(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)
(page 733) (Présidence de M. Vervoort.)
M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Boe, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance du 2 mars.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Florisone, secrétaire, présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« Des habitants de Gouy-lez-Piéton demandent que les deux métaux soient employés à la confection des monnaies belges ; qu'on batte de préférence celui des deux métaux qui est le plus abondant ; que le rapport légal soit conservé dans toute son intégrité et que l'or français soit admis sur le même pied que la France admet l'or belge. »
« Même demande d'habitants de Chapelle-lez-Herlaimont, Trazegnies, Bruxelles, Jemmapes, Mons et Quaregnon. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la proposition de loi relative à la monnaie d'or.
« Les membres du conseil communal de Bande demandent la construction d'un embranchement de chemin de fer de Marloie à Bastogne. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
Des habitants de Montenaeken demandent la construction du chemin de fer grand-central franco-belge d'Amiens à Maestricht qui est projeté par le sieur Delstanche. »
- Même renvoi.
« Les membres du conseil communal et des habitants de Niel-Saint-Trond présentent des observations sur l'emplacement projeté pour le bureau de la station du chemin de fer à Gingelom. »
- Même renvoi.
« Le sieur Vandermaesen soumet un projet de loi sur la police médicale et sur l'exercice de l'art de guérir. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur la police et la discipline médicales.
« Le sieur Filleul présente des objections au sujet de l’ordre du jour qui a été adopté par la Chambre sur sa pétition. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Verhulst, blessé de septembre, décoré de la croix de Fer, demande une augmentation de pension ou un secours. »
- Même renvoi.
« M. le ministre de la justice transmet à la Chambre, avec les pièces de l'instruction, la demande de naturalisation du sieur Mathieu Urlings. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« M. de Paul demande une prolongation de congé. »
- Accordé.
« Par lettre du 2 mars 1861, M. Vilain XIIII, obligé de s'absenter de Bruxelles, demande un congé de dix jours.
« Il ajoute que si le vote sur la proposition de M. B. Dumortier eût eu lieu le 2 mars, il eût voté contre l'amendement de M. Pirmez et contre la proposition de M. Dumortier. »
- Le congé est accordé.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre :
1° Un projet de loi qui met à la disposition du ministre des finances un crédit de 8,500 fr. 49 cent. pour rembourser les droits d'entrée payés sur les marchandises déclarées en transit et qui ont été perdues par suite d'incendie dans le port d'Anvers (steamer Languedoc.)
2° Tous les budgets de l'exercice 1862, à l'exception de celui du département des affaires étrangères, qui n'est pas encore voté par le Sénat.
- Impression, distribution et renvoi.
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M. Pirmez. - Messieurs, les opinions que j'ai émises relativement à la question qui occupe la Chambre déjà depuis longtemps, ont eu l'honneur d'être souvent rappelées et souvent attaquées par les partisans du cours légal de la monnaie d'or française.
La proposition que j'ai soumise à la Chambre conjointement avec mes honorables amis MM. Jamar et de Boe a été l'objet de critiques non moins vives ; de plus, elle a été, je crois, généralement mal comprise.
Je demanderai la permission à l'assemblée de prolonger encore de quelques instants le débat pour défendre ces opinions et pour expliquer surtout notre proposition.
La longueur de la discussion trouve, du reste, sa cause dans la matière même qui nous occupe.
Si le législateur de l'an XI, au lieu d'employer l'expression de franc pour désigner l'unité monétaire, n'avait dénommé les diverses pièces de monnaie que par l'indication du poids du métal qu'elles contiennent, il y a longtemps sans doute que le vote serait intervenu, et les questions à résoudre eussent paru peut-être tellement simples qu'on ne les eût pas discutées.
Mais ce mot de « franc » couvre complètement, aux yeux de beaucoup, les cinq grammes d'argent qu'il désigne, et avant d'examiner les choses, on est forcé de chercher à enlever cette écorce trompeuse de mots qui les enveloppe.
Le débat témoigne à chaque pas des erreurs auxquelles conduisent les termes mal compris.
Parmi les discours qui ont été prononcés jusqu'ici, il en est un, je dois le dire, qui m'a inspiré un sentiment de curiosité plus vif que tout autre ; c'est celui de l'honorable M. de Theux.
L'honorable membre nous a déclaré, au début de son discours, que son vote était acquis à la proposition de l'honorable M. B. Dumortier.
Je me demandais comment le chef respecté de ce grand parti qui revendique si haut toutes les idées conservatrices ferait pour attaquer et renverser le système monétaire qui nous régit ; je me demandais surtout avec quelles armes il nous combattrait, alors que nous défendions la foi et l'inviolabilité des contrats, cette base de la propriété qu'on montre comme toujours attaquée et comme toujours menacée.
En entendant l'honorable membre, j'ai dû constater que ses idées ne sont pas moins que celle de M. Dumortier destructives de toute fixité dans les monnaies, par conséquent de toute sécurité dans les transactions.
L'honorable membre se préoccupe beaucoup et avec raison du reproche que nous faisons à la proposition de loi de ne pas respecter la foi des conventions ; il a justement à cœur de la lever de ce reproche ; mais par quelles idées, par quelle théorie répond-il à cette objection fondamentale à la mesure qu'il préconise ?
Il est possible, nous dit M. de Theux, que la proposition de loi porte atteinte aux droits des créanciers ; mais il est plus certain encore que la législation actuelle inflige une perte injuste et notable aux débiteurs : l'argent a augmenté de valeur, or, si l'argent vaut plus aujourd'hui qu'il y a dix ou vingt ans, le débiteur pour se procurer la quantité d'argent qu'il doit donner à son créancier doit aliéner plus de choses qui lui appartiennent, s'imposer un travail ou plus long ou plus pénible qu'il ne le devait auparavant, et sa position est ainsi notablement aggravée.
Ce système se résume à dire que lorsque l'argent augmente de valeur le débiteur est lésé en donnant la quantité exacte d'argent qu'il a promise, exactement comme si on lui imposait de donner une quantité d'argent plus grande.
Et la conséquence de ces prémisses se montre d'elle-même : chaque fois que le métal hausse ou baisse de valeur, la justice exige que la quantité qu'en a promise le débiteur soit réduite ou augmentée.
Mais voyez dans quel état de variabilité constante on place ainsi la monnaie !
Le législateur, pour ne jamais cesser d'être juste, devrait à chaque instant se demander ce que vaut le métal dont sont faites les espèces légales, et s'il trouve, par une appréciation essentiellement difficile et incertaine, que le métal a augmenté, il doit immédiatement diminuer les pièces de monnaie comme il doit les augmenter dès qu'il trouve par des considérations tout aussi essentiellement aléatoires que le métal a diminué de valeur.
Et chose étonnante, l'honorable M. Royer de Behr, qui nous dit et nous démontre si clairement que la monnaie est une marchandise et rien qu'une marchandise comme toutes les autres, vient soutenir exactement la même thèse.
Je vends aujourd'hui quarante sacs de grains à trente francs le sac ; la livraison doit en être faite dans un an. L'année prochaine le sac de grains vaut, je suppose, quarante francs, pourrais-je prétendre que je ne dois en livrer que trente sacs, parce que je devrai m'imposer autant de sacrifices pour obtenir alors trente sacs que pour en avoir quarante aujourd'hui ?
Mais qui oserait élever pareille prétention ? Et n'est-il pas étrange qu'on la produise comme sérieuse quand on a promis un certain nombre de grammes d'argent au lieu d'un certain nombre de kilogrammes de grains ?
Le système de l'honorable comte de Theux, c'est l'organisation de la variation dans les monnaies.
Et croit-on que cette incertitude soit chose indifférente ?
Mais la stabilité et la sécurité est si bien une chose essentielle à la monnaie que M. Nothomb, l'un de nos plus éloquents adversaires, nous déclarait que lorsque la loi serait en vigueur, les créanciers devraient peut-être stipuler, à titre de prime d'assurance, un supplément d'intérêts ; or, la chose paraît facile à l'honorable membre en présence de l'abolition de la loi sur l'usure, abolition qu'il croit avoir défendue avec nous.
Ainsi on ne recule pas devant l'instabilité du système monétaire, et l'on nous donne comme remède le mal même, la diminution de la confiance qui se traduit par l'augmentation du taux de l'intérêt.
Les partisan .de l'opinion que je viens d'indiquer et de combattre devraient d'ailleurs démontrer que l'argent a réellement haussé de valeur.
J'avoue que cette question n'est qu'une question d'appréciation, sur laquelle on peut différer.
On peut se la poser en des termes qui me paraissent la rendre très simple.
Une personne qui a 10,000 fr. de rente aujourd'hui et en argent est-elle plus riche ou moins riche qu'elle ne l'eût été avec le même revenu il y a 10, 20 ou 30 ans ?
Voilà la question. Si l'on me répond qu'antérieurement on était plus riche avec 10,000 fr. qu'aujourd'hui, j'en tirerai la conséquence irrécusable que l'argent a baissé de valeur.
Si l’on veut admettre, qu'aujourd'hui on se pourvoit plus facilement de toutes les choses nécessaires à la vie avec le même revenu qu'on ne le faisait auparavant, j'admettrai la hausse de l'argent.
Mais qui élèvera cette prétention, qui soutiendra, par exemple, que les fonctionnaires dont le traitement n'a pas varié sont mieux rémunérés qu'ils ne l'étaient autrefois ?
M. Dumortier tient cependant beaucoup à établir la hausse de l'argent, et il cherche à le faire par des calculs particuliers.
Vous vous rappelez, messieurs, que l'honorable député de Roulera nous a déclaré qu’il n'entendait écraser personne ; il repousse ces procédés violents, trop violents, qu'il laisse à M. le ministre des finances. Il se contente d'anéantir ses adversaires ; quant à moi, il m'anéantit par un procédé très simple ; il me dit très net que je ne connais rien à l'affaire.
J'avouerai que je pensais comprendre le point à propos duquel l'honorable membre me décerne ce brevet d'ignorance et que je ne pensais pas en cela montrer bien grande suffisance, car il est si simple, si exempt de toute complication, de toute difficulté, que je ne m'imagine pas qu'il puisse y avoir d'autre divergence d'opinion que celle de l'honorable membre.
Voyez, nous dit-il, la cote de la bourse nous apprend quelle est la baisse de l'argent ; il y a une prime de 20 ou 24 francs par mille.
M. B. Dumortier. - Non, de 27 par mille.
M. Pirmez. - Soit, j'accepte volontiers ce chiffre. Voilà donc la prime sur l'argent.
M. B. Dumortier. - Et de 5 par mille sur l'or.
M. Pirmez. - Parfaitement.
L'honorable membre conclut de là que l'argent vaut aujourd'hui 27 pour mille de plus qu'il y a vingt ans, quand l'argent était au pair.
