(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)
(page 481) (Présidence de M. Vervoort.)
M. de Boe procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
M. Snoy donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Boe présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Le conseil communal de Leuze demande la construction simultanée des chemins de fer de Bruxelles à Louvain, d'Ath à Hal par Enghien et de Tournai vers Lille. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Vercautere, barbier commissionnaire à la prison de Courtrai, demande que ses années de service dans ces emplois puissent lui assurer un droit à une pension de retraite. »
- Même renvoi.
« Plusieurs officiers pensionnés prient la Chambre de leur accorder, dans l'avenir, une augmentation de pension proportionnelle à celle qui serait votée en faveur des officiers de l'armée active et pour le présent une augmentation de 1/50 pour chaque année d'activité passée dans ce dernier grade. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Namur demandent que les deux métaux soient employés à la confection des monnaies belges ; qu'on batte de préférence celui des deux métaux qui est le plus abondant ; que le rapport légal soit conservé dans toute son intégrité et qu'on admette l'or français sur le même pied que la France admet l'or belge. »
« Même demande d'habitants de Soignies, Meslin-l'Evêque, Audenarde. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi relative à la monnaie d'or.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Namur, le 11 janvier 1861, d'anciens employés des taxes communales à Namur réclament l'intervention de la Chambre pour obtenir du gouvernement, soit le traitement d'attente prévu par l’article 14 de la loi relative à la suppression des octrois, soit une indemnité pour les pertes qu'ils ont essuyées par suite de la promulgation de cette loi.
(page 490) Messieurs, les pétitionnaires se plaignent de ce que, par suite de la suppression des octrois, ils se trouvent réduits à l'état de la plus profonde misère ; ils vous supplient humblement de vouloir bien intervenir en leur faveur pour obtenir du gouvernement le traitement d'attente prévu par l'article 14 de la loi du 8 juillet ou une indemnité pour la perte qu'ils ont essuyée par suite de l'adoption de cette loi.
Or, voici la position particulière des pétitionnaires : ils ne sont pas les employés directs de la ville de Namur, parce que depuis 1846 l'octroi de la ville de Namur a été mise en adjudication publique ; le gouvernement a considéré ces employés comme étant des employés de l'entrepreneur, tandis que d'autre part ils disent dans leur pétition que l'administration de la commune s'est réservé le droit de les nommer et de les révoquer de leur emploi.
Par suite de cette décision, ils se trouvent dans un état de détresse extrême qu'ils signalent à la Chambre. Ils n'entendent pas que, par une interprétation subtile, ils soient exclus du bénéfice de la loi, privés de l'indemnité accordée aux employés des autres villes. Ils s'adressent à la Chambre pour obtenir la faveur que l'article 14 a accordée aux employés des autres villes.
Si cette position avait été faite aux employés des grandes villes, il est évident qu'il y aurait eu des réclamations sans fin ; il ne peut pas entrer dans les vues de la Chambre et du gouvernement d'abandonner ainsi ces employés à leur triste sort sans aucune indemnité.
Il est bien entendu cependant que la ville de Namur et autres localités qui se trouvent dans la même position ne pourraient en aucun cas être admises à prendre, de ce chef, une plus large part dans le fonds communal.
Il serait souverainement injuste est inique que celles qui reçoivent déjà l'intégrité du montant de leur octroi sur ce fonds, réservé aux autres communes sans octroi, viendraient encore réduire ainsi la part déjà trop restreinte, et qui constitue la seule indemnité que la loi leur a réservée dans ce fonds. Votre commission, dans ces termes, a l'honneur de vous proposer le renvoi de la pétition à M. les ministres de l'intérieur est des finances.
(page 481) M. Wasseige. - Messieurs, la pétition sur laquelle vous venez d'entendre un rapport a pour objet de réclamer au profit des employés des communes où l'octroi était affermé le bénéfice de l’article 14 de la loi qui a supprimé les octrois et crée un fonds spécial pour venir pendant trois ans au secours des employés que cette suppression laisserait sans emploi.
Si ce principe est vrai, comme j'espère le démontrer, il n'est pas seulement applicable à la ville de Namur dont l'octroi a été mis en ferme, mais à tous les employés des 18 villes qui sont dans le même cas, et dont les employés sont également privés du secours accordé à d'autres par l'article 14 de la loi.
Ces dix-huit communes sont : Nivelles, Blankenberghe, Dixmude, Roulers, Basel, Grammont, Ninove, Tamise, Beaumont, Binche, Enghien, Fontaine-l'Evêque, Leuze, Rœulx, Soignies, Namur, Gembloux et Philippeville.
Voilà, comme j'avais l'honneur de vous le dire, dix-huit communes où l'octroi était affermé, et où les employés de ce service, sans emploi et sans fonction, sont privés du bénéfice de l'article 14 appliqué comme paraît vouloir le faire l'honorable ministre des finances.
Je vous donnerai lecture de l'article 14 tel qu'il a été adopté.
« Art. 14. Pendant trois années à partir de la mise en vigueur de la présente loi, il pourra être alloué aux communes une indemnité du chef des traitements d'attente à payer éventuellement aux agents du service de l'octroi qui resteront sans emploi.
Cette indemnité sera prélevée sur le revenu attribué aux communes par l'article 2, et ne pourra excéder 5 p. c. de chaque quote-part dans la répartition. »
Vous le voyez, dans l'article adopté par la Chambre, le texte est clair, précis et ne fait aucune distinction entre les différents agents du service de l'octroi. On ne distingue pas entre les agents nommés directement par les communes et les agents qui sont au service des particuliers. L'article est général et son bénéfice doit s'étendre à tous les agents du service de l'octroi quels qu'ils soient.
En effet, messieurs, il résulte du décret de 1809, qui a rétabli l'impôt de l'octroi, qu'il y a trois modes de perception de cet impôt et que les communes peuvent choisir celui qui leur convient le mieux.
Le mode de régie simple, c'est-à-dire la perception par les agents directement nommés par la commune.
La régie intéressée, c'est-à-dire une espèce de compromis entre un fermier et la commune, et le partage du bénéfice.
Enfin la ferme, c'est-à-dire la remise directe à un entrepreneur pour une somme déterminée après adjudication publique.
Mais dans ces trois modes, les agents qui sont préposés à la perception de cet impôt qui en définitive revient toujours à la caisse communale, sont des agents du service de l'octroi. Ils rentrent donc complètement dans le texte de l'article 14 dont nous réclamons le bénéfice ; mais il est important de faire remarquer ici que les agents, qu'ils soient au service de la ville ou qu'ils soient au service de l'entrepreneur, sont des agents d'une catégorie particulière. Il résulte en effet du décret de 1809, dans ses articles 138 et suivants, que ces agents doivent recevoir en tout cas une commission de la commune pour être admis à prêter serment, qu'ils doivent prêter serment devant les tribunaux, qu'ils sont passibles dans leurs malversations, des lois pénales qui punissent les fonctionnaires, et enfin qu'ils concourent à la découverte des délits de police, qu'ils sont, en deux mots, des officiers de police judiciaire.
Que ces employés soient donc ou employés communaux ou employés au service du fermier de l'octroi, ils sont des employés d'une catégorie spéciale qui les différencie complètement des simples employés d'un particulier et cette considération très importante, me paraît de nature à enlever toute espèce de doute sur la portée du texte de l'article 14 dont les pétitionnaires invoquent le bénéfice et dont on voudrait les exclure, comme n'étant que de simples agents de particuliers, n'agissant que pour leur maître et dans leur seul intérêt.
Y aurait-il au moins du doute sur l'esprit dans lequel la loi a été votée par la Chambre, dans lequel elle a été examinée par les sections ? Nullement. Car, circonstance assez singulière, ni dans l'examen des sections, ni dans l'examen en section centrale, ni dans la discussion publique devant la Chambre, il n'a été dit un mot de cet article. Il a été adopté par les sections et par la Chambre sans la moindre discussion.
Dans l'exposé des motifs, il est vrai, il est question d'employés communaux. Mais d'abord l'exposé des motifs ne peut jamais prévaloir contre un texte formel. Il est d'ailleurs assez naturel que l'exposé des motifs se soit servi de cette expression, parce que c'est la condition la plus ordinaire, puisque c'est la condition de 60 communes sur 78.
Mais cette expression n'est pas limitative, elle n'exclut pas les autres fonctionnaires du même genre, au service des fermiers.
Mais, messieurs, voulez-vous une preuve évidente, une preuve qui me paraît irréfutable, que l'intention du gouvernement, quand il a présenté la loi, n'a pas été de faire des catégories, mais de comprendre tous les employés sur la même ligne et de leur attribuer à tous le bénéfice de l'article 14 de son projet ? Je la trouve dans un tableau joint à l'exposé des motifs et destiné à expliquer et à faire bien comprendre le texte de la loi.
Ce tableau est intitulé : spécimen de répartition entre les communes du royaume, du revenu normal de 14 millions de francs ; il renferme plusieurs colonnes : le produit net de l'octroi en 1858, les taxes perçues dans les parties extra-muros, et enfin une colonne ainsi intitulée : minimum de l’indemnité à accorder éventuellement pour traitement d'attente des agents, 5 p. c. du produit net, et enfin une dernière colonne comprenant le total de la somme attribuée à chaque commune.
(page 482) A la colonne intitulée : minimum de l'indemnité à accorder éventuellement pour traitement d'attente des agents, 5 p. c. du produit net, ce qui est la chose que nous réclamons maintenant, se trouve indiquée la part des 18 communes dont je viens d'avoir l'honneur de faire connaître les noms, exactement de la même manière que celle des 60 communes où l'octroi était en régie.
Ainsi Blankenberghe se trouve inscrit à cette colonne pour la somme de 417 fr. qui est ajoutée au produit net de l’octroi ; Nivelles, pour une somme de 1,805 fr.
Namur y figure pour une somme de 11,000 fr., ajoutée également au produit net de son octroi en 1858.
Tontes les autres villes, enfin, où l'octroi se trouvait affermé, Rumes, Soignies, Philippeville, Roulers, Leuze. etc., sont toutes sans exception comprises pour des sommes plus ou moins importantes dans la colonne destinée à pourvoir au traitement d'attente des agents du service de l'octroi, et ces sommes sont ajoutées à la colonne indiquant la quote-part attribuée à ces villes sur le fonds de 14 millions.
Vous le voyez, messieurs, d'après ce tableau, il est évident que le gouvernement, lorsqu'il a présente son projet de loi, ne faisait pas de catégories, qu'il comprenait tous les agents du service de l'octroi dans son article destiné à leur allouer un traitement d'attente.
Les sommes destinées à cet usage ont été portées dans cette colonne et ajoutées au produit net de l'octroi auquel chaque commune aurait droit.
