'un travail. On demande l'allocation d'une somme de 10,000 francs pour des études.

Ce n'est pas du reste téméraire.

Quel que puisse être au fond le mérite de cette proposition qu'on peut parfaitement rejeter si on la juge inopportune ou inutile, nous insistons pour que la question préalable ne soit pas votée, pour que la Chambre ne vienne pas elle-même compromettre l'une de ses plus précieuses prorogatives, c'est-à-dire décider qu'elle n'a pas le droit d'introduire dans un projet de travaux publics, par voie d'amendement, une somme pour (page 1600) complément de certains travaux ou pour l'étude de travaux nouveaux.

La thèse que je soutiens a été soutenue en 1859 par l'honorable M. E. Vandenpeereboom avec l'autorité qui lui appartient ; je sais qu'il a été combattu au nom du gouvernement, mais à cet égard je crois que l'honorable M. E. Vandenpeereboom était le défenseur des véritables principes et il y a 5 minutes la Chambre a voté sur l'amendement de l'honorable M. Thibaut sans qu'on ait demandé la question préalable. On a examiné la question au fond et la Chambre a voté sur le point de savoir s'il serait alloué 400,000 fr. pour le commencement des travaux sur la Meuse entre Dinant er la frontière de France.

Ainsi à 5 minutes d'intervalle, on considère comme parfaitement régulière une proposition faite par l'honorable M. Thibaut et l'on considère comme inconstitutionnelle et contraire au règlement la proposition en faveur du canal de Charleroi.

Si la Chambre avait été de l'avis de l'honorable M. Thibaut, évidemment l'amendement était adopté et alors il n'était plus temps de discuter la question de régularité.

Je crois même avoir vu (je n'en suis pas certain, car j'ai la vue très mauvaise) des membres au banc des ministres se lever en faveur de la proposition.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est une erreur.

M. Guillery. -Soit ; mais du moins, je puis dire que le gouvernement a voté sur le fond et n'a pas opposé la question préalable.

M. le président. - La proposition de l'honorable M. Thibaut a été considérée comme un amendement au paragraphe 4, et dès lors M. le ministre des travaux publies ne l'a pas combattue comme irrégulière. Celle dont nous nous occupons en ce moment ne se rattache à aucune disposition du projet de loi. Elle doit par conséquent être soumise aux formalités prescrites par les articles 35 et suivants du règlement.

M. Guillery. - C'est bien cette question que j'examine. J'invoque ce qui s'est fait en faveur de la canalisation delà Meuse. On pouvait rattacher cette proposition à un paragraphe, mais en définitive c'était au fond une proposition de travaux autres que ceux proposés par le gouvernement.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - C'est l'extension d'un travail proposé par le gouvernement.

M. Guillery. - C'est là jouer sur les mots. On peut parfaitement canaliser la Meuse jusqu'à Namur sans la canaliser au-delà. De cette façon si l'on proposait un chemin de fer d'Anvers à Malines, on pourrait en proposer le prolongement jusqu'à la frontière d'Allemagne, parce que ce n'était que la continuation d'un travail proposé.

On pouvait le continuer sur Gand, sur Bruxelles, sur Arlon ; ce n'était que la continuation d'un travail présenté à la Chambre par le gouvernement, ce n'était plus l'initiative de.la Chambre. Si nous en sommes là, nous discutons sur des mots mais plus sur des questions d'initiative parlementaire.

Mais le chemin de fer destiné à relier le bassin de Charleroi à Louvain était-il la continuation d'un travail communiqué par le gouvernement ?

L'honorable M. Dechamps vient de le rappeler ; dans la séance du 21 août 1851 (Annales parlementaires, page 2019, vous trouverez, messieurs, l'adoption de l'amendement de MM. Dechamps, Pirmez et Dumon, ainsi conçu :

« Le gouvernement est autorisé à contracter avec une compagnie pour la concession d'un chemin de fer destiné à relier le bassin de Charleroi à la ville de Louvain, moyennant la garantie d'un minimum d'intérêt de 4 p. c. sur un capital n'excédant pas six millions et aux clauses et conditions qu'il déterminera. »

Cet amendement, combattu d'abord par le gouvernement, fut ensuite accepté, par lui, et il n'a pas été un seul instant question de l'irrégularité qui aurait entaché la présentation de cet amendement ; on l'a toujours considéré comme présenté régulièrement et on l'a discuté.

