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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 19 janvier 1861

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)

(page 367) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Snoy, secrétaire, fait l'appel nominal à une heure et un quart.

Il lit le procès-verbal delà séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Boe, secrétaire, présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Lefebvre, menuisier à Gentinnes, ancien combattant de 1830, demande la pension dont jouissent les blessés de septembre. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs officiers pensionnés demandent une loi qui mette le taux de leur pension en rapport avec le prix actuel des denrées alimentaires et autres objets de première nécessité ; qui prescrive la liquidation de leurs pensions d'après la durée réelle des services, et qui porte que l'augmentation du cinquième leur sera proportionnellement allouée par année du dernier grade d'activité. »

- Même renvoi.


« Les membres de l'administration communale de Huppaye demandent que la compagnie concessionnaire exécute le chemin de fer de Tamine à Landen avec embranchement de Perwez à Tirlemont par Jodoigne. »

« Même demande du conseil communal de Marilles. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Marcq demandent la construction simultanée des chemins de fer de Louvain à Bruxelles, de Hal à Ath et de Tournai à la frontière française, ou du moins l'exécution de la ligne de Hal à Ath avant celle de Louvain à Bruxelles. »

« Même demande d'habitants de Bievene, Vaux, Silly. »

- Même renvoi.


« Les sieurs Quenon, Letoret et autres régisseurs de charbonnages et industriels à Jemmapes, Hornu, Quaregnon, Wasmes, Dour, Elouges, Frameries, Boussu, Saint-Ghislain, demandent qu'il soit donné cours légal à la monnaie d'or de France. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi relative à la monnaie d'or.


« Des habitants de Lahamaide demandent que les deux métaux soient employés à la confection des monnaies belges ; qu'on batte de préférence celui des deux métaux qui est le plus abondant ; que le rapport légal soit conservé dans toute son intégrité et que l'or français soit admis sur le même pied que la France admet l'or belge.

« Même demande d'habitants de Helchin, Autryve, Bossuyt, Waermaerde, Gand, Sauvenière, Thielt, Fosses, Arlon. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Stekene demande que le concessionnaire d'un chemin de fer de Malines à Terneuzen soit tenu d'établir une station à l'endroit dit : les trois cheminées, territoire de Stekene-Kemseke. »

M. le président. - Je propose le renvoi de cette pièce à la commission des pétitions.

M. Van Overloop. - M. le président, déjà le renvoi avec demande de prompt rapport a été ordonné par la Chambre sur des pétitions analogues à celle des habitants de Stekene.

Je demande qu'on prie la commission des pétitions de faire également un prompt rapport sur la demande dont il s'agit en ce moment.

- Cette proposition est adoptée.


« M. le Ministre des finances transmet, en exécution de l'article 46 de la loi sur la comptabilité, les états sommaires des adjudications, contrats et marchés passés par les divers départements ministériels pendant l'année 1859. »

- Dépôt au bureau des renseignements.

Projet de loi relatif au grade d’élève universitaire

Discussion générale

.M. Dechamps. - Messieurs, le projet de loi actuel nous a été présenté à la fin de la session dernière. La lassitude de la Chambre, épuisée par de longs débats sur la suppression des octrois communaux, n'a pas permis aux sections, ni même à la section centrale, d'apporter à l'examen du projet de loi une attention assez approfondie et assez sérieuse, et l'honorable rapporteur, M. Devaux, a eu le tort de prendre l'absence de ce débat préliminaire provoquée par cette lassitude, pour une facile adhésion au principe même du projet.

Le ministère, selon moi, s'est placé dans une position illogique et fausse. Il fallait, ou bien proposer la prorogation pure et simple de la loi de 1857, ajournant toutes les questions essentielles, toutes les questions de principe qui se rattachent aux bases mêmes de notre système d'enseignement supérieur, ou bien, il fallait proposer la révision de la loi et un système définitif. Le maintien provisoire du statu quo de 1857 ou la révision de la loi, voilà les deux termes du dilemme que la logique indiquait.

Evidemment, le gouvernement en proposant le rétablissement du grade d'élève universitaire qui est l'une des questions de principe dont je parle, ouvrait une porte qui devait être bien vite élargie, et par laquelle tous les systèmes se croiraient le droit de passer.

Pourquoi le gouvernement et la section centrale ont-ils demandé de prolonger l'expérience du système des jurys combinés et du système des certificats ? Méconnaissent-ils les imperfections et les inconvénients de ce système ? Non ! Mais ils prétendent avec raison, selon moi, que ce sont là des questions qui ne peuvent être isolées, qu'on n'y peut toucher par un côté sans devoir y toucher en même temps par tous les autres et sans être entraîné à refondre notre législation tout entière sur l'enseignement supérieur, que la législature n'est pas assez préparée pour entreprendre une pareille œuvre, que les opinions sont trop divisées et qu'il faut attendre qu'une plus longue expérience ait parlé.

Voilà les motifs sur lesquels s'appuient le gouvernement et la section centrale pour demander l'ajournement de tout projet de révision de la loi de 1857.

Eh bien, messieurs, c'est exactement au nom des mêmes raisons que je demande, à mon tour, l'ajournement de la question relative au grade d'élève universitaire.

L'expérience que l'on invoque, l'expérience depuis la suppression de ce grade, due, en 1855, à l'initiative parlementaire, admise sur la motion d'un des chefs de l'opinion libérale, M. Verhaegen, et adoptée après l'épreuve de deux votes successifs...

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Sans discussion.

.M. Dechamps. - Pardonnez-moi, il y a eu discussion ; il y a eu une discussion plus sérieuse qu'en 1849 quand on a adopté ce système sans aucun débat, et sous l'empire des préoccupations extérieures. Je disais donc que l'expérience que l'on invoque, est très loin, à mes yeux, d'être décisive en faveur du système du projet de loi.

Vous le contestez ; mais l'honorable M. Van Humbeeck et ses amis, signataires de l'amendement que nous discutons, contestent aussi que l'expérience ne soit pas décisive contre le système des jurys combinés et des certificats. L'expérience que vous invoquez en faveur du rétablisssement du grade d'élève universitaire, vos amis politiques l'invoquent contre le système de la loi de 1857 que vous voulez maintenir ; les opinions sur les deux questions sont donc divisées, et l'expérience est au moins douteuse.

Mais je veux m'appuyer sur un motif d'opposition plus péremptoire encore et sur lequel j'insiste : le jury pour les humanités, le grade d'élève universitaire, fait partie intégrante de notre système général de jurys d'examens qui sera soumis à une prochaine révision ; c'est une pièce nouvelle qu'on veut introduire dans cette machine, permettez-moi le mot, dans cette machine pneumatique qu'on appelle les jurys d'examen, qui, dans ma conviction (je le démontrerai tout à l'heure), a pour effet d'étouffer la liberté et la science et dont ne veut plus, dès aujourd'hui, une partie considérable de l'opinion, une partie influente de l'enseignement, des universités et des deux opinions qui divisent cette Chambre.

J'ai la conviction que, lorsqu'il s'agira de réviser la loi d'ici à trois années, j'ai la conviction que, pour trouver une issue aux difficultés dans lesquelles nous nous débattons, on en viendra à accorder aux universités le droit de conférer les grades, soit d'après la formule simple, nette et catégorique proposée en 1857 par M. Orts et que je préfère ; (page 368) soit d'après la formule adoptée par l'université de Liège et développée à cette tribune, par M. le ministre des finances, l'honorable M. Frère Orban, et qui couronne les examens scientifiques laissés aux universités par un examen final et professionnel.

On n'est pas encore d'accord sur la formule définitive à adopter ; mais on est d'accord sur le principe, et ce principe consacrera l'émancipation des universités et de la liberté des hautes études.

Or, messieurs, consentez à admettre pour un moment, par simple supposition, que lorsqu'on révisera la loi ce principe soit adopté ; que l'on supprime les jurys ou que, du moins, on ne conserve plus que le jury professionnel ; eh bien, il est évident que vous serez forcés de supprimer, en même temps, le jury pour le grade d'élève universitaire, déjà aboli en 1855 et que vous auriez rétabli prématurément.