Qu'arrive-t-il aujourd'hui d'après le système qui paraît devoir être appliqué ? C'est que la ville de Namur, à laquelle revient la somme la plus considérable comme étant la plus populeuse ; la ville de Namur qui devait recevoir 11,000 fr. pour venir au secours des agents du service de son octroi, reçoit 11,000 fr. en moins que la somme qui lui était attribuée d’après cette répartition, ce qui l'empêche de venir directement elle-même au secours des employés de l'octroi, ce qu'elle ferait si elle jouissait de la somme à laquelle elle avait droit d'après ce tableau et qu'il était évidemment dans l'intention du gouvernement de lui allouer lorsqu'il a présenté son projet.
La Chambre a voté sous cette impression-là, en vue de ce tableau-là. Elle a eu l'intention, j'en suis convaincu, qu’il n'y eût pas de catégories et que chacun reçût ce qui est indiqué dans le tableau dont je viens d'avoir l'honneur de vous donner connaissance.
Et je crois pouvoir affirmer que pas un membre de cette Chambre, ne déclarerait, la main sur la conscience, qu'il a l'intention d'exclure une catégorie quelconque d'agents du service des octrois.
Mais, messieurs, il n'y a pas de raisons de droit pour faire deux catégories.
Ce ne peut plus être en qualité d'agents communaux que les uns recevraient plutôt que les autres. En présence de l'Etat, les fonctionnaires communaux ne sont pas autre chose que des fonctionnaires privés. Ils sont tels que les autres, ils sont dans les mêmes conditions que les autres.
L'Etat ne leur doit pas plus qu'il ne devrait à des employés privés. Les uns et les autres sont sur le même rang. Il n'y avait donc pas lieu de les différencier.
Ce n'est pas à cause de la qualité de fonctionnaires communaux que le législateur a voulu accorder un traitement d'attente aux employés des octrois, mais à cause de leur qualité d'agents du service des octrois, parce que l’octroi étant brusquement supprimé, le législateur, par les raisons équitables partagées par tout le monde, n'a pas voulu voir des carrières brusquement brisées, un nombre assez considérable d'employés mis sur le pavé.
C'est une indemnité qui a été accordée aux communes pour qu'elles fussent mises à même de venir au secours d'hommes qui sont, en définitive, leurs agents, soit d'une manière directe, soit d'une manière indirecte.
L'indemnité a été accordée non pas parce que les employés dont il s'agit sont des agents communaux, mais parce qu'on a supprimé les octrois, c'est un acte de justice et d'humanité qu'on a voulu poser, et il y aurait injustice réelle à appliquer la mesure dans le sens restreint qu'on voudrait y donner.
Les communes auraient pu refuser tout secours à ces agents de l'octroi, sous prétexte que ce n’était pas leur faute si leurs fonctions étaient supprimées, qu'elles n'avaient pas aboli les octrois, et ce refus se serait appliqué aux agents de toute catégorie.
Mais c'est l'Etat qui a supprimé les octrois, il a fait une sorte d'expropriation pour cause d’utilité publique ; c\st lui qui doit l'indemnité à tous ceux qui ont souffert, et dès lors l'indemnité leur est due à tous, qu'ils soient agents communaux ou qu'ils ne le soient pas.
Ces observations, messieurs, me paraissent suffisantes ; j'ajouterai seulement qu'il ne s'agit pas de poser un précédent dangereux ni de faire voter de nouveaux fonds par la Chambre.
Il ne s'agit pas de poser un précédent dangereux, parce que la mesure ne peut pas s'étendre au-delà des limites tracées dans le tableau dont j'ai donné lecture et dans la loi elle-même.
Cette mesure ne peut d'ailleurs durer que trois ans, et tous les ans la charge diminuera, soit par les décès, soit par l'obtention de différents emplois par les agents actuellement secourus.
J'aurai l'honneur de vous faire observer, entre autres, que dans la collation des emplois le gouvernement ne fait pas la distinction qu'il veut faire ici ; quand le solliciteur a été agent de l'octroi, le gouvernement ne lui demande pas s'il était au service de la commune ou au service d'un fermier.
Si je voulais citer des noms propres, je pourrais indiquer beaucoup d'individus que le gouvernement a replacés à cause de leur qualité d'anciens employés de l'octroi, sous un fermier.
Il ne s'agit pas non plus, messieurs, de créer de nouvelles dépenses. En effet, on a enlevé une somme d'environ 20,000 francs aux 18 communes dont les octrois étaient affermés, et cette somme s'est ajoutée au fonds communal qui est partagé entre toutes les communes du royaume.
II ne s'agit que de l'y reprendre, ce ne sera que justice, ce ne sera d'ailleurs qu'une diminution imperceptible pour la généralité en faveur de gens qui se trouvent réduits à la plus extrême misère, car il en est plusieurs qui sont obligés de tendre la main.
Par leur position d’anciens employés de l’octroi, par leur âge avancé, ils sont peu propres à une foule de travaux que d'autres peuvent entreprendre et ils n'ont d'espoir que dans la commisération publique ou dans l'obtention d'un nouvel emploi.
Messieurs, j'ai parlé en termes généraux de tous ceux qui se trouvent dans la position des employés de Namur, mais il y a des motifs spéciaux en faveur de ces derniers, ce sont d'anciens fonctionnaires au nombre de 5 ou 6, qui avaient été nommés par l'administration communale, alors que l'octroi était en régie et qui sont passés au service du fermier.
Ils étaient agents de l'octroi depuis un certain temps et ils ont un âge avancé puisqu'il y a déjà 14 ans que l'octroi est affermé. La ville les a toujours considérés tellement comme agents communaux que lorsqu'il s'est trouvé parmi eux des agents qui, par leur âge et leurs infirmités, devaient cesser leurs fonctions, elle leur a toujours accordé des secours sur la caisse communale.
Ceux qui réclament n'ont pas le nombre d'années de services requis pour obtenir ces secours. Voilà pourquoi ils s'adressent à la législature, afin du participer au bénéfice de l'article 14, qui a été voté par la Chambre dans le sens que j'ai rappelé, mais auquel les raisons particulières que je viens d'indiquer leur donnent encore plus de droit, si c'est possible.
M. Rodenbach. - Messieurs, j'ai écouté avec intérêt le discours que vient de prononcer l'honorable M. Wasseige.
Dix-huit villes et communes à octroi sont privées de l'avantage que l'article 14 de la loi sur l'abolition de cet impôt communal assure aux 78 localités dans lesquelles cet impôt était établi.
Or, je demande, à tous mes honorables collègues qui sont ici présents s'il en est un seul parmi eux qui ait entendu exclure du bénéfice de la disposition les 18 communes dont on a parlé, et notamment Roulers, Dixmude. Blankenberghe, Namur, Philippeville, etc.
Le tableau dont l'honorable M. Wasseige vient de vous exposer les détails est là qui le prouve d'une manière irrécusable.
Je le demanderai, que faisaient les employés des taxes communales dans les localités où l'octroi était affermé ? N'exerçaient-ils pas leurs fonctions dans l'intérêt de la commune ? Les fonds ne rentraient-ils pas dans les caisses communales ? Ainsi, tout avait un intérêt communal, tant dans les dix-huit localités où l'octroi était affermé que dans les autres villes où il ne l'était pas.
Je le répète, il est impossible d'exclure les dix-huit communes du bénéfice de l'article 14. Tous les membres de la Chambre, tant dans les sections qu’en séance publique, ont voté cet article dans ce sens.
Il est impossible d'admettre qu'on ait voulu avoir deux poids et deux mesures, quand il a été question de la suppression des octrois.
Je m'associe entièrement aux sentiments que vient d'exprimer l'honorable M. Wasseige. Je me bornerai, pour le moment, à ces observations. J'entendrai M. le ministre des finances dans ses explications. (page 483) IL voudra bien ne pas perdre de vue qu'il s'agit avant tout ici d'une question d'humanité.
Les anciens employés sur lesquels nous appelons sa bienveillance sont de pauvres pères de famille.
Il serait injuste et inhumain qu’une mesure qui, d'après la majorité qui l'a votée, doit profiter généralement à tous, il serait injuste, dis-je, qu'une telle mesure enlevât toute ressource à un grand nombre de gens qui ont fidèlement servi l'Etat pendant de longues années.
M. de Baillet-Latour. - Messieurs, je viens appuyer vivement la réclamation des honorables députés de Namur. La ville de Philippeville est dans le même cas où se trouvent les dix-huit localités qu'a citées l'honorable M. Wasseige : la situation de l’employé de l’octroi de Philippeville est exactement la même que celle des employés des taxes communales de Namur dont l’honorable préopinant a pris la défense ; il peut avoir été employé pendant quelque temps comme agent de la personne qui a affermé l’octroi, mais cela n’a été que temporaire : l’employé dont il s’agit a été bien plus longtemps agent communal.
J'espère que. M. le ministre des finances prendra en sérieuse considération la situation malheureuse de cette classe d'employés, et j'attends avec confiance les explications qu'il voudra bien donner à la Chambre.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, les conclusions de la commission des imitions tendent au renvoi de la réclamation au département de l'intérieur et à celui des finances.
J'accepte, pour mon collègue et pour moi, j'accepte bien volontiers ce renvoi ; mais je dois dire que la question qu'on soulève a été déjà examinée avec le plus grand soin, avec beaucoup de bienveillance. Le gouvernement n'avait lui-même aucun intérêt dans cette affaire, et je pense que les deux départements persisteront dans l’opinion qu'ils ont exprimée, dans la résolution qu'ils ont prise après un sérieux examen.
Messieurs, nous n'avons eu en vue que d'assurer l'exécution d'une loi conformément à son texte et à l'esprit qui l'a dictée. Il ne s'agit point de prendre de l'argent dans le trésor ou de solliciter un crédit pour faire droit à cette réclamation. Il s'agit seulement de diminuer le fonds communal, la part à attribuer aux communes rurales.
Le gouvernement n'a fait ici que défendre l'intérêt des communes en cause qui lui est confié. Un certain nombre de communes ont affermé leur octroi. Les employés des fermiers sont-ils des agents communaux ; sont-ils de ces agents communaux que la loi a eu en vue ? Dès que la question a été soulevée, j'ai demandé l'avis du département de l'intérieur, qui a répondu que, selon lui, les employés des fermiers n'étaient pas des agents communaux ; que la loi ne leur était pas applicable. C'a été également l'opinion du département des finances. Il y a, en effet, messieurs, entre les uns et les autres une grande différence. L'agent communal fait partie d'une administration publique ; il est entré dans l'administration publique et avait une perspective devant lui, celle de rester fonctionnaire de cette administration, on peut dire, jusqu'à la fin de sa carrière, aussi longtemps qu'il pouvait remplir ses fonctions, et qu'il le ferait d'une manière convenable.
