(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)
(page 1017) (Présidence de M. Vervoort.)
M. Snoy donne lecture du procès-verbal de la séance du 23 mars.
- La rédaction ou est approuvée.
M. de Boe présente l'analyse des pétitions suivantes.
« Les membres du conseil communal de Mabompré demandant la construction d'un chemin de fer de Bastogne à Marloye. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'exécution de travaux d'utilité publique.
« Le sieur de Martelaer, ancien soldat du 2ème bataillon des tirailleurs francs, demande qu'il soit pris une mesure pour récompenser les blessés de la campagne de 1831. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Pire demande la révision de la législation sur les fabriques d'église. »
- Même renvoi.
« Le sieur Pire présente des observations coutre la demande des curés du canton de Couvin ayant pour objet une augmentation de traitement. »
- Même renvoi.
« Le sieur Herman-Hubert Janssens, garde-magasin du service des fourrages militaires en régie à Namur, né à Maasniel (partie cédée du Limbourg), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Le sieur Marien-Jean Megens, instituteur communal à Gierlo, né à Dinther (Pays-Bas), demande la naturalisation ordinaire. »
- Même renvoi.
« Le sieur Harpain propose d'insérer dans le projet de loi sur la discipline médicale une disposition ayant pour but la répression du charlatanisme. »
« Même demande du sieur André. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la police et à la discipline médicales.
« Des médecins à Cruyshautem et Huysse demandent que le projet de loi concernant l'art de guérir consacre le principe électif dans la nomination des conseils médicaux. »
- Même renvoi.
« Le sieur Van Camp, ancien officier des volontaires, demande un secours. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le conseil communal de Velm demande une loi qui fixe le minimum des traitements des secrétaires communaux. »
- Même renvoi.
« Les membres de l'administration communale d'Haulchin demandent la construction du chemin de fer grand-central franco-belge d'Amiens à Maastricht, qui est projeté par le sieur Delstanche. »
« Même demande d'habitants de Ciplet. »
- Même renvoi.
« Des employés à l'administration provinciale de Namur demandent une augmentation de traitement. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le budget de l'intérieur.
« Par dépêche du 6 avril, M. le ministre de la justice informe la Chambre que le sieur Hanck (Jean), demeurant à Hachy, province de Luxembourg, a déclaré renoncer à sa demande de naturalisation. »
- Pris pour information.
« Par dépêche du 6 avril, M. le ministre de la justice transmet à la Chambre, avec les pièces de l'instruction, la demande de grande naturalisation du sieur Pastor (Conrad-Gustave), directeur-gérant de la société Cockerill, à Seraing, et quatre demandes de naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« Par trois messages en date du 23 mars, le Sénat informe la Chambre qu'il a donné son adhésion aux projets de loi :
« Prorogeant la loi concernant les étrangers ;
« Portant interprétation de l'article 87 de la loi du 8 mai 1848 sur la garde civique ;
« Qui proroge l'article 21 de la loi du 1er mai 1857 sur les jurys d'examen et qui établit l'examen de gradué en lettres. »
- Pris pour notification.
« M. de Bast, retenu par une indisposition, et M. Grandgagnage, empêché par un deuil de famille, demandent un congé. »
- Ces congés sont accordés.
M. de Brouckere. - J'ai l'honneur de déposer, au nom de la commission des naturalisations, 23 projets de loi contenant autant de demandes de naturalisations prises en considération par la Chambre et par le Sénat. »
- Ces projets seront imprimés et distribués, ils figureront à la suite de l'ordre du jour.
Il est procédé au tirage au sort des sections d'avril.
M. le président. - La section centrale propose l'adoption du crédit : seulement elle demande la division de l'article premier en deux crédits ; l'un de 14,461,170 francs pour l'exécution des travaux se rapportant au matériel de l'artillerie ; l'un de 1,100,000 pour l'exécution de travaux se rapportant à la mise hors d'état de défense de quelques enceintes fortifiées.
Le gouvernement se rallie-t-il à cette proposition ?
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Non, M. le président.
M. de Gottal. - Dans la séance du 17 janvier dernier, le gouvernement a proposé à la Chambre une demande de crédit de 15,561,170 francs à allouer au département de la guerre. C'est le projet que nous avons à discuter. Ce crédit est demandé, en premier lieu, pour la transformation du matériel de l'artillerie et ensuite pour la suppression de quelques enceintes fortifiées, deux objets qui, d'après le gouvernement, ont une corrélation intime : et qui, d'après moi, n'ont aucune connexité.
C'est par là que je commencerai pour tâcher de mettre le plus d'ordre possible dans les observations que j'aurai l'honneur de vous présenter.
Je disais donc que ces deux questions n'ont entre elles aucune connexité, aucune corrélation, en ce sens du moins que l'adoption du crédit demandé pour la suppression de quelques enceintes fortifiées ne peut influer en rien sur le vote à émettre sur le crédit demandé pour la transformation du matériel de l'artillerie.
Le rejet seul du crédit de 1,100,000 francs pourrait avoir de l'influence sur le second objet, en ce sens qu'il faudrait encore majorer le crédit demandé.
Mais comme en section centrale le chiffre de 1,100,000 francs a été adopté à l'unanimité, je crois qu'il doit rencontrer la même adhésion sur les bancs de la Chambre. Quel que soit, en définitive le système d'artillerie que nous venions à adopter, que ce soit le canon lisse ou le canon rayé, que ces canons se chargent par la culasse ou par la bouche, qu'on les fasse en fer, en bronze ou en acier, cela, je le répète, ne pourrait en aucune manière influer sur la question de démolition de certaines enceintes fortifiées, et pour ne pas m'appesantir trop longtemps sur cet objet, je me bornerai à vous lire ce que je trouve dans l'exposé des motifs même, à l'article concernant le crédit pour le matériel du génie :
« En résumé, messieurs, le système d'Anvers que vous avez adopté est un système de concentration, qui est la condamnation du système d'extension et d'isolement des places frontières qu'on ne peut plus convenablement garder et qui paralyserait une notable partie de l'effectif de nos forces militaires. Il entraîne donc la suppression de quelques enceintes fortifiées. »
En présence de ces observations, je ne conçois pas la rédaction de l'article premier tel qu'il se trouve dans le projet de loi. Je ne me l'explique pas, si ce n'est pour engager certains honorables collègues représentant plus particulièrement des localités désireuses de voir démolir les murs (page 1018) qui les entourent, à voter le crédit global sous peine, de rendre impraticable, la démolition qu'ils ont si longtemps désirée.
Aussi la section centrale a-t-elle été d'avis que cette commodité n'existe point ; et pour mettre les consciences à l'abri de tentations de ce genre elle a modifié la rédaction de l'article et a proposé la division des deux crédits.
J'ai été étonné, messieurs, de voir que l'honorable ministre ne se ralliait pas à cette proportion de la section centrale, qui, pour le dire en passant, a été adoptée par 6 voix et une abstention.
L'honorable ministre nous a fait connaître, il est vrai, dans l'une de ses réponses à la section centrale, qu'il ne partageait pas notre manière de voir.
Lorsqu'on lui a demandé s'il n'y avait pas lieu de disjoindre les deux crédits, il a répondu que ce n'était pas possible, parce que les deux objets avaient une corrélation intime.
Dans sa réponse à la 14ème question, le ministre nous a dit : « Les deux objets ont une corrélation intime ; en effet, le matériel des places varie nécessairement suivant le nombre et l'importance des positions fortifiées. »
Ce dernier point est incontestable, mais je ne vois pas quelle autre conclusion l'on pourrait en tirer, si ce n'est qu'il faut d'abord déterminer les places qui seront conservées.
Or, dans cet ordre d'idées la rédaction devrait être modifiée, car elle nous présente d'abord la demande de crédit pour la transformation de l'artillerie, et la situation de notre artillerie doit nécessairement varier d'après la solution qui sera donnée à la question de savoir s'il faut démolir certaines enceintes fortifiées et quelles sont celles dont la démolition sera décidée.
Je m'étonne, messieurs, qu'on puisse (et cela n'entre certainement pas dans les idées de l'honorable ministre) vouloir subordonner la démolition de ces enceintes, qui a été décrétée en principe par le vote même des fortifications d'Anvers, qu'on puisse vouloir la subordonner à l'adoption d'un système quelconque d'artillerie.
La section centrale a reconnu l'opportunité de la démolition à l'unanimité et le crédit destiné à cet objet n'a rencontré dans son sein aucune opposition.
Il n'en a pas été tout à fait de même du crédit demandé pour la transformation de l'artillerie. Le gouvernement, en venant demander ce crédit si considérable, ne s'était pas dissimulé, du reste, qu'il rencontrerait certaine opposition ; aussi a-t-il eu recours dès le début aux moyens qu'il emploie d'ordinaire en pareilles circonstances ; il a soin, dès les premières lignes de son exposé des motifs, de nous dire que le crédit demandé n'est pas hors de proportion avec les ressources dont le pays peut disposer pour ses moyens d'armement.
Que nos dépenses militaires soient en proportion avec nos ressources, c'est un point sur lequel j'ai déjà fait connaître mon opinion à la Chambre. Je ne m'y arrête plus. Le gouvernement n'en sent pas moins la grandeur du nouveau sacrifice qu'il demande au pays, car il se hâte d'ajouter : « Quand il s'agit de ce grand intérêt national, nul sacrifice d'argent n'est impossible au patriotisme éclairé des Chambres. »
Messieurs, quand j'ai vu, dès le début, intervenir la question de patriotisme, j'ai été un peu inquiet, non pas que je craigne qu'on m'accuse de ne pas en avoir ou d'eu avoir peu ; je ne me préoccupe guère de ces attaques, de ces vaines déclamations dont au mois de décembre dernier on faisait encore retentir cette enceinte. Je comprends que pour les besoins, pour le succès de la cause on ait recours à ces artifices oratoires ; je comprends, passez-moi l'expression, que ce soit en quelque sorte aux accents de la Brabançonne qu'on veuille nous faire voter les dépenses militaires. Ce système a, du reste, trop bien réussi pour qu'on n'y ait pas.de nouveau recours. Mais, messieurs, ce qui m'a frappé dans cette mise en scène, c'est que d'ordinaire ce n'était que lorsqu'on n'avait plus d'autres raisons à donner qu'on finissait par faire appel au patriotisme, et cette fois c'est par là que l'on commençait... (Interruption.) M. le ministre de l'intérieur, je vous prie de ne pas m'interpeller.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne vous interpelle pas ; je disais à mon collègue que c'était mauvais.
