(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)
(page 387) (Présidence de M. Vervoort.)
M. de Florisone fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Moor lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. de Florisone lit l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Des habitants de Jamioulx demandent qu'on emploie les deux métaux à la confection des monnaies belges ; qu'on batte de préférence celui des deux métaux qui est le plus abondant ; que le rapport légal soit conservé dans toute son étendue, et qu'on admette l'or français sur le même pied que la France admet l'or belge. »
« Même demande d'habitants de Naninnes, Lobbes, Avelghem, Ogy, Watermael-Boitsfort et Dinant. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi relative à la monnaie d'or.
« Dès habitants de Hoves demandent la construction simultanée des chemins de fer de Louvain à Bruxelles, de Hal à Ath et de Tournai à la frontière française ou du moins l'exécution de la ligne de Hal à Ath avant celle de Louvain à Bruxelles. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le conseil communal de Vracene prie la Chambre d'accorder au sieur Bauwens la concession d'un chemin de fer de Malines à Terneuzen. »
« Même demandé d'habitants de Vracene. »
M. d'Ursel. - La Chambre a déjà ordonné un prompt rapport sur plusieurs pétitions relatives au même objet. Je demande que la commission des pétitions soit également invitée à faire un prompt rapport sur cette requête.
- Cette proposition est adoptée.
« Le sieur Baes, instituteur à Anvers, demande l'autorisation d'attraire en justice le ministre de l'intérieur pour des faits relatifs à l'exercice de ses fonctions. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Lesterny présentent des observations contre une demande ayant pour objet la séparation de ce hameau de Forrières pour en former une commune distincte. »
- Même renvoi.
« Le sieur Vanheers demande que la châsse à l'affût soit interdite. »
- Même renvoi.
« Le sieur Guerbais, combattant de 1830, demande la pension dont jouissent les blessés de septembre. »
- Même renvoi.
« M. Wasseige demande un congé de quelques jours. »
- Accordé.
« MM. de Breyne et J. Jouret demandent un congé pour cause d'indisposition. »
- Accordé.
(page 397) M. Devaux. - Messieurs, pour ne pas étendre outre mesure mon rôle de rapporteur, je laisserai de côté une partie très intéressante de la discussion et je m'attacherai uniquement au principe des deux mesures qui font l'objet du projet de loi, en ajoutant quelques observations sur les amendements qui nous ont été soumis.
Le projet de loi qui nous est présenté, il est peut-être utile de le rappeler en présence de l'extension que la discussion a prise, se borne à deux mesures :
La première est la prorogation d'une disposition de la loi de 1857, que cette loi avait rendue temporaire ; elle concerne exclusivement le mode de composition des jurys.
La deuxième mesure proposée, c'est le rétablissement d'un examen à l'entrée des études universitaires.
Messieurs, la loi de 1857 qui a été si longuement élaborée par deux cabinets et par la Chambre en trois sessions consécutives, de 1855 à 1857, a pour principal objet la simplification des examens. On reprochait aux anciens examens l'exagération du nombre des matières qui en faisaient partie. Cette exagération avait été signalée non seulement par la voix publique, mais par les universités elles-mêmes et dans les termes les plus énergiques. Aussi toutes les sections à cette époque donnèrent à leurs rapporteurs la mission de simplifier les examens, et la Chambre en adoptant cette simplification ne fit que céder à des réclamations auxquelles il eût été peu raisonnable de résister.
Lorsque après trois ans le moment approcha où la disposition de la loi de 1857, concernant la composition du jury, devait être forcément révisée, le gouvernement s'adressa aux professeurs des universités de l'Etat, qui pour la plupart n'avaient point approuvé le mode de simplification adopté, et leur demanda s'ils croyaient que le moment était venu de réviser d'autres dispositions de cette loi. Quoique une grande partie des professeurs des universités de l'Etat, je le répète, eussent reçu la solution de la Chambre avec peu de faveur, la réponse faite par eux dans le conseil de perfectionnement de l'enseignement supérieur fut unanime, à savoir que le moment n'était pas venu de procéder à la révision de la loi, qu'on n'avait à lui substituer aucune solution sur laquelle on fût assez d'accord pour qu'elle eût chance d'être adoptée. Cependant ils ajoutèrent également à l'unanimité qu'il y avait une mesure indispensable à introduire : l'établissement d'un examen d'entrée aux études universitaires.
Il n'y avait pas de contradiction à vouloir la continuation de l'épreuve de la loi de 1857, en même temps que l'introduction de cette mesure nouvelle. Car l'abolition de l'examen d'élève universitaire pouvait être jugé dans ses effets ; cette épreuve avait été plus longue que celle de la loi de 1857 ; elle datait de 1855, et on avait eu 5 ans pour en juger les résultats. Le rétablissement de l'examen d'élève universitaire ne dérangeait d'ailleurs en rien l'économie du reste de la loi et ne pouvait que rendre plus claire l'épreuve que l'on continuerait de la simplification des examens, eu la dégageant de l'influence qui pouvait être attribuée à l'abolition du grade qu'il s'agissait de rétablir.
Le gouvernement donc se décida à proposer en même temps la prorogation du mode de composition du jury qui devait être forcément révisé, s'abstint de toute modification au reste de la loi et proposa un examen sur les études moyennes qui peut tout autant être considéré comme une adjonction à la législation sur l'instruction moyenne qu'à celle de l'enseignement supérieur et qui n'altère en rien l'économie de la loi de 1857.
Messieurs, permettez-moi de m'occuper d'abord du rétablissement de cet examen. Je viens de dire que l'épreuve de son abolition a été complète ; en effet les résultats en sont constatés et incontestables ; je ne veux pas fatiguer votre attention par beaucoup de chiffres ; mais il doit m'être permis d'en citer quelques-uns.
Avant l'abolition de l'examen dont il s'agit, dans les trois années qui l'ont précédée, en moyenne, 240 à 250 élèves entraient chaque année, à l'université.
L'examen aboli, de 250 le nombre s'est élevé à 400. Ce chiffre à lui seul en dirait assez.
Si, lorsqu'il y avait un examen à subir, il n'entrait à l'université que 250 élèves par an, et si, après l'abolition de l'examen, ce chiffre s'élève à 400, d'où viennent ces 150 élèves en plus ? Quels sont-ils ? On ne peutlje contester : ces élèves que l'examen arrêtait au seuil de l'université et qui s'y précipitent dès que cet obstacle est levé, ce sont nécessairement des jeunes gens moins instruits ou moins intelligents que ceux qui y entraient autrefois, des élèves qui ont dû se trouver dans des conditions moins favorables pour profiter de l'enseignement supérieur.
Donc, messieurs, nécessairement, le chiffre seul l'indique, il y a eu là une influence tendant à l'affaiblissement des études.
Tous ces élèves plus faibles ne se dirigent pas également vers les diverses facultés. Il y a eu des facultés qui ont eu le privilège assez malheureux d'en attirer beaucoup plus que les autres.
La faculté de médecine en a reçu beaucoup plus que celle de droit.
Vous comprenez en effet que ces élèves qui reculaient devant l'examen et qui entrent en masse aujourd'hui ne viennent pas des meilleurs établissements d'instruction, ni des grands établissements de l'Etat, ni des grands établissements ecclésiastiques. Ils proviennent plutôt des collèges de petites villes ou de campagnes.
Or dans les petites villes et les campagnes, ce n'est pas la faculté de droit qui attire. Là, il y a peu d'avocats ou de magistrats, mais il y a des médecins, et c'est vers la médecine qu'on se dirige de préférence.
Vous savez, messieurs, que pour arriver à la faculté de médecine il faut passer par celle des sciences et y subir l'examen de candidat en sciences naturelles.
Avant l'abolition de l'examen d'élève universitaire, chaque année il ne se présentait à l'examen de candidat en sciences que 88 élèves en moyenne.
Aujourd'hui la moyenne des trois dernières années de 1858 à 1860 est de 188, c'est-à-dire qu'il y a une augmentation de beaucoup plus de cent p. c. Evidemment, messieurs, ce surcroît d'élèves a dû amener de l'affaiblissement dans les études de médecine. Il n'a pu en être autrement.
Si vous attiriez par un moyen quelconque cent élèves de plus encore, vous abaisseriez d'autant plus encore le niveau des études.
Remarquez-le, messieurs, le grade d'élève universitaire étant aboli, il n'y a plus aucune espèce d'exigence. On peut entrer à l'université sans avoir passé par le collège, sans avoir fait aucune étude moyenne, que dis-je ? à la rigueur même sans savoir lire ni écrire. (Interruption.)
Je sais bien que ceux qui ne savent ni lire ni écrire ne passeraient pas leurs examens, mais c'est aussi ce qui arrive, comme vous allez le voir, à ces élèves qui n'entrent à l'université que grâce à l'abolition de tout examen préalable.
Qu'arrive-t-il en effet aujourd'hui, chaque année de ces 188 élèves qui sont entrés dans la faculté des sciences, se destinant la plupart à la médecine ?
Quand l'année suivante ils se présentent à l'examen de candidat en médecine, ils ne sont plus que 137, et lorsqu'une année plus tard encore ils se font inscrire pour le premier examen de docteur, ils sont réduits à 101 et sur ce nombre combien réussissent dans cet examen ? Seulement 66.
Eh bien, à une unité près, c'est le nombre de ceux qui subissaient avec succès le même examen lorsqu'il n'entrait que 88 élèves dans la faculté des sciences, dans les dernières années qui ont précédé celles où les élèves du nouveau régime s'y sont fait inscrire. Ainsi au point de départ, d'un côté 88 élèves entrent dans la faculté des sciences, de l'autre 188, et arrivés au premier examen de docteur, d'un côté 66 parviennent à le franchir et de l'autre 67, c'est-à-dire qu'après ce premier examen de docteur c'est comme si le surcroît de 100 élèves n'était pas entré à l'université ; il a disparu. Il y a là une centaine de jeunes gens qui sont venus chaque année perdre leur temps, rester sur les bancs une, deux ou trois années et n'aboutir à rien.
Les études moyennes ont dû se ressentir aussi de l'abolition de l'examen, car parmi ce grand nombre d'élèves nouveaux qui arrivent aujourd'hui dans les universités, il en est certainement une partie qui auraient travaillé avec plus d'ardeur au collège si, à sa sortie, ils avaient eu un examen à franchir pour aller plus loin, et les établissements d'instruction moyenne eux-mêmes, les plus faibles surtout, en présence des échecs immédiats de leurs élèves, auraient fait des efforts pour s'améliorer.
Certainement, messieurs, il ne faut point exagérer les exigences de cet examen. Comme l'accès de l'université est aujourd'hui trop large, on pourrait le rendre trop étroit. Autrefois, on l'a trop surchargé, c'est une erreur que nous avons commise dans cette matière bien difficile, et je prends bien ma part de cette faute ; moi aussi j'ai été partisan des examens étendus, mais l'expérience m'a ouvert les yeux.
Dans la rédaction du projet de loi qui nous est soumis, on s'est efforcé avec un soin extrême de faire droit aux plaintes que l'ancien examen avait soulevées.