Il est clair que vous ne pourriez pas conserver pour l'enseignement moyen un système que nous aurions déclaré mauvais pour l'enseignement supérieur. Au lieu de placer l'examen en dehors des universités comme aujourd'hui, on le laisserait dans l'école, selon l'expression très juste employée par l'honorable M. Frère, nous le laisserions dans l'école moyenne comme dans les universités.

Si donc le principe qui restituera aux universités la collation des grades est admis, évidemment la suppression du grade d'élève universitaire en sera la conséquence.

Tous ceux, messieurs, qui croient, et ils sont nombreux, que la seule mission légitime du gouvernement, en supposant, toutefois, que la Belgique n'ose jamais admettre la liberté des professions libérales comme elle existe aux Etats-Unis et jusqu'à un certain point en Angleterre, tous ceux qui croient que la seule mission légitime du gouvernement est de s'assurer de la capacité des jeunes gens qui se destinent aux carrières libérales, tous ceux qui pensent que le gouvernement n'a nulle mission, nulle aptitude pour réglementer la libre science, pour administrer les libres méthodes, pour apposer l'estampille et l'étalon officiels sur les libres études, pour courber l'enseignement, qui vit de spontanéité, sous le niveau du programme uniforme des jurys d'examen, ceux qui pensent que sous ce niveau et dans cette servitude la liberté périt, la science manque d'air, les méthodes se rouillent et vieillissent, le niveau des études s'abaisse immanquablement ; tous ceux qui pensent ainsi, ne peuvent, sans tomber dans une contradiction flagrante, accepter le rétablissement du grade d'élève universitaire ; ils ne peuvent vouloir étendre à l'enseignement moyen un système qu'ils condamnent pour l'enseignement supérieur, et fortifier aujourd'hui ce qu'ils se promettent de détruire demain.

Pour moi, je repousse l'article 2 du projet, parce que c'est une aggravation d'un système que, depuis près de vingt ans, j'ai combattu à cette tribune et parce que ce régime est nuisible et funeste au développement de l'esprit littéraire et scientifique et au progrès des études.

En 1835, et je vais ici au-devant d'une objection à caractère personnel qui pourrait m'être faite et à laquelle je n'attache dès lors qu'une médiocre importance, en 1835, comme rapporteur de la loi, j'ai pris part à l'organisation des jurys tels qu'ils ont été institués à cette époque ; mais veuillez remarquer, messieurs, que ces jurys étaient une nécessité à laquelle il était impossible d'échapper.

Les universités libres n'existaient pas ou venaient à peine de naître ; On ne pouvait songer à leur conférer le droit de collation des grades scientifiques, et à leur donner ce témoignage de confiance publique qu'elles n'avaient pu encore mériter par leur durée et par leur succès.

On ne pouvait pas plus conserver le monopole de cette collation des grades aux universités de l'Etat, en présence de la Constitution. Le jury d'examen était donc alors regardé avec raison comme la conséquence nécessaire de la liberté d'enseignement ; nous avons tous considéré comme le salut de la liberté de l'enseignement ce qui devait plus tard en devenir le péril.

Mais depuis cette époque la législature s'est constamment débattue dans les impossibilités de ce système, essayant de dix réformes sans cesse avortées, bâtissant du provisoire sur du provisoire, tombant des jurys parlementaires dans les jurys ministériels, du jury central dans les jurys combinés, des examens concentrés et surchargés de 1835 et de 1849, dans des examens divisés et peut-être trop affaiblis.

Le seul résultat sur lequel il y a unanimité sur presque tous les bancs de la Chambre, c'est de proclamer que sous l'empire de tous les systèmes essayés, le niveau des études s'est invariablement abaissé.

- Plusieurs membres. - Du tout.

.M. Dechamps. - Cette plainte a retenti dans la plupart des discours prononcés dans les diverses discussions que ce sujet a soulevées. Je sais bien que cette décadence tient à des causes générales que l'honorable comte de Theux rappelait dans une séance précédente, et que ces causes générales atteignent tous les pays autant et plus peut-être que la Belgique. Cependant je n'en reste pas moins convaincu que notre système d'examens et l'institution des jurys existants ont contribué, dans une mesure plus grande qu'on ne le pense, à ce résultat qu'on s'accorde à déplorer.

Voilà la vingtième fois, messieurs, que nous ouvrons une discussion dans cette Chambre sur les jurys d'examen et sur l'enseignement supérieur.

Cette discussion n'aboutira pas plus que toutes les autres, et pourquoi ? Parce que nous tournons dans un cercle vicieux. Nous nous obstinons à tenter d'améliorer l'institution du jury, tandis que le mal, c'est le jury lui-même.

Cette institution succombe sous deux vices originels. C'était un jury politique, quand la nomination en était réservée aux Chambres et au pouvoir exécutif. Il est resté à fortiori un jury politique, depuis qu'il est nommé par le pouvoir ministériel. (Interruption.) L'usage que le gouvernement a fait de ce pouvoir a pu être modéré et impartial ; je reconnais qu'il l'a été ; mais il n'en résulte pas moins qu'en principe un jury politique ne peut pas être un jury impartial. C'est une menace constante suspendue sur la liberté d'enseignement.

M. Devaux. - N'y a-t-il pas de garanties dans sa composition ?

.M. Dechamps. - Je reconnais qu'on a admis certaines garanties dans sa composition, mais ces garanties sont administratives, les jurys combinés ne sont pas écrits dans la loi, la composition des jurys est réservée au gouvernement, grand maître lui-même des universités de l'Etat.

Or, je dis que par essence un jury nommé par les Chambres ou un jury nommé par le pouvoir ministériel est un jury politique, et que ce jury en principe ne peut être impartial.

Messieurs, le premier vice du jury tel que nous le possédons, c'est d'avoir été et d'être un jury politique.

M. de Brouckere. - Non.

.M. Dechamps. - Le second vice originel, c'est d'être un jury scientifique au lieu d'être un jury professionnel, imposant son programme à l'enseignement supérieur du pays, devenant ainsi le seul régulateur de la science, le conseil suprême des hautes études, et comme j'ai déjà eu occasion de le dire, le gouvernement de l'instruction supérieure, et si vous y ajoutez le grade d'élève universitaire, le gouvernement de l'enseignement moyen.

Messieurs, un jury scientifique est aussi incompatible avec la liberté de la science, avec la liberté des méthodes et des études, qu'un jury politique est incompatible avec la liberté d'enseignement.

Le remède à ce mal, le seul, c'est l'émancipation des universités, c'est leur indépendance, naturellement sous la surveillance constitutionnelle de l’Etat, au point de vue de la discipline, au point de vue de la liberté de conscience de l'élève dont il est le gardien, au point de vue du vœu des familles dont il est le représentant ; c'est donc de leur rendre leur indépendance, leur autonomie, c'est d'en faire des corporations, des cités scientifiques comme le sont les universités de l'Allemagne et de l'Angleterre.

Si vous voulez que le niveau des études se relève, que l'esprit scientifique et littéraire se développe, que le progrès intellectuel s'effectue, il faut laisser aux méthodes leur liberté, aux professeurs leur spontanéité, aux études leur indépendance et leur largeur, aux élèves leurs vocations scientifiques dont on les détourne, et aux familles leur sécurité.

Heureusement, messieurs, l'opinion que j'exprime n'est pas une opinion de parti ; depuis longtemps déjà la question des jurys universitaires est sortie, grâce au ciel, du domaine des partis.

Le système dont je défends aujourd'hui le principe, a été exposé il y a plusieurs années, dans une publication remarquable, par un professeur de l'université de Liège, M. Spring.

L'université de Liége, vous le savez, s'est ralliée à cette réforme. L'honorable M. Frère-Orban a développé ce système dans un discours dont vous avez gardé le souvenir.

L'un de nos collègues qui me pardonnera de violer l'anonymie sous laquelle il s'est caché, M. Grandgagnage a soutenu la même opinion dans un écrit que vous avez entre les mains.

M. Orts, dans la même discussion, a proposé plus nettement encore de confier aux quatre universités du pays le pouvoir de délivrer les diplômes et les grades, en prenant des garanties en faveur des études privées.

C'est la formule la plus simple et qui soulèverait le moins d'objections sérieuses et de difficultés.

(page 369) M. Orts. - Cela n'empêche pas que je suis resté tout seul pour le défendre.