M. B. Dumortier. - L'argent lingot bien entendu.
M. Pirmez. - C'est entendu.
L'honorable membre se figure donc que le lingot d'argent qu'il y a vingt ans, on eût eu pour 1,000 francs en pièces de cinq francs, on ne l'aurait aujourd'hui que pour 1,027 francs en argent, et que 1,000 francs en argent, valent 27 pour mille de moins que le lingot d'argent correspondant à cette somme.
Mais s'il en est ainsi, il faut avouer que tous les spéculateurs en (page 742) monnaies sont bien maladroits ; car il leur suffirait de faire fondre 200 pièces de 5 francs pour gagner une prime de 27 francs.
M. Dumortier.— Et l'alliage ! Vous ne le comptez donc pour rien ? Vous feriez là une belle opération, en vérité !
M. Pirmez. - Je réponds immédiatement à l'objection. Quand on traite d'argent fin en lingots, on calcule également la quantité d'argent fin que contient la somme pour laquelle on l'achète ; ainsi le kil. d'argent fin est compté non pour 200 fr., mais pour une somme supérieure de la perte de l'alliage des pièces. On tient donc parfaitement compte de cet alliage.
D'où vient donc cette prime si considérable sur l'argent ? Mais uniquement de ce que, à la bourse de Paris, où elle existe, le prix du lingot d'argent se calcule relativement à la monnaie qui vaut le moins, c'est-à-dire à la monnaie d'or. J'achète un lingot d'argent, j'ai le droit de le payer en or ; le vendeur le sait, et il sait aussi que je ne manquerai pas de payer ainsi, il doit donc augmenter son prix de tout l'écart qui affecte la valeur légale des deux métaux ; c'est cet écart que représente la prime de 27 francs. Si l'on devait payer en argent, le lingot d'argent serait nécessairement au pair, ou il n'y aurait qu'une prime ou une perte très insignifiante, comme celle que l'on signale pour l'or, et ne pouvant excéder les frais de fabrication ou de refonte des pièces.
Comment l'honorable M. Dumortier peut-il se figurer qu'il n'y aurait qu'une prime de 27 francs sur l'argent fin et de 3 francs sur l'or fin, si l'on ne tenait pas compte de l'alliage de 1/10 ?
Mais d'après lui on devrait toujours avoir cent pour mille de prime sur les lingots d'or ou d'argent !
Je disais que je croyais comprendre la question et que je la trouvais très simple ; mais puisque l'honorable membre veut bien me dire que je n'y comprends rien, je lui demanderai de vouloir bien m'expliquer deux choses.
Je lui poserai deux petites questions : je lui demanderai d'abord de me donner la définition du franc.
M. B. Dumortier. - Elle est dans la loi et dans le code.
M. Pirmez. - Elle est dans la loi, sans doute. J'y lis que le franc c'est 5 grammes d'argent au titre de 9 dixièmes de fin.
Or, c'est là ce que nous répétons depuis le commencement de la discussion et ce que nos contradicteurs n'ont pas moins nié jusqu'à la fin.
Admettez donc que vos francs d'or ne sont pas de véritables francs.
M. B. Dumortier. - Vous n'avez plus un franc ; j'ai démontré à l'évidence que payer en or c'est faite un beau cadeau au créancier.
Puisqu'on discute sur ce point, permettez-moi de présenter un chiffre. Voici ce qui résulte des calculs faits sur l'usure de la monnaie, c'est que les pièces de 5 francs perdent 4 francs par mille, les pièces de 2 francs 25 francs par mille, les pièces de 1 franc, 60 francs et les pièces d'un demi-franc, 100 francs, d'où il résulte qu'en payant mille francs en pièces de cinq fr., le créancier ne reçoit en réalité que 996 fr. ; en pièces de 2 francs, 975 francs, en pièces de 1 franc 940, et en pièces d'un demi-franc 900 francs ; tandis qu'en pièces d'or il recevra 998 fr.
Comment peut-on prétendre que le créancier préférera perdre 4 fr., 25 fr., 60 fr. ou 100 fr. par mille pour être payé en argent suivant qu'on lui donnera des pièces de 5, 2,1 ou un demi-franc, plutôt que de perdre 2 francs en recevant de l'or ?
M. Pirmez. - Permettez ! je demandais à M. Dumortier qu'il voulût bien répondre à cette question : Qu'est-ce que le franc ? Il vient de faire la réponse que nous faisons nous-même, et qui est la condamnation de tout le système contenu dans les développements de sa proposition. Comment concilier cette définition avec ses idées sur la monnaie de compte ?
La seconde question que je voulais poser à l'honorable membre est aussi simple ; c'est celle-ci : Qu'est-ce que le pair ?
Je crois que sa réponse, si elle nous donne une idée claire de la chose, sera aussi décisive en notre faveur que la définition du franc.
J'arrive maintenant à l'objection que M. Dumortier vient de produire ; cette objection mérite une réponse : elle a été faite souvent, elle est un argument favori des partisans de la proposition de loi, elle a même eu un succès particulier qui doit être signalé à la Chambre.
Parmi les adversaires constants du cours forcé de l'or, nous avons très souvent remarqué M. Vermeire. L'honorable membre, dans toutes les escarmouches qui ont précédé la grande bataille aujourd'hui engagée, a été toujours au premier rang pour défendre notre système monétaire actuel.
Dans notre dernière séance, il nous a déclaré qu'il voterait la proposition de loi. Et quelle est la cause de cette conversion imprévue ? Mais précisément l'argument que l'honorable M. Dumortier vient de rappeler. La réponse est cependant si simple que je ne désespère pas de voir la raison si droite de notre collègue se repentir de ses infidélités et revenir à ses premiers amours.
Si nous étions à la bourse, pour toute réponse je me bornerais à prendre M. Dumortier au mot. Puisque d'après vous, lui dirai-je, mille francs en or valent plus que mille francs en argent, donnez-moi mille francs en argent, je vous donnerai mille francs en or.
M. Dumortier et moi devrions tous deux, à peine d'inconséquence, accepter le marché.
Qui, de notre honorable collègue ou de moi, ferait une bonne spéculation ?
Mais la chose est parfaitement claire. Je n'aurais qu'à me rendre à la Bourse avec l'argent que M. Dumortier m'aurait donné ; et j'obtiendrais 1,002 fr. en or au taux même très élevé où l'or est coté aujourd'hui, Je pourrais faire ainsi avec M. Dumortier une série de marchés de mille francs, sur chacun desquels je gagnerais deux francs.
L'honorable membre doit donc reconnaître qu'une même somme nominale vaut moins eu pièces d'or françaises qu'en pièces d'argent telles qu'elles existent dans notre circulation.
Sans doute, les pièces d'argent ne sont plus droites de poids ; leur valeur est ainsi diminuée. Ainsi la perte sur l'or serait bien plus considérable s'il s'échangeait contre des pièces neuves.
Si M. Dumortier en doute, qu'il compare combien est faible l'écart entre l'or et l'argent monnayé relativement à celui que constate la Bourse de Paris, entre l'or et l'argent en lingots, et qui s'élève à plus de 20 pour mille.
Cette différence no s'explique évidemment que par l'abaissement, par le frai des pièces d'argent.
L'honorable M. Nothomb, toujours pour justifier la proposition de loi de ce reproche que nous lui faisons de porter atteinte aux droits des créanciers, nous donne une autre raison. La perte est minime, nous dit-il, et si c'est une injustice, ce n'est qu'une bien petite injustice.
Pour ma part, j'estime, et la Chambre pensera comme moi, qu'une injustice est toujours assez grosse pour devoir être réprouvée lorsqu'on peut ne pas la commettre. Mais prenons les chiffres qu'a indiqués l'honorable M. Nothomb. La loi de 1832, dont on demande la remise en vigueur, est basée sur cette évaluation que l'or vaut 15 1/2 fois son poids d'argent. Aujourd'hui, d'après M. Nothomb, l'or ne vaudrait plus que 15 1/4 fois son poids d'argent. Il y aurait donc une différence d'un quart sur 15 1/2 ou exactement de 1 sur 62 ; en d'autres termes encore 1 5/8 p. c. à peu près. .
Eh bien, croyez-vous que ce soit là une perte si insignifiante ? Mais si on l'applique au budget annuel de l'Etat, on trouve que c'est une réduction de 2,500,000 fr. que l'on fait subir annuellement aux ressources publiques.
C'est exactement comme si nous diminuions nos revenus actuels d'une somme égale. Je sais bien que l'Etat n'y perdra rien ; s'il reçoit moins, il paye moins ; et pour compléter l'exposé des effets de la proposition de loi, il faut dire que cette réduction de notre revenu est accompagnée d'une diminution de ce que nous payons ; le trésor public s'indemnise aux dépens des rentiers, des fonctionnaires, de tous ceux qui y puisent à un titre quelconque.
Il y a compensation, nous dit M. Savart, et ainsi le vide ne se fait nulle part.
Mais n'est-ce pas prendre à ceux qui ont droit au profit de ceux qui sont obligés, et comment justifier cette compensation relativement aux rentiers à qui, d'après l'évaluation de M. Nothomb, on prend plus de dix millions de francs ?
Aussi l'honorable M. Savart, qui invoque cette compensation se faisant ainsi sans égard pour le droit, a recours à une autre raison sur laquelle il insiste beaucoup, et dont la primeur nous avait été offerte par l'honorable M. Tack.
Que parlez-vous, nous disent les honorables membres, des droits des créanciers ? Lisez le Code civil qui détermine exactement ces droits. Le Code vous apprendra que s'il y a un changement dans les espèces, ni les débiteurs, ni les créanciers n'ont à se plaindre, mais qu'ils doivent le subir.
Vous pouvez donc écarter de vos préoccupations la crainte d'être injuste ; le Code civil vous a déjà justifié. Je constate d'abord que rien n'est plus commode que cette manière (page 743) de raisonner. Avec cet argument, vous pouvez tout faire, absolument tout.
Vous pouvez changer le métal, le titre ou le poids de la monnaie à votre guise ; ce sera toujours juste.
La dernière fois que j'ai eu l'honneur de parler à la Chambre, je disais qu'à une certaine époque on avait créé une monnaie de cuir avec un clou en argent. Je vous ai démontré que cette monnaie devait, d'après les idées développées par l'honorable M. Dumortier, avoir produit les résultats les plus avantageux.
D'après la doctrine de MM. Tack et Savart, rien ne serait plus légitime aujourd'hui que d'introduire une monnaie de cuir en remplacement de la monnaie d'argent. Si les créanciers venaient se plaindre, nous en serions quittes pour leur lire l'article 1985 du Code civil.
