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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 19 avril 1861

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)

(page 1150) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Boe, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Moor, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Des fabricants de chapeaux de paille demandent une modification au texte de la disposition douanière relative aux tresses en paille, etc. »

M. de Renesse. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission permanente de l'industrie, avec demande d'un prompt rapport.

- Adopté.


« Le conseil communal de Viesville demande la construction du chemin de fer Grand-Central franco-belge d'Amiens à Maestricht, qui est projeté par le sieur Delstanche. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Bossuyt, voiturier à Heule, se plaint de la manière dont la police judiciaire est administrée dans cette commune. »

- Même décision.

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Gand

« M. le ministre de l'intérieur transmet, avec les pièces à l'appui, les procès-verbaux des opérations qui ont eu lieu à Gand, le 13 de ce mois, pour l'élection d'un représentant. »

- Il est procédé au tirage au sort pour la nomination d'une commission de sept membres chargée d'examiner les pouvoirs du nouvel élu.

Sont nommés MM. Dechentinnes, David, Van Volxem, de Ruddere, Magherman, Jacquemyns et Grosfils.

Pièces adressées à la chambre

« M. le ministre des travaux publics transmet à la Chambre 120 exemplaires d'une publication officielle sous le titre : Renseignements statistiques recueillis par le département des travaux publics. »

- Distribution et dépôt à la bibliothèque.


« M. de Liedekerke demande un congé de deux jours motivé par des affaires urgentes. »

Projet de loi révisant le code pénal (livre II, titres III à IX)

Discussion des articles

Titre III. Des crimes et des délits contre la foi publique

Chapitre V. Du faux témoignage et du faux serment
Article nouveau

M. le président. - Nous avons, messieurs, à reprendre l'examen des articles du livre II, titre III du Code pénal, qui ont été renvoyés à la commission et sur lesquels il a été fait rapport par M. Pirmez.

Dans la séance du 23 mars 1861, la Chambre a dû interrompre la discussion des articles dont nous allons nous occuper. Arrivée à l'article nouveau à placer à la suite de l'article 236ter, la Chambre a été saisie par M. Moncheur d'une demande tendante au renvoi de cet article à la commission ; cette proposition a été mise aux voix par appel nominal ; mais 55 membres seulement ont répondu à cet appel, de manière que la Chambre n'a pas statué, et elle s'est ajournée au 9 avril.

Je mets donc de nouveau aux voix la proposition de M. Moncheur, si toutefois M. Moncheur y consent.

M. Moncheur. - Oui, M. le président, j'y persiste.

M. le président. - Voici le texte de l'article :

« Quiconque ayant été assigné à déposer dans une enquête parlementaire ne comparaîtra pas sans motifs légitimes, sera condamné à une amende de 20 fr. à 200 fr.

« Cette peine ne sera prononcée que sur la plainte de la commission d'enquête après que le témoin défaillant aura été réassigné et entendu par elle.

« Si le témoin fait encore défaut sans motifs légitimes à la seconde assignation, un emprisonnement de huit jours à un mois pourra, en outre, être prononcé.

« Ces peines pourront être prononcées cumulativement ou séparément centre le témoin qui refuserait de déposer. »

Je le répète, le renvoi de cet article à la commission est demandé par M. Moncheur.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Et par le gouvernement aussi, M. le président.

M. Van Humbeeck. - Messieurs, la Chambre, comme vient de le rappeler M. le président, ne s'est plus trouvée en nombre à la fin de la séance du 23 mars dernier. La décision de la Chambre qui a prononcé la clôture de la discussion a donc été prise vraisemblablement par une assemblée qui n'était plus en nombre.(Interruption.)

M. le président. - Il n'a pas été constaté que la Chambre n'était plus en nombre quand la clôture a été prononcée.

M. Van Humbeeck. - Si l'on pense que la Chambre était en nombre quand la décision de la clôture a été prise, je retire mon observation, mais l'appel nominal qui a suivi immédiatement a constaté que la Chambre n'était plus en nombre.

M. le président. - L'appel nominal a constaté que la Chambre n'était pas en nombre au moment du vote, mail nullement qu'elle ne l'était point lorsque la clôture a été prononcée. Cette décision doit être respectée.

M. J. Lebeau. - Ce serait un très dangereux précédent que l'on poserait si on admettait la proposition de l'honorable député de Bruxelles. Comment voulez-vous que l'on constate la sortie de quelques membres de la Chambre pendant quelques minutes ? Il suffirait qu'il se passât quelques minutes entre une décision prise et un appel nominal sur une autre question, pour qu'on pût argumenter comme le fait l'honorable membre. Ce serait, je le répète, poser de précédent le plus dangereux que d'adopter sa proposition.

J'ai sur lui l'avantage d'être très ancien dans cette Chambre, je connais les précédents et je puis dire que jamais on n'a considéré comme n'ayant pas été régulièrement prise une décision qui était suivie d'un appel nominal constatant que la Chambre n'était plus en nombre.

M. Van Humbeeck. - J'admets volontiers les observations de l'honorable M. Lebeau, mais il ne s'agit pas de poser de précédent ; c'est un point de fait à décider chaque fois que le cas se présentera, chaque fois on appréciera s'il faut considérer que la Chambre était ou n'était pas en nombre immédiatement avant l'appel nominal dont est résulté la preuve qu'elle ne l'était plus.

M. de Naeyer. - Il n'y a pas lieu d'annuler une décision qui a été proclamée par le président, mais eu égard aux circonstances, on pourrait rouvrir la discussion, tout serait réglé à la satisfaction de tout le monde et il n'y aurait pas de précédent posé.

M. Orts. - L'interprétation de M. le président et de l'honorable M. Lebeau est parfaitement exacte, mais l'observation de M. de Naeyer donne satisfaction à tout le monde et ne présente pas d'inconvénient. On peut soumettre à la Chambre la question de savoir si la discussion sera rouverte et, s'il n'y a pas d'opposition, si personne ne réclame, la discussion pourra être rouverte sans inconvénient.

M. Lebeau. - Il est toujours heureux de pouvoir discuter une question théorique dans les circonstances où celle-ci se présente, car elle nous met à l'aise pour poser un bon précédent. Je crois qu'il serait extrêmement dangereux de poser celui qu'on vous propose, il doit surtout être repoussé par les minorités. Ce sont les minorités qui ont intérêt à ce que les décisions prises par le bureau sans réclamation immédiate soient maintenues. On ne peut pas réclamer après.

Il est impossible de constater après une décision prise que, pendant un appel qui l'a suivie de quelques minutes, il n'y ait pas eu plusieurs membres qui se soient absentés.

Y a-t-il eu des sergents placés à la porte pour vérifier s'il est sorti un, deux ou trois membres, cela suffit pour qu'on ne soit plus en nombre. La décision proclamée par le bureau doit être irrévocable.

M. E. Vandenpeereboom. - Il ne s'agit pas d'infirmer la décision du bureau ; la clôture est acquise, si on met aux voix la question de savoir si la discussion sera rouverte, car on reconnaît par là que la décision a été régulièrement prise.

Il y a de nombreux précédents où après avoir régulièrement clos un débat, de l'assentiment de la Chambre, s'il n'y avait pas opposition on rouvrait ce débat. Par conséquent si l'on met aujourd'hui aux voix la réouverture des débats, on reconnaît la décision de M. le président, qui consiste à avoir clos une première fois le débat.

D'autre part s'il y a une proposition de rouvrir le débat et s'il y a opposition, on ne le rouvrira pas. Mais s'il n'y a pas d'opposition, cela voudra dire que la Chambre prend une résolution nouvelle tout en maintenant la bonté de la résolution prise précédemment,

Je crois que cela arrange toutes les opinions, sans poser de fâcheux précédent. Il est certain que le débat, une fois clos, reste clos. Mais si (page 1151) d'une manière unanime la Chambre veut le rouvrir, il n'y a plus de précédent.

M. le président. - On a proposé de couvrir la discussion sur l'article 256ter ; y a-t-il opposition ?

M. J. Lebeau. - Si ma conviction était moins forte, je n'aurais pas soulevé cet incident. Mais ma crainte de voir poser un précédent fâcheux est telle que, fussé-je seul, je ne pourrais me rallier à la proposition de rouvrir la discussion.

M. E. Vandenpeereboom. - Du moment qu'il y a une seule opposition, la résolution doit être maintenue.

- Le renvoi de l'article à la commission est mis aux voix et prononcé.

Article 239

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, dans une séance du mois de décembre 1858, la Chambre a renvoyé les articles 232, 233, 234 et 235 à la commission, à fin d'ultérieur examen. Ces articles avaient rapport au faux témoignage et aux fausses déclarations. Par suite de ce renvoi, la Chambre a tenu en suspens l'article 239 qui se liait d'une manière intime aux articles renvoyés à la commission.

Les articles renvoyés ont fait l'objet des délibérations de la chambre dans la dernière séance avant les vacances de Pâques et ont été adoptés, et l'article239, qui avait été tenu en suspens jusqu'à la décision de la Chambre sur les articles renvoyés, n'a pas été voté.

Je pense qu'il y aurait lieu de mettre en délibération en ce moment cet article qui, après l'adoption des articles 232, 233, 234 et 235, ne peut plus donner lieu à aucune difficulté.

- La proposition de M le ministre de la justice est adoptée.

« Art. 239. Le coupable de faux témoignage ou de fausses déclarations, qui aura reçu de l'argent, une récompense quelconque ou des promesses, sera condamné à une amende de 50 fr. à 3,000 fr.

« La même amende sera appliquée au suborneur, sans préjudice des autres peines. »

- Cet article est adopté.

Chapitre VI. De l’usurpation de fonctions, de titres et de nom
Article 245

« Art. 245. Sera puni d'une amende de deux cents francs à mille francs, le Belge qui se sera publiquement attribué des titres de noblesse qui ne lui auront pas été légalement conférés ou reconnus. »

M. Orts. - Messieurs, l'art. 259 du code pénal a été renvoyé à la commission par suite d'un amendement proposé par l'honorable M. Van Overloop. Cet amendement tendait à frapper d'une peine non seulement le Belge qui se pare en Belgique d'un titre de noblesse qui ne lui appartient pas, mais également l'étranger qui cède à ce mouvement de vanité quelque peu puéril.

La commission n'a pas cru devoir donner à l'article 259 l'extension réclamée par notre honorable collègue, et je viens, aujourd'hui, demander à la Chambre de faire un pas en avant, mais dans la voie inverse de celle qu'a suivie l'honorable M. Van Overloop.

Je demande à la Chambre de supprimer complètement l'article 259 du code pénal.

Je le demande parce que je crois, comme l'ont cru les assemblées législatives d'un pays voisin, à l'époque où elles s'occupaient du code pénal, que c'est au ridicule seul et non au tribunal correctionnel à faire justice des écarts de la vanité.

L'article 259 du code pénal, messieurs, a été complètement abrogé en France lors de la révision du code pénal en 1832. A la chambre des députés, ainsi que le constate le compte rendu du Moniteur, il ne s'est trouvé que deux ou trois membres pour en demander le maintien. L'article 259 n'a pas trouvé plus de défenseurs à la chambre des pairs qu'il n'en avait trouvé devant la chambre des députés.