On forçait, disait-on, les élèves des classes de rhétorique à se (page 398) préoccuper, toute l'année, de l'examen auquel ils devaient se préparer par des études de pure mémoire. Ils étaient interrogés sur l'histoire ancienne, sur l'histoire du moyen âge, sur l'histoire moderne, sur l'histoire de Belgique, sur la géographie ancienne et moderne. Ils étaient obligés aussi de se préparer sur les parties d'auteurs expliqués dans leur classe, etc. ; de là des efforts de mémoire continuels, des préoccupations constantes ; les professeurs de rhétorique disaient : Nous ne pouvons nous occuper du développement littéraire ni de former le goût des élèves. Ils ne nous écoutent que quand nous nous adressons à leur mémoire et quand nous les préparons à l'examen.
Dans le nouvel examen on a soigneusement évité tout ce qui nécessitait ces exercices de mémoire, on en a écarté les diverses histoires, la géographie, les auteurs expliqués d'avance ; on se borne à demander aux élèves des devoirs semblables à ceux qu'ils font tous les jours ; c'est-à-dire une traduction et une composition comme leurs professeurs en prescrivent habituellement.
Il serait impossible d'imaginer quels pourraient être les mauvais effets de cet examen sur les études.
Il n'y a rien qui puisse les distraire des leçons que leur donnent leurs professeurs et des travaux qu'ils leur imposent ; les travaux de composition et de traduction que l'examen leur demande réussiront, au contraire, d'autant mieux que les élèves auront mieux suivi les conseils de leur maître.
Messieurs, en quoi cet examen pourrait-il le moins du monde gêner la liberté des études ? Une traduction et une composition, n'est-ce pas ce qu'on peut demander à tout élève qui fait des études classiques ? Arrivez-là par telle méthode et par telle voie que vous voudrez, la loi ne s'en enquiert pas. Elle ne vous demande que le résultat que vous avez nécessairement dû avoir en vue.
Réduit à des exigences si modérées, il n'était pas possible que le nouvel examen rencontrât dans cette Chambre une bien grande opposition.
Aussi, messieurs, j'ai pu dire dans le rapport que la loi avait rencontré peu d'opposition dans les sections. On m'en a repris ; - je crois cependant que j'ai eu raison de dire que la loi n'avait rencontré que cinq opposants dans les sections. Dans la section centrale, le principe n'en avait même pas été combattu autrement que par le vote.
L'honorable M. Dechamps a dit l'autre jour que j'avais eu tort ; que si la loi n'avait pas rencontré d'opposition sérieuse c'est parce qu'on était trop préoccupé de la question des octrois. J'en demande bien pardon à l’honorable membre ; mais je crois que son parti et lui (et en cela je fais leur éloge) quels que fussent les malheurs que la loi des octrois pût leur faire présager dans ce moment pour les campagne,s ne se préoccupent pas assez exclusivement d'intérêts matériels pour refuser leur attention à ce qui l'a toujours si vivement éveillée, à une mesure qui se rattache aux intérêts de l'instruction publique.
En présence des égards qu'on a eus, dans la loi même, pour l'opinion des anciens adversaires de l'examen, il n'était guère possible qu'elle rencontrât dans cette Chambre des adversaires passionnés, et j'ai vu avec plaisir que, sous ce rapport, la discussion publique ressemble à celle des sections.
L'honorable M. de Theux n'a pas appuyé le projet de loi, mais il n'y a pas fait non plus une résistance bien vive ; il s'est borné à entretenir la Chambre des causes générales d'affaiblissement des études.
L'honorable M. de Haerne s'est occupé de l'état de la législation dans d'autres pays ; mais il ne m'a pas paru être bien hostile au projet de loi, car, si j'ai bien entendu, il a parlé de conditions auxquelles il pourrait se rallier à ce projet.
L'honorable M. Tack, qui l'a combattu, s'est surtout attaché à quelques détails, et il m'a même semblé s'attaquer plutôt à l'ancien examen qu'au nouveau, car il a pensé que le projet pourrait détourner le professeur de rhétorique de développer la partie littéraire de ses leçons, ce qui est évidemment une erreur ; l'examen exigeant une composition française, le professeur et l'élève auront intérêt au développement de toute la partie du cours de rhétorique qui est destinée à former le goût et à faire comprendre le mérite des grands écrivains.
De ce côté de la Chambre le nouvel examen n'a pas rencontré d'adversaires jusqu'à présent. L'honorable M. Van Humbeeck, qui s'y était montré peu favorable dans la session dernière et qui dans son discours récent en parle encore avec peu de sympathie, ne se borne pas à en admettre le principe dans son amendement, il va plus loin que le gouvernement lui-même.
En effet, l'examen écrit ne lui suffit pas, il y ajoute l'examen oral, et l'honorable M. Jacquemyns nous a montré que le programme de l'honorable représentant de Bruxelles était en réalité plus sévère que celui du projet de loi.
Quant à l'honorable M. Dechamps, son discours ne s'en est guère pris au projet de loi ni à l'examen d'élève universitaire ; au lieu de le combattre, il l'a écarté en quelque sorte par des fins de non-recevoir et m'a paru parler plutôt à l'occasion de la loi que contre la loi.
Suivant lui, nous n'avons plus à nous préoccuper d'examens de ce genre, parce que, majorité et minorité, nous sommes à la veille de nous entendre sur une solution beaucoup plus large de semblables questions.
Après cela, l'honorable membre nous a appris que, suivant lui, le gouvernement était déjà coupable d'une centralisation énorme en matière d'enseignement et que la liberté d'instruction était absorbée par le pouvoir.
Ai-je, messieurs, à défendre le projet de loi contre les fins de non-recevoir de l'honorable membre ? Faut-il que je lui prouve que la liberté d'enseignement existe encore en Belgique et que le jour où tous les partis s'entendront sur toutes les questions qui concernent cette partie de notre législation n'est pas tellement voisine que le projet de loi n'ait plus d'intérêt sérieux ?
L'honorable membre a parlé du système de M. Frère comme s'éloignant peu de ses propres idées et de celles de la droite. J'en ai été quelque peu surpris ; car je me rappelle que, d'après le système de M. Frère, il subsiste un examen à la sortie de l'université. Devant la commission officielle chargée de faire subir cet examen, les élèves sont obligés de prouver qu'ils ont fait leurs études universitaires.
La commission est juge absolu de la valeur de cette preuve. C'est-à-dire en d'autres termes qu'un diplôme quelconque, fût-ce même un diplôme de Louvain, pourrait à la rigueur être rejeté par elle. J'incline à croire que M. Dechamps n'admettrait cette partie du système de Frère que moyennant un amendement qui ferait probablement repousser par M. Frère lui-même son système amendé.
L'honorable M. Dechamps a regardé aussi comme très voisin d'une solution conciliatoire le système de l'université de Gand. Cela m'a encore étonné. Que demande l'université de Gand ? Elle veut que les universités de l'Etat confèrent elles-mêmes les diplômes, mais que le jury subsiste pour les élèves sortant des universités de Bruxelles et de Louvain.
L'université de Gand, dit l'honorable M. Dechamps, admet le principe des diplômes conférés par les universités de l'Etat. Il n'y a plus qu'un pas à faire ; qu'elle admette le même système pour les universités libres, et nous sommes d'accord.
En effet, il n'y a plus d'autre chemin à faire que celui-là ; mais ce qui me surprend, c'est que cela vous semble peu de chose.
Si la distance que vous invitez l'université de Gand à franchir est si faible, ne pourrait-on pas vous engager à la franchir vous-même ? Et que diriez-vous si, vous prenant au mot, le gouvernement venait vous présenter un jour le système de l'université de Gand qui se rapproche si fort de vos idées ? Je crois, permettez-moi de vous le dire, que ce serait le signal d'un terrible orage dans vos rangs, ici et au dehors.
Là encore, je suis fâché de le dire, la solution annoncée par M. Dechamps n'est pas assez prochaine pour que d'ici là nous renoncions à porter remède aux conséquences fâcheuses de l'abolition de l'examen d'élève universitaire.
Quant à la centralisation par laquelle le gouvernement absorbe la liberté d'enseignement, cela est-il sérieux ? Développer une pareille thèse, c'est vraiment céder à la séduction qu'offre le paradoxe à une parole élégante et facile.
Quoi ! vous parlez de centralisation et il s'agit d'instruction moyenne ! Mais vous oubliez que le clergé a trente ou quarante établissements d'instruction moyenne et que le gouvernement en a dix. Et c'est le gouvernement que vous appelez le grand centralisateur ! Mais permettez-moi de vous le dire, vous et votre parti, vous parlez au nom de ce qu'il y a de plus centralisateur au monde, au nom d'une influence qui s'étend en quelque sorte sur l'univers entier, qui a ses organes et ses instruments dans les moindres communes, qui s'étend non seulement à tous les intérêts mais à tous les sentiments du cœur.
C'est là sa grandeur et sa force. Et c'est vous qui accusez le pouvoir de centralisation ; mais quand vous l'accusez ainsi, savez-vous ce qu'il fait ? En réalité il décentralise. Car c'est lui qui vous empêche de centraliser, d'absorber l'enseignement tout entier, Et pourquoi l'action du pouvoir est-elle ici si populaire ?
C'est précisément parce qu'elle empêche cette absorption, et que cette liberté d'enseignement qu'on a proclamée en théorie, il l'établit en (page 399) fait ; sans lui, à peu près toute l'instruction passerait sous une seule influence, et c'est là ce qu'on appellerait décentraliser !
En tout cas, vous n'aurez, je crois, pas de peine à en convenir en y réfléchissant un peu ; il n'y a pas grand danger de centralisation dans un examen qui se home à prescrire un thème et une version ; et dût-on arriver, dans un délai prochain, à adopter, pour les grades académiques, une solution nouvelle et à écarter beaucoup d'examens de la loi, nous ne nous repentirions pas encore d'avoir établi celui dont il s'agit aujourd'hui. On adopterait le système de l'université de Liège ou celui de l'université de Gand, il n'y en aurait pas moins des raisons pour maintenir l'examen d'élève universitaire ; ce serait le dernier qu'il faudrait songer à abolir, parce qu'il n'offre pas le plus grave inconvénient des autres.
Quoi qu'on fasse, en matière d'enseignement supérieur, les examens auront toujours, à certains égards, une mauvaise influence sur les études. Comme, après tout, ce qu'on demande à l'élève, c'est de reproduire la science que son professeur enseigne ; apprendre par cœur ce que celui-ci a dit, paraîtra toujours à beaucoup d'élèves la voie la plus courte ; et ainsi l'étude, où la mémoire envahit le plus grand rôle, se rétrécit et se stérilise. Dans l'enseignement moyeu, au contraire, d'une part il est permis de donner à la mémoire une place plus grande, et de l'autre on peut donner aux examens, comme le fait le projet de loi, une forme qui exclut les exercices mnémotechniques.
Quand l'élève, par exemple, a à faire une rédaction ou une traduction, ce ne sont pas les leçons de ses professeurs qu'il répète devant ses juges ; mais il leur prouve qu'il a profité de ses leçons, qu'il se les est appropriées et qu'il les applique. Voilà comment l'examen dont il s'agit aujourd'hui échappe aux plus graves reproches qu'encourent les examens universitaires.
Je passe, messieurs, à l'autre objet de la loi, qui est le maintien, pour deux ans, de la combinaison des jurys telle qu'elle a été établie en 1857 et telle qu'elle existait en vertu de la loi de 1849.
