(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)
(page 865) (Présidence de M. Vervoort.)
M. de Florisone procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Boe donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Florisone présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« Les membres de l'administration communale de Villers-Perwin demandent la construction du chemin de fer grand central franc-belge d'Amiens à Maestricht qui est projeté par le sieur Delstanche. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Engelen, ardoister à Tongerloo, demande un congé de deux mois pour son fils, soldat au régiment des grenadiers. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Viersel demandent qu'on leur accorde une indemnité pour pertes essuyées par suite de la rupture des digues du canal qui traverse la commune et proposent des mesures dans le but d'empêcher le retour de ces désastres. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal d'Ypres demande la révision du décret impérial du 30 décembre 1809 concernant les fabriques d'églises. »
M. E. Vandenpeereboom. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
« M. Mercier, obligé de s'absenter pour affaires, demande un congé. »
- Accordé.
M. le président. - Messieurs, la Chambre vient de faire encore une perte cruelle : notre excellent collègue, M. Manilius, est mort à Gand samedi dernier.
Voici la lettre par laquelle M. Fréalle-Manilius, son gendre, nous fait part de ce triste événement :
« Gand, le 17 mars 1861.
« Monsieur le président,
« Je remplis un douloureux devoir en vous informant de la mort de mon beau-père, M. Ferdinand Manilius, membre de la Chambre des représentants, décédé hier soir au milieu de sa famille éplorée.
« Veuillez, je vous prie, faire part de ce triste événement à la Chambre et recevoir, M. le président, la respectueuse assurance de ma haute considération.
« (Signé) M. Fréalle-Manilius. »
Messieurs, j'ai deux propositions à faire à la Chambre par suite de ce triste événement ; elles me sont dictées par nos précédents.
Ordinairement, la Chambre charge son bureau d'écrire une lettre de condoléance à la famille du défunt. J'ai l'honneur de proposer à la Chambre d'autoriser son bureau à écrire une lettre de condoléance à la famille de feu M. Manilius. (Oui ! oui !) Le bureau dira donc à la famille du défunt la part que prend la Chambre à ses regrets, à ses douleurs.
Je propose ainsi de désigner, par la voie du sort, une commission de six membres qui sera conduite par le président, pour assister aux funérailles de notre regretté collègue.
- Cette proposition est adoptée.
Le sort désigne pour faire partie de la commission, MM. de Ridder, Moreau, Thibaut, De Fré, de Bronckart et Saeyman.
M. le président. - Un convoi spécial nous conduira à Gand. Si d'autres membres de la Chambre veulent se joindre à nous... (Oui ! oui 1) je les informe que nous partirons à une heure après midi. Il entre sans doute dans les intentions de la Chambre de ne point siéger demain ?
- Voix nombreuses. - Oui ! oui ! à jeudi.
M. le président. - La discussion est reprise sur les amendements de MM. Nothomb, Tack, Savart et Moncheur.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - J'ai quelques observations à faire en réponse au discours de l'honorable M. Nothomb ; je regrette qu'il ne soit pas présent.
- Un membre. - Il était ici il y a un instant.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je serai aussi court que possible, car la discussion me paraît avoir duré assez longtemps.
Messieurs, l'honorable M. Nothomb (M. Nothomb entre dans la salle) m'a, en quelque sorte, fait un reproche de l'avoir fait intervenir personnellement dans le débat, en rappelant à la Chambre qu'il avait lui-même présenté un projet de loi, qui était un obstacle au système qu'il soutenait aujourd'hui
Je crois que c'est à tort que la susceptibilité de l'honorable membre a été éveillée dans cette circonstance, je crois n'avoir employé aucune expression désobligeante ; j'ai rappelé un fait qui est un élément essentiel du débat. En effet, l'honorable membre propose un amendement qui suppose le maintien des lois de 1838 et de 1849, qui attribuent aux chambres du conseil et aux chambres des mises en accusation le droit de correctionnaliser certains faits. Il admettra avec moi que si le système de 1838 et de 1849 n'était pas maintenu, il ne voudrait à aucun prix de son amendement. Le système des lois de 1838 et de 1849 se lient de la manière la plus intime au débat actuel.
L'honorable M. Nothomb doit être persuadé qu'il n'entre pas le moins du monde dans mes intentions de faire intervenir ici des questions personnelles ; la discussion est trop grave, trop sérieuse pour que je veuille la compliquer de questions étrangères, quelles qu'elles soient. J'ai rappelé un fait, c'est que le système qu'implique nécessairement, inévitablement la proposition de M. Nothomb a été condamné par une commission dans un projet de loi qu'il a présenté lui-même.
Que résulte-t-il de là ? Qu'en admettant l'amendement de M. Nothomb vous vous engagez précisément sur une question des plus graves qui sera ultérieurement discutée, approfondie, celle du maintien du système des circonstances atténuantes comme influant sur la qualification du délit et la compétence du corps judiciaire. Quant aux circonstances atténuantes qui sont soumises à l'appréciation du juge appelé à prononcer sur l'instruction orale et qui n'ont d'influence que sur le quantum de la peine à appliquer, qui permettent au juge de diminuer la peine d'un degré, nous sommes parfaitement d'accord pour les admettre et le premier livre du Code pénal déjà voté contient des dispositions à ce sujet.
Ce n'était pas sans raisons sérieuses, sans raisons indispensables que j'ai rappelé le projet de loi présenté par l'honorable M. Nothomb, et sans vouloir lui dire une chose désagréable, je déclare que j'attache au projet de la commission composée, comme il l'a dit lui-même, de juristes éminents qui ont fait de cette question une étude approfondie, une importance plus sérieuse qu'à celle du ministre dont l'opinion a aussi sa valeur, mais qui n'a pas étudié, examiné suffisamment dans la pratique, comme l'ont fait des magistrats.
Le fait capital que j'ai introduit dans la discussion, c'est la condamnation par une commission du système qu'implique l'amendement de l'honorable M. Nothomb.
M. Nothomb. - Voulez-vous me permettre un seul mot ?
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Volontiers.
M. Nothomb. - Ce que j'ai simplement constaté, c'est que je n'ai pas, en déposant ce projet, aliéné mon opinion sur le système même ; c'est tout ce que j'ai voulu établir à cet égard.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je n'ai pas soutenu que l'honorable M. Nothomb eût aliéné son opinion.
M. Nothomb. - Vous me l'avez reproché.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je vous prie de croire que je n'ai rien changé dans ce que j'ai dit aux Annales parlementaires, précisément parce que, sous ce rapport, il devait y avoir un débat.
J'ajoute au surplus que je ne partage pas l'opinion de l'honorable M. Nothomb sur la position qui résulte pour un ministre de la présentation qu'il fait d'un projet de loi.
J'admets que quand on est d'accord sur les dispositions principales et qu'il ne s'agit que de dispositions secondaires, de détails, le ministre présente le projet tel qu'il est ; mais quand il s'agit des grands principes d'une loi, il me paraît difficile de la soumettre à la législature avec l'intention de la combattre.
Ainsi sans entendre faire un reproche à l'honorable M. Nothomb, je n'ai pas suivi la même marche que lui quant à l'organisation judiciaire.
(page 866) J'ai soumis au conseil toutes les grandes questions qui se rapportant à la formation du jury, aux tribunaux de commerce, etc., et le projet présenté sera conforme à la manière de voir du cabinet. J'aborde maintenant le fond du débat.
Messieurs, si les circonstances atténuantes doivent être maintenues dans le but indiqué par l'honorable M. Nothomb, j'en veux encore beaucoup moins qu'avant son discours.
Pour l'honorable M. Nothomb, les circonstances atténuantes sont un moyen d'introduire l'opinion publique dans l'administration de la justice. C'est l'opinion publique qui doit en quelque sorte dominer celle du juge ; c'est elle qui doit intervenir, qui doit se faire sentir. C'est au préjugé même de l'opinion publique qu'il faut, selon M. Nothomb, donner satisfaction. Eh bien, je n'en veux à aucun prix. Je vous déclare que je n'admets pas l'opinion publique dans l'administration de la justice. L'opinion publique est de sa nature beaucoup trop mobile, beaucoup trop passionnée pour que jamais elle puisse être admise au sanctuaire de la justice, et influer sur sa décision.
Si vous admettez qu’il y a lieu de tenir compte de l'opinion publique pour l'application des circonstances atténuantes, prenez-y bien garde, on en tiendra compte aussi pour l'appréciation de la culpabilité, on en tiendra compte pour mesurer la peine, et vous aurez la liberté et l'honneur des citoyens livrés aux passions et aux égarements de la multitude.
Et, messieurs, ce que je viens de dire est si vrai que ceux qui condamnent le système des circonstances atténuantes laissées à l'appréciation du jury, sont déterminés par cette raison que trop souvent, sous la pression de l'opinion, l'on doit admettre des circonstances atténuantes qui n'existent à aucun degré et dont la conscience publique ne se rend pas compte.
Je ne puis admettre dans l'administration de la justice autre chose que la vérité, je ne puis pas admettre que l'on proclame des circonstances atténuantes qui n'existent pas. (Interruption.)
J'ai dit, messieurs, que le système actuel portait atteinte au respect dû aux décisions de la justice.
J'ai dit que lorsque le juge, pour corriger la trop grande sévérité de la loi, devait déclarer, dans 99 cas sur 100, qu'il existe des circonstances atténuantes, il devait avoir recours à des mensonges pieux, qui portaient la plus sérieuse atteinte au respect dû à la magistrature. Je maintiens ce que j'ai dit.
L'honorable M. Nothomb m'a répondu que le mensonge pieux, c'était l'humanité, que c'était le progrès, que c'était la conscience publique. Messieurs, je nie cela ; le mensonge est détestable partout, et il est plus détestable encore dans l'administration de la justice qu'ailleurs. Ainsi lorsque nous voyons pour un crime de parricide commis avec la plus grande cruauté, avec la plus longue préméditation, admettre des circonstances atténuantes que le public explique en disant que les circonstances atténuantes consistent sans doute en ce que le coupable n'a pas dévoré une partie de son père ; lorsque nous voyons, dans un cas d'empoisonnement d'un mari par sa femme, admettre des circonstances atténuantes, que l'on dit ne pouvoir consister que dans ce fait, que le poison a été mêlé à de l'eau sucrée ; je n'hésite pas à le dire, pareil système jette la perturbation dans la conscience publique, pervertit le sens moral et porte au respect dû aux arrêts de la justice la plus fatale atteinte.