Cette suppression, messieurs, fut, du reste, appuyée en France par des hommes jouissant d'un juste et légitime renom de libéralisme et qui portaient aussi des noms célèbres parmi l'aristocratie nobiliaire. Je citerai le marquis de la Fayette et M. de la Motte.

Je le répète, messieurs, il ne s'est trouvé en 1831, à la chambre des députés que deux ou trois membres pour demander le maintien de l'article 259, et cet article n'a pas reçu un accueil plus favorable à la chambre des pairs.

Je sais bien, messieurs, que depuis deux ou trois ans, en France, on est revenu sur cette suppression. Je sais qu'on a rétabli l'article 259 du Code pénal, contre ceux qui, depuis le nouvel empire, se parent de titres de noblesse qui ne leur appartiennent pas.

Je le sais, et j'ai quelque peu lieu de m'en étonner lorsque je me rappelle avec quelle verve le chef actuel du gouvernement français, à l'époque où il n'était encore qu'un journaliste spirituel et sensé, combattait de sa plume l'abus que faisait le gouvernement de Louis-Philippe du droit de conférer des titres de noblesse.

Je ne puis oublier la finesse d'ironie et l'exquise raison déployées par le rédacteur du Courrier du Pas de Calais. A propos du titre de duc décerné à M. Pasquier, président de la chambre des pairs, le prince Louis Napoléon, d'abord, faisait très justement remarquer que si on voulait donner à l'honorable président le titre honorifique de général in partibus, une pareille décision serait accueillie par un immense éclat de rire, autant que si on l'eût nommé cardinal ou archevêque honoraire. Il ajoutait que le titre de duc étant, d'après l'étymologie, l'équivalent de général ou de commandant d'armée, ce titre serait tout aussi bien porté par le grand chancelier, que le titre d'archevêque ou de cardinal.

Quoi qu'il en soit, messieurs, l'article 259 a disparu en France, comme incompatible avec les institutions de 1830. On l'a rétabli avec la restauration des institutions impériales. La disparition, en 1830, était logique.

Lorsque le Code pénal de 1810 a été fait, d'excellentes raisons commandaient d'y insérer l'article 259. Cela tenait au régime du temps, cela tenait à la position politique faite aux personnes titrées, position que notre constitution comme la charte de 1830 a déclarée incompatible avec l'ordre de choses sous lequel nous avons le bonheur de vivre.

En effet je comprends très bien qu'il y ait une sanction pénale contre celui qui usurpe un titre de noblesse, quand le titre de noblesse confère un privilège, un droit quelconque dans l'Etat.

Telle était la situation en 1810, telle était la position que l'empereur d'alors avait voulu restaurer en revenant sur les titres de noblesse abolis en 1791.

En effet, la noblesse impériale, créée en 1808, protégée par l'article 259 du Code pénal de 1810, était une véritable institution, non plus une faveur du prince. Il suffisait d'occuper certaine position politique, pour avoir, par cela même, droit à un titre de baron, de comte ou de duc, selon l'élévation de la fonction qu'on occupait. Aussi l'empereur n'a-t-il voulu par l'article 259 que protéger cette institution, en décidant qu'il est défendu de prendre des titres de noblesse, à moins que ces titres n'aient été conférés par le souverain, c'est-à-dire par l'empereur.

Un noble qui avait reçu son titre soit de Charles-Quint dans notre pays, soit de saint Louis ou de Louis XIV eu France, ne pouvait reprendre ce titre, sans tomber sous l'application de l'article 259 du Code pénal ; le titre séculaire n'existait légalement qu'à la condition d'être confirmé par l'empereur d'alors. L'article 259 était avant tout un édit de proscription contre la noblesse ancienne.

Messieurs, je comprends que l'article 259 ait survécu dans notre pays à la chute de l'empire français et à la création du royaume des Pays-Bas, par une très bonne raison. Sous le régime de 1815, il suffisait d'être noble pour occuper une position politique. L'ordre équestre était composé de tous les gens légalement titrés, et formait une puissance politique dans l'Etat, un élément de la représentation nationale.

De plus le roi en usant de son droit de nommer les membres de la première chambre des états généraux, était obligé, de par la loi fondamentale, d'en prendre un certain nombre parmi les nobles reconnus.

Mais aujourd'hui que la Constitution a déclaré, comme l'avait fait la charte française de 1830, que le roi peut conférer, si bon lui semble, des titres de noblesse, comme il peut conférer vingt autres faveurs à ceux qu'il en juge dignes, sans pouvoir leur accorder le moindre privilège, l'article 259 n'a plus de raison d'être. Aussi quelques années après notre révolution, quand nous avons songé à réformer le Code pénal, les auteurs du projet de 1834, contre-signé par mon honorable voisin, M. J. Lebeau, proposaient-ils la suppression de l'article 259.

Voici ce qu'ils disaient dans l'exposé des motifs : Faisant d'abord observer, comme je viens de le dire, que la disposition du code pénal atteignait toute la noblesse antérieure à l'empire et au royaume des Pays-Bas, ce qui était une flagrante injustice, car s'il est une noblesse, respectable, c'est bien celle qui se rattache aux souvenirs nationaux, aux traditions historiques, l'exposé des motifs ajoute :

« Cette inégalité de protection et le danger d'élever des contestations sur des titres nobiliaires, contestations qui convertiraient les tribunaux en chambres héraldiques, ont porté le gouvernement et les chambres de France à retrancher, lors de la révision du code pénal, les dispositions qui concernent les titres de noblesse. Ces motifs auxquels s'ajoute l'inutilité d'une sanction pénale ont été appréciées, et le projet présente dans l'article 259 nouveau une modification semblable.

Dans les observations sur ce premier projet de code pénal. M. Haus, l’éminent criminaliste qui a inspiré la rédaction du projet actuel, déclare qu'à son avis cette disposition est parfaitement inutile et ne se justifie pas.

(page 1152) Je ne comprends pas maintenant, je l'avoue, sous l'empire de quelle préoccupation nobiliaire le projet actuel, destiné en définitive à continuer l'œuvre de 1834, revient sur ces idées ; nos institutions, nos sentiments démocratiques n'ont pas changé, je l'espère, depuis 1834, date de la présentation du premier projet ; nous sommes restés ce que nous étions alors, sous le rapport surtout des idées auxquelles se rattache le vote que je vous demande d'émettre. Je ne vois aucune bonne raison pour défaire en 1861 ce qu'on proposait de faire en 1834.

Manquons-nous de raisons, au contraire, pour justifier la proposition d'il y a 25 ans ? Voyons.

On disait, messieurs, devant la chambre des députés, pour justifier cette suppression qui n'a pour ainsi dire pas rencontré d'adversaires, on disait : Mais en définitive l'homme qui se passe le ridicule de s'attribuer le titre de comte, de baron, de marquis qui ne lui appartient pas, ne trompe personne, commet un abus de vanité, se rend coupable d'un excès de ridicule ; la sanction pénale est dans les rires de ses voisins. Lèse-t-il le droit social ? blesse-t-il un droit individuel quelconque ?

S'il y avait un danger à prendre quelque chose à ceux qui ont le bonheur de se rattacher par un nom aristocratique aux grands événements de l'histoire, aux anciens services rendus, aux glorieuses traditions nationales, le danger ne serait pas dans l'usurpation du titre, mais dans l'usurpation du nom.

Or, s'approprier le nom d'autrui, est un délit qui est puni et réprimé, qui a sa juste sanction dans la loi pénale, mais ailleurs que dans l'article 259.

Le titre, en définitive, sans le nom n'est rien. On a dit avec raison ; Le roi peut faire des nobles en vertu de la disposition constitutionnelle qui lui permet d'accorder des titres, mais il est incapable de faire un gentilhomme. Il peut donner le titre : il ne saurait donner la race.

Un membre de la chambre des députés, en 1831, un jurisconsulte éminent énonçait son opinion sous une forme que je me permets de rappeler parce que je la crois caractéristique de la disposition dont il s'agit. « Ces abus de vanité n'ont d'autre législateur que Molière, et il n'y a pas de raison pour renvoyer M. Jourdain en police correctionnelle. »

La Chambre belge, en 1861, veut-elle renvoyer M. Jourdain devant la police correctionnelle ?

Mais, dit-on, et c'est la seule objection sérieuse, le roi a la faculté de faire des nobles, c'est-à-dire de conférer des titres, ce qui est tout autre chose.

C'est une. prérogative que la Constitution lui donne et l'article 259 est la sanction de la prérogative royale.

On a répondu à cet argument, messieurs, à la chambre des députés et à la chambre des pairs en 1831, on a répondu que l’article 259 n'était pas la sanction de la prérogative facultative du roi parce que cet article avait été introduit dans la législation à une époque antérieure à celle où était né l'article de la charte qui permettait au roi de faire des nobles sans attacher à leur création aucune espèce de privilège.

On ajoutait que les lois de pure faculté, telle que l'article 62 de la chatte et l'article 75 de notre Constitution, n'avaient pas besoin de sanction.

Et sur cette réponse les Chambres ont émis le vote que vous connaissez.

Une dernière considération, messieurs. Il n'est pas bon d'introduire dans une législation des dispositions dont personne n'a jamais osé requérir l'application.

Or, il est incontestable de l'avis de tous les jurisconsultes français, que jamais on n'a osé réclamer devant un tribunal quelconque l'application de l'article 259 à un individu qui s'était affublé d'un titre de noblesse qui ne lui appartenait pas. On n'a jamais trouvé que la société fût sérieusement lésée par une pareille faiblesse ni qu'il en résultât une atteinte pour les droits de qui que ce fût.

Aucun recueil de jurisprudence depuis 1810 ne produit d'exemple de l'application de cet article. C'est donc une lettre morte.

Une loi que personne n'a invoquée et que personne n'oserait appliquer, une loi morte ne doit pas prendre place dans un code sérieux.

L'y voir figurer habitue le public à supposer que la loi peut être impuissante ; qu'elle n'est pas d'accord avec les mœurs, avec l'esprit public et cette réputation d'impuissance nuit au respect de la loi, de la légalité.

Enfin, messieurs, et je termine par là, la disposition de l'article 259 telle qu'on propose de la modifier présenterait pour nos tribunaux des difficultés d'application égales à la hauteur du ridicule que l'application soulèverait si elle était possible.

En effet, messieurs, qui veut-on punir ? Celui qui prend un titre qui ne lui appartient pas légitimement. Or, je vous le demande, comment nos tribunaux pourraient-ils constater si le titre que quelqu'un s'attribue lui appartient légitimement ou ne lui appartint pas ?

Pour ceux qui sont nobles de création récente et qui trouvent leurs titres dans le Moniteur d hier, rien ne sera plus facile que d'apporter le journal officiel comme justification de la légitimité de leurs titres. Mais pour ceux qui sont bien autrement nobles, pour ceux dont la noblesse remonte aux croisades et plus haut encore peut être, comment cette justification pourra-t-elle se faire ? Possèdent-ils le titre émanant du souverain qui leur a conféré leur qualité nobiliaire ? Vous allez, comme le disait très bien l'exposé des motifs de l'honorable M. Lebeau en 1834, vous allez transformer vos tribunaux en chambres héraldiques.

Or à moins d'exiger de vos docteurs en droit l'obligation de suivre dans nos universités un cours, fût-ce un cours à certificat, sur la science héraldique, vous n'aurez pas de bonne justice rendue en cette matière.