L'employé d'un particulier, au contraire, n'a pas cette perspective et n'est pas dans la même situation : du jour au lendemain, il peut cesser d'être au service de ce particulier. Les fermiers qui se trouvaient adjudicataires de l'octroi pouvaient être changés d'un jour à l'autre, et avec eux le personnel qui était à leur service.
M. de Naeyer. - Cela n'est pas admissible : les employés de particuliers passent de l'un à l'autre.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est possible.
M. de Naeyer. - Toujours.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cela peut être, mais cela peut aussi ne pas être, et cela suffit pour marquer la différence des positions.
M. Mercier. - Les commis des fermiers rendaient les mêmes services que les employés communaux proprement dits.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Incontestablement, mais ils n’étaient pas dans la même position que les employés communaux : ils n'avaient pas droit à la pension ; ils ne contribuaient à aucune caisse de pension comme les employés communaux.
La loi a voulu ménager le sort des personnes envers lesquelles les communes avaient des engagements qui, dans la pensée de tous, devaient subsister longtemps, qui avaient pour conséquence des droits éventuels pour la famille, pour la veuve ou pour les enfants.
C'est pourquoi elle s'est occupée des agents communaux et de ceux-là seulement.
Or, il est bien évident que les employés des fermiers n'avaient pas les mêmes titres et n'étaient pas exposés à perdre une semblable position.
La loi, en prononçant ainsi, a fait une distinction que fait la législation générale elle-même.
Ainsi, la loi de 1819 sur les patentes soumet à la patente les employés des fermiers de l'octroi, tandis que les agents communaux sont exceptés de ce droit.
Ainsi, vous le voyez, la législation actuelle a parfaitement établi cette distinction entre les deux catégories d'employés.
La loi qui a supprimé les octrois a appliqué le même principe, en restreignant aux agents communaux la disposition bienveillante qu'elle consacre et nous nous en sommes expliqué dans l'exposé des motifs.
Nous avons dit formellement à quelle catégorie d'agents s'appliquait le fonds créé pour leur accorder une indemnité temporaire ; voici nos paroles :
« Par suite de la mesure consacrée par cette loi, un assez grand nombre d'agents communaux vont perdre leurs emplois. Le respect des droits acquis ne peut être méconnu dans cette circonstance. Les administrations communales devront, à mesure que la possibilité s'en présentera, replacer les uns dans les services municipaux de police, de secours contre incendie, etc.
« A ceux qui le demanderont et qui par leur âge, leur constitution et leur aptitude y seront reconnus propres, le gouvernement donnera dès qu'il le pourra un emploi dans l'une des administrations ressortissant aux départements ministériels.
« Il en est qui devront être pensionnés par les communes, et des traitements d'attente pourront être accordés par elles à tous les autres jusqu'à ce qu'ils aient été pourvus d'une nouvelle commission.
« Pour couvrir une partie de ces charges temporaires, qu'on évalue, à la moitié des frais de perception actuels, l'article 15 permet d'allouer une indemnité de 5 p. c. au maximum pendant 3 années aux communes dépossédées des droits d'octroi. »
Il résulte très clairement de ces explications qu'il s'agît exclusivement des employés communaux qui, en attendant qu'ils pussent être replacés dans les services communaux, devaient jouir d'un traitement d'attente à payer par les communes.
Est-ce que les employés des fermiers peuvent espérer une indemnité de ce genre, un traitement d'attente de la part des communes ?
C'était par exception que l'on allouait ce tantième à prélever sur le fonds communal. Cela étant, la disposition même se trouvait de stricte interprétation. Nous ne pouvons, sans léser l'intérêt des communes, interpréter la disposition d'une manière large, extensive.
On nous dit que si ces employés ne sont pas nommés par la commune, ils sont agréés par elle ; mais il est une certaine catégorie d'agents qui sont dans ce cas et qu'on ne considère pas comme des employés de l'Etat ; ainsi les agents des fermiers des barrières, quoique agréés par le gouvernement, ne sont pas considérés comme des employés de l'Etat.
Si on supprimait les barrières, ils n'auraient aucune prétention à élever contre le gouvernement. Et cependant, si le motif que l'on fait valoir était admissible, ils se prévaudraient également de ce qu'ils sont agréés par l'Etat comme le sont par les communes les employés des fermiers des octrois, pour demander une indemnité.
La question avait été sérieusement agitée de savoir si on laisserait aux communes le soin d'indemniser les agents communaux qui se trouveraient sans emploi.
M. de Naeyer. - C'est une autre question.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est certainement une autre question que celle dont nous nous occupons, mais elle sert à expliquer comment on doit interpréter celle que nous discutons.
Si l'opinion que je viens d'indiquer avait prévalu, les communes où l'octroi était affermé, auraient-elles alloué un traitement d'attente aux employés des fermiers ?
Voici ce que je lis encore dans le rapport de la section centrale :
« Nous aurions pu ne pas réserver aux communes à octroi les 5 p. c. destinés aux traitements d'attente de leurs agents de ce service et leur laisser cette charge temporaire ; mais cela aurait nui au sort des anciens employés. Or nous avons pensé qu'il fallait respecter pleinement ici les droits acquis sons le contrôle de la députation permanente et avec le concours du gouvernement. Ces administrations urbaines opéreront cette liquidation avec équité et cependant avec toute la célérité nécessaire, pour laisser retourner, au fonds commun, cette ressource, qui en a été momentanément distraite.
Le sens de la disposition est donc clairement manifesté. Il faut (page 484) restreindre strictement au cas qui a été prévu, l'application du prélèvement opéré sur la part qui revient aux communes rurales. Nous sommes donc fondés à dire que la disposition doit être interprétée comme nous l'avons fait, non en lui donnant de l'extension, mais en l'appliquant d'une manière conforme au texte, dont l'esprit est suffisamment révélé par l'exposé des motifs et le rapport de la section centrale.
On nous a dit qu'un tableau annexé au projet de loi avait indiqué toutes les communes à octroi comme devant prélever 5 p. c. au profit des employés dépossédés. Dans ce tableau on donne un spécimen de la répartition projetée. C'est ainsi qu'on a appliqué sans distinction les 5 p. c. à prélever sur la quote-part de chaque commune pour avoir une idée approximative de la mesure. Si on avait dû suivre ce tableau pour établir les droits de chaque commune, on aurait pu me répondre quand j'ai contesté à certaines villes à octroi les prétentions qu'elles ont élevées, que j'avais, dans ce spécimen, indiqué les sommes qui leur étaient attribuées. Mais on comprend que ce n'était là qu'une indication qui ne pouvait former un titre pour personne.
Il restait à vérifier si les sommes portées dans le spécimen étaient réellement dues ; et, dans le fait, il y a eu des rectifications en plus ou en moins.
D'ailleurs, l'en-tête de la colonne que cite M. Wasseige porte : « sommes à allouer éventuellement aux communes », c'est-à-dire si elles y ont droit.
M. de Naeyer. - Ce sont les expressions de l'article 14.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On ne devait pas accorder nécessairement à toutes les communes 5 p. c. Elles pouvaient y prétendre si elles y avaient droit.
C’est pourquoi l'on a parlé de sommes à allouer « éventuellement » aux communes. Le tableau le dit, la loi le dit avec raison, on ne peut donc invoquer le spécimen ni comme un titre, ni comme une preuve à l'appui du sens que l'on veut attribuer à la loi.
Je le répète, nous ne faisons que défendre les intérêts des communes rurales, car il y a beaucoup d'autres réclamations qui pourront s'élever sous prétexte d'équité. (Interruption.)
Si la loi ne s'applique pas exclusivement aux agents communaux, si on l'étend aux employés des fermiers, pourquoi les fermiers eux-mêmes ne seraient-ils pas assimilés aux directeurs des octrois ? Sous prétexte d'équité, on va loin.
Il y a une commune qui a réclamé une somme qu'elle a dû payer à un fermier par suite de résiliation du contrat.
Est-ce là, en équité, un préjudice dont on devrait l'indemniser ? D'autres réclamations se produiront ; nous avons cru agir prudemment en faisant ce que nous avons fait.
Nous n'avons pas été moins touchés que les honorables membres qui viennent de parler, de la position dans laquelle peuvent se trouver certaines personnes dont le nombre n'est pas toutefois aussi considérable que le dit l'honorable M. Wasseige.
M. Wasseige. - C'est une raison pour leur accorder quelque chose.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On est aisément généreux avec les fonds d'autrui. Mais notre devoir était de sauvegarder les intérêts des communes rurales, et nous n'avons pas cru qu'il nous était permis de faire des libéralités à leur dépens.
M. Moncheur. - Messieurs, je plaiderai la cause des employés des octrois affermés, parce que je la crois basée sur l'équité, sur la bonne foi et sur la loi.
Je demanderai d'abord à tous les membres de cette Chambre, si, la main sur la conscience, ils ont cru, quand ils ont voté la loi d'abolition des octrois, qu'il y eût une distinction à faire entre les octrois affermés et ceux non affermés, quant à l'indemnité à accorder aux employés dont les services devenaient inutiles. Quant à moi je suis certain que, dans cette mesure si large et si inopinée de l'abolition des octrois, pas un membre de la législature, pas un membre de cette Chambre, pas un membre du Sénat n'a entendu faire une semblable distinction par suite de laquelle toute une catégorie d'employés du service des octrois se trouveraient jetés tout à coup sur le pavé sans ressources et plusieurs d'entre eux réduits, dans leur vieillesse, à une extrême misère.
Le législateur, messieurs, n'a pas pu avoir cette volonté, et il l'a d'autant moins eue, qu'elle eût été en contradiction évidente avec la pensée du gouvernement lui-même.
En effet, je suis convaincu que, si un membre de cette Chambre se fût levé, pendant la discussion, et avait dit : Prenons-y garde, il y a une distinction à faire entre les divers employés du service de l'octroi. Je veux bien qu'il soit donné une indemnité temporaire aux employés des octrois perçus en régie, mais nullement à ceux des octrois perçus par la ferme. La plupart de ceux-ci sont, il est vrai, d'anciens employés du service de l'octroi perçu en régie ; ils ont reçu leur nomination de l'autorité provinciale ou communale, ils ont passé au service de l'octroi affermé, ils sont sous l'empire des dispositions du décret spécial de 1809, qui s'applique à tous les employés indistinctement des octrois ; mais je propose, néanmoins, de les exclure de la mesure d'humanité que contient le projet, et de ne pas leur donner part à l'indemnité qui, aux termes de l'art. 14, a pour but de subvenir à leur subsistance, pendant au moins trois ans ou jusqu'à ce qu'ils soient replacés.