L'honorable M. Van Humbeeck, seul jusqu'à présent, vous propose d'en revenir au jury central.
Il ne faut point oublier que nous sommes à faire l'épreuve de la loi qui a simplifié les examens ; si on trouve qu'elle n'est pas complète et qu'il faille la continuer, il ne faut pas en changer les conditions. Changer le système de la composition du jury, c'est commencer une épreuve nouvelle et empêcher de reconnaître qu’elles sont les vraies causes des bons ou des mauvais résultats qu'on aura pu constater depuis 1857.
Je ne suis pas un adversaire absolu du jury central ; je ne dis pas qu'à ne considérer que l'intérêt scientifique il n'y ait pas moyen, en lui faisant subir certaines modifications, d'en tirer un parti utile.
Mais, d'autre part, le système actuellement en vigueur a, sur celui que propose M. Van Humbeeck, quatre avantages bien marqués.
Le premier, c'est qu'il rend impossible la coalition de trois universités contre une, puisqu'il n'y en a que deux qui siègent ensemble. Si, comme il y a quelques années, la minorité de cette Chambre paraissait ne pas redouter ce danger, nous pourrions ne pas nous en préoccuper plus qu'elle ; mais puisque aujourd'hui on le craint, je croirais injuste de ne pas avoir égard à une objection aussi sérieuse.
Le deuxième avantage du jury combiné vous a été exposé, messieurs, avec beaucoup de lucidité par l'honorable M. de Boe. Il s'agit des études extra-universitaires. Dans le système de l'honorable député de Bruxelles, les études qui se font en dehors des universités n'ont aucune garantie. Un membre sur cinq est chargé de les représenter et les quatre autres ont, pour ainsi dire, un intérêt opposé.
Dans le système des jurys combinés, au contraire, les études extra-universitaires ont un jury spécial dans lequel l'élément extra-universitaire est en majorité.
Le troisième avantager des jurys combinés, c'est que l'élève y est interrogé par son professeur. Dans le système du jury central, l'élève n'est interrogé par son professeur que sur une matière. On nous a dit que ce n'est pas là un désavantage, puisque tous les établissements se trouvent sur la même ligne.
Mais, messieurs, l'élève qui échouera faute d'avoir bien compris les questions posées par un examinateur qui n'était pas son professeur sera fort peu consolé lorsqu'on lui dira que, l'année prochaine, les élèves d'un autre établissement se trouveront dans la même position. Il y a autre chose ici à prendre en considération que la concurrence des divers établissements, c'est l'intérêt des élèves.
Enfin, messieurs, il y a dans le système actuel cet avantage matériel que plusieurs jurys siégeant en même temps pour le même grade, les examens se font en moins de temps et interrompent moins longtemps l'enseignement et les vacances des professeurs.
L'honorable M. Van Humbeeck insiste beaucoup sur ce qu'il appelle l'unité de jurisprudence du jury central. Je ne puis y attacher la même importance que lui, et d'ailleurs lui-même change les éléments de son jury tous les ans. Dès lors, s'il y a unité de jurisprudence pour une année, il n'y en aura pas d'une année à l'autre. L'honorable M. Van Humbeeck a terminé sa proposition par trois amendements qui ont un caractère tout particulier. Ces amendements s'écartent complètement du projet de loi qui nous est soumis ; l'honorable M. Van Humbeeck ne se borne pas à demander l'examen oral pour le grade d'élève universitaire ; mais il demande le rétablissement de l'épreuve écrite pour tous les examens que comprend la loi de 1857.
Il demande en même temps l'abolition de tous les cours à certificat créés par cette loi, et, comme conséquence de cette abolition, il propose de rétablir, dans chaque examen, toutes les matières que vous en avez écartées ; de sorte qu'il demande que la Chambre ajoute à tel examen deux matières, à tel autre trois, à tel autre quatre ou davantage.
Messieurs, c'est là la révision de la loi de 1857, dans sa partie la plus importante et la plus difficile. Si nous entrons dans cette voie, il faut évidemment permettre à tout le monde de discuter les articles de la loi de 1857 qu'il désire voir changer ; il ne faut pas qu'un seul membre use exclusivement de ce droit ; il faut le reconnaître à tout le monde, il faut surtout le reconnaître au gouvernement.
Or, messieurs, pour réviser une loi pareille, nous avons besoin de temps, le gouvernement surtout en a besoin. Quelques membres peuvent se croire suffisamment préparés, mais un gouvernement n'improvise pas des lois organiques, surtout des lois organiques de cette difficulté ; il s'y prépare longuement, il consulte ceux qui peuvent l'éclairer, il combine les diverses parties d'un système et recueille les objections qu'on peut y faire. Mais il n'en fait pas une parenthèse de la discussion d'une loi qui n'a en vue qu'un objet spécial.
Messieurs, la loi de 1857 avait d'abord été préparée par le ministère Piercot, refaite par le ministère de Decker, elle a été examinée deux fois dans les sections, et c'est au bout de trois ans qu'elle est arrivée à la discussion publique, discussion qui a duré ici un mois ou six semaines, sans compter les débats qui ont eu lieu au Sénat.
Dans une matière si difficile, la plus difficile que nous ayons eu à résoudre depuis 1850, il faut que tout changement de système soit bien médité, bien approfondi, et que toutes les opinions aient pu se faire jour.
Messieurs, remarquez que le système qu'on appelle le système des cours à certificat, n'est qu'un moyen de simplifier les examens. Mais si vous renoncez à ce moyen, ce ne sera pas, j'en suis sûr, pour établir dans toute leur étendue les examens anciens ; il faudrait aviser dans ce cas à un autre mode de simplification.
Cet autre mode doit être préparé et discuté ; encore une fois c'est une affaire qui exige une discussion spéciale et approfondie, qui ne peut pas se traiter incidemment à l'occasion d'une loi qui a un tout autre objet.
Je crois donc que la Chambre aura à décider d'abord si elle veut une révision générale, oui ou non ; si elle la veut, il faut qu'elle en fasse une délibération à part, avec toutes les formes préparatoires qui assurent la maturité de ses travaux.
Messieurs, plusieurs orateurs ont cependant tant critiqué la loi de 1857 en ce qui concerne l'abolition de l'examen écrit et les cours à certificat que je ne puis me dispenser, avant de finir, d'en dire quelques mots et d'examiner succinctement si la loi de 1857 a jusqu'à présent mérité ces reproches.
Parlons d'abord de l'examen écrit. Il semble que les membres qui ne faisaient pas partie de la Chambre, en 1857, se figurent que c'est sans motif aucun et par une espèce de caprice que cet examen a été supprimé.
Messieurs, l'abolition des examens écrits nous a été demandée par les autorités les plus respectables. C'est l'université de Gand surtout qui a le plus insisté pour l'obtenir.
C'est à la suite des démarches réitérées des professeurs les plus éminents que nous avons soutenu cette mesure ; ce sont des influences universitaires qui nous ont procuré tous les renseignements et en ont même fait venir de l'étranger.
Si donc les examens écrits ont été abolis, c'est à la demande même des hommes qu'on devait le plus en croire sur les conséquences fâcheuses de cet examen.
Messieurs, l'examen écrit n'existait pas autrefois. Sous le gouvernement hollandais, il n'y avait pas d'examen écrit ; seulement pour le doctorat en droit, on faisait une petite dissertation écrite sur un rapprochement de textes de loi. Il n'y en avait pas ailleurs.
(page 400) En France, il n'existe pas d'examen écrit.
Il y avait d'ailleurs, dans le système de la loi de 1857, un autre motif qui permettait l'abolition de cette innovation de 1855, c'est que par suite de la diminution du nombre de matières des examen ?, l'examen oral se prolongeait beaucoup plus sur chacune d'elles. Quand sur les institutes l'élève est examiné pendant une heure entière, que peut-il être besoin à ses examinateurs d'en savoir davantage sur sa science ?
Dans presque tous les examens, chaque matière à une demi-heure. Ce qui assurément suffit bien pour savoir sur le compte de l'élève tout ce qu'un examen peut en apprendre.
Un orateur a dit hier que les élèves eux-mêmes réclamaient l'examen écrit. Je répondrai que pour les satisfaire il n'est pas nécessaire de modifier la loi. Elle permet aux élèves de réclamer ce mode d'examen s'il le désirent. Mais cette disposition de la loi est devenue complètement inutile, ce désir, aucun d'eux ne l'exprime.
Je ne comprends pas pourquoi on voudrait rétablir un genre d'examen dont la nécessité est si peu prouvée, dont on se passe dans les autres pays et dont nous-mêmes nous nous sommes passés longtemps sans le moindre inconvénient. Ce serait agir par pur amour des examens, enthousiasme que je ne saurais partager.
Parlerai-je maintenant des cours à certificat ? Messieurs, les cours à certificat ont été adoptés comme un moyen de simplifier les examens.
Les examens, tels qu'ils existaient et tels qu'on veut les rétablir, étaient surchargés ; tel examen avait dix matières sur lesquelles l'élève devait être interrogé. Je parle de l'examen de candidat en philosophie.
M. De Fré. - Il n'y en a que huit.
M. Devaux. - Il y en a dix, et je vais vous les énumérer. La psychologie, la philosophie morale, la logique, l'histoire grecque, l'histoire romaine, l'histoire du moyen âge, l'histoire de la Belgique, les antiquités romaines, l'histoire de la littérature française, la philologie latine.
En voilà bien dix, et l'élève avait, pour étudier tout cela, une année scolaire qui, si l'on en retranche trois mois de vacances, les interruptions de Pâques, de la nouvelle année et d'autres fêtes, se réduit à 34 à 36 semaines ; c'est en moyenne 3 semaines par science. Que pouvaient faire les élèves ? Ils pouvaient faire ce qu'ils ont fait. Ils pouvaient apprendre par cœur, faire de la mnémotechnie et se dégoûter de l'étude. Ne fallait-il pas porter remède à cet état de choses ?
Dans la faculté de droit, on nous signalait un examen, celui de la candidature où chaque année, sur 100 élèves inscrits, 52 seulement parvenaient à être admis. 48 sur 100 ne le franchissaient pas, et remarquez que ces élèves avaient déjà passé par deux cribles, par l'examen d'élève universitaire et par celui de la candidature en philosophie dont je parlais tout à l'heure.
Quand devant un examen des élèves déjà deux fois éprouvés succombent en si grand nombre que la moitié seulement échappent au naufrage, il y a évidemment là, soit dans l’enseignement, soit dans l'examen lui-même, un vice auquel il faut porter remède. Il eût fallu abdiquer la raison pour ne pas reconnaître un mal qui frappait les yeux par des signes aussi évidents.
Ces conséquences fâcheuses des examens surchargés, le gouvernement et les Chambres n'avaient pas été seuls à les reconnaître. Elles avaient été signalées avec énergie par les universités elles-mêmes.
