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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 13 avril 1861

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)

(page 1081) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Snoy, secrétaire, procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart. Il donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Boe, secrétaire, présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Le sieur Piron, ancien maréchal des logis de la gendarmerie, demande qu'il lui soit fait application des dispositions de la loi relative à la pension des gendarmes.

« Même demande du sieur Joachain, ancien gendarme. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Par message du 12 avril, le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté dans la séance de ce jour la proposition de loi relative au cours légal de la monnaie d'or. »

- Pris pour notification.


« Par message du 11 avril, le Sénat informe la Chambre que le sieur J. Bressers, chirurgien à Lommel, renonce à sa demande de naturalisation ordinaire. »

- Pris pour notification.


« M. David, oblige de s'absenter pour une affaire urgente, demandé un congé d'un jour. »

- Accordé.


« M. Janssens, retenu chez lui pour affaire de famille, demande un congé. »

- Accordé.


« M. de Florisone, retenu par une indisposition, demande un congé. »

- Accordé.

Projet de loi accordant un crédit extraordinaire de 15,561,170 francs au budget du ministère de la guerre

Discussion générale

M. Goblet. -Je demande la parole pour une motion d'ordre.

Messieurs, j'ai l'honneur de proposer à la Chambre de bien vouloir décider que M. le ministre de la guerre sera invité à déposer sur le bureau tous les procès-verbaux concernant les expériences faites à Brasschaet.

A mon avis, tous les éclaircissements possibles doivent nous être fournis dans cette discussion ; il importe que la Chambre puisse se prononcer en parfaite connaissance de cause sur la question qui lui est soumise.

Il ne s'agit pas seulement de savoir si le canon prussien est un bon canon ; mais il s'agit aussi de savoir si ce canon est le meilleur. Il faut donc des termes de comparaison.

Dans la séance d'hier, l'honorable général Chazal a fait usage de documents résultant d'expériences faites à Brasschaet. Ces documents nous ont été révélés pour la première fois et n'ont pas été communiqués à la section centrale.

Messieurs, si dans une discussion on garde par devers soi tous les dossiers, quand on en tire tous les arguments favorables à sa cause, il est de toute impossibilité aux contradicteurs de combattre ces arguments puisés dans des dossiers dont on se réserve le monopole.

Je crois donc, dans l'intérêt de la discussion, dans l'intérêt de la dignité de la Chambre, qu'il est indispensable que les procès-verbaux dont il s'agit soient déposés sur le bureau, afin que tous les membres puissent en prendre connaissance et s'enquérir des divers motifs comparatifs qui ont fait adopter un système plutôt qu'un autre.

Messieurs, la section centrale a discuté le projet de loi pendant longtemps, et si l'examen a eu une telle durée, c'est uniquement parce qu'on lui a refusé toute espèce de renseignements, et qu'elle avait insisté à diverses reprises pour en obtenir.

Lorsque le rapport a été fait, il n'a pas été discuté, et les deux opinions ont été reproduites simultanément, avec la réserve formelle que chacune d'elles ferait valoir en séance publique les motifs qui l'avaient déterminée. Je ne puis donc nullement admettre l'assertion de M. le rapporteur, à savoir que les explications très détaillées, très précises de M. le ministre de la guerre, ont satisfait la section centrale.

S'il y avait eu discussion sur le rapport de la majorité comme sur la note de la minorité, il y aurait eu protestation, car les explications de M. le ministre de la guerre n'ont été ni précises, ni détaillées.

Messieurs, la minorité de la section centrale a été très mal partagée dans cette discussion ; on s'est attaqué à elle de toute façon ; on s'est attaché à la représenter comme faisant une opposition systématique ; on a prétendu qu'elle cherchait à entraver de toutes les manières l'adoption, par la Chambre, du projet de loi.

Je proteste, pour ma part, de toutes mes forces contre une pareille insinuation. Il n'entre jamais dans mes intentions de faire ici une opposition systématique, quel que soit le ministre qui siège au banc ministériel, quel que soit l'homme qui vient présenter à 1a Chambre des projets de loi.

Il n'appartient à personne d'accuser ici un membre de faire une opposition qui puisse aller jusqu'à soustraire son opinion à toute espèce de discussion, jusqu'à vouloir repousser dès l'abord, et sans même eu avoir pris connaissance, toute espèce de projets présentés par un ministre.

C'est une insinuation que je ne puis admettre pour ma part, et lorsque l'honorable général Chazal vient dire que, quelles qu'eussent été les propositions du gouvernement, il aurait trouvé les mêmes contradicteurs et les mêmes opposants, je suis obligé de déclarer hautement que je ne permets à personne une pareille hypothèse.

En 1859, l'honorable général Chazal est venu vous présenter ici un projet de loi comportant un crédit de 9 millions. Ce crédit était demandé pour desservir les besoins extraordinaires du budget de la guerre pendant trois exercices et il pouvait être dépensé par arrêté royal.

C'était là, messieurs une espèce de blanc-seing, une marque de confiance illimitée que nous accordions alors au chef du département de la guerre.

Eh bien, messieurs, quoi qu'en ait dit l'honorable général Chazal, eu cette circonstance comme dans d'autres, il n'a pas trouvé d'opposition en moi, et j'ai voté ce crédit avec l'unanimité de mes collègues.

Messieurs, je crois en avoir dit assez momentanément pour motiver la présentation de ma motion d'ordre.

Je demande donc à la Chambre qu'elle veuille bien la prendre en considération et décider que les procès-verbaux des expériences faites à Brasschaet, non seulement sur le canon prussien de Wahrendorff, mais aussi sur le système analogue ou le système français, soient déposés sur le bureau de la Chambre.

Nous pourrions ainsi en prendre connaissance et nous serions parfaitement dans les limites de nos prérogatives parlementaires, et certes la publicité ne serait pas donnée à des pièces confidentielles, car nul de nous ne songerait à trahir des secrets dont la divulgation pourrait nuire à notre nationalité.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, je regrette de devoir prier la Chambre de ne pas accueillir cette proposition, par la raison bien simple, que les procès-verbaux des expériences de Brasschaet renferment une foule de détails de construction relatifs à des systèmes qui ne nous appartiennent pas. Nous n'avons pas le droit de communiquer ces détails qu'on a bien voulu nous confier ou que nous avons trouvé les moyens de nous procurer.

J'ai eu l'honneur de le dire plusieurs fois, les expériences que nous avons faites à Brasschaet ne sont pas des expériences concluantes au point de vue des systèmes d'artillerie proprement dits.

Elles sont principalement relatives aux moyens de fabrication dont la discussion exige naturellement la description des détails des systèmes. C'est ce que j'aurais fait connaître hier, si l'heure avancée ne m'avait pas forcé d'abréger mon discours.

Je voulais aussi, messieurs, vous donner communication de quelques documents qui, je crois, vous auraient complètement édifiés. Il s'agit des opinions de l'inspecteur général de l'artillerie, du directeur de l'artillerie au département de la guerre et du directeur de la fonderie de canons. Je vous ferai connaître, si vous voulez bien le permettre, l'opinion de ces officiers qui sont compétents, puisque ce sont le*as chefs des principaux services de l'artillerie.

Comme je suis un peu enrhumé je prierai mon collègue des finances de vouloir bien donner lecture des pièces.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Voici le rapport de M, le lieutenant général Dupont, inspecteur général de l'artillerie.

« Bruxelles, le 6 lévrier 1861.

« Monsieur le ministre,

« Les motifs de l'opinion que j'ai émise en faveur de l'adoption du système de bouches à feu rayées qui a prévalu en Allemagne, peuvent se résumer comme suit :

« 1° La nécessité de ne pas différer plus longtemps le travail de (page 1082) transformation de notre artillerie et par suite l'obligation de choisir immédiatement, parmi tous les systèmes complets qui nous sont connus, celui qui nous semble le meilleur.

« 2° La supériorité que les expériences faites en Prusse assignent au système allemand sur tous ceux que nous avons expérimentés.

« 3° L'influence favorable que l'on est en droit d'attribuer, abstraction faite de toute expérience, à ce que le forcement complet du projectile dans l'âme, supprimant le vent et les battements, rend les vitesses initiales et les angles de départ plus uniformes et assure mieux la coïncidence des axes de rotation et de figure des projectiles à leur sortie de l'âme.

« 4° L'avantage de vitesses initiales plus grandes obtenues même avec de moindres charges.

« 5° L'avantage d'un pointage plus simple résultant d'une dérivation beaucoup plus faible.

« 6° L'absence de tout danger de voir le tir entravé par des calements de projectile.

« 7°' L'impossibilité de la formation de fausses rayures, nuisibles à la justesse du tir et pouvant entraîner la mise hors de service de la pièce.

« 8° Les avantages du chargement par la culasse dans la défense des places et des forts, où il importe de soustraire autant que possible les servants aux feux de mousqueterie et de donner parfois une grande vivacité au tir. Nous savons d'ailleurs qu'en adoptant, avec l'artillerie allemande, l'appareil de fermeture Wahrendorff, que nous connaissons parfaitement pour l'avoir soumis à de longues épreuves, nous ne nous exposons à aucun inconvénient sérieux.

« 9° Le peu d'inconvénients que présente, même pour des pièces de campagne, une construction un peu moins simple, en présence des grands avantages que le chargement par la culasse procure sous le rapport du tir.

« 10° La fabrication beaucoup plus facile des projectiles, à précision égale de forme et de dimensions.

« 11° L'avantage que présente la fusée allemande de faire éclater avec certitude les projectiles au moment où ils touchent le but, tandis que les autres fusées, celle du projectile Armstrong exceptée, donnent souvent des éclatements prématurés ou tardifs.

« 12° L'avantage que la fusée allemande possède encore de pouvoir servir à toutes les distances, quelque grandes qu'elles soient, tandis que les autres, celle du projectile Armstrong toujours exceptée, n'ont pu recevoir jusqu'aujourd'hui une durée de combustion assez longue.

« 13° Le moyen facile qu'offre la fusée allemande d'apprécier les distances et de rectifier les portées.

« 14° La confection ingénieuse de cette fusée qui rend tout accident impossible dans le transport des munitions.

« 15° Le moyen que nous avons de remédier à l'insuffisance qu'elle pourrait présenter dans quelques cas particuliers, notamment lors de l'emploi des shrapnels en terrains coupés, accidentés, etc.

« 16° L'avantage que l'emploi de l'acier présente sur celui du bronze, pour les canons légers en donnant aux bouches à feu une résistance et une durée plus grandes et en les exposant moins à être mises inopinément hors de service par la rupture d'un projectile dans l'âme.

« 17° La certitude de pouvoir utiliser nos canons en fonte de gros calibres pour la défense des places et des côtes.

« Le lieutenant-général, aide de camp du Roi, inspecteur-général de l'artillerie,

« Du Pont. »

« Enoncé succinct des motifs du lieutenant-colonel Neuens, en faveur du système d'artillerie rayée de la Prusse.

« Les motifs principaux qui déterminent mon opinion en faveur du système d'artillerie rayée de la Prusse, sont :

« 1° Ce système donne une précision de tir, et à calibre égal, une efficacité qui ne sont dépassées par aucun autre.

« 2° Il utilise si complètement les faibles charges, qu'il donne avec la charge de 1/12 du poids du projectile une trajectoire aussi tendue que celle des canons français rayés tirant à la charge de 1/7.

« 3° Il est le seul complet et applicable aux canons de tout calibre en fonte existants, ou à couler, sans qu'il soit nécessaire de recourir à l'expédient coûteux, et incomplètement efficace du cerclage.

« 4° Il n'empêche pas, lorsque la matière du canon est assez résistante (bronze, acier fondu, fer cerclé) les trajectoires un peu plus rasantes des canons anglais d'Armstrong. L'utilité de ces trajectoires plus rasantes se rapporte surtout au service de campagne, et pour les obtenir, il suffit d'employer des charges de 1/9 à 1/8 du poids des projectiles.

« 5° Le chargement par la culasse, qui est déjà pour d'autres motifs une donnée inhérente au tir à projectile forcé et à faibles charges, est en outre devenu indispensable à l'artillerie de place et de siège, à raison des perfectionnements introduits naguère dans le feu des tirailleurs.

« Après avoir exprimé ces motifs d'une importance prépondérante et décisive, je pense qu'il est inutile de mentionner les avantages de détail assez nombreux qu'offre le système prussien sur tous ceux actuellement connus. »

« Liège, le 1er février 1861.

« Le lieutenant-colonel, directeur de la fonderie de canons,

« Neuens. »

« Lettre de M, le colonel Donny.

« Bruxelles, le 3 avril 1861.

« Monsieur le ministre,

« J'ai l'honneur de vous faire parvenir le résumé très succinct des motifs qui doivent, à mon avis, faire adopter le système des canons rayés allemands de préférence à celui des canons rayés français.

« Le forage, l'alésage, le rayage d'une bouche à feu percée d'outre en outre sont plus faciles que pour une pièce se chargeant par la bouche.

« Le canon est tellement facile à visiter à tout moment qu'on peut connaître toujours exactement l'état dans lequel se trouve sa surface intérieure.

« Il est susceptible de réparations qu'on tenterait en vain de faire à des canons ordinaires.