.M. Dechamps. - Vous vous trompez ; plusieurs fois M. de Theux et mi avons exprimé une opinion favorable à votre système, et votre reproche doit s’adresser plutôt à vos amis.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le système de M. Orts n'est pas celui de M. Frère-Orban.

.M. Dechamps. - Le système de M. Orts et celui de M. Frère-Orban sont des formules différentes d'un même principe : donner aux universités, d'après M. Orts la collation de tous les grades, d'après M. Frère-Orban, la collation des grades scientifiques, en réservant les grades professionnels pour le jury final. Au fond le but des deux projets est le même, c'est de consacrer l'émancipation des université» et de les soustraire à la tutelle des jurys.

Messieurs, si des bancs de la majorité ministérielle, je jette les yeux de ce côté-ci de la Chambre, je rencontre des autorités non moins influentes à citer.

Le premier qui a formulé ce principe, c'est une notabilité de la droite, M. Dubus aîné, dans son rapport de 1842. En 1842, l'un des hommes les plus distingués dont la Belgique s'honore, M. Nothomb, s'est rallié à ce système comme ministre de l'intérieur. L'honorable comte de Theux, dont je n'ai pas besoin de dire l'influence dans cette Chambre, a plusieurs fois exprimé l'opinion que c'était dans cette direction que la solution des difficultés se trouvait. L'honorable M. de la Coste avait présenté, en 1857, un amendement qui tendait vers ce but. Mon spirituel ami, M. Coomans, partage cette opinion, et l'honorable comte de Liedekerke y a donné, en 1849, l'appui de sa chaleureuse parole.

Comptez ces noms, pesez-en la valeur et l'influence et dites-moi si l'accord est loin d'être fait. Jamais terrain parlementaire n'a été mieux préparé pour une facile solution.

Le jour où un ministre de l'intérieur arborera le drapeau de cette réforme, je suis convaincu qu'il ralliera autour de lui une de ces majorités imposantes, qui font des lois durables.

Maintenant si je sors du parlement, je vois le même mouvement, dirigé vers le même but. Je viens de parler de l'université de Liège qui depuis longtemps a proclamé la nécessité de cette réforme, au nom de la liberté et de la science.

Au fond, l'université de Gand adopte le même principe, mais en se laissant arrêter par une difficulté peu sérieuse.

En 1852, l'université de Gand, de concert avec le conseil de perfectionnement de l'enseignement supérieur, a demandé la restitution aux universités du droit de conférer les grades ; c'est le principe que veut faire triompher l'université de Liège ; seulement, l'université de Gand et le conseil de perfectionnement, se laissant dominer par une idée peu libérale et peu généreuse, n'ont pas osé encore, ont hésité à admettre la participation au bénéfice de ce pouvoir, des universités libres qui sont nées de la Constitution comme les universités officielles sont nées de la loi, qui sont, par la durée et le succès, les égales, pour ne rien dire de plus, des universités de l'Etat, qu'une existence de vingt-cinq ans et une éclatante prospérité ont fait entrer dans ces faits consacrés par le temps et que le gouvernement peut et doit accepter.

Que l'université de Gand abandonne cette objection vieillie relative à la reconnaissance légale des universités libres et qui a été combattue, dans cette Chambre, par les voix tes plus autorisées de l'opinion libérale, par M. Orts, M. d'Elhoungne, M. Verhaegen et M. de Brouckere, qu'elle abandonne cette objection et l'accord est fait, la question est résolue. Ce qui retarde la solution de cette question, c'est cette difficulté, très peu importante au fond, que les faits et le temps ont détruite, et qui sépare encore l'université de Gand et celle de Liège. Que l'on admette en Belgique, où la liberté d'enseignement a été proclamée plus entière qu'ailleurs, qu'on y admette le principe que l'Angleterre a si facilement reconnu, sous le nom de charte d'incorporation, le principe d'après lequel les universités libres ont, pour exister, un autre droit qu'une simple tolérance, et toutes les difficultés auront disparu.

M. Devaux. - Est-ce qu'il n'y en a pas d'autres ?

.M. Dechamps. - Je n'en connais pas. Quand je vois que sur vos bancs, comme sur les nôtres, les voix les plus influentes ont combattu cette objection, je puis dire que cette difficulté n'existe plus, que c'est un fantôme devant lequel je ne sais plus pourquoi on recule.

Messieurs, pour les universités libres, il est évitent qu'elles ont un intérêt trop grand au triomphe des libertés larges dont elles sont nées et dont elles vivent, pour douter un moment de leur adhésion.

Vous voyez donc, messieurs, que dans les deux Chambres, dans les deux partis qui composent les Chambres, en dehors des Chambres, dans l'enseignement et dans les universités, dans l'opinion et dans la presse, c'est évidemment vers ce but que sa porte le mouvement des esprits.

On n'est pris encore d'accord sur la formule. Mais, je le répète, on est d'accord au moins sur le principe qui doit consacrer l'émancipation et la liberté de l'enseignement supérieur.

Je conseille à M. le ministre de l'intérieur d'étudier attentivement ces faits et ces tendances ; qu'il prenne l'initiative d'une pareille réforme dont il trouvera la formule plus facilement que tout autre, et il aura posé un des actes de son administration auxquels il aura attaché son nom avec le plus d'honneur.

Messieurs, au point de vue où je me trouve placé, vous comprenez facilement que la question de préférence à accorder au jury central ou au jury combiné, est pour moi chose accessoire et d'une facile solution. Comme le système à adopter aujourd'hui ne peut être que provisoire à mes yeux, j'aime mieux le provisoire existant qu'un provisoire nouveau, improvisé et destiné à jeter une nouvelle perturbation dans les études supérieures, trop de fois bouleversées depuis 25 ans. Je ne suis pas émerveillé des jurys combinés, je connais les objections qu'on peut y opposer, mais j'avoue que je suis moins encore émerveillé du jury central, dont nous avons fait une très longue expérience qui, selon moi, l'a suffisamment condamné.

Messieurs, je vous dirai, en quelques mots qui résument ma pensée, parce que je comprends que j'ai été déjà trop long et que je dois abréger.....

- Plusieurs voix. - Non ! non !

.M. Dechamps. - Je vous dirai en peu de mots les trois raisons pour lesquelles je préfère le jury combiné au jury central. D'abord parce qu'il existe ; en second lieu, parce qu'il constitue, selon moi, un plus facile acheminement vers la réforme que je désire ; en troisième lieu, parce qu'il donne évidemment plus de garanties d'impartialité que le jury central, dans lequel il est d'abord très difficile de faire représenter toutes les matières à la fois, et ensuite parce qu'une coalition écrasante de trois universités contre une peut toujours et à toute heure s'y former.

Quant aux certificats, je les ai défendus en 1857 et je les défendrai encore au besoin aujourd'hui, en attendant toutefois qu'on nous débarrasse des certificats comme de tout le reste, par l'adoption du système définitif que je crois le meilleur.

S'il est une question, s'il est un fait hors de cause, c'est la nécessité reconnue par toutes les autorités d'amener la simplification des matières d'examen.

Dès 1838, l'honorable comte de Theux, alors ministre de l'intérieur, signalait l'extension démesurée donnée aux matières d'examen comme le vice radical de la loi de 1835. En 1842 la section centrale dont l'honorable M. Dubus était le rapporteur, a proposé un système de division des examens, de manière à amener cette simplification désirée.

En 1852, le ministère dont l'honorable M. de Brouckere était le chef, a institué deux grandes commissions spéciales ; l'une était formée de tous les présidents des jurys, l'autre se composait des présidents des jurys et des professeurs des universités, et ces deux commissions, à l'unanimité, ont proposé au gouvernement, comme la réforme la plus urgente, la simplification des examens. Le ministère de l'honorable M. de Brouckere a proposé à la Chambre un projet de loi destiné à atteindre ce but, par la division des examens en matières principales et en matières accessoires, réservant les premières pour l'examen oral, et les secondes pour l'examen écrit.

C'est au fond le même principe que celui qui a triomphé en 1857 par le système des certificats.

- Une voix. - Non ! non !

M. de Brouckere. - C'est la même pensée.

.M. Dechamps. - C'est, comme le dit l'honorable M. De Brouckere, la même pensée, mais réalisée d'une autre manière.