M. Nothomb. - Vous aurez toujours cela.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Nous ne l'aurons pas quand les peines seront bien proportionnées aux délits, quand les circonstances atténuantes seront appréciées par les cours au lieu de l'être par le jury. (Interruption.)
Je vous ai dit qu'il ne fallait pas recourir aux mensonges pieux. J'ai dit qu'il ne fallait pas placer le jury dans la nécessité d'inventer des circonstances atténuantes pour échapper à la sévérité de la loi.
On me répond : Ce que vous appelez les mensonges pieux, c'est l'humanité, c'est le progrès, c'est la conscience publique. Eh bien, je dis que le mensonge pieux c'est toujours le mensonge, et je répète qu'il ne doit y avoir de circonstances atténuantes déclarées que là où il en existe réellement.
L'honorable M. Nothomb peut-il contester qu'aujourd'hui sur cent prévenus de vols domestiques il y en a 99 qui sont renvoyés devant le tribunal correctionnel, par suite de circonstances atténuantes supposées ? Le juge est donc condamné à trouver des circonstances atténuantes là où il n'en existe pas !
Je dis que c'est là un système faux, mensonger, et qu'il faut rentrer dans la vérité.
Messieurs, l'honorable M. Nothomb a introduit ici le moyen âge. Je ne vois pas ce que le système que je défende emprunte au moyen âge. Je crois au contraire que, si quelqu'un marche vers le moyen âge, c'est l'honorable M. Nothomb. Quel était ce moyen âge, au point de vue de la question qui nous occupe ? L'arbitraire, et rien que l'arbitraire sous le rapport des peines, et l'honorable M. Nothomb en nous accusant d'un retour vers cette époque méconnaît complètement l'histoire.
Au moyen âge, les délits étaient le plus souvent réglés par la coutume et la peine laissée à l'appréciation du juge, et pas un historien ne soutiendra ce qu'il a soutenu que la justice du moyen âge était la justice de textes, de définitions dans lesquelles le juge était circonscrit.
Permettez-moi de vous citer sur ce point quelques lignes écrites par M. Haus, dans ses Observations sur le projet de 1834 :
« L'ancien système pénal était aussi arbitraire que cruel.
« D'abord, les lois définissaient rarement les actions inscrites an catalogue des crimes ; la définition en était abandonnée aux juges qui pouvaient en étendre ou en restreindre la portée selon qu'ils le trouvaient convenable. Plusieurs infractions, même les plus graves, sur lesquelles les lois avaient gardé le silence, n'étaient qualifiées crimes que par la jurisprudence des parlements qui avaient ainsi le droit de créer des crimes. Souvent la loi, tout en qualifiant le délit, en laissait la punition à l'arbitrage illimité du juge. Dans le plus grand nombre de cas, la loi ne déterminait que le genre de la pénalité, de manière que le choix de l'espèce et la fixation du quantum de la peine dépendaient entièrement du pouvoir discrétionnaire des tribunaux qui pouvaient prononcer le supplice de l'écartèlement aussi bien que celui de la décollation, le bannissement perpétuel aussi bien que la détention temporaire dans une maison de force. »
Le système des circonstances atténuantes tel que l'honorable M. Nothomb veut le voir organiser, c'est le moyen âge perfectionné ; c'est le droit laissé au juge, non seulement de réduire la peine au-dessous du minimum prononcé par la loi, mais encore de qualifier le fait autrement que ne le fait la loi, et de changer la juridiction que celle-ci établit.
C'est une conquête de notre époque, que nulle peine ne peut être appliqués qu'en vertu de la loi et que nul fait ne peut être qualifié délit si la loi ne l'a déclaré tel. Au moyen d'un système de circonstances atténuantes trop étendu, le juge modifie la qualification du délit, et dans la réalité la peine devient arbitraire.
Est-il bien vrai, comme l'a dit l'honorable membre ,que, dans tous les pays, la conscience humaine ait fait une énorme différence, sous le rapport de la criminalité, entre le vol domestique et le vol simple ? Si je consulte le droit romain, cette différence, je ne l'y trouve pas ; dans le droit romain, au contraire, le vol domestique en général n'était pas puni ; cela tenait un peu, je l'avoue, à la constitution de la famille romaine.
Je viens à des temps plus modernes. Je prends l'Allemagne ; le code pénal publié par Charles-Quint en 1552 pour l'empire germanique ne punit pas le vol domestique plus fortement que les autres vols.
Quant à la législation de notre époque, l'honorable M. Nothomb a cité le Hanovre, la Saxe, Bade, etc., il s'est trompé sur la plupart de points.
Dans le Hanovre, le vol domestique est effectivement un vol qualifié, mais la peine de ce vol, comme celle des vols simples, est déterminée par la valeur des objets votés seulement cette peine est légèrement augmentée.
En Autriche, d'après le Code de 1803 le maximum de la peine est moins élevé que celui que nous proposons.
En Prusse, la peine est fixée comme elle le sera ici si on admet l'amendement de l'honorable M. Moncheur.
Le maximum de la peine est 5 ans, le minimum est 3 mois, pour les vols ordinaires le minimum est plus bas.
Dans le pays de Bade que l'on a cité, les vols domestiques ne sont pas punis d'une peine supérieure à celle comminée pour les autres vols.
L'état de domesticité est pour le juge un motif d'aggraver la peine entre le minimum et le maximum, mais les vols domestiques ne peuvent être poursuivis que sur la plainte du maître.
Je ne veux pas augmenter les citations, mais le système préconisé par l'honorable M. Nothomb est loin d'être aussi universel qu'il le prétend.
Je veux bien admettre qu'il y a outre les vols domestiques et d'autres vols une certaine différence qui doit influer sur l'application de la peine. Sous ce rapport je ne repousse pas l'amendement de l'honorable M. Moncheur.
Mais je dis que le vol domestique, si l'on veut maintenir des distinctions, des classifications sérieuses, ne doit pas être placé dans la catégorie des vols qualifiés, et j'en ai donné les raisons. Les différents vols que (page 867) l'honorable M. Nothomb a cités, les vols avec effraction eit avec fausses clefs sont beaucoup plus graves. La préméditation est toujours un des caractères de ces vols.
Je ne puis admettre que le domestique qui oublie un instant ses devoirs soit aussi coupable que l'homme qui va faire faire de fausses clefs ou que l'homme, qui dans la perspective d'une résistance qu'il peut éprouver dans la perpétration de son crime, se munit d'armes.
Je dis qu'il y a là une énorme différence dont il faut tenir compte et dont les législateurs de 1810 ont tenu compte. Ils ont placé ces vols dans une catégorie supérieure à celle des vols domestiques. Ils les ont punis d'une peine plus élevée, de la peine des travaux forcés ; et si aujourd'hui vous admettiez l'amendement de l'honorable M. Nothomb, vous devriez bouleverser tout ce que vous avez fait.
Si vous prononciez aujourd'hui la réclusion contre les vols domestiques, vous devriez maintenir le rapport établi par le Code actuel, c'est-à-dire faire monter d'un degré les autres vols qui ne sont punis que de la réclusion et les punir des travaux forcés à temps.
Il y a d'autres vols qui peuvent être placés sur la même ligne que les vols domestiques. Ainsi les vols dans les cas d'incendie, d'inondation. Dans ces circonstances la confiance est forcée. C'est aussi une abomination que de voler un homme qui déjà voit dévorer sa fortune par les éléments.
Ainsi encore le vol des hôteliers à l'égard des personnes qu'ils hébergent et le vol de celui qui reçoit l'hospitalité doivent être placés sur la même ligne.
Vous devriez donc changer tout ce que vous avez fait, punir tous ces faits de la même peine, car l'on ne peut admettre des peines différentes pour des faits de même nature.
Je maintiens donc, messieurs, les propositions qui vous sont faites par le gouvernement et je les maintiens avec d'autant plus de raison que j'ai l'intime conviction que c'est le seul moyen d'arriver à une répression sérieuse; et si j'avais eu des doutes à cet égard, ces doutes seraient disparus par suite d'un fait que je vais vous citer et qui s'est présenté en Bavière.
En Bavière, en 1813, on a fait un Code pénal. On a placé les vols domestiques parmi les vols qualifiés et on les a punis, selon la valeur des objets soustraits, d'une peine d'un à trois ans de prison.
On a trouvé cette peine trop sévère, et il n'y a plus eu pour ainsi dire de vol domestique réprimé.
Les maîtres n'ont plus dénoncé et la répression est devenue si insuffisante que dès 1816 une nouvelle loi a dû être proposée en Bavière à l'effet de diminuer sensiblement la peine prononcée contre ces délits.
Voilà un exemple qui, ajouté aux faits constatés dans notre propre pays, est de nature à faire rejeter l'amendement proposé.
Quant à la proposition de l'honorable M. Tack, messieurs, je ne puis pas l'admettre : évidemment, il n'y a pas dans notre Code un article où nous fassions dépendre la peine du préjudice causé.
C'est l'immoralité de l'acte qui doit déterminer la peine, l'honorable M. de Naeyer l'a établi déjà dans une précédente séance.
Du reste, ce système donnerait lieu, dans l'application, aux plus sérieuses difficultés. Si un individu a volé en deux, trois ou quatre fois, une somme supérieure à celle que vous déterminez, mais que chaque vol, isolément, soit inférieur, quelle peine appliquera-t-on ? En cas de recel, si l'on n'a recelé qu'une partie des objets ; nouvelle complication.
L'honorable M. Tack m'a fait une objection quant aux traités d'extradition; j'y ai déjà répondu : tous nos traités, sauf, je crois, ceux avec la France et les Pays-Bas, comprennent le vol simple au nombre des faits qui donnent lieu à l'extradition. Au surplus il est à remarquer que les dispositions d'un Code pénal ne doivent pas être conçues en vue de traités d'extradition, mais ceux-ci en vue des dispositions pénales existantes ; car s'il en était autrement, nous ne pourrions modifier aucune disposition de la loi.
M. Tack. - J'ai demandé la parole quand j'ai entendu M. le ministre de la justice nous dire qu'il n'existait dans le Code nouveau aucune disposition qui détermine le genre de peine d'après le préjudice causé.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Pardon, il y en a une.
