(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)
(page 589) (Présidence de M. Vervoort.)
M. Snoy procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart, et lit le procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moor présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Poffé demande que la Belgique coopère avec les grandes puissances à l'expédition de Syrie. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les membres du conseil communal d'Hever demandent la construction d'un chemin de fer de Hollogne à Bastogne. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les habitants de Jemmapes demandent que les deux métaux soient employés à la confection des monnaies belges ; qu'on batte de préférence celui des deux métaux qui est le plus abondant ; que le rapport légal soit conservé dans toute son intégrité, et que l'or français soit admis sur le même pied que la France admet l'or belge. »
« Même demande d'habitants de Mons, Hornu, Thulin, Nimy, Dour, Saint-Ghislain, Baugnies, Noirchain, Tournai, Bruxelles, Villers-Ia-Bonne-Eau, Andregnies, Genly, Boussu, Elouges, Grand-Manil, Aye, Waillet, Noville, Malempré, Bastogne, Boussu, Virton, la Hestre, Gand, la Buissière, Longvilly. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la proposition de loi relative à la monnaie d'or.
« Le sieur V. Demily, caporal au régiment du génie, demande à recouvrer la qualité de Belge. »
- Renvoi au ministre de la justice.
M. Goblet. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner la demande de crédit de 1,300,000 francs pour la construction de deux bâtiments de guerre.
- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.
M. Snoy. - Messieurs, la question qui vous est soumise a été traitée hier par mon honorable ami M. Royer de Behr, à un point de vue si juste et si vrai, à mon avis, qu'il ne me reste, pour ainsi dire, rien à ajouter à ses paroles.
Comme il vous l'a dit, les plaintes contre le régime que nous subissons sont tellement vives, le désir de sortir de cette situation tellement unanime, qu'on peut dire que le pays tout entier réclame la libre circulation de l'or.
Je dois cependant faire ici une restriction : je ne puis admettre complètement une théorie qui forcerait un mandataire de la nation à formuler en loi tout désir, tout vœu qui semble être l'expression de l'opinion publique.
L'opinion publique peut se tromper et il peut se rencontrer telle question sur laquelle un représentant aurait une opinion toute différente de celle du corps électoral, doit-il alors voter contre sa conscience ? Evidemment non.
Il doit agir dans le sens qui paraît le plus vrai, le plus juste, le plus utile au pays ; et ce dernier est appelé tous les quatre ans à le juger en lui retirant son mandat ou en le renouvelant.
Messieurs, il existe un fait, un fait constant, que ne pourront renverser ni des théories, ni des discours, quelque éloquents qu'ils puissent être. Ce fait est celui-ci :
Le pays est inondé de monnaie d'or.
Mais, messieurs, en résumé que vous demande-t-on ? On vous demande d'avoir une monnaie dont on puisse se servir dans les transactions, sans subir des pertes continuelles qui, par cela même qu'elles se renouvellent, pour ainsi dire, quotidiennement, deviennent insupportables.
On vous demande de ne pas être exposé aux sommations du receveur de contributions, de ne pas voir sa signature protestée sur un effet de commerce, de ne pas se voir repoussé d'un guichet de chemin de fer, alors qu'on n'a que de l'or à offrir en payement.
Cette demande, elle est juste.
Vous, Etat, vous vous êtes chargé de fournir la monnaie, et vous avez défendu d'en fabriquer ; c'est à vous à en fournir une quantité suffisante ; et cependant c'est vous qui refusez de recevoir celle qu'on vous offre.
Vous la refusez parce que ce n'est pas la monnaie que vous avez fabriquée ! C'est vrai : mais alors il fallait prendre des mesures pour conserver votre monnaie dans le pays.
Vous ne l'avez pas fait, et je reconnais qu'il vous eût été difficile de le faire ; mais alors, prenez des mesures pour parer au mal dans la limite de vos moyens.
Quant à moi, messieurs, je déclare que j'adopterai tout moyen de mettre un terme à l'état de choses dont on se plaint à juste titre.
Je crois que la libre circulation de l'or français est le meilleur moyen de sortir de l'impasse dans laquelle nous nous trouvons ; mais si, dans le cours de la discussion, quelqu'un d'entre vous, messieurs, présente un système qui satisfasse mieux aux justes réclamations du pays, je déclare que je suis prêt à l'accepter.
M. Jamar. - Ce n'est pas sans un grand étonnement, messieurs, que j'ai entendu hier l'honorable M. Royer de Behr reproduire dans cette enceinte une doctrine qui simplifierait singulièrement la tâche de la Chambre en abrégeant des débats, dont l'importance n'échappe à personne. « L'opinion publique a prononcé, dit l'honorable M. Royer de Behr, inclinez-vous, car si le peuple se trompe, il a le droit de se tromper ; c'est lui qui paye. »
Cette doctrine me semble la négation la plus absolue, la plus dangereuse de tous les principes sur lesquels reposent nos institutions. C'est mal comprendre, selon moi, l'exercice du mandat qui nous est confié et l'action de l'autorité dont le gouvernement dispose. Quoi ! en présence de l'agitation produite par la question de l'or, le parlement n'a qu'une chose à faire : enregistrer dans une loi le vœu populaire !
Je proteste contre cette théorie, comme contraire aux droits et à l'honneur de la Chambre. Notre devoir est de nous éclairer et d'éclairer surtout l'opinion publique par une discussion sérieuse, approfondie, sur la valeur des mesures que l'opinion publique croit efficaces et que nous devons repousser si nous les croyons dangereuses.
Voilà, selon moi, quel est notre devoir ; c'est celui que je viens essayer de remplir dans la mesure de mes moyens.
Toute modification apportée dans le système monétaire d'un pays amène inévitablement une gêne, des froissements plus ou moins grands, plus ou moins prolongés.
Nous en trouvons la preuve dans ces nombreuses pétitions qui viennent témoigner des vœux d'une grande partie des populations de quelques-unes de nos provinces.
Je professe un très grand respect pour ces manifestations de l'opinion publique. J'ai vu dans le nombre de ces pétitions et l'honorabilité des pétitionnaires une obligation impérieuse d'apporter tous mes soins à l'étude du mal qu'on signalait, des causes qui l'avaient fait naître, du remède qu'on nous proposait d'y apporter.
J'ai cherché, messieurs, à étudier cette grande question de la monnaie, en dehors de toute idée préconçu, dans l'examen de la législation française et de la législation belge, du système monétaire des puissances qui nous environnent, de nos relations commerciales avec elles, dans l'appréciation des arbitrages auxquels donnent lieu les mouvements du change, enfin dans les circonstances qui amènent ces mouvements.
Toutes ces études n'ont fait que me confirmer la valeur de ces principes pour lesquels quelques partisans du double étalon affectent un trop profond mépris et je viens faire tous mes efforts pour faire partager mes convictions à la Chambre.
Quel est, messieurs, le système auquel semblent s'être ralliés tous les pétitionnaires ? Celui du double étalon monétaire ; et dans la pétition signée dans le meeting qui a eu lieu à l'hôtel de ville de Bruxelles, le 10 février courant, ce vœu est exprimé de la manière suivante :
(page 590) « L'association déclare qu'elle poursuivra le retour à la loi de 1832 en ce qui concerne le principe de la circulation légale et le rapport constant des monnaies d'or et d'argent. »
Voilà donc le vœu nettement formulé de l'association. Mais est-ce que le retour à la loi de 1832 implique naturellement le rapport constant des deux métaux et le double système monétaire ?
Je ne le pense pas, pour ma part.
La loi de 1832 reproduit textuellement, en ce qui concerne le poids, le titre et la valeur, les dispositions de la loi française, avec une différence essentielle cependant dans la forme. L'article premier de la loi belge forme, dans la loi française, un article unique des dispositions générales ainsi conçu :
« Dispositions générales.
« 5 grammes d'argent au titre de neuf dixièmes de fin constituent l'unité monétaire que l'on nomme, franc. »
Le projet de décret présenté au conseil d'Etat contenait en outre un second article de dispositions générales qui déterminait mieux encore la portée que le législateur donnait à l'article premier.
Cet article était ainsi conçu : « Le franc d'argent est la mesure invariable des monnaies fabriquées avec un métal différent. »
On supprima cet article, parce qu'on crut y voir une répétition de l'article premier. Mais ce qui ne pouvait laisser aucun doute sur l'intention du législateur, c'était le rapport du ministre des finances M. Gaudin en présentant cette loi. Il y a quelques lignes de ce rapport qui ont pour nous une importance énorme et que je vous demande la permission de lire.
« Le projet de système monétaire que j'ai l'honneur de vous présenter, citoyens consuls, disait-il, paraît devoir fixer à jamais le prix et la valeur de l'argent. Ce prix sera à l'abri des progressions qu'il a successivement éprouvées depuis des années jusqu'à ce moment, son abondance ni sa rareté ne pourront faire changer ni le poids, ni le titre, ni la valeur du franc. On ne sera pas exposé à voir effectuer des remboursements avec des valeurs moindres que celles qui auront été prêtées. Leur dénomination équivaudra à celle de leur poids. Celui qui prêtera 200 fr. ne pourra, dans aucun temps, être remboursé avec moins d'un kilogramme d'argent, qui vaudra toujours 200 francs et qui ne vaudra jamais ni plus ni moins. L'abondance de l'argent ou sa rareté influera sur les objets de commerce et sur les propriétés ; leur prix se réglera de lui-même dans la proportion du numéraire, mais l'argent restera au même prix, Ainsi, on trouvera dans ce système la stabilité et la justice.
« L'or sera avec l'argent dans une proportion comme 1 à 15 1/2. S'il survient avec le temps des événements qui forcent à changer cette proportion, l'or seul devra être refondu. Les frais de fabrication ne s'élevant qu'à une moitié d'unité p. c., ces frais seront à la charge des propriétaires des espèces. »
Je dis qu'il faudrait donner une publicité immense au paragraphe pour l'or, parce qu'il constitue une véritable épée de Damoclès perpétuellement suspendue sur la tête des détenteurs de pièces d'or français.