M. de Gottal. - Cette expression est inconvenante.
M. le président. - Je ne puis trop engager les membres de la Chambre à ne se permettre aucune espèce d'interruption. Les interruptions amènent souvent des discussions irritantes. Elles ne sont admissibles que lorsqu'elles ont lieu de l'assentiment de l'orateur auquel elles s'adressent, parce que dans ce cas elles peuvent simplifier ou éclaircir le débat.
Je m'opposerai énergiquement à tout autre genre |d'interruptions ; et j'engage vivement tons mes honorables collègues à conserver, dans la discussion qui s'ouvre, le calme et la dignité dont la Chambre ne doit jamais se départir dans ses délibérations.
M. de Gottal. - Messieurs, ce qui me rassurait, ce qui me donnait quelque espoir, c'est que cette fois-ci, c'était au patriotisme éclairé que l'on faisait appel.
Je croyais donc que cette fois, du moins, il y aurait une lumière bien vive jetée sur la question, qu'il nous serait permis d'y voir clair ; ce qui devait le faire supposer encore, c'est que l'exposé des motifs contenait plusieurs pages. Quand j'eus tout lu et relu, quand j'eus recherché la lumière que j'espérais y trouver, je ne me trouvai guère plus avancé. Il paraît, du reste, et ceci me réconcilie un peu avec moi-même, que plusieurs de mes honorables collègues n'y voient guère plus que moi ; car toutes les sections chargèrent leurs rapporteurs de demander une foule d'explications en section centrale. C'est ainsi que dans les sections il n'y eut que 10 voix favorables au projet ; 35 membres s'abstinrent.
J'eus l'avantage d'être nommé rapporteur de la première section, et celui de faire partie de la minorité de la section centrale. J'ai donc aussi ma part dans les aménités qui lui ont été dernièrement adressées, et c'est à tort ; car le gouvernement a oublié que ce sont les majorités qui font loi en Belgique. Si donc il y a eu un retard, c'est à la majorité qu'on aurait dû l'imputer ; c'est à la majorité de la section centrale qu'il faut s'en prendre encore si l'on a fait cette faute de questions indiscrètes au gouvernement qui ne demandait qu'une chose toute simple : « Votez -moi 15 millions ».
Si la section centrale venait encore à être attaquée, ce serait à l'honorable rapporteur qu'il appartiendrait de prendre sa défense.
En section centrale il s'agissait donc de procéder à l'examen du projet de loi d'une manière plus complète.
C'est à quoi tendirent nos efforts.
Voyons, messieurs, à quoi ils ont abouti, et permettez-moi de faire part à la Chambre des impressions que j'ai ressenties.
Ce sera peut-être un peu long, messieurs, mais vous m'excuserez ; la question n'est pas seulement importante par l'élévation du chiffre du crédit, elle l’est encore par la question de prérogative soulevée dans la section centrale et qu'il nous faut bien reproduira ici.
M. le ministre de la guerre, dans les réponses qu'il a faites à la section centrale, nous renvoie plus d'une fois à l'exposé des motifs. Permettez-moi donc de revenir un instant sur cet exposé.
Je tiens surtout à faire ressortir les inexactitudes, les contradictions qu'on y rencontre, à vous faire remarquer que ce qui devrait s'y trouver est précisément ce qui ne s'y trouve point.
S'il est vrai, comme le dit l'exposé des motifs, que l'artillerie belge, depuis plusieurs années, s'est livrée à des expériences, que, dans ces derniers temps surtout (c'est-à-dire jusqu'en décembre dernier), elle a continué avec un redoublement d'activité et de succès, il est vrai aussi, ce que l'on se garde bien d'ajouter, c'est que ce n'est pas avec le système qu'on vient nous proposer que ces succès ont été obtenus.
L'exposé des motifs porte également « qu'il était nécessaire d'examiner les divers systèmes en présence et de déterminer celui qui convient le mieux à notre situation politique et militaire, et qui permet délirer le meilleur parti des ressources existantes, en matériel, en outillage, en moyens de fabrication, etc. »
Cette nécessité, messieurs, je suis parfaitement d'accord avec Je gouvernement pour la reconnaître ; mais par cela même je m'étonne d'autant plus que cet examen n'ait pas eu lieu ; je m'étonne d'autant plus que le système proposé soit précisément celui qui permet le moins de tirer parti de nos ressources en matériel, en outillage et en fabrication.
Il est vrai qu'on ajoute que des expériences décisives ont été faites à Juliers ; que des officiers de l'armée belge ont assisté à ces expériences ainsi qu'à plusieurs autres.
Mais la section centrale ayant exprimé le désir de connaître quelles étaient ces autres expériences auxquelles des officiers belges avaient assisté, le gouvernement nous a répondu que ces expériences avaient été faites en Angleterre et en Allemagne. Je vous laisse juges, messieurs, de la précision de cette réponse. Il eût semblé tout aussi naturel de nous répondre que c'était en Europe. Cela eût été, du reste, beaucoup plus en harmonie avec toutes les réponses qu'on a bien voulu donner à la section centrale.
(page 1019) Quoi qu'il en soif, c'est de Juliers et d'après les expériences faites à Juliers que nos officiers ont importé en Belgique le canon du système Wahrendorff l’on est convenu d'appeler le canon prussien. Et quand je dis importé, je me trompe, on n'a importé que le dessin de ce canon, car, si mes renseignements sont exacts s'il existe aujourd'hui des canons de ce système en Belgique, cela ne remonte pas à plus de deux mois.
Enfin, messieurs, faisant la part « des idées préconçues, des expériences incomplètes ou mal dirigées, des vices partiels, outrés par la réclame ou par des engouements irréfléchis, en faisant part de tout cela, le gouvernement s'arrête au système Wahrendorff. Et cette part, le gouvernement doit l'avoir faite bien large surtout si j'en juge d'après les explications que l'honorable ministre de la guerre donnait au Sénat dans la séance du 26 juin 1860. Voici ce qu'il disait alors :
« Un mois après mon entrée aux affaires, on essayait déjà plusieurs canons de système différent sur la plage d'Ostende et au camp de Brasschaet. Un de ces canons avait beaucoup d'analogie avec le système français, les deux autres en différaient essentiellement et avaient été proposés par deux officiers très distingués de notre armée.
« Ces premières expériences donnèrent des résultats très remarquables.
« Le tir aux grandes distances fut excellent. Mais le système n'était pas assez complet et offrait des inconvénients qui ne permirent pas de l'adopter. On fit de nouvelles recherches, de nouvelles études.
« Deux commissions furent nommées. L'une d'elles fut envoyée en permanence à Brasschaet et elle n'a cessé pendant toute l'année de faire des expériences. L'autre fut établie à la fonderie de canons et s'est occupée sans désemparer de toutes les questions relatives aux bouches à feu se chargeant par la culasse.
« Ces recherches nous ont amené à fabriquer des canons et des projectiles de différents systèmes et à trouver enfin, croyons-nous, la solution de la grande question que nous cherchons à résoudre. Nos dernières expériences ont donné les résultats les plus complets. Mais les essais doivent être poussés à fond avant que nous puissions commencer la transformation générale de notre matériel de campagne.
« Nous avons trouvé un système de cerclage en fer forgé pour nos canons en fonte de fer, qui a dépassé nos espérances. Si les expériences qui se poursuivent répondent à ce qu'elles ont déjà produit, nous pourrons utiliser tout notre matériel de siège et lui donner une puissance d'action formidable.
« Enfin nous allons essayer des canons se chargeant par la culasse de différents systèmes. Ils viennent d'être terminés et vont être éprouvés.
« Je n'expose ici qu'une partie des travaux de notre artillerie. Livrés à nos propres forces, n'ayant que des moyens restreints à notre disposition, il a fallu tout le zèle, tout le savoir, tout le dévouement des officiers de cette arme pour arriver aux résultats que nous avons obtenus. »
Je n'en lirai pas plus, messieurs, ce serait abuser de vos moments. Vous voyez donc qu'à cette époque on semblait pouvoir présenter une solution à peu près satisfaisante. Vous voyez qu'en présence des expériences nombreuses opérées, on croyait pouvoir adopter un système qui permettrait d'utiliser la plus grande partie du matériel existant. A cette époque on rend justice au zèle, au savoir de notre armée.
Mais aujourd'hui les temps sont changés ; ce qu'on trouvait admirable, ce qu'on vantait si fort, ne vaut plus rien ; ce ne sont plus que des expériences mal dirigées, incomplètes, c'est un engouement auquel on a cédé. Mais permettez-moi de le dire, à cette époque M. le ministre lui-même s'y était laissé prendre.
A cette époque déjà il était question du canon Wahrendorff :
« Les artilleurs prussiens frappés des inconvenants que présentait le rayage appliqué aux canons en fonte de fer et en bronze, ont fait fabriquer des canons en acier fondu.
« Un fondeur prussien, nommé Krupp, a seul le secret de cet acier qui offre une résistance à toute épreuve.
« Les canons prussiens se chargent par la culasse, d'après le système de Wahrendorff. »
Comme je l'ai dit, une commission fut établie à la fonderie de canons de Liège qui devait s'occuper sans désemparer d'étudier le système des canons se chargeant par la culasse.
On disait qu'on allait essayer les canons se chargeant par la culasse de différents systèmes. Ils venaient d'être terminés et avaient être éprouvés.
Aujourd’hui même il ne paraît pas qu'une commission ait été consultée sur cette question, qu'on ait expérimenté le canon Wahrendorff dans le pays.
Il n'y a peut-être là qu'une contradiction apparente ; en cela, M. le ministre de la guerre voudra bien nous l'expliquer.