« Les canons en fonte présentent beaucoup moins de chances d'éclatement. La dilatation momentanée du tube du canon, sous l'effort de la charge, peut se produire sans obstacle dans un canon se chargeant par la culasse ; mais dans un canon se chargeant par la bouche, cette dilatation est arrêtée vers le fond de l'âme par la masse de la culasse et ne peut s'étendre au-delà, ce qui explique les ruptures qui se produisent à cet endroit.

« En France, il est vrai, on cherche à renforcer les pièces en fonte par le moyen du cerclage ; mais ce moyen qui, soit dit en passant, a été mis en essai chez nous dès 1846, est passablement coûteux et s'il augmente la résistance du tube il ne peut rien contre l'arrachement de la culasse. Nos expériences l'ont prouvé.

« Depuis longtemps un grand nombre d'artilleurs sont convaincus que la meilleure solution des canons rayés réside dans l'adoption de projectiles forcés dont l'axe se confonde avec celui de la bouche à feu dans la trajet de la culasse à la bouche. Ces projectiles qui ne laissent échapper aucune partie des gaz entre leur surface et les parois du canon utilisent, d'une manière complète tout l'effet de la charge. Rien ne fait prévoir que ces avantages puissent être obtenus autrement que par le chargement par la culasse.

« Le système Wahrendorff est à l'étude chez nous depuis plusieurs années, et nos efforts pour l'améliorer ont été couronnés d'un plein succès. La résistance du mécanisme, la facilité de son jeu et l'obturation ne peuvent être mis en doute après les expériences que nous avons faites.

« Une circonstance qu'il ne faut pas perdre de vue, abstraction faite des avantages que me paraît présenter le système allemand, c'est que nous avons réussi à nous procurer sur ce système des documents bien plus complets que sur le système français.

« La France n'a pas le calibre de 6. Nous avons dû établir une pièce de ce calibre, ainsi qu'une autre du calibre de 12 d'après le canon de 4 du système français ; mais les irrégularités du tir de la pièce de 12 exigeraient de nouveaux tâtonnements pour en établir une autre dans de meilleures conditions. Quant au calibre de 24, tout serait à étudier. Il n'en est pa 'de même pour le système allemand, au sujet duquel nous possédons des renseignements suffisants.

« Le corps des projectiles allemands se coule aussi facilement que celui des projectiles français. L'emplombage est une opération très simple, susceptible d'une grande exactitude et s'exécutant promptement.

« La confection des projectiles français est bien plus longue, plus difficile, et sujette à plus de rebuts. Après la pose des tenons, il faut que ces projectiles passent entre les mains de l'ajusteur qui ne peut achever qu'un bien petit nombre de projectiles par jour. Cet ajustage est une opération des plus importantes ; si les dimensions des tenons sont trop fortes, le chargement de la pièce est compromis ; si elles sont trop faibles, le tir devient irrégulier.

« Je ne parlerai pas des fusées. De l'aveu même des officiers de l'artillerie française, la fusée en usage en France est tout à fait insuffisante. La plupart des projectiles n'éclatent pas du tout, ou bien éclatent à d'autres points de la trajectoire que ceux déterminés.

« La précision du tir des canons rayés à projectiles forcés est (page 1083) supérieure à celle des canons rayés à projectiles munis de tenons. La théorie le faisait prévoir, et l'expérience le confirme. Les essais qui ont eu lieu il y a quelques mois à Brasschaet n'avaient pas pour but la comparaison des deux systèmes, car les bouches à feu essayées n'étaient pas dans les conditions nécessaires pour cette comparaison, et on n'aurait pas choisi, d'ailleurs, des conditions atmosphériques aussi exceptionnelles pour se livrer à des expériences de cette nature. Mais la discussion des tirs qui ont eu lieu en Allemagne et de ceux qui avaient été exécutés chez nous avec des canons du système à tenons, nous apprend que les résultats sont en faveur du canon allemand, à peu près dans la proportion de 2 à 1 à 900 mètres, et de 8 à 3 à 1200 mètres et à 1800 mètres pour un but de 2 mètres en carré.

« La considération d'une plus grande justesse de tir, qui a déjà une certaine valeur pour le tir de campagne, est de la plus haute importance pour la défense des places.

« On a objecté que la trajectoire n'est pas aussi tendue que pour le système à tenons. C'est précisément l'inverse. Avec le canon allemand tiré au maximum de charge, la trajectoire, un peu plus courbe jusqu'à 900 ou 1000 mètres, devient, au contraire, plus tendue à des distances supérieures. Ici encore l'expérience confirme la théorie. En supposant un instant, ce qui est parfaitement inexact, comme l'expérience l'a prouvé, qu'on ne puisse pas augmenter la charge, il y aurait avantage à préférer une plus grande tension aux grandes distances, parce que c'est principalement à ces distances qu'on est exposé à commettre des erreurs d'appréciation.

« Enfin, un motif qui me paraît d'un grand poids en faveur du canon allemand, c'est qu'il ne présente pas, comme le canon français, le danger d'un calement du projectile dans l'âme pendant le chargement.

« Je crois, monsieur le ministre, pouvoir me borner à ces explications, que complètent d'ailleurs les notes détaillées que j'ai eu l'honneur de vous adresser en diverses occasions.

« Le colonel directeur de l'artillerie au ministère de la guerre,

« Donny. »

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - J'ai encore quelques autres rapports que je demande à la Chambre de ne pas lire, parce qu'ils entrent dans tous les détails de construction et de fabrication qui constituent précisément les secrets dont je vous ai parlé et que la loyauté me défend de divulguer. Si vous le désires néanmoins, je lirai, messieurs, les conclusions de quelques-uns de ces rapports. Voici d'abord celles du rapport de M. Soudain de Niedewerth, général d'artillerie qui a présidé la commission du tir des canons français :

« D'après les considérations qui précèdent, il me paraît que les avantages du système du canon rayé, dans lequel on fait usage de projectiles à tenons, ont été singulièrement exagérées par les réclames de quelques journaux. Ce système est tout à fait transitoire et ne permettra jamais d'obtenir des résultats aussi efficaces que par le système de canons rayés tirant des projectiles forcés. »

J'ai consulté aussi un homme qui jouit d'une grande réputation dans notre armée. Il n'est pas officier d'artillerie ; mais c'est pour ainsi dire un officier universel. Je veux parler de M. le général Nerenburger, chef du dépôt au département de la guerre, un des savants les plus distingués de notre Académie des sciences et parfaitement connu à l'étranger. Je tenais, messieurs, à avoir l'avis d'un homme de cette . lui ai donc demandé d'examiner le système sous toutes ses faces ; il a fait cet examen, et il m'en a fait connaître le résultat dans un rapport qui entre dans tous les détails et conclut ainsi :

« En présence de ces faits, il faudrait vouloir fermer les yeux à l'évidence, pour ne pas reconnaître l'incontestable supériorité du système adopté par le gouvernement. Quant à moi, j'y trouve encore une preuve convaincante de l'excellence de cette bouche à feu et la justification la plus complète de cette assertion de l’Exposé des motifs : Que les résultats obtenus sont si remarquables et qu'il est difficile de concevoir un canon plus efficace. »

Je vous ai donné, messieurs, l'opinion des principaux officiers avec lesquels j'ai travaillé à l'étude de la question. Ce ne sont pas les seuls que j'ai consultés. Il1 y en a bien d'autres encore, mais je n'ai pas songé à leur demander de me faire connaître leur opinion par écrit, parce que, causant tous les jours avec eux, il me paraissait superflu de leur demander des mémoires. Je puis le dire, néanmoins, de la part de ceux qui ont pu apprécier et juger le système, aucune opposition ne s'est manifestée. D'où est venue l'opposition ? Précisément de ceux qui ne connaissent pas le système et qui n'ont pas pu l'étudier.

Si ces explications ne vous suffisent pas, messieurs, je ne sais vraiment plus que vous dire.

Je crois être entré dans tous les détails qu'il m'était permis de faire connaître ; peut-être même suis-je allé un peu trop loin sous ce rapport.

M. le président. - Voici la proposition de M. Goblet :

« Je demande que la Chambre décide que M. le ministre de la guerre dépose sur le bureau, pendant la discussion, de façon que les membres du parlement puissent en prendre connaissance, les procès-verbaux des expériences faites à Brasschaet :

« 1° Les procès-verbaux des expériences auxquelles M. Je ministre a fait allusion dans la séance d'hier ;

« 2° Les expériences faites au mois de juillet 1860 avec un canon Wahrendorff lisse ;

« 3° Ceux des expériences faites en novembre 1860, avec un canon en fonte cerclé et rayé ;

« 4° Avec des canons de 6, système français, du 16 juin 1860, jusqu'à la fin de l'année ;

« 5° Les procès-verbaux des expériences faites en janvier de cette année avec des canons système prussien ;

« 6° Les rapports des officiers expérimentateurs, ainsi que toutes les pièces d'autres expériences, s'il y en a eu, notamment celles du système Withworth. »

- La proposition est appuyée.

M. Van Humbeeck. - L'honorable ministre de la guerre nous disait, il y a deux jours, que, sans doute pour déplacer le débat, la minorité de la section centrale avait soulevé la question de prérogative parlementaire.

Je crois, messieurs, qu'il y avait une erreur complète dans cette appréciation de l'honorable ministre ; je crois que, pour ceux qui avaient lu attentivement le rapport de la section centrale, il était évident que, dès l'origine de l'instruction dont ce crédit a été l'objet, la question surgissait tout entière et toute palpitante. Je crois que, pour ceux qui ont prêté une attention soutenue au discours que l'honorable ministre a prononcé dans la séance d'hier, il était évident que la question prenait alors plus d'actualité que jamais, et je crois que l'incident qui se produit maintenant ne tend qu'à lui donner plus d'actualité encore.

Il résulte en effet de cet incident que le ministre devant la section centrale s'est fait de ses devoirs de discrétion, une idée exagérée, une idée qu'il n'a plus aujourd'hui. La première des questions supplémentaires posées par la section centrale à l'honorable ministre de la guerre, après examen d'une première série de réponses obtenues de lui, était celle-ci :

« Quels font les officiers d'artillerie et les chefs de service indiqués dans la réponse à la première question, qui ont été consultés, et donner communication de leurs rapports. »

Voici la réponse :

« J'ai eu l'honneur de faire savoir à la section centrale qui m'avait demandé déjà si une commission d'officiers, l'inspecteur général ou le comité d'artillerie avaient été consultés sur ce qui fait, en premier, l'objet du projet de loi, que non seulement l'inspecteur général de l'arme avait été consulté, mais encore d'autres officiers et, notamment, les chefs de service, dans les attributions desquels rentrent tout spécialement les questions qui se rapportent au matériel.

« Je regrette de ne pouvoir donner d'autres explications, etc. »

Cette réponse écartait le deuxième membre de la question posée, celui par lequel la section centrale demandait la communication des rapports.

Cependant le ministre, qui croyait alors ne pouvoir donner communication d'aucun rapport, en trouve maintenant dont la communication peut être faite, non seulement à la section centrale, qui délibère à huis clos, mais à la Chambre tout entière et au public. Que faut-il conclure de ce fait ?

Evidemment après un pareil incident, nous ne pouvons plus accepter les réponses de l'honorable ministre à la section centrale dans leur ensemble. Il faut que le ministre fasse une distinction tout au moins, s'il ne veut pas renoncer entièrement à son système ; il le faut, à moins que la Chambre ne se déclare suffisamment éclairée par les documents dont elle a déjà connaissance.

L'incident soulevé dès l'origine et qui se continue dans cette discussion publique, est bien une question de prérogative parlementaire ; il touche à notre prérogative fondamentale ; il s'agit ici de savoir si nous pouvons statuer sur un débat quelconque sans parfaite connaissance de cause. Voilà la question qui vous est soumise.

De cette prérogative, l'honorable M. Van Overloop faisait assez bon marché en vous disant : « Vous avez la parole du ministre. » Nous ne pouvons pas cette fois nous en rapporter à cette parole, quelque (page 1084) confiance que nous ayons en elle. S'il s'agissait de constater un fait, de constater s'il existe ou n'existe pas, la Chambre pourrait dire : « Le ministre affirme l'existence du fait, j'ai confiance dans sa parole, je passe outre. »

Il ne s'agit pas ici des faits eux-mêmes, mais d'appréciations, de déductions à en tirer, choses qui sont essentiellement du domaine de la discussion, il n'est pas de parole d'homme, si haut placé qu'il soit, si éminent qu'il soit, militaire ou non, qui puisse remplacer la discussion et les lumières qu'elle est destinée à faire naître.

Nous pouvons rendre justice aux sentiments d'honneur qui distinguent l'honorable ministre de la guerre, à ses sentiments de patriotisme, au dévouement infatigable qu'il apporte dans l'accomplissement de sa mission, mais nous ne pouvons pas aller jusqu'à admettre son infaillibilité ; sur ce terrain la Chambre refusera certainement de le suivre.

Que se passe-t-ii ? On nous demande un crédit pour des raisons que l'on développe soigneusement et qui doivent nécessairement nous paraître excellentes ; qui doivent nous paraître excellentes, parce que nous n'avons pas a notre disposition les documents qui nous permettent de voir si les appréciations que l'on produit sont ou ne sont pas exactes.