Vous avez vu, messieurs, l'intention du législateur français, examinons maintenant la législation belge.
En 1837, M. d'Huart, alors ministre des finances, présenta à la Chambre un projet de loi pour la fabrication de monnaies d'or belges de 10, 25, 50 et 100 francs.
Ce projet, messieurs, ne fut examiné en sections qu'en 1844, sous le ministère de M. Mercier, et le rapport de la section centrale conclut au rejet. Ce rapport est excessivement remarquable ; en concluant au rejet des modifications proposées à la loi de 1832, il résolvait négativement trois questions dont la première était celle-ci :
« Peut-on, avec quelques chances de stabilité, établir entre la valeur des monnaies d'or et d'argent un rapport qui permette de les admettre l'une et l'autre concurremment comme monnaie légale, c'est-à-dire comme moyen de paye, jusqu'à concurrence des plus fortes sommes. »
La question n'était-elle pas posée, messieurs, en 1844 exactement dans les termes où on la pose aujourd'hui, et la solution négative de la section centrale ne vous indique-t-elle pas quelle est la pensée qui anime la Chambre ?
Vous verrez tout à l'heure la discussion de 1847 révéler le même esprit et la même fermeté dans des principes dont ou conteste aujourd'hui la valeur.
En 1846, le ministre des finances institua une nouvelle commission à l'effet de rechercher et de proposer au gouvernement les changements à introduire à la loi de 1852, pour rendre possible la fabrication de l'or.
Cette commission avait présenté son rapport le 22 mai 1846 et le 27 du même mois, M. Malou présentait son projet de loi.
Toute cette discussion de 1847, messieurs, est pleine d'enseignements et contient la démonstration la plus évidente de l'erreur de ceux qui s'appuient sur la législation de 1832 pour demander l'établissement du système du double étalon monétaire et le rapport constant entre l'or et l'argent.
Tous les orateurs condamnent ce système, personne ne songe à le défendre ; et ces sentiments ne sont point seulement ceux de la Chambre, mais le gouvernement lui-même indique d'une manière catégorique quel rôle l'or doit jouer dans la circulation monétaire belge :
« Il ne s'agit point, dit l'honorable M. Malou, de changer le système que j'appellerai continental, fondé sur l'étalon d'argent. S'il s'agissait de le changer, une discussion très approfondie, précédée d'une très longue instruction, devrait avoir lieu ; mais il s'agit de maintenir le système d'argent et de créer en Belgique une monnaie auxiliaire, comme il en existe dans d'autres pays et dont la valeur peut être plus élevée que la valeur réelle. »
Et pour qu'aucun doute ne reste dans l'esprit des membres de la Chambre le ministre explique comment la limitation de l'émission assigne, à cette monnaie auxiliaire son véritable caractère.
« Cette limitation, c'est, dit le ministre, la consécration la conséquence du système.
« Supposez que l'or soit tarifé par la loi au-dessus de sa valeur réelle, si vous ne limitez pas la fabrication, si vous lui permettez d'être indéfinie, au lieu d'avoir le système d'argent comme base, vous aurez bientôt tout votre argent expulsé par l'or, et au lieu d'avoir dans l'or une monnaie auxiliaire, vous en aurez réellement fait votre monnaie principale.
Et, messieurs, l'honorable M. Malou ne se dissimule pas les inconvénients de cette monnaie quand, sortant de son rôle de monnaie nationale, elle aura à intervenir dans les relations du commerce international.
« Dans ce cas, dit M. le ministre, on ne l'exportera pas pour sa valeur légale, mais pour sa valeur réelle.
« Quant au change international, ajoute plus loin M. Malou, il est très vrai que si vous deviez remettre constamment dans un pays étranger une monnaie dont la valeur soit supérieure à la valeur intrinsèque, le change se réglerait en notre défaveur parce que l'étranger ne nous tiendra compte que de sa valeur intrinsèque. »
N'est-ce pas exactement, messieurs, la situation fâcheuse qu'on créera aujourd'hui à une certaine partie du pays au profit de l'autre ?
L'or auquel on va donner une valeur légale supérieure à sa valeur réelle chassera l'argent de la circulation, et nous n'aurons plus pour traiter avec la Hollande et le Zollverein qu'une monnaie d'or que ces pays n'accepteront que pour sa valeur de marchandise.
A son tour, M. Veydt exprime dans des termes aussi précis son sentiment sur le double étalon monétaire.
« Dès le commencement de lu discussion, dit M. Veydt, il a été entendu par le gouvernement lui-même qu'il ne s'agissait que de faire une monnaie auxiliaire ou accessoire à celle que nous avons.
« L'honorable M. Malou a été le premier à reconnaître qu'un pays ne peut avoir qu'un seul étalon monétaire et que la monnaie d'argent devait continuer à être le type de notre système. »
Tous ceux d'entre vous, , qui ont conservé le souvenir de cette discussion de 1846, ou tous ceux qui ont cru utile, comme moi, d'aller en dehors de la pression de certains intérêts froissés, chercher dans cette discussion d'utiles enseignements, ne conservent aucun doute sur la pensée du législateur belge sur le double étalon monétaire.
Mais ce n'est pas seulement ce côté de la question sur lequel cette discussion projette une vive lumière. II y a ce point essentiel, capital, qu'il faut résoudre, aujourd'hui comme alors : Est-il convenable, est-il digne, est-il permis de donner, par une loi, à une monnaie une valeur légale supérieure à sa valeur réelle ?
Et là encore, messieurs, les votes, l'attitude de la Chambre ne laissent aucun doute sur l'esprit qui l'anime.
A ce moment la prime sur l'or variait entre 10 et 14 fr., la commission de 1846 proposait de fixer la valeur du kilo d'or à 3,515 fr., le ministre des finances proposait 3,513 fr. 88 c. Ce chiffre est rejeté par 37 voix contre 23 et enfin la Chambre adopte un amendement de M. Mercier qui propose 3,505 fr., mais ce dernier chiffre lui-même n'est adopté qu'à la majorité de 31 voix contre 29.
Ce n'est pas sans intention, messieurs, que j'indique ces chiffres à la Chambre. Ils ont une sérieuse éloquence. Il s'agit de fixer la valeur légale du kilo d'or, qui vaut, en ce moment, 3,500 fr. à peu près et la Chambre repousse la surélévation de 15 fr. par kilo proposée par M. le ministre.
(page 591) Aujourd'hui, en donnant cours légal à la monnaie d'or française, en conservant le rapport de 1 à 15 1/2, c'est une surélévation légale de près de 100 fr. par kilo si l'on détermine l'écart entre les deux métaux par le taux de la prime sur l'argent qu'indique M. Dumortier dans son exposé des motifs.
Messieurs, la discussion de 1850 ne fournit également aucun argument aux partisans du double étalon monétaire. Tous les adversaires du projet de loi ne motivent leur résistance que par la conviction que la baisse de l'or est passagère et produite en grande partie par la démonétisation de l'or en Hollande.
J'allais oublier, messieurs, dans cet exposé rapide des discussions qui eurent lieu dans cette enceinte, d'indiquer quelles opinions défendait antérieurement l'honorable M. B. Dumortier qui vient aujourd'hui vous proposer de donner cours légal à la monnaie française.
En 1832, l'honorable M. Dumortier est-il partisan du système français ? En aucune façon, il le repousse et propose un système différent.
Pour l'honorable M. Dumortier, l'idéal de la monnaie, celle dont il appelle l'avénement de tous ses vœux en 1847, c'est une monnaie exclusivement nationale qui ne serve qu'aux échanges des habitants entre eux et qui ne puisse pas surtout émigrer à l'étranger. Pour arriver à ce but il n'hésite pas à proposer à la Chambre de réduire le titre de la nouvelle monnaie d'argent. Je me hâte de déclarer que cette idée ne rencontre aucun écho dans l'assemblée. Loin de vouloir un système en harmonie avec le système monétaire français, l'honorable M. Dumortier exprimait une crainte que je trouve assez étrange et puérile et que je ne puis m'empêcher d'indiquer ici. Quand la monnaie d'un petit peuple manufacturier et commerçant est la même que celle d'un voisin plus puissant, ce peuple est exposé à se la voir enlever au moindre événement, à la moindre crise.
Les opinions de l'honorable M. Dumortier ont bien changé.
- M. Allard. - Il n'est pas ici.
- Une voix. - Il est dans l'antichambre.
M. Jamar. - J'abrégerai, messieurs, les citations.
- Plusieurs voix. - Non ! non ! continuez.
M. Allard. - J'ai fait seulement cette observation qu'il est fâcheux que M. Dumortier ne soit pas ici.
M. Jamar. - Je supprimerai les autres citations.
- Plusieurs membres. - Non ! non !
M. le président. - Personne ne se plaint des développements dans lesquels entre l'orateur. On a exprimé seulement le regret que M, Dumortier ne fût pas ici.
M. Jamar. - M. Dumortier a comme l'intuition des grands faits qui vont se révéler dans la production des métaux précieux.
Les mines de l'un de ces métaux exploitées par des procédés perfectionnés vont amener une abondance qui va déterminer l'avilissement de ce métal.
« Heureux, s'écrie M. Dumortier, le pays qui aura échappé à la crise en substituant le système basé sur l'étalon d'or au système basé sur l'étalon d'argent ! »
- M. Dumortier entre dans la salle.
M. de Moor. - Voilà M. Dumortier.
M. Jamar. - Il est un point essentiel sur lequel l'honorable M. Dumortier s'est trompé.
Dans sa pensée c'est l'argent que la production trop abondante va avilir et c'est l'or qui est seul en baisse.
Mais aujourd'hui l'honorable M. Dumortier ne s'écrie pas : Bien heureuse la Belgique qui échappe à la crise en ayant son système basé sur l'étalon d'argent !
Il nous convie à prendre franchement notre part dans la responsabilité de cette situation dangereuse que crée à la France le maintien parallèle dans la circulation de deux métaux dont la valeur légale n'est pas en harmonie avec la valeur réelle.