Quoi qu'il en soit, il me sera difficile de comprendre pourquoi le canon Wahrendorff n'a pas été expérimenté. On me dira peut-être qu'on ne le connaissait pas. Vous expérimentiez donc des systèmes que vous connaissiez. Je demande pourquoi, depuis les expériences de Juliers, vous n'avez pas expérimenté le canon Wahrendorff, pourquoi vous ne lui avez pas fait subir des expériences analogues à celles que vous faisiez subir aux inventions qui se produisaient à l'étranger et dans le pays, pourquoi vous n'avez pas fait des expériences comparatives.
Je ferai une autre remarque sur l'exposé des motifs. A la page 5, on nous a fait connaître les résultats obtenus avec les différents systèmes et, pour nous prouver la supériorité de l'artillerie nouvelle sur l'artillerie ancienne, on nous donne les résultats obtenus avec des canons lisses, des canons rayés, des canons Armstrong, des canons Cavalli, mais des canons Wahrendorff on ne dit pas un mot ; et, après ces explications que vous avez vues dans l'exposé des motifs, cette partie se termine de la manière suivante :
« Ces explications paraîtront sans doute suffisantes à la Chambre pour la justification des dépenses proposées dans l'intérêt de la défense nationale. »
Je ne sais pas, messieurs, ce qu'en pensera la Chambre. Toujours est-il que ces explications ont paru entièrement insuffisantes aux sections, et, comme j'ai eu l'honneur de le faire, remarquer, les sections ont chargé leurs rapporteurs de poser à la section centrale une foule de questions. A ces questions nous allons examiner comment il a été répondu.
Nul d'entre vous, pas même un des ministres, je pense, ne contestera à la Chambre et par conséquent à la section centrale le droit de poser des questions, de demander des renseignements au gouvernement. C'est de ce droit, c'est de cette prérogative que nous avons usé, et c'est ce droit, cette prérogative que l'honorable ministre de la guerre, ne pouvant les combattre en principe, a voulu paralyser en nous faisant des réponses évasives ou en se retranchant derrière de prétendus secrets d'Etat, derrière de prétendues convenances diplomatiques.
Toutes les réponses que vous avez pu voir dans le rapport se résument en définitive en celle-ci : J'affirme que le système Wahrendorff est le meilleur ; il est préférable à tous les autres systèmes. C'est, du reste, l'avis unanime de ceux à qui j'ai fait l'honneur d'en causer.
Quelque catégorique, quelque précise que soit cette affirmation, elle ne me suffit pas. Je demande des preuves. Je pense que je ne puis me contenter de ces affirmations, en présence surtout des doutes sérieux qui s'élèvent sur cette question, en présence surtout de ce fait, que des objections sont faites par ceux-là mêmes dont l'honorable ministre, dans la séance à laquelle je fais allusion, a reconnu le zèle, le savoir et le dévouement.
Mais, dira-t-on, suspectez-vous les paroles du ministre ? On ne s'est pas fait faute en section centrale de dire : Doutez-vous de la parole du ministre ? Cette question, je pourrais la traduire d'une manière beaucoup plus expressive et moins parlementaire.
Est-ce sur ce terrain délicat qu'on veut poser la question ? Je ne le pense pas. Du reste, je serai prêt à vous y suivre. La Chambre ne pourra pas, plus que moi, admettre qu'une simple affirmation d'un ministre, quelque confiance que nous puissions avoir en lui, doive nous défendre d'une manière absolue de combattre, de contester, de nier même ce qu'il soutient. Du reste, je connais trop bien l'habileté de l'honorable ministre, son habileté de paroles surtout, pour ne pas m'en défier un peu. Si l'honorable ministre avait embrassé la carrière du barreau, je ne doute pas qu'il eût fait un chemin tout aussi brillant, tout aussi rapide. La seule chose qui eût pu le gêner, c'est qu'on exige la communication des pièces. Et cependant il n'est jamais venu à l'esprit de personne, de l'avocat le plus probe, de celui dont la loyauté est la plus reconnue, de s'indigner, de s'étonner même qu'on lui demandât cette communication.
Je faisais allusion à l'habileté de l'honorable ministre. En effet, il n'y a pas longtemps encore la Chambre n'a-t-elle pas été sur le point d'applaudir l'honorable ministre de la guerre, lorsqu'il a donné des explications sur les travaux qui se faisaient à Anvers ? On a supprimé les revêtements en briques et par suite de cette suppression il doit résulter une diminution de dépenses assez grande, une diminution de 5 à 6 millions peut-être. Mais s'ensuit-il que ce soit une économie en ce sens (page 1020) que les travaux d'Anvers coûteront 5 à 6 millions de moins que la somme que nous avons votée ? Je ne le pense pas.
Vous avez voté 40 millions pour les travaux d'Anvers. Malgré toutes les économies que l'on viendra nous annoncer, vous pouvez être certains que les 40 millions y passeront, et l’on trouvera peut-être le moyen d'y en adjoindre encore quelques autres.
J'avais donc raison de dire que M. le ministre était très habile dans l'exposé de ce qu'il venait soutenir à la Chambre.
Ce que je veux croire, ce que j'admets, c'est que ce soit l'opinion, la conviction de l’honorable ministre de la guerre que le système qu'il nous présente est préférable aux autres.
Mais cette opinion, cette conviction, comment s'est-elle formée ? Est-ce par ce qu'il a fait ? Est-ce parce qu'il a vu ? Nullement.
Si j'en crois l'exposé des motifs, l'honorable ministre a consulté les hommes les plus compétents, d'après lui ; il a fait procéder à des expériences, il a examiné les rapports, les procès-verbaux, les avis de ces hommes compétents, et c'est là-dessus qu'il a formé son opinion. Eh bien, c'est la communication de ces rapports, de ces avis, de ces renseignements, que nous demandons pour former également notre opinion. Nous voulons comparer pour juger, et à toutes nos demandes, l'honorable ministre ne répond que par une simple affirmation, par sa simple parole.
Je le sais, messieurs, à cette demande de communication, on nous répondra, combien de fois ne l'a-t-on pas fait !, que nous ne sommes pas compétents. Ce qui n'empêche pas l'honorable ministre de nous faire de remarquables discours, et cependant si réellement nous ne sommes pas compétents, ce n'est pas la peine de nous les faire.
Lorsqu'il s'agissait des fortifications d'Anvers, vous n'étiez pas compétents, parce que vous n'apparteniez pas à l'arme du génie. Dans l'occasion actuelle, vous n'appartenez pas à l'arme de l'artillerie ; donc vous n'êtes pas compétents.
Lorsqu'il y a quelques années, d'honorables membres de cette Chambre soutenaient l'inutilité, l'inefficacité, les désavantages même des revêtements en brique, ils n'étaient pas compétents, et les revêtements en brique viennent d'être supprimés. Il y a deux ans à peine, d'honorables membres soutinrent qu'il fallait, pour la défense d'Anvers, la grande enceinte, et un homme compétent combattait cette opinion, disant que l'adoption d'un pareil projet rendrait la Belgique la risée de l'Europe entière ; quelque temps après, l'honorable ministre actuel nous présente la grande enceinte.
Vous voyez donc que les hommes incompétents ont parfois quelque peu de compétence.
Mais enfin puisque nous en sommes à parler de compétence, pourquoi a-t-on laissé à l'écart tant d'hommes compétents, officiers de notre armée ?
Mon intention n'est pas de dire qu'il faut les consulter tous. Mais pourquoi donc ce secret, pourquoi ces ordres du jour qui défendent même de parler de la question ? Pourquoi ce refus constant de nous faire connaître les hommes compétents qu'on a consultés ?
Je pense qu'en pareilles circonstances, lorsqu'il s'agit de questions graves, de questions de cette importance, il entrait dans les précédents mêmes du département de la guerre de nommer des commissions, et jamais, les noms des membres de ces commissions n'ont été un secret pour personne.
Ici au contraire on s'abrite toujours derrière le secret ; c'est ainsi que lorsque nous demandons les résultats du tir des canons de différents systèmes, on dit que c'est un secret. Ce secret, je ne le conçois pas.
Lorsque vous aurez le crédit, ce ne sera plus un secret pour personne.
Le plus simple canonnier pourra constater ces résultats. Mais la Chambre qui doit voter le crédit n'a rien à y voir. C'est le système de l'honorable ministre.
Est-ce en vertu d'un règlement militaire ? Car en en a parlé dans une réponse à la section centrale.
Je ne crois pas que la Chambre puisse admettre que le ministre, au moyen d'un règlement qu'il fait lui-même, puisse se mettre au-dessus du droit de contrôle et d’investigation que nous possédons.
Vous avez vu, messieurs, dans le rapport, les 29 questions que la section centrale a posées la première fois, au département de la guerre ; je n'ai pas besoin de faire ressortir l'habileté avec laquelle il a été répondu à ces questions ou plutôt avec laquelle il n’y a pas été répondu. Vous avez pu remarquer également la clarté, la lucidité des renseignements qui ont été fournis. Aussi, la section centrale en a-t-elle été médiocrement satisfait ?, et vous avec pu voir, messieurs, en lisant les considérants par lesquels elle décide que 12 questions seraient de nouveau posées au gouvernement, vous avez pu voir que la section centrale ne se faisait nullement illusion sur les dispositions du département de la guerre. Voici ces considérants :
La section centrale considérant qu'elle ne peut remplir la mission qui lui est confiée qu'en examinant les motifs sur lesquels repose le projet de loi présenté par le gouvernement ;
Considérant que les systèmes professés dans les réponses annexées à la dépêche ministérielle en date du 16 février 1861 seraient de nature à rendre inefficace le contrôle des Chambres, et compromettraient les plus précieuses prérogatives parlementaires, en créant une incompétence de fait sur toutes les questions militaires ; décide, etc.
Messieurs, ne croyez pas que ces considérants soient l'opinion de la minorité. Nullement, ces considérants ont été adoptés par 7 voix contre 2.
Dois-je maintenant justifier les douze questions qui ont été de nouveau posées à M. le ministre de la guerre ? Je ne le pense pas, je dirai seulement qu'elles ont été posées par six voix et une abstention.
Peut-être demandera-t-on quelle importance on attachait aux question concernant notre matériel d'artillerie actuel et à venir ? Si la section centrale posait ces questions, c'est qu'elle désirait pouvoir se rendre un compte plus exact que celui qu'elle aurait pu se rendre par les explications que le gouvernement lui avait données. Pour ma part, je n'aurais pas été fâché de connaître une fois ce qu'on a fait de tous les millions votés successivement par la Chambre, pour le matériel de l'artillerie.