M. Tack. - En effet, et elle est très formelle.
Or, cette disposition prévoit un cas identique à celui qu'il s'agit de punir ici. Il n'y a de différence sous aucun rapport, notamment sous le rapport du principe même que les peines doivent être mesurées, non seulement d'après la culpabilité de l'agent, mais aussi d'après le préjudice occasionné.
La Chambre me permettra de donner lecture de cet article ; c'est l'article 255 inscrit au projet du Code sous le titre des détournements et des concussions commises par les fonctionnaires publics', il est ainsi conçu :
« Tout fonctionnaire ou officier public, toute personne chargée d'un service public, qui aura détourné des deniers publics ou privés, ou effets en tenant lieu, ou des pièces, titres, notes, effets mobiliers, qui étaient entre ses mains, soit en vertu, soit à raison de ses fonctions, sera puni de la réclusion, si les choses détournées sont d'une valeur de cinq mille francs ou au-dessus. »
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Nous savons cela.
M. Tack. - Cependant, vous supposiez tantôt qu'il n'existait aucun article dans le nouveau Code qui fixe le genre de peine d'après le tort causé; or, j'en cite un qui prévoit un cas identique à celui de mon amendement.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est là ce que je nie.
M. Tack. - Je continue ma citation. Voici le second paragraphe de l'article 255 :
« Si les valeurs détournées sont au-dessous de cinq mille francs, la peine sera un emprisonnement de six mois à cinq ans et l'interdiction, conformément à l'article 44. »
Ainsi, messieurs, au point de vue du principe, d'abord, le genre de peine peut être déterminé d'après le préjudice occasionné. Le cas est identique ; l'analogie est parfaite.
M. Pirmez. - C'est le plus mauvais article du Code.
M. Tack. - Mais il a été proposé par la commission chargée d'élaborer le projet de Code ; il a été défendu par M. le ministre de la justice et enfin voté par la Chambre.
Voici comment M. le ministre de la justice s'est exprimé à ce sujet :
« Je suis d'accord avec l'honorable M. Coomans (M. Coomans avait soulevé une objection au sujet du principe auquel M. Ie ministre de la justice vient de faire allusion), je suis d'accord avec l'honorable M. Coomans, que l'élément dont le législateur doit principalement tenir compte quand il établit une peine, c'est l'immoralité du fait qu'il s'agit de punir. Sur ce point, il ne peut y avoir de discussion, et je puis dire que le projet qui vous est soumis ne s'écarte de ce principe dans aucune de ses dispositions ; mais il est des cas où il faut tenir compte d'autres éléments encore.
« La loi pénale n'a pas seulement un caractère répressif, elle a aussi un caractère préventif. Quand il s'agit de faits qui prennent leur source dans un sentiment de cupidité, il faut, par l'élévation de la peine, faire on sorte que la crainte du châtiment l'emporte sur le désir de s'approprier le bien d'autrui.
« II s'agit ici de fonctionnaires, de dépositaires qui ont souvent en leur possession des sommes très fortes ; si l'on punissait le détournement, quel que soit le chiffre, d'une simple peine correctionnelle, n'y aurait-il pas à craindre qu'il se trouve des individus qui, pour s'approprier cent mille francs, par exemple, courent la chance d'une peine correctionnelle ? »
Eh bien, qu'il s'agisse par exemple du commis d'une maison de commerce, de l'employé d'une maison de banque, qui s'empare du portefeuille de son patron ; nous disons qu'il importe au plus haut point qu'il y ait une action très sérieuse contre des faits de ce genre.
Nous en avons eu des exemples, messieurs ; tout le monde se souvient du fait qui s'est passé au détriment de la compagnie du Nord, il n'y a pas longtemps ; nous voulons fournir au juge le moyen de prononcer la réclusion dans les cas de cette espèce, quand il s'agit de grands criminels, de grands coupables.
L'amendement que j'ai proposé ne peut encourir le reproche que M. le ministre de la justice a fait au système préconisé par l'honorable M. Nothomb. Et en effet, comme je l'ai démontré dans une précédente séance, tous les petits vols domestiques dont on a tant parlé seraient punis de l'emprisonnement, et les grands vols n'échapperaient pas à la peine de la réclusion.
M. de Naeyer. - Je ne répondrai pas aux observations que M. le ministre de la justice a présentées en ce qui concerne les abus du moyen-âge; je crois que personne ne veut le système des peines arbitraires, en ce sens que le juge serait autorisé à prononcer des peines contre des faits qui ne seraient pas prévus par une loi pénale.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Aussi n'est-ce pas ce que j'ai dit.
M. de Naeyer. - Mais je crois que tout le monde admet des peines arbitraires en ce sens que pour presque tous les crimes et délits il faut un minimum et un maximum dont il appartient au juge de faire l'application suivant les circonstances.
En définitive, toute la question se réduit à ceci : il s'agit de savoir jusqu'où ira le maximum de la peine contre le vol domestique; tout le (page 868) reste n'est qu'une question de procédure, comme il me sera facile de le prouver. Dans les arguments qu'on fait valoir contre l'amendement de l'honorable M. Nothomb, on confond deux choses, ce que les Allemands appellent la moralité objective et la moralité subjective ; c'est-à-dire que l'on confond le caractère pénal de l'acte considéré en lui-même et l'imputabilité de cet acte, la culpabilité du délinquant qui varient pour ainsi dire à l'infini. Il y a dans le vol domestique violation d'un double devoir ; donc il y a immoralité plus grande que dans le vol ordinaire, et par conséquent, il y a justice absolue à infliger une peine plus forte.
C'est là un fait que la conscience révèle et que toutes les subtilités du monde ne parviendront pas à détruire. Aussi on n'a pas abordé ce côté de la question.
Il y a un autre fait également incontestable, c'est que ce vol est plus dangereux que le vol ordinaire ; il menace plus sérieusement et plus directement la société dans un de ses éléments les plus précieux, les plus importants, dans la vie de famille.
Sur ce point encore je défie toute objection sérieuse.
Ainsi sous ce double rapport, un exercice plus rigoureux du droit de punir est parfaitement justifié. On n'a pas élevé l'ombre d'une objection contre cette thèse.
On se borne à dire que le vol domestique n'est pas prémédité, que le coupable ne fait que céder à la tentation. D'abord, je dirai que c'est le cas de tous les coupables ; tous cèdent à la tentation. S'ils résistaient à la tentation, il n'y aurait plus ni crimes ni délits.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Vous auriez encore la violence.
M. de Naeyer. - C'est pour répondre une fois pour toutes à ces objections ; la violence elle-même est une tentation, une impulsion criminelle comme disent les criminalistes, à laquelle il faut résister.
Quant à ces tentations irrésistibles auxquelles le domestique ne pourrait résister que difficilement...
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je n'ai pas dit cela.
M. de Naeyer. - Si vous n'avez pas dit cela aujourd'hui, vous l'avez dit un autre jour.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Pas du tout.
M. de Naeyer. - Si vous prétendez ne pas l'avoir dit, je laisserai cet argument de côté, je n'aurai pas à y répondre, cela simplifiera la discussion.
Vous avez donc dit que le vol domestique n'est pas prémédité ; c'est le grand argument que vous faites valoir.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Pour le distinguer des vols avec effraction et armes cachées.
M. de Naeyer. - Evidemment pour le distinguer des vols prémédités, cela va de soi. Mais toutes ces circonstances sont relatives à l'imputabilité de l'acte, à la culpabilité spéciale du délinquant ; elles ne sont pas essentiellement inhérentes à l'acte considéré en lui-même et par conséquent elles n'en changent pas le caractère objectif, elles peuvent exister, elles peuvent aussi ne pas exister.
Ainsi le vol domestique peut être prémédité, il peut être le résultat d'une résolution réfléchie et longuement mûrie, il peut même prendre le caractère d'un délit ou crime successif, en ce sens que la perpétration continuera pendant plusieurs jours et même pendant des semaines et des mois.
Il peut être accompagné de combinaisons, de précautions qui révèlent une profonde immoralité, une perversité bien caractérisée, il peut être exécuté dans un but infâme ; soit pour nourrir les plus honteuses passions, soit pour exercer la séduction sur l'innocence ; tout cela peut exister.
Qu'en résulte-t-il ? C'est que l'acte qui, considéré en lui-même, est plus immoral et plus dangereux qu'un vol ordinaire, n'exclut aucunement, quant à l'imputabilité, les circonstances qui constituent une culpabilité véritablement criminelle ; or voilà les considérations qui doivent réellement dominer quand il s'agit de déterminer le maximum de la peine, tandis que nos adversaires s'attachent aux circonstances atténuantes, que nous sommes loin de nier, mais que nous faisons entrer en ligne de compte pour fixer le minimum de la peine et pour réduire l'acte dont il s'agit, dans plusieurs cas, aux proportions d'un simple délit, et en cela nous croyons être plus logique qu'eux. Après tout d'où vient la difficulté que nous sommes appelés à résoudre ? D'une question de procédure, d'une question d'organisation judiciaire. Elle vient de ce que notre organisation judiciaire en matière répressive repose sur la division des infractions à la loi pénale en crimes et en délits.
Si le même juge devait statuer sur les crimes et les délits, il n'y aurait probablement pas d'opposition à ce que le maximum de la peine fût élevé jusqu'à la réclusion ; mais d'après notre organisation judiciaire, il y a cette différence considérable que, lorsque la peine est criminelle quant au maximum, le prévenu doit être renvoyé devant la cour d'assises.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je dis que les maîtres ne dénoncent plus les vols domestiques, quand la peine est trop forte.
M. de Naeyer. - C'est la même chose ; car si la peine peut être réduite à un simple emprisonnement, les maîtres auront confiance dans la magistrature, ils seront convaincus que la peine ne sera pas plus sévère que le fait ne l'exige.
Il y a donc cette différence que quand le maximum est une peine criminelle, il y a lieu de renvoyer devant la cour d'assises. Or, cette comparution devant une cour d'assises est une chose très grave, parce que, même en cas d'acquittement, l'innocence perd presque toujours un peu de son prestige.
Il s'agirait de remédier à cela lorsque le vol domestique ne présente pas réellement le caractère d'un crime, ce qui, je le reconnais, arrive assez souvent ; maintenant serait-il exorbitant que les chambres de mises en accusation puissent pour certains faits spéciaux comme ceux-ci renvoyer, suivant la gravité des circonstances, devant la cour d'assises ou devant le tribunal correctionnel ?