Je demande donc à la Chambre de laisser ceux que la vanité porte à s'attribuer de faux titres de noblesse, jouir en paix de la satisfaction qu'ils y trouvent. Ils ne sont pas plus punissables, à mes yeux, que ceux qui se parent d'armoiries fantaisistes, couvrent leurs laquais dé livrées ou attellent six chevaux à leurs voilures. Bornons-nous à en rire, et ne nous donnons pas le mauvais goût de les punir.

- La proposition tendante à la suppression de l'article est appuyée.

M. Pirmez, rapporteur. - L'honorable préopinant me semble soumettre à la Chambre une question jugée et jugée constitutionnellement.

L'article 75 de la Constitution porte, en effet : « Le Roi a le droit de conférer des titres de noblesse, sans pouvoir jamais y attacher aucun privilège. »

Le droit de conférer des titres de noblesse est donc une prérogative que la Constitution réserve au Roi et au Roi seul. La proposition qu'on vous soumet tend tout simplement à déclarer que le premier venu pourra prendre un titre de noblesse alors que la Constitution n'accorde qu'au Roi le droit d'en conférer.

Si aucune sanction ne garantit la prérogative royale, il est clair que celui qui voudra se faire appeler comte ou baron pourra le faire en parfaite sécurité, et nul ne pourra s'y opposer.

La possibilité de constater les fraudes et le ridicule qui retombe sur les usurpateurs de titre, n'est pas un motif d'écarter toute peine. L'usurpation récente d'un titre de noblesse peut être reconnue ; mais après vingt ou trente ans, comment pourra-t-on encore la reconnaître ? comment saura-t-on si le titre porté par un individu a été ou non légalement obtenu ? Cela sera bien difficile pour l'opinion, que M. Orts veut pour seul juge, et de son aveu même, puisqu'il craint que les tribunaux mêmes seront impuissants à se prononcer avec sûreté sur les titres de noblesse.

La proposition aurait donc pour effet de détruire la prérogative royale de conférer des titres de noblesse, et je crois que si vous l'adoptiez, vous arriveriez à ce résultat que cette prérogative royale serait le seul droit, le seul dans notre pays qui serait dépourvu de sanction.

Tous les droits n'ont certainement pas une sanction pénale, mais tous ont au moins la sanction d'une action quelconque, et ici il n'y aurait aucune espèce de protection ; on accorderait la liberté la plus absolue, la plus illimitée d'y attenter. Et ce serait un droit constitutionnel qui serait à la merci de tous les empiétements !

Mon honorable collègue a donné à sa proposition ces développements piquants qui caractérisent tous ses discours. Il nous a dit que nous proposions de renvoyer M. Jourdain en police correctionnelle. Mes souvenirs ne me rappellent pas du tout que M. Jourdain, quelque ridicule que soit le personnage, se soit paré d'un titre nobiliaire.

M. Orts. - Il s'est intitulé mamamouchi.

M. Pirmez. - Je ne sache pas que ce soit là un titre de noblesse.

On a dit que le ridicule suffisait pour faire justice de ces écarts de la vanité.

Je crois, en effet, messieurs, que cela peut suffire quelquefois, mais cela ne suffit pas toujours ; et ce qui le prouve, c'est ce qui s'est passé en France ; l'usurpation des titres de noblesse y a pris une extension immense, avec la rapidité et la facilité des communications actuelles, (page 1160) par le changement de résidence et le déplacement de la population qui se fait vers les grands centres, il arrive très souvent que les emprunteurs de titres en se transportant dans une localité plus ou moins éloignée de celle où ils sont nés, où ils ont longtemps vécu et où ils sont parfaitement connus, parviennent à y présenter leur noblesse avec assez de sécurité et s'en servent pour y jouer un rôle dont quelqu'un finit toujours par être dupe.

Y a-t-il, messieurs, des difficultés si grandes d'application ? Je ne le pense pas : Je ne crois pas que l'ancienne noblesse ait beaucoup de peine à justifier la légitimité des titres de noblesse. Faudrait-il, pour faire cette preuve, que les plus anciennes familles produisent, comme le suppose M. Orts, le titre primordial qui leur a conféré le droit de porter leur titre ? Nullement, messieurs, il leur suffira de produire des actes anciens montrant la possession du titre qu'ils portent. C'est Un principe de droit que les actes anciens font foi de ce qu'ils énoncent : in antiquis enuntiativa probant. Il n'y a cet à égard aucune espèce de difficulté.

Les titres de noblesse illégalement portés n'ont pas seulement pour effet d'induire en erreur ceux avec qui les porteurs de ces titres sont en relations, ils ont encore pour conséquence de jeter parfois la confusion dans l'état civil des citoyens.

On finit par ne plus reconnaître comme appartenant à la même souche le porteur d'un titre nobiliaire et les membres de la famille qui se sont contentés de leur véritable nom.

A ce point de vue il y a un véritable inconvénient social à prévenir, et c'est un motif sérieux, pour punir le fait d'usurpation des titres de noblesse.

(page 1152) M. Van Humbeeck. - Il m'est impossible de trouver dans le fait, qu'on propose de réprimer, les caractères d'une infraction punissable. Celui qui pose un pareil fait ne peut être accusé d'une perversité bien grande ; je ne vois pas non plus que le fait constitue un bien grand danger pour la société.

Je le répète, le mobile qui pousse un homme à un pareil fait n'est nullement empreint de perversité ; je ne puis y voir qu'une vanité puérile et rien de plus. C'est une vanité puérile qui le porte à créer une fiction qui le conduit à prendre quelquefois lui-même cette fiction pour une réalité et qui l'amène ensuite à cette illusion de s'imaginer que les autres partagent son erreur. Voilà le seul mobile qui le guide.

Certes, ce n'est pas là de la perversité ; c'est de la folie, mais une folie douce, une folie triste, si vous le voulez. Mais un pareil acte mérite-t-il une peine ? Vous ne lui appliqueriez pas la loi décrétée contre les aliénés qui portent atteinte à la sécurité publique. A plus forte raison ne devez-vous pas lui appliquer une disposition de votre loi pénale.

J'ai dit, messieurs, que je ne vois pas de perversité dans celui qui pose de pareils faits ; je ne vois pas non plus, dans le fait considéré en lui-même, le moindre danger social ; la noblesse n'est plus une classe à part, elle n'a plus de privilèges.

Quelle est la signification d'un titre nobiliaire aujourd’hui ? Elle peut être de deux espèces.

Ou le titre se rattache à la noblesse ancienne, ou il dérive d'une noblesse nouvelle ; s'il se rattache à la noblesse ancienne, il rappelle des gloires historiques, des traditions nationales ; s'il se rattache à la noblesse nouvelle, il doit rappeler des services rendus.

Dans ces deux cas on s'incline devant le titre, parce qu'on aime à s'incliner devant tout ce qui fait la gloire de la patrie, devant tout ce qui mérite la reconnaissance des populations.

En dehors de ces cas, que signifient les titres de noblesse ? Ils laissent le public indifférent ; on passera à côté d'eux sans leur attribuer la moindre importance.

Il n'y a donc là aucun danger social ; il n'y a pas davantage un danger pour les intérêts individuels.

D'ailleurs ce n'est pas à ce point de vue que la commission propose une peine contre ceux qui s'attribuent des titres qui ne leur appartiennent pas. Elle explique pourquoi elle n'admet pas cette raison ; c'est que le fait d'usurper des titres de noblesse, comme la qualité de fonctionnaire, ne constitue qu'une tentative d'escroquerie et que des raisons du plus haut intérêt empêchent d'ériger la tentative d'escroquerie en délit.

Aussi ai-je été étonné d'entendre le rapporteur dire que le fait devrait être puni, parce que celui qui prend des titres qui ne lui appartiennent pas, obtient une considération, une confiance, qui ne lui reviennent pas.

Mais à moins d'aller jusqu'à être un instrument d'escroquerie, l'influence obtenue par ce moyen ne peut être dangereuse.

Elle est pourtant le seul résultat auquel on arrive par l'usurpation de titres qu'on n'a pas le droit de porter.

On invoque dans le rapport deux raisons en faveur de l'article. On veut (page 1153) punir un mensonge dont l'auteur s'abaisse à ses propres yeux pour s'élever aux yeux de ceux qu'il trompe, un mensonge dont l'impunité aurait pour conséquence d'amoindrir une prérogative royale.

Or, punir le mensonge ne signifie rien en matière criminelle ; un mensonge est un acte immoral et non un fait punissable. Si on voulait punir tout ce qui est immoral, les lois s'écarteraient de leur but et deviendraient bientôt inefficaces.

De quoi s'agit-il quant à la prérogative royale ? D'une faculté que la Constitution donne au roi ; il ne s'agit ni d'un droit prohibitif, ni d'un droit impératif, les seuls qui doivent être consacrés par une sanction pénale ; il s'agit d'une disposition facultative.

En 1831 à la chambre des députés de France, cette question a été agitée ; les rares partisans d'un texte de loi qui devait punir l'usurpation de titre, y voyaient la sanction de l'article 62 de la charte de 1830, analogue à l'article 75 de la constitution belge.

Là aussi on répondait : » En vain prétendra-t-on que cet article contient implicitement une prohibition ; qu'en autorisant les nobles à reprendre leurs titres, il défend aux non-nobles de s'emparer de ces titres. Nous n'examinerons que l'intention des auteurs de la Charte. Du moment qu'ils ont employé la forme facultative, ils n'ont pas voulu y ajouter la clause prohibitive ; la raison en est bien simple ; c'est que cet article porte en lui-même sa propre sanction. Il autorise la noblesse à reprendre ou à conserver ses titres.

« Comment peut-on en général user de cette faculté dans l'état actuel de nos mœurs, de nos usages ? C'est dans les actes publics, dans les actes de la vie civile : je ne parle pas de la vie privée, car on a dit avec raison qu'elle doit être murée. »

On continuait en démontrant que la sanction existe parce que dans les actes publics on refusera de donner des titres dont on ne justifie pas ; tout notaire refusera de vous donner un nom qui ne sera pas véritablement le vôtre.

Où pourrez-vous porter ces titres ? Dans les actes de la vie privée ; et là quelle importance ont-ils ? Aucune.

Ces diverses considérations achèveraient, s'il en était besoin, de justifier l'opinion de l'honorable M. Orts.

Un mot encore à propos des raisons historiques qu'il a fait valoir ici ; on les a aussi invoquées en France.

Un membre de l'ancienne noblesse M. de la Fayette s'étonnait qu'on voulût donner à la noblesse une sanction pénale, quand sans l'ancien régime lorsqu'elle formait une classe privilégiée, pareille sanction n'existait pas. Voici ce qu'il disait :

« Il serait singulier que sous un régime d'égalité, l'aristocratie héréditaire fût défendue par une pénalité plus sévère que sous l'ancien régime. Tout le monde sait, mes contemporains du moins peuvent se souvenir, qu'il n'y avait pas de dispositions contre les gens qui prenaient des titres. Les tribunaux se bornaient à effacer les titres qu'ils croyaient être portés sans droit. »

Je pense donc, messieurs, qu'il n'y a pas lieu d'avoir une opinion autre que celle professée par les auteurs du projet de Code pénal de 1834 ; j'espère que la Chambre adoptera cette opinion de préférence à celle que voudrait lui faire adopter sa commission d'aujourd'hui.