Je dis que la question se place ainsi, et qu'elle s'est placée ainsi dès l'origine. Pour le démontrer, je n'aurai pas recours à la note de la minorité de la section centrale. L'honorable ministre de la guerre n'accepterait pas une pareille autorité. Je prendrai le raisonnement de la majorité de cette section centrale, et c'est le rapport à la main que j'espère démontrer à la Chambre qu'elle ne peut pas, dans l'état actuel de la discussion, sans nouveaux renseignements, prononcer sur le crédit qui lui est demandé.

Qu'invoque la majorité de la section centrale, ? Elle s'en explique dans la première phrase de ses conclusions. Elle invoque quatre autorités : elle invoque l'exposé des motifs, les réponses faites aux questions par elle posées, les explications verbales de M. le ministre de la guerre, qu'elle qualifie de bien précises et de très détaillées, et enfin les propres investigations faites par quelques-uns de ses membres. Donc quatre raisons sont produites et de ces quatre raisons les deux premières sont, aux yeux mêmes de la section centrale, des raisons insuffisantes.

Elle ne peut pas trouver l'exposé des motifs suffisant, puisqu'il a fallu le compléter par des réponses aux questions qu'elle a posées. Elle n'a pas jugé ces réponses suffisantes, puisqu'il a fallu les compléter par des explications détaillées, et pour ajouter à ces deux ordres de raisons, qu'elle reconnaît elle-même insuffisantes, à quoi a-t-elle recours ? Elle a recours à des raisons nouvelles, qui sont destinées à rester mystérieuses ; elle a recours à des explications verbales précises et détaillées, si vous le voulez, mais qui ne sont pas consignées dans le rapport ; elle a recours à des investigations faites par plusieurs de ses membres et dont il n'est parlé nulle part avec le plus petit détail.

Ainsi nous nous trouvons en présence de raisons insuffisantes ou de raisons mystérieuses.

Voilà tout ce que nous trouvons dans le rapport. Le résultat de l'instruction préliminaire est donc tel, que le rapport de la section centrale ne peut nous éclairer en rien.

La majorité de la section centrale a pu se trouver éclairée ; je n'ai pas à sonder la conscience des honorables membres composant cette majorité ; je suis convaincu qu'ils ont été sincères en adoptant le projet de loi.

Mais s'en suit-il qu'ils aient accompli leur mission principale, qu'ils aient produit un rapport propre à éclairer la Chambre ? Au contraire, il résulte de la première phrase de ses considérations finales, que cela ne peut pas être, et les développements donnés à cette première phrase justifient encore davantage le défaut reproché au rapport.

Que dit en effet la section centrale en poursuivant ? Elle dit qu'il est impossible d'admettre que dans une matière aussi grave le gouvernement ait agi avec légèreté, parce que les conséquences de cette légèreté seraient trop fâcheuses.

Je le veux bien. Je suis convaincu que le gouvernement n'a pas agi avec légèreté, qu'il a senti tout le poids de la responsabilité à lui imposée.

Mais parce que nous sommes convaincus que le gouvernement n'a pas agi avec légèreté, parce que nous sommes convaincus qu'un pareil soupçon ne peut l'atteindre, devons-nous vouloir qu'un pareil soupçon puisse frapper la Chambre ? Devons-nous agir avec la légèreté que nous ne voulons pas supposer chez le gouvernement ? Devons-nous voter un crédit aussi important, un crédit destiné à sauvegarder des intérêts aussi précieux, sans avoir pu nous former une conviction personnelle ? Non.

La minorité de la section centrale l'avait parfaitement compris, sentant que son devoir était d'éclairer la Chambre, ayant devant elle le ministre de la guerre, qui ne croyait pas pouvoir lui donner les renseignements qu'elle demandait, que faisait-elle ? Elle disait à la section centrale : Puisqu'on ne veut pas nous donner les renseignements que nous demandons, prenons-les, proposons une enquête. La majorité refuse. Elle dit : Le vote d'une enquête serait un vote de défiance, et ce vote ne serait pas motivé.

Erreur encore. Dans l'esprit de la minorité de la section centrale, et elle s'en est formellement expliquée, l'enquête n'était nullement un vote de blâme, ni un vote de défiance ; elle était, au contraire, destinée à éviter un semblable vote ; elle avait uniquement pour but de procurer à la section centrale les renseignements qu'elle n'avait pas pu obtenir et dont elle avait besoin pour pouvoir émettre un vote favorable au projet et éclairer la Chambre sur son mérite.

La majorité a été également d'avis que, voter une enquête, ce serait « prendre une mesure entraînant des retards fâcheux et peut-être très préjudiciables aux plus grands intérêts du pays, sans la moindre garantie que la solution donnée à la question serait meilleure. »

Nouvelle erreur, comme nous espérons le démontrer bientôt.

En s'expliquant sur ce point, la majorité de la section centrale pose un dilemme dont voici la première branche :

« Si la commission d'enquête se bornait à vérifier les résultats et les renseignements que le gouvernement est parvenu à se procurer, est-il admissible qu'elle aboutirait à une autre conclusion que celle à laquelle sont arrivés l'inspecteur général de l'artillerie, les officiers attachés à l'inspection générale, le directeur de la division d'artillerie au département de la guerre, les officiers d'artillerie attachés à ce département, et les autres officiers consultés par le ministre, et qui unanimement ont reconnu la supériorité du système adopté ? »

Mais la section centrale ne remarque point que nous n'avons pour nous guider, jusqu'ici, que l'appréciation de ces conclusions faite par le ministre lui-même, que toute appréciation est nécessairement susceptible de discussion et que le grand grief de la minorité est précisément que les bases de cette discussion nous échappent.

Or, l'enquête nous assurerait pour cette discussion des bases certaines qui nous font défaut.

Vient ensuite la seconde branche du dilemme :

« D'un autre côté, si la commission d'enquête, étendant sa mission, voulait se prononcer seulement après de nouvelles expériences, quelles sommes ne faudrait-il pas dépenser et quel temps ne devrait-on pas employer en essais de toute espèce, pour arriver à un résultat qui, sans doute, serait moins concluant que ceux qu'ont obtenus les artilleurs anglais et allemands dans de nombreuses expériences auxquelles les officiers de l'armée belge ont assisté, ou sur lesquelles le gouvernement a pu se procurer des renseignements ? »

Soit encore ! Je le veux bien ; mais on doit reconnaître aussi qu'après une enquête, au moins, ces expériences, leur résultat, les rapports des officiers, les renseignements arrivés au gouvernement, tout cela aurait été connu, tout cela aurait pu être apprécié par nous ; alors nos appréciations étaient là pour contrôler celles du ministre et, si elles étaient venues les confirmer, nous aurions voté le projet, nous l'aurions voté en connaissance de cause, nous l'aurions voté avec bonheur.

A propos d'un autre point, la majorité de la section centrale répète une assertion du ministre ; c'est celle-ci :

« Le gouvernement n'a pas songé à faire de nouvelles expériences pour constater la supériorité du système adopté. Celles de Brasschaet ont servi uniquement à prouver que les données recueillies sur le système des canons à projectiles forcés, et que les moyens de fabrication dont nous disposons sont suffisants pour que nous puissions répondre de la bonne et prompte exécution des nouvelles bouches à feu et du nouveau matériel. »

D'après l'un des documents dont il nous a été donné connaissance tout à l'heure, il paraîtrait, si je ne me suis pas trompé en écoutant la lecture, il paraîtrait que ces expériences auraient cependant porté aussi en partie sur la justesse, sur la précision et sur la portée du tir. Dans ce cas ces rapports, au lieu d'être entièrement inutiles à la section centrale pour la question à examiner, lui seraient devenus très utiles et la communication, encore une fois, n'aurait pas dû lui en être refusée,

La section centrale admet avec le gouvernement qu'une fois qu'il était prouvé que nous possédons des moyens de fabrication suffisants, le gouvernement ne devait pas hésiter « à proposer un système dont la supériorité résultait pour lui, comme pour les officiers qu'il a consultés, (page 1085) de l'examen impartial des faits constatés dans les pays qui ont admis le même système.

Encore une fois, pour juger si les assertions de la section centrale doivent être admises, il faut que nous connaissions les faits et l'examen qui en a été fait.

Comment voulons-nous nous guider d'après un examen impartial de faits qui se sont passés à l'étranger, alors que nous ne connaissons ni les faits, ni l'examen ? Ce serait voter sans connaître suffisamment l'objet du vote.

La conclusion du gouvernement, suivant la section centrale, a été formulée d'après des résultats décisifs et par conséquent elle offre une garantie suffisante.

Nous demandons à savoir quels sont ces résultats, et à pouvoir juger ainsi s'ils ont ou n'ont pas été décisifs.

La section centrale regrette que de pareils résultats ne puissent pas être livrés à l'examen de la Chambre et à celui du public.

Et ici nous rentrons dans la question de principe que M. le ministre de la guerre est revenu poser formellement à cette séance, même après certaines concessions, question qui avait été précédemment posée dans la section centrale.

Messieurs, la question est excessivement grave ; vous avez à décider si dans un pays constitutionnel il peut y avoir des secrets d'Etat pour la législature. Ce n'est ni plus ni moins que cela qui est en discussion.

La section centrale fait une confusion entre l'examen par le public et l'examen par les Chambres. Cette confusion doit d'abord disparaître.

Dans un gouvernement constitutionnel, la Chambre, d'après moi, a un contrôle sur tous les actes du gouvernement, quels qu'ils soient ; elle ne peut être obligée à émettre un vote sur un projet de loi, sans connaître toutes les raisons qui ont déterminé le gouvernement à le présenter. Voilà le principe, et je ne pense pas qu'il puisse être restreint en aucune façon.

Il y a cependant des questions qui ne peuvent pas être livrées à la discussion publique.

La Constitution a prévu ce cas, en admettant le huis-clos, et dans quelles conditions-a-t-elle admis le huis clos ? c'est, soit sur la proposition du président, considéré comme le juge impartial du débat, comme échappant à toutes les passions qui peuvent égarer les diverses fractions de la Chambre, soit sur la proposition de dix membres, c'est-à-dire sur la proposition d'une fraction infime du nombre de représentants dont cette assemblée se compose.

Le huis clos une fois prononcé, la Chambre, après délibération secrète, décide si la discussion portera sur le même objet en séance publique.

Qu'en résulte-t-il ? C'est que la Chambre juge le point de savoir si une matière constitue ou ne constitue pas un secret d'Etat ; c'est elle qui doit trancher cette question.

Laissons donc de côté cette confusion entre une discussion devant le public et une discussion devant la législature.

Certes, il peut y avoir des choses que les convenances internationales ne permettent pas de livrer à la publicité. Si nous avons à nous préoccuper aujourd'hui de ces choses, examinons-les à huis clos, mais ne nous dispensons pas de les examiner.

La section centrale a argumenté d'un fait récent qui s'est passé au sein du parlement anglais et dont M. le ministre de la guerre s'est également emparé.

Dans la séance du 26 février dernier, un membre du parlement anglais a demandé communication de documents concernant l'efficacité du canon Armstrong. L'organe du gouvernement a répondu qu'il ne croyait pas convenable de faire de ces documents des pièces parlementaires.

Mais qu'est-ce que cela prouve ? Cela prouve simplement que la chambre anglaise, cette fois, n'a pas cru devoir faire usage d'une prérogative qu'elle n'entend pas cependant abdiquer.

Messieurs, y avait-il identité entre la situation faite alors au ministère anglais et la situation faite aujourd'hui à notre ministère devant la Chambre belge ? s'agissait-il alors d'un crédit demandé pour un système d'artillerie déterminé ? Il n'en était pas question ; du moment qu'on serait venu demander un crédit pour augmenter le matériel de l'artillerie, d'après un système déterminé, il eût été impossible au ministère de refuser la communication des pièces qui devraient établir l'excellence de ce système.

Le fait ne prouve donc rien. Il peut arriver aussi en Belgique qu'un ministre refuse communication de certaines pièces, qu'il ne juge pas opportun de les déposer sur le bureau, et que la Chambre partage sa manière de voir ; cela sera chaque fois que ces pièces ne peuvent pas éclairer notre décision, mais il s'agit ici d'une pièce sans la communication.de laquelle la Chambre ne peut se prononcer en connaissance de cause, Le cas est tout différent.

Le précédent du parlement anglais ne peut donc pas être invoqué dans cette circonstance contre notre opinion.

Les autres raisons invoquées par la section centrale sont plutôt des raisons techniques que des raisons qui se rapportent à la question de prérogative parlementaire, question dans laquelle j'entends me maintenir spécialement.

D'ailleurs, en me livrant à un examen détaillé de ces raisons, j'aurais toujours à reproduire le même argument : « Nous avons pour nous l'appréciation de M. le ministre de la guerre. Mais dans une circonstance comme celle-ci, tout en rendant justice à la bonne foi de l'honorable ministre, nous devons pouvoir contrôler ses appréciations. »

Messieurs, l'honorable ministre de la guerre a dit, à un endroit de son remarquable discours, qu'il n'était pas avocat.

Je m'en suis aperçu, à la manière dont il a conduit cette discussion. Lorsqu'il s'agit de questions d'intérêt privé, lorsqu'il s'agir du plus petit débat devant les tribunaux, on ne plaide que sur des pièces communes ; les adversaires de celui qui se sert de ces pièces en ont connaissance, afin de pouvoir juger si l'appréciation qu'on en fait est bien exacte ; les juges en ont connaissance à leur tour.