Le droit d'amendement que possède la Chambre est tellement étendu que lorsque la Chambre a été saisie d'un projet de loi que vous n'avez pas oublié, la section centrale a présenté un amendement dont vous avez également conservé le souvenir et qui concerne les fraudes électorales. Et tout cela, messieurs, à propos d'un projet de loi qui portait augmentation du nombre des représentants.

On a contesté, au sein de cette Chambre, le droit de la section centrale de présenter comme amendement le projet de loi dont elle est encore saisie aujourd'hui et dont elle restera saisie peut-être longtemps encore ; on a discuté longuement cette question. Eh bien, toute la gauche a soutenu que la section centrale avait usé de son droit ; et la Chambre a décidé que c'était un amendement, que la section centrale n'avait donc pas excédé ses pouvoirs.

Je pourrais citer bien d'autres exemples encore ; mais il me suffit, me paraît-il, de rappeler qu'en 1851 un grand travail d'utilité publique, celui dont je viens de parler, et un autre encore dont le nom m'échappe, ont été introduits par l'initiative de la Chambre par voie d'amendement.

Ya-t-on maintenant, à propos d'une misérable somme de 10,000 fr., par laquelle nous ne demandons, en définitive, qu'un témoignage d'intérêt, de bienveillance de la part de la Chambre en faveur du canal de Charleroi, va-t-on soulever une question de constitutionnalité et la Chambre va-t-elle restreindre elle-même son droit d'amendement, son droit d'initiative, limiter son influence naturelle et nécessaire sur les projets de travaux publics qui lui sont soumis ? Messieurs, j'espère qu'il n'en sera pas ainsi.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je dois persister, messieurs, à opposer l'exception que j'ai fait valoir et sur laquelle, dans cette discussion même, la Chambre a statué dans le sens où je me suis prononcé.

Restreindra-t-on, dit l'honorable membre, les prérogatives de cette assemblée ?

Messieurs, il ne s'agit pas de cela ; il ne s'agit nullement d'enlever aux membres de cette Chambre le droit d'amender des projets de loi ; mais il s'agit de savoir ce que c'est qu'un amendement, ce que c'est qu'une proposition nouvelle.

En fait, quel est l'intérêt du gouvernement dans cette question ? C'est qu'il lui est impossible d'admettre que, sous prétexte d'amendement, on puisse, de divers côtés, introduire des propositions nouvelles. Si un tel système pouvait prévaloir en matière de travaux publics, il arriverait qu'un projet d'ensemble comportant une dépense de 10 à 20 millions sortirait de cette Chambre sous la forme d'une dépense de 40, de 50 millions peut-être.

C'est là ce que nous ne pouvons pas admettre et c'est pourquoi nous persistons à opposer la question préalable.

Maintenant, encore une fois, qu'est-ce qu'un amendement ? Est-ce autre chose qu'une modification apportée à une proposition soumise à la Chambre ?

Or, en fait, quelle est la disposition de 1a loi en discussion qui se trouve modifiée par la proposition que font certains membres, d'affecter une somme de 10,000 fr. à l'étude de l'élargissement du canal de Charleroi ?

Y a-t-il une analogie quelconque, un rapprochement possible, entre cette proposition et aucune des dispositions du projet que le gouvernement a soumis à la législature ?

Si cette disposition existe, je prie l'honorable M. Guillery de vouloir bien me l'indiquer.

En d'autres circonstances, dit-on, on n'a pas fait valoir cette exception. Qu'est-ce que cela prouve ? Tout simplement que, dans ces circonstances, on a renoncé à réclamer l'application rigoureuse du règlement.

Et, messieurs, veuillez bien le remarquer, c'est une seconde question qui se présente, de savoir si une proposition faite dans ces termes et acceptée par le gouvernement, ne tombe pas nécessairement sous le coup de l'exception que j'invoque dans le cas actuel.

Ains, par rapport au chemin de fer de Charleroi à Louvain, le gouvernement se trouvait d'accord avec les auteurs de la proposition.

M. Pirmez. - Qu'est-ce que cela fait ?

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Il s'agit d'une différence dont il faut tenir compte.

Cependant, je suppose qu'il n'y en ait pas ; eh bien, encore une fois, la circonstance que l'on signale prouverait uniquement qu'à cette époque, on a renoncé à invoquer la fin de non-recevoir qui se trouve dans notre règlement ; en d'autres termes, cela signifie qu'on n'a pas cru devoir demander l'application rigoureuse de ce règlement.