Quant aux pièces nouvelles à construire, l'honorable ministre, dans ses explications verbales à la section centrale, en a dit autant que par écrit.
Enfin, messieurs, je n'insiste pas sur toutes ces réponses évasives, il m'en reste cependant encore une à rencontrer, celle où l'on refuse communication des rapports et procès-verbaux d'expériences.
Il n'est jamais entré, messieurs, dans la pensée de la section centrale, de demander communication de pièces remises confidentiellement à l'honorable ministre ; ce qu'elle a demandé, c'est d'avoir communication, des avis et rapports des officiers de notre armée et particulièrement des expériences faites en dernier lieu à Brasschae, et toutes ces demandes ont été accueillies invariablement par un refus, par un refus constant.
La section centrale, en présence des réponses nouvelles qu'elle venait de recevoir, ne pouvait se croire encore suffisamment éclairée, et elle décida d'entendre M. le ministre de la guerre, qui avait lui-même manifesté le désir de donner des explications verbales.
Dans ces explications verbales l'honorable ministre ne nous apprit à peu près rien.
Il est vrai qu'il voulut bien nous dire combien environ nous avions actuellement de différents calibres et combien environ nous aurions de bouches à feu lorsque le crédit de 15 millions aurait été employé. Puisque l'honorable ministre nous a donné ces renseignements d'une manière confidentielle et qu'il semble que le salut de la patrie exige qu'ils soient tenus secrets, je me garderai bien de les jeter dans la discussion.
Quant aux autres explications, je suis heureux d'avoir demandé à la section centrale qu'elles fussent consignées au procès-verbal, et je demande que ce procès-verbal soit déposé sur le bureau ; c'est le seul moyen de permettre à la Chambre d'apprécier tout ce que ces explications renferment de décisif, et tout ce qu'il y a de fondé dans la lettre que l'honorable ministre a écrite à la section centrale, sous la date du 7 mars dernier, et où il est dit :
« Que l'intérêt de la défense du pays, autant que les convenances internationales, s'opposent à ce que les renseignements consignés dans le procès-verbal de la section soient publiés. »
Remarquez, messieurs, que les deux points confidentiels auxquels je viens de faire allusion ne se trouvent pas même dans le procès-verbal.
Lorsque cette lettre est arrivée à la section centrale j'ai déclaré que, quant à moi, j'entendais faire des explications tel usage que je jugerais convenable.
Ce n'est pas cependant que je veuille donner lecture du procès-verbal, ni même vous en présenter une analyse complète.
Du reste, messieurs, les explications qui y sont contenues ne jettent pas un grand jour sur la question. Vous y trouverez des explications détaillées sur la fabrication des projectiles du système français et du système prussien, vous y trouvera la nomenclature des différents projectiles, vous y trouverez beaucoup de renseignements qui n'éclaircissent guère(page 1021) la question, mais vous n'y trouverez pas de réponses aux questions qui avaient déjà été posées. Et cependant, messieurs, nous lisons dans le rapport : « L'exposé des motifs, les réponses faites aux questions posées par la section centrale, mais surtout les explications verbales très précises et détaillées du ministre de la guerre, et les propres investigations faites par plusieurs membres de la section centrale, ont donné à la majorité de cette section des indications et des garanties suffisantes au sujet du système adopté. »
Quant à l'exposé des motifs, quant aux réponses faites aux questions posées par écrit, on peut voir, même par le nombre de voix qui a décidé de quelle manière les questions seraient posées de nouveau, on peut voir que certainement l'opinion de la section centrale n'était guère favorable au projet, que tout au moins elle ne se croyait pas suffisamment éclairée. Quelles sont donc les considérations qui ont pu changer la conviction de la majorité de la section centrale ?
Aussi j'attends avec impatience que les honorables membres de la majorité de la section centrale fassent ressortir ces explications si précises et détaillées.
Je ne m'étonne pas, messieurs, que ceux qui avaient la foi aient cru, mais je ne puis saisir les arguments qui, dans l'honorable rapporteur, qui jusqu'ici m'avait semblé peu incrédule en de pareilles matières, ont amener une conversion aussi subite. Je' l'en félicite du reste, j'aurais voulu être aussi heureux que lui. (Interruption.) Je prie l'honorable ministre de l'intérieur de ne plus m'interrompre.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je prie M. le président de vouloir bien déclarer si un ministre n’a pas le droit de faire part à l’un de ses collègues d’observations que lui suggèrent les discours des orateurs.
M. de Gottal. - Les interruptions de M. le ministre de l'intérieur s'entendent jusque sur ces bancs.
M. le président. - M. de Gottal, vous vous êtes mépris sur les intentions de M. le ministre de l'intérieur. Le ministre s'est borné à adresser la parole à un de ses collègues.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je n'ai interrompu ni interpellé M. de Gottal ; je m'adressais à un collègue, comme je l'ai fait auparavant.
M. Goblet. - Parlez plus bas.
M. de Gottal. - Enfin, de toutes les réponses écrites ou verbales de M. le ministre de la guerre, il résulte que, dans son opinion, le système qu'il nous présente est le meilleur.
L'honorable ministre assume la responsabilité du projet ; je concevrais difficilement qu'il pût en être autrement ; mais je crois que cette responsabilité vient en quelque sorte à disparaître par le vote de la Chambre.
Si l'honorable ministre a sa responsabilité, nous avons bien la nôtre ; et si la Chambre se contente de voter le projet sans examen sérieux ; si en présence de l'affirmation de l'honorable ministre et de son opinion consciencieuse, je l'admets, que ce système est le meilleur, la Chambre, sans demander si le système a été soumis à une commission, s'il a été expérimenté régulièrement ; si, dis-je, la Chambre vote le crédit dans ces conditions, je crois que la plus grande part de responsabilité retombe sur elle. C'est ce qu'a pensé la minorité de la section centrale ; et en présence de la difficulté, de l'impossibilité même de se procurer les renseignements qu'elle avait demandés, la section centrale a dû songer à un autre moyen ; et ce moyen c'est l'enquête.
« La section centrale, ne pouvant examiner utilement le projet de loi qui lui est soumis, en l'absence des documents qu'elle a itérativement réclamés du gouvernement, propose à la Chambre de nommer une commission d'enquête, chargée de s'entourer de tous les renseignements nécessaires à l'appréciation du système adopté par le département de la guerre pour la transformation de l'artillerie.
Messieurs, le droit d'enquête de la Chambre est incontestable.
Du reste, cette proposition, au point de vue du droit, a été suffisamment développée dans la note de la minorité. Je crois donc que dans les explications que je compte encore vous présenter, je puis me borner à faire ressortir l'utilité, l'opportunité et même la nécessité de cette enquête.
Dans les explications verbales que M. le ministre de la guerre nous a données en section centrale, il nous a dit que tous les hommes compétent qui avaient été consultés étaient unanimement de son avis, et dans ses répond écrites, il a déclaré, je pense, qu’il ne pouvait admettre que la section centrale lui demandât communication de ces rapports, de ces avis ; ce serait là, dit-il, consacrer le système, que l'on demanderait au gouvernement les avis de ses agents, pour les lui opposer.
Messieurs, je ne vois pas quoi moyen d'opposition nous aurions pu trouver dans la communication de ces avis qui, d'après la déclaration de l'honorable ministre, lui sont tous favorables.
M. le ministre de la guerre a, il est vrai, ajouté que nous pouvions les consulter personnellement ; mais je ne pense pas que cela puisse entrer dans les convenances de la Chambre ; lorsque les sections centrales posent officiellement des questions au gouvernement, il n'est guère dans les usages que le gouvernement renvoie pour les réponses aux bureaux des ministères. Aussi je me plais à croire, pour la dignité de la Chambre, qu'aucun des membres de la section centrale n'a voulu recourir à ce moyen de s'éclairer.
Enfin, messieurs, lorsque M. le ministre de la guerre ne pouvait pas, d'une manière raisonnable, dirai-je, nous refuser communication des expériences faites en Belgique, qu'il ne pouvait pas sur ce point se retrancher derrière un secret d'Etat, derrière des convenances diplomatiques, que nous disait-il alors ? Que ces renseignements, ces procès-verbaux contenaient des données confidentielles, des secrets de fabrication.
Je ne vois pas quel inconvénient il y aurait eu à soumettre ces pièces à la section centrale ; la section centrale aurait su parfaitement distinguer ce qui concernait les secrets de fabrication d'avec ce qui regardait les résultats obtenus, lesquels, en définitive, devaient trancher la question.
Aucune expérience comparative n'a été faite entre le système Wahrendorff et le système français ou d'autres systèmes. L'honorable ministre nous dit dans ses explications verbales :
« Les petits pays comme le nôtre doivent se borner à profiter des expériences faites ailleurs et à constater ce qui a été trouvé de meilleur dans les grands pays, et en même temps à rechercher s'ils possèdent des machines et les métaux nécessaires pour pouvoir fabriquer les nouveaux engins de guerre. »
Il est possible que l'honorable ministre croie que nous ne devons pas nous livrer à des expériences sur les inventions. Cependant, ce système M. le ministre de la guerre ne le pratique pas depuis longtemps ; car en Belgique on n'a pas mal expérimenté, on n'a pas mal tâtonné sur des essais de système, sur des inventions mêmes d'officiers belges. Je suis loin d'en blâmer le ministre, je constate simplement le fait.
L'honorable ministre a ajouté que ces expériences seraient excessivement coûteuses. Oui, pour faire une expérience décisive et complète, il faudrait tirer jusqu'à 1,200 coups, et cependant l'honorable ministre doit convenir que des expériences ont été poussées jusqu'à ce point sur un canon système français.
Et lorsque nos officiers sont revenus de Juliers émerveillés du canon prussien, on n'en a pas moins continué de faire des expériences sur tous autres systèmes.
A quoi servaient ces expériences puisque dans votre esprit l'adoption du canon prussien était décidée ; ou bien si elle ne l'était pas, pourquoi n'a-t-on pas expérimenté comparativement ce système ?