Je suis convaincu, dis-je, que, si pareille proposition avait été faite dans cette Chambre, elle aurait été généralement repoussée. Il n'y aurait pas eu une seule voix pour la soutenir.
C'eût été, d'ailleurs, se heurter directement contre le texte le plus clair, le plus positif du projet de loi, et aussi contre les sentiments d'humanité qui animaient, n'en doutons pas, tous les membres de cette assemblée.
Eh bien, c'est cependant ce système qu'a adopté le gouvernement après la promulgation de la loi.
Quant à moi, je le déclare, j'ai examiné attentivement le projet de loi dont il s'agit et les annexes ; j'ai même pris quelque part à sa discussion, et comme la plupart des membres de cette Chambre, j'en suis persuadé, j'avais surtout examiné ce projet au point de vue de ses résultats pour les villes de ma province ; j'avais donc très bien remarqué dans le spécimen de l'application éventuelle de la loi, on ne faisait pas de distinction entre les villes où l'octroi avait été affermé et celles où il ne l'avait pas été quant au principe de l'indemnité à accorder aux employés ; qu'ainsi pour les villes de Namur et de Philippeville et pour la commune de Gembloux, les employés de l'octroi étaient mis, sous ce rapport, absolument sur la même ligne que les autres. L'idée ne m'est donc pas venue de demander des explications à cet égard. Mais si j'en avais demandé, qu'est-ce que l'on m'aurait répondu ? On m'aurait dit : Mais vous n'avez donc pas lu la loi ? Vous n'avez pas pris connaissance des documents qui sont fournis par le gouvernement à l'appui du projet, vous n'avez pas vu le spécimen de son application ? Lisez donc cela ! Vous créez, contre le projet, des griefs imaginaires pour le plaisir de les combattre. Voilà évidemment ce que M. le ministre des finances m'aurait répondu, et je n'aurais rien eu de mieux à faire que de me rasseoir.
On m'aurait dit : Lisez la loi. Et, en effet, qu'y aurais-je vu ? J'y aurais lu l'article 14, qui est conçu comme suit : « Pendant trois années, à partir de la mise en vigueur de la présente loi, il pourra être alloué aux communes une indemnité du chef des traitements d'attente à payer éventuellement aux agents du service de l’octroi qui resteraient sans emploi. »
Et à côté de ce texte, où il est parlé de la manière la plus générale des agents du service des octrois, j'aurais eu sous les yeux un tableau qui était la confirmation des termes généraux de la loi. Je n'aurais donc pas eu la moindre réponse à faire à l'objection que l'on m'aurait faite, à savoir : que je n'avais qu'à lire la loi pour la comprendre.
Mais, messieurs, depuis lors, le gouvernement a fait une distinction posthume, tout à fait contraire à son œuvre propre. Et à l'aide de quoi a-t-il fait cette distinction ? En posant très mal la question, en ce qui touche le principe de l'indemnité due aux employés des octrois. Ainsi que vient de le dire M. le ministre des finances, on a posé la question de savoir si les employés du service de l'octroi affermé étaient, oui ou non, des agents communaux, et sur cette question, les deux départements se sont mis d'accord. Ils ont décidé que ces employés n'étaient pas des agents communaux ; mais là n'était pas la question.
Je vous accorde, si vous le voulez, que ces employés ne sont pas des agents communaux, quoique je vous prouverai qu'ils sont revêtus d'un caractère, public, mais ce n'est point comme agents communaux qu'ils puisent dans l'article 14 leur droit à une indemnité ; ils ont ce droit comme agents du service de l’octroi, termes généraux qui comprennent tous les agents de ce service. L'article 14 est une mesure favorable, et vous savez, messieurs, que les mesures favorables doivent être plutôt étendues que restreintes. M. le ministre des finances vient, au contraire, de nous dire que c'était là une mesure d'exception, et que les exceptions devaient être restreintes. Mais je n'admets pas ce caractère d'exception à une disposition dictée par l'équité et l'humanité. Je dis que c'est une faveur et que les faveurs s'étendent, Favorabilia extendenda, et odiosa resfringenda ; donc, s'il y avait doute, le gouvernement devrait interpréter largement le principe de l'indemnité posé dans l'article 14 de la loi.
(page 485) Mais, dit M. le ministre des finances, les employés des octrois affermés doivent être assimilés à de simples ouvriers ou à des préposés d'entrepreneurs privés quelconques, il n'y a donc pas lieu de les admettre à prendre part au fonds destiné à indemniser les agents communaux des octrois ; nous avons déjà dit et répété que l'article 14 ne parle pas d'agents communaux, mais voyons s'il y a une assimilation raisonnable à faire entre les employés du service de l'octroi affermé et les simples ouvriers ou les employés d'un entrepreneur particulier, ou même d'un fermier de barrière, ainsi que vient de le dire l'honorable ministre des finances.
Jetons un coup d'œil sur le décret du 17 mai 1809, et voyons quelle est la position, quelles sont les fonctions des employés du service de l'octroi affermé : le décret organique des octrois reconnaît pour cet impôt trois modes de perception : la régie simple, la régie intéressée et la ferme. Or, voici quelques dispositions de ce décret qui concernent les employés des octrois affermés. Je trouve d'abord, dans le titre X, intitulé ; « Rapports des octrois avec l'administration des droits réunis », la disposition suivante :
« Les fermiers seront tenus de faire concourir au service des droits réunis leurs propres préposés, toutes les fois qu'ils en seront requis, sous les peines de droit. »
Ainsi, messieurs, vous le-voyez, ces prétendus ouvriers d'un entrepreneur particulier, qui ne sont rien autre que des hommes privés qui peuvent peut-être réclamer quelque secours à leur maître, mais qui n'ont aucun titre pour faire appel à l'humanité, à l'équité, à la loyauté de la législature qui les frappe soudain dans leur profession et leurs moyens d'existence ; ces ouvriers, dis-je, étaient hier encore, avant l'abolition de l'octroi, les agents, les auxiliaires du département des finances ! Un devoir important leur était imposé : celui de concourir à la répression de la fraude des droits réunis. Eh bien, je suppose qu'un fraudeur contre lequel aurait été fait un procès-verbal par l'employé d'un octroi affermé, aurait été attrait devant le tribunal pour être condamné à l'amende, et qu'il aurait dit : Ce procès-verbal n'a aucune valeur ; il n'est pour moi qu'un chiffon de papier ; car celui qui l'a fait n'était qu'un simple ouvrier, un simple préposé d'un entrepreneur particulier ; qu'est-ce que M. le ministre des finances aurait fait répondre à ce fraudeur, par son avocat ? Il lui aurait fait répondre que la loi donnait à l'employé de l'octroi affermé un caractère public qui le rendait apte à constater les contraventions de ce genre.
M. le ministre des finances aurait repoussé l'exception du fraudeur tout simplement en lui citant l'article 155 du décret du 17 mai 1809, qui porte :
« Tous les préposés à la perception des octrois ayant serment en justice sont autorisés à dresser procès-verbal des fraudes qu'ils découvriront contre les droits réunis. »
Je le demande, messieurs, sont-ce là de simples ouvriers ? Ne sont-ils pas revêtus d'un caractère public et l'assimilation que M. le ministre a faite entre eux et des mandataires privés d'entrepreneurs particuliers est-elle juste ?
Personne de vous ne le pensera. Mais ce n'est pas tout, messieurs, l’article 143, du titre XI, du décret du 17 mai 1809, titre qui est applicable à tout le personnel du service des octrois, range ces employés dans la catégorie des fonctionnaires ou du moins des agents d'un service public. En effet, cet article porte. :
« Tout préposé de l'octroi qui favorisera la fraude soit en recevant des présents, soit de toute autre manière, sera poursuivi et condamné aux peines portées par le Code pénal contre les fonctionnaires prévaricateurs. »
Et la cour de cassation a décidé, par plusieurs arrêts, que les préposés des octrois affermés étaient punissables aux termes du code pénal, comme prévaricateurs ou coupables de forfaiture, s'ils se laissaient corrompre ou s'ils détournaient des fonds dont ils étaient détenteurs.
Vous voyez donc bien, messieurs, que ce ne sont pas là de simples ouvriers, ainsi que M. le ministre des finances le prétendait. En voulez-vous encore d'autres preuves ?
L'article 156 du décret porte que « les préposés de l'octroi concourront, lorsqu'ils en seront requis, à la répression et à la découverte des délits de police. »
Et enfin, l'article153 est ainsi conçu : « Les préposés de l'octroi sont placés sous la j protection de l'autorité publique ; il est défendu de les troubler dans l'exercice de leurs fonctions sous les peines de droit. »
Ainsi, messieurs, sous bien des rapports, il est absolument impossible d'établir une assimilation fondée entre les employés des octrois affermés et des personnes privées. Ces employés ont un caractère public, et deviennent même souvent des agents de l'administration et de la police judiciaire.
Mais, messieurs, je le répète encore ici : nous n'avons pas besoin de cet argument, pour établir en justice et en équité leur droit à l'indemnité promise par la loi d'abolition des octrois.
M. le ministre des finances objecte qu'ils sont patentés, ce qui prouve, dit-il, qu'ils ne sont pas des agents communaux ni salariés par la commune ; mais qu'importe encore une fois la qualité d'agent communaux ou de salarié par la commune ?
D'ailleurs, pouvait-on légalement leur imposer la patente dans la position officielle que leur faisait le décret de 1809 ? C'est encore là une question, et, pour moi, j'ai des doutes très sérieux sur la légalité de cette patente.
Les employés des octrois affermés pourraient donc fort bien être, à ce titre, victimes d'une première injustice commise par le fisc à leur égard. Mais eussent-ils dû être patentés, la mesure que le législateur a prise indistinctement en faveur de tous employés de l'octroi, lorsqu'il a supprimé cette institution, est, nous l'avons dit, une mesure générale et large qui doit être appliquée à tous ; les Chambres n'ont pas voulu que des employés quelconques du service des octrois dussent mendier leur pain, par suite de la suppression subite de leur emploi.
M. le. ministre objecte, messieurs, que le spécimen ou tableau joint au projet et qui indiquait évidemment, en principe, la pensée du gouvernement, ne signifie rien, parce qu’il s'y trouve le mot « éventuellement » ; mais, messieurs, ce mot ne se rapporte, évidemment, qu'aux chiffres, et il s'agissait de savoir ce qui serait fait lorsqu'on aurait pris tons les renseignements sur les faits qui pourraient modifier l'application de la loi quant aux détails. Mais le principe général de l'indemnité était posé dans le tableau.
Mais, a dit M. le ministre, si une ville venait à réclamer le chiffre exact qui lui était attribué dans le tableau, aurait-on dû accueillir cette prétention, si les renseignements ultérieurs avaient prouvé que ce chiffre, indiqué d'abord comme exemple, était inexact ? Non sans doute, messieurs, mais c'est précisément à un cas semblable que se serait appliqué le mot « éventuellement ».