Au fond, on vous propose un travail nouveau, on propose d'affecte un petit crédit à des études qui, à l'heure qu'il est, se font et se poursuivent au moyen des ressources ordinaires du budget. Ce n'est donc pas même une proposition.

Aussi, je le rappelle, ce n'est pas seulement par une exception que j'ai cherché à écarter cette proposition, mais par des arguments puisés dans la nature des choses.

Toujours est-il que, dans l'intérêt de la discussion d'un projet de loi tel que celui qui occupe maintenant la Chambre, il importe qu'on ne puisse pas, sous prétexte d'amendement, y introduire des propositions nouvelles, sans faire passer ces propositions par la filière indiquée dans le règlement.

(page 101) M. J. Lebeau. - Il s’agit ici, messieurs, d'une question rte prérogative parlementaire.

Or, un tel débat se présentant d'une manière incidentelle et alors que d'autres préoccupations dominent cette assemblée, il serait imprudent, je pense, de trancher une pareille question. Ce serait peut-être l'abus de la force.

Nous sommes les plus forts ; c'est pour cela que nous devons être les plus modérés, les plus prudents.

Je ferai remarquer, au surplus, que le vote qu'on réclame est tout à fait superflu. Si le gouvernement et la Chambre sont de bonne foi (et il n'est pas permis d'en douter), la cause que l'on défend est complètement gagnée.

Permettez-moi, messieurs, de vous rappeler ce qu'a dit M. le ministre des travaux publics au sujet de la proposition que nous discutons. Les paroles d'un ministre sont, en général, plus pesées que les nôtres ; eh bien, permettez-moi de vous rappeler le langage de M. le ministre des travaux publics sur cette proposition :

« Cherche-t-on autre chose ? Ne pense-t-on pas au crédit qu'il faudrait solliciter à l'avenir, mais veut-on une simple déclaration de sympathie ? Encore alors l'amendement est inutile, attendu que cette sympathie est acquise !

« Je m'en suis déjà expliqué. Non seulement je n'ai pas contesté l'utilité de ce travail, mais j'ai prouvé même que j'avais de mon propre mouvement mis l'affaire à l'élude... Ainsi, de la part du gouvernement, on ne peut rien désirer de plus que ce qu'il a fait.

« De la part de la Chambre, dès l'instant que ce travail se présente comme équitable, dès l'instant qu'il n'y a aucune espèce de protestation contre son exécution dans l'avenir, ce silence équivaut à une pleine adhésion. Il est donc constant que les sympathies de la Chambre et du gouvernement lui sont assurées. »

Eh bien, en bon français cela veut dire qu'au commencement de la session prochaine, le projet de loi vous sera certainement soumis (Interruption) ; s'il ne l'est pas, vous pourrez user de votre droit d'initiative ; et, en présence d'un pareil langage, je serais très heureux de mettre ma signature à côté de la vôtre.

Je répète que s'il y avait un grand intérêt pratique engagé dans la question ; s'il ne s'agissait pas seulement de quelques fonds à allouer, non pour l'exécution de nouveaux travaux, non pour les décréter en principe, mais seulement pour les étudier, je m'empresserais de voter avec vous ; mais quand une question de prérogative parlementaire est en jeu, il ne faut pas la trancher d'une manière incidente. Croyez-moi, et c'est un assez triste avantage que me donnent sur quelques-uns d'entre vous mon âge et ma longue expérience, gardez-vous de trancher incidemment des questions de ce genre, des questions de constitutionnalité sans un grand intérêt.

Permettez-moi de vous le dire, c'est une des choses les plus graves pour les gouvernements représentatifs que de résoudre, sans mûre réflexion et par une sorte d'entraînement, des questions de prérogative entre les grands pouvoirs de l'Etat. Nous sommes les plus nombreux, les plus forts. N'abusons pas de ces avantages.

M. Pirmez. - Messieurs, nous n'avons aucun désir de faire décider une question de prérogative constitutionnelle ; nous la trouvons soulevée par M. le ministre et nous sommes bien obligés de le suivre sur ce terrain si nous ne voulons pas voir écarter notre proposition par la question préalable. Le point contesté est du reste simple ; pour le résoudre il suffit de se rendre un compte exact du projet qui nous est présenté. Si le gouvernement décrétait isolément un travail d'utilité publique comme un chemin de fer entre deux villes, un canal entre deux rivières, on ne pourrait pas introduire dans le projet la faculté de concéder un tout autre travail ne se rattachant pas à celui qui est en discussion.