Mais après tout, ce ne serait qu'une application du système du maximum et du minimum des peines, système reconnu nécessaire et indispensable pour une bonne administration de la justice.
Il est très difficile et même impossible pour le législateur d'opter toujours en pleine connaissance de cause entre ces deux juridictions : les cours d'assises et les tribunaux correctionnels, c'est très difficile pour certains faits qui peuvent, dans certains cas, être des crimes ; dans d'autres cas, des délits, parce que les circonstances d'où résulte cette différence si importante quant aux poursuites, sont tellement multiples, tellement variables qu'elles résistent à une formule législative, c'est-à-dire à une disposition ayant un véritable caractère de généralité, l'appréciation doit donc être abandonnée à la magistrature qui examine chaque cas particulier avec toutes les circonstances qui peuvent en déterminer le véritable caractère.
En agissant ainsi, nous ne changerons rien à la situation actuelle, créés par nos dernières lois. La menace de comparaître devant la cour d'assises pour les cas graves serait maintenue, et certes ces cas graves peuvent exister, sont très possibles. Le vol domestique, je crois l'avoir démontré, peut être commis avec les caractères d'un véritable crime ; et alors il est juste que le coupable soit renvoyé devant la cour d'assises ; et avec le système que nous proposons de maintenir, ce renvoi n'aura pas lieu lorsque les circonstances constitutives d'un crime proprement dit n'existeront pas ; tandis que, suivant la proposition du gouvernement, on supprime la menace qui existe aujourd'hui et produit de bons résultats sans avoir donné lieu à une plainte quelconque ; or il serait dangereux de courir en quelque sorte les hasards d'une pareille innovation, car il ne faut pas perdre de vue que la peine n'agit pas seulement alors qu'elle est infligée au coupable, mais qu'elle produit aussi des effets préventifs très salutaires comme menace insérée dans la loi.
Je crois donc que nous ferons bien de maintenir la situation actuelle qui satisfait à toutes les exigences. J'ai tâché de formuler un amendement destiné à atteindre ce but.
Voici cet amendement, que je demanderai la permission de soumettre à l'assemblée.
Je propose le sous-amendement suivant à l'amendement de M. Nothomb :
« 1° Supprimer le n°1bis de l'amendement.
« 2° Ajouter la disposition suivante :
« Néanmoins en cas de circonstances atténuantes, soit à raison du préjudice causé, soit à raison de la moralité du délinquant, ces vols pourront être jugés dans les mêmes formes et punis des mêmes peines que les délits mentionnés à l'article 544. »
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - On ne peut pas mettre cela dans le Code pénal.
M. de Naeyer. - Il faut le mettre quelque part.
Il paraît que, suivant la commission nommée par le gouvernement, ces dispositions ne peuvent pas trouver place ni dans la loi d'organisation ni dans le Code d'instruction criminelle.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Voulez-vous me permettre de donner une explication ?
M. de Naeyer. - Certainement.
(page 869) M. le ministre de la justice (M. Tesch). - La commission, en examinant la loi d'organisation judiciaire, s'est occupée de la question du savoir si dans les affaires criminelles la déclaration de l'existence des circonstances atténuantes devait être laissée à la cour ou au jury.
Elle ne s'est pas occupée de la question que vous soulevez, et quant à la question de savoir si c'est la cour ou le jury qui doit déclarer l'existence des circonstances atténuantes, elle a dit que cette matière se rapportait plus au Code pénal, qu'à la loi d'organisation judiciaire. Mais je crois que la vérité est que cette disposition dont s'est occupée la commission de l'organisation judiciaire, doit se trouver dans le Code d'instruction criminelle. C'est l'opinion que j'ai émise en 1851.
M. de Naeyer. - Ceci est donc une question de méthode et de système ; or ce qu'il y a de plus fâcheux dans une législation pénale, c'est d'attacher trop d'importance aux systèmes et aux méthodes. Dans cette législation surtout, il ne faut pas vouloir atteindre une perfection en quelque sorte artistique. L'essentiel est que la disposition, si elle est bonne, se trouve dans notre législation ; et, après tout, notre Code d'instruction criminelle et notre Code pénal ne forment qu'une seule législation ; de manière que l'objection que cela doit se trouver dans tel Code plutôt que dans tel autre, est une fin de non-recevoir sans grande valeur.
L'essentiel est que les faits immoraux et en même temps nuisibles à la société, soient punis et punis dans une juste mesure. Eh bien, que vous atteigniez ce but par une disposition insérée dans le Code pénal ou par une disposition insérée dans le Code d'instruction criminelle, c'est la même chose au point de vue de l'intérêt du pays, au point de vue de la bonne administration de la justice, L'esprit de système, l'esprit de méthode pourra en souffrir quelque chose. Mais ceci est plutôt une affaire de l'école qu'une affaire de législation.
M. Pirmez, rapporteur. - Je regrette que l'honorable membre attende jusqu'à la clôture même de la discussion pour présenter un amendement que sans doute il eût été bien utile d'examiner mûrement avant de le soumettre au vote de la Chambre.
J'ai entendu la lecture de cet amendement, je me suis demandé pourquoi la disposition proposée s'appliquerait plutôt au vol domestique qu'à toute autre infraction punie par le Code.
Si l'on veut procéder comme le fait l'honorable M. de Naeyer, prendre, pour chaque infraction, un fait sur lequel on accumulera toutes les circonstances aggravantes imaginables, on arrivera toujours à trouver que la peine comminée est trop peu sévère.
Je conçois que si l'on va jusqu'à supposer un vol domestique, commis sur des sommes extrêmement considérables, avec toutes les circonstances aggravantes et n'ayant d'autre but que de vouloir (chose assez incompréhensible) corrompre l'innocence, on arrive à admettre qu'il faut prononcer une peine supérieure au maximum fixé par le projet.
Mais faut-il procéder ainsi ?
La jurisprudence établit d'une manière évidente que les quatre-vingt-dix-neuf centièmes des faits méritent une peine correctionnelle. Nous prenons, pour porter la peine, cette immense majorité des faits et nous établissons la peine qu'ils méritent.
L'honorable M. de Naeyer prend pour mesure de la répression de l'infraction, le centième restant et c'est sur ce centième qu'il base sa disposition principale.
Mais il doit bien reconnaître que cette disposition principale ainsi créée pour des faits exceptionnels est impossible, il ajoute à son article une correction qui permet de correctionnaliser l'infraction, et de réduire ce qu'il proclame la règle à une exception.
L'honorable membre oublie de dire par quelle procédure il va faire appliquer sa disposition additionnelle.
La réclusion est comminée dans son système contre le vol domestique. Mais il y a faculté de correctionnaliser. Mais qui décidera s'il faut renvoyer l'inculpé devant la cour d'assises ou devant le tribunal correctionnel ? Sera-ce le procureur du roi ? Faudra-t-il, pour traduire devant le tribunal correctionnel, un arrêt de la chambre des mises en accusation ? L'amendement ne nous l'apprend pas.
Pourquoi n'introduisez-vous pas la même disposition en matière de vol avec effraction ? N'y a-t-il pas aussi des vols avec effraction pour lesquels, sil a correctionnalisation antérieure aux débats oraux est maintenue, on pourrait aussi la réclamer ?
Vous voyez que la disposition que vous proposez, si elle est si avantageuse, devrait s'appliquer à toute espèce de vols, et même à toute espèce de délit ; vous la restreignez à une infraction spéciale et il est impossible de dire pourquoi.
Messieurs, tous ces expédients auxquels on a recours en ce moment prouvent évidemment les vices de la disposition proposée.
Si le vol domestique mérite la peine de la réclusion, il faut la prononcer ici de la même manière que nous prononçons la réclusion pour tous les vols qualifiés. Il n'y a pas de raison de différence.
Que redoutons-nous de la sévérité de la peine proposée ? Mais précisément l'absence de répression, parce qu'on ne dénoncera plus les faits, on ne les poursuivra plus si la peine est trop élevée.
M. de Naeyer se figure que parce qu'il y aura un minimum peu élevé, on dénoncera sans se préoccuper du maximum possible. Comment cependant se ferait-il que la réclusion aurait sur les coupables un effet d'intimidation sans toucher ceux dont la révélation aurait pour conséquence d’exposer, pour un vol d'un objet souvent de minime importance, un domestique à une peine aussi rigoureuse.
M. de Naeyer. - On a confiance dans la magistrature.
M. Pirmez, rapporteur. - Certainement, on a confiance dans la magistrature. Mais si nous voulons avoir en la magistrature une confiance illimitée, disons-lui : Punissez comme bon vous semble, et supprimez le Code pénal.
Un autre argument est celui-ci : la législation actuelle est maintenant ce que nous proposons d'admettre, maintenons cette législation.
Mais pourquoi avons-nous le système de correctionnalisation ?
Parce que nous sommes dans une époque de transition.
Notre législation pénale prononce des peines exagérées pour quantité de faits. A ce vice il a fallu apporter un remède, ce remède est celui des circonstances atténuantes qui est appliqué, comme la Chambre le sait, dans les quatre-vingt-dix-neuf centièmes des cas quant au vol domestique. Et c'est parce qu'il y a ainsi un mal et qu'à côté du mal il y a un remède, qu'il faut conserver et le mal et le remède ! Pour moi je préfère guérir le mal tout d'un coup et alors me passer de son remède.
L'honorable M. Tack a proposé un amendement dont il trouve la justification ou plutôt l'excuse dans un article qui effectivement a été voté.
Je regrette, messieurs, de voir cet article dans le Code. Avant que notre attention fût appelée par l'honorable membre sur cet article, j'avais déjà indiqué plusieurs fois à M. le ministre de la justice la nécessité de faire disparaître cette disposition que je considère comme une anomalie, et qui déroge à tous les principes qui ont été adoptés dans le Code.
On a admis une aggravation de peine pour les détournements de fonds commis par les fonctionnaires publics, lorsque la somme détournée dépasserait la somme de cinq mille francs.
La raison qui a engagé à accueillir cette disposition, c'est que le détournement commis par le fonctionnaire se constate ordinairement par un résultat négatif, par la constatation de ce qui manque à la caisse ; en sorte que les inconvénients de la disposition ne se montrent pas autant qu'en matière de vol.
Mais je poserai une question à l'honorable M. Tack, et je serais bien curieux de voir comment il va la résoudre.