M. J. Lebeau. - Malgré mon désir de ne pas prendre une part active à nos débats parlementaires, empêché, comme je le suis encore, par l'état de ma santé, je me crois obligé, comme je l'ai été hier, de répondre à l'espèce d'interpellation très directe qui m'a été adressée par l'honorable M. Orts, bien qu'on n'ait pas insisté sur cet argument ad hominen.

C'est moi, en effet, qui ai présenté le projet de loi de 1834 pour la réforme du Code pénal.

Ce projet de loi contient plusieurs centaines d'articles, où l'on avait omis, parait-il, de placer une disposition qui punit celui qui prenait des titres de noblesse qui ne lui appartenaient pas.

On comprend aisément qu'il m'est difficile de rassembler des souvenirs qui remontent à une époque aussi éloignée. J'avouerai franchement qu'alors même que j'aurais été diamétralement opposé à l'opinion que je défends maintenant, je n'aurais pas cru devoir m'abstenir de présenter aux Chambres un Code pénal révisé par des hommes éminents, parce qu'il s'y serait trouvé une disposition d'une importance secondaire qui m'eût déplu et que d'ailleurs j'aurais pu combattre à la Chambre.

La raison, donnée par l'honorable rapporteur, de la protection à accorder aux droits conférés à la couronne comme à ceux du peuple, fût-elle seule, elle doit être approuvée par la Chambre ; c'est que tous les droits sont protégés par le Code pénal, parce que la protection de tous les droits individuels ou collectifs vient se résumer dans le Code pénal d'un pays.

II faut bien le répéter, parce que cet argument me paraît, quant à moi, irrésistible. Tous les droits des citoyens sont protégés par le Code pénal. Un droit a été accordé au Roi après une longue discussion. Ce droit est écrit dans la Constitution même, et vous voulez en faire une lettre morte. Il serait plus loyal, pour ainsi dire, si nous en avions le pouvoir, d'en voter la radiation. Il y aurait en cela quelque chose de plus digne et de plus franc. Mais nous ne le pouvons pas, et nous y arriverions d'une manière indirecte, d'une manière peu digne pour le personnage auquel cela s'adresse et de la part de ceux de qui cela émanerait.

Messieurs, est-il admissible que l'on puisse, sans le vouloir, s'exposer à consacrer le droit de faire ce que j'appelle un faux, d'y pousser même, en alléchant la cupidité, la spéculation coupable, l'excitation à abuser de la faiblesse d'une famille, qui désire voir entrer dans son sein l'homme qui possède un titre ?

Ce serait là, messieurs, favoriser les intrigues les plus odieuses, les plus coupables. Est-ce qu'en Angleterre on souffrirait qu'on vînt se jouer des titres, qu'on vînt chercher à ravaler d'honorables distinctions, en prenant des noms qui appartiennent à d'anciennes familles ? Le pourrait-on dons la libre Angleterre ? Est-ce que la susceptibilité nobiliaire, le respect pour les noms, empêche cependant l'Angleterre d'être le pays le plus libre du monde entier ?

Est-ce que, dans cet autre pays, a la tête duquel se trouvent celui qu'on appelle le roi galant homme, le roi chevalier, et un ministre célèbre, est-ce qu'en Piémont on songe à permettre à tout le monde de s'appeler, duc, comte ou marquis ? Mais cela est impossible ; l'on n'y pense pas. Eh bien, nous, qui sommes cette chambre législative, qui représente la bourgeoisie, la classe moyenne, nous ne devons pas voter des dispositions qui, si nous étions placés dans une autre situation, seraient considérées par nous comme un véritable outrage, comme un manque de respect pour nos familles nobiliaires.

Je n'insisterai pas davantage. Je ne crois pas que cette discussion doive se prolonger pour que la Chambre comprenne que la proposition de M. Guillery ne peut être adoptée.

M. Orts. - Messieurs, il y a dans la réponse que vient de faire l'honorable M. Lebeau à ma proposition deux idées que je ne puis laisser passer sans un mot de réplique, et c'est pourquoi je me permets de demander une seconde fois la parole.

L'honorable membre paraît croire que par cela que la Constitution donne au roi le pouvoir de conférer des titres de noblesse à ceux qu'il en juge dignes, il y aurait atteinte à sa prérogative si à côté de cette faculté nous ne consentions pas à mettre dans le Code une sanction pénale contre ceux qui se confèrent des titres à eux-mêmes.

Je ne comprends pas la corrélation de ces deux idées. Je crois la prérogative royale parfaitement intacte dans tous les pays où l'article 259 n'existe pas ; je crois que la chambre des députés de 1831, je crois que la chambre des pairs qui a statué dans le même sens en votant la suppression de l'article 259 du code pénal, étaient tout aussi soucieux de la prérogative royale que peut l'être la Chambre belge en 1861. Je n'ai jamais entendu dire qu'à cette époque où tout le monde envisageait l'élévation au trône du roi Louis-Philippe comme un service rendu à la France, on lui ait marchandé l'exercice de la prérogative royale.

La prérogative royale, messieurs, consiste dans une faculté et, comme l'honorable M. Van Humbeeck vous le rappelait, comme on l'a dit en France dès 1831, en répondant au même argument qui n'a pas touché la Chambre d'alors, les facultés n'ont pas besoin de sanction pénale ; il en faut aux lois impératives, aux lois prohibitives, il n'en faut pas aux lois facultatives.

La prérogative royale confère aussi d'autres distinctions, et personne n'a jamais pensé à faire considérer ce droit comme illusoire, parce qu'il n'y a pas de sanction pénale contre les individus qui voudraient se décorer des mêmes titres que ceux que confère la puissance royale.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Permettrez-vous de porter des rubans d'ordres qui n'ont pas été conférés par le roi ?

M. Orts. - Je dirai tout à l'heure un mot des rubans.

Le roi peut conférer toute espèce de titres se rattachant à des fonctions qu'il crée.

M. J. Lebeau. - Pas en vertu de la Constitution.

M. Orts. - C'est une faculté qui lui appartient par la Constitution, puisqu'elle ne le lui défend pas.

La Constitution a réglé les droits du pouvoir, ceux devant lesquels il faut s'incliner, auxquels il faut prêter obéissance et respect.

(page 1154) Quant à ces droits, ce que la Constitution n'accorde pas au roi, ne lui appartient pas. Mais il est des facultés dont il plaît au roi de faire usage, et ces facultés lui appartiennent parce que la Constitution ne les lui interdit pas et que leur exercice n'oblige personne.

Trouvez-vous qu'il y ait illégalité, inconstitutionnalité, de la part du roi, lorsqu'il crée une fonction honorifique dans son palais, s'il crée un grand maréchal, deux grands maréchaux ? Cette création est-elle inconstitutionnelle ? Je le demande à l’honorable M. Lebeau. Eh bien, si un particulier est assez vain, assez fou pour créer chez lui un grand maréchal, trouvez-vous qu'il faille une disposition pénale pour le lui défendre ?

Soyez logiques ; allez jusqu'au bout. Demandez une peine quelconque, la peine de l'amende ou de la prison, contre tout individu qui se parera d'armoiries qui ne lui appartiennent pas. Le droit de porter des armoiries dérive de celui de porter des titres : l'un est la conséquence directe de l'autre.

Il y a là un écart de vanité, il y a peut-être un mensonge. Mais vous n'êtes pas ici pour punir législativement les écarts de vanité, les mensonges.

Sinon, punissez aussi ceux qui, par exemple, pour paraître occuper une position plus élevée que celle qui leur revient dans le monde, s'attribuent des millions, une fortune qu'ils n'ont pas.

Voilà jusqu'où vous devez aller lorsque vous témoignez la crainte que le repos des familles soit troublé par la séduction d'un faux titre. On est, au siècle où nous vivons, plus facile à se laisser séduire par l'individu qui se présente comme millionnaire quand il n'a pas 100 francs de rente, que par tous les faux marquis imaginables.

M. J. Lebeau. - Cela est bien facile à constater.

M. Orts. - Ce mensonge n'est nullement facile à constater dans un siècle où les fortunes mobilières sont les plus considérables. Je défie qui que ce soit de vérifier si l'honorable M. Lebeau ou moi nous avons dans notre poche, au moment où je parle, un million en titres au porteur, ou si nous ne l'avons pas.

M. le ministre de l'intérieur m'a fait une objection plus sérieuse. Il me dit : Le roi, par la Constitution, a une autre prérogative analogue à celle qui lui permet de conférer des titres : conférer les ordres, et vous punissez celui qui, sans autorisation du roi, se pare d'un ordre qui ne lui appartient pas.

Je réponds à cela qu'il y a une différence capitale entre les deux prérogatives : l'une est une faculté qui s'exerce comme bon semble au roi, sans contrôle, sans intervention du pouvoir législatif, C'est la faculté de conférer des titres de noblesse.....(Interruption.)

Je voudrais bien savoir quelle est la loi qui réglemente l'exercice de la prérogative royale en ce qui concerne la faculté de conférer des titres de noblesse.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - La Constitution.

M. Orts. - La Constitution ordonne-t-elle que la loi réglementera l'exercice de la prérogative royale en ce qui concerne les titres de noblesse ? Non ! mille fois non. Mais pour les décorations, la Constitution dit que le roi confère les décorations en observant ce que la loi prescrit, et comme le roi est soumis à la loi pour conférer des ordres, il faut que le citoyen aussi soit soumis à la loi pour les porter. Or, quand un citoyen contrevient à la loi, il faut que ce citoyen soit puni. (Interruption.) Mais, M. de Brouckere, qui m'interrompez, puisque vous faisiez partie du Congrès national et que vous n'avez pas jugé convenable, non plus que vos collègues, de régler par la loi l'exercice de la prérogative royale en ce qui concerne la collation des titres ; puisque vous avez au contraire exigé cette réglementation pour les ordres, c'est que vous avez jugé qu'il y avait là deux idées essentiellement différentes. (Interruption.)

Je ne comprends rien à ces dénégations. Ouvrez la Constitution, lisez les articles 75 et 76. Il n'est pas question de la loi dans l'article 75 qui concerne les titres de noblesse, et il est question de la loi dans l'article 76 où il est parlé des ordres.

Maintenant, messieurs, je m'étonne que ces scrupules constitutionnels n'aient arrêté personne en 1834.

Je laisse de côté le ministre qui a présenté le projet et qui m'a combattu tout à l'heure, mais je parle de la commission de jurisconsultes éminents qui l'a examiné avec un soin minutieux. C'est à tel point que M. Haus y a consacré trois volumes. Eh bien, je m'étonne que ni M. Haus ni ses collègues, n'aient pas été arrêtés par ce scrupule et qu'ils ne se soient pas aperçus de l'atteinte qu'ils portaient à la prérogative royale.

M. Haus dit dans son livre que l'article 259 est, en définitive, dépourvu de sanction parce qu'on n'oserait pas plus en demander l'application dans l'avenir qu'on ne l'avait osé dans le passé. Le savant professeur ne voyait là qu'un ridicule qui rendait la disposition parfaitement inutile.