Cependant, messieurs, si j'en crois un auteur qui souvent a réussi à nous peindre les faits de la vie réelle dans les derniers siècles, tout le monde ne trouva pas qu'il fût bien juste de profiter des facilités qu'une substitution de monnaies donnait aux débiteurs. Monteil nous montre l'acheteur d'une maison allant consulter son confesseur et lui demandant s'il peut bien se libérer d'une dette contractée en argent par un payement en monnaie de cuir. Le confesseur lui répond qu'ayant promis de l'argent, il doit donner de l'argent. Cette morale me paraît meilleure qu'une doctrine plus relâchée.
Mais, messieurs, quelle est la portée de cet art 1985 du code civil ? Le code déclare tout simplement que si l'on fait une loi sur les monnaies les parties doivent la subir ; s'ensuit-il pour cela que cette loi sera nécessairement juste ?
Mais à mon sens, c'est précisément parce que les parties sont liées par ce que fera le législateur que celui-ci doit craindre de s'écarter de la justice ; investi de la confiance des parties, il ne doit pas la trahir ; chargé de peser la monnaie, il doit la peser juste.
Je demande à MM. Tack et Savart la permission de les mettre personnellement en cause et de leur faire une question.
Je suppose qu'aujourd'hui je vende un hectare de terre et qu'il soit convenu entre mon acheteur et moi que nous nous en rapportons au mesurage que feront MM. Tack et Savart qui décideront souverainement entre nous. Si j'allais demander à mes honorables collègues de mesurer un petit hectare, différant un peu seulement de l'hectare légitime pour ne pas les effaroucher par l'idée d'une grosse injustice, que me répondraient-ils ?
Mais ces messieurs repousseraient cette demande avec indignation. Et si je leur disais alors : Mais ce que je demande est fort simple ; ne voyez-vous pas que dans l'acte de vente nous nous en rapportons à votre mesurage ? L'acheteur n'a pas à se plaindre, c'est là une des chances du marché, accueilleraient-ils semblable raison ? Ah ! comme ils me répondraient ce que je dis aux auteurs de la proposition : Nous sommes pris pour arbitres, et notre premier devoir est par conséquent d'être justes.
C'est précisément parce que notre décision est souveraine que nous devons veiller à ce que cette décision soit irréprochable. Je n'aurais gagné à mon raisonnement qu'un peu plus de mépris. Je pourrais encore faire quelque chose qui les indignât davantage, ce serait de leur proposer de venir partager le profit du défaut de contenance. Et bien, messieurs, c'est ce qu'on fait vis-à-vis de l'Etat. On l'engage à changer la monnaie et on lui montre sa part dans le bénéfice de l'opération.
Mes honorables collègues repousseraient avec indignation la proposition dont je viens de parler ; qu'ils repoussent donc aussi la proposition soumise à la Chambre. Je ne leur demande que d'avoir autant à cœur l'honneur du pays que leur honneur propre.
Messieurs, l'honorable M. Dumortier a parlé tout à l'heure de l'usure de nos pièces d'argent. Il croit que parce que nous reconnaissons que la monnaie d'argent est usée nous n'avons pas le droit de parler de la moins-value de la monnaie d'or. Je ne l'ai pas caché, je l'ai déclaré dans le rapport que j'ai eu l'honneur de faire au nom de la commission monétaire, il faut apporter un remède à ce mal, il faut mettre la monnaie d'argent en harmonie avec l'étalon primitif. Qu'on opère cette réforme d'une manière ou d'une autre, c'est là une circonstance secondaire, le point essentiel est que la réforme soit faite.
Je reconnais donc le premier qu'il y a un remède à apporter. Mais quel est celui que proposent ceux qui voient dans le mal un motif décisif d'adopter la proposition de loi ?
Le mal est l'abaissement de la valeur de la monnaie par suite du frai, le remède qu'on propose est de prendre une monnaie valant moins que la monnaie usée !
On le voit, le remède est pire que le mal ; il rend permanent et légal un état de choses que l'on critique avec raison, mais que l'on peut faire disparaître.
Sans doute la refonte de notre monnaie d'argent offre des difficultés ; elle nécessitera des dépenses et causera quelques embarras momentanés ! Est-ce une raison pour prendre pour étalon une monnaie près de laquelle les pièces usées ont un excédant de poids ?
Les mètres, de quelque substance qu'on les fasse, finissent par s'user et se raccourcir ; si la plupart de ceux qui se servent dans le pays avaient subi ainsi les atteintes du temps, il serait, sans doute, très simple, pour les rendre tous exacts, de diminuer la mesure-type, de sorte qu'étant aussi courte que les mètres usés, il suffit de recouper un peu ceux qui se sont mieux conservés.
Je doute que cet expédient facile eût beaucoup de succès, si on le proposait. Celui qu'on nous présente, quant à l'or, est exactement semblable. Sous quelque forme que les partisans de la proposition de loi présentent leurs opinions, c'est contre le principe fondamental de l'invariabilité des monnaies qu'ils viendront toujours se briser.
Il est un ordre de considération auquel j'ai à cœur de répondre, parce qu'il joue un grand rôle dans les réclamations qui se produisent.
Notre pays, a dit l'honorable M. de Theux, souffre des pertes continuelles dans ses relations avec la France, par suite de l'état de notre monnaie.
Je ne veux pas démontrer ce qui a déjà été tant de fois exposé, que les pertes sont imaginaires ; je les admets. Mais je me demande comment la proposition de loi pourrait y mettre un terme.
Nous recevons de la France un certain nombre de pièces de vingt fr. sur lesquelles, prétend-on, nous essuyons une perte.
Mais la loi n'écartera cette perte qu'en obtenant l'un des deux résultats suivants :
Or forcer les Français à nous donner un plus grand nombre de pièces d'or.
On donner à celles que nous recevons une plus grande valeur. Mais personne ne soutiendra que nous puissions atteindre le premier résultat, et si l'on pense que nous pouvons à notre gré augmenter la valeur de la pièce de vingt francs, pourquoi ne porte-t-on pas la valeur du napoléon à 21 francs, à 30 francs à un taux plus élevé ?
Mais, dit l'honorable M. de Theux, je veux améliorer notre change sur Paris.
Quant à cela, rien de plus facile. Si l'honorable membre veut mettre en avance notre change sur Paris, il ne tient qu'à lui, il obtiendra le cours qu'il voudra, il lui suffira de diminuer la monnaie, le change montera d'autant.
Messieurs, je savais que le régime politique de l'Autriche a des admirateurs, mais je ne savais pas que sa situation financière fût aussi bien partagée. Quelle position magnifique cependant au point de vue du change ! toutes les places de commerce de l'Europe sont en avance sur Vienne, et si le papier qui y remplace la monnaie se déprécie, le change déjà si avantageux va encore s'améliorer !
La Turquie a dû faire aussi à cet égard, d'après les idées de l'honorable comte de Theux, des changements monétaires bien avantageux. Elle a eu anciennement la même piastre que l'Espagne. Mais tandis que dans ce pays la piastre vaut encore plus de 5 francs, en Turquie elle a été successivement diminuée, elle ne vaut aujourd'hui que la vingt-cinquième partie de la piastre espagnole.
Si l'on avait conservé l'ancienne manière de compter piastre pour piastre, à Constantinople le papier sur Madrid serait à quelque chose comme 2500 pour cent avancé. Et ce seraient là des exemples à suivre ?
Non, messieurs ; conservons fixe et invariable notre étalon monétaire, et si on constate des embarras dans une période de transition, cherchons le remède dans des mesures qui se concilient avec le droit et la vérité.
La proposition que mes honorables amis et moi avons déposée a, pensons-nous, ce caractère.
Permettez-moi d'en bien fixer la portée.
Cette proposition repose sur deux idées bien simples : maintien de l'étalon d'argent, liberté pour tous en ce qui concerne l'or français.
L'argent continuerait donc à être la seule monnaie légale ; nul ne serait contraint d'accepter l'or, mais chacun serait maître de l'accueillir aux conditions qui lui conviendraient. L'Etat, qui est une personne morale ayant comme les particuliers ses (page 744) droits et ses intérêts, doit aussi pouvoir recevoir l'or et déterminer les conditions de son acceptation.
Notre proposition a pour but unique de fixer légalement ces conditions. Elle déclare que l'Etat acceptera l'or a sa valeur réelle, que le gouvernement constatera d'après le cours de la Bourse.
Voilà toute notre proposition.
Que de critiques, que d'attaques cependant contre une disposition si simple ! Nous rétablissons le double étalon, nous perpétuons les incertitudes monétaires, nous organisons l'agiotage des receveurs, bien plus nous l'organisons dans le pays entier.
Singulière manière, on en conviendra, de rétablir le double étalon, c'est-à-dire la double mesure, que de tout rapporter à la valeur de l'argent, même la valeur de l'or !
Singulière manière de maintenir les incertitudes que de déclarer que jamais la monnaie ne doit varier ; d'autoriser chacun à ne donner et à ne recevoir que cette monnaie invariable, en lui laissant la liberté la plus absolue quant aux autres espèces.
On craint l'agiotage des receveurs de l'Etat, mais ils doivent, si je ne me trompe, verser au trésor les sommes dont ils sont dépositaires, dès qu'elle atteint le chiffre de 5,000 fr. Pense-t-on qu'on puisse bien spéculer sur de pareilles sommes, là où il n'y a pas de bourse surtout ?
Du reste, le gouvernement est libre d'exiger des receveurs qu'ils inscrivent chaque jour les sommes en or qu'ils reçoivent, et l'objection même disparaîtra.
Nous allons, dit-on, entraîner le pays dans des spéculations sur la monnaie. Mais, je me trompe fort, ou rien ne provoque plus à ces spéculations, ne les rend plus imminentes que le projet de loi de M. Dumortier.
Messieurs, voyez ce qui s'est passé en France. Ce pays avait une circulation de près de 3 milliards d'argent ; cet immense capital a été, grâce à la législation dont on veut nous doter, livré en proie aux spéculateurs qui ont prélevé sur ce numéraire de fortes primes, est-ce là ce que vous voulez faire ?
Tout ce qui reste d'argent dans le pays et dans les caisses de la Banque Nationale va être enlevé. Cet agent a sur l'or un excès de valeur, vous l'enlevez aux particuliers qui le détiennent pour le donner à ceux que vous appelez les agioteurs.
L'honorable M. Coomans nous a fait un reproche d'un autre genre, il a trouvé du reste, intéressant, messieurs, de me mettre en contradiction avec moi-même.
Comment ! dit l'honorable membre, vous voulez la fixité d'une monnaie comme un bien, et pour avoir la fixité vous admettez une monnaie essentiellement variable ! N'est-ce pas aller directement contre le but que vous poursuivez ?
L'honorable membre admettra avec nous que l'argent a aujourd'hui une valeur présentant plus de stabilité que l'or. L'argent doit dès lors être pris pour étalon monétaire. Mais on nous demande de pouvoir payer les contributions en or. Que faut-il faire pour remédier à la variabilité de la valeur de l'or ?