Le conseil académique de l'université de Liège nous avait dit : « Les élèves veulent que tout soit dicté ; absorbés par ce travail matériel, ils ne saisissent rien de la leçon et apprennent leur cahier par cœur à l'époque de l'examen. »
Une commission spéciale de la même université ajoutait : « L'examen n'est plus qu'un immense effort de mémoire qui épuise l'intelligence de l'élève ; à peine a-t-il quitté les bancs de l'université, qu'il a tout oublié. »
L'université de Louvain s'exprimait ainsi : « Les examens sont surchargés ; ils exigent un immense effort de l'élève qui épuise l'intelligence et ruine l'esprit scientifique. »
La .commission des présidents des jurys affirmait qu'il y avait décadence des études dans toutes les facultés. « Cette décadence tient, disait-elle, à l'état des études moyennes, au nombre exagéré et à la répartition vicieuse des matières de l'examen. »
A l'université de Gand, les plaintes avaient été plus énergiques encore. « Les élèves, disait-on, ne voient dans les leçons qu'une préparation à l'examen ; le goût de la science s'est perdu, l'esprit de la jeunesse sans vigueur s'est en quelque sorte matérialisé. Hommes de science, notre cœur saigne à la vue de la décadence intellectuelle de la Belgique. »
En présence de pareils faits, et de pareilles réclamations, le législateur aurait méconnu tous ses devoirs s'il était resté les bras croisés.
Il n'y avait pas à hésiter, il fallait décharger les examens, en réduire le programme. Le moyen le plus simple c'était d'en retrancher un certain nombre de matières d'une manière absolue. C'étaient des cours qui seraient devenus facultatifs, bientôt déserts, et qu'on n'aurait pas tardé, dans les universités libres surtout, à supprimer complètement.
Ce système fut proposé à la Chambre, si je ne me trompe, par l'honorable M. Orts.
Mais avant d'en venir à cette extrémité, qui ne réduisait pas seulement les examens mais qui appauvrissait l'enseignement et renversait un grand nombre de nos chaires littéraires et scientifiques, la Chambre crut qu'il y avait autre chose à faire. Elle adopta un système qui diminuait le programme des examens sans rétrécir le cadre de l'enseignement et en garantissant en quelque sorte l'existence de toutes les chaires actuelles. On soumit à l'examen les cours qui avaient le plus d'importance pour la carrière à laquelle les élèves se destinent. Mais pour d'autres qui ne sont pas aussi indispensables, dont une connaissance moins approfondie, moins détaillée, peut suffire, qui d'ailleurs sont la plupart par eux-mêmes d'une étude attrayante, on s'est dit : Bornons-nous à en prescrire la fréquentation, mais fions-nous au professeur pour l'influence qu'il exercera sur les élèves et aux élèves pour l'attention qu'ils lui prêteront. On a en un mot émancipé ces cours. On les a dégagés de la chaîne des examens, on leur a donné un certain degré de liberté.
Chose singulière, messieurs, au moment même où on proclame ici le principe de la liberté des études, où l'on se montre disposé, en théorie, à en accepter les conséquences les plus extrêmes, à ce point qu'on permettrait au premier venu d'ouvrir une boutique de poisons sous le nom de pharmacie ; c'est dans ce moment qu'on se récrie avec amertume contre un premier pas bien timide que la loi a fait dans la voie de la liberté des études. La loi, en effet, qu'a-t-elle fait autre chose pour les cours à certificat, que de se fier au travail libre des élèves et à l'action, libre aussi, des professeurs.
La loi, dit-on, a humilié le professeur : humilié, parce qu'elle l'a cru capable de se faire écouter de la jeunesse qui vient puiser l'instruction aux universités, humilié parce qu'il professera dans les mêmes conditions que tant d'illustres professeurs français et allemands !
C'est méconnaître le mérite de nos professeurs et l'esprit de la jeunesse studieuse, de croire qu'en Belgique seulement un tel enseignement soit impossible.
Je dirai aux honorables députés de Bruxelles qui ont parlé de l’humiliation des professeurs, je dirai à l'honorable M. Hymans, que lui-même, je pense, ne s'est pas senti humilié pour avoir donné, à l'hôtel de ville de Bruxelles, un cours d'histoire dont les auditeurs n'étaient assujettis à aucun examen. J'y ai assisté quelquefois ; l'auditoire était nombreux, et je puis attester que le professeur était très attentivement écouté.
M. Hymans. - C'est un cours public.
M. Devaux. - Ah ! si vous voulez la publicité pour les cours d'histoire, je vous la concéderai sans peine. Mais toujours est-il que vous n'étiez pas humilié pour n'être écouté que par des auditeurs qui n'avaient pas derrière eux la contrainte de l'examen.
Il est vrai, sans doute, pour se faire écouter d'auditeurs que rien ne contraint à vous prêter attention, il faut se donner quelque peine. C'est la loi que subissent tous ceux qui parlent à un auditoire quelque peu nombreux, tous ceux qui montent en chaire ou à la tribune.
Messieurs, si un de vos collègues venait se plaindre de ce que chaque fois qu'il parle la Chambre est distraite, que chacun cause ou s'occupe d'autre chose que de son discours, que lui répondriez-vous ? Ou plutôt, car peut-être, par politesse, ne lui répondriez-vous pas grand-chose, que penseriez-vous de lui ? Vous penseriez : Ce collègue n'est pas fait pour la tribune parlementaire, et il ferait mieux de se taire dans les séances publiques et de se rendre autrement utile. Eh bien, si un professeur était réellement incapable de se faire écouter sur une matière intéressante par des jeunes gens bien préparés qui lui sont amenés au pied de sa chaire, je crois qu'on pourrait dire de ce professeur qu'il est peut-être très savant, capable d'écrire des livres utiles, mais qu'il n'était pas né pour une chaire d'enseignement supérieur.
Que les professeurs de ce genre soient nombreux dans les universités belges, c'est ce que je ne saurais admettre ; seulement il faut qu'ils veuillent bien se donner quelque peine pour se faire écouter par des auditeurs non contraints ; et il faut qu'ils ne commencent pas par se défier (page 401) assez de leur propre mérite et de l'esprit de leur auditoire pour croire à l'impossibilité du succès.
On s'est écrié hier : Voyez jusqu'où l'on a poussé les choses ! L'histoire de Belgique est un cours à certificat, c'est un cours supprimé ! Je dis, moi, que c'est un cours vivifié ; c'est un cours auquel on a ôté la chaîne de l'examen, qu'on a dégagé ainsi beaucoup de détails arides qui le refroidissent.
L'histoire de Belgique présente des difficultés toutes particulières pour l'examen ; jusqu'aux ducs de Bourgogne, c'est une réunion d'histoires locales.
Il y a là une foule de détails locaux, une multitude de petits faits, de noms de souverains, de seigneurs sur lesquels l'examen peut porter et qu'il faut fixer dans sa mémoire, quelque insignifiants qu'ils puissent être. Si, au contraire, le cours est dégagé de l'examen, le professeur peut s'attacher aux parties les plus importantes de nos annales, à celles qui intéresseront le plus vivement ses auditeurs, à celles surtout qui sont les plus propres à nourrir dans les cœurs l'amour de la patrie.
On s'est récrié aussi contre un autre cours à certificat. Comme si nous vivions en Russie, a-t-on dit, on a retranché le droit public du nombre des matières à examen.
Je réponds que c'est parce que nous vivons dans la libre Belgique qu'on a eu une raison de plus d'émanciper ce cours, et que s'il y a un professeur qui ne sache pas se faire écouter sur cette matière par de jeunes Belges, c'est que nos institutions ne font pas battre son cœur à l'unisson de celui de ses élèves.
Je ne dis pas, messieurs, que toutes les dispositions de la loi de 1857 soient parfaites. On a improvisé des amendements dans la discussion et on a entraîné la Chambre dans quelques erreurs. Ceux qui avaient combattu le système des certificats sont venus, après qu'il eut été admis, en demander des applications exagérées ou peu raisonnées, et la Chambre, fatiguée de leur refuser, leur a fait quelques concessions malheureuses. C'est ainsi que, par amendement, le cours de droit civil élémentaire et le cours de pathologie générale sont devenus des cours à certificat.
On est convenu hier que les cours à certificat avaient de bons résultats sous le régime des Pays-Bas. Mais, dit-on, pourquoi le professeur, avant de délivrer le certificat, n'a-t-il plus, comme autrefois, le droit d'interroger l'élève chez lui ? Ce qui a empêché de reconnaître ce droit au professeur, ce sont précisément les disposions qu'ils montraient à l'égard de cette partie de la loi. On voulait simplifier les examens. Or, avec les dispositions que montraient les professeurs, que serait-il arrivé, si on leur avait accordé le droit de faire subir chez eux à l'élève ces examens spéciaux ? Au lieu de simplifier l'examen, on l'aurait rendu plus difficile.
Maintenant, messieurs, venons aux faits. La simplification des examens est à l'épreuve depuis trois ans. Quels en sont jusqu'aujourd'hui les résultats ? Le but du législateur, en écartant certaines matières de l'examen, a été surtout de fortifier les études de celles qu'il y maintenait. Ce but a-t-il été atteint ? (Interruption.)
Vous dites non, mais vous ne vous appuyez que sur des assertions. Je vais, moi, m'appuyer sur des faits constatés, sur le jugement officiel que les professeurs, eux-mêmes, ont porté sur les études de chacun de leurs élèves. Je vais recourir à la statistique de leurs examens.
Je vous parlais tout à l'heure de la faculté de médecine ; je vous disais que le surcroît d'élèves qu'avait amené l'abolition du grade d'élève universitaire avait nécessairement affaibli une partie des études ; je vous disais aussi qu'à chaque examen que subissaient ces nouveaux élèves plus faibles, une partie d'entre eux étaient arrêtés et abandonnaient les études universitaires, de telle sorte qu'après le premier examen de docteur en médecine, il ne restait plus, pour les deux examens, qu'à peu près le même nombre d'élèves qu'avant l'abolition du grade d'élève universitaire ; on peut donc dire que les deux derniers examens de la faculté de médecine sont dégagés de l'influence que l'abolition d'examen d'entrée a dû exercer sur les précédents. Les deux derniers examens de la faculté de médecine sont le deuxième et le troisième doctorat. De celui-ci je ne parlerai point, parce qu'on pourrait me dire qu'il n'y a, pour cette année d'étude, aucun cours à certificat ; mais voyons quel a été, pour le deuxième doctorat, le degré de succès des élèves qui se sont présentés à l'examen. La statistique des examens des trois dernières années qui viennent de s'écouler établit qu'en moyenne, chaque année, sur 100 élèves inscrits, 90 ont été admis ; 9 de plus que pendant les trois années qui ont précédé la loi de 1857.
90 admissions sur 100, c'est un résultat des plus remarquables, et quand vous ajoutez que, sur ces 90 élèves admis, 45, c'est-à-dire la moitié, ont reçu la distinction, je puis dire que c'est pour cette partie des études la situation la plus belle que des examens puissent attester. Ce fait prouve assurément que la simplification des matières a réussi à fortifier les études sur les matières auxquelles l'examen a été réduit. (Interruption.)
Je n'ai pas entendu l'interruption.
M. Guillery.— Je dis que le président du jury dit le contraire et ajoute même que, si cela continue, nous allons devenir la risée de l'Europe.
M. Devaux. - Les faits que je vous cite sont constatés par le jury lui-même.
Un président de tribunal me dirait qu'il condamne tous les jours un nombre considérable de malfaiteurs ; si dans ses jugements je ne trouvais que des acquittements, ne devrais-je pas croire sa première assertion hasardée ?