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le mot « éventuellement » s'applique à la question qui se discute maintenant.
M. Moncheur. - Ce mot ne peut nullement s'appliquer au principe de la généralité de l'indemnité, puisque, en regard du chiffre du produit total de l'octroi de chaque ville, même des villes où l'octroi était affermé, le tableau porte la somme allouée éventuellement aux employés mis hors de service.
Ce mot « éventuellement » s'applique aux détails et surtout à la question de savoir si lesdits employés pourraient être pourvus d'un autre emploi ou non.
El remarquez, messieurs, que ce n'est pas par erreur ou par mégarde, que le gouvernement avait indiqué, dans son spécimen d'application de la loi, un chiffre éventuel à donner, à titre d'indemnité, aux employés des octrois affermés, car dans un autre tableau, annexe B, fourni par lui à l'appui du projet, il a eu soin de désigner toutes les villes où l'octroi était perçu par le mode de la ferme.
Evidemment s'il n'avait pas cru pouvoir, en principe, comprendre les employés des octrois affermés dans la mesure d'équité qu'il proposait, il aurait laissé en blanc, dans le tableau spécimen, le chiffre afférent à ces derniers.
Vous le savez, messieurs, qui prouve trop ne prouve rien. Or, si le mot « éventuellement » pouvait mettre en doute un principe, les droits des octrois affermés, il révoquerait en doute, au même degré, les droits de tous les employés de l'octroi de la Belgique, car les uns et les autres sont compris dans les mêmes textes de la loi et du spécimen.
Résumons-nous, messieurs ; il ne s'agit pas d'examiner si les employés des octrois affermés sont ou ne sont pas des agents communaux ; ce n'est point à ce titre qu'ils ont été compris dans la mesure d'humanité de la loi, il s'agit uniquement d'examiner si la législature a eu ou a même pu avoir une autre volonté que celle de suivre la pensée indiquée par le gouvernement lui-même de donner une indemnité à tous les employés de l'octroi à quelque catégorie qu'ils appartinssent, que l'octroi fût en régie ou qu'il fût affermé.
J'espère que la Chambre voudra s'associer à la pensée de ceux qui demandent le renvoi de la pétition au gouvernement avec sympathie pour les pétitionnaires.
Il serait utile que la Chambre eût un moyen de manifester son opinion à cet égard.
(page 486) Dans tous les cas, j'appuie vivement le renvoi de la pétition a M. le ministre des finances et à M. le ministre de l'intérieur, avec prière de vouloir bien examiner l'affaire à une autre point de vue que celui où ils se sont placés la première lois pour interpréter la loi ; et je suis persuadé qu'en se plaçant au véritable point de vue, ils ne trouveront plus de motifs pour exclure du bénéfice de l'article 14 les employés des villes dont l'octroi était affermé.
Le gouvernement, pas plus que la Chambre, ne voudra laisser ces employés dans un état de misère qui les oblige à tendre la main à la charité publique et même à la charité privée.
M. Van Overloop. - Messieurs, je ne puis admettre l'interprétation que le gouvernement a donnée à l'article 14 de la loi sur l'abolition des octrois. Tout en me référant aux considérations générales que les honorables préopinants ont fait valoir, je crois devoir dire quelques mots, attendu que des employés de la catégorie de ceux dont nous nous occupons se trouvent dans les communes de Basel et de Tamise.
Qu'a voulu la Chambre ?
Elle a voulu supprimer les octrois, elle a voulu ériger un monument qui, dans la pensée de la majorité, doit contribuer beaucoup à la prospérité du pays, mais, en même temps, elle n'a pas voulu qu'en élevant ce nouvel édifice on écrasât de malheureux employés sons les ruines de l'ancien. En un mot, d'une part, la Chambre a voulu supprimer les octrois, d'autre part, elle n'a pas voulu que, par le fait de cette suppression, les employés des octrois, à quelque catégorie qu'ils appartinssent d'ailleurs, fussent privés de leurs moyens d'existence.
Ce qui le prouve, c'est le texte de la loi. Le texte distingue-t-il ? Evidemment non.
Or, il est un adage que tout le monde connaît : « Ubi lex non distinguit distinguere non licet ». On ne peut faire de distinctions lorsque la loi n'en fait pas.
Indépendamment du texte de la loi, nous avons l'esprit de la loi. Incontestablement le tableau spécimen dont a parlé M. le ministre des finances ne peut être invoqué, au point de vue de la question qui nous est soumise, que de la manière dont les honorables préopinants l'ont interprété.
Le mot « éventuellement » dont M. le ministre des finances a tiré parti pour combattre la pétition des anciens employés des taxes communales de Namur ; le mot « éventuellement », dis-je, ne s'applique pas du tout au principe, mais simplement aux chiffres.
Il est une dernière considération : c'est qu'en cas de doute, il doit toujours être tranché en faveur du faible contre le fort ; dans l'espèce, le fort, c'est le gouvernement ou la commune, n'importe ; le faible, ce sont les employés de l'octroi.
Moyennant toutes ces considérations, j'espère que le gouvernement, examinant la question au point de vue où, selon l'honorable M. Moncheur, elle doit être placée, reviendra sur l'interprétation qu'il a donnée jusqu'ici à la loi sur les octrois.,
L'honorable M. Frère a provoqué l'adoption de cette loi ; il ne voudra pas, j'en appelle à ses sentiments d'humanité, que cette loi, qu'il considère comme un bienfait pour le pays en général, soit la cause de la ruine de quelques pauvres employés de l'octroi.
(page 490) M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, la loi qui a aboli les octrois a fait deux catégories de communes, l'une comprenant les villes et communes à octroi, l'autre comprenant les communes rurales sans octroi. Les villes à octroi ont été énormément favorisées, dans (page 491) l'opinion d'un grand nombre de membre de cette Chambre, parce qu'on leur a accordé l'intégrité du montant de leurs octrois. Les autres communes ont été admises à participer à un fonds commun. C'est à ce fonds commun que les honorables préopinants voudraient venir puiser de nouveau en faveur de ces 18 localités qui se disent lésées par la décision ministérielle.
Or, à mon avis, c'est déjà une grande faveur que d'accordeur à ces 18 communes, comme à toutes les autres villes, l'intégrité du montant de leur octroi, et nous défendons ici les pauvres communes sans octroi en défendant le fonds communal.
On s'est récrié beaucoup, lors de la discussion de la loi, sur ce que les octrois de capitation n'étaient pas compris dans l'indemnité à accorder aux communes ; sur ce que les communes qui ont infiniment moins de ressources que les villes à octroi n'ont pu obtenir qu'on tînt compte des centimes additionnels dont elles étaient grevées, à défaut d'autres ressources communales.
Ainsi que M. le ministre des finances l'a déclaré, le gouvernement est tout à fait désintéressé dans l'affaire. Si vous décidez que le gouvernement accordera aux localités dont il s'agit le montant des 5 p. c. de leur octroi, le gouvernement puisera dans le fonds commun, d'après les honorables préopinants. Or, c'est ce que nous ne voulons pas.
J'entends, moi, que si ces anciens employés de l'octroi ont quelques droits, on les indemnise aux frais de tous, c'est-à-dire, du trésor public, et non pas aux frais du fonds communal. Je crois, messieurs, que je suis dans le vrai. C'est, du reste, ce que M. le ministre des finances a établi à l'évidence.
Les conclusions de la commission n'étant pas contestées, je bornerai là mes observations.
(page 486) M. de Naeyer. - Messieurs, je n'ai que quelques observations à présenter. J'engage beaucoup l'honorable ministre des finances et l'honorable ministre de l'intérieur à vouloir bien examiner de nouveau l'affaire d'une manière sérieuse. Je pense qu'ils en viendront à une solution moins rigoureuse que celle qu'ils ont adoptée d'abord.
A la rigueur, on peut soutenir que les employés dont il s'agit ne sont pas des agents communaux ; stricto jure, cela est vrai ; mais ainsi qu'on l'a fait remarquer, cela est sans importance pour la solution de la question ; car l'article 14 n'emploie pas les termes « employés communaux », il parle d'une manière générale des agents salariés du service de l'octroi ; de manière que pour exclure les employés de l'octroi affermé, vous devez faire une distinction qui n'est pas dans la loi ; en d'autres termes, ce n'est pas la loi qui exclut les employés dont nous nous occupons, mais ils sont exclus par le gouvernement.
L'honorable M. Van Overloop a fait observer avec raison que là où la loi ne distingue pas, vous ne pouvez pas distinguer. Mais cela est vrai surtout lorsque en distinguant vous arrivez à une interprétation diamétralement opposée au principe fondamental de la loi.
Quel est le principe fondamental de la loi ? C'est que la suppression des octrois ne pourrait pas se faire sans indemniser les communes quant au produit des octrois et sans indemniser aussi les employés subalternes qui trouvaient directement leurs moyens d'existence dan sl'octroi.
Voilà très positivement le principe qui a servi de base à l'article 14, et application de ce principe est de toute équité, voici pourquoi : c'est que celui qui a consacré une partie considérable de sa vie à faire ce service tout spécial, ne peut pas embrasser mn autre profession.
Il n'est pas comme un simple ouvrier, un manœuvre qui sert aujourd'hui le maître et qui demain peut servir tel autre maître. C'est, je le répète, un service tout spécial, et l'homme qui a passé une bonne partie de sa vie dans ce service, ne peut occuper qu'un emploi de la même catégorie, un emploi de police, par exemple.
L'intention du législateur a été que celui qui ne pouvait trouver une autre place conforme en quelque chose à l’aptitude qu’il avait acquise, comme employé des taxes communales, serait indemnisé.
Sous ce rapport donc, il n'y a pas de distinction possible entre les agents communaux proprement dits, et les agents préposés à l'octroi affermé.
Maintenant, dans l'exposé des motifs, et c'est là le seul des motifs invoqués contre nous qui soit, en apparence, sérieux ; dans l'exposé des motifs, dis-je, on a employé la qualification d'agents communaux, mais sans y attacher aucune exclusion. Il n'y a, dans ce qui précède cette phrase et dans ce qui la suit, rien qui implique une idée d'exclusion ; et vous n'en trouverez pas non plus de semblable dans tout l'exposé des motifs.
Au contraire, le tableau dont on a parlé et qui est annexé à l'exposé des motifs, loin d'exclure les employés de l'octroi affermé, les confond absolument avec les autres et explique, par conséquent, ce qu'il faut entendre par employés communaux, car cette expression n'exclut pas par elle-même les agents de l'octroi affermé : on peut certainement les appeler employés communaux, en ce sens qu'ils font un service organisé dans l'intérêt de la commune et destiné à alimenter la caisse communale.