Eh bien, messieurs, si j'étais en présence d'un amendement qui aurait pour but d'empêcher la renaissance de ce grave abus des examens surchargés et exagérés, par un autre mode que les certificats, j'aurais à examiner ; mais l'honorable M. Van Humbeeck et les auteurs de l'amendement ne proposent ni la manière de simplifier les examens de 1842, ni le système de 1852, ni celui de 1857. Ils reviennent au programme de 1835 ou de 1849, c'est-à-dire à ce programme qui a été condamné par une longue expérience, par toutes les autorités scientifiques et par tous les ministères qui se sont succédé depuis cette époque.

Je vous ai dit, messieurs, par quelle raison principale et dominante, je m'opposais au rétablissement du grade d’élève universitaire que je considère comme aggravation d'un système que j'ai depuis longtemps combattu et que je repousse parce qu'il fait partie intégrante du (page 370) système général des jurys qui doit être prochainement révisé. Le gouvernement demande l'ajournement des questions relatives à la composition des jurys et aux certificats jusqu'à cette révision. Je demande aussi qu'on ajourne jusqu'à cette époque la question relative au grade d'élève universitaire avec tout le système dont il fait partie. Je crois que je suis dans la logique.

Messieurs, je désire soumettre à la Chambre un autre argument qui me paraît plus péremptoire encore, et qui, j'espère, fera sur vos esprits la même impression que sur le mien.

Je comprendrais que dans un pays où il n'y a pas d'enseignement de l'Etat ou peu d'enseignement de l'Etat, comme l'Angleterre ou les Etats-Unis, je comprendrais que le gouvernement crût utile ou nécessaire, en absence d'un enseignement public, de s'armer de ce puissant moyen de contrôle sur l'enseignement libre, qu'on appelle les examens et les jurys.

Or, il arrive que c'est précisément en Angleterre et aux Etats-Unis, où l'enseignement de l'Etat n'existe pas ou existe peu, où l'Etat est désarmé, que c'est dans ces pays de liberté politique, où ces moyens de surveillance sur l'enseignement libre ont été abandonnés, et où l'on est allé jusqu'à la liberté presque entière des professions libérales.

Aux Etats-Unis, vous savez qu'on n'a pas reculé devant cette hardiesse. En Angleterre, l'honorable M. de Boe vous l'a rappelé dans une précédente séance, en Angleterre, il n'y a pas d'enseignement de l'Etat, ce sont les universités d'Oxford, de Cambridge et celle de Londres, qui a reçu sa charte d'incorporation, qui confèrent les grades, en dehors de toute action gouvernementale.

Pour un partisan de la centralisation en fait d'enseignement, cette situation devrait paraître effrayante : et cependant trouvez-vous que l'Angleterre et les Etats-Unis soient placés au bas de l'échelle de la civilisation, de la vie politique, de la vie industrielle et des institutions libérales ? En Allemagne, pays dont on a beaucoup parlé, il y a un enseignement de l'Etat ; les universités en Allemagne sont rattachées, il est vrai, au gouvernement par plus de liens que les universités anglaises ; mais, au fond, les universités allemandes jouissent d'une grande indépendance ; ce sont de véritables corporations scientifiques, et elles ont conservé le droit de conférer directement les grades scientifiques. Le gouvernement ne s'est réservé que les examens d'Etat et l'examen professionnel.

L'honorable M. de Boe, en nous parlant de l'Angleterre et de l'Allemagne, a prétendu qu'en Angleterre il y avait un grand mouvement vers les idées qu'il défend, il a rappelé que le chiffre de l'allocation au budget pour l'enseignement public s'élevait à un million et plus de livres sterling. Cela est vrai, mais l'honorable député d'Anvers a publié de dire que ce million de livres n'était pas destiné à subvenir à un grand établissement universitaire de l'Etat, mais à accorder des subsides aux cultes, aux associations, aux sociétés libres, aux efforts privés et aux particuliers.

Il nous a dit qu'en Angleterre on avait reconnu la nécessité d'instituer un examen d'entrée aux universités, qui correspond au grade d'élève universitaire chez nous. Mais, messieurs, l'honorable abbé de Haerne l'a déjà fait remarquer hier, l'honorable député d'Anvers a oublié d'ajouter que si des avis en ce sens ont été émis dans des enquêtes (et vous savez qu'en Angleterre il y a des enquêtes constantes en tout et pour tout), si l'on a donné ces avis et ces conseils, dis-je, il n'y a pas eu de loi, en Angleterre, qui ait prescrit les examens d'entrée aux universités et créé des jurys officiels. Or c'est précisément la question dont il s'agit dans ce débat.

En Belgique, messieurs, nous avons cumulé les deux moyens d'action gouvernementale ; l'action directe que donne l'organisation d'un grand enseignement public à tous les degrés ; et l'action indirecte par le contrôle, par la surveillance exercée sur l'enseignement libre, par le moyen des examens et des jurys.

Messieurs, au Congrès national de 1831, le vénérable baron de Sécus père, lorsqu'on a discuté la question de la liberté de l'enseignement, a cru un moment pouvoir proposer, comme transaction, une surveillance exercée sur l'enseignement libre ; mais il ne voulait accorder ce droit de surveillance sur l'enseignement libre qu'à des corps électifs, c'est-à-dire aux communes et aux provinces.

Eh bien, messieurs, le Congrès s'est soulevé contre cette proposition, qui a été retirée par son auteur et repoussée par le Congrès. Et cependant, allez au fond des choses et dites-moi ce qu'était cette idée d'une telle surveillance timide, exercée par des corps électifs sur l'enseignement privé, en regard de ce contrôle puissant que le gouvernement exerce, par le moyen des jurys qu'il nomme, sur l'enseignement supérieur tout entier, et, si vous rétablissez le grade d'élève universitaire, sur tout l'enseignement moyen.

Bien certainement, si l'on avait proposé au Congrès une pareille institution armée d'une pareille puissance, il n'y aurait pas eu une seule voix pour la soutenir.

Messieurs, nous sommes entrés, en Belgique, dans le courant des idées françaises, des idées de centralisation qui dominent en France, et nous y marchons de jour en jour plus avant.

- Plusieurs voix. - C'est cela.

.M. Dechamps. - Je ne sais pas si la centralisation en France a beaucoup contribué, ce dont je doute, à faire du peuple français le peuple le plus spirituel de la terre, mais ce que je sais bien, c'est qu'elle en a fait l'un des peuples le plus incapables de liberté. (Interruption.)

M. de Theux. - C'est très vrai. .

.M. Dechamps. - Messieurs, nous avons, en Belgique, un vaste enseignement public donné aux frais de l'Etat. Je suis dispensé d'entrer dans des détails : M. le ministre de l'intérieur, lorsqu'on a discuté récemment la question des ateliers d'apprentissage, vous a décrit l'ensemble de ce système, vous a complaisamment donné le plan de cet édifice universitaire, en vous en indiquant les vastes proportions.

L'enseignement primaire, chez nous, et l'enseignement moyen sont au moins aussi fortement organisés en Belgique qu'ils le sont en France et en Allemagne. Je dis même que nous avons été plus loin que la France en matière d'enseignement secondaire.

Ainsi, en France, il n'y a qu'un lycée de plein exercice pour deux départements ; tandis qu'en Belgique, d'après la loi de 1850, nous avons dix athénées pour neuf provinces. Sous le rapport de l'enseignement supérieur, il est évident que l’enseignement donné par nos deux universités de l'Etat, à côté des deux universités libres, est bien plus centralisé qu'il ne l'est en France, fractionné, disséminé comme il l'est dans les facultés qui y sont organisées séparément. Mais, messieurs, à côté de notre enseignement public à tous les degrés, on a placé un enseignement industriel à tous les degrés, et qui, comme l'a rappelé l'honorable M. Rogier, s'élève des ateliers d'apprentissage que l'on prétend étendre à toutes les provinces et qui forment les écoles primaires de l'enseignement industriel, pour aboutir, en passant par la section professionnelle de nos athénées et par nos écoles moyennes, aux écoles polytechniques du génie civil et des mines de Liège et de Gand.