Voyons maintenant ce qui s'est passé dans la faculté de droit. C'est principalement en vue des élèves de cette faculté que les matières ont été simplifiées. C'est là que se trouvait cet examen où, sur cent élèves inscrits, 52 seulement étaient admis.
La faculté de droit s'est moins ressentie de l'abolition de l'examen d'élève universitaire que celle de médecine.
Le nombre de ces élèves ne s'est pas augmenté de 100 p. c. mais seulement d'un quart.
Quoique moindre, cette adjonction d'élèves plus faibles a dû nécessairement avoir une influence sur les examens et si les résultats en étaient quelque peu inférieurs à ceux d'autrefois, cette circonstance l'expliquerait.
Mais ces résultats quels sont-ils ? Ainsi que je vous le disais, dans les trois années qui ont précédé la loi de 1857,à l'examen de la candidature en droit, sur 100 élèves inscrits, 52 seulement étaient admis.
Dans les trois dernières années qui viennent de s'écouler sous le régime de la loi nouvelle, ce chiffre de 52 p. c. s'est élevé à 62.
Ce n'est pas assez sans doute ; mais une augmentation de 10 sur 52, c'est-à-dire de près de 20 p. c. est un progrès considérable, alors surtout que le nombre des distinctions obtenues s'est accru dans les mêmes proportions. Car il est monté de 16 p. c. à 20, et n'oublions pas que cependant la mauvaise influence de l'abolition de l'examen d'élève universitaire a nécessairement contrarié ce progrès. Quant aux deux examens de docteur en droit, la statistique publiée les montre également en progrès. Dans les trois années qui précèdent la loi de 1857,68 élèves sur 100 y étaient admis.
Ce chiffre s'est élevé, dans les trois dernières années du régime nouveau, à 73 sur 100, et les distinctions, qui étaient de 23 sur 100, ont été au nombre de 29. Voilà, messieurs, la vérité sur les effets de la loi de 1857 en ce qui concerne la simplification des examens. Cette fois, il ne s'agit pas de simples assertions, mais je m'appuie sur des faits incontestables. Ces faits sont-ils de nature à faire interrompre l'épreuve qui se fait depuis trois ans ou à la laisser continuer comme le demandent les professeurs eux-mêmes qui ne sont pas favorables à la loi ?
Je n'ai pas, messieurs, d'enthousiasme pour les certificats, je n'ai pas de raison pour tenir à ce système de simplification plutôt qu'à un autre ; ce à quoi je tiens, ce à quoi la Chambre doit tenir, c'est à cette simplification même des examens. Si on avait un autre mode d'y arriver, qui fût évidemment meilleur, je concevrais qu'on le livrât à la discussion ; mais jusqu'à présent, je n'en vois pas, et on n'en présente pas.
Continuons donc, comme le gouvernement nous le demande, l'épreuve commencée, dont les résultats sont si loin d'être défavorables. Surtout, messieurs, gardons-nous d'improvisations en cette matière. Elles nous ont déjà porté malheur. Rappelez-vous que ce sont d'honorables représentants de Bruxelles aussi qui, cédant sans doute à des obsessions du dehors, ont amené à l'improviste l'abolition de l'examen d'élève universitaire, que c'est par des amendements improvisés qu'on a rangé parmi les cours à certificat des matières qui ne devaient pas y figurer et sur lesquelles se fondent, aujourd'hui surtout, ceux qui réclament contre ce système. Des amendements improvisés en amèneront d'autres ; faire la révision d'une législation aussi difficile dans de pareilles conditions, ce serait nous exposer à bien des fautes et à bien des regrets.
Messieurs, je ne veux pas entrer aujourd'hui dans la discussion des objections de détail qui ont été faites à diverses dispositions du projet. Il a été rédigé avec une grande déférence pour les scrupules des anciens adversaires de l'examen qu'il s'agit de rétablir. Je ne doute pas que les observations fondées qu'il pourrait produire encore dans la (page 402) discussion des articles de la loi, ne soient accueillies avec les mêmes égards. Quant à ceux qui désirent depuis longtemps le rétablissement de l'examen aboli, je crois qu'il sera très facile de s'entendre avec eux. Plusieurs objections s'évanouiront, je pense, par les explications qui seront données. On a consulté, pour la rédaction de la loi, des hommes expérimentés et en grand nombre ; peu d'objections leur ont échappé, et leurs observations pratiques suffiront, je crois, pour donner des apaisements sur plusieurs points qui paraissent avoir laissé des incertitudes dans l'esprit de quelques membres.
(page 387) - La discussion générale est close.
M. le président. - « Art. 1er. Le mode de nomination des membres des jurys d'examen, déterminé par l'article 24 de la loi du 1er mai 1857, et provisoirement établi pour une période de trois ans par l'article 60 de la même loi, est prorogé pour la seconde session de 1860 tt pour les deux sessions de chacune des deux années suivantes. »
M. le ministre de l'intérieur propose de dire au lieu de « chacune des deux années suivantes », « les années 1861 et 1862. »
M. Van Humbeeck a proposé un amendement ainsi conçu :
« Art. 1er, Des jurys siégeant à Bruxelles font les examens et délivrent les diplômes pour les grades académiques.
« Chaque jury se composa de cinq membres, dont quatre sont pris en nombre égal parmi les professeurs des deux universités de l'Etat et des deux universités libres existantes ; le cinquième, étranger au corps professoral universitaire, est appelé à représenter les études privées.
« Nul ne peut être membre du même jury pendant trois sessions consécutives.
* Chaque jury nomme dans son sein un président et un secrétaire »
M. Van Humbeeck. - Messieurs, l'amendement que j'ai proposé à l’article premier a jusqu'ici rencontré peu d'appui dans la Chambre. Pour être exact, je devrais même dire que ma voix est restée jusqu'ici seule à se faire entendre en sa faveur.
Cependant j'attache assez d’importance à cet amendement pour demander à la Chambre de m'accorder encore quelques instants d'attention et de me permettre d'ajouter quelques considérations à celles que j'ai déjà présentées à l'appui de ma proposition.
Je la prie aussi d'être bien convaincue que le député de Bruxelles, qui parle ici, n'agit ici sous l’empire d'aucune obsession extérieure, qu'il est uniquement inspiré par le sentiment du devoir qui le porte, à défendre devant la Chambre, même avec peu de chance de succès, des opinions qui remontent assez loin, comme j'aurai l'honneur de le démontrer.
J'ai demandé, messieurs, que l'on supprimât les jurys multiples. En demandant cette suppression, j'ai loyalement avoué que ces jurys n'avaient pas produit cependant tous les inconvénients qu'on redoutait, à l'époque de leur création. Je persiste néanmoins à demander le retour au système antérieur.
Pour se rallier à cette manière de voir, il est nécessaire de bien se pénétrer de ce principe incontestable : que dans un jury d'examen, il faut, ayant tout, des professeurs. En effet, les professeurs sont les seuls représentants réels de la science pure, sont les seuls qui acquièrent le don, par la pratique de leur profession, de constater le savoir ou de dévoiler l'ignorance.
Mais si j'admets qu'un jury doit surtout se composer de professeurs enseignants, je suis loin d'admettre l'idée de quelques membres siégeant dans cette enceinte, je suis loin d'admettre que le récipiendaire doive être interroge par ses professeurs mêmes.
Je crois que c'est là au contraire un inconvénient, je crois que le professeur qui examine ses élèves est à la fois juge et partie, parce qu'il apprécie un enseignement qu'il a donné lui-même ; parce que de plus il peut avoir sur l'élève une opinion faite et souvent peu justifiée à cause du défaut de contact entre l'élève et le professeur dans l'enseignement supérieur ; parce que cette opinion sera surtout faite sur des réponses que l'élève empruntera aux cahiers émanés des examinateurs eux-mêmes.
Les professeurs du récipiendaire, loin de devoir constituer la partie la plus importante du jury, ne peuvent donc jamais y figurer qu'en minorité. Ils ne peuvent pas y figurer dans une proportion notable, et c'est cependant ce qui existe dans le système actuel des jurys combinés où vous prenez les universités deux à deux, où par conséquent cet élément, à la fois juge et partie, ne se trouve avoir pour contre-poids qu'une force égale en nombre et en valeur ; où vous avez pour unique obstacle à des conflits possibles, un président étranger à l’enseignement qui ne peut par conséquent avoir un pouvoir efficace.
Il faut que les intérêts scientifiques soient équilibrés les uns par les autres. C'est la meilleure garantie d'impartialité et c'est surtout parce que mon système présente cette garantie que je l'ai proposé à la Chambre.
Je dis, messieurs, que les divers intérêts doivent être équilibrés, et qu'encore une fois on me comprenne bien. Je ne parle pas ici de l'intérêt du récipiendaire ; je parle de l'intérêt scientifique. Si je demande que les quatre universités soient représentées dans un jury, ce n'est pas pour que chaque récipiendaire trouve au moins un de ses professeurs parmi les examinateurs, c'est pour que le jury réunisse dans son sein tous les éléments que peuvent constituer une représentation rationnelle de la science dans le pays. Je reviens pas défendre un système destiné à faciliter les examens à certains élèves.
En expliquant ainsi le but que je me suis proposé, j'arrive à démontrer en même temps que mon système ferait cesser l'attachement trop servile de l'élève aux cahiers de ses professeurs. C'est du reste un point (page 388) qui est suffisamment développé dans mon premier discours sur lequel je ne reviendrai pas. Je vous ai dit également dans mes premiers développements que ce système empêcherait les divergences de décisions et les concurrences entre les juridictions scientifiques. Je vous ai dit enfin que le résultat de tous ces avantages serait de donner aux décisions du jury une autorité, morale plus grande.
Je crois pouvoir maintenir ces observations en entier.
Une d'elles a été rencontrée par l'honorable M. Devaux qui m’a dit : Vous voulez qu’il n’y ait pas de divergence dans la jurisprudence scientifique, et vous exigez que le personnel de vos jurys change souvent ; si vous n’avez pas de divergences entre des décisions rendues simultanément, vous aurez des divergences se présentant d’une année à l’autre. Ainsi votre système n’atteint pas le but que vous vous proposez.
L'argument de l'honorable M. Devaux nous mènerait à demander des examinateurs permanents, plus que cela, des examinateurs immortels. Ce serait le seul moyen de n'avoir, dans aucun cas, de divergences d'année en année. Cet argument prouve trop et se détruit par sa portée même ; entre les améliorations possibles que je veux amener et les inconvénients inévitables que l'on signale, il y a une. différence que la Chambre saisira et sur laquelle je n'ai pas besoin d'insister.
Si mon système n'a pas rencontré d'appui dans la Chambre, il a trouvé quelques contradicteurs. Qu’il me soit permis de répondre brièvement aux objections qui ont été présentées.
L'honorable M. Dechamps a fait valoir diverses objections. D'abord, dit-il, je préfère les jurys combinés au jury central parce qu'ils existent.
Cette raison prise isolément n'en n'est pas une. L'honorable orateur l’a senti et a dû la rattacher à d'autres raisons que je dois examiner.