Mais précisément ce que nous faisons, attacher sa valeur à celle de l'argent, par un changement de quantités. Si l'or baisse on en exige plus, s'il hausse on en demande moins. L'or est ainsi mesuré avec l'argent, et par le changement des quantités on obtient la permanence de la valeur.
Si nous voulions permettre le payement des contributions en grains, que ferions-nous pour parer à la mobilité de la valeur ? Nous prendrions le prix des mercuriales, et nous proportionnerions ainsi la quantité à en demander à l'élévation ou à la diminution de la valeur. Cette mesure si simple est celle que nous proposons pour l'or. Supposons, messieurs, que nous ayons un mètre en bois ou en fer d'une longueur ne changeant jamais sous l'influence du froid ou de la chaleur, et que l'on nous oblige cependant à mesurer parfois avec une colonne de mercure. Le mercure, on le sait, est extrêmement impressionnable par la température. Si je roulais maintenir la colonne de mercure toujours de la dimension de mon mètre en bois ou en fer, je n'aurais qu'à retirer un peu de mercure quand il fait chaud, et en ajouter un peu quand il fait froid. Dirait-on que nous ajoutons à la variabilité de la longueur de la colonne de mercure ?
Le système de notre proposition n'est pas nouveau.
Il a été soutenu par M. Malou dans la commission instituée par M. le ministre des finances.
J'avais l'espoir que je pourrais invoquer son autorité et faire quelques emprunts aux feuilles toujours si pleines de verve et d'esprit où notre ancien collègue a développé ce système ; je dois y renoncer ; une nouvelle végétation a remplacé les feuilles de l'année dernière.
Tout ce long débat se résume en deux mots.
Un pays voisin frappe une monnaie qui n'a pas intrinsèquement la valeur du nom qu'elle porte.
Deux systèmes sont en présence :
Le nôtre est celui-ci : vis-à-vis de cette monnaie liberté entière et complète, pour chacun et pour tous ; l'Etat usant de cette liberté acceptera cette monnaie pour ce qu'elle vaut réellement.
Nos adversaires disent au contraire : Cette monnaie, nous l'imposons à tous les Belges, à ceux qui en veulent comme à ceux qui n'en veulent pas, à ceux qui doivent la recevoir comme à ceux qui ont droit de la refuser, à ceux qui ont intérêt à la prendre comme à ceux qui ont intérêt à ne pas l'accepter. C'est ce qu'on appelle la liberté de l'or.
C'est entre ces deux systèmes qu'il faut choisir.
(page 733) M. Coomans. - Une lecture attentive du discours de l'honorable ministre des finances n'a guère diminué l’impression pénible que j'avais d'abord ressentie. J'ai retrouvé au Moniteur les accusations sévères, les épithètes outrageantes que l'organe du gouvernement a dirigées contre les partisans du cours légal de l'or français. Ainsi j'annote successivement, d'après le texte officiel, ces allégations nettes et claires : qu'une agitation a été organisée suivant toutes les règles ; que le cours légal serait un danger pour le pays ; qu'on veut que le gouvernement bénéficie sur la fabrication des monnaies, précisément comme si nous étions en plein moyen âge ; que ce système monstrueux a été appuyé par de nombreux pétitionnaires ; qu'il est plein d'énormités, d'iniquités ; qu'on propose sans scrupule de réduire les dettes, de violer les contrats, de méconnaître les engagements contractés sous la garantie de la loi ; que le cours légal est une énormité, une violation des principes les plus élémentaires de l'équité ; que le roi Philippe le Bel a fait ce que nous sollicitons aujourd'hui ; que les hommes qui ont accepté la mission d'agiter l'opinion, sont des malheureux chez qui l'audace de la sottise est greffée sur l'ignorance (je croyais avoir entendu le mot mensonge.)
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous avez très mal entendu, je n'ai rien dit de semblable.
M. Van Overloop et d'autres membres. - Le mot a été entendu.
M. Coomans. - Je me console parce que d'autres honorables membres n'ont pas eu de meilleures oreilles que moi. Du reste j'accepte la dénégation de l'honorable ministre. J'emploie l'expression dont il dit s'être servi et non celle que m'avaient apportée mes oreilles. J'espère qu'il sera satisfait de ma concession.
... Que si nous voulons sanctionner des bénéfices faits au détriment de l'ouvrier qu'une loi est demandée pour qu'il n'y ait pas d'obstacle à cette opération ; que ce sont là des expédients exorbitants et injustes ; qu'il y a dans le cours légal une violation évidente de tous les contrats ; que nous essayons en vain d'échapper à la réprobation d'une mesure aussi manifestement inique ; que nous voulons faire de la fausse monnaie ; que rien ne peut justifier cette immense iniquité de substituer une monnaie à une autre en violation de tous les contrats ; que dans le parlement anglais pas un seul membre n'appuierait la proposition que nous avons osé faire ; que nous sollicitons une grande iniquité qui serait une atteinte irréparable à la foi publique, sans exemple dans la législation d'aucun peuple civilisé ; que ce serait tronquer tous les contrats, violer tous les engagements publics et privés ; qu'il n'y aurait dans la législation d'aucun peuple civilisé une loi faite dans de pareilles conditions ; que ce serait une loi stigmate ; que nous n'avons pas le droit de faire la loi qu'on nous propose ; qu'il y a là une question de parti, une question de justice, une question d'équité, une question légale, enfin que l'intérêt du pays est trop fortement engagé pour qu'on puisse céder à aucune autre considération ; qu'adopter la mesure qui vous est proposée, ce serait décréter un acte qui ferait condamner le parlement belge par l'histoire !
Messieurs, je déclare qu'il est impossible d'adresser à d'honnêtes gens des reproches plus vifs que ceux que je viens de résumer.
Messieurs, tel est le langage du gouvernement, telles sont les (page 754) déclarations qu'il nous a faites. De la part du gouvernement une semblable appréciation d'un projet de loi est très grave ; je n'hésite pas à dire qu'elle met les Chambres, le ministère et la royauté dans une situation très ardue, très fausse, dans une sorte d'impasse d'où il nous sera très difficile de nous dégager. Un simple membre de cette assemblée pourrait sans inconvénient soutenir qu'un projet de loi est injuste, inique, immoral, monstrueux, flétrissant pour les auteurs et ses adhérents ; mais un ministre parlant au nom d'un des trois grands pouvoirs de l'Etat engage à la fois le présent et l'avenir quand il a recours à des arguments aussi incisifs et aussi décisifs. Un gouvernement qui a stigmatisé de la sorte un projet de loi ne peut pas le promulguer.
Le langage que nous avons entendu nous prouve que le projet de loi voté éventuellement par les deux Chambres ne sera pas promulgué.
Pour oser tenir un pareil langage, il faut que le gouvernement soit bien sûr de sa majorité ; il faut qu'il soit bien sûr que le cours légal sera repoussé par cette Chambre, car sinon, la flétrissure qu'il exprime porterait plus loin et plus haut qu'il ne le désire sans doute. Dans le cas où une majorité se prononcerait ici et au Sénat pour une loi injuste, immorale, inique, monstrueuse, pour une loi que nous n'avons pas même le droit de faire, voilà le parlement belge flétri et condamné par l'histoire ; et comme la majorité du parlement se compose d'amis politiques du gouvernement, vous voyez, messieurs, sur qui retombent principalement la flétrissure et la condamnation.
M. Dolez. - Sur ceux qui voteront pour la proposition.
M. Coomans. - Je suppose une majorité en faveur du projet, quels que soient les éléments de cette majorité ; et je dis que c'est sur cette majorité que retomberont la flétrissure et la condamnation, d'après l'organe du gouvernement.
M. Guillery. - C'est une opinion personnelle, que la majorité libérale n'accepte pas.
M. Coomans. - Je ne parle pas de la majorité libérale, mais de la majorité qui se prononcera en faveur de la proposition.
Si donc M. le ministre des finances, guidé par la conviction, honorable, je le reconnais, que le cours légal de l'or est une monstruosité, si donc M. le ministre des finances et ses amis ont voulu rendre impossible la promulgation de la loi sollicitée, ils ont habilement atteint leur but.
Mais, puisque cette promulgation ne doit pas avoir lieu par le cabinet actuel, pourquoi ne pas nous le dire dès le premier jour, pourquoi nous laisser discuter dans le vide, pourquoi créer et envenimer un conflit presque inévitable entre le parlement et le gouvernement ?
Voilà la portée parlementaire et politique du langage du gouvernement. Vous l'apprécierez, messieurs.
Quant aux pétitionnaires, son langage n'a été ni plus modéré ni moins embarrassant. Les pétitionnaires sont des ignorants, des partisans de la doctrine de Philippe le Bel et d'autres faux-monnayeurs du moyen Age ; ils prêchent la spoliation de l'ouvrier et le vol, à leur insu, il est vrai ; aussi daigne-t-on presque absoudre ces criminels retardataires par la circonstance atténuante de leur imbécillité.
Il est clair que si les pétitionnaires sont ce que je viens de dire, nous qui les soutenons, nous le sommes un peu aussi ; je ne relève pas la chose pour m'en plaindre en ce qui me concerne ; je suis habitué depuis longtemps, et mes honorables amis également, l'accusation de représenter et d'aimer les ignorantins, les innocents, les rétrogrades, les abus d'un autre âge ; j'y suis résigné, et il s'en faut de peu que je ne m'y complaise.
Mais le gouvernement n'y a pas pris garde : en croyant n'écraser que des adversaires, il a abîmé la réputation de ses amis : il a enveloppé dans le même reproche d'ignorance et de pis l'élite du pays intelligent, de grandes associations libérales, des chambres de commerce, de nombreux, honorables et riches travailleurs, qui sont l'honneur et la force de la Belgique. La vérité est que la plupart des pétitionnaires et les plus sérieux appartiennent à nos grandes villes ; ce sont des électeurs indépendants, puissants, des directeurs de l'opinion publique.
Je ne parviens pas à saisir l'intérêt qu'on peut avoir à prétendre et à prouver qu'on a été envoyé ici par des admirateurs de l'économie politique de Philippe le Bel, à démontrer qu'on représente ici des sots et des ignorants.
Messieurs, je regrette que ma vieille opinion sur l'excellence de l'or m'ait empêché d'applaudir au langage du gouvernement, car j'y aurais trouvé une belle occasion de faire ressortir la haute intelligence et la moralité hors ligne des électeurs campinois. L'honorable M. Frère leur a adressé les compliments les plus flatteurs sur la finesse de leur esprit et la droiture de leur cœur. En effet, les Campinois n'ont pas pétitionné ; leur antique vertu est restée immaculée aux yeux de M. Frère.