La majorité de la section centrale dit également que « voter une enquête, ce serait poser non seulement un acte de défiance non motivée, mais encore prendre une mesure entraînant des retards fâcheux et peut-être très préjudiciable aux plus grands intérêts du pays, sans la moindre garantie que la solution donnée à la question serait meilleure.
Nous poserions un acte de défiance ! Je ne veux pas trop insister sur ce point. Cependant je dirai que d'après l'ensemble des réponses de l'honorable membre, nous pourrions bien nous défier, non pas de sa parole, mais un peu de l'excellence de son système, puisqu'il ne veut pas nous l'exposer preuves en mains.
Quant au retard que l'on redoute, et qui peut-être portera préjudice aux grands intérêts du pays, le gouvernement est en grande partie cause de ce retard, puisque, depuis trois mois, il s'est refusé constamment à communiquer à la section centrale les renseignements qu'elle croyait nécessaire de demander. Selon moi, d'ailleurs, il y avait plus de danger dans la précipitation que le gouvernement a mise à nous présenter le projet et dans la précipitation avec laquelle il voulait le faire discuter.
Il est dans le rapport de la section centrale deux autres réponses sur lesquelles j'ai à revenir.
(page 1022) En section centrale, j'avais demandé à M. le ministre de la guerre s'il n'était pas exact que 10,000 projectiles du système Wahrendorff avaient été commandés ; s'il n'était ais également exact qu'un certain nombre de blocs d'acier avaient été commandés chez Krupp, à Essen. M. le ministre a répondu, et je cite ici la rédaction du procès-verbal : « Sur l'interpellation d'un membre, M. le ministre a répondu qu'il n'avait pas commandé dix mille projectiles, système Wahrendorff. »
Plus loin : « Des blocs d'acier Krupp ont été commandés au moyen du transfert de 600,000 fr.
« Le ministre ne peut en préciser le nombre. »
Il est assez étrange que M. le ministre n'ait pas pu préciser ce nombre, même approximativement. Mais, ayant compris, sans doute, pourquoi cette question lui avait été posée, voici ce qu'il répondit à ces questions de la section centrale qui juge convenable de les lui soumettre par écrit : « Il n'a été fait encore aucune commande de projectiles à l'industrie privée, comme j'ai eu l'honneur de le dire à la section centrale. »
Qu'il me soit permis de rappeler au souvenir de l'honorable ministre que, lorsque la question a été posée, il ne s'est nullement agi de commandes de projectiles qui auraient été faites à l'industrie privée.
Et le ministre ajoute : « Il a été ordonné seulement à la fonderie de canons de se mettre en mesure de fabriquer, dans le plus bref délai possible, 10,000 obus nouveaux, et de se préparer à pouvoir exécuter ces projectiles sur une grande échelle. »
Ainsi, mes renseignements étaient exacts quant à l'ordre donné. Seulement, il y a une légère variante, que je m'explique aisément du reste. C'est que les projectiles ne se feraient pas en entier à la fonderie de canons. La fusée, paraît-il, se ferait dans un arsenal de construction ; de manière que ces projectiles n'étaient pas complètement commandés et qu'on se mettait seulement en mesure de les fabriquer.
« Quant aux blocs d'acier, ajoute M. le ministre, et quant aux différents métaux et autres objets commandés, des motifs puissants m'engagent à prier la section de ne pas insister pour en obtenir le détail. »
Ces motifs puissants, peut-être M. le ministre pourra-t-'l les indiquer à la Chambre. Quoi qu'il en soit, je me permettrai de communiquer à la Chambre mes idées personnelles sur ce point.
Notez, du reste, que la réponse de M, le ministre est loin d'être aussi explicite qu'elle l'avait été antérieurement ; car il nous avait dit précédemment que cette commande avait été faite au moyen d'un transfert de crédit au budget de la guerre.
Or, voici ce qui en était : on avait donné l'ordre à la douane de laisser entrer en franchise de droits cent blocs d'acier et 50 cylindres de même métal.
Or, le bloc d'acier coûte au moins 2,000 francs ; ce qui faisait que le total de la commande s'élevait à 200,000 francs. A l'époque de la présentation du projet de loi relatif au transfert de crédits, la section centrale chargée de l'examen de ce projet de loi, section dont je faisais partie, avait demandé la division du crédit et à quels articles les 600,000 francs devaient être rattachés ; le ministre nous en communiqua le détail où je lis :
« Pour achat de bronze, acier et fonte pour bouches à feu, 100,000 francs. »
Il y avait donc là une légère violation de l'article 16 de la loi de 1846 sur la comptabilité de l'Etat qui porte que les ministres ne peuvent faire aucune dépense au-delà des crédits ouverts à chacun d'eux. C'était probablement là le motif pour lequel l’honorable ministre nous priait de ne pas insister.
Et nous n'avons pas insisté parce que nous pouvions pressentir la réponse qu'on nous eût faite : on eût encore une fois invoqué l'argument du secret d'Etat et des convenances diplomatiques.
Du reste, messieurs, remarquez que cette commande, assez importante déjà, concorde assez peu avec ce passage de l'exposé des motifs où il est dit : « L'emploi de l'acier comme métal à canons donnera un nouvel essor à notre industrie métallurgique, et ne peut que lui attirer des commandes étrangères qui développeront ses ressources en même temps que la fortune publique. »
J'avoue que je comprends difficilement comment la fortune publique peut s'accroître en Belgique par des commandes faites à l'étranger.
On se récriera peut-être contre l'enquête ; on dira : C'est une mesure extrêmement grave ; il faut agir avec circonspection.
Je reconnais cela, messieurs, mais je ne pense pas que la Chambre ait souvenance de précédents d'un système pareil appliqué aux relations de la section centrale et du gouvernement,
Peut-être, comme en 1859, nous dira-t-on : Remerciez le ministère, vous en avez le droit ; mais vous ne pouvez pas l'humilier.
On peut remercier le chef de l'armée, mais on ne doit jamais l'humilier.
Pour moi, messieurs, il n'entre nullement dans mes intentions pas plus qu'il n'entre dans celles de la section centrale, d'humilier ou de remercier personne.
Tout ce que nous voulons, c'est obtenu des renseignements, et ce que nous ne voulons pas, c'est laisser humilier la Chambre, ni laisser renverser le régime parlementaire.
Or, je prétends que si la Chambre se contente des explications qu'on lui a fournies, si elle les trouve complètes et satisfaisantes, elle accepte une véritable humiliation, et le système que le gouvernement veut faire prévaloir en cette question est le renversement d'une de nos prérogatives parlementaires.
Quelque incompétent que l'on puisse me dire, messieurs, il faut cependant que je dise quelques mots du système en lui-même. C'est une tâche assez délicate, assez difficile, je m'efforcerai de la remplir aussi convenablement que possible.
Un argument qu'on a fait valoir déjà dans l'exposé des motifs et qu'on a reproduit en section centrale, c'est que l'Autriche a adopté le système de canon Wahrendorff On dit que l'Autriche s'était emparée à Solferino d'un canon français et que, frappée des effets obtenus par l'artillerie française pendant la guerre d'Italie, elle s'était empressée d'armer plusieurs batteries au moyen de canons de ce système. On ajoute qu'aujourd'hui l'Autriche a abandonné le canon français pour adopter le canon prussien ; et voilà pourquoi on nous propose le canon prussien.
Je ne sais jusqu'à quel point cette version est exacte. D'après une autre version, l'Autriche n'adopterait le système prussien que pour l'armement de son contingent fédéral. Ce qui s'expliquerait aisément par des considérations politiques, dans lesquelles je ne veux pas entrer ici.
Pour moi, je m'expliquerais difficilement que l'Autriche eût pu découvrir si vite le secret du système français ; il me semble qu'on lui prête ici un peu trop de pénétration, et on oublie un peu trop les expériences nombreuses et longtemps infructueuses qui ont été faites en Belgique, pour découvrir le secret de ce système français. Aussi, messieurs, suis-je très porté à croire que si l'Autriche a si vite abandonné le système français, c'est précisément parce qu'elle n'en a pas saisi complètement le mécanisme et qu'elle n'en a pas pu tirer les avantages qu'il procure.
Telle est du moins mon opinion, et je crois pouvoir l'opposer à cet argument tiré de l'exemple de l'Autriche, argument qui, je l'avoue, avait d'abord produit une sérieuse impression sur mon esprit.
Aux yeux de l'honorable ministre de la guerre, le système Wahrendorff est, pour le moment, l'idéal de la perfection. Cependant la publication faite par un officier prussien sur les expériences de Juliers doivent avoir un peu refroidi son enthousiasme. On a pu voir que les effets obtenus avec ce canon ne sont pas aussi extraordinaires qu'on a bien voulu le faire croire, et la comparaison qu'on établit quant au tir de ce canon n'est nullement faite entre le canon Wahrendorff et le canon français. Les résultats sont comparés à ceux du canon lisse. Or il en résulte une légère différence qui doit diminuer un peu l'engouement qu'on pourrait avoir pour le système prussien.
En Hollande on a adopté un système provisoire ; je ne reviendrai pas sur les débats qui ont eu lieu dans les chambres hollandaises et sur les explications données par le ministre de la guerre à l'appui de la demande de crédit pour cet objet ; mais je dirai que je ne vois pas pourquoi en Belgique nous n'adopterions pas aussi un système provisoire. Rien n'empêcherait ensuite de procéder à des expériences comparatives successives. Ce qui devrait nous déterminer à imiter en cela la Hollande, ce sont les nombreuses objections qui s'élèvent contre le système qu'on veut appliquer.
Je ne citerai, messieurs, que le faussement du verrou, la possibilité de faire feu sans que la culasse soit hermétiquement fermée, ce qui amène des accidents et souvent la mise hors de service de la pièce ; l'entretien difficile du mécanisme, la précision mathématique exigée pour que les différentes pièces s'adaptent et permettent à l’arme de fonctionner utilement, etc.
Ce système a encore un grand inconvénient, c'est que le tir à ricochet n'est pas possible, le projectile éclatant dès qu'il touche le sol. Je vois l'honorable ministre faire un signe de dénégation, je serais charmé d'apprendre qu'il n'en est pas ainsi. Je conçois cependant avec peine (page 1023) comment le projectile peut encore agir par ricochet, alors qu'il éclate au contact du premier corps qu'il rencontre.