Dans ce débat, qui touche aux plus graves intérêts publics, nous ne demandons pas autre chose ; nous voulons ne pas nous en rapporter à l'appréciation qui est faite de certains documents ; nous demandons à pouvoir inspecter ces documents nous-mêmes.

Mais je crois avoir suffisamment démontré que la proposition déposée par l'honorable M. Goblet est une conséquence naturelle de la position faite à la Chambre par les précédents qui se sont produits dans la section centrale.

Je termine, messieurs, par quelques mots que j'emprunte à la minorité de la section centrale ; ces mots résument exactement ma pensée ; ils exposent avec précision la situation créée à cette Chambre et les besoins que cette situation lui impose.

« La dépense considérable à laquelle le projet de loi en discussion entraîne le pays, exige, aux yeux de la minorité de la section centrale, une conviction profonde de l'excellence du système à adopter, et la certitude que l'honorable ministre de la guerre ne s'est pas laissé entraîner par un engouement peu justifié. Or, cette conviction et cette certitude, il lui est impossible de les obtenir. Les réponses de l'honorable ministre de la guerre ne sont encore que des affirmations sans preuves, et s'il faut admettre qu'il ait consulté individuellement un grand nombre d'officiers d'artillerie belges, il est à regretter que nous ne soyons pas également à même d'apprécier les éléments de sa conviction. »

M. Beeckman. - Messieurs, je crois que l'honorable M. Goblet est allé un peu loin dans sa proposition. A mon avis, on pourrait très bien, pour le moment, se borner à demander à M. le ministre de la guerre des renseignements sur le canon rayé français. Jusqu'à présent la Chambre ne connaît pas les résultats des expériences faites sur le canon rayé français, et je crois qu'aussitôt que la Chambre sera convaincue que le système de canons français est inférieur à celui qui paraît être préféré par M, le ministre de la guerre, elle pourra prendre une décision,

Je propose donc à la Chambre de décider que les procès-verbaux des expériences faites sur le système de canon français soient communiqués à la Chambre.

J'appuie donc la motion de l'honorable M. Goblet, en ce sens que la Chambre décide que les procès-verbaux et les rapports faits sur les expériences des canons français soient communiqués à la Chambre.

Si la Chambre décide que ce soit en comité secret, peu m'importe. Si M. le ministre de la guerre trouve le moindre inconvénient à les communiquer en séance publique, quant à moi, je me rallie volontiers à ce qu'il les communique en séance secrète.

M. le président. - M. Beeckman propose que la Chambre décide que les procès-verbaux et les rapports relatifs aux expériences faites sur le système des canons français soient communiqués à la Chambre.

- La proposition est appuyée,

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je suis entré tout à l'heure lorsque mon honorable collègue de la guerre parlait, et j'ai entendu cette déclaration de sa part ; Je ne puis pas communiquer les (page 1086) pièces qui sont demandées, parce que je révélerais ainsi des choses qui ne m'ont été confiées que sous le sceau du secret.

Je pensais qu'après avoir entendu ces paroles, les auteurs de la motion s'empresseraient de la retirer. Il est vraiment inconcevable qu'on insiste. Comment peut-on demander que M. le ministre de la guerre vienne ici révéler ce qu'il n'a appris que confidentiellement, ce qui, suivant sa déclaration, est un secret qui ne lui appartient pas ? C'est une question d'honnêteté publique. Il ne me semble pas qu'il puisse y avoir deux opinions sur ce point.

Dans toute assemblée dès qu'une pareille déclaration est faite par un ministre, tout est dit. Il 'y a pas de pièces à communiquer.

J'ai entendu tout à l'heure, avec un grand étonnement, une étrange doctrine émise par l'honorable M. Van Humbeeck.

Aux termes de la Constitution, dit-il, le président de la Chambre peut prononcer le comité secret. Ce comité peut être également prononcé sur la demande d'un certain nombre de membres de la Chambre. La Chambre, dit également la Constitution, décidera ensuite si la discussion sera reprise en séance publique.

Qu'est-ce que cela signifie ? Pour l'honorable M. Van Humbeeck, cela signifie que dans un gouvernement il n'y a pas de secret d'Etat, il n'y a pas de pièces confidentielles, il n'y a point de communication que le gouvernement ne pourrait révéler sans danger, ou sans manquer à la bonne foi, à l'honneur.

Le gouvernement doit déposer toutes les pièces qui lui sont demandées quelles qu'elles soient, faire toutes les déclarations quelles qu'elles soient, répondre à toutes les interpellations quelles qu'elles soient.

Pourvu qu'il s'agisse de comité secret, c'est la Chambre qui décidera si ce que le ministre dit être un secret est réellement un secret et s'il sera ensuite divulgué. Cela n'est pas sérieux. En comité secret comme en séance publique, le gouvernement fera la même déclaration et vous aurez à statuer dans les mêmes conditions.

Je ne pense pas qu'il y ait lieu de s'arrêter plus longtemps à la motion qui nous est soumise.

Plusieurs lois déjà dans cette Chambre des demandes de ce genre ont été faites. Des ministres ont répondu comme vient de le faire l'honorable général. Incontinent, les motions qui avaient été produites ont été retirées.

Cela m'est arrivé pour ma part. J'ai eu à demander communication de certains documents.

Le ministre s'est levé, il a dit : Ces renseignements sont confidentiels, je ne pourrais pas les communiquer ; et prenant acte de cette déclaration, je n'ai pas insisté.

J'espère que les honorables membres, après y avoir réfléchi, renonceront aussi à la demande qu'ils ont formée.

M. Van Humbeeck. - L'honorable ministre des finances me dit : M. le ministre de la guerre a promis le secret, le gouvernement belge a promis le secret ; vous venez lui demander de divulguer le secret promis ; vous venez lui demander un acte d'indélicatesse.

Messieurs, c'est résoudre la question par la question. Il s'agit de savoir, quand un ministre constitutionnel promet le secret, à l'égard de qui il peut le promettre, s'il peut promettre de le garder vis-à-vis des Chambres. (Interruption.)

II s'agit de savoir s'il y a des secrets d'Etat pour la législature, je le répète encore. (Interruption.)

Vous aurez beau faire, messieurs, vous ne réussirez pas à faire de cette question une question secondaire, qu'on écarte par le dédain.

Du moment que vous admettez des secrets d'Etat, il n'y a pas de gouvernement constitutionnel.

Si l'on admet un pareil système, il y aura toujours des secrets d'Etat ; vous ouvrirez la porte à des abus sans nombre ; vous porterez atteinte à la Constitution tout entière.

C'est une théorie que je ne puis comprendre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Faites une motion de défiance.

M. Van Humbeeck. - Du tout. Je n'entends pas faire de motion de défiance. Je soutiens une motion dont la seule signification est celle-ci : La Chambre n'est pas suffisamment éclairée, elle demande à s'éclairer davantage. Il n'est question ni de défiance ni de confiance en cela. La signification de cette motion est telle que je l'ai déterminée dans mon premier discours, elle n'est pas autre.

Cette motion je la soutiens, je la voterai et je suis heureux de l'avoir vue se produire.

Quant à une motion de défiance, je n'ai pas de raison pour en poser ; je suis content qu'une occasion se produise qui me permette d'éviter un semblable vote.

La motion de l'honorable M. Goblet ne soulève qu'une seule question. Peut-on venir demander à une Chambre de voter 15 millions et lorsque cette Chambre désire encore telle ou telle explication, qui doit lui démontrer la nécessité de ce crédit, peut-on lui répondre : « Je ne puis vous donner mes excellentes raisons ; ce sont des secrets d'Etat ? » C'est une réponse que je ne puis considérer comme satisfaisante.

- Plusieurs voix. - La clôture.

M. Goblet. - J'entends des voix réclamer la clôture du débat et demander le vote immédiat sur ma motion.

Je crois que, quelle que soit l'opinion des membres qui réclament cette hâtive clôture, il n'y a pas lieu de la prononcer. Ce n'est pas en étouffant une pareille discussion que l'on convaincra le pays que le ministre a raison, qu'on décidera avec autorité la question contre nous.

Qui a amené l'incident qui a surgi dans cette Chambre ? Mais, messieurs, c'est M. le ministre de la guerre lui-même. Qui donc a provoqué ce débat ? C'est le gouvernement lui-même, et quelles qu'en soient les conséquences, elles doivent retomber sur M. le ministre de la guerre.

Comment ! vous nommez vos mandataires ; comment ! vous nous envoyez en section centrale pour étudier, pour défendre les intérêts de la nation et l'on nous refuse impitoyablement tous les éclaircissements que nous réclamons !

Et lorsque nous venons dire à la Chambre qu'on n'a pas eu confiance en nous, qu'on n'a pas voulu nous communiquer ce que l'on communique en plein public, j'ai le droit de m'étonner qu'on veuille étouffer une pareille discussion.

Mais, messieurs, si vous ne faites pas respecter les membres que vous envoyez en section centrale dans toute la plénitude de leur mandat, qui donc voudra encore se charger d'une pareille mission ?

Nous pouvons faire appel à la Chambre ; mais certes il est impossible que la Chambre en aucun cas, après nous avoir envoyés en section centrale, vienne nous dire : Vous n'aviez pas notre confiance. Que vient-on aujourd'hui argumenter de secret d'Etat ? De secret d'Etat, messieurs, à propos d'expériences faites sur notre territoire, avec notre poudre, avec nos hommes, avec nos canons, d'expériences, en un mot, qui n'ont rien à voir dans les relations internationales ! Non, messieurs, il ne s'agit pas ici d'un secret d'Etat, mais bien d'un secret ministériel !

Messieurs, dans la séance d'avant-hier, l'honorable général Chazal, pour défendre son système de non-communication de documents, invoquait un souvenir de 1831 et vous disait : « Lors d'une discussion brûlante, un membre a voulu faire usage d'un document et vous lui en avez interdit l'usage en public. »

Qu'est-ce que cela prouve ? Cela prouve qu'en tout état de cause la Chambre avait pleine connaissance de ce document ; cela prouve qu'on n'avait rien à lui cacher et que si elle n'admettait pas qu'on divulguât un secret, c'est qu'elle le connaissait et qu'elle avait pu en apprécier toute l'importance.

Voilà, messieurs, la véritable doctrine constitutionnelle ; et ce n'est pas, comme je le disais, en substituant le secret ministériel au secret d'Etat que vous parviendrez à nous faire respecter.

Non, messieurs, la Chambre doit connaître tout ce qu'il importe à l'Etat de connaître, et vous refuseriez à une section centrale la communication d'un secret, si secret il y a, alors que vous le confiez au dernier de vos officiers ! Quoi ! parce qu'il portera une épaulette ou parce qu'il portera un habit galonné, il sera plus digne que nous, membres de la Chambre, de recevoir des communications internationales ! Non, cela n'est pas admissible, et vous repousserez une pareille doctrine.

Mais, messieurs, si l'honorable général Chazal, au lieu de marcher ici de concession en concession, était venu nous dire en section centrale : Vous êtes des hommes d'honneur (et il ne peut pas en douter), vous êtes des hommes loyaux, vous êtes les délègues des mandataires de la nation, j'ai confiance en vous, comme j'ai confiance dans mon inspecteur général d'artillerie, dans mon directeur de la fonderie de canons, dans une foule d'autres gens qui sont parfaitement au courant des secrets de fabrication, de tir, etc.

Si l'honorable général était venu nous dire : Voici les documents dans lesquels j'ai puisé ma conviction, qui m'ont aidé à me former une opinion, qui m'ont déterminé, pour le bien de mon pays, à adopter tel système plutôt que tel autre, si l'honorable général Chazal, dis-je, avait agi de la sorte, vous n'auriez pas vu la section centrale se partager ; nous serions venus ici avec une conviction éclairée et parfaitement arrêtée, et nous nous serions soumis, si nous en avions reconnu la nécessité, au secret qui nous était demandé.

(page 1087) Messieurs, adopter le système que l'on défend ici, accorder un tel pouvoir au ministère, c'est méconnaître l'esprit de notre Constitution, c'est méconnaître l'esprit de la représentation nationale ; c'est nier la souveraineté de la nation. Nous sommes ici les représentants de la Belgique, et nous avons le droit de savoir tout ce qui concerne les intérêts de notre pays

Mais jamais la Chambre ne pourra consentir à ce qu'un ministre refuse des communications qu'elle juge convenable de réclamer. Non, cela n'est pas possible, et la Chambre de 1861 sera digne de ses aînées ; elle saura défendre les prérogatives parlementaires.

A cette heure où, l'horizon politique est peut-être obscurci, est-ce à nous, si fiers de nos institutions, de notre indépendance, de notre nationalité, de nos droits, de nous laisser aller à un pareil oubli du passé ?

Vous tous, messieurs, libéraux et catholiques, vétérans de cette assemblée, dont les accents patriotiques ont si souvent retenti dans cette enceinte, ne trouverez-vous pas une parole pour appuyer une motion qui, en définitive, n'est que la consécration du respect de notre dignité ?