Mais M. le ministre vient encore de qualifier, comme il l'a fait du reste dans toute la discussion ; le projet qu'il nous soumet, c'est un projet d'ensemble de travaux publics.

Le fait est que nous avons une somme d'environ sept millions disponibles et qui sont à répartir entre les différentes parties du pays, en observant la justice distributive et en tenant compte du plus ou moins d'urgence et d'utilité.

C'est donc une répartition que nous avons à faire.

Mais à quoi tend notre proposition ? A faire changer la répartition générale qu'on propose ; et ce ne serait pas la un amendement, c'est-à-dire une modification à ce qu'on propose ?

Il s'agit d'un partage, et nous, qui devons le faire, nous ne pourrions pas demander que les conditions de partage soient changées, qu'on y ajoute un copartageant oublié ; ce serait là une chose étrangère au partage ! (Interruption,) Nous demandons qu'on vote dix mille francs pour des travaux préparatoires.

- Un membre. - Le ministre vous répond qu'il n'en a pas besoin, qu'il a de l'argent pour cela.

M. Pirmez. - Votre objection est que l'amendement est inutile, ce n'est plus la question préalable ; permettez-moi d'y rester, nous discuterons si vous le voulez tantôt votre objection au fond ; si les termes de la proposition empêchent que la question de prérogative ne ressorte seule, je supposerai qu'au lieu de demander des travaux d'urgence, nous ayons demandé l'exécution d'une écluse sur le canal de Charleroi.

Ce sera bien la même chose, quant à la question préalable, et remarquez bien qu'il ne s'agit pour le moment que de savoir si nous ne pouvons pas présenter un amendement ayant pour but d'inscrire dans la loi un crédit pour un travail autre que ceux qui sont compris dans le projet.

Or, comment la proposition d'établir une écluse ne serait-elle pas recevable ? Ne consisterait-elle pas à apporter un changement à la répartition du crédit que nous votons, et partant, ne touche-t-elle pas au cœur même du projet ?

Vous venez de dire que si notre amendement était admis il serait impossible au gouvernement de présenter un projet d'ensemble de travaux publics. Vous reconnaissez donc la différence qu'il y a entre un projet d'ensemble et un projet de travail isolé. Si c'est un projet d'ensemble nous avons le droit de modifier la répartition, droit que nous n'aurions pas s'il s'agissait d'un travail isolé.

On a parlé de précédents, permettez-moi d'en citer, ils sont très décisifs.

Dans la séance du 9 juin 1855 nous en trouvons plusieurs.

Amendement présenté par MM. Landeloos, Ansiau, Mathieu, de la Coste, de Wouters, Brixhe, Coomans, Dechamps, de Man d'Attenrode, Moxhon, Lelièvre et Moncheur, devant former l'article 5.

« Le gouvernement est également autorisé à accorder, d'après les mêmes bases.la concession d'un chemin de fer de Louvain à Herenthals, par Aerschot. »

« L'amendement est mis aux voix et adopté. »

Voici un second exemple où la Chambre s'est prononcée après discussion :

« Immédiatement MM. Loos, de Perceval et Rogier présentent l'amendement suivant :

« Le gouvernement est également autorisé à accorder la concession d'un chemin de fer de Malines à Schelle sur l'Escaut passant à Walhem, Rumpst, Boom et Niel. »

« M. Orban. -Je ne vois réellement pas en quoi ce projet se rattache à celui que nous discutons. Je conçois que, par voie d'amendement, on propose un projet nouveau ; mais c'est lorsque ce projet se rattache à celui qui est en discussion.

« Je ne fais pas d'opposition à la proposition qui nous est faite ; mais je demande qu'on l'introduise régulièrement, qu'on l'introduise séparément. Mais ce n'est pas sérieux de faire une semblable proposition par voie d'amendement. »

M. le ministre des travaux publics n'aurait pas mieux dit.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - C'est extrêmement juste.

M. Pirmez. - Vous allez voir comment on y a répondu :

« M. Loos. - Je ne conçois pas les observations que présente l'honorable M. Orban, après le vote que vient d'émettre la Chambre. Certes il n'était pas question, dans le projet qui nous est présenté, d'une ligne de Fleurus à Landen, de Groenendael et de Nivelles ; il était moins question encore du chemin de fer de Louvain vers Herenthals par Tirlemont, qui vient d'être voté. Mais la Chambre a compris qu'il était quelques chemins de fer suffisamment étudiés et qui pouvaient trouver place dans le projet actuel.