Quant à l'espèce de sentiment d'envie qui pourrait dicter l'opposition faite à l'article 259, je ne trouve pas l'argument sérieux. Il est évident qu'il y a, en fait de noblesse, quelque chose qui peut être très enviable ; il est très enviable de pouvoir se rattacher à une race historiquement connue pour avoir rendu de génération en génération une suite de grands services au pays.

Je conçois qu'on ambitionne un nom de ce genre-là. Je conçois que l'on soit très fier de porter, par exemple, le nom du général belge à qui François Ier remettait son épée sur le champ de bataille de Pavie.

Mais je ne conçois pas l'envie lorsqu'il s'agit de la possession d'une noblesse reçue d'hier et qu'on ne refuse guère à qui la demande. Je ne conçois pas l'envie pour une faveur qui, le jour où on l'obtient, ne fait pas valoir celui qui l'a obtenue plus qu'il ne valait la veille,

Si quelque chose peut démonétiser la véritable noblesse, la bonne, c'est l'abus que l'on fait des titres de noblesse nouvelle, et ma proposition est toute dans l'intérêt de la première.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, l'honorable M. Orts termine en disant qu'il y a quelque chose de très enviable, c'est de se rattacher à la vieille noblesse, de porter, par exemple, le nom de celui à qui François Ier a remis son épée à Pavie.

Eh bien, messieurs, si cela est si enviable, il faut empêcher que l'on cède à cette envie et que l'on s'attribue les titres, les noms de ces personnages historiques.

M. Orts. - II y a une loi pour les noms.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - La loi qui défend de prendre le nom d'autrui serait inefficace dans beaucoup de cas si la même défense n'existait pas pour les titres. Ainsi, pour rester dans l'exemple cité par M. Orts, il y a en Belgique beaucoup de personnes qui portent le nom du vainqueur de Pavie, eh bien, ajoutez-y le titre de comte et je vous demanderai si la loi qui défend de prendre le nom d'autrui ne se trouvera pas éludée, et si ce que M. Orts déclare inviolable ne sera pas usurpé, si la perturbation, la confusion ne sera pas jetée immédiatement dans les relations d'abord et ultérieurement dans l'état civil des citoyens ?

C'est, messieurs, ce qu'il faut éviter en maintenant la disposition du projet.

On nous dit, messieurs, qu'il faut laisser au ridicule le soin de faire justice de ces titres que l'on usurpe. Sans doute, si les individus qui prennent des titres, restaient toujours dans les lieux qu'ils ont habité où leur famille, leur origine sont connus, le ridicule suffirait pour en faire justice ; mais qu'ils se déplacent, qu'ils changent de province, et le ridicule n'existe plus, les titres seront pris au sérieux, pourront être exploités et cette usurpation pourra donner lieu aux plus graves abus.

Il y a, messieurs, en faveur de l'opinion que je soutiens une raison tirée de la Constitution, qui me paraît décisive.

La Constitution donne au Roi le droit de conférer les titres de noblesse, est-ce que ce droit ne devient pas tout à fait illusoire si chacun a le droit de se conférer des titres à lui-même ? Que devient le droit conféré à la royauté si chacun, si chaque citoyen, peut impunément prendre un titre de noblesse ?

Evidemment l'article de la Constitution se trouve virtuellement détruit. Ce que l'on voulait réserver au Roi devient le droit de tout le monde.

On a dit que le fait d'usurper un titre n'indiquait pas une perversité suffisante pour qu'on pût le punir. C'est l'argument invoqué par l'honorable M. Van Humbeeck.

Mais, messieurs, il y a beaucoup de règles d'ordre public dont la violation n'indique pas une grande perversité et dont la violation est cependant punie. Je pourrais en citer bien des exemples.

Ainsi, celui qui, sans avoir été décoré, porte un ruban à sa boutonnière fait-il preuve d'une plus grande perversité que celui qui prend un titre de noblesse ?

Contestez-vous que ce fait doive être puni ?

M. Orts. - Je n'y tiens pas beaucoup.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je dis que le fait de porter les insignes d'un ordre qu'on n'a pas n'est pas plus coupable que d'usurper un titre de noblesse, n'implique pas une immoralité plus grande, peut n'être aussi qu'un acte de vanité ou de folie comme on dit, et cependant personne ne demande l'abolition des peines qui punissent le port illégal de décorations.

(page 1155) L'honorable M. Orts a voulu échapper à ces arguments et il a dit : Ce qui a rapport à l'ordre Léopold est réglé par une loi, tandis que le droit de conférer la noblesse est inscrit dans la Constitution ; ainsi une droit consacré par la Constitution doit être moins protégé qu'un droit réglé pa rla loi ! Cela n'est pas sérieux.

On invoque un autre argument qui n'est pas plus fondé ; on dit que les tribunaux devraient se constituer en commission héraldique et qu'ils ne pourraient jamais distinguer si l'individu qui est accusé d'avoir pris un titre porte ce titre légitimement ou non.

M. Orts. - C'est dans l'exposé des motifs de 1834.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Vous me permettrez bien de ne pas me soumettre aveuglément à l'exposé des motifs de 1834.

Eh bien, si vous m'opposez l'exposé des motifs de 1834, j'ai le droit de vous opposer l'exposé des motifs du projet de loi en discussion, qui a été rédigé, alors qu'on avait l'expérience de ce qui a été fait en France.

Je dis donc que la nécessité pour les tribunaux d'intervenir dans ces affaires, de se constituer, comme on dit, en commission héraldique existe dans tous les cas. La loi qui défend d'insérer dans un acte authentique des titres de noblesse qui ne seraient pas légalement portés existe toujours, et quand surgit une poursuite pour contravention à cette loi, il faut bien que les tribunaux vérifient si le délit existe ou non. Ne doivent-ils pas dans ce cas se constituer en commissions héraldiques ? L'objection est donc sans valeur.

Messieurs, je crois avoir rencontré tous les arguments que l'on a fait valoir ; je pense qu'il n'y en a pas un qui soit réellement de nature à faire admettre la proposition de l'honorable M. Orts.

Messieurs, on a invoqué ce qui s'est passé en France. Je sais qu'à la chambre des députés l'amendement a été adopté, c'est-à-dire que la disposition a été supprimée dans l'ordre d'idées qu'indique l'honorable M. Orts ; mais la chambre des pairs a supprimé la disposition, non parce qu'elle la regardait comme inutile, mais parce qu'elle la regardait comme inconstitutionnelle.

La Charte de 1814 avait déclaré que la noblesse de l'empire conservait ses titres, que la noblesse ancienne reprenait les siens ; eh bien, la plupart des titres de l'ancienne noblesse reposent sur une longue possession, elle n'avait pas d'arrêté royal à exhiber. Il devenait donc impossible de punir ceux qui auraient usurpé des titres royaux qui ne leur auraient pas été légalement conférés, car il était impossible, précisément à l'ancienne noblesse, de venir justifier de ses titres par des octrois parfaitement en règle. Voilà le motif qui a fait admettre l'amendement par la chambre des pairs.

Pour nous, cette raison d'inconstitutionnalité n'existe pas.

En Belgique, il y a beaucoup moins de difficultés que partout ailleurs, de justifier de ses titres. Personne n'ignore que tous les titres ont été renouvelés et publiés depuis 1815 ; qu'une liste contenant les noms des personnes qui ont le droit de porter un titre a été publiée dans le journal officiel.

Je crois dès lors devoir maintenir la disposition du projet de loi.

M. Rodenbach. - Messieurs, si la Chambre adopte l'article qui lui est proposé, il y aura encore une lacune dans la loi.

Savez-vous, messieurs, quels sont les titres de noblesse qui sont reconnus en Belgique ? Ce sont d'abord ceux qui ont été publiés sous le gouvernement des Pays-Bas et qui ont été passibles d'un droit d'enregistrement de cent florins.

Ce sont ensuite ceux qui ont été publiés au Moniteur.

Mais il reste un très grand nombre de familles nobles, dans presque toutes les villes de la Belgique, dont les anciens titres ne sont pas reconnus, mais dont tous les membres, les chefs de famille, les cadets, les dames et les demoiselles même, prennent des titres sans y avoir droit, de plus ils les inscrivent sur les cartes de visite.

Si je suis bien informé, il n'y a que les nobles du Saint-Empire dont tous les enfants aient le droit de porter le titre du père. S'il y a quelques autres familles qui ont ce droit cela est exceptionnel.

Je crois que même à l'état civil on fait fort peu attention à la déclaration qui est faite des titres ; on croit le déclarant sur parole ; on l'inscrit comme comte,, baron ou chevalier, quand il dit être comte, alors qu'il n'a pas le droit de porter ce titre. Il y a donc une lacune dans la loi.

Il faudrait, à mon avis, comme en France, une révision complète de la liste des personnes qui prétendent avoir le droit de prendre un titre de noblesse. Sans cela, l'article 259 n'aura pas de portée et vous n'aurez pas fait cesser les abus qui existent.

Vous avez aujourd'hui, je le répète, beaucoup de comtes, de barons, de comtesses, de baronnes de contrebande, vous en avez beaucoup qui prennent indûment ces titres, pour se donner du relief et inspirer de la confiance.

Il y a beaucoup d'étrangers dans le pays qui sont également dans ce cas. Je dis qu'il y aura une foule de personnes que vous devrez poursuivre et faire condamner à une amende de 100 à 1,000 francs.

Messieurs, si vous voulez admettre l'article 259, il faut une révision sévère de la liste des personnes qui désirent avoir le droit de porter un titre de noblesse, mais si vous ne faites pas disparaître les faux titres que des indigènes comme les étrangers portent en Belgique, vous n'aurez pas fait la moitié de la besogne, en votant l'article.

Messieurs, on ne peut assez le répéter, il est beaucoup de familles en Belgique qui prennent des titres qu'elles n'ont pas le droit de porter et qu'elles prennent même à l'état civil, j'en ai l'expérience.

M. Guillery. - Messieurs, je suis prêt à voter l'article qui nous est soumis, si M. le ministre de la justice veut prendre l'engagement de l'appliquer.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je le ferai.

M. Guillery. - Eh bien, si d'ici à demain M. le ministre veut donner l'ordre au procureur du roi dans l'arrondissement de Bruxelles, de poursuivre tous les individus qui, à Bruxelles, prennent des titres de noblesse usurpés, des noms de terre auxquels ils n'ont pas droit, je consens à voter l'article demain.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je ferai exécuter la loi.

M. Guillery. - L'honorable ministre de la justice me dit qu'il fera exécuter la loi ; exécutez donc, lui répondrai-je, l'article 259 du Code pénal actuel, avant de faire une loi nouvelle.

Messieurs, nous avons le bonheur d'avoir un conseil héraldique, celui-là est parfaitement au courant, il n'a pas d'arriéré. C'est une réforme qui ne s'est pas fait attendre.

Nous pouvons donc savoir quels sont les titres de noblesse authentiques et quels sont ceux qui ne le sont pas ; dès lors le travail du parquet sera bientôt fait, il pourra très facilement traduire devant le tribunal correctionnel toutes les personnes qui ont usurpé des titres.

Cela ne se fera pas, je le répète ; cela ne se fera pas plus sous l'empire du nouveau code que cela ne s'est fait sous l'empire du code actuel.

Messieurs, loin de poursuivre les abus, savez-vous ce que fait le gouvernement ? Il les sanctionne. Lorsqu'une personne a porté, pendant un certain temps, un titre de noblesse qui ne lui appartient pas, il arrive très souvent qu'un arrêté royal vient le lui conférer.