Vous avez consolidé l'œuvre de 1830 en votant vos lois organiques dans le calme d'une paix obtenue par vos vigoureux efforts ; pourquoi faut-il que ce soit à un des derniers venus dans cette assemblée de rappeler ici ce qu'exige l'intérêt de nos devoirs et de nos prérogatives ? Alors que ce régime constitutionnel si sage, si protecteur des droits de tous, est attaqué violemment ailleurs, pourquoi le laisser affaiblir ici ; pourquoi en diminuer la grandeur en déplaçant la responsabilité ? Si, comme l'honorable M. Van Overloop le redoutait, il est des institutions dont il est facile d'abuser, n'oublions pas d'un autre côté que nous ne devons pas admettre un seul instant quo, sous notre régime constitutionnel, la volonté d'un seul puisse se substituer à la volonté de tous.

M. le président. - La discussion est close. La proposition de M. Beeckman n'est, en définitive, qu'une demande de division. M. Beeckman réduit la proposition de M. Goblet aux expériences faites relativement au canon français ; c'est le n°1° de la proposition de M. Goblet. Je vais donc mettre aux voix la proposition de M. Goblet, en en retranchant le n°4°.

M. de Brouckere. - M. le ministre de la guerre, répondant à l'honorable M. Goblet, a déclaré que la loyauté lui interdisait de faire connaître les pièces dont on demande le dépôt sur le bureau. Je demande à M. le ministre de la guerre s'il maintient cette déclaration. S'il la maintient, il est bien évident que nous aurons beau décider que les pièces seront déposées, nous ne serons pas plus avancés ; car M. le ministre de la guerre pas plus après le vote qu'avant ne posera un acte qu'il déclare d'avance être déloyal. Si donc M. le ministre maintient sa déclaration, le vote de la Chambre est facile à pressentir.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Si j'avais pu déposer les pièces qu'on me demande, je me serais empressé de le faire.

N'ayant pas cru pouvoir les communiquer à la section centrale elle-même, il me semble impossible de les communiquer à la Chambre.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !

M. Guillery. - Je demande la parole.

- Plusieurs voix. - La discussion est close.

M. Guillery. - Elle a été déclarée close, mais il paraît qu'elle a été rouverte puisque l'honorable M. de Brouckere vient encore de prendre la parole.

M. le président. - La Chambre veut-elle rouvrir la discussion ?

- Voix nombreuses. - Oui ! oui !

M. le président. - La discussion est ouverte de nouveau ; la parole est à M. Guillery.

M. Guillery. - Il est incontestable, comme vient de le dire l'honorable M. de Brouckere, que du moment que la loyauté interdit à M. le ministre de la guerre de faire une chose, il ne la fera pas, quel que soit le vote de la Chambre. La dernière extrémité à laquelle il serait poussé, ce serait de se retirer ; mais, à coup sûr, il ne fera pas ce qu'il considère comme déloyal. Mais je prie l'honorable membre de remarquer que nous discutons ici, non pas une question d'honneur (sur une telle question il ne pourrait y avoir contestation), mais une question constitutionnelle. Il ne me semble pas possible de trancher de cette façon le débat qui nous occupe ; il ne peut pas être possible de faire du gouvernement constitutionnel une parole d'honneur.

Les ministres pourront-ils dire : Je vous donne ma parole d'honneur que j'ai raison ?

Un procureur général dira-t-il devant la cour d'assises : Je donne ma parole d'honneur que l'accusé est coupable ? Que pourraient répondre les accusés ou leurs défenseurs ? (Interruption.) Je suis étonné des réclamations qui se font entendre.

Je maintiens la comparaison que j'ai faite, c'est la communication du dossier, c'est que lorsqu'il est permis à un ministre d'argumenter d'une pièce, il nous en est préalablement donné communication. J'appelle l'attention de la Chambre sur ce point, je suis de l'avis de l'honorable M. Van Humbeeck, c'est une grave question, il est impossible qu'on en pose une plus grave.

Permettez-moi, aux risques mêmes d'être un peu long, de citer un précédent.

Lors de la discussion du dernier budget de la guerre, j'avais l'honneur de faire partie de la section centrale.

Dès le début de la discussion, on a décidé sur ma proposition que la section centrale, afin d'éviter des débats publics irritants, inopportuns, que la section centrale investie de la confiance de la Chambre entière exercerait ses droits et son contrôle, se montrerait plus sévère, plus minutieuse que jamais dans les questions qu'elle adresserait au gouvernement, dans le contrôle qu'elle exerçait.

Elle a posé une série de questions non pas moins nombreuses que dans la circonstance actuelle, mais plus du double, et de plus, elle a entendu le ministre de la guerre dans ses explications verbales. La section centrale unanimement a admis le système que j'avais proposé, elle a reconnu qu'il fallait que cette discussion à huis clos fût la plus complète possible afin d'éviter beaucoup d'inconvénients, et de faciliter la tâche de la Chambre et celle du gouvernement.

C'est exactement ce que nous avons voulu faire dans la section centrale chargée de l'examen du projet de loi qui nous est soumis, et pas autre chose.

On a parlé de manœuvre, d'opposition systématique. Personne n'est plus à l'abri que moi du reproche de vouloir pratiquer ce système. Pour le vote du budget il y avait trois voix pour et trois voix contre ; ma voix aurait pu faire rejeter le budget, elle a été approbative.

Je ne fais donc pas d'opposition systématique. La discussion qui a eu lieu alors au sein de la section centrale a évité au sein de cette Chambre des discussions délicates, car il y a eu des points sur lesquels des explications ayant été données, nous avons résolu de garder le silence le plus complet.

Je crois que nous avons par là rendu service au pays, à la Chambre, au gouvernement. Dans le cas actuel, qu'avons-nous fait ? Nous avons dit : Les documents qui seront invoqués dans la discussion sont des pièces communes ; nous avons le droit d'en demander communication ; nous demandons en d'autres termes à pouvoir accomplir notre mandat, nous demandons que la section centrale soit mise à même de faire une instruction préparatoire, de remplir sa mission de préparer le terrain du débat qui doit se dérouler devant la Chambre.

On a paru supposer que nous avions demandé la révélation des secrets, que nous avions voulu pénétrer dans les arcanes du ministère de la guerre. Nous n'avons rien demandé de semblable. Quant au principe même, ce n'est pas la minorité, c'est la section centrale elle-même qui a posé le principe que nous avons droit d'investigation absolue sur toutes les pièces quelles qu'elles fussent se trouvant au ministère de la guerre. Ce n'est pas là le système de M. Goblet ou de la minorité, c'est le système de la section centrale elle-même.

Mais en proclamant le principe, nous n'en avons pas demandé l'application dans toute son étendue. Nous avons demandé notamment les pièces qu'on a fournies en séance publique, de telle sorte que ce que l'on a refusé à la section centrale délibérant à huis clos, parce qu'on en déclarait la communication impossible, a été lu publiquement à la séance de cette Chambre.

Voilà ce qui fait la gravité de la question, c'est que M. le ministre de la guerre s'est fait illusion sur la qualité des documents qu'il possédait. Une des illusions les plus extraordinaires est celle qui concerne les expériences faites à Juliers. Pendant qu'on disait à la section centrale qu'un devoir d'honneur interdisait de les lui communiquer, elles étaient imprimées à Berlin et communiquées à l'Europe entière.

II y a dans les réponses faites par le gouvernement des théories plus graves encore. Je ne demande pas que la Chambre se prononce sous une forme plutôt que sous une autre sur ces théories, je demande une décision sur la question de savoir si le gouvernement peut refuser communication à la section centrale des pièces qu'il se propose d'invoquer devant la Chambre. Nous avons demandé communication des résultats matériels du tir de Brasschaet ; quelle est la portée des canons français et la portée comparative des autres canons ?

On a refusé, prétendant que c'était un secret d'Etat, qu'on ne pouvait divulguer sans nous compromettre vis-à-vis des puissances étrangères.

(page 1088) On nous a refusé les noms des officiers qui avaient été consultés, et dès le début de la discussion M. le ministre proposait de les faire comparaître au sein de la Chambre comme commissaires du gouvernement, et a lu leurs rapports.

M. le ministre avait répondu qu'il ne pouvait pas même dire les noms des officiers, voici en quels termes était conçue sa réponse :

« J'ai eu l'honneur de faire savoir à la section centrale qui m'avait demandé déjà si une commission d'officiers, l'inspecteur général ou le comité d'artillerie avaient été consultés sur ce qui fait, en premier, l'objet du projet de loi, que non seulement l'inspecteur général de l'arme avait été consulté, mais encore d'autres officiers et, notamment, les chefs de service dans les attributions desquels rentrent tout spécialement les questions qui se rapportent au matériel.

« Je regrette de ne pouvoir donner d'autres explications.

« Les projets de loi sont présentés et tous les autres actes des ministres sont posés sous leur responsabilité personnelle, et je ne pense pas que la section centrale veuille déplacer cette responsabilité ou rechercher les opinions des agents du gouvernement, pour les lui opposer. La chose n'est pas admissible en principe ; en fait, je dirai cependant à la section centrale que les hommes les plus compétents de l'artillerie ont été consultés, et que tous ceux qui ont eu communication complète du système adopté, ont approuvé la résolution du gouvernement. »

Ainsi voilà une chose demandée deux fois par écrit qu'on refuse de donnera la section centrale qui pouvait, après avoir reçu la communication, décider qu'on ne la livrerait pas à la publicité et qu'ensuite on fait connaître au public, ce qui démontre qu'a priori, avec les meilleures intentions du monde on peut s'exagérer l'étendue de ses devoirs de discrétion et méconnaître celle de nos prérogatives.

M. le ministre de la guerre nous a dit que ses réponses avaient été délibérées en conseil des ministres. Il est donc important d'examiner les théories qui y sont professées. Ainsi la théorie contenue dans le dernier paragraphe de la réponse : « Les projets de loi sont présentés et tous les autres actes des ministres sont posés sous leur responsabilité personnelle, et je ne pense pas que la section centrale veuille déplacer cette responsabilité ou rechercher les opinions des agents du gouvernement, pour les lui opposer ; » cette théorie est inadmissible. Que les ministres soient responsables de leurs actes, cela va sans dire ; mais en conclure qu'ils ne doivent pas rendre compte, c'est le contraire de ce qui se pratique dans les Etats constitutionnels.

C'est tirer de cette responsabilité le parti qu'on en tire dans les Etats despotiques ; c'est dire comme l'empereur Napoléon Ier: Je suis nommé par le peuple, je suis seul responsable, et par conséquent je suis la seule puissance. Mais ce n'est pas ainsi qu'on entend la responsabilité dans le gouvernement constitutionnel ; la responsabilité vous oblige à rendre compte.

Vous présentez, dites-vous, les projets de loi sous votre responsabilité. Mais qu'est-ce que cette responsabilité ? Une responsabilité morale. C'est la responsabilité qui résulte de ce que le projet est bon ou mauvais.

Lorsque l'honorable M. Frère-Orban a présenté un projet de loi pour la suppression des octrois communaux, il avait autant de responsabilité comme financier que M. le ministre de la guerre en a aujourd'hui comme général. Il était responsable en ce sens que si son projet avait échoué, il y aurait eu pour lui un échec moral. Mais évidemment il ne pouvait en résulter qu'il pût invoquer cette responsabilité pour ne pas communiquer les documents qui lui étaient demandés et pour ne pas discuter, aussi n'a-t-il pas songé à le faire ?

Ainsi la doctrine qui consiste à dire que les projets de loi sont présentés sous la responsabilité des ministres est une doctrine inadmissible.

On nous dit que l'on ne peut pas déplacer la responsabilité en forçant un ministre à rendre compte des actes de ses agents.

Il y a là une déplorable erreur, une déplorable confusion sur le mot « agents. »

Je comprends très bien que lorsqu'il s'agit d'un acte administratif, le ministre vienne dire : Je suis seul responsable. Si un commissaire de district, si un gouverneur a fait une chose à laquelle il était autorisé par le ministre, vous ne pouvez attaquer ce gouverneur, vous ne pouvez attaquer ce commissaire de district, le ministre les couvre. Mais lorsqu'il s'agit de matières scientifiques, de corps consultatifs, il n'en est plus de même.

Lorsque dans un pays il y a un conseil d'Etat, on le consulte ; ce conseil d'Etat peut-il passer pour une commission d'agents du ministre ? Lorsque M. le ministre de la justice réunit une commission, cette commission fût-elle composée de fonctionnaires inférieurs de son administration, qu'il la consulte sur un point de droit, cette commission ne constitue pas une réunion d'agents du ministre, c'est une autorité scientifique et son rapport subsiste par lui-même.

Ainsi, si au lieu de consulter isolément tous les membres du comité d'artillerie, on avait consulté, comme je persiste à croire qu'on aurait dû le faire, le comité d'artillerie, réuni en commission, le rapport de ce comité eût eu une autorité incontestable, c'eût été un rapport scientifique ayant une valeur par lui-même.

Sans doute le ministre n'est pas obligé d'admettre les opinions d'une pareille commission, il peut la repousser administrativement ;il en est le maître, Mais il faut qu'il accepte les données scientifiques de cette commission. Vous trouverez, messieurs, beaucoup de précédents ; vous en trouverez un entre autres dans la discussion des fortifications de Paris où le maréchal Soult a dû s'incliner devant l'opinion du comité du génie. Il était cependant assez haut placé pour pouvoir ne pas accepter la loi de ses inférieurs. Mais le comité du génie n'était pas du tout l'inférieur du ministre.