C'est selon moi, messieurs, une situation pleine de périls, dont l'analogie avec la situation de l'Angleterre au commencement du XVIIIème siècle est frappante et à laquelle, sans doute, la France apportera un remède analogue à celui qui fut adopté par le parlement anglais en 1817 sur la proposition de Newton, et qui consistait eu une réduction de valeur de 6 deniers par guinée.
Je crois vous avoir démontré, messieurs, que ni la législation française, ni la législation belge ne consacrait le système du double étalon monétaire.
Ceux qui nous convient aujourd'hui à renoncer au bénéfice de la loi si sage et très prévoyante de 1850 peuvent-ils s'appuyer sur l'exemple des nations qui nous entourent ?
Examinons maintenant le système monétaire adopté par les plus importantes nations de l'Europe et les Etats-Unis.
L'Angleterre, en 1810, a adopté l'étalon d'or, avec l'argent comme monnaie auxiliaire, dans des conditions que vous connaissez tous. L'exposé des motifs de la loi anglaise commençait ainsi : « Considérant les inconvénients graves qui résultent de deux monnaies. » Voilà donc, messieurs, l'indication de la considération qui détermine l'Angleterre à adopter un étalon unique : les graves inconvénients résultant de la coexistence de deux monnaies.
L'exemple de l'Angleterre est suivi vingt ans après par les Etats-Unis, qui adoptent également l'étalon d'or avec l'argent comme monnaie auxiliaire, mais sans autre valeur que celle d'une marchandise, valeur déterminée par l'offre et la demande.
Et ici, messieurs, je ne puis m'empêcher d'appeler votre attention sur un fait qui se produit aux Etats-Unis depuis 1853 : c'est la tendance à revenir purement et simplement au système de lingots certifiés, système dont un ancien député de Bruxelles, M. Cans, proposait l'adoption à la Chambre en 1847 et qui, pour l'honorable M. Dumortier, est une conception monétaire digne des sauvages de l'Amérique et de l'Afrique.
M. B. Dumortier. - Je le maintiens.
M. Jamar. - Je regrette de ne pouvoir partager l'opinion de l'honorable membre : pour moi, j'ai la conviction que ce système de lingots certifiés, mis en rapport avec le système décimal, est le seul qui permette d'arriver un jour à la réalisation de cette monnaie universelle qui serait pour le commerce un si grand bienfait.
Au reste, messieurs, quelle que soit l'opinion de l'honorable M. Dumortier à cet égard, il faut reconnaître que l'adoption de ce système par les Etats-Unis, cette nation si essentiellement commerçante, est une indication de l'utilité, des avantages que présente cette monnaie marchandise.
C'est en 1853 que la loi permit aux particuliers de faire certifier leurs lingots aux hôtels des monnaies, et en 1857, la valeur des lingots ainsi certifiés atteint 22 millions de dollars ou 110 millions de francs.
Que voyons-nous en Hollande, chez ce peuple si versé dans la pratique et la connaissance des affaires ?
La Hollande avait frappé, depuis 1816, pour 370 millions de pièces de 5 et de 10 florins. Prévoyant les inconvénients qui résultaient du système du double étalon monétaire que le législateur de 1816 avait adopté, la Hollande n'hésite pas un instant à s'imposer un très grand sacrifice pour rembourser en argent toute sa circulation en or. L'or est reçu aujourd'hui en Hollande comme marchandise. Le Zollverein, qui a 8,000 lieues carrées d'étendue et 33 millions d'habitants, adopte le système de l'étalon d'argent avec l'or comme monnaie auxiliaire à sa valeur courante.
Sur quels exemples, messieurs, vous appuieriez-vous pour consacrer aujourd'hui le système du double étalon monétaire, quand l'Angleterre, les Etats-Unis, les Pays-Bas et l'Allemagne condamnent à l'envi ce système en adoptant les uns l'étalon d'or, les autres l'étalon d'argent ?
Et puisque je suis amené, messieurs, à vous citer l'exemple des quatre nations chez lesquelles l'activité industrielle et commerciale s'est le plus largement développée, je ne puis m'empêcher d'appeler votre attention d'une manière spéciale sur la situation des grandes institutions de crédit établies dans ces Etats, vous laissant le soin de tirer de ces faits la conclusion logique.
L'Angleterre et les Etats-Unis, qui ont adopté l'étalon d'or, la France, où l'or s'est substitué à l'argent, pendant que diverses commissions délibéraient sur les moyens de remédier à cet état de choses, ces trois pays éprouvent les effets désastreux d'une crise financière. L'escompte aux Etats-Unis s'élève à plus d'un pour cent par mois, la Banque d'Angleterre élève son escompte à 8 p. c, la Banque de France à 7.
Que voyons-nous au contraire dans les pays qui ont adopté l'argent comme étalon monétaire avec l'or comme monnaie auxiliaire ? Les banques d'Amsterdam, de Hambourg et de Francfort, maintiennent le taux de l'escompte à 5 p. c. et évitent ainsi au commerce hollandais et alleman, ces graves perturbations que l'élévation du taux de l'escompte vient apporter dans leurs transactions commerciales.
Je dis qu'il y a, dans ces faits, des indications dont on ne peut pas méconnaître l'importance et qui doivent vous engager, messieurs, à ne point méconnaître trop légèrement l'efficacité du remède qui, selon les pétitionnaires, doit mettre un terme à des ennuis journaliers, à des pertes incessantes.
En ne tenant aucun compte des principes économiques dont la (page 592) valeur a été démontrée si souvent, cependant, par la pratique, en examinant seulement les résultats des deux systèmes, l'expérience du Zollverein et de la Hollande n'est-elle pas de nature à nous faire repousser l'étalon d'or ?
Il est une autre considération qui est présentée par les pétitionnaires, l'importance de notre commerce avec la France doit nous déterminer à adopter un système monétaire en harmonie avec celui de cette nation.
Je comprends que le cours légal de l'or simplifierait beaucoup les rapports pour les négociants qui reçoivent de l'or français en échange de leurs charbons et de leurs toiles.
Mais nous avons, ce me semble, d'autres intérêts à sauvegarder qui sont aussi précieux que ceux-là.
Examinons la situation de notre commerce extérieur.
Nous exportons en France pour 40 millions de plus que nous n'importons. C'est la houille qui figure pour 50 millions, ce sont le lin et les tissus des Flandres pour 20 millions, qui font pencher la balance en notre faveur.
En revanche, nous avons à régler au commerce hollandais et à Londres plus de cent millions, différence entre nos importations et nos exportations avec les Pays-Bas et l’Angleterre, et l'Amérique qui nous envoient pour 27 millions de café, 19 millions de coton, 13 millions de bétail, 15 millions de sucre, 8 millions de tabac. Ce sont les chiffres de ces quantités de marchandises mises en consommation en Belgique.
Quel sera le premier résultat du cours légal de l'or français pour le règlement de ces denrées ?
Nous subirons nécessairement la perte de l'écart qui existera entre la valeur légale de l'or et celle de ce métal comme marchandise, et en ne portant cet écart qu'à un et un quart seulement, le pays payera annuellement une surtaxe de plus d'un million sur le sucre, le café, le coton, le tabac ; j'ajoute que ce sont les classes ouvrières qui consomment le plus de café et de tabac qui supporteront la plus grande partie des effets de cette surtaxe.
Notre commerce général avec la France, qui nous enverra de l'or au cours légal, est de 240 millions et notre commerce avec le Zollverein et la Hollande, qui ne recevront l'or que comme marchandise, est de 230 millions.
L'importance est la même, je ne vois pas quelles sont les considérations qui devraient nous faire sacrifier les relations du nord à celles du midi. Il y en a qui penchent pour le parti contraire.
Nous expédions en France pour 40 millions de marchandises, dont nous pouvons fixer le prix, en y comprenant la perte qui pourra résulter du mode de payement.
Quant aux marchandises que nous recevons de l'Angleterre et de la Hollande, nous subissons les conditions des vendeurs, c'est-à-dire que nous ne pouvons pas échapper à l'augmentation que je vous indiquais tout à l'heure.
Je crois qu'il est sage, messieurs, de dresser ainsi le bilan des profits et des pertes que doit amener pour le pays la mesure qu'on propose. Je crois qu'il importe de comprendre dans ce bilan l'éventualité terrible dont la législation de 1803 rend la réalisation légitime.
Un décret du gouvernement français peut faire cesser une fiction et une confusion préjudiciable à l'intérêt public en abrogeant chez elle ce rapport légal de 1 à 15 1/2. Il peut ou ordonner la refonte des monnaies d'or, ou décréter l’abaissement de la valeur des pièces d'or, en laissant la dépense ou la perte à la charge des particuliers.
Et qu'on ne dise pas que cette considération a été imaginée pour les besoins de la cause ; cette mesure a un précédent dans le décret du 12 septembre 1810, qui réduisit les louis d'or de 24 francs à 23 fr. 55.
Dans son remarquable traité sur la baisse probable de l'or, voici comment s'exprime M. Michel Chevalier, cet économiste éminent, sur cette question :
« Néanmoins, quelque mauvaise chance qu'on ait dans notre pays lorsqu'on soutient l'intérêt public contre les intérêts privés, je ne puis m'empêcher de répéter qu'aux termes des documents qui fixent le sens de la loi et selon le texte raisonnablement interprété de la loi même, l'Etat n'est tenu à aucune indemnité envers les détenteurs de pièces d'or.
« Ce qui apporte, en réalité, le plus grand trouble dans nos relations commerciales intérieures, c'est la prétention des négociants qui, ayant vendu des marchandises en France, veulent obliger leurs correspondants belges à recevoir pour la valeur légale l'or qu'ils ont reçu en payement de ces marchandises ; c'est ensuite le trafic qui consiste à se procurer au cours de la bourse de l'or qu'on cherche à remettre en circulation au cours légal par des manœuvres souvent déloyales.