L'enseignement agricole est déjà presque complètement organisé : nous avons de nombreuses écoles agricoles qui vont aboutir à l'école vétérinaire et à l'école centrale de Gembloux. Nous avons l'enseignement militaire avec ses écoles régimentaires et son école militaire à Bruxelles, nous avons des écoles de navigation ; et M. le ministre de l'intérieur nous a parlé de l’enseignement normal et artistique, en se promettant d'y apporter une surveillance et une direction qui y manque, c'est-à-dire en y introduisant en plus la main et l'action du gouvernement.

Messieurs, je ne veux pas refaire le discours de M. le ministre de l'intérieur, il est encore présent à vos esprits, mais vous me permettrez de laisser parler quelques chiffres très éloquents et qui démontreront à quel degré de centralisation nous sommes parvenus.

Je prends le budget de l'enseignement public de 1860, en Belgique et dans les pays qui nous environnent, la France, la Hollande, l'Angleterre. Pour l'enseignement supérieur, le chiffre de notre budget s'élève à 992 mille francs pour les deux universités.

En France, pour l'école normale, l'administration académique et les subventions à l'enseignement supérieur, le chiffre s'élève à 2 millions, je prends des chiffres ronds ; en Hollande, pour trois universités, au lieu de deux, pour les universités de Leyde, d'Utrecht et de Groeningen, l'allocation n'est que de 550 mille francs ; en Angleterre le gouvernement n'intervient pas dans les dépenses des universités de Cambridge et d'Oxford ; l'université de Londres, l'université d'Ecosse et l'université de la Reine en Irlande figurent au budget anglais pour une subvention totale de 340 mille fr. ; c'est-à-dire que le budget de l'enseignement supérieur en Belgique est de la moitié du budget français pour une population huit fois moins considérable ; il est double du budget hollandais et triple du budget de l’Angleterre.

Trouvez-vous que cette centralisation ne soit pas excessive ?

Pour l'enseignement moyen, le chiffre du budget en Belgique est de 934 mille francs ; le chiffre du budget français pour l'enseignement moyen, y compris le Collège de France et les frais généraux, ne s'élève qu'à 1,840 mille francs ; le budget hollandais pour les subsides accordés à l'enseignement moyen et à l'athénée de Maestricht, est fixé au chiffre de 141,500 fr.

(page 371) En Angleterre pour les subsides donnés au collège de Maynooth et aux collèges de la Reine en Irlande, les allocations ne dépassent guère, je pense, la somme de 200,000 francs Notre budget belge pour l'enseignement secondaire s'élève donc à la moitié du budget de la France ; il est sept fois plus considérable que le budget hollandais, et dépasse cinq fois le budget de l'Angleterre.

Sous le gouvernement des Pays-Bas qu'on a appelé un gouvernement de centralisation et de monopole en fait d'enseignement, alors que l'enseignement public n'avait pas même la concurrence de l'enseignement libre, savez-vous à quel chiffre s'élevait le budget de l'enseignement moyen pour le royaume des Pays-Bas tout entier ? A 50 mille fr., au lieu d'un million qu'il est aujourd'hui pour les seules provinces méridionales de l'ancien royaume.

Messieurs, si la centralisation est un bien, si la centralisation poussée à cette exagération doit provoquer le progrès des études et le développement intellectuel du pays, à coup sûr nous sommes le pays le plus avancé de la terre ; mais si au contraire la centralisation, dans ces termes, est un mal funeste qui exerce, comme tant de bons esprits le pensent, une influence pernicieuse et morbide sur la science, sur la vie intellectuelle et politique d'une nation, je crains que nous ne reculions vers cette civilisation de la Chine, où cette centralisation triomphe depuis des siècles et dont nous a menacés un jour l'honorable M. Frère. (Interruption.)

Le mot n'est pas de moi, il est du ministre des finances.

M. Coomans. - Il est bon !

.M. Dechamps. - Messieurs, je ne veux tomber dans aucune exagération ; je sais que nous ne pouvons pas nous débarrasser en un jour des antécédents, des traditions françaises qui nous enveloppent ; je ne veux pas prétendre que les mœurs anglaises et les mœurs américaines soient absolument les nôtres, mais à coup sûr nous sommes le pays du continent qui nous en approchons le plus ; ce que je veux dire et conseiller, c'est qu'il est temps de nous arrêter sur cette pente glissante de la centralisation qui a tant contribué en France, comme le proclament les grands écrivains de ce pays, à y faire perdre jusqu'au goût de la liberté, selon l'expression de l'un des plus éminents d'entre eux, de M. de Tocqueville.

J'ai voulu indiquer le danger, vous montrer l'exagération dans laquelle nous sommes tombés et dont tous ne se doutent pas.

Avec une aussi puissante organisation de l'enseignement public à tous les degrés et dans toutes les sphères, on aurait pu, sans aucun danger, laisser la liberté à elle-même, se priver de ce grand contrôle qu'on exerce au moyen des examens et des jurys sur l'enseignement libre.

II ne suffit pas, pour que la liberté d'enseignement existe, qu'on puisse librement ouvrir des établissements d'enseignement, des écoles moyennes ou des universités, il faut que ces établissements eux-mêmes soient libres, qu'on y conserve la liberté d'enseigner et la liberté d'apprendre, que le professeur puisse enseigner comme il veut, d'après les méthodes qu'il croit les meilleures, que l'élève puisse y apprendre comme il le veut, c'est-à-dire il faut que la liberté des méthodes et des études y soit entière. Or, avec le système des jurys imposant leur programme aux établissements libres, cette liberté n'existe plus.

M. Thiers, à la tribune de l'assemblée législative de France, a dit un mot très vrai : Celui qui est maître de la collation des grades, est maître absolu de l'enseignement.

L'honorable M. Frère a traduit cette pensée en d'autres termes énergiques ; il a dit qu'aujourd'hui, en Belgique les jurys avaient supprimé la liberté d’enseignement, que nous avions l’ombre de la liberté, que nous n'en avions plus la réalité.

Dans aucun pays, l'accumulation des deux moyens d'action du gouvernement sur l'enseignement public et le contrôle par les jurys n'a été aussi formelle et aussi puissante.

Messieurs, l'Etat en Belgique cite à sa barre, par ses jurys d'examen, les jeunes gens à tous les échelons des études : au sortir des collèges, si le projet est adopté, ils trouveront le grade d'élève universitaire. Chaque année à la sortie de chaque faculté, ils rencontrent les jurys de candidature et de doctorat.

Messieurs, vous irez plus loin ; la logique vous entraînera sur cette pente ; il y a une lacune dans votre système de jury, c'est le grade d'élève primaire à instituer, l'examen à placer entre l'enseignement primaire et l'enseignement moyen. On a cité la Prusse en faveur du grade d'élève universitaire, on citera l'Autriche en faveur du grade d'élève primaire qui y existe.

Les arguments ne manquent pas ; ils seront plus forts que ceux qu'on emploie aujourd'hui pour justifier le grade d'élève universitaire ; on dira qu'il y a grand danger à ouvrir un trop facile accès aux études moyennes, c'est le danger du déclassement social ; il faut empêcher, dira-t-on, que les jeunes gens de nos campagnes n'abandonnent trop facilement la charrue et le métier de leurs pères, pour se jeter dans la voie encombrée des emplois publics où ils viennent échouer.

Les arguments ne manqueront donc pas. Quand vous aurez comblé cette lacune de votre système de centralisation et d'oppression intellectuelle, il ne vous restera plus qu'une chose à faire pour le couronnement de l'édifice universitaire, c'est d'y ajouter l'enseignement obligatoire. Quand vous aurez couronné ce système d'enseignement et de jurys à tous les degrés par l'enseignement obligatoire, je vous affirme que la Belgique sera le pays de l'Europe où la liberté d'enseignement aura été écrite dans la Constitution de la manière la plus splendide et la plus large, mais où la liberté vraie, celle des doctrines, des méthodes et des études aura été, selon l'expression de M. Frère, plus totalement supprimée ; nous aurons conservé le nom et l'enseigne de la liberté, mais la liberté aura disparu. (Interruption.)

- M. E. Vandenpeereboom remplace M. Vervoort au fauteuil.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'aurais voulu pouvoir me renfermer dans la défense du projet de loi, projet qui est très simple en lui-même et qui, je pense, ne rencontrera pas une forte opposition au moment du vote. Mais dès le principe de la discussion, on en a élargi les bases et l'honorable préopinant vient de placer le ministre dans la nécessité de prendre part à cette discussion, où il s'était abstenu d'intervenir jusqu'ici.