Lato sensu, ou peut fort bien dire que ce sont des agents communaux. Rien, dans votre exposé des motifs, n'indique que vous ayez voulu appliquer ce mot stricto sensu.
Il n'y a, dans l'exposé des motifs, aucune phrase quelconque qui exclue formellement une certaine catégorie d'employés ou agents salariés de l'octroi.
Ainsi, l'interprétation du gouverne mnt n'est pas ce qu'on appelle une stricte interprétation, car les mots « employés communaux » ne sont pas dans la loi, mais c'est une interprétation restrictive, et qui est toute autre chose ; on restreint le sens naturel des termes dont la législature s'est servie pour manifester sa volonté, et on le fait contrairement aux motifs d'équité qui ont évidemment dicté la disposition de l'article 14. J'espère que le gouvernement reconnaîtra que ce système ne peut être maintenu, je crois qu'il a été inspiré une sollicitude très respectable, mais exagérée, pour le fonds commun.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je veux faire remarquer que si dans l'exécution de la loi nous avions admis le mode d'interprétation qui est défendu par les honorables membres et particulièrement par l'honorable M de Naeyer, nous eussions fort entamé le fonds communal dans la part qui revient aux communes rurales.
Diverses prétentions ont été élevées par les communes pour faire comprendre dans les revenus de l’octroi certaines recettes qui se trouvent supprimées par le fait de l'abolition des octrois.
M. de Naeyer. - C'est autre chose.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Pour le faire comprendre dans le produit de l’octroi pour lequel il y avait lieu à indemnité selon elles, elles raisonnent comme vous le faites.
M. de Naeyer. - Je demande la parole.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous avons dû nous en tenir aux termes stricts de la loi dans la position particulière où nous nous trouvions. Sinon, des sommes plus considérables auraient dû être allouées aux villes à octroi.
Je n'entre pas dans l'examen des questions qui ont été soulevées. Je me borne à dire que nous avons dû repousser des prétentions émises par des villes et qui peut-être auraient dû être admises, si nous nous étions placés au point de vue de l'équité, comme d'honorables membres prétendent que nous devons le faire en ce moment.
M. Moncheur. - J'ai dit de l'humanité.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il ne s'agit plus alors de l'interprétation de la loi.
M. de Naeyer. - Mais si, puisque vous admettez une interprétation restrictive.
(page 487) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Elle est conforme au texte, car vous reconnaissez que ce sens est parfaitement déterminé par l'exposé des motifs.
- Une voix. - Du tout !
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - ... qui a en vue les agents communaux, ceux qui étaient des fonctionnaires communaux et qui étaient privés de leur emploi, et non les agents des particuliers sur lesquels aucune action ne pouvait être exercée, qui pouvaient se trouver depuis quelques jours seulement au service d’un fermier de l'octroi et qui se trouveraient ainsi avoir acquis des droits à un traitement d'attente par le fait de la suppression des octrois.
Je dis que mon interprétation est conforme à l'esprit de la loi parce qu'on n'a pas entendu étendre d'une manière très large l'allocation faite aux communes. On a bien entendu leur accorder ce qui était absolument nécessaire. Beaucoup même prétendaient qu'il n'y avait rien à allouer de ce chef, que c'était aux communes elles-mêmes à indemniser les employés de l'octroi, qu'elles avaient une indemnité suffisante en continuant à percevoir le montant de leur octroi.
Je crois qu'on se trompe sur le véritable sens de la loi et que l'interprétation donnée par le gouvernement est la seule qui soit admissible.
Au surplus, je l'ai déjà dit, j’accepte de même que mon honorable collègue le renvoi de la pétition. La question qu'elle soulève sera soumise à un nouvel examen.
M. Rodenbach. - Messieurs, M. le ministre des finances vient de déclarer qu'il accepte le renvoi de la pétition, de même que son honorable collègue. Ceci doit nous faire espérer que la demande sera examinée avec infiniment de bienveillance. C'est une question d'humanité et pas autre chose.
L'honorable rapporteur a dit que si la réclamation était accueillie, la position financière des communes rurales serait considérablement aggravée. C'est ce qu'a également soutenu M. le ministre des finances. Ceci, messieurs, est très exagéré : car déjà un grand nombre d'employés des 18 villes dont il s'agit ont été replacés. Je suppose que déjà plus de la moitié sont placés et on en replacera encore d'autres.
Tout porte donc à croire que cette soi-disant énorme charge pour les 2,500 communes du royaume se réduirait de 8,000 à 10,000 fr. au plus.
Voilà l'immense sacrifice que l'on devrait faire pour des hommes qui ont rendu des services, qui sont la plupart mariés, qui remplissaient des fonctions dans l'intérêt des caisses communales, qui faisaient le même service que les employés communaux.
On ne peut donc établir de distinction. Je répète encore que je ne puis croire qu'il y ait dans cette Chambre un seul membre qui refuse de voter le renvoi a MM. les ministres des finances et de l'intérieur ; et lorsqu'il y a une pareille unanimité, je crois que MM. les ministres ne reculeront pas devant un léger sacrifice et qu'ils rendront justice à d'anciens a honorables employés.
En terminant, je réitère la demande d'un prompt rapport avec explication de la part des MM. les ministres.
M. Wasseige. - Messieurs, je ne rentrerai pas dans la discussion générale, je crois qu'elle est épuisée. On a dit de part et d'autre toutes les raisons qui pouvaient militer pour la pétition et contre l'interprétation que nous voulons y donner.
Je crains qu’un renvoi pur et simple, accepté par le M. ministre qui déclare avoir déjà traité la question, ne soit pas suffisant Il m'a paru, d'après ce qu'a dit M. le ministre des finances, qu'il ne demanderait pas mieux que d'avoir un peu la main forcée, qu'il serait assez disposé à se montrer généreux et large envers les réclamants, mais que sa responsabilité de ministre l'en empêchait, parée que le gouvernement interprétait la loi autrement que nous ne le faisons.
Je crois donc venir en aide aux bonnes intentions de M. le ministre des finances en lui forçant quelque peu la main, en mettant sa responsabilité à couvert par l'addition d'un tout petit motif au renvoi.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne puis l'accepter.
M. Wasseige. - L'honorable ministre n l'acceptant pas et la Chambre se prononçant, cela aura plus de signification encore.
Je ne dirai qu'un mot à l'honorable M. Vander Donckt. C’est que le fonds qu'on crée n'est pas un fonds nouveau. Ce fonds est créé et il est dû à ceux qui réclament. Ce serait abusivement qu'on attribuerait cette somme de 10,000 francs aux communes sans octroi. Ce. chiffre est du reste exagéré, car il y a des employés qui ont été replacés, d'autres sont morts, de sorte qu'il ne serait peut-être plus question que d'une somme de 10,000 francs.
Cette somme ne procurerait que fort peu de chose, peut-être quelques pièces de nickel de plus, aux communes dont parle l'honorable M. Vander Donckt ; il n'y a donc pas lieu de s'en occuper.
Voici les conclusions que je propose à la Chambre :
« La Chambre, considérant que la pétition dont il s'agit contient une interprétation de l’article 14 de la loi abolissant les octrois qui lui paraît au moins fondée en équité, en ordonne le renvoi à M. le ministre des finances et à M. le ministre de l'intérieur. »
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, il faut bien que nous restions chacun dans le cercle de nos attributions constitutionnelles. Une loi existe, le pouvoir exécutif est chargé de l'exécution de la loi.
Maintenant, sur une interprétation contestée, la Chambre n'a pas à se prononcer et à déclarer que la loi doit être interprétée de telle ou telle manière.
Si cette interprétation n'est pas admise par nous, je suppose, si elle est contestée, il faut faire une loi, il faut procéder régulièrement, il faut une interprétation par voie d'autorité, il faut appeler les divers pouvoirs constitutionnels à se prononcer sur le sens de la loi.
Nous ne pouvons donc pas suivre le mode indiqué par M. Wasseige. Il a parfaitement dit que le gouvernement est ici absolument désintéressé. Pour nous, personnellement, il serait beaucoup plus agréable d'avoir à donner des fonds à ceux qui les demandent qu'à les contester.
A coup sûr, les communes dont nous défendons les intérêts ne nous seront guère reconnaissantes de nos efforts, et nous avons l'avantage d'être maudits par quelques pauvres diables qui voudraient bien recevoir une indemnité.
A ce point de vue, nous ne demanderions pas mieux que de pouvoir leur accorder quelque argent ; mais chargés d'appliquer une loi qui intéresse des tiers, nous avons à nous prononcer comme des juges, sans nous croire autorisés à substituer nos sentiments particuliers aux dispositions d'une loi.
Je l'ai dit, nous acceptons le renvoi ; nous l'acceptons de bonne foi et nullement avec la pensée de nous refuser à un examen nouveau de la question ; mais il nous est impossible d'aller plus loin.
M. le président. - La proposition de M. Wasseige est-elle appuyée ?
M. Wasseige. - Je demande à dire un mot encore. D'après l'opinion que vient d'exprimer M. le ministre des finances, il faudrait présenter un projet de loi d'interprétation et ce serait nous qui devrions en prendre l'initiative.
Or, messieurs, voyez la singulière position qui nous sera faite : nous sommes d'avis que la loi n'a pas besoin d'interprétation, mais que M. le mpétitioninistre des finances ne l'applique pas selon son esprit ; et nous viendrions proposer une loi d'interprétation que nous considérons comme inutile !
Cela serait tout à fait étrange et évidemment irrationnel. Quoi qu'il en soit, M. le ministre des finances ayant déclaré qu'il accepte le renvoi de la pétition avec promesse d'examiner de nouveau la question, je renoncerais volontiers à ma proposition si M. le ministre voulait s'engager, en outre, à nous faire connaître le résultat de son examen.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous avez toujours le droit de m'interpeller.
M. Rodenbach. - Que la Chambre ordonne le renvoi avec demande d'explication.
M. Wasseige. - Je me borne à faire appel à la bonne volonté de M. le ministre de finances et à lui demander de nous faire connaître le résultat de son examen.
M. le président. - La proposition est-elle appuyée ?
- Plusieurs membres se lèvent.
M. de Naeyer. - Je crois que M. le ministre des finances ne s'opposerait pas à un renvoi avec demande d'explications.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Du tout.
M. Wasseige. - Alors je retirerai ma proposition, sauf à agir selon que je jugerai convenable après avoir entendu les explications de M. le ministre.