Ce que nous avons demandé, c'était l'opinion de commissions scientifiques ; et à cet égard le comité d'artillerie n'est pas plus l'inférieur du ministre, n'est pas plus composé des agents du ministre que l'Académie des sciences n'est composée d'agents inférieurs de M. le ministre de l'intérieur, ou que les tribunaux, lorsqu'ils sont consultés sur un projet de loi, ne sont les agents du ministre de la justice. Ces corps donnent un avis qui a une valeur par lui-même.

D'ailleurs, on a donné un démenti à cette théorie, puisqu'on nous a communiqué l'opinion d'officiers appartenant à l'armée. En effet, au commencement de la séance qu'a-t-on fait ?

On vous a lu des lettres de M. l'inspecteur de l'artillerie, de M. le directeur de l'artillerie, adressées à M. le ministre de la guerre. Ainsi l'on a reconnu que l'on pouvait très bien invoquer l'opinion d'inférieurs ; et ici il s'agit bien d'inférieurs lorsque vous consultez des personnes isolées.

Mais lorsque vous réunissez des officiers en commission et que vous les consultez comme corps, il n'y a plus d'inférieurs, il y a un corps consultatif, et c'est le corps consultatif que nous voulions.

On a beaucoup exagéré ce qui avait été demandé en section centrale. C'est ainsi qu'il est dit dans les réponses de M. le ministre et que celui-ci a encore répété hier qu'il ne pouvait pas consulter tous les officiers d'artillerie ; ce qui ferait supposer qu'il y a eu quelqu'un dans la section centrale qui avait imaginé de demander si M. le ministre de la guerre avait consulté tous les officiers d'artillerie. Or, cette idée ne s'est trouvée que dans les réponses du gouvernement ; mais jamais elle ne s'est fait jour dans les débats de la section centrale. On a simplement demandé si le comité d'artillerie avait été consulté et, si des officiers avaient été consultés, quels étaient leur nom et leur qualité.

Veuillez remarquer, messieurs, que la majorité de la section centrale dont on se prévaut, qui approuvait le projet de loi, ne s'est pas décidée sur les réponses du ministre ; cela a été dit implicitement ; mais elle s'est décidée sur des études que plusieurs membres avaient faites au dehors. Ils sont venus dire ; Je suis convaincu, parce que j'ai vu tels documents où j'ai trouvé la preuve que le système prussien est le meilleur. Ce n'est donc pas à l'aide des documents qui nous ont été donnes que nous pouvions juger.

Ainsi il est évident que si d'un côté nous ne pouvons forcer l'honorable ministre à nous communiquer des documents qui lui ont été livrés sous le sceau du secret, et j'ai assez d'estime pour l'honorable général Chazal pour croire que si l'on voulait le forcer à donner ces documents, il résisterait, il faut d'un autre côté que les prérogatives de la Chambre soient respectées. Comme l'a très bien dit un honorable préopinant, il s'agit ici de documents qui ne sont pas tellement confidentiels qu'ils n'aient été communiqués à des officiers d'artillerie. Pourquoi ces documents ont-ils pu être communiqués à des officiers ? Parce qu'on sait que quand des documents sont fournis à un gouvernement, c'est comme gouvernement qu'il reçoit ces communications, parce qu'on sait que quand on communique un renseignement sur un système d'artillerie à un ministre de la guerre, ce ministre se trouve par là même autorisé de faire connaître le renseignement à son directeur de l'artillerie et aux autres officiers qu'il doit consulter, qui doivent faire des expériences.

Eh bien, s'il y a une partie intégrante de l'Etat qui reçoit les confidences que l'on fait au ministre, c'est à coup sûr une section centrale, émanation de la Chambre. Une section centrale est une délégation de la Chambre, c'est à-dire une délégation de l'émanation la plus directe de la souveraineté nationale.

(page 1089) Le contrôle de la section centrale doit être complet ; s'il y a des documents confidentiels, elle agira comme le font M. l'inspecteur général de l'artillerie et les autres officiers qui ont été consultés. Je ne vois pas pourquoi elle n'aurait pas pu en juger aussi sainement que ces officiers, ou que le ministre lui-même.

Mais, je le répète, le conflit ne s'est pas élevé à propos de ces documents confidentiels. La proposition de l'honorable M. Beeckman reproduit à peu près ce qui a été demandé, elle tend à ce qu'on communique à la Chambre le résultat matériel des tirs. Vous ne pouvez pas dire qu'il y a là un secret, car le gouvernement prussien a permis de publier les résultats matériels de Juliers. On entre là dans les plus petits détails. Il y a quelques mois à peine, le Moniteur belge publiait le résultat des tirs faits en France avec des canons français. Et le Moniteur n'oserait publier les résultats des tirs faits à Brasschaet avec des canons belges ? Non seulement il ne pourrait pas les publier, mais on ne veut pas les communiquer à la section centrale confidentiellement.

Messieurs, il y a réellement des faits qui doivent rester secrets. Que le gouvernement demande le renvoi de la question à la section centrale et que là on s'explique franchement, loyalement sur le point de savoir quels sont les documents qui peuvent être soumis à la publicité ; je ne demande pas mieux que de me prêter à toute espèce de moyen de communication.

Car je ne veux qu'une chose, c'est avoir un terrain large de discussion ; je ne veux en rien faire de l'opposition contre le gouvernement ni soulever un conflit.

En terminant, messieurs, et en résumé, je dirai pour répondre en même temps à l'honorable M. de Brouckere que, si le scrupule qui arrête l'honorable membre peut s'appliquer, dans son opinion et contre la mienne, à certains documents, il en est certains autres auxquels il ne peut pas s'appliquer.

Ainsi, comme M. le président vient de le faire remarquer, l'honorable M. Beeckman demande la division de la proposition de l'honorable M. Goblet, il demande seulement communication des expériences faites à Brasschaet, or ne ne dira pas que ce soit là un document international sur lequel il faille garder le secret.

II me semble donc qu'où devrait au moins communiquer le résultat de ces expériences.

Quant à l'autre partie de la proposition, si on ne veut pas communiquer certains documents en séance publique, qu'on demande le comité secret.

Si on veut plus de secret encore, que la section centrale se retire pour se mettre en rapport avec le gouvernement.

M. Goblet. - Je me rallie à la proposition de M. Beeckman. Je m'y rallie pour deux motifs, d'abord parce qu'elle sauvegarde la question de principe, ensuite parce que je n'admets pas qu'il puisse y avoir le moindre secret dans le résultat des expériences faites à Brasschaet. Des expériences auraient été faites à Brasschaet avec un canon analogue au système français, inventé par un officier belge, il ne peut pas y avoir là de secret international puisque d'après les déclarations faites à la Chambre comme à la section centrale, le gouvernement français n'a pas voulu donner de renseignements.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, il n'y a qu'une difficulté, c'est que je ne connais pas du tout de canon analogue au système français inventé par un officier de notre armée. Ce sont les journaux qui ont répandu ce bruit. J'ai fait venir l'officier auquel on faisait allusion et je lui ai demandé s'il avait en effet inventé un canon.

Il m'a répondu qu'il n'avait jamais rien inventé, qu'il n'avait jamais eu la prétention qu'on lui prêtait, il ne sait à quel propos ; qu'il avait obtenu simplement quelques renseignements sur le canon français, comme beaucoup d'autres officiers avaient également pu s'en procurer.

Eh bien, messieurs, les journaux ont dit qu'on avait fait à cet officier des ovations, qu'on lui avait donné un banquet magnifique auquel Mgr le Duc de Brabant avait assisté. Rien de tout cela n'a jamais existé. Que voulez-vous donc, messieurs, que je communique à cet égard ?

Nous avons expérimenté un canon fabriqué d'après les données que nous sommes parvenus à nous procurer sur le modèle français. Dans le temps, nous avons demandé au gouvernement français des renseignements sur ce modèle ; il nous a répondu qu'il regrettait de ne pouvoir nous en donner, attendu qu'il les avait refusés à d'autres Etats et qu'il ne pouvait pas faire une exception en notre faveur.

Si maintenant je suis parvenu à me procurer des renseignements par voie indirecte, je manquerais à tous mes engagements en les communiquant à la Chambre.

Or je préférerais quitter le ministère, je préférerais même quitter l'armée plutôt que de commettre un acte qui répugnerai à ma conscience.

- La clôture est demandée.

M. Guillery (contre la clôture). - Je ne comprendrais pas, messieurs, que l'on prononçât la clôture après ce que vient de dire M. le ministre de la guerre.

II résulterait de sa déclaration que la proposition de M. Beeckman n'aurait plus de sens. On ne peut pas clore là-dessus, il faut qu'on puisse entendre les explications qui seront données à cet égard.

Il est très joli de faire des plaisanteries, j'aime beaucoup la gaieté aussi, mais nous devons surtout faire des choses sérieuses.et si la Chambre veut bien m'accorder cinq minutes, je démontrerai que la proposition de M. Beeckman est parfaitement claire et parfaitement pratique.

M. Beeckman. - J'ai demandé la parole contre la clôture parce que je voudrais faire comprendre à la Chambre que M. le ministre a reconnu lui-même que les explications qu'il avait d'abord fournies n'étaient pas suffisantes.

Il en a donné aujourd'hui de plus complètes.

Or, j'ai remarqué que l'honorable ministre de la guerre faisait allusion à une capacité que nous possédons en Belgique ; il a parlé du général Nerenburger, homme d'un très grand mérite ; mais je suis étonné que M. le ministre n'ait pas toujours eu le même respect pour l'opinion de M. le général Nerenburger. (Interruption.) L'honorable général Nerenburger s'était prononcé contre les fortifications d'Anvers.

M. le président. - Ce n'est pas la question. Veuillez-vous renfermer dans la question de la clôture.

M. Beeckman. - Je m'oppose à la clôture parce que beaucoup d'autres renseignements doivent encore être donnés à la Chambre. M. Goblet vient de demander la parole, il importe qu'il soit entendu.

- La clôture est mise aux voix ; elle n'est pas prononcée.

M. B. Dumortier. - Messieurs, dans tout ce qui a été dit à l'occasion des demandes adressées au gouvernement, il importe de ne point tomber dans les extrêmes et de rester dans la vérité des principes. Je ne puis pas admettre avec M. le ministre des finances que lorsqu'un ministre vient dire qu'il ne lui convient pas de présenter un document sur quelque matière que ce soit, la Chambre n'a pas le droit de demander la communication de ce document.

Si un tel principe pouvait être admis, ce serait une atteinte des plus graves portée à la prérogative parlementaire.

Il est des cas où le ministre peut et doit se refuser à la communication de certaines pièces. Ainsi, en Angleterre, lorsqu'il s'agit de relations internationales, le gouvernement est juge de la question de savoir s'il peut, oui ou non, communiquer au parlement les pièces qu'on lui demande.

Il n'en est pas de même des pièces qui concernent les affaires intérieures ; tout ce qui est relatif à la situation intérieure du pays appartient au parlement

Or, messieurs, dans les pièces qui sont demandées à l'honorable M. Chazal, la plupart se rapportent précisément à des relations internationales.

C'est un gouvernement voisin qui lui communique certaines pièces sous le sceau du secret. En présence d'une pareille situation, il est impossible que nous exigions de M. le ministre de la guerre communication de pièces qu'il a reçues, sous le sceau du secret, d'un gouvernement étranger.

S'il s'agissait de pièces émanées de l'administration intérieure, il devrait les communiquer. Or, est-ce que les pièces qui sont demandées appartiennent toutes à des relations internationales ? Quant à moi, il m'est impossible de répondre à cette question, j'en laisserai juge M. le ministre de la guerre à la loyauté duquel je me fie complètement. Si, parmi les pièces qui sont demandées et qui peuvent éclairer la Chambre, il en est qui ne touchent pas au secret qu'il a promis vis-à-vis du gouvernement étranger et qu'il doit tenir, j'espère qu'il n'hésitera pas un seul instant à nous les communiquer, fût-ce même à huis clos.

Si, par exemple, des essais, comme on l'a dit, ont été faits à Brasschaet avec le canon français ou avec un canon fait à l'instar du canon français, il ne peut pas y avoir là de secret quant aux résultats obtenus.

Je pense que cet incident aura eu un résultat très avantageux pour tout le monde, celui d'établir nettement jusqu'où va la prérogative parlementaire et jusqu'où va la prérogative ministérielle, et en même temps de mettre tous les représentants en mesure de voter consciencieusement sur le projet de loi si important qui nous est soumis.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je ferai (page 1090) remarquer à l'honorable M. B. Dumortier que je n'ai pas fait de théorie générale ; que je n'ai pas dit un seul mot du droit, pour le gouvernement, de refuser toute espèce de communication ; et que, par conséquent, l'honorable membre pouvait très bien se dispenser de réfuter une opinion que je n'avais pas émise.

Je me suis borné à examiner le cas spécial qui se présentait ; j'ai dit qu'il résultait de la déclaration faite par M. le ministre de la guerre, qu'il ne pouvait communiquer les pièces demandés, sans violer le secret qui lui avait été confié.