On a dit que les titres de noblesse sont aussi sérieux que les décorations.

Je vois là une énorme différence. La décoration est un titre personnel conféré pour des services personnels, tandis que les lettres de noblesse sont très souvent données à ceux qui n'ont d'autre mérite que d'être les fils de citoyens illustres.

Nous voyons, de temps à autre, paraître des arrêtés royaux accordant la noblesse à des jeunes gens qui ne sont en âge d'avoir rendu aucune espèce de services.

Vous ne pouvez donc pas faire que je prenne au sérieux de pareils titres.

Messieurs, il n'y a pas le moindre sentiment d'envie de ma part, je vous prie de le croire ; je regarde comme enviable de porter le nom d'un honnête homme, d'honorer le nom que l’on porte et de n'en être pas écrasé.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Mais ce nom honnête, permettriez-vous de l'usurper ?

M. Guillery. - Il ne s'agit pas de noms usurpés, c'est la loi de floréal an II qui punit cette usurpation et on ne l'applique guère attendu qu'il y a des personnes qui ne sont connues que sous le nom d'une terre et dont le vrai nom est inconnu.

A ceux-là on peut appliquer la loi de fructidor an II, à ceux-là s'appliquent les inconvénients signalés par M. le ministre de la justice, c'est-à-dire d'avoir des actes de l'état civil qui ne sont pas en règle. On ne leur applique cependant pas la loi, et le gouvernement se rend complice de leur vanité en leur laissant usurper des noms qui ne leur appartiennent pas.

Mais, ont dit l'honorable M. Lebeau et l'honorable ministre de la justice, des personnes viendront dans des entreprises financières se prévaloir d'un titre.

Dans des entreprises financières je crois que l'important est d'avoir (page 1156) de l'argent, je ne pense pas l'on monte beaucoup de sociétés sur un titre de duc ou de comte et le plus vil roturier pourra avec de l'argent faire ce qu'on ne pourrait faire avec les plus beaux titres.

D'ailleurs si l'on usurpe un titre pour se faire remettre une valeur ou pour former une société en trompant les intéressés, on tombe sous l'application d'un article du Code pénal qui punit l'escroquerie. Cette usurpation de nom ou de titre sera délictueuse dans ce cas. Mais lorsque le titre n'est pris que par vanité, lorsqu'il ne s'agit que de l'inscrire sur une carte de visite, où est le mal ?

Lorsqu'il s'agit de s'introduire dans certaines maisons, les personnes chez lesquelles on voudrait être admis sont les premières à savoir que le titre est faux parce qu'elle connaissent les titres authentiques et ceux qui ne le sont pas.

Dans ces cas on ne trompe personne, comme le disait l'honorable M. Van Humbeeck. C'est une folie qui n'est pas dangereuse, une manie sans fureur, comme on dit en médecine légale, et pour laquelle il n'y a pas lieu de se montrer sévère.

Mais, dit M. le ministre de la justice, en pays étranger, voilà où est le danger.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - En province.

M. Guillery. - Mais, messieurs, il est à remarquer que l'on ne punit que le Belge, et qu'on ne punit pas l'étranger qui vient, avec quelque danger peut-être, se targuer d'un faux titre.

Que nous importe qu'un étranger s'appelle comte de Monte-Cristo ou de son nom de famille ?

Cela ajoute-t-il quelque chose à sa valeur ?

Quant à ceux qui tiennent à fréquenter ce comte, c'est à eux de savoir s'il est vilain ou gentilhomme, comme c'est à ceux qui veulent s'associer, de s'assurer de la valeur commerciale du papier qu'on leur présente.

Cela peut blesser la vanité des uns comme cela peut flatter celle des autres, mais il n'y a au fond qu'une affaire de vanité.

Je ne puis admettre avec l'honorable M. Lebeau que dans les Etats démocratiques et par un sentiment démocratique il faille punir l'usurpation des titres de noblesse qui sont conférés non pour services rendus mais par des influences de famille, pour être agréable à telle ou telle personne.

Je considérerais ces titres comme sérieux s'ils étaient accordés pour des services rendus au pays, si la noblesse était accordée aux hautes fonctions de l'Etat, comme à la cour de Constantin, si par exemple tous les ministres étaient ducs...

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Et les représentants princes.

M. Guillery. - Oh ! non. Les représentants seraient barons ou simplement chevaliers, c'est bien suffisant.

Du reste, je prie M, le ministre de croire qu'il n'y a pas le moindre persiflage dans ce que j'ai dit. J'ai dit que MM. les ministres relèveraient les titres de noblesse.

Je reconnais, messieurs, comme l'honorable M. Orts, la valeur de certains titres de noblesse anciens ; mais si l'on voulait donner aux titres de noblesse considérés sous l'empire de la Constitution belge une véritable valeur, il faudrait qu'ils vinssent correspondre à des services rendus à l'Etat.

Je comprendrais qu'il y a là une certaine valeur. Mais pour des titres de noblesse donnés à certaines familles parce qu'elles approchent de la Cour, parce qu'elles approchent de la diplomatie, je ne vois aucune espèce de raison d'introduire une pénalité correctionnelle contre ceux qui s'en prévalent sans titre.

Mais, messieurs, ce que pense l'honorable M. Orts à cet égard, c'est ce que tout le monde a pensé depuis 1830 ; puisqu'on n'a plus appliqué la mesure elle est devenue parfaitement inutile.

Ce qui est démocratique, ce qui est large, ce qui est exempt de toute espèce de sentiment de mesquinerie, c'est de laisser chacun porter le nom qu'il porte, de laisser les petites vanités à leur rôle, à leur fantaisie.

Ce qui eût été mesquins c'est d'avoir voulu en 1830 abolir les titres de noblesse.

Le Congrès national ne l'a pas voulu. On a laissé à tout homme le droit de porter le nom de son père. On a laissé à la noblesse ses titres, si on ne lui a pas laissé ses privilèges. Mais vouloir sanctionner l'usurpation des titres, aller au-delà de ce qu'a fait le Congrès, cela me paraît exagéré.

En Angleterre, a dit l'honorable M. Lebeau, songerait-on à porter une loi pareille ? Je connais peu les lois anglaises, je l'avoue, mais je sais qu'en Angleterre à côté du titre il y a un privilège. Dès lors on ne peut permettre d'usurper le titre. Je crois du reste que l'Angleterre est le pays où l'on songerait le moins à une pareille usurpation, et où on a le moins d'occasions d'appliquer une pareille législation.

En résumé je voterai contre l'article parce que je le crois inutile, parce que je crois qu'il ne sera jamais appliqué, qu'il ne sert les intérêts de personne, pas plus ceux de la noblesse que ceux de la bourgeoisie, que ceux de la démocratie.

M. Van Humbeeck. - Je crois que la marche indiquée par M. le président n'est pas celle qui doit être suivie.

L'honorable M. Orts conclut tout simplement à la suppression de l'article.

Je crois qu'il n'y a qu'à voter sur l'article. Ceux qui sont de l'avis de l'honorable M. Orts se prononceront contre l'article.

M. le président. - Il y aurait lieu dans ce cas de voter sur l'amendement de l'honorable M. Van Overloop qui consiste à remplacer les mots : « le Belge » par le mot « quiconque. »

M. Van Overloop. - II me semble au contraire qu'il faut mettre d'abord aux voix l'article. S'il était rejeté, il serait inutile de discuter mon amendement. Je persiste néanmoins dans mon amendement.

M. le président. - Alors il faut d'abord mettre aux voix l'amendement de M. Van Overloop.

M. Orts. - Je crois que la marche indiquée par M. le président est la marche usitée en cette matière ; qu'il faut d'abord en règle générale voter sur l'amendement avant de voter sur la proposition principale ; mais je crois que dans le cas actuel il y a lieu, par exception, d'intervertir l'ordre ordinaire. Voici ma raison :

Si l'article est maintenu, je voterai pour l'amendement de l'honorable M. Van Overloop parce qu'il y a encore plus de danger dans l'usurpation des titres de mauvais aloi qu'on ne peut pas vérifier que dans l'usurpation des titres nationaux que nous pouvons contrôler. Si l'on met d'abord aux voix l'amendement de l'honorable M. Van Overloop, je ne sais pas comment voter. Je l'accepte si l'article que je combats passe ; je repousse cet amendement, si la Chambre repousse l'article primitif.

M. le président. - Je mets l'article aux voix.

- Plusieurs membres. - L'appel nominal.

- Il est procédé à l'appel nominal.

67 membres y répondent.

36 répondent oui.

31 répondent non.

En conséquence, la Chambre adopte.

Ont répondu oui : MM. De Fré, de Haerne, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Montpellier, de Pitteurs-Hiegaerts, de Ruddere de Te Lokeren, de Terbecq, de Theux, Devaux, d'Hoffschmidt, H. Dumortier, d'Ursel, Frère-Orban, Jacquemyns, M. Jouret, Landeloos, Lange, J. Lebeau, Magherman, Moncheur, Pirmez, Rogier, Saeyman, Tesch, Vander Donckt, Van Dormael, Van Overloop, Allard, Carlier, Dautrebande, de Baillet-Latour, de Boe, de Brouckere, Dechamps et Vervoort.

Ont répondu non : MM. Dechentinnes, de Gottal, De Lexhy, de Paul, de Renesse, de Smedt, Frison, Goblet, Grosfils, Guillery, Hymans, Jamar, J. Jouret, C. Lebeau, Moreau, Mouton, Nélis, Nothomb, Orts, Pierre, Rodenbach, Savart, Snoy, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Van Humbeeck, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Volxem, Vilain XIIII, David et de Bronckart.

M. le président. - Maintenant vient l'amendement de M. Van Overloop qui consiste à remplacer les mots « le Belge », par le mot « quiconque ».

- Plusieurs membres : L'appel nominal !

- Il est procédé à l'appel nominal.

67 membres y répondent.

62 membres adoptent l'amendement.

5 membres le rejettent.

En conséquence, la Chambre adopte.

Ont voté pour l'amendement : MM. Dechentinnes, De Fré, de Gottal, de Lexhy, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Montpellier, de Paul, de Pitteurs-Hiegaerts, de Renesse, de Ruddere de Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux', Devaux, Henri Dumortier, d'Ursel, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, i, Jouret, M. Jouret, (page 1157) Landeloos, Lange, Magherman, Moreau, Mouton, Nélis, Nothomb, Orts, Pierre, Rodenbach, Rogier, Saeyman, Savart, Snoy, Tesch, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Dormael, Van Humbeeck, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Overloop, Van Volxem, Vilain XIIII, Allard, Carlier, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Boe, de Bronckart, de Brouckere, Dechamps et Vervoort.

Ont voté contre l'amendement : MM. d'Hoffschmidt, Ch. Lebeau, J. Lebeau, Moncheur et Pirmez.

Motion d’ordre

M. David. - La commission que la Chambre a chargée de vérifier les pièces relatives à l'élection qui a eu lieu à Gand, le 13 de ce mois, n'a pas trouvé au dossier l'acte de naissance de l'élu. Elle l'a fait réclamer par dépêche télégraphique ; de sorte que la commission est obligée de renvoyer à demain la présentation de son rapport.