« Certes, celui pour lequel j'ai signé un amendement était plus étudié qu'aucun autre.... etc. »

Et là-dessus l'amendement est adopté ; c'est-à-dire que la doctrine de M. le ministre est condamnée.

Vous voyez donc que la Chambre, malgré l'opposition faite à la proposition, a décidé ce que nous demandons qu'on décide aujourd'hui. Si (page 1602) vous adoptez la doctrine de M. le ministre des travaux publics, vous ne pourrez jamais faire à un projet d'ensemble de travaux publics une modification, même avec le consentement du gouvernement, parce que le gouvernement n'a pas plus le droit de présenter un amendement qu'un membre de la Chambre, si l'amendement est interdit par le règlement.

Le gouvernement peut en introduire une disposition nouvelle, mais il lai faut un arrêté royal, ce n'est qu'en vertu d'un arrêté royal qu'il aurait un droit plus étendu qu'un membre de la Chambre.

Il faut qu'un projet présenté par le gouvernement subisse les modifications qui seront jugées nécessaires, utiles ; il y aurait inconvénient sérieux à vouloir qu'un projet passe tel qu'il a été présenté par le gouvernement sans que la discussion puisse y faire apporter les modifications dont elle révèle la nécessité.

Quant au danger que trouve M. le ministre dans le système que nous soutenons, de voir des projets de travaux s'élever au double de celui que présente le gouvernement, il y a un moyen fort simple ; il n'effrayera personne, le gouvernement peut y parer, en retirant ou en ne le sanctionnant pas.

Je ne crois pas que malgré l'usage qu'on a pu faire de ce système on ait rencontré cet inconvénient. Quand la Chambre a voté des travaux publics, elle doit voter les fonds pour les exécuter, c'est le frein qui arrête les exagérations.

M. de Naeyer. - Je pense qu'au fond cette question se réduit à des éléments assez simples.

Deux choses sont incontestables.

La Chambre a le droit incontestable d'amendement ; mais les propositions principales émanant de l'initiative des membres de la Chambre sont soumises à certaines formalités pour arriver à la discussion publique. Toute la difficulté est dans la distinction à faire entre un amendement et une proposition principale ; et il s'agit uniquement de savoir si une proposition nouvelle qui se produit a des rapports assez directs et assez intimes avec la proposition en discussion pour pouvoir être considérée comme un amendement.

Je crois que c'est là toute la question. C'est une question de fait, et par cela même que c'est une question de fait, elle ne peut porter atteinte à des prérogatives. Ce que nous allons décider ici pour un cas spécial ne prouve rien pour ce qui pourra se faire à l'avenir.

Je crois donc, messieurs, que la question de prérogative reste entièrement sauve, quelque décision que l'on prenne.

Maintenant il me paraît évident que la proposition faite par plusieurs de nos honorables collègues a une relation même assez intime avec le paragraphe que nous discutons. Quel est l'objet principal de ce paragraphe ? C'est l'amélioration de la Meuse, de manière à mettre sa navigation en harmonie avec celle qui se pratique sur la Sambre ; c'est l'uniformité de navigation sur les deux rivières. Eh bien, les études que l'on demande tendent à l'extension de ce même système au canal de Charleroi qui communique immédiatement avec la Sambre et qui établit la jonction du bassin de la Meuse et de la Sambre avec le bassin de l'Escaut ; il s'agit donc en réalité d'arriver à une extension toute naturelle d'un système de navigation qui forme l'objet principal du paragraphe en discussion et par conséquent d'amender ce paragraphe.

Il me semble donc que cette proposition a un caractère d'amendement, c'est-à-dire un rapport très intime avec la proposition principale en discussion, et je crois qu'on peut renoncer à la question préalable sans avoir la moindre crainte de porter atteinte à une prérogative quelconque.

M. de Theux. - J'ai beau réfléchir et j'avoue très sincèrement à la Chambre qu'il m'est impossible d'attacher une importance quelque peu sérieuse à ce que l'amendement soit adopté ou écarté par la question préalable.

Cette question n'a d'importance ni en fait ni en droit., Elle n'a pas d'importance en fait. Car vous auriez beau allouer 10,000 fr. au gouvernement pour faire faire les études de l'élargissement du canal de Charleroi, qu'il n'en résulterait en aucune manière, alors même que le résultat de ces études serait communiqué à la Chambre et serait complètement favorable au système défendu par les honorables députés de Charleroi, que le gouvernement serait engagé à proposer le projet, et encore moins que la Chambre serait engagée à le voter.