Messieurs, vous ne les trouverez pas au nombre des pécheurs rétrogrades et endurcis de Bruxelles, Gand, Tournai, Mons, Charleroi, Namur, etc. ; les Campinois ne se sont pas associés aux énormités immorales, aux vœux iniques, monstrueux, horribles, du reste de la nation.
Ils ont prouvé ainsi, non seulement qu'ils sont d'honnêtes gens, ce dont M. le ministre des finances n'a certes jamais douté, mais qu'ils sont, d'après lui, des gens d'esprit et d'excellents économistes, ce qui l'étonnera un peu, je pense.
Hélas ! force nous est de le confesser, les représentants de la Campine ne sont pas à la hauteur de leur mandat ; ils ne sont pas dignes, eux partisans de l'or, de représenter ici une population souverainement spirituelle et honnête qui n'a pas pétitionné contre la doctrine du gouvernement. Notre conscience doit être un peu à la gêne, à moins que nous ne parvenions à découvrir une autre cause de l'abstention de nos mandants : cette cause pourrait bien être, je regrette d'avoir à le dire, le manque d'or dans les poches de la plupart des habitants de la Campine, en sorte que leur vertu en face des doctrines de Philippe le Bel s'expliquerait par leur pauvreté, et le crime des Bruxellois, Gantois et Montois par leur richesse relative.
En résumé il me semble que le gouvernement doit ou non déclarer nettement que la loi éventuelle du cours légal ne sera pas promulguée, ce qui simplifiera nos débats, ou retirer l'accusation d'immoralité monstrueuse qu'il a lancée contre les auteurs et les partisans du cours légal de l'or français.
Messieurs, un dernier mot. Il y a beaucoup à dire, au point de vue de l'économie politique, sur la question qui nous divise.
On peut avec de l'esprit, avec l'habileté de beaucoup d'honorables adversaires, prolonger beaucoup les débats ; nous pouvons honorablement rester divisés sur ce point, mais toute cette discussion me semble dominée par l'argumentation de l'honorable ministre des finances.
Dès qu'on me dit qu'une loi est injuste, qu'elle est immorale, je ne fais plus attention qu'à ces qualifications-là, et j'ajourne le reste parce qu'il doit être bien entendu qu'il n'y a pas dans cette assemblée un seul membre qui veuille voter ou faire promulguer une loi immorale, une loi malhonnête, une loi qui ait les caractères que vous dites.
Voilà pourquoi j'attache très peu d'importance à tous les détails scientifiques qu'on expose ici, et pourquoi j'ai été plus particulièrement frappé de la question de savoir si la loi était juste ou injuste, Eh bien, je vous le demande, voilà bien longtemps déjà que nous discutons, pourquoi ne nous dites-vous pas nettement si vous êtes d'avis, oui ou non, de donner une suite sérieuse à notre débat ? Il est clair que si le gouvernement était venu nous dire loyalement dès le premier jour de notre discussion : « Nous considérons cette loi comme une loi injuste, malhonnête, immorale, comme une loi de spoliation et de vol, il est impossible que nous y prêtions la main ; » si le gouvernement s'était exprimé de la sorte, la discussion eût marché beaucoup plus rapidement. Nous n'avons pas le droit de faire une loi immorale ; c'est ainsi que M. le ministre des finances s'est exprimé dans son discours. Avant de rédiger les articles d'une loi, nous avons à examiner si nous avons le droit d'inscrire dans cette loi tel ou tel principe qui en constituerait la base fondamentale.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je désire adresser une simple question à l'honorable M. Coomans. L'honorable M. Coomans se prononce-t-il contre la proposition de loi de l'honorable M. Dumortier ?
M. Coomans. - Vous savez bien que non.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Eh bien, voilà la réponse à votre question : Vous ne croyez donc pas que la proposition de loi soit injuste ou, comme vous le dites, immorale. Dès lors, que vous importe mon opinion personnelle ?
M. Coomans. - Je réponds immédiatement à la question de M. le ministre des finances. Je suis complètement désintéressé dans la question de gouvernement et de promulgation. C'est l'opinion du gouvernement qu'il nous importait de connaître, non la mienne, et je regrette que le gouvernement nous ait fait perdre tant de temps pour en venir à un résultat qui pour moi, je lui fais l'honneur de le croire, est inévitable ; c'est la non-promulgation de la loi. Comment voulez-vous que le gouvernement, qui qualifie si outrageusement le principe de la loi, puisse soumettre cette loi à la signature royale et la faire publier au Moniteur ! Je n'y comprendrais rien, j'ai le droit de n'y rien comprendre, et je crois vous faire honneur en supposant que vous ne voudriez point participer à la promulgation d'une pareille loi.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Soyez tranquille, ceci ne vous regarde pas.
M. Jacquemyns. - Je tenais à prendre la parole dans cette (page 755) discussion, non pas dans l'espoir de jeter de nouvelles lumières sur la question : au point où en est arrivé le débat il faudrait des lumières éclatantes pour produire encore quelque effet ; mais il m'importe de justifier le vote que je vais émettre.
Je voterai contre le projet de l'honorable M. Dumortier parce que, dans ma conviction, il ne produira aucun des résultats que les pétitionnaires en attendent ; parce que, dans ma conviction, il ne diminuera en rien la gêne dont se plaignent les pétitionnaires, et ne dissipera pas les embarras de notre circulation monétaire.
Du reste, tout ce que je pourrais dire à cet égard a été exposé déjà par de précédents orateurs, et je pense que la Chambre me saura gré de me borner à une simple déclaration. Vous allez, messieurs, opter entre deux systèmes : l'un consiste à dire : le franc est et demeure tel qu'il a été fixé par les immortels auteurs du système métrique ; l'Etat vous aidera, dans la mesure de son pouvoir, à reconnaître aisément la monnaie qui vous sera présentée, et vous serez libres de contrôler la monnaie comme vous l'entendrez. Voilà, si je ne me trompe, le système de M. le ministre des finances. C'est, à coup sûr, le système de la liberté.
L'autre système consiste à dire : Quand vous verrez sur l'un des côtés d'une pièce de monnaie l'effigie de S. M. le roi des Belges ou de l'empereur des Français ou du roi de Sardaigne, retournez-la et vous verrez pour combien il faut la recevoir. Toute vérification est interdite. Quelque altération qu'ait subie une pièce de 20 francs, et aujourd'hui cette altération peut se faire avec une extrême facilité, cette pièce vaudra 20 francs jusqu'à ce que la loi dise qu'elle ne doit plus être reçue qu'au poids. Voilà le système de la proposition de loi. C'est le système de l'arbitraire, et je voterai contre ce système.
M. Hymans. - Au point où nous en sommes, il ne s'agit plus de discuter des théories économiques ; la Chambre est fatiguée. La discussion est épuisée, les opinions sont faites, mais il est un point très essentiel, c'est qu'au moment du vote chacun se rende un compte exact de la situation, que nous l'envisagions en face, telle qu'elle est, avec ses conséquences matérielles et politiques.
J'ai écrit ces quelques lignes, parce que je ne veux pas m'exposer à dire plus que ma pensée, et que je veux être bref, mais je croirais manquer à mon devoir si je ne disais pas ce que j'ai sur le cœur, à nos adversaires et surtout à nos amis.
J'ai prononcé le mot de politique. Eh bien, oui, messieurs, il s'agit ici, d'aller droit au but, de montrer au pays qui le mène et de qui la Chambre est en voie de faire les affaires, sous prétexte d'or, de changes, d'escompte et d'étalon monétaire.
L'opposition a fait preuve, en tout ceci, d'une habileté que j'appellerais infernale, si l'opposition pouvait avoir quelque chose de commun avec l'enfer.
Elle a su tirer parti de toutes nos fautes, et, à bout de griefs politiques, trouver pour les élections prochaines un mot d'ordre qu'elle aurait en vain cherché dans son arsenal habituel.
En effet, sur quoi se fonder pour agiter les populations ? Quoique vous n'ayez pas tous voté les fortifications d'Anvers, vous n'oseriez pas transporter la question sur le terrain brûlant de la défense du pays !
Un instant, vous avez eu l'espoir de vous faire un piédestal de votre opposition à la loi des octrois.
Mais le pays est trop édifié sur la valeur du service qu'on lui a rendu par la suppression d'un impôt vexatoire et injuste, pour se laisser égarer par ces clameurs, dont il vous serait difficile de retrouver quelque part le plus faible écho.
Des griefs politiques, où les prendriez-vous ? Ce n'est pas le rétablissement du grade d'élève universitaire qui vous procurera de quoi remuer les masses.
Le gouvernement et la majorité se sont abstenus avec soin de toute discussion irritante. Les hommes les plus sages du parti conservateur ont donné dans les deux Chambres un vote de confiance au cabinet au début de la session actuelle.
Fallait-il donc laisser à l'opinion libérale le champ libre, se retirer de la lutte dans la Flandre et le Hainaut, se résigner à rester minorité pendant au moins deux années encore et laisser confirmer par le pays le verdict favorable rendu à propos du budget de l'intérieur par la majorité parlementaire ?
Une pareille conduite eût été une abdication. On a trouvé un grief, on l'a exploité avec art, longuement, on l'a caressé avec amour, on s'en est emparé comme d'une bonne fortune ; on a trouvé moyen de confondre sous le même drapeau tous les mécontentements, toutes les déceptions, tous les préjugés, toutes les colères, on a rassemblé des signatures en faveur d'une thèse économique, en faveur d'un principe qui paraissait neutre, dépourvu de toute couleur politique et faisant d'une pierre deux coups, on a jeté à la fois la défiance dans le pays et la division dans nos rangs.
Voilà où est l'intérêt politique. Qu'on le nie tant qu'on le voudra, mais au moins le fait aura été constaté dans cette Chambre, et le pays aura été averti.
L'honorable M. Dumortier protestait l'autre jour contre ce reproche. « Si j'avais été guidé par une pensée politique, s'écriait-il, je n'aurais pas présenté mon projet de loi, je vous aurais laissé avec vos tenants, vous présenter devant les électeurs au mois de juin prochain. Au lieu de cela je viens vous offrir une planche de salut. »
En vérité, l'honorable membre est bien charitable. Pour ma part, je crains les Grecs et leurs présents. Timeo Danaos et dona ferentes. Cette planche de salut offerte par l'honorable M. Dumortier à l'honorable M. Frère, me paraît bien suspecte, et l'honorable député de Roulers sait bien que M. le ministre des finances ne se risquera pas à la traverser. L'honorable membre serait bien étonné, s'il voyait ses adversaires y mettre les pieds. Il verrait dans cette confiance une bien étrange palinodie. Oh non, ce n'est pas là ce que vous voulez, ce n'est pas là ce que vous devez vouloir. Vous êtes un homme politique, M. Dumortier. Vous siégez depuis trente années dans cette Chambre. Vous y défendez, depuis trente ans, des convictions que vous n'avez pas abandonnées. Vous êtes l'homme politique le plus militant de cette Chambre et vous iriez, à la veille des élections, faire des caresses à vos adversaires de plus d'un quart de siècle. Ce bloc enfariné ne me dit rien qui vaille. Ce que vous voulez, ce que vous espérez, je vais vous le dire, et vos amis ne s'en cachent pas. Vous seriez peut-être enchanté si la proposition passait, parce que le gouvernement serait amoindri, renversé peut-être. Mais, vous faisant, à mon avis, une profonde illusion, vous seriez peut-être plus enchanté si votre proposition ne passait pas, car alors la question resterait ouverte pour les prochaines élections, et vous auriez à la fois le bénéfice du mal et de votre impuissance à y porter remède.