Ce sont là des objections dont des expériences répétées doivent démontrer le fondement ou l'erreur.
Il me serait, je pense, aisé de montrer que le système que nous avons actuellement est même préférable pour pièces de campagne, à celui de Wahrendorff, mais pour le moment cela m'entraînerait trop loin.
Je ne signalerai qu'un seul point important, c'est ainsi que l'on prétend que le tir à shrapnels est plus difficile, moins sûr, bien moins efficace dans le système prussien.
Et vous le comprendrez aisément, le projectile n'éclate que par le choc, et par cela même perd une partie de sa vitesse, de sa force de projection.
Il en est donc de même des balles que le shrapnel renferme. La gerbe projetée est également moins grande que dans le système que nous possédons, et dans lequel le projectile éclate dans l'air grâce à la fusée à temps.
En outre le tir avec le canon Wahrendorff exige une précision bien plus grande ; pour que le résultat du tir soit efficace, il faut que le point de chute du projectile ne s'écarte guère du point qu'il s'agit d'atteindre par l'explosion des projectiles contenus dans le shrapnel.
On conçoit que dans un tir d'expériences, au polygone, ce résultat puisse s'obtenir, les distances étant connues d'avance ; ai-je besoin de dire qu'il en est tout autrement en campagne ?
Voici quelles sont à ce sujet les prescriptions réglementaires en Prusse.
A 1,200 mètres le projectile doit tomber à 15 mètres du but ; à 1,400 mètres, à 10 mètres ; à 1,800 mètres, à 7 mètres 7 1/2.
Le projectile du système français peut recevoir notre fusée métallique à temps, car dans ce système le vent n'étant pas supprimé, le feu se communique à la fusée par le gaz de la charge.
Or, le tir à shrapnels, dans lequel notre artillerie excelle, est d'une si haute importance, qu'un officier supérieur de notre armée n'hésitait pas à condamner a priori tout système d'artillerie rayée qui ne permettrait pas cette espèce de tir.
Ce sont là tous faits, toutes objections qui doivent nous empêcher d'admettre aveuglément le système qu'on nous présente.
Il faut que des expériences sérieuses comparatives viennent nous donner nos apaisements sur ces points.
Il en est encore d'autres, mais je crois en avoir signalé suffisamment, pour que le doute soit permis, et dans ce cas, avant de décider, éclairons-nous, expérimentons.
Comme je l'ai dit, le système Wahrendorff peut être admirable dans un polygone, mais il ne s'ensuit nullement qu'il possède les conditions essentielles pour pouvoir devenir une bonne arme de guerre. Les expériences à faire devront surtout porter sur ce point. Le canon français a fait ses preuve. Magenta, Solferino, la guerre de Chine, celle de Crimée valent bien les expériences de Juliers.
Voici que je trouve du reste à ce sujet dans un document qui se publie chaque année en Belgique et qui résume les essais faits au polygone.
« Il résulte de ces expériences, et de codes exécutées antérieurement que le système de chargement Wahrendorff, quelque ingénieux qu'il soit comparativement aux modes de chargement connus, ne peut cependant convenir comme machine de guerre. »
Vous comprenez qu'en présence d'une semblable appréciation, faite par des hommes compétents, pourquoi l'armée accueille avec une certaine répugnance le projet qui vous est soumis.
Dans une autre circonstance, j'ai déjà eu l'honneur de rappeler qu'en 1854 le département de la guerre, en répondant à une demande de renseignements de la section centrale, sur le chiffre auquel s'élèverait la dépense pour compléter notre matériel, répondit qu'il faudrait encore 15,080,000 fr., 8,200,000 francs pour l'artillerie et 6,880,000 francs pour le génie.
Cette réponse avait été faite à la section centrale après avoir consulté un comité spécial dont les conclusions, consignées dans un rapport, avaient été adoptées par une commission mixte chargée d'examiner cette question.
Il est vrai, messieurs, que l'on n'avait prévu alors ni la transformation du matériel, ni les travaux à exécuter à la place d'Anvers. Mais vous vous rappellerez tous, messieurs, que l'honorable ministre nous a assurés lors de la discussion des travaux d'Anvers, que ces travaux ne nécessiteraient point une augmentation de matériel, que nos bouches à feu alors existantes dans cette place, augmentées de celles à provenir de la démolition de plusieurs places fortes, seraient suffisantes.
Il y aurait ainsi (si on laisse la question de transformation en dehors), d'après la déclaration de l'honorable ministre dans la séance du 21 septembre dernier, encore 3 millions à voter pour compléter notre matériel d'artillerie. Et dans le crédit aujourd'hui demandé figure pour fabrication de poudres seule 2,853,820 fr.
Il n'y a que deux manières d'expliquer l'élévation de chiffre.
Ou bien nous n'avions pas l'approvisionnement de poudre nécessaire, et le gouvernement a été d'une incurie blâmable, ce que je ne puis supposer.
Ou bien, et je pense que c'est le cas, le nombre de nos bouches à feu va être augmenté d'une manière considérable.
Il faut qu'il en soit ainsi, puisque l'adoption du système proposé exigerait l’emploi de moins de poudres, car dans la réponse à la section centrale, par le ministre de la guerre, nous voyons que la charge étant tout entière utilement employée, on obtient plus d'effet avec une quantité de poudre moindre.
Il y a donc évidemment augmentation et augmentation considérable de notre matériel.
Eh bien, messieurs, a-t-on soumis cette question d'augmentation, comment et dans quelle limite elle devait se faire, l'a-t-on soumise a un comité spécial, à une commission mixte ?
Non, messieurs, voici comment on procède en 1861. Le ministre de la guerre adopte de son chef un système d'artillerie et décide qu'il faudra 14 1/2 millions pour le matériel.
Quelle est la marche la plus régulière, la plus rationnelle, la plus en harmonie avec notre régime parlementaire et constitutionnel, celle suivie en 1853 ou celle de 1861 ?
A mes yeux il eût fallu dans cette circonstance non seulement consulter des comités et commissions, faire des expériences pour décider la question importante de l'adoption d'un système définitif ; mais cette question tranchée, elle devait nécessairement influer sur celle de l'armement. Une nouvelle commission, comme en 1853, pouvait s'occuper de la question, et en même temps une autre question aurait pu être examinée, celle du personnel. Or, le personnel devra être augmenté, c'est l'honorable ministre qui nous l'a dit dans une de ses réponses à la section centrale ; mais il ajoute qu'il est permis d'espérer que cela n'amènera pas une augmentation trop forte de dépenses. Toujours est-il constaté dès aujourd'hui qu'il y aura une nouvelle augmentation du budget. Jadis, dit-on, le département de la guerre et le gouvernement étudiaient la question de réduire les dépenses militaires. Aujourd'hui on n'étudie plus que les moyens de les augmenter et on n'y parvient qu'avec trop de succès.
Quant à la cavalerie, vous avez vu qu'il ne s'agit pas de la diminuer, mais il s'agit de la transformer, et ici l'on espère qu'il ne faudra pas de crédit nouveau.
Ainsi, dans un cas, il est permis d'espérer, dans l'autre on espère ; mais je crains beaucoup que ces espérances se traduisent par un chiffre d'augmentation.
Je crois avoir démontré qu'aucune question n'a été suffisamment et régulièrement étudiée, ni celle du système, ni celle du matériel, ni celle du personnel, et que tout s'est fait en dehors des précédents même antérieurement suivis au département de la guerre.
Le projet qui nous est proposé est un projet que je crois pouvoir qualifier de présenté à la légère. La section centrale, la minorité du moins, a cru qu'il y avait un seul moyen de s'éclairer, et ce moyen, je viens de l'indiquer, c'est l'enquête. Je crois que le vague des réponses de l'honorable ministre, les doutes, les incertitudes sur la question, les objections que je vous ai signalées suffissent pour démontrer l'opportunité et la nécessité d'une pareille mesure. Il n'y a, je le répète, de la part de la minorité de la section centrale rien de blessant dans cette proposition. Tout ce que nous voulons, c'est nous renseigner, nous éclairer.
La Chambre peut-être n'adoptera pas cette mesure. Mais dans quelle alternative se trouvera-t-elle ? Il ne lui restera qu'à voter ou à rejeter le crédit. Et cependant en principe, nous sommes tous d'accord qu'il y a une amélioration à introduire. Nous pensons tous que l'on pourrait utilement transformer le matériel d'artillerie. Pourquoi donc ne nous présenterait-on pas une solution provisoire que l'on indiquait déjà dans la séance du 26 juin 1860 au Sénat ? Je crois même qu'à un certain moment, on a considéré cette solution comme définitive, puisque le département de la guerre a ordonné la construction de huit pièces d'après le système nouveau. Cette résolution provisoire ne préjugerait en rien la question, mais (page 1024) elle permettrait de soumettre à un examen sérieux les différents points sur lesquels j'ai appelé votre attention. Cette solution nous satisfaisait tous et elle répondait à toutes les exigences du moment, puisqu'elle mettrait notre artillerie au niveau de celle de la première armée du monde et, je n'hésite pas à le dire, elle aurait l'assentiment de l'armée et du pays. Cette solution, je ne puis que l'indiquer ; il me serait, je pense, par trop difficile de la formuler ; niais quant à adopter le projet de loi tel qu'il est présenté, dans l'état actuel de la question, il me semble que cela est impossible pour la Chambre.
Ce serait commettre une imprudence, une faute grave que de vouloir imposer à l'armée une arme en laquelle elle n'a pas confiance, dont elle se défie, une arme que rien n'a prouvé être supérieure à celle que nous avons soumise à de si longues et si nombreuses expériences, et avec lesquels notre armée entière s'est familiarisée. Le corps des officiers de l'armée belge compte trop d'hommes distingués dans son sein pour qu'on n'ait pas en eux plus de confiance, pour qu'on ne les consulte pas, et je n'hésite pas à le dire, M. le ministre aurait dû au moins consulter le comité d'artillerie.