D’après l'honorable M. Dechamps, le système des jurys combinés est un acheminement plus facile vers la réforme, que cet orateur désire. Il nous mènera plus facilement à la liberté absolue des professions libérales dans un avenir plus ou moins éloigné ; c'est un moyen de transition vers une distinction entre l’enseignement scientifique et l'enseignement professionnel, d'une intervention moins grande de l'Etat dans la collation des diplômes.
Je crois que lorsque l'honorable M. Dechamps a fait valoir cette raison contre le rétablissement du jury central, il a confondu deux choses qui n'ont pas entre elles de rapport ; les deux questions ne se touchent pas.
L'émancipation des professions libérales, comme but d'avenir, comme résultat auquel la société arrivera un jour, mais j'y crois tout autant que l'honorable M. Dechamps et je désire que le moment arrive au plus tôt, où cette réforme pourra se réaliser.
Mais faut-il prendre cet avenir en considération dès aujourd'hui ? Je ne le crois pas. Nous en sommes trop éloignés pour qu'il puisse exercer de l'influence sur des systèmes à consacrer immédiatement.
En 1849 l'honorable ministre des finances actuel proclamait lui aussi que la conséquence absolue de la liberté d'enseignement serait peut-être la suppression des brevets, cependant l'honorable ministre des finances reculait à cette époque devant la conséquence indiquée, comme l'honorable M. Dechamps recule aujourd'hui, car il ne dépose aucune proposition.
II ne suffit pas en effet, et l'honorable membre s'en est souvenu sans doute, qu'un principe soit vrai pour qu'on puisse immédiatement le faire passer dans les faits.
II faut donc encore des jurys, et il y a nécessité d'examiner comment ces jurys doivent être organisés.
Propose-t-on d'établir, comme premier progrès, un jury professionnel, laissant au domaine de la liberté les brevets purement scientifiques ? Ce système n'est pas proposé, il est indiqué seulement.
Je ne comprends pas trop la signification du mot « professionnel » opposé au mot « scientifique ». Ce projet me paraît amener une confusion nouvelle dans une matière déjà trop compliquée ; l'enseignement supérieur aboutit à l'obtention d'un brevet donnant le droit d'exercer certaines professions pour lesquelles la société croit devoir exiger des garanties ; la puissance publique doit dans l’état des idées, des mœurs, des préjugés, intervenir dans la collation de ce brevet. Mais je conçois que l'on dise : Les brevets préliminaires, ceux qu'on appelle aujourd'hui les diplômes de candidats, ne donnent aucun droit, ne confèrent aucun privilège, pourquoi l'Etat se mêle-t-il de leur collation ? Je comprends cette objection. Mais que vient faire ici le mot « professionnel » ? Il ne sert qu'à obscurcir la question.
Tout examen scientifique sera toujours un peu professionnel ; tout examen professionnel sera toujours un peu scientifique. La distinction est faite en termes impropres. Quoiqu'il en soit, admettons un instant que nous soyons arrivés à ne faire plus conférer officiellement que le diplôme qui donne le droit d'exercer une profession ; alors encore, pour délivrer ce diplôme il faudrait une autorité, et il y aura toujours à examiner si la collation se fera par un jury unique ou par des jurys multiples.
Ainsi, messieurs, dire que les jurys combinés conduisent à la liberté des professions, c'est émettre une raison qui n'est pas fondée. Si même vous arriviez à n'avoir plus qu'un jury chargé de conférer les diplômes qui donnant un droit, ce jury serait nécessairement, selon moi, un jury unique, un jury central.
La troisième objection que l'honorable M. Dechamps a faite contre mon système, en comprend en réalité deux : d'après l'honorable membre, il y a trop de difficultés dans mon système, à faire représenter toutes les matières ; de plus, dans un jury ainsi organisé il pourra se former une coalition de trois établissements contre un seul.
La difficulté de faire représenter toutes les matières ne doit pas nous arrêter. Je ne crois pas que toutes les matières doivent être représentées simultanément, je ne crois pas surtout qu'on puisse admettre la représentation permanente de la même matière pour la même personne. Dans le jury combiné vous avez ce désavantage.
Pouvons-nous craindre la coalition de trois universités contre une ? Aujourd'hui avec le système des jurys multiples les professeurs se trouvent constitués en juges de leurs élèves ; ils n'ont pour tout contrôle que les professeurs d'un seul autre établissement, et ce contrôle, ils peuvent le neutraliser par l’égalité de force dans deux éléments combinés. C'est un inconvénient aussi grave que le danger d'une coalition.
Messieurs, le professorat belge doit-il nous inspirer une crainte pareille à celle que manifeste l'honorable M. Dechamps ? Si nous ne pouvions plus espérer de réunir un jury de quatre professeurs appartenant à des institutions qui diffèrent d'origine, et d'intérêts, sans craindre qu'il y eut entre eux une coalition, mais il faudrait désespérer de l'esprit scientifique, il n'existerait plus en réalité chez des hommes qui obéiraient à des instincts aussi bas. Si une telle prévision pouvait se réaliser il faudrait désespérer de la science dans la personne de ses représentants actuels et attendre du temps que la science vînt à se régénérer elle-même.
M. le ministre de l'intérieur s'est donné la peine de combattre les raisons que j'avais présentées en faveur de mon système ; le jury central a été condamné en 1849, « il en a été fait justice », c'est l'expression dont s'est servi l'honorable ministre ; elle affecte le dédain en même temps que l'énergie.
Mais si je la traduis en langage de vérité, cela veut dire tout simplement qu'en 1849 le jury central n'a pas eu la majorité dans cette Chambre ; voilà comment il en a été fait justice.
A ce compte il serait très facile de repousser le grade d'élève universitaire. Nous ne devrions plus le discuter ; nous devrions dire aussi qu'il en a été fait justice et même qu'il en a été fait justice deux fois, une première fois en 1855, quand on en a demandé la suppression dans cette Chambre, et une seconde fois, en 1857, quand on en a proposé le rétablissement.
Si le jury central a en contre lui l'opinion de la Chambre et du Sénat en 1849, on peut néanmoins examiner le dossier de la condamnation et s'assurer si elle a été irrévocable et définitive.
Dans l'exposé des motifs de la loi de 1849 nous trouvons un réquisitoire très énergique contre le jury central ; mais quand il s'agit de proposer un moyen meilleur, l'exposé des motifs devient beaucoup plus modeste dans ses allures.
Le gouvernement demande une délégation absolue : il se contente d'indiquer le système connu aujourd'hui sous le nom des jurys combinés comme un système qu'on se propose d'essayer, sans même demander à la législature de la consacrer.
Ainsi tout en requérant contre le. jury central on n'est pas bien certain que ce qu'on propose d'y substituer vaille beaucoup mieux.
A l'exposé des motifs succède le rapport de la section centrale, et le rapport me paraît résumer avec assez d'impartialité la manière dont la question était, à cette époque, envisagée dans la Chambre ; il nous permet d'affirmer que la réprobation dont le jury central était frappé à cette époque n'était pas bien formelle.
Voyons ce que disait M. Delfosse, rapporteur de la section centrale.
« Maintiendra-t-on le jury central, ou bien y substituera-t-on le système indiqué par le gouvernement dans l'exposé des motifs ?
« Les jugements les plus divers ont été portés sur le jury central ; il a eu, comme tout ce qui touche à de graves intérêts, ses panégyristes et ses détracteurs ; écoutez les élèves de l’université de Gand, ils vous disent : « Le jury central a été salué par l’opinion publique comme une (page 389) institution nationale ; il plaçait l'élève pour ainsi dire en face de la nation elle-même qui, solennellement, lui demandait des garanties ; c'était une précieuse sauvegarde d'impartialité pour le professeur et d'indépendance pour l'élève... »
« Le jury central a rendu d'éminents services à 1'enseignement supérieur. Il a stimulé la concurrence entre toutes les universités, il a mis forcément l'élève en garde contre une confiance aveugle dans la doctrine du maître... »
« Les professeurs de la faculté de droit de l'université de Liège tiennent un langage tout opposé :
« L'institution du jury, telle qu’elle a été créée par la loi de 1835, a produit, disent-ils, des effets déplorables dans les études ; les mauvais résultats sont innombrables, on ne pourrait en citer un bon ; le jury a tué la science et la spontanéité du professeur ; les yeux fixés sur le cadre du jury, il ne doit point le dépasser, car alors l’élève refuse de le suivre.
« Il brise tout rapport, toute relation d'idée entre le professeur et l’élève et détruit l’influence du premier sur le second, car le dernier estime fort peu les opinions de son professeur si elles ne cadrent point avec celles de l’examinateur du jury ; bien plus, au professeur est souvent préféré le cahier de l’examinateur qu’on parvient à se procurer et qui passe de main en main. Les études sont réduites à des opérations de mémoire où l’intelligence n’a aucun rôle à jouer.
« Outre ces inconvénients, le jury est un mode très incertain d'appréciation des connaissances du récipiendaire. Les jeunes gens se présentent devant des hommes auxquels ils sont inconnus, qui ne savent rien de leur application, de leur aptitude ; ou leur pose une série de questions ; un mauvais élève peut, favorise par le hasard, y répondre parfois, tandis qu'un bon élève, maltraité par le même hasard, paralysé par la peur, échouera, alors que, devant ses professeurs, l'examen n'eût été qu'une simple formalité ; ces vices et bien d'autres ont fait universellement condamner cette institution. »
Après ces deux citations, dont l’une résume les griefs contre l'institution du jury central, tandis que dans l'autre on exposait la défense, l'honorable rapporteur conclut :
« Le jury centrai ne nous paraît pas avoir mérité : Ni cet excès d'honneur, ni celle indignité.
« Il a ses bons comme ses mauvais côtés, et il serait difficile de choisir a priori entre ce système et celui que le gouvernement veut y substituer : si l'un a plus de grandeur et d'unité, s'il met plus d'obstacle à l'esprit de coterie et a l'admission trop facile des élèves, l'autre a le mérite de créer des rapports plus intimes entre le professeur et l'élève, chose désirable, quoi que l'on puisse dire, il permet aussi de répartir d'une manière plus équitable la part d'influence qui revient à chaque établissement et d’abréger la durée beaucoup trop longue des sessions. »
Voilà donc, è-u réalité, comment la question s'est présentée devant cette Chambre à cette époque, et vous voyez que le rapport de la section centrale n'autorise pas à dire qu'on a fait justice alors du jury central.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Tel qu'il était organisé.
M. Van Humbeeck. - La réprobation était d'autant moins générale, que nous trouvons le jury central défendu, eu 1849, par une grande partie de ses justiciables.
Vous venez de voir que les élèves de l'université de Gand défendaient l'institution du jury central. Les Annales parlementaires de l'époque reproduisent une pétition des élèves de l'université de Bruxelles sur laquelle je me souviens d'avoir appose ma signature.
Dans cette pétition nous aussi, nous demandions le maintien du jury central. J'avais donc raison de dire que mon opinion remontait assez loin ; je me trouve aujourd'hui, comme membre de la Chambre, appelé à défendre devant vous des opinions que j'ai soutenues dans une pétition rédigée il y a onze ans.
Le système du jury central a été si peu condamné qu'en 1857 nous le trouvons proposé par le ministère à la tête duquel se trouvait l’honorable M. de Decker ; et si, à cette époque, le jury central a succombé, ce n'est pas qu’il n’eût plus trouvé de défenseurs.