Projet de loi accordant des crédits supplémentaires au budget du ministère des travaux publics

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi qui alloue au département des travaux publics des crédits supplémentaires à concurrence de fr. 217,836-02 pour payer des créances arriérées.

M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre des finances de la présentation de ce projet de loi qui sera imprimé et distribué et renvoyé à l'examen des sections.

Projet de loi révisant le code pénal (livre II, titres III à IX)

Discussion des articles

Titre IV. Des crimes et des délits contre l’ordre public, commis par des fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions ou par des ministres du culte dans l’exercice de leur ministère

Chapitre II. De l’empiètement des autorités administratives et judiciaires
Articles 252 et 254

M. le président. - Nous passons maintenant aux articles réservés du titre IV du livre II, articles renvoyés à la commission et sur lesquels il a été fait rapport par M. Moncheur. Il s'agit des articles 252 et 254 du chapitre II, intitulé : De l''empiétement des autorités administratives et judiciaires et des article 261 et 262 du chapitre IV qui traite de l'immixtion des fonctionnaires dans des affaires de commerce incompatibles avec leur qualité.

« Art. 252. Les juges qui, sur la revendication formellement faite, par l'autorité administrative, d'une affaire portée devant eux, auront néanmoins procédé au jugement avant la décision de la cour de cassation sur le conflit, seront punis chacun d'une amende de vingt-six francs au plus.

« Les officiers du ministère public, qui auront fait des réquisitions ou donné des conclusions pour ledit jugement, seront punis de la même peine. »

La commission propose de rédiger cet article dans les termes suivants :

« Les juges qui, lorsque l'autorité administrative est en cause devant eux, auront néanmoins procédé au jugement de l'affaire, malgré le conflit légalement soulevé par cette autorité et avant la décision de la cour de cassation, seront punis chacun d'une amende de vingt-six francs à cinq cents francs.

« Les officiers du ministère public, qui auront fait des réquisitions ou donné des conclusions pour ledit jugement seront punis de la même peine. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je me rallie à cette dernière rédaction.

- L'article 252, ainsi rédigé, est mis aux voix et adopté.


« Art. 254. Lorsque ces administrateurs entreprendront sur les fonctions judiciaires, en s'ingérant de connaître de droits et intérêts du ressort des tribunaux, et qu'après la réclamation des parties ou de l'une d'elles, ils auront néanmoins décidé l'affaire, avant que la cour de cassation ait prononcé sur le conflit, ils seront punis d'une amende de vingt-six francs à cinq cents francs. »

M. le président. - La commission propose la suppression d cet article ; M. le ministre de la justice adhère-t-il à cette proposition ?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Oui, M. le président.

- La suppression de l'article 254 est mis aux voix et prononcée.

Chapitre IV. De la corruption des fonctionnaires publics
Articles 261 et 262

« Art. 261. Tout fonctionnaire ou officier public, toute personne chargée d'un service public, qui, soit ouvertement, soit par actes simulés ou par interposition de personnes, aura pris ou reçu quelque intérêt que ce soit dans les actes, adjudications, entreprises, ou régies dont il a ou avait, au temps de l'acte, en tout ou en partie, l'administration ou la surveillance, sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans, et d'une amende de cinquante à trois mille francs.

« Il pourra en outre être condamné à l'interdiction du droit de remplir des fonctions, emplois ou offices publics. »


« Art. 262. La disposition du précédent article est applicable à tout fonctionnaire ou officier public et à toute personne chargée d'un service public qui, ayant mission d'ordonnancer le payement ou de faire la liquidation d'une affaire, y auront pris un intérêt quelconque. »

M. le président. - La commission propose de fondre ces deux articles en un seul, qui formerait l'article 261, ainsi conçu :

« Art. 261. Tout fonctionnaire ou officier public, toute personne chargée d'un service public qui, soit directement, soit par interposition de personnes ou par actes simulés, aura pris ou reçu quelque intérêt que ce soit dans les actes, adjudications, entreprises ou régies, dont il avait, au temps de l'acte, en tout ou en partie, l'administration ou la surveillance, ou qui, ayant mission d'ordonnancer le payement ou de faire la liquidation d'une affaire, y aura pris un intérêt quelconque, sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende de cinquante francs à trois mille francs.

« Il pourra, en outre, être condamné à l'interdiction du droit de remplir des fonctions, emplois ou offices publics. »

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je me rallie à cette rédaction.

- L'article 261, ainsi modifié, est mis aux voix et adopté.

Article 262 (nouveau)

M. le président. - Maintenant, la commission propose un article 262 nouveau, ainsi conçu ;

« Art. 262. La disposition de l'article précédent ne sera pas applicable au fonctionnaire, à l'officier ou à la personne chargée d'un service public, qui ne pouvait, en raison des circonstances, favoriser, par sa position, ses intérêts privés, et qui aura agi ouvertement. »

M. le ministre de la justice adhère-t-il à cette proposition ?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Oui, M. le président.

L'article 262 nouveau est mis aux voix et adopté.

???

. ???

M. le président. - Nous passons à l'article 355bis du titre II livre X qui a été renvoyé à la commission :

La commission avait proposé de rédiger cet article comme suit ;

« Ceux qui auront sciemment contribué d'une manière quelconque à la publication ou distribution d'un écrit contenant une provocation à un crime ou à un délit, soit que la provocation ait été ou non suivie d'effet, seront punis comme complices des provocateurs, conformément à l'article 81.

« Néanmoins, lorsqu'ils ont fait connaître la personne de qui ils tiennent l'écrit ou lorsque l'auteur ou l'imprimeur sont connus et domiciliés en Belgique, les crieurs, afficheurs, vendeurs ou distributeurs n'encourront dans le cas où la provocation aurait été suivie d'effet qu'un emprisonnement de huit jours à trois mois ; ils seront exempts de toute peine si la provocation n'a pas eu d'effet.

« Il en sera de même de l'éditeur ou de l'imprimeur, lorsque l'auteur est connu et domicilié en Belgique. »

M. Guillery a proposé une nouvelle rédaction de cet article. Elle est ainsi conçue :

« Ceux qui auront sciemment contribué d'une manière quelconque à la publication ou distribution d'un écrit contenant une provocation à un crime ou à un délit, soit que la provocation ait été ou non suivie d'effet, seront considérés comme complices des provocateurs.

« Néanmoins, lorsqu'ils ont fait connaître la personne de qui ils tiennent l’écrit ou lorsque l'auteur ou l'imprimeur sont connus et domiciliés en Belgique, les crieurs, afficheurs, vendeurs ou distributeurs seront exempts de toute peine.

« Il en sera de même de l'éditeur ou de l'imprimeur, lorsque l'auteur est connu et domicilié en Belgique. »

La commission à qui l'article et l'amendement ont été renvoyés propose à la Chambre de voter l'article qu'elle avait d'abord soumis aux délibérations de la Chambre.

M. Guillery. - Messieurs, la Chambre se rappelle peut-être que l'amendement qui lui est en ce moment soumis a déjà fait l'objet d'une discussion.

Le différend qui me sépare de la commission est que je pense qu'il s'agit dans l'article 355bis d'un délit de presse et que la commission n'y voit, au contraire, qu'un délit commun. Vous dire que je crois y voir un délit de presse, c'est vous dire que je vois dans cet article une des questions les plus importantes qui puissent être soumises à nos délibérations.

Tout ce qui touche à la liberté de la presse, à la plus précieuse de nos libertés, touche à toutes les autres qui ne sont que la conséquence de celle-là. L'article 355ter du Code pénal, reproduisant une disposition déjà en vigueur, punit comme complice d'un délit ou d'un crime, celui qui en aura été le provocateur par la voie de la presse : « Ceux qui auront sciemment contribué d'une manière quelconque (page 1158) à la publication ou distribution d'un écrit contenant une provocation à un crime ou à un délit, soit que la provocation ait été ou non suivie d'effet, seront considérés comme complices des provocateurs.

« Néanmoins, lorsqu'ils ont fait connaître la personne de qu'ils tiennent l'écrit ou lorsque l'auteur ou l'imprimeur sont connus et domiciliés en Belgique, les crieurs, afficheurs, vendeurs ou distributeurs seront exempts de toute peine.

« Il en sera de même de l'éditeur ou de l'imprimeur, lorsque l'auteur est connu et domicilié en Belgique, »

Ainsi, dans le cas où la provocation au crime ou délit n'a pas été suivie d'effet, le projet admet que les distributeurs se soient mis hors de cause, quand ils ont fait connaître l'auteur de l'écrit.

Mon amendement étend cette mise hors de cause aux cas où la provocation a été suivie d'effet.

Lorsque, par un écrit, un citoyen a provoqué à un crime ou à un délit, il est assimilé d'après la disposition légale qui vous est soumise au complice de ce crime ou de ce délit ; c'est-à-dire qu'il est traité comme s'il avait fourni les moyens de commettre le délit. Il y a là une extension de la complicité. Je l'admets pourtant.

J'admets que celui qui a provoqué à un crime ou à un délit par la voie de la presse soit assimilé au complice ; mais ce n'est là, que la provocation ait été ou non suivie d'effet, qu'un délit de presse ; dès lors on doit mettre hors de cause l'imprimeur et le distributeur dès qu'ils ont fait connaître l'auteur.

Pour la commission, il ne s'agit pas de délit de presse, parce que l'auteur de l'article incriminé se trouve assimilé au complice d'un délit commun.

Cette circonstance de la complicité d'un délit commun paraît à la commission exclusive du délit de presse. Je crois qu'un délit de presse est un délit commis par la voie de la presse, que tout délit commis par la voie de la presse est un délit de presse.

Quand le Congrès constituant a soumis au jury ces délits, ce sont les publications qu'il a voulu soumettre à cette haute juridiction, il n'a pas voulu s'occuper des conséquences que pouvait avoir la publication.

Quand il a affranchi les auteurs du joug des imprimeurs et des distributeurs eu décidant qu'ils seraient toujours mis hors de cause dès que l'auteur serait connu, il s'est adressé aux auteurs de toutes publications, il n'a pas voulu dire préventivement que les publications qui auraient telles conséquences ne seraient pas considérées comme des délits de presse ; ce serait jeter l'imprimeur dans des anxiétés telles qu'elles en feraient un censeur de l'auteur.

Il dira : Avant d'imprimer votre écrit, je veux le lire. L'article 355bis, qui veut que je sois puni personnellement, bien que je vous aie fait connaître, m'oblige à m'assurer de ce que contient votre écrit.

Je disais qu'un délit de presse est un délit commis par la voie de la presse, quel que soit l'effet.

Les délits de presse sont tous des délits communs. Je ne parle pas des contraventions telles que l'omission du nom de l'imprimeur au bas du journal ; mais tous les délits de presse sont prévus par le Code pénal ; la calomnie est punie par l'article 367 du Code pénal ; cet article est applicable aux écrits comme aux calomnies verbales.

C'est le Code pénal qu'on applique aux injures et aux calomnies qui sont les délits les plus fréquents commis par la presse. Ce sont les articles du Code pénal ordinaire qui sont appliqués aux prévenus. Voyez le décret sur la presse de 1831, ce décret ne parle pas d'un seul délit de presse qui ne soit pas un délit de droit commun.