M. de Naeyer. - Maintenant, je demanderai la permission de dire un mot encore. Ma pensée a été mal comprise et mal interprétée par l'honorable (page 188) ministre des finances. Je n'ai pas dit que la loi portant abolition des octrois avait consacré d’une manière générale, absolue, le principe de l'indemnité pour tous les intéressés ; le principe de l'indemnité forme incontestablement une des bases adoptées par le législateur, mais ce principe a été organisé par la loi même, d'abord à l'égard des communes en leur accordant une somme égale au montant du produit de l'octroi pendant les dernières années.
Il a été organisé également à l'égard de ces employés subalterne, par l'article 14, et cet article, encore une fois, ne fait pas de distinction, il n'exclut pas les employés qui n'ont pas, rigoureusement parlant, la qualité d'employés communaux.
Pour trouver quelque élément d'exclusion, il faut recourir à l'exposé des motifs ; mais cet exposé même n'est pas explicite à cet égard. Nulle part il ne prononce une exclusion formelle ; au contraire, le tableau de répartition dont on vous a parlé et qui forme une partie intégrante de l'expose des motifs, admet et place sur la même ligne les deux catégories d'employés.
Ainsi, vous vous attachez à une interprétation restrictive puisque vous n'allez pas aussi loin que les termes de l'article ; et vous vous attachez à cette interprétation restrictive en donnant à l'exposé des motifs une portée condamnée pai les pièces annexées, et en contrariant directement le principe servant de base à l’article.
Voilà sous quel rapport je ne puis pas accepter cette interprétation. Une interprétation ne peut être restrictive que pour autant que l'esprit de la loi, le principe fondamental de la loi commande de restreindre les termes de la loi.
Or, vous faites ici tout à fait le contraire, vous restreignez les termes de la loi pour aller contre le principe même de la loi.
M. B. Dumortier. - J'ai demandé la parole tout à l’heure quand j'ai entendu M. le ministre des finances émettre l'opinion que la motion, qui est maintenant retirée, s'écartait des formes constitutionnelles. Je ne veux pas qu'une pareille doctrine passe sans protestation ; il s'agit ici d'une question de prérogative parlementaire et je ne veux pas que, plus tard, on croie que la question a été résolue aujourd'hui. Je dis que la Chambre, qui, en définitive, contrôle tous les actes du gouvernement, a toujours le droit d'expliquer le sens qu'elle attribue à une loi, comment elle entend une loi qu'elle a votée et surtout une loi qu'elle a récemment votée.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est impossible !
M. B. Dumortier. - La Chambre a toujours le droit d'expliquer.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais non !
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Et le pouvoir judiciaire, vous le supprimez !
M. B. Dumortier. - Permettez. Que fait la Chambre en pareil xas ? Elle exprime sa pensée et elle exige l'exécution de la loi dans le sens qu'elle lui donne. Qu'est-ce, au contraire, que le système de L'honorable M. Frère ? C'est la suppression de la responsabilité ministérielle.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Et qu'arrivera-t-il quand le Sénat ne partagera pas l'avis de la Chambre ?
M. B. Dumortier. -Je dis que ce système c'est la suppression de la responsabilité ministérielle ; il m'est donc impossible de l’admettre.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - A mon tour, je ne puis pas non plus laisser passer sous silence la doctrine de l'honorable M. Dumortier. Je la considère comme radicalement fausse et comme tout à fait inconstitutionnelle.
La Chambre, quand elle a voté une loi, a épuisé son pouvoir. Lorsqu'une loi donne lieu à des contestations, ces contestations peuvent être portées devant les tribunaux. C'est aux tribunaux à appliquer la loi et à y donner l'interprétation qu'ils jugent la plus rationnelle.
M. B. Dumortier. - Je demande la parole.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - S'il y a conflit entre les tribunaux sur l'application d'une loi, il y a lieu à interprétation législative.
Si, en l'absence de conflit entre les cours judiciaires, on veut faire cesser des divergences d'opinions sur le véritable sens d'une loi, il y a lieu à interprétation par voie d'autorité ; il y a lieu de présenter une proposition de loi formelle.
Mais que l'une des branches du pouvoir législatif puisse dire qu'elle entend une loi qu'elle a votée, dans tel ou tel sens, et faire de son interprétation une règle à suivre par les autres pouvoirs de l'Etat, voilà ce qui est absolument inadmissible, parce que cela conduirait à une véritable anarchie. La Chambre pourrait déclarer qu'elle entend la loi dans tel sens ; le gouvernement, autre branche du pouvoir législatif, pourrait déclarer qu'il l'entend dans un autre sens ; le Sénat, à son tour, pourrait être eu désaccord avec la Chambre, et enfin le pouvoir judiciaire pourrait également différer d'opinion avec l'une ou l'autre branche du pouvoir législatif.
Vous le voyez, messieurs, une telle doctrine est complètement inadmissible.
Je persiste, quant à moi, à penser que la Chambre fera sagement de se borner à ordonner le renvoi de la pétition aux départements de l'intérieur et des finances (Interruption), avec demande d'explications ; nous avons déjà consenti à ce renvoi et nous ferons connaître le résultat du nouvel examen qui nous est demandé.
M. Wasseige. - C'est cela !
- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !
M. B. Dumortier. - Il s'agit ici, messieurs, d'une question bien autrement grave que celle dont il s'agit dans la pétition. L'honorable M. Frère défend ce système que lorsque la Chambre, branche du pourvoir législatif, a voté une loi, elle n'a plus rien à y voir ; que l'exécution en appartient au gouvernement et au gouvernement seul ; que, par conséquent, l'interprétation de la loi appartient au gouvernement.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Pas du tout ; rien de semblable n'a été dit.
M. B. Dumortier. - Telle est, du moins, la conséquence de votre système.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je n'ai jamais rien dit de semblable.
M. B. Dumortier. - Il ne s'agit pas ici d'interprétation par voie d'autorité.
Ce genre d'interprétation, nous le savons fort bien, n'appartient qu’au pouvoir législatif ; mais il s'agit ici de l'interprétation quotidienne des lois, de leur application de chaque jour ; et vous ne contesterez pas, je suppose, que cette interprétation se fait sous notre responsabilité. Or, dans votre système, toute responsabilité ministérielle disparaît ; car il en résulterait que la Chambre ne pourrait plus venir vous dire que vous exécutez mal la loi.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais si !
M. B. Dumortier. - Je dis que votre système est manifestement contraire à la Constitution ; car il ne tendrait qu'à une seule chose : à détruire la grandeur, la majesté du parlement, pour établir, sur ses débris, l'irresponsabilité ministérielle.
- Voix nombreuses. - Aux voix ! aux voix !
M. Moncheur. - Je demande le renvoi à MM. les ministres des finances et de l'intérieur avec demande d'explications.
- De toutes parts. - C'est entendu.
- La proposition de renvoi est adoptée dans les termes indiqués par M. Moncheur.
M. le président. - « Article unique. L'article 87 de la loi du 8 mai 1848, sur la garde civique, n'est pas applicable aux receveurs des droits d'enregistrement, du timbre et des domaines, et aux conservateurs des hypothèques, lorsque ces agents sont requis pour un service aux jours et beures pendant lesquels ils doivent être assidus à leurs bureaux, conformément à l'article 11 du décret des 16 et 18-27 mai 1791. »
La commission propose de substituer à cet article la rédaction suivante :
« L'article 87 de la loi du 8 mai 1848 est interprété de la manière suivante :
« Les receveurs des droits d'enregistrement, du timbre et des domaines, et les conservateurs des hypothèques sont exempts, sans devoir réclamer préalablement devant le chef de corps, de tout service pour lequel ils sont requis aux jours et heures, pendant, lesquels ils doivent être assidus à leurs bureaux, conformément à l'article 11 du décret des 16 et 18-27 mai 179l. »
M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il à la rédaction de la commission ?
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Au fond le gouvernement est d'accord avec la commission, la même interprétation est admise de part et d'autres. Néanmoins la commission propose une autre rédaction.
Elle désire que la loi porte en elle-même son caractère de loi (page 489) interprétative et elle propose de commencer l'article de la manière suivante : « L'article 87 de la loi du 8 mai 1848 est interprété de la manière suivante ; Les receveurs, etc. »
J'ai recherché les précédents, j'ai trouvé sept ou huit lois interprétatives présentées aux Chambres depuis 1840, par les ministères qui se sont succédé et qui sont rédigées comme celle qui est soumise à vos délibérations, et cette rédaction n'a jamais donné lieu aux moindres inconvénients.
J'ai essayé de deux ou trois rédactions différentes, mais sans arriver à plus de précision ou de clarté que dans le projet primitif.
La rédaction de la commission ne l'emporte pas non plus sous ces rapports sur l'article proposé, de sorte que je ne vois aucun motif sérieux de ne pas admettre celui-ci.
M. Van Humbeeck, rapporteur. - Messieurs, la commission à laquelle a été renvoyé le projet de loi a obéi à une double pensée en vous présentant une rédaction nouvelle : d'abord elle a désiré que la loi portât dans son texte l'indication de son origine, de son caractère de loi interprétative. En second lieu, elle a cru qu'au lieu d'énoncer seulement la non-applicabilité de l'article 87 de la loi du 8 mai 1848 à certains fonctionnaires dans des circonstances données, il valait mieux dire en quoi consisterait cette inapplicabilité.
La commission n'a pas attaché à sa rédaction plus d'importance que M. le ministre de la justice n'en a attaché à la sienne.
En dehors de la Chambre, et dans une revue spéciale et sérieuse, la rédaction de la commission a eu l'honneur de soulever des critiques ; on lui a reproché d'enlever, à la disposition proposée, sa place naturelle, de lui faire décréter une nouvelle exemption qui devrait figurer à la suite de l'article 21 de la loi.
Mais tous les empêchements destinés à faire admettre dans la pratique des exemptions non prévues par la loi organique amènent des exceptions à l'article 87 ; c'est donc à ce dernier article que doit se rattacher la disposition dont il s'agit en ce moment.
On a également critiqué la rédaction de la commission au point de vue de la forme ; à cet égard, les reproches ne sont pas aussi dénués de fondement.
En effet, cette rédaction ramène deux fois à deux lignes d'intervalle le verbe « devoirs » ; et on y retrouve d'une ligne à l'autre le même pronom relatif.
Ces incorrections, il est facile de les faire disparaître en rédigeant l'article de la manière suivante :
« L'article 87 de la loi du 8 mai 1848 est interprété de la manière suivante :
« Les receveurs des droits d'enregistrement, du timbre et des domaines, et les conservateurs des hypothèques sont exempts du service sans être tenus de réclamer devant le chef de corps, aux jours et heures, pendant lesquels ils doivent être assidus à leurs bureaux, conformément à l'article 11 du décret des 16 et 18-27 mai 1791. »
Moyennant ce changement, le texte de la commission est maintenu sans ses incorrections.
Je ne veux pas insister davantage sur une rédaction à laquelle la commission n'attache pas une importance bien grande.