« Mais la prétention est injuste, et le trafic immoral ; et loin de lui donner une sanction légale il faut flétrir l'une et blâmer l'autre. »
Il me reste, messieurs, un dernier point très délicat et que j'hésite à aborder, cette grande question de la baisse de l'or.
Là, l'honorable M. Dumortier triomphe, les pauvres théoriciens n'ont qu'à se couvrir la tête de cendres ; non seulement l'or n'a pas baissé, mais jamais le numéraire n'a été plus recherché.
J'ai quelque hésitation encore, messieurs, à me rallier à cette conviction de l'honorable M. Dumortier et je demande à la Chambre la permission de la lui exposer en finissant.
La production de l'or dépasse annuellement un milliard de francs, qui se répartissait comme suit en 1858 :
L'Amérique, moins la Californie : fr. 213,700,000
L'Europe : fr. 37,500,000
La Russie : fr. 87,500,000
La Californie : fr. 350,000,000
L'Australie : fr. 260,000,000.
Quelle est l'influence que cette production a exercée sur le capital monétaire de la France ?
Avant 1840, on l'évaluait à 3 milliards 500 millions. En acceptant comme à peu près exacts les chiffres officiels, le capital monétaire de la France était, au commencement de 1859, de 5 milliards 350 millions, soit une augmentation de 1,800 millions, et le tableau officiel des importations et des exportations des métaux précieux constate que, depuis 1852, la France a exporté, en sus de ses importations, 1,139 millions, c'est-à-dire plus de la moitié de son capital argent.
Messieurs, quel a été le résultat, pour la France, de cette affluence de monnaie ? Elle a imprimé une impulsion énorme à l'industrie française. Là est le bien. Mais en même temps elle a amené une hausse considérable sur les denrées et les matières premières, dont la production n'était pas en rapport avec la demande.
Là est le mal, parce que cette hausse que pouvait supporter impunément la partie de la population qui avait une part au profit de la majoration du prix de certains produits pesait trop lourdement sur les petits rentiers, les employés et la classe ouvrière.
Quel est un des effets les plus apparents de cette majoration des prix en France et à Paris surtout ? C'est une hausse des loyers. Quand toute cette population de petits rentiers, d'employés et d'ouvriers fait entendre de grandes doléances sur un état de choses dont elle souffre, que répond le préfet de la Seine, dans un compte-rendu qui vient d'être publié ? « La hausse des loyers, dit-il, est amenée par des causes naturelles qu'il est impossible de détruire et qu'il serait dangereux de troubler. Ces causes sont l'augmentation de la population, l'accroissement du commerce et la dépréciation du numéraire. »
Voilà donc cette dépréciation contestée aujourd'hui, indiquée formellement par un homme d'Etat dans un document qui a, selon moi, une très grande valeur.
Et remarquez, messieurs, que cette dépréciation du numéraire se manifeste en France pendant une période de dix années, pendant laquelle des guerres, des armements considérables, des travaux publics, offrent à cette abondante production de métaux des débouchés temporaires.
L'honorable M, Dumortier dit encore que, dans sa pensée, cette abondante production de métal est en rapport avec l'accroissement du mouvement industriel et commercial.
C'est là encore une erreur que les faits que nous voyons se réaliser en Angleterre et aux Etats-Unis viennent détruire complètement. Aujourd'hui, en effet, il n'y a plus le moindre rapport entre l'accroissement prodigieux des affaires en Angleterre et aux Etats-Unis, et l'augmentation inappréciable, minime, du capital numéraire qui sert d'instrument d'échange.
C'est qu'en effet, par un ensemble de combinaisons habilement conçues, les transactions commerciales, dans ces deux pays, se font sans l'aide de la monnaie. L'exemple le plus concluant de la puissance de cette combinaison est celui de la maison de liquidation de Londres, où il se fait 40 milliards d'affaires sans déplacer ni une guinée ni un billet de banque.
Que la France introduise dans son système de crédit les perfectionnements que lui indiquent l'Angleterre et les Etats-Unis, elle pourra rendre à un emploi plus productif deux milliards du capital qui lui sert aujourd'hui d'instrument d'échange.
Dans ces conditions, que fera-t-on du milliard produit annuellement par les mines ?
L'offre ne surpassera-t-elle pas la demande dans une proportion (page 593) considérable ? ne provoquera-t-elle pu des variations dangereuses pour la fortune publique et la sécurité des transactions ? Si vous l'adoptez comme mesure des valeurs, je persiste à le croire, et en présence du système de temporisation adopté par la France et qui conduit à l’inconnu et le système adopté franchement par le Zollverein et la Hollande, dont je puis aujourd'hui apprécier les résultats, c'est à ce dernier système que je me rallie pour ma part, sans hésiter.
M. le président. - La parole est à M. de Boe.
M. de Boe. - Si un orateur voulait prendre la parole pour la proposition de l'honorable M. Dumortier, je lui céderais volontiers mon tour. Il est assez difficile de parler, s'il n'y a pas de répliques.
M. le président. - Aucun orateur n'est inscrit pour. Vous avez la parole.
(page 599) M. de Boe. - Messieurs, il y a environ trois siècles et demi, furent lies devant les cortès de Castille, de nombreuses pétitions venues de presque toutes les villes et bourgades du royaume qui signalaient à l’attention du gouvernement la hausse extraordinaire qui s’était faote dans le prix de toutes les choses nécessaires à la vie, la perturbation profonde que cette hausse avait jetée dans toutes les fortunes, la misère de familles autrefois dans l’aisance, aujourd’hui réduites à ne plus pouvoir se procurer, avec un revenu égal, que le tiers ou le quart des choses que ce revenu lui assurait jadis.
Elles signalaient à l'attention du gouvernement comme la cause de cette perturbation l'exportation des marchandises espagnoles vers les colonies américaines et lui demandèrent de les restreindre ; et le gouvernement espagnol, convaincu que là gisait en effet le mal, monopolisa, restreignit le commerce d'exportation près les colonies de l'Amérique.
Cependant tout continua de renchérir, et comme l'Espagne était alors encore sous l'empire de ces vieilles lois qui interdisaient la sortie des métaux précieux, l’enchérissement de la main-d'œuvre et la hausse des frais de production furent tels, que l'Espagne perdit tous ses débouchés à l'étranger, et que le commerce et l'industrie de ce pays entrèrent dans cette voie de décadence dont ils se relèvent à peine aujourd'hui.
Ce ne fut que plus tard lorsque, éclairé par l'expérience, on reconnut que dans l'or et l'argent tout n'était pas richesse, ce fut alors seulement que l'on comprit que la hausse de toutes choses à cette époque était due à la trop grande abondance des métaux précieux.
« La grande quantité d'or et d'argent qui tomba au pouvoir du roi de Castille, dit un historien, fit baisser ces matières au 1/6 de leur valeur. » D. Sanche Moncada qui écrivait vers 1619 déclare « qu'avant la découverte des Indes, ce qui coûtait 4 quarto coûtait alors 6 réaux, celui qui possédait 100 réaux était aussi riche que celui qui en a maintenant 500 ; car par l'abondance de l'or et de l'argent, leur valeur est tombée, et la valeur de tout ce qu'on achète avec la monnaie a augmenté d'une quantité correspondante. »
En 1844, lors de la discussion sur la charte de la Banque d'Angleterre dans la chambre des communes, sir Robert Peel, examinant les théories étranges émises sur la nature de la monnaie, pour justifier le privilège abusif dont avait joui la Banque de ne pas rembourser ses billets en numéraire, constatait que même en Angleterre, chez ce peuple habitué depuis 172 ans, à entendre discuter ses affaires, on était, à l'exception de quelques économistes et des hommes de finance, dans l'erreur la plus complète sur le rôle que joue la monnaie dans les transactions, et 14 ans plus tard le Daily News cherchant à faire comprendre au public anglais l'avantage qu'il y avait à introduire de l'or en France et à en exporter de l'argent, et le bénéfice que l'on pouvait réaliser, malgré la perte d'intérêts et la prime d'assurance à payer pour un voyage long et dangereux, en envoyant des livres sterling en Australie contre échange d'or en barres, constatait à son tour combien cette question était peu connue. Eh bien, messieurs, les nombreuses pétitions qui depuis longtemps affluent vers la Chambre prouvent qu'il en est de même en Belgique.
J'ai voté à diverses reprises l'ordre du jour ou le dépôt au bureau des renseignements de ces pétitions ; cependant, je l'avoue quand, j’ai vu un mouvement si considérable se produire, j'ai douté de moi-même, j'ai cru que je me trompais, j'ai pris à peu près tout ce qui avait été écrit en faveur du cours légal de l'or, tel qu'il nous est demandé, et je l'avoue avec franchise, cette étude nouvelle me fortifie dans ma conviction première.
Il est surtout deux points sur lesquels je n'ai trouvé aucune réponse. Je désirais savoir, premièrement comment on s'y prendrait sous l'empire du cours légal pour éviter en Belgique les inconvénients qu'il produit en France ; ensuite quelles mesures on proposait pour atténuer la réduction de toutes les créances et la violation des contrats : conséquences inévitables de l'adoption de la proposition qui nous est soumise.
Son honorable auteur, en se rendant l'organe des pétitionnaires, nous a dit dans son exposé des motifs qu'il reproduisait la loi suisse.
En ne s'appropriant que l'article premier de cette loi, il s'est fait de la législation suisse une toute autre idée que celle que je m'en fais moi-même ; si je la comprends bien, elle a eu surtout pour but de parer aux entraves que l'invasion d'or français causait aux petites transactions journalières de la vie.
M. B. Dumortier. - J'ai pris la loi suisse telle que je l'ai trouvée dans le journal de M. Pascal-Duprat, économiste de Berne.
M. de Boe. - Je ne sache pas que M. Pascal-Duprat soit le greffier du conseil des Etats ou du conseil fédéral suisse. Si l'honorable M. Dumortier nous avait présenté une loi signée par une personne compétente, nous aurions eu une base de discussion. J'ai dû chercher la loi suisse et j'ai trouvé une grande différence entre cette loi et la proposition de l'honorable membre, et de l'étude que j'en ai faite est résultée pour moi cette conviction qu'elle avait surtout pour but d'assurer à la confédération une monnaie divisionnaire. (Interruption.)