L'honorable M. Dumortier va plus loin ; il suppose le cas où un ministre refuserait la communication des pièces, alors qu'il n'aurait pas à alléguer soit la raison d'Etat, soit des motifs d'honneur ou de délicatesse.

Selon l'honorable membre, le ministre serait tenu de produire le document réclamé. Mais il est évident qu'on ne saurait pas l'y contraindre ; que le refus se traduirait en une question de confiance et qu'il ne resterait à la Chambre qu'à renverser le ministre qui lui aurait refusé cette communication. Voilà la sanction du droit de la Chambre ; il y aurait un autre ministre qui produirait la pièce refusée par son prédécesseur. Voilà le jeu naturel de nos institutions constitutionnelles.

Le ministre qui refuse peut avoir tort ou raison ; mais il a le droit de refuser, il le fait à ses risques et périls ; il sera renversé si la Chambre juge qu'il a eu tort de refuser la communication qui lui était demandée.

Mais quand on invoque des motifs tels que ceux que fait valoir le ministre de la guerre, la Chambre s'abstient d'elle-même, parce qu'il est trop évident qu'elle ne peut pas demander que les confidences soient divulguées.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, on me reprochait tout à l'heure d'avoir refusé à la section centrale les renseignements que j'ai donnés à la Chambre. Mais l'explication du fait est bien simple.

Des officiers belges ont pu assister aux expériences de Juliers, mais à condition de garder le secret sur ces expériences.

Aussi longtemps que le gouvernement prussien ne jugeait pas à propos de faire connaître les résultats des épreuves, je ne pouvais pas les révéler même à la section centrale.

Depuis que cette section a fait son rapportées révélations ont eu lieu, un compte rendu des expériences de Juliers, compte rendu tout à fait technique destiné exclusivement aux officiers de l'artillerie et du génie de la Prusse, a été imprimé à Berlin, et répandu en Belgique, par une indiscrétion de libraire, indiscrétion qui est venue heureusement me délier de l'obligation du silence, du moins quant aux résultats relatés dans la brochure de M. le capitaine Weigelt.

Il est facile de comprendre maintenant pourquoi j'ai pu donner en séance publique les renseignements que je n'avais pu fournir à la section centrale sur les expériences de Juliers.

Je n'avais pas cru non plus pouvoir donner à la section centrale des renseignements sur les expériences de Tegel ; mais quand j'ai vu des journaux autrichiens et français divulguer quelques résultats de ces expériences, je me suis empressé de communiquer à la Chambre ce que je pouvais lui dire à ce sujet.

On m'a dit que j'avais refusé de faire connaître les noms des officiers qui avaient été consultés. Je me suis borné à indiquer les titres et les qualités de ces officiers, sans indiquer en même temps leurs noms ; je n'attachais aucune importance à ce détail. Quand j'ai cité, par exemple, l'inspecteur général de l'arme, personne n'ignore qu'il s'agit du général Dupont.

Je suis plein de bonne volonté ; je suis prêt à répondre à toutes les demandes que l'on m'adressera ; mais je désire qu'on précise les renseignements qu’on veut obtenir.

On a parlé tout à l'heure, messieurs, d'un canon imaginaire ; il est évident que je ne pourrais vous donner de renseignements à son sujet.

M. E. Vandenpeereboom. - Messieurs, si je prends la parole ce n'est pas pour demander des renseignements. Mon opinion est déjà faite sur le projet de loi. Je suis depuis très longtemps opposé à beaucoup de nos dépenses militaires, que je trouve exagérées, j'en ai déjà donné si souvent des preuves, que je crois ne pas devoir motiver désormais mon vote à cet égard.

J'étais donc résolu à ne pas prendre la parole, mais dans la question dont il s'agit en ce moment, je suis préoccupe des prérogatives parlementaires, et je vais tâcher de faire en sorte que ces prérogatives ne souffrent pas d'atteinte, sans attaquer pour cela la position de M. le ministre de la guerre.

Il est très certain, si on veut être impartial dans cette question, qu'au début de la discussion et en section centrale, M. le ministre a montré quelque roideur.

Il nous avait habitués, dans la question des fortifications d'Anvers, a plus de confiance ; car il nous a communiqué une pièce extrêmement confidentielle. C'était le plan de tous les ouvrages, qu'on disait être une œuvre nouvelle, inconnue ailleurs ; il nous a communiqué cette pièce non seulement d'une manière transitoire, en la mettant sous nos yeux, mais il l'a laissée entre nos mains.

Je crois très fort que, si le gouvernement avait voulu communiquer en section centrale les extraits qu'il nous a donnés aujourd'hui des rapports de différents fonctionnaires, la minorité de cette section se fût trouvé satisfaite. Dans toutes les discussions qui ont eu lieu entre le ministre de la guerre et la section centrale, il est arrivé que ce qu'on avait d'abord refusé de communiquer ; on l’a communiqué ensuite.

Et puis, en séance publique, l'on vient de donner connaissance des pièces qu'on n'a pas voulu communiquer confidentiellement à la section centrale.

La bonne entente ne peut résulter que de bons procédés réciproques.

Je ne veux pas envenimer ce débat, bien au contraire ; j'en donnerai tout à l'heure la preuve. Mais je voudrais qu'on réservât expressément, pour la section centrale aussi bien que pour la Chambre, le droit d'avoir communication de toutes les pièces nécessaires pour former la conviction du parlement ; c'est une prérogative sans laquelle il ne peut y avoir bonne et saine pratique du régime représentatif. Aller en cette matière jusqu'à la dernière limite de ce qu'on peut faire est un devoir pour le gouvernement.

Je me joins donc, messieurs, à la proposition faite par l'honorable M. B. Dumortier et j'engage fortement le gouvernement, s'il y a encore quelque communication qu'il puisse faire à la Chambre, à la faire.

Puisque des membres ne se croient pas encore éclairés, eh bien, qu'on fournisse tous les renseignements possibles.

Je crois qu'on aurait pu très bien, entre autres, communiquer les résultats du tir de Brasschaet. Je ne vois pas quels eussent pu être les inconvénients de cette communication, et je crois que, si on l'avait faite dès le début, on n'aurait pas soulevé toutes ces difficultés.

On aurait vu des chiffres. Les uns y auraient compris quelque chose, les autres fort peu, je présume ; mais enfin, on aurait pu interroger ces chiffres, et tout le monde eût été content.

Ce que je voudrais, messieurs, c'est que l'incident se terminât sans dommage pour la Chambre comme pour le ministre de la guerre ; car c'est toujours avec regret que je me trouve en opposition avec mes amis politiques qui sont au pouvoir.

J'engage donc M. le ministre à soumettre à la Chambre tout ce qu'il peut lui soumettre ; mais il n'en est pas moins vrai que, devant la déclaration faite par l'honorable général Chazal qu'il est tenu par un secret d'honneur, nous serions très embarrassés pour voter, dans une question de cette nature.

La demande de communication étant adoptée par la Chambre, le ministre se retire ; cette demande étant, comme c'est probable, repoussée, nos droits légitimes restent, incertains et amoindris.

C'est pourquoi, messieurs, j'ai l'honneur de proposer à la Chambre l'ordre du jour motivé que voici :

« Tous les droits de la Chambre étant réservés, il est passé à l'ordre du jour sur la proposition de l'honorable M. Beeckman. »

M. le président. - En même temps que la proposition de l'honorable M. Vandenpeereboom, je reçois un amendement de l'honorable M. de Gottal qui demande que la Chambre décide que tous les procès-verbaux et les rapports concernant les expériences faites au polygone de Brasschaet depuis le 1er janvier 1860 soient déposés sur le bureau.

L'ordre du jour de M. Vandenpeereboom s'étend-il à ce nouvel amendement ?

M. E. Vandenpeereboom. - Non, M. le président. J'ai indiqué, pour ainsi dire, d'avance cet amendement, puisque j'ai demandé à M. le ministre de la guerre s'il voyait des inconvénients au dépôt de ces pièces.

C'est une question sur laquelle M. le ministre pourrait nous éclairer immédiatement, afin de savoir qui de nous deux doit retirer sa proposition. Si l'honorable ministre de la guerre oppose à cette nouvelle proposition le même obstacle d'honneur qu'il a opposé aux autres propositions, je maintiens ma formule d'ordre du jour motive. Ce que je veux, (page 1091) c'est que de ce débat résulte cette conséquence, que ce qui arrive aujourd'hui, à mon grand regret, ne doit pas faire précédent ; c'est que nous maintenions les prérogatives de la Chambre, qui doivent si non être à peu près sans limites comme en Angleterre, du moins se rapprocher autant que possible du type de gouvernement parlementaire parfait, dont jouit ce grand, cet heureux pays.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - J'ai eu l'honneur de vous faire observer, messieurs, que je ne pourrais sans inconvénient déposer les procès-verbaux relatifs aux expériences de Brasschaet, parce qu'ils contiennent des renseignements et des données sur les procédés de fabrication qu'il ne m'est pas loisible de communiquer ou de livrer à la publicité.

J'ai hésité hier à vous donner des renseignements sur les résultats des tirs proprement dits par des raisons de convenance que vous comprendrez. Ne désirant pas mettre en parallèle les systèmes des différentes puissances, je me suis borné à dire que le système que nous avons adopté avait eu des avantages sur d'autres que nous avons indiqués, qu'il avait une plus grande justesse de tir, une plus grande portée, des trajectoires plus avantageuses. On a prétendu le contraire.

Je puis, si vous le désirez, vous donner les apaisements désirables, car j'ai en mains une note sur les trajectoires.

Il est vrai qu'elle est un peu trop scientifique pour être parfaitement comprise à la simple lecture.

M. B. Dumortier. - Déposez-la sur le bureau.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - A Brasschaet on a essayé des canons de 6 en bronze, transformés au système Wahrendorff, tirant à la charge de 1/11 et de 1/9 du poids du projectile. La charge de 1/11 a dû être essayée pour suivre progressivement l'étude des conditions balistiques du système, mais c'est la charge de 1/9 qui a été définitivement adoptée.

Avec cette charge, les angles de projection et les angles de chute sont, à toutes les distances, plus favorables que ceux obtenus avec le canon rayé de 6 français, tirant avec la forte charge du 1/7 du poids du projectile, soit 750 grammes.

En effet, à 400 mètres, l'angle de projection du canon prussien transformé est de 42 minutes. Pour le canon français il est de 47 minutes et l'angle de chute du projectile prussien est de 47 minutes tandis que pour le projectile français il est de 1 degré, ce qui revient à dire que l'espace dangereux pour la cavalerie est de 204 mètres pour le projectile prussien et de 160 mètres seulement pour le proectile français ; à 2200 mètres, l'angle de projection du canon prussien est de 7 degrés 5 minutes tandis que pour le canon français il est de 8 degrés 11 minutes.

Ces deux comparaisons suffisent pour démontrer que la trajectoire du canon transformé Wahrendorff est plus tendue que celle du canon français.

Cet avantage est encore bien plus grand quand on compare la trajectoire d'un canon en acier dont l'âme a la longueur voulue, car remarquez que les canons en bronze transformés ne sont pas tout à fait dans les conditions essentielles du système.

C'est à Tegel qu'on a tiré avec les canons en acier de 6, à la charge de 1/9 et nos canons neufs viennent d'être éprouvés à cette charge.

A cette charge de 1/9 nous en avons obtenu des résultats bien supérieurs à ceux des canons des autres systèmes essayés précédemment.

Voilà pour le tir et pour les trajectoires. Si quelque membre de la Chambre désire d'autres renseignements, je le prie de vouloir bien me les indiquer, mais je ne sais vraiment pas quels sont les points que je n'ai pas touchés hier.

Je me rappelle cependant qu'un membre m'a dit, après la séance, que je n'avais pas parlé des ricochets. Eh bien, j'ai encore les renseignements les plus concluants sur ce point. Notre projectile ricoche à toute distance, tandis que le projectile français tombant à 2200 mètres fiche en terre et ne ricoche plus. Le nôtre à 3750 mètres ricoche encore de 400 mètres.

Mais, a-t-on dit, puisque vous avez une fusée percutante à votre projectile, dès qu'il touche la terre il fait explosion et il n'y a plus de ricochet possible.

Mais dans les cas où le ricochet paraîtrait préférable à l'explosion du projectile, rien n'est plus simple que d'empêcher cette explosion. Il suffit de ne pas amorcer la fusée.

Du reste le tir à ricochets n'est nécessaire que dans des cas exceptionnels, quand il s'agit de tirer sur des objets devant lesquels il y a un masque, quand on veut atteindre des troupes cachées derrière quelque obstacle ou dans un pli du terrain.

La grande précision du tir des canons rayés ôte beaucoup de son utilité au tir à ricochet ; avec de faibles charges, on peut atteindre à coup sûr l'ennemi derrière les objets qui le couvrent, et il serait d'un avantage très douteux de chercher à étendre la chance ou la probabilité du tir en employant le ricochet, de préférence à l'effet explosif.

Je pense avoir épuisé ce qu'il y avait à dire sur la question du ricochet ; si l'on avait à me poser quelque autre question à laquelle je puisse répondre, je m'empresserais, messieurs, de le faire.