Voilà, messieurs, pour le fait. Maintenant pour le droit, nous avons eu des décisions en sens contraire ; cela se comprend parfaitement bien. Il y a telles propositions qui se présentent à l'occasion d'une grande loi de travaux publics, qui ne rencontrent pas de difficultés en elles-mêmes. Pourquoi ? Parce qu'elles ont été étudiées et que les avantages qu'elles présentent sont tellement évidents, qu'on peut les accueillir avec facilité.

Il y a d'autres propositions au contraire qui, n'étant pas appuyées sur des études préalables, ne peuvent pas être admises par la Chambre sans que celle-ci manque à ses devoirs ; car elle ne peut émettre de vote d'une grande portée qu'après une information suffisante, et dans ce cas on peut bien écarter une proposition semblable par la question préalable, tandis que, dans d'autres circonstances, on l’admettrait à faire partie du projet de loi.

Je crois que c'est une question de pratique qui doit être résolue par les circonstances de fait et qu'il n'y a pas ici de théorie absolue ni en droit ni en fait.

Quant à la proposition en elle-même, on se trouve dans cette position assez singulière. M. le ministre a déclaré, je crois, qu'il ferait faire les études réclamées.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Elles sont commencées depuis plusieurs semaines.

M. de Theux. - Si elles sont commencées, si M. le ministre déclare qu'il veut les poursuivre et qu'il en communiquera le résultat à la Chambre, je crois que c'est tout ce qu'on peut désirer, que le but des honorables auteurs des amendements est atteint.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Sur la question de principe, j'énonce une opinion que je n'ai pas cessé de défendre, soit comme membre de la Chambre, soit comme ministre : c'est que l'on ne peut pas introduire de véritables propositions nouvelles dans un projet de loi sous prétexte d'amendement.

M. Thibaut. - Est-ce une proposition nouvelle ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Voilà précisément la question. Il y a, comme le disait l'honorable M. de Naeyer, à rechercher si c'est un amendement, si cela amende quelque chose au projet ou si c'est réellement une proposition nouvelle. Lorsque la Chambre a constaté qu'il s'agissait de propositions nouvelles, elle les a écartées par la question préalable. Dans cette discussion même elle l'a fait. Deux fois, avant-hier, la Chambre a été appelée à se prononcer sur la question préalable, et deux fois la question préalable a été accueillie. Elle l'avait fait précédemment dans des circonstances analogues.

Il y a pour cela un motif très grave, très sérieux.

Ce n'est qu'une question de forme. Le droit de personne n'est atteint. La proposition peut être faite, mais elle doit être soumise aux formes indiquées par le règlement. Il faut qu'il y ait une instruction préalable. La proposition est déposée ; elle est renvoyée aux sections pour savoir si elles en autorisent la lecture ; si la lecture est autorisée, elle a lieu ; la proposition est développée ; si elle est prise en considération, elle est renvoyée aux sections et examinée en section centrale ; elle fait l'objet d'un rapport et la Chambre statue ensuite.

Voilà la marche qui est indiquée par le règlement,

S'il s'agit d'amendement, comme il est alors question de modifier une proposition principale qui a été elle-même l'objet d'un examen régulier de la Chambre, le droit d'amendement s'exerce utilement et sans inconvénient. Mais que, sous prétexte d'amendement, on veuille introduire dans un projet une proposition quelconque, il peut en résulter ce grave inconvénient que la Chambre, sans examen, sans informations, admette ces propositions qui pourraient avoir des conséquences plus ou moins graves. La question préalable n'a pas d'autre objet que d'éviter des surprises ou des erreurs.

Maintenant, dans le cas particulier qui nous occupe, il n'est pas sérieusement possible d'indiquer à quelle proposition principale se rattacherait le prétendu amendement. Et puis, ainsi que vient de le dire l'honorable M. de Theux, à quoi bon cette proposition ?

M. de Naeyer. - Ce n'est plus la question préalable.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Non, mais je veux inviter les honorables membres à retirer cette proposition qui est devenus tout à fait sans objet après les déclarations qui ont été faites.