D'après sa proposition, il y aura lieu à la peine de la réclusion, lorsque la valeur de l'objet détourné excédera 1,000 fr.
S'il y a deux vols successifs de 800 fr. quelle peine M. Tack voudra-t-il appliquer ?
M. Tack. - Je répondrai.
M. Pirmez, rapporteur. - Je vous pose le cas le plus simple, le plus facile à prévoir et vous ne pouvez pas me répondre.
Du reste peu importe la réponse que vous donnerez, votre solution sera toujours en rébellion contre le droit et contre la raison.
Si vous décidez que les deux vols de 800 francs entraînent la réclusion, vous arrivez à ce résultat que le premier vol est un fait correctionnel, le second vol encore un fait correctionnel, mais que le concours des deux faits entraîne une peine criminelle.
D'un autre côté si un individu qui n'est pas serviteur à gages commet deux vols successifs dont chacun est puni de la même peine que chacun des vols domestiques, une peine criminelle ne sera pas encourue ?
Pourquoi voulez-vous appliquer une règle différente à ces deux cas ? Même peine pour chaque fait isolé ; deux faits réunis punis tout différemment ?
Voulez-vous maintenant la conclusion opposée ? Et je dois dire que c'est la seule qui soit juridique, car quand un fait est consommé, la peine de ce fait est fixée et elle ne peut se modifier par d'autres faits (page 870) postérieurs, vous arrivez à ce résultat non moins singulier, que si un individu vole 1,100 fr. en une fois il sera puni plus sévèrement que s'il vote 1,600 fr. en deux fois.
Il est évident, messieurs, que la valeur de l'objet soustrait n'est qu'un élément très secondaire de l'infraction ; ce qu'il faut examiner avant tout, c'est la criminalité, et si l'on tient compte du préjudice il faut envisager surtout le dommage causé à la personne ; or le vol d'une somme de mille francs ne cause certainement pas toujours un dommage de même gravité. La fortune de la victime est ici un puissant élément d'appréciation.
Là ne se borne pas l'amendement de MM. Savart et Tack. Il augmente la peine actuelle d'une manière excessive pour l'abus de confiance commis par les domestiques ; aujourd'hui cette peine n'est que de deux années d'emprisonnement, et l'on propose la réclusion. Ce qui est fort étonnant, c'est que l'honorable M. Savart, qui a si souvent reproché à la commission d'être trop sévère, s'associe à cette proposition. On veut punir de la réclusion le domestique qui s'est approprié une somme qui lui a été remise, une somme dont il ne s'est pas emparé ; et un autre individu qui se trouve identiquement dans le même cas ne sera puni que d'une peine correctionnelle.
Qu'on admette le système de M. Nothomb pour le vol, je le conçois encore ; mais que l'on fasse une différence entre deux individus à qui l'on témoigne la même confiance et qui commettent le même fait, c'est ce que je ne puis comprendre.
- Un membre. - Et les fonctionnaires ?
M. Pirmez, rapporteur. - Mon Dieu ! ne confondons pas le fonctionnaire investi d'une portion de l'autorité publique, avec le domestique, qui est soumis même à une autorité privée.
M. Nothomb. - Je ne veux pas prolonger ce débat, je me bornerai donc, messieurs, à déclarer que j'accepte le sous-amendement de l'honorable M. de Naeyer, parce qu'il rentre dans le principe que j'ai défend, bien qu'il n'y rentre que d'une manière incomplète, partielle, alors que j'ai eu pour but de le faire consacrer par mon amendement d'une manière générale et absolue.
Je ne crois d'ailleurs pas que ce soit le moment de s'occuper du système même que je n'ai fait qu'indiquer, qu'effleurer dans la séance d'avant-hier, ainsi que l'honorable ministre de la justice vient encore de le faire.
Je tiens que le véritable lieu de le discuter c'est au livre premier, auquel on arrivera probablement après les vacances de Pâques, dans le chapitre IX qui traite précisément des circonstances atténuantes.
Le principe en est déposé à l'article 90, en ce qui concerne les crimes et à l'article 98, en ce qui concerne les peines correctionnelles. Le système de la correctionnalisation, c'est-à-dire celui qui permet en certains cas de ne pas soumettre une affaire à la cour d'assises, mais de la renvoyer en police correctionnelle, ce système trouvera là naturellement sa place ; il fait partie de cet ensemble de la législation relative aux circonstances atténuantes. Je pense donc que la discussion sera beaucoup plus opportune et plus complète lorsque nous en serons au second vote du chapitre IX du livre premier. Je me persuade au reste que ce système trouvera ici un grand nombre d'adhérents, car il doit satisfaire à la fois ceux qui ne veulent contre le vol domestique que des peines correctionnelles et ceux qui veulent le frapper de peines criminelles, tout en admettant que dans bien des cas il peut obtenir quelque indulgence.
Messieurs, dans la séance d'avant-hier sur laquelle M. le ministre de la justice est revenu tantôt, en s'adressant particulièrement à moi, je m'étais borné à constater qu'en déposant le projet de loi d'organisation judiciaire je n'avais pas aliéné ma liberté d'action, et qu'il n'y avait pas lieu de vouloir me mettre en contradiction avec moi-même.
J'ai suivi les précédents, car, si je ne me trompe, l'on a agi de même pour le projet de loi sur les hypothèques, pour celui concernant les faillites, etc.
Je crois que le ministre s'est borné à soumettre aux Chambres le projet élaboré par la commission, et il me semble difficile qu'aucun ministre en agisse autrement, j'en ai dit les raisons ; je n'y reviendrai plus. Que si maintenant l'honorable ministre revendiquait le projet actuel comme son œuvre, comme il a eu l'air de le faire tout à l'heure, s'il le fait sien, alors je dois lui dire : Recevez, M. le ministre, mes compliments de condoléance, car votre projet est mort, bien mort. Il est mort sous les coups redoublés que lui a portés cette terrible commission et principalement l'honorable M. Pirmez.
Le projet de la commission ne ressemble pas au projet du gouvernement. Si donc ce dernier est le vôtre, permettez-moi de vous dire, M. le ministre, que vous avez pratiqué largement le système du sacrifice et de l'abnégation.
La commission a tellement mutilé votre projet que, gémissant devant son œuvre, vous pourrez vous écrier avec le pauvre Théramène :
« ... ce projet expiré
« N'a laissé dans mes bras qu'un corps défiguré. »
Au surplus, M. le ministre, consolons-nous ensemble : nos deux projets sont morts. Le mien, celui sur l'organisation judiciaire, est mort, je le reconnais, de mort subite et quelque peu violente ; mais le vôtre est mort d'avoir eu trop et de trop habiles médecins.
L'honorable ministre me fait le reproche de vouloir revenir au moyen âge et d'aboutir à une justice barbare. Mon système, d'après lui, mène là tout droit, car à cette époque il n'y avait qu'arbitraire, mensonge, pratiques de toute espèce.
J'ai toujours cru et je crois encore que la justice du moyen âge, c'était surtout le respect fanatique des textes.
Voyez encore aujourd'hui la législation anglaise. Il y a telle loi anglaise datant cette de époque qu'on n'ose même plus appliquer, on doit recourir aux mensonges les plus pieux pour ne pas commettre |'énormités judiciaires révoltantes.
Eh bien, si vous faites votre Code pénal sans le système des circonstances atténuantes, vous aurez avec le temps une justice pareille, en bien des cas, à la justice anglaise, vestige arriéré de l'époque féodale.
Messieurs, si nous n'avions pour nous l'expérience de vingt-cinq ans. on pourrait croire que notre système a produit des résultats effrayants. Ces résultats, vous les connaissez ; l'honorable M. de Naeyer vient d'en parler ; ces résultats sont des plus heureux.
L'épreuve en est faite. Ce que je demande n'est donc rien d'aventuré ; ce n'est certainement pas la barbarie, comme on nous le dit, qui est sortie de ce grand changement réalisé par les lois de 1838 et 1849, c'est un progrès, parce que, je le répète, elles ont introduit l'humanité dans l'application de la loi pénale, et quoi que vous puissiez dire, c'est un immense bienfait.
Sous le Code pénal que nous faisons, vous avez la même situation que sous le Code pénal de 1810. Vous n'aurez pas si minutieusement, si mathématiquement pu définir tous les faits, trouver toutes les incriminations si variables que vous n'aurez pas souvent des cas où il sera extrêmement difficile, pénible, cruel même de renvoyer des accusés devant la cour d'assises.
Si vous le faites, vous tombez dans cet écueil qui a été tant de fois signalé : ou cruauté dans la peine ou impunité devant le jury.
M. le ministre de la justice a contesté la portée que j'ai attribuée aux législations allemandes. Ce que j'en ai dit, je l'ai puisé dans des ouvrages que M. le ministre de la justice, a consultés comme moi ; je l'ai puisé dans l'ouvrage de M. NypeIs, sur Chauveau et Hélie ; il résulte des observations qui s'y trouvent que dans les dix ou douze pays cités par moi, il existe une démarcation considérable entre le vol domestique et le vol simple.
En résumé, je le redis avec une profonde conviction, le système des circonstances atténuantes, c'est-à-dire la faculté accordée aux cours d'appel de ne pas toujours, dans tous les cas, forcement, immuablement, toujours et quand même, soumettre au jury certains faits qualifiés crimes ; ce système s'inspire de l'humanité. Et quoi qu'on puisse contester à cet égard, je soutiens et soutiendrai qu'il n'y a de bonne justice pénale que celle où domine l'esprit d'humanité.
M. de Naeyer. - Messieurs, d'après les explications données par l'honorable M. Nothomb, je crois pouvoir renoncer à la seconde partie de mon amendement, car il me paraît évident qu'il est dans les intentions de tous ceux qui sont d'avis que le maximum de la peine contre le vol domestique doit être élevé jusqu'à la réclusion, qu'il y a lieu de décréter ultérieurement des dispositions pour maintenir le pouvoir, accordé aujourd'hui aux chambres de mises en accusation, de correctionnaliser les faits dont il s'agit suivant les circonstances.
Je demande que le vote sur l'amendement de l'honorable M. Nothomb ait lieu par division.
- La discussion est close.