Quoi ! vous ne faites pas ici de la politique ? Mais que faisons-nous d'autre, tous les jours et à toute heure ? Vous ne faites pas de la politique, mais alors pourquoi cette unanimité dans vos rangs ? Pourquoi l'honorable M. Vander Donckt, si explicite, si net, si catégorique en 1858, a-t-il changé d'avis ? Par quel miracle la grâce est-elle descendue dans l'esprit de l'honorable M. Vermeire ? Pourquoi l'honorable M. Mercier ne s'explique-t-il pas, après son discours si franc, si remarquable, si décisif de 1856 !
.M. Dechamps. - Il n'est pas ici.
M. Hymans. - Pourquoi n'y est-il pas ? Ayons donc le courage de notre pensée !
L'opinion publique qui nous juge nous en saura gré. Elle estime avant tout le caractère. Si elle veut que nous soyons inviolables, c'est uniquement parce qu'elle veut que nous disions la vérité.
Cette pauvre opinion publique, messieurs, a été singulièrement calomniée dans cette enceinte. On nous l'a représentée comme une force brutale avec laquelle on ne raisonne pas, comme un despote qui dicte des ukases à ses mandataires, comme une entêtée qui refuse d'entendre raison, comme un enfant volontaire à qui il faut donner tout ce qu'il demande, pourvu qu'il crie. Messieurs, j'ai plus d'estime et de respect pour l'opinion que ceux qui la jugent de la sorte. Je lui reconnais tous les droits possibles, le droit de se plaindre, de nous exposer ses doléances, le droit de nous juger comme elle l'entend, le droit de nous enlever notre mandat, le droit de se tromper, mais je ne lui reconnais pas le droit de se proclamer infaillible.
L'honorable M. Dumortier lui-même nous a donné plus d'une fois l'exemple de l'indépendance vis-à-vis de l'opinion. Quand il combattait l'abolition des octrois, malgré l'opinion de l'arrondissement de Roulers qui pétitionnait en faveur de la loi ; quand il défendait la loi de la charité, malgré l'opinion de l'immense majorité du pays, s'inclinait-il devant les clameurs du dehors ? Non sans doute, et je l'en félicite ; pourquoi donc veut-il que nous fassions aujourd'hui ce que tant de fois, au nom de son indépendance de citoyen et de député, il a refusé de faire, plaçant au-dessus des circonstances, ce qu'il croyait être le droit, la justice et la vérité !
Quant à moi, dans la circonstance actuelle, je veux accepter l’opinion publique pour guide. Mais encore faut-il voir ce qu'elle est, de quoi elle se compose, et comment elle s'exprime. Je suppose que nous ayons reçu 300 pétitions, et que chacune d'elle compte cent signatures, soit 30,000 Belges, sur 5 millions, qui se plaignent. Que faites-vous de ceux (page 736) qui ne se plaignent pas ? Est-ce que l'opinion publique ne se compose pas aussi bien de ceux qui se taisent, que de ceux qui parlent ?
Que de fois ne voyons-nous pas dans cette chambre des projets de loi votés à un immense majorité, après avoir été combattus par quelques orateurs avec un éclat retentissant ? Comptez-vous pour rien ceux qui votent ? Maintenant parmi ceux qui se plaignent, combien y en a-t-il qui ne comprennent pas entièrement la portée de ce qu'ils réclament, combien qui ont signé sans savoir ce qu'ils signaient, combien d'autres qui le savaient trop bien et que la passion politique faisait agir ? N'est-ce pas l'histoire de tous les pétitionnements, et ne savez-vous pas combien peu il en coûte à bien des gens de donner une signature qui n'engage à rien ?
Pour ma part, j'ai cherché à connaître quelque peu cette opinion publique, là où je suis le mieux à même de la juger. J'ai trouvé autant d'adversaires que de partisans de la proposition de loi, j'ai trouvé surtout beaucoup d'électeurs qui m'ont dit que la crise était passée, que leurs griefs n'étaient plus les mêmes qu'il y a deux ans ; j'en ai trouvé un plus grand nombre qui ne se doutaient pas de la gravité du moyen qu'il nous ont suppliés de formuler en mesure législative. Mais je le déclare, je n'en ai pas trouvé un seul qui ne fût disposé à écouter de bonnes raisons, qui ne fût indigné de s'entendre comparer à un despote, fermant l'oreille à tout argument et décidé à ne pas se laisser convaincre.
Eh bien, c'est pour cela que j'ai pris la parole et que je dis à nos amis : Prenez garde ! vous vous trompez peut-être sur le véritable état de l'opinion publique.
Je voudrais, messieurs, que ce conseil pût être donné par une voix qui eût plus d'autorité que la mienne, par quelque vétéran de notre parti. Mais je ne serai pas désavoué, sans doute, quand j'apprécierai la situation comme suit :
L'opinion publique s'est-elle bien rendu compte de la portée de ses réclamations ? Elle se plaignait d'une gêne que personne de nous ne conteste. Elle s'est imaginé que rien n'était plus facile que d'y porter remède. Croyez-vous quelle n'ait pas quelque peu changé d'avis, en voyant les hommes les plus éminents de cette Chambre résister à ses sollicitations, s'y opposer avec énergie, au risque de compromettre leur popularité ? Croyez-vous que vos discussions n'aient pas jeté quelque lumière dans les esprits indépendants ?
J'en ai, pour ma part, la conviction profonde ; et je l'établis sur des faits. A Bruxelles, j'ai pu constater, par moi-même, un revirement notable.
Ce matin même j'ai vu, dans les principaux organes des arrondissements les plus intéressés, un très grand changement de langage. Ils reculent devant les conséquences extrêmes de leurs théories. Les uns conseillent aux députés libéraux de voter contre la proposition de M. Dumortier. Les autres ne réclament plus qu'une mesure provisoire. A Bruxelles un journal spécial, pour lequel je professe une haute estime parce qu'il est rédigé par un homme dont le nom fait autorité dans la science, l'Economiste belge, se déclare le partisan du système du gouvernement. Ailleurs la presse libérale est unanime dans le même sens. Ne sont-ce pas là aussi des manifestations dont il faut tenir compte ?
Je le disais tout à l'heure, nos adversaires politiques ont profité de nos fautes. Je n'hésiterai pas à dire ce qu'elles sont, à mon sens. J'ai la conviction que si, il y a deux ans, M. le ministre des finances avait proposé la tarification à laquelle il se rallie aujourd'hui, et que l'on représente comme un vain palliatif, toute cette agitation se serait éteinte, et peut-être ne serait pas née.
Nous avons eu le tort, nous majorité, de laisser trop longtemps cette question pendante, de laisser des intérêts, plus sérieux il y a deux ans qu'aujourd'hui, à la merci des passions politiques.
Cette conviction est chez moi si sérieuse, que très peu de temps après mon entrée dans cette Chambre, alors que l'honorable M. Dumortier ne m'avait pas encore déclaré une calamité pour le pays, je me serais volontiers associé à lui, il s'en souviendra peut-être, pour préparer une transaction honnête qui eût rendu impossible le mouvement qui nous entraîne aujourd'hui.
Je reconnais ma faute, et je suis d'autant plus désintéressé en le faisant, que je me déclare tout prêt à en porter la peine.
M. le ministre des finances se fait gloire de s'être abstenu de prendre part aux débats des sections.
Je regrette, quant à moi, qu'il n'y ait point paru, comme dans d'autres circonstances qui n'étaient pas plus graves. La Chambre aurait été plus éclairée sur les conséquences de son vote.
Nous autres admirateurs sincères de M. le ministre des finances, amis dévoués de l'opinion libérale, nous ne nous trouverions pas aujourd'hui dans la triste alternative de devoir choisir entre l'abandon de nos principes ou de nos sympathies.
Quant à moi, messieurs, j'ai longtemps hésité à prendre la parole. Aujourd'hui ma conviction est faite.
Je reconnais avec mon honorable ami M. Orts que la gêne existe ; je suis prêt, avec lui, à voter des deux mains un remède équitable et efficace. Mais je ne veux pas plus que lui accepter un remède que je crois pire que le mal.
Nous supportons aujourd'hui, avec l'Europe entière, la conséquence d'un fait économique dont aucun de nous n'est responsable. Je n'y vois d'autre remède que la patience. Et je voterai contre la proposition de l'honorable M. Dumortier, avec le regret d'avouer mon impuissance, mais avec la satisfaction d'avoir fait mon devoir.
Des nécessités pareilles à celle qui nous presseront les condition normales de la vie politique. Les électeurs ont le droit de m'enlever mon mandat, je ne veux pas leur donner le droit de suspecter mon indépendance, et s'ils viennent me demander compte de ma conduite, je leur répondrai comme un orateur de l'antiquité aux citoyens d'Athènes : Citoyens d'Athènes, je suis fâché de vous déplaire, mais je vous ai déplu pour vous servir.
M. Vermeire. - Je n'étais pas ici lorsque, au commencement de cette séance, l'honorable M. Pirmez a exprimé le regret de m'avoir vu changer d'opinion et l'espoir de me voir revenir à l'opinion que j'aurais tout d'abord émise, car, disait-il, on revient toujours à ses premières amours,
Voici une déclaration que je tiens à faire. J'ai défendu, dans mon premier comme dans mon deuxième discours, qu'une monnaie, ayant cours légal dans un pays, doit représenter la valeur intrinsèque pour laquelle elle est émise. J'ai constaté dans mon dernier discours, surtout, que les monnaies d'argent circulant actuellement en Belgique, ne revêt pas cette condition ; que, d'après la note insérée dans le rapport de l'honorable M. Pirmez au ministre des finances, il y avait des pièces de monnaie qui perdaient jusqu'à 8 1/2 pour cent ; telles étaient les pièces de 50 centimes. Les pièces de 5 francs perdent, les unes fr. 3 40, les autres fr. 3 50 ; les pièces de 2 francs perdent 25 francs par mille, les pièces d'un franc, fr. 50 20 ; et, finalement, celles de 50 centimes, fr. 85 50 par mille francs.
J'en ai conclu que la monnaie n'avait plus sa valeur légale ; et, conséquemment, d'après moi, il s'agissait de savoir si celle par laquelle on voulait la remplacer revêtait mieux ces conditions.