M. le président. - M. le ministre se rallie-t-il à la nouvelle rédaction de la commission ?
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Ainsi que je l'ai dit au début de la discussion, les deux rédactions disent la même chose ; c'est à la Chambre à voir si elle veut substituer la rédaction de la section centrale à celle du gouvernement. Je demande qu'on mette aux voix l'article du projet.
M. Sabatier. - Personnellement, je serais assez disposé à me rallier au texte proposé par le gouvernement, mais la commission s'est prononcée, je n'ai pas le droit d'abandonner sa proposition.
M. le président donne une nouvelle lecture des deux rédactions.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Le texte du gouvernement est plus clair. Je demande qu'on le mette aux voix.
- La Chambre décide que la rédaction proposée par le gouvernement sera mise d'abord aux voix.
L'article unique du projet, tel qu'il a été proposé par le gouvernement, est mis aux voix par appel nominal.
Il est adopté à l'unanimité des 68 membres présents.
Ce sont : MM. de Rongé, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, Devaux, Dolez, B. Dumortier, H. Dumortier, Frère-Orban, Goblet, Grosfils, Guillery, Hymans, M. Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, Laubry, C. Lebeau, Magherman, Mercier, Moncheur, Moreau, Muller, Nélis, Nothomb, Orban, Pierre, Pirmez, V. Pirson, Rodenbach, Rogier, Royer de Behr, Sabatier, Saeyman, Savart, Snoy, Tack, Tesch, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Dormael, Van Humbeeck, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Overloop, Van Volxem, Wasseige, Allard, Ansiau, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Boe, de Bronckart, Dechentinnes, de Florisone, De Fré, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Montpellier, de Moor, de Naeyer, de Paul, de Portemont, de Renesse et Vervoort.
M. le président. - La discussion est ouverte.
M. Van Humbeeck. - Messieurs, je ne crois pas, à propos du projet actuel, avoir besoin de rappeler l'action salutaire appartenant aux conseils de prud'hommes. Le seul reproche que je pourrais adresser au projet serait de ne pas étendre assez les bienfaits de cette institution. A cet égard, je demanderai quelques explications à M. le ministre de l'intérieur.
Bruxelles forme une seule agglomération avec ses communes limitrophes. Le siège de nos principales usines, de nos principales industries n'est pas tant dans la ville que dans les faubourgs qui l'environnent, notamment dans les communes d'Anderlecht, de Molenbeek-Saint-Jean et de Saint-Gilles.
Pourquoi les bienfaits de l'institution des prud'hommes doivent-ils se trouver restreints à une partie de l'agglomération au lieu de s'étendre à l'agglomération tout entière ? Pourquoi surtout en doit-il être ainsi lorsque, d'après la loi organique, la compétence des conseils de prud'hommes est déterminée par la situation de la fabrique à laquelle les justiciables sont attachés ? Pourquoi, par exemple, l'ouvrier, demeurant à Bruxelles et travaillant à une fabrique située à Anderlecht ou à Saint-Gilles, ne pourrait-il pas jouir du bénéfice de l'institution des prud'hommes ?
Il y a là, selon moi, un inconvénient grave qui nécessiterait une extension de juridiction.,
La chambre de commerce et des fabriques de Bruxelles avait d'abord été de cet avis. Le conseil communal a émis un avis contraire, auquel la chambre de commerce s'est plus tard ralliée. C'est ce que nous apprennent l'exposé des motifs et le rapport de notre honorable collègue M. de Rongé.
Je m'explique assez peu ce changement d'opinion de la chambre de commerce. Celle-ci est sans contredit l'autorité la mieux placée pour se prononcer sur des intérêts comme ceux qui nous occupent, intérêts qui ne sont pas purement communaux, mais qui concernent le bien-être de toute une agglomération. Son premier avis devait avoir plus de poids que celui du conseil communal de la capitale. Ce qui est encore surprenant, c'est que le gouvernement se soit rangé à l'avis de ce dernier corps, contrairement à la première opinion émise par la chambre de commerce, et sans avoir consulté les conseils des communes suburbaines.
Sur ces divers points je voudrais obtenir de M. le ministre de l'intérieur un mot d'explication.
En instituant aujourd'hui un conseil de prud'hommes dont le ressort se restreindrait à la commune de Bruxelles, nous ferons, je le crains, une loi que nous serons bientôt obligés de défaire pour lui donner plus d'extension.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Les motifs qui ont engagé le gouvernement à ne pas comprendre dans le ressort du conseil des prud'hommes de Bruxelles les communes voisines, c'est que déjà le conseil des prud'hommes de Bruxelles aura un nombre d'affaires très considérable pour un seul conseil. L'honorable M. Van Humbeeck aura remarqué dans le projet les diverses catégories qui viendront ressortir au conseil des prud'hommes de Bruxelles. Elles sont très nombreuses, très variées. Elles n'y sont pas toutes, car il y a un etc. au huitième numéro.
La ville de Bruxelles renferme dans son sein des industries très variées, une population ouvrière très nombreuse, et je crois qu'un seul conseil de prud'hommes serait trop chargé d'affaires, si l'on y joignait l'industrie des faubourgs.
Mais rien ne s'oppose à ce que pour les communes avoisinant Bruxelles, il ne soit créé un conseil de prud'hommes spécial. Les industries qui y sont établies sont assez considérables, et elles occupent un assez grand nombre d'ouvriers pour motiver la création d'un conseil de (page 490) prud'hommes, peut-être de deux. Les communes de Laeken et de Molenbeek à elles seules justifieraient la création d'un conseil de prud'hommes. Je crois donc, et l'honorable M. Van Humbeeck reconnaîtra avec moi que ce serait trop étendre la juridiction du conseil des prud'hommes de la capitale, si l'on y comprenait les industries de toutes les communes environnantes. Si, comme je n'en doute pas, le conseil de Bruxelles fait comprendre les avantages qu'il offre à la classe ouvrière, s'il devient populaire, on ne tardera pas à demander que l’institution soit étendue aux communes voisines.
M. Van Humbeeck. - La Chambre aura remarqué que je n'ai pas formulé de proposition.
Je n'ai pas, en effet, une opinion entièrement arrêtée sur les diverses questions que j'ai soumises à M. le ministre de l'intérieur.
Elles faisaient chez moi l'objet d'un doute, que ses explications ne font pas entièrement disparaître.
A Paris, la population est d'environ 1,700,000 âmes ; on y compte quatre conseils de prud'hommes, composés chacun de 15 membres, et de 10 ou 12 suppléants, c'est-à-dire, un conseille prud'hommes pour 425,000 habitants.
Pour Bruxelles et les faubourgs, pour 265,000 habitants, ce ne serait pas assez, d'après M. le ministre de l'intérieur, d'un conseil de prud'hommes, qu'on pourrait composer de 16 membres effectifs et de 8 membres suppléants, c'est-à-dire de 24 membres, à peu près ce que compte un conseil de prud'hommes parisien, pour une population double.
Messieurs, j'ai cru bien faire en soumettant à la Chambre des objections qui me paraissent d'une certaine gravité et que légitime un précédent administratif. Le 22 décembre 1848, un arrêté royal, qui n'a jamais reçu d'exécution, instituait un conseil de prud'hommes dont la juridiction s'étendait à tout l'arrondissement de Bruxelles.
Evidemment, cette circonscription était trop étendue ; mais celle que le projet actuel consacre n'est-elle pas trop restreinte ?
Quoi qu'il en soit, si aucune proposition n'est faite dans le sens de mes observations, je me rallierai au projet du gouvernement, certain que quand l'institution aura fonctionné pendant quelque temps, le bienfait en sera étendu à toute l'agglomération bruxelloise ; certain encore, que, si les heureux résultats doivent momentanément demeurer restreints, ils n'en seront pas moins réels.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, l'institution des conseils de prud'hommes est en quelque sorte nouvelle dans le pays ; il est utile de la voir fonctionner dans de bonnes conditions.
Je le répète, lorsque les avantages du conseil de prud'hommes dont la juridiction est bornée par le projet de loi à la ville de Bruxelles, lorsque les avantages de ce conseil seront bien appréciés ; il y aura l'une de ces deux choses à faire : ou bien étendre, si c'est possible, la juridiction du conseil de Bruxelles, ou bien créer un second conseil pour faire face aux nouveaux besoins qui auront été constatés.
M. de Rongé. - La chambre de commerce, après avoir présenté un système différent, s'est ralliée à la proposition du conseil communal qui a été également approuvée par la députation permanente. C'est cette proposition qui a été adoptée par le gouvernement ainsi que par la commission et qui est en ce moment soumise à nos délibérations.
M. le président. - L'article unique du projet de loi est ainsi conçu :
« Il est établi à Bruxelles un conseil de prud'hommes, dont le ressort s'étendra à cette ville. »
- Cet article est mis aux voix par appel nominal et adopté à l'unanimité des 63 membres présents.
Le projet de loi sera transmis au Sénat. Ont adopté :
MM. de Rongé, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, B. Dumortier, H. Dumortier, Frère-Orban, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Guillery, Hymans, Jamar, M. Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, Laubry, C. Lebeau, Magherman, Mercier, Moncheur, Moreau, Muller, Nothomb, Orban, Pierre, Pirmez, V. Pirson, Rodenbach, Saeyman, Savart, Snoy, Tack. Tesch, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Dormael, Van Humbeeck, Van Leempoel de Nieuuwmunster, Van Overloop, Van Volxem, Wasseige, Allard, Ansiau, Crombez, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Boe, de Bronckart, de Brouckere, Dechentinnes, de Florisone, De Fré, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Naeyer, de Paul, de Renesse et Vervoort.
M. B. Dumortier. - Hier, messieurs, vous avez renvoyé à la commission des pétitions une requête de la commune de Thollembeek, relative à un fait absolument analogue à celui qui s'est passé à Oostacker. C'est vendredi prochain qu'il doit être fait rapport sur la pétition de cette dernière commune ; je demanderai que le rapport sur la requête de Thollembeek soit fait également vendredi pour que les deux pétitions puissent être discutées en même temps.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il doit être bien entendu que, si la discussion relative au grade d'élève universitaire n'était pas terminée vendredi, on ne l'interromprait pas pour s'occuper de ces pétitions.
M. B. Dumortier. - Les pétitions viendraient alors immédiatement après la loi sur l'enseignement.
- La proposition de M. Dumortier est mise aux voix et adoptée.
La Chambre fixe sa prochaine séance à mercredi prochain.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau une noie relative à la question des barrières et contenant les documents et renseignements promis à la Chambre. Il n'y a point de conclusions, ce sont des renseignements qui permettront à la Chambre d'examiner la question.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de la note déposée par M. le ministre,
La séance est levée à 3 heures trois quarts.