Et, en effet, messieurs, d'après la très intéressante brochure de l'honorable M. de Haerne, qui m'interrompt, le capital monétaire de ce pays était composé, pour plus des neuf dixièmes, d'or français ; tout le monde l'acceptait à sa valeur nominale non seulement les particuliers mais encore les banques et les gouvernements cantonaux ; il était donc assez inutile de faire intervenir la loi pour en faciliter la circulation.
Mais à cause de la trop grande abondance de monnaie d'or, les pièces divisionnaires d'argent avaient disparu, et l'honorable M. de Haerne sait que le franc suisse n'était émis que depuis dix ans, qu'il était en conséquence moins usé que beaucoup de nos pièces de cinq francs et qu'il y avait dès lors bénéfice à l'exporter.
Lors donc que l'honorable M. Dumortier vient nous proposer de créer légalement chez nous une situation qui s'est produite en Suisse, antérieurement à la nouvelle législation de ce pays, et qu'il ne propose pas le remède que ce peuple a cru devoir adopter pour rétablir la circulation de la monnaie divisionnaire d'argent, j'ai le droit de dire qu'il ne s'est pas bien rendu compte, à mon sens, de la portée, du but principal de la mesure prise par le gouvernement helvétique.
Si l'honorable membre, au lieu de se perdre dans les nuages d'une métaphysique peu intelligible sur la nature de la monnaie, avait étudié pratiquement la question, il aurait connu les inconvénients que présente le cours légal de l'or dans l'empire français, il aurait lu le compte-rendu des vœux des conseils généraux, qui se plaignent de l'absence de monnaies divisionnaires, il aurait lu un article du Moniteur universel du 9 octobre 1856, qui porte :
« La spéculation du triage et de la fonte des monnaies pour en extraire la plus-value est un dommage fait à la fortune publique et constitue un délit qui ne saurait être toléré. Le gouvernement est résolu à en poursuivre la répression par tous les moyens que les lois mettent en son pouvoir. »
Et quelques jours après, la Gazette des Tribunaux reproduisait d'anciens édits qui frappent du carcan, de la confiscation et, en cas de récidive, des galères, le billonnage de l'argent.
Et par billonnage de l'argent ces édits entendent l'opération qui consiste à trier les monnaies, à choisir les pièces les plus pesantes pour les fondre.
Le gouvernement français, alarmé de l'exportation de l'argent, intenta, en vertu des dispositions de ces édits, des poursuites contre ceux qui se livraient aux opérations du trébuchage.
Est-ce là ce que l'honorable M. Dumortier veut introduire dans notre pays ?
Il est évident que s'il parvient à faire établir la conformité monétaire entre la France et la Belgique, il devrait demander aussi la mise en vigueur des lois à l'aide desquelles le gouvernement français croit devoir garantir la pureté et l'intégrité de son système monétaire.
Deux arrêtés de la cour des monnaies interdisent de faire entrer en France des espèces de billon et de cuivre de fabrique étrangère à peine de confiscation et de 3,000 livres d'amende contre chacun des contrevenants. Les mêmes édits défendaient de les recevoir ou de les donner en payement à peine de 500 l. d'amende contre tous les contrevenants.
Un décret du 11 mai 1807 maintient cette défense, mais en modifie la pénalité.
La conformité du système monétaire entre la France et la Belgique est de nature à amener une communauté de gêne. Par suite du cours légal qui serait donné à l'or français, le change sur Paris monterait inévitablement ; par suite de cette hausse, il y aurait avantage à exporter vers la France les pièces de deux francs, d'un franc et de cinquante centimes ; dans une couple d'années, toutes ces pièces nous seraient enlevées, et nous éprouverions, sous ce rapport, des embarras aussi grands que ceux qui existent aujourd'hui en France.
Le système de l'honorable membre, s'il est de nature à remédier aux difficultés de l'état actuel des choses, en introduirait donc d'autres.
(page 600) La situation monétaire en France tend évidemment à devenir qu'elle a été dans tous les pays qui ont donné à l'or une valeur légal supérieure à sa valeur intrinsèque, c'est-à-dire que sa circulation tend à se composer exclusivement de bronze et d'or.
Telle était la situation des Pays-Bas avant la loi de 1830 ; celle de 1816 avait donné une plus-value trop considérable à l'or, l'argent fut exporté avec bénéfice, la circulation monétaire ne se composa plus que d'or et de pièces de 25 cents à bas aloi.
Le même fait se produisit aux Etats-Unis dans la période de 1849 à 1853 ; le pays avait le double étalon, et par suite de la baisse de l'or le dollar d'or s'était complètement substitué au dollar d'argent, et toutes les monnaies divisionnaires avaient été exportées.
Aussi, en 1853, le gouvernement fédéral fit-il frapper des dollars d'argent ne valant que 5 fr. 10 au lieu de 5 fr. 40, je crois, c'est-à-dire qu'il émit une monnaie de billon d'argent.
Enfin le gouvernement français vient de décréter le monnayage de 12 millions de pièces de bronze, de sorte qu'il en aura émis pour une valeur de 60 millions depuis 1852. S'il ne se décide à renoncer au double étalon et à diminuer le poids ou le titre des pièces d'argent, il ne gardera en circulation, comme la Suisse, que de l'or et de la monnaie de bronze.
Messieurs, la proposition de l'honorable membre soulève une question plus grave. Elle est certes de nature à faire disparaître certains inconvénients pour une classe très intéressante de la population, pour la classe industrielle et commerçante qui fait des affaires avec la France
Mais par suite de l'exportation des monnaies divisionnaires, la gêne va se déplacer de la première classe à une classe beaucoup moins en état de la supporter, c'est-à-dire à la classe populaire. C'est une chose qui existe aujourd'hui en France.
Les chefs d'atelier payent leurs ouvriers avec des pièces de 20, de 10, et parfois de 5 francs en or, et l'ouvrier pour obtenir la menue monnaie de son salaire, menue monnaie dont il ne peut se passer pour les besoins de son ménage, est obligé de recourir à un de ses camarades qui fait la petite banque, ou au cabaretier qui lui prend en commission de change ou en frais de consommation jusqu'à 25 centimes par 5 francs.
Ainsi, en donnant cours légal à la monnaie d'or française, vous allez imposer, en vertu de la loi, une perte à des gens qui sont beaucoup moins que les autres en état de la supporter.
De nouvelles pétitions nous seront adressées en grand nombre ; on alléguera que la monnaie est une institution sociale, et que le premier devoir du gouvernement est d'en fournir au peuple ; on demandera qu'il fasse ce que fait le gouvernement français, c'est-à-dire qu'il batte de l'argent pour son compte, à ses frais.
Si le gouvernement accède à ces vœux, nous le verrons acheter de l'argent avec 2 1/2 p. c. de prime à la bourse de Londres, le monnayer, le mettre en circulation : nous verrons le commerçant en métaux précieux le retirer de la circulation, le revendre sur la place de Londres avec un bénéfice de 2 1/2 p. c. Tel sera le résultat d'une semblable opération.
Le projet de loi qui vous est soumis aura enfin pour résultat de faire supporter par les derniers détenteurs de la monnaie la perte résultant de l'usure des pièces et les frais de refonte, système d'épuration que l'honorable M. Dumortier combat très vivement et qui a été proposé par la commission, non pour l'épuration de la circulation actuelle, que le gouvernement prendrait à sa charge, mais pour l'avenir.
En effet, la monnaie de Paris a battu, dans ces divers temps, des milliards de monnaie d'or ; elle en bat pour la Suisse, la Belgique, l'Italie. Croit-on que lorsque l'or circulant en France sera usé, qu'il faudra procéder à une refonte ; croit-on que le gouvernement français aura la bonhomie de convoquer, en quelque sorte, les détenteurs de son or dans toute l'Europe, qu'il leur laissera le temps nécessaire pour échanger les pièces frustes contre des pièces droites de poids ?
Evidemment, s'il accepte la charge de la refonte, ce qui me paraît douteux, il prendra une mesure analogue à celle qui a été prise pa rle gouvernement hollandais, en 1849, et qui consistait à abréger le délai endéans lequel ou avait à présenter les pièces de 10 florins de Hollande, de telle sorte que les détenteurs de ces pièces à l'étranger n'eurent pas le temps de les envoyer en Hollande, qu'il en résulta, pour nous autres, une perte assez considérable.
L'honorable auteur de la proposition, dans le but d'éviter les inconvénients que je viens de signaler tout à l'heure, nous proposera-t-il le billonnage de l'argent ? Ce serait renoncer au double étalon qu'il veut introduire dans la loi monétaire ; il désire un système uniforme avec la France ; c'est surtout en vue des transactions qui se font sur nos frontières avec la France que l'honorable membre demande la communauté de système.
Ces pièces ne seraient pas reçues en France, pas plus qu'on n'y reçoit les pièces suisses analogues, frappées en vertu de la loi de 1860. En effet, une circulaire émanée, au mois de septembre dernier, des préfets des départements voisins de la Suisse, fait savoir aux populations que ces pièces n'ont pas la valeur des pièces françaises de même dénomination et qu'elles aient à les repousser.
Telles seraient, messieurs, au point de vue de la circulation métallique, les conséquences de l'adoption de la proposition qui nous est soumise.
Mais, comme je l'ai dit, je la critique surtout à un autre point de vue Elle me semble porter une atteinte à la foi publique, au respect dû aux contrats, car elle aura pour résultat d'amener une réduction légale, sans compensation, de toutes les créances.
Le fait de l'invasion d'un pays par une monnaie étrangère dépréciée et circulant à une valeur nominale supérieure à sa valeur intrinsèque, n'est pas nouveau, comme je le prouverai tout à l'heure. Ce qui est nouveau, c'est la demande faite au gouvernement de décréter le cours forcé de ces monnaies, sans l'indication d'aucune compensation pour les créanciers.