M. le président. - M. Nothomb a proposé l'amendement suivant à l'article 546 :
« Le vol sera puni de la réclusion :
« 1° Si le voleur est un domestique ou un homme de service à gages, même lorsqu'il aura commis le vol envers des personnes qu'il ne servait pas, mais qui se trouvaient, soit dans la maison de son maître, soit dans celle où il l'accompagnait ; ou si c'est un ouvrier, compagnon ou apprenti, dans la maison, l'atelier ou le magasin de son maître, ou un individu travaillant habituellement dans l'habitation où il aura voté ;
(page 871) « 1° bis. Si le vol a été commis par un aubergiste, un hôtelier, un voiturier, un batelier ou un de leurs préposés, lorsqu'ils auront volé tout ou partie des choses qui leur étaient confiées à ce titre. »
MM. Tack et Savart ont présenté les amendements suivants :
« Adopter le n°1° de l'amendement de M. Nothomb.
« Ajouter à la fin de l'article 546 le paragraphe additionnel suivant :
« Toutefois, dans les cas prévus par la n°1° du présent article, la peine de la réclusion sera remplacée par celle d'un emprisonnement d'un mois à cinq ans et d'une amende de vingt-six francs à cinq cents francs lorsque la valeur des objets votés n'excédera pas la somme de mille francs. »
« Ajouter à la suite du premier paragraphe de l'article 577 les dispositions ci-après :
« Si l'abus de confiance prévu et puni par le présent article a été perpétré par un domestique, un homme de service à gages, élève, clerc, commis, ouvrier, compagnon ou apprenti au préjudice de son maître, il sera réputé vol et puni de la réclusion.
« Pareillement, si l'abus de confiance a été perpétré par un aubergiste, un hôtelier, un voiturier, un batelier ou un de leurs préposés, lorsqu'ils auront détourné ou dissipé tout ou partie des choses qui leur étaient confiées à ce titre, il sera réputé vol et puni de la réclusion.
« Toutefois, dans les cas prévus par les deux paragraphes précédents, la peine de la réclusion sera remplacée par celle d'un emprisonnement d'un mois à cinq ans et d'une amende de vingt-six francs à cinq cents francs, lorsque la valeur des objets votés n'excédera pas la somme de mille francs. »
M. de Naeyer a proposé un amendement au n°1°bis de l'amendement de M. Nothomb ; il demandait d'abord la suppression de ce n°1°bis, puis l'addition de la disposition suivante :
« Néanmoins en cas de circonstances atténuantes, soit à raison du préjudice causé, soit à raison de la moralité du délinquant, ces vols pourront être jugés dans la même forme et punis des mêmes peines que les délits mentionnés à l'article 544. »
M. de Naeyer a déclaré renoncer à la seconde partie de son amendement.
L'amendement suivant a été présenté par M. Moncheur à l'article 544 :
« Après les mots : « et d'une amende de vingt-six à cinq cents francs, » ajouter ces mots : « L'emprisonnement sera de trois mois au moins, si le voleur est un domestique ou un homme de service à gages, même lorsqu'il aura commis le vol envers des personnes qu'il ne servait pas, mais qui se trouvaient soit dans la maison du maître, soit dans celle où il l'accompagnait, ou si c'est un ouvrier, compagnon ou apprenti, dans la maison, l'atelier ou magasin de son maître, ou un individu travaillant habituellement dans l'habitation où il aura volé. »
M. le président. - M. de Naeyer a demandé qu'on procédât au vote par division sur l'amendement de M. Nothomb.
Je mets aux voix le n°1° de cette proposition qui s'éloigne le plus de la rédaction de la commission, rédaction à laquelle le gouvernement s'est rallié.
- Le n°1° de l'amendement de M. Nothomb est mis aux voix et n'est pas adopté.
M. Tack. - M. le président, je retire mon amendement, parce qu'il devient sans objet.
M. le président. - Nous passons à l'amendement de l'honorable M. Moncheur. Il consiste à ajouter après les mots : « et d'une amende de vingt-six à cinq cents francs, » ces mots : « L'emprisonnement sera de trois mois au moins, si le voleur est un domestique ou un homme de service à gages, même lorsqu'il aura commis le vol envers des personnes qu'il ne servait pas, mais qui se trouvaient soit dans la maison du maître, soit dans celle où il l'accompagnait, ou si c'est un ouvrier, compagnon ou apprenti, dans la maison, l'atelier ou magasin de son maître, ou un individu travaillant habituellement dans l'habitation où il aura volé. »
- Cet amendement est mis aux voix et adopté.
M. B. Dumortier. - Messieurs, je profite du moment où la Chambre vient de terminer le débat qui l'occupe depuis plusieurs jours pour adresser une interpellation à M. la ministre de la justice qui est ici présent.
Vous avez tous pu voir, messieurs, un fait excessivement grave qui vient d'être révélé par la presse périodique.
II y a quelque temps, un prétendu mandement de l'archevêque de Malines avait paru dans un journal, document tel, qu'il eût exposé S. E. le cardinal à la haine et au mépris de ses concitoyens.
Ce prétendu mandement était un acte faux qui jamais n'avait été écrit par la personne à laquelle il était attribué.
M. De Fré. - Je demande la parole.
M. B. Dumortier. - Je viens de voir qu'aujourd'hui il est reconnu et avoué que cet acte a été fait, inventé, supposé, exécuté par un homme qui, aux termes de ses fonctions, est chargé de réprimer les atteintes contre la moralité publique, par le substitut du procureur du roi de Gand, nommé Dubois.
C'est là un fait d'une gravité excessive et qui n'a pas de précédent dans les annales de la Belgique depuis 1830.
C'est un magistrat, un homme chargé de réclamer l'exécution des lois contre le faux, contre la calomnie, qui vient se transformer en faussaire et en calomniateur.
Je demande, en présence d'un pareil acte qui ne peut assez exciter l'indignation de tout homme qui se respecte, je demande quelle va être la conduite du gouvernement à l'égard du magistrat qui l'a posé.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, le fait dont parle l'honorable M. Dumortier date pour moi d'avant-hier.
Quelle que soit, messieurs, l'honorabilité de M. Dubois, le magistrat dont il s'agit, quoique je sois convaincu qu'il n'attachait pas à la pièce publiée le caractère et l'importance qu'on y a donnés depuis, je ne puis, messieurs, que le blâmer.
Le gouvernement ne s'est pas encore occupé de cette affaire. La Chambre comprendra que ce n'était pas possible. Quant aux mesures que le gouvernement serait dans le cas de prendre, il examinera et il entend agir dans sa complète liberté. Lorsqu'il aura pris, une décision, la Chambre aura à l'apprécier. Jusque-là, je crois que le débat doit être suspendu.
M. De Fré —L'honorable M. Dumortier a donné au fait qu'il a signalé un caractère que je vais contester.
Il y a, messieurs, à tenir compte du caractère de la polémique provoquée à Gand par la presse épiscopale, par les lettres pastorales et par les mandements des évêques ; il y a à tenir compte de l'ardeur de ceux qui attaquent pour apprécier les intentions de ceux qui se défendent.
L'honorable magistrat dont il s'agit ici, doué d'une intelligence élevée, d'un dévouement sans bornes à son pays, a été un de ceux qui ont lutté avec le plus de courage et de talent contre les exigences du pouvoir clérical et au profit du pouvoir laïque.
C'est pourquoi il est aujourd'hui si vivement attaqué, car c'est une chose digne de remarque : la vie des hommes politiques est bien tourmentée. Il arrive parfois que l'ennemi qui guette dans l'ombre finit par saisir chez un antagoniste un moment de faiblesse, un moment d'oubli qu'il exagère et qu'il envenime pour en faire une grosse affaire, que sais-je ! un fantôme qu'il promène dans le pays pour irriter les passions, pour soulever contre une opinion tout entière avec les passions qu'il a excitées d'autres passions plus mauvaises encore.
Messieurs, je prie tous ceux qui sont animés du sentiment de la justice de bien considérer que la presse laïque, la presse libérale, les institutions laïques et l'Etat ont été attaquées en Belgique par la presse catholique dans des termes tellement injurieux, qu'on ne pourrait les employer dans une bonne compagnie.
Il n'y a aucun des membres ici présents qui se rende solidaire de ces injures prodiguées non seulement à nos institutions, mais aussi aux hommes qui les défendaient.
La personne dont il est question s'est trouvée sur un terrain où les questions laïques et catholiques ont été l'objet des luttes les plus ardentes et les plus passionnées.
Eh bien, qu'a-t-elle fait ? Elle a opposé à des injures non pas des injures, mais l'allégorie, la fine allégorie... l'ironie ! (Interruption.)
Je regrette les rires qui partent de la droite, car il me semble que ceux qui rient ne sont pas très au courant de ce qui s'est passé dans d'autres pays, dans d'autres temps. Ce qui a été fait dans cette circonstance n'est qu'un genre de polémique traditionnelle qu'on n'a jamais traitée de faussaire et de calomniatrice.
De quoi s'agit-il, messieurs ? On a fait parler un archevêque, on a fait dire par un archevêque non pas des choses qui sont contraires à son caractère, non pas des choses fausses ; mais on lui a fait dire ce qui se (page 872) trouve dans tous les mandements et dans toutes les lettres pastorales depuis 1830. Et si mon témoignage était récusé, si ma parole provoquait quelque contradiction de la part des membres de la droite, je vous apporterais des documents ici pour vous l'établir.
Il ne s'agit pas d'un archevêque ; il s'agit d'un homme qui lutte ; et je suis à mon aise sur ce terrain : J'ai demandé que le prêtre pût lutter et toujours lutter. J'ai demandé que le prêtre pût, dans la chaire, dire tout ce qu'il voulait, mais à la condition qu'on puisse lui répondre ; et je viens dire à l'honorable M. Dumortier : Quand votre évêque a provoqué la lutte, quand il est descendu sur le terrain du combat, s'il se sent blessé, pourquoi criez-vous ?
Quand vous aurez accepté et commencé la lutte à laquelle je vous ai convié, au nom de la liberté, ne venez plus invoquer votre qualité de prêtre pour vous plaindre de vos blessures.
Eh bien, qu'est ce qui a été fait ? On a fait parler l'archevêque ; on lui a fait tenir un langage qui n'est ni inconvenant ni injurieux pour personne ; un langage qui reproduit les traditions politiques pour le triomphe desquelles on failles mandements et les lettres pastorales.