J'ai trouvé que l'or représentait bien mieux la valeur réelle que l'argent qui a cours dans le pays, et que dès lors il n'y avait aucun inconvénient à donner le cours légal à l'or français, parce qu'il est impossible de battre une monnaie d'argent pouvant continuer à circuler au poids déterminé par la loi.
Voilà pourquoi j'ai été amené à préférer l'or ; il a une valeur intrinsèque supérieure à celle de l'argent qui circule maintenant dans le pays.
Messieurs, l'opinion que nous avons défendue n'a donc rien d'infernal, elle est logique ; elle se rapproche davantage de la vérité que celle de ceux qui veulent continuer la circulation d'une monnaie d'argent qui n'a pas le poids légal. Voilà comment la grâce est entrée dans mon esprit. Je regrette beaucoup que, de ce qui n'était qu'une question de fait, on ait voulu faire une question politique.
Une question de monnaie n'est pas une question politique, elle intéresse tout le monde, parce que tout le monde a intérêt à avoir une monnaie revêtant les qualités que j'ai indiqués dans mon premier discours.
Quant aux insinuations dont nous avons été l'objet de la part de l'honorable préopinant, je n'y réponds pas, je les laisse tomber.
M. B. Dumortier. - Je répondrai à l'honorable député de Bruxelles, qui vient de se rasseoir à l'instant. Il nous a accusés d'une habileté infernale, expression que, pour ma part, je trouve très peu parlementaire ; il m'a représenté, je l'en remercie, comme ayant dans le pays une influence extrême. Je ne me serais jamais douté que j'avais le pouvoir de mettre en mouvement les associations libérales, purement libérales, de Bruxelles et de Gand, qui se sont prononcées vivement en faveur du cours légal de l'or français.
j'ai annoncé, la première fois que j'ai soulevé la question, que je la considérais comme une simple question d'affaire. Est-ce nous qui l'avons grandie, qui lui avons donné les proportions d'une grande question ?
Nullement, c'est M. le ministre des finances qui, par les développements dans lesquels il est entré, a donné de grandes proportions à ce qui n'était qu'une simple question d'affaire ; ne nous reprochez donc pas d'avoir employé des moyens infernaux.
(page 737) Je demanderai à l'honorable membre, qui a si bonne mémoire, de se rappeler que c'est M. Frère qui m’a mis en demeure de présenter le projet de loi qu'il qualifie d'infernal. (Interruption.)
Vous m'avez sommé de présenter mon projet, vous avez même voulu m'attaquer parce que je ne le présentais pas.
En 1856, qui était au pouvoir quand pour la première fois j'ai demandé la circulation de l'or français ? C'étaient mes amis politiques ; cette question je l'ai défendue quand mes amis étaient au pouvoir et je la défends encore quand ce sont mes adversaires qui y sont.
Ainsi donc si le projet porte ma signature, l'initiative appartient à M. le ministre des finances qui m'a sommé de le présenter.
Qui en a fait surtout une question politique ? C'est l'honorable M. Hymans ; n'ayant pas de bonnes raisons à donner pour justifier son opinion, il a dit que son parti devait se déjuger, qu'après avoir fait fléchir les convictions, on doit abdiquer pour voter.
Nous verrons ce que feront les amis de l'honorable membre ; ils ont assez le sentiment de leur dignité et de l'intérêt du pays, pour ne pas écouter ses conseils.
Je ne puis pas laisser sans réponse deux objections qui ont été faites par l'honorable M. Orts, qui peuvent avoir exercé une grande influence sur vos esprits. II est venu prétendre que le remède était pire que le mal, M. Hymans vient de le répéter, par deux motifs : le premier, parce que la monnaie divisionnaire partira du pays. Voyez la France, a-t-il dit, elle n'a plus de monnaie divisionnaire, les ouvriers doivent aller escompter leur or près des petits particuliers pour se procurer de la petite monnaie.
En second, vous amènerez l'élévation du taux de l'escompte. Quand l'honorable membre est venu dire que les ouvriers qui recevaient de l'or des fabricants, devaient payer des primes pour obtenir de l'argent en échange, j'ai, séance tenante, adressé une lettre à un de mes amis, grand industriel à Roubaix, pour savoir si le fait était vrai.
Voici la réponse qu'il m'a faite :
« C'est la première fois que j'entends parler d'une prime que payeraient les ouvriers (entendez-vous, mon collègue ? c'est la première fois que j'entends parler, etc.)
Voilà ce qu'un des plus grands industriels me répond.. Jugez maintenant de la valeur de cette argumentation.
Jugez de cette calamité effroyable qu'amènerait le projet de loi, s'il était adopté, de faire disparaître la petite monnaie.
Jugez du fondement des raisons de nos adversaires, lorsqu'ils viennent vous dire que dans les villes de fabrique de France, les ouvriers doivent aller trouver les usuriers pour obtenir de la petite monnaie contre de l'or.
J'ai déjà eu l'honneur de vous le dire, la petite monnaie en Belgique est tellement loin de sa valeur réelle qu'il est impossible que la spéculation vienne l'acheter chez nous.
Comment ! il est constaté que le demi-franc, par exemple, est réduit par le frai de 10 p. c. de sa valeur ; et vous vous imaginez qu'il viendra des spéculateurs donner une prime pour acheter cette marchandise ! Cela est impossible.
Encore une fois l'argent ne peut disparaître que si la Banque, pour se venger de ce que nous ne partageons pas son opinion, faisait sortir ces pièces du pays.
La petite monnaie ne sortira pas du pays, il est impossible qu'elle en sorte, parce qu'une monnaie qui perd de 10 à 12 p. c. ne trouvera pas de spéculateurs pour l'acheter au-dessus du pair,
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est cela ! Quand l'argent sortira du pays, on dira que c'est la Banque qui en est cause.
M. B. Dumortier. - Je dis qu'il n'y a que la Banque, qui a toute la petite monnaie dans ses caisses, qui puisse la faire sortir.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est la Banque qui a toute la petite monnaie dans ses caisses ?
M. B. Dumortier. - Vous l'avez dit vous-même.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On ne s'en sert donc pas ?
M. B. Dumortier. - Vous avez dit qu'il y avait des millions de petite monnaie à la Banque.
M. Orts. - Vous avez le tableau de son encaisse.
M. B. Dumortier. - Ainsi ce fait dont on a fait tant de bruit, cette menace si grave pour l'ouvrier d'arriver, ici comme en France, à ce résultat qu'il devrait s'adresser aux usuriers pour avoir de la petite monnaie, repose sur des données complètement inexactes ! Ce fait repose sur l'imagination de l'honorable membre ; il n'existe pas !
M. Orts. - Je l'ai puisé dans les rapports des receveurs généraux.
M. B. Dumortier. - On vous a parlé de l'élévation du taux de l'escompte. C'est encore un rêve. Quel rapport y a-t-il entre l'élévation du taux de l'escompte et la monnaie en circulation ? S'il était vrai que l'or est la cause de l'élévation de l'escompte, un pays comme la Suisse qui a accepté le cours légal de l'or, devrait subir cette élévation du taux de l'escompte, que vous voyez aux Etats-Unis, en France, en Angleterre .
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cela est.
M. B. Dumortier. - Non.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'escompte en Suisse est à 6 p. c.
M. B. Dumortier. - Ce n'est pas un taux exorbitant, mais s'il était vrai que l'argent est une prime contre l'élévation du taux de l'escompte, il en résulterait que les pays qui ont l'argent pour type monétaire ne seraient pas exposés à des crises. Or, Hambourg a la monnaie d'argent. Eh bien, a-t-on oublié la crise monétaire épouvantable qu'elle a subie il y a trois ans ?
L'étalon monétaire n'est rien en matière d'escompté. Ce qui est tout, c'est la spéculation effrénée. Quand une banque, soit en Amérique, soit en France, soit en Angleterre, élève le taux de l'escompte, elle est forcée d’en donner les motifs aux populations.
Eh bien, qu'est-ce que toujours elles disent ? Elles font savoir qu'elles élèvent le taux de l'escompte pour arrêter la spéculation. Voilà le motif, c'est la spéculation effrénée sans capitaux qui est la causé de l'élévation de l'escompte, et à cet égard la Belgique n'a rien à craindre. Elle est un pays trop sage pour s'adonner à de pareilles opérations.
Je ne dirai que deux mots en réponse à l'honorable député de Charleroi qui a parlé le premier dans cette séance.
Je ne le suivrai pas dans tous ses détails ; votre désir d'en finir ne me le permettrait pas. Je répondrai à un seul de ses motifs.
L'honorable membre vous a proposé le système de la tarification de la monnaie d'or. Et en quel nom vous l'a-t-il proposé ? Au nom de la liberté.
Mais qu'est-ce pour lui que la monnaie d'or ? C'est une marchandise. Et vous proposez de faire tarifer une marchandise par le gouvernement ? Mais proposez alors de faire tarifer le fer, de faire tarifer la houille, et vous serez logique. Comment ! vous êtes un économiste et vous venez proposer de faire tarifer les marchandises ? Et l'on appelle cela de la liberté ! Je dis que c'est un étrange abus de mots. La véritable liberté consiste à laisser faire à chacune qu'il veut. Acceptez l'or à sa valeur nominale, voilà la liberté ! (Interruption.)
L'honorable M. Frère peut rire aux éclats autant que cela lui fait plaisir. Je sais que c'est un de ses arguments les plus favoris.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Permettez-moi un mot. Je trouve étrange que la proposition de donner le cours* forcé à l'or soit le régime de la liberté.
M. B. Dumortier. - Nous ne donnons pas le cours forcé à l'or pas plus qu'à l'argent. (Nouvelle interruption.)
Si votre système est vrai, vous donnez tous les jours le cours forcé à une marchandise dépréciée de valeur. Car vous forcez les gens à accepter des payements en une monnaie d'argent qui a perdu considérablement de sa valeur. Et quand vous donnez le cours forcé à une pièce de nickel qui n'est guère qu'un morceau de plomb, qui ne vaut pas mieux que le cuir percé d'un clou dont parlait l'honorable M. Piratez, est-ce de la liberté ?
Messieurs, en quoi consiste notre proposition ? Elle consiste à faire cesser l'abus résultant d'un article de la loi de 1850, à revenir à l'ancienne législation, à la législation sous laquelle la Belgique a vécu, dont elle s'est parfaitement trouvée et contre laquelle il ne s'est élevé aucune plainte. Le système de notre proposition de loi ne tend à rien autre chose qu'à revenir à la législation qui régit nos voisins et dont personne, chez eux, ne se plaint.