J'ai cherché quelle pouvait être la cause, l'origine de ce fait étrange dans un pays réputé pour sa probité, et je crois qu'on doit les chercher dans l'historique de notre législation monétaire et dans la fausse idée que l'on se fait assez généralement de la nature et du rôle de la monnaie.
A diverses reprises nos lois ont donné cours légal à des monnaies étrangères, mais ce cours était toujours égal ou même un peu inférieur à leur valeur intrinsèque.
Ainsi quand la loi de 1832 admettait dans notre circulation la pièce de 5 fr. française, le florin de Hollande, cette pièce de 5 fr. valait identiquement 5 francs belges et le florin de Hollande avait un cours de fr. 2.12 1/2 qui était la valeur intrinsèque de ce florin, comparé au franc, Il en était de même de l'or.
Aujourd'hui c'est une chose tout à fait opposée qu'on vous demande de faire.
Dans une des pétitions qui nous sont soumises, on exprime le vœu que les Chambres adoptent une législation qui autorise les débiteurs à faire battre la monnaie du métal le plus abondant, c'est-à-dire le moins coûteux, et à payer leurs créanciers en cette unité monétaire dont la valeur irait s'amoindrissant au fur et à mesure que l'or baissera relativement à l'argent, et l'argent relativement à l'or. Etrange manière de comprendre la foi due à des contrats librement consentis.
Tous ceux qui soutiennent le cours légal ont vu que c'est dans cette question de droit que réside le nœud de la question que nous avons à résoudre et presque tous émettent à cette occasion, pour établir que le créancier ne sera pas lésé, les théories les plus étranges, les plus paradoxales, les plus fantastiques en matière de monnaie.
L'honorable M. Dumortier nous a développé, dans l'exposé des motifs de son projet de loi, toute une théorie sur ce qu'il appelle la monnaie de compte. Il admet que les métaux précieux varient de valeur, qu'un lingot de 6 grammes 45 milligrammes, poids de la pièce de 20 francs, ne vaut pas 4 lingots d'argent de 100 grammes poids de 4 pièces de 5 francs, mais du moment que l'Etat a mis son empreinte sur ces deux lingots il y a entre eux identité de valeur ; sans cela, dit-il, la monnaie serait une marchandise, ce n'est pas ce que la loi a voulu, ce n'est pas ce qu'elle doit vouloir.
L'honorable membre se fait de la puissance mystérieuse de la monnaie une aussi étrange idée que de la puissance mystérieuse de la loi.
L'unité monétaire c'est l'unité de compte, chose abstraite, c'est en Belgique le franc, non pas le franc poids métal que nous connaissons tous, mais un franc idéal, intangible, existant en quelque sorte en dehors de toutes choses créées, comme le beau, le vrai et le bien. L'Etat a la mission de déterminer de quelle matière et de quelle quantité de matière cette unité idéale, ce franc se manifestera dans les échanges. Ce sera tantôt à l'aide de l'or, tantôt à l'aide de l'argent, tantôt à l'aide du cuivre, tantôt à l'aide du nickel, voire même du papier. Du moment que l'Etat a dit : Ceci est le franc, chacun accepte ce quelque chose pour le franc. L'instrument des échanges abonde, les transactions se font avec une facilité merveilleuse et tout est pour le mieux sous le plus incompréhensible des systèmes monétaires possibles.
S'il est possible de voir clair dans ces théories, on trouve d'abord que l'honorable membre cherche la fixité de valeur qui n'existe pas plus que (page 601) la quadrature du cercle, que le mouvement perpétuel ou que la pierre philosophale.
On y découvre encore cette idée, que le rôle de l'Etat en matière de monnaie ne consiste pas seulement à constater son poids et son titre mais qu'il a le droit d'en déterminer la valeur.
C'est contre l'application d'une semblable théorie que je ne saurais assez protester. C'est une théorie que n'auraient pas désavouée les premiers souverains de la maison de Valois, que n'aurait pas désavouée Louis XIV, lorsque voyant son trésor obéré par la soif de conquêtes et de gloire militaire il décréta que la valeur du marc d'argent serait portée de 23 livres 15 sous à 29 livres, et que le nouvel écu de 3 livres qu'on mettait en circulation serait reçu par les créanciers et surtout par ceux de l'Etat pour 5 livres 6 sous ; en même temps pour se concilier tous les débiteurs on décida que l'ancien écu, qui ne valait que 3 livres, serait reçu dans les payements pour 3 livres 2 sous, et cette belle opération procura en 4 années un bénéfice de 40 millions au trésor.
C'est une théorie que n'eussent pas désavouée les financiers de la Convention nationale, les créateurs des assignats. Elle fut soutenue en Angleterre de 1810 à 1819, par ceux qui voulaient que la loi de 1797 autorisant la Banque d'Angleterre à ne pas rembourser ses billets en numéraire devait être maintenue.
Les économistes à la tête desquels se trouvait M. Horner demandèrent à quoi les porteurs de billets avaient droit s'ils n'avaient pas droit à un remboursement en numéraire, ce que leurs adversaires entendaient par livre sterling, si la livre sterling n'était pas un poids d'or.
Un écrivain se risqua à dire que la livre sterling est le sentiment de la valeur en ce qui concerne la circulation comparée avec l'état du marché. M. Henri Thornon, membre du parlement, déclara qu'après une étude approfondie, il blâmait cette définition, et se rappelant sans doute la réponse que fit le Médecin malgré lui, quand on lui demanda pourquoi l'opium fait dormir, il répondit que la livre sterling c'est l'intérêt de 35 1. 6 schellings 8 pence placés en 3 p. c. consolidés. Lord Castlereagh renchérit sur la définition et affirma d'un ton sentencieux que la livre sterling est un sens de valeur.
Le chancelier de l'échiquier ne dit mot, mais pensa sans doute que dans l'occurrence la meilleure définition de la livre sterling c'était une majorité parlementaire décidant que le public anglais serait tenu d'accepter en payement une monnaie de papier dépréciée à l'égal d'une monnaie métallique.
Telles sont les erreurs dans lesquelles on tombe lorsque l'on quitte le giron de l'économie politique.
On croit assez généralement que c'est M. Michel Chevalier qui a inventé la théorie de la monnaie marchandise ou tout au moins qu'elle est due à l'école des économistes qui s'est formée dans le siècle dernier. Bien avant eux le chancelier d'Aguesseau établissait les principes de la science en cette matière dans un mémoire d'une lucidité remarquable et d'une autorité de raison irréfutable.
J'ai tout lieu de croire que ce mémoire fut écrit à l'époque de la chute du système de Law et pour empêcher que le régent ne recourût à l'application des idées de Louis XIV, c'est-à-dire, à l'altération des monnaies pour améliorer la situation du trésor.
Je ne saurais donc admettre le système de l'honorable député de Roulers et reconnaître avec lui que par l'adoption du cours légal de l'or personne ne serait lésé. L'honorable membre s'est du reste chargé de réfuter lui-même sa théorie, car vers la fin de son exposé des motifs il nous dit que l'adoption de l'étalon d'or en Belgique aurait pour résultat de procurer à l'Etat un bénéfice de 837,000 fr. par année.
Il est évident que si l'Etat doit faire un semblable bénéfice, il est quelqu'un dans le pays ou à l'étranger qui doit en faire la perte ; et comme ce bénéfice porte sur 27 millions d'arrérages de notre dette publique et que la grande masse des créanciers de l'Etat se trouvent en Belgique, il s'ensuit nécessairement que ce sont des Belges qui feront cette perte.
L'honorable membre a, de plus, eu soin de nous indiquer l'importance de ce bénéfice pour l'Etat, de cette perte pour ses créanciers en nous disant qu'elle s'élèvera à 72 millions d'ici à 35 ou 36 ans ; et l'on vient nous dire, après cela, que le cours légal donné à l'or n'est de nature à porter atteinte à aucun intérêt en Belgique.
Je suppose, messieurs, qu'il y a une douzaine d'années, avant qu'il fût question de la perturbation actuelle, un membre de cette Chambre eût proposé de réduire le titre et le poids de notre monnaie et cependant d'autoriser l'Etat et tous débiteurs à se libérer avec cette nouvelle monnaie, sans compenser cette réduction par une surélévation dans la valeur de la créance, évidemment une semblable proposition eût soulevé un tollé général et eût été repoussée unanimement.
Eh bien, le cours légal qu'on nous demande équivaut à une réduction du titre ou du poids de notre franc d'argent. Si vous vouliez aujourd'hui mettre la valeur de votre franc en rapport avec la valeur de l'or, vous ne pourriez pas prendre la cote de Bruxelles, qui est une cote influencée par une foule d'événements et notamment par ce fait qu'il s'établit en une monnaie d'argent dépréciée par suite de son frai, et que notre change sur Paris est toujours en notre faveur. Il faudrait adopter pour base de nos calculs la cote des bourses étrangères de Londres, de Hambourg et d'Amsterdam, et vous trouverez que pour mettre notre franc d'argent en rapport avec la valeur actuelle de l'or, il faudrait le réduire de 2 1/2 p. c. environ ; de sorte qu'en donnant cours forcé à l'or pour permettre à tous les débiteurs de se libérer avec un franc d'or qui vaut 2 1/2 p. c. de moins que le franc d'argent droit de poids, vous causeriez à tous les créanciers un préjudice de 2 1/2 p. c. sur le payement de leurs créances.
Depuis quand, messieurs, sous l'empire d'une situation financière des plus prospères, a-t-il été permis de réduire le titre des monnaies sans tenir compte aux créanciers de cette réduction, sans leur accorder la moindre compensation ? Lorsque, il y a quelques années, le gouvernement autrichien a mis son système monétaire en concordance avec le système qui venait d'être adopté par la confédération germanique ; lorsqu'il réduisit la valeur de son florin de 2-64 à 2-50 ; il décida que les débiteurs qui libéreraient, avec cette nouvelle monnaie, les dettes contractées antérieurement à la promulgation de la loi auraient à bonifier à leurs créanciers la différence de valeur entre l'ancien florin et le nouveau.