L'honorable membre qui pratique les affaires et le parlement depuis un grand nombre d'années, semble avoir perdu de vue les faits qui se passent en Belgique. Il vient de nous faire du rôle du gouvernement, de la situation de l'enseignement, un tableau que je ne puis m'empêcher de qualifier de purement imaginaire, de purement romanesque. A entendre l'honorable préopinant, le gouvernement contrôle tout, enchaîne tout et finit par étouffer toute espèce d'élan, tout progrès de l'intelligence dans notre pays. Il n'y a plus de liberté d'enseignement en Belgique ; il n'y a plus qu'une centralisation épouvantable.

Le gouvernement, imitant en cela la France, porté à son budget des sommes folles pour l'enseignement ; des millions ! Et en même temps, le gouvernement, qui est, dit-on, le plagiaire de la France, lui donne cependant, un grand exemple, puisqu'il porte à son budget des sommes beaucoup plus considérables que la France elle-même. Sous ce rapport donc, on ne peut pas dire qu'il est le plagiaire de la France. Et c'est là, messieurs, un signe distinctif du gouvernement belge ; c'est là un des caractères de la nationalité belge ; ce sont ces grands sacrifices que la nation s'impose pour répandre dans toutes les classes l'instruction, l'amélioration des intelligences et des âmes.

Plus la Belgique fera de dépenses dans ce noble but, plus je crois qu'elle grandira aux yeux de l'Europe comme elle s'élèvera à ses propres yeux.

Mais, à côté de cette intervention de l'Etat,, messieurs, est-ce que la liberté d'instruction n'est pas entière ? Est-ce que l'action de l'administration se fait sentir en aucune façon sur les établissements libres ? Est-ce que les établissements libres ne sont pas plus nombreux, plus peuplés que les établissements officiels ? Où, à quelle heure, dans quel lieu l'honorable membre a-t-il aperçu la main de l'Etat dans l'enseignement libre ?

.M. Dechamps. - Je l'ai dit, le jury.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous y viendrons. Les jurys ne sont pas de notre invention. Les jurys ont existé en Belgique dès le commencement de son organisation. Ils ont été introduits par les amis de M. Dechamps et soutenus par l'honorable M. Dechamps lui-même, qui, je pense, en votant cette organisation des jurys, n'avait pas l'intention de porter atteinte à la liberté d'enseignement.

Messieurs, il n'est nullement exact de dire qu'en Belgique le gouvernement soit possédé de la manie de tout centraliser. En matière d'enseignement en particulier, quel est donc le cercle d'action de l'Etat ?

Il y a deux universités, il y a dix athénées royaux dans lesquels la commune a une part administrative très forte ; il y a cinquante écoles moyennes également dirigées par l'Etat, mais où l'action de la commune a aussi une part considérable.

A côté de cela, il y a deux universités libres ; il y a je ne sais combien d'écoles d'enseignement moyen dirigées par des corporations religieuses, dirigées par les évêques, et dans lesquelles le gouvernement n'intervient ni de près ni de loin.

(page 372) Dans l'établissement dirigé par l'Etat, payé par l'Etat, veut-on que sou action soit nulle ? Si j'ai bonne mémoire, les amis de l'honorable M, Dechamps et M. Dechamps lui-même ont trouvé, à d'autres époques, que l'enseignement universitaire de l'Etat était trop libre, que l'Etat n'exerçait pas dans son propre enseignement une surveillance suffisante. L'honorable M. Dechamps n'est pas venu, alors, invoquer la liberté, il aurait trouvé très convenable que l'Etat imposât silence à certains professeurs.

Voilà, messieurs, où va cette grande centralisation de l'Etat dans les questions d'enseignement.

Mais, dit-on, on a organisé les jurys, et par les jurys le gouvernement exerce un contrôle presque absolu sur l'enseignement en général, sur l'enseignement libre. Les jurys de gouvernement ! dit-on. Mais où sont les jurys du gouvernement ? Nous avons eu, sous le régime de la loi de 1335, le jury du parlement, un jury organisé dans l'intérêt d'un parti, et agissant ou pouvant agir dans l'intérêt d'un parti. Mais depuis lors, ce jury a cessé d'être un ressort politique, un instrument de parti.

Il a échappé à l'influence politique du gouvernement comme du parlement. L'honorable M. Dechamps n'a sans doute pas perdu de vue les prescriptions de la loi de 1849 qui obligent le gouvernement à composer les jurys de telle manière que l'enseignement libre y est représenté dans la même mesure que l'enseignement de l'Etat. Je ne vois donc pas en quoi le rôle du gouvernement, dans la composition du jury, peut être dénoncé par l'honorable membre comme la marque d'un besoin insatiable d'absorption, de centralisation de la part de l'Etat.

L'honorable M. Dechamps ne veut-il pas de jury du tout ? L'honorable membre vient de nous développer un système qui déjà avait été exposé devant cette Chambre. Dans ce système il admet cependant un jury ; il ne peut pas se dispenser d'en mettre un.

Messieurs, je suis grand ami, grand partisan de la liberté. Mais il y a certaines règles, certaines réserves à poser. Ceux des membres de la société qui prétendent exercer un privilège quelconque, doivent se soumettre à certaines conditions. La société vis-à-vis de ceux-là prend certaines précautions ; avant de leur attribuer le privilège qu'ils réclament, la société s'assure qu'ils sont, en effet, capables d'exercer ce privilège sans trop nuire au public. Voilà l'origine des diplômes, l'origine des jurys d'examen.

Les jurys sont composés aujourd'hui de la manière la plus impartiale, en vue de la liberté ; et c'est parce qu'il y a en Belgique la liberté d'enseignement, que tout le monde veut respecter, que nous éprouvons tant de difficultés dans la composition des jurys.

S'il n'y avait pas la liberté d'enseignement en Belgique, la manière de former les jurys serait très simple, elle ne donnerait pas lieu à un quart d'heure de discussion.

L'honorable préopinant ne veut pas des jurys tels qu'ils sont aujourd'hui constitués. Il appelle jury ministériel le jury mixte que le gouvernement doit nommer dans les conditions et les limites déterminées par la loi.

Mais dans son système il y aura des diplômes ; par qui seront conférés les diplômes ? Ils seront conférés directement par les universités ou par un jury professionnel.

Les diplômes conférés directement par les universités, je sais bien ce que cela veut dire, cela veut dire qu'on accordera à des associations les mêmes droits qu'à l'Etat, que les universités de Louvain et de Bruxelles auront le privilège énorme de délivrer des diplômes donnant droit à exercer exclusivement certaines professions.

L'autre hypothèse de l'honorable membre consiste à faire conférer par les universités les grades scientifiques, ce qu'elles ont le droit de faire aujourd'hui, et à faire délivrer les diplômes par ce qu'on appelle un jury professionnel.

J'arrête ici l'honorable membre et je lui demande qui nommera ce jury professionnel ? de quels éléments sera-t-il composé ? Et je ne crois pas aller trop loin en portant à l'honorable membre le défi d'indiquer de quelle manière le jury professionnel sera formé.

Quoi qu'il en soit, vous aurez toujours des jurys, vous aurez toujours des diplômes, aussi longtemps qu'il y aura dans la société des individus qui réclameront le droit d'exercer par privilège certaines professions.

Mais l'honorable membre paraît même vouloir aller plus loin, il paraît vouloir aller jusqu'à laisser toutes les professions libres. Sur ce terrain, j'irai moi aussi très loin en théorie ; mais alors qu'on ne fasse plus aucune espèce d'examen, ni d'examen professionnel, ni d'examen universitaire, qu'on laisse chacun exploiter la société comme il l'entendra, suivant ses caprices, suivant son plus ou moins d'habileté, son esprit plus ou moins intelligent.

La société serait-elle assez forte pour supporter cet état de choses ? Je ne sais ; je doute, cependant, que de notre temps nous voyions arriver cette émancipation vers laquelle l'imagination de l'honorable M. Dechamps semble l'entraîner aujourd'hui.

L'honorable membre semble découvrir aussi qu'il est question, pour la première fois, du grade d'élève universitaire en Belgique. C'est, dit-il, le besoin de centralisation qui pousse le gouvernement à le réclamer.