C'est que dans la foule des systèmes qui s’étaient produits pour modifier l'économie de notre enseignement supérieur, la question d’organisation des jurys s'est trouvée en quelque sorte oubliée.
La loi de 1857, telle qu’elle a été promulguée, se ressent d'un remaniement systématique et mal conçu ; elle ne ressemble plus aux propositions qui avaient été soumises à la chambre par le ministère de l'époque.
On ne peut donc pas dire qu'il ait été fait justice définitive du jury central.
La révision de la décision pries est possible ; nous pouvons donc discuter les raisons qui doivent faire préférer aux jurys combinés ce jury central, trop décrié.
De la discussion de ces raisons sortira la véritable solution de la question qui nous occupe.
M. le ministre de l'intérieur dit qu'il y a aujourd'hui trop de récipiendaires pour en revenir au jury central, qu'un pareil jury devrait siéger pendant une trop grande partie de l'année.
Si mes renseignements sont exacts, aujourd'hui les sessions de jurys combinés durent 15 jours en moyenne pour chaque université.
On peut donc admettre en moyenne qu'un jury central siégerait pendant deux mois. Est-ce trop ? On ne peut pas dire que ce systèmes a pour effet de désorganiser les études ; on les désorganise bien un peu avec la méthode actuelle. Aujourd'hui vous n'avez pas seulement un membre pour chaque université, siégeant dans chacun de vos jurys ; mais vous retenez au jury pour chaque grade tous les professeurs ou au moins ceux des cours les plus importants.
La désorganisation serait moins grande avec mon système.
Et puis les professeurs dans le système actuel sont tous obligés de renoncer aux vacances que leur donnent les règlements académiques.
Avec le système que je propose et surtout par le roulement qui en fait partie, chaque professeur peut jouir de ses vacances à son tour ; et, vous le savez, quand un professeur comprend sa mission il trouve encore moyen d'utiliser ses vacances au profit de l'enseignement et de la science.
Nous n'avons pas dans ce système un nombre suffisant de jurés pour représenter toutes les matières, s'il faut en croire une objection qui m'a été faite.
J'ai avoué que dans la représentation nouvelle que je propose nous n'arrivions pas à éviter l'inégalité de la représentation des matières. Mais les matières les plus importantes seront représentées successivement par chaque établissement, ainsi l'inégalité frappera tour à tour chacun d'eux, c'est-à-dire qu'en pratique elle n'en frappera aucun.
D'ailleurs cet inconvénient, encore une fois, est moindre que celui de la permanence, résultat du système des jurys actuels.
Une dernière objection m a été faite par M. le ministre de l'intérieur et surtout par l'honorable M. de Boe qui y a consacré des développements éloquents.
D'après M. le ministre de l'intérieur et d'après l'honorable député d'Anvers, nous ne faisons pas une part suffisante aux études privées ; la part que nous leur faisons est dérisoire ; elles n'ont qu'une voix sur 5, tandis que dans le système actuel des jurys elles ont 5 voix sur 9.
Pour que cet argument eût une signification, il faudrait admettre que lorsque l'élève des études privées se présente devant le jury érigé à son intention, il se trouve non pas devant 9 juges, mais devant 5 amis et 4 adversaires.
Je l'ai dit en commençant, je ne crois pas que les élèves des universités puissent exiger d'être examinés par leurs professeurs ; c'est l'intérêt de la société qui doit être représente dans le jury, mais non l'intérêt des récipiendaires. On demande des garanties contre ceux-ci.
La représentation des quatre universités est basée sur la nécessité d'avoir dans les jurys une représentation des personnifications diverses de la science et de l'enseignement. Aux quatre éléments ainsi représentés, il s'en joint un cinquième, celui des études faites en dehors des établissements, des études privées.
Cet élément aura sa représentation dans le jury. Et il ne se tiendrait pas satisfait !
Je ne puis comprendre l'objection à moins qu'on n'arrive à dire : Tout savant qui professe dans les universités libres ou officielles est par cela seul suspect de partialité, chaque fois qu’il faut juger un récipiendaire qui n'a pas été puiser la science dans ces établissements publics.
C'est évidemment là une conséquence que nous ne pouvons pas admettre et que n'admet pas même, j'en suis convaincu, l'honorable auteur des objections que je réfute en ce moment.
Les études universitaires, pour se faire dans des conditions normales doivent se faire dans des établissements organisés.
Il faut des associations d'hommes pour pouvoir donner convenablement cet enseignement ; pour le recevoir convenablement il faut également des agrégations d'étudiants.
Les études supérieures faites individuellement constitueront toujours des exceptions, et jusqu'à un certain point des anomalies,
(page 390) Ces anomalies et ces exceptions sont respectables. Nous voulons qu'on les représente ; strictement elles ne peuvent même pas exiger cette représentation que nous leur accordons.
Tous ceux qui représentent la science, telle qu'elle s'enseigne dans les universités, pourront donner leur opinion sur les récipiendaires : ceux qui représentent la science telle qu'elle est acquise en dehors de ces établissements pourront égalent participer aux décisions à rendre dans un intérêt social.
On ne peut rien exiger de plus, cela est tellement vrai, que je défie l’honorable membre de me dire quelles conditions il exigera de ceux qui devraient, d'après lui, constituer la majorité au jury.
De cette majorité il n'exige qu'une condition négative : celle de ne pas être professeur d'un établissement organisé.
C'est là une condition d'exclusion.
Dans le jury combiné on se contente également de composer une minorité de professeurs des universités.
Dans la majorité, l'enseignement privé n’est pas représenté. Ce sont des citoyens étrangers à tout enseignement, soit privé, soit universitaire, qui forment cette majorité.
Or, l'examinateur réel, sérieux, c'est celui qui s'occupe d'enseignement»
L'objection de l'honorable membre tendrait ainsi pour les études privées à exclure ou à n'admettre qu'en minorité les véritables juges de la capacité scientifique. Cela est inadmissible.
Je crois avoir rencontré avec autant de brièveté qu'il m'était possible les objections qui ont été faites contre mon système.
Je ne crois pas beaucoup au succès immédiat de ma proposition ; mais je ne désespère pas de voir admettre dans l'avenir les principes sur lesquels elle repose, alors même qu'il m'aura fallu renoncer à les voir triompher dès ce moment.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ainsi que vient de le constater lui-même l'honorable auteur de l'amendement, ta Chambre ne semble pas lui faire espérer une forte adhésion à sa proposition.
Je crois que lui-même, je ne dirai pas en a fait justice, le mot n'a pas réussi, mais que lui-même reconnaît que sa proposition n'a pas de chance d'être adoptée par la Chambre.
Ce n'est pas à dire que cette discussion soit oiseuse ou que les développements dans lesquels l’honorable membre est entré manquent d'intérêt.
Il faut bien le dire, toutes les questions de l'enseignement de l'Etat combiné avec l'enseignement libre viennent se résoudre dans celle-ci : Comment composera-t-on le jury/ Qui nommera le jury ? Dans toutes les hypothèses, dans toutes les combinaisons il faut bien aboutir à un jury et c'est là, messieurs, que viennent se rencontrer toutes les difficultés.
S'il n'y avait pas de liberté d'enseignement en Belgique, nous n'aurions pas toutes ces discussions ; l'Etat réglerait la matière comme il le fait dans d'autres pays où la liberté d'enseignement n’existe pas ; mais ce sont précisément les scrupules de tous les partis en faveur de la liberté d'enseignement qui créent les difficultés qui nous assiègent chaque lois que nous touchons aux lois d'enseignement et à l'organisation du jury.
J'accorderais à l'honorable M. Dechamps la liberté la plus illimitée, qu'il ne serait pas plus avance.
Car, je ne vais pas jusqu'à supposer qu'il vienne un jour proposer un système qui consisterait à laisser toutes les professions entièrement libres, et dire à chacun : Faites ce que vous voudrez, la société n'a pas à se mêler de vous ; plaidez, traitez, médicamentez, vendez des remèdes, des poisons ; la société ne prendra aucune espèce de mesure préventive contre vous ; elle se bornera à punir, le cas échéant, les fautes que vous aurez commises. Je ne pense pas que tel puisse être le système de l'honorable préopinant.
Il a montré une tendance vers un autre système qui a été exposé par un de mes honorables collègues et amis ; c'est ce qu'on a appelé le jury professionnel, jury devant lequel aura à faire preuve de certaines connaissances, avant d'obtenir un diplôme, celui qui voudra exercer une fonction privilégiée dans la société. Eh bien, j'accorde en principe ce jury central professionnel ; mais ici surgit la question de savoir de quels éléments il sera composé et qui le nommera, et là encore nous rencontrerions probablement les difficultés qui se sont présentées à toutes les époques et dans tous les systèmes.
L'honorable préopinant vient d'exprimer ses regrets relativement au jury central ; il lui trouve des vertus particulières qui lui ont été refusées à d'autres époques, il en propose le rétablissement. Eh bien, je dois faire remarquer à l'honorable membre que je ne suis pas un adversaire absolu du jury central ; j'en suis si peu l'adversaire que j'en ai fait consacrer le principe dans la loi du 1849.
Il a été fait justice alors et avec raison de ce jury tel qu'il était organisé, car c'était un jury politique forme par la Chambre, une arme d'un parti contre un autre. Voilà le jury dont il a été fait justice en1849, et sous ce rapport il faut rendre hommage à la loyauté libérale.
Après avoir vu composer pendant plusieurs années ce jury sous l'influence de l’esprit de parti contre l'opinion libérale, c’était le moment pour cette opinion, redevenue majorité, de prendre sa revanche et de dire à l'opinion contraire : Je vais maintenant composer mon jury comme vous composiez le vôtre.
Voilà ce qu'eût pu faire alors l'opinion libérale si elle avait obéi à des sentiments, peut-être même à des intérêts de paru, comme elle avait le droit de le faire.
Mais elle n'agit pas ainsi ; elle ne fit pas un tel usage de la force qu'elle avait reconquise au sein du parlement et le premier acte qu'elle posa fut de dire : Nous refusons de continuer un système pareil ; plus de politique dans la composition des jurys.
C’est donc bien à tort que l'honorable M. Dechamps est venu nous parler, l'autre jour, du système centralisateur du gouvernement et de l'absorption des études et des sciences par la politique.
Mais que l’honorable auteur de la proposition veuille bien le remarquer, nous avons maintenu, à cette époque le jury central et il existe non seulement pour les études privées, mais pour tous les jeunes gens qui veulent se présenter devant lui, pour les élèves des universités comme pour ceux qui ont fait leurs études en dehors des universités. Pour tous ces jeunes gens, il y a à Bruxelles un jury central ; j'en dois faire l'observation à l'honorable M. Van Humbeeck qui regrette l'ancien jury central.
M. Van Humbeeck. - C'est un troisième jury.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Qu'importe ? Ce n'est pas moins un jury central institué à Bruxelles pour tous les élèves qui le préfèrent aux autres.