Il ne s'agit que de délits de droit commun ; je me trompe, un seul fait exception ; c'est celui qui est prévu par l'article 355bis, celui qui vous est soumis en ce moment.

C'est le seul délit de presse proprement dit, c'est-à-dire que c'est le seul délit qui ne soit commis que par la voie de la presse. Tous les autres sont des délits de droit commun.

Il est inutile, messieurs, d'insister sur l'importance du principe que vous allez poser en vous prononçant sur l'article 355bis du code pénal. Si le délit dont il s'agit n'est pas un délit de presse, il sera enlevé à la juridiction du jury ; c'est-à-dire que ce sera le tribunal correctionnel qui aura à juger l'auteur d'un écrit accusé d'avoir provoqué à un crime ou à un délit, par exemple à l'insurrection ; c'est-à-dire que les délits les plus essentiellement politiques et de presse vont échapper à la juridiction du jury.

Mais, messieurs, si jamais nous avons eu à revendiquer pour les journaux, pour les écrits, la juridiction du jury et la qualité de délit de presse, et la mise hors de cause de l'imprimeur, du distributeur ainsi que du crieur, afficheur ou vendeur, lorsque l'auteur est connu, c'est dans l'espèce qui nous occupe,

Je suppose, par exemple, les ordonnances de juillet. Je suppose ce fameux article du Temps que personne n'a oublié, que tout le monde a voulu lire ; et je suppose que l'auteur de cet article dise à un afficheur, à un crieur, à un vendeur : Vous allez colporter cela dans les rues. D'après l'esprit de notre Constitution, jamais le crieur, l'afficheur ou le distributeur n'a à répondre à celui qui lui confie un écrit : Je m'expose à une peine.

Non, l'auteur de l'écrit peut leur assurer que, quel que soit le contenu de cet écrit qu'il leur confie, ils seront mis hors de cause dès que lui, auteur, est connu.

Sous l'empire de votre article, avec un tribunal composé d'admirateurs des ordonnances, l'article du Temps aurait été considéré comme provoquant à un crime ou à un délit et par conséquent aurait été soumis à la juridiction correctionnelle.

Il ne fallait pas beaucoup de complaisance de la part du parquet de Paris pour caractériser ainsi la poursuite,

Je suppose un acte illégal du pouvoir. Je suppose même qu'il n'y ait pas de circonstances aussi graves ; je suppose un écrit où le distributeur, le crieur ou l'afficheur croira trouver la provocation à un crime ou à un délit, il dira : Je ne distribue ou je n'affiche pas. Dès lors vous détruisez l'émancipation de la plume qu'a prononcée le Congrès national.

Ce que le congrès a voulu, je ne saurais trop le répéter, c'est que personne ne vînt dire à un autre : Je ne veux pas imprimer, je ne veux pas distribuer, votre écrit, parce qu'il contient une provocation à un délit ; c'est que l'auteur pût toujours répondre : Je suis seul responsable ; je suis dans la position d'un homme, qui, avec sa plume, veut imprimer à deux mille exemplaires, et distribuer lui-même. Mais au moment où par un petit article du Code pénal vous dites que l'afficheur, le vendeur et le distributeur, ne seront pas exempts de toute peine, si la provocation a été suivie d'effet, vous replacez l'auteur sous le contrôle de ceux qui ne doivent en être que les instruments. C'est pourquoi je propose la rédaction suivante :

« Ceux qui auront sciemment contribué d'une manière quelconque à la publication ou distribution d'un écrit contenant une provocation à un crime ou à un délit, soit que la provocation ait été ou non suivie d'effet, seront considérés comme complices des provocateurs. »

Je dis « seront considérés comme complices », et non seront punis comme complices, parce que, selon moi, ce n'est pas là la véritable complicité. Le décret sur la presse dit : « seront réputés. »

« Néanmoins, lorsqu'ils ont fait connaître la personne de qui ils tiennent l'écrit ou lorsque l'auteur ou l'imprimeur sont connus et domiciliés en Belgique, les crieurs, afficheurs, vendeurs ou distributeurs seront exempts de toute peine.

« Il en sera de même de l'éditeur ou de l'imprimeur, lorsque l'auteur est connu et domicilié eu Belgique. »

C'est-à-dire, messieurs, que d'après le système adopté par le Congrès national, le vendeur et le distributeur doivent être mis hors de cause par l'imprimeur, comme l'imprimeur est lui-même mis hors de cause par l'auteur.

« Il en sera de même de l'éditeur ou de l'imprimeur, lorsque l'auteur est connu et domicilié en Belgique. »

Evidemment l'imprimeur doit être mis hors de cause, lorsqu'il peut nommer l'auteur.

M. Pirmez, rapporteur. - Messieurs, la constitution a protégé avec un soin particulier la libre manifestation des opinions, en prenant des garanties spéciales dans la répression des délits qui consistent dans l'abus de cette faculté.

Lorsque les idées émises sont coupables, mais n'entraînent de dommage que dans le domaine intellectuel sans qu'il y ait un attentat matériel causé, il n'y a jamais que délit de presse, et il est évident que, dans ce cas, toutes les dispositions que l'honorable préopinant a citées doivent s'appliquer.

Mais vous avez déjà compris que la question qui vous est soumise consiste à savoir s'il en est ainsi, même lorsque le délit n'est pas resté dans la sphère des idées, lorsqu'il a produit un crime matériel. Permettez-moi, pour bien préciser la question, déposer un exemple.

Je suppose que, dans un écrit, il soit provoqué à un incendie, à un pillage, à un meurtre.

Evidemment si cette provocation n'est suivie d'aucun résultat, si aucun des crimes auxquels on a provoqué n'est commis, il n'y a qu'un délit de presse ; le dommage est purement intellectuel et nos lois s'en réfèrent, pour la réparation de ce mal, à la force de la vérité qui finit toujours par triompher de l'erreur, à la raison et aux sages avis qui éloignent des séductions perverses, Mais admettons une hypothèse (page 1159) contraire. Supposons qu'en suite de cette provocation, l'incendie, le pillage, le meurtre aient été commis. N'y a-t-il là qu'un simple délit de presse, c'est-à-dire qu'un simple abus de la manifestation de la pensée ! Voilà la question.

Si je prends le décret sur la presse, dont les auteurs étaient sans doute bien les dépositaires des pensées du corps constituant, je trouve la question toute résolue.

L'article premier porte en effet : « Indépendamment des dispositions de l'article 60 du Code pénal, et pour tous les cas non spécialement prévus par ce Code, seront réputés complices de tout crime ou délit commis, ceux qui, soit par des discours prononcés dans un lieu public devant une réunion d'individus, soit par des placards affichés, soit par des écrits imprimés on non et vendus ou distribués, auront provoqué directement à les commettre. »

Ainsi le décret sur la presse déclare que lorsque la provocation a été suivie d'effet, c'est-à-dire lorsqu'un crime a été commis par suite de la provocation, l'auteur de la provocation est complice de ce crime. Il est évident que le décret reconnaît qu'il y a là autre chose qu'un délit de presse. Car quelque exagération qu'on veuille donner à la définition des délits de presse, je ne pense pas qu'on considère jamais un pillage, un incendie, un meurtre comme un délit de presse.

Qu'est-ce. que c'est, messieurs, que la complicité ? Mais c'est la participation à un crime ; celui qui provoque est la cause première de la perpétration du crime ; dans l'espèce que je pose, il participera réellement au meurtre, à l'incendie, au pillage, ; il en est coupable, et il doit en subir la peine.

Vous voyez, messieurs, que nous ne sommes plus en présence d'une simple manifestation de pensée coupable ; nous sommes dans un autre ordre de faits ; il y a ici un fait matériel dont le provocateur est complice.

Tels sont, messieurs, les principes que la commission vous propose de sanctionner.

Quand la provocation n'a pas eu d'effet, il n'y a qu'un délit de presse, et par cela seul que l'auteur est connu, l'imprimeur, le distributeur ainsi que tous ceux qui ont concouru à la publication sont exempts de toute peine ; mais pour obéir au principe du décret sur la presse, il fallait distinguer entre ce cas et celui où une infraction matérielle a été commise.

Vous remarquerez que même en tenant compte de cette différence qui résulte de la nature des choses, la commission modère la peine d'une manière considérable.

Ainsi, lorsque les crimes les plus graves, même, sont le résultat de la provocation, la peine contre les agents subalternes de la publicité ne peut jamais excéder un emprisonnement de 3 mois.

Il y a plus, messieurs, cette peine si minime alors même qu'il s'agit des faits graves que j'ai cités, ne peut pas être encourue pour le seul fait de la distribution ou de l'impression, elle n'est pas encourue lorsque l'imprimeur ou le distributeur n'a pas eu connaissance du contenu de l'écrit, il faut, pour que la peine soit prononcée, que l'agent ait connu le caractère provocateur de l'écrit.

Mais si l'imprimeur et le distributeur ont lu l'écrit, s'ils savent qu'en le distribuant ils vont faire commettre un crime grave, si surtout l'imprimeur n'imprime et si le distributeur ne distribue cet écrit que pour faire commettre le crime, comment vouloir qu'on ne leur impute pas un fait dont ils sont la seule cause, un fait qu'ils ont voulu, qu'ils ont recherché, et qui sans eux ne serait pas commis ?

Ce serait là assurer une impunité scandaleuse que l'on ne peut pas vouloir.

L'honorable M. Guillery dit que tous les délits de presse sont des délits de droit commun. Sans doute, messieurs, mais la calomnie citée pour exemple, l'injure et d'autres faits semblables constituent par eux-mêmes l'infraction, tandis que dans les faits que nous prévoyons il y a deux choses bien distinctes :

La provocation coupable en elle-même comme délit de presse, la participation à un crime de tout autre ordre.

Vous n'aurez pas, dit-on, la garantie du jury. Ce n'est pas, messieurs, l'article que nous discutons qui enlèvera le fait à la connaissance du jury, c'est, encore une fois, le décret sur la presse, ce décret que l'on considère comme l'arche sainte. (Interruption.)

Vous voulez donc faire une loi de disjonction ? Vous voulez faire juger l'auteur principal d'un côté et le provocateur de l'autre ?

M. Guillery. ~- L'affaire sera renvoyée tout entière devant la juridiction supérieure, à cause de la situation du complice.

M. Pirmez, rapporteur. - Le complice doit être soumis à la même juridiction que l'auteur principal.

Du reste, messieurs, il s'agit d'un fait qui n'a rien de commun avec un délit de presse, il s'agit d'un meurtre, d'un incendie, d'un pillage ; un individu est poursuivi comme complice, c'est-à-dire comme ayant participé au crime d'une manière quelconque ; il n'y a que le meurtre, l'incendie ou le pillage qui soit déféré à la justice, et la nature du fait même déterminera la juridiction.

Je crois, messieurs, que l'article qui vous est soumis ne recevra jamais d'application, mais il s'agit d'un principe et il me paraît qu'il serait dangereux de proclamer que celui qui prend part à la perpétration d'un crime, que celui qui en est la cause volontaire, ne sera pas responsable.

- De toutes parts. - A demain !

- Sur la proposition de M. le président, la Chambre met à la suite de l'ordre du jour le rapport concernant le Code pénal, qui vient d'être distribué.


M. le président communique à la Chambre une demande de congé de M. Tack.

- Le congé est accordé.

La séance est levée à 4 heures 3/4.