Vous voulez donner des fonds pour qu'on se livre à des études relatives à un travail particulier. Eh bien, nous avons des fonds ; et nous faisons mieux qui d'invoquer ce motif, qui est pourtant péremptoire. Mon honorable collègue M. le ministre des travaux publics vous déclare que les études se font, qu'elles se poursuivent, qu'elles sont commencées depuis quelque temps déjà et qu'elles s'achèveront. Que veut-on de plus ? Sur quoi la Chambre peut-elle être appelée maintenant à statuer ?

Il n'y a donc aucun intérêt à maintenir la proposition.

(page 1603) Veut-on induire de cette proposition que ce serait l'expression d'un vœu de voir exécuter le travail ? Mais personne n'émettra ce vœu, parce que personne ne connaît la nature du travail, ne connaît ses résultats, ne connaît son importance. Personne n'entend prendre des engagements par une chose inconnue.

La proposition doit donc rester restreinte à ce qu'elle présente rigoureusement dans son texte, c'est-à-dire à l'allocation de 10,000 fr. ; et à cet égard, le gouvernement déclare que la somme ne lui est pas nécessaire.

II n'y a donc pas d'amendement ; il y a une proposition irrégulièrement faite, elle est sans objet ; elle doit être retirée.

M. Allard. - Je déclare retirer la signature que j'avais donnée à l'amendement.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je voulais faire valoir au fond les arguments que vient de développer mon honorable collègue.

Que voulez-vous ? Des études ? Elles se font. Voulez-vous faire décider la question en elle-même, faire voter en principe des millions ? Non, vous ne le voulez pas, ou votre proposition manquerait de franchise. Par conséquent, j'engage aussi les honorables membres à retirer l'amendement.

M. Guillery. - Je tiens à faire remarquer à la Chambre qu'il y a deux questions distinctes : la question de prérogative parlementaire, et ce n'est pas nous qui l'avons soulevée, et la question du fond. On peut voter contre la question préalable, c'est-à-dire décider que nous avons le droit de présenter une pareille disposition, et rejeter ensuite au fond notre demande de crédit. Ainsi les personnes les plus opposées à ce crédit de 10,000 fr., qui le regardent comme inutile ou comme dangereux peuvent voter contre, mais la question préalable vient avant tout.

Il s'agit de savoir quelle est l'étendue de nos prérogatives. Eh bien, on a cité à cet égard les précédents les plus concluants et les arguments que l'on fait valoir contre la recevabilité de notre proposition et pour la question préalable, sont des arguments du fond, car en définitive on suppose que la Chambre pourrait introduire ainsi, dans un projet de loi, des travaux qui ne seraient pas étudiés.

Mais il faut supposer que la Chambre saura ce qu'elle doit faire et que, si on lui présente un projet qui ne soit pas suffisamment étudié, elle le repoussera.

D'autres honorables membres ont dit qu'au lieu des 15 millions qui auraient été demandés on pourrait en voter 40 ou 50. Mais si la Chambre vote 40 ou 50 millions au lieu de 15, c'est qu'elle aura de bonnes raisons pour le faire. La Chambre est le meilleur juge de ce qu'elle doit faire.

Ainsi, que la Chambre décide que la Meuse sera canalisée jusqu'à Dînant lorsqu'on lui propose de la canaliser seulement jusqu'à Namur, et que de ce chef elle double, triple ou quadruple la dépense, personne n'a le droit de l'empêcher, la Chambre est incontestablement maîtresse de le faire, on le reconnaît.

Vous délibérez aujourd'hui, messieurs, sur une question qui a été résolue vingt fois en faveur de votre prérogative. (Interruption.)

Elle l'a été notamment lorsque la Chambre a introduit un chemin de fer de Charleroi à Louvain.

Je sais qu'elle l'a fait de l'assentiment du gouvernement, mais cet assentiment n'existait pas au commencement de la discussion et d'ailleurs l'assentiment du gouvernement ne change rien à la question, car il ne peut pas changer en amendement ce qui serait une proposition nouvelle.

L'assentiment du gouvernement donne une certaine autorité à une proposition, il garantit que le gouvernement ratifiera la proposition si elle est adoptée, mais l'assentiment du gouvernement ne peut rien changer à la question de prérogative parlementaire.

Eh bien, si la Chambre a eu le droit d'introduire le chemin de fer de Charleroi à Louvain, elle a le droit, à plus forte raison, d'introduire l'amendement que nous avons proposé.

Voilà, messieurs, ce que j'avais à dire sur la question de forme. Quant au fond, nous nous réservons de le discuter.