Mais, messieurs, ce qui est nouveau en Belgique, c'est l'absence de l'examen d'élève universitaire.

A toutes les époques, tous les partis ont reconnu l'utilité de placer, entre l'école moyenne et l'université, un examen préparatoire. Cela est de tradition. Avant 1830, aux termes de l'arrêté de 1816, les élèves n'entraient pas à l'université sans avoir subi un examen préalable. La commission nommé dès 1831, par l'honorable M. Teichman, ministre de l'intérieur, proposa un examen intermédiaire entre l'athénée et l'université. En 1838 un projet de loi consacrait cet examen intermédiaire, et l'honorable M. Dubus aîné, dont on vient d'invoquer l'autorité, faisait ressortir, dans son rapport de 1842, la nécessité de l'établissement du grade d'élève d'université.

En 1849 l'institution était tellement dans les esprits qu'elle fut adoptée par les Chambres presque sans discussion.

Il y a eu, il est vrai, une interruption ; en 1855 la Chambre, prise à l'improviste, a supprimé cette institution en quelque sorte sans discussion. La droite d'alors eut la bonne fortune qu'un des membres importants de la gauche ouvrit la porte à cette réforme, et la droite s'y précipita en foule, croyant sans doute jouer un mauvais tour au gouvernement.

M. Coomans. - On ne joue pas ici de mauvais tours.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'honorable M. Coomans est moins que tout autre capable de jouer un mauvais tour à ses adversaires.

M. Coomans. - J'ai voté très sérieusement avec l'honorable M. Verhaegen et je n'ai nullement songé à jouer un mauvais tour à qui que ce fût.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Eh bien, l'honorable M. Coomans et ses honorables amis jouèrent très consciencieusement un mauvais tour à l'enseignement en supprimant le grade d'élève universitaire.

Un ou deux ans après cette suppression, tout le monde en reconnut les mauvaises conséquences.

M. Coomans. - Non.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je prie l'honorable M. Coomans de ne pas m'interrompre et de demander à son voisin l'honorable M. de Decker ce qu'il en pensait.

M. Coomans. - M. de Decker n'est pas tout le monde.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'honorable M. de Decker, sous ce rapport, a une autorité qui le place beaucoup au-dessus de l'honorable M. Coomans, quel que soit d'ailleurs son esprit plein de saillies.

Je dis donc que les inconvénients de cette suppression se firent sentir presque immédiatement, et l'honorable ministre de Decker présenta lui-même l'équivalent du grade d'élève universitaire ; il ne proposa pas le rétablissement du nom qui avait provoqué une certaine opposition, mais il proposa le rétablissement de l'examen même ; cela est incontestable.

Eh bien, ce que l'honorable M. de Decker vint proposer à la Chambre, je viens le proposer à mon tour ; je viens proposer, non une mesure nouvelle, mais le rétablissement d'une institution ancienne, appréciée comme très utile par la grande majorité de cette Chambre et qui n'a été supprimée, je le répète, que par une sorte de surprise. Voilà à quoi se borne le projet de loi.

L'honorable M. Dechamps trouve que le projet est incomplet.

Selon lui, ce n'est pas seulement la partie de la loi relative au grade d'élève universitaire qu'il faut réviser, c'est la loi tout entière

(page 373) Voici ce que je réponds à l'honorable M. Dechamps : Il est une partie du régime de l'enseignement supérieur qui a été mise à l'épreuve pendant un certain nombre d'années. C'est ce régime dépourvu de l'examen intermédiaire entre les études moyennes et universitaires. L'expérience ayant établi les effets fâcheux de cette lacune, nous demandons le rétablissement de cette institution. Voilà tout le projet de loi.

Maintenant, pour le système tout entier de l'enseignement supérieur, pour ce qui concerne les examens et les jurys, nous disons dans l'exposé des motifs que cette partie de la législation actuelle n'a pas encore été soumise à une expérience assez longue ; nous demandons à continuer l'expérience pendant deux années encore ; par le projet de loi, nous demandions à la prolonger pendant cinq sessions ; mais depuis la présentation du projet, une session a déjà eu lieu, et de la proposition primitive, il en reste plus que quatre sessions.

Mais en ce qui concerne l'examen intermédiaire, nous disons qu'une expérience suffisante est faite et que l'opinion générale s'est prononcée pour le rétablissement de cet examen. Voilà ce que nous demandons aujourd'hui, rien de plus, rien de moins.

Quant aux autres questions que soulève le projet de loi, je constate que bien des discussions ont eu lieu dans cette enceinte, que bien des systèmes se sont produits ; mais je déclare, pour mon compte, que quant à présent, il me serait impossible de formuler un autre système qui méritât de prendre la place de celui qui existe aujourd'hui.

Messieurs, il y a de graves inconvénients à modifier sans cesse nos lois en général et notamment les lois relatives à l'instruction publique. Mais dans ces fréquentes, nombreuses et brillantes discussions, auxquelles les questions d'enseignement public ont donné lieu dans cette enceinte, je trouve la réponse à certaines idées quelque peu décourageantes qui ont été développées dans cette enceinte. A entendre quelques orateurs, on serait tenté de croire que l'intelligence, en Belgique, ne se trouve pas en quelque sorte à la hauteur de ses institutions ; que, tandis que nous constations des progrès incessants dans toutes les autres carrières, dans l'industrie, dans le commerce, dans l'agriculture, dons les arts, les intelligences iraient en déclinant, que l'instruction irait en déclinant.

Je reconnaîtrai volontiers, si l'on veut, qu'on ne rencontre plus de nos jours autant d'hommes qui s'occupent et se préoccupent des études humanitaires, des études classiques ; c'est un mal, et c'est un regret que nous, anciens classiques, nous pouvons éprouver et exprimer ; mais conclure de cet état de choses à la décadence morale et intellectuelle du pays, c'est, messieurs, ce que je ne puis admettre. Attribuer, d'autre part, cette décadence à l'institution des jurys et des examens, c'est ce qui me paraît, permettez-moi de le dire, non seulement très injuste, mais parfaitement absurde.

Les examens ne nuisent pas à la liberté de l'enseignement. Il est libre à chacun de se livrer à toutes sortes d'études ; il est libre à chacun d'enseigner tout ce qui lui passe par la tête.

Le champ le plus vaste est ouvert aux imaginations, mais lorsque celui qui étudie, veut tirer, par privilège, parti de sa science, lorsqu'il vient demander à la société le privilège d'exercer certaines fonctions interdites à la généralité, il est juste que la société le soumette à des épreuves, exige de lui certaines garanties. Voilà tout.

Mais en dehors des avocats, des médecins, des notaires, il y a encore une multitude d'intelligences qui ont le champ libre et qui ne sont pas soumises à cette discipline.

Et quant à l'examen en lui-même, je ne puis admettre que ce soit une chose si fâcheuse, alors qu'il s'adresse à des jeunes gens qui ne sont pas encore arrivés à un âge où l'on n'a plus besoin de ce stimulant.

Je crois que la plupart des jeunes gens, s'ils n'avaient pas en perspective, à la fin de leurs cours, un stimulant quelconque, perdraient considérablement de leur ardeur au travail. Que ce soit la distribution des prix, que ce soit un examen dans l'établissement même, que ce soit un examen en dehors de l'établissement, je dis que ce sont là des moyens très énergiques d'entretenir le zèle des jeunes étudiants et que, si ces moyens viennent à faire défaut, la plupart des étudiants abandonneront entièrement leurs professeurs et leurs livres ; cela n'a pas besoin d'être démontré.

Il a suffi de voir les effets qu'a produits la suppression de l'examen d'élève universitaire pour être convaincu de l'influence efficace que cet examen exerçait sur la conduite et sur le zèle des élèves. Aussitôt que la suppression de l’épreuve d'élève universitaire fut connue, il est incontestable que le plus grand relâchement se manifesta parmi les élèves des athénées et des collèges.

Je me réserve de discuter dans les détails et de rencontrer les objections qui ont été faites sur quelques-unes des dispositions du projet de loi.

Je pense qu'il n'y a pas lieu d'adopter l'ajournement proposé par l'honorable M. Dechamps, et que l'examen intermédiaire entre l'enseignement moyen et l'enseignement universitaire doit être maintenu, quel que soit le système qu'on adopte ultérieurement.