A côté de cela, il y a les jurys mixtes, les jurys combinés, pourquoi ? Parce qu'on a senti la nécessité d'abord de ne pas écraser un même jury sous une tâche qui, quoi qu'on en ait dit, devait lui peser démesurément ; c’est en second lieu et surtout parce qu'on a reconnu l'utilité, la nécessité de mettre l'élève en contact avec le professeur. Quand il n'y avait qu'un seul jury, il se présentait souvent de grandes difficultés pour l'élève : celui-ci se trouvait devant des juges qui lui étaient à fait étrangers ; quelques-uns même lui étaient nécessairement antipathiques, et dans cette situation, il n'était pas maître de son esprit, de ses idées, ni de ses réponses.
Aujourd'hui il a le choix, soit entre un jury ou il retrouve son professeur et un autre jury où il peut s'abriter contre son professeur, s'il a lieu de craindre quelque mauvais procédé de sa part, il y a donc, dans le système actuel, la plus grande liberté, la plus grande facilité pour les élèves ; il est impossible, sous ce rapport, que l'on parvienne à substituer au système actuel un système plus véritablement libéral.
Le jury mixte a ce grand avantage (outre celui de placer l'élève en présence de son professeur) d’être en quelque sorte une division du travail : on partage entre trois jurys un travail qui véritablement serait écrasant pour un seul.
En même temps que l'honorable membre demande le rétablissement d'un jury unique, il demande aussi l'accroissement du programme d'examen ; il veut ajouter de nouvelles matières à ce programme ; il veut de plus rétablir l'examen écrit devant ce jury central, et il croit que la besogne de ce jury central ne sera pas démesurément agrandie. C'est là évidemment une appréciation erronée.
Tout en combattant la proposition de l'honorable membre, je ne puis que m'applaudir de voir cette proposition comme toute autre se produire dans cette discussion. Alors même qu'elles sont étrangères à l'objet de la loi, ce sont des questions qui, à bon droit, intéressent le pays tout entier et la Chambre en particulier. Mais, en s'interrogeant consciencieusement et en se rendant compte à soi-même des défectuosités du régime actuel, je ne pense pas qu'il y ait dans cette Chambre beaucoup de membres qui puissent déclarer qu'ils tiennent en mains un meilleur système, système qu'ils soient prêts à développer et à mettre en pratique immédiatement.
Il est bon d’y réfléchir ; il est utile que les idées qui se produisent ici et ailleurs continuent de s'agiter dans le pays et se mûrissent jusqu'à (page 391) ce que nous puissions arriver à un système entièrement satisfaisant. Mais, messieurs, en cette matière comme en toute autre, je ne pense pas qu'il nous soit jamais donné de doter ile pays d'une loi parfaite. Nous devons, sous ce rapport, nous défendre contre un certain besoin de changement qui agite nécessairement tout pays libre, tout pays à discussion. Ainsi, nous remarquons que beaucoup de nos lois, qui d'ailleurs fonctionnent convenablement, à peine mises en vigueur, rencontrent de l'opposition soit dans la Chambre soit dans le pays, et qu'on demande de les modifier.
Eh bien, nous devons nous tenir en garde contre ce besoin incessant de changement. Sans doute il faut progresser ; le progrès doit rester en tête de notre programme à tous ; mais nous devons aussi conserver et ne pas soumettre notre législation à une instabilité continue. Il faut vivre avec les défauts des lois, comme on dit qu'il faut vivre avec les défauts de ses semblables.
Pour le moment, messieurs, la loi se borne à demander des choses très simples et sur lesquelles j'espère qu'on se mettra d'accord. La loi de 1857 n'est point parfaite ; elle renferme des défectuosités : de l'aveu et contre le gré même de ceux qui l'ont défendue ; il s'y est introduit des dispositions qu'ils ont condamnées alors et qu'ils condamnent encore aujourd'hui,
Malgré cela, nous demandons que l'expérience qui en est faite depuis 1857 continue encore pendant 2 ans. Et nous n'aurions pas occupé la Chambre de cette loi si elle n'avait pas renfermé une disposition qui exigeait qu'on la révisât dans une de ses parties, pour la composition des jurys.
A cette occasion, messieurs, nous avons demandé le rétablissement d'un régime qui se trouvait lui-même dans le système de la loi de 1857 tel qu'il avait été présenté par l'honorable M. de Decker.
L'honorable M. de Decker demandait l'examen d'élève universitaire, la constatation de la capacité de l'élève à la sortie de l'instruction moyenne. Cette partie de son projet ne fut pas adoptée ; en cela son système fut mutilé ; je demande le rétablissement de cette partie de son système, avec tous les corps compétents qui ont été consultés ; je le demande pour rétablir l'harmonie dans le régime général des études en Belgique.
L'examen intermédiaire n'existe pas seulement pour l'enseignement universitaire proprement dit, mais partout ; il y a un acheminement aux diverses branches de l'enseignement ; on demande à l'élève qu'il fasse preuve d'une certaine aptitude, d'une certaine capacité : à l'école militaire vous n'entrez pas d'emblée, vous avez à vous soumettre à un examen préalable ; l'école militaire ne recevrait pas un ignorant ; vous avez également l'examen préalable pour l'école du génie civil et pour l'école des mines, pour les écoles normales comme pour l'école vétérinaire et d'agriculture ; partout on impose un examen préalable, on constate la capacité de l'élève avant de le recevoir.
Je ne suis pas au courant de l'enseignement religieux proprement dit, je demanderai à ceux qui savent mieux que moi ce qui se passe dans les établissements religieux, si pour entrer du petit séminaire au grand séminaire il n'y a pas d'examen à subir ; je suis sûr qu'on ne reçoit personne d'emblée au grand séminaire.
M. de Haerne. - On n'est reçu dans aucune classe sans justifier de son aptitude.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Voilà pourquoi nous demandons dès à présent le rétablissement de cet examen qui sert à constater la capacité d'un jeune homme qui a terminé ses études moyennes.
Il y a là autre chose qu'une restriction, il y a là un avantage pour les parents et pour l'élève ; un grand nombre de jeunes gens achèvent leurs études moyennes ; tous ne deviennent pas élèves universitaires ; un grand nombre abandonnent la carrière littéraire et scientifique pour se livrer à l'industrie, au commerce ou au repos ; dans la société actuelle, à une époque où l'on recherche les distinctions, la plus justifiable est celle qui résulte de l'éducation, de l'instruction qu'un homme a pu acquérir. A la fin de sa carrière scolaire nous lui offrons le moyen de constater qu'il n'est pas un ignorant qu'il a fait ses études humanitaires, qu'il est instruit, capable de jouer un rôle important dans la société ; on lui donne le titre de gradué en lettres. Ce titre peut paraître futile, mais au point de vue des appréciations de la société, c'est quelque chose d'utile de créer un titre qui constate la capacité d'un jeune homme qui a passé une partie de son temps et consacré une partie de sa fortune à s'instruire.
S'il veut prendre ses grades académiques, il pourra, dit-on, être arrêté dès l'entrée, mais où est le mal ? Où est le grand danger d'arrêter un jeune homme à l'entrée de l'université, de l'empêcher de parcourir une carrière au bout de laquelle il ne trouvera que déception ? Le mal est bien plus grand quand cette précaution n'est pas prise. Si vous l'arrêtez au début de la carrière une fois, deux fois, trois fois, c'est qu'il n'est pas apte à la parcourir utilement ; si vous ne l'arrêtez pas, il entre à l'université.
Au bout de la première année vient le grade de candidat ; là il faut qu'il passe un examen ; il est arrêté ; il ne subit pas son examen, il est renvoyé à l'année suivante ; un an, deux ans se passent ; il subit l'examen de candidat, mais il doit devenir docteur ; pour le doctorat il y a deux et trois examens ;il faut qu'il passe successivement par ces épreuves très difficiles.
Si au début il n'a pas été suffisamment pourvu des connaissances nécessaires pour suivre utilement les cours universitaires, après avoir passé deux ans pour acquérir le grade de candidat, il va être exposé à manquer le grade de docteur : il aura passé cinq ou six ans à l'université, gêné sa famille par les dépenses qu'il lui aura occasionnées par sa présence à l'université, et arrivé au seuil du grade de docteur il devra renoncer à des études qui ne serviront qu'à lui faire apporter dans la société un esprit chagrin et mécontent.
Voilà des inconvénients bien plus graves quand ils s'appliquent aux grades de candidat et de docteur que quand ils se présentent à l'entrée de la carrière. Il faut donc supprimer tous les examens ou admettre celui dont je propose le rétablissement. On supprimerait tous les autres qu'il y aurait encore utilité à conserver celui-ci.
Quant à l'examen en lui-même, si l'on peut reprocher quelque chose au programme, c'est d'être trop facile, et sous ce rapport, pourquoi avons-nous proposé un programmé facile ? Afin de le rendre plus acceptable pour ces établissements dont on prétend que nous voulons étouffer la concurrence.
Ce ne sont pas les établissements de l'Etat, ce ne sont pas les professeurs des établissements de l'Etat, ce ne sont pas les études officielles qui se plaignent de la sévérité des épreuves, mais les établissements libres qui prétendent qu'on porte atteinte à la liberté d'enseignement en établissant des programmes trop sévères pour s'assurer si les élèves ont fait leurs études avec fruit. Si nous avons présenté un programme facile, c'est, je le répète, en vue des études libres ainsi appelées par un singulier abus de mots, car, pour le dire en passant, je ne connais pas en Belgique d'études libres, beaucoup d'établissements d'enseignement libre ; je connais des établissements officiels de l'Etat, de la province et de la commune, et des établissements du clergé.
Voilà ce qu'on appelle la liberté d'enseignement ; l'enseignement ecclésiastique. Quant aux études privées, elles forment la grande exception ; quant aux établissements laïques en dehors du gouvernement, ils forment aussi une grande exception. Ainsi quand on parle de liberté d'enseignement, d'établissements libres, il faut entendre enseignement du clergé, établissements du clergé. Je constate le fait pour établir la situation ; et je dis que c'est en vue des établissements du clergé que nous avions simplifié le programme de l'examen pour le grade d'élève universitaire.
J'espère que ce programme ne soulèvera plus les mêmes répugnances, la même opposition que par le passé. Dans l'enquête qui a eu lieu sur le rétablissement du grade d'élève universitaire, on a constaté que la répugnance des établissements ecclésiastiques venait surtout de la difficulté du programme, particulièrement en ce qui concerne les mathématiques dont l'étude n'est pas poussée aussi loin dans les établissement du clergé que dans les établissements officiels. Le projet de loi donne satisfaction à ce grief.
Je maintiens le projet dans sa simplicité. J'ai présenté quelques modifications de rédaction. Je prie M le président de vouloir en donner (page 392) lecture à mesure que les articles sur lesquels elles portent se présenteront.
- La discussion est close.
M. le président. - Je mets aux voix l'amendement de M. Van Humbeeck.
M. Orts. - Je demande la division.
M. le président. - Vous demandez que le principe soit d'abord mis aux voix.
« Des jurys siégeant à Bruxelles font les examens et délivrent les diplômes pour les grades académiques. »
M. Orts. - Oui, M. le président.
- Ce principe est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
M. le président. - M. Van Humbeeck, je crois que la suite de votre amendement tombe.
M. Van Humbeeck. - Le principe n'étant pas accepté, je n'insiste pas sur le reste de l'amendement.
- L'article premier, modifié comme le propose M. le ministre de l'intérieur, est mis aux voix et adopté.
La séance est levée à cinq heures.