Toute la question se résume en ceci, faut-il au pays une monnaie légale, oui ou non ? Si un pays doit avoir une monnaie légale, où est la vôtre ? La Belgique n'en a pas. Si la loi exige que vous payiez en monnaie légale, il faut que vous en ayez une. L'honorable M. Frère aura beau dire que l'on a des billets de banque. Je dis que ce n'est pas ainsi que le gouvernement, remplit son devoir. Son devoir est de donner au pays les moyens d'exécuter la loi, or la loi exige que vous payiez tout en monnaie légale, et cette monnaie légale, vous ne l'avez pas. Eh bien, que demandent les pétitionnaires ? Ils demandent que vous leur donniez une monnaie légale, et cette monnaie légale, ils l'obtiendront.
M. Orts (pour un fait personnel). Je ne serai pas long ; je n'abuserai pas du fait personnel.
(page 738) L'honorable M. Dumortier a prétendu que j'avais avancé deux faits inexacts devant la Chambre.
Le premier de ces faits est le manque de la monnaie divisionnaire en France, et la nécessité pour la classe ouvrière de faire des sacrifices onéreux pour s'en procurer.
J'ai trouvé ce fait consigné dans les rapports des receveurs généraux résumés en 1837 par les soins de la commission d'enquête.
Je l'ai trouvé ensuite dans les documents produits par M. le ministre des finances lors du discours qu'il a prononcé, documents se rapportant à la situation des départements frontières voisins de la Suisse.
Je maintiens l'exactitude du fait malgré l'assertion contraire d'un fabricant isolé de Roubaix qui ignore sans doute que dix fabricants de Roubaix, à côté de lui, envoient, toutes les semaines, chercher de la monnaie divisionnaire à Courtrai, à Menin et dans d'autres villes belges.
M. de Haerne. - Cela s'est fait, mais cela ne se fait plus.
M. Orts. - L'honorable M. de Haerne a la loyauté de déclarer que cela s'est fait; je dis que cela se fait et se fera chaque fois qu'il y a intérêt à le faire.
Deuxième fait. J'aurais induit la Chambre en erreur en disant que partout où l'or remplace l'argent dans la circulation le taux de l'escompte s'élève. On m'a reproché de n'avoir pas cité la Suisse. On a reconnu que j'avais raison pour la France, pour l'Angleterre, pour le Piémont et pour l'Amérique. (Interruption.) Je n'entends pas imposer mes conclusions ; je constate le fait ; l'exactitude en est hors de controverse.
On m'a reproché, je le répète, de n'avoir pas cité la Suisse. Je complète sous ce rapport ma citation. Depuis le 1er mars, la Banque de Genève a porté son escompte à 6 p. c. L'escompte sur l'Allemagne, la Belgique et la Hollande est à 5. L'escompte sur Paris est à 7 p. c.
Je n'ai donc pas induit la Chambre en erreur : je maintiens l'exactitude des faits que j'ai cités.
M. le président. - Voici l'article unique de la proposition de loi :
« Article unique. Les pièces d'or françaises qui sont frappées dans la proportion d'un kilogramme d'or fin pour quinze kilogrammes et demi d'argent fin, seront admises à leur valeur nominale comme monnaie légale, aussi longtemps qu'elles ont en France un cours légal à leur valeur nominale. Cette décision s'applique également aux pièces d’or d'autres Etats qui sont frappées en parfaite concordance avec les pièces françaises correspondantes.
« Un arrêté royal déterminera, après examen, quelles sont les pièces d'or étrangères qui remplissent les conditions voulues, et qui peuvent être admises comme monnaie légale. »
MM. Pirmez, Jamar et de Boe ont présenté l'amendement suivant :
« Les pièces d'or françaises de vingt francs seront reçues dans les caisses de l'Etat au taux que le gouvernement fixera tous les six mois.
« Ce taux pourra toujours être modifié dans l'intervalle des fixations périodiques ; il sera déterminé d'après les cours des bourses belges. »
M. B. Dumortier. - M. le président, il y a un article 2.
M. le président. - Cet article 2 avait été proposé à la section centrale, mais il n'a pas été soumis à la Chambre. Le reproduisez-vous comme amendement ?
M. B. Dumortier. - Oui, M. le président.
M. le président. - Voici cet article 2 :
« Le gouvernement est autorisé à frapper des pièces d'or de 20 et de 40 francs en conformité à la loi monétaire de 1832, et des pièces d'or de 10 et de 5 francs aux mêmes poids et dimensions que les pièces concordantes d'or françaises. »
M. le président. - Je crois qu'il faut d'abord mettre aux voix l'amendement de MM. Pirmez et consorts.
- Plusieurs membres. - L'appel nominal !
- L'amendement est mis aux voix par appel nominal.
106 membres sont présents.
41 adoptent.
64 rejettent.
1 membre (M. de Naeyer) s'abstient.
En conséquence, l'amendement n'est pas adopté.
Ont voté l'adoption : MM. Muller, Nélis, Orban, Orts, Pirmez, A. Pirson, V. Pirson, Prévinaire, Rogier, Tesch, Vanderstichelen, Van Iseghem, Van Volxem, Braconier, Dautrebande, David, de Boo, de Breyne, de Bronckart, de Brouckere, de Lexhy, de Renesse, de Ridder, de Rongé, Devaux, de Vrière, Dolez, Frère-Orban, Grandgagnage, Grosfils, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, Julliot, J. Lebeau, Lesoinne, Loos, Moreau, Mouton et Vervoort.
Ont voté le rejet : MM. Neyt, Notelteirs, Nothomb, Pierre, Rodenbach, Royer de Behr, Sabatier, Saeyman, Savart, Snoy, Tack, Thibaut, Thienpont, Vanden Branden de Reeth, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Dormael, Van Humbeeck, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Verwilghen, Wasseige, Allard, Ansiau, Beeckman, Carlier, Coomans, Crombez, de Baillet-Latour, de Bast, Dechamps, Dechentinnes, de Decker, de Florisone, De Fré, de Gottal, de Haerne, de Man d'Attenrode, de Montpellier, de Moor, de Pitteurs-Hiegaerts, de Portemont, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, de Smedt, de Terbecq, de Theux, d'Hoffschmidt, B. Dumortier, Henri Dumortier, Goblet, Guillery, Janssens, M. Jouret, Landeloos, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Ch. Lebeau, Magherman et Moncheur.
M. de Naeyer. - Messieurs, je n'ai pas voté pour l'amendement parce que j'ai la conviction qu'il ne remédierait pas au mal signalé par de nombreuses pétitions. En outre, la mesure aurait, suivant moi, les inconvénients les plus graves. Je n'en indiquerai qu'un seul, celui de transformer le gouvernement en un véritable marchand d'argent, pouvant varier ses prix de jour à autre. Je me suis abstenu de voter contre l'amendement parce que ce vote, combiné avec celui que je suis d'intention d'émettre sur la proposition principale, pouvait avoir pour signification, que je trouve satisfaisante notre situation monétaire. Or, je suis convaincu qu'il y a dans le pays un malaise très réel qu'il serait aussi injuste que maladroit de nier. Je regrette profondément d'être réduit a le constater sans pouvoir y apporter un remède sérieux et efficace, car réduire notre unité monétaire sans compensation et par la simple adoption d'une monnaie d'or étrangère, cela m'est impossible. A mes yeux le remède serait pire que le mal, car il serait injuste.
L'article premier de la proposition de loi est ensuite mis aux voix.
106 membres sont présents.
64 adoptent.
42 rejettent.
En conséquence, l'article est adopté.
Ont voté l'adoption : MM. Neyt, Notelteirs, Nothomb, Pierre, Rodenbach, Royer de Behr, Sabatier, Saeyman, Savart, Snoy, Tack, Thibaut, Thienpont, Vanden Branden de Reeth, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Dormael, Van Humbeeck, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Verwilghen, Wasseige, Allard, Ansiau, Beeckman, Carlier, Coomans, Crombez, de Baillet-Latour, de Bast, de Breyne, Dechamps, Dechentinnes, de Decker, de Florisone, De Fré, de Haerne, de Man d'Attenrode, de Montpellier, de Moor, de Pitteurs-Hiegaerts, de Portemont, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, de Smedt, de Terbecq, de Theux, d'Hoffschmidt, B. Dumortier, H. Dumortier, Goblet, Guillery, Janssens, M. Jouret, Landeloos, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, C. Lebeau, Magherman et Moncheur.
Ont voté le rejet : MM. Muller, Nélis, Orban, Orts, Pirmez, A. Pirson, V. Pirson, Prévinaire, Rogier, Tesch, Vanderstichelen, Van Iseghem, Van Volxem, Braconier, Dautrebande, David, de Boe, de Bronckart, de Brouckere, de Gottal, De Lexhy, de Naeyer, de Renesse, de Ridder, de Rongé, Devaux, de Vrière, Dolez, Frère-Orban, Grandgagnage, Grosfils, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, Julliot, J. Lebeau, Lesoinne, Loos, Moreau, Mouton et Vervoort.
L'article 2 de la proposition de loi est ensuite mis aux voix et adopté.
Il est procédé au vote, par appel nominal, sur l'ensemble de la proposition de loi.
Voici le résultat de cette opération :
106 membres sont présents.
64 répondent oui.
42 répondent non.
En conséquence, la proposition de loi est adoptée. Elle sera transmise au Sénat.
Ont répondu oui : MM. Neyt, Notelteirs, Nothomb, Pierre, Rodenbach, Royer t de Behr, Sabatier, Saeyman, Savart, Snoy, Tack, Thibaut, Thienpont, Vanden Branden de Reeth, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, (page 739) Vander Donckt, Van Dormael, Van Humbeeck, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Verwilghen, Wasseige, Allard, Ansiau, Beeckman, Carlier, Coomans, Crombez, de Baillet-Latour, de Bast, de Breyne, Dechamps, Dechentinnes, de Decker, de Florisone, De Fré, de Haerne, de Man d'Attenrode, de Montpellier, de Moor, de Pitteurs-Hiegaerts, de Portemont, de Ruddere de Lokeren, Desmaisières, de Smedt, de Terbecq, de Theux, d'Hoffschmidt, B. Dumortier, H. Dumortier, Goblet, Guillery, Janssen», M. Jouret, Landeloos, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Ch. Lebeau, Magherman et Moncheur.
Ont répondu non : MM. Muller, Nélis, Orban, Orts, Pirmez, A. Pirson, V. Pirson, Prévinaire, Rogier, Tesch, Vanderstichelen, Van Iseghem, Van Volxem, Braconnier, Dautrebande, David, de Boe, de Bronckart, de Brouckere, de Gottal, de Lexhy, de Naeyer, de Renesse, de Ridder, de Rongé, Devaux, de Vrière, Dolez, Frère-Orban, Grandgagnage, Grosfils, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, Julliot, J. Lebeau, Lesoinne, Loos, Moreau, Mouton et Vervoort.
- La séance est levée à 4 heures et demie.