Savez-vous, messieurs, ce qui s'est passé en 1823, en France, sous Louis XVIII ? Une pièce est produite qui porte la signature de Louis XVIII et le contreseing de M.de Villèle ; c'est une pièce diplomatique, une lettre de Louis XVIII à son cousin d'Espagne .Cette lettre était apocryphe ! elle faisait dire par Louis XVIII parlant à son cousin ce qui était dans l'âme de la réaction de ce temps.
Cette lettre contenait des choses extrêmement hardies, extrêmement fortes ; et cependant cette pièce a été considérée comme un genre de polémique qui n'a soulevé aucun orage. Permettez-moi de vous en lire un petit passage ; voici ce qu'on a fait dire par Louis XVIII écrivant à son cousin d'Espagne :
« De l'argent, j'en donne à tout le monde, et je paye partout ; j'ai payé ma restauration, je payerai encore la vôtre, parce que j'ai beaucoup d'argent et beaucoup de complaisance aussi pour les souverains étrangers qui m'empêchent de recevoir la loi de mon peuple. Je les paye quand ils viennent ici : je vous paye, vous, quand je vais chez vous. Occupé, occupant, je paye l'occupation. J'ai payé Sacken et Platof. Je paye Morillo, Ballesteros ; je paye les cabinets, les puissances ; je paye les cortès, la régence ; je paye les Suisses : j'ai encore, tous ces gens-là payés, de quoi entretenir non seulement ma garde, une maison ici qu'on trouve assez passable, et bien autre que celle de mon prédécesseur ; mais de plus des maîtresses, qui naturellement me coûtent quelque chose. Le budget suffit à tout, et voilà ce que c'est que ce représentatif dont, là-bas, vous vous faites une peur. Sotiise, enfance, mon cousin ; il n'est rien de meilleur au monde. »
Et plus loin :
« Octroyez, mon cousin, octroyez une charte constitutionnelle, et tout ce qui s'ensuit : droit d'élection, jury, liberté de la presse, accordez et ne vous embarrassez de rien ; surtout ne manquez pas d'y fourrer une nouvelle noblesse que vous mêlerez à l'ancienne, autre espèce d'amusement qui vous tiendra en bonne humeur et en santé longtemps. Sans cela, aux Tuileries, nous péririons d'ennui. Quand vous aurez traité avec vos libérales, sous la garantie des puissances, et juré l'oubli du passé à tous ces révolutionnaires, faites-en pendre cinq ou six, aussitôt après l'amnistie, et faites les autres ducs et pairs, particulièrement s'il y en a qu'on ait vus porte-balle ou valets d'écurie ; des avocats, des écrivains, des philosophes bien amoureux de l'égalité, chargez-les de cordons ; couvrez-les de vieux titres, de nouveaux parchemins : puis regardez, je vous défie de prendre du chagrin lorsque vous verrez ces gens-là, parmi vos Sanches et vos Gusmans, armorier leurs équipages, écarteler leurs écussons. »
Cette pièce, messieurs, qui porte la signature de Louis XVIII et plus bas celle de Villèle, est de Paul-Louis Courier.
Maintenant, est-ce que jamais, en France, on a parlé de faux et de calomnie à propos de cette pièce ; a-l-elle été l'objet de la moindre discussion à la chambre des députés ou à la chambre des pairs ? Jamais, messieurs, et comment a-t-elle été appréciée par Armand Carrel ? De la façon la plus simple : « La pièce diplomatique, dit-il, supposition bien hardie, sans doute, de ce qui pouvait se passer, en 1825, au fond d'une âme royale quelque peu double, et assez mal dévote... »
Voilà, messieurs, un genre de polémique qui, de tout temps, a été toléré en France. Car qu'est-ce donc que la satire Ménippée ? On y fait parler différents personnage ; on y fait parler le duc de Mayenne, on y fait parler un cardinal, on y fait parler tous les personnages qui, à cette époque, étaient dans la Ligue ; et savez-vous ce qu'on leur fait dire dans l'intimité, car le public n'est point censé assister à leur entretien ? Ils racontent comment ils vont remplir leurs poches et vendre la France. Il est vrai qu'il n'y avait pas là de Chambre des représentants, ni une opposition pour crier et faire passer pour faussaires les auteurs de cette œuvre immortelle.
La pièce pastorale de M. Dubois ne mérite donc pas ce tonnerre d'injures que la presse catholique lui a lancée. On ne comprend pas l'émotion qu'elle a produite dans l'âme de l'honorable M. Dumortier.
Messieurs, si j'en avais le temps, je vous prouverais par l'histoire polémique de tous les temps et de tous les pays que la lettre dont il est question, et au bas de laquelle on ne met pas de signature, qui se produit avec toutes les précautions oratoires possibles, n'est, après tout, que l'application d'une méthode de polémique qui se rencontre dans tous les pays et dans tous les temps. (Interruption.)
Voici cette pièce :
« A nos très chers frères et coopérateurs...
« A diverses reprises nous avons, mes très chers frères, déploré ensemble tout ce qui a été entrepris, dans ce pays, par les ennemis de l'Eglise contre les droits qui appartiennent aux ministres de Notre-Seigneur Jésus-Christ, quant aux soins de l'instruction et de l'éducation de l'enfance et de la jeunesse. Nous vous avons exprimé combien notre cœur était profondément attristé, de voir que dans cette Belgique, dont l'antique attachement au saint-siège et à la foi catholique nous avait donné les meilleures espérances, tant de chrétiens devenaient sourds à la voix de leurs pasteurs, et se corrompaient lentement par le venin de l'erreur, au point qu'ils osaient préférer des établissements d'instruction où l'enseignement de la religion est ou bien exclu ou bien diversement neutralisé, à ceux que l'Eglise dirige ou approuve, au risque d'exposer le sort d'âmes dont ils répondront devant Dieu. Et nous vous sollicitons, vous qui partagez nos peines, de déployer votre vigilance pour éclairer ceux qui étaient sur la voie de leur perte, et pour réchauffer le zèle des fidèles attiédis. »
Je demande si ce n'est pas là un langage pastoral et catholique, et s'il ne faut pas adresser à M. Dubois un compliment pour avoir su si bien imiter le style épiscopal ? Voici ce que l'évêque de Gand écrivait en 1856 :
« Remerciez avec nous la divine Providence d'avoir daigné bénir d'une manière toute particulière ces divers établissements : ils fleurissent et sont notre consolation, notre force et notre gloire. Mais à côté de ces écoles si sûres, on en voit d'autres, d'où la religion est bannie, où les enseignements de la vie éternelle sont mis de côté, ou communiqués par des bouches que l'Eglise n'a pas ouvertes, par des hommes sans mission aucune pour expliquer ce que le Seigneur révèle ou ordonne. cette instruction est donc sans garantie, cette éducation sans base, et ces sciences, séparées de la doctrine de Notre Seigneur Jésus-Christ, n'ont aucune utilité réelle ; ils ne sont propres qu'à enfler l'esprit, qu'à semer le malheur dans les maisons, le trouble dans les familles, la désolation dans la patrie. Les enfants élevés sans une connaissance exacte de Dieu et des devoirs qu'il impose, ne croyant à rien, se flattent de n'avoir rien à craindre après la mort, et de là deviennent capables des plus grandes monstruosités. L'ignorance de la religion, comme les pontifes romains l'ont dit avant nous, est la source de tous les maux.
« Si les écoles moyennes nous causent du chagrin, que dirons-nous du haut enseignement ? Quelle amertume remplit notre âme, quand nous considérons l'université érigée dans notre ville épiscopale ! Université qui devrait être la source de tant de bonheur pour les jeunes gens de cette grande cité et de ses environs, et qui, hélas ! est devenue la source de maux incalculables pour ces jeunes élèves qui y viennent sans être déjà bien affermis dans la profonde connaissance des dogmes, de la morale et de l'histoire de notre sainte religion. Ils croient trouver dans l’enseignement de leurs maîtres une forte et saine nourriture pour leur intelligence, et ils rencontrent du poison. Oui, dans cette université, à côté de plusieurs hommes aussi distingués par les sciences que par la vertu, sont placés quelques professeurs dont la doctrine est ouvertement fausse, mauvaise, blasphématoire et hérétique. »
Quelle différence y a-t-il entre le langage de l'évêque et le langage que M. Dubois met dans la bouche de l'archevêque ? N'est-ce pas la même pensée, n'est-ce pas la même tournure de phrase ? Faussaire, dites-vous ! Je le comprendrais s'il s'agissait d'une pièce dans laquelle se trouvent des idées qui ne sont pas celles de l'homme à qui ces idées sont attribuées ; des faits qui sont des mensonges et auxquels on donne de l'authenticité, parce qu'ils sont couverts par la signature de l'homme à qui on les attribue. Mais ici il ne s'agit pas de cela ! Il s'agit, ici, d'une polémique permise et que tout le monde ne sait pas faire.
Je suis sûr que M. Dumortier ne saurait pas imiter si bien le style (page 873) pastoral que l'a fait mon ami Dubois. Mais ce n'est pas une raison de s'indigner et de se mettre en colère. La pièce attaquée est le produit, peut-être peu délibéré, des provocations incessantes de la presse catholique, et je dis que quand on a été attaqué d'une manière aussi grossière qu'on l'a été dans ces derniers temps, à l'époque surtout où la pièce a été produite, il faut louer un écrivain d'avoir répondu avec esprit et sans injures ; car, encore une fois, on ne peut voir dans cette lettre aucune injure.
Les idées attribuées à l'archevêque lui sont justement et légitimement attribuées ; il ne peut pas les renier ; elles sont conformes à la tradition épiscopale en Belgique.
Mais on est magistral ! dit-on.
Naguère, j'ai vu un magistrat se mettre à la tête d'une association qui récoltait des deniers pour faire triompher à Rome un régime qui n'est pas en harmonie avec notre régime que ce magistrat doit protéger. Personne dans les rangs de la gauche ne s'est levé pour adresser une interpellation au ministre et pour lui dire : Comment se fait-il qu'un magistrat soit à la tête d'une association pour recueillir de l'argent et envoyer sous les murs de Rome des soldats pour faire triompher un régime opposé à celui que ce magistrat doit défendre en Belgique ?
Qu'est-ce que cela prouve ? Cela prouve que nous, libéraux, nous sommes plus tolérants que nos adversaires, que nous n'avons pas besoin de nous donner de l'importance en ramassant une lettre pastorale écrite il y a deux ans, pour en occuper la Chambre. Nous vivons d'idées, nous ne venons pas ici attaquer, dénoncer des adversaires loyaux comme celui dont il est question ; dévoué, désintéressé, votre adversaire, il le sera toujours, parce qu'il obéit à des convictions éclairées, profondes.