En adoptant le projet de loi qui vous est présenté, vous commettriez une faute plus grave au point de vue de nos prérogatives. Vous poseriez le précédent le plus fâcheux, vous abdiqueriez le plus précieux de vos pouvoirs, et vous porteriez le plus rude coup au régime parlementaire. Nous n'allons pas seulement accorder ou refuser 15 millions ; nous n'allons pas seulement décider si l'on adoptera ou non le système Wahrendorff ; mais nous allons décider, ce qui est bien plus important, plus grave à mes yeux, nous allons décider si nous avons le droit d'examiner, de contrôler sérieusement les projets que nous présentent les ministres, ou si nous n'avons qu'à nous incliner sous leurs caprices et sous leur bon plaisir.
M. Van Overloop. -Messieurs, il est incontestable que la demande de crédit de 15 millions a causé une certaine émotion dans le pays. On croit que ces 15 millions sont uniquement destinés à rayer des canons. Mais on se trompe énormément.
Je pense que l'erreur dans laquelle on verse généralement provient de ce qu'on a confondu la demande de crédit avec les motifs à l'appui de cette demande sur lesquels l'honorable ministre de la guerre s'est surtout étendu.
Quel est, messieurs le projet de loi ? Il porte à l'article premier :
Il est ouvert au département de la guerre un crédit extraordinaire de quinze millions cinq cent soixante et un mille cent soixante et dix francs (15,531,170) pour l'exécution de travaux se rapportant :
« 1° A l'article 20 du budget de ce département (Matériel de l'artillerie).
« 2° A la mise hors d'état de défense de quelques enceintes fortifiées. (Article 21 du même budget, Matériel du génie.)
Or, messieurs, que porte l'article 20 du budget de la guerre ? Je prends le budget de 1861 et j'y lis :
« Matériel de l’artillerie :
« a. Dépenses diverses dans les places fortes ressortissant aux directions de l'artillerie dans les divisions territoriales.
« b. Fabrication d'amorces fulminantes pour armes à percussion.
« c. Fabrication de poudres de guerre.
« Manufacture d'armes :
« d. Fabrication d'armes neuves ; confection de pièces de rechange pour l'entretien de l'armement des corps de l'armée ; réparation et transformation, d'après le système percutant, d'armes à feu avec platines à silex qui se trouvent dans les magasins de l'artillerie.
« Fonderie de canons :
« e. Fabrication de bouches à feu en bronze et en fer ; projectiles, râteliers d'armes, ferrures pour l'arsenal d'Anvers ; construction et réparation de l'équipage des ponts, et travaux divers.
« Arsenal de construction :
« f. Construction d'affûts et de voitures, avec leurs armements et dépendances, et réparationdu matériel détérioré par l'usage.
« g. Dépenses relatives à l'école de pyrotechnie.
« h. Achat de bois de construction pour former un approvisionnement à l'arsenal d'Anvers.
« i. Dépenses résultant de l'achat et de la confection de modèles de construction d'artillerie.
« k. Dépenses diverses et menus achats. »
Dans la manufacture d'armes, on se livre, non seulement à la fabrication et à la réparation des armes de l'armée, mais encore à la fabrication et à la réparation des armes portatives nécessaires à toute la force publique. C'est ce que constate la statistique décennale de 1850.
Ce même document constate aussi que la Belgique s'est trouvée presque sans matériel et sans approvisionnements après sa régénération politique.
Tels sont, messieurs, les besoins auxquels doit pourvoir le crédit de 14 millions (et non pas de 15 millions) demandé par le département de la guerre pour les travaux concernant l'article 20 du budget.
C'est donc à tort que l'on croit que ces 14 millions sont destinés exclusivement à transformer notre matériel d'artillerie en canons rayés. D'ailleurs, il suffit d'examiner les réponses faites par l'honorable chef du département de la guerre à la section centrale pour être convaincu qu'il n'en est pas ainsi. Nous voyons, en effet, dans ces réponses que 2,855,820 francs sont destinés à la fabrication de poudres.
Chacun sait que 1,100,000 francs sont affectés à mettre quelques enceintes fortifiées hors d'état de défense.
Il ne reste donc, chiffres ronds, que 14 millions pour les besoins de l'article 20 du budget de la guerre.
Maintenant si vous demandez d'où provient qu'il faille des sommes si considérables pour satisfaire aux besoins de cet article 20, j'ai trouvé en réponse dans la statistique décennale de 1850.
L'auteur de cette réponse est M. le général-major Trumper, partisan non équivoque des économies sur le budget de la guerre. Je demanderai à la Chambre la permission de lire un extrait du document que je viens de citer.
« D'après des calculs faits au département de la guerre, le crédit annuel pour entretenir convenablement le matériel de l'artillerie devrai être de 900,000 francs (voir le rapport de la section centrale de la Chambre des représentants, sur le budget de la guerre de 1849).
« L'insuffisance des allocations a donc été annuellement de 37,970 fr., soit pour les dix années, 3,759,700 fr. Ce dernier chiffre représente la valeur du matériel de guerre, dont l'armée était appauvrie à la date du 31 décembre 1850. Si on y ajoute la valeur du déficit, constaté en 1840, dans l'approvisionnement des poudres (4,108,760 kilos), valeur représentée par 7,505,768 fr., on arrive à conclure que la somme qui était nécessaire à la fin de la période, pour mettre le matériel de l'artillerie dans un état convenable, s'élevait à 11,135,468 fr. Cette dépense serait encore augmentée par les dégradations que des réparations faites en temps opportun eussent prévenues ou arrêtées.
« Mais le chiffre de 11,135,468 fr., obtenu par induction, ne représente pas encore les besoins réels de l'artillerie.
« D'après l'évaluation des principaux attirails de guerre, qui manquent pour compléter l'armement de toutes les places fortes du royaume, il y aurait à faire de ce chef une dépense de 12,795,513 francs. Cette évaluation ne porte que sur les objets principaux ; de sorte que, si l'on y ajoutait le montant de l’immense quantité d'objets de toute espèce qui seraient d'un besoin indispensable en temps de guerre, la dépense s'élèverait, sans la moindre exagération, à 14 millions. » (Observations du ministre de la guerre, pour servir de réponse au rapport de la sectlion centrale, 1843.)
« Il ne paraît même pas que cette somme, déjà fort considérable, comprenne l'estimation des objets qui sont à renouveler parmi le matériel actuel de l'artillerie ; cependant, on ne doit pas perdre de vue qu'une partie de ces objets a déjà une assez longue existence ; ils ont généralement été confectionnés dans la période de 1818 à 1821. Il y en a donc qui sont bien près de dépasser la durée qui est attribuée aux objets de l'espèce, et, par suite, une grande quantité d'entre eux devront être bientôt renouvelés. (Le général Gobet, séance de la Chambre des représentants du 3 février 1847.) »
Ainsi messieurs, en 1850 il y avait un déficit constaté par un partisan décidé des économies sur le budget de la guerre, un déficit de 14 millions. Ce déficit se serait encore augmenté, d'après un homme bien compétent, l'honorable général Goblet, depuis 1850 jusqu'à l'époque actuelle, alors même qu'il ne se serait pas agi de la transformation du matériel d'artillerie. Je crois donc pouvoir dire sans exagération que, si la nécessité de cette transformation s'était fait sentir dès 1850, le déficit aurait été évalué à 4 millions de plus, soit un total de 18 millions.
Ce déficit de 18 millions, qui existait en 1850, a-t-il été couvert par les crédits alloués au département de la guerre, pour le matériel de l'artillerie, à partir de cette époque ?
(page 1025) J'ai fait le relevé des sommes dépensées pour ce matériel. Elles se sont élevées (Note du webmaster : suit le détail, année par année, de 1851 à 1860, non repris dans la présente version numérisée). Total : fr. 18,161,611 fr. 72 c.
Ce chiffre correspond au manquant de 1850.
Mais, d'après M. le général-major Trumper, la dépense annuelle pour l'entretien s'élève au minimum au chiffre de 900,000 francs ; soit, pour 10 ans, un total de 9 millions.
Retranchant ce capital des 18 millions dépensés, de 1851 à 1860, on constate que le déficit de 1850, qui était de 18 millions, n'a été réduit que de 9 millions.
Il nous faudrait donc aujourd'hui, pour les besoins de l'artillerie, une somme de 9 millions, alors même qu'il ne serait pas indispensable de transformer notre matériel.
Au maximum donc, on ne nous demande que 5 millions pour la transformation de notre artillerie ; mais cette somme de 5 millions, qu'on ne le perde pas de vue, n'est elle-même nullement destinée, d'une manière exclusive, à rayer nos canons. Il faut qu'au moyen de ce crédit on construise des affûts en fer dont l'utilité, je crois, n'est contestée par personne. Les 5 millions doivent encore servir à nous approvisionner des projectiles nécessaires pour le nouveau système d'artillerie qui sera adopté.
Il résulte de là que les frais de rayage des canons seront loin d'absorber le crédit de 5 millions, et que par conséquent, autre chose est le projet de loi, autre chose l'opinion qu'on s'en est formée dans le public.
Personne ne conteste la nécessité de la transformation de notre matériel d'artillerie. Depuis quelque temps il a été fait dans cette arme des progrès si importants, qu'il est indispensable que toutes les puissances modifient leur système d'artillerie d'après les expériences qui ont été faites, notamment en France, en Angleterre, en Allemagne.
Mais, messieurs, vous savez probablement tous que le canon lisse tire mal à 900 mètres, tandis que le canon rayé porte à 3,700 mètres. Il est vrai qu'on ne peut guère viser qu'à 2,500 mètres.
Une seule observation suffira, je crois, pour établir qu'il y a une nécessité évidente, actuelle, pour transformer une grande partie de nos canons lisses en canons rayés.
A la vérité, on ne fait aucune objection contre la nécessité de la transformation de notre système d'artillerie ; on se borne à adresser des critiques au mode de transformation ; on prétend que le canon français est préférable ; on voudrait qu'on fît des expériences comparatives, avant de se décider en faveur de l'adoption de ce qu'on appelle le canon prussien.
Mais, messieurs, pour faire des expériences comparatives, il me semble qu'il faut avant tout posséder des canons des deux systèmes.
Or, je doute que le gouvernement connaisse le système de canons rayés français, tel qu'il est ; s'il en est ainsi, comment voulez-vous que le gouvernement établisse des expériences comparatives entre le système des canons français et le système des canons prussiens ? Cela est impossible.