Il devra être maintenu et lorsqu'on invoque des pays libres on rencontre ce système dans ces pays.

Notre honorable collègue M. de Boe, dans le discours si remarquable qu'il a prononcé, vous a fait voir qu'en Angleterre cet examen entre l'enseignement moyen et l'enseignement universitaire a été introduit.

.M. Dechamps. - Pas par la loi.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Pas par la loi, si vous voulez, mais il y existe comme institution utile. A la vérité, dans l'enquête voici une objection qui a été rencontrée : On a dit : Mais si vous exigez entre l'enseignement moyen et l'enseignement universitaire cet examen difficile, il arrivera que nos fils de famille, et en Angleterre le fils de famille suit, par une sorte de devoir traditionnel, les cours des universités, seront empêchés de fréquenter les universités. Mais voici ce qui fut répondu : Non, en Angleterre les pères de famille comprennent trop bien leurs devoirs, font un trop grand cas de l'enseignement supérieur pour ne pas employer tous leurs efforts afin que leurs fils traversent honorablement cette épreuve. Ce sera pour eux une question d'honneur.

Eh bien, messieurs, je crois que ce qui est une question d'honneur pour les Anglais sera aussi une question d'honneur pour les Belges.

Donc, messieurs, si l'utilité d'un examen intermédiaire est reconnue partout, je dis que ce principe persistera, quel que soit le système auquel on se rattache dans l'avenir.

L'honorable M. Dechamps annonce des intentions d'émancipation qui ne m'effrayent pas, quant à moi. J'ignore à quelle époque il entend les faire entrer dans la pratique. Attendra-t-il que la loi ait fonctionné encore pendant deux ans, ou veut-il introduire son système dès aujourd'hui ? Propose-t-il d'abroger la prorogation de la loi ? Consent-il à ce que la loi actuelle fonctionne encore deux ans ?

.M. Dechamps. - Oui.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'honorable M. Dechamps m'étonne. Comment ! il attribue la situation très fâcheuse où se trouve, selon lui, l'enseignement public en Belgique à l'organisation de nos jurys, à l'organisation de nos examens, il trouve qu'il n'y a plus, pour ainsi dire, de liberté d'enseignement en Belgique, que tout est centralisé dans les mains de l'Etat, que le niveau des études, pour me servir de cette expression que je n'aime pas beaucoup, baisse considérablement. Il attribue au système en vigueur les plus graves inconvénients, et il consent à le proroger encore pendant deux ans !

Cela ne me paraît pas très logique. A sa place, je ne voudrais pas vivre pendant 24 heures avec un régime aussi détestable.

L'honorable M. Dechamps a de l'autorité, il a un talent, une expérience qui suffisent certes et au-delà pour proposer un système. Qu'il le propose. Nous ne perdrons pas alors notre temps dans des discussions vagues et sans issue.

J'aurais voulu éviter ces longues discussions qui peuvent bien remplir les séances de la Chambre, la distraire si tant est qu'elle ne se fatigue pas d'entendre souvent répéter la même chose, mais cela ne suffît pas, il faut un résultat pratique, il faut des conclusions ; sinon, je le répète, ces discussions ne présenteront qu'un intérêt tout à fait secondaire.

Il vaudrait mieux avoir à discuter sur une proposition formelle que de rester ainsi dans le vague.

Pour nous, messieurs, nous ne proposons pas de changement radical au régime actuel, nous ne pensons pas qu'il y ait lieu d'en proposer avant d'avoir continué encore pendant quatre sessions l'expérience qui se fait actuellement.

Nous demandons qu'après l'expérience qui a été faite de la suppression du grade d'élève universitaire, on n'attende pas plus longtemps pour rétablir ce grade.

Nous en demandons le rétablissement comme nous le demandions (page 374) l'année dernière, comme l'honorable M. de Decker le demandait en 1856.

Un honorable député de Bruxelles a présenté des amendements qui auraient pour but entre autres de changer entièrement le système actuel et de substituer au jury mixte l'ancien jury central.

Je ne saurais en aucune manière me rallier à cet amendement. Il a été fait justice du jury central dès l'année 1849, et depuis lors je ne pense pas qu'aucune proposition ait été faite dans cette enceinte pour le rétablissement du jury central. Dans tous les cas une pareille proposition n'aurait eu aucune chance de succès.

Le jury central, tel que le comprend l'honorable membre, serait, si je ne me trompe, l'ancien jury central avec plus d'inconvénients peut-être que dans le passé.

Le nombre des récipiendaires, pour ne faire que cette objection, est aujourd'hui beaucoup plus considérable qu'il ne l'était dans les premières années de la fondation de nos universités.

Le seul jury central ayant à examiner tous les récipiendaires des quatre universités, plus ceux qui ont fait des études privées, devrait siéger probablement une très grande partie de l'année.

Les professeurs seraient enlevés à leurs fonctions pendant plusieurs mois sans doute.

C'est là un inconvénient pratique, mais ce n'est pas le seul que présenterait le rétablissement du jury central.

Un reproche que j'adresserai d'abord à ce jury central tel qu'il est proposé par l'honorable membre, c'est de ne pas faire la part assez large aux études privées : les universités y seraient représentées sur un pied égal ; l'enseignement privé n'y serait représenté que par un seul membre.

Or, je trouve qu'il n'y a pas, dans une telle composition, de garanties suffisantes pour les études privées. Aujourd'hui, les études privées trouvent leurs garanties dans un jury central où elles sont représentées d'une manière assez large.

Je crois aussi que la composition, telle qu'elle est proposée, serait insuffisante pour les besoins des examens et ne répondrait pas au programme : 4 ou 5 membres ne suffiraient évidemment pas pour constituer un jury capable de répondre à toutes les parties du programme sur lequel l'élève doit être interrogé.

L'honorable membre, revenant depuis aux examens écrits, compliquerait encore les opérations du jury et allongerait de beaucoup sa session.

Je me borne à ces observations générales contre l'amendement de l'honorable M. Van Humbeeck, amendement auquel je ne pourrai pas me rallier.

M. le président. - La parole est à M. Hymans,

M. Hymans. - J'y renonce pour le moment ; la Chambre n'est plus en nombre.

- Voix. - Si ! si !

- Plusieurs membres. - A mardi l

M. Hymans. - La Chambre n'est plus en nombre ; elle ne l'était même pas au commencement de la séance. (Interruption.)

Je me permettrai de faire remarquer, au surplus, que si l'on fixe la séance du samedi à une heure plus tôt que celle des autres jours, c'est pour que nos collègues de province puissent rentrer chez eux et non pas pour prolonger cette séance jusqu'à 4 1/2 heures.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il n'est que trois heures et un quart.

M. le président. - M. Hymans vient de commettre une erreur que je dois relever : la Chambre était en nombre quand la séance a été ouverte. La Chambre est-elle d'avis de renvoyer à mardi la suite de la discussion ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il n'est que trois heures et un quart.'

M. le président. - Mais il n'y a plus d'orateurs inscrits. Veut-on clore la discussion générale ?

- Plusieurs voix. - Non ! non !

M. de Theux. - J'ai entendu que l'honorable M. Hymans a renoncé à la parole parce que la Chambre, a-t-il dit, n'est plus en nombre Je ne crois pas que la Chambre puisse exiger, quand un orateur renonce à la parole parce qu'il suppose que l'assemblée, n'est plus en nombre, que les orateurs inscrits après lui prennent la parole ; les convenances, dans ce cas, exigent que la suite de la discussion soit renvoyée à une autre séance.

D'ailleurs, nous n'y perdrons rien dans le cas actuel, attendu que si la discussion générale était close aujourd'hui, on la reprendrait certainement à propos des articles.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !

M. le président. - Ceux qui sont d'avis. de renvoyer à mardi la suite de la discussion sont priés de se lever.

- Plusieurs membres se lèvent.

M. de Baillet-Latour. - Je demande la parole.

M. le président. - On ne peut pas parler entre deux épreuves.

M. de Baillet-Latour. - Je voulais seulement constater que la Chambre est encore en nombre ; je viens de m'en assurer de la manière la plus certaine.

- Quelques voix. - L'appel nominal !

- L'assemblée, consultée, renvoie la suite de la discussion à mardi prochain, à 2 heures.

La séance est levée à 3 heures et demie.