Le cours légal donné à l'or français, tel que le propose l'honorable député de Roulers, équivaut, je le répète, à une réduction du poids et des titres du franc d'argent et sans compensation. Certains partisans de ce système reconnaissent que le créancier, payé en or, ne recevra pas tout à fait la même valeur que s'il était payé en argent. C'est ce que reconnaît notamment l'honorable chanoine de Haerne ; mais l'honorable membre soutient que ce créancier ne serait lésé ni dans ses droits ni dans ses intérêts.
Dans ses droits ; en effet, nous dit-il, le débiteur a contracté sous l'empire d'une législation qui lui laissait la liberté de se libérer soit en or, soit en argent ; la loi de 1850 lui a enlevé cette faculté et lui a, par conséquent, causé un préjudice parce qu'il aurait pu profiter de la baisse de l'or.
Cette assertion est exacte, mais on peut, je crois, affirmer que, sons l'empire de la loi de 1832, il n'est certes aucun débiteur qui eût refusé de contracter si son créancier avait stipulé qu'il ne pourrait pas se libérer en or.
Ce droit serait aujourd'hui d'un exercice en quelque sorte impossible ; car si vous décidiez que les créanciers qui ont contracté sous l'empire de la loi de 1832 doivent pouvoir se libérer avec des louis valant 3.444 le kilogramme d'or fin, ils doivent aussi pouvoir offrir en payement des pièces de 10 florins de Hollande, dont la valeur est de 3,800 francs le kilog. d'or fin. Ceux qui se sont engagés, sous l'empire de la loi monétaire de 1847, devraient pouvoir se libérer avec de l'or belge, calculé à raison de 3,495 fr. le kilogramme. Enfin un droit analogue devrait appartenir aux débiteurs tenus en vertu de contrats passés sous la loi qui donnait cours légal aux souverains anglais, Las dispositions législatives qui ont démonétisé ces monnaies devraient toutes être rapportées.
Quant aux intérêts, on soutient, pour établir qu'ils ne seraient pas lésés, que si le rapport de valeur entre l'or et l'argent a varié, cela provient, non pas d'une baisse de l'or, mais d'une hausse de l'argent.
J'ai, messieurs, la plus profonde conviction que la variation est due à une baisse de l'or et non à une hausse de l'argent. Je vais en citer trois preuves.
La première, c'est que le change de toutes les places de l'Europe sur les pays à étalon d'or baissa le jour où l'or arriva en certaine abondance, et cela avant que commencèrent les grandes exportations d'argent vers l'extrême Orient, seule cause qui a pu faire hausser la valeur de ce dernier métal. Dès 1851, le change baissa sur Londres et sur Paris, et cette baisse de change amena des faits financiers et monétaires extrêmement curieux.
Celle du papier de Naples sur Paris, due à l'existence du double étalon et au risque que l'on courait d'être payé en or déprécié au, lieu de l'être en argent a amené des remises considérables d'argent de France vers Naples, de telle sorte que le premier pays était devenu pour les (page 602) pays à étalon d'argent, une véritable Californie de ce métal qui dut en conséquence subir une certaine baisse.
Une influence contraire se produisit, résultant des grandes exportations d'argent vers l'extrême Orient. Et cependant, si l'on calcule la quantité d'argent devenue disponible sur le marché européen depuis 10 ans par la production des mines, par l'exportation de ce métal de France, de Suisse, de Belgique, et qu'on mette en regard les quantités absorbées par les besoins de la circulation et de l'industrie, celles enlevées par l'Inde et la Chine des marchés anglais, français ou russes, on trouve que la quantité d'argent enlevée aux marchés européens est d'environ 1 à 1 1/2 milliard.
Si l'on fait le relevé de la quantité d'or produite par les mines de l'Amérique, de l'Australie et des monts Ourals ; si, d'un autre côté, vous tenez compte de ce qui a été absorbé par l'industrie, par les besoins de pays comme la France, la Belgique, la Suisse et l'Italie où il a dû remplacer l'argent qu'il chassait, vous trouverez que la quantité d'or devenue libre sur le marché européen est infiniment plus considérable en valeur que la quantité d'argent dont celui-ci s'est appauvri ; la baisse du premier a donc dû être bien plus grande que la hausse du second.
J'ai donc raison de dire que si le rapport entre l'or et l'argent a varié, c'est que l'or a baissé de valeur, et, messieurs, ce qui le prouve d'une manière surabondante, c'est qu'avant les grands arrivages, lorsque le gouvernement hollandais retirant sa monnaie d'or en vendit pour 140 millions de florins, cette petite quantité suffit pour faire disparaître la prime qu'on payait pour la monnaie de ce métal.
Quelle n'a pas dû être l'influence d'une production passant de 24,000 kilog. à 300,000 kilog. par an ?
Je suis donc autorisé à dire que le créancier payé en or ne recevra pas l'équivalent de la valeur dont il a fait l'avance.
Quelles sont les personnes qui souffriront de cette législation nouvelle ? Tous les créanciers étrangers, nationaux et tous ceux qui auraient des payements à faire à l'étranger, par suite de la hausse du change, non seulement sur les pays à étalon d'argent, mais aussi sur les pays à étalon d'or.
Je crois que ces droits sont assez respectables pour que nous n'adoptions pas le remède qu'on nous propose pour remédier à un mal que je ne suis pas assez aveugle pour nier, mais contre lequel il y a, je crois, d'autres mesures à prendre.
Maie, nous dit-on, vous vous roidissez en vain, vous avez beau avoir raison, vous serez obligé de fléchir devant ce fait brutal de l'invasion de l'or.
Je répondrai qu'à côté du fait de l'invasion de l'or il y a celui de l'invasion du bronze français qui nous domine tout autant. Proportionnellement à notre circulation monétaire en cuivre, il y a autant et plus de pièces françaises de 5 et 10 centimes qu'il y a d'or proportionnellement à notre capital monétaire d'argent.
Toutes les monnaies de cuivre qui existent dans le pays circulent ; on ne les thésaurise guère. Tandis qu'on thésaurise de l'argent surtout dans les pays où les moyens de crédit n'ont pas pénétré, dans les compagnes, et ces thésaurisations sont si considérables que le capital monétaire de la France, qu'on supposait n'être que de 3 milliards, s'élevait en réalité à 4 milliards. Lors donc qu'un tiers ou un quart des payements se font en or français dans la généralité da pays, cela ne prouve pas que l'or se soit substitué pour un tiers à un quart à l'argent dans notre capital monétaire. Il n'en est pas de même de la menue monnaie de bronze étrangère. Lorsque, comme cela a lieu, elle entre dans les payements pour moitié de la monnaie nationale, on peut dire qu'elle a envahi la moitié de notre circulation.
Si le fait de l'invasion doit nous faire donner cours légal à l'or, il doit aussi nous porter ù donner ce cours légal au bronze. Une proposition ayant pour but d'arriver à ce dernier résultat ne supporterait pas l'examen. Le bronze français coûte 33 p. c, de sa valeur nominale, chaque million de cette monnaie qu'on importe chez nous vaut au gouvernement français 600,000 fr. de bénéfice.
L'introduction de l'or dans notre pays est le résultat, dit-on, de nos relations commerciales. La France nous doit un solde métallique parce que nos exportations avec ce pays dépassent nos importations, c'est la théorie soutenue par l'honorable M. de Haerne. La France, dit-il, n'a plus d'argent, elle ne peut nous payer qu'eu or. Cette assertion est en contradiction avec les faits dont nous sommes témoins.
Annuellement la France envoie 30 millions d'argent en Angleterre, elle en envoie également dans l'extrême Orient par Marseille, nous avons vu, il y a quelques mois, quelques jours à peine, la Banque de France courir en quelque sorte tous les marchés de l'Europe pour offrir l'argent qu'elle a dans ses caves.
Qu'on ne me dise donc pas que nous ne pouvons plus trouver d'argent en France.
Nous en trouverons quand nous en voudrons, sans doute à un prix relativement un peu plus élevé que l'or.
J'ai été étonné de voir soutenir ce thème par l'honorable abbé de Haerne qui nous avait fait un exposé si lucide des virements de comptes qui se font entre les Etats-Unis, l'Angleterre, l'Australie et l'extrême Orient.
L'Angleterre, nous dit-il, solde ce qu'elle doit aux Etats-Unis et à l'Australie par l'escompte du papier tiré de l'Inde, sur ces deux pays. C'est là, messieurs, ce qui se passe partout, et notre solde avec la France se règle par des compensations de crédit.
Si la théorie du solde à payer en numéraire était vraie, si le pays dont les exportations sont plus considérables que les importations devait nécessairement recevoir du métal précieux ou du numéraire pour compenser la différence des valeurs échangées, le commerce d'une nation comme l'Angleterre eût été impossible avant 1850.
L'Angleterre avant la découverte de la Californie n'avait qu'une circulation monétaire s'élevant au plus à 1 milliard de francs et son mouvement commercial et industriel était six fois plus considérable que celui de la France.
Si l'Angleterre avait dû exporter du numéraire pour solder ses achats aux contrées auxquelles elle envoie plus de marchandises qu'elle n'en reçoit, son commerce eût été entravé, impossible. Les exportations de numéraire ne se font que dans les circonstances graves, dans les cas de guerre, de crise alimentaire, ou pour le commerce avec l'extrême Orient, ou en cas de surabondance dans la production des métaux précieux, comme cela a lieu actuellement pour les règlements de comptes entre les Etats-Unis d'une part, l'Angleterre et la France de l'autre. Dans les circonstances régulières les comptes se liquident par virement, par échanges de papier. Cela est tellement vrai, que quoique le papier de Belgique sur la France soit très abondant, à cause de cet excédant de nos exportations sur nos importations vers ce pays, il jouit d'une prime sur le pair de la valeur intrinsèque des monnaies des deux pays. Les Allemands viennent l'acheter à nos bourses pour solder leurs comptes avec la France. Cette théorie de remises forcées en or est donc une chimère.