Quant à moi, je n'examinerai pas les deux systèmes de canons, j'avoue humblement mon ignorance à cet égard.
J'abandonne forcément à l'honorable ministre de la guerre le soin de donner à la Chambre les explications techniques.
Je me demande simplement si nous sommes compétents pour apprécier lequel des deux systèmes vaut le mieux. Je ne le pense pas ; à mon avis, nous ne pouvons pas prétendre avoir les connaissances nécessaires pour juger lequel des deux systèmes de canons qui sont en présence, serait préférable.
Il y a peut-être dans la Chambre un seul membre dont je puisse admette la compétence, c'est l'honorable M. Pirson, député de Bruxelles, ancien colonel d'artillerie. (Interruption).
On me cite encore l'honorable M. Sabatier ; je ne savais pas que l'honorable membre eût fait des études d'artillerie ; mais s'il en est ainsi, j'admets également sa compétence.
La science de l'artillerie est, messieurs, une science excessivement compliquée, qui exige de fortes études. Donc, pour émettre un jugement vrai sur une question d'artillerie, il faut s'être mis de longue main au courant, avoir acquis une foule de connaissances préalables.
Messieurs, lorsqu'il s'agit de questions de la nature de celle que nous discutons en ce moment, je crois que nous devons avoir confiance au gouvernement.
L'honorable ministre de la guerre nous dit : « J'ai pris toutes les précautions possibles ; je me suis assuré par toutes les expériences faites à l'étranger, que le système de canons que je crois devoir adopter convient le mieux. » Quand un homme d'honneur, en position d'être bien instruit, vient vous affirmer ce fait d'une manière positive, pouvons-nous en douter ? Je ne le pense pas.
Et, du reste, indépendamment de la garantie que nous donne la parole de M. le ministre de la guerre, n'avons-nous pas celle du cabinet tout entier ? M. le ministre de la guerre n'a pas déposé son projet de loi, sans s'être entendu avec ses honorables collègues, à qui certes il a confié les raisons de préférence qu'il pense ne pas pouvoir rendre publiques.
Nous avons donc, je le répète, indépendamment de la garantie de l'honorable baon Chazal, celle du cabinet.
Messieurs, vous le savez vous, je ne suis pas un des partisans du cabinet, je ne fais pas partie de la majorité de la Chambre ; mais je dois déclarer hautement que, quand il s'agit de questions de défense nationale, j'ai confiance dans le cabinet aux affaires, qu'il soit composé de mes amis ou de mes adversaires. C'est que j'ai la conviction que nos ministres, quels qu'ils soient, ont été, sont et seront toujours des hommes dévoués, avant tout, aux intérêts sacrés de l'indépendance nationale.
Je ne pense pas, d'un autre côté, que ce soit un moyen de popularité que de proposer d'augmenter les dépenses militaires. Donc, à ce point de vue, j'ai confiance dans le cabinet, quoique je reste membre de la minorité.
Pourquoi aurions-nous moins de confiance dans M. le ministre de la guerre quand il vient nous dire : « Tel système vaut mieux que tel autre ? » Pourquoi aurions-nous moins de confiance dans le ministre de la guerre que dans le ministre des travaux publics ? Il me souvient qu'un jour un ministre des travaux publics vint demander un crédit de 20 millions pour le matériel du chemin de fer. La Chambre s'est-elle avisée de demander pourquoi le ministre préférait tel système de locomotives à tel autre ? Non ; et pourquoi ? Parce que nous nous sentions incompétents pour apprécier le meilleur système de locomotives.
Ensuite, lorsque en 1852 le département de la guerre a complètement changé le système de nos affûts, et qu'il a dépensé pour cet objet 700,000 à 800,000 fr., a-t-on demandé au ministre de la guerre de l'époque pourquoi il préférait le système piémontais au système français ? Non ; et pourquoi ? Parce qu'encore une fois nous étions incompétents pour apprécier cette question.
On n'a pas demandé pourquoi le système piémontais avait obtenu la préférence sur le système français ; et cependant les Piémontais n'avaient pas fait la guerre autant que les Français !
Messieurs, il faut le reconnaître ; de tous côtés on arme ; le danger peut être imminent ; dans une pareille situation, la prudence exige non pas qu'on se livre à des expériences nouvelles pour savoir si le système d'artillerie qu'on se propose d'adopte ne pourrait pas être amélioré, mais qu'on adopte le système qu'on juge bon dans le moment actuel, sauf à l'améliorer plus tard.
Qu'est-ce qui empêcherait le département de la guerre, le projet de loi étant adopté, de modifier le système prussien lui-même ? Absolument rien : l'adoption du crédit de 15 millions ne liera pas invinciblement le département de la guerre à un système quelconque. A l'heure qu'il est, le système prussien paraît le meilleur à l'honorable chef du département de la guerre ; mais par cela même que nous adopterions le projet de loi, il n'aurait aucunement contracté l'obligation de n'apporter aucun changement à ce système.
Au surplus, messieurs, je crois qu'on est d'accord, en général, sur la bonté de ce système appliqué à l'artillerie de siège, et qu'il n'y a divergence d'opinions que quant à son application à l’artillerie de campagne.
Eh bien, notre artillerie de campagne ne se compose guère, je pense, (page 1026) que de 19 ou 20 batteries, soit, à raison de 8 pièces par batterie, 160 pièces de canon.
Vous voyez donc que le débat se réduit réellement à des proportions bien moins considérables qu'on ne se l'imagine.
Quant à l'artillerie de campagne, je le répète, l'adoption du projet de loi n'entraînerait nullement la liberté d'action de M. le ministre de la guerre quant à l'introduction des modifications qu'il croirait devoir apporter à cette artillerie.
En réalité donc, toute la question se réduit à des critiques dirigées contre les dépenses du département de la guerre en général.
Or, il importe de le remarquer, notre budget de la guerre, qui s'élève aujourd'hui à 32 millions, est moins considérable que ceux de l'Angleterre, de la France, de l'Autriche, de la Prusse, de la Russie, de l'Amérique même, de l'Espagne, du Portugal, des Pays Bas et de la Grèce.
Voici, messieurs, des chiffres qui vous en donneront la preuve irrécusable :
(Note du webmaster : Suit un tableau comparatif des dépenses militaires avec les crédits inscrits au budget général des pays suivants. Seuls le pourcentage des dépenses militaires par rapport au budget est repris ci-dessous)
Angleterre : 67,5 p. c.
France : 25,6 p. c.
Autriche : 58,2 p. c.
Prusse : 25,6 p. c.
Russie : 35,3 p. c.
Amérique (Etats-Unis) : 45,3 p. c.
Espagne : 25,1 p. c.
Portugal : 27,8 p. c.
Suède : 37,5 p. c.
Pays-Bas : 25,9 p. c.
Grèce : 35,5 p. c.
Belgique : 23,2 p. c.
Certes, messieurs, et tout le monde est d'accord sur ce point, il serait infiniment préférable de n'avoir pas à consacrer des sommes aussi considérables à notre armée, mais je crois aussi qu'il n'est plus personne aujourd'hui qui ose soutenir que notre neutralité suffit pour garantir notre indépendance, notre nationalité. Non, la neutralité ne suffit plus, le droit même ne suffit plus. Aujourd'hui,
« On respecte un moulin, on vote une province. »
On ne tient pas plus compte de la volonté nationale qu'en 1792 et 1795. Alors aussi on avait prétendument consulté la Belgique sur la question de savoir si elle voulait être unie à la France. Alors aussi les documents officiels attestaient une adhésion unanime du pays, bien que, - j'en appelle à quiconque connaît l'histoire de notre patrie, - l'immense majorité de nos pères eût protesté contre ce qu'on appelle actuellement l'annexion.
Je voterai donc le projet de loi qui nous est soumis. Toutefois, je me permettrai de présenter quelques observations à M, le ministre de la guerre.
H ne suffit pas d'avoir des canons ; il faut encore avoir des artilleurs, Je crois donc que M. le ministre de la guerre devrait nous dire de combien notre personnel d'artilleurs devra être augmenté. Qu'il fasse franchement un appel au patriotisme du pays ! Il ne lui fera pas défaut. Le bon sens dit qu'il ne suffit pas de protester de son amour pour l'indépendance, que les actes doivent être d'accord avec les paroles.
Je demanderai si, dans l'intérêt d'une bonne constitution de l'armée, il ne conviendrait pas d'apporter des modifications à l'organisation du corps de l'état-major.
Je demanderai surtout s'il ne serait pas nécessaire de modifier profondément l'organisation de notre intendance : il ne suffit pas d'avoir beaucoup d'hommes sous les armes, il faut avant tout assurer le service des vivres.
Je prierai aussi M. le ministre de la guerre de ne pas se hâter de supprimer notre grosse cavalerie. D'autres puissances, puissances guerrières avant tout, n'ont pas encore supprimé leur grosse cavalerie ; il serait donc imprudent de notre part d'aller plus vite qu'elles.
Enfin, il convient, je crois, dans l'intérêt d'une bonne constitution de l'armée, que notre infanterie soit plus exercée qu'elle ne l'est.
Sous ce rapport, il serait convenable, je pense, d'employer un peu moins nos soldats aux travaux de fortification d'Anvers, afin de leur permettre de consacrer plus de temps à l'exercice des armes. Il est vrai que si l'on faisait droit à toutes mes observations, notre budget de la guerre pourrait subir quelque augmentation. Mais, en fait, ne vaut-il pas mieux ne pas avoir d'armée qu'une armée incapable de remplir son rôle ?
Quant à moi, je suis d'avis qu'il faut : ou bien une simple gendarmerie, ou bien une armée sérieuse et capable de remplir sa mission, c'est-à-dire de maintenir notre indépendance, notre nationalité. Le pays tout entier, messieurs, veut rester libre et indépendant ; pour réaliser cette volonté, nous devons, nous les représentants du pays, donner au gouvernement les moyens d'assurer la défense de notre territoire.
Je me borne, messieurs, à ces observations. Je ne m'attendais pas à parler aujourd'hui, je ne l'ai fait que pour ne pas ralentir le débat.
- La séance est levée à 4 1/2 heures.