Je vous ai lu tout à l'heure l'opinion d'hommes très compétents. On me dit : « Mais si vous nous aviez dit cela en section centrale, nous en eussions été satisfaits. »

On oublie, messieurs, que j'ai invoqué plusieurs fois l'opinion des officiers que j'avais consultés, et que j'ai toujours déclaré que leur opinion était unanime et conforme à la mienne. L'opposition que j'ai rencontrée m'a donné lieu de croire qu'on conservait des doutes à cet égard. Je le regrette vivement, car je ne crois pas avoir jamais démérité de la confiance de la Chambre.

Quoi qu'il en soit, dans l'intérêt de la chose publique, j'ai dit à ces officiers, à qui je n'avais jamais songé à demander par écrit l'expression d'une opinion qu'ils m'avaient maintes fois exprimée verbalement : Faites-moi connaître voire avis par écrit, car il est probable que je serai obligé d'en faire usage. Plusieurs m'ont offert de me présenter des mémoires, mais cela m'a paru inutile, et je n'ai pas accepté leurs offres. Quelques-uns cependant m'ont envoyé des notes très détaillées basées sur les éléments que je leur avais procurés ; mais je n'ai pas pu vous lire ces documents, précisément parce qu'ils contiennent des explications dont la révélation constituerait une véritable indiscrétion.

Je crois cependant avoir suffisamment suppléé au défaut de ces pièces en vous lisant les conclusions de tous les rapports qui m'ont été communiqués.

On a dit tout à l'heure que je n'avais pas toujours professé la même considération pour l'opinion d'un honorable général, et on a prétendu que cet officier général avait voté contre le système des fortifications d'Anvers. Cela est inexact, messieurs. Sur un point, l'honorable général n'admettait' as le système polygonal, mais il l'admettait sur les autres points ; et en résumé il ne s'est pas prononcé contre les fortifications d'Anvers, au contraire, il s'est complètement rallié à mon opinion. Maintenant, messieurs, je demande de nouveau qu'on me dise quels sont encore les renseignements que l'on désire ; je tâcherai de les produire immédiatement.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !

M. le président. - La parole est à M. de Gottal pour développer sa proposition.

M. de Gottal. -- M. le ministre de la guerre vient de terminer son dernier discours en vous conviant à lui demander les renseignements qui pourraient vous paraître encore nécessaires.

Je croyais, messieurs, avoir, pour ma part, été au-devant de cet appel, en déposant ma proposition.

Je commencerai en répondant à deux points du discours de M. le ministre de la guerre, qui me touchent plus particulièrement. M. le ministre a relevé certaines objections que j'ai présentées dans mon premier discours.

M. le président. - Nous ne nous occupons maintenant que de l'incident. Je prie M. Gottal de s'y renfermer.

M. de Gottal. - Les objections que M. le ministre de la guerre fait contre ma proposition, sont toujours celles qu'il n'a cessé de produire dans cette discussion.

Il nous dit que les procès-verbaux renferment deux choses : des secrets de fabrication et des renseignements sur les résultats obtenus. Quant aux secrets de fabrication, je crois que les orateurs qui ont pris la parole avant moi se sont suffisamment prononcés sur ce point. Ils ont fait remarquer avec raison que si ces secrets n'existaient pas pour d'autres, ils ne devaient pas exister non plus pour les mandataires de la nation.

M. le ministre a souvent parlé de la franchise qui distingue le soldat ; mais je n'ai voulu mettre en doute que ce fût l'un de ses traits caractéristiques ; mais M. le ministre de la guerre voudra bien reconnaître, j'espère, que cette qualité n'est pas le monopole du militaire et que ce n'est pas uniquement sous l'uniforme que battent les cœurs francs, honnêtes et loyaux.

Je ne comprends donc pas que l'on refuse de communiquer à la Chambre des documents dont on n'a pas fait mystère à des officiers de notre armée.

(page 1092) Si, messieurs, j'insiste pour connaître les expériences qui ont été faites, c'est que ces expériences ont eu lieu non seulement pour connaître les secrets de fabrication, mais encore pour comparer les différents systèmes connus en Belgique et surtout le système français, et le système de canon se chargeant par la culasse. La Chambre, en effet, trouverait, dans les procès-verbaux de ces expériences, des renseignements propres à l'éclairer et à lui permettre de se prononcer en connaissance de cause. Ici, M. le ministre ne peut évidemment pas se retrancher derrière des secrets d'Etat.

Cependant, je ne me fais pas illusion ; déjà M. le ministre des finances a fait pressentir ce qui pouvait nous arriver ; c'est que, ma proposition fût-elle adoptée, M. le ministre de la guerre n'aurait pas moins le droit de nous refuser la communication que nous demandons. Cela est vrai, messieurs ; mais dans ce cas la Chambre aurait à se prononcer sur une telle résolution par son vote sur le projet de loi lui-même.

- La proposition de M. de Gottal est appuyée.

M. Guillery. - La réponse faite par le ministre de la guerre à la proposition de l'honorable M. Beeckman, montre, messieurs, combien il est difficile de faire de la conciliation ; car nous tombons précisément dans tous les inconvénients que nous avons voulu éviter en section centrale ; c'est que nous ne pouvons pas même nous entendre sur le point en dissentiment, c'est qu'il est impossible de trouver une langue commune qui puisse aller de la Chambre au ministre de la guerre.

Nous savons tous parfaitement ce que nous voulons et il nous est impossible de le formuler de manière que M. le ministre de la guerre nous comprenne.

M. le ministre ne connaît pas le canon français ; il a eu la précaution de faire venir l'officier à qui la rumeur publique attribuait l'invention d'un canon de ce système ; et M. le ministre à acquis la conviction que cet officier n'avait rien inventé du tout ! Est-ce que tout cela répond à ce que nous avons demandé ?

Un canon, parmi d'autres, a été essayé à Brasschaet ; les résultats ont été constatés, ils ont paru satisfaisants et l'on a pu se bercer de l'espoir qu'on avait enfin trouvé la solution du problème cherché depuis longtemps.

Eh bien, n'était-il pas naturel que la section centrale, d'abord, et la Chambre ensuite, désirassent connaître les résultats des expériences faites avec ce canon, afin de pouvoir les comparer avec les résultats des expériences faites avec d'autres ?

, Pouvons-nous nous déterminer en connaissance de cause sans posséder ces éléments d'appréciation ?

On transforme en question de confiance, d'honneur, de loyauté, ce qui n'a rien à voir avec la confiance, avec l'honneur, avec la loyauté ; et nous avons eu soin dans la note de la minorité de la section centrale (note si modérée et que l'on incrimine je ne sais trop pourquoi) de bien dégager la personne de l'honorable ministre de la guerre du conflit qui existait entre la section centrale et lui.

On a répété par deux fois qu'il avait reçu des témoignages de confiance non suspects, de la part de la Chambre ; on a ajouté que pas un membre de la section centrale n'avait émis une idée de défiance. Il était donc parfaitement inutile de soulever ici cette question tout à fait étrangère au débat.

La confiance de la Chambre est acquise à M. le ministre de la guerre : mais la confiance constitutionnelle, restreinte dans les limites tracées par la Constitution, c'est-à-dire la confiance pour l'exercice du pouvoir exécutif et pour le commandement de l'armée. Mais quand le pouvoir exécutif soumet aux délibérations de la Chambre un projet de loi, la Chambre a le droit et le devoir d'examiner ce projet et de ne se prononcer qu'en parfaite connaissance de cause. Si les ministres ont leur responsabilité, nous avons aussi la nôtre ; s'ils ont la confiance de la Chambre, nous avons la confiance de la nation et nous avons à justifier cette confiance, comme les ministres ont à justifier la nôtre. Nous insistons donc pour qu'il soit fait droit à l'une des demandes qui sont formulées. Je me rallierai à la plus modérée, à la plus simple ; c'est, je crois, celle de l'honorable M. de Gottal, tendante à connaître le résultat des expériences faites à Brasschaet. Tout ce qui a été communiqué à la commission d'officiers siégeant à Brasschaet peut être communiqué à la Chambre ; s'il ne peut pas l'être à la Chambre, il peut l'être du moins à la section centrale, et la section centrale aura à examiner, alors, jusqu'à quel point les documents dont il s'agit sont confidentiels. Mais je ne consentirai jamais à ce qu'on décide, au moins indirectement, que des documents communiqués à des officiers ne peuvent pas être confiés à la discrétion des membres de la Chambre. Une telle doctrine est anticonstitutionnelle ; elle est tout à fait incompatible avec nos institutions.

J'insiste sur ce point, qu'il n'y a dans mon esprit aucune idée de défiance à l'égard du ministre de la guerre, je lui ai donné une preuve de confiance en votant son budget, je suis disposé à lui en donner une nouvelle en cette circonstance, mais cela ne peut pas m'empêcher d'accomplir mon mandat.

M. Beeckman. -- Je retire ma proposition, je me rallie à celle de M. de Gottal.

M. E. Vandenpeereboom. - Je demanderai si M. le ministre se refuse à faire droit à tout ou partie de cette proposition, pour savoir si je dois retirer la mienne.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je ne comprends pas de quelle espèce de procès-verbaux on demande communication. J'ai fait connaître les conclusions du rapport du général Soudain qui présidait la commission du tir.

Je puis les répéter. Il dit que le système français est tout à fait transitoire et qu'il ne permettra jamais d'obtenir des résultats aussi efficaces que celui du canon que nous avons adopté.

Je pourrais donner lecture de tout le rapport, s'il ne contenait pas des comparaisons avec d'autres systèmes que je ne puis pas livrer à la publicité. Je me plais à espérer que les conclusions d'un homme de la valeur du général Soudan exerceront quelque influence sur l'esprit des membres de la Chambre.

M. E. Vandenpeereboom. - Je modifie ma proposition en ce sens que je l'applique à la proposition de M. de Gottal, au lieu de l'appliquer à celle de M. Beeckman ; elle serait ainsi conçue : « Tous les droits de la Chambre réservés, il est passé à l'ordre du jour sur la proposition de M. de Gottal. »

M. Guillery. - Admettre la réserve des droits de la Chambre en théorie et les méconnaître en pratique, c'est les laisser périmer. Je devrai voter contre cette proposition, je tiens à préciser la question. Que la Chambre vote sur la proposition de M. de Gottal, c'est plus net et plus clair. Mais dire : Tous les droits de la Chambre réservés, nous faisons le contraire de ce que sa dignité et l'accomplissement de sa mission exigent, c'est s'exposer à faire que certains membres qui n'auraient pas voté contre la proposition de M. de Gottal, voteront pour celle de M. Vandenpeereboom, sans se rendre compte de la portée de leur voie.

M. E. Vandenpeereboom. - Si ma proposition avait été produite sans qu’une discussion l’eût précédée, je comprendrais les reproches qu’on lui adresse ; mais nous savons dans quelle situation nous nous trouvons, c’est une fâcheuse impasse, pour le présent ; ce serai une dangereuse énigme pour l’avenir.

Il s'agit d'une demande de communication que le ministre déclare ne pas pouvoir faire, sans blesser la promesse faite, c'est-à-dire l'honneur. M. le ministre est bon gardien de son honneur ; mais, à côté de cela, moi je veux sauvegarder les prérogatives parlementaires. Mon ordre du jour est, me semble-t-il, le seul moyen de sortir sans équivoque de la position qui nous est faite en ce moment. Je maintiens donc qu'il faut voter cet ordre du jour motivé ; la discussion a été assez longue, chacun se décidera par les raisons qu'il a entendues.

- La discussion est close.

- Plusieurs voix. - L'appel nominal.

- L'ordre du jour motivé proposé par M. E. Vandenpeereboom, est mis aux voix par appel nominal. En voici le résultat :

95 membres répondent à l'appel.

70 répondent oui.

25 répondent non.

En conséquence, la proposition est adoptée.

Ont répondu oui : MM. B. Dumortier, Henri Dumortier, d'Ursel, Frère-Orban, Frison, Jacquemyns, Jamar, M. Jouret, Julliot, Lange, le Bailly de Tilleghem, Ch. Lebeau, J. Lebeau, Lesoinne, Loos, Mercier, Moncheur, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Neyt, Orban, Pierre, Pirmez, A. Pirson, V. Pirson, Prévinaire, Rogier, Royer de Behr, Saeyman, Snoy, Tack, Tesch, Vanden Branden de Reeth, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Van Volxem, Verwilghen, Wasseige, Allard, Braconnier, Dautrebande, de Baillet-Latour, de Boe, de Breyne, de Bronckart, de Brouckere, Dechamps, de Decker, De Fré, de Haerne, de Liedekerke, de Mérode-Westerloo, de Montpellier, de Moor, de Pilteurs-Hiegaerts, (page 1093) de Renesse, de Ridder, de Rongé, de Terbecq, de Theux, Devaux, de Vrière, d'Hoffschmidt et Vervoort.

Ont répondu non : M. Goblet, Grosfils, Guillery, Hymans, J. Jouret, Landeloos, Laubry, Magherman, Nothomb, Rodenbach, Vander Donckt, Van Dormael, Van Humbeeck, Van Leempoel de Nieuwmunster, Ansiau, Beeckman, Crombez, Dechentinnes, de Gottal, de Lexhy, de Naeyer, de Paul, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières et de Smedt.

La discussion est renvoyée à mardi

La séance est levée à 4 heures.