M. B. Dumortier. - Messieurs, il s'agit ici avant tout d'une question de prérogative. Qu'est-ce que la question préalable ? Le règlement le dit en toutes lettres :

« La question préalable, c'est-à-dire qu'il n'y a pas lieu de délibérer. » Or, messieurs, pour qu'il n'y ait pas lieu de délibérer, il faut que la proposition soit complètement étrangère au débat.

Ainsi par exemple si dans un projet de loi de travaux publics on venait proposer un crédit de 50,000 fr. pour la cavalerie ou un crédit pour des canons, alors on pourrait demander la question préalable parce qu'alors évidemment il n'y aurait pas lieu à délibérer. Mais de quoi s'agit-il dans la proposition ? D'une question de travaux publics. Et qui est-ce qui peut soutenir qu'il n'y a pas lieu de délibérer sur une question de travaux publics dans la discussion d'un projet de loi de travaux publics ?

Savez-vous, messieurs, à quoi revient le système que soutient le gouvernement dans cette affaire ? C'est qu'en matière de travaux publics la Chambre n'a plus le droit de voter des amendements. En effet, messieurs, quand il s'agit de travaux publics, je ne connais pas d'autre amendement que de rejeter un travail et d'y substituer un autre travail. Si donc on pouvait prononcer la question préalable sur la demande d'un travail qui n'est pas compris dans le projet de loi, ce serait la suppression de l'article de la Constitution qui accorde aux Chambres le droit d'amendement.

Alors nous serions réduits à adopter les projets de lois tels qu'ils nous sont présentés, ou à les rejeter purement et simplement. Ce serait l'absorption complète du pouvoir législatif. Eh bien, messieurs, je tiens trop à la conservation des prérogatives parlementaires pour ne pas engager M. le ministre des travaux publics à abandonner un semblable système. Il est trop inconstitutionnel pour que la Chambre n'en fasse pas bonne justice.

M. J. Lebeau. - Messieurs, je dois insister parce que je suis sous l'empire d'une profonde conviction. Il y a un danger réel, selon moi, dans cette discussion.

Nous délibérons d'ailleurs, messieurs, sur une équivoque ; personne ne conteste le droit qu'à chacun de vous de présenter un amendement en faveur du canal de Charleroi ou en faveur d'une voie navigable quelconque ; mais on veut imposer à M. le ministre des travaux publics l'obligation de faire des études, alors qu'il déclare qu'il n'a pas besoin pour cela d'un vote, qu'il est de notre avis, qu'il est convaincu. Cela est écrit, messieurs, sinon en toutes lettres, du moins dans le sens des paroles du ministre. Il y a engagement moral, selon moi, de la part du gouvernement ; et si le gouvernement ne prenait pas l'initiative, moi, qui défends ici ce que je crois être les droits du ministère, je me joindrais à vous pour signer une proposition de loi.

Mais je vous en prie, messieurs, ne tranchez pas ainsi une question de prérogative. Il faut nous défier de nous-mêmes dans ces questions brûlantes. Plusieurs d'entre vous peuvent arriver au pouvoir et, je les en conjure, qu'ils ne se créent pas un pareil précédent, qu'on pourrait leur opposer plus tard.

Je demande d'ailleurs, messieurs, quelle est la valeur pratique de la proposition ? Voulez-vous discuter dès aujourd'hui la question de l'élargissement du canal de Charleroi ? Mais vous reconnaissez vous-mêmes qu'il y a des études à faire. Il n'y a donc pas péril en la demeure. Je vous en conjure, messieurs, n'insistez pas ; ne tranchez pas, sans un motif suprême, sans une absolue et pressante nécessité, une question de prérogative entre la couronne et le parlement. Je vous en conjure, mettez un terme à ce débat qui est dangereux et qui ne peut en aucun cas avoir de résultat utile, puisque le but à atteindre n'est plus douteux.

M. Ch. Lebeau. - Messieurs, l'honorable ministre des travaux publics nous a dit qu'il reconnaît l'utilité du travail que nous réclamons, et que ce travail a toutes ses sympathies, que les études sont commencées et qu'il les continuera, qu'il a les fonds nécessaires ; il a ajouté que le silence de la Chambre après les paroles qu'il a prononcées, est la preuve qu'elle partage les sympathies du gouvernement pour le canal de Charleroi. En présence, messieurs, de ces déclarations qui seront consignées aux Annales parlementaires, nous pouvons retirer notre proposition.

M. le président. - La proposition est retirée.

- La séance est levée à 4 heures 3/4.