Est-ce que sa position de magistrat lui a fait perdre sa qualité de citoyen ? Du moment que la pièce qu'on incrimine n'est, après tout, qu'une polémique permise, devez-vous lui en faire un crime ? Il doit avoir de la réserve, direz-vous ?
Mais enfin si cette réserve n'a pas été tenue, il n'en résulte pas qu'un acte de polémique permise pour la première personne venue, devienne, pour un magistrat, une chose si mauvaise qu'il faille à ce sujet interpeller le gouvernement pour savoir quelle mesure il va prendre.
Je crois, messieurs, qu'il faut voir les choses humainement, et que, lorsqu'on se trouve sur ce terrain brûlant de la politique, lorsqu'on y a lutté avec courage, avec conviction, il faut voir, quand un homme écrit, de quelle manière il a été provoqué, à quel sentiment il obéit, et alors si vous voulez rentrer en vous-mêmes, M. Dumortier, et mettre la main sur la conscience, vous serez le premier à absoudre l'écrivain désintéressé contre lequel vous avez fait ici un réquisitoire qui m'étonne et ne se justifie point.
M. B. Dumortier. - J'avais espéré, pour l'honneur de cette Chambre et pour l'honneur du grand parti libéral que j'estime, que pas une voix ne se serait élevée dans cette enceinte pour essayer la justification de l'acte indigne auquel j'ai fait allusion. Je dois le dire, j'ai été profondément surpris et affligé de voir qu'un homme considérable de la gauche se soit levé, non seulement pour justifier le faussaire moral et le calomniateur, mais pour venir prétendre qu'il fallait louer l'écrivain qui s'était permis un acte aussi honteux.
Messieurs, la presse qui appartient à votre opinion a été plus sage que vous ; elle a mieux compris les devoirs de l'honnêteté vis-à-vis du public. Pas un seul journal libéral n'a dit un mot pour justifier un acte aussi immoral que celui qui a été posé par le sieur Dubois. Ce n'est pas dans le sein de la Chambre des représentants, dans le sein du parlement, que l'on eût dû tenter la justification d'une aussi profonde immoralité, sous le vain prétexte que celui qui l'a posé appartient au part libéral.
Et que diriez-vous si un procureur du roi, appartenant à l'opinion contraire, venait supposer, venait inventer un acte calomnieux pour votre ministre ; s'il venait écrire, au nom du ministre de la justice, un acte qui exposerait ce ministre à la haine et au mépris de ses concitoyens, et un acte qu'il n'aurait pas posé ?
Viendriez-vous dire encore qu'il faut louer le mérite de l'écrivain ? Viendriez-vous citer des pamphlets dans lesquels chacun sait que l'on met tout ce que l'on veut, pour leur comparer une pièce fausse, une pièce supposée ?
Je dis que vous ne le feriez pas, et que chez nous qui appartenons à ce parti que vous accusez en ce moment, il n'y aurait qu'une seule voix, qu'un seul cri pour flétrir la conduite de l'homme qui, appartenant à notre opinion, se serait conduit d'une pareille manière.
M. Hymans. - De quoi s'agit-il dans cette circonstance ? De deux choses. Vous avez devant vous un magistrat que l'on accuse et un écrivain que l'on critique.
Je n'ai pas à défendre le magistrat. M. le ministre de la justice a répondu tout à l'heure tout ce qu'il pouvait et tout ce qu'il devait répondre. J'ai la certitude qu'il fera son devoir.
Mais en ce qui concerne l'écrivain, de quoi s'agit-il ? Il s'agit de ce qu'on appelle vulgairement une supercherie littéraire. Or, en fait de supercherie littéraire, je trouve que l'honorable M. Dumortier n'a pas le droit de se montrer si sévère. Il est tenu, au contraire, de se montrer fort indulgent.
M. B. Dumortier. - Et pourquoi, s'il vous plaît ?
M. Hymans. - Je vais vous le dire. Lorsque dans une discussion très grave, une discussion très sérieuse et à laquelle le pays a attaché une très haute importance, vous êtes venu ici inventer sciemment un membre du parlement anglais, fameux par sa science.....
M. B. Dumortier. - L'article que j'ai lu était écrit par un membre du parlement anglais, et cet article était votre condamnation.
M. Hymans. - Il n'y avait pas plus de membre du parlement anglais que de condamnation dans cette circonstance.
Je dis que lorsqu'on est venu inventer ici un membre du parlement anglais, qui n'a jamais existé, lorsqu'on est venu dire que ce membre avait été appelé par sa science à siéger à la chambre des communes, que l'on est venu se faire de l'autorité de ce membre une arme contre un collègue...
M. B. Dumortier. - Le fait est vrai, je répète qu'un membre du parlement avait écrit cet article. Vous jouez sur les mots : vous ne faites que cela.
M. le président. - M. Dumortier, n'interrompez pas l'orateur.
M. B. Dumortier. - Je ne puis permettre qu'on défigure ainsi mes paroles. Je demande la parole pour un rappel au règlement. (Interruption.)
M. le président. Vous ne pouvez interrompre l'orateur.
M. B. Dumortier. - J'ai demandé la parole pour un rappel au règlement. J'ai le droit déparier ; le règlement est positif à cet égard. La demande d'un rappel à l'ordre interrompt l'orateur.
Eh bien, quand l'orateur prétend que j'ai trompé sciemment la Chambre, j'ai le droit de lui dire que ce qu'il dit est une contre-vérité ; je ne me servirai pas de l'expression que l'on a employée l'autre jour, et je dis que cet orateur mérite d'être rappelé à l'ordre.
Je n'ai pas trompé sciemment la Chambre ; il y a eu une erreur de nom, et voilà tout.
M. Hymans. - Je m'étonne beaucoup de cette grande fureur. Car ce que je dis à l'honorable M. Dumortier, je le lui ai dit plus d'une fois, et je ne me serais pas donné la peine de le répéter, s'il ne s'était agi d'un fait complètement analogue.
Je lui réponds par un argument ad hominem ; je crois être dans les termes du règlement. D'ailleurs, dans d'autres circonstances, l'honorable membre s'est servi à mon égard d'un langage qui justifie de ma part très peu de ménagement en ce qui le concerne.
M. B. Dumortier. - Je m'inquiète peu de votre langage.
M. Hymans. - Il paraît au contraire que vous vous en inquiétez beaucoup à en juger par votre irritation.
M. le président. - Parlez à la Chambre ou au président. Ces dialogues amènent des discussions fâcheuses.
M. Hymans. - Je dis donc, en m'adressant à vous, M. le président, que lorsqu'on a inventé M. Rambler, le savant M. Rambler, l'on est tenu de se montrer fort indulgent pour une supercherie littéraire.
Comme vous l'a dit mon honorable ami M. De Fré, il s'agit ici de l'emploi d'un moyen qui est traditionnel en matière de polémique. L'honorable M. De Fré vous a cité Paul-Louis Courier ; il aurait pu vous citer Pascal ; il aurait pu remonter plus haut encore et vous citer Marnix de Saint-Aldegonde. Tous ces exemples sont les mêmes. Les mêmes arguments ont toujours été employés au profit des mêmes opinions contre les mêmes erreurs.
Maintenant, qu'y a-t-il donc de si terrible dans cette pièce ? Son Eminence le cardinal de Malines a-t-il été attaqué ? Je le nie. Il s'est cru si peu atteint qu'il n'a pas jugé utile, quand ce fait s'est produit il y a deux ans, après avoir été exposé, comme le dit l'honorable M. Dumortier, à la haine et au mépris de ses concitoyens, d'user même de son droit de citoyen pour entamer un procès que son caractère religieux ne lui défendait pas d'intenter. Nous voyons souvent depuis quelque temps des ecclésiastiques devant (page 874) les tribunaux, et l'honorable archevêque de Malines n'a pas cru nécessaire de défendre sa réputation qui, du reste, est au-dessus de toute attaque !
Et l’on vient cette fois encore, à la veille des élections, ramasser cette vieille histoire, comme le disait l'honorable M. De Fré, à laquelle personne ne pensait plus, et qui a même fait parler très peu à cette époque.
Car enfin que la calomnie (s'il y a calomnie) soit le fait d'un magistrat ou le fait de tout autre individu, l'honneur du cardinal n'en est ni plus ni moins atteint. Pourquoi attaque-t-on ce magistrat ? Précisément parce qu'il a agi avec loyauté ; dès l'instant où il a vu qu'un acte posé par lui et qu'on disait illicite, était attribué à un tiers, il s'est présenté loyalement ; il a dit : « Voici le coupable, exécutez-moi !»
Eh bien, c'est précisément parce qu'il a agi ainsi, alors qu'il pouvait ne pas le faire, c'est pour cela qu'on l'incrimine avec tant de violence ! Il lui eût été si facile d'endosser la chose au premier venu, il y a beaucoup d'écrivains qui auraient été très fier d'accepter la paternité de cette pièce ; il lui eût été facile d'inventer, à son tour, un Rambler quelconque pour le rendre responsable de ce grand crime. Mais, je le répète, il est venu loyalement, courageusement, se présenter à ses supérieurs et leur dire : C'est moi qui suis l'auteur de cet attentat.
C'est pour cela que nous défendons ce magistrat. Il n'y a pas eu ici de pieux mensonge, et si l'honorable M. Dumortier prend si chaudement la défens -de monseigneur l'archevêque de Malines, dont le caractère assurément n'a pas besoin d'être défendu, nous avons aussi le droit et le devoir de défendre nos amis, lorsqu'on les accuse injustement, et qu'on vient ici les traiter de faussaires, à cause d'un acte qui peut mériter un blâme, mais qu'il est ridicule d'assimiler à un délit et à un crime.
M. De Fré. - L'honorable M. Dumortier a été très étonné que dans cette Chambre il se soit levé quelqu'un pour défendre le magistrat qu'il a injustement accusé.
Messieurs, je l'ai fait parce que j'étais moralement mieux placé que l'honorable M. Dumortier pour apprécier ce débat à sa juste valeur ; je l'ai fait aussi parce qu'en présence de pareilles attaques je voulais donner publiquement à M. Dubois un témoignage d'estime et de sympathie.
M. le président. - L'incident est clos.
- La séance est levée à 4 heures et 1/2.