J'ai dit en commençant que l'invasion de l'or n'est, à mon avis, que le résultat d'une double spéculation.
Spéculation de la part de ceux qui, faisant des exportations vers la France et ne pouvant placer leur papier avantageusement, se font envoyer de la monnaie et cherchent à faire passer leur or au pair. Libre à eux de chercher à faire ce bénéfice au détriment de ceux qui acceptent cette monnaie à sa valeur nominale.
Mais ce qui ne me paraît ni juste ni raisonnable, c'est que ce bénéfice leur soit assuré de par la loi, que la Belgique entière soit obligée de supporter une perte réelle pour leur épargner une perte fictive.
Spéculation ensuite de la part des commerçants eu métaux précieux. Ce commerce a pris, de nos jours, de très grandes proportions, mais il a existé à toutes les époques.
On a vu, en 1849, à cause du cours trop élevé maintenu aux souverains anglais, ces souverains inonder notre pays, tandis que notre monnaie d'argent s'exportait vers l'étranger.
On a vu de même, sous l'empire de la loi de 1816, par suite du cours trop élevé donné au franc de France, celui-ci envahir la Belgique et s'y substituer au florin hollandais qu'on importait en France où on le remonnayait.
On a vu de même, vers la fin de l'empire et au commencement de l'époque qui suivit le rétablissement de la paix en 1815, l'Angleterre inondée par une monnaie française acceptée par le public pour une valeur nominale supérieure de 30 p. c. à la valeur intrinsèque. Enfin, de nos jours, dans ces derniers temps, nos centimes et nos pièces de 5 fr. ont envahi les Pays-Bas.
Le gouvernement hollandais a pris des mesures notamment pour les pièces de 5 fr. ; il a déclaré qu'il les accepterait pour leur valeur intrinsèque, valeur qui est cotée à la Bourse d'Amsterdam. Le cours de ces jours derniers était de 4 fr 89 et 4 fr. 95 c. Cette perte est le résultat du frai qu'elles ont subi, et de labaisse du change des Pays-Bas sur la Belgique.
En 1609, le territoire des Provinces-Unies se trouvait envahi par une foule de monnaies étrangères circulant pour une valeur nominale de (page 603) 9 à 10 p. c. au-dessus de leur valeur intrinsèque. A mesure que le gouvernement mettait en circulation des florins de Hollande droits de poids, ils étaient fondus et remplacés par de la monnaie étrangère dépréciée. Cet état de choses nuisait au commerce hollandais, jetait la perturbation dans toutes les transactions. Eh bien, la population hollandaise, avec ce patriotisme qui la distingue, se tira de cette situation difficile par un trait d'audace et de génie. Elle jeta les fondements de la Banque d'Amsterdam, créée surtout pour restaurer la pureté de l'unité monétaire.
La Banque d'Amsterdam décida qu'elle reprendrait toutes ces monnaies étrangères à leur valeur intrinsèque et qu'elle donnerait en échange des florins métalliques de Hollande ou du papier représenté dans ses caves par des métaux précieux en barres, et ce papier ne tarda pas à être accepté sur les places de l'Europe pour une valeur égale et même supérieure à la monnaie métallique. Ce fut l'origine, la cause première de la fortune financière de la république. Voilà comment ce pays s'est tiré d'une situation plus difficile que celle où nous nous trouvons.
Et ce fait de l'invasion des monnaies étrangères dépréciées s'est produit dans notre propre pays. Je dirai même que, dans notre histoire monétaire, c'est peut-être le fait le plus permanent qu'on rencontre depuis trois siècles et demi. Si l'honorable M. Dumortier veut se donner la peine d'ouvrir le recueil de nos placards et ordonnances, il y trouvera plus de cinquante édits, tous relatifs à l'introduction dans le pays d'une monnaie étrangère dépréciée.
Savez-vous quelles sont les mesures que prend le gouvernement pour résister au mal ?
Presque tous les préambules de ces édits constatent qu'on spécule sur la différence de valeur des pièces nationales et étrangères, qu'on échange celles-ci contre de la bonne monnaie nationale, que celle-ci est vendue et exportée, et l'on constate en même temps, chose excessivement curieuse pour l'époque, que par suite de cette dépréciation de cette monnaie étrangère chassant la monnaie nationale, tous les vivres, toutes les denrées nécessaires à la vie ont augmenté de prix.
Enfin quel est le remède que l'on propose ? Un édit rendu par Charles-Quint en 1526 ordonne à tous les Belges de refuser dans leurs payements les monnaies étrangères non portées au tarif. Je dis « non portées au tarif » parce que, à cette époque, il circulait dans notre pays une foule de monnaies. Il y avait jusqu'à 10 monnaies d'or et 20 monnaies d'argent. Quand le titre en était connu, qu'elles étaient frappées à l'effigie des grands souverains ou de grandes républiques de l'Europe, on appréciait leur valeur intrinsèque et elles étaient portées au tarif pour cette valeur ; les autres monnaies étaient rejetées et décriées.
Charles-Quint ordonne d'envoyer dans toutes les villes et bourgades du pays des changeurs chargés de les recueillir, de les payer conformément à leur valeur intrinsèque, de les couper en les recevant, et de les porter aux monnaies nationales.
Ainsi, cette idée de maintenir la pureté de la circulation monétaire en autorisant les agents du gouvernement à couper les pièces qui auraient perdu une partie trop considérable de leur poids, n'est pas une idée nouvelle, n'est pas une idée anglaise, c'est une idée éminemment nationale.
On la retrouve dans toutes les ordonnances rendues postérieurement, notamment celle de 1635 et celle de 1705.
L'invasion de l'or n'est donc pas un fait forcé, un fait contre lequel on ne puisse réagir.
Elle n'est pas, comme on l'a soutenu, un fait accidentel résultant de la production de l'or, résultant de l'exportation de l'argent vers les pays étrangers ; c'est un fait permanent ; c'est un fait qui se reproduira toujours, chaque fois que dans un pays vous donnerez à l'or un cours supérieur à sa valeur intrinsèque, ou chaque fois que par la négligence des populations, par leur assentiment, cette monnaie sera reçue pour une valeur nominale supérieure à sa valeur intrinsèque.
Il importe de tâcher de ramener un état de choses régulier dans notre pays, et je dirai que ce qui me paraît constituer la chose la plus fâcheuse en Belgique, ce n'est pas tant la circulation de l'or que la perte du poids de notre monnaie nationale. La loi n'est pour rien dans l'invasion de l'or. Accepte cette monnaie qui le juge convenable, soit à sa valeur nominale, soit à sa valeur intrinsèque. Mais ce qui est grave, c'est la perte de poids de notre monnaie légale, Du moment que la monnaie perd de son poids et de son titre, qu'elle a moins de valeur, il y a une hausse correspondante dans le prix des choses nécessaires à la vie, il y a une réduction de toutes les créances ; les créanciers ne reçoivent pas ce à quoi ils auraient droit en vertu de la loi. Il est donc essentiel, il est important que l'on prenne des mesures pour restaurer la pureté de notre monnaie nationale d'argent.
Une bonne mesure serait celle qui consiste à tarifer l'or et à en rendre l'acceptation obligatoire, pour le gouvernement, à ce taux. Le public s'habituerait peu à peu à ce cours, il n'accepterait la monnaie d'or qu'à ce prix, et lorsque le gouvernement procédera à la refonte de la monnaie nationale et lorsque en conséquence il fixera la valeur de l'or un peu plus bas, il faut espérer que les populations s'habitueront a ce nouveau règlement et que nous pourrons désormais avoir une bonne circulation monétaire d'argent.
Pour me résumer, je repousse la proposition de l'honorable M. Dumortier, parce que, comme je l'ai dit, si elle doit avoir pour résultat de faire cesser certains inconvénients en Belgique, elle est de nature à en amener d'autres ; parce que si elle tend à soulager certaines classes de la population de ces inconvénients, elle tend à en attirer d'autres sur la classe de la population qui peut bien moins la supporter, sur la classe ouvrière.
Je la repousse parce qu'elle viole des contrats librement consentis, parce qu'elle constitue une atteinte à la foi publique.
L'honorable membre aura beau nous dire que personne ne proteste, que tous les Belges sont d'accord ; quand même tous les Belges seraient d'accord, nous aurions encore à sauvegarder les droits de nos créanciers étrangers qui n'ont pas voix au chapitre.
Je repousse la proposition, parce qu'il est impossible de la justifier sans soutenir, sur la nature et le rôle des monnaies, une théorie contre laquelle nos pères ont lutté pendant des siècles, théorie désastreuse, origine première de toutes les falsifications, de toutes les altérations des monnaies, de toutes les banqueroutes d'Etat.
Après cinq siècles d'efforts, nous sommes parvenus à introduire dans la législation ce grand principe que l'unité monétaire n'est qu'un poids de métal dont l'Etat garantit la pesée et le titre.
L'honorable M. Dumortier vient, dans l'intérêt de ceux qui veulent faire accepter l'or à une valeur qu'il n'a pas, étaler au grand jour du dix-neuvième siècle cette lèpre honteuse du moyen âge, cette doctrine funeste qui attribue à l'Etat le pouvoir de constituer la valeur de l'unité monétaire. S'il m'est permis de reproduire ici une idée exprimée par sir Robert Peel dans la discussion de 1814, je dirai :
« Altérez tant qu'il vous plaira dans vos Etats l'unité monétaire, vous pouvez manquer à la foi publique et apporter un trouble profond dans les transactions ; mais l'étranger tiendra compte de ce que vous aurez fait, et vos changes baisseront dans toutes les bourses de l'Europe. »
(page 593) M. le ministre des affaires étrangères (M. de Vrière) dépose une convention conclue avec le Hanovre, relativement à la capitalisation du droit de Stade.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce document et le renvoie à l'examen des sections.
La séance est levée à 4 1/2 heures.